HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

MEILLEUR ÉTAT DES AFFAIRES

CHAPITRE TROISIÈME. — LE CŒUR DU ROI, LE DÉPART DE MADEMOISELLE DE LA FAYETTE ET LA DISGRÂCE DU PÈRE CAUSSIN.

 

 

Deux mois environ avant ce départ, vers la fin du mois de mars 1637, le Révérend Père Caussin, religieux simple et modeste, dont un livre, La Cour Sainte, venait de connaître un immense succès et d'être traduit en plusieurs langues, avait reçu la visite d'un des plus brillants cavaliers de la Cour. Le marquis de Cinq-Mars, second fils du maréchal d'Effiat, lui apportait, rue Saint-Antoine, à la Maison professe des Jésuites, un billet du cardinal qui lui annonçait que le Roi avait dessein de se confesser à lui le jour de l'Annonciation. Le Père Caussin était prié de se rendre le mercredi 24 mars à Rueil, où Son Éminence lui parlerait.

Le Jésuite fut exact au rendez-vous. Le mercredi 24, Richelieu le reçut dans son cabinet et tout de suite lui chanta les louanges du pénitent qu'il lui confiait : Le Roi, affirmait-il, est sans vice ; sa vertu fait la bénédiction de son État ; il est important de le tenir dans cette pureté de mœurs. A la vérité, remarqua néanmoins Son Éminence, il paraît attaché à une demoiselle de la Reine. Je n'y soupçonne aucun mal, mais une si grande affection entre des personnes de différent sexe est toujours dangereuse. Le cardinal insistait tellement sur l'innocence de cette affection que le Père Caussin se demandait où il voulait en venir. Il ne faut pas, conclut Son Éminence, rompre cette liaison tout à coup, mais il est à propos de la découdre.

Le lendemain le Père, après avoir confessé le Roi, qui paru fort content de lui, était de nouveau dans le cabinet du ministre. Il y apprit que le Roi l'avoit choisi pour confesseur ordinaire[1]. Louis XIII, en réalité, l'avait seulement accepté : c'était Richelieu qui l'avait choisi sur une liste où figuraient deux autres candidats, le Père de La Salle, supérieur de la Maison professe des Jésuites, et le Père Binet, provincial de France, dont les livres étaient fort à la mode. Cette liste lui avait été présentée, sur sa demande, par son propre confesseur, M. Desclaux, chanoine de Bordeaux. Richelieu ne pouvait souffrir les confesseurs indiscrets. Ne doutons pas qu'il n'ait donné au Père Caussin les mêmes avis qu'au Père Suffren dix années auparavant : Ne vous mêlez point, je vous prie, des affaires d'État, parce qu'outre qu'elles ne sont point de votre charge, n'en connaissant point les suites, il vous seroit impossible d'en porter un jugement certain... N'allez chez le Roi que lorsqu'on vous y appellera... Ne parlez d'aucune des affaires du tiers et du quart qui intéressent les séculiers... N'ayez point l'ambition de disposer des évêchés et des abbayes... N'employez en vos scrutons que trois quarts d'heure au plus[2].

Quelques jours plus tard, après avoir écouté les sages avis du cardinal, le Père Caussin était logé au château neuf de Saint-Germain. Il se trouvait fort perplexe : le matin même, il avait rencontré, dans la chapelle du château, Mlle de La Fayette, qui avait exprimé le désir de l'entretenir en particulier. Il était donc fort perplexe et d'autant plus embarrassé, qu'une nuit, en cc même Saint-Germain, M. de Noyers était entré dans sa chambre. Le secrétaire d'État de la guerre lui avait dit qu'il tenoit à l'avertir de la part de M. le Cardinal que la demoiselle de la Reine dont Son Éminence lui avoit parlé, avoit le dessein de quitter la Cour pour se faire religieuse ; qu'il eût soin d'examiner si sa vocation était bonne, et, s'il la jugeoit telle, il devoit la confirmer dans ce dessein et l'engager à entrer au couvent le plus tôt qu'il serait possible. Il lui recommanda surtout de ne point dire au Roi qu'il fût venu lui parler de cette affaire.

Se souvenant de cette visite nocturne, le Père Caussin répondit à Mlle de La Fayette qu'il la verrait l'après-dîner. Il s'en fut entre temps chez le Roi et lui demanda la permission de se prêter à l'entretien qu'une fille d'honneur de la Reine désirait avoir avec lui... — C'est La Fayette, s'écria aussitôt Louis XIII. Oui, je le veux bien, elle veut vous parler du dessein qu'elle a d'être religieuse.

Il n'y avait plus à hésiter. La conversation eut lieu l'après-dîner de ce jour et la sons-gouvernante des filles d'honneur y assistait. Le Père Jésuite commença par faire le serpent pour éprouver Mlle de La Fayette : Eh ! quoi, dit-il, une fille de dix-sept ans, toute bonne et toute innocente, fuir un Roi pour courir à une prison !... Sa conversation vous a-t-elle jamais donné du scrupule ?... Vous le connaissez trop bien pour avoir appréhension qu'il demande jamais rien de vous que cc que Dieu vous permet de donner. — Ma vocation est une affaire à laquelle j'ai songé sérieusement, répondit la jeune fille. Elle m'a été inspirée de Dieu dès mon enfance, et je suis bien assurée de ne trouver jamais de repos que dans la religion. Nulle objection ne put ébranler Mlle de La Fayette, qui déclara que ce n'était point pour se mettre à l'abri de la persécution de Richelieu qu'elle entrait en religion : Et maintenant, ajouta-elle, lorsque je quitte le monde, je n'en remporte qu'un déplaisir qui est de donner de la joie au cardinal par ma retraite[3]. Phrase inquiétante qui montre combien le cardinal, de son côté, avait raison de hâter la prise de voile de sa frêle et dangereuse ennemie. Louis XIII était moins pressé. Lorsque le bon Père vint lui rendre compte des dispositions de Mlle de La Fayette, il déclara, les yeux pleins de larmes : Encore que je sois bien fâché qu'elle se retire, néanmoins je ne veux empêcher sa vocation, mais seulement qu'elle attende que je parle pour aller à l'armée ; conseillez là-dessus Mme de Senecé[4].

La modération du Roi ne fut pas du goût des ennemis du cardinal. Mme de Senecé, qui était de ce nombre, fit observer au religieux, qui la consultait : Cette demoiselle a un père et une mère, un aïeul et une aïeule qui vivent encore ; il est juste de les avertir du dessein de leur fille et d'attendre leur juste consentement avant que de lui permettre de se retirer. Avec l'approbation du Roi, l'on écrivit aux parents, tandis que le Jésuite s'en allait à Rueil chez le cardinal. Il y trouva Richelieu fort en colère : Il est inutile d'attendre le consentement des parents, s'écria le ministre, puisque l'on a celui du Roi, qui lui lient lieu de père et de mère ; enfin il ne faut pas laisser languir une affaire qui ne peut être terminée trop promptement[5]. — Je crains, répondit le Père Caussin, de me rendre suspect en faisant paraître tant de vivacité. — Vous avez raison, reprit Son Éminence, votre qualité de confesseur du Roi vous rend moins propre qu'un autre à conduire cette affaire et je ne veux plus que vous vous en mêliez[6].

De nouveau Richelieu dut recourir au Père Carré, filais le Dominicain n'était guère encourageant : On a fait jurer à la petite, écrivait-il le 25 avril 1637, qu'elle attendroit, encore trois mois devant qu'exécuter son dessein, et l'oncle et la tante, à qui elle s'est ainsi obligée, lui ont donné pour directeur le Révérend Père Armand, Jésuite. Le 7 mai 1637, le Père Carré ne pouvait que constater son impuissance.

Louis XIII, d'ailleurs, avait conseillé à la jeune fille de ne suivre, par rapport à sa vocation, que les avis du Père Caussin[7]. L'important était que Louis XIII ne suivit point à la longue, par rapport au cardinal, les conseils de la jeune fille.

Deux jours plus tard, le 9 mai 1637, le cardinal, dans sa chambre de Rueil, dictait cette lettre au secrétaire de nuit : Je ne saurais représenter à Sa Majesté le déplaisir que m'apporte l'affliction qui la travaille, mais j'en porte par souhait la moitié pour le moins, pour le soulager et je ne doute point que Dieu, pour la gloire duquel elle supporte patiemment ce qui la travaille, ne la console promptement. Les rois qui se soumettent à sa volonté et préfèrent sa gloire à leur contentement n'en reçoivent pas seulement récompense en l'autre monde, mais en celui-ci ; et, en vérité, je n'espère pas peu de bénédiction temporelle pour Votre Majesté pour la façon en laquelle elle se conduit en l'occasion. Et Richelieu suppliait le Roi de lui faire savoir l'état auquel il étoit, offrant même de se rendre à Saint-Germain, si sa misérable présence pouvoit apporter à son maître quelque soulagement[8].

Nul doute que le cardinal ne fût très exactement informé de l'état de Louis XIII ; il savait à cette heure la démarche que Mlle de La Fayette avait faite auprès de la supérieure du couvent de la Visitation, rue Saint-Antoine, avec la permission du Roi et l'approbation du Père Caussin. Il n'ignorait ni le ban accueil de la supérieure, ni l'entretien du Père Caussin au petit lever de Sa Majesté, ni probablement la réponse de Louis XIII au confesseur sollicitant pour sa pénitente l'autorisation d'entrer en religion. Le Roi, assis sur son lit, comme s'il n'eût pas la force de demeurer debout, avait dit en pleurant : Qu'est-ce qui la hâte ? Ne pouvait-elle encore différer quelques mois en attendant que je parte d'ici pour aller à l'armée ? Cette séparation m'eût été moins sensible, et maintenant j'en suis au mourir[9].

Richelieu constata bientôt que ses agents méritaient sa confiance. La journée n'était pas écoulée qu'une lettre du Roi, venue de, Saint-Germain, confirmait leurs dires : La fille, expliquait Louis XIII, me parla encore hier de son dessein, me disant que, si ce n'était une forte vocation de Dieu, pour rien au monde elle n'eût songé à me quitter présentement ; bien est-il vrai que, si ce n'eût été à cette heure, c'eut été dans un an et demi pour le plus tard, comme elle m'avoit toujours dit ; toutefois, si je le voulais absolument, qu'elle se forceroit jusqu'à tant que j'allasse à l'armée, où on disoit que je devais aller au mois de juillet. Je lui répondis là-dessus qu'elle savait bien que je n'avais jamais désiré qu'elle se contraignit en rien pour l'amour de moi, et qu'en cette affaire-ci elle regardât son sentiment et le suivit entièrement. Elle a été voir le Père Caussin, lequel est très satisfait d'elle. J'ai dit encore audit Père la même chose pour lui dire, et aussi à Mme de Senecé, qui lui en a parlé pour savoir mon intention. Si quelqu'un vous en parle, comme on commence à en parler ici, vous pouvez dire la réponse que j'ai faite. Pour moi, si elle est 'demain en la même résolution, ce que je crois, bien que Mme de Senecé la tourmente de lui donner quelque temps, je m'en irai lundi à Versailles ou à Chantilly pour essayer de passer mon affliction, qui me reprend de fois à autre extrêmement forte, surtout quand je suis seul ; cela ne mérite pas que vous preniez la peine de vous approcher d'ici. J'espère que le bon Dieu me donnera de la consolation. Je vous manderai demain au soir si je m'en irai, ou oui ou non. Si les filles de Sainte-Marie envoient vers vous pour savoir si je trouverai bon qu'elles la reçoivent, vous leur pouvez répondre que je le trouverai bon. Si elles ne vous en font point parler, vous ne leur en ferez semblant de rien[10].

Le 19, le cardinal apprit, comme toute la Cour, les détails de la déchirante séparation. Et d'abord le congé demandé par Mlle de La Fayette le matin même dans la chambre de la Reine, à l'heure du lever : Après avoir eu l'honneur d'être une de vos filles, je deviens aujourd'hui celle de sainte Marie, je ne pouvais choisir une moindre maîtresse sans dégénérer, après avoir été à une si haute et si bonne princesse. Tandis qu'Anne d'Autriche répondait à Mlle de La Fayette le plus affectueusement du monde, le Roi était entré : Sire, lui avait dit la fille d'honneur en voyant ses yeux mouillés de larmes, pourquoi pleurer ce que vous avez accordé et vous attrister de l'accomplissement de la volonté divine ?... Il se faut sauver. Tâchez de vous acquitter dignement de la charge que Dieu vous a donnée, et m'obtenez par vos prières, que j'estime beaucoup, la grâce d'être une bonne religieuse. Alors le Roi, maîtrisant sa douleur, lui avait répondu : Allez où Dieu vous appelle, il n'appartient pas à un homme de s'opposer à sa volonté. Je pourrois de mon autorité royale vous retenir à la Cour et défendre à tous les monastères de mon Royaume de vous recevoir, mais je connois cette sorte de vie si excellente, que je ne veux pas avoir à me reprocher de vous avoir détournée d'un si grand bien[11].

Quelques instants plus tard, dans la cour du château, Louis XIII montait en carrosse. S'il leva les yeux vers les fenêtres de l'appartement de Mlle de La Fayette, qui donnaient sur cette cour, il aperçut la jeune fille qui, pressée de la tendresse qu'elle avoit pour lui, avoit couru le voir au travers des vitres[12]. Mais déjà il s'engouffrait dans le carrosse, pour prendre la route de Versailles. Là-bas, à sa fenêtre, se tournant vers Mme de Senecé, Mlle de La Fayette gémissait : Hélas ! je ne le verrai plus !

 

Le dessein de Louis XIII.

Le cardinal comptait bien qu'il en serait ainsi[13]. Mais, depuis ce soir du 19 mai 1637 qu'elle était entrée à la Visitation de la rue Saint-Antoine, le Roi ne pouvait se consoler de ce départ. Richelieu, apprenant qu'il s'était alité, crut bon de se rendre à Versailles et, bien que fort aise de savoir la demoiselle au couvent, alla jusqu'à déclarer à Louis XIII que l'on avoit trop précipité cette affaire[14].

Bientôt il songea que le Roi ne saurait se passer d'une affection et qu'il valait mieux lui en proposer un que de le laisser s'embarquer dans quelque amitié qui pourrait être nuisible aux intérêts du Royaume. Si ce rôle éveillait quelque scrupule, sans doute se disait-il, comme. Mme de Motteville, que de la manière que le Roi aimoit, c'était le plus doux des plaisirs innocents. Le 4 juin 1637, à la fin d'une longue lettre qu'il écrivait à Louis XIII sur la guerre, il glissait cet insinuant paragraphe : Je change de matière pour dire à Votre Majesté qu'un religieux est allé trouver Mlle de Chemerault pour lui dire qu'il savoit de bon lieu que vous la vouliez aimer, qu'il l'en avertissoit et de plus que, si elle vouloit se laisser conduire par ses avis en cette affection, ses affaires iroient bien. Cet avis est très véritable. Sa Majesté n'en fera pas semblant, s'il lui plait[15].

Louis XIII ne soupçonnait pas que Mlle de Chemerault était entre les mains de Richelieu. Il n'en écrivit pas moins de Fontainebleau, ce même 4 juin, cette réponse que son bon sens et sa vertu suffisaient à lui inspirer : Je vous dirai que ceux qui ont fait ce discours à Chemerault ne me connaissent pas bien, et n'ai nommé son nom depuis que je ne vous ai vu. Premièrement je suis résolu à ne m'engager avec quelque personne que ce soit, l'ayant plusieurs fois dit tout haut, afin que personne n'en prétendit cause d'ignorance. Secondement quand j'aurais cette intention, mon inclination ne va point de ce côté-là étant trop méchante et brouillonne, et son visage ne me revenant pas, aussi que je sais que la Reine a mis en campagne tous ceux qui sont de son parti pour m'y porter, ce que je vois tous les jours. En troisième lieu, si j'avois à aimer quelque personne, j'aimerois mieux essayer à me raccommoder avec Haufefort qu'avec quelque fille qui soit à la Cour ; mais, n'étant pas mon intention de m'engager jamais avec personne, comme je vous ai dit ci-dessus et encore l'avant promis à La Fayette, à laquelle je n'ai jamais manqué de parole ni elle à moi, je persisterai, jusqu'à la mort dans ledit dessein de ne m'engager à personne et essayerai à vivre le mieux que je pourrai en ce monde pour faire en sorte de gagner le paradis, qui est le seul but qu'on doit avoir en ce monde. Voilà mon intention, en laquelle je persisterai tant que le bon Dieu me fera la grâce de vivre. Et pour preuve de sa résolution, le Roi déclarait : Vous pouvez savoir que, depuis que je suis ici, je n'ai parlé à femme ni fille du monde qu'à la Reine[16].

Richelieu le savait, en effet, mais, le 30 de ce même mois de juin, il sut bien autre chose.

 

Une grave nouvelle.

Ce jour-là on lui apporta dans son cabinet de Rueil une lettre du Père Caussin. Cette lettre était adressée à M. de Noyers. Comme le secrétaire d'État ne se trouvait p. as alors au château, le cardinal ouvrit le paquet et lut avec stupeur : Je viens d'apprendre que le Roi, étant entré assez soudainement dans Paris, est descendu à la Visitation pour y voir Mlle de La Fayette. Cela m'a un peu surpris et me suis vu obligé d'en donner avis à Son Éminence par votre moyen. Son Éminence manifesta aussitôt un grand mécontentement, que ne purent apaiser ni les assurances ni les phrases lénitives qui défilaient sous ses yeux, tandis qu'elle achevait la lecture de la lettre : Toutefois, je ne vois pas qu'il y ait rien à craindre, car je puis assurer que j'ai reconnu la fille dans une forte résolution de persévérer en la religion, de laquelle le Roi ne la divertira jamais. J'envoie un message exprès pour savoir si Monseigneur n'a rien à me commander là-dessus. Si vous jugez qu'il soit expédient, je l'irai voir après dîner[17].

Le cardinal jugea qu'il était expédient, car le religieux fut mandé à Rueil.

Richelieu connaissait déjà certains détails de la visite du Roi, que M. de Noyers, enfin revenu, lui avait appris lui-même. Le secrétaire d'État se trouvait par hasard au parloir de la Visitation et il causait avec la supérieure, lorsque Louis XIII y était entré. Stupéfait, il était sorti de la pièce, mais il n'avait quitté le couvent qu'il cinq heures du soir. Et, de retour à Rueil, il avait pu dire au cardinal que la supérieure avait offert à Sa Majesté d'user de sa prérogative royale, qui lui permettait de pénétrer à l'intérieur de la clôture, mais que le Roi avait refusé énergiquement : J'aimerois mieux, avait déclaré Louis XIII, avoir perdu un bras que d'être entré dans l'enclos d'un monastère et je ne veux point en user autrement que le commun. Sur sa demande on l'avait conduit devant la grille du parloir et, trois heures durant, sa suite, rangée dans un coin de la pièce, l'avait vu de loin s'entretenir avec la postulante. Quels propos avaient-ils pu échanger ? Le cardinal était bien anxieux d'en être informé.

Eh bien ! s'écria-t-il aussitôt que le Jésuite eut été introduit dans son cabinet, à quoi songeoit le Roi de faire cette visite avec tant d'artifices, de détours et de silence ? Ne pouvoit-il pas aller le grand chemin et dire ses intentions ?

Monseigneur, répondit le Père, qui peut mieux savoir cela que Votre Éminence ? Le bruit est que M. de Noyers, en qui vous avez toute créance, s'est trouvé là fort à propos pour régler cette visite et faire en sorte que rien ne s'y passât contre vos ordres.

Je suis fort étonné que le Roi m'en ait fait un mystère, reprit le cardinal. Après tout, je n'en ai aucune inquiétude. Le Roi sait bien que je ne me soucie pas des petites affaires qu'il a à démêler avec La Fayette ; voilà pourquoi il ne m'en a pas parlé. Il sait que je suis assez occupé dans la direction de toutes les grandes choses qui concernent son État, sans m'amuser à des bagatelles.

Richelieu tourna et retourna son interlocuteur fiole découvrir s'il était averti du jour où devait avoir lieu la visite du Roi. Peine perdue. Ce fut en vain aussi que Louis XIII assura Richelieu que tout ce qu'il avoit fait n'était que par une petite complaisance qu'il avoit à surprendre quelquefois ceux qu'il aimoit. Le cardinal voulut interroger à nouveau le religieux, qui répondit qu'il n'avoit point assisté à la visite et qu'il en avoit donné avis à Son Éminence aussitôt qu'il l'avoit sue. Le cardinal, — a-t-il raconté, — m'a dit que le Roi n'auroit jamais aucun secret qu'il ne lui communiquât ou à son confesseur et qu'il nous falloit vivre en bonne intelligence sans, toutefois, le faire paraître à Sa Majesté ; que ceux qui m'avoient précédé n'en avoient pas usé autrement, mais que je ne me montrois point assez ouvert. Puis revenant à la visite, qui soudain semblait prendre une énorme importance à ses yeux, Richelieu conclut : Cette visite a bien éclaté. Plusieurs sent venus offrir de mourir avec moi, jugeant qu'il y avoit du dessein. Eh quoi ! demanda le religieux, qu'y avoit-il à craindre ? Mlle de La Fayette n'est qu'une enfant. Mais Richelieu n'admettait plus que l'affaire fût petite ; il reprit : — Vous n'êtes pas méchant, il faut que je vous apprenne la malice du monde ; sachez que cette enfant à pensé tout gâter. — Je suis autant ouvert que la raison et la conscience me le permettent. Je ne pense pas qu'il soit expédient de traverser le contentement des ti visites que le Roi voudra rendre à cette fille, d'autant que cela blesseroit son esprit, qui est fort sensible en ce point. Je sais qu'il s'y portera avec modération, quand personne ne le contrariera[18].

Richelieu agissait en toute prudence, mais il ne pouvait lui échapper que le Père Caussin avait laissé entendre déjà que Mlle de La Fayette se rendrait l'avocate de la France et de toute la chrétienté[19].

 

Les deux complices.

En tout cas le Père se rendait lui-même l'avocat de ce qu'il croyait une cause juste et sainte : Je n'entreprends pas de détruire le ministre, expliquait-il à Mlle de La Fayette, sachant bien que le Roi en est possédé par-dessus tout ce qui se peut dire, mais je ne me sens pas en état d'être son flatteur et son esclave. Je suis tout résolu de combattre ses maximes, quand je les trouverai contraires au salut et à la bonne conscience du Roi. Entretenir Louis XIII de la paix de l'Église, du repos de la chrétienté, du soulagement de ses peuples, de l'union de la maison royale... le porter à une sainte et cordiale affection pour la Reine, espérant toujours que Dieu verseroit sa bénédiction sur son mariage, tel était le programme que se fixaient le Père Caussin et Mlle de La Fayette : Souvenez-vous, recommandait le religieux à la jeune fille, que, si l'on me met à la Bastille, je dois avoir part à vos prières à double titre, comme voisin et comme complice[20]. Cependant le souci du cardinal augmentait à chaque visite. En vain Richelieu pressait le Père Caussin d'engager Louis XIII à renoncer à des entretiens qui ne convenoient pas à un si grand Roi ; en vain, par le cardinal de Lyon, grand aumônier de France, il faisait presser le Jésuite de lui révéler le sujet de leurs entretiens. Le frère de Richelieu jugeait le Père Caussin peu sûr, naïf, incapable de rien comprendre à la politique. Pour lui, l'auteur de la Cour sainte, qui avait eu tant de vogue en 1624, était comparable à l'ange de l'Apocalypse, qui avait un pied sur la terre et l'autre dans le ciel : Je pense, disait-il, que le Père Caussin jouera le même personnage, puisqu'il est de la Cour sainte et de celle qui reste à sanctifier[21].

Mlle de La Fayette prit le voile le 22 juillet. Les visites n'en continuèrent pas moins. Si Richelieu se fût trouvé invisible et présent à l'une d'elles, il n'en fût point revenu trop mécontent. Cette fois la religieuse osa s'attaquer à la politique du ministre et le Roi aussitôt lui tourna le dos et partit sans prononcer une seule parole. Il est vrai qu'il lui fit dire par le Père Caussin qu'il ne désapprouvoit pas la liberté qu'elle avoit prise et qu'il reviendroit la voir incessamment[22]. Instruite par cette expérience, la jeune fille usait de grands ménagements et ne parlait plus guère au Roi que de ses devoirs envers la Reine mère et la Reine. Si bien que le cardinal put lire à Rueil, le 6 novembre 1637, dans une lettre que Louis XIII lui écrivait du château de Grosbois : Je fus hier à Sainte-Marie, ce qui m'a redonné la santé parfaite et augmenté la dévotion[23].

Ce fut à la suite d'une de ces visites si redoutées que se produisit, au début du mois de décembre, un événement dont les conséquences devaient combler les vœux du cardinal et de la France. Louis XIII se rend de Versailles au château de Saint-Maur, où déjà l'ont devancé sa chambre, son lit et ses officiers de bouche. Traversant Paris7 il profite de l'occasion pour s'arrêter rue Saint-Antoine, à la Visitation. Mais, tandis qu'il échange de pieux propos avec Mlle de La Fayette au parloir, un orage affreux éclate. Impossible de retourner à Versailles, impossible d'aller à Saint-Maur. Louis XIII décide d'attendre que l'orage cesse. L'orage redouble et la nuit approche. Où aller ? Au Louvre ? L'appartement du Roi n'y est point tendu. La Reine, il est vrai, s'y trouve en ce moment dans le sien. Le mieux n'est-il pas de lui demander bon souper, bon gîte ? C'est l'avis de M. de Guitaut, capitaine aux gardes, qui a toujours son franc parler avec le Roi. Louis XIII voudrait attendre encore. La violence de l'orage ne fait que croître. Guitaut renouvelle sa proposition et le Roi finit par consentir. Il se résigne, non sans avoir objecté que les heures de souper et de coucher qu'affectionne la Reine ne sont pas les siennes. Guitaut gagne le Louvre à bride abattue. Amie d'Autriche, avertie de l'heure à laquelle Louis XIII veut souper, se conforme à son désir. Le Roi soupe avec elle et ne la quitte qu'au matin. Et il s'ensuivit, le 5 septembre 1638[24], la naissance d'un fils, le Dauphin si attendu. Le Roi régnant aujourd'hui, disait plus tard l'Année Sainte de la Visitation, cet auguste prince Louis XIV, qui fut nommé du peuple Dieudonné[25].

Mais, en ce début de décembre, neuf mois avant de recevoir ce beau présent obtenu par les prières de Mlle de La Fayette, le cardinal ne pouvait plus du tout souffrir le confesseur de la jeune fille. Sans doute connaissait-il déjà les singuliers propos que François de La Fayette, évêque de Limoges, oncle de la novice, avait eu l'imprudence de tenir plusieurs fois à une femme qu'il appelait sa ménagère : Quand le cardinal sera ruiné, nous ferons ceci, nous ferons cela, je logerai dans l'hôtel de Richelieu ; c'est un logis qu'il me prépaye[26].

 

Le confesseur et le Roi.

Sire, sachant, il y a près de deux ans, ce que le Père Caussin a témoigné à diverses personnes, que Votre Majesté, tenta mes services à importunités, j'attendois avec grande impatience l'établissement d'une bonne paix, tant parce que ç'a toujours été l'unique fin qu'elle s'est proposée en la guerre, que parce qu'aussi c'étoit le vrai temps, justement auquel ont à Votre Majesté de me rendre misérable pour la rendre contente, je pouvoir lui donner la dernière et la plus assumée preuve qu'un sujet puisse rendre à son prince de l'excès de sa passion.

Cette lettre, semble-t-il, fut écrite le 8 décembre 1637[27]. C'est donc à Saint-Germain que le Roi est en train de la lire. Ce préambule, qui trahit le trouble du cardinal, parait bien annoncer une démission, cette démission toujours suspendue. Et, en effet, dès la phrase suivante, cette offre de démission se dessine : Depuis que Votre Majesté m'a fait l'honneur de me donner, de son propre mouvement, part en l'administration de ses affaires, j'ai toujours fait état de mourir à ses pieds et jamais je n'ai fait dessein de m'éloigner de sa personne. Et dès la troisième phrase, la ferme résolution est sous les yeux du royal lecteur : Si ce bon Père a aussi peu connu l'esprit de votre Majesté, qu'il a mal suivi celui de sa règle dans la Cour, je demeure en ces mêmes termes. Mais, s'il a mieux pénétré vos intentions que moi, j'estimerois être coupable, si je ne cherchois de rendre mon absence agréable, lorsque ma présence ne pourroit vous être utile. Je supplie en cela Votre Majesté de se faire justice à soi-même et d'user de bonté en mon endroit, étant aussi juste qu'elle se contente, lorsqu'elle le peut faire sans préjudicier aux intérêts de son État, comme ce sera un effet de sa bonté de donner du repos à celui qui n'a jamais pu penser en prendre que lorsqu'il a pu se persuader que son travail travailloit Votre Majesté[28].

Cette conclusion ne surprit point Louis XIII ; nul doute qu'il ne vit clairement alors que le cardinal connaissait déjà l'entretien qu'il avait eu le matin même avec le Père Caussin. Ce 8 décembre, le Père, avant de confesser le Roi, lui avait demandé une audience au cours de laquelle il avait déploré l'alliance de la France avec la Suède et la Hollande, les horribles scandales qui en étaient les conséquences en Allemagne, où plus de six mille églises étaient en ruine : C'est vous qui avez fait venir les Suédois en Allemagne, avait déclaré le religieux, et vous répondrez devant Dieu de tous les brûlements, violements et autres désordres qu'ils commettront. Ce n'est pas assez de bien vivre et, en l'état où vous êtes, tout le bien que vous faites est inutile. Vous voulez faire venir le Turc en la chrétienté[29]. — Il est faux, avait répondu le Roi, et je n'y ai jamais pensé. Mais le Père Caussin avait soutenu qu'il doit vrai — disons en passant que d'après le Testament politique de Richelieu, le Conseil, sinon le Roi, y songea plus d'une fois. — Je voudrois, avait protesté Louis XIII, que le Turc frit dans Madrid pour obliger les Espagnols à faire la paix, et, par après, je me joindrois à eux pour lui faire la guerre. Votre Majesté ne peut désirer cela en conscience. — Je n'entreprends rien sans le faire bien consulter. — On fait consulter par des gens gagnés. — C'est par vos propres Pères et des docteurs savants. — On donne des autels pour gagner les consultants, avait répliqué le religieux, qui n'ignorait probablement pas que le cardinal avait donné deux mille écus pour commencer le grand autel de l'église de Saint-Louis, rue Saint-Antoine[30].

Le Père Caussin avait ensuite exposé la misère du peuple, qu'il montrait surchargé d'impositions, accablé par le logement des gens de guerre. Louis XIII avait dit alors en soupirant : Ah ! mon pauvre peuple ! Je ne saurois encore lui donner de soulagement, étant engagé dans une guerre. — Vous devez vous fier en l'affection de vos sujets, qui vous sauront bien défendre d'eux-mêmes, quand vous en aurez besoin, avait hasardé le Jésuite. — Il n'y a plus après cela qu'à se faire moine et quitter son état, avait conclu le Roi ; il vaut mieux pays gâté que pays perdu[31].

Non seulement le Jésuite avait osé dire au Roi qu'il n'y avait Glue le cardinal qui fia haï du peuple ; non Seulement il avait exhorté son pénitent à payer le douaire que réclamait Marie de Médicis ; non seulement il avait demandé au Roi : La voulez-vous laisser mourir de faim en Flandre ?[32] mais encore il lui avait remis une lettre qu'elle avait écrite pour son fils. La Reine mère y traitait Richelieu de mauvais serviteur, demandait justice : Et, si vous voulez que je lui pardonne, disait-elle, je le ferai de bon gueur pour l'amour de vous ; mais, comme je suis sortie de France pour sauver nia vie et me mettre à couvert de sa persécution, quand bien je voudrois derechef pour votre service l'hasarder entre ses mains, je ne lui puis relâcher l'intérêt de mon honneur ; il faut auparavant, s'il vous plait, qu'il soit juridiquement condamné : et lors, si vous lui donnez la vie, je vous rendrai aussi volontiers mes ressentiments[33].

Le Roi, qui avait témoigné quelque impatience en écoutant le Père Caussin, s'était confessé à lui, puis avait reçu la communion de ses mains, non sans avoir écouté une dernière exhortation, où le religieux revenait en termes pathétiques sur les sujets qu'il avait abordés avant la confession[34]. Louis XIII était sorti de la chapelle sombre et rêveur[35]. La lettre de Richelieu le mettait en présence de son devoir royal. Le lendemain 9 décembre, le Roi dit au Père Caussin : J'ai pensé à ce que vous m'avez dit, je vois le désordre que vous m'avez représenté, je reconnois l'obligation que j'ai d'y remédier, je vous promets d'y travailler sérieusement. Il est bien vrai que j'ai de la peine à le dire à Monsieur le Cardinal. Si vous voulez lui proposer la chose en ma présence, j'appuierai tout ce que vous direz et j'espère que cela profitera. J'irai cette après-dîner à Rueil, allez-y avant moi, sans dire que je vous y ai envoyé. Je surviendrai ensuite et vous ferez venir à propos tout ce que vous m'avez dit[36].

Le Père Caussin accepta d'une âme forte la proposition.

 

Le cardinal et le confesseur.

Il y avait déjà quelques moments que le cardinal entretenait le Père Caussin ; avec une froideur qui ne présageait rien de béni, Richelieu disait de fort belles choses sur l'esprit et l'artifice des femmes. Aucune des allusions dont ce discours était rempli n'échappait au Jésuite, qui songeait en regardant son interlocuteur : Quoique je sois peu façonné aux dissimulations de la Cour, je m'aperçois bien que les nuages s'assemblent eu votre cœur pour faire de l'orage contre moi. Mais qu'a donc le cardinal ? Il prête l'oreille au bruit grossissant d'un carrosse qui s'avance rapidement vers le château. Tout à coup Son Éminence s'interrompt et dit : Voilà le Roi qui vient. Il n'est pas à propos qu'il nous trouve ensemble, vous ferez bien d'enfiler mie montée secrète pour vous en retourner. Le Père se retira silencieusement. Au lieu de descendre l'escalier dérobé, il attendit dans la chambre voisine, non sans avoir averti M. de Noyers : On pourra avoir affaire à moi, lui expliqua-t-il, je demeurerai là pour comparaître quand je serais appelé. Puis il se prépara, avec toute sa sincérité et son courage, à plaider devant le Roi et le cardinal ce qu'il croyoit être la cause de Dieu et du public[37].

Cependant Louis XIII, entré dans le cabinet de son ministre, cherchait des yeux son confesseur. Il demanda ce qu'était devenu le religieux : Il est parti, répondit le cardinal. Déconcerté peut-être par cette absence, le Roi ne cacha point à Richelieu l'inquiétude où l'avait jeté l'argumentation du Père Caussin. A grands coups d'arguments théologiques et canoniques, le cardinal anéantit la thèse qui contrecarrait sa politique. Oui, la guerre déclarée à l'Espagne l'avait été justement ; oui, les alliances protestantes étaient à l'abri de tout reproche, puisque rien n'avait été épargné pour maintenir l'exercice du culte dans les provinces qu'occuperaient les armées alliées. Pourquoi rappeler la Reine ? Ce serait déchirer le Royaume. Pourquoi le Roi enverrait-il de l'argent à sa mère ? Ce serait lui fournir le moyen d'entourer d'assassins les ministres. Convenait-il enfin que, pour gouverner son Royaume, un grand prince prît les conseils d'une novice de la Visitation, ceux d'un religieux-simple et crédule ? Ce religieux, d'ailleurs, se laissait conduire par le Père Monod, l'un de ses confrères, qui en Savoie, travaillait pour l'Espagne. Que deviendrait le Roi, lorsque la Savoie serait aux mains des Espagnols et la France réduite, par une paix honteuse et précipitée, à subir le joug de la maison d'Autriche ? Si le Père Caussin était parti avant l'arrivée du Roi, c'est qu'il n'ignorait pas que sa thèse ne tiendrait pas devant les preuves du cardinal.

Louis XIII se contenta d'excuser le Père Caussin, dont les intentions étaient droites. Richelieu alors le mit en demeure de choisir entre son ministre et son confesseur[38]. Il connaissait assez Louis XIII pour ne pas douter de son choix. Louis le Juste ne quitta point le château de Rueil sans avoir sacrifié le naïf religieux au plus grand serviteur que la France eût jamais eu. Dans la pièce voisine, le Père Caussin attendait toujours. Il y demeura jusqu'à la nuit et regagna Saint-Germain. Lorsque, le lendemain 10 décembre, il se fut introduit, — avec combien de difficultés, — chez le Roi, voici le dialogue qu'échangèrent le pénitent et le confesseur : On ne vous a point vu à Rueil. — J'y ai été, Sire, et j'ai longtemps attendu qu'on me fit appeler, bien décidé à tout dire. Je persiste dans mon sentiment ; je ne vous ai dit que ce que la loi évangélique et toute l'école des théologiens enseignent. — Ils ont bien vu, observa Louis XIII, que j'avois du chagrin et ils voudroient bien que vous approuvassiez leur conduite et leurs sentiments. Mais le Père Caussin demeurait inébranlable : Je ne le pourrois, Sire, sans charger votre conscience et la mienne[39]. MM. de Chavigny et de Noyers interrompirent tout à coup cet entretien. Le Père Caussin, à leur vue, se retira, prit le chemin de Paris, où il se rendit à la Maison professe des Jésuites.

Vingt-quatre heures plus tard, tous ses papiers étaient saisis et il était lui-même exilé à Rennes par une lettre de cachet[40]. Cette disgrâce n'était pas celle dont s'étaient flattés les ennemis du cardinal. M. de Campion, qui l'ignorait le 30 décembre, bien que la Gazette l'eût annoncée le 26, écrivait à Monsieur le Comte : La Notre-Dame des Avents est passée et le ministre n'est pas arrêté, comme on nous l'avoit fait espérer. Plus clairvoyant quo beaucoup de factieux, Campion ajoutait : Je ne doute point de l'éloignement du Père Caussin ; mais, quoi qu'il en soit, le Roi étant persuadé qu'il a besoin de son ministre, qui est habile et heureux, je vous demande pardon si je vous dis que je ris des négociations du cabinet pour le perdre. Il est bien trop établi pour les craindre et ce sont des chimères que des tilles et d'autres gens bien intentionnés entreprennent, à quoi ils ne réussiront jamais[41].

C'était bien l'avis du ministre lui-même, qui, dès le 27 juin, avait mandé à Chav4ply : Quant aux conseils que le Père Monod donne au Père Caussin sur le sujet de Mlle de La Fayette, j'ai pris cela connue effet du peu d'expérience qu'il a de cette Cour, où les intrigues ne servent plus d'aucune chose. Vous savez, grâce à Dieu, que je suis si assuré de a bonté du Roi, que je n'appréhende point qu'aucun artifice puisse changer la disposition de son esprit à mon égard[42].

Au moment où Richelieu écrivait ces lignes qui n'étaient que l'expression de la vérité, il songeait de plus en plus à faire expulser de la cour de Savoie le Père Monod, qui ne cessait d'y contrecarrer la politique du Roi.

 

 

 



[1] Père Griffet, Histoire du règne de Louis XIII, t. III, p. 8. Le Père H. Fouqueray, S. J., fait cette remarque, dans son Histoire de la Compagnie de Jésus, tome V page 85 : Le Père Caussin avait-il toutes les qualités requises pour être confesseur du Roi ? Le Père général le pensait, puisqu'il accueillit la nouvelle de sa nomination avec une satisfaction sans réserve. Mais les supérieurs de Paris, ayant eu l'occasion de voir l'excellent religieux de plus près, étaient moins rassurés ; à leur avis, il lui manquait cette prudence parfaite, insignis illa prudentia, que ne suppléent ni l'intelligence ni le bon vouloir ni la vertu. Ils en avertirent Richelieu, dès qu'ils connurent ses intentions, et ne furent point écoutés.

[2] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. II, p. 156-157.

[3] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII et le Cardinal de Richelieu, p. 105-109.

[4] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 8.

[5] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 8-10.

[6] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. X, p. 194.

[7] Père Griffet, Histoire du règne de Louis XIII, t. III, p. 10.

[8] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 773.

[9] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII et le Cardinal de Richelieu, p. 123-124.

[10] Comte de Beauchamp, Le Roi Louis XIII d'après sa correspondance avec le cardinal de Richelieu, p. 300.

[11] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 128-130.

[12] Mémoires de Mme de Motteville, t. I, p. 62.

[13] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. X, p. 17, éd. Petitot.

[14] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 14.

[15] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 784.

[16] Affaires étrangères, Lettres du Roi Louis XIII au Cardinal de Richelieu. Cette lettre a été publiée par M. Vaunois dans sa Vie de Louis XIII, p. 452, Paris, 1936.

[17] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 142. Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 810, note.

[18] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 143-149.

[19] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 123.

[20] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 157.

[21] Maximin Deloche, Un frère de Richelieu inconnu, p. 378.

[22] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 17.

[23] Affaires étrangères. Lettres du Roi Louis XIII au Cardinal de Richelieu. Louis Vaunois, Histoire de Louis XIII, p. 459.

[24] La visite du Roi n'eut pas lieu le 5 décembre, comme on pourrait être tenté de le croire. Les Archives des Affaires étrangères conservent, en effet, une lettre de Louis XIII à Richelieu, datée du 2 septembre 1638, où l'on peut lire cette phrase : La Reine se porte si bien, que je ne crois pas qu'elle accouche de quatre jours ; elle est deux jours dans le dixième mois.

[25] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 174.

[26] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 816.

[27] Voir ce que dit le Père Griffet sur la date de cette lettre : Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 116.

[28] Levassor, Histoire de Louis XIII, t. V, p. 369, et Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 115-116, et Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 1067, note 5.

[29] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 812-813. Le Mémoire de ce que le Père Caussin a dit au Roi, qu'a publié M. Avenel, était destiné à répondre à une lettre écrite à M. de Noyers par le religieux le 17 décembre 1637. On lit notamment dans cette lettre : Je vous renouvelle la protestation que j'ai faite au R. P. Provincial, laquelle je désire être connue de Son Éminence et vous jure Sur mon Dieu et sur le salut de mon âme que je n'ai eu intrigue ni cabale avec personne, ce que la visite de mes papiers a suffisamment démontrée. J'ai vécu à la Cour en homme de bien et sans que personne m'ait rien suggéré. Après avoir longtemps considéré, prié et pleuré devant Dieu, j'ai dit au Roi ce que je ne pouvois taire sans me damner, lui démontrant avec effusion de larmes l'extrême misère de son peuple et le devoir de sa charge (p. 812, note).

[30] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Coussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 210.

[31] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 813.

[32] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 813.

[33] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 198.

[34] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 213-216. Le Père Fouqueray remarque fort justement à propos de cette exhortation du Père Caussin : Ses défauts naturels et une certaine animosité contre Richelieu le conseillent mal. Il manque de tact en troublant la conscience d'un roi foncièrement honnête, au moment d'une confession, au matin d'une grande fête, en insistant sur des actes dont la culpabilité ne paraît pas tellement évidente. (Histoire de la Compagnie de Jésus, t. V, p. 105.)

[35] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 109.

[36] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 116.

[37] Voir la lettre du Père Caussin au cardinal, cité par le Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Coussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 254.

[38] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III. Voir aussi Avenel, t. V, p. 811-814, le Mémoire de ce que le Père Caussin a dit au Roi contre les propres intérêts de Sa Majesté et de Monseigneur le Cardinal. Le rôle du Père Caussin y paraît quelque peu faussé.

[39] Père Camille de Rochemonteix, Nicolas Caussin, confesseur de Louis XIII, et le Cardinal de Richelieu, p. 256-258.

[40] Il fut bientôt envoyé à Quimper. Le Père Fouqueray, dans son Histoire de la Compagnie de Jésus, observe que la correspondance du Père Caussin nous peint au vif les qualités et les défauts de l'homme ; elle nous montre comment avec beaucoup de vertu et d'excellentes intentions, il n'était point fait pour la Cour, où tout est nuance, tact, adresse, forme, souplesse, calculs, à-propos et savants détours. Caussin est d'une candeur rare, d'une sincérité exubérante, d'une franchise de langage presque brutale ; lorsqu'il a une idée en tête ou qu'il entend un appel de la conscience, il n'est plus maître de lui, il fonce tout droit, sans craindre ni ménager personne, s'imaginant que, pour l'emporter, avoir raison suffit (t. V, p. 102).

[41] Mémoires de Henri de Campion, p. 337-338.

[42] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 770.