HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

LES PRODROMES DE LA GUERRE CONTRE LA MAISON D'AUTRICHE

CHAPITRE PREMIER. — LA TRAGI-COMÉDIE DE LORRAINE.

 

 

Louis XIII avait plus d'un grief contre le duc de Lorraine : celui-ci ne cessait d'enfreindre les traités de Vic et de Liverdun : il laissait l'Empereur et le Roi Catholique lever des hommes dans ses États ; il entretenait des intelligences avec Monsieur, il promettait à Philippe IV de se remuer[1] à la première occasion ; il refusait enfin de rendre hommage à la Couronne pour le duché de Bar. Le 31 août 1633, Louis XIII, à la tête de ses troupes, parut sous les murs de Nancy.

Il y avait plusieurs semaines que, sur un arrêt du Parlement, le duché de Bar avait été saisi et le nom du Duc remplacé dans les pièces publiques par celui du Roi ; à présent une circonvallation, qui allait bientôt compter quatre lieues, se creusait pour envelopper la capitale du duché de Lorraine. Picardie, Tonneins, Castelmoron, Longjumeau, etc., etc., des régiments, d'autres régiments encore occupaient les alentours. Be distance en distance, des forts sortaient de terre ; on en comptait plus de vingt. Quelques-uns arboraient les noms des principaux chefs de guerre : Fort de Richelieu près de la Malgrange, Fort du maréchal de La Force sur la lisière du bois de Saurupt, Fort du marquis de La Force sur le bord de la Meurthe, à quelque douze cents toises du village de Tomblaine[2]. Une armée de terrassiers maniait le pic autour de ces ouvrages. Louis XIII lui-même avait porté le premier coup. Levé d'ordinaire avant le jour, il ne se lassait pas d'inspecter les travaux et ne rentrait qu'à la nuit. Rien ne l'arrêtait, pas même les mousquetades tombant soudain du haut des murailles pour écarter les gens qui voulaient voir Nancy de trop près.

Le 19 septembre, le cardinal se trouvait à onze lieues au sud de Nancy, dans la petite bourgade de Charmes. Il y reçut une lettre du Roi, tout heureux d'annoncer à son ministre qu'il avait choisi l'endroit le plus convenable pour construire une digue un peu en aval de Nancy et inonder la plaine jusqu'aux murailles de la ville. La vallée de la Meurthe, en cet endroit, se resserrait entre des collines. Afin de mieux faire noyer Nancy, comme dit en son Journal, le chroniqueur Jean Conrart, Louis XIII, résolu à fermer la vallée d'une montagne à l'autre, expliquait à Richelieu que sa digue n'était pas une digue ordinaire : Il y a aussi loin et plus qu'à celle de La Rochelle, écrivait le Roi. Puis, après avoir assuré le cardinal de son amitié et de ses prières, il ajoutait ce post-scriptum : Je me réjouis de quoi M. de Lorraine a été si ponctuel au rendez-vous[3].

Charles IV, en effet, venait ratifier un traité que son frère le cardinal de Lorraine avait signé avec Louis XIII le 6 septembre, et c'est, deus le dessein de conférer avec lui, que Richelieu avait quitté le camp, devant Nancy pour la bourgade de Charmes.

Les négociations avaient commencé alors que Louis XIII s'était mis en campagne, dès la première étape de Château-Thierry. Le duc de Lorraine, quelque temps auparavant, avait envoyé son armée surveiller les Suédois du côté de Saverne, à quatre journées de marche de sa capitale. Aussi M. de Saint-Chamond, qui commandait les troupes françaises cantonnées outre-Rhin, avait-il reçu du Roi l'ordre de les conduire en Lorraine et de se porter à Saint-Nicolas-du-Port, à vingt-deux lieues de Saverne, à trois heures de Nancy. Saint-Chamond n'eut pas la peine de se battre avec les Lorrains. Selon l'expression du cardinal, c'eût été défaire des gens défaits ; taillés en pièces à Pfaffenhofen le 11 août : catastrophe qui donna une si grande épouvante à toute la Lorraine que tout fuyait[4], écrit Richelieu. Le Duc était à Lunéville. Dès la première nouvelle du désastre, il était entré dans la chambre de sa femme en disant : Tout est perdu, sauvez-vous vitement à Nancy. Parti aussitôt avec la duchesse, il y était arrivé à dix heures du soir pour y trouver un gouverneur dont il était fort mécontent, le prince de Salm, et des mutins qui ne cachaient pas qu'ils voudraient être au Roi[5].

Le 18, le cardinal de Lorraine avait vu Louis XIII à Château-Thierry et s'était longuement entretenu avec Richelieu. Cette Éminence de vingt-deux ans, homme calme, ferme et doux, avait entendu, de la bouche du ministre, la longue énumération des contraventions reprochées à son frère. Le Lorrain avait offert diverses réparations. Richelieu les avait jugées insuffisantes : il voulait avoir Nancy, du moins en dépôt.

Vainement Louis XIII avançait toujours. A Saint-Dizier, le 22, le cardinal de Lorraine avait avoué le mariage de la princesse Marguerite avec Gaston. Cardinal laïc, il avait proposé de remettre Nancy entre les mains du Roi, si Richelieu lui accordait la main de Mme de Combalet, et il s'était attiré cette réponse : J'ai toujours eu pour principal but les affaires de mon maître séparées de tous intérêts particuliers. A Pont-à-Mousson, le 23, c'étaient les places de La Mothe, Saverne, Dachstein que le cardinal de Lorraine parlait de confier à Sa Majesté Très Chrétienne et il laissait entendre qu'il pourrait en être de même de la princesse. Richelieu n'avait accepté que la princesse, mais il avait exigé qu'on lui remit Nancy. Lorsque le Lorrain avait déclaré qu'il allait chercher la princesse et dit, en grande confidence, que le Duc lui abandonnerait volontiers ses États à lui cardinal de Lorraine, si le Roi l'avait pour agréable : Rien ne peut assurer le Roi, avait répété Richelieu, que le dépôt de Nancy. Le cardinal de Lorraine déçu avait regagné la capitale de son frère, muni d'un passeport du Roi qui lui permettait d'entrer et de sortir comme bon lui semblait avec son carrosse. Une lettre de Louis XIII l'avait précédé aux avant-postes français. Elle recommandait à M. de Saint-Chamond d'avoir l'œil ouvert chaque fois que la voiture cardinalice sortirait de la capitale lorraine : Je vous fais cette lettre pour vous dire que vous preniez garde aux personnes qui seront dans le dit carrosse et que, si la princesse Marguerite y est, vous l'arrêtiez[6].

Elle y était le dimanche 28 août 1633, vers quatre heures du matin, lorsque le cardinal de Lorraine, qui venait de quitter Nancy, atteignit les lignes françaises, mais les gentilshommes de M. de Saint-Chamond ne reconnurent pas le jeune seigneur, vêtu de noir, assis à côté de Son Éminence, le visage à demi caché par le rideau de la voiture. Cet adolescent n'était autre que la princesse Marguerite, déguisée par les soins de sa sœur, la princesse de Phalsbourg. Les cheveux dissimulés sous une perruque, le teint bistré par un mélange de safran et de poudre à carton, portant haut-de-chausses et pourpoint de drap d'Espagne, épée au côté et plume au chapeau, elle avait l'air d'un cavalier parlait. Après force civilités, on laissa le carrosse continuer sa route. Le prince de l'Église méditait déjà la réponse qu'il ferait aux reproches de Louis XIII et de Richelieu : On ne m'a rien prescrit dans le passeport. Le Roi m'a permis de mener avec moi un certain nombre de personnes. En ai-je jamais pris une de plus ?[7]

Le pesant véhicule lit bientôt halte dans un bois, où attendaient trois gentilshommes avec des chevaux : l'un de ces gentilshommes était un écuyer de Mme de Remiremont, tante de la princesse, l'autre appartenait à la princesse elle-même, le troisième au duc de Lorraine. Marguerite met pied à terre, monté en selle, dit adieu à 'son frère et s'éloigne avec ses trois compagnons[8]. Elle va rejoindre Gaston de France.

Quelques jours de repos à Thionville et la princesse Marguerite, déguisée cette fois en femme de chambre, monte en carrosse avec le comte d'Etude, qui, de passage à Thionville, se rend à Bruxelles. Deux lettres l'y précèdent, l'une qu'elle a écrite à l'Infante pour lui demander asile, l'autre à Puylaurens, le favori de Gaston : Monsieur, je me suis sauvée par la grâce de Dieu[9].

Joie de Marie de Médicis, la plus grande, dit la Reine, que j'aie reçue de ma vie ; joie radieuse de Monsieur, qui publie partout que la princesse Marguerite est sa femme depuis près de deux ans, mais joie vite assombrie, lorsque d'Elbène démontre au léger Gaston qu'il va perdre à jamais les bonnes grâces du Roi et ses droits à la Couronne. Gaston devient songeur, il court demander l'avis du Père Suffren : le Roi le pouvoir de l'exclure du trône, lui, Monsieur, l'héritier présomptif, le frère unique de Sa Majesté ? Le Pape va-t-il l'excommunier, annuler son mariage ?Non, répond le Jésuite. Rassuré, le prince va au-devant de sa femme.

Parti le samedi 3 septembre dans l'après-midi, il arrive vers minuit à Namur, où il apprend, nous explique le chroniqueur belge du Mercure, que la princesse est demeurée au gîte de Marche-en-Famine, de crainte des Français qui courent le pays. A la tête de deux cents chevaux, Monsieur vient la dégager le 4, se met en son carrosse, va passer la nuit avec elle à Namur et, le 5, la devance à Bruxelles. Le 6, à quatre heures du soir, l'Infante vint à une lieue de Bruxelles attendre Marguerite de Lorraine. Elle la fit monter dans son carrosse, entra dans sa capitale au son du canon, au bruit des acclamations et la mena chez Marie de Médicis. La Reine, reçoit sa belle-fille à la porte de son premier salon : Vous voilà, dit-elle, hé ! vous voilà ! Marguerite de Lorraine s'incline jusqu'à la ceinture de sa belle-mère, qui la baise au moment où elle se rehausse. Lourdement la veuve de Henri IV se dirige vers sa chambre. Elle est à la droite de la gouvernante des Pays-Bas, qui tient toujours par la main la princesse. Celle-ci, nous explique le chroniqueur belge, marchoit derrière, mais, à mesure que la Reine et l'Infante s'ouvroient et se séparoient un peu en marchant, elle paraissait au milieu d'elles. On s'assit dans la ruelle du lit. La Reine et l'Infante s'installèrent dans des chaises à bras, la princesse se mit sur un tabouret. Visite assez brève : Marie de Médicis ne tarda pas à appeler Monsieur et le pressa de choisir une dame d'honneur pour Madame. Bientôt l'Infante emmenait la jeune duchesse d'Orléans au Palais, la conduisait au quartier de Monsieur, l'ancien quartier de l'archiduc Albert, et la laissait dans l'appartement qu'elle lui avait fait préparer, une suite de chambres splendides, toutes tapissées de brocart d'or[10].

Cependant Richelieu avait pressé l'investissement de Nancy. Ce même 6 septembre, il conclut avec le cardinal de Lorraine un traité fort avantageux : le Duc, par la bouche de son frère, renonçait à toutes les alliances contraires à celles de la France ; il s'engageait à remettre, dans trois jours, Nancy entre les mains du Roi, qui ferait occuper la ville jusqu'à ce que la bonne conduite de Son Altesse ou la pacification des troubles d'Allemagne rendit cette précaution inutile. La garnison française n'occuperait que la ville neuve ; quand le Duc serait au palais, qui se trouvait dans la ville vieille, elle se contenterait de tenir les deux bastions et la porte qui séparaient les deux villes. Le mariage de Monsieur serait déclaré nul et non avenu ; la princesse Marguerite était confiée au Roi, qui lui permettrait de résider à Nancy. Le duché de Bar demeurerait saisi, tant que le Roi n'aurait pas reçu l'hommage que le Duc lui devait.

Le cardinal de Lorraine avait alors sollicité de Richelieu la permission d'aller à Épinal porter le traité à son frère. Le Roi, ayant appris que le Due songerait à enlever le château de Bayon situé à quatre lieues de son qualifier général, y envoie douze cornettes de cavalerie et trois cents mousquetaires. La bourgade de Charmes, qui est toute proche, leur fait bon accueil. Charles IV se retire à Remiremont et le cardinal rapporte le traité, avec la ratification, assure-t-il. Mais, lorsqu'on lui demande quel jour le Roi pourra entrer dans Nancy, il finit par avouer que son frère lui a donné contre-ordre. Le Duc a voulu seulement gagner du temps, pour que le duc de Féria, qui vient de Milan avec des renforts espagnols, puisse le secourir. Or, Féria ne s'est pas trouvé au rendez-vous. Louis XIII indigné a commandé au maréchal de La Force de marcher avec quinze cents chevaux, six mille hommes de pied et six pièces de canon, sur Épinal, qui ouvre ses portes dès la mise en batterie. Cependant le maréchal se tient prêt à protéger Montbéliard, le comté du duc de Wurtemberg, que le due de Féria a l'ordre de saisir. Charles IV offre alors de venir à Saint-Nicolas-du-Port conférer avec les commissaires qu'il plaira à Sa Majesté députer.

Il comptait, à la faveur de ce voyage, se jeter dans sa capitale, pour s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité. Sans avoir pénétré ce dessein, le Roi craint que le Duc ne profite de la proximité de Nancy pour gagner plus aisément les Pays-Bas d'où, lié aux Espagnols, il pouvait à tout jamais refuser de lui livrer sa capitale. Voilà pourquoi Louis XIII avait indiqué Charmes comme lieu de la conférence. Escorté de huit cents chevaux, accompagné du cardinal de La Valette, du nonce du Pape et d'une foule de seigneurs, Richelieu y était arrivé, le 18 septembre, à sept heures du soir ; le cardinal s'est assis et il a dicté :

M. Lejeune saura, pour dire au Roi, que j'ai pensé qu'il étoit plus à propos de retenir demain M. de Lorraine à coucher au quartier de Sa Majesté que de le laisser aller à Nancy.

De Charmes, en cette journée du 20 septembre 1633, le cardinal adresse la lettre à Bouthillier, et c'est de fort belle humeur qu'il donne au fils de son correspondant le sobriquet de M. Lejeune. On comprend sa joie : Charles IV a tout signé, tout ratifié et Son Éminence va l'emmener au quartier général du Roi. Le cardinal se croit à la veille d'entrer dans Nancy en vainqueur. Souriant à sa fortuite et aux ruses qu'il inédite, il continue de dicter : Pour cet effet, j'estime qu'il faut loger M. de Lorraine au logis de M. le Duc de La Valette. Si Sa Majesté a deux chambres, l'entrée de Nancy mérite bien qu'elle ait agréable de lui donner tut de ses lits et une tapisserie. Si Sa Majesté n'approuve pas cette ouverture vous ferez détendre le lit qui est dans nia chambre et la tapisserie et la ferez tendre au logis de mondit sieur de La Valette pour ledit sieur Duc et ferez commander au sieur de Lannoy (premier maître d'hôtel du Roi) de lui préparer un bon souper. Et, songeant à l'attitude que devra garder Louis XIII, plus importante encore que l'excellence du souper, Richelieu ajoute : Il faudra que Sa Majesté témoigne de son propre mouvement qu'elle lui a fait préparer un logis, comme si je n'en savais rien, afin qu'il ne croie point que ce soit par concert qu'on le veut retenir au quartier du Roi, mais bien par la bonne volonté que Sa Majesté veut témoigner de nouveau telle qu'il a fait par le passé[11]. Le piège sous les fleurs.

Malgré tout, l'accord n'est pas facile. Grands compliments, politesses infinies mais infinies difficultés : M. de Lorraine est tantôt en une humeur, tantôt en l'autre, écrivait, la veille encore, le cardinal au Roi. Je l'ai vu, en six heures d'une conférence non interrompue, en disposition de tout accorder, puis tout à coup il propose une condition qui annule tout[12].

C'est le matin, au moment même où le cardinal prenait congé de lui, que M. de Lorraine mettait sa signature au bas du traité. Le Roi consent à lui rende Nancy dans trois mois, s'il est satisfait, de sa conduite. Et non seulement le Duc accepte qu'on démantèle sa capitale avant de la lui restituer, mais même il s'est laisse persuader d'aller trouver Louis XIII, dont ses respects, — le cardinal l'assure, — lui attireront la bienveillance. On partira demain.

A l'heure dite, Richelieu monte en litière, puis, aux environs de Laneuveville, quartier général du Roi, mil prend son petit carrosse, pour devancer M. de Lorraine, qui le suit dans le grand avec le cardinal de La Valette et le nonce du Pape. Voici Richelieu dans le`cabinet du Roi : il est entouré de M. de Bullion, du marquis de Saint-Chamond, du comte de Brassas et de Bouthillier. Louis XIII, qui a entendu de sa bouche le récit des négociations, est allé dans la chambre voisine recevoir M. de Lorraine et il entre en compagnie du prince. Plus jeune de trois ans que son vainqueur, — il est né en 1604, — M. de Lorraine, avec sa taille de six pieds, son beau visage sarcastique, la vigueur el la souplesse qui se dégagent de toute sa personne, fait impression. A ce capitaine d'une valeur incontestable, à ce don Juan, à qui tout est bon, de l'abbesse à la fille de cuisine, à ce fourbe, dont l'impétuosité déchire inopinément les trames, le froid Louis XIII s'adresse non sans hauteur : Je vous avouerai franchement que j'ai eu un peu de mauvaise opinion de vous et que, voyant que vous n'exécutiez point le traité fait par le cardinal votre frère et que vous aviez ratifié, j'ai dit que vous n'aviez ni foi, ni parole ; mais à présent que je suis assuré de l'exécution de vos promesses, je change de sentiment et je vous témoignerai la volonté que j'ai de vous aimer. — Sire, dit alors Richelieu, je serais volontiers caution de l'affection qu'a M. de Lorraine à votre service et du désir qu'il a de vivre autrement que par le passé. Votre Majesté doit oublier tous les sujets de mécontentement qu'il vous a donnés et croire que sa conduite sera telle à l'avenir que vous en serez satisfait. Il faut même qu'il combatte sous vos enseignes à fa tête de vos troupes[13].

Paroles de complaisance, rien de plus !

A l'heure du souper, Louis XIII fait conduire M. de Lorraine par le premier écuyer au logis du duc de La Valette : maintenant M. de Lorraine ne cache plus ses véritables sentiments ; il a l'imprudence de déclarer à divers gentilshommes qu'il ne veut point dire s'il veut ou ne veut pas exécuter le traité, mais qu'il voudroit bien n'être point venu trouver le Roi, et que s'il étoit sur les montagnes proches Nancy, on ne le tiendroit pas[14].

Le lendemain matin, mardi 22 septembre, Nancy n'avait pas ouvert ses portes et M. de Lorraine était toujours au camp du Roi, dans la chambre, où, suivant le désir du cardinal, Louis XIII avait fait tendre une de ses tapisseries et disposer un de ses lits de voyage. Il se sent comme pris au piège. Ah ! l'insistance du Roi pour le retenir hier soir : Mon Cousin, vous êtes bientôt las de nous voir, il n'est pas tard, il n'y a qu'une petite lieue d'ici à Nancy et il ne vous faut pas une heure pour y aller ! Et la précaution de faire apporter des flambeaux dès quatre heures de l'après-midi, sous prétexte que la salle est obscure qu'il ne peut lire des lettres qu'il vient de recevoir, en réalité pour qu'il ne remarque point le moment où la nuit va tomber. Et lorsque, vers sept heures, le Duc a voulu partir, ce refus de lui donner congé : Mon Cousin, il est trop tard et, la garde étant posée, il faudrait tort troubler. Il vaut mieux que vous couchiez ici et vous partirez demain de grand matin[15].

Mais voici le Père Joseph et Bouthillier. Ils viennent pour régler un point de détail : que Son Altesse veuille bien fixer l'heure où les troupes du Roi pourront entrer dans Nancy. Le Duc ne parait pas du tout résolu à livrer sa capitale. Deux heures durant, il discute avec l'Éminence grise et le secrétaire d'État, puis il demande à parler à Jeannin, secrétaire d'État de Lorraine, qui est à Nancy. Jeannin met trois heures à venir et reste trois nouvelles heures enfermé avec son maître. La journée entière s'est passée et le Duc ne se décide pas. Et cependant il a longuement causé avec le Roi, tandis qu'on allait chercher le secrétaire d'État de Lorraine.

Craignant fort que le Duc ne s'évade, Richelieu prend des précautions. La nuit, M. de Lorraine commande à Lenoncourt, l'un de ses gentilshommes, d'ouvrir la fenêtre ; il se penche pour voir si une évasion est possible, mais des gardes accourent, des voix crient qu'on va tirer si la fenêtre n'est pas fermée aussitôt[16].

Charles IV, vers dix heures du matin, se prête au cérémonial du lever. Dès qu'il est debout, il voit entrer le cardinal. Richelieu lui apprend que son projet d'évasion a couru jusqu'au Roi. C'est une pensée que Son Altesse ne doit point avoir. Sa Majesté n'y a pas cru. Néanmoins elle renforce- la garde, qui est des plus vigilantes et, la nuit, pourrait ne pas reconnaître M. de Lorraine. Le Roi. ne voudrait pas que, par suite de quelque méprise, il arrivât malheur à Son Altesse ; il ne voudrait pas qu'une tentative d'évasion pût donner à penser qu'il maltraite M. de Lorraine, il ne veut pas exciter les risées de toute l'Europe. Le cardinal sort de la chambre et le Duc se rend à la messe[17], puis de guerre lasse, fait porter à son cousin Henri de Lorraine, marquis de Moy, gouverneur de Nancy, l'ordre d'ouvrir les portes de la ville.

On apprend bientôt que le marquis de Moy refuse d'exécuter l'ordre. Un deuxième ordre est envoyé. Nouveau refus. Le cardinal, sans trop d'émotion, fait donner au marquis de Beauvau la permission de sortir de Nancy et de venir auprès de M. de Lorraine éclaircir le mystère.

Beauvau se rendit chez M. de Lorraine avec d'autant plus d'empressement que Moy se demandait si le Duc n'avait pas oublié de tracer dans ses lettres le signe sans lequel aucun ordre n'était valable. Ce signe devait se trouver sur les trois premières lettres du mot Lorraine ; dans le premier ordre, il figurait sur L et dans le deuxième, sur L et sur O. Beauvau entra chez M. de Lorraine de fort bonne heure le 24 septembre, il trouva le prince couché, extraordinairement travaillé d'esprit. Charles IV ne le laisse point parler. Il se lamente sur la perfidie dont on use envers lui. Continent Beauvau a-t-il pu passer à travers tous les corps de garde ? Apprenant que l'on n'observe plus les gardes du camp si soigneusement, parce que la ville est considérée comme rendue et que les troupes du Roi sont sur le bord du fossé, il dit qu'il veut s'échapper, gagner sa capitale, la défendre lui-même et en faire sauter tous les bastions avant de la rendre. Mais il est si malheureux, qu'il n'a pas même un bon cheval auquel il puisse lier sa vie et sa liberté. Beauvau réplique aussitôt qu'il vient d'en amener un que Son Altesse connaît. Mais à peine Charles IV s'est-il résolu à tout hasarde4, à peine a-t-il commencé de s'habiller, qu'un valet de chambre annonce plusieurs des principaux seigneurs de la tout de France[18]. Autant de gardes, songe le Lorrain : tout espoir de fuite s'est évanoui.

25 septembre 1633. Un soleil radieux brille sur Nancy pour l'entrée des triomphateurs. Il y a plus de vingt-quatre heures que, grâce au Sésame, ouvre-toi, enfin tracé de la main de Charles IV, la capitale du Duché est occupée par les troupes de Louis XIII. Tandis que le Duc, au fond d'une maison de la Malgrange, à deux portées de mousquet de Nancy, dévore sa douleur, le cardinal de Lorraine est assis auprès du Roi dans un carrosse doré, bondé de seigneurs fort parés, le cardinal de La Valette, le comte d'Harcourt, le duc de Bellegarde, M. de Brassac et le marquis de La Force. Devant le carrosse, les mousquetaires à cheval, puis la compagnie de chevau-légers de Sa Majesté, puis toute la noblesse, puis sept ou huit chevaliers du Saint-Esprit. Derrière le carrosse, les mousquetaires du Roi, une compagnie de gardes et la compagnie des gens d'armes armés de toutes pièces. Enfin parait le train de Mgr le Cardinal : trente gentilshommes ou domestiques, puis deux écuyers, puis deux des grands chevaux de Son Éminence, que mènent en main des palefreniers à pied, enfin sept chevaux de prix, que mènent en main des palefreniers montés[19]. Richelieu ferme le cortège. On l'aperçoit vêtu de rouge, dans son carrosse, escorté de ses mousquetaires à cheval. Par l'esplanade qui sépare la ville neuve de la ville vieille, il se dirige vers un hôtel récemment bâti en face de l'hôpital Saint-Julien, le logis de M. d'Hédival[20]. C'est là que vont descendre Louis XIII et son ministre. Hier le cardinal-duc regardait les troupes de Lorraine sortir par la porte Saint-Jeu, il admirait l'équipement des hommes et les hommes eux-mêmes fort bien faits et bien montés, capables de donner bien de la peine, s'ils eussent été en plus grand nombre. Aujourd'hui il est encore sous l'impression des puissantes murailles, que la pénurie de défenseurs a rendues inutiles. Le Mercure est le reflet des pensées du cardinal, lorsqu'il constate : Il n'y avoit que deux mille trois cent dix fantassins et deux cent trente chevaux pour la garde d'une si grande place, revêtue de tant de pièces de fortifications et même de dix-sept gros bastions réguliers, pour la défense desquels il eût été besoin de huit mille hommes[21]. C'était du haut de ces superbes remparts que la princesse. de Phalsbourg, sœur alliée de Charles IV[22], avait, quelques semaines plus tôt, fait tirer le canon sur l'armée du Roi. Elle eût voulu se défendre à outrance et périr ensevelie sous leur ruine. Le 26 septembre, son frère l'amena lui-même à Nancy et la présenta au Roi : Louis XIII lui fit l'accueil le plus gracieux, il ne la nommait plus que la guerrière : Voilà, disait-il en la montrant aux seigneurs de la Cour, celle qui se vouloit si bien défendre et tuer tout.

A Paris, les Poètes du cardinal accordaient leurs lyres pour chanter la gloire du Roi et de son ministre, et Cornelius Rothomagensis, Corneille de Rouen, le Grand Corneille, comme émerveillé de voir un seul regard de Louis forcer une place qui aurait pu résister à l'effort de l'univers, écrivait dans la langue d'Ovide :

Arx quoque, totius non impar viribus orbis.

Nanceium, viso vix bene Rege, patet[23].

 

La Reine et Monsieur.

Cependant le Roi et son ministre étaient loin de goûter, comme dit le même Corneille, une parfaite allégresse. Au début d'octobre le Roi était malade à Château-Thierry, le cardinal à Saint-Dizier. L'un se plaignait de ses bouffements de ventre, l'autre d'un abcès aux parties que vous savez. Le chirurgien juif en qui Richelieu n'avait qu'une demi-confiance, traversant Château-Thierry pour aller prodiguer ses soins à Son Éminence, le Roi mandait à Bouthillier : Si j'en eusse été averti, je lui eusse baillé des chevaux qui l'eussent mené plus diligemment que la poste[24]. De son côté, le cardinal pressait le Roi de ne pas demeurer davantage dans une ville dont le séjour ne convenait point à sa santé. Mais Louis XIII entendait ne pas quitter Château-Thierry, tant que Richelieu ne serait pas en état de reprendre la route.

Lorsque enfin les deux convalescents regagnent à petites étapes, l'un Saint-Germain, l'autre Rueil, de brefs billets du Roi viennent prouver au ministre que l'affection de son maître ne cesse de veiller sur lui ; quel tendre intérêt dans ces quelques lignes datées du 26 octobre 1633 : Mon Cousin, ne pouvant être en repos, si je n'ai souvent de vos nouvelles, j'envoie Montorgueil pour m'en apporter ! Je prie le bon Dieu de tout mon cœur qu'elles soient telles que les désire la personne qui vous aime le plus et qui n'aura point de joie qu'il ne vous revoie en parfaite santé[25]. Richelieu, soulagé par un coup de lancette, écrit le 5 novembre : Sire, l'honneur qu'il vous plaît me faire me sert beaucoup plus que tous les médecins du monde. Je pars aujourd'hui pour me mettre en chemin de vous aller trouver. Quand je ne serai plus qu'à une journée de Votre Majesté, il me semble que je serai tout à fait guéri[26]. Et voici un autre billet, dépêché de Versailles, le 28 janvier, où Louis XIII se montre transporté du bonheur d'avoir recouvré son Richelieu : Mon Cousin, comme le Jeune (le fils de Bouthillier) est arrivé, j'allois vous écrire pour vous témoigner encore la joie que je reçus hier en vous voyant et le contentement qui m'en est demeuré, lequel m'a redonné la santé parfaite. Je vous puis assurer que le feu de Versailles est plus enflammé que celui de Rueil et qu'il durera à jamais[27].

Comment, avec une si ardente passion, vivre sans angoisse ? La maladie peut accorder quelque trêve, mais les poignards et les balles des assassins ? Je vous recommande d'avoir toujours soin de votre personne, principalement à Paris[28], supplie le Roi le 23 mars 1634, — à Paris où Son Éminence est plus en danger encore que dans les provinces. Ce qui n'empêche pas qu'un nommé Alfeston, fils du lieutenant criminel de Vitry-le-François, ait projeté de s'installer dans une hôtellerie de Châlons-sur-Marne en face du logis royal et de giboyer à l'Éminence, dès que celle-ci paraîtrait sur le seuil.

Louis XIII estime que c'est le Père de Chanteloube qui est l'instigateur du crime : comment la Reine mère peut-elle le garder dans son entourage ? Lorsque le Conseil se réunit le 18 décembre 1633 pour discuter s'il y a lieu de permettre à la Reine mère de rentrer en France, la conclusion suivante est adoptée : Si la Reine veut témoigner être innocente des attentats qu'on a entrepris depuis peu, en livrant à la justice du Roi ceux qui en ont été les instigateurs, Sa Majesté doit la recevoir eu son Royaume, lui donner la jouissance de son bien et de toutes ses pensions, pour en vivre librement en quelqu'une de ses maisons éloignée de la Cour jusqu'à ce qu'on ait des preuves nettes de sa conduite[29]. Conditions inacceptables, que Richelieu se hôte de rendre plus inacceptables encore : le 25 février 1634, Louis XIII, stylé par son ministre, prie sa mère de lui livrer non seulement le Père de Chanteloube, mais Mathieu de Morgues, le hardi sagittaire de Bruxelles. Richelieu, de son côté, remercie la Reine des lettres fort obligeantes qu'elle vient de lui écrire et il ajoute : Il est impossible qu'il ne reste beaucoup de sujets de méfiance qu'il est besoin de dissiper pour établir par après sur un fondement assuré une liaison à jamais indissoluble entre le Roi et Votre Majesté[30]. Le cardinal ne croyait guère à une pareille liaison, et, dans une lettre ironique, il s'efforçait de désabuser la simplicité du Père Suffren, qui assurait que le cœur de la Reine mère était dans ses paroles et qu'elle n'avait intention que d'obéir au Roi et bien vivre avec lui[31] : Comme je désire ce changement avec une passion indicible, répondait-il an Révérend Père, je vous confesse ingénument que je n'ose me le promettre[32]. Il ne cachait pas qu'il était fâcheusement impressionné par les attentats, — inspirés de Bruxelles, — qui étaient dirigés contre sa personne. Tout récemment un certain René, valet d'Abraham du Pré, sieur des Bernardières, ancien maître des Requêtes, s'était rendu de Bruxelles à Paris et il avait posé à un Père Jacobin cette question étrange : Étant vrai que le précepteur du fils de mon maître a charmé ledit fils, ne puis-je pas tuer ledit précepteur ? Ce que, remarquait Son Éminence, il témoignoit ne demander pas par pure curiosité de savoir la résolution de cette question, en tant qu'il avoit une fort longue carabine au col[33]. Le Jacobin avait détourné d'un tel dessein cet homme scrupuleux et le cardinal ne devinait que trop qui étaient le maître, le fils et le précepteur.

Richelieu ne tenait nullement à voir rentrer Marie de Médicis. Il avait dit au Conseil, le 18 décembre 1633, que la vie des serviteurs du Roi serait en bien plus grands dangers, lorsque les ennemis de Sa Majesté auraient un pied en France ; il avait rappelé quelle mauvaise foi la Reine avait montrée toute sa vie : Étant à Blois elle avoit juré sur les Évangiles qu'elle ne pensoit point à en sortir et, au même temps, elle préparoit son évasion. Et il ne disait pas tout ce qu'il avait, appris par les voies les plus sûres : La Reine ayant mandé en Espagne qu'elle se vouloit accommoder pour deux raisons, l'une pour tâcher de remettre les deux Couronnes bien ensemble, l'autre pour faire restituer la Lorraine à son Duc, le cardinal avait osé dire que de son retour, on ne pouvoit retirer que du mal ; si elle ne revenait pas, le retour de Monsieur serait plus certain, car Puylaurens, qu'elle haïssait et qui redoutait les effets de sa haine, inciterait Monsieur à revenir pour fuir les lieux qu'elle habitait[34].

Ainsi le cardinal voyait sans déplaisir les mécontentements que la Reine avoit de Monsieur se renouveler et augmenter de jour à autre. Le Père de Chanteloube ne manquait jamais d'insinuer à la Reine mère, dont il prétendait être le surintendant, que Monsieur ne se devoit conduire que par ses avis. Puylaurens, de son côté, principal conseiller de Monsieur, disait.et répétait que le Père de Chanteloube étoit un pauvre prêtre à qui les douleurs de la goutte avoient estropié l'esprit aussi bien que le corps[35]. La tête rompue de leurs querelles, le marquis d'Aytona, — gouverneur des Pays-Bas espagnols depuis la mort de l'infante Isabelle, survenue le ter décembre 1633, assurait que les gens de la Reine et de Monsieur lui donnaient plus de peine qu'il n'en avait à gouverner tous les sujets du Roi son maître en Flandre[36]. Le duc pouvait penser que ces querelles se prolongeant lui permettraient de se tirer d'affaire. Marie de Médicis était une charge pour son gendre Philippe IV. Au mois d'octobre 1633, Louis de Mortemart, comte de Maure, lui avait présenté le mémoire des personnes auxquelles la. Reine se croyait obligée de donner chaque mois.

Mme la Duchesse d'Ognano et M. le Duc d'Ognano, son fils

800

florins

Le Père de Chanteloube

800

LC comte de Maure

500

M. Le Sec, secrétaire

500

M. de Biscarras (Jacques de Rotondis, lieutenant du maréchal de Marillac)

300

Le chevalier de La Rochelle

300

M. de Belot

150

M. de Besançon

150

M. de Benardière

150

M. de Brasseuse

150

M. de Hurtaut

150

M. de Jacquinot

150

N. de La Roche

100

M. de Jacquelot

100

M. de Bagneux

100

M. de La Combe

100

4.000

florins

Sans y comprendre le comte de Maure, ce mémoire montait donc à quatre mille florins par mois[37].

Le gendre trouvait qu'il coûtait cher l'asile de la belle-mère. Cependant, écrivant à sa fille la duchesse de Savoie, la Reine affectait le calme d'une âme forte, en butte aux injures du destin : Les nouvelles ne sauroient être meilleures pour ce qui est de ma santé, lui avait-elle mandé le 26 décembre 1633 ; je souffre le reste avec la résolution qui est nécessaire pour une telle rencontre[38].

Le cardinal jugeait le moment propice ; il allait pouvoir brouiller définitivement la Reine et Monsieur, laisser l'une aux Pays-Bas, démarier l'autre et acheter son retour, — ce retour si nécessaire en cas de rupture avec la maison d'Autriche. Il travaillait à ce grand ouvrage et c'est un peu plus tard qu'il lit donner à Puylaurens un conseil des plus sages : La princesse de Phalsbourg est sortie de Nancy, écrivit Bouthillier le 13 mars 1634 à l'abbé d'Elbène, l'un des courtisans de Monsieur : elle se fait croire qu'allant en vos quartiers elle pourra beaucoup avec Chanteloube pour empêcher les bons desseins de Monsieur, employant vers M. de Puylaurens tous ses artifices pour le perdre ou le regagner. C'est à lui de prendre garde[39].

Quelque trois mois plus tard, le 3 mai 1634, Puylaurens montait le grand escalier du palais royal de Bruxelles, en compagnie d'une dizaine de gentilshommes, lorsqu'une arquebusade de vingt-cinq balles fut déchargée à courte distance par un inconnu qui disparut. Atteint d'un projectile à la joue, Puylaurens entendit Monsieur s'écrier : C'est une Chanteloubade, et il ajouta lui-même : J'ai de l'obligation à la princesse de Phalsbourg de ce qu'elle n'a pas voulu me faire saluer d'une balle seule.

Il est probable que le comte duc d'Olivarès n'était pas complètement étranger à cette arquebusade[40]. Le ministre espagnol n'ignorait pas que Monsieur ne cessait de négocier avec le cardinal son retour en France et il avait des raisons de croire que Puylaurens servait d'intermédiaire. Juste en mai 1634, où Gaston était sur le point de resserrer les engagements qui le liaient à Madrid, les négociations entamées avec Richelieu étaient bien avancées. Or, trois mois ne s'étaient pas écoulés depuis que Louis XIII avait tenu un lit de justice où il avait été question de Monsieur. Le 28 janvier au Palais, le Roi s'était assis à l'un des angles de la Chambre dorée, sur le coussin traditionnel : Je viens en mon Parlement, avait-il dit, témoigner par effet mon affection envers mon frère et mon amour envers mon pauvre peuple. Puis le cardinal avait prononcé un panégyrique du Roi, qui était son propre panégyrique, puisque la politique de son maître était la sienne. Otant son bonnet, chaque fois qu'il nommait le Roi, il avait parlé avec dignité, assurance et facilité, une grâce non pareille[41]. Après le discours de Richelieu, le Parlement avait entendu, de la bouche d'un lecteur, la déclaration royale, qui insistait sur la misère où se trouvait le peuple : Nous avons résolu, disait Louis XIII, supprimer dès à présent plusieurs impositions dont il est foulé, le décharger d'un quartier des tailles et lui faciliter le paiement du reste en révoquant les privilèges de très grand nombre de personnes, qui, étant les plus riches des paroisses, sont cause, par les exemptions dont elles jouissent, de la surcharge des plus pauvres[42]. Il entendait faire tenir les grands jours dans les provinces, pour châtier les crimes et rendre les lois redoutables. Il entendait continuer à abolir le luxe qui ruinoit tant de familles et dont le merveilleux excès passoit si avant que les plus riches de sa noblesse et les plus grands de son Royaume en ressentoient l'incommodité. Il introduiroit l'abondance dans ses États par l'établissement d'un grand commerce fortifié d'un puissant nombre de vaisseaux de guerre. Observons que ce programme fut toujours celui du cardinal. Quand une fois la lecture de cc beau programme fut terminée, én entendit l'exposé des conditions offertes à Monsieur. Les voici : jamais le Roi. ne pourrait consentir au prétendu mariage lorrain, qui était contraire aux lois fondamentales de son État, à la dignité de sa Couronne, ayant été contracté sans sa permission. Mais si Monsieur avait recours à sa bonté, s'il le venait trouver ou envoyoit vers luipour se remettre entièrement en son devoir, il le recevrait en sa grâce et le rétablirait en tous ses biens, apanages, gouvernements, pensions et appointements et lui feroit un si favorable traitement qu'il auroit tout sujet de s'en louer. Bien plus, le Roi abolissait le crime de tous ceux qui avaient suivi Monsieur ; il leur rendait leurs biens, à condition qu'ils revinssent avec lui. Toutefois il exceptait de cette grise Le Coigneux, La Vieuville, Montsigot et les ecclésiastiques auxquels les commissaires députés par Notre Saint-Père le Pape faisoient le procès[43].

La décision. de Louis XIII et de Richelieu semblait irrévocable. Dès le 4 janvier, les gens du Roi avaient présenté au Parlement de Paris une requête ; ils demandaient permission d'informer du rapt commis par le duc de Lorraine sur la personne de Monsieur, dont le mariage, d'ailleurs, était clandestin. Rapt d'un fils de France, c'était l'expression même dont usait-Louis XIII en écrivant au Parlement de Paris. Monsieur la jugeait ridicule. Le 30 mars il avait dépêché au Roi M. d'Elbène avec une lettre pleine de dignité, de repentir, mais non de ferme propos, car il conjurait son frère de ne pas faire procéder contre son mariage.

Monsieur objectait que le rapt dont on le plaignait d'avoir été victime était une chose peu vraisemblable en l'âge (trente-deux ans) et la condition où il étoit. Il ajoutait que la justice et la bonté du Roi ne voudroient pas consentir qu'une telle déclaration servit aux siècles à venir d'un témoignage de tant d'autour envers ses sujets et d'indignation envers lui et une princesse qui lui étoit plus chère que sa propre vie et qu'il aimoit par préférence à toutes les choses du monde. Une princesse petite-fille de France — par sa mère Claude de France, fille de Henri II — : Il étoit de la gloire du Roi qu'un sang si illustre ne reçût pas la moindre tache. Cette petite-fille de France n'avait pas même eu la pensée de déplaire à Sa Majesté. Quant à lui, Monsieur, il ne cherchoit pas à pallier sa faute, il en demandait pardon et il n'aurait jamais de désir plus passionné que de s'acquitter envers le Roi du service et de t'obéissance et de la fidélité à quoi l'obligeraient toujours sa naissance et beaucoup plus son inclination[44].

Gaston avait écrit aussi à Richelieu. Il n'oubliait pas les favorables offices que le cardinal lui avait rendus ; il conjuroit Son Éminence de l'assister encore dans cette affaire de son mariage ; il lui seroit reconnaissant tout le reste de ses jours de lui avoir donné le repos de sa conscience et tout le bonheur qu'il pouvoit avoir en la vie. Richelieu avait répondu avec réserve. Il avait d'abord rédigé (le 21 avril) la lettre du Roi, l'avait faite affectueuse, digne et peu compromettante. Le 23 avril, écrivant en son propre nom, le cardinal avait montré une déférence de convention en se maintenant dans de prudentes généralités : il parlait de la tendre affection que le Roi avoit pour Son Altesse ; si le Roi avoit un fils, il lui seroit impossible de l'aimer davantage. En mon particulier, Monseigneur, ajoutait Son Éminence, je vous supplie de croire que je n'estimerai jamais la prospérité. de Sa Majesté complète que lorsque la vôtre y sera conjointe ; ce que je désire avec une passion indicible[45]. Belles protestations sans plus. Monsieur devait bien sentir que l'on était toujours résolu à poursuivre l'annulation de son mariage.

Le prince, s'il persévérait, allait tomber dans une sorte de trahison. Puylaurens songeait, non sans inquiétude, au peu de scrupule des Espagnols en matière d'assassinat et Mme du Fargis lui faisoit appréhender un second arquebusier qui fût plus adroit que le précédent[46]. Cependant, par calcul, il poussait Monsieur vers le piège tendu sous ses pas. Lorsque, le 23 mai, d'Elbène, de retour à Bruxelles, aborde Puylaurens avec un témoignage extraordinaire de joie[47], il trouve un homme qui cherche des difficultés où il n'y en a point[48]. C'est que Gaston vient de signer, le 12, avec le marquis d'Aytona un traité qui doit élue ratifié par le roi d'Espagne le 23 juin. Ne pas s'accommoder avec son frère sans le consentement de l'Espagne, quelque changement qui puisse arriver en France par la ruine du cardinal ; si la guerre éclate entre le Roi catholique et le Roi Très Chrétien, prendre le parti de la très auguste maison d'Autriche ; céder à l'Espagne quelques-unes des villes qu'il aura conquises en France, telles sont les conditions quo Monsieur se voit imposer, et qu'il accepte ; par contre : fournir douze mille hommes, moitié espagnols, moitié français, plus trois mille chevaux, et cela dès le mois de septembre, qui est le moment choisi par l'Espagne pour envahir la France au nord et au midi ; payer soixante-dix mille francs pour la levée des troupes et quarante-cinq mille écus chaque mois pour leur entretien jusqu'à ce qu'elles puissent vivre sur le pays ennemi ; verser mensuellement quinze mille écus pour les dépenses de Monsieur et de Madame, telles sont les conditions qu'accepte Philippe IV. Il ne manque pas de ratifier le traité au jour convenu et de le remettre à un courrier, qui s'embarque à Saint-Sébastien pour Dunkerque (alors possession d'Espagne).

Mais, dans la Manche, un vaisseau hollandais donne la chasse à l'Espagnol, le contraint de se jeter à la côte. Le courrier est arrêté, conduit au sergent-major de Calais. Pressé de questions, il s'embarrasse dans ses réponses... On le fouille. Le traité, un pouvoir permettant au marquis d'Aytona de déclarer la guerre à qui bon lui semblera, sont saisis, expédiés à la Cour : L'original de la ratification d'Espagne, dit le cardinal, est tombé entre les mains de Sa Majesté comme par miracle[49].

Cet événement si grave ne l'était pas moins que celui qui avait eu Lunéville pour théâtre deux mois plus tôt et dont le héros avait été le frère du duc Charles IV.

 

Noces de cardinal.

Le 16 février 163 !, à sept heures du soir, au château de Lunéville, le cardinal de Lorraine était en conversation secrète avec deux prêtres. C'étaient deux théologiens gradués qu'il venait de faire quérir à l'abbaye des chanoines réguliers de Saint-Rémy. Le prince-cardinal expliquait à ses interlocuteurs la nécessité où il se trouvait d'épouser sur-le-champ la princesse Claude de Lorraine : il peut se marier, étant célibataire et laïque ; mais il désire savoir s'il doit attendre la dispense du Pape, la princesse Claude, fille du duc Henri II, étant sa cousine germaine. Les deux chanoines répondent qu'ils -vont retourner à l'abbaye toute proche et revenir avec le fameux ouvrage du théologien Sanchez, Disputationes de sancto matrimonii sacramento.

A cette heure Lunéville est investie : on attend d'une minute à l'autre l'entrée' des troupes du maréchal de La Force, dont le quartier général est à un demi-quart de lieue. C'est même en prévision de cette entrée que le cardinal se montre si pressé de convoler en justes noces. Il craint que les Français ne s'emparent de la princesse Claude, héritière du Duché. Le duc Charles IV vient, en effet, d'abdiquer le 18 janvier et de transmettre la couronne à son frère le cardinal. Mais, comme la loi salique n'a jamais été reconnue en Lorraine, comme Charles IV n'a été duc de Lorraine que par suite de son mariage avec la duchesse Nicole, fille aînée du duc Henri II, le cardinal légitime ses droits par son mariage avec la cadette, héritière de l'aînée. L'idée de se marier lui est, d'ailleurs, venue même avant l'abdication de Charles IV : dès la fin de l'année 1633, il s'est offert à Richelieu pour épouser Mme de Combalet, dont le Barrois eût pu être la dot. Richelieu s'est contenté de dire : Ma nièce vous est fort obligée de l'honneur que vous lui faites. Nous saurons dans un mois si elle veut enfin quitter la fantaisie de se retirer dans un couvent. Dès qu'elle se sera déclarée, vous en aurez la première nouvelle. Laissons cela, s'il vous plaît ; vous savez que, suivant le traité de Charmes, la princesse Marguerite, votre sœur, doit être remise dans trois mois : les voilà expirés, Sa Majesté veut que le mariage soit incessamment déclaré nul. Il faut que Monsieur votre frère et les personnes de votre maison trouvent bon qu'on les cite au Parlement.

Le cardinal de Lorraine s'est récrié, protestant que le duc de Lorraine n'est pas justiciable du Parlement ; le ministre réplique sévèrement : Comme duc de Bar, M. de Lorraine est vassal de Sa Majesté. J'appréhende qu'il ne se fasse une mauvaise affaire, s'il prétend décliner la juridiction des pairs de France.

Un peu plus tard, lorsque le cardinal de Lorraine, devenu le duc François, a notifié à Richelieu son avènement, de quel air le ministre a répondu à M. de Contrisson, qui lui avait apporté la lettre du nouveau souverain ! Duc de Lorraine ! a-t-il dit en regardant le titre inscrit sur le papier : Duc de Lorraine ! Cette qualité se prend pour tromper le Roi ; mais on ne donnera pas dans le panneau... Jusqu'à présent, j'ai fait profession d'être serviteur de M. le Cardinal, mais puisqu'il veut suivre les mauvais exemples de son frère, je serai obligé de me déclarer son ennemi.

Richelieu comptait sans les adresses de ces princes lorrains et sans l'affection passionnée de Nicole pour Claude qu'elle a. le dessein formel de marier au cardinal de Lorraine. Le cardinal a commandé au maréchal de La Force et à M. de Brassac, gouverneur de Nancy, de s'emparer de Lunéville, d'y surprendre le cardinal de Lorraine et ses deux cousines. Quel bonheur que cette mission n'ait été du goût ni du maréchal ni de M. de Brassac ! Leur zèle n'a pas été excessif. Cependant M. Gobelin, qui est intendant de justice de l'armée ennemie, est venu avec un sieur Carnet, le matin même, vendredi 17 février, qui était assigné ; il a signifié que le maréchal désirait entrer dans Lunéville. En vain le cardinal de Lorraine, dit-il, se plaint du procédé : Il n'était point nécessaire d'investir Lunéville ; à la moindre lettre je l'eusse rendue et toutes les places que le Roi désire ; je demande seulement à M. le Maréchal de La Force de donner jusqu'au lendemain[50].

Impossible, l'ordre est précis : c'est pour ce soir.

Le cardinal de Lorraine avait expliqué ses intentions à sa cousine ; elles étaient conformes au désir exprimé par le duc Charles avant son départ, plus conformes encore à celui de la princesse et du cardinal, qui ne se haïssaient point.

Mais voici nos deux casuistes avec la réponse du Disputationes : pas de doute pour la dispense des bans. Le cardinal est évêque de Toul il peut se l'accorder ou donner à quelqu'un le pouvoir de la lui accorder. Pour la dispense in secundo gradu, le Pape se la réserve. Toutefois des évêques l'ont accordée en cas de pressante nécessité. Quelle nécessité plus pressante ? conclut le cardinal de vingt-cinq ans. Il s'accorde sur-le-champ les dispenses, épouse la princesse devant l'un des chanoines et consommerait le mariage la nuit même, si la jeune fille ne se faisait quelque scrupule d'une noce vraiment un peu précipitée. La nouvelle du mariage vole de bouche en bouche. Le maréchal de La Force commande aussitôt que chacun des mariés soit gardé dans son appartement. La princesse alors se sent guérie de son scrupule, elle trompe la surveillance de ses gardiens et rejoint le cardinal de Lorraine.

Celui-ci alla le lendemain au-devant du maréchal, et l'accompagna, tandis qu'il faisait son entrée dans Lunéville. Puis accompagné à son tour (l'espace d'un quart de lieue) par La Force, qui lui donna quelques gardes, il partit pour Saint-Nicolas-du-Port avec sa femme et sa belle-sœur. Il comptait y passer la nuit et gagner Mirecourt. Mais M. de Brassac, averti par Gobelin, parut tout à coup avec une nombreuse escorte et s'empara fort adroitement des princesses. Vingt-quatre heures plus tard, la duchesse Nicole et la duchesse régnante étaient prisonnières au palais ducal de Nancy[51]. Le cardinal de Lorraine se hâta, de les rejoindre ; il ne voulait pas séparer ce que Dieu venait d'unir. Puis il chargea le sieur de Lenoncourt de faire part de son mariage à Richelieu et de lui remettre une lettre signée : François, duc de Lorraine.

La conscience du Roi ne permettait pas à Sa Majesté de supporter que le duc François demeurât davantage avec la princesse Claude sans la dispense du Pape[52]. M. de Brassac avait des ordres formels ; les princesses Claude et Nicole devaient être menées à Paris : Si la princesse Claude est grosse, observait le ministre, il lui faudra trouver une litière, afin qu'elle n'ait pas sujet de dire que l'on n'a pas d'elle le soin qui se doit, étant en cet état[53]. Lorsque le gouverneur de Nancy allégua le manque de dispense, le duc François lui présenta l'original de cette dispense arrivée la veille de Rome. Heureuse circonstance qui venait de lui permettre de se remarier avec la princesse Claude, ce lundi 20 mars, à trois heures, devant le curé de Saint-Evre. Tel un père de comédie, M. de Brassac, fou de rage, en jeta sa perruque par terre[54].

Revenu chez lui, il songeait avec angoisse au moyen d'empêcher la fuite des princesses : comme le dit M. de Carnet, agent du cardinal, elles peuvent sortir déguisées vu la grandeur de la ville, le grand nombre de villageois qui entrent céans à cause du marché[55]. Il y a quelques semaines, la princesse de' Phalsbourg s'est enfuie par la route de Franche-Comté, taudis que M. de Brassac la faisait poursuivre sur la route de Luxembourg. Le pauvre homme ne se sent pas ridicule à demi. Il n'a. pas oublié l'insolent billet qu'il a reçu de la fugitive : Monsieur, si ma santé m'avoit pu permettre d'écrire incontinent mon arrivée à Besançon, je n'aurois pas différé quelques jours d'envoyer vers M. le Cardinal de Richelieu sur le sujet de l'ordre que vous reçûtes du Roi de m'ôter la liberté de sortir de Nancy, et sur ma prompte sortie aussi, qui ne me put permettre de vous dire adieu. Je témoigne quelque ressentiment à M. le Cardinal de Richelieu de ce que le Roi a douté de la parole que je vous donnai, Monsieur, il y a quelque temps, comme je n'irois point à Bruxelles, puisque vous me témoigniez que le Roi ne l'avoit agréable ; et en passant je vous dirai que j'ai à me plaindre de vous, Monsieur, que nonobstant cela, vous ayez fait courre après moi sur le chemin de Flandres. Je vous supplie de croire que, bien que je ne sois qu'une femme, j'ai le cœur et les sentiments du plus généreux homme du monde, et par conséquent que j'aimerois mieux mourir de dix mille morts que de manquer à nia parole. C'est ce que j'ai à vous dire, Monsieur, et à vous assurer que je suis votre très affectionnée à vous rendre service. Henriette de Lorraine[56].

A ce cuisant souvenir, M. de Brassac jurait de ne pas se laisser berner par Claude comme par Henriette. Et dans les dépêches qu'il envoyait au cardinal, il paraissait fort content de lui-même.

Quand on avait franchi la porterie du palais ducal de Nancy, le vestibule voûté, on débouchait dans la vaste cour rectangulaire, en face des élégantes arcades, qui rappelaient celles du château de Blois. Comme à Blois, mais dans un angle de la cour, on trouvait, à droite des arcades, un escalier, vraie dentelle de pierres, qui desservait l'appartement de Leurs Altesses, situé juste au-dessus. C'était le fameux rond, que devait détruire, au XVIIIe siècle, le duc Léopold. Tout en haut, il aboutissait à un galetas. Au bout de ce galetas, un escalier de service, depuis longtemps abandonné, descendait jusqu'à un palier qui n'avait d'autre issue qu'une porte condamnée depuis non moins longtemps. Il y avait, de l'autre côté de cette porte, la chambre du duc et de la duchesse de Lorraine ; mais, dans la chambre, rien ne décelait cette porte, dissimulée par une tapisserie, contre laquelle était placé un coffre.

Le 31 mars 1634, entre neuf et dix heures du soir, deux valets venaient de pousser le coffre et d'écarter la tapisserie : ils ouvrirent la porte, prirent l'escalier dérobé, parvinrent au galetas. Les voilà descendant les marches du rond ; l'un d'eux est un valet véritable, l'autre est un seigneur déguisé, le cardinal de Lorraine, qui a sacrifié sa belle chevelure pour se rendre méconnaissable, c'est le duc François en personne. Commuent la sentinelle qui est au bas de l'escalier les distinguerait-elle ? Il passe tant de valets qui s'en vont à cette heure tardive ! Le soldat se fie à la vigilance du poste qui garde l'entrée des appartements de Leurs Altesses. D'ailleurs M. de Beauvau (un cousin du marquis) ne couche-t-il pas en travers de leur porte ? A la porte qui donne sur la rue, on n'est pas plus méfiant qu'à la porte qui donne sur la cour : le Duc franchit le vestibule voûté ; il est libre et s'éloigne avec son compagnon.

Environ à la même heure et par la même voie, la princesse Claude, en costume de page, un flambeau à la main, précédait M. de Beaulieu, gentilhomme qui lui était dévoué corps et âme. Le page, plus mort que vif, le gentilhomme feignant d'être en colère contre le page, jurant qu'il lui apprendrait, à grand renfort de coups de pied, la manière de tenir un flambeau, ils passèrent devant les gardes de la porterie, sans éveiller aucun soupçon, et disparurent au bout de quelques minutes dans un logis situé au coin de la rue Saint-Michel et de la rue Saint-Eure. C'était la maison connue aujourd'hui sous le nom de maison des Sirènes[57]. Elle appartenait alors à M. de Bornet, gentilhomme du duc François. La princesse y retrouva son époux. Le jour à peine levé, ils repartent, ils ont hâte de sortir de Nancy, occupée tout entière par les troupes du Roi, la ville vieille comme la ville neuve en dépit du traité de Charmes. Ce  portefaix et cette femme en haillons, courbée sous une hotte de fumier, qui avancent péniblement au milieu de la foule et se dirigent vers la porte de la Craffe, ce sont le duc et la duchesse de Lorraine. Le Duc et la Duchesse, songe une paysanne, qui le dit à un soldat, qui le redit à son officier, qui n'en croit pas un mot. Le couple a franchi la porte de la. Crane ; à quelque distance, il aperçoit le carrosse à six chevaux préparé par M. de Beaulieu. Les jeunes mariés se redressent, jettent leur hotte, s'embrassent et s'élancent dans la voiture, qui démarre aussitôt.

Ce n'est que vers midi. — leur lever avait lieu à onze heures, — que M. de Brassac, averti du silence extraordinaire qui régnait dans leurs appartements, vint lui-même se rendre compte : le lit était vide[58].

A deux ou trois jours de là Bouthillier montrait à Richelieu la lettre de M. d'Arpajon, le gentilhomme qui devait conduire les princesses à Paris : M. le Cardinal de Lorraine et la princesse Claude, disait la lettre, sont allés d'une telle vitesse jusqu'à Mirecourt, que quelle diligence que fît Orderon, que M. de Brassac envoya soudain après les poursuivre, ils ont gardé l'avance de trois heures qu'ils avoient[59]. Tandis que le Roi et le cardinal apprenaient cette évasion, qui étoit, disaient-ils, un pur malheur et non un manque de soin, M. de Brassac lisait une lettre que Richelieu lui avait fait écrire par Chavigny, le 2 avril, alors qu'il n'en était pas encore informé : Le Roi pense, expliquait Chavigny, qu'on pourroit trouver étrange qu'on séparât le cardinal de Lorraine de sa femme ; il finit les laisser à Nancy encore quelque temps, pour laisser amortir tut peu cette fameuse passion qu'ils ont l'un pour l'autre. Vous continuerez toujours à garder la princesse, pour qu'elle ne s'échappe pas[60]. Les amoureux avaient atteint, le 1er avril au soir, les environs de Vesoul. Ils étaient descendus chez M. de Montrichier, au château de Menoux, à vingt-trois lieues de Nancy. Bien qu'en territoire espagnol, ils ne se sentaient pas hors de tout danger. Ils s'apprêtaient, lorsque la princesse Claude serait remise des fatigues de cette randonnée, à gagner Florence, Où les attendait leur tante Christine de Lorraine, grande-duchesse de Toscane[61].

Il ne restait plus dans le duché de Lorraine que la duchesse Nicole. M. d'Arpajon la conduisit à Paris avec quatre cents chevaux. Reçue, au bout du pare du Bois de Vincennes, par le comte d'Alais, qui la salua au nom du Roi, elle fut installée, rue Pavée, au coin de la rue du Roi-de-Sicile, à l'hôtel de Lorraine, que le Roi avait fait meubler pour elle : La duchesse d'Elbeuf, sa cousine, la prit par la main, raconte le Mercure, et entrèrent toutes deux en la ruelle de son lit. Son Altesse avoit le visage fort triste et ses habits encore plus, car ils n'étoient que de laine.

Le 7 mai, à Fontainebleau, elle fut reçue par le Roi et la Reine, qui étaient allés l'attendre à une lieue du château. Après les compliments de part et d'autre et l'eau bénite de cour, on vit passer, dans le carrosse de la Reine, le Roi et la Duchesse à une portière, Anne d'Autriche au-devant avec Mlle de Rohan, les duchesses de Rohan et de Chaulnes à l'autre portière et, au derrière, Mmes de Sénecé et de La Flotte, cahotées ensemble à travers la forêt. Étrange carrossée réunissant le conquérant et la dépossédée, que la courtoisie et l'étiquette contraignaient de se faire bon visage. Le Mercure ne signale pas la présence de Richelieu. Le cardinal se soignait alors au château de Fleury et, comme il le disait, le meilleur maître du monde, l'avait dispensé du voyage de Fontainebleau[62], — un voyage de trois lieues. Son Éminence était, avec raison, fort inquiète d'elle-même : Il n'y a plus moyen de celer, mandait-elle à Bouthillier, que je suis en grande appréhension d'un nouveau mal comme les passés. Je me fis saigner hier (18 mai) abondamment, ce qui n'empêche pas que je n'aie du feu aux parties que vous savez : ou c'est un fou d'hémorroïdes internes que l'on ne voit pas, ou c'est un nouveau commencement de ce que je crains. Un des plus grands déplaisirs que j'aie est de ne pouvoir être auprès du Roi, comme je le désirerois, et pour le servir et pour ma consolation. Ce que je vous disois hier étant très vrai, n'en trouvant point d'égale à celle qui me vient de toutes les considérations qui le touchent. L'appréhension que j'ai de ne pouvoir gagner Paris qu'en brancard, si mon mal s'augmente, fait que j'estime jeu forcé de partir aujourd'hui. Cependant, je ne le ferai pas que je n'aie la permission du Roi, que j'attends par ce porteur. Mon dessein est de gagner Paris pour être proche de toute assistance, si j'en ai besoin. Je vous prie de montrer cette lettre au Roi, par laquelle je le conjure de ne se point mettre en peine, vu que ce ne peut être rien de périlleux et que peut-être même ce ne sera que les hémorroïdes internes qui me causent ce feu. Mon plus grand déplaisir est de n'être pas auprès de Sa Majesté[63].

Au milieu de si mortels déplaisirs, le cardinal ne savait pas qu'un succès de la plus haute importance allait récompenser en Lorraine les efforts de l'armée du Roi, et selon son expression favorite, lui rendre la vie.

 

Le siège de La Mothe.

La Mothe l'imprenable couronnait une montagne de quinze cents pieds d'altitude entre Bourbonne et Domrémy, ii soixante-cinq pieds au-dessus de l'étroite vallée du Monzon ; la forteresse, campée sur son roc, semblait défier les assauts du Roi[64]. De la porte de Nancy au nord à la porte de France au midi, une centaine de maisons se serraient le long des ruelles. Le château du gouverneur se dressait, flanqué de ses quatre tours féodales. Vigie puissante et haute, il explorait le pays, de Contrexéville à Langres, surveillait au loin trente-quatre villages disséminés dans les plaines, sur les collines, jusqu'à l'extrême horizon. Les ducs de Lorraine avaient mis soixante ans à le bâtir. En ces premiers mois de l'année 16341, les pentes de la montagne s'étaient hérissées de barrières, de talus, de palissades, de demi-lunes ; des redoutes étaient sorties de terre. Des contrescarpes maçonnées se dressaient sur les fossés qui se creusaient au pied des murailles énormes, rehaussées, de distance en distance, des guérites de pierres, des tourelles et des tours : la courtine avait. soixante pieds de hauteur ; elle reliait huit bastions formidables. La ville était close. Quatre cents hommes y tenaient garnison : une centaine de soldats, quelques gentilshommes, venus s'enfermer dans ses murs pour la défendre, des miliciens, des bourgeois. Tous ces braves, dans la main d'Antoine de Choiseul, marquis d'Iche, gouverneur de la ville, tous d'une volonté inébranlable : A l'égard de la France, a dit l'un d'entre eux, M. de Riocour, nos cœurs participoient de la dureté de nos rochers[65]. Le duc François, il est vrai, avait envoyé, le 5 mars, trois semaines avant son évasion, le billet suivant à M. d'Iche : Le Roi m'ayant fait demander ma ville de La Mothe, je vous ai envoyé le sieur de Villars, un exempt de mes gardes, pour vous faire commandement de ma part de vous disposer d'en sortir au premier ordre que je vous enverrai[66]. Cet ordre n'était jamais venu ; pas davantage le billet suivant qui fut intercepté par les coureurs français et déchiffré par le secrétaire de M. de Brassac : Quelque ordre que l'on vous fasse voir de la part de Son Altesse, n'y ayez aucun égard[67]. La Lorraine ne voulait rien entendre. Il s'ensuivit ce qui devait s'ensuivre.

Le 9 mars, les habitants avaient constaté que leur ville était investie par les troupes du Roi. Des flammes s'élevaient des villages voisins, les bourgs pleins de provisions où ils espéraient se ravitailler flambaient. La place n'est qu'investie, car le maréchal de La Force estime qu'enclavée dans un pays qui est en l'obéissance du Roi on l'aura toujours avec le temps[68]. Il vaque même à d'autres affaires et s'en est, allé assiéger Bitche, assise sur une haute montagne qui est en précipice de tous côtés, une couronne de rochers tout à l'entour[69]. Il prend, le 18 mai, la montagne et la ville ; sur l'ordre du Roi, il revient attaquer La Mothe.

Devant La Mothe, il a rassemblé vingt mille hommes et quatre mille chevaux. De Metz, de Verdun, de Châlons, de Chaumont, de Langres, de Paris, de Lyon, de Roanne lui arrivent, beaucoup trop lentement à son gré, des canons et, des munitions. La tranchée s'ouvre, cheminant vers la place. Alors commence le lent travail de taupe qui, sous les remparts, poussera des galeries, afin de déraciner la muraille et la tour. Les assiégés contre-attaquent. Ceux de dedans, qui étoient fort bien munis, a raconté le maréchal de La Force, n'épargnoient guère les canonnades et les coups de mousquet ; ils en tuoient toujours quelques-uns, comme il est impossible que cela n'arrive en ce métier.

Une gravure d'Abraham Bosse nous montre le maréchal en armure et à cheval, sur une hauteur, en face de La Mothe. Il porte la fraise et le grand chapeau noir à larges bords, paraissant encore jeune, malgré ses soixante-seize ans. Il a dit lui-même, dans ses Mémoires, qu'il avait auprès de lui devant la ville trois de ses enfants ayant charge (les marquis de La Force, de Tonneins et de Castelmoron) et deux de ses petits-enfants des marquis de Boisse et de Cugnac, fils de son puîné le marquis de Castelnau, sans omettre que Mme la Maréchale de La Force, qui etoit à Metz, l'avoit suivi en l'armée, ensemble la marquise de la Force et la femme de son petit-fils de Boisse, qui n'y furent pas inutiles, car elles prenoient un grand soin des blessés et visitoient souvent les hôpitaux pour les faire tenir en bon état. Malgré les difficultés du siège qu'il a entrepris, son visage énergique, plein de bonté et de finesse, parait fort satisfait : Voilà songe-t-il, trois mines que l'on entreprend de pousser fort avant dans la ville ; les faire passer au-dessous des fossés et au-dessous même des bastions[70]. De longues aiguilles de fer s'enfoncent dans le rocher. Les assiégeants bourrent de poudre les trous qu'ils ont creusés, mettent le feu à la poudre. Les assiégés, percevant ces explosions souterraines,  croient avoir entendu le canon du duc Charles de Lorraine, qui vient pour débloquer la place.

En fait de canons, il n'y a autour de La Mothe que ceux de l'armée du Roi, trente et une pièces tirant six cents coups par jour, démolissant les parapets, les terrasses, faisant trembler les bastions sur leurs bases que sape le mineur, emportant, le 21 juin, le gouverneur M. d'Iche sur le pont de bois qui monte du retranchement à la courtine. Maintenant que les Français ont établi une ligne de circonvallation à cinq cents pas de la ville, les mortiers, arme nouvelle qui avait déjà terrifié les habitants de Bitche, jettent par delà les remparts, sur les toits des maisons, qu'ils crèvent, leurs bombes de deux ou trois cents livres, remplies de poudre et de goudron. Riocour a noté le bruit sourd avec lequel les bombes s'échappaient des mortiers, le bourdonnement qui les accompagnoit, tandis qu'elles se guindoient assez lentement dans le ciel, leur tournoiement en l'air et les bluettes de feu qui sortoient de la mèche fixée à leur lumière, puis le fracas de leur chute précipitée, la fuite éperdue, souvent inutile, des bourgeois épouvantés[71].

Le duc Charles de Lorraine écrivait aux assiégés dans une lettre que saisit le maréchal de la Force : Je pars aujourd'hui pour aller à Constance commander une armée que j'amènerai à votre secours. Cependant je vous prie de conserver la gloire que vous avez acquise et de m'aimer toujours[72]. Comment le duc Charles eût-il perdu toute espérance de conserver La Mothe, quand les princes allemands assemblés à Francfort refusaient d'admettre le cheminement rapide et sûr de l'armée assiégeante ? Cette place est ici en si grande estime, mandait Feuquières à La Force le 3 juillet, que, quand je leur dis qu'en sept jours vous avez été jusqu'à la contrescarpe et que vous travaillez déjà à la percer, ils ont de la peine à le croire. Pour moi, Monseigneur, j'avoue que, la connaissant comme je fais, j'ai peine à le croire moi-même, et encore plus à douter que vous y soyez fourni de toutes les choses nécessaires pour la presser selon votre désir[73]. Le maréchal avait mandé lui-même à Richelieu le 24 juin : Leur contrescarpe est si droite et si sablonneuse, que nos mineurs se trouvent bien empêchés au travail qu'il leur faut faire[74].

Par malheur les batteries consommaient tant de munitions, qu'elles 'risquaient d'en manquer : Je n'en ai pu tirer de Nancy, avouait le maréchal, sur les difficultés que M. le Comte de Brassac a représentées, comme j'ai écrit ci-devant ; pour Verdun, j'avois demandé seulement mille boulets à M. du Fossé. Il m'a mandé qu'il n'en pouvoit fournir que sept cents. Par ma dernière dépêche, je donne avis de ce que j'ai envoyé chercher à Chalons et Verdun. Cela sera un peu long. Nous avons trois de nos canons éventés, qui est un grand déplaisir, et un autre où il se trouve un boulot enfoncé dedans par force, sans poudre[75].

Cependant, le 15 juillet, La Force pouvait écrire au cardinal : Me donnerai cette liberté de dire que je voudrois m'eut coûté bon et que Votre Éminence pût être portée ici pour huit jours, pour voir possible un aussi beau siège et d'aussi belles attaques qu'il s'en soit vu il y a longtemps, et m'assure que Sa Majesté y m'endroit bien du plaisir[76].

Le 2 août, Richelieu, certain du succès et tout bouillant d'impatience, griffonnait fébrilement ce billet : Monsieur, vous me donnez la vie, quand vous vous résolvez de pousser vertement l'attaque du bastion, qui prendra la citadelle assurément ; je vous supplie d'y faire l'impossible, car de là dépend le tout, et avançant ce travail extraordinairement, je ne suis pas sans espérance que nous puissions avoir la place dans votre semaine au plus tard ; je vous assure que j'en voudrois avoir donné beaucoup et pour l'amour de vous et du service du Roi. Je vous envoie trois cents outils et m'en vais à La Péjousse ; M. le Marquis de La Force aura soin, s'il vous plait, de la garde que la cavalerie doit faire au camp, car M. d'Auriac vient à La Péjousse avec moi. Je vous prie que je sache ce soir le travail que vous pensez faire cette nuit et quand vous serez attaché au bastion, car cela me console[77].

A l'heure où le cardinal signait cette lettre si passionnée, La Mothe était prise depuis cinq jours. Le marquis de La Force avait fait sauter un bastion dès le 25 juillet ; le marquis de Tonneins, son frère, s'était logé sur la brèche, avec ses hommes ; le 26, la ville capitulait, et, dès le 28, le nouveau gouverneur, M. de Germainvilliers, les capitaines, officiers et soldats qui s'étaient si vaillamment défendus en sortaient vies et bagues sauves, tambours battants, mèches allumées, enseignes déployées. Le 9 août, La Force reçut les félicitations du cardinal : Monsieur, il m'est impossible de vous représenter le contentement que le Roi a reçu de la prise de La Mothe ; il est d'autant plus grand que cette place n'est pas, comme vous pouvez juger, de petite considération entre ses mains, ni peu utile au bien et avantage de ses affaires, et que Sa Majesté avoit besoin, pour faire réussir une entreprise pareille à celle-là d'une prudence et d'une conduite comme la vôtre. Elle vous témoigne si particulièrement, par la lettre qu'elle vous écrit sur ce sujet, le gré qu'elle vous en sait et la satisfaction qu'elle a du soin et de la diligence que vous y avez apportés, qu'il seroit inutile d'y ajouter aucune chose ; aussi ne prends-je la plume à cette fin, mais bien pour vous faire connaître en mon particulier, ainsi que je fais par ces lignes, la joie que je ressens de cet heureux succès et de la gloire que vous avez acquise en cette occasion[78].

Le cardinal se trouvait alors à l'abbaye de Royaumont, près de Chantilly. Tout, en Lorraine, était en l'obéissance de Sa Majesté, hormis La Mothe, Bitche et Wildenstein : La Mothe auprès de Langres, Bitche avancée vers Strasbourg, Wildenstein sur les frontières de la haute Alsace, — les deux premières estimées peu prenables[79]. Le maréchal de La Force les avait prises cependant les 18 mai et 26 juillet et le 5 août, il s'emparait de la troisième. A présent le Roi est maître absolu de cette Lorraine que Henri IV rêvait de réunir au Royaume par le mariage de ses deux fils avec la duchesse Nicole et la princesse Claude. Que Louis XIII garde le Duché ou que, plus tard, il le rende, il a les mains libres pour intervenir en Allemagne. Il n'a plus à craindre la trahison d'un duc de Lorraine, et de Bar, si inféodé à l'Empire, qu'un poète allemand, au bas d'un portrait, le cite en exemple aux princes de l'Empire :

Heureux si notre Reich compte plus d'un duc Charles,

Dont le glaive en faveur de nos libertés parle

Si, chez d'autres héros, la valeur a fleuri,

Que les yeux de ce Duc nous font paraitre ici.

Justement,  le maréchal de La Force avait reçu des avis certains de la marche de don Fernand, cardinal-infant, frère du roi d'Espagne. Don Fernand avait été choisi par Philippe IV pour remplacer l'infante Isabelle, sa tante, au gouvernement des Pays-Bas ; il venait de la Valteline et du Tyrol avec une armée de quinze mille hommes et prétendait, en passant, débloquer La Mothe. Cette espérance est déçue.

Il n'en faut pas avoir l'œil moins ouvert sur les affaires d'Allemagne. Tout eu écrivant à La Force de mettre son armée dans les places de Lorraine pour la rafraichir, Richelieu lui recommande d'être toujours à même de la rassembler en cas d'alerte. Elle n'est pas au repos depuis dix jours, qu'il ordonne au maréchal de l'avancer à deux ou trois petites journées du Rhin au lieu qu'il jugera le plus commode pour la faire subsister, entre Brisach et Coblentz. La Force devra s'approcher de l'une ou de l'autre ville selon les avis qui lui viendront de la route que prendra l'armée du cardinal-infant, dont il aura soin d'être bien informé et mandera souvent des nouvelles[80]. La manœuvre peut parer à tout événement : elle est pour donner chaleur aux alliés et jalousie aux Impériaux .

Vers le même temps, les armées des Suédois et des princes protestants d'Allemagne, celles du comte de Horn, maréchal de Suède ; celle du duc Bernard de Saxe-Weimar se réunissent pour attaquer les Impériaux, qui assiègent la ville de Nordlingen (en Bavière). Ils se croient sûrs de la victoire. Mais, dans ses retranchements, l'armée impériale est forte de cinquante mille hommes ; le cardinal-infant est venu la grossir de sa redoutable infanterie d'Espagne et le duc Charles de Lorraine lui apporter l'appui des troupes de la Ligue catholique, dont le duc de Ravière, son beau-frère, lui a confié le commandement. Le 5 septembre, le duc de Weimar, après un premier combat heureux, décide le comte de Horn à livrer bataille[81].

Le 8 septembre 1634, Monsieur faisait une promenade dans le vaste estuaire de l'Escaut. La ville d'Anvers a mis une galère à sa disposition et, tout en goûtant le plaisir de la navigation, il joue aux cartes avec ses gentilshommes. A Bruxelles, il a dit au marquis d'Aytona qu'il s'en alloit donner ordre à son armement... ; mais, bien qu'il ait dépêché M. du Coudray-Montpensier à l'Empereur, il se moque en lui-même des projets de la maison d'Autriche. Une barque vient d'accoster : un messager en descend, s'approche de Monsieur. Le prince écoute, ses cartes à la main... De quel geste irrité, il jette tout à coup dans le fleuve et les cartes et l'argent, qu'il a devant lui ! Il a appris que les Suédois et les princes protestants d'Allemagne avaient été taillés en pièces à Nordlingen, le 6 septembre. La galère à présent se dirige sur le port. A Anvers, les détails qui affluent n'apaisent pas Gaston : huit mille protestants laissés pour morts, quatre mille prisonniers, le comte de Horn tombé aux mains du vainqueur, trois cents étendards enlevés par les Impériaux. Il en sera de même, le 4 mai 1792, alors que le frère de Louis XVI écrira de Coblentz : Quand j'ai vu dans la relation : Les Français ont été battus, je n'ai pu me défendre d'un petit mouvement de tristesse. En 1634, Monsieur, frère de Louis XIII, ne peut supporter de voir la France atteinte par l'humiliation de ses alliés. Il revient à Bruxelles ; il reçoit sans plaisir les drapeaux que le baron de Clinchamp lui offre de la part de son beau-frère le duc Charles de Lorraine, qui s'est couvert de gloire à la bataille de Nordlingen ; il ne cache sa peine ni à Marie de Médicis, ni au Père Suffren : inutile de lever pour lui des soldats, il ne tirera pas un coup de pistolet contre la France. Paroles généreuses, mais imprudentes, que la Florentine ne tarde pas à rapporter et qui le privent des vingt mille écus convenus au traité du 12 mai[82]. Su Alteza quiere scapar, aurait dit au comte de Salazar le marquis d'Aytona. Oui, Son Altesse peut s'enfuir : le marquis ne croit : guère à cette fuite, mais le cardinal. la considère comme prochaine et il a ses raisons pour cela.

 

Monsieur vient à résipiscence.

Si au mois de février 1634, Monsieur avait eu soin de faire confirmer par l'archevêque de Malines son union avec la princesse Marguerite de Lorraine, Richelieu n'était pas demeuré inactif. Le Parlement avait décrété de prise de corps dom Albin Thellier, le religieux qui avait béni le mariage à Nancy ; il avait assigné pour être ouïe la princesse Marguerite, il avait ajourné personnellement le duc Charles de Lorraine, l'ex-cardinal son frère et la princesse de Phalsbourg : paroles de neige et pistolets de paille, puisque les personnages qu'il visait se trouvaient hors de ses atteintes. Ce qui était plus sérieux, c'était l'arrêt que le Parlement venait de rendre le 5 septembre. Gaston avait pu lire quelques jours plus Mil, aux Pays-Bas, que le prétendu mariage de Monsieur le duc d'Orléans, fils de France et frère unique du Roi, avec la princesse Marguerite de Lorraine n'était pas valablement contracté et que tous les biens féodaux qui appartenoient à Charles, Nicolas-François et Henriette de Lorraine, tenus de la couronne de France médiatement ou immédiatement, étoient déclarés retournés, réunis et incorporés à icelle et tous et un chacun leurs autres biens étant en France, tant meubles qu'immeubles, acquis et confisqués au Roi[83].

Loin de s'indigner comme la Reine mère, comme Madame, comme la princesse de Phalsbourg, comme le duc d'Elbeuf, comme le prince Thomas de Savoie, Monsieur refusait de signer la protestation que lui tendaient tous ces princes. Il rentroit en soi-même et reconnaissoit la faute, qu'il faisoit de se tenir éloigné de.s bonnes grâces du Roi qui valaient mieux que les promesses illusoires des Espagnols. Quant à Puylaurens, il était déjà las peut-être de Mlle de Chimay[84], sa nouvelle maîtresse ; plus las encore des reproches de l'ancienne, Mme de Phalsbourg. Celle-ci ne lui pardonnait point d'avoir quitté la marque de chevalerie qu'elle lui avait remise naguère à Nancy, un nœud bleu, traversé par le milieu d'une petite épée, avec cette inscription : Fidélité au bleu mourant[85]. L'infidèle commençait à regarder du côté de la France. Ne voyant rien de prêt du côté d'Espagne, sinon le péril de sa vie, à laquelle ils avoient déjà attenté, il cessoit de s'opposer aux bons mouvements de Monsieur[86].

Richelieu, qui faisoit dépense en espions, n'ignorait pas cet état d'esprit du prince et du confident. Le 12 mars 1634, Bouthillier avait écrit à l'abbé d'Elbène : Ce que j'ai à vous dire maintenant est que l'on juge à propos que, pour la dernière fois, vous sachiez au vrai les intentions certaines de Monsieur et de M. de Puylaurens sur les points suivants : c'est à savoir si Monsieur veut se tenir au dessein de rompre toutes les intelligences avec les étrangers et avec qui que ce soit, au préjudice du service du Roi ; s'il veut, pour son mariage, se remettre au jugement de ceux que le Pape nommera, qui seront gens de bien. Il est à propos pareillement que Monsieur amène la princesse Marguerite, à laquelle le Roi donnera toute sûreté et bon traitement[87]. Vers le milieu de septembre, l'abbé d'Elbène se présenta devant le Roi. Sachant que Puylaurens ne désespérait pas d'obtenir de Sa Majesté toutes choses déraisonnables, — qu'il était cependant raisonnable de lui accorder, tant était nécessaire au bien du Royaume le retour de Monsieur, — le cardinal dit à d'Elbène que Puylaurens pourrait être fait duc et pair. Ce discours, transmis à Bruxelles, ne déplut pas à Puylaurens ; mais rien ne pouvait le tirer de la crainte où il était que le cardinal ne mit le nouveau duc à la Bastille. Il lui fallait une assurance contre les rancunes du ministre tout-puissant. Richelieu offrit la main de Mlle de Pontchâteau, sa cousine. Puylaurens alors n'hésita plus et, le 1er octobre, à Écouen, Louis XIII signait deux traités. Par le premier de ces traités, le Roi et Monsieur promettoient de se rendre sans délai, pour la validité ou nullité du mariage, au jugement qui interviendroit en la manière que les autres sujets du Roi avoient accoutumé d'être jugés en tels cas, selon les lois du Royaume. En cas que le mariage vint à être dissous, comme Monsieur promettoit de ne se remarier qu'avec le consentement de Sa Majesté et à personne qui lui fia agréable, Sa Majesté promettoit aussi à Monsieur de ne le contraindre à se remarier contre sa volonté. Autre promesse non moins importante : Monsieur se conduiroit en vrai frère et bon sujet, sans avoir, par lui ou par les siens, aucune intelligence qui pût déplaire à Sa Majesté, soit au dehors, soit au dedans du Royaume. La générosité du Roi s'efforçait de compenser les sacrifices que faisait Monsieur. Sa Majesté remettoit à Monsieur toutes les fautes qu'il avoit commises depuis qu'il étoit sorti du Royaume dès la première fois jusques à maintenant, lui accordoit abolition générale pour tous ceux qui l'avoient suivi et servi depuis sa première sortie, de quelque condition et qualité qu'ils fussent ; elle ferait expédier et délivrer à Monsieur cette abolition en bonne et due forme, huit jours après qu'il seroit entré en France. Ceux qui étoient en Flandres reviendroient dans le Royaume trois semaines après que Monsieur y seroit entré, et les autres qui étoient en pays plus éloignés, six semaines après, tous pour vivre comme bons sujets devoient faire.

La petite cour de Monsieur pouvait se rassurer, excepté toutefois La Vieuville, Le Coigneux, Monsigot et les évêques qui avoient été jugés ou à qui on faisoit présentement le procès, lesquels Sa Majesté ne vouloit être compris dans l'abolition ci-dessus mentionnée, non plus que Vieuxpont.

Rétabli en tous ses biens, pensions et apanages pour en jouir du premier jour de cette année 1634, Monsieur recevait quatre cent mille livres pour acquitter ses dettes tant à Bruxelles qu'ailleurs, et cent mille écus, quinze jours après, pour se remettre en équipage. Le gouvernement d'Auvergne lui était donné au lieu de celui d'Orléans et Blaisois ; quelques autres avantages relatifs à ses compagnies de gendarmes s'ajoutaient à tout cela. Quinze jours lui étaient accordés pour accepter le traité, trois semaines pour rentrer en France, afin que, si Monsieur ne rentroit pas dans ledit temps, ainsi que, de sa part, on le faisoit espérer au Roi, Sa Majesté pût pourvoir à la sûreté de ses affaires et de son État, comme elle s'y trouvoit obligée[88].

Par le second traité, Puylaurens s'engageait à ne plus entretenir aucune intelligence avec les cours étrangères. Vivant en bon et fidèle sujet, il n'aurait connaissance d'aucune intrigue contraire au bien de l'État sans avertir le Roi aussitôt. Huit jours après le retour de Monsieur, il serait créé duc et pair et marié à Mlle de Pontchâteau, la cadette. Il ne manquerait pas d'obtenir avant deux mois que Monsieur consentît à la dissolution de son mariage[89]. Tout en comblant de grâces le favori de Monsieur, Son Éminence était toujours prête à ouvrir l'abîme sous ses pas, s'il ne se conduisait ainsi que tout bon et fidèle sujet doit faire[90].

Le groupe de seigneurs à cheval que l'on apercevait à quinze lieues de Bruxelles le dimanche 2 octobre 1634, sur les cinq heures du soir, et qui se hâtait vers La Capelle, la forteresse française postée tout au bord du Royaume, paraissait harassé de fatigue. Par Nivelles, Bains, Bavay, il venait de la capitale des Pays-Bas espagnols et déjà il n'était plus au complet. Après l'avoir croisé, les passants qui parcouraient en sens contraire la plaine longue et plate rencontraient plusieurs domestiques démontés qui en avaient fait partie : les uns, ayant abandonné leurs chevaux crevés, continuaient leur route à pied, les autres reposaient dans les hôtelleries avec leurs bêtes qui n'en valaient guère mieux, d'autres enfin étaient arrêtés par les paysans. Une dizaine de cavaliers suivaient encore leurs maîtres, tenant des chevaux de main. La petite troupe venait d'atteindre la dix-septième lieue, lorsque celui qui semblait en être le chef sentit sa monture crouler tout à coup. Monsieur, car c'était lui, changea son cheval mort contre le cheval relativement frais qu'on lui présentait et reprit au plus vite sa course vers la France. Mais à Pont-sur-Sambre il fallut se munir d'un guide et peu à peu ralentir l'allure parce que la nuit s'approchoit[91].

Quelle aventure que ce départ ! Le traité d'Écouen signé, ratifié de part et d'autre, Monsieur recevant copie de l'ordre royal qui enjoint aux gouverneurs des villes de Picardie d'ouvrir au frère unique du Roi ! Et, le matin même, à huit heures, sans prendre congé de la Reine mère ni de Madame, tandis que Rooses, chef du Conseil d'Espagne, et le marquis d'Aytona se trouvaient au château de Tervueren, à deux lieues de Bruxelles, en conférence avec le due de Neubourg, s'échapper ! Ce prétexte de chasse au renard imaginé la veille au soir, cette précaution de demander aux Cordeliers une messe tardive dans la chapelle de la forêt de Sorgues pour le retour des chasseurs, comme c'est ingénieux ! Ingénieuse aussi la ruse de Puylaurens[92] : le favori, qui n'accompagnait jamais son maître à la chasse, allant en carrosse soi-disant rendre visite à Rooses, qui n'était pas chez lui. Il avait poussé jusqu'au faubourg, sous couleur de rejoindre le chef du Conseil d'Espagne au château de Tervueren. Dans le faubourg il avait quitté son carrosse, monté à cheval et c'était Monsieur qu'il avait rejoint.

Il est plus de neuf heures du soir, la 'frontière est franchie depuis quelque temps. Monsieur et ses compagnons distinguent, à la lueur de la lune, les remparts de La Capelle. Les voici sur la contrescarpe. Au piétinement des chevaux et à la vue de cette troupe de cavaliers, les sentinelles Sonnent l'alarme. Les Qui va par là ? se succèdent de proche en proche. — C'est Monsieur frère du Roi ! Cette réponse tisse incrédule le baron du Bec, gouverneur de la place, qui vient d'arriver sur le bastion : il commande de tirer sur ces gens assez bardis pour Tenter quelque entreprise sur la forteresse. Mais Gaston a reconnu la voix du gouverneur, qui est le fils de feu M. de Tardes : Baron du Bec, commande-t-il à son tour, empêchez qu'on ne tire sur nous. Je viens avec les bonnes grâces du Roi et sa permission. Le baron obéit : J'ai ici des ordres de Sa Majesté pour vous, continue Monsieur ; faites sortir quelqu'un à qui je les puisse montrer. Le pont-levis, ne tarda point à s'abaisser : M. de Nerville parut avec de l'infanterie. Puis M. de Longchamp, capitaine au régiment de Piémont, un neveu du gouverneur qui était venu la veille rendre ville à son oncle, s'approcha du prince et retourna dans la ville avec l'ordre du Roi. Quelques instants plus tard, le baron du Bec recevait Monsieur et ses compagnons, MM. de Puylaurens, du Fargis, d'Elbène, de Briançon, du Coudray-Montpensier et de Senantes : Donnez-nous à souper, dit Gaston, il y a dix-huit heures que nous n'avions ni bu ni mangé ![93]

Le 10 octobre 163 !e, Louis XIII se trouvait au château de Sainte-Geneviève-des-Bois, non loin, de Montlhéry. Huit heures allaient sonner et le Roi se mettre à table pour souper. Sa Majesté semblait fort préoccupée ; elle était encore sous l'impression d'un billet qu'elle avait écrit au cardinal, installé au château de Chilly, près de Longjumeau : Mon Cousin, déclaraient ces quelques lignes, si révélatrices du caractère de Louis XIII, je vous renvoie votre lettre, que j'avois tenue secrète, mais revenant de la chasse, j'ai trouvé un gentilhomme appelé La Forêt, qui est borgne, qui venoit de Chilly et disoit à tout le monde que mon frère s'étoit sauvé de Bruxelles et s'étoit retiré lui quatrième à La Capelle. Je vous mande ceci, afin que vous sachiez que tout ce que vous me mandez, je n'en parle à personne sans savoir devant qui et s'il le faut ou non. Je demeurerai encore ici demain pour être plus proche de vous. Sur cette nouvelle, je finirai celle-ci en vous assurant que je vous tiendrai ce que je vous ai souvent promis de tout mon cœur, et prieroi le bon Dieu qu'il vous tienne en sa sainte garde.

Et aussitôt après avoir signé, Louis XIII avait trahi son impatience en griffonnant ce post-scriptum : Je vous prie que s'il vient d'autres nouvelles, je les sache au plus tôt[94].

L'impatience du Roi n'a pas diminué, lorsque à huit heures les viandes sont avancées, Le souper commence, — un souper de fort peu d'apparat sans doute, comme ceux dont Son Éminence s'est indignée dans son Testament politique, parce qu'ils étaient servis par de sales marmitons. Mais voici M. de Longchamp qui arrive de La Capelle : à la bonne nouvelle qu'il apporte, Louis XIII témoigne une joie extraordinaire. Il veut envoyer Bouthillier le jeune avec cinquante mille écus, pour assurer son frère de sa tendre affection. C'est lui-même un peu plus tard qui usa de ces expressions dans l'article qu'il fit pour la Gazette et qui parut dans le numéro du 14 octobre 1634.

Pour le moment, sa joie est telle, qu'il veut la faire goûter immédiatement au cardinal et, sur son ordre, M. de Longchamp se remet en route, arrive bientôt devant les grosses tours de Chilly. Là encore grande joie, nous dit Louis XIII journaliste, qui ne varie pas beaucoup ses expressions. Nul doute que M. de Longchamp n'ait conté à Richelieu les moindres détails du voyage, nul doute qu'il ne lui ait dépeint l'état d'âme de Monsieur. Mais que pensa le cardinal, si M. de Longchamp fut assez bien informé pour lui apprendre que, ce même 10 octobre, Monsieur, tout en chargeant M. de Saint-Quentin d'aller à Bruxelles exposer au marquis d'Aytona les raisons de son départ précipité, avait chargé ce gentilhomme du plus tendre message pour Madame : Monsieur conservoit toujours pour elle l'affection qu'il lui devoit et qu'il lui avoit promise ; il la prioit de le croire et il ne la changeroit jamais, quelque condition qu'on lui pût représenter[95].

Monsieur, traité magnifiquement à La gère durant six jours par le duc de Chaulnes, reçu triomphalement par Bautru et Chavigny, parut devoir se conduire comme le sujet le plus soumis. Les cinquante mille écus apportés par Chavigny l'avaient mis de si belle humeur, qu'il avait gratifié de six mille pistoles le capitaine d'un pareil galion et qu'il restait des dix heures par jour à jouer à prime avec lui et Bautru. Aussi, le 17 octobre, Chavigny se hâtait-il de faire part des excellentes dispositions du prince à Bouthillier, son père. La lettre, à peine arrivée à Paris, est envoyée par le secrétaire d'État au Palais Cardinal, où Richelieu se trouve depuis le 14 ou le 15, et voici ce que lit. Son Éminence : Monsieur sera très aise de voir des religieux et docteurs en théologie, pour l'éclaircir sur le fait de son mariage ; entre lesquels j'ai proposé, suivant vos ordres, le Père Rabarteau et les sieurs Lescot et Isambert. Le Père Gondren (confesseur de Gaston) y sera si vous l'avez agréable et je crois que, si vous êtes assuré que M. de Nantes prenne les bons sentiments, Monsieur auroit satisfaction particulière qu'il fût du nombre. M. de Puylaurens, avec l'aide de ces doctes et savants personnages, se promet de donner la dernière main à ce que vous désirez ; il m'a protesté vouloir être votre serviteur et dépendre absolument de vous ; il m'a fait connaître par diverses fois que tous les biens que vous lui avez procures auprès du Roi ne le touchent pas à l'égal de votre alliance, eu laquelle vous avez eu agréable qu'il entrât. Monsieur m a protesté qu'il désiroit votre amitié et qu'il suivroit les bons conseils que vous lui donneriez en tout et partout. Ce que j'ai reconnu en lui, c'est qu'il a beaucoup de bonté et point du tout de malice. Il part demain pour aller coucher à Nanteuil, où il m'a commandé de l'accompagner. Il est résolu d'aller voir le Roi et vous aussi, en la plus petite compagnie que sa qualité lui pourra permettre, pour vous donner sujet de croire qu'il a entièrement confiance en vous et que vous la devez aussi avoir en lui[96].

Dans son cabinet, château de Saint-Germain, le samedi 21 octobre 1634, vers une heure de l'après-midi, Louis XIII attend Monsieur, qui vient d'Écouen. Saint-Simon, gouverneur du château, est sur pied dans la première cour, ce qui n'est pas agréable, car le vent souffle en tempête. Sa Majesté est tellement persuadée que son frère n'a pu se mettre en route par un temps aussi affreux, qu'elle a. (hué sans lui. Mais le voilà ; il descend de carrosse. Le Roi aussitôt passe dans la chambre à coucher. Quelle ruée de tous ceux qu'entrainent à sa suite leurs charges ou la curiosité ! Le Comte de Soissons, les ducs de Longueville, de Montbazon et de Chaulnes, les maréchaux de Châtillon, d'Estrées et de Brézé, le garde des Sceaux, le grand maître de l'artillerie, le surintendant des finances, le capitaine des gardes, et des officiers et des seigneurs et des gentilshommes. Toute la Cour prétend assister à l'entrevue des deux frères, au retour de l'enfant prodigue. Jamais la chambre, toute spacieuse qu'elle est, ne pourra contenir tant de monde. Les huissiers ne veulent admettre que ceux qu'ils ne peuvent refuser. Dans l'escalier, c'est une marée de spectateurs. Gaston est porté par elle plutôt qu'il ne la traverse. Il lui faut un quart d'heure pour parvenir jusqu'à la chambre du Roi. Il entre, s'incline fort bas et dit : Monsieur, je ne sais si c'est la crainte ou la joie qui m'interdit la parole ; mais il ne m'eu reste à présent que pour vous demander pardon de tout le passé. Le Roi l'embrasse avec force : Mon Frère, lui dit-il, je vous ai pardonné, ne parlons plus du passé, mais de la joie que je ressens très grande de vous revoir ici.

Joie si grande et si universelle, que les embrassades redoublent et que les assistants en pleurent. Puylaurens lui même est embrassé par le Roi, qui le remercie de la dextérité dont il s'est servi pour ramener Monsieur. Toujours entouré de la foule, que ce spectacle passionne, Louis XIII retourne dans son cabinet.

Et le cardinal ? Le voici, qui arrive à l'instant, venant de Rueil. Admis près du Roi, il salue Monsieur, qui le serre dans ses bras, tandis que Louis XIII a l'air de bénir ces tendres effusions : Mon Frère, dit-il, je vous prie d'aimer M. le Cardinal. —Monsieur, je l'aimerai comme moi-même, répond le léger Gaston, et suis résolu de suivre ses conseils. Puis il fait appeler par l'huissier tous les seigneurs de sa suite. Les révérences succèdent aux révérences. Monsieur en oublie de dîner. Et lorsqu'on lui rappelle qu'il est temps de se mettre à table, Son Altesse a cette répartie heureuse : — Il y a quatre ans que je dîne tous les jours sans voir le Roi, je ne puis moins faire que de préférer ce bien à mon dîner. Il n'en dîne pas moins dans la chambre voisine. Une foule compacte l'environne. Soudain la porte, poussée de plus en plus fort par ceux des spectateurs qui n'ont pu entrer, sort de ses gonds avec fracas, fait irruption dans la pièce, oscille dangereusement et, miracle d'équilibre, reste debout au milieu des têtes et des épaules[97].

Le lendemain, c'est chez le cardinal, au château de Rueil, que Monsieur fut traité avec une magnificence digne du ministre tout-puissant. L'humeur des trois partenaires n'allait pas tarder à s'assombrir. Le Roi est impatient de voir rompre le mariage de Monsieur ; le cardinal, qui ne l'est pas moins, se sent fort embarrassé, car Monsieur se montre intraitable. Retenu par la, goutte à Orléans, Gaston voit arriver une escouade de théologiens conduite par le Père Joseph. Il tient bon, tandis que Puylaurens, qui n'a pas reçu les satisfactions promises, semble l'encourager à la résistance.

Trois heures durant, Monsieur s'entendit prouver que son mariage n'était point valide. Les règles et la pratique de l'Église le voulaient ainsi. Les lois et les coutumes du Royaume le voulaient plus encore : le Roi étant père et tuteur de son frère, le bien et le repos de l'État se trouvaient incompatibles avec un mariage contesté qui rendoit incertaine la succession à la Couronne[98].

Chacun fut de l'avis de M. le Doyen ou plutôt de M. le Cardinal. Mais que disait le mari ? Tranquille et attentif, tandis que parlaient tous ces théologiens, il prit enfin la parole. Il dit qu'il n'avait point étudié les lois et ne pouvait répondre à tant de textes, mais qu'il savait bien ceci : il n'y avait dans l'affaire de son mariage ni rapt, nt violence, ni séduction. Lorsqu'il avait demandé la princesse Marguerite, elle était destinée au cloître : elle avait agi, du consentement de la maison de Lorraine, avec autant de liberté que lui-même. Il ne cesserait de la regarder comme sa femme légitime que lorsqu'un jugement canonique de l'Église aurait déclaré qu'elle ne l'était pas.

Chavigny et ses théologiens y perdirent leur peine : Monsieur faisait toujours la même réponse. L'honnête Puylaurens insista sur les scrupules de son maître ; il ne conseillerait jamais à Son Altesse d'agir contre sa conscience. Sur quoi le secrétaire d'État et les docteurs s'en furent à la Cour[99]. Le 11 novembre, Puylaurens, embarqué avec Monsieur dès huit heures du matin, descendait le cours paresseux de la Loire avec tant de diligence, qu'il arrivait à Blois vers quatre heures de l'après-midi[100]. Inébranlable quand on voulait le, contraindre à laisser rompre son mariage, Gaston s'abandonnait à l'extrême joie de son heureux retour en France : Il faut, écrivait-il le 26 novembre à sa sœur la duchesse de Savoie, que je l'augmente encore, vous assurant que je reçois tous les jours tant d'effets de la bonté du Roi, mon seigneur, que le seul bien auquel j'aspire en ce monde est de me rendre digue, par mes services et une fidélité parfaite, de l'honneur de ses bonnes grâces[101].

Le cardinal a fini par céder : le 7 décembre, la seigneurie d'Aiguillon, achetée six cent mille livres de la princesse Marie de Gonzague, va être érigée en duché-pairie sous le nom de Puylaurens. Depuis le 28 novembre 1634, le favori de Monsieur est marié à la seconde fille de Charles du Cambout, baron de Pontchâteau ; il est l'un des conjoints du triple mariage que vient de bénir le curé de Saint-Sulpice dans la chapelle du Petit Luxembourg et qui unit deux autres cousines de Son Éminence à deux grands seigneurs : Mlle de Pontchâteau l'aînée au duc de La Valette, et Mlle du Plessis de Chivray au comte de Gramont[102].

Noces magnifiques à l'Arsenal, chez le maréchal de La Meilleraye, grand maître de l'artillerie[103], lui aussi cousin de Richelieu : feu d'artifice, musique et comédie. Assis à la troisième table, non loin du cardinal de La Valette, le cardinal-duc promène son regard sur cette multitude où se cache, qui sait ? quelque conspirateur. Nul regard, nulle parole qui soient perdus pour lui. Ses agents veillent.

Dans les premiers jours de l'année 1635, par les yeux de Bautru, comte de Nogent, il voit Monsieur, à Blois, se préoccuper uniquement de son château et de ses plaisirs : Monseigneur, lui écrit Nogent le 16 janvier 1635, je me suis bien aperçu en ce voyage du cas que l'on fait de ceux qui ont l'honneur d'être à Votre Éminence. Monseigneur, frère du Roi, m'a fait mille honneurs et mille caresses en cette considération ; il était dans sa cour lorsque j'arrivai ; il vint trente pas au-devant de moi ; toute sa cour témoigna une joie indicible à mon arrivée. Il me demanda des nouvelles du Roi et puis de celles de Votre Éminence, où il me fit l'honneur de me dire mille biens. Il a une grande passion pour son bâtiment, il y est huit heures le jour à faire démolir en sa présence. Je l'ai fort entretenu, comme de moi-même, sur son démariage. J'en rendrai compte à Votre Éminence vendredi, Dieu aidant. Il reçut hier une nouvelle qui l'affligea fort, qui fut la mort de Mlle Simon. M. de Bautru (le comte de Serrant) la fera connaître à Votre Éminence. Il disait tout haut : il vaudroit bien mieux que quatre généraux d'ordres fussent morts pour le bien de tout le peuple ; et hier au soir, en soupant, il en fit ses regrets et dit encore : Il n'y a plus de sûreté pour moi en semblables lieux ; tout son défaut étoit qu'elle étoit un peu chère ; je ne crois pas qu'il y ait jamais eu son semblable. Il sait cent chansons à boire et les plus étranges ; bref, pour le dépeindre, c'est le plus débauché et le meilleur prince du monde[104].

Comme Richelieu excelle à faire bavarder cet excellent prince à tort et à travers ! Connue il s'entend à semer la défiance entre lui et Marie de Médicis, son ancienne alliée ! Le 21 janvier 1635, à Rueil, Gaston, continuant à parler des occasions passées, demande à Son Éminence de qui la Reine mère avoit plus soupçon et plus de jalousie. Richelieu répond qu'elle en avait de la confiance que le Roi témoignait au cardinal ; enfin de tout le monde ; et il conclut : Après tout, c'est une des plus vertueuses princesses, qui a beaucoup de bonnes qualités, mais ses soupçons et la jalousie qu'elle a d'un chacun et la mémoire qu'elle ne perd jamais des injures qu'elle seule se lait, sont cause que ceux à qui elle les impute ont à prendre garde[105].

Monsieur, passant à Royaumont le 22 février 1635, ne résiste pas au plaisir d'entrer dans l'abbaye et de rendre visite à son cher cardinal : ce sont, au bout de quelques minutes, en présence du cardinal de La Valette et de Chavigny des confidences à compromettre toute la Cour, et de telle sorte, nous dit Richelieu, qu'il n'y a personne qui pût croire qu'il y eût de la dissimulation en son esprit. Entre autres choses, il reconnut qu'il étoit vrai que M. de Bellegarde avoit longtemps porté, pendues au col sur la chemise, deux promesses que la Reine et lui Monsieur s'étoient faites, elle de ruiner le cardinal auprès du Roi et lui de n'épouser point la princesse Marie (de Gonzague).

Mais comment Monsieur, tout écervelé qu'il est, peut-il se découvrir aussi imprudemment ? Il ne se découvre pas, c'est le cardinal qui en le reconduisant lui demande : Monsieur, n'est-il pas vrai qu'on vous disoit telle ou telle chose ? Monsieur l'avoue ingénument. Quoi ? même en ce 22 février 1635, après ce à que le cardinal lui a fait huit jours plus tôt !

Huit jours plus tôt, Richelieu avait diné chez Séguier, qui habitait à quelques pas du Louvre, rue de Grenelle-Saint-Honoré, l'ancien hôtel de Ferrières. Du Fargis et du Coudray-Montpensier étaient parmi les convives du garde des Sceaux. Le cardinal quitte l'assemblée. Du Fargis ayant dit qu'il allait au Louvre, Son Éminence dit qu'elle y allait aussi et l'avait emmené dans son carrosse. Mais à peine les deux visiteurs s'étaient-ils quittés dans l'appartement du Roi, que du Fargis était arrêté par le comte de Charost, l'un des capitaines des gardes, qui le faisait enfermer dans une chambre. Richelieu avait commandé ensuite que l'on arrêtât du Coudray-Montpensier, resté chez le garde des Sceaux. Il n'était guère que deux heures de l'après-midi. Le cardinal était entré dans le cabinet du Roi et, comme il l'avait prévu, Puylaurens n'avait pas tardé à l'y rejoindre. Il arrivait de Blois avec Monsieur pour assister à la répétition d'un ballet dont on lui avait dit merveille. Tandis que Monsieur s'entretenait avec le Roi, qui était dans sa chambre. Puylaurens était en conversation avec le cardinal dans le cabinet. C'était surtout Richelieu qui parlait ; il semblait d'humeur malicieuse et Puylaurens se montrait aussi froid que de coutume. Tout à coup Son Éminence dit à son nouveau cousin : — Quand se fondront vos glaces, Monsieur ? Et il entre dans la chambre du Roi : Puylaurens reste seul... fort peu de temps, la porte brusquement s'ouvre voici M. de Gordes, autre capitaine des gardes : il a ordre d'arrêter Puylaurens. Le favori de Monsieur se préoccupe avant tout du sort de son maître. Apprenant que Monsieur est libre, il dit simplement : M. le Cardinal ne m'a pas donné le loisir de faire ce que je désirois pour lui. S'il eût différé davantage de porter les choses à cette extrémité, le temps m'eût fourni les moyens et les occasions de le contenter[106]. Et, drapé dans son attitude de victime, il suit M. de Gordes, qui l'emmène hors de l'appartement royal.

Dans la chambre voisine, au même moment, le Roi venait d'annoncer à Gaston l'arrestation de Puylaurens ; il développait les raisons qui l'avaient contraint à cette mesure de rigueur. Pourquoi Puylaurens n'avait-il pas tenu ses engagements ? Pourquoi, depuis son retour, avait-il dépêché à Bruxelles vingt-deux courriers ? Sans doute en avait-il dépêché bien d'autres, qui n'avaient pas été interceptés. Que dire de ses lettres à Mme de Phalsbourg, lettres chiffrées qui avaient fini par laisser deviner leur secret, à savoir les étranges nouvelles que le nouveau duc, le nouveau cousin du cardinal donnait à la princesse : la santé du Roi était fort mauvaise ; Sa Majesté paraissait dégoûtée du cardinal ; Puylaurens serait bientôt le successeur de Sou Éminence ; si Monsieur et ses amis n'obtenaient pas toutes les satisfactions qu'ils désiraient, quoi de plus facile que de persuader à Son Altesse de se retirer en Italie ?

Louis XIII mettait toutes ces intrigues sous les yeux de son frère ; il n'oubliait pas l'injure qui lui avait été le plus sensible : M. de Vieuxpont, qui à Bruxelles accolait toujours au nom du Roi quelque épithète méprisante, avait eu le front de suivre Monsieur à La Fève, à Écouen, à Blois, à Orléans, à Paris. Et Puylaurens avait osé le cacher dans son appartement, lui ménager des entrevues avec du Coudray-Montpensier : car il craignait Vieuxpont, qui connaissait trop sa vie, qui savait le fond du pot : Puylaurens désirait la mort du Roi, c'était certain.

Monsieur ne s'embarrassa point pour si peu. Accoutumé comme sa mère à dissimuler ses sentiments, il repartit avec calme que si Puylaurens avoit été assez malheureux pour manquer à ce qu'il devoit au Roi, il seroit le premier à le condamner. Il parut s'attendrir lorsque Louis XIII lui rappela que deux frères n'avaient nul intérêt à se séparer, que leurs causes étaient pareilles. Il donnerait toujours à Monsieur des preuves de son affection ; ils devaient tous deux agir de concert pour les intérêts de la Couronne et le gouvernement de l'État. Paroles vraiment royales, auxquelles Gaston répondait par la promesse d'être inviolablement attaché au Roi et de ne sortir du Royaume que par son ordre.

Cependant le cardinal venait d'entrer dans la chambre, Louis XIII chez la Reine. Richelieu engagea Monsieur à rendre ses volontés conformes à celles du Roi, dont la bonté lui accorderait tout ce qu'il pouvait désirer, pourvu qu'il prit toujours le parti du respect et de l'obéissance. Il aurait toujours en son particulier le zèle le plus vif pour les intérêts de Son Altesse.

Le prince ne cache las l'inquiétude où il était quelques instants plus tôt ; il avait craint d'être arrêté, lui aussi ; mais il s'était rassuré en voyant Son Éminence, sachant bien qu'elle avait assez de grandeur d'âme pour ne permettre pas qu'un prince fût maltraité devant elle. A cette heure, il veut savoir s'il peut aller souper à l'hôtel de Guise, où il loge : le cardinal lui répond qu'il peut aller où bon lui semblera. Après souper, Gaston revint au Louvre et jusques à minuit il s'entretint avec Louis XIII, qu'il trouva couché.

Dans la Gazette parait, au sujet de la disgrâce de Puylaurens, un article inspiré par Richelieu. On y chantait ainsi les louanges du Roi, du prince et du ministre : Trois choses ont été remarquées en cette occasion : la tendresse du Roi envers Monsieur, qu'il aime non seulement comme son frère mais comme s'il étoit son propre fils, la sagesse de Monsieur, qui se conduisit avec tant de prudence en cette rencontre, qu'il montra que les sentiments du sang et de la raison pouvoient plus sur lui que toute autre considération, et le zèle de Son Éminence au service du Roi, qui lui est plus cher que ses alliances. Le cardinal s'applaudissait de sa grande prudence d'avoir exécuté cette action en présence de Monsieur, qui ne pouvoit qu'approuver de près un conseil qu'il eût de loin appréhendé pour lui-même, si l'expérience ne lui eût fait connaître que ce n'étoit pas à lui qu'on en vouloit. Il s'applaudissait également de sa grande hardiesse à laisser à Monsieur autant de liberté qu'auparavant sur ce seul fondement que, ne s'étant mal conduit que par de mauvais conseils, l'effet cesseroit quand la cause seroit cessée. Et Son Éminence concluait sans doute en revenant dans sa pensée à cette maxime d'État reprise dans son Testament politique : Il faut, en certaines rencontres où il s'agit du salut de l'État, une vertu mâle qui passe quelquefois par-dessus les règles de la prudence ordinaire, et il est quelquefois impossible de se garantir de certains maux, si l'on ne commet quelque chose à la fortune ou pour mieux dire à la Providence de Dieu, qui ne refuse guère son secours, lorsque notre sagesse épuisée ne peut nous en donner aucun[107].

L'événement avait prouvé la justesse de cette pensée. Les conseillers de Monsieur étant à la Bastille, Puylaurens au Bois de Vincennes (au Bois de vie saine, selon la plaisanterie favorite du cardinal), Monsieur s'était soumis : M. de Goulas, secrétaire de ses commandements ; l'abbé d'Elbène, son négociateur de Bruxelles ; l'abbé de La Rivière, son aumônier, trio d'infidèles domestiques, étaient prêts à faire tout ce que leur commanderait Richelieu. Il fallait voir Goulas et La Rivière montant le petit escalier du Louvre, le 1er février 1635, pour se rendre auprès du cardinal qui les avait mandés Leur extérieur faisoit connaître qu'ils ressentoient avec joie le malheur de Puylaurens et étoient fort peu touchés de la honte que Monsieur en pouvoit recevoir[108]. Ils avaient accepté de conduire le prince dans les voies ou Richelieu désirait le voir marcher désormais. Si dociles, que jugés incapables de gouverner Son Altesse, ils l'avaient priée de prendre Chavigny pour chancelier et projetaient même de lui imposer pour femme, après son démariage, Mme de Combalet. Monsieur serait devenu le neveu du cardinal. Mais au moment où ils croyaient s'emparer de son esprit, l'insaisissable Gaston se dérobait, il se confioit au comte de Montrésor qui, appréhendant le sort de son prédécesseur, avoit autant de soin et de retenue pour celer cette confiance, que les gens de cour qui s'avancent aux bonnes grâces des princes[109], en ont d'ordinaire pour étaler leurs faveurs à tous les yeux.

Ainsi, malgré la catastrophe de Puylaurens, Monsieur était aux petits soins pour Sou Éminence, qui, d'ailleurs, continuait à le surveiller d'un œil inquiet. Chavigny écrit à Richelieu que Gaston pourrait bien avoir reçu à Blois un envoyé du duc Charles de Lorraine et Richelieu lui-même répond à Chavigny : On découvre ici que des ennemis de Sa Majesté ont intelligence avec Monsieur, qui aboutit à faire tuer M. le Cardinal par l'autorité de Monsieur et, sous son nom, ou à le faire retirer de France. Il faut découvrir ceux qui, près de Monsieur, sont de cette cabale[110]. Le 4 mai, le cardinal n'en donne pas moins un satisfecit à Gaston : M. Bouthillier (Chavigny) vous dira comme vous faites bien parler de vous. Vos serviteurs seront toujours caution des bonnes intentions de Votre Altesse. Je m'assure que votre conduite sera telle qu'ils ne seront point en peine de payer[111]. Formules aimables qui cachent une inquiétude mortelle. Et tous ces détails sont nécessaires pour faire comprendre par quels étroits chemins devaient passer les grands desseins du Cardinal !

Monsieur s'est embarqué sur la Loire. Toute la Cour se demande où il va. Serait-il déjà à Londres, près de son beau-frère Charles Ier ? Chavigny arrête des bateaux à Orléans pour le suivre, il va partir avec Coulas et La Rivière, qui ne peuvent croire qu'il se soit enfui d'Angleterre : S'il l'a fait, opinent-ils tous les deux, c'est la plus dissimulée créature qui ait jamais été. Et Chavigny pour rassurer le cardinal : Les petits messieurs qui sont auprès de Son Altesse n'ont pas assez de force pour lui persuader un tel dessein, ni assez de tête pour ménager les moyens de le faire réussir. Pour moi je m'imagine toujours que nous n'aurons combattu que les simères de M. Hébron[112] — le colonel Hepburne, qui prononçait note langue à la manière écossaise.

Mais Son Éminence voit déjà Gaston dans l'estuaire de la Loire et fuyant sur la mer avec Chavigny prisonnier : L'affection que je vous porte, écrit-il dans sa lettre du 6 mai, me fait vous dépêcher ce courrier exprès pour vous dire que, si vous apprenez que Monsieur soit au delà de Nantes, en un lieu où il puisse être le plus fort pour vous emmener, je ne suis nullement d'avis que vous y alliez, mais seulement que vous lui mandiez que tous l'allez trouver pour l'avertir que son voyage donne beaucoup à discourir et qu'il est de son service d'en ôter le sujet[113]. Le cardinal a rassemblé à l'île de Batz six vaisseaux venus de Brest, d'autres venus du Havre, d'autres encore de Brouage, qui devront empêcher un nouvel enlèvement de Monsieur. Précaution inutile : le 8 mai, sous les fenêtres de la feue dame de Montsoreau, dont le château dresse, au bord de la Loire, son élégante façade Renaissance, Chavigny aperçoit Monsieur qui remonte en son bateau pour retournera Saumur.

Au lieu de fuir en Angleterre, extravagance à laquelle il n'a jamais songé, Monsieur s'en va visiter Loudun (neuf lieues de Saumur), et le cardinal de plaisanter en se conformant au caractère de Monsieur : Je suis ravi que les diables de Loudun aient converti Votre Altesse[114]. Le cardinal est d'une humeur d'autant plus heureuse que Monsieur est allé voir sa maison de Richelieu encore inachevée ; le prince y a vu des statues si belles que les siennes lui font mal aux yeux et il veut d'accepter celles des Césars que Son Éminence a commandé qu'on lui offrit[115]. Rien à désirer en apparence aux relations du prince et dit ministre. Monsieur se montre de plus en plus docile. Puylaurens meurt de chagrin au Bois de Vincennes dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1634. : Bonne fortune, disent sinistrement les Mémoires, qui le déroba à l'infamie d'une mort honteuse qu'il ne pouvait éviter[116]. Gaston témoigne beaucoup de déplaisir et de patience[117] et, avant de faire sa visite de condoléance à Mme de Puylaurens, veut savoir si le Roi et le cardinal ne le trouveront pas mauvais[118].

Quelques semaines encore et la docilité de Monsieur sera mise à bien plus rude épreuve. Le 10 août 1635, il y avait près de deux mois que l'assemblée du Clergé de France, convoquée au couvent des Grands-Augustins, étudiait une question que MM. de Léon et Aubry lui avaient proposée de la part du Roi : Les mariages des princes du sang qui peuvent prétendre à la succession à la Couronne peuvent-ils être valables et légitimes, s'ils sont faits non seulement sans le consentement de celui qui possède la Couronne, mais encore contre sa volonté ? Depuis près de deux mois, les évêques de Montpellier, de Sées, de Chartres, de Saint-Malo et de Maties, réunis en commission, examinaient la question sous toutes les faces. Plongés dans la vénérable Histoire de Reims de Flodoart, dans les poudreux in-folios de Bacon et de Polydore Vergile, les dignes prélats ressassaient les trois seuls exemples qu'ils eussent rencontrés au cours des siècles : Baudouin, grand forestier de Flandre, ravisseur de Judith, fille de l'empereur Charles le Chauve et veuve d'Ethelwoolf, roi d'Angleterre ; Louis le Bègue, frère de Judith, épousant Ausgard malgré l'Empereur son père ; Anne, duchesse de Bretagne, mariée par procuration à Maximilien, empereur d'Allemagne, bien que le roi Charles VIII Nit refusé son consentement[119].

Les cinq évêques, délégués par l'assemblée du Clergé de France, demandèrent les lumières des plus fameux docteurs de la Faculté de Paris et celles des théologiens des principaux ordres religieux. Jacobins de la rue Saint-Jacques, Augustins du grand couvent, Carmes de la place :haubert, Cordeliers du grand couvent, Capucins du faubourg Saint-Honoré, Jacobins du faubourg Saint-Germain, Carmes des Billettes, Carmes déchaussés, Feuillants, religieux de Picpus, Minimes du couvent de Nigeon-lès-Paris donnèrent, en termes différents le même avis que les docteurs Isambert, Froissart, Lescot, Habert, Cornet, Duval et Raconis : les mariages sur lesquels les envoyés du Roi consultaient l'assemblée du Clergé de France ne leur paraissaient ni légitimes ni valablement contractés. Le 6 juillet, l'évêque de. Montpellier fit un discours de deux heures et plus, riche en ses recherches, judicieux en son ourdissure, puissant en éloquence[120]. Sa conclusion fut des plus nettes : en France l'usage et la coutume établissaient comme une loi fondamentale des empêchements dirimants et dissolvants les mariages des princes du sang et présomptifs héritiers de la Couronne faits au préjudice de la volonté et contre la défense du Roi[121]. Quatre jours plus tard, l'assemblée, éclairée par ce discours et la lecture des avis de tous les docteurs et théologiens, décida que cette coutume de France était raisonnable, ancienne, affermie par une légitime prescription et autorisée de l'Église[122]. Tous les députés signèrent la décision et, le 15 juillet, les cinq évêques commissaires s'en furent la porter à Saint-Germain, chez le Roi, puis à Rueil, chez le cardinal.

Mais ni Louis XIII ni Richelieu n'étaient encore satisfaits. Pour entraîner la confirmation du Pape, qui était nécessaire, il fallait le consentement et le témoignage de Gaston. C'est pourquoi fut présentée Monsieur, le 16 août 1634, l'attestation suivante : Nous Gaston, fils de France, frère unique du Roi, duc d'Orléans, de Chartres, de Valois et comte de Blois, ayant vu l'avis donné au Roi par les prélats assemblés en la ville de Paris, représentant le Clergé de France sur le sujet des mariages des princes du sang et des héritiers présomptifs de. la Couronne, par lequel ils affirment en leur conscience lesdits mariages être nuls, lorsqu'ils sont faits sans le consentement du Roi ; ayant vu, en outre, le grand nombre de docteurs et religieux insérés dans le procès-verbal desdits sieurs du Clergé, qui sont tous du même avis. Et, de plus, considéré que ledit avis est fondé sur la coutume du Royaume. Nous avons cru être en conscience d'y acquiescer, reconnaissant nul le mariage fait entre nous et la princesse Marguerite de Lorraine et déclarer, comme nous faisons, que nous ne tiendrons jamais à l'avenir ladite dame Marguerite de Lorraine pour notre épouse et ne ferons aucune action ni acte contraire à la présente déclaration, que nous faisons volontairement, mû par les véritables sentiments de notre conscience. Ensuite nous supplions le Roi de nous laisser marier à notre liberté, pourvu que nous ne prenions aucune alliance par mariage qui lui soit suspecte[123].

Gaston signa, M. de Goulas contresigna ce papier démenti d'avance. Le prince avait, depuis longtemps, supplié le Pape de considérer comme nul et non avenu tout document de ce genre qui serait revêtu de sa signature. Le cardinal, d'ailleurs, était renseigné sur la sincérité de Monsieur.

Cependant, des Pays-Bas espagnols, Marguerite de Lorraine, épouse discutée, écrivait à son beau-frère le duc de Savoie : Je sais que vous êtes si généreux et si bon parent, que vous me ferez le bien de m'assister en la plainte que je fais au Saint-Père pour les entreprises qu'on fait en France contre l'honneur de mon mariage. Le voyage que mon frère a fait à Rome a apporté une si bonne disposition dans l'esprit du Saint-Père, qu'il me lit espérer la protection du Saint-Siège. Votre assistance me sera très avantageuse pour maintenir Sa Sainteté dans cette bonne résolution[124]. Richelieu, de son côté, dépêchait auprès du Pape l'évêque de Montpellier, pour justifier ces entreprises de France qui mettaient la princesse au désespoir.

En attendant, il se félicite d'avoir dénoué la tragi-comédie de Lorraine, qui s'achève sur un démariage en perspective. Les États du duc Charles, occupés par les armées du Roi, ne serviront plus de poste avancé contre la France ; l'héritier présomptif de la Couronne n'est plus entre les mains de l'Espagne. La maison de Lorraine est dispersée. Sans appui, Monsieur n'envahira point le Royaume, à la tête d'une armée étrangère. Le cardinal est d'autant plus satisfait d'un tel succès que la guerre contre la maison d'Autriche est commencée depuis le mois d'avril 1635. Avant de raconter les épisodes hautement historiques de cette lutte, il nous faut remonter de quelques mois en arrière et suivre Son Éminence dans les ingénieux détours de son cheminement diplomatique.

 

 

 



[1] Archives de Simancas, K. 1423-24, 8e dossier.

[2] Ch. Pfister, Histoire de Nancy, p. 24-27.

[3] Comte de Beauchamp, Louis XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 125-126.

[4] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 391.

[5] Comte d'Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, t. I, p. 515-516. M. de Saint-Chamond au cardinal de Richelieu, 14 août 1633.

[6] Cité par le comte d'Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, t. I, p. 365-366, note.

[7] Levassor, Histoire de Louis XIII, t. IV, p. 348.

[8] Relation de la sortie de la princesse Marguerite, publiée par le comte d'Haussonville, Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France, t. I, p. 525-527.

[9] Paul Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 340-348.

[10] Mercure françois, t. XIX, Première partie, p. 279-282, et Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 340-342.

[11] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 483-485.

[12] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 483.

[13] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 439-440.

[14] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 442-443.

[15] Mémoires du Sieur de Pontis, t. II, p. 106-108.

[16] Aubery, Histoire du Cardinal Duc de Richelieu, t. I, p. 204.

[17] Mercure françois, t. XIX, première partie, p. 165-167.

[18] Mémoires du Marquis de Beauvau, p. 43-44.

[19] Comte d'Haussonville, Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France, Documents, t. I, p. 542.

[20] Ch. Pfister, Histoire de Nancy, p. 42.

[21] Mercure de France, t. XIX, 1re partie, p. 167-168.

[22] Henriette Lorraine-Vaudémont, veuve de Louis, prince de Phalsbourg, née en 1605.

[23] Œuvres de Corneille, éd. Marty-Laveau, t. X, p. 65.

[24] Marius Topin, Louis XIII et Richelieu, p. 179.

[25] Marius Topin, Louis XIII et Richelieu, p. 180.

[26] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 495-496.

[27] Marius Topin, Louis XIII et Richelieu, p. 182.

[28] Marius Topin, Louis XIII et Richelieu, p. 183.

[29] Mémoires de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 465.

[30] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 533.

[31] Mémoires de Richelieu, éd. Petitot, t. VIII, p. 36.

[32] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 535.

[33] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 538.

[34] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 463, et t. VIII, p. 50.

[35] Mémoires de Gaston, duc d'Orléans, p. 600.

[36] Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas.

[37] Archives Nationales, Simancas, K 1416-17, 2e cahier, dossier 61.

[38] Archives de Turin, Francia, mezzo.

[39] Archives des Affaires étrangères, France 810, f° 106.

[40] Voir la lettre écrite au comte-duc par le sieur de Clauzel, le 15 juin 1633, Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, 430-431.

[41] Mémoires de Mathieu Molé, t. II, p. 198-199.

[42] Mercure françois, t. XX, première partie, p. 34.

[43] Mercure françois, t. XX, première partie, p. 34-38.

[44] Archives des affaires étrangères, copie dans les Actes, Mémoires et Avis touchant la validité ou invalidité du mariage contracté par M. le Duc d'Orléans, recueil manuscrit appartenant à M. Gabriel Hanotaux.

[45] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 548-549.

[46] Mémoires de Gaston, duc d'Orléans, p. 602.

[47] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VIII, p. 21.

[48] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VIII, p. 12.

[49] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VIII, p. 24.

[50] Mémoires envoyés par M. Gobelin, tiré des archives des Affaires étrangères et cité par le comte d'Haussonville, Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France, t. I, p. 557-558.

[51] Comte d'Haussonville, Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France, t. I, p. 393-408.

[52] Affaires étrangères, Corr. polit. lorraine, 4, f° 213.

[53] Mémoires de M. de Brassac, p. 78.

[54] Abbé Hugo, Vie manuscrite de Charles IV.

[55] Comte d'Haussonville, Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France, t. I, p. 411.

[56] Cité par Pfister, Histoire de Nancy, p. 66.

[57] Pfister, Histoire de Nancy, p. 63.

[58] Mémoires du Marquis de Beauvau, p. 50, et Pfister, Histoire de Nancy, p. 70.

[59] Cité par le comte d'Haussonville, Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France, t. I, p. 560.

[60] Comte d'Haussonville, Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France, t. I, p. 413, et Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 717.

[61] Pfister, Histoire de Nancy, p. 70.

[62] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 555.

[63] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 556-557.

[64] La Mothe n'existe plus aujourd'hui : prise pour la seconde fois, sous le cardinal Mazarin, par le futur maréchal de Villeroy, elle fut détruite. Bastions, tours, murailles sautèrent à la mine. L'église, les maisons disparurent et la pioche acheva ce que la poudre avait dédaigné. Prés de trois cents ans, La Mothe fut abandonnée ; toute une fora, voilà peu à peu la désolation de sa montagne. Rasée, ruinée, ensevelie, elle trouva des amis qui travaillèrent à son exhumation. Il se forma un Comité des Amis de La Mothe. Le 20 août 1927, ce comité, présidé par M. Jacquot, le distingué conservateur des Eaux et Forêts, la Société philanthropique la Haute-Marne, présidée par M. Boussat, l'éminent avocat à la Cour, conduisirent leurs invités à La Mothe. Le duc de La Force était au nombre des élus. Entré par la porte de France, dont il ne reste que deux pans de murs, on a foulé le pavé défoncé de la grande rue, qui serpente aujourd'hui à travers un bois, et le décor est vraiment shakespearien, car, de même qu'au XVIe siècle, dans les drames de Shakespeare, il est indiqué par des écriteaux. On les aperçoit à droite et à gauche cloués sur les troncs d'arbres. Et l'imagination aussitôt travaille, recréant en un clin d'œil ici l'église paroissiale, là le couvent des Récollets, plus loin celui des Augustines, plus loin encore le château et, au Banc de la montagne, coupé de la ville par un fossé profond, le jardin du gouverneur (L. F.).

[65] Du Boiys de Riocour, Relation des sièges et du blocus de La Mothe, p. 103-104.

[66] Du Boiys de Riocour, Relation des sièges et du blocus de La Mothe, p. 104.

[67] Ch. Pfister, Mémoires du Comte de Brassac, p. 14 ; voir aussi A. Cagnat, Le premier siège de La Mothe, p. 41.

[68] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. III, p. 78.

[69] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. III, p. 75.

[70] Mémoires du Duc de la Force, Maréchal de France, t. III, p. 50, 81, 85.

[71] Riocour, Relation des sièges et du blocus de La Mothe, p. 201, 205.

[72] Lieutenant Cagnat, Le premier siège de La Mothe, p. 91.

[73] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. III, p. 404.

[74] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. III, p. 403.

[75] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. III, p. 403.

[76] Archives de Chantilly.

[77] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. III, p. 406-407.

[78] Mémoires du Maréchal de La Force, t. III, p. 408.

[79] Mémoires du Maréchal de La Force, t. III, p. 408.

[80] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. III, p. 87 et 408-410.

[81] Charvériat, Histoire de la Guerre de Trente ans.

[82] Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 473-474.

[83] Mercure françois, t. XX, 2e partie, p. 866-867.

[84] Fille d'Alexandre d'Arenberg, prince de Chimay.

[85] Mémoires de Gaston, duc d'Orléans, p. 599.

[86] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VIII, p. 77.

[87] Affaires étrangères, France 810, f° 106.

[88] Aubery, Mémoires pour l'Histoire du Cardinal Duc de Richelieu, t. II, p. 429.

[89] Père Griffet, Histoire du règne de Louis XIII, t. II, p. 487.

[90] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. I, p. 624, note 2.

[91] Mémoires de Montrésor, p. 195.

[92] Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 484.

[93] Gazette, 1634, p. 442.

[94] Comte de Beauchamp, Louis XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 156.

[95] Mémoires de Montrésor, p. 195.

[96] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 633, note.

[97] Gazette, p. 455.

[98] Actes touchant la validité du mariage contracté par M. le Duc d'Orléans, t. II, p. 64, note ancienne (Archives de M. G. Hanotaux, et Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 495).

[99] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 496.

[100] Mercure françois, t. II, 2e partie, p. 876.

[101] Archives de Turin.

[102] Gazette, p. 323.

[103] Gazette, p. 525.

[104] Archives des Affaires étrangères, France, 813, f° 80.

[105] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 656.

[106] Mémoires du Comte de Montrésor, p. 197.

[107] Voir Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 539-554.

[108] Mémoires de Montrésor, p. 192.

[109] Mémoires de Montrésor, p. 199.

[110] Avenel, Lettres du cardinal de Richelieu, t. IV, p. 673-674, 701-702.

[111] Avenel, Lettres du cardinal de Richelieu, t. IV, p. 752.

[112] Avenel, Lettres du cardinal de Richelieu, t. IV, t. IV, p. 752, notes.

[113] Avenel, Lettres du cardinal de Richelieu, t. IV, t. IV, p. 753-754.

[114] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 754.

[115] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 14, note 2.

[116] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 217.

[117] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 84, note 1.

[118] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 84, note 1.

[119] Abrégé des raisons que l'on peut alléguer de part et d'autre pour la validation ou invalidation des mariages des princes du sang, etc., par M. de Marca, dans Actes et Mémoires touchant la validité du mariage contracté par M. le Duc d'Orléans, t. I, p. 212 (Recueil manuscrit appartenant à M. G. Hanotaux).

[120] Mercure françois, t. XX, 2e partie, p. 1008.

[121] Mercure françois, p. 88, 2e partie.

[122] Mercure françois, p. 1030.

[123] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 654.

[124] Archives de Turin.