HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

L'ORDRE DANS LA MAISON

CHAPITRE QUATRIÈME. — RICHELIEU ET LES PROVINCES.

 

 

L'administration locale. Les intendants de Richelieu.

Un historien a écrit : Les plus grands fléaux de l'humanité, ce sont les grands politiques qui ont un but inflexible.

Ces hommes à l'imagination puissante et aux plans préconçus, on les appelle grands, quand, ayant eu l'intuition profonde des intérêts permanents de la société où ils vivent, ils ont su, par leurs travaux, améliorer les conditions d'existence de cette société, inapte trop souvent à satisfaire par elle-même à ses propres besoins. Ayant discerné, dans le trouble des âmes, les aspirations confuses des générations nouvelles, ils se présentent pour répondre à leur appel non formulé et ils mobilisent, avec clairvoyance et courage, les forces nécessaires pour accoucher le passé de l'avenir, par le moyen de la discipline, fille de l'autorité. Sans craindre la coalition de la routine, des intérêts nantis, des entêtements aveugles, qui ne céderont ni à la raison, ni à l'humanité, ni à la prévoyance, ils foncent sur le mur à demi-ruiné et le renversent. Dédaigneux même de cette forme humaine de la justice, le droit, ils révisent les pactes en les déchirant.

Ils reprennent, devant le corps social, l'éternel problème des droits du magistrat sur les peuples et des peuples sur le magistrat ; et ils le résolvent, forts des vœux du peuple contre le magistrat, en ramassant entre leurs mains toute l'autorité du magistrat : le cri de la liberté a suscité le dictateur. Révolutionnaires et consuls, ils veulent, ils ordonnent, ils enjoignent, ils punissent ; l'obéissance est leur exigence ; la répression est impitoyable.

Comment n'admettrions-nous pas qu'un Richelieu ait passé outre au droit constitutionnel du moyen âge, qu'il ait rasé le donjon féodal, qu'il ait piétiné les vieilles autonomies locales et que sa clairvoyante colère ait secoué le sommeil d'un passé à l'agonie ? Il marchait avec son siècle.

Mais aussi qui lui reprocherait aujourd'hui (comme on le faisait assez naïvement hier encore), de n'avoir pas ouvert la voie aux libertés représentatives et parlementaires ? Ni lui, ni ses contemporains n'avaient subi l'envoûtement du siècle suivant pour ce système britannique qu'Aristote, saint Thomas et Bodin lui-même avaient ignoré. A l'heure présente, dans cette instabilité des choses et des doctrines qui est notre héritage, n'entendons-nous pas se renouveler cet appel à l'autorité et à la discipline, même à ce dangereux bienfait de la dictature qui, à la suite des guerres de Religion et de la Ligue, avait mis fin au grand désordre.

Le dictateur est l'homme des temps désespérés. Porté par la nécessité, il s'élève au-dessus de son temps ; mais, surhomme, il n'est qu'un homme cependant. Il ne peut abandonner tout à fait la terre. Mais, par dessus les têtes, il voit ce que les autres ne voient pas et s'irrite de leur aveuglement qui nie ce qui est, pour lui, l'éclatante lumière. Sa volonté est comme sa vue, ardente, pénétrante. Il se presse et il presse ; car il peut mourir demain.

Ces grands hommes ont, plus encore que les autres vivants et mourants, le halètement de leur disparition toujours prochaine : c'est qu'ils pensent, non à leur vie, mais à leur œuvre. Dans l'angoisse de la laisser inachevée, — quoi qu'ils fassent, elle sera toujours inachevée, — ils veulent la porter plus loin, plus loin, et plus loin encore. C'est pourquoi nous les voyons surexcités, nerveux, trépidants, ne s'épargner ni à eux-mêmes ni aux autres, nulle peine, minutieux, exigeants, tatillons, parce qu'ils savent que le moindre caillou négligé peut arrêter le roulement de la machine montée avec tant d'efforts. Bayle observe : Les génies les plus sublimes sont ceux qui négligent le moins les occasions qui semblent les plus ridicules, les plus absurdes. Je parle de ces grands génies qui gouvernent les États. L'étendue de leur pénétration leur fait découvrir des ressorts où l'on croit qu'il n'y en a pas. C'est qu'ils connaissent mieux que les autres hommes tous les usages que l'on peut faire d'une vétille ; ils savent mieux ce que l'ignorance et la faiblesse des uns et la malice des autres peuvent produire. Cette minutie passionnée était particulière à un Richelieu, homme d'église, élevé dans les arcanes de la théologie ; le raffinement de la sévérité était aiguisé en lui par la connaissance de l'âme humaine.

Les experts attitrés des choses de l'homme sont portés au pessimisme. Us ne pensent pas que l'homme soit bon en sortant des mains du Créateur. Ils ont la haine des petites âmes et des petites passions, tout en les employant, puisqu'on ne peut se passer de leur nombre. Ils s'abaissent même aux affaires médiocres tout en n'y étant pas très aptes. Richelieu écrit dans ses notes secrètes : Quelquefois les grands sont contraints de faire des choses qui sont au-dessous d'eux, d'autant que la nécessité des affaires ne conne pas les lois de la grandeur[1]. Les mensonges bas, la vilenie des calculs, le grouillement des petites convoitises purulentes les dégoûtent rien qu'à l'odeur et ils nettoieraient d'un revers les écuries d'Augias ; ils s'attardent cependant, on cette fange, mais c'est pour la nettoyer.

Par contre, ayant besoin de concours, de fidélité, d'affection, de confiance, ils s'attachent, d'une prise vigoureuse, les modestes, les zélés, les hommes de foi qui se donnent à eux. Chefs, il leur faut une troupe ; capitaines, il leur faut des soldats. Tout est bon qui sert. Ils ferment les yeux sur les défauts des dévoués.

Les ambitieux de seconde ligne, ayant surpris ce trait de leur caractère généreux, les abordent par la flatterie qui leur est nécessaire comme un alcool dans leurs combats épuisants ; le maître est gagné par le miel de l'admiration, dont il s'enivre, en attendant que sa clairvoyance et sa méfiance aient réveillé en lui la violence et parfois la cruauté.

Car, ces grands manieurs d'illusion, toujours désillusionnés, sont intolérants, durs, sans pitié. Leur œuvre et leur volonté réclament le sang des victimes pour apaiser les dieux. Tout ce qui s'oppose à leur raison doit être brisé. Ils ne s'appartiennent pas, ils appartiennent à la destinée qui les a choisis, et qui les brisera eux-mêmes pour finir. Cruels donc, comme la vie et comme l'espérance ; mais ne se refusant pas non plus à une certaine humanité ; car ils sont prudents, économes de leurs forces et ne dépensent que le nécessaire. Ils préfèrent le juste, n'ignorant pas que son équilibre est une sécurité ; mais ils ne s'attardent pas à le rechercher dans ses formes vulgaires et précaires. Ils visent plus haut. Richelieu se trace à lui-même sa règle de conduite à l'égard de la justice dans ses notes intimes : Au cours des affaires ordinaires, la justice requiert une clarté et évidence de preuve. Mais ce n'est pas de même aux affaires d'Etat, où il s'agit de summa rerum. Car souvent les conjectures doivent tenir lieu de preuves, vu que les grands desseins et notables entreprises ne se vérifient jamais autrement que par le succès ou événement d'icelles qui ne reçoit plus de remède.

Tel est le risque de la grandeur : le jugement du juste est remis à l'avenir. Cela encore, le grand homme l'accepte, marchant les bras tendus et les yeux mi-clos vers ce but inflexible qui lui est imposé par son destin.

Richelieu et les provinces du Royaume.

Dans l'opération cruciale qu'il avait à accomplir sur la France, Richelieu savait devoir rencontrer des oppositions obstinées, des résistances acharnées, surtout dans les provinces du Royaume.

La province est traditionnaliste. Elle ne sait pas et elle n'apprend que très lentement, ne s'émeut que tardivement ; elle s'est fait un oreiller de sa misère et ne veut pas qu'on le lui change. A quoi bon ? Elle pense qu'elle sera toujours mal, peut-être plus niai. Par prudence et par réflexion, elle est toujours en retard d'une idée et d'une année.

Or c'est justement vers la province que se tournait Richelieu parce que seule laborieuse et épargnante, féconde en naissances et en œuvres, habituée à la dure et au sacrifice, elle pouvait lui fournir ce dont il avait besoin, tout de suite et en masse, des hommes et de l'argent.

La féodalité avait eu pour raison et pour effet de disséminer le pouvoir sur toute la surface du pays. Philippe le Bel, Louis XI avaient lutté pour reprendre en mains ces forces éparses ; mais les guerres de religion avaient renouvelé et aggravé les misères de la guerre de Cent ans par celles des dissensions civiles.

Il fallait en finir avec ces maux, non-seulement dans l'intérêt du pouvoir et en vue d'un bienfait collectif certain, mais pour le bien-être de chaque foyer, de chaque famille, de chaque province arrachée à son isolement, pour le peuple entier qui, fier de la victoire et de la délivrance avait retrouvé en lui-même l'âme de la vieille Gaule. On avait senti l'unité nationale se chercher à tâtons dans l'unanimité des sentiments et des collaborations contre le dehors ; il fallait, maintenant, incruster ce même sentiment dans un bloc de loyauté politique et sociale au dedans.

La grande affaire du cardinal, une fois l'ordre royal ramené à la Cour, fut donc de l'étendre au pays tout entier. Nous avons dit, dans une étude antérieure, quels moyens et quel personnel avaient employés les âges précédents pour imposer une première administration royale à la masse fissurée des seigneuries féodales et des autonomies provinciales[2]. Ni la justice ni la loi n'y auraient suffi : la loi, comme nous l'avons rappelé, était mal obéie ; quant à la justice, elle était aux mains d'un corps qui combattait avec acharnement pour ses privilèges.

La Royauté avait recouru, selon la tradition carolingienne, au système des missi dominici, des commissaires. Parmi les membres de ses conseils et même dans l'intimité de sa maison, elle avait choisi des hommes jeunes, ardents, ambitieux, les maîtres des Requêtes de l'Hôtel, c'est-à-dire des magistrats en expectative, et leur avait confié le mandat impératif d'aller dans les provinces pour faire connaître la volonté du Roi, abstraction faite de toute loi, coutume ou privilège : sic volo, sic jubeo.

Ces hommes de main forte accompagnaient les armées royales en cas de guerre, de troubles graves, d'occupation militaire sur les terres conquises. Ces justiciers, une fois l'ordre rétabli, ne se pressaient pas de rentrer ; ils habituaient les peuples à connaître une volonté supérieure qui leur était, d'ailleurs, un recours permanent. La mission des maîtres des Requêtes était comme une manière de Grands jours sans vaine solennité. Grand jour, en effet, pour la cause royale et pour la cause nationale, quand l'émissaire de la volonté suprême apparaissait dans la vie locale et hâtait l'agonie d'un passé lent à mourir.

La mission des intendants de justice, police et finance (pour reproduire les termes qui devinrent ceux de leur commission), était tellement adéquate à l'entreprise totale de Richelieu, qu'on lui en a attribué l'institution. On se trompait : les premiers intendants étaient apparus en même temps que l'autorité royale prenait conscience de son rôle de discipline et d'organisation centralisée. On les a signalés dès le temps de Henri II[3] ; mais Richelieu s'en servit avec une telle maîtrise qu'on peut dire qu'ils furent par excellence ses instruments, ses hommes.

L'administration du cardinal, de par les nécessités du temps, — et un peu contre sa propre conception, si fortement méthodique, — fut surtout fragmentaire, pragmatique, s'inspirant des temps, des circonstances, des lieux et des hommes ; à peine encadrée, nullement hiérarchisée, elle ne tient que par l'ordre direct et l'obéissance immédiate. Magistrature nomade, la chevauchée de ces maîtres des Requêtes, devenus intendants, apparaît, disparaît, selon l'opportunité ; elle arrive, elle regarde, elle agit et elle passe.

Il n'y a, en conséquence, d'autre histoire de ce genre d'administration que le relevé du va-et-vient de ces hommes. Pour connaître, dans son ensemble, la politique provinciale du cardinal, il faudrait suivre chacun de ses agents dans chaque localité et, par leur correspondance avec le ministre, voir de quelle manière ils appliquaient des instructions aussi différentes que leurs missions mêmes. Une telle recherche et un tel exposé exigeraient d'infinis volumes. Pour donner ici un aperçu de la manière politique du cardinal-ministre, il nous a paru suffisant de choisir, parmi les intendants de Richelieu quelques types, ceux dont l'activité fut plus efficace, le caractère plus frappant, l'action plus représentative de la pensée qui les inspirait et de la forte volonté qui les soutenait.

En couronnant ces exposés particuliers, empruntés aux correspondances inédites, par quelques vues générales sur l'ensemble du système et sur les résultats obtenus, nous aurons, à ce qu'il nous semble, comblé une lacune, nous aurons groupé autour de la robe rouge, le cortège des gens de main, depuis le sage Voyer d'Argenson jusqu'à l'affreux Laubardemont, qui l'accompagnent aux yeux de la postérité. D'importants problèmes locaux et nationaux se seront éclaircis et une mine nouvelle se trouvera ouverte vers certains dessous de notre histoire.

 

1. — En Provence. Aubray et La Potherie, intendants.

Le succès du siège de La Rochelle avait gonflé les voiles de Richelieu. Sentant son autorité se confirmer auprès du Roi et dans tout le royaume, le cardinal se porta vers la tâche d'organisation indispensable avant d'en venir à l'exécution des grandes œuvres qui devaient occuper sa courte carrière. Il adressait alors au cardinal de Bérulle une de ces lettres qui attestent la fermeté et la clarté de son génie : En matière d'État, écrit-il, il faut prévoir et ne pas appréhender tout ce qui parait formidable (n'est-ce pas la recommandation de Napoléon ne pas se faire de tableaux) ? Si quelques personnes avoient vu les grandes affaires qui nous ont passé dans les mains ès diverses faces qu'elles se sont présentées plusieurs fois, ils auroient pensé tout perdu ; et, cependant, en méprisant par jugement et avec raison tous ces périls apparents, tout est venu à un point qu'on n'eût osé espérer[4]. C'est dans cet esprit qu'il aborde les différents problèmes dont la solution permettra de réaliser ses grands projets sur le dehors : le problème de la discipline nationale et de l'organisation civile, le problème de l'armée, le problème des finances.

Or, il se trouvait précisément que ces trois problèmes agitaient en ce temps l'une des provinces du Royaume, la Provence.

La Provence, en raison de son éloignement de la capitale, du caractère turbulent de ses peuples, de l'antiquité de ses privilèges, jouissait d'une sorte d'autonomie qui, plus tard, à l'époque révolutionnaire, devait se formuler encore en ces termes : Nous sommes, non une partie de l'État, mais un co-État. En outre, la Provence se sentait forte du fait qu'elle avait pour gouverneur et amiral de la Méditerranée, le duc de Guise, héritier de cette grande maison de Lorraine qui avait pensé, un jour, à se substituer aux Capétiens sur le trône de France, mais qui avait fini par se rallier à la dynastie légitime en ramenant Marseille et toute la côte méditerranéenne sous l'autorité royale.

La Royauté n'avait rien oublié : elle avait l'œil sur ce pays dont la langue, les coutumes, les traditions différaient de celles de la France du nord. Les commissaires, envoyés extraordinaires, intendants, s'y succédaient presque sans interruption. La liste en remonte jusqu'à Antoine Séguier, surintendant de la Justice en 1576.

Une nouvelle agitation fut soulevée dans ce pays, momentanément apaisé, par le renouvellement, en 1629, de l'édit des Élus, qui dépouillait les États et le Parlement d'Aix de leur autorité financière, en attribuant aux agents royaux la perception des impôts. Un mouvement d'exaspération et de révolte emporta comme un tourbillon toutes les autorités provençales, la bourgeoisie, le peuple lui-même. L'édit portait atteinte à la vieille autonomie de la province : on invoquait contre ses prescriptions le testament de Charles d'Anjou, dernier comte de Provence de la maison d'Anjou, issu des rois de France. On publiait un Discours contenant sommairement l'estat de la Provence avant la naissance de Jésus-Christ et après, sous les Empereurs romains, Rois goths, Rois de France et comtes audit pays, et les raisons pour lesquelles Sa Majesté Très Chrétienne est très humblement suppliée d'y laisser vivre ses sujets dans leurs anciennes libertés, privilèges, franchises et conventions par L. S. D. N. G. P. — le sieur Jean Augustin d'Andréa de Nibles, gentilhomme provençal[5].

Après les écrits, les actes. Une relation des faits arrivait à Paris et Richelieu dictait au secrétaire Cherré ces notes haletantes : Coriolis, La Roque, auteurs de la sédition. — Coriolis : Peuple ! armez-vous ! Il faut tuer tous ceux qui voudront établir les Élus !Premier conseiller : Souffrirez-vous les Élus ? Il faut tout tuer et habiller de jeunes hommes en femmes. — Flotte, conseiller : Il faut mourir la pique à la main. Le Goier : même langage. — L'avocat Cormis : Le Parlement s'en mêlera. —  L'Assemblée de la noblesse : Six nobles députés veulent lever les gens de guerre. Sur le point de précipiter l'effigie du Roi et battre les prêtres qui prioient pour lui.

Les notes se terminaient sur ce programme d'action : Ajournement personnel contre les consuls d'Aix, contre la noblesse ; arrêts contre les syndics ; les six députés mandés à Paris par lettres de cachets ; qu'ils viendront. Contre Coriolis, La Roque, Perier, Flotte, Goier, ajournement personnel et ordres. Tirer le Parlement d'Aix de la province. Envoyer la Cour des Comptes à Toulon. Six régiments dans la province. A craindre désobéissance ou plus grande rébellion. Ni l'un, ni l'autre si M. de Guise sert bien[6].

Comme on le voit par cette dernière ligne, il y avait un dessous. Sans insister sur les querelles de parlementaires et de privilégiés, pain quotidien des dissensions locales[7], le calme de la province dépendait de l'attitude qu'allait prendre le gouverneur, le duc de Guise.

Richelieu sait à quoi s'en tenir. Nous le voyons dans ce qu'il écrit, le 1er février 1630, à Bullion qui se propose pour accommoder le différend. Le ministre avait, dès 1627, fait consacrer par un édit royal sa résolution de concentrer entre ses mains les choses de la marine, et voilà précisément ce qui faisait douter des sentiments du gouverneur au moment où les privilégiés, et le peuple, à leur instigation, se prononçaient contre l'édit établissant les Élus[8]. Nous avons dit à quel point Richelieu se préoccupait de l'infériorité navale de la France. L'exécution de ses desseins au dehors, qu'il s'agit de l'Angleterre ou de l'Espagne, qu'il s'agit de la guerre ou du commerce, dépendait, à ses yeux, de la création d'une flotte capable de dominer dans les eaux françaises. Il avait vu, au cours du siège de La Rochelle, l'autorité du Roi balancée sur mer par la rébellion d'un Soubise ou bien encore subordonnée au concours, ou à la simple abstention des flottes hollandaise, anglaise, espagnole. Le cardinal, ayant seul compris la grandeur du mal, se sentait seul capable de le guérir. Et c'est pourquoi il s'était fait attribuer les fonctions de grand maitre de la Navigation, fonctions qui lui mettaient en mains un pouvoir quasi dictatorial.

Mais, il se heurtait, une fois de plus, à l'une de ces situations acquises qui s'opposaient à l'unification de la France : le duc de Guise, gouverneur de la Provence, détenait, comme amiral des mers du Levant, une charge dont il n'avait à répondre que devant le Roi en personne, de même que le duc de Montmorency en qualité d'amiral de France et de gouverneur du Languedoc.

Richelieu, engagé dans l'affaire d'Italie, voyait, suivant ses propres expressions, combien le service du Roi requéroit que la mer fût toute en une main, afin que son nom fût en peu de temps redouté sur cet élément autant qu'il l'était sur la terre ; d'autant que, si ce beau différend étoit vidé, les affaires d'Italie iroient bien autrement qu'elles n'alloient en cette occasion. Car il étoit vrai que, de tous côtés d'Italie, on mandoit qu'un armement de mer effectif y eût fait merveille alors, n'y ayant pas en tous les États d'Italie tenus par le roi d'Espagne, autres que Milan, cinq cents soldats, Spinola ayant tout fait venir à lui, ce qui n'eût été s'ils eussent craint du côté de la mer[9].

En plus, le cardinal avait toute raison n'appréhender, comme de prochains événements allaient le prouver, le danger d'une offensive espagnole sur les côtes de Provence. Double raison d'en finir avec un système vieilli, sans ressort et sans âme.

Guise n'opposait pas aux nouvelles décisions royales un refus absolu. Il eût consenti à un arrangement ; mais il réclamait du Roi, pour la cession de sa charge, une somme de trois cent mille écus comme récompense. Le cardinal prenait très mal une telle exigence. Il répondit qu'il faudrait qu'il eût perdu le sens pour y entendre ; que Sa Majesté avait trop affaire d'argent ès choses plus importantes pour qu'il voulût lui conseiller de lui donner trois cent mille écus pour les droits qu'il prétendait avoir à une simple partie d'une charge... Et il refusait net.

Ce débat d'argent se greffant sur la mesure si impopulaire de l'établissement des Élus, la province se rebella. C'est ce qu'on appela la révolte des Cascavéou ou des grelots, du fait qu'un des parlementaires, Paul de Joannis, seigneur de Châteauneuf, avait dit, en pleine assemblée des privilégiés, qu'il se chargeait d'attacher le grelot (cascavéou en provençal).

Richelieu avait sa procédure toute prête : il enverrait des intendants. Dès le début de 1630, MM. d'Aubray et La Potherie étaient désignés en qualité d'Intendants de la Police, Justice et Finances en Provence pour informer sur les remuements passés.

On disait passés ; mais les troubles étaient loin d'être apaisés. D'Aubray arriva à Tarascon au mois d'avril 1630. Guise était dans la province, à Orgon, avec quelques gens de main, Castellane La Verdière, Forbin La Barben, etc. L'affaire se compliquait à la Cour : c'était le moment où Richelieu avait tant de raisons de trouver toute chose et toute personne suspectes. Nous avons vu l'un de ses confidents, Bullion, futur secrétaire d'État aux Finances, s'entremettre et défendre les prétentions du duc de Guise. Le 25 juillet, Marillac, garde des Sceaux, adressait à Richelieu une lettre ambiguë par laquelle en somme, il plaidait la cause du duc, soutenue, d'ailleurs, par tout le parti de la Reine mère : Monsieur de Guise fait espérer que les gens de la Chambre (de Grenoble, car le mal s'étendait jusque dans le Dauphiné), rentreront dans leur devoir. C'est, à mon avis, une pénible affaire et en mauvaise saison. Sans se découvrir encore, il prenait position contre le cardinal[10]. Aubray répond : M. Sanguin m'a dit que M. de Guise avait tout gâté, non toutefois, comme il croit, par mauvais desseins, mais par mauvaises manières et violences, car il dit qu'il avait envie de faire réussir l'affaire. Il a assemblé les États, ce qui a tout gâté, pour le regard des élections. Il y a eu sédition en deux endroits[11].

Il faut dire que, dans les mêmes temps, un mal affreux, la peste, s'abattait sur la province. A partir de juin 1629 et au cours de l'hiver 1629-1630, ce sont d'affreuses hécatombes décimant la population. Ce qui se passe à Digne, où l'on enferma les pestiférés dans la ville empoisonnée, ce qui se passe à Aix, où périrent, dit-on, douze cents personnes, ce qui se passe à Toulon, à Marseille, est au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer. Il vaut mieux tirer le voile.

Et la politique continue à sévir ! Le pauvre Guise se débat, mais il est pris au piège, à son propre piège. Tout tourne contre lui, la marine, les finances, les élections, la Cour, son nom même. Comment avec ses attaches, ses origines ligueuses, ses femmes à la Cour, familières de Marie de Médicis et d'Anne d'Autriche, pourrait-il se dégager de la cabale ?

Eut-il, comme il parait l'avoir eu, le pressentiment de ce que son attitude suspecte lui attirerait ? La pente était glissante : il s'y engage. Dans un entretien avec le cardinal de La Valette, le duc profère mille extravagances, qui le font taxer de fou par son interlocuteur et dont, le 30 juillet 1630, Bouthillier confident intime de Richelieu, rend compte à celui-ci : Entre autres choses, ce bon seigneur a dit à M. le Cardinal de La Valette, comme à moi, que vous le vouliez perdre... Il refuse de voir les huissiers que Richelieu, grand maître de la navigation, lui envoie au sujet de sa charge d'amiral du Levant, il dit : qu'il ferait tuer par ses gardes[12] les huissiers qui donnent les exploits. Voilà maintenant, qu'on met la Reine mère sur le tapis : Qu'il avoit dit à la Reine, en passant à Lyon cette dernière fois, qu'on lui avoit prédit par son horoscope qu'il devoit être disgracié cette année ; sur quoi, la Reine lui ayant demandé : Par qui ? il lui avoit répondu : par ceux qui ont fait disgracier Votre Majesté, par gens de faveur. Gens de faveur ! Trait direct et empoisonné. La robe rouge n'oubliera pas.

Et, c'est au Roi, maintenant, que l'imprudent s'attaque : Il a dit que chacun trouveroit étrange si l'on perdoit un homme qui toute sa vie a rapporté ses actions au Roi. — Vous remarquerez, ajoute de son chef Bouthillier, qu'il ne lui a point parlé (au Roi) de tout ceci, n'ayant osé, sans doute à cause de son mauvois procédé, que Sa Majesté ne savoit pas, et je ne l'ai su, encore très particulièrement, que d'hier. C'est Mme votre nièce qui m'en a mandé la plus grande partie.

La nièce, cette Mme d'Aiguillon que la Reine, à ce moment même, entend chasser de sa présence ! Je m'assure, poursuit Bouthillier, que, la première fois qu'il verra le roi, Sa Majesté lui fera reproche de cette action, lui disant qu'il n'avoit eu garde de lui en parler, parce qu'elle n'étoit pas bonne... La force de la vérité l'a fait accuser lui-même. Madame sa sœur le blâme, à ce que m'a dit Madame votre nièce.

Ainsi jetait-on de l'huile sur le feu, tant on se croyait assuré de l'appui du Roi. L'appel est devant la conscience royale : voilà comme ces difficiles affaires aboutissent à ce tribunal qui n'a lui-même d'appel que devant Dieu !

Bullion rentre timidement dans le jeu ; il a reçu sur les ongles, et se fait petit maintenant. Dans une lettre du 26 août 1630, il raconte un entretien que la Reine, à la demande de Guise, aurait eu avec le Roi ; elle aurait essayé, d'abord, de discréditer le cardinal en raison de ses derniers insuccès. Le roi aurait répondu : Le cardinal n'est pas Dieu et il n'y a que lui seul qui ait pu empêcher ce qui s'est passé ; mais quand ce serait un ange, il n'a pu avec plus de prévoyance et de prudence, pourvoir à toute chose comme il a fait et il faut que je reconnoisse que c'est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu... A ce discours, les paroles se sont arrêtées sur les lèvres de la sœur de Guise, qui était près.de la Reine...[13] En fait, le juge suprême a d'avance prononcé le verdict.

Guise ne sait plus par où sortir d'embarras. Les troubles s'aggravent dans la province. D'Aubray et La Potherie sont prolongés dans leur commission d'intendants[14].

Mais voilà qu'un coup soudain de la fortune va tout tenir en suspens. Le roi est pris à Lyon de la maladie qui le met au bord de la tombe (22 septembre). On sait la lutte qui s'engage autour du chevet royal et le péril que courut le cardinal de Richelieu. Le duc de Guise arrive à Lyon le 4 octobre, une décision royale le désigne pour commander l'armée chargée de réprimer les troubles de la ville d'Aix et de s'emparer des rebelles[15]. Est-ce un signe de rentrée en faveur ? Faut-il reconnaître dans cette mesure un piège machiavélique tendu au gouverneur par le cardinal ? Ou le duc réprimerait la rébellion et alors il perdrait l'affection de la province ; ou' il pactiserait avec elle et il se perdrait auprès du Roi.

Quoi qu'il en soit, l'abcès intestinal creva ; le Roi guérit. Richelieu conserva sa confiance et le pouvoir. Le 19 octobre, le Roi put se faire transporter en litière à Roanne ; il descendit la Loire jusqu'à Briare, où il monta en carrosse polir regagner Paris[16].

Or, le 23 octobre, Aubray qui est resté à Lyon, écrit au cardinal : Les mutins d'Aix ont brûlé un fantôme de paille portant une inscription du marquis d'Effiat (surintendant des finances). Le Parlement, enchérissant sur tant d'extravagances, a interdit par arrêt au sieur de La Barben d'exercer ses fonctions de gouverneur d'Antibes. On parle de rassembler les États à Aix pour appuyer ces désordres. On ne pourra rien espérer de bon, tant que l'on n'aura pas mis hors la province les mutins du Parlement[17]. Et il se hâte de rejoindre Aix.

On crut un instant que son arrivée materait les esprits : il n'en fut rien. La fin de l'année 1630 voit grandir le désordre. Aubray, qui s'était attaché à la fortune des Marillac, est rappelé à Paris pour rendre compte. On laisse à Aix La Potherie, qui semble-t-il, perd la tête et qui supplie Servien qu'on lui envoie des instructions[18].

De quoi s'avise-t-on, à Paris, pour sortir de cet imbroglio ? D'opposer à un grand un grand, à un duc un prince, à un prince de Lorraine un prince de Bourbon. Condé devient, non sans profit, le séide du cardinal et le défenseur de la cause royale ; l'autorité du gouverneur dans sa province sera dominée par celle du prince, commandant en chef de l'armée royale : diviser pour régner.

Servien écrit à La Potherie (janvier 1631) : Le Roi ayant résolu d'envoyer Monsieur le Prince en Provence pour avoir le commandement de l'armée qu'elle y fait passer... les dépêches à vous adressées seront inutiles, de sorte que vous avez à me les renvoyer[19].

Au duc de Guise, le Roi écrit que, dans son mécontentement de ce qui se passe, il envoie Monsieur le Prince avec une armée. Le secrétaire d'État, au moment de sceller la lettre, ne manque pas de viser l'humeur que vous connaissez de Sa Majesté à se roidir davantage de n'accorder aucun pardon avant l'arrivée de Monsieur le Prince. Et les ordres suivent le 9 janvier, encore adressés au duc de Guise : il devra pacifier la Provence, défendre toute espèce d'assemblée ; ne céder rien avant l'arrivée de M. le Prince. Cette révolte m'afflige et me déplaît si fort, écrit Louis XIII, que si les forces que je vous ai données à tous deux n'étaient suffisantes pour la prévenir et pour la faire cesser, il n'y a point d'affaire ni de rigueur de saison qui m'empêche d'y aller en personne. Monsieur le Prince part avec commandement du roi d'exprimer les éloges du Roi aux intendants[20]. Il n'est pas arrivé que, déjà les mesures de rigueur se multiplient : interdiction de la réunion des États, arrestation du sieur d'Antelmy, député du Parlement de Provence, prise à partie du duc de Guise, qui devra répondre de ses agents[21].

Guise est acculé. Bullion prévient le cardinal que le duc refuse de rencontrer Monsieur le Prince, de peur qu'on ne lui joue un mauvais tour. Que l'on prenne garde ! Il est décidé à pousser les choses à l'extrême. C'est alors que Guise se jette sans faux semblant dans la cabale de la Reine mère et de Monsieur[22]. Cependant on constitue à Paris le dossier du pauvre grand en train de devenir un si petit personnage !

Les principaux fauteurs de désordre avaient été convoqués à Paris pour exposer leurs doléances et pour implorer la clémence royale. C'étaient les présidents d'Oppède, de Séguiran, de Gallifet, le procureur général Guérin, etc. Les plus violents furent mis à la Bastille, ce qui calma les autres.

L'arrivée du prince de Condé avec six régiments n'avait pas été sans contribuer à ce résultat. Le plus acharné de tous, Coriolis, président du Parlement, avait fini par se livrer aux commissaires. On prend note de sa confession qui, selon l'usage du temps, sent un peu la trahison : Par ledit procès-verbal, ledit sieur président déclare que, pendant les mouvements et séditions arrivées en Provence, M. de Guise lui envoya un gentilhomme de sa part pour lui dire qu'ils fissent ce qu'ils voudraient à Aix et qu'il ferait l'aveugle et le sourd[23]. M. de Saucourt (Soyecourt) dépose, lui aussi, contre le duc de Guise[24].

Nous sommes en juillet 1631. A Paris, les événements se sont précipités. La Reine mère s'est enfuie en Belgique. On laisse à peine au duc de Guise le temps de respirer : Louis XIII lui écrit, le 23 juillet, des lettres portant commandement, de venir trouver Sa Majesté sur le sujet de la sortie de la Reine mère, hors du royaume, ces lettres sont envoyées par le sieur Lépine chargé des exécutions de police du cardinal.

Guise a compris. Il demande au Roi, comme une grâce, l'autorisation de quitter le Royaume ; et il reçoit, le 23 août, une lettre adressée au Sieur de Guise, portant permission d'aller à Lorette et à Rome, sur l'instance qu'en fit Madame de Guise[25]. Il pourra y faire ses dévotions.

Richelieu écrit à Bullion avec une ironie supérieure : Le Roi a pris cet expédient pour témoigner de plus en plus sa bonté en s'accommodant à l'infirmité de ceux qui ont le bonheur et l'honneur de vivre sous son règne[26].

Toutes précautions sont prises, d'ailleurs. Le 31 août, le Roi écrit aux habitants de sa bonne ville de Toulon pour leur donner avis de l'autorisation donnée au duc de Guise de se rendre à Rome ; mais il est bien entendu que, si le duc demeure encore quelque temps en Provence, on ne lui obéira pas comme gouverneur, puisque ses pouvoirs lui ont été retirés[27]. Les autres villes de la Provence reçoivent un même avertissement.

Voilà un gouverneur, un grand, un Lorrain, révoqué sans autre forme de procès, comme un simple fonctionnaire. Il mourra entièrement oublié à Florence, en 1640.

Dans la province elle-même les dernières résistances sont tombées. Le Parlement d' Aix a reçu l'ordre de se retirer à Brignoles, la Cour des comptes à Saint-Maximin, le bureau des trésoriers généraux à Pertuis et les officiers du siège à Lambesc. Aubray et La Potherie exercent avec une sévérité insigne les pouvoirs judiciaires exceptionnels que leur confère leur commission : parmi les rebelles, les uns- sont condamnés au bannissement, les autres aux galères, plusieurs à la peine de mort. Les plus compromis, comme Coriolis, se sont enfuis ; et celui-ci s'en ira mourir dans une grande misère, donnant des leçons de droit à Barcelone.

Qui donc a fait respecter ainsi l'autorité royale ? Les intendants. On a une lettre de La Potherie qui conclut en ces termes : L'affaire du duc de Guise est si bien finie, qu'il a honteusement échoué dans une tentative qu'il a faite de venir aborder aux côtes de Provence. Il n'y a plus qu'à faire enregistrer au Parlement l'édit de suppression de la charge d'amiral du Levant.

Fin des troubles de Provence. — Bienfaits de l'administration royale.

Le nouveau gouverneur, M. de Vitry, l'exécuteur du maréchal d'Ancre a été reçu avec grand applaudissement, écrit l'intendant, et la province est en état à présent que tout ce qui viendra de la part de Sa Majesté y sera bien reçu, pourvu qu'on y fasse régner la justice (par les intendants, bien entendu) et qu'on y punisse les auteurs des désordres et des rébellions.

Vitry, fils du capitaine des gardes de Henri IV, lui-même capitaine des gardes de Louis XIII, est, d'après Aubray, un homme royal, s'il en fut. Sa manière n'est pas la manière douce, on le sait assez. Il fait entendre jusqu'à cette extrémité du Royaume la parole de la discipline et de l'ordre. Voici comment il s'adresse aux États tenus à Brignoles pour qu'ils comprennent une bonne fois ce que représente la nouvelle autorité royale : Le feu Roi, dit-il, quelque grand qu'il fût, n'avait pas joui d'une telle autorité... Sa Majesté, ayant fait boire les chevaux de son armée librement dans le Rhin, a poussé les limites de son État jusque lit... de sorte que, tout le revenu de son État, étant absolument destiné pour vous garantir contre les ennemis domestiques ou étrangers, pour vous seuls et pour vous-mêmes, j'ose croire que vous ferez en cette occasion tout ce que doivent de bons François, etc. Et voici comment il s'exprime au sujet du cardinal : Ces événements sont principalement dus à M. le Cardinal ; je crois que cette compagnie lui en saura gré et considérera, comme toute la France, qu'il consomme sa vie jour et nuit dans les soins du gouvernement de cet État, chacun jouissant, sous la réputation du Roi et ce labeur, du repos et de ses aises en sa maison paisiblement[28]. La leçon est donnée ; mais sera-t-elle comprise, admise, acceptée ?

Les intendants, ayant joué leur rôle de police et de justice entrent, maintenant, dans leur rôle d'organisateurs, de pacificateurs, d'administrateurs délégués par la volonté souveraine.

Richelieu a interrogé ses agents sur ce qu'il y a à faire pour que la province entre délibérément dans la vaste entreprise nationale de défense militaire et navale, en fournissant à l'État les sommes nécessaires pour assurer l'indépendance et l'avenir du pays en même temps que le bien-être de ses populations.

Dès 1631, ont été adressés à Paris une série de rapports par lesquels l'intendance met le gouvernement central en situation de se prononcer sur les mesures à prendre pour la sécurité et le développement de la province. Si on les publiait, ils éclaireraient d'une lumière nouvelle les conditions dans lesquelles s'est accomplie l'évolution radicale de l'histoire de France à cette époque. On y trouverait une première esquisse de ce qui se développera (avec quelle lenteur !) au cours des siècles postérieurs. D'abord, la défense et l'organisation du territoire.

En vue d'une invasion, soit espagnole, soit italienne, on procède à une révision minutieuse des points fortifiés ou à fortifier. Sur la côte : Antibes, Toulon, Château d'If, Tour de Bouc, les Iles.

Marseille n'est forte que de peuple ; mais en la traitant doucement, il ne faut rien craindre. Embrun, Sisteron, Tournon, Avignon, Tarascon, Arles très affectionnées au service du Roi. Dans les environs, il n'y a point de place qui puisse soutenir un siège que les Baux. Aix est peuplée, mais ne se peut défendre. A Brignoles, Draguignan, Martigues, tout est à faire ; En remontant le cours du Rhône : N'y ayant que cinq lieues du Rhône aux montagnes il n'y a quasi rien qui ne soit fermé ; peu de maisons à la campagne et quasi point de villages, où on ne trouve rien ; d'autant que les grains et les vins se conduisent aux villes, d'où les gens de la campagne viennent quérir le pain et le vin deux fois la semaine ; et cela est cause que les troupes ennemies y peuvent difficilement subsister, d'autant qu'il faut partout combattre pour avoir du pain.

Sans suivre l'exposé dans son détail parfois minutieux — par exemple, le désordre des moines à Saint-Honorat, la seule abbaye de France qui dépende de l'Italie, avec un revenu de vingt mille écus pour trente religieux —, comment ne pas signaler l'énorme dossier consacré à l'avenir maritime de cette côte abandonnée et pourtant si exposée aux entreprises de l'ennemi ?

Dans un morceau d'une prévision admirable sur l'avenir du port de Toulon et sur l'avantage qu'il y auroit à en faire le grand port militaire de France en remplacement de Marseille, la suite des raisons est fortement déduite. C'est là assurément, qu'il faut chercher l'origine des grands projets qui se réaliseront ultérieurement. Le mémoire insiste sur l'intérêt qu'il y aurait à veiller à la conservation des Iles d'Hyères, en particulier de Porquerolles et Ribaudeau. Il en revient toujours à son idée maîtresse, à savoir que l'occupation de Toulon en force donnerait une grande sûreté au Royaume[29].

Autorité nouvelle des intendants.

On parle dès lors d'une tentative des Espagnols sur la côte de Provence. Mais, pour le moment, il n'y a rien à craindre d'une descente. L'intendant écrit : La plus grande tranquillité règne dans la province ; s'il reste quelques fauteurs de désordre, on saura les châtier, et si rudement que les autres en prendront exemple. L'armée du maréchal de La Force s'avance pour protéger la province. D'ailleurs, tout le monde s'apprête à résister comme il faut et à faire son devoir[30].

Ne sent-on pas qu'un souffle nouveau fait en quelque sorte tourner l'histoire sur ce gond ? Le Parlement, si fier de ses privilèges, baisse la tête maintenant ; sept mitres des Requêtes ont porté sentence de mort contre le président Coriolis. Et c'est La Potherie qui fait appel à l'indulgence du pouvoir royal. Un arrêt du conseil renvoie les sieurs Raphaélis et Cabassol devant l'intendant, moyennant quoi ils seront déchargés de la comparution personnelle au Conseil[31] ; de même pour les rixes qui ont eu lieu entre les bourgeois de Toulon et les soldats tenant garnison dans ladite ville (14 juillet 1633)[32].

Voici l'intendant érigé en juge à la barbe du Parlement[33] : Interdisons et défendons à tous autres juge... voulons à cette fin que les jugements qui seront par vous ainsi rendus soient exécutés nonobstant oppositions et appellations quelconques.... Donné à Chantilly, le 13e jour l'an de grâce 1633 et de notre règne, le 24e[34].

Ce titre magnifique Intendant de la justice obtient donc son plein et entier effet. Le nouveau magistrat vante maintenant le zèle du Parlement qui l'avait si mal accueilli ; il écrit à Paris que la sévérité devient désormais superflue. Cette parole de clémence met le point final à la période des troubles. L'intendant demande son rappel à Paris.

Le pouvoir central, ayant fait sentir le poids de son autorité, n'abusa pas de son succès. Ayant autorisé la réunion des États à Tarascon, en 1631, il s'était engagé à retirer l'édit des Élus, et à rappeler à Aix les Cours souveraines sous condition que la province concourrait à l'entretien des troupes ; un subside de quinze cent mille livres avait été accordé par l'assemblée. Conformément à cet engagement, l'Édit des Élus, celui des auditeurs des Comptes et des experts jurés furent supprimés par lettres patentes données à Chantilly au mois de juillet 1633.

D'Aubray et La Potherie peuvent dès lors quitter la Provence : si on a besoin d'eux, on les retrouvera. Et, en fait, avant que le règne de Louis XIII touche à sa fin, les événements auront prouvé que les précautions prises par le pouvoir n'étaient pas sans raison.

La Provence menacée. Nouvelle activité des intendants.

De nouveaux dissentiments s'élèveront entre le maréchal de Vitry, gouverneur, et les assemblées provinciales. Le 30 septembre, Vitry écrivait à la Cour pour demander le retour des intendants, et Richelieu faisait répondre que MM. d'Aligre et d'Aubray partaient : ils feront ce qui sera nécessaire, comme s'ils étoient intendants de justice[35].

Sans doute a-t-on déjà vent à Paris du projet qu'ont, cette fois réellement, les Espagnols, la guerre étant déclarée, de faire une descente sur les côtes de Provence. Et c'est ce qui se produit en effet, alors que les forces navales françaises sont à peu près réduites à rien en Méditerranée. Il y a quinze jours déjà que les Espagnols, profitant de cette insuffisance, ont enlevé les îles de Lérins. Tandis que leurs galères canonnent le fort de la Croisette, les assemblées continuent à discuter au lieu de voter les subsides indispensables. Il faut appeler la flotte et les armées de l'océan ; elles seront ravitaillées et soutenues par les contributions locales. Aidées par les milices, elles parviendront, mais en 1637 seulement, à chasser l'ennemi, à reprendre les lies et à purger les eaux françaises.

Vitry, absorbé par les querelles de préséance avec Sourdis et avec les chefs envoyés de Paris, n'a su agir ni promptement ni efficacement. Il sera appelé à Paris pour rendre des comptes. Enfermé à la Bastille, il n'en sortira qu'après la mort du cardinal de Richelieu[36].

Il fallut d'autres événements et, finalement, un bouleversement complet du régime, pour que la France pût réaliser à l'intérieur sa totale unité. Par l'organe de ses intendants, Richelieu avait fortifié les liens qui attachaient au centre cette âpre et lointaine Provence ; s'il n'avait pas pu les serrer à bloc, du moins avait-il paré au plus pressé et protégé cette région contre une négligence et un esprit turbulent invétérés.

En attendant que la victoire consacrât ses efforts, la France avait pu, du moins, tenir tête à une Europe hostile ; elle avait pu organiser à Toulon et sur les passages des Alpes une puissance défensive capable de protéger le pays, d'assurer son indépendance et le développement de sa prospérité.

 

2. — D'Argenson dans l'ouest et le sud-ouest.

Nous voici en présence d'un homme de main et de sens qui fut, dans le service intérieur du Royaume, le type des bons agents de Richelieu, dévoués à la cause royale.

René Voyer d'Argenson était né sur la fin de la Ligue, en 1596, dans cette Touraine d'où la Royauté, installée sur les bords de la Loire, a recruté tant de familiers pour les élever aux hautes fonctions publiques. D'abord, comme Descartes, il prit les armes et alla servir en Hollande, sous le prince d'Orange ; puis, comme les La Porte et les Bouthillier, il devint avocat, maitre des Requêtes, le premier magistrat de son nom, dit Fontenelle, mais presque sans quitter l'épée.

Ses débuts dans l'intendance furent à l'armée qui assiégeait La Rochelle. Richelieu put apprécier là son intelligence, sa fermeté, son savoir-faire, son sens pratique et il l'éleva peu à peu aux hauts emplois, voyant en lui l'un de ces hommes qui savent servir et obéir sans s'abaisser. Fontenelle écrit encore : Les besoins de l'État le firent souvent changer de poste, mais l'envoyèrent toujours dans les plus difficiles. Il s'introduit dans les grandes affaires civiles par le militaire, comme la plupart des administrateurs de Richelieu.

D'Argenson, intendant des armées d'Italie.

Deux ans et demi après la prise de La Rochelle, il est adjoint, en qualité d'intendant, à l'armée d'Italie, en avril 1630, Dugué lui étant adjoint en qualité d'intendant des finances de la même armée. Avec de tels hommes, le problème si difficile de l'approvisionnement d'une armée manœuvrant dans les Alpes était pour ainsi dire résolu : Pour l'argent, assurément on peut vous dire qu'il ne manquera pas, écrit Richelieu à Schomberg. Messieurs les intendants vous ont acheté quatorze mille charges de blé, on a laissé de l'argent à Grenoble à M. d'Argenson, maitre des Requêtes expressément peur donner ordre aux voitures[37]. Son titre était alors : Intendant de justice, finances et police à Grenoble, chargé de veiller aux approvisionnements de l'armée d'Italie. Toute sa peine, il la consacre au succès d'une entreprise de laquelle dépend la politique du cardinal ; en nourrissant le soldat, il soulage le pays et porte la guerre et ses maux au-delà des frontières[38].

Mais une difficulté surgit qui met en opposition la volonté royale et les intérêts locaux et particuliers. Les ordres de la Cour sont contraires à ceux de M. de Toiras, qui commande en Italie. Le Parlement de Grenoble, comme les autres Cours, n'est jamais en reste de pointilles et difficultés. Il se mêle de l'affaire : Les commis du pays ayant averti MM. du Parlement, qui ont jalousie contre ledit président, qu'ils croient ne pouvoir ni devoir faire la charge de lieutenant de Sa Majesté en leur absence sans leur communiquer de tout, ils se sont fait présenter requête afin que les deux régiments sortissent de la province. Quelle façon d'aider au succès des armes royales !

D'Argenson se tire de cette difficulté, certes non imprévue, en usant de cette habile fermeté qui le caractérise. Il écrit le 17 mai 1.631 : Après les avoir instruits par le peu de paroles que je leur ai dites des raisons qui obligeaient à retenir les troupes pour un peu de temps, ils se sont pleinement portés à remettre la délibération de cette requête jusqu'à mardi prochain[39].

Les choses s'arrangent ; car quelques semaines plus tard d'Argenson écrit à Paris pour demander d'aller reprendre sa place et servir son quartier, comme il dit, ne me voyant plus, ce me semble, nécessaire ici à cette heure que toutes sorties de voitures de blé et de munitions de guerre sont cessées et qu'il n'est plus besoin de rien transporter du tout en Italie.

Mais déjà un autre danger menace, et l'homme avisé le signale : les intrigues de Monsieur agissent dans la région et sur les chefs de l'armée. Il faut y pourvoir.

On le maintient encore quelque temps à Grenoble. En septembre seulement, on le rappelle.

D'Argenson à Paris et dans l'ouest.

C'est que l'on a besoin de lui. La grande affaire des libelles éclate. Richelieu soupçonne tout le monde, voudrait emprisonner tout le monde. C'est l'heure où Fancan est mis à la Bastille (septembre 1631). On fait le procès à de malheureux barbouilleurs de papier : Duval, Senelle, Quesnel, Druon, Guéret. D'Argenson est désigné comme commissaire, c'est-à-dire juge ad hoc, selon l'habitude que l'on prend à Paris de passer par-dessus les juridictions ordinaires, peu sûres et, il faut bien le reconnaître, mal disposées pour le cardinal.

D'Argenson parait tout embarrassé de la mission. Il écrit au cardinal pour lui demander qu'on veuille bien communiquer aux juges les lettres qui ont été saisies sur Senelle : Ce sera, ajoute-t-il, un moyen de punir plus sûrement et plus durement les coupables. Par ces derniers mots, il flatte la passion du cardinal. En somme, il se récuse : Favier et Fouquet sont chargés des interrogatoires.

Mais on n'échappe pas à la volonté du maitre. D'Argenson reste attaché à la pénible besogne. En novembre 1631, en janvier, en juillet 1632, ce sont toujours Quesnel, Druon, Guéret et la suite.

Soudain, en août 1632, une nouvelle volonté du cardinal arrache d'Argenson à ce Paris et à ce quartier qu'il avait tant regretté, pour le rejeter en province. Le 12, il reçoit sa commission d'intendant de la justice, police et finances aux pays de Limousin, Auvergne, etc.

Dans les fonctions de l'intendant, le grand mot de Justice devient le terme principal. Au nom de la Justice, une volonté de fer va, par l'organe de l'intendance, s'appesantir sur les provinces. Le pouvoir ne connaît plus qu'une loi : Qu'on obéisse ! La province devra bien se convaincre qu'on lui enlève toute possibilité de résistance et de rébellion : sa valeur désormais est dans la discipline et l'union.

Le geste symbolique, c'est le raseraient des châteaux. Ces vieilles murailles tombent en même temps que les autonomies féodales et urbaines. Nous verrons bientôt ce qui en advint dans le pays même de Richelieu, à Loudun.

René d'Argenson est envoyé justement dans les provinces de l'ouest, où une sorte de non-vouloir passif s'appuie sur le mauvais vouloir protestant. Ces provinces hérissées de châteaux et où chaque colline se couronne d'une de ces places d'armes qui ont été les refuges suprêmes de la nationalité au temps des Normands et au temps des Anglais, Poitou, Limousin, Auvergne, ont gardé depuis des siècles et ont même conservé à l'heure où ces lignes sont écrites, quelque chose de l'esprit château, je ne sais quel relent de la féodalité.

A peine arrivé, d'Argenson hume le vent et flaire la difficulté. Il écrit d'Aubusson : J'ai appris en passant à Tours que le prévôt des maréchaux était allé vers Loches pour travailler au procès du marquis de Toussy. De là je me suis rendu à Poitiers près de Monsieur le Prince... Je l'ai suivi jusqu'en ce lieu d'Aubusson, où l'on va entreprendre le rasement du château... Mais il sera nécessaire, s'il vous plaît, que l'on m'envoie, à cette fin, une commission scellée, comme j'en donne avis à M. le Garde des Sceaux. En effet, la résistance locale s'organise ; elle a à sa tête ce marquis de Toussy, Sannebeuf, La Motte-Tersans, embusqués comme des sangliers dans leur bauge de la montagne. D'Argenson est partout ; il emprisonne partout ; il démolit partout. Histoire pathétique et qu'il faudrait écrire d'après sa propre relation : conservée aux Affaires étrangères : Relation succincte des choses plus importantes que Jay faites pour le service du Roi et exécution des commandements de Sa Majesté pendant que j'ai été intendant de la justice ès provinces de Touraines, de Berry, de Limousin, d'Angoulmois, de la Marche et d'Auvergne. A la suite, la liste des gentilshommes qui ont été châtiés[40].

La féodalité reçoit un coup dont elle ne se relèvera pas.

D'Argenson de nouveau aux armées.

On se bat sur les frontières ; il faut quitter le centre et l'ouest pacifiés. D'Argenson ne reprendra-t-il donc jamais son paisible quartier ?

En 1635, c'est sa fameuse compétence en matière d'approvisionnements militaires qui est mise à contribution. Le voilà avec Arnaud d'Andilly, intendant attaché à l'armée de Lorraine, commandée par le cardinal de La Valette[41]. Richelieu a toujours la plus entière confiance en lui ; il faut croire que le fonctionnaire s'est endurci ; en effet, le cardinal écrit à M. le Prince au sujet de l'ordre à mettre en Lorraine : On mènera deux coulevrines et quatre d'autres pièces à M. d'Argenson pour faire justice. Aussi j'espère que, dans peu de temps, la Lorraine sera châtiée et nettoyée[42]. La fortune de l'habile homme grandit avec l'influence croissante de son cher parent Sublet de Noyers. On l'envoie sur la frontière la plus menacée, en Picardie. Il y court[43].

En 1657, on lui confie des pleins pouvoirs pour traiter avec ces difficiles États du Languedoc. Il est chargé d'apaiser les querelles entre le duc d'Épernon et le Parlement de Bordeaux. Les passions sont telles que sa longanimité se désespère. Il insiste pour rentrer à Paris reprendre son quartier ; la vie qu'il mène lui est à charge.

Bientôt on l'envoie de nouveau en Italie où il a fait ses premières armes. Mais après trois ans de bons services, il arrive à ce fonctionnaire civil une mésaventure militaire : il est fait prisonnier par les Espagnols. Délivré au bout de quelques mois, en novembre 1640, il est envoyé en Catalogne où il est aux prises avec cette maudite affaire de Fontarabie, dont Richelieu dit qu'elle lui arrache des larmes. Les généraux ont recours à son expérience, le consultent sur leurs plans de campagne. Sourdis lui écrit une longue lettre, minutieusement déduite, pour exposer les raisons que l'on a d'attaquer le Roussillon de préférence à Tarragone[44].

La mort de Richelieu ne mit pas fin à son labeur ni à ses peines. Du moins, il est grandement honoré, consulté, récompensé. De la dépouille de Cinq-Mars, il reçoit la charge de grand bailli de Touraine, qu'avait occupée son père ; ses lettres patentes le qualifient comte d'Argenson ; Louis XIII lui confie les fonctions quasi vice-royales de l'intendance dans les provinces et lies situées entre Loire et Garonne. Mazarin recourt encore à lui en 1646 pour lui confier, sous les ordres du marquis de Brézé, la défense de Toulon. Il devient diplomate, il est chargé de négocier les alliances avec les princes d'Italie. Dans une lettre écrite en 1667, il rappelle à Mazarin l'affection que lui portait le grand cardinal de Richelieu et il dit la fidélité qu'il garde à sa mémoire : Je suis assuré que Votre Éminence sait les gons sentiments que feu Mgr le Cardinal de Richelieu avoit pour moi, puisque Votre Éminence m'a fait l'honneur de me le dire depuis sa mort, et que j'y avoir beaucoup perdu[45]. Il n'y avait rien perdu. Le second cardinal ne pouvait se passer de lui. Tel est le sort de ces fonctionnaires sûrs.

Il a ouvert à son fils, âgé seulement de vingt-six ans, la carrière qu'il a parcourue lui-même. Il est veuf, las. Il entre dans l'état ecclésiastique et reçoit les ordres en février 1651. C'est en vain qu'il essaye de se dérober : les affaires le poursuivent ; elles auront raison de lui. Son fils est désigné pour l'ambassade de Venise, mais sous la condition que le père lui servira de conseiller avec le titre d'ambassadeur. Il. part. Les chaleurs de Venise en été l'accablent. Un jour, pendant qu'il dit sa messe, il tombe. Il fut inhumé dans l'église Saint-Job des dominicains (1651).

Soldat et prêtre, munitionnaire et juge, administrateur, diplomate, philosophe, écrivain, cet homme, dont la mémoire serait oubliée sans l'illustration de la famille qu'il fonda, fut un des constructeurs de la France. C'est le type excellent, hors pair, des serviteurs que Richelieu savait choisir pour agir en son nom et, d'une main parfois bien rude, façonner la France.

 

3. — En Languedoc. — Machault, Particelli d'Hémery, Miron et Lemaitre de Bellejambe.

Les provinces du midi sont, pour le pouvoir central, un sujet d'alarme perpétuel, et elles sont la force de la France : quand le nord fléchit, le midi se lève ; il faut que le gouvernement soit toujours un peu armagnac pour être fort à Paris.

La rébellion, qui avait sévi en Provence en même temps que la peste, devait, comme la peste elle-même, gagner le Languedoc par les pays limitrophes. Richelieu en avait le pressentiment, l'appréhension vive. Et comment se serait-il désintéressé de cet autre rivage du golfe du Lion, de cette barrière pyrénéenne qui encerclait de partout, les débouchés et les frontières du sud de la France, alors que c'était contre l'Espagne que se jouait la partie.

Bien d'autres raisons retenaient de ce côté sa vigilance. Le Languedoc avait pour gouverneur et, peu s'en faut, pour vice-roi, ce duc de Montmorency, pair et maréchal de France, descendant de la plus illustre des maisons du Royaume, personnage jeune, actif, populaire, ambitieux ; mais pas sûr et qui, détenant le titre de grand amiral, ne secondait que mollement les vastes desseins du cardinal en 'matière navale.

Montmorency avait, par l'entremise de Marie de Médicis, épousé Marie-Felice Orsini, nièce à la mode de Bretagne de la Reine mère ; et ce mariage devait avoir la plus grande influence sur sa destinée. Montmorency se trouvait ainsi attaché, en quelque sorte, à la famille royale. Henri IV, son parrain, ne l'appelait jamais autrement que mon fils. Il avait commandé la flotte française au siège de La Rochelle et avait exercé le commandement en chef de l'armée dans la campagne de Piémont. Sa belle conduite à la bataille de Veillane lui avait conquis une renommée d'excellent chef militaire. Louis XIII lui écrivait, au lendemain de cette belle victoire : Je me sens obligé envers vous autant que Roi puisse l'être.

Richelieu paraissait avoir en lui la plus grande confiance. On assure, cependant, qu'il y avait, de l'un à l'autre, comme une sorte d'antagonisme latent. Le cardinal n'avait sûrement pas mis dans ses programmes politiques la grandeur des Grands.

Une autre raison encore le portait à surveiller de très près la province lointaine qui avait Montmorency comme gouverneur. Le Languedoc était pays d'États et, à ce titre, il échappait, tout au moins en ce qui concernait les impositions, à l'autorité directe du Roi. Or, Richelieu avait des idées arrêtées sur ce point et, comme nous l'avons vu par ce qui se passait en Provence, il ne se trompait pas sur les obstacles qu'il rencontrerait, s'il en venait à l'exécution de son projet : faire du plus puissant des pays d'États, un pays d'Élections, ce n'était pas une petite entreprise.

Aussi avait-il envoyé de bonne heure en Languedoc, avec le titre et les fonctions d'intendant, un de ses hommes de confiance, un homme qui avait fait ses preuves en Savoie et que nous retrouverons partout dans la suite du règne et jusque dans le règne suivant, Particelli d'Hémery[46]. Il n'avait d'ailleurs, au début, qu'un rôle de surveillance. Richelieu réservait pour un coup de force, s'il y avait lieu, un homme plus engagé, plus compromis, un tapedur, Charles de Machault, seigneur d'Arnouville. Autre type, mais, celui-ci véritablement atroce, de ces gens de main qui avaient conquis à ; la force du poignet la confiance du cardinal.

Dès le mois de juillet 1622, la pénurie du trésor avait amené le gouvernement royal à créer des Élus en titre d'office dans les vingt-deux diocèses du Languedoc. La création n'était donc pas de Richelieu. Nous avons vu quel accueil fut fait au système de régalement des impôts par les agents directs du pouvoir, tandis que cette fonction appartenait antérieurement aux États du Languedoc, le vote des impôts étant le privilège de cette assemblée. La mesure rencontra une telle opposition, en 1622, que le gouvernement d'alors, ayant pour système, non l'emploi de la force, mais le recours à la douceur, supprima les Élus.

Lorsque Richelieu se sentit maitre du pouvoir, les choses changèrent. Toujours à court d'argent, il en revint à l'installation des Élus et à l'abolition du privilège fiscal dont jouissaient ces provinces éloignées. Au mois d'octobre 1632, les États furent mandés à Béziers et le Roi, voulant donner une nouvelle forme au département et à la levée des impositions et les rendre fixes à l'avenir, fit publier l'édit de Béziers qui, de la propre autorité royale, fixait le don gratuit à 1.050.000 livres, sans compter les dépenses de la province. Pour la perception, les Élus étaient rétablis.

D'Hémery, par une correspondance, qui est tout entière conservée dans les papiers de Richelieu, signalait au cardinal l'émotion produite dans la province[47]. Le bruit commençait à se répandre que Montmorency allait se rallier à la cause de Gaston. D'Hémery reçut l'ordre d'arrêter le gouverneur. Mais celui-ci, ayant surpris le courrier de l'intendant, fit saisir l'intendant lui-même et faisait arrêter l'autre commissaire royal, Miron.

La coupe était pleine. Richelieu expédia au Languedoc,, avec le titre d'intendant, l'homme dont il avait apprécié la brutale énergie, le fameux Machault.

Maître des Requêtes dès 1619, Charles de Machault était d'une-famille de robe ; il avait épousé une fille de Le Fèvre d'Ormesson. Il était allié aux Villemontée et appartenait ainsi à ce groupe des serviteurs du pouvoir dont Richelieu faisait son séminaire d'hommes nouveaux. Les Machault étaient, de père en fils, catholiques, ligueurs, ayant, de tradition, des fils et des parents dans la Compagnie de Jésus. Le Père Garasse-raconte une singulière aventure arrivée à un Machault qui voyageait avec le Père Voisin, personnage plus que suspect ; et l'Étoile, qui ne se gêne pas, cite un autre Machault, Père et, dit-il, vipère, Jésuite en 1610. C'est sans doute, l'ami du Père Voisin. Un fils de Machault devait, par la grâce de Richelieu, devenir évêque.

Comme maitre des Requêtes, Machault avait été l'un des juges de Chalais. Puis on l'avait envoyé en Bretagne comme surintendant de la marine et du commerce (janvier 1627). Là il s'était fait la main dans les affaires de l'amirauté, auxquelles le cardinal attachait tant de prix. Il ne se laissait pas oublier, écrivant un peu à tout le monde, surtout aux secrétaires d'État[48]. Il s'impose ; mais la province lui fait grise mine : le Parlement de Rennes donne, en février 1627, un arrêt qui ôte à M. de Machault tout pouvoir de servir le Roi.

Notre homme ne s'émeut pas ; il tient tête à cette autorité parlementaire si assurée d'elle-même, mais si faible quand elle engage la lutte contre le pouvoir, et il n'hésite pas à faire enlever nuitamment du logis et envoyer à la Bastille pour des raisons mal éclaircies un conseiller à la Cour[49]. Il mâte ainsi une résistance qui, d'ailleurs, eut pour effet de le rendre au cardinal, qui songeait à lui, en vue d'une mission autrement importante et difficultueuse. Selon l'observation de l'historien des intendants de Bretagne, commissaire extraordinaire après tant d'autres, il accoutumait les Bretons à voir se régler d'importantes affaires autrement que par des officiers réguliers et préparait la venue d'un commissaire extraordinaire permanent[50].

L'arrivée de Machault en Languedoc se signala par un fait qui affirmait, du premier coup, sa manière : il envoya soixante-quatre soldats à la potence et plus de trois cents aux galères, comme étant du parti du duc de Rohan et ayant été faits prisonniers par Montmorency près de Nîmes[51]. Dom Vaissette établit la liste imposante des châteaux qu'il fit démolir dans la province. Il ne s'en tient pas aux démolitions : à Aymargues, à Uzès, il prend à cœur les conversions. Dès 1630, il se vante d'une tournée dans le haut Languedoc qui sent d'avance lés dragonnades. Il a flairé le dissentiment latent entre le cardinal et le gouverneur et il adresse au cardinal de grandes plaintes contre les gens de guerre de MM. de Montmorency et de Ventadour : Ils ont tellement volé le pays et tant fait d'extorsions, et la plupart des compagnies (c'est-à-dire les juridictions), sont si faibles que je n'oserois vous en donner aucune bonne nouvelle[52].

Tout lui est gibier de potence. D'ailleurs, sa réputation est faite[53]. Il a reçu, dès lors, le sobriquet de coupe-tête, qu'il léguera aux futurs révolutionnaires. On le déteste et il ne se fait, à ce sujet, aucune illusion ; il y met même quelque modestie : Je ne sais si c'est pour me flatter, mais de trois endroits, j'ai avis qu'il y a entreprise, au même instant que quelque rébellion voudra éclater, de m'assassiner. Je ne me crois pas assez utile au service du Roi pour me donner cette vanité d'appréhension, pour ce qu'il se pourroit trouver plusieurs qui le pourroient mieux que moi.

Il se plaint d'être mal assisté par le prévôt du Languedoc et toute sa compagnie et demande si l'on ne pourrait pas envoyer à sa place un lieutenant de connétablie avec quelques archers bien payés : Ils feroient régner justice, dit-il, et si quelqu'un s'échappoit, je l'aurois bientôt mis à couvert. Le 15 août 1630, il demande la prolongation de sa commission pour les démolitions, exécutions de l'édit (de Béziers) et autres affaires du Roi.

On ne la lui fait pas attendre. Les troubles éclatent en février 1631 et il renseigne aussitôt Paris. C'était la crise des États et des Élus. A Paris, craignant de pires maux, à une époque particulièrement trouble (septembre 1631), on cherchait un accommodement et on offrait de remplacer les Élus par des commissaires au département des tailles ; mais, dans la province, ce biais, loin de satisfaire les protestataires, rendit suspect Montmorency lui-même.

Le mal s'étend, mais ne lasse pas la vigilance de l'intendant. Dès le 2 juin 1631, il avait averti Richelieu que les gentilshommes du Vivarais s'étaient réunis en plusieurs conciliabules secrets, défendant aux paysans de payer la taille. Il craint qu'on ne l'ait calomnié auprès du cardinal ; on l'aurait accusé de s'opposer à l'établissement des Élus. Richelieu le rassure et lui renouvelle sa confiance.

Aussitôt, en bon fonctionnaire, Machault demande de l'avancement, des gages plus élevés, non sans faire valoir ses mérites et grossir les maux auxquels il est seul apte à porter remède : Je prendrai la hardiesse, écrit-il, de vous dire, avec la vérité que je dois au service du Roi et au vôtre, que la misère du peuple de ces quartiers (Bagnols) est si grande que leur légèreté et facilité est à craindre... Je ferai le possible pour les maintenir dans l'obéissance... Et, tout de suite, il pose sa candidature à la charge de premier président au Parlement de Toulouse, vacante par la mort du titulaire.

Cependant les affaires se compliquaient. Richelieu, poursuivant son dessein, créait un siège de l'amirauté en Languedoc et il assénait à Montmorency le même coup qui avait frappé Guise.

Le Languedoc se soulève comme s'était soulevée la Provence (octobre 1631). D'autre part, la crise est à son point culminant entre le cardinal et la Reine mère, Monsieur, leurs partisans.

Tout ce bruit, qui avait des échos dans le moindre ravin des montagnes, réveillait les passions autonomistes. Le roman se mêlait à l'histoire ; autour du château de Privas, bâtisse à demi-démantelée restée seule debout après la destruction de la ville, une guerre amoureuse avait éclaté entre un gentilhomme catholique, Claude de Hautefort, vicomte de Lestrange, que l'héritière du château finit par épouser, et un gentilhomme protestant, Brison, candidat à la main de la belle. Lestrange, attaché au duc de Montmorency, avait tourné avec son maitre et s'était prononcé contre la cause royale, tandis qu'à Privas le parti protestant était resté fidèle à la Royauté.

Après l'échec de l'arrangement proposé par d'Hémery, les États de Languedoc s'étaient assemblés en janvier 1632. Le duc de Montmorency avait dès lors lié partie secrètement avec Monsieur, contre le cardinal de Richelieu. La question des Élus, envenimée par un travail souterrain, décida de l'adhésion de la province aux sentiments, d'ailleurs obscurs, de Montmorency. Les États déclarèrent que les Commissions, pour faire les impositions par la voie des Élus, exigeaient des sommes immenses par-dessus celles que l'assemblée travaillait à donner au Roi. En conséquence, ils envoyaient des délégués dans tous les diocèses pour les exhorter à refuser les commissions et mandements des Élus. Ainsi tout agissait à la fois contre le gouvernement du cardinal : les jalousies de cour, la querelle de Monsieur, les influences florentines, l'irritation des contribuables et jusqu'aux passions de l'amour. Montmorency, non sans avoir hésité, avait fait comme le duc de Guise, et ainsi les difficultés locales se rattachaient à la grande affaire gouvernementale et nationale[54].

Monsieur, comme nous l'avons dit[55], ayant recruté une petite armée dans les Pays-Bas, avait passé la frontière et s'acheminait, par la Bourgogne vers le Languedoc. Montmorency vint à Pézenas et, le 22 juillet, il assista à l'assemblée des États, les engageant à se prononcer pour la cause de Monsieur et promettant, en retour, de faire rétablir les privilèges de la province. Ayant obtenu l'adhésion de ses partisans, nombreux dans l'assemblée, il fit arrêter le chef de la, cause royale, l'archevêque de Narbonne et les deux commissaires royaux, Miron et d'Hémery[56]. Il leva des troupes et entraîna avec lui une bonne partie du Languedoc, sauf toutefois la ville de Toulouse, que le Parlement sut retenir dans le devoir.

Monsieur, avançant à marches forcées, laissa à peine à Montmorency le temps de réunir les forces suffisantes pour s'emparer des places qui eussent appuyé sa rébellion. Nîmes, Beaucaire, restèrent fidèles au Roi. Richelieu n'avait pas besoin d'exciter Louis XIII. Indigné de tant de félonies et du péril que courait la frontière au moment où un conflit était en perspective avec l'Espagne, le Roi confiait une puissante armée au maréchal de La Force et il se mettait lui-même en marche pour le Languedoc. Il était arrivé à Moulins le 27 août.

Dans ce même temps, Richelieu recevait de Machault, qui le tenait journellement au courant de ces affaires embrouillées, des lettres lui annonçant que Lestrange s'était joint à la cause de Montmorency et qu'il appelait aux armes non seulement les anciens ligueurs, mais aussi les huguenots, qu'il avait précédemment combattus[57]. Le désordre était à son comble ! Lestrange se présenta devant Privas, sans toutefois faire usage de ses armes ; il eût volontiers traité, au meilleur prix, de sa soumission. Le maréchal de La Force, qui arrivait sur les lieux, avait jeté en avant un parti aux ordres d'un de ses lieutenants, Marion. Lestrange, qui attendait une réponse à ses propositions, fut attaqué, sa petite troupe détruite et lui-même fait prisonnier. Machault rendit compte et demanda ce qu'il fallait faire de l'homme. La réponse ne se fit pas attendre : Le Roi écrivait, de la Charité, le 25 août, au maréchal de La Force : Mon cousin, le vicomte de Lestrange ayant encouru les peines portées par mes déclarations contre ceux qui adhèrent aux factions présentes... j'ai, par ordonnance signée de nia propre main et mes lettres patentes sur icelle, condamné le vicomte de Lestrange, les capitaines, lieutenants et enseignes de son régiment qui ont été pris prisonniers avec lui à avoir la tête tranchée, et les sergents et soldats aux galères perpétuelles.... La dite ordonnance et lettres étant envoyées au sieur de Machault, intendant en la justice, police et finances en l'armée qui est sous votre charge, pour les faire exécuter... On a dit que Machault avait, comme juge de Lestrange, prononcé la condamnation. C'est une erreur. Louis XIII prononça la peine lui-même, non en tant que juge, mais comme Roi[58].

Quand Richelieu eut appris par Machault que c'était chose faite, il écrivit au maréchal de Schomberg : Vous jugerez bien que le Roi a besoin de faire des exemples[59].

Le même sort attendait le duc de Montmorency. Nous avons dit l'issue du combat de Castelnaudary (1er septembre 1632) et l'exécution du malheureux duc fait prisonnier[60]. Le Roi apprit à Lyon le succès de ses armes et reçut la soumission de la province, dont Schomberg fut nommé gouverneur.

Le 23 septembre, Monsieur avait fait son accommodement, négocié par Bullion ; il s'était mis entre les mains de Sa Majesté : Nous promettons, avait-il déclaré, en parole et foi de prince, de conspirer de tout notre pouvoir à tous les bons desseins que le Roy a pour le bien et grandeur de son État et de plus aimer tous ceux qui servent Sa Majesté et particulièrement notre cousin le cardinal de Richelieu, que nous avons toujours estimé pour sa fidélité à la personne et aux intérêts du Roi et de l'État[61].

Le Roi fit, le il octobre, à Béziers, l'ouverture des États du Languedoc et il déclara, qu'oubliant les fautes des États et de la province, se réservant cependant la punition de quelques particuliers, les plus coupables, pour empêcher qu'on ne tombât à l'avenir dans de semblables inconvénients, il avait donné une ordonnance dont on allait faire lecture pour la régie et le gouvernement de cette province et pour s'assurer de leur obéissance. Ce fut l'Édit de Béziers, qui donnait aux États une satisfaction apparente en autorisant le rachat des élections, mais qui limitait l'autorité et les privilèges des États et frappait la province d'impositions presque triples de celles qu'elle était accoutumée à payer.

Machault avait reçu, le 26 août, la commission d'intendant de la Justice en Languedoc pour châtier les rebelles de la révolte de Monsieur. Il s'y employa de son mieux, en bon serviteur de la cause royale et en bon catholique, avec une volonté marquée d'obtenir, à cette occasion, la conversion des protestants : Le voyage du Roi en cette province, écrit-il d'Alais le 8 octobre, était nécessaire pour détruire le parti huguenot dès sa naissance, ainsi que pour dissiper celui de Monseigneur son frère, Gaston. Il conseille d'employer la confiscation des biens des protestants partie à la reconstitution de la Collégiale, partie en dons aux Capucins. Il est devenu un personnage, car Monsieur lui-même lui demande assez piteusement qu'on épargne la vie et les châteaux de nombre de ses partisans[62].

Il lui arrive justement l'une de ces aventures dont il a le monopole. Le 15 octobre, il écrit à Richelieu, toujours de cette même ville d'Alais, où il est de passage pour mettre à la raison les opposants, surtout huguenots : J'ai grand déplaisir qu'en la première action de justice que j'ai faite, contre le ministre d'Ales, l'exécution de notre dit jugement n'a été conforme à la volonté du Roi, car ce pauvre malheureux a été pendu auparavant que la favorable résolution ait été prise pour lui. En quoi, Monseigneur, je ne puis être blâmé que de diligence, qui est requise en semblables affaires. Car d'attendre la volonté du Roy sur chaque jugement et procès, ce seroit d'une longueur immense et rejeter l'envie des condamnations sur le Roi et vous, Monseigneur...

On l'appelait coupe-tête ; on eût pu l'appeler coupe-vite, comme on va voir. Cependant il ne s'oublie pas, ni lui ni les siens : et par la même lettre, il sollicite, pour son fils, un des évêchés vacants et il l'obtiendra.

Sur la fin de l'année 1632, il remonte avec l'armée du maréchal de Tavannes dans les Cévennes et le Vivarais et il y fait raser les châteaux et les places, sans épargner les châtiments personnels. Toute cette région, d'accès difficile, voit succomber la féodalité anti-royale. Pour accomplir à fond cette besogne de nivellement et de répression, Machault reste en ces provinces jusqu'à la fin de février 1633. En rentrant à Paris, il présenta au cardinal un très important Mémoire de ce que M. de Machault a fait en Languedoc, depuis que le Roi y arriva jusqu'à la fin de février 1633[63]. C'est un tableau animé de ce que fut, en ce temps, l'activité d'un des plus dévoués mais des plus rudes serviteurs de la politique royale. Les commissaires de la Convention ne feront pas mieux[64].

Bien entendu, on ne songe pas à se passer des services d'un tel homme. Le 8 mars 1633, revenant de Montpellier, il trouve moyen d'avoir des difficultés avec la Cour de justice de cette ville. Il en écrit à Paris. Mais ce sera l'affaire de ses successeurs. Le sieur Le Camus écrit à son tour le 1er mai : J'arrive dans la province incontinent après le départ de M. de Machault[65]. Un autre homme de main, Le Maitre de Bellejambe, est, déjà depuis plusieurs mois, intendant à Toulouse.

Ne laissons pas Machault sans savoir ce qu'il devient. En mai 1635, comme il faut mater la Lorraine, c'est à lui qu'on a pensé. Richelieu mande à M. le Prince qui est à la tête de l'armée : Je crois qu'il sera bon que M. de Machault demeure trois ou quatre mois dans cette province afin d'aller d'un côté et d'autre faire valoir l'autorité du Roi[66].

En août 1636, on le trouve en pleine activité sur cette frontière, aussi ardent contre les ennemis que contre les rebelles : docile et vigilant partout[67].

En janvier 1637, il est en Bourgogne, honoré du titre suivant : conseiller en notre conseil d'État, maitre des Requêtes ordinaire de notre Hôtel, intendant de la justice, police et finances en Bourgogne et Bresse. Là aussi, la main du pouvoir doit peser pour abattre la résistance des privilégiés. Machault a reçu l'ordre de se rendre à l'Hôtel de Ville de Dijon et l'on écrit au magistrat : Ledit Sieur de Machault, président en votre dit Conseil selon qu'il lui appartient et les pouvoirs qu'il a par nos commissions — le voilà donc introduit d'office pour prendre la présidence des municipalités — fera lire et enregistrer un arrêt du Conseil qui oblige tous les privilégiés à contribuer aux fortifications de la ville et à la nourriture des troupes[68]. On sort à peine de l'année de Corbie et l'on ne badine pas à Paris.

En 1638, il se passe, sur cette frontière d'Espagne que notre homme minait et où on le connaît, un fait des plus graves. C'est l'affaire de Fontarabie : le camp des troupes royales qui assiègent la ville espagnole, envahi par les assiégés, les Français en fuite, le cardinal de Sourdis regagnant ses vaisseaux, le prince de Condé se sauvant sur une chaloupe, le duc de La Valette rentrant dans Bayonne avec ce qui reste de l'armée[69]. A qui recourt-on ? A Machault, doublé d'ailleurs de La Potherie, le pacificateur de la Provence. Tous deux sont chargés d'informer sur le désastre. Machault reçoit la commission habituelle comportant pleins pouvoirs : Intendant de la justice dans les armées de Guyenne, et de Languedoc. Il assiste à la séance solennelle des États, près du prince de Condé, flanqué, d'autre part, des deux intendants du Languedoc, Hercule des Yveteaux et André de Ranse, sieur de la Perche ; il fait entendre une parole ferme à MM. des États, qui prétendaient se dérober aux sacrifices indispensables. Le pays était ruiné par la guerre, par les mouvements de troupes, par l'excès des impôts, et en proie à une terrible épidémie de peste. Il fallut plier cependant et on vota les fonds. Le prince de Condé, qui ne s'oubliait jamais[70], se fit accorder une gratification de cinquante mille livres ; Schomberg reçut de larges indemnités. A bout de sacrifice, les États refusèrent de contribuer aux fortifications de la citadelle de Carcassonne. On ne dit pas ce que reçut Machault[71].

Pourtant son zèle ne pouvait être mis en doute. Il lui advint, en effet, dans le Roussillon, un accident semblable à celui d'Alais. Il fit pendre les gens (cette fois il s'agissait de marchands de blé, fournisseurs de l'armée) fort légèrement, c'est le mot de Tallemant, qui raconte la chose[72].

Richelieu lui-même voulut savoir le détail de cette nouvelle affaire. Il convoqua le secrétaire de l'intendant Machault ; l'enquête, à ce qu'il semble, n'eut pas d'autre suite ; les marchands étaient pendus[73].

Il semble bien que, même à la Cour, on trouva que Machault allait un peu fort. On le fit revenir au Conseil, où il s'occupa encore des affaires du Languedoc, mais cette fois, d'une manière qui parut un peu molle.

Richelieu, dans sa manière plaisante et sévère tout à la fois, écrit à Bouthillier, de Moulins, le 13 février 1642 : On dit d'ordinaire qu'il faut parler comme plusieurs et être de l'opinion du petit nombre ; mais je prends le parti contraire en l'affaire dont vous m'écrivez, laquelle a été agitée au Conseil. Je suis du sentiment commun et non de celui de Monsieur le Prince et du sieur de Machault, qui ne sont qu'un : si on ôte le sol pour livre de Languedoc et de la Bourgogne, il le faut ôter de toute la France et, si on le laisse au reste de la France, il faut par nécessité qu'il soit en ces provinces comme aux autres [74].

Machault fut un des douze conseillers d'État ordinaires réservés à la réforme du Conseil en 1657. Il mourut le 16 janvier 1667, âgé de quatre-vingts ans, et fut inhumé à Saint-Nicolas-des-Champs.

Intendants successeurs de Machault en Languedoc.

A Machault succéda, comme nous l'avons dit, le sieur Lemaitre de Bellejambe, de la troisième branche de la fameuse maison des Lemaitre, véritable aristocratie bourgeoise. Dès 1622, celui-ci était dans les affaires et dans la confiance de Richelieu. En 1631, il avait été envoyé comme commissaire à Vannes. En novembre 1632, il arrivait à Toulouse. Par ordre, évidemment, il s'ingère dans la nomination des magistrats, même du premier président du Parlement de Toulouse. L'on pense si les esprits, dans la capitale de la fière province, s'en trouvent surexcité.

Mais il est soutenu et il avance droit devant lui. Par commission spéciale, il est chargé, conjointement avec M. de Villarceaux, de faire le procès aux rebelles et à la mémoire de ceux qui sont décédés dans la rébellion. Et c'est à lui également que sont adressées, en 1633, les lettres patentes données pour l'abolition générale des rebelles qui ont suivi le parti de Monsieur et du duc de Montmorency durant les mouvements du Languedoc en 1632[75]. Entre les deux missions où l'on s'en remet à lui, il se débrouillera.

On trouve, aux Archives de Carcassonne, les sentences et ordonnances rendues par les commissaires royaux, Bellejambe et Villarceaux, nommés par les lettres patentes du mois d'octobre 1632, sur les informations faites contre... (suivent une trentaine de noms), prévenus des crimes de rébellion, brûlement, rançonnement, pilleries, relations avec les rebelles soulevés et en armes, contre l'autorité du Roi, asile donné aux gens de guerre de la rébellion, ruine des châteaux et lieux fortifiés, assassinats, levées de soldats et gens de guerre, etc., commis pendant les troubles de la province. Ceux-ci paieront en dépit des abolitions et des bonnes paroles prodiguées à Monsieur. Et les châteaux paient aussi ; on démolit à tour de bras[76]. Ce qui n'empêche pas l'intendant de s'occuper de mille choses : nomination d'un prieur, relations avec les villes, etc.[77]

La besogne ne s'achève ici que parce qu'on a besoin de Belle-jambe ailleurs. Il change de climat. Le voilà en Picardie, où il est avec Gobelin, intendant à l'armée du Roi. En 1636, il succède à Laffemas ; de sinistre renommée. Il siège aux présidiaux d'Amiens et d'Abbeville pour le triste procès de Saint-Preuil. Peut-être ne le trouve-t-on pas assez rigoureux, car, dans la funeste année de Corbie, c'est Laffemas qui fait le procès aux gouverneurs de place, qui ont failli ; c'est Laffemas qui conclut le premier dans le jugement de Soyecourt[78]. Laffemas ! Nous allons le retrouver. Mais c'est Bellejambe qui instruit, à Saint-Quentin, contre un garde de Monsieur le Comte, avec ordre de Richelieu d'en faire un exemple. C'est encore lui qui, le 1er juillet 1637, instruit le procès de Manicamp et probablement celui de Heucourt, accusés l'un et l'autre de trahison[79].

Las ou dégoûté du métier, il résigna ses fonctions en 1641 et mourut bientôt après[80].

 

4. — Laffemas, homme à tout faire.

La machine humaine est chose si mystérieuse que nous ne savons vraiment pas ce que nous devons penser de cet homme qui fut de son vivant le bourreau du cardinal, le grand gibecier de France, le vir bonus strangulandi peritus, Isaac de Laffemas.

Né, si l'on en croit l'une de ses poésies, en 1584, il était le fils d'un tailleur de Henri IV, mais d'un tailleur exceptionnel et qui était, en même temps, un économiste, un initiateur, un génie humanitaire auquel une tardive postérité a rendu justice, Barthélémy de Laffemas[81].

Le fils avait, lui-même, une sorte de vocation littéraire et il se donna de bonne heure à la poésie. Quelle poésie ? La satire, l'invective, la querelle politique acharnée. On a de lui un péché de jeunesse, une pièce intitulée le Mignon de fortune, publiée en 1604, et dédiée au roi Henri IV, où il fulmine contre un certain Lhoste, qu'il prend à partie comme espion de l'Espagne et traître à la France[82].

Vomissez votre rancune,

Vous tous, mignons de fortune ;

Car le bonheur d'un Dauphin

A permis que votre rage

Se soit ouverte à la fin,

Pour vous causer dommage...

Ce Dauphin, c'était le futur Louis XIII, à qui le poète devait, rester dévoué toute sa vie. Apollon l'avait attaché à la fortune royale.

Si Machault était l'ami des Jésuites, Laffemas était leur adversaire déclaré. Il ne craignit pas de s'en prendre à eux au moment où éclata le scandale de l'Admonitio. Richelieu était à peine au ministère que Laffemas lui avait offert ses services en dés termes dénonçant ses futures aptitudes : Je suis trop étroitement obligé à votre bonté, lui écrit-il le 30 juillet 1626, pour dissimuler que je découvre de ces libelles et brocards qu'on fait courir contre le gouvernement et souhaiterais qu'il me fût permis de faire châtier ceux qui donnent cours à tous ces mauvais écrits... Et il insiste : Je voudrais que Sa Majesté m'eût autorisé pour lui en faire raison ; je les aurais bientôt mis en mauvaise posture... Sa vocation se déclare ; pour un peu, Richelieu serait accusé par lui d'indulgence[83].

Auprès d'un maitre comme le cardinal, un homme de ce tempérament ne reste pas longtemps inoccupé. Dès le mois de mai 1627, il est aux prises avec le Parlement de Bordeaux. Il est soutenu par le cardinal de Sourdis qui reçoit à ce sujet les remerciements du ministre. Richelieu dit, dans sa lettre à Sourdis : Le Roi qui l'affectionne (Laffemas) vous en saura gré[84]. En 1629, un certain J. Bourgoin adresse une requête au Parlement contre Laffemas et contre la chambre de justice. Partout il est aux prises avec les parlementaires.

Le commissaire sans merci.

En septembre 1631, il est chargé, à titre de commissaire extraordinaire, de l'information contre le duc de Rouannez et consorts accusés du crime de fausse monnaie devant la Chambre de l'Arsenal et, en 1631, on le désigne parmi les commissaires chargés de juger le maréchal de Marillac[85]. Le 9 et le 30 juillet, le Parlement de Paris s'oppose à ce que Laffemas fasse partie de la dite Chambre de l'Arsenal. Mais on le soutient en haut lieu et, le 20 août, il obtient enregistrement de ses lettres de conseiller du Roi[86]. Réplique du Parlement, qui, le 28 novembre, mande Laffemas à comparaître pour entendre défense à lui faite d'exercer aucune poursuite en vertu de sa commission, à peine de tous dépens, dommages et intérêts, et d'être pris à partie en son propre et privé nom. Les remontrances portaient que Sa Majesté avoit intérêt à ne pas commettre son autorité entre les mains de gens qui en cabusoient, la rendoient odieuse et méprisable, les peuples né pouvant comprendre que des actions justes cherchassent les ténèbres et que leurs supplices pour l'exemple dussent être exécutés en un temps auquel ils n'en pouvoient produire ; que la nuit devant être un temps de repos et de relâche pour les plus misérables, aucuns s'étaient imaginés, en la voyant choisir pour une exécution de justice, que c'étoit une violence et le désir de faire en cachette ce que publiquement on n'eût osé entreprendre, et qu'enfin, un tel procédé autorisoit à croire que cette exécution n'avoit pas été la punition d'un crime, mais l'exercice d'une vengeance particulière[87].

Cette algarade parlementaire ne fait que renforcer la situation de Laffemas auprès du cardinal. Le nouveau conseiller devient le juge à tout faire, passé maitre en ce qui touche à la répression des libellistes. Il est juge encore dans le procès intenté à l'un des plus dangereux adversaires du cardinal, le Père Chanteloube. Le procès terminé, la condamnation ne le satisfait pas ; il écrit à Richelieu : Sans le contredit de quelques gens dont vous ne vous défiez pas, l'arrêt eût été beaucoup plus exemplaire... J'ai fait voir à la chambre bien clairement que vous y êtes offensé en apparence, mais qu'en effet, le Roi y est plus blessé que vous... Je continuerai à travailler aux autres affaires qui m'ont été laissées avec le même soin et affection (6 mai 1632)[88].

Le cardinal ne se lasse pas d'accabler de tâches nouvelles un homme qui ne se lasse pas de les réclamer. Le 6 février 1633, un ample pouvoir est donné par le Roi au sieur de Laffemas, maitre des Requêtes, pour exercer sa charge d'intendant de la justice de ses armées en Champagne, Metz, Toul, Verdun et autres lieux de son obéissance et protection.

Apogée de la carrière.

Il a quarante-cinq ans. Nous avons son portrait gravé par Michel Lasne : tête noire, dure, nez pointu, lèvres serrées, cheveux courts, col droit, regard fixe. Les petits anges qui décorent la gravure ont l'air tout effarouchés. Ils tiennent l'un la massue, l'autre l'épée. Pour armes, un simple arbre vigoureux.

C'est en Champagne que l'homme donne sa mesure, en cette année où la Champagne et la Lorraine, par l'union de Monsieur et du duc Charles de Lorraine, menacent d'un effondrement les frontières de la France. Nous avons le recueil des lettres de l'intendant adressées au chancelier Séguier[89]. C'est un jeu de massacre. Arrivé à Troyes, le 6 mars 1633, il écrit aussitôt : Monseigneur, je ne vous ennuierai point d'affaire pour cette fois sinon que j'ai décrété prise de corps contre trente-quatre gentilshommes ou autres qui ont levé contre le Roi, et je suis prêt de décréter contre huit autres qui ont fait beaucoup de mal au pays... Je ne fais que commencer... Et il écrit le 20 mars : Pour vous rendre compte donc, Monseigneur, de ce qui se fait en cette province, je vous dirai que j'ai instruit force contumaces contre plusieurs gentilshommes assez qualifiés, qui sont bien convaincus d'avoir levé des troupes... et crois que mercredi prochain ils seront jugés. Nous pourrons avoir des supplices différents encore que tout aille à la mort... J'ai déjà fait plus de soixante décrets de prise de corps qui étonnent toute la province... Il y en a dix auxquels je n'ai pas touché parce qu'ils sont condamnés aux galères pour crimes néanmoins assez légers. On leur nit fait beaucoup de bien de les condamner à la mort plutôt que de les laisser languir ou périr de faim depuis sept ou huit mois qu'ils sont condamnés. A toutes fins utiles, Laffemas met sous les verrous, un parent de la Reine, Jean de Médicis, marquis de Saint-Ange[90].

Cependant la province tout entière est en ébullition, même cette moyenne noblesse, ces gens de main que Richelieu a tant d'intérêt à ménager, tant de désir de s'assurer. Trop de zèle ! On dirait que, de Paris, on veut rappeler l'intendant au sentiment de la mesure : le 19 juillet 1633, le roi, avant de commencer son expédition en Lorraine, croit devoir faire un acte d'indulgence politique et il accorde spontanément une abolition pour tous ceux que M. de Laffemas avoit condamnés. Laffemas est expressément nommé[91]. A-t-il donc perdu la faveur ? Nullement. Il conserve, dans la province, tous les pouvoirs.

Une autre occasion de faire sa cour et ses preuves se présente. Le chevalier de Jars, de l'illustre maison de Rochechouart, l'un des plus hardis adversaires de Richelieu, banni en 1624, s'étant réfugié en Angleterre, y a conquis la faveur d'Henriette-Marie. Revenu en France dans le temps des affaires de Monsieur, il s'y trouve englobé. Il est poursuivi, arrêté et transféré en Champagne : gibier pour Laffemas. Celui-ci a commission expresse de faire le procès au chevalier de Jars[92]. Il y apporte tous ses soins et reprend, à ce sujet, une correspondance active avec le cardinal. On lui demande surtout de faire parler le détenu et de tirer de lui les secrets de la conjuration, surtout en ce qui concerne la duchesse de Chevreuse. Mais le chevalier ne se hisse pas faire. Laffemas écrit en Cour : Le procès ayant été achevé et mis entre les mains d'un rapporteur très habile homme et affectionné au service du Roi, le chevalier de Jars s'est avisé de me récuser par une requête écrite de sa main, la plus injurieuse et insolente qui ait été jamais vue en justice... récusation déclarée par le tribunal injurieuse et inadmissible. Sur dix-sept juges que nous étions au procès, il s'en est trouvé treize à mort et quatre seulement à lui donner toutes sortes de peines... Les conclusions des gens du Roi alloient à la question avant l'exécution de mort... A présent, Monseigneur, il est question de savoir ce que nous avons à faire... A l'heure que je vous parle, le peuple est rassemblé dans la place publique avec des lanternes qui croit qu'on doit exécuter ce qui a été résolu. Les lettres se suivent contenant le texte du jugement, l'interrogatoire pressant le chevalier, les réponses arrogantes de celui-ci.

La Cour ne répond pas. Que se passe-t-il ? Il faut en finir. Jour et heure sont pris pour l'exécution : Il y avoit, écrit Laffemas, une telle foule de peuple dans les rues et la place publique où se devoit faire l'exécution qu'à peine la charrette de l'exécuteur pouvoit passer. Les hommes, qui savoient la cause de la condamnation insérée en son jugement, louoient le Roi de sa justice, et les .femmes, qui ne regardoient point plus haut que la charrette, avoient pitié de voir qu'un homme de si bonne mine se fût oublié en son devoir et prioient que Dieu fit un miracle pour lui et qu'il disposât le Roi à lui pardonner. Il y avoit plus de trente mille personnes sur la place et aux fenêtres. Et comme il fut sur l'échafaud, le rapporteur fit mettre avec lui le Jacobin et son bini (benedictus), pour l'admonester encore à dire la vérité, sans pouvoir tirer autre chose de lui que ce qu'il avoit dit auparavant. Et cependant deux gardes du corps que j'avois fait tenir serrés assez près du lieu d'exécution, fendirent la presse avec leur bâton et crièrent tout haut : Grâce ! Grâce ! Monsieur l'Intendant vient de recevoir une dépêche du Roi. Et, à l'instant, mirent les lettres du Roi cachetées entre les mains du prévôt de l'Isle pour surseoir l'exécution et ramener le prisonnier aux Jacobins en la même chambre où il avoit été gardé. Cette action fut reçue avec une grande acclamation. Tout le peuple crioit : Vive le Roi ![93]...

Etait-ce un échec, un blâme pour Laffemas ? S'agit-il d'une intrigue de cour, d'une intervention de la sœur du Roi, Henriette-Marie ? Quoi qu'il en soit, le chevalier de Jars échappa. Mme de Motteville, qui l'a connu dans l'entourage d'Henriette-Marie, affirme tenir de lui-même que c'est à Richelieu qu'il dut la mesure qui le sauva : Etant près d'avoir la tête tranchée, on lui vint apporter sa grâce et, après la mort du cardinal de Richelieu, lorsque sa haine pour lui étoit assouvie, je lui ai out donner des louanges à son équité, disant enfin qu'il lui devoit la vie, et que, s'il eût voulu, les juges entre les mains desquels il était l'auroient sans doute fait mourir. Il passa en Italie et revint en France après la mort du cardinal et du Roi. Laffemas devait se retrouver auprès de lui en 1648, mais cette fois, dans le même parti, les Mazarins... Ainsi va la politique.

Laffemas reste en Champagne. Son autorité n'est en rien diminuée. Nous le voyons, toujours en 1633, publier une ordonnance portant des mesures pour combattre la peste ; il prescrit : qu'au moindre symptôme de contagion, les mendiants et vagabonds aient à venir déclarer leur malaise, sous peine d'être arquebusés... Le 15 mars 1634, il dénonce un complot, ou soi-disant complot, contre la. vie du Roi et la vie du cardinal : Qu'on se donne de garde, écrit-il, d'un homme qui est en habit déguisé, comme un habit de Jésuite, qui est homme qui a le visage sec, le poil noir, de moyenne stature et qui est Lorrain de nation...[94]

Ses facultés d'enquêteur le feront appeler, après qu'il aura rempli bien d'autres missions auprès des armées, aux fonctions de lieutenant civil, c'est-à-dire chef de la police à Paris, fonctions qu'il occupa de 1639 à 1645. C'est là qu'au dire de Tallemant et d'autres contemporains, il rendit de réels services qui semblent avoir amené vers lui une sorte de retour de l'opinion.

D'autre part, on trouve, jusque dans sa correspondance officielle, des traces d'un revirement qui se serait accompli en son âme, si l'on peut parler de l'âme d'un bourreau. M. Avenel, l'éditeur de la correspondance de Richelieu, signale le fait, non sans quelque surprise : Laffemas et Laubardemont, les deux principaux agents de la justice du cardinal, explique-t-il, étaient des magistrats diffamés parmi leurs contemporains. J'ai plaisir à dire, à la décharge de l'un d'eux, que sa triste renommée a fini par lui étreindre le cœur et qu'il a voulu en répudier l'angoisse et la honte. Lisons cette lettre quelque peu inattendue sous la signature de Laffemas. Il rend compte au chancelier Séguier d'une exécution capitale. L'exécuteur de Paris, écrit-il de Senlis le 27 septembre 1636, a coupé le cou hier au baron de Senac... Ce pauvre baron est mort courageusement, témoignant un extrême regret d'avoir offensé le Roi et Son Éminence... Je voudrais qu'il plût à Sa Majesté terminer là mes emplois criminels et me donner moyen de le servir en autre chose. J'aurois bien de l'obligation à votre bonté de m'avoir procuré ce repos là pour ne plus passer pour un homme de sang en faisant la justice qui est, en ce temps, odieuse à beaucoup de gens qui ne sont point touchés de l'intérêt public[95].

Tallemant des Réaux dit, pour excuser en quelque chose la conduite de Laffemas qu'il est venu en un siècle où l'on ne savoit ce que c'étoit de faire mourir un gentilhomme. Il ajoute que Laffemas, en sa charge de lieutenant civil, acquit bien de la réputation et ôta bien des abus... Je crois, dit-il encore, qu'il avoit les mains nettes[96].

Le repos qu'il sollicitait ne lui fut accordé qu'en 1649, dans les temps les plus douloureux de la minorité de Louis XIV. Nous le voyons encore faire subir, le 8 juin 1641, un interrogatoire à une certaine Anne Gobert, relativement au complot du comte de Soissons[97]. Mais le cardinal va mourir ; à titre de récompense, il songe à gratifier ce fidèle serviteur d'une abbaye d'un rapport de cinq ou six mille livres[98].

Devenu vieux, le diable se fait ermite... Laffemas revient à la poésie. Ardemment royaliste, durant la Fronde, il retourne leurs armes contre les auteurs des Mazarinades ; il écrit Le Frondeur désintéressé[99].

Voici des vers de ce singulier favori des Muses :

Ces gens qui faisoient les tribuns[100],

Ces pères du peuple importuns

Ont bien engendré des misères.

Jamais les enfants de Paris

Ne se virent si mal nourris

Que lorsqu'ils eurent tant de pères.

Ce ne sont pas de trop mauvais vers pour des vers d'intendant.

Isaac de Laffemas mourut en 1657, laissant plusieurs enfants dont un abbé Laffemas, un peu poète et un peu fol.

Loret consacre au père un passage de sa Muse historique, dans le numéro du 24 mars 1657, où il adoucit le jugement sévère des contemporains :

Monsieur de Laffemas est mort,

Lui dont l'esprit constant et fort

Fut le vrai fléau des fantasques

Qui faisoient à l'État des frasques.

Présumant aussi bien que moi

Que tout déserteur de son Roi

Est la plus criminelle engeance

Qui des enfers prenne naissance.

Il fut par ordre des destins

Ennemi juré des mutins.

C'étoit un juge incorruptible,

Aux factieux toujours terrible ;

Et quand quelqu'un contre l'État

Tramoit quelque noir attentat,

Manigance ou friponnerie,

Il n'entendoit point raillerie.

Faut-il croire que ce buveur de sang était tout de même un honnête homme ?

Paul Hay du Châtelet, intendant en Bretagne, Béarn, Bourgogne et Bresse, aux armées de Savoie, Piémont, etc.

Pour interrompre la série noire, venons à Hay du Châtelet. Celui-ci est un fantaisiste ; et c'est par sa fantaisie, peut-être, qu'il s'acquit l'accès familier auprès de Richelieu, accès qui ne lui valut enfin (puisqu'il figura parmi les fondateurs de l'Académie française), rien de moins que l'immortalité. Il mourut jeune en 1636, un an après la création de l'illustre compagnie.

Un courtisan comme il y en a peu.

Homme d'esprit, vif à la rencontre, prompt à la riposte. Ce qu'il y eut de beau dans son dévouement au cardinal, c'est qu'il sut lui tenir tête, le braver en ses colères et ses partis pris, jusqu'à courir le risque, non seulement de la défaveur, mais de la Bastille. Tout en servant, il gardait son quant-à-soi.

C'est ainsi, qu'en 1627, il prit la défense de Montmorency-Bouteville, le fameux duelliste : Le factum qu'il publia en faveur de Bouteville et de Des Chapelles, dit M. Hauréau, parut si éloquent et si hardi que Richelieu lui reprocha de paraître condamner la justice du Roi. — Pardonnez-moi, répliqua Du Châtelet, c'est pour justifier sa miséricorde.

Il eut aussi, assure-t-on, le courage de solliciter la grâce du duc de Montmorency. Le Roi lui aurait dit, à ce sujet : Je pense que M. du Chatelet voudrait avoir perdu un bras pour sauver M. de Montmorency. Il répondit : Je voudrois, Sire, les avoir perdus tous les deux et en avoir sauvé un qui vous a gagné des batailles et qui vous en gagneroit encore. Ces paroles sont dignes de mémoire, si elles sont vraies ; sinon, il est beau pour Hay du Châtelet, qu'elles aient pu lui être attribuées. Il agit d'une façon un peu moins nette, peut-être, dans l'affaire du garde des Sceaux Marillac. Malgré tout, Richelieu, qu'il amusait et qu'il défendait énergiquement devant l'opinion, lui garda toute sa confiance. Il l'attela à des affaires difficiles, celles de la Bretagne, du Piémont, de la Bourgogne, et il se déclara satisfait de ses services, quoique l'intendant n'y eût montré ni fourbe, ni cruauté.

Conseiller au Parlement de Rennes le 22 avril 1616, maitre des Requêtes le 3 avril 1623, il eut la commission d'établir le Parlement de Pau, fut intendant de justice en Bretagne, Béarn, Bourgogne et Bresse, dans les armées de Savoie, de Piémont, et l'un des commissaires juges au procès de Marillac. Toute sa vie, il se déclara bon ami des Jésuites ; le Père Garasse, qui insiste sur sa bienveillance dans l'affaire au Père Arnoux, écrit : Il fut une grande providence pour notre compagnie. Il se verra dans la suite de ce discours que nous lui sommes tout à fait obligés.

Hay du Châtelet, intendant en Bretagne, surveille le prince de Condé.

Son premier pas dans la carrière de l'intendance le mit en face d'un des puissants de ce monde, d'un de ces grands dont le cardinal en comblant l'avidité s'était assuré le dévouement, Henri de Bourbon, prince de Condé, père du Grand Condé !

En attendant qu'il se fit attribuer la meilleure part de la confiscation de son beau-frère Montmorency, le prince de Condé avait mendié et obtenu celle du duc de Rohan (car c'est ainsi que se conquéraient les fidélités). Richelieu, connaissant l'homme, n'avait encore en lui qu'une demi-confiance, et il envoya Du Châtelet en Bretagne (mars 1629), pour faire rapport sur la façon dont le Parlement de Rennes exécuterait la remise de ces biens. L'intendant remplit du mieux qu'il put la délicate mission et agit auprès du Parlement de telle sorte que les choses se passèrent sans trop de difficultés. Il n'en montre pas plus d'estime pour son client princier : Après la séance du Parlement, écrit-il, Monsieur le Prince se donna à ses plaisirs ordinaires, alla reconnaître les cabarets de la ville, alla visiter le Père Dolez, qu'il trouva sortant des Cordeliers qui allait nommer le fils d'un artisan ; il prit sa place, voulut être parrain et pour marraine convia Madame la Première Présidente. Il est parti le mardi 13 et est allé voir ses nouveaux domaines et a laissé en ce Parlement une opinion qu'il est excellent homme de procès et fort actif à ses intérêts[101].

Hay du Châtelet revint à Paris, et c'est en ce temps que nous le trouvons parmi les familiers du cardinal de Richelieu, qui remploie à la rédaction des pamphlets répondant aux adversaires de sa politique. C'est la fameuse guerre des libelles. Il y est passé maitre.

Le pamphlétaire et l'écrivain.

Du Recueil de diverses pièces pour servir à l'Histoire, dont la première édition parut en 1635, chez Cramoisi, la Préface aux lecteurs, écrite par notre intendant académicien, est un morceau où puiseront tous les apologistes du cardinal : La vertu du cardinal de Richelieu, déclare-t-il, se trouve tellement mêlée dans le bonheur et les admirables succès des affaires du Roi, que la main, l'instrument et l'ouvrage de l'artisan ont moins de rapport ensemble qu'il ne se remarque entre les belles actions d'un si généreux maitre et l'industrie d'un si fidèle serviteur.

Voilà de son style. Il faut reconnaître que les choses sont dites, parfois, avec élégance et mouvement : Nous voyons bien la constance du cardinal dans les entreprises qui se font et contre l'État et contre sa personne : nous voyons bien qu'il y demeure ferme comme un rocher, que les grandes tempêtes lavent au lieu de l'ébranler ; une vague emporte l'écume d'une autre, et les soulèvements de toutes celles qui le veulent abîmer ne servent qu'à faire paroitre sa grandeur et sa force. Terminons sur ces quelques mots où sont indiquées les hautes perspectives qui déjà se sont découvertes aux intimes du ministre : Et nous voyons que si la défense de la religion et de nos alliés nous mène au delà de nos frontières, s'il faut que nos armes, comme les derniers arbitres des différends des princes, nous fassent justice de la mauvaise foi de nos voisins, tous nos voyages se rendront illustres par des effets glorieux et charitables.

Dans le Recueil lui-même, on attribuait à Hay du Châtelet : la première et la seconde Savoisienne qui sont à la racine de la grande querelle survenue entre Richelieu et le parti de la Reine-mère[102] ; Les Entretiens des Charnus Élysées attribués à tort à Louis de Guron ; le Discours au Roy touchant les Libelles faits contre le Gouvernement de son État, qui s'en prend avec décision et courage à la cabale de Monsieur ; L'Innocence justifiée en l'administration des affaires ; et enfin cet étrange morceau, Observations sur la vie et la condamnation du Maréchal de Marillac et sur le libelle intitulé : Relation de ce gui s'est passé au jugement de son procès, prononciation et exécution de l'arrêt donné contre lui, morceau qui représente Hay du Châtelet lui-même dans une attitude un peu singulière à l'égard de l'accusé et à l'égard du cardinal, puisque, hostile au premier, dévoué au second, il essaya de prendre une voie moyenne qui le conduisit à la Bastille.

Le juge peu docile.

Richelieu trouvait qu'il fallait passer des paroles aux actes et, comme pour mettre à l'épreuve la fidélité de son écrivain, il le fit inscrire sur la liste des juges au procès de Marillac. Celui-ci avait des raisons de croire que Hay du Châtelet s'était déclaré contre lui. Dans une lettre écrite à Richelieu le 23 février 1630, il se montre disposé à lé récuser : Il a dessein et comme à tâche de charger sur moi par interprétation maligne de toutes mes actions... J'ai été étonné véritablement d'une malice si conjurée sans sujet et, l'ayant obligé, comme vous pouvez savoir que j'ai fait, et nec verbo nec nutu ni par aucune action n'ayant fait chose qui le pût blesser en aucune façon[103]. Ainsi qu'on l'a vu plus haut[104], la procédure trama et nous retrouverons Hay du Châtelet pris au piège de cette déplorable affaire. Disons tout de suite que le public lui attribuait une diatribe sanglante en vers latins contre les Marillac :

Erat splendor in facie,

Sed in corde fallaciæ...

Et d'autres traits contre le chancelier et la Du Fargis, qui ne pourraient se répéter qu'en latin. On a dit ultérieurement que, par la violence de cette polémique, il essayait de se dérober à la redoutable mission qui lui était imposée et précisément de se faire récuser. Mais le cardinal n'entra pas dans le jeu ; il l'accabla de sa confiance.

Au fort .des troubles qui suivent la rupture du cardinal avec Marie de Médicis et avec les Marillac et Monsieur, Hay du Châtelet est délégué dans les fonctions d'intendant en Bourgogne et auprès des armées envoyées dans la province pour surveiller à la fois le Parlement de Dijon, le gouverneur Bellegarde, les affiliés à la campagne de Monsieur, et Monsieur lui-même, qui tente d'envahir la France par cette frontière.

En Bourgogne : l'intendant et les Lanturelus.

Il y a une affaire des Élus. Richelieu suit partout son programme d'unification et de discipline financière. On dirait qu'il désire voir les désordres s'accumuler pour pouvoir les réprimer tous ensemble.

En Bourgogne, comme en Provence, comme en Languedoc, l'édit de juin 1629 passait outre aux privilèges des États et organisait la levée des impôts par l'établissement de dix Élections. L'émotion est grande parmi les privilégiés, qui fomentent un mouvement populaire. Une démarche du maire de Dijon, Euvrard, auprès du cardinal ayant échoué, une sorte d'émeute que nous appellerions communiste éclate. La foule ayant à sa tête, une sorte de géant qui de son nom s'appelait Anathoire, mais qu'on baptisa le roi Machas, s'empare de la cité. Le carnaval venait de finir (février 1630) ; la foule hurlait un refrain à la mode :

Lanturelu,

Lanturelu,

Et ce fut la révolte des Lanturelus[105].

Les émeutiers maîtres de la ville, un vieux relent de séparatisme monta au cœur d'une province qui n'avait pas perdu le souvenir de l'héritage de Bourgogne. On tramait dans la boue l'effigie du Roi ; on criait : Vive l'Empereur ! c'est-à-dire qu'on acclamait la Maison d'Autriche ; on attaquait les maisons des riches ; on boutait le feu de place en place et les démolitions commençaient.

Les bourgeois, les parlementaires, qui d'abord avaient encouragé la résistance à l'édit, prirent peur. L'avocat Bossuet, père du grand évêque, et ses amis se mirent à la tête de la contre-manifestation et barrèrent la route au grand Machas. Peu à peu, les esprits s'apaisèrent, l'ordre se rétablit. Le grand Machas s'enfuit. Le Roi, — le roi de France, — qui partait pour l'Italie, voulut bien recevoir à Troyes les représentants de la bourgeoisie dijonnaise et leur avocat, l'illustre Jacques Févret. Le 27 avril, à la suite de cette audience, il fit savoir qu'il viendrait en personne à Dijon. A la séance solennelle, qui eut lieu dans la salle des gardes du palais des Ducs, les délégués de la municipalité et du Parlement se présentèrent en suppliants. Le Roi les accueillit sévèrement et leur dit : Si vous aviez fait au commencement ce que vous avez fait à la fin, vous eussiez maintenu mon autorité et vos personnes en sûreté... Cependant, il accorda le pardon demandé, moyennant certaines conditions que la ville s'empressa d'accepter.

Les choses s'arrangeaient en apparence, mais le venin restait dans la plaie.

Hay du Châtelet, qui était encore intendant aux armées d'Italie, reçut le mandat de surveiller étroitement les provinces de l'est et en particulier la Bourgogne. Il correspondait avec le Roi, avec le gouverneur Bellegarde et avec le ministre, sentant bien que le calme n'était que provisoire et que quelque chose couvait dans un silence calculé[106]. Il arriva dans la province le 12 février 1631. De Bourg en Bresse, il écrivit au cardinal une lettre où l'objet secret de sa mission se découvre : Je n'ai point voulu vous donner l'importunité de mes lettres, que je ne fusse pleinement instruit des choses pour lesquelles je suis venu en cette province... Arrivant à Dijon, il n'y a sorte de douceur et de courtoisie que je n'aie reçues de M. de Bellegarde, qui n'a point épargné ses adresses ordinaires pour me faire avouer que ma venue en cette province étoit contre lui... Toujours il me pressoit, en se justifiant, de lui dire le principal sujet de ma commission, de laquelle il étoit aussi bien averti que moi.

Et, en effet, c'était contre Bellegarde qu'il était appelé à Dijon. Une lettre de créance adressée aux magistrats de la ville lui donnait pour ainsi dire des pleins pouvoirs.

De par le Roi. Chers et bien aimés. Ayant commandé au sieur du Châtelet, conseiller en notre conseil d'État et maitre des Requêtes de notre Hôtel, de s'en retourner en notre province de Bourgogne sur aucunes affaires importantes à notre service dans ladite province, nous vous avons voulu faire cette lettre par lui, par laquelle nous mandons et ordonnons que vous ayez à donner entière créance à tout ce qu'il vous fera entendre être de nos intentions sur cette affaire, pour l'exécution de laquelle et des ordres dont nous l'avons chargé, vous lui départirez toute l'assistance dont vous serez par lui requis. A quoi vous ne manquerez de satisfaire. Car tel est notre plaisir. Donné à Sens, le 18e jour de mars 1631.

Phélypeaux

LOUIS[107].

Document en règle ; officiel s'il en fut. L'intendant reçoit des pouvoirs dictatoriaux. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de prendre sur le fait l'un des plus importants parmi les personnages de la Cour, l'un de ces Grands qui se croient tout permis parce qu'on leur permet tout et qu'ils ont la réputation d'être entreprenants, braves et galants : type Bassompierre.

Bellegarde était entré, par des moyens douteux, dans la faveur de Henri III. Henri IV l'avait hérité de son prédécesseur et lui avait laissé prendre de ces privautés que des goûts communs encourageaient. Ainsi lancé, Bellegarde avait poussé sa pointe entre l'amour et l'ambition, servant celle-ci par celui-là Le bruit courait qu'il n'était pas indifférent à la reine Marie de Médicis. Henri IV n'était pas fâché d'avoir quelque raison de se plaindre de la Florentine, ne fût-ce que pour autoriser ses propres aventures.

La mort du Roi laissa la place au galantin déjà vieilli, qui s'approcha d'Anne d'Autriche, comme il en avait serré de près tant d'autres. Il roulait des yeux enamourés et disait : Je suis mort ! Je suis mort ! Tallemant écrit : Quant à la galanterie, je pense que l'amour qu'il eut pour la reine Anne d'Autriche fut sa dernière amour.On raconte qu'un jour, comme il lui demandait ce qu'elle ferait à un homme qui lui parlerait d'amour : — Je le tuerais, dit-elle. — Ah ! je suis mort ! s'écria-t-il. Mais, ajoute Tallemant, elle ne tua pourtant point Buckingham. Et l'on chansonna Bellegarde :

L'astre de Roger

Ne luit plus au Louvre.

Chacun le découvre,

Et dit qu'un berger,

Arrivé de Douvre,

L'a fait déloger.

Est-ce fidélité à ce sentiment dédaigné ? Est-ce douleur de vieillir et de se sentir inutile ? Est-ce dépit de n'être agréable ni aux Reines ni au Roi, dépit qui livrait le vieux beau à l'ironie des jeunes courtisans ? Est-ce la rage de voir monter l'astre de ce jeune ministre au regard froid ? Quoi qu'il en soit, Bellegarde, gouverneur de Bourgogne, s'insinua prudemment, discrètement, couvertement dans la cabale de Monsieur, prêt sans doute à jouer sur les deux tableaux.

Hay du Châtelet était donc envoyé à Dijon pour le forcer à abattre son jeu. Le jeune maitre des Requêtes chevauche avec entrain, arrêtant les courriers, flairant les espions, s'enquérant sur les pas et démarches du tiers et du quart. Il donne des détails sur la fidélité, toujours un peu suspecte des Dijonnais ; il va à Bellegarde jeter un coup d'œil sur le château du gouverneur, muni pour soutenir un siège, le cas échéant : Je trouvai, écrit-il, le chemin tout pavé de gens et d'équipages qui suivent Monsieur. Il a des aventures d'auberge à la Scarron, dont il amuse le cardinal, soutenant, même dans ces moments graves, son rôle de plaisant et complaisant. A son avis, on n'est jamais assez vigilant, assez sévère. Il conseille de publier une ordonnance royale défendant à tout gentilhomme, sous peine de la vie, de sortir du Royaume ou de marcher en armes dans l'intérieur, sans passeport... Il faut faire commandement aux gardes des portes de villes et passages d'arrêter tout contrevenant à ce règlement là, et faire punir rigoureusement ceux qui sortiront ou seront dans la route suspects dé sortir sans aveu... Pour ce regard, il y a lieu d'établir des intendants de justice dans les provinces frontières pour l'entière exécution d'un tel ordre sans exception de personne[108].

Le limier suit à la piste la marche de l'armée de Monsieur, qui, venue du Rhin, traverse la France en écharpe pour rejoindre Montmorency au Languedoc. Il se mêle parfois aux partisans attardés sur la route ou dans les auberges. Il écrit : Monsieur passe au Pont de Crevaux avec cent cinq chevaux, gagne Montbart, se dirige vers Chanceaux. De Chanceaux : Arrivant en ce lieu, j'y ai trouvé les habitants tout émus encore du séjour que Monsieur y a fait... Monsieur s'est vu fermer les portes de Dijon... Monsieur couche ce soir à Nuits et se dirige sur Bellegarde, d'où il était parti d'abord avec dix chevaux seulement. A Chanceaux, Hay du Châtelet a causé longuement avec M. Le Coigneux, confident du prince. Détails sur la suite, les bagages : Tous harassés. S'ils sont trop pressés par le Roi, ils se jetteront dans la Comté (la Franche-Comté)... Dans tous leurs logis, ils tiennent même langage : du séjour que la Reine mère fait à Compiègne, de l'excès des impositions et de la misère des peuples ; menacent de rentrer dans le Royaume avec des forces étrangères.

Cependant, notre homme ne perd pas de vue le Bellegarde. A Dijon, personne ne bougera. Bellegarde commence à s'alarmer.

Il écrit à Hay du Châtelet et lui demande un entretien. L'entrevue a lieu le 26 mars. Belles paroles. Rien de sûr encore. On attend le prince de Condé, — ce prince de Condé que Richelieu a eu l'adresse d'enrôler dans sa cause, transfuge bien commode à opposer aux altesses en mal de rébellion.

Condé, substitué à Bellegarde en qualité de gouverneur, se sent déjà chez lui dans la province. Richelieu trouvera-t-il jamais un plus chaud et plus fidèle partisan ? Vous ne sauriez imaginer, écrit Hay du Châtelet, qui le connaît, ayant pris sa mesure en Bretagne, combien hautement il proteste de ne dépendre que du Roi, et de ce qu'il aime et protège : non seulement à moi (qui ai l'honneur d'être à vous), mais encore à tout le monde, il fait cette profession politique.

Soudain, Bellegarde a disparu, mandé par Monsieur : On nous assure qu'il n'est parti de Besançon qu'avant-hier. Son visage y a pris un changement aussi notable qu'il en parut, après cette nuit, qu'il ne cessa de se plaindre. Le voilà donc, le beau Bellegarde !

De tous côtés, le commissaire-intendant pousse ses enquêtes et ses investigations : Procès-verbal des interrogations qu'il a fait subir, le 8 mai, aux sieurs de Chalancé, de Thianges, et de Montperroux à Dijon ; le 30 mai à Semur ; etc. ; etc. ; le tout en présence de Monsieur le Prince. Mais les affaires s'arrangent. Monsieur est sorti de la province, poussant vers le Dauphiné pour gagner le Languedoc.

Et Bellegarde ? Bellegarde est de plus en plus embarrassé. Il ne demande qu'à reprendre les propos interrompus. Nouvel entretien le 19 juillet : Il m'a demandé qu'on ne le pousse pas à bout. Il m'ajouta qu'il souffriroit bien mon procès-verbal (c'est-à-dire un procès-verbal de soumission) en la manière que le Roi m'a commandée, pourvu que vous promettiez qu'il ne sera pourvu personne de son gouvernement et que lé Roi me commande de l'en assurer[109].

Bellegarde parle, parle. Nouvel entretien le 21 juillet avec nouveaux détails sur les plans et les prétentions des conjurés : la Reine mère, Monsieur, M. de Lorraine, M. de Guise, Le Coigneux, Monsigot, Valençay. Ils se trahissent, d'ailleurs, les uns les autres. Monsieur n'a-t-il pas donné l'exemple ?

Le 25 juillet, le bruit court que Bellegarde va être arrêté. Il s'enfuit. On ne le reverra qu'après la mort du cardinal et du Roi. Encore un grand hors de combat ! Document ultime : Procès-verbal de Paul Hay du Chastelet rendant compte de ses négociations avec le Duc de Bellegarde[110]. Sa mission est terminée. Il est rappelé à Paris.

Pris au piège de son scrupule : la Bastille.

Mais là il retrouve cette pénible affaire des Marillac, qui dormait, en attendant l'issue des autres. Hay du Châtelet est désigné, nous l'avons dit, pour siéger au procès du maréchal. Plus question de récusation. Sans doute, le maitre des Requêtes se sent suspect, car il fait du zèle : il examine un à un tous les chefs du procès, donne des renseignements sur l'attitude des juges, sur la procédure (qui, remarquons-le, est celle du Parlement de Bourgogne). En somme, la lettre du 3 octobre adressée à Richelieu semble être plutôt favorable au maréchal. On ne relève contre lui que des peccadilles, de ces grivèleries auxquelles les hommes de guerre de ce temps pouvaient bien se laisser entraîner. Et Du Châtelet conclut : M. de Bretagne m'a demandé, cette après-dinée, si le Roi ne serait pas satisfait d'une moindre peine que la plus grande... Richelieu, impitoyable, voulait la mort et la mort tout de suite. C'est l'un des mauvais endroits de la vie du cardinal. Il avait l'exemple facile. Hay du Châtelet revient à la charge : M. de Moricq m'a dit que le procès lui pèse beaucoup et qu'il n'en voit point l'issue. Villemontée de même, et d'autres, et d'autres.

Voilà tout à coup, que l'on fait grief à Hay du Châtelet d'avoir introduit dans la procédure l'usage du style de Bourgogne et d'avoir retardé ainsi l'issue du jugement. A son tour d'être en alarme. Il accuse Moricq de le desservir auprès du cardinal. Juges qui se dénoncent l'un l'autre !...

Notre homme a flairé le relent de la Bastille. Il s'agite, racole des juges qui promettent de bien faire (23 décembre). Il raconte à Richelieu ce qui se dit dans Paris, dans la famille du maréchal, sur les juges, sur le cardinal lui-même. Il revient sur les récusations que l'on avait présentées contre lui : Je suis, à ce sujet, écrit-il, hors de tout scrupule et de danger, n'ayant jamais eu d'autre dessein que de m'y comporter en homme de bien et selon la justice...

Cette phrase est-elle la goutte qui fait déborder le vase ? Le soupçonne-t-on d'une disposition favorable à l'accusé ?... Il a poursuivi sa correspondance pendant tout l'hiver de 1632 : Tandis que le maréchal déclinait la compétence des juges-commissaires et en appelait au Parlement de Paris, Hay du Châtelet voyait le prisonnier et rapportait au cardinal ses entretiens.

La Chambre de justice est transférée à Rueil, dans la maison de Richelieu et augmentée de nouveaux juges que Marillac récuse encore. Hay du Châtelet poursuit sa double manœuvre, ou bien risquée ou tout à fait odieuse. Il est à bout de souffle : le maréchal continue à le récuser. La Cour, saisie, en délibérait. Avant qu'elle se soit prononcée, Hay du Châtelet est arrêté, conduit prisonnier au château de Choisy, puis à la Bastille. Il n'assista pas au jugement. Vingt-trois juges seulement votèrent, et la sentence de mort ne l'emporta que de trois voix. Le maréchal fut décapité le 10 mai[111].

L'Académie, suprême refuge. — L'immortalité et la mort.

L'intendant resta quelques mois à la Bastille. Libéré le 17 novembre, il écrit aussitôt au cardinal qui l'a fait délivrer. Mais la porte du maitre, qui jadis s'ouvrait pour lui si familièrement, reste fermée.

Quelle situation de ne pouvoir parler, s'excuser, s'expliquer ! Dans une nouvelle lettre[112], il dit qu'il n'ignore pas de qui vient le coup qui le frappa, de quelle étoffe était fait ce tonnerre. Sans insister d'ailleurs, il remercie de l'indulgence qu'on a montrée pour lui et le remerciement tourne vite à l'éloge dithyrambique du cardinal. Le tourment lui rend l'éloquence.

Trois mois après, le 15 janvier 1635, il tente de revenir sur l'eau et sollicite une grâce qui parait se référer à sa carrière administrative[113]. Il parait encore avoir rendu quelque service à propos des affaires de Bourgogne en septembre 1635[114]. C'est à ce moment là qu'on l'inscrit — peut-être fiche de consolation sur les listes de l'Académie française, fondée par lettres patentes du 2 janvier 1635, et dont il fut un an le secrétaire... Il meurt en 1636.

Qui sait ? D'avoir été homme de bien et selon la justice (telles sont ses propres paroles) c'est peut-être cela qui l'a tué.

 

5. — Laubardemont, intendant en Poitou et en Touraine.

Jean Martin, baron de Laubardemont, naquit à Bordeaux vers 1590. Son père était premier jurat noble de cette ville et lui avait mis, jeune, le pied à l'étrier. Nous avons une quittance de la somme de neuf cents livres à lui ordonnée en raison d'un voyage qu'il a fait de Paris à Bordeaux pour le service du Roi, le 13 octobre 1626[115]. Président des Enquêtes au Parlement de Bordeaux, puis premier président de la Cour des Aides de Touraine, il fut nommé, le 7 mai 1630, garde des Sceaux auprès de la Cour des Aides d'Agen.

L'homme de l'ouest.

On le maintient dans les provinces de l'ouest qu'il tonnait bien et, — grande marque de confiance, — on recourt à sa jeune énergie pour remplir une mission qu'on peut appeler une mission d'État, s'il en fut, présider à la destruction des places fortes et des châteaux féodaux dans ces contrées en proie, depuis plus d'un demi-siècle, aux luttes religieuses et civiles.

Cette entreprise générale de démolition fut, comme on le sait, une des pensées maîtresses de Richelieu, mais elle ne lui appartient pas en propre ; elle est éminemment royale. C'est ainsi que, bien avant le ministère de Richelieu, dès le 13 mai 1622, Louis XIII, se trouvant à Royan, avait signé les lettres patentes faisant don à deux de ses serviteurs familiers, le sieur d'Armagnac, l'un de ses premiers valets de chambre, et le sieur Lucas, l'un de ses secrétaires, en considération de leurs services, des domaines, fossés et contrescarpes du grand château de Loudun, en cas que Sa Majesté prenne résolution de faire démolir ledit grand château comme inutile et réserver seulement le donjon, pour être conservé pour la sûreté de la ville et des habitants de Loudun.

Les adversaires de Richelieu ont dit et répété que cette démolition avait été voulue par le cardinal pour ne pas laisser subsister une place forte de cette importance à proximité de sa duché-pairie de Richelieu. On voit qu'il s'agit de tout autre chose : en 1622, Richelieu n'avait aucune autorité sur les affaires publiques ; son élévation au rang de duc et pair n'eut lieu qu'en 1631. Il s'agit, en fait, d'un acte de libéralité personnelle de Louis XIII, qui, dès 1622, gratifie du bénéfice de la démolition deux hommes de son entourage étroit.

Si l'on attache une certaine importance historique à cet acte de générosité royale, c'est qu'on y trouve l'origine d'une affaire qui doit mener grand bruit dans le monde, l'affaire d'Urbain Grandier et des possédées de Loudun. Les deux familiers du Roi qui s'étaient entendus pour se partager le bénéfice de la démolition, se brouillèrent par la suite et l'ensemble de l'incident envenimera tragiquement les dissensions couvant dans la ville, mécontente d'une mesure qui la découronnait de sa force et de son prestige.

La ville de Loudun était, en effet, de longue date, divisée en deux factions : l'une avait pour chef Jean d'Armagnac, le valet de chambre du Roi, gouverneur de la ville, et elle comptait parmi ses membres le curé Urbain Grandier ; l'autre se recrutait parmi les protestants, les autonomistes et, d'une façon générale, les agités, ceux qui ne sont contents de rien. C'est la province.

Jean d'Armagnac a un plan, c'est de profiter de la ruine du château pour en tirer un bénéfice pécuniaire, mais, en même temps, il espère bien sauver le donjon dans lequel il habite et garder ainsi, en dépit de la destruction, les fonctions de gouverneur et les avantages y attachés.

Pour arriver à ces fins, il manœuvre un peu lourdement auprès du Roi. L'affaire trahie en longueur. C'est seulement après huit ans que la donation sera confirmée et même sensiblement accrue par lettres patentes de janvier 1630 : la démolition du château sera complétée par la démolition des murailles de la ville ; on réservera toujours le donjon.

Pourquoi Laubardemont à Loudun ?

C'est l'heure où Laubardemont entre en scène. Le Roi lui adresse la lettre suivante : Étant important à mon service et au repos de mes sujets de la province du Poitou, qu'il soit procédé promptement à la démolition des fortifications de mon château de Loudun selon les ordres que vous avez reçus de moi, je vous fais cette lettre pour vous dire qu'incontinent icelle reçue, vous avez à exécuter exactement la commission qui vous a été expédiée à cet effet, à la réserve du donjon dudit château, que je désire et entends être conservé et au delà duquel il ne sera rien démoli...[116]

Laubardemont, agent politique, se trouve ainsi introduit dans. les affaires de Loudun. D'Armagnac, familier du Roi, peut croire d'abord au succès de sa manœuvre.

La mission de Laubardemont n'a rien que de très normal. Il a déjà été chargé, dans la même région, de la démolition du château de Mirebeau par lettres-patentes du 15 janvier 1629, qui ne seront exécutées, en fait, qu'en 1633[117]. De même, il a été chargé, en 1630, de la démolition de la citadelle de Royan. Que Richelieu ait englobé dans son plan général, la ruine de ces places fortes qui ont servi de point d'appui au parti protestant dans l'ouest, cela ne fait aucun doute ; la décision particulière qui concerne Loudun dépend bien, à son origine, et, dans son premier développement, de la volonté royale.

De même, le choix de Laubardemont. Cet agent, en fonction dans le Poitou, reçoit la mission de démolir Loudun ainsi que Mirebeau, Royan, etc. Il y a des difficultés locales qu'on n'ignore pas à Paris : il est homme à les résoudre.

Ici intervient, sans doute, une autre spécialité reconnue d'ores et déjà à Laubardemont. Outre qu'il est un démolisseur qualifié, il a été entrainé, par ses services antérieurs, à la solution des difficultés d'ordre religieux. C'est un convertisseur, un convertisseur à la manière forte. Ainsi il a été désigné précédemment pour succéder au fameux Père de Lancre, Bordelais lui aussi, dans l'œuvre de la répression de la sorcellerie en pays de Labourd ; il y a fait pendre ou brûler des sorciers (peut-être des hérétiques mal convertis) par centaines.

Sorciers, sorcelleries, possessions, illuminisme.

En ce temps, hérésie, magie, sorcellerie, possession, illuminisme, tout cela faisait un- bloc bigarré de choses touchant à la religion, où la mysticité, la crédulité, la superstition se rapprochaient et parfois se confondaient. Dans les faubourgs de chaque bourgade, autour de chaque maison isolée, de chaque tombe entr'ouverte, de chaque chapelle en délabre, il y a un diable qui rôde, un sabbat qui s'ébranle.

Ce désordre intellectuel et moral s'ajoutait à tous les autres. Les aines fortes, les esprits droits étaient animés du vif désir d'y pourvoir[118]. C'était un devoir social dont on ne peut nier l'importance et la nécessité. La France était à l'heure où Descartes allait proclamer l'empire de la raison.

Le mal était profond. Le Mercure François de 1623, à propos des frères de la Rose-Croix récemment installés à Paris, présente un tableau singulier des faits d'intervention diabolique dans la vie courante, et notamment dans la vie religieuse. C'est un prêtre de Marseille, Gaufridy, brûlé en 1611 par arrêt de la Cour du Parlement de Provence ; c'est cette Marie de Sains, soi-disant Princesse de la Magie, condamnée à la prison perpétuelle à Lille en Flandre ; c'est Nicole Aubry de Laon, Marthe Brossier de Romorantin, Berthe Buvée d'Auxerre, Denise de La Caille de Beauvais. On ne s'étonnera donc pas, si le grand maitre des exorcistes, le Père Sébastien Michaélis, dans son Histoire admirable de la possession et de la conversion d'une pénitente, etc. publiée en 1611, s'adressant à la reine Marie de Médicis, écrit : ... Et nous espérons (non sans grande apparence) que notre petit Roi, votre fils, sera, comme un autre Josias, fait roi d'Israël à huit ans, égal même à David en piété, et qu'il mettra fin à toute l'idolâtrie de longtemps couvée parmi le peuple, brisant les idoles, mettant à mort tous les culteurs de Baal et magiciens...[119]

De tels égarements n'étaient pas de ceux qui peuvent laisser l'État indifférent. L'intervention du bras séculier était, d'ailleurs, invoquée par l'Église, et la Réforme elle-même se montrait tout aussi ardente à se réclamer de l'autorité en matière de foi que l'Église catholique.

La hiérarchie cléricale comportait et comporte encore une fonction, pour ainsi dire technique, celle d'exorciste. Bérulle, l'illustre et suave Bérulle, était exorciste. Il avait pris part, en cette qualité, à une affaire qui passionna l'opinion sous le règne de Henri IV, celle de Marthe Brossier, amenée par son père à Paris parce qu'on la disait possédée de trois démons. L'histoire est connue. Il suffit de rappeler que, dans cette affaire, se trouvèrent engagés nombre de ces clercs ou moines que les pays étrangers conquis par la Réforme déversaient sur la France et qui, dans leur ardeur passionnée, poussaient à l'extrême les thèses les plus risquées, Benoît Canfeld, Ange de Raconis, Archange de Pembroke, etc. Quelques-uns d'entre eux reparaîtront dans le procès de Loudun. Bérulle lui-même s'y trouva engagé. Il avait, en sa qualité d'exorciste, écrit un Traité des Énergumènes que, finalement, il garda dans ses tiroirs. Il était appuyé, d'ailleurs, par des docteurs hautement qualifiés. Le fameux André Duval, un des mitres les plus respectés de la Sorbonne, déclarait qu'empêcher d'exorciser les démoniaques, c'est priver les infidèles et les hérétiques d'un miracle que les exorcismes opèrent ordinairement et qui devient une preuve manifeste pour eux de la divinité de l'Église ; c'est en outre reconnaître que les démoniaques sont de la juridiction temporelle, ce qui est faux.

Oui ou non, un catholique peut-il à priori nier le fait de la possession ? Oui ou non, des miracles par exorcisme sont-ils de foi, étant attestés par les Évangiles, par les apôtres et les pères ?

Si oui, le cas des démoniaques, sorciers, illuminés et, d'une façon générale, les actes de possession et certaines interventions mystérieuses ayant les apparences diaboliques ne relèvent-ils pas de l'Église, et de l'Église seule, les pouvoirs séculiers ne pouvant agir que comme exécuteurs de ses sentences ? Même s'il s'agit de simulation, d'état pathologique, de troubles nerveux plus ou moins avérés, n'est-ce pas à l'Église qu'il appartient d'apprécier et de donner les suites convenables, avec essai d'exorcisme, s'il y a lieu ?

Par contre le pouvoir civil affirmait énergiquement son droit d'intervention et de sanction. Dans le cas de Marthe Brossier, les exorcismes furent interdits par arrêt du Parlement de Paris et Henri IV, s'étant mis en relation avec Rome, maintint l'interdiction. Il semble bien qu'on ait pris le parti d'étouffer l'affaire, Marthe Brossier s'étant réfugiée en terre pontificale à Avignon[120].

L'illuminisme et le primées des mystiques.

On ne peut comprendre ce qui s'est passé à Loudun, si l'on n'est pas averti d'un état d'esprit, d'une ambiance que l'abbé Bremond vient de mettre de nouveau en lumière au point de vue catholique, dans ses deux beaux livres : L'Invasion mystique et Le procès des mystiques.

Dans la première moitié du XVIIe siècle, on voit se dessiner et peu à peu s'affirmer les doctrines milanaises d'isabelle Bellinzaga et d'Achille Gagliardi, dites Charte d'Amour, celle des Illuminées de Séville (1623), celle que l'on attribua aux Illuminées de Picardie, celle des Diableries de Louviers, celle des Rose-Croix, celle des Adamites, qui, dans leurs assemblées cultuelles, se mettoient nus comme Adam et Ève l'étoient dans l'état d'innocence ; ces égarements débordaient en quelque sorte l'élan admirable vers Dieu des grands mystiques chrétiens. De telles nouveautés avaient pour protagonistes en France lé Père Vipera, successeur à Milan du Père Gagliardi ; le Père Archange Ripault des Capucins de la rue Saint-Jacques, dont l'abbé Bremond dit qu'on ne peut assurer qu'il n'eût pas, comme son frère, le cerveau quelque peu fêlé, Laurent de Troyes et le Père Rodolphe, qu'on laissa échapper de la Bastille, Pierre Guérin, curé de Saint-Georges de Roye (d'où les Guérinets), le Père Surin, Jésuite peut, titre encore plus suspect, que nous retrouverons auprès des possédées de Loudun, Benoît Canfeld, et tant d'autres[121].

C'était un courant, un de ces entraînements collectifs emportant les imaginations et enlevant les âmes hors des sentiments communs de l'humanité, sans qu'on pût bien discerner si elles s'élançaient vers l'empyrée ou si elles se précipitaient vers les plus ténébreux bas-fonds. Pour employer les propres expressions de l'abbé Bremond, la facilité désastreuse avec laquelle d'excellents esprits associaient alors dans une même épouvante, la contemplation et la magie, le diable et le grand extatique Canfeld est un des plus étranges problèmes de l'Histoire[122]. L'Humanité n'est jamais tranquille ; le malin galope parfois en front de bandière avec l'escadron des saints.

Rôle du bras séculier.

Les choses étant telles, doit-on s'étonner que l'homme qui avait pour destinée de mettre fin au grand désordre, Richelieu, se soit préoccupé de ces singulières obscurités ? Dans le temps même où éclatait l'affaire des possédées de Loudun, il avait à s'occuper de celle des Illuminées de Picardie, où l'on trouve la main du Père Joseph, de celle des Diableries de Louviers où une certaine Madeleine Bavent, supérieure des religieuses de Sainte-Elisabeth, joua un rôle analogue à celui de la supérieure des Ursulines, Mme de Belciel, et fit, par ses dénonciations, condamner au feu deux prêtres, l'un déjà mort, mais l'autre bien vivant.

Richelieu et Laubardemont seront encore de ce monde lorsque la discussion s'engagera, sur une pointe d'aiguille sur le vrai sens des fameuses propositions de Jansénius — ce conflit entre jansénistes et molinistes qui affola les générations les plus raisonnables de notre histoire[123].

Les possessions de Loudun, la condamnation et l'exécution d'Urbain Grandier se présentent donc sur un fond d'inquiétude morale, dont l'abbé Bremond a dit avec sa haute autorité : Nous n'avons à leur sujet ni le moyen, ni le droit de conclure.

Disons cependant, dès maintenant, pour bien connaître l'opinion du temps sur ce draine sinistre, que la principale héroïne, Mme de Belciel, supérieure des Ursulines, fut vénérée pendant sa vie et même après sa mort, en tant qu'exorcisée, à tel point que la Reine Anne d'Autriche voulut avoir sur elle sa chemise et près d'elle ses reliques, lorsqu'elle était sur le point de donner le jour à l'enfant qui devait être Louis XIV.

Les possédées de Loudun.

Les possessions de Loudun, dont le simple récit est à faire frémir de dégoût et d'horreur, mais dont l'étude s'impose dans une biographie de Richelieu, ne se seraient pas produites sana doute, si Louis XIII n'avait pas cru devoir, douze ans auparavant, par un acte de libéralité conforme, d'ailleurs, à la politique royale, ordonner la démolition du château et en accorder le profit à deux de ses familiers. Cette décision provoquait, nous l'avons dit, une querelle violente dans une ville dont la population était en proie aux plus ardentes dissensions religieuses.

Le Jean d'Armagnac qui joue un rôle décisif dans cette affaire, nous est connu par sa correspondance avec Urbain Grandier, saisie lors du procès[124]. C'est un homme assez peu intelligent, passionné, un peu sournois, attaché à des intérêts mesquins, tirant parti, à Loudun, de sa situation auprès du Roi, et, à la Cour, de sa fidélité à la cause royale dans cette difficile région

de l'ouest. C'est une sorte de baron de Fœneste, arrivé de sa province à la façon de tant de chercheurs de fortune : Etant couvert de broderies, avec trois laquais plutôt loués, un bidet plutôt emprunté, nous voilà dans la Cour du Louvre... En somme peu de chose et, à ce qu'il semble, engagé un peu plus qu'il n'eût fallu, dans les intrigues du temps, peut-être même dans la cabale de la duchesse de Chevreuse et de Châteauneuf.

A Loudun, Urbain Grandier, son ami et agent dévoué, qu'il excitera et compromettra, qu'il sauvera à diverses reprises et qu'il perdra à la fin, est le curé de l'église Saint-Pierre-du-Marché, chanoine de l'Église Sainte-Croix. Né en 1590, à Bouère dans le diocèse du Mans, élève des Jésuites de Bordeaux, âgé, lors des événements, d'un peu plus de quarante ans, c'était un bel homme, assuré de lui-même, ardent, vif, voluptueux, instruit, parlant bien, ayant tout ce qu'il fallait pour séduire les femmes et déplaire aux hommes. Selon le crayon que nous a laissé de lui un contemporain, Bouillaud, il avoit de grandes vertus accompagnées de grands vices, humains néanmoins et naturels à l'homme. On le trouvait docte, bon prédicateur, bien disant, mais il avait un orgueil et une gloire si grande que ce vice lui a fait pour ennemis la plupart de ses paroissiens et ses vertus lui ont accueilli l'envie de ceux qui ne peuvent paraître vertueux si les séculiers ne sont diffamés parmi le peuple[125].

Le livret qu'il avait écrit contre le célibat des prêtres et qui se serait trouvé en manuscrit dans ses papiers, donne une idée qui parait exacte de son savoir, de son éloquence et de sa hardiesse. Sa thèse tend à établir, entre l'engagement des moines et celui des prêtres séculiers, au sujet du devoir de chasteté, une différence d'une subtilité où il y avait quelque chose de très suspect. Il faut savoir, écrit Grandier, qu'il y a une grande différence entre les vœux que fait le moine d'être chaste et le vœu que fait le prêtre séculier de garder le, célibat. Le moine embrasse expressément la chasteté pour l'amour d'elle-même ; mais le prêtre n'embrasse pas le célibat pour l'amour du célibat, mais seulement pour être admis aux ordres sacrés. Le vœu du moine est intérieur et volontaire, étant formé dans son cœur et sa volonté ; le vœu du prêtre, au contraire, ne procède pas de sa volonté, mais il lui est imposé par l'Église, qui l'oblige, bon gré mal gré, à cette dure condition sans laquelle il ne peut exercer le sacerdoce. Ce vœu étant ainsi forcé, n'oblige pas si étroitement que fait le vœu volontaire du moine. Aussi est-il bien naturel de s'en dispenser[126].

Par cette argumentation subtile, il s'était convaincu lui-même de suivre la loi de nature. Parmi les multiples aventures féminines qui avaient mis aux champs les maris et les pères, il avait grâce à ces 'habiles distinguos et à ces adroites déductions, su troubler la conscience d'une honnête et pieuse jeune fille, Madeleine de Brou, appartenant à l'une des meilleures familles de Loudun, et qui était devenue sa maîtresse. D'autre part, sa conduite, son audace, son arrogance dans la dispute de la démolition du château lui avaient attiré la haine d'un monde qui a les moyens de se venger, celui des robins. Robe contre robe : autre dessous du conflit.

Les bavards, les incrédules, les Homais du temps engagèrent la lutte. Un apothicaire nommé Adam, qui avait colporté de graves propos sur le curé, fut poursuivi par celui-ci devant le Parlement de Paris et condamné comme diffamateur. Un avocat à la langue bien pendue, nommé Menceau, qui eût voulu épouser la riche demoiselle, entra dans la lice. Un certain chanoine Jean Mignon, jaloux des succès oratoires et peut-être féminins de son confrère Grandier, intenta à celui-ci un procès au nom du corps des chanoines, et le perdit. Un certain Jacques de Thibault, petit gentilhomme, vaguement parent d'une famille où Grandier avait exercé ses talents de séducteur, se porta en pleine rue à des voies de fait sur le curé, qui, vêtu de son costume ecclésiastique, se rendait à matines. Grandier porta plainte devant le Parlement de Paris. Mais voilà que l'affaire se complique dangereusement pour lui d'une question de compétence. L'évêque de Poitiers, Henry-Louis Chasteigner de La Rocheposay, que nous avons vu apparaître déjà dans l'histoire de Richelieu et qui, ayant été le fidèle soutien de celui-ci lors de l'élection aux États généraux de 1614, était resté son ami, fut saisi d'une plainte par l'archiprêtre de Loudun contre le curé de Saint-Pierre-du-Marché.

Cet évêque n'était pas un homme ordinaire : il avait fait preuve, à diverses reprises, d'autorité, de volonté, de résolution et même de passion. Un contemporain le décrit en ces termes déjà cités : Ce bon évêque, ad utrumque paratus, a fait croire de ceux qui en vouloient ignorer, que la cuirasse ne lui est pas moins séante que le surplis, le hausse-col que le rochet, le morion que la mitre, la pertuisane que la crosse et qu'un bon cheval d'Allemagne lui est aussi facile à manier que la haquenée blanche... Toujours les Chasteigners ont porté des fruits dignes des Rois, et, pour en dire la vérité, il est malaisé de les chatouiller sans en emporter quelques blessures[127].

Urbain Grandier et son évêque La Rocheposay.

Urbain Grandier allait bien le voir. Élève des Jésuites, il ne devait rencontrer qu'une sympathie médiocre auprès d'un évêque, ami déclaré de Jansénius et qui, ayant pris pour vicaire général Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, avait confié à celui-ci le soin d'écrire le fameux libelle : Apologie pour Messire Henry-Louis Chasteigner de La Rocheposay, évêque de Poitiers, contre ceux qui disent qu'il est défendu aux ecclésiastiques d'avoir recours aux armes en cas de nécessité.

Le grand personnage, bien en cour, devait trouver que ce petit curé faisait beaucoup de bruit. Tandis que Grandier saisissait de sa plainte contre Thibault le Parlement de Paris, l'évêque avait lancé contre lui un mandat d'amener pour être mis sous clef dans la prison épiscopale à Poitiers. D'autre part, Trincant, Fun des membres les plus actifs du groupe hostile à Grandier, recevait injonction de comparaître devant le Parlement de Paris, et le donneur de coups de canne, Thibault, recevait la même assignation. Urbain Grandier, protégé auprès de Louis XIII par son ami d'Armagnac, croyait avoir cause gagnée.

De cet assaut de procédure, résulte un entrecroisement de citations, d'exploits, d'incidents, de réquisitions, d'enquêtes, de contre-enquêtes, de témoignages et de faux témoignages, tels que l'ancienne procédure savait les faire naître et les multiplier pour la grande joie des amateurs de procès. Grandier est bien obligé d'obéir à la sommation épiscopale ; il accourt de Paris et se rend à Poitiers pour plaider sa cause auprès de son évêque. Or il est appréhendé et incarcéré dans les prisons de l'évêché. Le 3 janvier 1630, il est condamné à jeûner au pain et à l'eau tous les vendredis pendant trois mois, interdit a divinis dans le diocèse de Poitiers pendant cinq ans et dans la ville de Loudun pour toujours. Le jour même où il quittait la prison, le curé recevait une lettre de Jean d'Armagnac : Je ne vous abandonnerai pas, je vous assisterai jusqu'au bout[128].

Urbain Grandier prisonnier, puis libéré et triomphant.

Les évolutions de ce procès sont des plus compliquées. Inutile d'en rappeler le détail. Nous avons dit robe contre robe, voici maintenant officialité contre parlement et présidial. L'un des témoins qui a formulé contre Grandier une accusation de sacrilège, s'étant désisté, Grandier gagne sa cause au civil devant le présidial de Poitiers, auquel le Parlement de Paris a renvoyé l'affaire, le 25 mai 1631. D'autre part, en ayant appelé à son métropolitain, Sourdis, archevêque de Bordeaux, de la condamnation prononcée par l'autorité épiscopale, le curé obtient un jugement cassant l'arrêt de l'officialité avec absolution définitive. Il fait, à Loudun, une rentrée triomphale ; ses amis l'acclament. Peu après, une épidémie de peste éclate dans la ville et il se montre homme de dévouement (1632), il regagne ainsi tout ce qu'il avait perdu. Son orgueil, son audace s'en accroissent.

A Paris, d'Armagnac, qui, de loin, a tout surveillé, qui a parlé de Grandier au Roi lui-même et qui parait avoir convaincu Louis XIII de l'innocence du curé[129], se croit assuré d'obtenir gain de cause dans l'affaire de la démolition du château. Le 20 décembre 1631 (les dates importent beaucoup), il écrivait à Urbain Grandier, réinstallé à Loudun, de tâcher de s'arranger avec Thibault pour ne pas aigrir les affaires, et il lui annonçait que le Roi avait écrit au maréchal de Schomberg pour donner l'ordre de procéder à la démolition, exception faite du donjon.

Laubardemont va partir pour exécuter ces ordres. D'Armagnac ne doute pas que Laubardemont ne lui soit un allié et, le 31 décembre, il écrit, de Metz, où il accompagne le Roi, sur le ton du triomphe assuré : Je crois qu'à cette heure tout soit fait audit grand château... Je suis si aise que rien plus, de voir tous ces Messieurs là attrapés, et M. le Baron (Laubardemont) qui s'en réjouissait aussi. Ma femme s'en doit bien donner de gorges chaudes devant tous ceux qui l'iront voir... On n'attend plus que l'arrivée du commissaire et l'ouverture des lettres patentes confirmatives de par le Roi. Fameuses étrennes pour Jean d'Armagnac et Urbain Grandier, au début de cette année 1632 : leurs adversaires seront confondus.

Rôle de Laubardemont.

Cependant l'affaire traille de nouveau ; Laubardemont n'arrive pas. Que se passe-t-il ?

Certainement, il y a eu vers ce temps, à Paris, et aussi entre Loudun et Paris, un travail secret, des démarches, une intervention tendant à retourner le sentiment du Roi. En outre, une autre volonté se fait sentir, celle de Richelieu. D'où ces retards, ces tiraillements, ces silences, indices que l'affaire n'avance pas.

Le cardinal a, dans le pays, des correspondants qui assurément l'ont tenu au courant : c'est La Rocheposay, c'est Saint-Cyran, même Sourdis peut-être. Les échos des dissensions de Loudun lui arrivent, grossis, par les moines, les Capucins du Père Joseph et d'autres qui s'y trouvent mêlés. Surtout, le ministre avait dans la petite ville un correspondant, un homme à lui, qui comptait parmi les adversaires déclarés d'Urbain Grandier, Mesmin de Silly. Mais le fait le plus grave et qui va peser dorénavant dans l'un des plateaux de la balance, c'est quo le cardinal lui-même vient d'être élevé à la dignité de duc et pair et qu'il entend, dès lors, constituer le domaine de sa duché-pairie de Richelieu.

D'Armagnac avait immédiatement marqué le coup. Dès le 25 septembre 1631, il avait écrit à Urbain Grandier : J'ai vu de mes amis en cette ville (à Paris) qui croyoient que M. de Laubardemont fût déjà à Loudun et m'ont dit que, assurément, j'aurois tout contentement soit en une façon, soit en une autre (voilà le premier doute qui perce) ; mais pourtant qu'on croyoit que tout seroit abattu, même les murailles de la ville, pour anéantir d'autant la ville et sa juridiction, qu'un conseiller de la Cour va bien retrancher, allant pour établir la duché-pairie de la ville de Richelieu[130].

Richelieu et ses entourages dans l'affaire.

Richelieu commence à se préoccuper de l'affaire. Une nouvelle lettre, écrite de Fontainebleau par d'Armagnac, le 6 octobre, donne décidément la note de l'inquiétude : De Fontainebleau, 6 octobre. J'ai trouvé que aucuns mauvais esprits qui ne me veulent pas de bien ni, je crois, à la patrie, avoient porté la volonté du Roi et celle de Monseigneur le Cardinal à faire que, non seulement le grand château de Loudun seroit abattu, mais aussi le donjon, au préjudice de la seconde commission qui en avoit été donnée à M. de Laubardemont, etc.

Et il y a d'autres dessous : Lucas, au début, le co-partageant de la démolition, l'allié de Jean d'Armagnac, se sépare de lui jusqu'à devenir bientôt son adversaire. Sans doute, ne serait-il pas fâché d'avoir pour lui seul le bénéfice total de l'opération. Or Lucas est, nous l'avons dit, le secrétaire de la main du Roi. Il a naturellement beaucoup plus d'influence que Jean d'Armagnac. Et l'on trouve aussi, mêlé à l'affaire dans cette phase, le valet de chambre de Richelieu, Desbournais, et son secrétaire Le Masle, prieur des Roches. Personnages un peu effacés, mais qui, en s'agitant dans la coulisse, vont tout bouleverser.

Le certain, c'est que la décision favorable, toujours annoncée, tarde à se produire, la chose va traîner six mois encore, jusqu'en avril 1633. D'Armagnac, retenu par son service auprès du Roi, soit à Nancy, soit à Paris, peut se faire illusion et croire au succès final. La procédure engagée par Grandier contre Thibault est toujours pendante devant le Parlement. Finalement, le curé de Sainte-Croix, se refusant à toute conciliation, malgré les conseils donnés par la Cour, gagne son procès : Thibault est condamné de nouveau, quoique à une peine plus douce. D'Armagnac ne se tient pas de joie : Messieurs de Loudun, écrit-il, connoitront que le château et un gouverneur comme moi leur fait une grande ombre. Cette lettre est du 11 avril 1633. Coïncidence à noter Châteauneuf a été renvoyé du ministère le 5 février.

Naturellement, on est mal renseigné sur ces dessous multiples à Loudun. Que voit-on ? On voit que d'Armagnac et Urbain Grandier gagnent à tout coup. Chaque fois qu'on croit les saisir, ils échappent. Le curé, rentré à Loudun, pontifie dans son église et dans les parlotes amies ; par ses refus réitérés de se réconcilier, il affiche son insolence et affirme son influence. Comment avoir raison de ce prêtre scandaleux, de ce pécheur avéré ? Quels sont ses moyens ? D'ou vient sa force ? Le diable s'en mêle.... C'est un sorcier !

Maintenant, le diable !

Dans le courant de l'été 1632, le bruit court à Loudun que la supérieure du couvent des Ursulines, Madame de Belciel, en religion sœur Jeanne des Anges et quelques-unes de ses religieuses sont possédées du démon. L'ordre des Ursulines, fondé en Italie par Angèle Merici de .Brescia, récemment établi en France, avait créé en 1626 cette maison de Loudun. Le couvent s'était recruté dans les bonnes familles du pays : la supérieure était des barons de Coze, apparentés aux Laubardemont ; Claire de Razilly (en religion sœur Claire de Saint-Jean), était parente des Richelieu ; il y avait une religieuse de la maison de Nogaret, une autre de la maison de Sourdis. On assure même que le couvent abritait deux dames de Dampierre, propres belles-sœurs de Laubardemont[131].

La supérieure, âgée de trente ans environ, venait de Poitiers, où elle avait prononcé ses vœux. Si l'on en croit sa propre confession, écrite longtemps après les événements, elle était intelligente, perverse, orgueilleuse, disons déséquilibrée. Elle recevait le monde, se tenait au courant des bruits de la ville, avait une envie démesurée de jouer un rôle.

Nous savons, par les témoignages les plus mirs, que les couvents, après les graves désordres de la Ligue, avaient besoin d'une réforme. La maison de Loudun, quelque peu vide et désoccupée, retentissait sans nul doute des violentes querelles qui partageaient la ville et du bruit qui se faisait autour d'Urbain Grandier. Une des pensionnaires du couvent a raconté beaucoup plus tard que les plus jeunes d'entre elles avaient, pour s'amuser, feint des apparitions : escaladant les greniers[132], se glissant dans les chambres, enlevant les jupes, agitant les couvertures et les literies, elles avaient mis les religieuses aux champs.

La maison avait alors pour confesseur et directeur le chanoine Mignon, rival et grand adversaire d'Urbain Grandier. Mme de Belciel, encline naturellement au mal, imaginative, détraquée, lui fit part de ces singuliers troubles et des manifestations mystérieuses qui affolaient son monde et qui la bouleversaient elle-même.

Qui donc ignorait alors les méfaits de Satan à Marseille, à Chartres, à Lille, à Marmoutiers ? Le diable était partout : pourquoi pas à Loudun ? Le nom de Grandier, le beau curé si entreprenant, mais qui, toutefois, n'avait jamais pénétré dans la clôture, revenait fréquemment sur ces lèvres naïves, en appétit d'émotions et de surprises perverses. Mignon, après de nombreuses conférences avec les adversaires de Jean d'Armagnac et d'Urbain Grandier, ne laissera pas échapper l'occasion. Un bon procès en sorcellerie aurait enfin raison du fameux triomphateur.

Mignon monte son coup admirablement. L'évêque de Poitiers est prévenu. Les exorcistes sont mandés. On en avait un de tout premier ordre sous la màin, un certain Barré, curé de Saint-Jacques de Chinon. La première enquête fut menée à huis clos huit ou dix filles furent reconnues possédées. Les diables qu'elles avaient au corps, interrogés, répondaient par la bouche de leurs victimes ; ils déclinaient leurs noms, leurs attributs, leur spécialité, apportaient des faits précis, des dates, des preuves, dévoilaient les pactes ; le tout dans un latin plus ou moins correct, avec force sauts, cabrioles, contorsions, injures et obscénités en tout point semblables au formulaire des possessions. Les diables et les sœurs simultanément reconnaissaient Urbain Grandier comme leur maitre et comme le sorcier qui les avait enchaînés à leur sort commun.

Laubardemont prend en mains l'affaire de la possession.

C'est sur ces entrefaites que Laubardemont finit par apparaître à Loudun avec mission de veiller à la démolition du château, mais dans des conditions qui décevaient grandement d'Armagnac et ses amis : le donjon n'était plus conservé ; d'Armagnac était chassé de son domicile et de ses prétentions. Lucas aurait seul le bénéfice de la démolition.

En plus, Laubardemont arrivait juste au moment où son autre spécialité pouvait s'exercer. Le Père Tranquille, un des maîtres de l'affaire et dont le récit a inspiré en partie les Mémoires de Richelieu, y voit une circonstance providentielle : Ainsi vous diriez, écrivait-il, que, par une heureuse rencontre, qui n'est pas sans le conseil de pieu, sa première commission dans Loudun (la démolition) a servi de prélude à la seconde (le procès d'Urbain Grandier) et que, tandis qu'il démolissoit une citadelle de l'hérésie, il se préparoit à jeter par terre un boulevard de la magie[133].

Laubardemont avait déjà sans doute, sinon sa conviction faite, du moins sa voie tracée ; car il se mit immédiatement en relations avec les adversaires du gouverneur d'Armagnac et du curé Grandier. Arrivé à Loudun le 4 novembre 1631, il reçoit d'eux des exposés passionnés sur le trouble répandu dans la ville ; et il puise dans ces délations et racontars un argument de nature à frapper le cardinal : Grandier serait l'auteur d'un pamphlet anonyme remontant à 1617 et des plus violents contre Richelieu La Cordonnière de Loudun[134]. Ainsi, au moment où le scandale du couvent éclate, Laubardemont est à pied d'œuvre, son dossier est tout prêt, ce qui le fit résoudre, dit le Père Tranquille, d'en donner avis au Roi, jugeant bien que les démons ne pourroient être chassés qu'à coups de sceptre, et que la crosse ne serait pas suffisante pour rompre la tête à ce dragon qui avoit jeté son poison contre des âmes innocentes... La question est tranchée, c'est le pouvoir civil qui prendra en main l'affaire : Sa Majesté, ajoute le Père, n'eut pas de peine à se résoudre d'embrasser cette affaire et de la rendre sienne. Ainsi, dans les premiers jours d'octobre 1632, sur la tragédie devenue publique et officielle, le rideau se leva.

Nous n'avons pas à la raconter : elle est dans toutes les mémoires. La polémique s'en est emparée. Les premiers récits qui la répandirent beaucoup plus tard[135] émanaient, après la révocation de l'Édit de Nantes, de publicistes protestants qui, par des artifices de rédaction et des insinuations haineuses, ont cumulé horreur sur horreur, dégoût sur dégoût. La vérité suffit. Mignon ne cachait pas au bailli de Loudun son sentiment que cette affaire avoit quelque chose de semblable à l'histoire de Gauffridi qui fut exécuté à mort par vertu d'arrêt du Parlement d'Aix, étant convaincu de magie[136]. On voit de quels précédents le mal s'autorisait.

Instructions données à Laubardemont.

Bien muni de tout ce qui relevait de sa compétence, Laubardemont quitte Loudun et vient à Paris. Un conseil est tenu à Rueil auquel assistent, outre le Roi et le cardinal, le chancelier Séguier, le surintendant Chavigny, le secrétaire d'État La Vrillière, le Père Joseph et Laubardemont lui-même. Laubardemont reçoit ces instructions signées SÉGUIER : M. de Laubardemont se rendra à Loudun et, y étant, informera diligemment contre ledit Grandier sur tous les faits dont il a été ci-devant accusé... et qui lui ont été reprochés pour inconduite, séduction, scandales notoires, et autres qui lui seront mis ès mains touchant la possession des religieuses dudit Loudun et autres personnes qu'on dit être possédées et tourmentées des démons par le maléfice dudit Grandier. Informer de tout ce qui s'est passé dès le commencement tant aux exorcismes qu'autrement sur le fait de ladite possession ; se faire reporter les procès-verbaux et autres actes des commissaires à ce délégué ; assister aux exorcismes qui se feront ; et du tout faire procès-verbaux et autrement procéder comme il appartiendra par la preuve et vérification entière desdits faits ; et, sur le tout, instruire faire et parfaire le procès audit Grandier et à tous les autres qui se trouveront complices desdits cas jusques à sentence définitive inclusivement, nonobstant oppositions, appellations et récusations quelconques, pour lesquelles et sans préjudice d'icelles ne sera différé ; même, attendu la qualité des crimes, sans avoir égard au renvoi qui pourroit être requis par ledit Grandier. Mandant Sa Majesté à tous les gouverneurs et lieutenants généraux de la province et à tous baillifs, sénéchaux, vice-sénéchaux, prévôts, leurs lieutenants, maires et échevins des villes et autres officiers et sujets qu'il appartiendra, donner, pour l'exécution de ce que dessus, toute assistance et main-forte, aide et prisons si métier est qu'ils en soient requis.

Le sens de ces instructions est très clair quand on commit les circonstances antérieures et les vues de Richelieu sur l'administration du Royaume. Il s'agit, dans une matière où l'ordre, le grand ordre est en cause, de faire connaître et exécuter la volonté du Prince, à défaut d'organes administratifs inexistants, par des commissaires spécialement délégués et agissant de pleine autorité royale et sans réplique. Dans cette circonstance, la cause du Roi et la cause de Dieu sont unies. L'envoyé du Roi a tous les pouvoirs ; il assistera aux exorcismes et aux œuvres de procédure de caractère ecclésiastique ; il s'enquerra même touchant la possession des religieuses et autres faits analogues ; son enquête s'étendra à tous les faits dont Grandier a été ci-devant accusé et qui ont été retenus jusque-là par le tribunal ecclésiastique. Et cet enquêteur extraordinaire sera, en même temps, un juge sans appel : faire et parfaire le procès audit Urbain Grandier jusques à sentence définitive... En bref, aux attentats contre l'ordre public, contre la paix intérieure, contre la morale et la religion, on impose une juridiction exceptionnelle ; on envoie un missus dominicus, appelons-le par son titre officiel, — par l'envoi d'un intendant. Observons en plus, qu'à Loudun, le commissaire délégué pour une affaire si délicate n'est pas un homme ordinaire : c'est un technicien des affaires religieuses, Laubardemont.

Dans le même Conseil, une autre décision a été prise et elle a été transmise au commissaire par le secrétaire d'État, La Vrillière : Urbain Grandier sera immédiatement arrêté et emprisonné[137].

Laubardemont a pris le vent de la Cour. Il sait ce qu'il a à faire. Il sait que le cardinal aime les coups d'autorité, ne fût-ce que pour empêcher un plus grand mal par une rigueur exemplaire ; il sait que le nouveau duc et pair cherche à dégager son domaine ducal ; il sait que ces affaires de possession, d'illuminisme, d'adamisme, préaadamisme, nudisme, etc., sont à l'état aigu et que les puissances soit spirituelle soit temporelle ont résolu d'en finir avec ce désordre, décidées s'il le faut, à peser de tout le poids de leur autorité unie. Il n'ignore pas que mille petites passions basses et intérêts mesquins se sont coalisés autour de l'affaire de la démolition et que le Roi lui-même est chambré par son secrétaire Lucas. Et il sait surtout qu'il a en mains une occasion unique de faire sa cour et de pousser sa carrière, de prouver son zèle, de faire connaître son mérite, sa fermeté, sa vigueur auprès d'un Roi dévot et d'un ministre exigeant. Il sait tout cela ; il a ruminé tout cela ; il part pour Loudun.

La procédure est menée rondement.

Laubardemont arrive le 6 décembre ; le 7, Grandier est arrêté par le lieutenant de la maréchaussée et conduit sous bonne escorte au château d'Angers.

L'enquête se déploie d'abord dans la ville, qui en est toute bouleversée. Comme homme et comme prêtre, Grandier est dans une situation des plus fâcheuses. Écoutons la déposition d'un de ceux qui l'accusent : Notre curé est de vie si scandaleuse et sa doctrine est si mauvaise, que M. l'Évêque de Poitiers a fait informer contre lui et décréter de prise de corps, ce qu'ayant su, il s'en est allé et n'a point voulu aller trouver mondit sieur Évêque, qui l'avoit mandé avant de décréter... Tous ses amis ici l'ont abandonné et n'y a homme d'honneur en cette ville qui tienne son parti, aussi qu'il n'y a point d'honneur, vu le scandale dont il est plein. On l'accuse de tenir la doctrine de Théophile Scandale sur scandale. C'est une chose étrange et déplorable que, de ma connoissance, je n'ai point vu de curé en cette ville qui n'ait été scandaleux ![138]...

La doctrine de Théophile ! Oui ou non, est-ce le grand désordre ?... Et cela se passe à Loudun, sous les yeux des protestants, alors que l'on prétend les convertir ! Ils rient sous cape et soutiennent en dessous le curé et le gouverneur pour sauver, avec la forteresse, l'autonomie d'une place qui leur a servi d'asile et qui peut leur servir encore.

L'enquête dure tout le long de l'hiver, aggravant les désordres enragés de la petite ville. Et l'on entend, par intervalles, le diable qui rugit au couvent des Ursulines !

Les exorcistes de qualité ont été appelés : c'est le Père Lactance, le Père Tranquille, honnêtes gens, compétents, sincères, qui, dans le pugilat héroïque engagé contre le Malin, vont donner leur mesure. Le Père Tranquille écrira bientôt, dans son compte rendu adressé au cardinal de Richelieu : Pour ce qui est du fait de la possession, je ne voudrois que le simple raisonnement d'un esprit non préoccupé, pour fermer la bouche à la calomnie et faire voir que ceux qui la baptisent du nom de fourbe pèchent ou contre la raison ou contre la conscience ; car, je vous prie, comment est-il possible qu'un nombre de filles religieuses (sans parler des séculières), toutes de bonne maison, qui ont été soigneusement nourries et élevées à l'honnêteté et à la piété, soient devenues fourbes du jour au lendemain et soient passées d'une extrémité à l'autre, sans que les violences et les contraintes aient jamais paru dans leur naturel et dans leurs bonnes habitudes ?... Elles auroient appris en un jour tout le mal que savent les hommes perdus dans les plus grandes débauches et les femmes les plus abandonnées ! Elles auroient passé d'un plein saut de tout ce que la nature et la grâce ont mis de bon en elles dans un état d'impiété, de sacrilège et d'ordure ![139]

Et puis, comment aurait-on l'audace de ne pas tenir compte des autorités, dont la conviction, à elle seule, répondrait de l'œuvre accomplie selon les règles ecclésiastiques par les exorcistes ? C'est le Roi en personne ; c'est le cardinal de Richelieu ; c'est l'évêque de Poitiers, et puis le collège de la Sorbonne, cet oracle des sciences divines que l'on ne peut contredire sans témérité et qui a donné son attestation, par laquelle étant dûment informé, il a déclaré que le mal des Ursulines de Loudun est une véritable possession ; c'est enfin la foule des théologiens, prêtres, religieux de tous les ordres, Jésuites, Oratoriens, Dominicains, Capucins, en un mot ce cortège solennel que l'on retrouve trop souvent autour des grandes erreurs humaines.

La mère du malheureux Grandier ne cessera de se débattre, de lutter pour son fils. Le 27 décembre, dans une supplique adressée à Laubardemont, elle implorera la piété et l'équité du commissaire lui-même et le suppliera de renoncer à l'instance. Du tac au tac, un arrêt du Conseil d'État ordonnera de poursuivre l'instance, nonobstant tout appel. Les deux frères d'Urbain Grandier, hommes sans reproche et qui se sont jetés dans la lutte avec une décision digne d'éloge, sont arrêtés par ordre du chancelier Séguier.

L'opinion du temps sur le drame des possédées.

De Loudun et de cet ouest divisé, l'émotion gagne la France entière. A Paris, Testu, le chevalier du guet, fait son rapport à Richelieu, le 26 mai 1634 : Je crois être obligé, Monsieur, de vous dire que cette affaire de Loudun fait ici beaucoup discourir et principalement au Parlement et je vous dirai que je ne vois guère de personnes qui y ajoutent foi et que l'on tient cela pour imposture et que l'on dit que le sieur de Laubardemont est ennemi de ce curé....[140] Ce sceptique Paris, avec la promptitude de ses partis pris, avec son dangereux bavardage ironique, peut tout gâter. Dans l'ensemble les esprits sont divisés. Le médecin François Pidoux doyen de la faculté de médecine de Poitiers dans plusieurs mémoires nie la possession et attribue les faits relevés par l'enquête à des causes naturelles[141].

A Loudun, la terreur règne ; les esprits modérés, les hommes de bon sens, qui généralement n'aiment pas à se compromettre, se mettent en mouvement : par une supplique solidement motivée ils demandent que le Roi les entende. Lucas veille et étouffe leur requête.

Les avocats de Grandier rédigent pour sa défense un factum qu'ils lui soumettent. Avec cette force calme qu'il montra jusqu'au bout, il leur dit : Faites la procédure, s'il vous plaît, et n'y oubliez rien. Mais il refuse de signer : Je n'ai pas voulu signer le factum, dit-il, pour n'offenser personne. Il l'accompagne, cependant, d'un appel à ses juges : Vous aurez à comparoitre devant Dieu, souverain juge du monde, pour lui rendre compte de votre administration. Dieu parle aujourd'hui à vous qui- êtes assis pour juger ; Dieu assiste en l'assemblée du Dieu fort ; il est juge parmi les juges. Jusques à quand aurez-vous égard à l'apparence des méchants ? Faites droit au chétif et à l'orphelin ; faites justice à l'affligé et au pauvre ; secourez le chétif et le souffreteux et le délivrez de la main des méchants.

La scène décisive. Le grand exorcisme.

Laubardemont sent que l'air s'épaissit autour de lui et qu'un orage pourrait bien s'amasser. Il se décide à frapper un grand coup. La scène est préparée avec soin ; elle aura lieu dans l'église Sainte-Croix, le 23 juin. Et ce fut une représentation de l'exorcisme, admirablement réglée, devant les deux pouvoirs, l'évêque et le commissaire royal. La Rocheposay était venu de Poitiers pour présider la cérémonie, Laubardemont ayant déclaré que l'exorcisme n'était pas de sa compétence. On va confronter Grandier avec le diable.

Le curé, amené de sa prison, reçoit l'ordre d'exorciser lui-même les possédées. Il revêt docilement l'étole et prend en main le rituel. Il fait observer cependant, mais sans insister que, s'il croit à la possession puisque l'Église y croit, il n'estime pas qu'un magicien puisse faire posséder un chrétien sans le consentement de celui-ci, — Objection qui eût fait crouler tout l'édifice de l'accusation. Réprobation générale ; on crie : A l'hérésie ! L'accusé va-t-il se dérober au spectacle, si impatiemment attendu ? Il se tait. Puis il demande à l'évêque qui il doit exorciser ? L'évêque répond sèchement : Ces filles. Alors Grandier commence suivant les pratiques du rituel.

Sans plus tarder, le diable engage la lutte : La supérieure et la sœur Claire de Razilly se distinguent par la violence et le cynisme de leur langage. Elles s'élancent au-devant de Grandier, lui reprochant son aveuglement et son opiniâtreté. Elles s'offrent même à rompre le col de l'exorciste improvisé. Exaspérées par la fermeté du prêtre, elles se livrent à tous leurs emportements, elles poussent des cris de fureur et de véritables rugissements. On les vit, nouvelles ménades, les vêtements en lambeaux, à demi-nues et toutes rayonnantes d'impudicité, montrer leurs seins gonflés de luxure, se complaire dans les attitudes les plus obscènes, se ruer enfin sur leur victime. Les assistants étaient glacés de terreur ; Grandier demeurait calme. On eût dit qu'il avait une légion d'anges pour le garder... De plus en plus furieuses, elles lui jetèrent leurs pantoufles à la tête. Sans s'émouvoir, il dit : Voilà des diables qui se déferrent d'eux-mêmes. Dans un dernier accès de fureur, lisons-nous dans une relation du temps, elles s'élancèrent sur lui, mais, cette fois, avec une telle rage que Grandier eût été certainement mis en pièces si les assistants ne lui avaient facilité les moyens de sortir[142].

Le jugement et le supplice.

L'évêque prononça, le 10 août, que les religieuses Ursulines étoient véritablement travaillées des démons et possédées du malin esprit. Le commissaire pouvait, en vertu de ses pouvoirs, rendre le verdict. Il avait cru plus habile (peut-être plus prudent) de constituer une sorte de commission judiciaire, ramassée à vingt lieues à la ronde et composée d'hommes sûrs. Le 18 août, ce tribunal de fortune, — et d'infortune, — se réunit au couvent des Carmes et, sans même citer à la barre l'accusé, formula l'acte de condamnation rendu au nom du commissaire royal : Vu par nous, commissaire député, juge souverain en cette partie suivant les lettres patentes du Roi du dix-huitième juillet 1634, le procès criminel fait à la requête du procureur de Sa Majesté, demandeur et accusateur, pour crime de magie, sortilège et irréligion, impiété, sacrilèges et autres cas et crimes abominables, d'une part, et maitre Urbain Grandier, prêtre curé de l'Eglise Saint-Pierre-du-Marché de Loudun, prisonnier, défendeur et accusé, d'autre part ; Nous avons déclaré et déclarons ledit Urbain Grandier dûment atteint et convaincu du crime de magie, maléfice et possession ; ensemble des autres cas et crimes résultant d'iceux, pour réparation desquels, nous l'avons condamné et condamnons... à être conduit à la place publique de Sainte-Croix pour y être attaché à un poteau sur un bûcher et y être son corps brûlé vif avec les cartes et caractères magiques, etc. Auparavant que d'être procédé à l'exécution dudit arrêt, ordonnons que ledit Grandier sera appliqué à la question ordinaire et extraordinaire sur la vérité de ses complices. — Prononcé audit Loudun, 18 août 1634, et exécuté le même jour.

Ces cinq dernières lignes sont à faire frémir, aussi longtemps qu'il y aura une conscience humaine. Torture sans raison, complices sans complicité, arrêt sans droit et sans grâce. Nul recours. Exécution immédiate. Nulle rémission ; nulle pitié pour la victime, — ni pour les juges — car les juges seront à jamais condamnés.

Cette journée du 18 août vit une accumulation d'horreurs dont seules les dissensions politiques, les exaltations religieuses et les petites haines exaspérées sont capables.

Couvert d'une chemise de toile et de quelques hardes, Grandier fut conduit en carrosse au palais de justice, au milieu d'une foule énorme. Il fut exorcisé à son tour. C'est là qu'il prononça son appel suprême : Messeigneurs, dit-il aux juges assemblés, j'atteste Dieu, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, et la Vierge, mon unique avocate, que je n'ai jamais été magicien ni commis de sacrilège, ni connu aucune magie que celle de la Sainte Écriture, que j'ai toujours prêchée. J'adore mon Sauveur et le prie que le sang de sa passion me soit méritoire[143].

La torture commença. Les jambes serrées entre deux planches au niveau des genoux et, en bas, au niveau des pieds ; les coins enfoncés à coups de maillet ; les os claquant, le sang giclant. Le Père Lactance criant : Cogne ! cogne ! cogne ! Et les coups de maillet et les cris de douleur, et le raidissement du corps en syncope. Le temps que le malheureux se remette et la torture recommence : Parle ! Parle ! Dicas, dicas !... s'écrie le Père, qui assure-t-on, prit lui-même le maillet. On retira les planches. La moelle des os se répandait avec le sang. L'homme gardait le silence. Il dit seulement aux Pères : Attendite et videte si est dolor sicut dolor meus !Regardez et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur !

On lui fit prendre quelque nourriture. Laubardemont, penché sur lui, le pressa atrocement pour obtenir un aveu. Le patient ne dit mot. On le vêtit d'une chemise soufrée, on lui mit la corde au cou et, le hissant sur un tombereau attelé de six mules, on le conduisit à la place, devant le portail de l'église Sainte-Croix.

Cette place est aujourd'hui telle qu'elle assista au supplice : encadrée de maisons basses à fenêtres étroites, soutenues par des charpentes apparentes, et des arcades mesquines ; on dirait qu'elle respire encore l'odeur de la chair brûlée. Sur les portes, aux fenêtres, sur les toits, une foule dense se pressait, se penchait pour ne perdre ni un geste, ni un cri, ni un souffle.

Les exorcistes mirent le feu au bûcher. On entendait des cris de pitié adressés au bourreau : Étrangle ! Étrangle ! La corde était nouée. Le bourreau ne put ou ne voulut le faire. Du milieu des flammes et de la fumée, quelques mots envolés dans le vent : Deus meus ad te vigilo. Miserere mei, Deus ! Et enfin : Mon Dieu, pardonne à mes ennemis ! Les cendres furent jetées au vent[144].

Que devint la supérieure Jeanne des Anges ?

Avant d'en venir à l'examen des responsabilités de l'intendant Laubardemont et du cardinal de Richelieu dans cette déplorable affaire des possédées de Loudun, il est indispensable d'en indiquer les suites et la conclusion, non sans se rapporter à l'esprit du temps.

Après la mort du prêtre, condamné comme magicien, ni les possédées, ni leurs manifestations, ni les exorcismes, ni les diableries ne cessèrent. Le tout devait finir par un miracle et par une vénération quasi-cultuelle s'adressant à Mme de Belciel pendant le reste de sa vie. La foule catholique et croyante se pressait à Loudun pour assister aux exorcismes, confiés désormais aux Jésuites, ceux-ci ayant à leur tête un homme d'un mysticisme ardent, certains ont dit désordonné, le Père Surin.

Le concours de grands personnages comme Monsieur, frère du Roi, lord Montagu, le comte du Lude, sans parler de sceptiques, médecins et autres ricaneurs, fit aux Ursulines une publicité croissante. Les rieurs affirmaient que le nombre des diables augmentait avec celui des exorcistes.

Une heure vint où un miracle se produisit : par l'intervention de saint Joseph Mme de Belciel se trouva exorcisée soudainement[145].

La démolition du château était achevée. D'Armagnac, le gouverneur valet de chambre, avait perdu tout crédit auprès du Roi. Il allait périr bientôt (23 avril 1635) assassiné par un domestique renvoyé. Lucas avait sa démolition. Le duché-pairie était débarrassée de la forteresse. Le gouvernement de Loudun devait rester vacant jusqu'à la fin du règne. Peu à peu les querelles s'apaisèrent.

L'exorcisme de sœur Jeanne des Anges eut lieu définitivement en 1638. Le diable, furieux de quitter la possédée aurait laissé, sur la chemise qu'elle portait au moment de l'accès qui la mit à deux doigts de la mort, cinq gouttes de sang. Le miracle était confirmé et scellé de ce sceau infernal. Jeanne des Anges passa à l'état de miraculée. La chemise où restait la marque des prodigieux arrachements, devint elle-même sacrée, et les femmes en mal d'enfantement la réclamaient aux heures douloureuses.

Jeanne de Belciel se mit à parcourir la France. Elle fut reçue à diverses reprises par le cardinal de Richelieu, qui lui fit don de cinq cents écus. Elle alla en pèlerinage sur la tombe de saint François de Sales. Au retour, elle passa par Saint-Germain, où la reine Anne d'Autriche était sur le point d'accoucher. La Reine voulut revêtir la chemise aux cinq gouttes sanglantes, et ainsi vint au monde l'enfant qui devait être Louis XIV. Jeanne des Anges mourut impotente, le 29 janvier 1665, et sa tombe attira longtemps encore les pèlerins. Ce fut seulement en 1772 que M. de Saint-Aulaire, évêque de Poitiers, supprima le couvent des Ursulines de Loudun. Cent cinquante ans s'étaient écoulés : au siècle de la foi avait succédé le siècle de l'incrédulité.

Le rapport d'un homme plein de zèle.

Revenons à Laubardemont.

Le surlendemain de l'exécution de Grandier, le commissaire royal, en envoyant à Paris l'un des juges, le sieur Richard, pour rendre compte, adresse au cardinal un rapport où se reconnaissent d'emblée les sentiments sincères ou affectés, les manifestations de zèle et les sourdes ambitions du terrible personnage : Votre Éminence a témoigné des sentiments si pieux et si charitables au mal des religieuses Ursulines de cette ville et autres personnes séculières affligées des malins esprits que j'ai cru qu'elle auroit plaisir d'être particulièrement informée de ce qui s'est passé au jugement du procès que j'ai fait et instruit contre l'auteur de ce maléfice... Après quelques lignes sur le procès et le supplice, où le nom d'Urbain Grandier n'est même pas prononcé, la lettre aborde les considérations faites pour frapper l'esprit du ministre de l'ordre : Cette occasion, Monseigneur, a déjà produit la conversion de dix personnes de différentes qualité et sexe. Nous n'en demeurerons pas là s'il plan à Dieu... Je me suis promis, pour la fin de cette œuvre, la conversion de tous les hérétiques du Royaume... Mais quoi ! Monseigneur, m'étant peut-être trop avancé et au-delà des termes de ma commission, pardonnez, s'il vous plan, à mon zèle et à l'ardent désir que j'ai pour votre gloire. Vous nous donnez tous les jours de nouveaux sujets d'admirer votre vertu : je ne puis que je ne fasse aussi journellement des vœux pour la prospérité de votre administration. Si vous avez agréable, Monseigneur, que je vous parle de notre affaire, je dirai à Votre Éminence que nous avons ici vécu dans un grand ordre et police et avec une telle union qu'il a semblé que nous étions tous animés d'un même esprit ; nous n'avons eu qu'un avis en toutes choses ; l'arrêt a passé tout d'une commune voix... Que pouvait-on dire au grand chef de l'ordre qui le touchât davantage ? La lettre se termine par une demande d'avancement pour le lieutenant général de Chinon, qui s'est montré le plus zélé agent de la procédure... De l'avancement, n'est-ce pas la légitime préoccupation de tout bon fonctionnaire ?

Il ne fuit pas, d'ailleurs, perdre de vue ces entourages qui ont de loin apporté de si précieux concours. Laubardemont écrit, un mois après, au secrétaire de Richelieu, Le Masle, prieur des Roches, qu'il qualifie, pour la circonstance, de surintendant général de la Maison de Monseigneur l'Éminentissime Cardinal — on compte qu'il saura, le cas échéant, rafraîchir la mémoire de son puissant maitre — : Ce porteur vous présentera le plan que, suivant votre ordre, j'ai fait faire de la place qu'il vous plut visiter étant en cette ville. Elle est suffisante pour y bâtir un très beau couvent... Le dessein que vous avez témoigné pour une si sainte entreprise fait gronder les diables dans les corps des religieuses Ursulines.

On dirait qu'il sent déjà là-bas une sorte d'indifférence pour le service éminent, mais quelque peu gênant, qu'il a su rendre : J'offre constamment nia vie à qui pourra remarquer erreur ou supposition quelconque en aucune partie de ma procédure, laquelle est toute pleine de prodiges et de miracles qui ne sauroient être contestés que par ceux qui ne veulent croire qu'à leur propre sens. Mais, comme je ne nie suis proposé aucune récompense temporelle en mon travail, si ce n'est celle que je reçois en moi-même en satisfaisant fidèlement aux commandements du Roi et de Monseigneur le Cardinal, qui m'ont fait l'honneur de nie nommer en cet emploi, je reçois tous les jours de la part de Dieu de si bons sentiments de piété et de charité, que je ne puis être ébranlé par les discours du monde en la résolution que j'ai de chercher sa gloire dans la fin de cette œuvre... Admirable modèle pour Molière.

Quelques semaines après, le terrible homme est réduit à la défensive. On prétend lui arracher le privilège réclamé par lui de conduire à bonne fin cette affaire où il a déployé tous ses talents. Les Grands jours de Poitiers, après avoir pendu deux cent trente-trois gentilshommes et vilains dans la province, voudraient étendre leur justice sur Loudun. Laubardemont dénonce un si dangereux empiètement dans une lettre au cardinal, datée du 28 novembre : Monseigneur, ceux qui, par leur souffrance et par leur action ont quelque part à cette bonne œuvre (lui-même, avant tout, bien entendu), ne vous seront pas moins redevables de l'honneur qui leur doit revenir de la persécution qui leur est faite par la malice des démons (le diable se venge) et des hommes, que de la protection qu'ils reçoivent de Votre Éminence lorsqu'elle en est requise pour le bien de la justice. Vous avez, Monseigneur, dès le premier jour et d'un seul trait de votre esprit, pénétré et compris parfaitement cette vérité... qu'il est comme impossible que cette affaire soit réduite et traitée autrement que par personnes expresses, qui soient toujours présentes et attachées par un continuel soin et travail à observer tout ce qui se passe... Autre exigence, classique chez le bon fonctionnaire : pas d'ingérence ; chacun son dossier, son carton, son bureau, sa boutique.

Comment récompenser un si fidèle serviteur, un homme qui est devenu à tel point l'homme du ministre, l'homme de l'État, l'homme du Roi ? Comment le ministre trouvera-t-il des agents de cette qualité, s'il ne les emploie pas, s'il ne les soutient pas, s'il ne les garde pas là où ils ont fait leurs preuves, tout prêts à recommencer s'il le faut et si on le leur commande ? Laubardemont est nommé intendant des provinces du Maine, Anjou et Touraine[146]. Il l'était en 1636, puisque nous le voyons faire, en cette qualité, une levée de troupes à Tours le 28 août de cette année et adresser, sous cette date, à Richelieu, des renseignements sur la fameuse duchesse de Chevreuse, dont le groupe intrigue toujours dans l'ouest[147]. Il peut ajouter à son titre d'intendant de Touraine celui du pays de Lodunois.

On ne laisse pas se rouiller sa compétence dans les matières ecclésiastiques. II informe, en juin 1637, contre les abbés d'Olivet et Bartelles (celui-ci fils de Scarron), qui, au dire de Richelieu, ont fait des exécrations si étranges en leurs abbayes, qu'il est impossible de les entendre sans horreur.

Et c'est encore lui, qui en 162, sera chargé de l'interrogatoire de Saint-Cyran, qu'on mettait, à la Bastille parce qu'il écrivait un livre sur la présence réelle. Il est vrai qu'un tel livre ouvrait, du coup, la querelle du jansénisme qui allait être, pour le siècle, une toute autre affaire que celle des possédées de Loudun. C'est sur le rapport de Laubardemont que Richelieu disait, en visant cet ouvrage, nid de vipères lâché par son ancien ami : Il le continuera en prison[148].

Richelieu garda jusqu'au bout sa confiance à ce dangereux serviteur qui n'eut même pas les troubles de conscience d'un Hay du Châtelet et d'un Laffemas. Quand il fut question du procès de Cinq-Mars, qui pouvait blesser le Roi au cœur, c'est encore à lui que recourut le cardinal. Celui-ci écrivait de Tarascon, lors de son ultime voyage, que pour faire le procès de MM. de Bouillon et Cinq-Mars, où il fallait des gens de probité et d'autorité ; il approuvait le chancelier Séguier d'avoir choisi MM. de Marca et Laubardemont[149].

Homme à poigne, ni plus ni moins, telle est sa réputation auprès de ses contemporains. Lorsqu'il mourut, le 22 mai 1653, Loret écrivit :

Laubardemont, homme d'État, Duquel on faisait de l'état,

A senti son heure mortelle.

Il eut jadis grosse querelle

Avec les diables de Loudun,

Dont il fit enrager plus d'un

Lorsque, par un arrêt tragique,

Grandier fut, en place publique,

Brûlé bien ou mal à propos.

Mais laissons les morts en repos.

Quelle est maintenant la responsabilité de Richelieu ?

Chose frappante : les archives de Richelieu aux Affaires étrangères ne paraissent avoir conservé aucun dossier spécial relatif à cette affaire de Loudun. Laubardemont affirme avoir reçu des Lettres closes du cardinal au sujet de la doctrine de la possession[150] ; mais elles n'ont pas été retrouvées.

On a prétendu mêler à tout cela le Père Joseph du fait que l'on y retrouve certains Pères de son ordre. Lui, qui connaissait à fond tout l'ouest, ne parait pas s'être appliqué spécialement à cette affaire.

Richelieu, après avoir donné au commissaire royal les instructions les plus sévères par l'organe de Séguier, apporta-t-il une attention particulière au fait de la possession ? C'est un point qui n'est pas éclairci. Il est vrai qu'il reçut à Paris la supérieure Jeanne des Anges et qu'il la gratifia de cinq cents écus ; mais on remarque, d'autre part, sa volonté de couper court à l'affaire dès que la terrible condamnation contre Grandier eut été prononcée et exécutée. Laubardemont faisait du zèle et prétendait poursuivre la maîtresse de Grandier, Madeleine de Brou, et les frères de Grandier, qui clamaient l'innocence du condamné. Richelieu donna nettement l'ordre de suspendre toute procédure et de laisser en paix ces malheureux.

Quant au problème de la possession, au point de vue doctrinal, il semble bien que le cardinal ne se soit pas gêné beaucoup plus avec le diable qu'avec les exorcistes. Monsieur, dont nous avons signalé déjà l'inconséquence en matière religieuse, ayant jugé à propos de s'intéresser aux diables de Loudun et ayant assisté, en mai 1635, c'est-à-dire en pleine crise, aux scènes d'exorcisme, non sans combler de présents religieuses et prêtres, Richelieu lui écrit : Je suis ravi de savoir que les diables de Loudun aient converti Votre Altesse et que vous ayez fait une si ferme résolution de ne jurer plus, que vous ayez tout à fait oublié les serments qui auparavant étaient assez ordinaires en votre bouche, pour donner lieu à Bautru de penser que vous fussiez un de ses disciples[151]. Et, quelques jours après : Monseigneur, ayant appris, par le retour d'un des diables de Loudun, que Votre Altesse est attaquée d'un mal qui n'est pas si grand que celui dont ces pauvres filles sont travaillées, mais qu'elle a bien mérité, je n'ai pas voulu différer à envoyer ce gentilhomme vers elle pour lui témoigner le déplaisir que j'en ai et lui offrir les exorcismes du Père Joseph...[152] En vérité le prélat en prend un peu à son aise avec ces misères qui bouleversent tant d'esprits sincères, affolent une ville, sacrifient dans d'affreuses tortures une vie humaine.

Peut-être, en lisant avec attention le passage consacré, dans les Mémoires de Richelieu à l'affaire d'Urbain Grandier, y trouverait-on la clef de cette troublante énigme. Plaidoyer un peu embarrassé, ce court exposé s'inspire, en somme, du rapport du Père Tranquille. Le récit ne s'occupe de l'affaire qu'au point de vue de l'ordre public. Il semble aussi, à lire cet exposé, que Richelieu n'ait été avisé, ou n'ait pris l'affaire en considération qu'usez tardivement. Voici le texte : Dès l'année 1632, quelques religieuses Ursulines, en la ville de Loudun, ayant paru possédées, le cardinal, au retour de son voyage de Guyenne, envoya quelques personnes de dignité ecclésiastique et de piété pour lui en faire un véritable rapport... Mais comme, en cette matière, il y a beaucoup de tromperie, et que souvent la simplicité, qui d'ordinaire accompagne la piété, fait croire des choses en ce genre qui ne sont pas véritables, le cardinal n'osa pas asseoir un jugement assuré sur le rapport qu'on lui en fit, d'autant qu'il y en avait beaucoup qui défendaient ledit Grandier, qui était homme de bonne rencontre et de suffisante érudition. On ne sent en ces mots, ni un parti pris ni une rancune personnelle contre le pauvre curé ; tout cela est vu de très haut. Et c'est de très haut encore que l'exposé conclut : Enfin, cette affaire devint si publique et tant de religieuses se trouvèrent possédées, que le cardinal, ne pouvant souffrir davantage les plaintes qui lui en étaient faites de toutes parts, conseilla au Roi d'y vouloir interposer son autorité et d'y envoyer M. de Laubardemont, conseiller en son Conseil d'État, pour informer de cette affaire. Et ayant par plusieurs témoins trouvé le curé coupable de magie, d'impuretés et d'impiétés extraordinaires, et ayant même trouvé en ses papiers un livret qu'il avait composé et écrit de sa main contre le célibat des prêtres, M. de Laubardemont le condamna, assisté du sieur de Mornant, vice-gérant de l'évêque de Poitiers et de quatorze ou quinze des principaux juges des justices royales des provinces voisines, à être brûlé tout vif en la ville de Loudun... Suit l'extrait déjà donné du rapport du Père Tranquille sur l'impiété réelle ou supposée d'Urbain Grandier à l'heure de son exécution. Quant à ce qui concerne les religieuses et les faits de possession, le tout est réglé simplement par cette phrase : Les religieuses, après sa mort, demeurèrent en quelque état un peu plus paisible qu'auparavant et la plupart d'elles furent délivrées les années suivantes.

En somme, pas de miracle, possession douteuse, un prêtre d'une immoralité avérée, un grand désordre civil et religieux dans un pays d'ailleurs inquiet et inquiétant. Affaire ennuyeuse, qu'il faut régler parmi des préoccupations multiples et des travaux infiniment plus graves et plus absorbants : Au retour de mon voyage de Guyenne... dit le cardinal[153].

Il y eut mort d'homme, mort cruelle, affreuse, mais dans les formes. Et cette mort met fin à la dangereuse agitation de toute une région, sans qu'il y ait lieu d'attacher d'ailleurs trop d'importance à cette piété si voisine d'ordinaire de la simplicité.

tout vu de loin sur des supports plus ou moins précis, par un ministre qui vient de laisser tomber la tête du Montmorency, qui, à La Rochelle et à Privas, a vu couler tant de sang français, qui, dans le moment même, laisse condamner deux cent trente personnes, sans autre forme de procès, par les Grands jours de Poitiers, qui est résolu, enfin, de toute manière, à réprimer partout le désordre, les scandales, les partialités, les troubles menaçant la paix intérieure du royaume.

Ayant toujours en l'esprit le malheur des guerres de Religion, les misères de la Ligue, le cardinal n'a vu, à ce qu'il semble dans cette circonstance qu'une occasion de faire un exemple sur un prêtre notoirement scandaleux et d'imposer à un clergé qui avait un si grand besoin de réforme[154] la loi des bonnes mœurs, l'obéissance à l'autorité ecclésiastique et la soumission au Roi. Homme de l'ouest, duc et pair qui cherchait à établir autour de lui la discipline royale et le respect du pouvoir, on lui signala, dans Urbain Grandier, l'orgueil d'un tribun, d'un prêtre révolté, d'un pamphlétaire, d'un fauteur de troubles. L'ami du curé, le gouverneur Jean d'Armagnac, plongé dans l'intrigue de la Cour, se mettait en travers du rasement de cette place de Loudun, qui avait servi et pouvait servir de refuge aux protestants. Il fallait un exemple. Faire un exemple, telle parait avoir été, comme dans d'autres affaires de troubles intérieurs, la ligne de conduite du cardinal ministre.

Il s'en rapporta à Laubardemont, qui remplissait à sa manière, fidèle et dure, sa fonction d'intendant. Ainsi s'expliquerait la conduite de Richelieu. Telle est, devant l'histoire, sa lourde, très lourde responsabilité.

 

6. — Vue d'ensemble sur l'administration des intendants.

Le pouvoir royal et les provinces avant Richelieu.

Richelieu (cela a été démontré) n'eut pas à créer l'institution des intendants : elle existait depuis un siècle ; mais il la maintint et la consacra. En vue de lutter contre le grand désordre, il multiplia les missions d'hommes sûrs, envoyés dans les provinces pour imposer la volonté royale et il se servit de ces hommes, selon leurs aptitudes, pour parer à des nécessités immédiates. Maitre du pouvoir, il agissait de cas en cas, en s'inspirant des circonstances, sans avoir la pensée de recourir à un organisme durable ni à une réglementation définitive. Prenant, tout au contraire, en mains ce que nous appelons les leviers de commande, il imposait, dans la mesure du possible, son autorité par le moyen d'agents de confiance temporaires et qu'on pouvait rappeler, changer, désavouer au besoin.

Ce que cet homme, qui était tout action, détestait dans l'action, c'était la lenteur, l'encrassement, la résistance des vieilles machines rouillées. Comme sa propre carrière était une création continue, de même il recréait, en l'exerçant, l'autorité royale. Ses instruments convenaient à la période de crise à laquelle il consacrait sa vie et dont il espérait bien voir la fin, comme le prouve la rédaction même de son Testament politique.

Nos analystes d'institutions attardées, nos confectionneurs de tableaux synoptiques, nos naturalistes de plantes mortes rangent des dépouilles desséchées sous des étiquettes, épinglées une fois pour toutes dans leurs herbiers. Ils ont peine à se rendre compte que de si grands caractères et de si grands esprits ne se soient pas préoccupés d'avance du bel ordre de leurs futures classifications. En réalité, les difficultés viennent comme elles veulent, la mauvaise herbe pousse où elle peut et les décisions se prennent comme il se trouve. L'homme d'État est en face de l'aveugle réalité et s'en tire selon ses vues, son intelligence, ses passions, ses moyens et son intérêt. Il veut ardemment et il agit diligemment. A peine le temps de voir et il doit se prononcer. Il marche sur la corde raide pour atteindre un but indiscerné. De sa valeur et de son succès, l'avenir et les suites décideront.

Richelieu, étant donc tout volonté, exerçant le pouvoir par la confiance royale, se servait du commissaire délégué comme étant sa volonté prolongée, la main du sceptre étendue jusqu'aux limites du Royaume. Il demandait à ses hommes ce que leur demandera toujours l'autorité maîtresse, l'activité, le bon sens, la solidité, le courage, et surtout la fidélité. Il distingue leur mérite par une expression qui pourrait être de tous les temps : il les appelle des affidés[155].

Foi et confiance réciproques : fides. Sur les lieux, l'agent agira par ses moyens, ses ressources, son jugement, douceur ou force, adresse ou terreur : peu importe, pourvu qu'il soit sûr exécutant et, avant tout, fidèle. '

Ce grand connaisseur de la nature humaine qu'était le cardinal ministre ne se faisait d'ailleurs nulle illusion sur ces fonctionnaires auxquels la nécessité des temps l'obligeait à recourir. Il les jugeait avec perspicacité et sang-froid, devinant parfaitement que ses agents, bientôt enorgueillis par le choix et par le succès, pourraient devenir dangereux, en raison même des services qu'ils auraient su rendre. Il manœuvrait ses entourages, comme il manœuvrait ses adversaires, craignant autant l'audace des jeunes ambitions que l'entêtement des vieilles pratiques. Plus Mazarin que Mazarin, il se couvrait de silence et ne dévoilait ni sa pensée présente, ni ses desseins pour l'avenir. Surtout, il veillait à ne pas se laisser prendre la main et à ne pas se trouver attaché par la diable des habitudes, des gratitudes, des familiarités, des empiétements adroits et insensibles.

Il s'explique, en ce qui concerne les intendants avec une singulière clairvoyance, comme s'il eut pressenti le danger des Frondes, que leurs prétentions allaient susciter dans les provinces. Il se servait d'eux, mais se gardait bien de les implanter à toujours, de les enraciner dans les diverses parties de la France. Ils n'y apparaissaient que pour disparaître, mobilisés en temps de crise et rappelés quand l'ordre était rétabli : Je crois, écrit-il dans son Testament politique, qu'il sera très utile d'envoyer dans les provinces des conseillers d'État, ou des maîtres des Requêtes bien choisis, non seulement pour faire la fonction d'intendants de justice danse les villes capitales, ce qui peut plus servir à leur vanité qu'à l'utilité du public, mais pour aller en tous lieux des provinces s'enquérir des mœurs des officiers de justice et des finances, voir si les impositions se lèvent conformément aux ordonnances et si les receveurs n'y commettent pas d'injustices en vexant le peuple, découvrir la façon avec laquelle ils exercent leurs charges, apprendre comment se gouverne la noblesse et arrêter le cours de toutes sortes de désordres et spécialement les violences de ceux qui, étant puissants et riches, oppriment les faibles et les pauvres sujets du Roi.

Est-ce clair ? Les intendants restent, dans sa pensée, des magistrats à temps, chargés de voir, de contrôler, de faire rapport, de prendre, au besoin, des mesures urgentes. Quand l'exercice de l'autorité royale est entravé, le commissaire a tout pouvoir pour la faire respecter, non sans prendre dis ordres et avec devoir de rendre compte au jour la journée. Il n'ignorait pas que les chevauchées des maîtres des Requêtes, autorisées par les vieilles lois du Royaume, donnaient lieu à ces épines des Parlements qui fomentent difficultés sur toutes choses. Nous avons dit sa façon de procéder, à la fois tenace et souple, à l'égard du Parlement de Paris ; elle était la même, quoique plus rude peut-être, à l'égard des Parlements de province. Puisque ceux-ci entendaient barrer la route aux intendants, il mettait d'autant plus d'ardeur à soutenir ses représentants[156]. On lui reprochait d'innover : il n'innovait pas en envoyant des commissaires pour voir, agir, ordonner. Ce qui était nouveau, c'était la manière de s'en servir, le dernier mot devant désormais appartenir au centre.

Les intendants agents de la centralisation.

Il faudrait donner un tableau complet de la vie des provinces sous Louis XIII pour faire connaître, dans ses nuances infinies, ce travail de pénétration à petits coups de l'idée moderne dans le système médiéval, par le moyen de cet agent, qui est à la fois de destruction et de construction, l'intendant.

La grande idée, c'est l'achèvement d'une France unifiée et forte. Cette génération n'a pas perdu le souvenir des désordres qui ont mis en péril l'indépendance nationale. Avant tout, sauver le Royaume, tel avait été le cri qui avait fait accepter, comme Roi de France, même par les ligueurs, ce protestant, le Roi de Navarre. Or, pour maintenir l'indépendance reconquise, il fallait maintenant trois choses : l'union des forces nationales, la sécurité des frontières et le refoulement de l'ennemi héréditaire ; donc union, discipline, commandement, ce qui permettrait d'avoir, pour parfaire le tout, de l'argent.

Lutte contre le privilège.

L'argent viendrait de l'union et de l'ordre assurés par la force publique. Mais, cet argent, il le fallait immédiatement, constamment, héroïquement.

Les peuples ne savent plus aujourd'hui ce que c'est que de payer leurs guerres : ils empruntent, sauf à surcharger les générations futures de dettes dites perpétuelles. En ce temps-là au contraire, on devait payer comptant ; il fallait que chaque budget balançât, tant bien que mal, les recettes et les dépenses. Le grand combat de Richelieu fut donc une attaque acharnée contre la poche du contribuable. Ce misérable sac, la nécessité était de le protéger et de le dépouiller à la fois. En somme, qui payait ? Uniquement le peuple, les classes inférieures. Quant aux ordres privilégiés, les riches, ils ne payaient pas, ou si peu.

Le privilège se défendait mordicus ; on peut dire que c'était sa raison d'être, sa définition même : privilège, privata lex. Ce système avait pour lui la tradition, le droit, même la justice, c'est-à-dire' la forme juridique appuyée sur la coutume et la loi, toutes deux appliquées par des tribunaux privilégiés eux-mêmes.

On comprend pourquoi la justice était la première attribution des intendants. La délégation de l'autorité royale qui leur était confiée se trouvait être une sorte de justice au-dessus de la justice puisqu'il fallait imposer le juste aux gens qui faisaient métier de justice.

De même on déléguait aux intendants des fonctions de police, c'est-à-dire, dans notre langage, une autorité politique, parce qu'il fallait établir un ordre au-dessus des ordres.

Enfin, les attributions de finances étaient le fin du fin de leur mission, parce que l'argent à obtenir des contribuables est le nerf de la vie sociale et le seul moyen de faire vivre et durer la société.

Ainsi les intendants sont armés de pied en cap, à la fois contre l'ordre antique suranné et contre le désordre nouveau, suite fatale de ce dépérissement : ils sont nés non pas de la volonté d'un homme, mais de la nécessité des choses.

En parcourant d'une vue générale l'histoire provinciale des vingt années du ministère, on retrouverait partout les traits multiples et variés de cette germination spontanée d'une fonction dictatoriale sur le champ dispersé de l'unité nationale : en deux mots, le peuple était à la recherche de son propre commandement sur soi-même. Il voulait d'autres élites que cette tourbe d'élites intéressées et disqualifiées.

La résistance des provinces.

Encore quelques exemples qui préciseront le caractère exact de la mission des intendants. Nous avons dit l'importance que le pouvoir royal attachait à l'établissement des Élus, chargés de concentrer partout la répartition et la perception des impôts.

Les Élus furent introduits, on s'en souvient, dans la province de Bourgogne, au mois de février 1630. Les États proposèrent de racheter les élections moyennant un million huit cent mille livres. Le Roi refusa en alléguant sa volonté de réaliser l'uniformité fiscale dans le royaume. Cependant Richelieu observe, dans ses Mémoires, que cette décision royale l'affligea, puisque, dans la province de Bourgogne, les fonctionnaires royaux avaient déjà en mains, après le vote des États, le maniement des impôts.

Cela prouve qu'il y avait quelque chose qui le touchait plus encore que la question d'argent. En fait, il s'agissait de la fidélité d'une province encore incertaine depuis sa réunion à la Couronne. Le gouverneur Bellegarde n'est pas sûr ; les privilégiés ne sont pas sûrs ; il y a des manifestations séparatistes, comme nous dirions aujourd'hui. Un intendant fut envoyé. Il dut agir, d'abord, par la rigueur. Mais admirons la modération et la souplesse du système qui permit à l'autorité royale d'accorder l'amnistie, la grâce du chevalier Jars, et finalement le rachat des élections : autre preuve que l'argent n'était pas tout et que l'intendant était surtout un agent de discipline et d'ordre public.

Agir selon les temps et les circonstances, c'est tout l'art d'un gouvernement quand il n'est pas ligoté dans des règles trop précises. Richelieu l'avait compris et c'est ainsi que sa sévérité même sut franchir l'obstacle des résistances provinciales par le simple envoi, facile à désavouer, de ce magistrat nomade, l'intendant.

Autre exemple. En Auvergne, lorsque se produisit la dangereuse équipée de Gaston de France, l'ante de la révolte dans le centre, fut un certain Chavagnac, mi-noble, mi-brigand, factieux dans la peau, et qui secoua le bon garçonnisme un peu sceptique de la noblesse limousine et auvergnate pour la lancer sur les voies de la rébellion, où elle devait d'ailleurs s'arrêter à temps. Un certain Malauze, séduit par l'intrigue Chavagnac, entrain les autres. Au moment où Gaston s'approche, on écrit à Richelieu : Malauze, La Capelle, Belcastel, Veyrières partirent aujourd'hui pour aller assembler leurs amis... avec assurance qu'ils pourroient faire actes de guerre et seroient avoués de tout. Belcastel promet de tirer de l'Auvergne beaucoup de noblesse et de gens de guerre. Ils espèrent recevoir quinze mille hommes d'Espagne.

L'Espagne, c'est-à-dire l'ennemi de la veille et du lendemain, l'envahisseur dont la France a tant souffert depuis cinquante ans ! En fait, Gaston est à la tête d'une armée composée de soudards allemands, flamands, italiens. Il ravage le Royaume au fur et à mesure qu'il s'enfonce vers le centre et le midi. Une des provinces les plus fidèles, le Bourbonnais, — le Bourbonnais des Bourbons, — hésitait : Chacun se tenait clos et couvert, constate Richelieu !

Le cardinal ne se faisait, d'ailleurs, aucune illusion sur le sentiment général du corps de la noblesse. Exagérant quelque peu sa propre pensée, — car il sait, à la fois contraindre les mécontents et les ménager —, il écrivait dans un premier mouvement d'indignation : Les nobles ne reconnaissent la liberté qu'en la licence de commettre impunément toutes sortes de mauvaises actions ; il leur sembloit qu'on les gênoit de les retenir dans les équitables bornes de la justice.

Cette opinion s'inspirait de celle des intendants, que leur mission mettait à même de mesurer la grandeur du péril. Aux premiers symptômes, on avait dépêché de Paris, Voyer d'Argenson, le sage d'Argenson, qui, en novembre 1634, mandait à Richelieu : Ce ne sont point gentilshommes, bien que par leurs violences, ils se soient jusqu'ici exemptés de la taille. Aussi toutes leurs actions sont-elles indignes de cette qualité. Je leur fais leur procès, encore que ceci ne soit qu'un simple petit effort de la justice.

En général, les villes ne se laissent pas faire et se défendent, tandis que les châteaux des seigneurs ont dressé simplement leurs ponts-levis, soit pour voir venir, soit pour ne pas rompre avec les gens qui se rallient à Gaston. Le maréchal d'Effiat, gouverneur de la Limagne, est resté fidèle. Il écrit à Richelieu qu'il ne peut faire ce qu'il auroit voulu pour le service du Roi, partie par la connivence de quelques-uns qui ont préféré leur intérêt à leur devoir. Tout ce que j'ai pu faire, d'abord, ajoute-t-il, a été de combaître les terreurs dont l'arrivée de Monsieur avoit rempli le pays.

L'historien local dont nous suivons l'exposé, donne, en ces termes, le tableau de l'état de la province : Chacun se fait justice à soi-même. Nobles et roturiers se battent à mort pour les motifs les plus futiles... Des prêtres même se rendent coupables de meurtres. Guillaume Chapsal, curé de Celles-en-Jordanne, à la tête d'une bande, assassine surie voie publique un maréchal de Saint-Cirques... Le brigandage sous toutes ses formes sévit dans la montagne : rapts de jeunes filles, razzias de bestiaux, détroussements de voyageurs, incendies. L'ambassadeur de Venise, traversant l'Auvergne pour aller rejoindre le Roi à Toulouse, est dévalisé près de Montsalvy. La justice prévôtale s'exerce, sommaire et terrible. Les nobles échappent le plus souvent par tous les moyens à leur portée. S'ils ont la tête tranchée... c'est en effigie ; mais, pour les gens du commun, le bourreau ne chôme pas. Incalculable est le nombre des criminels pendus, roués, essorillés, mis à la question, battus de verges, marqués de la fleur de lys...[157]

Heureusement, en Auvergne, la grande famille des Noailles, le gouverneur François, l'évêque de Saint-Flour, Charles, se sont prononcés pour la cause. royale. L'armée de Gaston, sans ressources, sans argent, semant la terreur et faisant le vide devant elle, se livre à un immense brigandage. C'est encore le peuple qui pâtit. On écrit à Richelieu : Ils sont du tout incommodés (dépourvus) ; quelques-uns ont des pistolets ; qui a poudre n'a point de balles... Leurs dissolutions font peur et fuir tout le monde.

On peut s'imaginer les suites de cette écharpe de misères tendue en travers du Royaume, avec l'appréhension universelle du retour des maux passés.

Ce ne sont pas de ces moments où l'on soit enclin à l'indulgence. L'armée royale, commandée par Schomberg, se met, comme nous l'avons dit, à la poursuite de Gaston, et repasse sur ses traces, non sans de nouvelles misères pour le plat pays. Noailles lui-même formulait l'appel qui sera, dans tous les temps, le cri des heures désespérées : Un homme de condition dans chaque province, bien déterminé à courir sus aux libertins, feroit de bonne besogne. Il demande un homme : on envoie l'intendant.

C'est donc Voyer d'Argenson. Nous connaissons cet agent, favori de Richelieu, habile, pondéré, grand pacificateur et ordonnateur.

Sa première mission est de démolir les châteaux. Le rasement général des vieilles murailles est, nous le savons, un des partis-pris de la politique royale qu'a suivie Richelieu. Rien ne s'explique mieux, quand on a pénétré dans la vie quotidienne de ces malheureuses provinces. L'intendant traque les pillards, malandrins, routiers, qui s'ornent du panache de la rébellion. Charles d'Estaing, chevalier de Malte, appartenant à l'une des plus illustres familles de l'Auvergne, s'enferme dans sa maison-forte du Cheylade et, de là fait le dégât à vingt lieues à la ronde. Traqué, condamné à mort par contumace, il s'enfuit et, selon les tours et retours des choses d'ici-bas, il deviendra par la suite un des fidèles de la cause royale.

D'Argenson était plus que personne l'homme de ces situations ambiguës, sachant à la fois imposer et composer. Gaston a passé ; la brume s'est dissipée ; mais le mal n'est pas guéri ; la province est ruinée : elle ne peut plus payer.

On donne à d'Argenson pour successeur un autre habile homme de moindre réputation, mais, à ce qu'il semble, d'égal mérite, Jean de Mesgrigny, petit robin à la figure chafouine, qui va se donner, suivant son aptitude et pour répondre aux exigences du moment, aux affaires de finances. La taille, les aides, et surtout la fraude, voilà son lot ; car, sous tous les régimes de privilèges, la fraude multiplie le mal de l'injustice.

La France est au fort de la grande guerre (1635-1637). La caisse est vide ; de l'argent à tout prix pour sauver le pays ! Mesgrigny écrit : Il seroit nécessaire de faire observer les défenses de lever aucune somme sur le peuple sous aucun prétexte, sans lettres patentes du Roi. Mais, comment se faire obéir, obtenir non des paroles, mais des écus si ce n'est par une vigilance constante, des enquêtes, même agressives, munies de moyens décisifs. Pour réprimer les excès des gentilshommes, l'intendant finit par proposer, comme sanction, la perte de la noblesse.

Le laborieux historien qui a retrouvé dans le fatras des archives, ces dessous ignorés de la grande histoire, conclut : Quand l'Auvergne, tirée de l'anarchie, éprouvera le bienfait d'une administration réparatrice et tutélaire, c'est à l'intendant ou, pour mieux dira, c'est à Richelieu qu'elle le devra[158].

 

Changeons de province et de climat, descendons de la montagne jusqu'à la mer. Nous sommes on Normandie, chez ces Normands, gens de procédure et de chicane, mais bons et solides Français, pouvant payer, quoique n'aimant pas à payer.

On avait, quelques années plus tôt, chargé de l'intendance un certain Morant du Mesnil Garnier dont nous avons dit les difficultés avec le Parlement de Normandie en raison du procès qu'il avait intenté à un gentilhomme nommé Hurtevent[159]. C'étaient là de ces procédures parlementaires qui exaspéraient le cardinal. En dépit des arrêtés de la Cour de Rouen, Hurtevent eut la tête coupée. Morant du Mesnil Garnier fut remplacé, après un-intervalle, par Turgot de Saint-Clair.

Nous trouvons celui-ci, en 1630, engagé dans une autre affaire, qui eut également pour conclusion une exécution capitale. De nouveau, voilà la guerre allumée. Le Parlement décrète l'intendant d'ajournement personnel et lui interdit l'entrée aux États de la province. On porte plainte contre Turgot à la Cour. Turgot écrit à Richelieu, suppliant qu'on examine les faits, offrant sa tête si on le reconnait coupable sur un seul point[160]. Richelieu le soutient.

Mais alors éclate à Caen, au sujet d'une affaire de blé qu'on voulait faire sortir de la ville, une de ces émeutes qui sont le souci habituel des missions d'intendant. Comme à Dijon, la bourgeoisie et les parlementaires ont travaillé le peuple et l'excitent sous main. On pille le blé, on brûle des maisons. Selon la règle, les bourgeois, qui ont poussé à l'émeute, commencent à trembler, puis se mettent à bouder. Le présidial, dont c'est la compétence, ne bouge pas.

Turgot convoque le lieutenant criminel, le prévôt, les archers. On lui obéit... mollement. Un des coupables, qu'il a donné l'ordre d'exécuter, est arraché des mains des soldats. Le capitaine du château refuse des hommes au maître des Requêtes. Les autorités de la ville s'excusent de ne pas lui en procurer, n'étant en leurs pouvoirs de faire obéir les bourgeois. Turgot garde son sang-froid. Il se met en personne à la tête de quelques gentilshommes et officiers, rassemblés à grand'peine, s'approche des émeutiers, les harangue et ramène le calme plutôt par la persuasion que par la force.

Le lendemain matin (28 mai 1630), arrive M. de Matignon, gouverneur de la province, qui gourmande le capitaine du château et, usant de l'autorité de sa charge, fait publier un ban à peine de vie contre les bourgeois qui refuseront de s'armer. On punit trois des coupables et l'ordre est rétabli : Si bien, écrit l'intendant, que le Roi et nos seigneurs du Conseil sont déchargés du soin d'y pourvoir, si ce n'est en tant qu'ils auroient agréable d'ordonner quelque exemplaire punition. L'exemplaire punition n'eût certes pas déplu à l'intendant. Son courage fut loué et son ardeur contenue. Tout compte fait, il paraissait avoir mis fin à l'incident.

Ce n'était qu'un commencement. La Normandie ne s'apaise plus[161]. Elle voit se succéder, à partir de 1630, plusieurs intendants et commissaires parmi lesquels Pascal[162], le père de notre grand Pascal (qui n'oublia jamais les scènes auxquelles il assista). Ils sont accusés d'épier Rouen comme des vampires. Les contribuables se mettent en grève. Le lieutenant particulier du bailliage de Coutances, Le Poupinel, est assassiné à Avranches. D'où sédition à Avranches ; sédition à Vire, où le président du siège de l'élection est massacré ; troubles à Mortain ; nouvelle sédition à Caen (août 1639) ; sédition à Bayeux ; sédition dans le Cotentin ; nouvelle sédition à Coutances ; finalement, c'est la fameuse révolte des Nu-pieds, qui s'étend sur toute la province, va mettre en état d'émotion le Royaume et fera trembler Paris. Elle trouve ses Tyrtées :

Et vous, noblesse du pays,

Premier fleuron de la Couronne,

Qu'on a fait servir par mépris

En farce, à l'Hôtel de Bourgogne[163],

Endurerez-vous ce soufflet

Qu'on fasse servir de jouet

A la comédie la noblesse ?

C'est trop attaquer votre rang,

Et le lavez dedans le sang.

Jean Nu-pieds est votre suppôt ;

Il vengera votre querelle,

Vous affranchissant des impôts.

Il fera lever la gabelle

Et nous ôtera tous ces gens

Qui s'enrichissent aux dépens

De vos biens et de la patrie.

C'est lui que Dieu a envoyé

Pour mettre dans la Normandie

Une parfaite liberté !

Les intendants, bien entendu, ont leur couplet :

Venez, commissaires poltrons,

Pour vous informer des affaires.

Nu-pieds, Boidrot et Les Sablons

Incaguent tous vos mousquetaires ;

Ils font la nique à vos décrets

Et narguent tous vos grands arrêts :

Car notre général s'en gausse !

Venez le juger sans appel.

Il vous a fait faire une fosse

Proche celle de Poupinel.

Richelieu vit sa fortune balancée un instant par cette affaire si grave. Sa faveur chancelante paraissait devenir compromettante : c'est ainsi que les Jacobins de Rouen, dont il était le protecteur, crurent devoir enlever l'écusson à ses armes de la porte de leur couvent.

Le Tellier, Harlay, Gassion, le chancelier Séguier enfin, — celui-ci muni de pleins pouvoirs sans précédents, — durent donner en personne et faire peser sur la province tout le poids de l'autorité royale. Louis XIII fit montre, une fois de plus, de cette énergie froide et taciturne, plus dure peut-être que la rigueur du cardinal. Richelieu dit au lieutenant général Bocquet, venu pour l'apaiser, que le dessein du Conseil du Roi était de traiter l'affaire de Rouen comme affaire d'État des plus importantes et de la faire servir d'exemple.

La révolte fut réprimée, mais sans que la querelle fût vidée avec le Parlement de Normandie. Une commission de quinze conseillers du Parlement de Paris, ayant à leur tête le président Tanneguy Séguier, remplaça, à Rouen, le Parlement de Normandie frappé d'interdit. Quand Richelieu, malade, revint à Paris après avoir réprimé les suites du complot de Cinq-Mars, il voulut bien recevoir des délégués du Parlement de Rouen chargés de faire amende honorable. Mais il devait mourir sans avoir pu mettre fin à cette difficile affaire.

Son implacable énergie avait fini par tourner contre lui ceux-mêmes sur lesquels il eût cru pouvoir compter et jusqu'à son propre frère, Alphonse, archevêque de Lyon et cardinal par sa faveur, — un pince-sans-rire, il est vrai. — Le cardinal de Lyon lui écrivait de Marseille, le 17 février 1641, répondant à la demande à lui adressée d'intervenir, en personne, dans son diocèse pour faire rentrer les impôts : Monseigneur, si je m'étois trouvé à Lyon, j'aurois fait de nouveaux efforts pour porter le peuple à donner au Roi le contentement qu'il désire, quoique je ne sois pas celui qui ait le plus de crédit sur son temporel, et j'appréhende que quelques-uns de ceux qui ne m'aiment pas, en faisant semblant de m'excuser tout de bon, ne m'aient figuré tout puissant pour me rendre responsable de tout. Ce n'est pas un artifice nouveau, mais il est dangereux pour ceux qui n'apportent jamais aucunes précautions en ce qui les regarde, et qui ne se défendent que par leur innocence. J'écrirai aux plus adroits de mes amis, puisque vous le désirez ; mais d'autant que les lettres n'ont point de réplique, je quitterai aussitôt le soleil de ce pays, à qui je fais la cour, pour aller essayer de servir vos intentions, sans appréhender de me charger de la haine publique. Pour ce encore que je sache qu'un évêque qui n'est pas aimé n'est plus capable de faire des miracles, je n'ignore pas aussi le remède qu'il y a au mal...[164]

Les derniers mots paraissent bien indiquer le recours à l'éternel procédé des mécontents, la menace de démission. De frère à frère, de cardinal à cardinal, le poulet est un peu fort. Partout, d'ailleurs, les sentiments étaient les mêmes et les actes pires. Les grands services causent les grandes impopularités. Les nécessités de la guerre créaient de nouveaux besoins, et les besoins de nouvelles exigences, les exigences de nouvelles violences. En Périgord ce sont les Croquants, en Bourgogne les Lanturelus, comme la Normandie a les Nu-Pieds.

M. de La Ferrière a étudié la correspondance adressée au chancelier Séguier, transportée à Saint-Pétersbourg pendant la Révolution. Empruntons à sa publication le tableau de l'état des provinces dans les derniers temps du ministère de Richelieu.

La ville de Limoges est épuisée par la peste. M. d'Argenson demande un délai pour la levée des impositions. A Toulouse le conflit entre l'intendant et le Parlement s'exaspère. A Périgueux M. de Verthamont en est réduit à faire des concessions à la populace et lui promet le renvoi du maire... La Chambre de l'Édit de Castres s'oppose aux mesures prises par les commissaires envoyés par le Roi pour punir les rebelles du Vivarais. M. de Bellegarde insiste sur la misère de la ville de Clamecy. La Bourgogne n'est pas plus tranquille. M. de Machault écrit au chancelier que le Parlement refuse à la fois l'enregistrement des édits et les subsides pour les fortifications : La peste, dit-il, désole Dijon ; la place n'est plus tenable. Dans Auxonne, tout y meurt. L'esprit de révolte envahit la Bretagne. A Rennes une sédition dure trois jours : le peuple crie : Vive le Roi sans gabelle ! brise les vitres de M. de Brissac et de plusieurs autres personnes notables. M. d'Étampes ne sait plus où donner de la tête. A Bordeaux, ce n'est plus une simple émeute, c'est la prise de la ville par la populace. Seul le duc d'Épernon qui consent à venir à la maison de ville où il destitue les jurats peut mettre le pays en repos (Lettre de M. d'Aguesseau, 20 mai 1635). La sédition, toujours d'après l'analyse de M. de La Ferrière, gagne Moissac, Lectoure, Castel-Sarrazin et Auch. Dans le mois de juin 16160, une sédition éclate à Moulins ; les faubourgs se révoltent et prennent les armes. N'ayant pas de troupes suffisantes, le gouverneur, M. de Saint-Géran, se retranche dans le château, et, à l'une des fenêtres, fait pendre l'un des chefs. M. de Sacé réclame une Chambre des Grands jours pour la province de Rouergue. A Angers, une violente émeute a lieu en octobre 1641. A Tours, Agen, Villefranche, pareilles émotions populaires ; les rebelles sont assez nombreux pour s'attaquer aux régiments[165].

Cependant Richelieu marchait, les yeux fermés, les dents serrées vers le but qu'il s'était proposé pour le bien de l'État. La révolte des provinces faisait le jeu de l'ennemi. L'intrigue battait son plein à la Cour : Cinq-Mars traitait avec l'Espagne... Mais l'armée qui défendait sur la frontière la cause de la France était, en dépit de toutes les résistances, recrutée, munie, commandée. Les intendants avaient maintenu cette fidélité au roi, cette discipline nationale, seule capable de réaliser le grand dessein auquel le ministre avait consacré sa vie. La victoire ouvrait ses ailes. Gassion, qui avait réprimé la révolte, quittait la Normandie pour venir conseiller le jeune Bourbon, ce Grand Condé, qui allait remporter à Rocroi le succès décisif que Richelieu ne connaîtrait pas[166].

 

 

 



[1] Maximes d'État, n° 118 et n° 121.

[2] Voir G. Hanotaux, Origines de l'institution des Intendants des Provinces, Champion, 1883, in 8°. — Voir aussi le tableau des provinces dans La France en 1614, Histoire de Richelieu, t. Ier, 2e partie.

[3] Charpentier, secrétaire préféré de Richelieu, sollicitant de lui, en mai 1625, la commission d'intendant de justice dans l'armée qui opère en Lorraine, lui écrit : La charge de président de la justice de Metz a été établie par le roi Henri II de très glorieuse mémoire. Lors dudit établissement, il n'y avait de président ou intendant de la justice que hors du Royaume et en pays conquis. Mais, depuis les guerres civiles, l'on a envoyé en plusieurs provinces des intendants de la justice, mais non jamais en celle frontière. Mss. de la Bibliothèque Nationale, fonds français, supplément vol. 6651.

[4] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 300.

[5] Aix, par Etienne David, 1631, in-4°.

[6] Archives des Affaires Étrangères, Mémoires et Documents, t. 53, f° 66, publié sous la date de 1631, par Avenel, t. IV, p. 171.

[7] Voir, pour les détails, Histoire générale de Provence, par Papon, t. IV, p. 447.

[8] Les lettres patentes nommant Richelieu grand mettre de la Navigation et du Commerce sont du mois d'octobre 1626. Il y eut, au Parlement quand il s'agit de vérifier ces lettres, un incident que Molé expose dans ses Mémoires : Dès le commencement de l'année 1627, le Roi ayant décidé la suppression des charges de connétable et d'amiral de France, voulut, sur la demande de M. le Cardinal, instituer celle de Grand Maître, chef et surintendant de la Navigation. Molé s'employa activement pour obtenir la vérification rapide des lettres patentes ; l'arrêt est du 13 mars 1627. (Isambert, t. XVI, p. 194). La prestation de serment du cardinal devant le Parlement, toutes chambres assemblées, est du 17 mars 1627. Voir Mathieu Molé, Mémoires, t. Ier, p. 419 et s.

[9] Mémoires du Cardinal de Richelieu, édit. Petitot, t. V, p. 398.

[10] Voir la note dans Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 536, à propos des relations entre Marillac et d'Aubray : Mille petits indices, écrit M. Avenel, révèlent, dès lors, dans cette correspondance, la mésintelligence entre le cardinal et le garde des Sceaux (15 février 1630).

[11] Affaires Étrangères, Mémoires et Documents, France, t. 53, f° 321.

[12] Affaires Etrangères, t. 53, f° 341.

[13] Voir notre tome III, p. 261.

[14] La commission, datée du 3 septembre 1630, est à la Bibl. Nat., fonds Dupuy, vol. 154.

[15] Voir Archives de la Guerre, parchemin signé Louis, vol. II, f° 183.

[16] Le Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 87.

[17] Archives des Affaires Étrangères, France, t. LIV, f° 275.

[18] Lettre du 14 décembre 1630 résumant une lettre du duc de Guise au Roi, Archives de la Guerre, vol. II, pièce 43. — Lettre à Servien nommé secrétaire d'État pièce 53.

[19] Archives de la Guerre, vol. II, pièce 53.

[20] Archives de la Guerre, vol. II, pièce 53, 14 déc. 1630 et 8 janvier 1631.

[21] Pour cette documentation des plus abondantes, voir les Archives de la Guerre, t. 11, t. 14, et Bibl. nat., Fonds français, vol. 18.590, f° 148.

[22] Voir Affaires Etrangères, t. 56, f° 40 ; et Lettres de Richelieu, t. IV, p. 169, note.

[23] Voir Affaires Etrangères, t. 53, f° 794, 21 mars 1631.

[24] Voir Affaires Etrangères, t. 57, au début.

[25] Voir Affaires Etrangères, t. 56, f° 40 ; et Lettres de Richelieu, t. IV, p. 169, note.

[26] Voir le dossier aux Affaires Etrangères, France, t. 57 ; et Lettres de Richelieu, t. IV, p. 170.

[27] Archives communales de Toulon, AA, 36.

[28] Harangue de M. le Maréchal de Vitry aux États de Provence tenus à Brignoles, en décembre 1633, dans Recueil d'Aubery, édit. elzév. t. II, p. 134.

[29] Archives des Affaires Étrangères, France, t. 62, vers le milieu du volume.

[30] 5 juillet 1632. Archives des Affaires Étrangères, France, t. 62, aux deux tiers du volume.

[31] Bibliothèque nationale, fonds Dupuy, vol. 498.

[32] Archives de la Guerre, t. XIV, pièce 196.

[33] Archives de la Guerre, t. XIV, pièce 65.

[34] Marseille, 19 juillet 1633, fonds Séguier, t. II, p. 31.

[35] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 942.

[36] Voir Papon, Histoire générale de la Provence, t. IV, p. 480 et suivantes ; et, ci-dessous, le chapitre Richelieu et la Marine.

[37] Il existait, à la bibliothèque du Louvre qui a été incendiée pendant la Commune, la correspondance entière en six volumes in-8° de R. Voyer d'Argenson. Voir les Œuvres de R. Voyer d'Argenson, ministre sous Louis XV, 8 volumes in-8°, publiés par M. Rathery, pour la Société de l'Histoire de France.

[38] Voir Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 4, 89, 223, et Archives des Affaires Étrangères, France, t. 51, f° 18, 101, 108, etc.

[39] Archives des Affaires Étrangères, France, t. 58, f° 115 et 164.

[40] Affaires Étrangères, 1633, vol. 65, f° 335.

[41] La Barre, Vie du général Fabert, t. I, p. 54, et Vicomte de Noailles, Le Cardinal de La Valette.

[42] Lettres de Richelieu, t. V. p. 25.

[43] Voir ses lettres dans la correspondance de Séguier, cité par Kerviler, p. 78.

[44] Voir Bazin, Histoire de Louis XIII, t. III, p. 93. Pour l'intendance d'Italie, consulter : Lettres de Richelieu, t. VI, p. 265 et t. VII, p. 152 et suivantes, et Bibliothèque Nationale, fonds Français, ms. 4.073, Correspondance avec le marquis de Cœuvres. Les journaux de cette intendance étaient à la Bibliothèque du Louvre, et ont péri dans l'incendie de la Commune. — Voir aussi Louis André, Michel Le Tellier et l'organisation de l'armée monarchique, 1906, p. 48. Le Tellier fut le successeur de d'Argenson à l'intendance de l'armée d'Italie.

[45] Affaires Étrangères, t. 56, pièce 67.

[46] Tallemant a son anecdote sur ce Particelli d'Hémery, italien, qui était un autre Lopez : On dit au Roi (Louis XIII) que Particelli avait été pendu, mais que M. d'Hémery, qu'on proposait pour la charge d'intendant des finances, était un fort honnête homme. — Bien, dit-il, mettez-y M. d'Hémery ; on m'avoit dit que ce coquin de Particelli y prétendoit. Madame la Princesse de Condé le haïssait comme la peste. Elle disait que cet homme, quand il fut envoyé intendant en Languedoc, avoit eu ordre de tracasser M. de Montmorency et l'avoit tellement chicané que c'était ce qui l'avait désespéré ; que, sans cela, il n'eût jamais reçu M. d'Orléans dans son gouvernement. t. IV, p. 24. — Voir, dans la Revue des Études historiques, janvier-mars 1934, l'étude consacrée à ce personnage, compatriote de Mazarin, arrivé dans le même bateau et dont la fortune devait s'épanouir sous la régence d'Anne d'Autriche. M. de Montigny, auteur de cette étude, trace, après Tallemant, le portrait du personnage, en ces quelques mots : Ses aptitudes, d'une part, sa désinvolture de l'autre, le mirent à même de traverser sans trop de dommages de fâcheuses aventures. Bref, un homme audacieux, avisé, prêt à tour, constamment sûr du succès, ne reculant devant aucun procédé, même les plus condamnables. Ces types se retrouvent dans la politique de tous les temps. Il faut reconnaître, d'ailleurs que d'Hémery rendit des services très appréciables à Richelieu dans lei affaires de la Valteline et de la Savoie. Sa correspondance est conservée aux archives des Affaires Étrangères, Mémoires et documents, t. 61 et suiv. ; Sardaigne, anciens fonds Savoie, 1629, et suiv. — Voir aussi l'étude complète de N. Gabriel de Mun sur l'ambassade de Particelli d'Hémery en Piémont, intitulée : Richelieu et le Maison de Savoie, Plon, 1907, in-8°.

[47] V. Archives des Affaires Étrangères, Mémoires et Documents, France, t. VI et le rapport de l'intendant en 1698 dans Depping, Correspondance administrative sous Louis XIV, t. I, p. II.

[48] Voir ci-dessus, t. III, p. 366-367.

[49] Voir la correspondance de Machault aux Affaires étrangères, vol. 42, 43.

[50] Les Origines de l'Intendance de Bretagne par Séverin Canal, t. II, p. 135.

[51] Dom Vaisselle, Histoire du Languedoc, t. V, p. 567, 593.

[52] Affaires étrangères, t. 54, f° 53.

[53] Le Nouveau Siècle de Louis XIV a repris ces vers fameux où Machault et Laffemas sont fort malmenés :

En décapitant ils se jouent ;

Ils sont encor plus gais s'ils rouent ;

Mais leur plus agréable jeu

Est de brûler à petit feu.

[54] Voir ci-dessus, t. III, p. 373 et suivantes.

[55] Voir ci-dessus, t. III, p. 363.

[56] La correspondance du sieur Miron remplaçant, en qualité d'intendant, M. de Machault pendant une absence, est aux Archives des Affaires Étrangères, mars-avril 1632, France, vol. 62 ; c'est Miron qui est chargé de la négociation avec les États sur l'importante affaire des Élus, en vue de les rendre plus souples ; il mit sur pied un accommodement provisoire, mais qui n'apaisa pas les esprits. On le retrouvera à Cahors en septembre 1635. Voir Bibliothèque de l'Institut, fonds Godefroy, vol. 272, pièce 17.

[57] Voir pour tous ces détails, deux études, l'une publiée par N. Maton dans la Revue du Vivarais en 1894 et l'autre par M. V. Chareton dans son volume si précieux et si complet : La Réforme et les Guerres civiles en Vivarais particulièrement dans la région de Privas, 1913, in-8°. Voir aussi notre tome III, p. 373.

[58] Voir dans les Mémoires de Molé, t. II, p. 157, l'Ordonnance du Roi du 24 août 1632, portant jugement de mort contre le vicomte de Lestrange pour levée de gens de guerre, prise de Tournon, etc. Sa Majesté, de sa pleine puissance et autorité royale... enjoint au sieur de Machault, intendant en la justice, police et finances en l'armée commandée par le sieur Maréchal, de faire exécuter en sa présence la dite ordonnance, laquelle Sa Majesté a signée de sa propre main.

[59] Chareton, op. cit., p. 352. — Archives des Affaires Étrangères, t. 63, f° 28 et suivants ; et aussi, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 367, 378, etc.

[60] Voir, ci-dessus, t. III, p. 375-402.

[61] Le texte de l'accommodement est dans Avenel, t. IV, p. 372 et suivantes.

[62] Affaires étrangères, loc. cit., t. 63, f° 110.

[63] Affaires étrangères, 65. Rapport de près de cinquante pages.

[64] Lettres de Richelieu, t. IV, p. 379. — On lit dans le Mercure François, t. XVIII, p. 795 : Le Roi, après la réconciliation faite entre Sa Majesté et Monsieur son frère, tourna tous ses desseins à pourvoir la paix et sûreté de ses peuples par la démolition et rarement des places qui s'étaient jetées dans la rébellion, cause de la ruine d'un État. Ce fut pourquoi il ordonna le rasement de Brescou, du château de Pézenas et de la citadelle de Béziers. La démolition desquels, il donna pour rebâtir leurs églises, la piété du Roi imitant la Providence divine qui lire le bien du mal. Notons que la citadelle de Bresson ne fut pas abattue, le cardinal songeant à utiliser cette citadelle bâtie sur une île à six lieues au sud de Béziers.

[65] Lettres à Séguier, Bibliothèque Nationale, Fonds français, 17.387, f° 34 et f° 318.

[66] Lettres de Richelieu, t. IV, p. 747.

[67] Bibliothèque de l'Institut, fonds Godefroy, vol. 272, f° 28 ; Idem, Lettres à Séguier, vol. 274 ; t. II, pièce 158, 14 août 1636, de Meaux.

[68] Archives de Dijon, 21 janvier 1637.

[69] Voir, ci-dessous, l'article du duc de La Valette, dans le Rôle des généraux écrit par Richelieu, dans le chapitre : Richelieu et l'armée.

[70] Lettres de Richelieu à Monsieur Le Prince, 5 octobre 1638, Avenel, t. VIII, p. 345.

[71] Voir l'Historiette de Tallemant : Henri de Bourbon, Prince de Condé.

[72] Dom Vaissette, Histoire du Languedoc, édit. in-4°, t. V, p. 447.

[73] Tallemant des Réaux, Historiette, édit. Moumerqué et Paulin, Paris, t. II, p. 60. — C'est probablement à cette affaire des vivres que se rapporte un ordre du prince de Condé, gardé aux archives de Chantilly : Il est ordonné à MM. de Machault et de Prou-ville et au sieur de Machault, en son absence, de faire acheter du blé à Narbonne par le sieur Berger, munitionnaire de l'armée du Roi selon et au désir de son contrat, duquel ils lui feront rendre compte exact selon leur devoir comme intendants des vivres ; et, parce que ledit Berger est insolvable et n'a point d'argent et que l'armée dépérira s'il n'y est pourvu par nous, nous leur offrons de leur donner comptant les sommes nécessaires pour être distribuées selon leurs ordres. Fait à Narbonne le 20 juin 1640, Henry de Bourbon. — Au dos : Ordonnance lue et montrée à M. de Machault que je ne lui ai pas fait signifier à cause de ses larmes et prières de ne le faire pas, mais qu'il sait et a ouï lire tout du long. (Le tout écrit manu proprio). — On comprend l'émoi de l'intendant en présence d'une telle procédure. On ne pouvait pu laisser l'armée mourir de faim. Les fournisseurs vendirent, mais ne livrèrent pas, et Condé garda son argent. (Communication de M. Flammermont).

[74] Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 897.

[75] Voir le mémoire très curieux et très détaillé qu'un certain Balthazar adresse à Richelieu, Affaires étrangères, France, t. 83.

[76] Archives de Carcassonne, Sénéchaussée de Lauraguais, B. 1985 ; Registre in-f° et série B. 2.082.

[77] Voir Lettres de Bellejambe à Séguier, Bibl. Nat., fonds Français, f° 252 ; et aussi, Lettres de Bellejambe au chancelier Séguier, Fonds Godefroy, 28 février 1633, vol. 271 et comparer la liste de ceux dont les biens ont été confisqués, les chéneaux démolis, etc., p. 148, dans Journal du Cardinal de Richelieu.

[78] Boyer de Sainte-Susanne, La première année de l'administration des intendants en Picardie, dans Mémoire des Antiquaires de Picardie, t. 18, p. 429.

[79] Recueil de pièces publié en 1695, t. I, p. 100 ; et Lettres de Richelieu, t. IV, 143-184.

[80] Recueil de Chassebras de Bréau sur les Maîtres de requêtes de l'Hôtel, Bibliothèque Nationale, Manuscrits, t. I, p. 415.

[81] Voir Variétés historiques, t. VIII, p. 303.

[82] Lhoste était un commis de Villeroy qui fut accusé d'être un espion aux gages de l'ambassadeur d'Espagne. Voir Georges Mongredien Isaac de Laffemas, dans Revue des Questions historiques du 1er janvier 1928. Voir aussi : Duc de La Force, Le Maréchal de La Force, t. I, p. 226.

[83] Lettres de Richelieu, t. II, p. 256.

[84] Lettres de Richelieu, t. II, p. 456. Voir, pour cette affaire, la Bibliothèque historique du Père Lelong, n° 28.033 et Mongrédien, op. cit., p. 51 et suivantes.

[85] Il aurait demandé à être remplacé. Voir les Mémoires manuscrits de Courtin à la bibliothèque de l'Arsenal.

[86] Mémoires de Mathieu Molé, t. II, p. 63.

[87] Isambert, Recueil des Lois françaises, t. XVI, p. 369. Et Saint-Aulaire, Histoire de la Fronde, Préface, p. 21.

[88] Affaires étrangères, France, vol. 62.

[89] Voir le Recueil des lettres à Séguier, publiées en appendice du tome V, dans les Historiettes de Tallemant des Réaux, édition Paulin Paris, p. 501 et suivantes.

[90] Archives Affaires étrangères, France, 1633. vol. 65 (f° 276) et vol. 87, passim. Il était fils de Raphaël de Médicis et de Constance Alamanni. Laffemas le fit expédier à Fontainebleau, puis à Paris où il fût gardé à vue dans son hôtel jusqu'au 16 janvier 1634. — Voir Duc de La Force, La mésaventure du marquis de Saint-Ange : Revue de France du 1er juillet 1934, p. 550-556.

[91] Lettres de Richelieu, t. VIII, p. 254 note ; et Affaires étrangères, fonds Lorraine, 19 juillet 1833.

[92] V. Affaires Etrangères, France, 1633, vol. 66, f° 82, 124, etc., et vol. 69, vers le milieu du volume.

[93] Voir Lettres de Laffemas au chancelier Séguier. Historiettes, t. V. Appendice. Voir aussi les lettres inédites de Laffemas à Richelieu, aux Archives des Affaires étrangères, France, vol. 66, 69, etc. — Cf. les articles de M. Depping, dans le Bulletin de l'Académie des Sciences morales et politiques, 1881-82 ; Mongredien, op. cit., p. 88.

[94] Affaires Etrangères, France, 1634, six premiers mois, fol. 132 ; et Lettres de Richelieu, t. IV, p. 535.

[95] Bibliothèque Nationale, fonds Saint-Germain, 7095, fol. 54. Cité par Avenel, Revue des Questions historiques, 1870, p. 85.

[96] Historiettes, t. V, p. 69. Il convient de signaler, d'autre part, le mépris qu'avait pour lui le président Molé. Voir Mémoires, t. I, p. 415. Il est vrai que Molé était un déclaré parlementaire.

[97] Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 809 ; et Affaires étrangères, France, n° 1641, fol. 398.

[98] Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 948...

[99] Voir Moreau, Bibliographie des Mazarinades, t. I, p. 421 et t. II, p. 186.

[100] Il s'agit de ses vieux ennemis, les parlementaires.

[101] Archives des Affaires étrangères, vol. 50, f° 116.

[102] La première Savoisienne parait être plutôt d'Antoine Arnauld.

[103] Affaires étrangères, vol. 53, f° 83.

[104] Histoire du cardinal de Richelieu, t. III, p. 349.

[105] Voir De la sédition arrivée en la ville de Dijon, le 28 février 1630 et jugement rendu par le Roi sur icelle, plaquette reliée dans le t. 53, Affaires étrangères, France, f° 39. — Kleinclanez, Histoire de Bourgogne, La Bourgogne monarchique, p. 266 ; — Cusisset-Carnot, L'émeute des Lanturelus à Dijon en 1630 (1897).

[106] Voir sa correspondance au Fonds Dupuy, Cabinet des manuscrits de la Bibl. Nat., vol. 94.

[107] Archives de Dijon, Correspondance, t. III, p. 257.

[108] Voir l'ensemble de cette correspondance dans Affaires étrangères, France, t. 58.

[109] D'Aigues-en-Barrois. France, t. 57, début du volume.

[110] De Langres, 7 août 1631. Affaires étrangères, vol. 57.

[111] Voir Histoire du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 356-360.

[112] Affaires étrangères, France, vol. 63, f° 128.

[113] Affaires étrangères, France, vol. 71, f° 47.

[114] Voir Lettres du cardinal de Richelieu, t. V, p. 204.

[115] Archives de la Guerre, t. XIII, fol. 159.

[116] Voir Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1915, Les châteaux de Loudun, par Louis Charbonneau-Lassay : Le château de Loudun sous Louis XIII, p. 409 et suivantes.

[117] Voir les pièces de la procédure aux Archives des Affaires étrangères, France, vol 44, f° 137.

[118] Voir ci-dessus, Le grand désordre.

[119] La bibliographie des ouvrages sur la sorcellerie à cette époque est considérable. Citons seulement les principaux : sur le procès du prêtre Gaufridy Séb. Michaélis, Histoire admirable de la possession et conversion d'une pénitente séduite par un prince des magiciens, la faisant sorcière et princesse des sorciers, au pays de Provence... ensemble un discours des esprits, en tant qu'il est de besoin pour entendre la matière difficile des sorciers ! Donay, Wyon, 1613, pet. in-8°. Puis les thèses générales : H. Boguet, Discours des sorciers avec six adois en fait de sorcellerie et une instruction pour un juge en pareille matière. Lyon, P. Rigaud, 1608, pet. in-8°. — Le Loyer (P.), Discours des spectres ou visions et apparitions d'esprits..... où sont rapportés les arguments et raisons de ceux qui révoquent en doute ce qui se dit à ce sujet... et puis les moyens de discerner les bons et mauvais esprits, ensemble les remèdes et exorcismes pour chasser et conjurer les démons. Buon, 1608, in-8°. — La recherche et condamnation des sorciers se poursuit jusque dans le cours du XVIIe siècle. Nous avons rencontré le document suivant, originaire du Bugey et daté du 1er septembre 1650 : Interrogatoire de participation au sabbat. Minute originale du second interrogatoire, signée de Courtines et Verdet, greffier, et réponses de Louis-Charles : S'il sait la cause de son emprisonnement ? Répond qu'il est souvenant d'avoir confessé la vérité ; s'appelle Louis-Charles, âgé d'environ cinquante ans, ne sachant autrement la cause de son emprisonnement. D. Combien de fois il a été au sabbat et s'il y a longtemps qu'il n'y est pas allé ? — R. N'y avoir jamais été. D. Si étant au sabbat le diable l'a marqué de sa marque ? — R. N'être point marqué à la marque du diable et être bon chrétien... On ignore la suite de l'affaire.

Voir, ci-dessous, les mesures prises sous le règne de Louis XIV, pour obvier aux abus de ce genre de poursuites.

[120] Voir, pour l'exposé complet, Abbé Houssaye, Mgr de Bérulle et les Carmélites de France, p. 146-181.

[121] Bremond, t. XI, p. 28, 66, etc.

[122] Bremond, t. XI, p. 166.

[123] Peut-être n'est-il pas sans intérêt de donner ici une courte citation de l'Abrégé de l'Histoire de Port-Royal de Racine, pour faire sentir à quel point les meilleurs esprits, les plus sages, les plus pondérés mêlaient, dans ces affaires, la passion personnelle aux préoccupations religieuses et sociales. Racine écrit, à propos des Illuminées de Picardie et de leur influence à Maubuisson : Il se trouva que, sons un jargon de pur amour, d'anéantissement et de parfaite nudité (ce mot nudité mis en cette place évoque certainement l'hérésie des Adamistes), ces religieuses venues de Montdidier cachaient toutes les illusions et toutes les horreurs que l'Église a condamnées de nos jours dans Molinos (on aperçoit le bout de l'oreille janséniste). Elles étaient, en effet, de la suite de ces Illuminées de Roye qu'on nommait Guérinets dont le cardinal de Richelieu fit faire une si exacte perquisition... etc. Œuvres de Racine, Édition des Grands Écrivains, t. IV, p. 399.

[124] Voir Jean II d'Armagnac, gouverneur de Loudun et Urbain Grandier, par Alfred Barbier, Poitiers, 1886, in-8°.

[125] Cité par Légué, Urbain Grandier et les Possédées de Loudun. Nouvelle édition revue et augmentée in-12°, 1884. — En citant, cet ouvrage, le meilleur et le plus complet qui ait été écrit sur cette malheureuse affaire, nous renverrons à cette édition.

[126] Le Traité du Célibat des prêtres, attribué à Urbain Grandier, a été publié, dans la Petite Bibliothèque des Curieux et tiré à petit nombre, par M. Robert Luzarches en 1866, d'après un manuscrit venant de l'érudit Jamet. Le texte parait avoir été quelque peu remanié vers la fin.

[127] Voir, sur Louis Chasteigner de La Rocheposay et ses relations avec Richelieu, ci-dessus : Histoire du Cardinal de Richelieu, t. I, p. 115.

[128] Légué, Urbain Grandier, p. 87.

[129] Voir lettre de 20 juin 1630, dans Barbier, op. cit., p. 88.

[130] Barbier, op. cit., p. 104.

[131] R. Legué, op. cit., p. 52.

[132] R. Legué, op. cit., p. 52.

[133] Véritables relations des justes procédures observées au fait de la possession des Ursulines de Loudun, et au procès de Grandier, par le R. P. Tr. R. C. (le Père Tranquille), Paris, par Jean Martin, 1634. — Reproduit par Danjon dans : Archives curieuses de l'Histoire de France, 1838, 2e série, t. V, p. 1913.

[134] La Lettre de la Cordonnière de Loudun à M. de Baradas, est publiée avec commentaires dans le Cabinet Historique, t. VI, Iere partie, p. 226. Elle serait de Catherine Hammon, fille d'un cordonnier de Loudun et femme de chambre de Marie de Médicis, d'après le mémoire inédit de Madame Brothier de Rollière.

[135] J'ai sous les yeux les ouvrages principaux : Histoire des diables de Loudun ou de la possession des religieuses Ursulines et de la condamnation et du supplice d'Urbain Grandier, curé de la même ville. A Amsterdam chez Abraham Wolfrang, près de la Bourse, 1693, in-12°. Cet elzévir anonyme est du pasteur Aubin. — Cruels effets de la vengeance du Cardinal de Richelieu ou histoire des diables de Loudun, etc. Amsterdam, aux dépens d'Étienne Royer, 1716, in-12°. Cet ouvrage est la reproduction du premier ; mais le titre et la préface sont autres ; le texte lui-même a été légèrement modifié. Enfin une étude inédite, très favorable à Urbain Grandier, par Madame Brothier de Rollière d'après les archives de la famille Barbier de Montant, communiqué gracieusement par Mme la vicomtesse de Germond, descendante de cette famille loudunoise.

[136] Procès-verbal du bailli du 11 octobre, dans Legué, p. 128.

[137] Ces documents ont été publiés par le Dr Legué, p. 293 ; ils sont, plus complets encore, dans le mémoire de Mme Brothier.

[138] Trois documents inédits sur Urbain Grandier et l'autopsie du Cardinal de Richelieu publiés par L. Jovy, Paris, Leclerc, 1906, p. 13.

[139] Voir, dans les Archives curieuses, toute la relation du Père Tranquille. — Les arguments du Père Tranquille et des exorcistes appliquant la doctrine de la possession au cas des Ursulines de Loudun, sont soutenus et développés dans un livre publié en 1839 : Etudes sur les possessions en général et sur celle de Loudun en particulier, par l'abbé Leriche, prêtre du diocèse de Poitiers, avec une préface du R. P. Ventura de Raulica, théatin. Plon, pet. in-12°.

[140] Affaires Étrangères, France, vol. 810, p. 172, cité par Legué, p. 238.

[141] Voir Les Pidoux, ancêtres maternels de La Fontaine, par Gabriel Hanotaux, dans Les Chemins de l'Histoire, t. I, p. 161.

[142] Voir Interrogatoire de Maitre Urbain Grandier prêtre, etc., avec la confrontation des religieuses possédées, etc. A Paris chez Est. Hébert et Jacques Pouillard, 1634, avec permission. Réimprimé à Nantes d'après un exemplaire appartenant à M. Dugast-Matileux. Voir aussi Legué, op. cit.

[143] Mémoire de ce qui s'est passé à l'exécution. Collection Barbier, cité par Legué, p. 271.

[144] Nous avons suivi les données réunies dans l'ouvrage du Dr Légué, d'après une relation inédite. Peut-être faut-il, pour certains détails, faire la part de l'émotion ou de la passion chez les rédacteurs du récit. Le Père Tranquille affirme que le magicien, à qui monsieur Laubardemont avait donné deux Pères Capucins un mois avant le jugement du procès afin de le disposer à une vraie conversion, n'a pas montré à sa mort les signes de la vraie pénitence... On a remarqué, poursuit-il, que jamais il n'a réclamé le nom de Jésus et de Marie ; Jamais il ne jeta une larme dans la question ni après, non pas même quand on l'exorcisa de l'exorcisme des magiciens... Les yeux lui demeurèrent secs et affreux comme auparavant. Il a confessé à la question qu'il avait commis des crimes plus grands que la magie, mais non la made, et quand on lui demanda quels crimes, il dit que c'étaient crimes de fragilité.... (Archives curieuses, loc. cit., p. 220). — Par contre, un témoin impartial et loyal, Ismaël Bouillaud, écrit à Gassendi : Sa constance, quand j'y pense, me ravit. Qu'il se soit vu condamné au supplice le plus cruel qui se puisse imaginer et par préalable appliqué à la question pour savoir ses complices, qu'il ait enduré la torture extraordinaire sans dire épargné et que telles douleurs n'aient pu tirer de lui un mot de travers, au contraire, une persévérance continuelle sans jamais chanceler, accompagnée de prières et de méditations dignes de son esprit, cela me fait dire qu'il se trouve peu d'exemples pareils... De même le récit de Mme Brothier de Rollière.

[145] Il y eut naturellement des sceptiques, là encore : En 1645, un savant voyageur, M. de Moncornys, se trouvait à Loudun. Il demanda à voir la supérieure des Ursulines ; on lui dit que, sur la main de la religieuse le diable, chassé par l'exorcisme, avait écrit trois mots en lettres rouges. Moncornys regarda la main de près et il dit avoir détaché avec le bout de son ongle, une partie des lettres tracées à l'encre rouge : Je fus satisfait de cela, ajoute notre observateur. Journal des Voyages de M. de Moncornys, Lyon, 1665, in-4°, cité par Babeau, Voyageurs en France, p. 110.

[146] Chalmel, dans son Histoire de Touraine, dit qu'il succéda à Jean de Valençay. — Voir aussi : Père Griselle, Louis XIII et Richelieu, p. 49. — En 1637, Laubardemont cède à Étienne Froullé son office de premier président à la cour des Aides de Guyenne.

[147] Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p 790.

[148] Mémoires de Mathieu Molé, t. III, p. 39.

[149] Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 77 ; et Legué, p. 225.

[150] Legué, p. 925.

[151] L'impiété de Bautru était connue.

[152] Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 15 et 16, et p. 472.

[153] Mémoires du cardinal de Richelieu, édit. Petitot, t. VIII, p. 287.

[154] Nous étudierons, avec le détail qu'elle comporte, la réforme des ordres religieux et du clergé par le cardinal ministre.

[155] Voir Lettres du cardinal de Richelieu, t. VII, p. 8.

[156] Voir sur ce point, le chapitre intitulé : La résistance des Parlements, dans G. Hanotaux, Origine de l'institution des intendants, Champion, 1883, in-8°, p. 128.

[157] Les traits de cet exposé sont, pour la plus grande partie, empruntés aux Scènes et tableaux de l'Histoire d'Auvergne, par Charles Felgères.

[158] Charles Felgères, op. cit., p. 186-226.

[159] Voir Gabriel Hanotaux, Origine des Intendants des Provinces, p. 130.

[160] Affaires Étrangères, France, t. 58, f° 394.

[161] Sur cette révolte, qui ensanglanta le pays pendant de longues années, voir Floquet, Histoire du Parlement de Normandie ; Kerviler, Le chancelier Pierre Séguier, Paris, 1874, in-8° ; Floquet, Diaire du chancelier Séguier en Normandie, 1842, in-8° ; Pierre Carel, Une émeute à Caen sous Louis XIII, Caen, 1886, in-8°. On lit p. 70 de ce dernier ouvrage que, parmi tant d'atrocités réciproques, l'intendant La Potherie fit pendre à Avranches soixante-quinze factieux, y compris le prêtre Bastard.

[162] Voir Beaurepaire, L'affaire Saint-Ange en 1647, Rouen, in-8°, 1901, p. 16.

[163] Allusion à quelqu'une des pièces qui tournaient en ridicule la noblesse. — Quand il s'agit de donner à Scudéry le gouvernement de Notre-Dame de la Garde, Brienne écrivit à Madame qu'il était de conséquence de donner le gouvernement à un poète qui avait fait des poésies pour l'hôtel de Bourgogne. Cité par le vicomte d'Avenel, La Noblesse française sous Richelieu, p. 286.

[164] Lettre d'Alphonse de Richelieu, publiée par Péricard, Lyon sous Louis XIII, p. 284.

[165] Voir : Deux années de mission à Saint-Pétersbourg, manuscrits et documents sortis de France en 1789, publiés par Hector de La Ferrière. Imprimerie Impériale, 1887, in-8°, p. 100 et suivantes.

[166] Voir ci-dessous : Richelieu et l'armée, le rôle de Gassion à Rocroi.