HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

LA JOURNÉE DES DUPES

CHAPITRE QUATRIÈME. — LES ACTES SUIVENT.

 

 

Si je n'avais pas négligé de fermer un verrou, le cardinal était perdu[1]. Marie de Médicis répéta bien souvent cette parole. Pour le moment, elle était comme écrasée sous le poids des nouvelles que La Ville-aux-Clercs venait de lui apporter au Luxembourg, eu cet après-dîner du 11 novembre : le triomphe de Richelieu, l'éloignement de Marillac. La Ville-aux-Clercs assurait que le Roi ne remplirait point cette charge (de garde des Sceaux) ni celle de premier président, sans dire auparavant à sa mère sur quels sujets il jetterait les yeux[2]. La Reine, entourée de ses dames et d'une foule de seigneurs, où se pavanaient les ennemis de Richelieu et notamment le duc d'Épernon, ne savait quel parti prendre. Elle veut d'abord monter en carrosse et courir à Versailles. Adrien de Montluc, comte de Cramail, la presse d'y aller, pour y faire un vacarme et, armée de l'autorité de mère, tâcher d'en tirer son fils par violence[3]. Trop tard ; elle le sent : trop tard ! Avec le même accablement sans ressort qui la fit s'aliter lorsqu'elle apprit la mort du maréchal d'Ancre, elle Mène sa vie comme à l'ordinaire. Elle ne reçoit de nouveau La Ville-aux-Clercs qu'à la fin de la journée pour lui dire le parti auquel elle s'est arrêtée, d'envoyer le Père Suffren à Versailles. La Ville-aux-Clercs n'ignore pas que le voyage du bon Père est inutile. Mais, avant de quitter ces salons, où, parmi la foule stupéfaite et amusée, circule de bouche en bouche le mot que vient de lancer Bantru : C'est la journée des dupes, La Ville-aux-Clercs ne peut se tenir de demander au duc d'Épernon ce qu'il entend faire : Pousser à bout le cardinal, répond rudement le vieux survivant des âges révolus. — L'occasion en est passée, répond La Ville-aux-Clercs. M. de Marillac est congédié et je ne vois point d'autre parti à prendre pour vous que de vous retirer et laisser débrouiller les cartes à ceux qui les ont mêlées, mais qui ne pourront peut-être pas en venir à bout.

La nuit tombe sur le jardin. Six heures sonnent. Un signe de la Reine : princesses, dames et seigneurs se retirent. Marie de Médicis se dirige vers son cabinet, où La Ville-aux-Clercs la suit. Elle le prie alors de lui répéter ce qu'il lui a dit de la part du Roi. Il voit tout de suite qu'elle veut lui laisser croire qu'elle n'en a soufflé mot aux princesses qui l'ont accompagnée la promenade ; il feint de n'avoir pas lu dans sa pensée et répète docilement. Elle répond avec calme. L'aigreur cependant perce bientôt sous ses paroles résignées : elle est obligée d'approuver ce que fait le Roi, mais il en use bien mal avec elle ; n'est-elle pas sa mère ? Il manque à sa promesse, mais il connaîtra un jour les finesses du cardinal, qu'elle connaît depuis longtemps. Elle ajoute : J'aurai encore plus à souffrir que je n'ai eu du temps de Luynes. La Ville-aux-Clercs a beau se récrier, parler des obligations que le cardinal a envers elle : Vous ne le connaissez pas ; comme il n'y a pas d'homme plus abattu que lui, quand la fortune lui est contraire, aussi est-il pire qu'un dragon, quand il a le vent en poupe. Et les plaintes reprennent, entrecoupées de larmes. Les heures passaient. La Reine, toute à sa douleur, véritablement touchée et outrée, ne s'apercevait pas de la fuite du temps. Il était dix heures du soir, lorsqu'elle congédia enfin l'envoyé du Roi[4].

A ce moment, dans une hôtellerie de la route de Lisieux, l'ex-garde des Sceaux s'était arrêté. Cruel voyage ! La Ville-aux-Clercs s'était rendu, la nuit précédente, de Versailles à Glatigny. Marillac, qui se trouvait alors à la chapelle, avait demandé la permission d'achever d'ouïr la messe ; il avait communié, rendu ensuite la boite qui contenait les Sceaux de France, qu'il portait toujours sur lui et que venait lui réclamer La Ville-aux-Clercs. Puis on l'avait mis dans son propre carrosse ; près de lui son aumônier et un exempt, M. Desprez : autour de la voiture, huit archers à cheval. Le soir, pour la couchée, on avait fait halte dans cette méchante hôtellerie. Le triste cortège se remit en route au matin. Marillac ne savait où on le conduisait. L'exempt avait ordre de ne laisser qui que ce fût approcher du prisonnier. Il écarta les secrétaires de Marillac, qui avaient rejoint leur maitre ; il écarta, dans Évreux, les magistrats de la ville venus rendre leurs devoirs au chancelier de France. Le lendemain, toute la ville put voir l'ex-chancelier allant à la messe de la cathédrale, à pied, gardé comme un criminel. Lisieux n'était pas le ternie du voyage. Le cortège se dirigea vers Caen. Un contre-ordre du Roi atteignit Marillac et lui fit rebrousser chemin jusqu'à Lisieux[5]. Allées et venues qu'il dut payer de sa bourse et pour lesquelles l'infortuné emprunta seize cents livres, car il avait quitté le Luxembourg, sans hardes et sans argent. Jour et nuit sous l'œil d'un archer, il passait la plus grande partie de son temps à prier. Huit mois plus tôt, le 2 mars 1630. Il avait terminé ainsi une lettre qu'il écrivait à Richelieu : J'achève en vous suppliant très humblement de recevoir le livre de l'Imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que j'avais autrefois traduit et l'ai depuis revu pour rendre la traduction toujours plus approchante du sens et de l'esprit de son auteur[6]. Il remuait maintenant en son esprit les conseils du livre admirable : Le vrai patient ne regarde point celui qui lui donne quelque exercice, si c'est son prélat, si c'est quelque égal ou inférieur, si c'est un homme saint ou vertueux ou un méchant et indigne[7]. Le méchant et indigne le mettait à l'épreuve maintenant !

Au château de Foglizzo, quatre lieues au nord-est de Turin, étaient logés, dans trois pavillons distincts[8], les trois maréchaux le La Force, de Schomberg et de Marillac. Là se trouvait le quartier général des armées du Roi. Le 20 novembre 1630, Lépine, huissier du cabinet, qui portait la lettre de Louis XIII, n'en était plus qu'à une journée. Les maréchaux n'avaient pas exécuté beaucoup mieux que les généraux d'Espagne la convention du 26 octobre. Au lieu de mettre dans Casal un gouverneur et des soldats montferrins, ils y avaient introduit un gouverneur et des soldats français. Audace qui avait failli leur coûter cher, car les troupes d'Espagne avaient poursuivi les troupes royales et les auraient surprises, si Mazarin, jouant un tour d'Italien aux Espagnols, n'avait averti en toute hâte les maréchaux de France, qui, après une simple escarmouche, mirent leurs troupes en sûreté à Foglizzo. Ce 20 novembre 1630, la lettre du Roi qui donnait à Marillac la direction suprême des affaires d'Italie, venait d'arriver ; le courrier avait apporté aussi une lettre du garde des Sceaux, qui annonçait à son frère la disgrâce de Richelieu. Marillac était tout à la joie et Schomberg tout à la peine, sous l'œil paternel du vieux La Force : M. le Maréchal de Schomberg, raconte Pontis, ne pensant qu'à sa disgrâce, qu'il regardait comme inséparable de celle du cardinal de Richelieu, ne voulut point souper ce jour-là. Et M. le Maréchal de Marillac, de son côté, ne pensant à rien moins qu'à devenir tout puissant dans l'État avec son frère, se remplissait l'esprit des grandeurs qu'il se promettait, qu'il goûtait déjà par avance[9].

Le lendemain matin, 21 novembre, Lépine arrivait à Foglizzo. Marillac était dans la chambre de Schomberg avec La Force. L'huissier du cabinet du Roi se présente. Il est onze heures. Les maréchaux sont sur le point d'aller diner dans leurs appartements respectifs et, selon la formule du temps, on vient dire à La Force que la viande est portée. Monsieur il faut diner, dit La Force à Schomberg, et après diner, nous nous trouverons chez M. de Marillac, qui est en jour, et là nous verrons la dépêche[10]. Mais Schomberg s'attend à être disgracié : il n'y peut tenir, il se retire dans l'embrasure d'une fenêtre, ouvre le paquet, qui contient plusieurs dépêches, et se met en devoir de lire. Avant qu'il ait rien lu, La Force, qui l'a rejoint, reconnait en marge d'une lettré l'écriture du Roi, surprend (Full seul coup d'œil cette impérieuse apostille : Mon Cousin, vous ne manquerez d'arrêter le maréchal de Marillac, il y va du bien de mon service et de votre justification. La Force saisit la lettre et, suivi de Schomberg, disparait dans un couloir qui conduit à son appartement. A l'abri des regards indiscrets, il s'arrête : Monsieur, murmure-t-il à l'oreille de Schomberg, lisez votre lettre en particulier. Schomberg revient. Dissimulant son angoisse, il dit à ses officiers : Messieurs, s'il y a quelqu'un de vous qui veuille dîner, il n'y a qu'à passer dans ma salle, on va servir. Je ne dînerai pas.

Schomberg demeura dans la chambre : Puységur, qui était de garde ce jour-là se tenait debout près de la cheminée ; il le vit lire et relire la lettre royale puis s'approcher de lui : M. de Puységur, commence le maréchal, %uns êtes un homme qui est au Roi et que je connais fort affectionné à son service. Voici un étrange ordre que je reçois et que je ne puis exécuter sans être appuyé de personnes qui soient au Roi et par l'emploi de ses troupes. Il me mande d'arrêter le maréchal de Marillac, qui est mon confrère, maréchal de France et général d'armée comme moi. Et, de plus, c'est lui qui commande aujourd'hui. Il a six 'ou sept mille hommes qu'il a amenés de Champagne, tous commandés par ses parents, qui sont quasi aussi forts que ce qui nous reste. Il faut, pour en venir à bout, que j'avertisse tous les capitaines aux gardes et, pour cet effet, envoyez leur dire de tua part qu'ils viennent ici au plus tôt. — Monsieur, répond Puységur, il me sera fort aisé de les faire avertir, une grande partie est allée dîner chez M. de Vennes et l'autre chez M. de Fourilles et deux chez M. de Marillac, qui sont MM. de Brissac et de Malissy. — Cependant, recommande Schomberg, prenez garde, à la porte qu'il ne sorte point, parce que c'est un homme qui a de l'esprit et, s'il découvrait l'affaire, il pourrait se sauver. Puységur veillera.

Il regarde maintenant passer la viande, qui est portée à M. de Marillac dans de grandes mannes où un homme étendu serait à l'aise. Le premier service repasse, venant de chez le maréchal. Si, ayant éventé ce qui se préparait, Marillac se cachait dans le panier, pour sortir du château et gagner le pays ? Un sergent, sur l'ordre de Puységur, ouvre la manne : rien. Les porteurs, en retournant porter le second service, ne manquent pas d'avertir Marillac de la précaution insolite. Celui-ci mande l'officier de garde. Puységur arrive aussitôt, explique au maréchal étonné que M. le Maréchal de La Force se plaint qu'on lui a pris quelque vaisselle d'argent et qu'il a prié qu'on fouillât ceux qui sortaient, pour voir s'ils n'emportaient rien.

Cependant Schomberg a parlé à tous les capitaines aux gardes, il se dirige avec eux vers l'appartement de La Force. Ils quittent à présent La Force, ils descendent. Si Marillac se penchait à une fenêtre de son appartement, il les verrait traverser la cour afin de se rendre chez lui. Ils gagnent sa chambre, qui est vide. Marillac est encore à table. On les annonce : Ces Messieurs ont diné, répond Marillac, nous achèverons de diner, et après je les irai trouver. Pourquoi dépêcherait-il son repas ? Pourquoi se gênerait-il ? N'a-t-il point le commandement suprême ? N'est-il pas à la veille d'être aussi puissant à la Cour qu'à la tête des armées ? Ce jour qu'il a pensé voir luire à Lyon, qu'il voulait aller lui-même bitter à Paris, s'est levé enfin. Marillac a lu dans la dépêche d'hier la bienheureuse nouvelle. Le cardinal est abattu, son frère l'emporte et lui-même ! Quelle fortune !

Dans la pièce voisine, La Force et Schomberg attendent, émus comme on pense. La porte s'ouvre... Voici Marillac. Avec beaucoup de courtoisie, il s'excuse d'avoir tardé si longtemps, puis il dit, aux officiers : Messieurs, nous allons tenir conseil, s'il vous plait de vous retirer ? Il se tourne ensuite vers Schomberg et, apercevant dans la main du maréchal, la lettre du Roi, il demande à la lire. Les officiers n'ont pas bougé : Messieurs, répète Marillac, nous allons tenir conseil, s'il vous plaît de vous retirer ?Monsieur, répond Schomberg, ils ne doivent pas se retirer ; je les ai fait venir. — Monsieur, réplique Marillac, les capitaines aux gardes n'entrent pas au Conseil. — Non, convient Schomberg, mais il faut qu'ils soient présents et qu'ils m'aident à exécuter les volontés du Roi. Le maréchal de La Force intervient : Monsieur, je suis votre ami, dit-il, vous n'en devez pas douter ; je vous demande comme tel, que vous voyiez et receviez les ordres du Roi sans murmurer, sans vous emporter et même avec patience. Peut-être ne sera-ce rien. Mais vous verrez dans la lettre du Roi une apostille écrit et signé de sa main. Schomberg montre alors à Marillac l'apostille royale. L'écriture est du Roi, certes ; mais l'inspiration, du cardinal ! Par la morbleu ! s'écrie le maréchal, ce sont mes ennemis qui m'ont fait traiter de la sorte ! Qu'ils ne me pardonnent pas pendant qu'ils me tiennent ! Palsambleu ! je ne leur pardonnerai pas à mon tour ![11] Soudain, maitre de sa colère, il ajoute : — Monsieur, il n'est pas permis au sujet de murmurer contre son maitre ni lui dire que les choses qu'il allègue sont fausses... La vérité est que mon frère le garde des Sceaux et moi ayons toujours été serviteurs de la Reine mère ; qu'il faut qu'elle ait du dessous et que M. le Cardinal de Richelieu l'ait emporté contre elle et contre ses serviteurs... Il n'y a remède. Il faut souffrir. Je ne suis pas malaisé à arrêter : sans qu'il soit besoin qu'on me garde, je me rendrai en telle place et en telle prison qu'il plaira au Roi m'ordonner[12]. De l'air le plus calme, il écoute la lecture de la terrible dépêche et, lorsque La Force et Schomberg sortent de la chambre, il les accompagne jusqu'au bas de l'escalier. Les capitaines le suivent et remontent avec lui. Ils ne le quitteront plus, ils lui prendront son épée le soir, lorsqu'il l'aura ôtée pour se mettre au lit. Quatre d'entre eux coucheront dans sa chambre, sur des paillasses, et se relaieront pour le veiller. Comment s'évaderait-il de ce château de Foglizzo ? Il y a plus de deux heures que tous les ponts ont été levés. Cependant, s'il voulait... M. du Mesnil, son capitaine des gardes, demande à lui parler et lui propose de le faire évader. Marillac refuse : Dieu merci, mande-t-il à son neveu le duc d'Atri, qui se trouve à Rome, je regarde avec des yeux arrêtés et sans ciller, les honneurs du monde s'éloigner de moi, j'attendrai avec indifférence leur exil pour jamais ou leur retour[13]. Et, le lendemain, après sa première nuit de prisonnier, il écrit au Roi : Sire, me voilà prêt de porter ma tête à mon maitre aussi volontiers que souvent je l'ai montrée à mes ennemis, si c'est son service ou son intérêt qui la demande. Le malheureux ne croit pas si bien dire.

 

Trois jours auparavant, Louis XIII avait quitté Versailles pour Saint-Germain. Richelieu l'y avait accompagné. L'écrivain chargé par Mme d'Aiguillon d'écrire son histoire, Aubery, assure que le cardinal, inconsolable d'être au plus mal avec la Reine, desséchait à vue d'œil et s'abandonna si fort au chagrin, qu'il n'était tantôt plus reconnaissable[14]. Ce n'était point seulement la pensée d'avoir déplu à son ancienne bienfaitrice qui l'affligeait, mais la claire vue des précipices que Marie de Médicis creuserait sous ses pas. Certes il n'oubliait pas les longues années d'intimité où la Reine lui avait confié ses velléités politiques et les avait unies à sa propre carrière. Mais aussi, connaissant la femme bornée et vindicative qu'était cette reine écartée, cette mère exaspérée, comment n'eût-il pas appréhendé quelque vengeance longuement méditée, quelque piège tendu au besoin avec les anciens secrets communs ? Il l'a écrit lui-même : Puisque, par le passé, tout ce qu'il avait pu faire avait été de résister aux tempêtes qui s'étaient émues en ce qui concerne l'État, lorsque la Reine lui était favorable, ne lui deviendrait-il pas impossible de rien faire, lui étant contraire, comme elle était ouvertement[15].

Il savait bien que la rusée Florentine ne se laissait pas prendre à ses airs contrits, à ses mines exténuées. Averti par le Roi, par ses espions, par ses yeux et par ses oreilles perpétuellement aux aguets, il notait dans son Journal : M. le Premier Président avant dit à la Reine qu'il avait vu pleurer cinq fois M. le Cardinal, tant son déplaisir était grand, elle lui répondit qu'il pleurait quand il voulait ; et aussi : Bonneuil ayant dit à la Reine qu'il avait vu M. le Cardinal si abattu et si changé qu'on ne le reconnaissait plus, elle a répondu qu'il se changeait quand il voulait et qu'en un instant après qu'il avait paru gai, il paraissait tout aussitôt demi-mort[16].

Cependant on apporte au cardinal une lettre de Bullion : Monseigneur, suivant le commandement que j'ai reçu, je me suis présenté à la Reine et lui ai baisé les mains de la part du Roi. La Reine était sur le point d'entrer au cercle. Aussitôt qu'elle m'a vu, elle m'a mené dans son cabinet et, avant que de savoir si j'allais lui faire telles recommandations de Sa Majesté, elle m'a dit : Vous êtes bien hardi de me venir voir. Ne seriez-vous point criminel ? Vous serez au moins excommunié. Cet impromptu n'a pas démonté le gros Bullion et il a répondu : Il n'y a personne auprès du Roi qui ne soit très humble serviteur de la Reine et M. le Cardinal particulièrement. Puis vient la nouvelle intéressante : la Reine espère arriver demain, entre midi et une heure, à Saint-Germain : elle ne veut, dit-elle, parler d'affaires quelconques au Roi, auquel on a fait faire beaucoup de chemin depuis trois jours. En attendant, elle pleure ; elle pleure extraordinairement : C'est l'adresse de M. le Cardinal, gémit-elle à travers ses larmes, d'avoir mis les affaires à tel point, qu'il n'y a que lui seul qui en ait la connaissance entière... — Entre les biens que Votre Majesté a faits au Royaume, observe Bullion, c'est d'avoir donné au Roi M. le Cardinal. J'ai vu Votre Majesté haïr des personnes bien pins avant que Son Eminence et néanmoins, s'étant soumises à Votre Majesté, vous les avez admises en l'honneur de vos bonnes grâces. — Cela est bon quand on se soumet, s'écrie Marie de Médicis au milieu d'un nouveau déluge de larmes, on m'étranglerait plutôt que de me faire rien faire par force. Et que dites-nous quand celui qui est ma créature me veut perdre ?[17]

La fin de la lettre est un peu plus rassurante : Bullion pense que la Reine ne refusera pas de voir le cardinal au Conseil : Cette aigreur, assure-t-il, s'apaisera. Il est vrai qu'on attise le feu tant qu'on peut. Mais, à mon pauvre jugement, je ne tiens pas l'affaire irréconciliable..... Richelieu agira comme si elle l'était.

 

Vingt-quatre heures plus tard, Marie de Médicis descendait  de carrosse devant le château de Saint-Germain. L'accueil du Roi est parfait, mais on parle des derniers évènements et le désaccord éclate. Les répliques se croisent. Louis XIII prie sa mère de trouver bon de voir le cardinal dans ses conseils comme auparavant. Elle refuse : elle mourrait plutôt ! Eh ! bien, lui, le Roi, l'honorera et la servira toujours comme il doit, mais il est obligé de maintenir le cardinal jusques à la mort[18].

C'est, maintenant, une lionne déchaînée. Le 22 novembre, reproches sanglants au Roi d'avoir pris position dans son discours à MM. du Parlement[19] et d'avoir toléré ces paroles du Président de Nicolay : La Reine, par animosité, sans sujet, a déchargé de ses affaires M. le Cardinal, mais le Roi, comme son fidèle serviteur, le protégera envers et contre tous. Je suis réduite à néant, M. le Cardinal a tout pouvoir ! s'écrie la Reine. Le 28 novembre, Bullion, qui attend que cette grande colère soit évaporée, revient au Luxembourg en conciliateur et trouve plus de feu que jamais. Marie de Médicis, frémissante, ne veut plus se mêler de rien... Il faut laisser conduire cet homme qui est si nécessaire à l'État[20].

Louis XIII souffrait de ce dissentiment ainsi étalé. Il avait la sagesse de ne pas tenir conseil à Paris, craignant de donner avantage sur sa mère à M. le Cardinal[21]. Mais comment apaiser la querelle quand l'impétueuse Florentine allait répétant : Je prendrai mon temps ; je le retrouverai : je me donnerai plutôt au diable que de ne me pas venger. Naturellement le cardinal se donnait l'avantage du sang-froid et de la modération. Le cardinal, — c'est le Père Griffet qui le remarque, — allait toujours à son but. Sa haine froide et tranquille ne sortait jamais des hontes de la plus exacte circonspection. Il ne parlait de la Reine mère qu'avec respect[22]. La Reine persiste en une aigreur extraordinaire, que je ne Ille fusse jamais imaginée, contre moi, écrit-il à Schomberg le 7 décembre. Je continuerai toujours à souffrir avec patience les paroles que son indignation lui fait mettre en avant[23].

Une des habiletés du ministre fut de se réconcilier avec Monsieur. Le Roi et le cardinal gagnèrent les favoris du jeune prince, Puylaurens et le président Le Coigneux. Le second eut la charge de président à mortier et la promesse du chapeau de cardinal ; le premier reçut cent cinquante mille livres pour acheter au duc de Montmorency le duché d'Amville, dont le Roi faisait revivre la dignité en sa faveur. Les articles de cet accord étaient précis : Monsieur, y lisait-on, promettra et donnera parole de prince à Sa Majesté d'aimer, assister et protéger, selon les intentions du Roi, M. le Cardinal de Richelieu en tout temps ; promettra de fermer la bouche à tous ceux qui lui en voudront parler mal, leur témoignant ouvertement qu'ayant donné parole au Roi de l'aimer, il ne peut rien souffrir qui soit à son désavantage. Et, en effet, mondit seigneur aimera et affectionnera sincèrement ledit sieur cardinal et ne consentira ni n'adhérera jamais eu rien qui lui soit préjudiciable, mais l'assistera en toutes occasions, même auprès de la Reine sa mère[24].

Tous les traités du monde ne pouvaient fixer l'inconstant Monsieur : le cardinal, qui avait dicté les articles, le savait mieux que personne. Lorsque Monsieur vint l'assurer de son amitié, Richelieu ne put se tenir de lui demander si c'était sans équivoque, il reçut, sans y croire, mille serments de son ancien et futur ennemi, qu'il traitait avec une déférence quelque peu hautaine.

C'est vers ce temps-là que le cardinal, irrité de voir le prince courtiser Mme de Combalet, coupa court aux empressements de Gaston par cette lettre de haut style et qui met chaque personne et chaque chose à la place qui convient : Monseigneur, je ne saurais vous témoigner le contentement extrême que j'ai de votre bonne disposition, que je souhaite et souhaiterai toujours beaucoup plus que vous-même, qui assez souvent en faites fort peu de cas. Du reste, je ne sais, Monseigneur, si je dois me réjouir et vous remercier de l'honneur qu'il a plut à Votre Altesse faire à ma nièce, étant en doute si c'est pour ce que vous croyez qu'elle puisse devenir telle que vous avez jusques ici témoigné désirer les dames, ou pour ce que vous commencez à faire cas des femmes de bien. Si la première considération a porté Votre Altesse à l'excès de sa courtoisie, au lieu de lui eu rendre grâces, j'ai sujet de me plaindre. Si la seconde en est cause, m'en réjouissant pour sa conversion, je la supplie de croire que je me souviendrai à jamais de sa bouté et serai ravi, quand j'aurai occasion de la pouvoir reconnaître pat' toutes sortes d'effets de la servitude de celui qui sera à jamais. Monseigneur, de Votre Altesse le très humble et très obéissant serviteur.

Et, au post-scriptum, le cardinal, abîmé dans les formules de cour, ferme la blessure qu'une si fière déclaration peut avoir faite dans les sentiments du prince toujours à court d'argent : On a pourvu à ce que Votre Altesse a désiré pour son bâtiment, M. de Chavignv faisant partir vingt mille livres et, en outre, mille pistoles pour vos menus plaisirs, auxquels je prie Dieu que M. de Saint-Rémy ait part[25].

La réconciliation du cardinal et de Monsieur paraissait insupportable à Marie de Médicis. La Reine disait que le marquis de Rambouillet, qui en avait été le négociateur, lui coupait la gorge. Et puis comment supporter le dernier coup de poignard, l'emprisonnement du maréchal ? Sans cesse, autour d'elle, certains donneurs de belles raisons, certains conseilleurs patentés viennent se porter garants des sentiments de Richelieu. Jusqu'au cardinal Bagni, nonce du Pape ! La Reine conscrit à écouter, mais elle pose ses conditions : les Marillac seront mis en liberté : la princesse de Gonzague n'épousera pas Monsieur ; la princesse de Conti ne quittera point la Cour et le duc de Bellegarde sera maintenu à la tête de son gouvernement de Bourgogne. Si tout est accordé, la Reine ne refusera pas de rencontrer le cardinal au Conseil, pourvu que ce ne soit point chez elle, mais chez sa belle-fille, Anne d'Autriche. Et elle ajoute ses raisons : Le Conseil ne commence pas toujours au moment que le Roi arrive et je ne veux pas que le cardinal demeure si longtemps chez moi[26]. Je désire l'accommodement de toutes choses, plus que je ne saurais vous dire, mandait Richelieu au nonce. J'en ai parlé amplement avec le bon Père Suffren vous le verrez par le papier qu'il vous fera voir, où ce que vous me dites dernièrement et ce qui se peut faire est clairement couché. Il n'y a difficulté qu'en un point qui concerne le maréchal de Marillac[27]. Difficulté dirimante, le cardinal le savait, parce qu'une autre Médicis, Catherine maréchale de Marillac, aigrissait infiniment sa royale cousine sur le sujet de son titan.

Le 26 décembre 1630, au Louvre, — le Roi et les Reines s'y étaient réinstallés le 23, — le marquis de Hautin demandait à parler à Louis XIII de la part de Richelieu. Le Père Suffren était en ce montent chez le cardinal, il était venu quérir Son Éminence, à qui la Reine mère voulait parler, et le cardinal faisait demander au Roi s'il trouvait bon qu'il y allât. Marie de Médicis accomplissait, ce jour-là un bel acte de vertu. Elle avait déjà reçu, l'avant-veille de Noël, son ennemi en présence de son fils, de son confesseur et du nonce, mais elle s'était montrée si froide, que les trois témoins de cette scène en avaient été scandalisés. Elle obéissait aux instances de son confesseur en consentant à une seconde entrevue[28].

Louis XIII répondit à Bautru que le cardinal pouvait aller chez la Reine. Marie de Médicis attendait à l'étage au-dessous, dans les appartements situés parallèlement à la rivière, entre la grande galerie et la rue d'Autriche, — le fameux entresol où elle recevait jadis le maréchal d'Ancre. Richelieu arrive, accompagné de l'officieux Jésuite. La Reine est assise. Dès l'abord, elle fond en larmes. Le cardinal et le Père, debout et silencieux, ne peuvent retenir les leurs. D'une voix entrecoupée de sanglots, la Reine commande à Richelieu de s'asseoir. Il s'en excuse. Elle réitère son commandement, mais le cardinal s'en excuse toujours. Ce n'est plus à lui de s'asseoir devant elle, puisqu'il est disgracié et qu'une telle faveur est une grâce très particulière qu'une personne qui est disgrâce ne peut ni ne doit recevoir. Elle insiste. Plus elle le presse, moins il obéit. Alors elle se décide à rappeler les événements de ces dernières semaines : Elle n'a jamais eu l'intention de faire sortir le cardinal d'auprès du Roi ni l'ôter de ses affaires, mais seulement de sa maison. — Votre Majesté a dit publiquement qu'elle ou moi sortirions de la Cour, réplique le cardinal d'une voix coupante. C'est la colère qui a fait tenir ce langage à la Reine, répond le Père Suffren[29].

Richelieu se confond en protestations d'innocence : C'est chose inouïe de condamner qui que ce soit au monde sans conviction, à plus forte raison un homme qui peut dire sans présomption avoir servi l'État heureusement en des occasions fort importantes. S'il est coupable envers la Reine, il ne veut point de pardon ; s'il ne l'est pas, il veut qu'elle le reconnaisse. Il ne demande pas à reparaître dans sa maison, où il ne prétend pas venir troubler le contentement qu'elle goûte depuis qu'il en est sorti ; c'est dans son esprit seulement qu'il veut être remis. De phrase de dévouement en phrase de dévouement, de circonlocution en circonlocution, il finit par insinuer à Marie de Médicis qu'elle est fort incommode à vivre. Il lui dit que l'ayant servie quatorze ans colonie il l'a fait, il reconnaît trop bien son humeur, pour oser avec raison espérer ce qu'il doit toujours souhaiter par respect[30].

La Reine, malgré cette insinuation, malgré les instances du Père Suffren, ne disait mot. Elle consent enfin à parler. Elle dit qu'il arriverait beaucoup de changement avec le temps et que le cardinal lui avait fait un déplaisir en voulant favoriser le mariage de Monsieur contre son gré. Richelieu n'eut guère de peine à se justifier sur ce point. Il en eut davantage lorsque Marie de Médicis lui reprocha l'arrestation du maréchal de Marillac. Elle se plaignit qu'on eût été bien vite ; si elle n'avait pas chassé le cardinal de sa maison, n'était-il pas vrai que jamais on n'eût arrêté le maréchal en Italie ? Richelieu en convint : Votre Majesté, pour cela, expliqua-t-il, ne doit pas prétendre qu'on l'ait offensée ; ce n'est point pour lui faire déplaisir qu'on poursuivait M. de Marillac, mais parce qu'il l'avait extraordinairement mérité. Avec une ingénieuse et terrible subtilité, il se mit à analyser le cas de Marillac. Il ne craignit pas de le comparer à celui d'un homme qui dès longtemps a fait amas de mauvaises humeurs, pour avoir toujours persévéré en une mauvaise façon de vivre, et qui tombe malade pour quelque accident qui lui arrive inopinément ; cet accident donne commencement à son mal, mais n'en est pas la cause, tuais bien les mauvaises humeurs qu'il avait amassées[31].

La Reine, qui avait toujours approuvé la façon de vivre de Marillac, l'un des soutiens les plus fermes du parti dévot, goûtait peu cette comparaison médicale. Ne sachant que répondre elle commanda au cardinal, de dire au Roi qu'elle avait parlé à Mme de Marillac pour écrire à Verdun, pour faire rendre la citadelle : Mme de Marillac a répondu, ajouta la Reine, que, lorsque l'on lui avait saisi ses cassettes, elle avait envoyé les papiers hors d'ici, parmi lesquels était une lettre que son mari écrivait à Biscarras pour cet effet, qu'elle ne la pourrait ravoir plus tôt que dimanche. Dimanche 31 décembre, dans quatre jours !... Sans doute pour permettre aux lieutenants de Marillac, Attichy, Heudicourt, Le Mesnil, — qui d'ailleurs étaient déjà pris, on le sut quelques heures plus tard, — de se jeter dans la citadelle, d'en lever les ponts et d'en baisser les herses, en attendant le secours du duc de Lorraine, qui armait. Richelieu dit d'une voix glaciale : Je rapporterai au Roi ce qu'il plaira à Votre Majesté de commander, mais je la supplie d'avertir Mme de Marillac qu'il peut lui arriver beaucoup de déplaisir du retardement qu'on apporte à la reddition de la citadelle. J'estime qu'il est bon qu'elle en soit avertie, afin que, par après, elle ne se plaigne que d'elle-même[32].

L'entretien finit sur cette respectueuse menace. Congédié par la Reine, le cardinal sortit.

 

Marie de Médicis tint sa promesse, elle assista au Conseil le surlendemain de Noël. Bonne volonté bien mal récompensée : on ne prit que des mesures qui déplaisaient à la Reine et qu'elle feignit d'approuver, opinant comme le cardinal, au risque de décourager ses partisans. Passe pour la liberté rendue à M. de Vendôme, qui se morfondait à la Bastille depuis deux ans ; mais l'éloignement de sa confidente la comtesse du Fargis, maitresse, assurait-on de M. de Beringhen, Premier écuyer, éloigné lui aussi : mais la décision de signifier au marquis de Mirabel, ambassadeur d'Espagne, qu'il ne vint au Louvre que les jours où le Roi lui accorderait audience ! Rien n'était plus juste que ces deux mesures, car Richelieu avait entre les mains des lettres qui compromettaient gravement l'intrigante dame d'atour. Mirabel, venu se plaindre au Roi de ce qu'il considérait comme un affront, ne sut que répondre à la question que lui posa Louis XIII : Dites-moi, je vous prie, si l'on aurait souffert un seul jour en Espagne ce que j'ai souffert en France des années entières. Marie de Médicis ne reparut pas au Conseil. Qu'y eût-elle fait quand Richelieu était le maitre ?

Anne d'Autriche n'avait qu'à se tenir également sur une prudente réserve : le cardinal voulait chasser son apothicaire, Michel Danse, qu'il soupçonnait d'entretenir sa maîtresse dans sa mauvaise humeur. Lopez, un Morisque d'Espagne, arrivé en France sous Henri IV, devenu un des plus riches financiers du Royaume et qui servait d'espion an cardinal, se trouvait, le 3 janvier 1631, au Louvre dans l'appartement de la jeune Reine, qui l'avait fait appeler. L'apothicaire s'y trouvait aussi. Ils virent entrer Anne d'Autriche les veux gros et rouges, venant de chez sa belle-mère. Elle se plaignit du traitement qu'on lui faisait. On, c'était Richelieu : Votre Majesté connaît bien les desseins de M. le Cardinal, répondit Michel Danse : il lui veut faire ôter son apothicaire, pour la faire mourir et faire épouser Mme de Combalet au Roi. — Vous êtes un méchant homme de tenir ce discours, interrompit Lopez ; à qui l'avez-vous ouï dire ?A la Reine, répliqua Michel Danse. Anne d'Autriche était persuadée, en effet, que le nouvel apothicaire l'empoisonnerait ; elle ajouta d'un air de défi : No es mas tiempo de hablar con el cardinal pero bien de hacer. Il n'est plus temps de parler avec le cardinal, mais bien d'agir[33].

Une autre cause de trouble était le premier médecin de la Reine mère, ce Vautier, véritable maitre en intrigue, qui négociait la tête haute avec tout le monde[34]. C'était lui qu'on voulait perdre et c'était lui que les Reines voulaient sauver à tout prix. Marie de Médicis demandait avec un air de victime pourquoi son fils voulait la priver du seul médecin qui connût son tempérament[35] ; Anne d'Autriche refusait d'accompagner son époux à la comédie, et toutes deux se disaient l'une à l'autre : Nous avons bien à faire de lui donner du plaisir, tandis qu'il nous procure du déplaisir et de la peine[36].

Si, du moins, on était assuré de Monsieur ! Marie de Médicis tâchait à se servir, elle aussi, des deux familiers de Gaston. Le Coigneux commençait à douter que Richelieu demandât sérieusement pour lui la pourpre, il disait que l'on l'avait leurré de l'espérance d'un chapeau de cardinal et que, dans six semaines, on serait bien heureux de le lui envoyer[37]. Quant à Puylaurens, il se demandait si l'on ne travaillait pas secrètement à l'empêcher d'acquérir la seigneurie d'Amville. Monsieur fut chauffé à blanc et il parvint à un tel degré d'exaspération, qu'il offrit à Marie de Médicis d'aller en poste trouver l'Empereur et le prier de la retirer de l'état où elle était. La Reine mère eut le bon sens de le retenir. Mais il était déchaîné.

 

Lorsque le cardinal vient du Louvre, qu'il trouve toute la rue de Saint-Honoré embarrassée par les carrosses de ceux qui l'attendent chez lui, qu'il voit sa cour, son escalier, sa salle et son antichambre chargés de courtisans, d'officiers et députés, il ne considère pas que sa maison est remplie de ses ennemis : qu'il n'a ses gardes que contre ceux pli le visitent : qu'il craint les mains de ceux qui fléchissent à genou devant lui : et qu'il est dans la presse des hommes sans toucher jamais un ami[38]. Ce petit tableau brossé par le grand ennemi du cardinal, Mathieu de Morgues, est eu somme exact ; et il faut reconnaître que le ministre avait quelque courage à vivre au milieu de tels dangers. Le 30 janvier 1631, tandis qu'un grand fracas de carrosses et de-chevaux s'élevait dans la cour de l'ancien hôtel de Rambouillet, où Richelieu s'était installé vers 1625, sur Ferma : cernent du futur Palais-Cardinal, le duc d'Orléans venait chez lui, accompagné de quinze gentilshommes et valets. La troupe fringante descend de carrosse, les cavaliers de l'escorte mettent pied à terre, toutes les portes s'ouvrent devant le frère du Roi et sa suite. Le cardinal fait sa révérence à Son Altesse ; il en reçoit ce compliment imprévu : Vous trouverez bien étrange le sujet qui m'amène ici. Tandis que j'ai pensé que vous me serviriez, je vous ai bien voulu aimer. Maintenant que je sais que vous manquez à tout ce que vous m'avez promis, je vous retire la parole que je vous ai donnée de vous affectionner[39]. En quoi le cardinal a-t-il manqué ? Il prie Monsieur de le lui dire : En ne faisant rien pour M. de Lorraine, en laissant croire au monde que Monsieur abandonne la Reine sa mère. Richelieu répond avec beaucoup de calme que les réclamations du duc de Lorraine au sujet des terres réunies à la Couronne par jugement, il ne pourra les examiner que le jour où les députés lorrains seront arrivés. Ils ne le sont point encore. Monsieur n'a donc pas lieu de se plaindre. — Il n'est pas besoin de plus grands éclaircissements, réplique le prince. Le cardinal s'incline. Le ton de Monsieur, la mine de ses gentilshommes ne lui disent rien qui vaille. S'agit-il d'un guet-apens ? L'ordre est-il donné de l'assassiner sans autre forme de procès ? Que présagent ces paroles lancées par le prince : Si votre qualité de prêtre ne m'avait pas retenti, je vous aurais déjà traité comme vous le méritez ; mais sachez que votre caractère ne vous garantira pas à l'avenir des châtiments qui sont dus à ceux qui offensent des personnes de notre rang ?[40] Nul doute que la vision du maréchal d'Ancre, massacré sur le pont du Louvre par les gentilshommes de M. de Vitry, ne se soit dressée devant les yeux du cardinal, qui protestait à Monsieur qu'il serait toujours son très humble serviteur. Déjà Monsieur avait gagné l'antichambre avec ses gentilshommes et si rapidement, que le cardinal, qui le reconduisait, avait quelque peine à le suivre[41]. Tout en marchant, Monsieur déclarait qu'il s'en allait à son apanage, à Orléans ou Blois, et que, si on le pressait, il se défendrait bien. Le dernier carrosse avait à peine disparu dans la rue Saint-Honoré, que Richelieu faisait partir Bouthillier au galop[42] pour Versailles, où le Roi prenait le divertissement de la chasse.

Le Roi accourt de Versailles sans perdre un instant. Il se fait conduire rue Saint-Honoré chez le cardinal. Après un court entretien avec son ministre, il sort et fait monter dans son carrosse Bassompierre, qui est venu se mettre à la disposition de Richelieu.

Louis XIII se montre violemment irrité de l'éclat que s'est permis Gaston. Il a dit au cardinal : Ne craignez rien, je serai votre second contre tout le monde, sans excepter mon frère ; mon honneur y est engagé ; le mal que l'on vous fera, je le regarderai comme fait à moi-même et je saurai vous venger. En vain Monsieur a envoyé à Versailles M. de Chaudebonne expliquer au Roi les raisons de son départ ; en vain, en ce même Versailles, M. de Villiers, dépêché par la Reine, a assuré que sa maitresse a failli s'évanouir en apprenant la retraite de Monsieur, dont elle ignorait les projets. A Paris, le cardinal vient de dire au Roi que la Reine mère savait tout la veille et qu'elle avait remis à Monsieur les pierreries qu'il avait héritées de la feue duchesse d'Orléans et qu'elle gardait pour lui, — une véritable fortune, nerf peut-être d'une prochaine guerre civile[43].

Je vais, dit le Roi à Bassompierre, quereller la Reine ma mère d'avoir fait partir de la Cour Monsieur mon frère. Le maréchal répond qu'elle serait blâmable si elle l'avait fait et qu'il s'étonne fort qu'elle lui ait conseillé telle chose. — Si, assurément, réplique Louis XIII, pour la haine qu'elle porte à Monsieur le Cardinal[44].

Le Roi arrive chez sa mère. La Reine a pris médecine ; mais cela n'a pas calmé ses nerfs. Aux premiers mots de son fils, qui ne lui cache pas qu'il trouve bien étrange cette retraite de Monsieur et qu'il a beaucoup de peine à croire qu'elle n'en en ait rien su, elle vomit feu et flammes contre le cardinal. Ce sont les propres expressions dont Richelieu se sert dans son Journal et il ajoute avec indignation : Elle fit un effort nouveau pour le ruiner dans l'esprit du Roi, quoique auparavant elle se fia obligée par serinent à n'entreprendre plus aucune chose contre lui[45].

Trois semaines après cette scène nouvelle, qui avait excédé le Roi, Marie de Médicis rejoignait la cour au château de Compiègne. Instruite par la journée des dupes, elle avait déclaré Glue, désormais, elle suivrait son luis partout. Elle allait ainsi au-devant de l'exécution que méditait Contre elle le cardinal, non sans l'avoir mise une fois de plus dans son tort en faisant auprès d'elle une suprème tentative de réconciliation.

 

A Compiègne, le 23 février 1631, de grand matin, on frappe à la porte de la chambre où dormait Anne d'Autriche. Elle se réveille en sursaut... Vient-on lui annoncer qu'elle doit partir pour l'Espagne ? Non : c'est le garde des Sceaux Châteauneuf, qui se fait annoncer par la première femme de chambre. Il a charge de faire connaître à la Reine que le Roi, pour certaines raisons qui regardent le bien de son État, est obligé de laisser sa mère en ce lieu à la garde du maréchal d'Estrées : il prie la Reine de ne la point voir, de se lever et de le venir trouver aux Capucins, où il est allé avec intention de l'attendre[46].

Châteauneuf parti, la Reine se lève le plus diligemment qu'elle peut... Mais comment ne pas avertir sa belle-mère ? et comment aller la trouver sans imprudence ? Sur le conseil de la marquise de Sénecé, sa dame d'honneur, elle fait dire à l'infortunée Marie de Médicis le désir qu'elle a de l'aller voir, pour lui parler d'une affaire de conséquence et que, pour certaines raisons, elle n'ose entrer chez elle, que premièrement elle ne l'envoie prier d'y aller. Quelques minutes plus tard, Mlle Catherine, première femme de chambre de la Reine mère, venait, au nota de sa maîtresse, mander la reine régnante.

Le temps de passer une robe de chambre de linon, Anne d'Autriche monte chez sa belle-mère. Marie de Médicis, au comble de l'angoisse, est assise dans son lit, tenant ses genoux embrassés : Ah ! ma fille, s'écrie-t-elle, je suis morte ou prisonnière. Le Roi me laisse-t-il ici ? et que veut-il faire de moi ? Anne d'Autriche se jeta dans les bras de sa belle-mère et, tout en pleurant avec elle, attendrie par la haine commune du cardinal qui leur tenait lieu d'amitié, elle répéta ce qu'avait dit le garde des Seaux. Et la jeune reine s'enfuit pour rejoindre le Roi et gagner Senlis.

Le cardinal était arrivé à ses fins. La veille, au Conseil extraordinaire que Louis XIII avait réuni à Compiègne, lorsqu'on avait rappelé l'obstination de la Reine mère à ne plus paraître aux séances, à se refuser à toute réconciliation sincère avec le cardinal ; lorsqu'on l'avait montrée en commerce intime et secret avec l'ambassadeur d'Espagne, avec Monsieur, qui annonçait la rébellion et la guerre civile, le cardinal avait gardé le silence. Il s'était même excusé de dire son avis en cette affaire, en laquelle il pouvait sembler à quelques-uns être intéressé. Puis, sur un ordre du Roi, il avait énuméré et développé les raisons d'éloigner la Reine pour un temps, — treize pages de considérations[47], où le cardinal ne manquait pas d'observer qu'on lui reprocherait d'avoir voulu se venger : chacun dirait que la créature détruisait son créateur. L'intérêt personnel le portait à éviter le torrent d'injures que déverseraient sur lui les amis de la Reine mère, s'il préconisait la mesure que commandait l'intérêt de l'Etat. Cependant, comme il ne voudrait pas empêcher le salut public, s'il était jugé nécessaire par le Roi et son Conseil pour la conservation de son autorité, de sa personne et de son État, il passerait par-dessus son intérêt. Mais, en ce cas, il suppliait le Roi de lui permettre sa retraite, qui lors ne serait point préjudiciable à Sa Majesté, vu que, le grand corps des cabales étant séparé, MM. les ministres qui demeureraient, pourraient subsister et le servir comme il avait été jusqu'à présent. Victime volontaire, le cardinal avait donné alors de suprêmes avis tendant à établir son désintéressement et la gravité de la situation : Pour éviter, expliquait-il en plus, que, par quelque voyage que Monsieur ferait à Paris en l'absence de Sa Majesté, il arrivât quelque désordre qui fût tel, qu'on n'y luit remédier, il semblait qu'outre les deux compagnies de cavalerie, qui étaient auprès de Chartres, il en faudrait encore mettre trois à Étampes ; encore loger huit compagnies de gardes à Louvres-en-Parisis, pour contenir la ville en son devoir. Avant tout sauver le Roi et la paix du Royaume !

La fermeté et la dignité de Richelieu triomphent des dernières hésitations de Louis XIII : Il prend la résolution de se séparer de sa mère pour quelque temps, afin que cependant son esprit ait loisir de se désabuser, et éloigner d'elle pour toujours ceux qui sont les auteurs de ses maux. L'arrestation de l'abbé de Foix et du médecin Vautier est également décidée. On éloigne la princesse de Conti, les duchesses d'Elbeuf, d'Ognano, de Lesdiguières et de Roannez[48], et l'on n'oublie pas Bassompierre, en dépit de son zèle récent et quelque peu suspect. Le maréchal aura pour logis la Bastille, où il fut conduit le 25 février. Son Éminence ne tarda guère à le régaler d'un petit présent, qui pouvait lui être utile au cours d'un emprisonnement de douze années : Monsieur, lui écrivit-il, pour m'acquitter de lita promesse, je vous envoie un chapelet, avec lequel je vous assure que vous pouvez gagner les indulgences. Mais d'autant qu'on ne peut obtenir rémission de la peine, que premièrement on n'ait celle de la coulpe, je vous conseille de la rechercher en faisant autant d'état de la grâce de votre Créateur que vous avez fait autrefois, ce dit-on, de celle des créatures. Par ce moyen, les armes que je vous mets en main, ne vous seront pas inutiles ni à moi aussi, si j'ai part au bien que vous en ferez. J'en demande le dixième, qui appartient à l'Église. Mais toutefois, si vous jugez que ce soit trop, je me contenterai du vingtième, à la charge que j'aurai les prémices, estimant avec vous que le premier Ave Maria, que vous direz sans doute avec dévotion, vaudra mieux que trente autres qui courent grand hasard d'être dits avec divertissements. Vous êtes si courtois, que vous ne tue dénierez pas ce que je vous demande, et, en cette considération, je me promets une faveur particulière à moi seul, ne croyant pas que la vertu de vos prières ait été jusques ici si connue, qu'elle ait convié personne à les mendier ni vous-même à les départir. Je fais l'un maintenant, vous ferez l'autre, s'il vous plaît, considérant que je mérite certainement cette part que je désire en votre souvenir et en vos oraisons, puisque je veux être non-seulement en partie, mais entièrement à vous comme votre serviteur très humble[49]. Humour un peu cruel, mais que le prisonnier pouvait considérer comme une espérance entr'ouverte. Il y avait une raison à cette mesure rigoureuse. Une lettre, écrite à Bassompierre par le maréchal de Marillac, était tombée entre les mains du cardinal. Richelieu note dans son Journal au début du mois de décembre 1630 : La lettre qu'on a surprise, qu'il écrivait d'Italie à M. de Bassompierre, qui avait toujours été son ennemi, témoigne clairement qu'ils s'étaient réconciliés et étaient ensemble en extraordinaire confiance, ce qui ne s'était pas fait pour rien. Mieux valait prévenir que châtier, et tenir que risquer : Il ne faut pas croire, écrivait le cardinal vers le même temps, qu'on puisse avoir des preuves mathématiques des conspirations et des cabales : elles ne se connaissent ainsi que par l'événement, lorsqu'elles ne sont plus capables de remède.

Et le maréchal de Marillac lui-même, quelle peine lui réservait-on ? La mort. Richelieu 'l'hésitait pas : déjà les ordres étaient donnés pour le transfert du prisonnier. Le 27 décembre 1630, le maréchal, qui, le jour même de son arrestation, avait refusé de s'évader en sautant sur une charrette de foin arrêtée sous sa fenêtre, fut enfermé à quelques lieues de Foglizzo, dans le château d'Avigliana. On le conduit à Lyon. Richelieu veut qu'il s'embarque à Roanne sur la Loire et descende la rivière jusqu'à Briare. C'est le chemin qu'il choisit d'ordinaire pour se rendre à Paris. Mais, à Lyon, de nouvelles instructions modifient l'itinéraire. L'étroite litière dans laquelle Marillac, dévoré de fièvre, chemine, tout rompu de fatigue, prend la route de Bourgogne, gagne Mâcon, Chalon-sur-Saône, Dijon, Chatillon-sur-Seine. Ce n'est plus à Paris que le mène Gabriel des Réaux, sieur de Coclois, lieutenant des gardes, qui veille sur lui à la tête d'une nombreuse escorte. A Châtillon-sur-Seine, le cortège oblique du côté de Vitry-le-François, arrive enfin le 9 février 1631 à Sainte-Menehould, gravit le rocher qui domine la ville, et s'engouffre dans la citadelle. Triste séjour si l'on en juge par la lettre que, le surlendemain, le prisonnier adresse à sa femme : Mes fenêtres, dit-il, sont non seulement grillées mais cadenassées, en sorte que, je n'ai point d'air ; la cheminée tanne est grillée avec grande incommodité de fumée[50].

Pourquoi Sainte-Menehould ? C'est qu'on n'a pu trouver dans les faits et gestes du maréchal de quoi bâtir une accusation spéciale du crime de lèse-majesté. Ni les lettres trouvées bus ses papiers ne l'ont vraiment compromis, ni les allégations accumulées par Monsieur pendant la période si brève où il s'est efforcé d'aimer le cardinal, ni Verdun demeure entre les mains de son lieutenant Biscarras et fermé au Roi : une lettre de Louis XIII a suffi pour que le maréchal écrivit à son lieutenant de rendre la place et fût obéi.

Il semble bien que Richelieu avait compté sur une sorte d'échange : la vie de Marillac contre une réconciliation avec la Reine mère. Malheureusement la Reine mère s'était obstinée dans son ressentiment et Richelieu gardait son gage. Il vaut mieux le laisser s'expliquer lui-même. On lit dans son Journal : Si on fléchissait en cette occasion, si on manquait d'agir avec beaucoup de verdeur et de fermeté, il fallait faire état de quitter la partie de bonne heure, parce qu'en ce cas, non seulement ceux qui étaient du parti prendraient cœur, mais ceux qui n'en sont pas se déclareraient.... Le Roi est obligé de faire le procès de Marillac, parce qu'autrement on jugerait que des inimitiés particulières, non des raisons publiques, seraient cause de sa détention[51]. Et comme Richelieu avait découvert les malversations commises par le maréchal dans la construction du fort de Verdun et les oppressions exercées contre les habitants de plusieurs villages de la Champagne, c'est en Champagne que Marillac devait attendre la fin de l'instruction, confiée à MM. Isaac de Laffemas et de Moricq, maîtres des requêtes, Le choix de ce Laffemas, qui mérita le surnom de bourreau du cardinal, ne laissait que trop prévoir le résultat de l'instruction.

 

Les griefs, d'ailleurs, ici étaient fondés et peu à peu l'on en découvrait d'autres : Monsieur préparait une guerre ouverte : par l'intermédiaire de son chancelier Le Coigneux, il s'était assuré le concours des plus riches banquiers de Paris : les fonds devaient abonder. Ni les hommes n'allaient manquer ni les vivres : La Feuillade et quelques autres parents du sieur de Puylaurens, écrivait Richelieu, lèvent en Limousin aussi hardiment que s'ils avaient les commissions du Roi[52], et force chariots acheminaient les grains à travers la !tenure vers Orléans.

Le cardinal eut l'adresse d'enlever à la rébellion ses chefs possibles. Il fit espionner de telle sorte M. de Toiras, qui se trouvait alors à Paris, que ce maréchal, avant reçu une lettre du duc d'Orléans, n'osa point la décacheter et l'envoya sans tarder à son terrible surveillant : il fit sortir de la Bastille le duc de Vendôme, à condition qu'il quittât la France : il se hâta de rappeler à la Cour le prince de Condé et la duchesse de Chevreuse. Et qui appelle-t-il maintenant ? Gaston ! Le cardinal de La Valette se présenta devant ce prince de la part du Roi, lui donnant des assurances de son affection cordiale et sincère et de son soin plus que paternel, ayant pour lui les sentiments qu'il avait eus de tout temps et désirant tous les jours le voir marié : à quoi il le conjurait de penser sérieusement, afin que, si le contentement de se voir des enfants continuait à lui manquer, il en prit voir à Monsieur, qu'il considérerait comme s'ils étaient siens propres[53].

On pense bien que La Valette ne réussit pas. Gaston n'a nulle envie de s'approcher de trop près de la Bastille. Il tremble que le Roi ne marche sur Étampes à la tête de son armée. Ce n'est pas le moment de s'attarder. Bien qu'il eût voulu, selon ce que rapporte Richelieu, faire amas de noblesse, il n'en avait guère autour de sa personne. Qui ? un Moret, bâtard de Henri IV et de Mme du Breuil, les ducs d'Elbeuf, de Roannez et de Bellegarde. Le vol s'enfuit à tire-d'aile vers la Bourgogne. Louis XIII les suit ; Monsieur ne s'arrête même pas devant les frontières de la Franche-Comté, qui appartient à l'Espagne ; il demande au duc de Lorraine Charles IV la permission d'entrer dans ses États.

 

Louis XIII arrive le 16 mars à Dijon, siège du gouvernement de Bellegarde, et là il s'arrête. Le 31  il fait enregistrer au Parlement de Bourgogne une déclaration contre ceux qui ont suivi Monsieur ; mais le Parlement de Paris refuse l'enregistrement. Plusieurs magistrats observent notamment qu'on ne peut déclarer criminels de lèse-majesté pour avoir suivi leur maitre les propres officiers de Monsieur, obligés par leur charge à demeurer auprès du prince. Ce refus irrite grandement Louis XIII. Le Parlement sera mandé au Louvre le 13 mai, en corps ; il devra venir à pied au château, il s'agenouillera dans la grande galerie[54] et le Roi déchirera de sa propre main la feuille du registre sur laquelle est inscrite la délibération qui a déplu.

Le 2 avril, Louis XIII se rend à Fontainebleau, tandis que M. de Saint-Chaumont se hâte vers Compiègne afin de convier la Reine mère à se retirer quelque temps à Nevers[55]. C'était Moulins que le Roi avait désigné tout d'abord comme lieu de séjour de la Reine. En indiquant Nevers, qui inspirait moins de répugnance à Marie de Médicis, il faisait à sa mère une grâce. Depuis plus d'un mois, elle refusait de se mettre en route. Tantôt elle demandait un délai pour prendre médecine, tantôt elle alléguait qu'une contagion avait infecté Moulins et que le château était à demi ruiné ; tantôt elle observait que Moulins était sur la route de Marseille ; sûrement son fils voulait la faire conduire à Marseille, où des galères l'attendraient pour la reconduire en Italie. Le 1er mars, le maréchal d'Estrées, reçu dans le cabinet de la Reine, avait trouvé Marie de Médicis assise sur un coffre, tout éplorée ; il avait écouté respectueusement ses lamentations : Voilà, disait-elle, les belles promesses que l'on me fait ; il en sera tout de même de tout le reste, et lorsque je serai à Nevers, je serai pis que je ne suis ; ce matin, on a amené mon médecin (Vautier) à Paris ; ce n'est le chemin de me le renvoyer[56]. Et toujours revenait le même argument : l'impossibilité de s'embarquer pour un si grand voyage sans s'être purgée, l'impossibilité de se purger sans cet incomparable Vautier. Le Roi avait beau promettre de rendre le Purgon à la Reine dés qu'elle serait à Nevers, c'est à Compiègne que le voulait Marie de Médicis. Quand le Père Suffren s'approchait de sa pénitente et demandait : Madame, nous voici au Carême ; je ne sais ce que Votre Majesté voudra que je fasse pour les serinons, car, si Votre Majesté a peu à demeurer ici, il me semble qu'il serait bon de ne commencer pas à prêcher, elle répondait qu'elle voulait en toute façon se purger ici avant que d'en partir[57]. La presse qu'on fait au sujet de Vautier, écrivait Louis XIII le 6 mars à d'Estrées, et le peu de nécessité qu'on témoigne avoir de son ministère, ne voulant appeler aucun médecin, accroit ma connaissance et fortifie ma résolution, qui ne sera pas altérée[58]. Et le Roi qualifiait ainsi l'entêtement de Marie de Médicis : La fermeté, que je n'ose dire opiniâtreté, de la Reine, Madame ma mère[59].

Et comme la princesse invoquait à présent une défluxion, qui retardait encore la purgation, le maréchal soupçonnait le confesseur d'être de connivence avec sa pénitente. Il fallut que le bon Père protestât qu'en foi de religieux et d'homme de bien, avant qu'elle et mis un mouchoir au visage, il lui avait vu la joue enflée[60].

Cette mauvaise volonté n'était pas le moyen de sauver la tête du pauvre maréchal de Marillac et l'on comprend que le prisonnier ait écrit avec tristesse : La Reine n'a rien fait pour elle ni pour ses serviteurs par sa boutade : j'en ai pâti fort innocemment[61].

Purgée enfin le 19 mars, Marie de Médicis fit espérer qu'elle partirait vers le 26, après la fête de Notre-Dame. N'empêche, qu'au début d'avril, lorsque M. de Saint-Chaumont se présenta au château de Compiègne, elle n'était pas encore prête. Le gentilhomme lui apportait une lettre du Roi. Louis XIII, après avoir rappelé les raisons des mesures qu'il avait prises à regret, assurait que le séjour de la Reine à Moulins n'était que pour un temps. Il conservait pour sa mère l'amitié et le respect qu'elle pouvait attendre d'un fils il s'étonnait de ce qu'elle le jugeait capable de prendre des résolutions violentes contre elle, mais il lui enjoignait de partir : J'apprends avec beaucoup de déplaisir, disait-il, que vous retardez de jour en jour votre parlement quoique vous m'ayez ci-devant assuré y être disposée. Si votre indisposition en est la cause, j'en suis doublement fâché... Je prie Dieu de tout mon cœur duc vous en soyez délivrée et vous prie de partir maintenant sans remise pour des considérations importantes à mon État et pour faire cesser des bruits qu'aucuns méchants esprits font courir que vous n'êtes pas dans Compiègne eu pleine liberté, ce qui ite se pourra plus dite ni penser, lorsque, étant en votre maison de Moulins, il n'y aura plus personne auprès de vous qui vous puisse donner ombrage[62]. — Monsieur mon fils... répondait Marie de Médicis le 11 avril, je vous dirai, avec tout le respect que je vous dois, que je remets au jugement de ceux qui ont considéré sans passion et sans intérêts ce qui s'est passé en ce lieu, et votre séparation d'avec moi, si les causes que vous en avez vous-même déclarées, méritaient ce traitement et si vous avez dit prendre en mauvaise part, comme si ç'avait été un crime, de n'avoir pas fait raccommodement... avec le cardinal de Richelieu, ce que lui-même n'a jamais voulu, bien qu'en apparence il ait témoigné le désirer et rechercher. Marie de Médicis se disait dans l'impossibilité d'obéir aux commandements du Roi : elle le conjurait de ne point trouver mauvais qu'elle  fut blessée d'une appréhension dont elle ne parvenait pas à guérir : Ayant fait volontairement le chemin d'ici audit Moulins, expliquait-elle, on peut, en quatre jours me remettre sur le Rhône, pour me conduire dans les galères que vous me faites préparer pour me passer en Italie. Lieu à la vérité de ma naissance, mais, en ayant apporté avec moi, lorsque je suis venue en France, tout ce que j'y avais de vaillant, il ne me reste ni honneur, ni bien, ni retraite que par la grâce de ceux qui, éloignés maintenant de parenté et ne m'ayant jamais vue, auraient beaucoup de raisons de ne me pas recevoir dans leurs États, si mon propre fils ne m'a pas pu souffrir dans les siens[63].

M. de Saint-Chaumont ne put lui persuader de condescendre aux volontés de ce fils ; elle jura qu'on ne la ferait partir que par les cheveux. Retourné auprès du Roi et revenu à Compiègne, il ne réussit pas davantage. Le maréchal de Schomberg et M. de Roisy, doyen du Conseil d'État, ne fuirent pas plus heureux. En vain ils lui offrirent Angers et le gouvernement de l'Anjou. Elle déclara que, lui offriraient-ils Monceaux ou le Luxembourg, elle ne bougerait point : Il en serait ce qu'il plairait à Dieu. Craignant d'être enlevée pendant une des promenades qu'elle faisait en forêt, et embarquée pour l'Italie, elle ne quitta plus sa chambre que pour arpenter la terrasse qui communiquait avec son appartement. Elle écrivit au Roi le 23 mai. Celui qui a servi de secrétaire a su, comme l'observe M. Henrard, canaliser dans de belles phrases correctes les flots de la colère de sa maîtresse, mais c'est bien l'indignation de la Florentine qui fait l'éloquence de cette lettre : Si je ne connaissais, disait-elle, l'esprit de celui qui conduit cet ouvrage et qui travaille à ma ruine, et le danger où je suis, étant du tout eu sa puissance et exposée à sa passion, maintenant qu'il a entièrement réoccupé le vôtre, je ne pourrais m'imaginer les maux qui me sont préparés et croirais que votre bon naturel arrêterait sa passion ; mais par qui serai-je défendue, puisque je ne serai présente quand ses commissaires vous feront leurs rapports et qu'il y a longtemps que personne ne vous approche ni ne vous parle, qui ne soit à lui ? Avec la plus mordante ironie, Marie de Médicis cinglait à la fois Louis XIII et Richelieu : Sans doute, ajoutait-elle, que ma demeure en ce lieu est très préjudiciable à votre État, trop proche de Paris ; que tout le mal qui s'y fait vient de moi (comme si j'avais à répondre de tous les mouvements de la France) ; qu'il me faut éloigner si loin, que je sois hors du commerce de la mémoire des hommes ; que vous devez cela à votre État ; et c'est le prétexte dent il se sert pour couvrir sa vengeance envers moi. II y aurait quelque raison, si je vous avais offensé ou votre État, mais vous savez que non et que je n'ai d'autre crime que de l'avoir ôté d'auprès de moi[64].

Une dizaine de jours plus tard, la réponse de Louis XIII, partie du château de Courance (près de Fontainebleau), parvenait à Compiègne. Marie de Médicis put reconnaître dans la lettre de son fils la précision décourageante, la raison inflexible et jusqu'au ton impératif de Richelieu, qui l'avait dictée : Et d'autant, déclarait le Roi, que, par vos lettres, il semble que vous m'accusiez d'avoir moins de connaissance de tees affaires que les bons succès qui me sont arrivés ne justifient à tout le monde, et que vous supposiez que j'aie les oreilles fermées à tout ce qu'on pourrait dire contre ceux qui servent dans mes conseils, je veux bien vous témoigner, qu'encore que vous sachiez que vous m'avez toujours dit ce qu'il vous a plu contre eux, vous pouvez m'écrire ce que vous estimerez à propos, sans crainte qu'aucun puisse ni voulût même empêcher que vos lettres ne viennent à ma connaissance.

Quel dédain transparait en ce ni voulût même ajouté sur la minute, de la propre main du cardinal ! Mais, pour ne pas trop encourager Louis XIII à écouter de dangereuses plaintes, Richelieu s'était empressé de dicter à son secrétaire le correctif suivant : Il est vrai que, comme je reçois très volontiers ce qu'on petit justifier être important à mon service et qu'il n'y ait personne auprès de moi qui ne me conseille d'en user ainsi, mes propres intérêts ne me permettent pas de souffrir qu'on calomnie ceux dont la fidélité est si connue, que de leurs propres ennemis n'en sauraient douter. Au contraire ils m'obligent à les protéger et à les garantir de ce qu'on pourrait leur mettre à sus sans fondement[65].

Ce discours ne fut point du goût de la Reine. Les lignes dont il était précédé le furent moins encore. Le Roi écrivait à sa mère qu'afin qu'on connut le respect dont il voulait user à son endroit, il donnait ordre à son cousin le maréchal d'Estrées de retirer les troupes qui étaient dans Compiègne, mais c'était, explique-t-il, afin de lui permettre de se disposer plus librement à ce qu'il attendait d'elle. Il la priait de choisir pour retraite un des lieux qu'il avait proposes.

Il y avait alors deux semaines que Richelieu avait noté dans son Journal : Le 15 mai, on a eu avis de Compiègne que la Reine y était assez mal gardée : qu'il vient toutes les nuits des gens lui donner des avis, qui prennent des chevaux frais pour s'en retourner ; qu'elle est assurée de gens qui seront prêts de monter à cheval quand elle voudra ; que le marquis de Soudiac a l'ait faire un carrosse de telle sorte qu'on y peut mettre des pierreries et de l'argent sans qu'on les voie et s'en aperçoive ; que les carrosses viennent jusques au pied de l'escalier sans qu'on voie ce qui est dedans[66]. Il est certain qu'habitant, au château de Compiègne, le corps d'hôtel qui regardait les terrasses, murs et clôtures de la ville, à quelques pas des portes qui aboutissaient[67] à l'enceinte fortifiée. la Reine pouvait prendre, sans trop de difficulté,

Ce bijou radieux nommé la clef des champs.

Le 15 juillet 1631, vers trois heures du matin, six hommes, dans la cour du château, s'évertuaient autour d'un coffre de six pieds de long. Ils le hissèrent péniblement sur une charrette toute attelée, que l'on distinguait dans le petit jour. Les six hommes et un cuisinier, qui venait de paraitre, montèrent sur la charrette, sortirent de la cour, puis de la ville et prirent la route de Choisy-au-Bac. Ils semblaient se diriger du côté de La Fère. C'était le bagage d'Aune de Vandétare, dame du palais de la Reine, épouse de M. de Fresnoy, capitaine-lieutenant des chevau-légers de Marie de Médicis. Trois jours plus tard, le vendredi 18 juillet, sur les dix heures du soir, le carrosse de Mme de Fresnoy elle-même, traîné par six chevaux bais, sortait de Compiègne à son tour par la porte de Pierrefonds et, suivi d'un cavalier qui se couvrait le visage du coin de son manteau brun, s'éloignait par le grand chemin de Soissons. Ce n'était pas le seul départ qui devait avoir lieu cette nuit-là

Au début de ce mois de juillet, M. de La Mazure, lieutenant des gardes de la Reine, avait obtenu du concierge du château une grâce qui lui tenait à cœur bien plus qu'il ne voulait le dire : cet honnête Cerbère avait consenti à laisser sortir chaque soir quelques gentilshommes passionnés pour la chasse à l'affût. Ces Messieurs s'étaient montrés si raisonnables, que, la nuit du 18 au 19, comme ils étaient revenus de fort bonne heure demander que la porte restait grande ouverte à cause d'un énorme sanglier qu'ils venaient de tuer dans la forêt et voulaient rapporter au château, il ne fit nulle difficulté pour accéder à leur désir[68]. La charge de cet accommodant concierge m'était certes pas une sinécure : les douze coups de minuit venaient à peine de sonner, qu'une petite troupe se présentait à la porte pour sortir. Le concierge reconnut M. de La Mazure. un autre gentilhomme, une dame d'honneur et l'aumônier de la Reine et vit au milieu d'eux une femme voilée qui, assurèrent-ils, était une fille d'honneur de Sa Majesté, résolue à se marier secrètement. Ils avaient l'autorisation de la Reine et se rendaient dans nu ermitage voisin. Une demi-heure au plus et ils seraient de retour. Tout en parlant, ils donnaient au concierge quelques demi-quarts d'écus, la livrée de noce, et laissaient auprès de lui un homme de confiance, de peur que ses soupçons ne fussent insuffisamment endormis.

Marie de Médicis, — c'était la femme voilée, — fut bientôt hors de Compiègne. Onze ans auparavant, elle s'en souvenait, après s'être évadée du château de Blois au moyen d'une échelle de corde, elle avait marché ainsi nuitamment à travers la ville, et des jeunes hommes, qu'elle avait croisés, l'avaient prise pour une bonne dame. Ce n'était point pour une fille de joie qu'on prenait, cette nuit, la vieille reine, mais pour une mariée. Ce rapprochement la divertissait, tandis que, pour gagner la campagne, elle sortait du long couloir voûté de la porte Chapelle et, qu'à peine dehors, le portier avant crié qu'il était temps de fermer, La Masure avait répondu qu'il fermât si bon lui semblait, car ils ne rentreraient pas cette nuit. Juste à ce moment, l'homme au manteau brun qui avait suivi le carrosse de Mme de Fresnoy, venait à leur rencontre. Il les conduisit à la voiture qui attendait à l'entrée de la route menant au bac de Choisy. Un rapide piétinement, des claquements de portières... Escorté de cinq ou six cavaliers, le pesant véhicule démarrait. Il avait à peine parcouru une demi-lieue, qu'il s'arrêta sur le bord de l'Aisne, au bac de Choisy. Deux gardes de la Reine se tenaient à cheval près du bac. Le carrosse traversa la rivière, puis les gardes enchaînèrent le bateau, le cadenassèrent et, jusqu'à dix heures du matin, ne permirent à personne d'en approcher, répondant à toutes les questions qu'ils avaient des ordres du Roi[69].

Cependant le carrosse et son escorte passaient au mont des Singes, filaient le long du parc d'Offémont jusqu'à Tracy, s'engageaient sur la route de Chauny... Eh quoi ? Marie de Médicis allait-elle en Flandre ? Il n'y avait pas six semaines, elle déclarait qu'elle était bien résolue de n'y jamais aller. La Reine n'avait pas menti. En s'obstinant à ne point bouger de Compiègne, elle avait sans doute voulu se poser en victime aux yeux de se‘ gendres d'Angleterre, d'Espagne et de Savoie, qui parlaient de former en sa faveur une ligue pacifique et au besoin offensive. Plus d'un astrologue avaient prédit la mort prochaine du !foi ; en cas d'accident elle brûlait de se trouver à portée du Louvre, afin de saisir la régence en attendant l'arrivée de Monsieur ; elle eût profité de ces heures de pouvoir si brèves, pour châtier elle-même le cardinal. Avant toute chose, elle avait entendu rester en correspondance avec Gaston, qui s'apprêtait à pénétrer en France à la tête d'une armée étrangère.

Monsieur, en effet, venait d'être reçu à Épinal par Charles IV. Le prince lorrain avait quelque temps hésité. Il craignait de se brouiller avec le Roi. Mais il savait que sa saur Marguerite de Vaudemont était aimée de Gaston et, comme Louis XIII n'avait ni santé ni postérité, il voyait déjà Marguerite reine de France. La maison de Lorraine se retrouverait au Louvre, comme sous Catherine de Médicis, au cœur de la politique catholique. Charles IV, avant de se compromettre davantage avec Gaston, s'était assuré que l'infante Isabelle, gouvernante des Pays-Bas espagnols, lui fournissait des subsides ; le marquis de Mirabel, ambassadeur d'Espagne en France, lui envoyait de grosses sommes d'argent à Nancy, ce qui indiquait assez clairement que Philippe IV ne l'abandonnerait pas. Aussi levait-il des troupes sous prétexte de secourir l'Empereur contre Gustave-Adolphe, eu réalité pour fournir une armée d'invasion à Monsieur, lorsque les partisans de ce prince auraient suscité la rébellion de la Provence et du Languedoc. Monsieur espérait que la flotte espagnole de Dunkerque viendrait faire une diversion sur les côtes de France. Le commandeur de Valençay, aujourd'hui infidèle à Richelieu, était venu deux fois implorer cette diversion au nom du duc d'Orléans. Reçu par Rubens, secrétaire du Conseil privé de l'Infante — et dont l'atelier n'était pas un lieu compromettant, car nul étranger de marque ne venait à Anvers sans le visiter, — il avait proposé de lier la cause de Marie de Médicis à la cause de Monsieur. En même temps un envoyé du duc de Lorraine demandait que l'Infante recueillît la Reine dans ses États, et Monsieur avait dépêché à sa mère Du Plessis-Besançon, l'un de ses gentilshommes.

Marie de Médicis n'ignorait pas qu'elle se perdrait à jamais dans l'opinion française, si elle se jetait dans les bras de l'Espagne. Ce n'était pas en Flandre qu'elle allait, emportée par ce carrosse dont les chevaux dévoraient les trente lieus qui séparent Compiègne de la Capelle. S'enfermer dans cette place frontière, s'y maintenir, donner la main à Monsieur lorsqu'il envahirait le Royaume, voilà quel était son plan. La Capelle avait pour gouverneur le marquis de Vailles, mais ce gouverneur, absent pour quelques jours, avait laissé la ville aux mains de son fils aîné[70]. Ce fils avait épousé en 1617 Jacqueline de Rueil, mère du comte de Moret, bâtard de Henri IV, et penchait en conséquence vers le parti de Monsieur. Il avait promis à Marie de Médicis d'ouvrir les portes de la ville. Les plus beaux espoirs dilataient le cœur de la Reine. Que de dégoûts il lui avait fallu essuyer ! Dire qu'elle, la veuve de Henri le Grand, elle qui avait jadis traité le Parlement avec tant de hauteur, elle avait dû s'abaisser jusqu'à lui adresser une humble requête ! Supplie Marie, Reine de France et de Navarre, disant que, depuis le vingt-troisième de février, elle aurait été arrêtée prisonnière dans le château de Compiègne... Maintenant, du moins, elle respirait.

Comme son voyage avait été minutieusement préparé ! Au petit village de Roisv, entre Chauny et La Fève, six chevaux frais, arrivés la veille ou l'avant-veille de la petite ville de Sains (dix lieues au nord-est de Roisy), attendaient la Reine : rapidement attelés, ils devaient l'emporter aussitôt à toute bride. On avait eu la précaution d'emmener le conducteur du bac de Choisy. Monté sur un cheval qu'on lui avait fourni, le brave homme avait guidé l'attelage jusqu'à Blérancourt (huit lieues et demie de Compiègne). On avait passé à Blérancourt sans s'y arrêter, vers quatre heures après minuit. Ce n'est que sept lieues plus loin, à Roüy, sur les huit heures du matin, pendant le relais, que l'on avait renvoyé le conducteur à son bac. Le carrosse reparti traversa Pont-de-Serre. A midi, la Reine entrait dans Sains. Elle avait couru près de trente lieues sans boire ni manger. Six lieues encore et La Capelle lui ouvrirait ses portes.

Il y avait à Sains (aujourd'hui Sains-Richaumont) un gentilhomme arrivé de La Capelle le 16 juillet, avec un carrosse attelé de quatre juments grises et sept ou huit chevaux de selle. Ce gentilhomme s'approcha du carrosse de la Reine et lui annonça, de la part du mari de la comtesse de Moret, les plus fâcheuses nouvelles : le vieux marquis était revenu subitement depuis plusieurs jours dans sa place de guerre ; il avait prié son fils d'en sortir. Ville close !

C'étaient les relais qui avaient donné l'éveil. A Sains, depuis une quinzaine, dans la cour de l'Hostellerie de l'Estoile, deux carrosses, prêts à partir, intriguaient les voyageurs ; l'un, attelé de six chevaux blancs, appartenait au comte de Crèvecœur, gouverneur d'Avesnes, l'autre à M. Du Plessis-Besançon, gentilhomme de Monsieur. La présence de ces carrosses avait été signalée au cardinal. Richelieu, qui connaissait bien le beau-père du comte de Moret, l'avait mandé à la Cour. Le jeune Vardes n'avait pas manqué d'obéir, mais apprenant soudain que la Reine était à la veille de quitter Compiègne, il était parti sans prendre congé. Ce brusque départ avait surpris le Roi, qui avait averti le vieux marquis de Vardes d'avoir à empêcher son fils de se saisir de la ville dont il était gouverneur. Vardes, malgré son grand âge et les quarante lieues qu'il lui fallait franchir pour rentrer à La Capelle, y avait devancé la Reine.

Marie de Médicis, découragée, mourant de faim, se fit apporter à diner dans son carrosse. Ce ne fut pas son cuisinier, arrivé à l'hôtellerie le 16 avec le prétendu bagage de Mme de Fresnov, qui lui prépara les viandes. Cet artiste de la broche, qui s'était vanté de faire bientôt le diner de la Reine, avait reçu du gentilhomme du jeune Vardes le conseil de gagner Avesnes, première ville espagnole, située à dix lieues au nord-est. Il s'y trouvait avec le bagage. La Reine dut se résoudre à faire de même : tout lui semblait préférable à l'horreur de retomber entre les mains du cardinal avec la perspective d'être reléguée dans quelque prison lointaine.

Ce samedi 19 juillet 1631, les sentinelles qui veillaient sur les remparts de La Capelle[71] virent passer à une demi-lieue deux carrosses escortés de sept ou huit cavaliers, que rejoignirent, les jours suivants, huit autres carrosses, deux litières, une centaine de chevaux et vingt-deux mulets : le train de la Reine s'acheminait vers la frontière. La veuve de Henri IV quittait pour jamais cette Frimer, où trente ans plus tôt, mariée par procuration, le roi Henri lui mandait qu'elle serait la plus heureuse des femmes. Elle approchait de la maison de M. de Bellevue, sise, comme on disait alors, sur les bords du Royaume. M. de Bellevue, qui rentrait chez lui, se mit à ses ordres et la conduisit au village à d'Étroenngt, aux portes d'Avesnes. Arrivée entre sept et huit heures du soir, elle y dormit sa première nuit d'exilée. Le dimanche 20 juillet 1631, elle entrait dans la ville, d'où elle expédia le baron de Guesprez à Bruxelles vers l'Infante, M. de La Mazure 'en Lorraine au duc d'Orléans, M. de La Barre en France au Roi. Lasse de la rude randonnée, elle goûtait la volupté de se sentir hors d'atteinte et chacun admirait sa belle humeur. Marie de Médicis causait intarissablement avec les seigneurs et les dames qui tenaient à lui rendre leurs devoirs ; elle s'indignait contre le jeune Varde6 — et recommençait vingt fois, n'en doutons pas, le récit de son évasion. Les douze coups de minuit, — nous le savons par un témoin[72], — étaient sonnés depuis longtemps, qu'elle parlait encore.

Le jour même où Marie de Médicis entrait dans les Pays-Bas espagnols, Richelieu, au château de St-Germain, dictait une lettre pour le duc de Chaulnes, gouverneur d'Amiens. Il s'agissait de la Reine : Nous venons présentement d'apprendre, disait-il, que la Reine mère est sortie de Compiègne et s'est retirée à La Capelle. Le cardinal ne paraissait nullement bouleversé par cette fuite, dont il ignorait encore les détails, mais il prenait toutes les mesures qui lui semblaient nécessaires : Je vous fais ce mot, continuait Son Éminence, afin que vous lie manquiez pas, aussitôt que vous l'aurez reçu, de monter à cheval avec le plus de vos amis que vous pourrez, pour vous rendre le plus près de cette place qu'il vous sera possible. afin d'empêcher qu'on ne puisse entreprendre sur aucune autre au préjudice du service du Roi. Sa Majesté fora promptement avancer des troupes en votre frontière. Cependant avertissez toutes les villes de prendre garde à leur conservation et vous assurez que vous nous verrez bientôt[73]. Ayant Dieu pour soi et la justice, le Roi n'a rien à craindre à mon avis, mandait le cardinal un peu plus tard au marquis de Brézé. Il n'y a chose au monde qu'on n'ait voulu faire pour détourner la Reine mère de l'union qu'elle a avec Monsieur et l'Espagne. On lui a voulu rendre le gouvernement d'Anjou et les places qu'elle y avait. Mais elle a refusé toutes les conditions honorables et sûres qu'on lui a proposées[74].

Lorsqu'il sut que Marie de Médicis avait gagné les Pays-Bas, Richelieu se sentit fort soulagé. La sortie de la Reine mère et de Monsieur, a-t-il écrit dans son Testament politique, furent comme une purgation salutaire qui garantit le Royaume des maux dont il était menacé, et ceux qui croyaient les porter à faire beaucoup de mal au Roi, ne les portèrent qu'à ce qui les rendait incapables d'en faire[75].

Le Roi se montra plus irrité que le cardinal de la fuite de la Reine. Quelques jours plus tard, il se rendait du château de Monceaux à celui de Fresnes, lorsque les gardes qui escortaient son carrosse aperçurent un cavalier qui se dirigeait vers le cortège. Tandis que M. de La Barre, — car c'était lui, accouru d'Avesnes à franc étrier, — se rangeait le long de la route, un garde vint lui demander qui il était. Il répondit qu'il le dirait lui-même à Sa Majesté. Il sauta à bas de son cheval et remit au Roi la lettre que lui avait confiée la Reine mère. Puis le carrosse se mit en marche. La Barre remonta en selle et se joignit au cortège. Le Roi, en effet, voulait s'entretenir avec lui, dès que l'on serait en lien plus convenable.

La lettre fut ouverte. Toujours des plaintes et des protestations : L'on m'a arrêtée en criminelle dès le commencement, pour n'avoir pas voulu obéir aux volontés du cardinal. Depuis l'on m'a traitée comme la plus grande ennemie de la France. On m'a envoyé divers ambassadeurs, qui faisaient courre le bruit qu'ils venaient raccommoder les affaires. Mais, ô Dieu, de quel raccommodement ils me parlaient, puisqu'il y en a eu de si insolents, violant le respect qui m'est dû, comme a fait le maréchal de Schomberg, de me gouverner jusqu'à la ruelle de mon lit ![76] Et toujours ces mêmes allégations passionnées : le cardinal avait voulu la chasser hors du Royaume, afin de perdre l'État ; il avait d'abord espéré de la faire mourir entre quatre murailles. C'était pour échapper à ses mains qu'elle avait tenté de se réfugier à La Capelle, qui avait fermé ses portes.

Le carrosse arrivait maintenant au château de Fresnes. A peine descendu de voiture, Louis XIII manda M. de La Barre : Quel sujet, dit-il, la Reine a-t-elle eu de se retirer en Flandre ? Personne mieux que Votre Majesté, répondit le messager de Marie de Médicis, ne connaît le mauvais traitement que la Reine a reçu dans sa prison. — La prison de la Reine ma mère et le mauvais traitement étaient imaginaires, observa Louis XIII ; je sais que la Reine n'avait aucun sujet de s'en plaindre. Et comme M. de La Barre objectait les sentinelles postées à toutes les fenêtres du château de Compiègne et le corps de garde installé dans l'antichambre de Marie de Médicis : Tout cela, répondit Louis XIII, lui avait été ôté depuis et on lui laissait toute espèce de liberté. Le gentilhomme semblait résolu à excuser sa maîtresse coûte que coûte : On avait bien éloigné les troupes de quelques lieues, reprit-il, mais non tout à fait ôté. Aussi l'intention de la Reine n'a point été de se retirer hors de France, mais la méchanceté du cardinal lui a supposé le gouverneur[77] de La Capelle, pour lui offrir la place afin de la tromper, pour l'obliger de s'en aller aux Pays-Bas. Le Roi répondit brièvement : Je m'aperçois assez que l'on s'en prend au cardinal et qu'on ne s'ose plaindre de nia personne et plus je verrai que l'on l'attaquera, cela sera cause que je l'aimerai davantage et porterai son parti[78].

Le cardinal ne trahit donc pas la pensée de son maitre, lorsqu'il composa la réponse ; de Louis XIII à la lettre de la Reine : Je reconnais par beaucoup d'épreuve, l'affection et la sincérité de mon cousin le cardinal de Richelieu ; la religieuse obéissance qu'il me rend et le fidèle soin qu'il a de tout ce qui regarde ma personne et le bien de nies États parlent pour lui[79]. Ce panégyrique, imprimé à des centaines d'exemplaires, excita l'ironie du marquis de Mirabel : M. le Cardinal y donne tant de preuves de sa vertu, mandait l'ambassadeur d'Espagne au duc d'Olivarès, qu'on le fera canoniser avant sa mort.

Cependant les amis du maréchal de Marillac sentaient redoubler leurs craintes.

Mon cœur, je suis bien marri de vous devoir avertir qu'il y a changement en ma fortune[80]. Trois semaines avant la fuite de la Reine, le maréchal traçait péniblement ces lignes mélancoliques à la faible lueur qui tombait d'une triste fenêtre. Il venait d'être confiné dans un réduit de l'abbaye de Saint-Vanne, qui faisait partie de la citadelle de Verdun ; il n'y avait promenoir que de la table au lit ; il était privé de tous ses gens, il se consolait en écrivant à la maréchale, exilée elle-même en Normandie au château de Tournebut : Hier, gémissait-il, j'étais heureux prisonnier (si en la disgrâce d'un maitre tel que le Roi et d'un ami tel que M. le Cardinal, personne le peut être) ; aujourd'hui je suis tout le contraire. Mon bonheur consistait à me savoir sans coulpe envers tous les deux maintenant, mon malheur est d'en avoir commis une qui fait que je ne peux plus me vanter d'être envers les personnes à qui je dois tout, ce chevalier sans reproche que j'étais, puisque je ne puis plus disputer à mes ennemis que je n'aie failli et puisqu'en cela je ne perds pas moins qu'une vierge vouée en la perte de sa chasteté la veille de sa mort. Ici le maréchal disait, à l'intention de Richelieu, qui lirait sa lettre : Je vous confesse que cette faute m'a rouvert de honte, d'angoisses et d'amère douleur... Cette faute, mon cœur, expliquait-il, est d'avoir essayé de tromper mes gardes et cherché, par une autre voie que la grâce du Roi, ma liberté.

Regrettant de ne pas s'être évadé du château de Foglizzo en sautant sur cette charrette de foin, arrêtée sous sa fenêtre par quelque main amie, l'infortuné avait tenté de s'enfuir de Sainte-Menehould. Évasion manquée, peu faite pour lui concilier l'indulgence du cardinal. Richelieu voyait déjà le maréchal dehors grâce à la complicité de la Reine et de Monsieur, se joignant à eux, prenant le commandement, ralliant tous les rebelles, commençant la guerre civile.

Il tenait plus que jamais à le faire juger avec la dernière rigueur. Ce n'était pas chose aisée. Marillac, dirigé par de secrets avis, avait préparé sa défense. Déjà il avait récusé les deux maîtres des Requêtes de l'Hôtel, MM. de Laffemas et de Moricq : le premier, ce tortionnaire, cet homme de fer.

Qui fait dire en un jour plus qu'un autre en un mois

Et qui ferait parler une pièce de bois[81],

n'est pas encore reconnu en sa charge par la Cour ; le second va déjà connue sonnant de la trompette par toute une province, pour appeler et chercher des témoins qui déposent quelque chose de sinistre contre le suppliant. Marillac n'a pas manqué de faire appel aux juges des maréchaux qui sont MM. de la Grand'chambre. Le 4 février 1631, un arrêt de la Grand'chambre le reconnaissait bien fondé en son appellation. Mais le 6, un arrêt du Conseil du Roi cassait celui du Parlement. Le 11, le Parlement, toutes chambres réunies, décidait qu'il serait fait des remontrances au Roi et, le 22, il défendait auxdits Laffemas et Moricq de passer outre à leur instruction. Le Roi aussitôt défendait à tous les huissiers de signifier à qui de droit l'arrêt du Parlement. Une commission, choisie parmi MM. du Parlement de Dijon, plus docile que celui de Paris, était nommée le 13 mai par le Roi et se transportait à Verdun[82]. Interrogé le 8 juillet par M. de Moricq et M. de Bretagne, conseiller au Parlement de Bourgogne, car Laffemas a demandé d'être remplacé, le maréchal a pu prendre connaissance des sept chefs d'accusation qui pèsent sur lui : malversation en la fortification de Verdun... mauvais gouvernement des armées... abus et profits illicites sur le pain de munition... faussetés de quittances avec les comptables... divertissement de quatre cent mille livres fournies par le Roi au paiement des maisons prises et démolies à Verdun pour la citadelle... application à son profit des nouveaux offices des fortifications aux Trois Évêchés... vexation du peuple verdunois et voisins[83]. Avant de répondre à ce dangereux grimoire, qui couvre trente rames de papier, le maréchal récuse pour la seconde fois les commissaires qui ont instruit sa cause, il récuse ses juges, dont plusieurs sont de ses ennemis. Il n'en écrit pas moins son plaidoyer, âpre cri d'indignation et de douleur, dont mie lettre adressée à Richelieu, le 3 octobre 1631, par Hay du Châtelet, semble prouver la sincérité. Cet homme, quoique hostile au maréchal, et, comptant parmi les plus dévoués au cardinal, écartait l'idée de la peine de mort : trois faits capitaux, d'après lui, demeuraient sans preuve ; il n'en restait pas la moindre présomption. Quant à l'information faite par M. de Laffemas, elle ne paraissait pas avoir grande subsistance.

Le cardinal goûta fort peu ce nullam invenio in eo causam. Eh quoi ! ce n'était pas assez des incidents qui retardaient sans cesse l'affaire ; ce n'était point assez des requêtes et des récusations du prisonnier ; ce n'était point assez du nouvel arrêt du Parlement de Paris (4 sept. 1631) défendant à tous commissionnaires de passer outre à l'instruction de l'accusé et suivi le 16 de deux arrêts du Conseil qui lui ordonnaient le contraire : ce n'était point assez que la Commission permît à l'accusé de choisir des conseils, un procureur et un avocat et de recourir à deux de ses parents pour solliciter son procès. Voilà maintenant que l'un des juges venait dire qu'une partie de l'accusation tombait d'elle-même. Et, grâce à tous ces retards, toutes ces hésitations, la Reine et Monsieur glissaient leurs agents secrets dans les villes frontières, à Montreuil, à Boulogne ! Un complot se tramait à Verdun, pour délivrer le maréchal en livrant la citadelle. Marie de Médicis et Gaston écrivaient, l'une au Roi, l'autre à la Commission pour exiger l'acquittement de Marillac. Quel défenseur que ce prince qui levait des troupes en pays étranger au moyen de patentes dans ce goût : Gaston, fils de France, frère unique du Roi, duc d'Orléans, lieutenant général de Sa Majesté dans son Royaume et sous son autorité contre le cardinal de Richelieu et ses adhérents, etc. L'ambition prodigieuse et l'audace effroyable du cardinal de Richelieu étaient arrivées à tel excès, qu'il n'y a personne qui méconnaisse le dessein qu'il a d'envahir la France, qui ne voie clairement l'état où il est établi et celui auquel il a réduit la personne du Roi, notre très honoré seigneur et frère, etc. Après un tel factum, qu'attendait-on pour faire un exemple, pour parer d'un coup de maitrise à la menace de guerre civile, au danger que couraient le Roi et le Royaume ?

Le 11 novembre 1631, la commission qui siégeait à Verdun, prit connaissance d'un arrêt du Conseil par lequel le Roi évoquait à sa personne les récusations présentées par Marillac. Défense aux commissaires de s'assembler jusqu'à nous-et ordre.

L'arrêt du Conseil était daté de Château-Thierry. Louis XIII et Richelieu, que n'avaient pas laissés sans inquiétude les troupes réunies par Monsieur sur la frontière de Lorraine, avaient résolu de se rapprocher de l'armée de Champagne, que commandait le maréchal de La Force. Si le duc de Bouillon, alors en Hollande, avait refusé les offres des rebelles, qui le priaient de leur ouvrir sa principauté, c'est que La Force avait chargé, défait et poursuivi en Luxembourg un régiment au service de Monsieur. et qu'il avait aussitôt, sur l'ordre du Roi, occupé Sedan. Mesure énergique, à la suite de laquelle la duchesse douairière de Bouillon s'était empressée de renouveler, après avoir obtenu l'autorisation écrite de son fils, le serinent de fidélité que son époux avait jadis prêté à Henri IV. Le 16 décembre, la Cour était à Sainte-Menehould ; le 17, elle s'arrêtait quelques heures à Verdun.

Louis XIII et Richelieu visitèrent la citadelle et jetèrent un regard furtif sur la fenêtre de leur victime, qui ne put les voir. Cependant, averti de leur présence, Marillac essaya de saisir l'occasion et pria Rouyer, son avocat, de solliciter de Richelieu quelques instants d'entretien. Rouyer fut reçu à Metz par le cardinal, dans la matinée du décembre. Mais, aux premières paroles du défenseur invoquant la pitié, ces paroles tombèrent des lèvres du ministre : Je ne m'attache pas à mes intérêts et ceux du Roi seuls me sont en considération. Ce sera à M. de Marillac de les vider. On mettra bientôt fin à son procès. Cela ne me regarde pas. En vain, l'avocat protestait que Marillac n'avait jamais desservi le Roi ni le cardinal, il s'attira une réponse aussi inquiétante que la première : Mes intérêts ne me seront rien hors ceux du Roi, je suis toujours pour lui. Et à l'avocat qui insiste, cette fin de non-recevoir, tombant connue un couperet : Je ne peux que vous dire cela : on verra s'il est coupable ou non. L'avocat, découragé, demanda si le cardinal lui permettrait de l'entretenir une autre fois encore. Richelieu répondit : Vous le pouvez faire quand vous voudrez, c'est ce que je vous en peux dire[84].

En ce début du printemps de l'année 1631, les routes des entours de Verdun n'étaient pas sûres. On dévalisait les voyageurs et surtout les courriers. Richelieu savait à quoi s'en tenir et il donnait les ordres nécessaires pour que, si les courriers étaient soumis à tels accidents, on ne s'aperçût pas que leurs lettres étaient perdues[85]. Voilà de ces bons tours du cardinal qu'admirait tant Louis XIII.

Par ce moyen ou d'autres, on s'était saisi de plusieurs pièces importantes, que l'on avait montrées au Roi. Sa Majesté avait appris ainsi que des coups de main étaient projetés sur Toul, sur Langres, l'Empereur ayant été sollicité. Une note trouvée au mois d'avril sur le chevalier de Valençay, que la Reine mère envoyait en Espagne, ouvrait d'autres perspectives non moins inquiétantes : Marie de Médicis implorait la protection du Roi Catholique, son gendre ; elle lui promettait son appui contre l'ennemi commun, l'odieux cardinal, et parlait des places fortes dont les gouverneurs lui étaient acquis.

Les allures changent de face, déclarait le cardinal dans le conseil tenu en présence du Roi dès la fin de mars. Il ne faut plus douter ni hésiter, mais prévenir ce qu'il n'est plus besoin de prévoir. L'Espagne, l'Empereur et Lorraine sont joints contre la France ; les desseins sont formés, prêts à éclore, si leurs projets peuvent réussir... Les lettres prises de Bruxelles et de Nancy montrent divers adhérents en France que l'on ne connaît pas. Si on laisse mûrir tous ces desseins-là en sorte qu'ils puissent éclore tous à la fois, on n'y saurait résister et on s'en trouvera accablé. Si on les prévient et qu'on mette ordre de bonne heure à tout ce qui peut remuer au dedans et se mette-t-on en état que le dehors ne puisse nuire, on viendra à bout de tout et on conservera la sûreté quoique avec quelque travail. Pour ce faire, il faut penser à tout ce qu'on a à faire et l'exécuter sans perdre temps[86].

Après cet exposé du mal, les remèdes : Il faut ; dépêcher le procès de Marillac et donner ordre à ceux des autres poursuivis en Bourgogne, étant certain que les longueurs et négligences de telles affaires témoignent faiblesse et dorment de grandes espérances[87].

Un arrêt du Conseil a déclaré nulles et non avenues toutes les récusations de Marillac. La commission a été convoquée à Metz, ensuite à Pontoise, dans un château qui appartient à Son Éminence : elle siège maintenant à Rueil, dans la maison de Mandosse, où réside le cardinal.

Mars 1631 : les juges étant à Mandosse, le maréchal est gardé à quelques pas, dans le château fortifié du Val de Rueil. Vingt-quatre juges sont présents ; plusieurs des juges précédemment nommés ont été remplacés. Le marquis de Châteauneuf, le propre successeur du chancelier de Marillac, a assumé la présidence. Tout ce monde travaille, au rez-de-chaussée de la maison, dans une grande salle à deux cheminées. Quatre fenêtres, disposées les unes en face des autres, ouvrent sur les jardins. Un ample rideau de tapisserie divise la salle en deux pièces, dont l'une est celle où délibèrent les juges. Les séances commencent à huit heures au matin et finissent à onze. La commission a pu lire les écrits roui-posés pour la défense du maréchal : Factum, Pour ajouter au Factum, Inventaires de production, etc., etc. Paperasses de procédure[88].

Marillac s'excuse d'avoir tiré des profits illicites de la subsistance de l'armée de Champagne, en disant qu'il s'est couvert ainsi des avances qu'il avait faites au Roi : mais il oublie les ordonnances qui condamnent pareille incorrection. Il se plaint d'avoir eu à sa disposition des sommes insuffisantes pour paver les travaux de la citadelle de Verdun ; mais il assure que les travaux ont coûté huit cent mille livres et on lui prouve qu'il en a reçu huit cent quatre-vingt-neuf mille.

Le maréchal avoue que les sommes, versées par les villes et villages qui voulaient être déchargés du logement des gens de guerre, sont supérieures à celles qui se trouvent indiquées sur les quittances et il déclare, qu'absent de Verdun, il n'a pu donner attention à ces marchés, mais où lui prouve que, plus d'une fois, il eu a connu tout le détail.

Il allègue que le Roi lui a permis de disposer des matériaux provenant de plusieurs bâtisses, démolies pour faire place à la citadelle de Verdun ; mais on lui prouve que, lors de la démolition de l'église des Capucins, les bois vendus par lui à l'entrepreneur trois mille livres, ont été payés douze mille par le Roi. On lit certain passage d'une lettre que le maréchal avait adressée à sa femme en 1628, du temps où il assiégeait La Rochelle : Nous sommes bien obligés à la Providence de Dieu, puisque, sans savoir d'où nous vient le bien, nous dépensons tous les ans cent mille livres (environ deux millions d'aujourd'hui) ; il est vrai que j'en dépense la plus grande partie[89]. Et le maréchal qui prétendait s'être ruiné au service de l'État ! Il n'était point surprenant que le goût du luxe eût conduit un maréchal de France si pauvre à des saletés indignes d'un homme d'honneur.

 

Le dimanche 9 mai 1632, la famille du maréchal vient au-château de Saint-Germain pour tenter de sauver le malheureux, condamné à mort le jour précédent. Tous les expédients dilatoires avaient échoué. Le marquis de Châteauneuf, étant sous-diacre, avait dû demander au Pape un bref pour avoir le droit d'instruire un procès criminel. Marillac en avait appelé au Grand Conseil comme d'abus : appel rejeté. En vain il avait soutenu que la confiscation de corps, châtiment du péculat selon une ordonnance de François Ier, signifiait non la peine capitale, mais celle de l'emprisonnement : en vain il avait récusé Hay du Châtelet à raison d'un poème infâme qu'il avait publié contre lui ; en vain sa récusation avait fini par être acceptée ; en vain M. de Montgey, l'un des juges, avait démontré la légèreté de M. de Bretagne, l'un des rapporteurs. Le 8 mai, les vingt-quatre magistrats avaient opiné de cinq heures et demie-du matin à cinq heures du soir et treize voix contre dix avaient déclaré que le maréchal méritait la mort.

Quel espoir pouvait rester aux parents groupés pour un dernier effort ? Ne se souvenaient-ils pas que, le 22 avril, étant allés à Saint-Germain supplier le cardinal, Richelieu, qui sortait pour suivre Louis XIII à Versailles, leur avait répondu précipitamment : M. de Marillac est entre les mains des juges. Ce sera bientôt fait, et, là-dessus, était monté en carrosse. Hier encore, à peine avertis de la condamnation, ils s'étaient présentés au cardinal, qui se promenait dans les jardins ; ils n'en avaient tiré que de vaines condoléances : Vous m'apprenez, Messieurs, ce que je ne savais pas, avait dit Richelieu. Je suis bien fâché que le maréchal de Marillac se soit mis en cet état et par sa faute. Voyez le Roi. Il est bon. Et, comme M. de Vendy avait insisté auprès du cardinal, il s'était attiré cette réplique : Je vous ai dit que vous vissiez le Roi. Ils avaient vu le Roi le soir même, avant son souper. Le cardinal arrive ; il s'arrête, écoute leurs prières et leur demande ce qu'a dit le Roi. La petite troupe rapporte la décourageante réponse de Louis XIII : J'aviserai à ce que j'aurai à faire. Cependant retirez-vous. — Eh bien ! reprend le cardinal, vous devez obéir au Roi. — Mais, Monseigneur, hasarde M. de Jucauville, ne nous ferez-vous doute pas la faveur d'intercéder pour lui ?Je vous ai conseillé de vous retirer, puisque le Roi vous l'a dit : mais maintenant je vous à commande de la part du Roi[90].

Quelques heures après cet impérieux congé. le cardinal se mettait à table. Oit lui annonce le garde des Sceaux et tous les autres juges. La commission vient d'arriver en plusieurs carrosses, à la suite de M. de Châteauneuf : elle attend dans la chambre de Son Éminence.

Les vingt-quatre magistrats voient bientôt paraître le cardinal : ils s'approchent de la robe rouge : Messieurs, dit à cardinal, le Roi vous est obligé de la justice que vous lui avez rendue. Vous avez tous jugé selon vos consciences. Pour moi je vous en remercie et vous servirai à l'occasion. Allons voir le Roi[91].

Les juges suivent le cardinal et M. de Châteauneuf jusqu'à la porte du cabinet du Roi, qui s'ouvre puis se referme sur Son Éminence et le garde des Sceaux. Un huissier ne tarde pas les faire entrer à leur tour. En les voyant, le Roi, qui se promenait entre Richelieu et Châteauneuf, va prendre le long de la muraille une petite chaise. Châteauneuf se précipite pour lui épargner cette peine et, par mégarde, il accroche avec l'agrafe de sa manche un immense panache de verre en forme de feuillage posé dans un vase en cristal, sur le tapis vert d'une table, le renverse et le met en mille morceaux. Accident qui consterne les plus superstitieux parmi tous ces gens de robe, mais qui fait rire Louis XIII : Ce n'est rien, M. le Garde des Sceaux, dit-il, ce n'est qu'un verre cassé. Le Roi est de belle humeur, il se sent fort bien disposé pour les magistrats qui l'ont si bien compris : Vous m'avez rendu bonne justice, explique-t-il, je vous protègerai envers et contre tous. Retournez en vos maisons et continuez à faire rendre la justice à nos sujets.

Il ne restait plus qu'à exécuter la sentence.

 

Le lundi 10 mai vers six heures du matin, Marillac était mis dans le carrosse du chevalier du guet (chef des sergents à cheval et à pied chargés de surveiller Paris). Précédé et suivi de chevau-légers et de gardes du corps, il s'achemina vers la ville. M. des Réaux, mestre de camp et maitre d'hôtel du Roi, M. de Gargan son exempt, chevauchaient derrière le carrosse du condamné, qui, ne connaissant pas encore sa condamnation, se flattait qu'on le menait à la Bastille. Lorsque, le dimanche soir 9 mai, M. des Réaux lui avait annoncé qu'il quitterait Rueil le lendemain : Vous m'aviez assuré, avait observé Marillac, que mon procès ne se jugerait que demain ; mais, puisqu'il faut partir, que deviendront mes juges ? où s'assembleront-ils ? Est-ce à Vincennes ou à la Bastille que vous devez me conduire ?[92] Des Réaux avait répondu qu'il croyait que c'était à l'une de ces deux forteresses ; mais en montant dans le carrosse du chevalier du guet : Voilà qui va mal pour moi, s'était écrié Marillac. Jusqu'alors en effet, il avait toujours voyagé dans un carrosse du Roi.

La sinistre voiture n'était plus éloignée du terme de son voyage. On avait passé le village du Roule. Trois gardes, assis aux côtés de Marillac, le regardaient s'absorber dans ses prières ; il récitait les versets du psaume 50, Miserere mei Deus... Cor mundum crea in me, Deus. Bien que les mantelets de cuir fussent abattus et agrafés, comme les portières avaient été entr'ouvertes pour donner de l'air, Marillac pouvait remarquer l'approche de Paris. Il sentait que le carrosse allait plus rudement qu'à la campagne.

Une relation contemporaine nous permet de nous joindre au cortège, qui s'est engagé sous la voûte de la porte Saint-Honoré. Entendant le roulement sourd des roues : Voici beaucoup de pavé, dit Marillac, pour le chemin de la Bastille : si l'on m'y menait, on aurait pris le long des murs, hors la ville (pour gagner la ligne de nos modernes boulevards). Maintenant le carrosse est cahoté sous les fenêtres du logis de M. le Cardinal : Voilà, soupire le condamné en se tournant, une maison où l'on m'a bien promis des choses que l'on ne tient pas aujourd'hui[93]. La Croix-du-Trahoir est passée... Le carrosse roule dans la rue de la Ferronnerie. Marillac, la mort dans l'âme observe que l'on tourne les têtes des chevaux à droite : Si nous allions à la Bastille, remarque-t-il, on tournerait à gauche, mais je vois bien que nous allons à la Conciergerie. Il n'en doute plus, le malheureux, lorsque au bout de la rue des Lombards, on tourne dans la rue des Arcis (notre rue Saint-Martin prolongée) : Je vois bien, s'écrie-t-il, que nous quittons le chemin de la Bastille, pour prendre celui de Paradis, puisque nous allons à l'hôtel de ville et à la Grève[94].

Malgré le piétinement des chevaux et le rude fracas des roues, à mesure qu'on approche de l'immense place, on perçoit le halètement confus de l'océan humain qui la remplit tout entière. Il est dix heures ; il y a quatre heures que le maréchal est en route et voici que, par la rue de la Vannerie (transformée aujourd'hui en avenue Victoria), il débouche sur la place de Grève. L'espérance n'a pas encore complètement abandonné Marillac : tout de suite il demande à un garde : Je vous prie de voir  s'il y a un échafaud dressé. — Non, Monsieur, répond le garde, il n'y en a point.

Au-dessus de, la marée mouvante des têtes, mille visages se penchaient aulx fenêtres des maisons qui regardaient l'hôtel de ville. Quelques-uns lies spectateurs avaient payé leur place jusqu'à huit pistoles. Les troupes s'étaient .rangées : le carrosse arrivait devant la grande porte de l'édifice. On valet de pied Ouvre la portière... Le maréchal se courbe pour descendre, puis, le manteau de deuil retroussé sur le coude, — il est veuf depuis Le 14 septembre — il se redresse. Il parle à M. des Réaux, qui vient de mettre pied à terre... Que lui dit-il ? On sut plus tard qu'il lui avait fait ce bref reproche : Est-ce donc ici le lieu où vous m'aviez dit qu'on me menait ?[95] Quelle résolution dans sa démarche ! Le maréchal semble vraiment passer la revue des gardes, immobiles devant lui. Il s'arrête ; il contemple un instant les compagnies des gardes française et suisse, massées depuis le début de la matinée sur la place. Puis il monte les degrés du perron. Le chapeau dans la main droite, ses heures dans là main gauche, il salue et regarde courtoisement tous ceux qui l'entourent et disparaît derrière la porte de l'hôtel de ville.

Cependant l'échafaud s'élevait. C'était une plate-forme haute de six pieds, où l'on accédait au moyen d'une échelle dont le premier échelon touchait au dernier degré du perron que venait de quitter le maréchal.

Le condamné était resté dans l'hôtel de ville jusque vers quatre heures. Après avoir entendit son arrêt dans une petite chambre, à genoux contre une table sur laquelle était posée une croix de cristal, devant une tapisserie sur laquelle était suspendu un tableau représentant le crucifiement ; après avoir protesté que, dans toute cette affaire, il n'y avait pas de quoi fouetter un laquais ; après s'être entretenu fort dévotement avec deux Feuillants envoyés par sa famille et deux docteurs de Sorbonne mandés par le chevalier du guet ; après s'être confessé à l'un des religieux, le Père Eustache de Saint-Paul ; après s'être attendri au souvenir de la maréchale et avoir dit, le visage mouillé de larmes : Je sens de très grandes douceurs et une consolation indicible dans l'espérance que j'ai de la voir aujourd'hui[96] ; après avoir répondu, avec une douceur toute chrétienne à Anguin, prévôt des marchands, qui se montrait peu pitoyable : Le monde m'immole au monde et moi je m'immole à Dieu, il reparut sur le degré de l'hôtel de ville. Mais dans quel état ! tête nue, les cheveux coupés, la chemisette échancrée par le couteau de l'exécuteur, les mains liées. Tout à l'heure, il proposait aux Feuillants un scrupule : il avait composé son port et sa contenance en sortant du carrosse, pour ne pas paraître intimidé, et il ajoutait qu'il avait eu dans la pensée d'en faire de même en marchant au supplice. Il a vaincu cette tentation de vaine gloire ; à présent il marche les yeux baissés. Il s'arrête pour entendre une seconde fois la lecture de son arrêt de mort, dont le bourreau crie chaque phrase au peuple, à mesure qu'elle est prononcée par le greffier. Entendant énumérer les chefs d'accusation, Marillac rompt le silence : Voilà bien des cas, dit-il. Mais les prêtres qui l'accompagnent lui conseillent de ne pas reparler de son innocence, pour éviter le ressentiment : il se tait. La lecture est achevée. Marillac gravit l'échelle, suivi du Père Eustache de Saint-Paul, du sieur du Puy, docteur de Sorbonne, derrière lesquels montent l'exécuteur et ses aides. Sur la plate-forme, le voici qui se confesse au religieux une troisième fois.

Il s'agenouille à l'endroit que lui indique le bourreau. Tout en lui bandant les yeux, l'homme demande s'il lui pardonne sa mort : Mon ami, répond Marillac, ce n'est pas vous qui me faites mourir, mais je vous pardonne le coup, et ma mort à mes ennemis[97].

Les spectateurs chantent à la suite des prêtres le Salve Regina. Et tandis que le silence se rétablit sur la place de Grève, leurs yeux ne quittent pas le bourreau, qui enfonce le crucifix fort avant dans les mains de Marillac. Le voici qui saisit la tête du patient, la redresse, relève le menton, passe trois ou quatre fois la paume sur le col, pour en ôter les derniers cheveux, et frappe : On entendit en même temps, raconte un témoin, le coup de l'épée, le bruit que la tête et le tronc firent en tombant sur l'échafaud, d'où la tête, faisant un bond, chut à terre et y fut rejetée par les soldats[98].

 

Le matin de ce même jour, trompettes sonnantes, escorté de deux cents gentilshommes à cheval, Richelieu, assis dans son carrosse, était revenu à Paris. Il franchit la porte Saint-Honoré, qui élevait encore du côté de la campagne. — elle fut remplacée et reculée en 1634, — son toit aigu et ses tours gothiques, puis il tourne à gauche et, à quelques pas du rempart de Charles V, il rentre en son logis. A peine descendu de carrosse, il donne l'ordre de fermer la porte Saint-Honoré sous prétexte de travaux urgents de voirie. Il ne veut point que le corps du maréchal, qu'on va porter pour être enseveli dans le tombeau de l'église des Feuillants (au coin de notre rue de Castiglione), passe sous ses fenêtres.

Quels étaient les sentiments de Richelieu, confortablement installé dans son cabinet, tandis qu'une demi-lieue plus loin le bourreau et ses aides étaient aux prises avec Marillac sur la place de Grève ? On peut le deviner en lisant ce que le cardinal a fait écrire dans ses Mémoires. Nulle pitié dans les pages consacrées à sa victime, nul regret de son inhumaine sévérité : Depuis qu'il fut maréchal de France, songeait Richelieu, comme il crût en vanité et en audace, aussi fit-il en ses voleries.... Un méchant, qui n'a point de principe de vertu, mais se gouverne par sa seule vanité, ne peut être gagné par quelques bienfaits qu'il reçoive de son supérieur, non plus qu'un corps mort qui n'a plus de principe de vie, ne peut être échauffé par aucun vêtement. Il n'y a point de grâces capables de rectifier un homme qui n'a point en son âme de sentence de rectitude : non seulement les biens qu'on lui fait sont perdus, mais ils se tournent en poisons et en poignards, pour faire perdre la vie à son bienfaiteur. Le cardinal se souvenait des précédents fameux : et Marigny décapité sous Philippe le Bel, et Jean de Montaigu sous Charles VI, et le maréchal du Biez condamné à mort sous Henri II. Il est vrai que le maréchal du Biez avait été gracié. La multitude des coupables, pensait Richelieu, fait qu'il n'est pas convenable de les punir tous. Il y en a qui sont bous pour l'exemple et pour retenir à l'avenir, par crainte, les autres dans le respect des lois[99].

Marillac était bon pour l'exemple, puisqu'il faisait obstacle aux desseins de Richelieu. S'il n'eût pas été lié avec la Reine, s'il n'eût pas été du parti des dévots, si la Reine et Monsieur n'eussent pas menacé les juges, si l'Espagne, l'Empereur et le duc de Lorraine ne s'étaient pas joints contre la France, les concussions du maréchal eussent paru peu de chose.

Ainsi Richelieu ne doutait pas d'avoir sauvé le Royaume, que menaçaient toujours l'Espagne, l'Empire, M. de Lorraine, Mou-sieur et maints gouverneurs de villes frontières, prêts à ouvrir aux ennemis les portes de leurs forteresses.

 

Vous savez comme j'affectionne les intérêts de M. de Lorraine et le déplaisir que j'aurais de le voir perdre. La cervelle des femmes n'étant pas trop bonne, je ne m'ingère pas de lui donner des conseils, mais je vous avoue que je crains bien qu'en voulant se procurer quelque contentement imaginaire, il ne se perde en effet.

Quelle est la femme qui fait cette lettre le 17 juin 1632, trois semaines après l'exécution de Marillac ?... C'est le cardinal en personne, qui prête son style à Mme de Chevreuse rentrée en grâce. Il dicte la lettre à l'un de ses secrétaires et la fera signer par Mme de Chevreuse. La duchesse va l'envoyer à M. de Ville, premier gentilhomme de la chambre de son ancien amant, le duc de Lorraine, comme si ce fût elle qui l'eût composée. Le ton en est-il assez féminin ? Que pourrait mander une dame de la cour en semblable rencontre ? Le cardinal croit avoir trouvé. Il continue à dicter : J'ai fait des dévotions particulières à Notre-Dame-de-Lorette[100]. Mais non, c'est trop, et d'un long trait de plume, sur l'ordre de Son Éminence, le secrétaire biffe la phrase de dévotion.

Richelieu écrit de Laon. Il n'a pas tardé à rejoindre Louis XIII, parti de Saint-Germain pour Calais le matin même de l'exécution de Marillac, afin d'en Mer Jacques d'Estampes, marquis de Valençay, commandant les gardes de la Reine mère, qui en est gouverneur et qui songe à livrer la ville à Marie de Médicis. Le Roi s'est contenté de renvoyer M. de Valençay dans l'une de ses terres, le président Le Coigneux, son dénonciateur  (brouillé avec Gaston) n'ayant révélé le complot au cardinal qu'à cette condition. Sur le conseil de son ministre, il a remplacé Valençay par le marquis de Saint-Chaumont : Je rognerai les ongles si courts à ceux dont on a lieu de se garder, lui avait dit Richelieu deux mois plus tôt, que leur mauvaise volonté serait inutile, et 'établirai tant de gens nouveaux, ce qu'on peut faire avec raison, que l'intérêt qu'ils auraient au temps présent serait une bonne caution de leur fidélité[101].

De Laon, le Roi et le cardinal, l'œil à toutes choses, veillent à la fois sur la frontière du nord et sur celle de l'est. Charles IV, beau-frère secret de Gaston, est prince du Saint-Empire. Il répète sans cesse à l'Empereur que les causes de l'Empire et de la Lorraine sont pareilles. Les évêques de Toul, Metz et Verdun, villes impériales, occupées, sans être régulièrement cédées, depuis Henri II, ont pour suzerain légitime l'Empereur, qui a le devoir de les soutenir. Le duc de Lorraine entend illettré la main sur le duché de Bar, qu'il tient de sa femme Nicole de Lorraine et qui relève de la couronne de France ; le duché de Bar deviendrait ainsi, par un détour, fief impérial. Que l'Empereur le soutienne seulement contre le Roi, Charles IV vient de signer, au début de l'année, à Vic, un traité qui remet Marsal et d'autres villes au Roi. Richelieu essaye de lui prouver, par l'intermédiaire de Mme de Chevreuse, qu'il n'y a ni profit ni honneur à passer des traités pour ne les tenir pas. L'armée que le maréchal de La Force commandait aux frontières d'Allemagne et qu'il a ramenée, sur l'ordre du Roi, vers les trois Évêchés, appuie les arguments diplomatiques avec une éloquence irrésistible. Le 21 juin, Richelieu, avec autant de force que de courtoisie, mande à M. de Lorraine : Je suis extrêmement fâché que le Roi ait été contraint de s'avancer dans vos États, pour tirer raison de ce dont il vous l'a demandée plusieurs fois. Si vous la lui faites, comme M. de. Ville en assure en termes généraux. J'en serai infiniment aise, puisque cela me donnera lieu de vous témoigner que je suis[102], etc. Cependant il avance vers le duché aux côtés du Roi. Cette marche plonge dans la stupeur et dans l'angoisse le duc de Lorraine. Le petit prince. ne conçoit pas que le cardinal et son maitre s'inquiètent si peu de la marche du duc d'Orléans, entré dans le Royaume par Andelot en Bassigny, avec deux ou trois initie cavaliers allemands. Le Roi, et le cardinal n'ont d'yeux que pour Nancy, à la veille d'are investie par La Force. Déjà le maréchal, qui a traversé la Meuse à la tête de ses troupes, ayant l'infanterie l'eau jusqu'aux fesses[103], a logé son armée à une petite lieue de la capitale lorraine. Le duc, aux abois, s'empresse de capituler et signe le traité de Liverdun (26 juin 1632), qui confirme celui de Vic. Louis XIII rend toutes les villes qu'il a conquises, mais il reçoit en dépôt pour quatre ans Jametz et Stenay et pour toujours le comté de Clermont en Argonne, moyennant une récompense de cinquante mille livres. Cette acquisition lui permettra de ne plus passer à travers les États de M. de Lorraine, quand il voudra se rendre à Verdun.

Pour faire cette rafle, il ne lui a fallu que six jours. Le cardinal se glorifie de cette belle manœuvre. Le traité signé, il déclare fort cavalièrement aux commissaires du duc de Lorraine, qu'il les prie de dire à leur maitre que si, en donnant ces places au Roi, il lui donne son cœur, il fait bon marché, parce que l'un retirera les autres assurément : mais que, s'il ne le fait pas, il fait la plus grande folie qu'il saurait faire, parce que probablement, faute de l'un, il perdra les autres, en tant que, si le cœur ne marche pas, apparemment il fera des contraventions au traité, qui déchargeront le Roi de restituer le dépôt[104].

Le duc vient eu personne, le 8 juillet 1632, rendre ses devoirs au Roi. Louis XIII, rentrant à Paris, se trouvait à Seicheprey, à quelques lieues de Pont-à-Mousson. Le duc pria Sa Majesté de lui pardonner. Le Roi répondit qu'il ne devait plus parler du passé ni s'en souvenir que pour l'amender par sa bonne conduite[105]. Il commanda au maréchal d'Effiat de chasser de l'électorat de Trèves les Espagnols qui avaient attaqué l'Électeur, son allié : à La Force et à Schomberg de se lancer à la poursuite de Monsieur, qui, après avoir traversé l'Auvergne terrorisée, marchait sur le Languedoc.

Le Roi et le cardinal regagnèrent Monceaux, beaucoup plus préoccupés qu'ils ne l'avaient paru jusqu'alors de l'équipée de Gaston : Mon cousin, mandait Louis XIII le 19 juillet au maréchal de La Force, j'ai écrit à mon cousin le duc de Montmorency d'amasser la noblesse et s'opposer au passage de mon frère, afin que vous ayez plus moyen de joindre ses troupes. Je vous confirme de ne rien oublier de tout ce que vous pourrez pour les détruire en tout ou en partie, vous assurant que vous ne me sauriez rendre un plus notable service ni faire chose qui me soit plus agréable et dont j'aie plus de ressentiment[106].

 

Henri, duc de Montmorency, pair et maréchal de France, fils et petit-fils de deux connétables et beau-frère du prince de Condé, tenait en Languedoc une cour presque royale : Cette cour était si belle, nous dit son historien, Simon du Cros, et si agréable, que, si elle différait en quelque chose de celle des souverains, c'était seulement eu ce qu'il y avait moins d'embarras et par conséquent plus de plaisir[107]. Qu'il fût dans sa forteresse de Pézenas, le château des sept tours, dominant de riantes et vertes campagnes, — parterre de la France, disaient les étrangers, — où l'Hérault serpente avant d'aller se perdre dans les flots bleus de la Méditerranée ; qu'il se reposât des fatigues du gouvernement, avec sa jeune épouse, dans sa délicieuse maison de la Grange-des-Prés, dont on distinguait, du haut des remparts, les jardins tapis au pied des coteaux[108] ; qu'il passât l'hiver à Montpellier, où tout le monde, pour l'amour de lui, augmentait les plaisirs, où les bals, les ballets et les assemblées se multipliaient en son honneur, où ses grandes et belles actions étaient l'entretien de toutes les compagnies, comme plus tard son neveu le Grand Condé, sa gloire le suivait partout.

Louis XIII avait écrit deux ans plus tilt, après le combat de Veillane, à ce vainqueur de trente-cinq ans : Je me sens obligé envers vous autant qu'un roi peut être. En Languedoc, la bravoure, la bouté, l'affabilité de Montmorency gagnaient tons les cœurs. Les grâces de la duchesse, la belle Felice Orsini (Félicité des Ursins), n'avaient pas peu contribué à le faire adorer de ses peuples. Lui-même, malgré de retentissantes conquêtes amoureuses, y demeurait infiniment sensible. Charmé par la douceur de son épouse, il avait gravé ce quatrain sur la porte de la Grange-des-Prés :

Elle est si bonne, mon Ursine,

Son caractère est si bénin,

Que ses roses sont sans épines

Et son serpent est sans venin.

Tendre allusion aux armoiries des Orsini : un serpent parmi les roses.

Un soir de l'été 1632, assez peu de temps avant le voyage du Roi et du cardinal en Lorraine, Montmorency causait avec la duchesse, qui, souffrante à son ordinaire, s'était alitée. Une demoiselle d'honneur couchait à quelques pas, dans la chambre. Le duc et la duchesse discutaient depuis longtemps et les échos de leur démêlé parvenaient aux oreilles de la jeune fille : Hé bien ! Madame, vous le voulez, dit enfin le duc, je le ferai pour contenter votre ambition, mais souvenez-vous qu'il ne m'en contera que la vie. Et comme la duchesse, petite-fille d'une Médicis et proche parente de la Reine mère, allait répondre, le duc reprit : N'en parlons plus. Madame, la chose est résolue ; ce ne sera pas moi qui m'en repentirai le dernier. Puis les voix se turent, la demoiselle d'honneur n'entendit plus que les soupirs de sa maîtresse, tremblante de sa propre victoire[109].

Si cette conversation avait été transmise à Richelieu, elle ne lui eût pas appris grand'chose. Il connaissait les hésitations suspectes de Montmorency : il n'ignorait pas que le gouverneur du Languedoc songeait à se joindre à Monsieur et non à lui barrer le chemin. Particelli d'Hémerv, conseiller d'État et contrôleur général des finances, que le cardinal avait envoyé en Languedoc, mandait depuis plusieurs mois des nouvelles peu rassurantes ; en novembre 1631. il y avait dans la ville d'Avignon un certain Pélegrin. qui servait d'agent de liaison entre Monsieur et le duc : en février 1632, le duc avouait que l'évêque de Montpellier le poussait à la révolte : en juillet il arrêtait un courrier qu'Hémery envoyait au cardinal. Avant pris connais-sauce des dépêches dont le courrier était porteur et parmi lesquelles plusieurs étaient écrites par l'archevêque de Narbonne. il eut la hardiesse de les faire parvenir à Son Éminence avec ce commentaire hautain : Je ne veux pas entrer en justification de ce que ce bon M. de Narbonne et M. d'Hémery m'imposent, parce que la vérité de nia conduite et l'état auquel est la province par mon soin comme par mon devoir, me mettent assez à couvert de leur malice et de leur calomnie : j'offre pourtant de vous faire voir, clair comme le jour, que les beaux avis qu'ils vous donnent sont autant d'impostures. Je vous envoie toutes leurs lettres, afin que, les supprimant, vous ne croyiez pas que je craigne leurs faussetés et pense que vous m'en ferez plutôt justice que vous n'accuserez ma curiosité[110].

A ce moment même, on pouvait voir le gouverneur parcourant le Vivarais, cherchant à gagner les commandants des places échelonnées sur le Rhône. Dès le 20 juin, Richelieu avait commandé au marquis des Fossés, gouverneur de Montpellier, d'arrêter Montmorency et de le remettre entre les mains de M. d'Hémerv. Justement, Montmorency était venu à Montpellier avec une faible escorte. Les deux compères croyaient pouvoir s'emparer de sa personne : les Jésuites s'apprêtaient à faire représenter par leurs, élèves une tragédie dont le sujet était le combat victorieux de Veillane Montmorency ne pouvait manquer d'assister à une pièce composée en son honneur. Le marquis des Fossés avait eu soin de mettre sous les armes la garnison de la citadelle, située contre le collège, qu'elle écrasait de sa lourde masse. Des soldats étaient dissimulés dans le voisinage des portes. Mais le duc avait des cœurs à lui en tous les endroits les plus cachés. On l'avait averti du danger et, la nouvelle s'étant répandue par la ville, une multitude de personnes de condition s'étaient dirigées vers son logis, s'offrant pour le défendre. Montmorency avait paru aux Jésuites en triomphateur, — dans la salle comme sur la scène. Il en était sorti sans accident ; et, plein du même mépris, aussi bien pour la vengeance que. pour le danger, il était demeuré deux jours encore à Montpellier. De retour à Pézenas, lorsqu'il avait instruit la duchesse et quelques familiers de ce qui venait de se passer, il avait entendu l'un de ses domestiques lui dire : Il faut se résoudre, Monsieur, à suivre l'exemple du feu connétable votre père, qui ne se conserva dans son gouvernement de Languedoc qu'en se rendant redoutable[111].

Richelieu avait jusqu'alors ménagé Montmorency. Il se souvenait qu'à Lyon le gouverneur du Languedoc lui avait offert, en 1630, un asile dans son gouvernement, lorsque la mort du Roi et la disgrâce du cardinal certaine. Pour le duc de Montmorency, la porte du cardinal était toujours ouverte, sa table toujours servie. La Cour enviait ce grand seigneur qui soupait plus d'une fois la semaine en tête-à-tête avec le ministre tout puissant. On ne savait pas qu'un grave malentendu régnait entre les deux convives.

Richelieu croyait accorder une faveur insigne à celui dont il avait été quelques heures l'obligé[112]. Il ne le cache pas dans son Testament politique : Les divers commandements, explique-t-il Louis XIII, que le duc de Montmorency a eus en vos armées, bien qu'il fût jeune encore pour les mériter, la charge de maréchal de France, le libre accès que Votre Majesté lui donnait auprès de sa personne et la familiarité qu'il avait avec vos créatures, étaient des grâces et des privilèges assez grands pour l'empêcher de courir imprudemment à sa ruine. Montmorency, au contraire, estimait que tous ces honneurs lui étaient dus ; il les tenait d'ailleurs pour peu de chose. Ce qu'il voulait, ce n'était point l'apparence, mais la réalité du crédit, une part effective du pouvoir. Afin de complaire au cardinal, le duc s'était démis de la charge d'amiral et Richelieu, après l'avoir transformée en celle de général de la mer, s'en était revêtu. Qu'avait obtenu Montmorency en échange ? Rien, malgré les promesses de Richelieu : ni le gouvernement de Montpellier, qu'il convoitait, ni celui de la ville de Sommières (à sept lieues de Montpellier), qu'il demandait pour le baron de Castries, ni la charge de maréchal de camp général dans l'année d'Italie. Loin d'augmenter la puissance de Montmorency, Richelieu semblait saisir toutes les occasions de la diminuer. l'n édit de 1629 avait décidé que les impositions en Languedoc ne seraient plus levées par les États de concert avec le gouverneur. Le Roi créait, dans chacun des vingt-deux diocèses de la province, un bureau et les officiers de ce bureau, qu'on désignait sous le nom d'Élus parce qu'à l'origine leur charge avait été élective, devaient répartir les tailles entre les communautés et les villes. Cette mesure, qui attentait aux libertés de la province, retirait au gouverneur environ cent mille livres de revenu. Montmorency dédaignait l'argent ; il avait pressé les États de ne point s'opposer à la mesure qui allait le priver chaque année de deux millions cinq cent mille francs de notre monnaie d'aujourd'hui.

Les États avaient refusé d'enregistrer l'édit : le Roi les avait contraints de se séparer ; il leur avait défendu de se réunir en 1630 et, comme le Parlement de Toulouse n'avait pas enregistré non plus l'édit royal, les commissaires avaient eu la surprise de voir leur autorité contestée dans la plupart des diocèses. Alors, sollicité par la province, le duc de Montmorency avait intercédé auprès du cardinal en faveur du Languedoc. Richelieu, par égard pour Montmorency, avait prié M. d'Hémery de trouver un compromis entre l'autorité du Roi et les libertés provinciales : six commissaires, dans chaque diocèse, devaient remplacer les Élus et, pour lever les tailles, être munis de lettres patentes que reconnaîtraient les États. En 1631, les députés de la province s'étaient engagés à recevoir les commissaires à la place des Élus ; ils avaient consenti à payer trois millions huit cent quatre-vingt mille livres pour le remboursement de celui qui avait traité de la finance des nouveaux offices et deux cent mille francs pour l'indemnité des frais. On assure qu'il était bien entendu que le gouverneur continuerait à tirer des impositions le revenu accoutumé de cent mille livres[113].

Mais la convention serait-elle ratifiée par les États ? L'affaire était d'autant plus douteuse, que ni Richelieu ni le maréchal d'Effiat, surintendant des finances, brouillé d'ailleurs avec Montmorency, n'entendaient renoncer à cette grave mesure de l'établissement des Élus, qui intéressait tout le Royaume.

C'est vers ce temps-là qu'un Florentin, créature de la Reine mère, Alphonse d'Elbène, évêque d'Albi, avait fait au gouverneur du Languedoc un brillant tableau de la fortune qui s'ouvrait devant lui, si l'on mettait à bas le cardinal.

L'évêque conseillait à Montmorency de prendre la défense d'une province opprimée et de profiter de la puissance qu'il avait pour devenir le libérateur de la mère du Roi. De même que le duc d'Épernon jadis, en faisant sortir la Reine du château de Blois, s'était acquis un renom immortel, de même le duc de Montmorency, en la tirant aujourd'hui de l'exil, aurait un droit incontestable à la reconnaissance royale. Le Roi, par un acte authentique, avait reconnu que le duc d'Épernon s'était conduit en bon et fidèle sujet. Nul doute qu'il ne décernât d'aussi beaux éloges au duc de Montmorency pour lui avoir rendu sa mère : il le ferait connétable comme son père et son aïeul.

Le gouverneur du Languedoc avait-il la clairvoyance et l'énergie nécessaires pour résister à ces diverses pressions ? En juillet 1630, il prit son parti, c'était le pire. L'évêque avait aussitôt mandé de Bruxelles son frère l'abbé d'Elbène. L'abbé était venu sous un habit déguisé, apportant les offres de Gaston et grossissant l'importance du concours que les troupes de Lorraine et d'Espagne apporteraient à Monsieur. Montmorency pensait bien que, par crainte de la puissance du cardinal, la plus grande partie de la noblesse du Languedoc hésiterait à monter à cheval avec lui. Il n'en avait pas moins promis de soulever la province ; il demandait seulement que Monsieur voulût bien lui en laisser le temps. Monsieur, par malheur, était déjà en campagne. Le duc de Montmorency avait donné sa parole et sa signature. On dit que la duchesse le supplia alors de renoncer au dangereux projet qu'elle avait caressé d'abord ; mais rien ne pouvait ébranler désormais la fatale résolution.

Richelieu eût voulu peut-être le retenir sur le bord de l'abîme. Montmorency ayant envoyé M. de Soudeilles, capitaine de ses gardes, entretenir le cardinal de l'affaire des Élus, le cardinal l'avait prié de regagner promptement le Languedoc pour détourner son maitre de la rébellion. Soudeilles avait rejoint le duc à cinq lieues d'Uzès, dans la petite ville de Bagnols. Montmorency était à table. Surpris de cette arrivée, il s'était levé pour aller au-devant de son capitaine des gardes. Soudeilles rend compte de sa mission. Rappelant les lâchetés de Gaston ; il ajoute : Qui voudrait se déclarer pour un jeune prince qui se laisse trahir par ses favoris et qui a déjà plusieurs fois abandonné ceux qui avaient tout sacrifié pour lui ! Nous serons bientôt à Pézenas, répond froidement le gouverneur du Languedoc, et là nous résoudrons toute chose[114].

 

Le 22 août 1632, par la route de Nemours, le Roi, qui venait de Fontainebleau, arrivait à Cosne avec les gardes française et suisse, les régiments de Vervins et de Navarre, huit cents chevaux et quatre canons. Ces quatre canons soulevaient d'admiration le rédacteur du Mercure : C'était, nous dit-il, une merveille de voir l'équipage de l'artillerie leste et en bel ordre, lequel ne faisait pas de moindres journées que la Cour[115]. Anne d'Autriche, suivie de tout le Conseil, allait rejoindre son époux, le jour même, en cette ville de Cosne. Le cardinal accompagnait le Roi.

Louis XIII et Richelieu connaissaient, depuis la fin du mois de juillet, la révolte de Montmorency. Ils s'acheminaient à la hâte vers le Languedoc : dès le 28, à Pézenas, le duc et son complice l'évêque d'Albi fomentant l'irritation des États, l'assemblée n'avait accepté ni Élus, ni commissaires, avait chargé Montmorency de lever les impositions de la province selon l'usage et déclaré qu'elle unissait inséparablement ses intérêts à ceux du gouverneur. Montmorency avait fait arrêter l'archevêque de Narbonne, qui lui reprochait de commettre un crime de lèse-majesté ; il avait incarcéré pendant quelques jours les commissaires Miron, Verderonne, et d'Hémery. Il armait, se saisissait des villes, fortifiait Béziers, mais ne réussissait pas à surprendre Narbonne où il voulait introduire une garnison espagnole. Le 30 juillet, Monsieur le joignait à Lunel.

Les deux maréchaux, lancés à la poursuite de Monsieur, étaient navrés de la tournure que prenaient les choses. De Montélimar, La Force écrivait au cardinal : J'ai été merveilleusement ébahi... Je ne faisais aucun état des troupes de Monsieur, aucun ne s'en mêlant ; mais, ayant un gouverneur de province à sa dévotion, je ne puis m'avancer qu'à la faveur des places dont je sais assuré. Et de Moulins, Schomberg écrivait avant de marcher, par Riom, sur le haut Languedoc : Je suis dans les plus grandes inquiétudes du monde sur cette infidélité de M. de Montmorency[116]. La Force avait reçu l'ordre de s'emparer du château de Beaucaire, qui tenait pour Monsieur, alors que la ville tenait pour le Roi. Le 17, M. de Candiac était venu vers lui de la part de Montmorency, avec des propositions de paix. La Force avait refusé de le recevoir, sentant bien qu'il s'agissait de retarder la marche des armées royales et du Roi lui-même.

Richelieu était inquiet, sombre, irrité. Lorsqu'il avait pris congé d'Anne d'Autriche au Louvre, avant de la précéder avec le Roi sur le chemin de Fontainebleau, il avait rencontré dans l'appartement de la Reine la princesse de Guéménée. Cette ancienne maitresse du gouverneur du Languedoc, craignant pour celui qu'elle avait tendrement aimé le sort de Chalais et de Marillac, avait abordé Son Éminence en disant : Monsieur, vous allez en Languedoc, souvenez-vous des grandes marques d'affection que vous avez reçues, il n'y a pas longtemps, du duc de Montmorency : vous ne sauriez les oublier sans ingratitude. — Madame, avait répondu Richelieu, ce n'est pas moi qui ai rompu le premier[117].

A Paris, les scellés avaient été mis, rue Sainte-Avoie, sur l'hôtel de Montmorency et, le 23 août, le Roi, arrivant à Cosne, déclarait le gouverneur du Languedoc criminel de lèse-majesté. Le duché de Montmorency était éteint et réuni à la Couronne et le duc perdait tous ses biens : procès devait lui être fait devant le Parlement de Toulouse, nonobstant le privilège de pairie, dont on le déclarait indigne. Les prélats, barons, consuls et députés des villes qui avaient assisté aux délibérations des États, qui avaient signé ou consenti, étaient traités moins sévèrement. Ils étaient tenus, quinze jours après la publication des lettres patentes royales, de se rendre à la cour du Parlement de Toulouse ou au plus prochain présidial de leur demeure et de présenter requête... pour être reçus à désavouer tout ce qui avait été fait, consenti ou signé par eux en ladite assemblée, et déclarer qu'ils la révoquaient et s'en départaient, et promettre de n'y consentir ni adhérer et de vivre et mourir dans l'obéissance et fidélité qu'ils devaient. S'ils refusaient de détester leur ceinte, ils seraient déclarés criminels de lèse-majesté.

Le cardinal, dès cette fin d'août 1632, aiguise la hache du bourreau. Le 19 août, un seigneur rebelle, Claude de Hautefort, vicomte de Lestrange, qui tenait dans Tournon avec huit cents hommes, est battu et pris par le maréchal de La Force et fort étonné de n'être pas traité eu prisonnier de guerre. Comprenant que sa tête est promise au billot, il écrit au maréchal qu'il ne s'est rendu que sous la condition d'avoir la vie sauve. La Force envoie aussitôt à Richelieu la lettre de l'infortuné gentilhomme avec cette remarque : Le sieur de Lestrange a une si grande appréhension, qu'il n'a point de patience. Le 26, le cardinal répond : J'ai vu par vos lettres l'impatience qu'a le vicomte de Lestrange[118]. Le 6 septembre, l'impatient, sur l'ordre de Son Éminence, est décapité.

C'est à Cosne probablement que Richelieu dicta certain mémoire calculé pour exaspérer la colère de Louis XIII, véritable réquisitoire dirigé contre le duc et sa maison. Il rappelait que la faveur de Montmorency n'avait jamais été si grande que depuis que M. le Cardinal tenait la première place dans les conseils. Richelieu n'admettait aucune circonstance atténuante à la révolte du favori, ni la fidélité passée, ni l'éclat des services rendus : on eût dit que, depuis trois générations, la maison de Montmorency, illustrée par six connétables, onze maréchaux, quatre amiraux, n'était plus connue que par ses fautes et ses crimes. L'aïeul Amie de Montmorency, le Fabius français, avait été fatal au Royaume : Durant le long cours de ses faveurs et de sa vie, il lui avait porté plus de préjudice que, cérat ans auparavant et cent ans après, ses ennemis les plus déclarés. En perdant, par sa faute, la bataille de Saint-Quentin (1557), il avait coûté plus de trois cents places à Henri II et sa rançon avait été plus chère que celles des rois Jean et François. Le père avait fait rebeller le Languedoc sous Henri III. Le petit-fils marchait sur leurs vestiges pour la destruction de cette monarchie, mais il enchérissait par-dessus, ajoutant l'argent et les intelligences d'Espagne au crime de ses devanciers[119].

Un an auparavant, le même cardinal écrivait à ce nouveau criminel de la maison de Montmorency : Je vous conjure de croire que l'affection que je vous porte est et sera toujours telle, qu'il est impossible que le temps y puisse apporter aucune altération de ma part, étant fondée sur les bonnes qualités que j'ai reconnues en vous, qui me font espérer qu'elles vous rendront toujours semblable a vous-même[120]. Ainsi les sentiments se transforment suivant les situations !

 

Vers le 4 septembre 1632, à Lyon, où il venait d'arriver avec la Cour, le cardinal recevait la visite de M. de La Ville-aux-Clercs. Le ministre et le secrétaire d'État causaient des dentiers événements : Je plains M. de Montmorency, disait Richelieu, mais il ne peut éviter une prison perpétuelle. — Il a l'honneur d'appartenir à ceux qui ont celui d'être vos parents, répondait La Ville-aux-Clercs. Ils vous seront tous infiniment obligés, Monseigneur, d'obtenir cela du Roi. — Pourquoi parlez-vous ainsi ? demanda l'Éminence. — Parce que, lui expliqua La Ville-aux-Clercs, si c'est un grand honneur à M. de Montmorency d'avoir pour sœurs Madame la Princesse et Madame d'Angoulême, il n'y a point aussi de gentilhomme en France qui ne tienne à très grande gloire, s'il veut bien le reconnaitre pour son parent[121].

C'est que les événements s'étaient précipités. Montmorency venait d'être fait prisonnier le 1er septembre par les troupes royales, que commandait le maréchal de Schomberg, dans un combat livré à un quart de lieue de Castelnaudary. Louis XIII et Richelieu avaient appris cette nouvelle à leur descente de carrosse. Le maréchal ne l'avait pas encore confirmée, mais elle était tellement dans l'ordre des choses, que personne ne l'avait mise eu doute. La dépêche de Schomberg arrive enfin avec tout le détail du combat, des morts et des prisonniers. Montmorency s'était jeté dans une escarmouche d'avant-garde, peut-être parce qu'il se sentait perdu et pour en finir. Six jours plus tôt la duchesse l'avait longuement embrassé et lui avait dit, le visage baigné de larmes : J'attends tout de la miséricorde divine, mais je crains tout de votre courage. Craignez-le vous-même, je vous en conjure. Gardez bien votre pauvre cœur, puisque je n'ai pas pu retenir ma chère âme[122].

Trop clairvoyante tendresse ! L'armée de Monsieur, qui ne comptait que deux mille hommes de pied, était forte de trois mille chevaux. Le pot en tête, le buste serré dans une cuirasse, monté sur un cheval gris pommelé, couvert de plumes incarnates, bleues et isabelles, le duc s'était avancé avec cent mestres, jusqu'à trente pas de l'infanterie royale. Une furieuse décharge de mousqueterie avait jeté la mort et la panique parmi ses troupes et l'avait blessé lui-nième à la gorge. Fou de colère, il enlève son cheval, franchit un fossé large de sept ou huit toises, se fraie un passage jusqu'au sixième rang, tuant des ennemis dans le septième. Deux capitaines de chevau-légers, Claude de Gadagne, sieur de Beauregard, et le baron de Laurière veulent barrer le chemin à Montmorency. Le duc, d'un coup de pistolet, casse le bras gauche de Beauregard, qui, de son bras droit, lui lâchant deux balles dans la bouche, lui brise les dents, lui troue la joue près de l'oreille. Le baron de Laurière est jeté à terre par Montmorency : mais le cheval du duc bronche : Laurière, qui s'est remis debout, vient d'enfoncer son épée dans le flanc de la bête. L'animal se relève et, trente pas plus loin, s'écroule roide mort aux pieds du baron.

A moi Montmorency ! A moi ! crie le duc, écrasé sous le cadavre de son cheval et perdant son sang par dix-sept blessures. Les gens de Monsieur ne le secourent point. Les gentilshommes de l'armée royale, qui l'aiment et l'admirent, affectent de ne pas l'apercevoir, pour lui permettre de s'échapper. Enfin, comme il prie MM. de Sainte-Marie et de Boutillon de ne pas l'abandonner, de lui amener un prêtre et de remettre à la duchesse sa bague en souvenir de lui, Sainte-Marie le débarrasse de la cuirasse, du bourrelet et du buffle qui l'étouffent. Chargé sur les épaules de Sainte-Marie, déposé dans une métairie toute proche, où l'aumônier du maréchal l'a confessé, où son chirurgien l'a pansé, il est emmené à Castelnaudary. Le peuple le suit des yeux, accablé de douleur, tandis qu'on le porte à travers les rues de la petite ville, sur un brancard improvisé, qu'escortent six gardes de la compagnie du Roi.

Montmorency une fois pris, les deux armées opposées s'étaient séparées, Schomberg était entré dans Castelnaudary avec ses troupes. L'engagement n'avait pas duré plus d'une demi-heure : Je crois, mandait le vainqueur à Louis XIII, qu'il ne s'est jamais vu en un combat de si peu de durée, tant de gens de qualité tués, pris ou blessés. Ceux qui sont venus à ma connaissance sont du côté de Monsieur[123].

Richelieu ne doutait pas que cette affaire ne marpuât la fin de cette bourrade, qui ne méritait même pas le nom de révolte. Sauf quelques incidents sans importance, le Languedoc n'avait pas bougé. Il en eût été autrement peut-être au moindre succès du gouverneur, qui était adoré. Mais ce qui n'avait été qu'un caprice finissait par une simple opération de police. Richelieu écrivait, le 7 septembre, au maréchal de La Force : M. de Montmorency étant pris, les affaires de ceux qui ne peuvent souffrir les prospérités de la France, sont en mauvais état[124] : et, le 10, il mandait au maréchal de Schomberg, avec une prudence qui ne laissait rien au hasard : Le bruit court ici que M. de Montmorency est mort et, parce que la nouvelle de sa prise, qui s'est trouvée vraie, a couru trois jours, devant que de l'assurer par votre moyen, on y ajoute foi, vu le nombre de ses blessures et le lieu de quelques-unes. Aussitôt que le Roi verra la mort ou la guérison de M. de Montmorency, il se résoudra à ce qu'il devra faire.

Voilà pourquoi le cardinal ne parlait encore que de prison perpétuelle. Mais il recevait bientôt un autre courrier de Schomberg, où il pouvait lire cette phrase imprévue : M. de Montmorency ne mourra pas de ses blessures.

 

Il n'eût tenu qu'à Monsieur de mettre le siège devant Castelnaudary, mais le Conseil de Monsieur trouva de bonnes raisons pour ne pas s'entêter dans une entreprise risquée. Le marquis de Brézé, beau-frère du cardinal, — il devait être créé maréchal de France à la fin de la campagne. — regrettait que l'infériorité numérique de l'armée royale ne permit pas de tailler en pièces les troupes des rebelles : Si nous n'étions pas si faibles que nous sommes, écrivait-il à M. d'Hémery, le 4 septembre, il y aurait de bien belles choses à faire pour le service du Roi, mais je vous laisse à penser que peuvent faire les gens qui n'ont, en gendarmes, chevau-légers et carabins, que onze cents hommes et quatre cents mousquetaires à cheval, contre des gens qui ont plus de trois mille cinq cents hommes de pied, deux mille cinq cents chevaux et trois canons : aussi ne faisaient-ils point de doute de la victoire[125]. Monsieur avait envoyé un trompette à Schomberg, pour lui offrir de recommencer la bataille. Schomberg avait répondu qu'il souhaitait de ne pas être forcé de se battre avec Son Altesse, mais que, s'il était attaqué. il se défendrait.

Monsieur ne tarda pas à en venir à son grand moyen : abandonner les siens et négocier. Il eût voulu sauver la vie de Montmorency, tout en comptant sur l'arrivée prochaine des forces promises par l'Espagne, pour marchander sa soumission. Mais Schomberg avait pris les devants et avait occupé les passages du Roussillon. L'armée royale, commandée par le maréchal de La Force, suivie bientôt du Roi et du cardinal, s'avançait, prenait ville sur ville dans la vallée du Rhône et marchait sur Montpellier.

La Force rencontra, vers le 10 septembre, entre Bemoulins et Nîmes, Puits-Saint-Martin, sieur de Chaudebonne, qui s'en allait porter au Roi les propositions de Monsieur. Le Roi, dès le 9, avait envoyé au duc d'Orléans M. d'Aiguebonne, frère aîné de M. de Chaudebonne, pour dire à Monsieur qu'il le recevrait à la Cour et lui rendrait tous ses biens, à condition qu'il reconnût sa faute et renonçât à toutes sortes d'intelligences et de factions tant en dedans qu'en dehors du Royaume.

Ce fut le 14 ou le 15, au Pont-Saint-Esprit, que Chaudebonne vit le Roi. Dès le 13, à Montélimart, d'où il ne partit que deux jours après Louis XIII, Richelieu avait lu le document envoyé par Monsieur. Il invita Chaudebonne à dîner et lui dit nettement ce qu'il pensait de l'outrecuidance de Gaston. Monsieur exigeait que Montmorency fût remis en liberté et rétabli dans ses biens et charges, que MM. d'Elbeuf et de Lorraine et généralement tous ceux qui avaient pris le parti de à Reine mère et le sien, rentrassent pareillement dans leurs biens, charges et gouvernements ; il réclamait une place de sûreté comme Béziers, Laon, La Fère ou Verdun ; il priait le Roi de rendre au duc de Lorraine les places que ce prince avait remises en dépôt. Il lui fallait encore Marie de Médicis rétablie dans ses biens, autorisée à résider dans celle de ses maisons qu'elle choisirait ou dans la place de sûreté de son second fils. Ce n'était pas tout : il lui fallait à lui-même un million pour rembourser le duc de Lorraine et le roi d'Espagne : il tenait beaucoup à la révocation du jugement rendu contre la comtesse du Fargis, à une absolution générale qui empêchât le cardinal de punir les partisans du duc d'Orléans sous prétexte de duel ou de quelque autre crime. Il demandait enfin que le Roi suspendît la marche de ses armées. Qu'eut-il réclamé, s'il avait gagné la bataille de Castelnaudary ? Le sieur de Chaudebonne n'a apporté au Roi que des propositions ridicules, écrivait Richelieu au maréchal de La Force. Louis XIII répondit à Monsieur : Mon Frère, les propositions que le sieur de Chaudebonne m'a faites de votre part sont si peu convenables à mua dignité, au bien de mon État et au vôtre propre, que je ne puis y faire réponse que ce que je vous ai fait savoir par le sieur d'Aiguebonne, pour témoigner de mon affection en votre endroit[126].

Abandonné par ses troupes, isolé dans Béziers, où il venait de se réfugier, Monsieur n'était plus rien. Le gouverneur de Béziers s'était rallié au Roi. La Force s'avançait sur la ville. La position était intenable. Monsieur, accompagné de la duchesse de Montmorency, sortit de la ville le 20 septembre à quatre heures du matin, et gagna Olonzac, dont la grosse tour féodale s'élevait à mi-chemin de Béziers et de Carcassonne. C'est là que Chaude-bonne lui apporta la réponse du Roi. Louis XIII voulut bien permettre à Monsieur de rentrer à Béziers avec son équipage et de disposer trois cents hommes de ses troupes à l'extérieur des portes. Trop heureux de rentrer à Béziers, Gaston laissa loin des murs une garde qu'il jugeait désormais inutile. Il était à la merci du Roi et n'avait plus d'autre issue qu'une soumission honteuse, laissant à son sort le malheureux Montmorency. Bullion était chargé de lui déclarer les intentions de Sa Majesté[127].

Gastor avait enfin réfléchi : il renonçait à toute exigence, pourvu que Montmorency cid la vie sauve. M. de Brion vint, en son nom, implorer la clémence du Roi. Admis après une longue attente, il présenta la supplique à genoux et, sans réponse, fut reconduit entre deux gardes l'espace de sept lieues. Au prince et à la princesse de Condé, intercédant pour leur beau-frère et frère, on remit les lettres toutes prêtes et signées du Roi : Mon Cousin, vous savez que je dois plus au bien de mon Royaume qu'à quelque autre chose que ce puisse être ; c'est ce qui fait que je ne puis m'engager à rien en cette occasion. — Ma Cousine, j'ai plus de déplaisir que je ne vous puis dire de celui que vous devez ressentir de la faute du duc de Montmorency, votre frère : elle est si grande et d'une si importante conséquence au bien de mon État, que je ne doute point que vous me jugiez vous-même qu'il m'est impossible de vous rien promettre en cette occasion sans me causer un trop notable préjudice[128]. Quelle promesse eût-il pu faire ? Cette lettre est du 16 septembre 1632. Il y avait alors trois jours que le Garde des Sceaux, — avant même de quitter Lyon, — confiait à Mme de Chevreuse que, si le vaincu de Castelnaudary survivait à ses blessures, le Roi avait résolu de lui faire trancher la tête[129].

Le maréchal de Schomberg était déjà parti avec son prisonnier pour la ville de Lectoure : il avait craint duc, dans Castelnaudary ou Toulouse, la population, qui adorait Montmorency, ne tentât de le délivrer. On ne s'arrêta dans cette dernière ville, malgré la fatigue du blessé, que le temps de lui faire prendre un bouillon. Montrabé, premier président et créature de Richelieu, avait appris que les capitouls étaient décidés à sauver le duc et il s'était empressé d'avertir Schomberg.

Montmorency franchit les vingt lieues qui séparent Toulouse de Lectoure, dans un état de faiblesse qui donnait des craintes pour sa vie et rendait toute évasion impossible. A l'une des étapes, dans la chambre du rez-de-chaussée où on l'enferme, il y a une tapisserie. Son chirurgien Lucante, instruit sans doute par le maitre de maison, lui révèle que, derrière cette tapisserie, une porte secrète ouvre sur la campagne, en un lieu qui n'est pas gardé. Ses dix-sept blessures l'empêchent de profiter de cette circonstance singulière[130]. On arrive à Lectoure. Flanquée de plates-formes et boulevards, fossoyée, retranchée, défendue d'une triple muraille, la place de guerre est assise sur une croupe de montagne de fort difficile accès[131]. Le château, bâti sur le roc, se dresse imprenable, hors de sape et de batterie : Schomberg y loge son prisonnier.

Au bout de quelques jours, les forces du prisonnier sont revenues. Un garde, acheté par la marquise de Castelnau, s'offre pour aider à l'évasion : il apportera des cordes de soie, au moyen desquelles on pourra descendre dans les communs : là Montmorency trouvera une ouverture qui lui permettra de courir au rendez-vous où la marquise l'attend à cheval à la tête de vingt cavaliers. Le complot est découvert, les cordes saisies, le garde tué, le prisonnier plus étroitement surveillé que jamais[132].

Le 23 septembre 1632, le cardinal, entré la veille dans Montpellier aux flambeaux, quelques heures après le Roi, examinait le projet d'accommodement que ses secrétaires avaient préparé et que M. de Bullion devait aller présenter au duc d'Orléans. C'était une assez longue pièce, où Monsieur était invité à ne plus retomber dans la faute que le Roi lui avait déjà deux fois pardonnée. Il devait s'engager ne plus entretenir aucune intelligence avec la Lorraine, l'Espagne et la Reine mère, promettre de vivre en hou frère et sujet : les troupes qu'il avait conduites eu France, ne pouvaient obtenir aucune grâce ; le Roi avait la bonté cependant de leur accorder un délai de six jours pour se retirer en Roussillon. 3Ionsieur devait préposer aux diverses charges de sa maison les gens que choisirait le Roi, chasser tous ceux qui n'agréeraient point à Sa : Majesté. Puylaurens, principal conseiller de Monsieur, était tenu d'avertir de tout ce qui s'était traité par le passé qui pourrait être préjudiciable à l'État, aux intérêts du Roi et de ceux qui avaient l'honneur de le servir.

Quant à Montmorency, nul doute sur le sort qui l'attend : Que Monsieur, disait l'article, ne prenne aucun intérêt en celui de ceux qui se sont liés à lui en ces occasions pour faire leurs alaires à ses dépens et à ceux de la France, et ne prétende pas avoir à se plaindre, quand le Roi lui fera subir ce qu'ils méritent. Pour augmenter la clarté sinistre de cette phrase, le cardinal écrit sa propre main : On les traitera comme ils le méritent[133].

Trois Jours plus tard, Bullion rejoignait Monsieur à Béziers : il était autorisé à lui dire que s'il voulait lui remettre Puylaurens entre les mains pour lui faire subir la peine qu'il méritait (toujours la même formule voilant le même châtiment), il pardonnerait à tous les autres. Richelieu ne doutait pas qu'en présence d'un tel dilemme Puylaurens ne conseillât, — sans hésiter, — à Monsieur de sacrifier Montmorency.

 

La Cour quitta Montpellier le 4 octobre et, par Maze et Pézenas, atteignit Béziers deux jours plus tard. Depuis le 29 septembre, les articles de l'accommodement préparé par Son Éminence étaient acceptés et signés par Monsieur. D'abord Gaston s'était emporté : Une fois, parlant du duc de Montmorency, il avait osé dire que si l'infortuné seigneur était condamné à mort, il y avait plus de quarante gentilshommes résolus de poignarder le cardinal[134]. Des mots ! Des mots ! Trois jours de discussion avaient suffi pour amener le prince, — entouré dans la ville de Béziers par les troupes royales, — à signer tout, même l'abandon de Montmorency.

Le duc d'Orléans parlait à tort et à travers, comme un grand enfant balourd qu'il était resté. Le voilà sur la question de son mariage. Le Roi lui avait donné pleine liberté de le contracter avec qui bon lui semblerait, voire avec une bergère.  Bullion avait observé cependant qu'il ne fallait pas que son choix pût porter préjudice à l'État. Monsieur nomme la princesse qu'il a choisie : la sœur du duc de Lorraine, la princesse Marguerite, fille de M. de Vaudemont : Le Roi a défendu à Son Altesse d'y penser et au duc de Lorraine aussi, répliqua Bullion — Et, s'il était fait, réplique Monsieur, que ferait le Roi ?Il le ferait casser, repartit Bullion. Le Pape déclarerait toujours nul votre mariage, s'il est fait sans que le consentement du Roi y soit intervenu. Quelle ne fut pas la mine de Bullion, quand le duc d'Elbeuf, tirant à part les deux interlocuteurs, prétendit qu'il y avait contrat passé, qu'il avait vu Monsieur et la princesse Marguerite en conversation fort intime et que M. de Vaudemont avait déclaré qu'au pis aller un frère unique d'un roi de France sans enfants valait bien la peine que sa fille courût fortune de se voir reléguée abbesse de Remiremont[135]. Et, en effet, le mariage avait été célébré à Nancy, le 3 janvier 1632, dans une chapelle de prieuré, avec la dispense du cardinal de Lorraine[136].

Bullion partait avec la signature du traité qui acceptait toutes les conditions du Roi et, par conséquent, perdait Montmorency. Monsieur, réconcilié, s'en allait à Tours avec la permission du Roi, et, pour libérer sa conscience, il écrivait à son frère une lettre qui le suppliait d'avoir pitié du vaincu de Castelnaudary[137].

Richelieu, ayant lu cette lettre, se rend chez le Roi : Monsieur, dit-il, demande la vie du duc de Montmorency vaut-il mieux pardonner ce crime ou ne le faire pas ? Il y a des raisons d'être miséricordieux. Pour abandonner avec honneur la Lorraine et l'Espagne, il faut à Monsieur un prétexte : la grâce du rebelle. Sans cette grâce, Monsieur ne peut honorablement se remettre en son devoir. Quelque promesse qu'il se soit laissé arracher, il sera forcé de fuir en Espagne ; il y sèmera les germes d'une guerre, car les Espagnols lui fourniront le moyen de brouiller la France. Si Monsieur est réduit en cet état de désespoir, ceux qui, ayant l'honneur de servir le Roi sont chargés de tout l'odieux des mesures qui seront prises, n'auront plus de sécurité, parce que les serviteurs de Monsieur ne verront plus de salut que dans la perte des serviteurs du Roi. Et, tandis que Richelieu parlait, le Roi, n'en doutons pas, imaginait le cardinal assassiné, tout le poids terrible des affaires retombant sur ses propres épaules.

Au contraire, si Monsieur se remet dans la vraie obéissance du Roi et dans une sincère volonté de correspondre aux grands desseins de Sa Majesté, il n'y a rien qu'on ne puisse entreprendre contre les Espagnols... cette nation naturellement ennemie de ce Royaume et engagée contre la personne du Roi et le gouvernement présent.

Ainsi Richelieu plaide la cause de Montmorency. Il ne veut pas cependant que le Roi s'attarde sur ces brillantes perspectives. Après un silence, il se retourne et, avec la même conviction, la même autorité, il prononce le réquisitoire. Pour paraître modéré (sans plus), pour laisser au Roi toute la responsabilité de la décision, il feint de développer les arguments d'autrui : Ceux, dit-il, qui estiment qu'il vaut mieux châtier le duc de Montmorency, assurent que l'état présent des affaires a besoin d'un grand exemple. Le Roi n'a point d'enfant ; il passe pour être malsain. Opinion peu fondée. Par malheur, Monsieur est l'héritier du Royaume : Si l'on ne retient par une grande sévérité, poursuit-il, ceux qui pourraient se porter le servir, il peut arriver telle occasion, comme une maladie du Roi, quoique légère, où tant de gens se déclareraient pour lui, qu'on n'en saurait soutenir l'effort ; au lieu que, si le duc de Montmorency est puni comme il le mérite, quelque maladie dangereuse qui arrive au Roi, personne ne la tiendra assez mortelle pour se déclarer, tant ils auront peur de la punition, qu'ils tiendront assurée s'il en réchappe.

Les bons esprits dont Richelieu expose les arguments avec une si visible complaisance, appuient cette raison des exemples de l'histoire. Si les crimes qu'on commet pour Monsieur restent impunis, nul doute que les grands, les communautés et les peuples, sûrs d'avoir la vie sauve, ne hasardent leur fortune volontiers, pour tacher de la faire meilleure aux dépens du Roi et. de l'État. La privation des charges, sans la vie, n'est rien en ces occasions, puisque Monsieur pourra les rendre dès qu'il sera monté sur le trône. Et Son Éminence profite de l'occasion pour raviver toute l'inquiétude de Louis XIII par cette formule saisissante : Ils estimeront que hasarder leur fortune pour Monsieur sera la mettre à usure avec assurance du fonds[138].

Le cardinal étale ensuite sous les veux du Roi les circonstances aggravantes de la trahison : L'affaire a été méditée de longtemps, il y a plus de huit mois ; M. de Montmorency a fait, — chose inouïe, — révolter une province par résolution du corps des États, lui un homme obligé par plusieurs bienfaits, lié de parole et de serments non exigés au Roi et aux siens, ce qui rendait non seulement son crime plus horrible, mais montre qu'on ne s'y saura jamais fier. Et de nouveau le cardinal touche la fibre de l'intérêt ; si le prisonnier s'évade, ne le voit-on pas ardent à la vengeance, réparant bientôt, par quelque grande action, l'imprudence qu'il a faite en se perdant à Castelnaudary par sa folle vanité[139]. D'autre part, quel avantagé y aurait- il à pardonner ? Les Espagnols en seraient-ils changés, la Reine mère moins irritée, Puylaurens moins impérieux, moins ambitieux, moins attaché à la Lorraine, Monsieur plus fidèle, plus sensé, moins dépendant de ses détestables conseillers ? Toute la politique de la France, cette politique royale et dynastique héritée de Henri IV, se met alors à tourner autour de ce pivot. Pour guérir la rage des Espagnols, il faudra abandonner la Hollande et le roi de Suède ; pour apaiser la Reine mère, le Roi devra lui sacrifier tous ceux qu'elle liait, se mettre absolument en sa dépendance ; pour se concilier le duc de Lorraine, il devra lui rendre toutes ses places. Tant de sacrifices ne serviront probablement de rien. D'ailleurs il est impossible de les faire sans ruiner le Royaume et, si on les fait, plus le parti de Monsieur subsiste, en ses racines, tentation permanente pour ses anciens alliés, plus il est excité, fortifié, secouru. Tandis que, Montmorency châtié, son parti, par sa seule perte, périt en Languedoc et celui de Monsieur par conséquent en toute la France ; si on le garde prisonnier, quelques autres têtes qu'on puisse couper, il lui demeurera toujours des amis secrets, qui lui seront d'autant plus attachés, qu'ils vivront en espérance de su relever avec lui et en rechercheront sourdement tous moyens. Il ne faut pas conserver le feu sous les cendres, mais l'éteindre[140].

Certes il est important de ne pas irriter Monsieur et de lui inspirer désir de tenir ses promesses. Mais les a-t-il jamais tenues ? Si les paroles de Monsieur étaient accompagnées de sûretés mathématiques, ce serait faute que de n'y ajouter pas foi : mais, des sûretés mathématiques, il n'y en a aucune. Il faut de plus considérer, — d'après les bons esprits dont le cardinal invoque l'autorité, — que, si Monsieur ne sauve pas M. de Montmorency, il trouvera moins de serviteurs : aussi est-ce la seule raison pour laquelle le Roi doit vouloir le châtier. Et Monsieur ne le doit pas trouver étrange, vu qu'ainsi que les chirurgiens ne peuvent souvent sauver la vie d'un homme sans lui couper le bras, c'est le seul moyen de sauver Monsieur.

Richelieu va même jusqu'à dire que Monsieur peut, sans se déshonorer, sacrifier son complice, puisque la nécessité l'y contraint, au lieu que Sa Majesté ne sautait faire ce qu'il lui demande, sans commettre une faiblesse blâmable et se mettre au hasard de pis[141].

L'impunité du criminel est plus dangereuse que la fuite de Monsieur en Espagne. Monsieur, il lit cour de Madrid, sera peu il craindre, quand il lui sera impossible. Montmorency étant vinifié, de remettre en France un grand parti sur pied. L'argument de sa propre sûreté compromise, si justice est faite du criminel, Richelieu ne veut pas en tenir compte : Il ne se considère point, lorsqu'il est question des intérêts de son maitre, si ce n'est en tant que sa perte lui pourrait porter préjudice.

Poussant à fond la hardiesse de son système et sa foi dans la majesté royale, Richelieu va jusqu'à tenter Louis XIII par une sorte de concession. Il insinue que la bonté du Roi peut, au cas où M. de Montmorency serait condamné à mort, surseoir l'exécution de l'arrêt jusqu'à la première mauvaise conduite de Monsieur. Pour user de cette mesure il n'est besoin que d'une garde assurée du criminel qui, quoique difficile, n'est pas impossible[142].

Tel prince ou tel magistrat, dit le cardinal dans son Testament politique, craint de pécher par trop de rigueur, qui tiendra compte à Dieu et sera blâmé de toutes les personnes sages, s'il n'exerce pas celle que les lois lui prescrivent. Je l'ai souvent représenté à Sa Majesté et je la prie de s'en souvenir avec soin : certains monarques doivent être détournés de la sévérité, à laquelle leur inclination les porte : vous avez besoin au contraire qu'on vous dissuade d'une fausse clémence plus dangereuse que la cruauté, parce que l'impunité cause une infinité de maux qui ne se peuvent arrêter que par les châtiments.

Louis XIII, obstiné, passionné à froid et s'attachant à un ministre dont il sentait bien qu'il ne pouvait pas se passer, indiqua incisivement dans son demi-mutisme habituel, qu'il ferait de Montmorency une justice exemplaire à tous les grands de son Royaume, comme le feu Roi l'avait faite utilement en la personne du maréchal de Biron.

 

L'intérieur de l'église des Augustins de Béziers présentait, dans la matinée du Il octobre 1632, un spectacle que la Reine tenait à ne pas manquer. Installée derrière à maitre-autel, dans une tribune, avec les duchesses d'Uzès, de Montbazon et de Chevreuse, Anne d'Autriche voyait sans être vue. Ses regards se portaient sur une estrade recouverte de tapis somptueux, longue de huit toises et qui, devant l'autel, occupait toute la largeur de la nef. Au milieu de l'estrade, assis sous un dais, sur un trône de velours cramoisi à galons d'or, Louis XIII attirait tous les yeux : il parlait aux États de Languedoc, qu'il venait d'ouvrir. Le marquis de Gordes et le comte de Charlus, capitaines des gardes, sont debout tête nue, de chaque côté du fauteuil royal, qu'entourent des officiers et des gardes du corps et devant lequel deux huissiers de la chambre tiennent leurs masses à genoux, à visage tourné vers le Roi. Formes, pliants, carreau, chaises à bras, tout un mobilier de velours cramoisi porte les plus hauts personnages de la Cour. A la droite et aux pieds du Roi, sur une forme, le cardinal. Richelieu est en rochet et camail violet. Près de lui, en deuil comme lui de l'infant don Carlos, le cardinal de La Valette. Puis, en retour, sur des pliants, les maréchaux de Vitry, de La Force et de Schomberg. Le duc de Chevreuse, grand chambellan, est assis sur un carreau de velours qui recouvre la première marche du trône. A trois pas de cette marelle, le successeur de l'infortuné Michel de Marillac, Châteauneuf, garde des Sceaux de France, siège sur une chaise à bras sans dossier ; autour de lui, trois huissiers du Conseil, leurs chaînes d'or en écharpe, sont à genoux. Voici, à gauche du Roi, en face des maréchaux, auxquels ils ont cédé leurs places, les ducs d'Uzès, de Retz et de Ventadour : derrière eux, les quatre premiers gentilshommes de la chambre, Liancourt, Brézé, Saint-Simon et Mortemart.

Le clergé de la province — l'archevêque de Narbonne, les évêques de Lavaur, de Montpellier, du Puy, de Carcassonne, de Saint-Papoul, de Viviers, de Béziers, de Castres, de Rieux, d'Agde et le grand vicaire de Mende — est assis quatre degrés plus bas que l'estrade, à droite du trône, coutre les chapelles de l'église ; de l'autre côté, est le banc de la noblesse de Languedoc, au milieu de laquelle on reconnaît le vicomte de Polignac et le marquis de Mirepoix. Derrière cette noblesse, les députés du Parlement de Toulouse et de la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier. Tous les veux sont tournés vers le trône ; entre eux et l'estrade et leur faisant face, les secrétaires d'État, La Ville-aux-Clercs. La Vrillière et Bouthillier, se coudoient sur un banc de drap bleu, devant une table recouverte d'un tapis. Derrière eux, le surintendant des finances et les conseillers d'État ; vis-à-vis d'eux, le dos tourné au bas de l'église, sur un banc qui traverse la nef, les trésoriers de France, les syndics généraux, les secrétaires ou greffiers des États, les députés de Toulouse et de Montpellier ; puis, pêle-mêle sur cinq ou six bancs, les députés du Tiers État et plusieurs personnes de toutes qualités, entrées par la faveur de ceux qui gardaient les portes et contemplant ce splendide raccourci, ce magnifique tableau vivant de la cour de France.

Louis XIII a terminé sa brève harangue : Après avoir donné la paix à la province, il a trouvé bon d'en convoquer les États, pour leur faire savoir ses intentions, qui leur seront expliquées par le garde des Sceaux. Châteauneuf se lève de sa chaise à bras et parle à son tour. Il rappelle que c'est la troisième fois que le Roi est venu des extrémités de son Royaume, pour soulager la province et remédier à ses maux ; trois années auparavant, Sa Majesté a laissé M. le Cardinal dans le pays, afin d'y établir l'ordre usité dans le Royaume et de faire en sorte qu'à l'avenir il ne s'y fasse aucune levée de deniers sans sa permission. — On s'est révolté. Le Roi a de grandes raisons d'en témoigner son ressentiment, mais il veut croire qu'une moitié a failli par faiblesse et timidité, l'autre par malice et de dessein formé. Le Roi, usant de sa bonté, veut oublier leurs fautes, se réservant seulement la punition de quelques particuliers des plus coupables.

Châteauneuf se rassoit. L'archevêque de Narbonne se lève. S'adressant au Roi, il montre la province entraînée à son insu et comme malgré elle dans la rébellion. Il ne prétend pas excuser les trois ordres qui la composent et surtout quelques particuliers, mais il demande grâce pour tous. Long discours éloquent mais assez vain car Louis XIII a pris sa résolution. Enfin La Vrillière, debout devant la table des secrétaires d'État. — il avait le Languedoc dans son département, — lut une ordonnance du Roi qui supprimait les Élus, à condition que la province remboursât au traitant qui avait été chargé de les établir, les trois millions huit cent quatre-vingt-cinq titille livres à quoi montait la finance des nouveaux offices et des droits héréditaires qui leur étaient attribués. La province devait payer les frais, qui atteignaient la somme de deux cent mille livres. Elle voyait tripler ses impositions car l'ordonnance, tout en spécifiant que le Languedoc garderait ses privilèges, le privait de ses franchises[143].

Aux États de Pézenas, trois ans plus tôt, l'intendant Miron avait salué le cardinal comme un prodige et chef-d'œuvre de nature, un foudre de guerre, un torrent d'éloquence, un abîme de doctrine.

 

Le Clusel était une maison de campagne sise à une demi-lieue de Toulouse. Vers le 25 octobre, le cardinal, arrivé le 22 avec le Roi et la Cour dans la capitale du Languedoc, s'y rendait en carrosse, accompagné de M. de Bullion. Il venait, nous dit avec gravité, le Mercure, visiter et consoler Madame la Princesse. La sœur du duc de Montmorency était accourue de Bourges, capitale du gouvernement de son mari. Une lettre du Roi avait essayé de l'arrêter : Ma Cousine, disait cette lettre, composée pour Louis XIII par Richelieu et datée de Castelnaudary le 20 octobre, ayant su que vous vous étiez acheminée jusqu'à Cahors, pour me venir trouver sur le sujet de la prison de M. de Montmorency, je vous envoie le sieur Sanguin pour vous prier de nia part de ne point passer outre, pour des considérations qui vous touchent autant que moi, lesquelles il vous fera entendre. Cependant vous pouvez vous assurer qu'ayant autant de sujet de me louer de votre conduite que j'en ai de me plaindre de celle du duc de Montmorency, vous recevrez de moi tous les témoignages de celui qui prie Dieu qu'il vous ait, ma Cousine, en sa sainte garde[144].

Sanguin avait été autrefois attaché à la maison de Madame la Princesse. Il avait rejoint Charlotte de Montmorency aux portes de Toulouse. Elle lui as ait répondu par ses larmes : elle avait fini cependant par lui dire qu'elle allait s'installer dans le plus prochain logis, afin d'y attendre les ordres de Sa Majesté. Deux heures plus tard, elle l'avait vu revenir. Il lui apportait mi ordre du garde des Sceaux lui enjoignant de s'en retourner immédiatement. Madame la Princesse, frémissante d'indignation, lui avait déclaré que les personnes de sa condition ne recevaient point de commandement que de la part du Roi, qu'il ne pouvait avoir vu depuis qu'il l'avait quittée et qu'il apprit mieux son métier à l'avenir[145]. Et elle était restée au Clusel, où Richelieu allait arriver tout à l'heure.

Les voix de la Cour tout entière, qui désirait passionnément la grâce de Montmorency, tintaient encore aux oreilles du cardinal. Richelieu était tout spécialement irrité de l'intervention du duc d'Épernon. Cet ancien favori de Henri III, malgré ses soixante-dix-huit ans, avait quitté en toute hâte son gouvernement de Guyenne pour venir implorer l'indulgence du Roi. Mais il avait négligé de se présenter devant Son Éminence avant de parfaire devant Sa Majesté. Faute plus grave : pour obtenir la grave du prisonnier de Lectoure, il avait évoqué des souvenirs particulièrement désagréables à Richelieu, l'évasion de Blois et la bataille des Ponts-de-Cé, où le jeune évêque de Luçon avait jadis fait figure de rebelle.

Si Richelieu avait écouté sans plaisir le maladroit plaidoyer du vieillard, il éprouvait une réelle inquiétude à se rendre au Clusel. De quoi n'était pas capable, cette princesse folle de douleur, pour sauver son frère ? Aussi avait-il dépêché, dans le plus grand secret, un gentilhomme, qui, sous prétexte de chercher un de ses amis, avait inspecté les moindres recoins de la maison. Richelieu ne s'était mis en route qu'après avoir été complètement rassuré : ni complot, ni embuscade au Clusel.

Dans son carrosse le cardinal jette quelques notes hâtives. Le portail franchit, il met pied à terre. Bullion marche derrière lui. Tous deux sont introduits auprès de la princesse. L'étiquette renonce à ses droits en si tragique rencontre : l'altesse se lève. s'avance vers le visiteur ; elle tombe à genoux aux pieds du cardinal[146], qui s'agenouille à son tour. Richelieu a le don des larmes, il pleure avec Charlotte de Montmorency, il exprime le désespoir où il est de se sentir impuissant à fléchir la rigoureuse justice du Roi. La princesse offre ses fils, le duc d'Enghien et le prince de Conti, connue otages de la fidélité de son frère. Après une telle scène d'attendrissement, Richelieu, sans accepter, ne peut refuser une dernière tentative. Il promet de parler à son maître. Tout à coup : Afin que je puisse mieux réussir, ajoute-t-il, trouvez bon, Madame, que je vous conseille de vous éloigner encore plus de la ville. Le ministre prévoyant peut sortir : la suppliante en larmes n'approchera pas du Roi.

La princesse n'était point dupe. Mais comment braver la colère de celui qui tenait la vie de son frère entre ses mains ? Elle partit, elle se retira deux lieues et demie plus loin, chez le baron de Saint-Jory.

Elle n'y était pas depuis trois jours, qu'une lettre du Roi, — à qui le cardinal avait parlé, — lui enjoignait (le 27 octobre) de se retirer plus loin encore et laissait prévoir le cruel dénouement de la tragédie : Ma Cousine, disait le Roi, je suis bien fâché de n'avoir pu vous voir, ce dont je ne me suis abstenu que pour ne pouvoir vous donner le contentement que vous désirez. Ayant rendu, comme vous avez fait en cette occasion, tous les témoignages que vous pouviez de votre bon naturel, je vous prie de vous en retourner à Paris. Cependant j'ai bien voulu vous assurer de la satisfaction que j'ai de votre conduite et que je serai toujours très aise de vous faire paraître mon affection où j'en aurai le moyen[147].

 

L'avant-veille, à Lectoure, le duc de Montmorency regardait par une fenêtre du château qui donnait sur la campagne. Il contemplait une troupe de paysans affairés au milieu des vignes. Toute la gaieté des vendanges gasconnes montait vers le prisonnier, qui ne se lassait point du spectacle. A côté de lui, Lucante, son chirurgien, s'émerveillait d'une telle insouciance : Est-il possible, Monsieur, lui disait-il, qu'étant si près et si assuré de votre malheur, vous v pensiez si peu sérieusement ?Cette pensée, répondit le duc, ne trouble pas la tranquillité de mon esprit. — Et que savez-vous, Monsieur, reprit le chirurgien, si l'on ne vous fera pas mourir en ce lieu même ?Tant mieux, dit Montmorency, je n'aurai pas la peine d'aller à Toulouse[148].

L'après-midi de ce jour, le marquis de Brézé entre dans la chambre du prisonnier : il avertit Montmorency qu'il a' reçu l'ordre de le conduire à Toulouse. Montmorency accueille le beau-frère de son ennemi avec sa bonne grâce accoutumée ; il ne demande que le temps de faire panser ses plaies, puis il monte en carrosse et Brézé s'assoit auprès de lui. Huit compagnies de cavalerie escortent l'attelage. Montmorency n'ignore plus que le Roi vient de donner commission au Parlement de Toulouse de le juger et que le garde des Sceaux présidera au jugement avec six maîtres des requêtes. A l'une des étapes, une main amie lui fait passer un mémoire de la part de la princesse de Condé. Cette pièce lui fournira le moyen juridique de retarder le jugement : la fête de la Toussaint ne peut manquer de porter à la clémence l'âme dévote du Roi, qui fera grâce. Montmorency ne se leurre pas d'espérances vaines : il a commandé depuis quelque temps un habit de toile blanche, son habit d'exécution : il froisse le papier et le déchire en disant : Je ne sais pas chicaner ma vie[149].

C'est le 27 octobre, à midi qu'on arrive à la porte de Toulouse. Brézé descend de voiture, donne l'ordre de fermer portières et mantelets. Puis il monte à cheval et suit immédiatement le carrosse qui s'ébranle. Les uns à pied avec leurs hallebardes, les autres à cheval avec leurs mousquets, mèche allumée, les Mousquetaires encadrent le carrosse. Le cortège pénètre dans la ville. Partout, dans les rues, sur les places, des soldats, des gardes et des Suisses forment la haie, écartant la foule de ce lugubre cheminement, qui aboutit au Capitole. Le prisonnier est remis par M. de Brézé entre les mains de M. de Launay, lieutenant des gardes.

Le Roi et le cardinal sont fort pressés : Je ne ferai pas ici un long séjour[150], a dit Louis XIII au duc d'Épernon, qui prenait congé de lui pour retourner en Guyenne. La tâche des commissaires sera facile : Montmorency ne veut pas se défendre. A peine arrivé, il est interrogé par deux conseillers au Parlement de Toulouse. Il ne les récuse pas ; et cependant, duc et pair, il n'est justiciable que du Parlement de Paris[151]. S'il consent à leur répondre, c'est qu'il veut obéir au Roi, dût cette soumission lui être préjudiciable. Confronté le lendemain 28 avec M. de Saint-Preuil, qui l'a fait prisonnier, et M. de Guitaut, il ne se montre pas moins soumis : Il les reçut, raconte Levassor, non comme des gens sur la déposition desquels il devait mourir, mais comme des amis qui seraient venus le consoler dans sa disgrâce. Le sourire aux lèvres, il regarde Guitaut, qui ne peut contenir ses larmes. Il l'entend répondre aux questions du rapporteur : Le feu et la fumée dont il était couvert m'empêchèrent d'abord de le distinguer. Mais, voyant un homme qui, après avoir rompu six de nos rangs, tuait encore des soldats dans le septième, je jugeai certainement que ce ne pouvait être que M. de Montmorency. Je ne le sus certainement que lorsque je le vis à terre sous son cheval mort[152].

Dans l'une des questions posées à Montmorency, on croit deviner l'inspiration du cardinal : Lui avons remontré, constatent les pièces du procès, si, par toutes ces actions qui ne sont que trop notoires, il ne reconnaît pas avoir obscurci le lustre de sa naissance et de son sang, flétri les belles et généreuses actions par lesquelles ses aïeux avaient si bien mérité de l'État des Rois de France, qu'ils eu furent élus aux plus grandes et honorables charges du Royaume, conservées en sa personne tant par défunt le roi Henri le Grand d'heureuse mémoire, que par notre Louis, heureusement régnant, de qui lui qui répond a reçu autant de bons traitements, récompenses et libéralités qu'autre seigneur de la Cour[153]. Si l'accusé répond affirmativement, le cardinal aura obtenu la justification qu'il désire. Montmorency ne la lui refuse pas : il déclare, sans la moindre difficulté être au désespoir d'avoir offensé le Roi son maitre ; il rappelle qu'il a ci-devant dit les sujets qui l'ont précipité à ce malheur et reconnaît avoir reçu de Sa Majesté plus de grâces qu'il ne mérite[154].

Anne d'Autriche, suppliée par ses entourages, finit par se demander si elle peut intervenir en faveur du duc de Montmorency. Mais elle parle d'abord à Richelieu. La Reine, lui dit le cardinal, ne doit point douter que Sa Majesté ne lui accorde tout ce qu'elle lui demandera, mais elle doit appréhender le déplaisir que cette affaire peut donner au Roi, capable d'altérer sa santé, qui n'est pas encore trop bien rétablie depuis cette grande maladie qu'il a eue à Lyon[155]. La Reine renonce à parler au Roi. Ni le duc de Savoie, ni la République de Venise, ni le Saint-Père ne parviennent à ébranler la ferme volonté du Roi et de son ministre.

Montmorency n'est pas encore jugé et il doute si peu de sa condamnation qu'il supplie le Roi de le faire mourir le samedi 30 octobre au lieu du vendredi 29, afin d'avoir un jour de plus pour se préparer à la mort. Le 29, à cinq heures du matin, le Père Armons, son confesseur, qu'il a prié la veille de le mettre dans le chemin du ciel, le trouve fort inquiet de savoir s'il peut compter sur le délai qu'il désire. Le duc n'y tient plus, il conjure M. de Launay de renouveler ses instances auprès du Roi. Le bon M. de Launay lui demande s'il l'autorise à tâcher d'obtenir la grâce entière et, comme le Père Arnoul approuve cette hasardeuse tentative, Montmorency se range à l'avis du religieux : Dites à Monsieur le Cardinal, explique-t-il à M. de Launay, que je suis son serviteur et que, s'il veut bien fléchir le cœur du Roi à la miséricorde et l'engager à me laisser la vie, je vivrai de façon à ne lui donner jamais aucun sujet de s'en repentir. Assurez-le, en même temps, que, si le Roi et son Conseil jugent que ma mort soit plus utile à l'État que nia vie, je ne demande point que l'on fasse rien qui soit contraire au service du Roi pour prolonger mes jours[156].

Resté seul dans sa chambre avec le Jésuite, Montmorency commence une confession générale. Six heures, sept heures... la confession s'achève enfin et le pénitent s'agenouille dans la chapelle, pour entendre la messe. L'aube de ce 39 octobre 1632, qui sera peut-être son dernier matin, blanchit les fenêtres. Il communie avec la piété la plus vive, puis remonte dans sa chambre en causant avec le Père Arnoux : Mon Père, lui dit-il, qui a dans soi la Vie, ne doit plus craindre la mort : j'espère de voir bientôt face à face ce bon Dieu que je viens de recevoir présentement[157]. Mais voici M. de Launay. Il n'apporte pas la grâce, seulement le délai : le Roi consent à retarder le supplice jusqu'au 30 et son départ jusqu'au 31. Montmorency se renferme en lui-même et, durant toute la matinée, se prépare à la mort.

Dans l'après-midi, il traça pour la duchesse, qui, à demi-morte, se confinait dans la solitude du château de la Grange-des-Prés, ces lignes déchirantes qui furent portées par deux Capucins et que la pauvre femme ne put lire que beaucoup plus tard : Mon cher cœur, je vous dis le dernier adieu avec une affection toute pareille à celle qui a toujours été entre nous ; je vous conjure, pour le repos de mon âme et par Celui que j'espère voir bientôt par sa miséricorde dans le ciel, de modérer votre ressentiment. J'ai reçu tant de grâces de mon doux Sauveur, que vous avez tout sujet d'en recevoir une grande consolation. Adieu encore une fois[158].

Sachant que son bien était confisqué[159], lisons-nous dans une lettre adressée à Servien, ambassadeur extraordinaire en Savoie, M. de Montmorency fit demander permission au Roi de pouvoir disposer de trois choses, de deux salons et d'un petit cabinet, ce que Sa Majesté lui accorda. Il donna l'un des salons à Mgr le Cardinal en lui envoyant des excuses de l'incivilité qu'il avait commise, lorsqu'il le lui avait refusé, une fois que Son Éminence avait témoigné le souhaiter : l'autre, il le donna à Madame la Princesse et le cabinet à Mademoiselle de Bourbon[160]. Le don fait au cardinal comportait un tableau de Carrache, Saint Sébastien mourant, que l'infortuné donateur avait dans son hôtel de Paris et qui est aujourd'hui au Louvre.

Malgré sa résignation, Montmorency se prend parfois à soupirer. Mais son âme forte n'en reste pas moins maitresse du corps qu'elle anime. Mon Père, dit-il au Père Arnoux, cette chair voudrait bien murmurer, mais nous l'eu empêcherons avec l'aide du Bon Dieu[161]. La nuit était venue depuis longtemps ; la soirée de Montmorency finissait tard sur quelques chapitres de Gerson[162]. Il se mit au lit, la tête pleine de pieuses pensées, et dormit six heures de suite, veillé par le fidèle Lucanie.

Le lendemain 30 octobre, après l'avoir interrogé au Palais dans la matinée et fait reconduire à l'hôtel de ville, ses juges le condamnèrent les larmes aux yeux : la sentence portait qu'il aurait la tête tranchée sur la place du Salin.

De retour dans sa chambre, il enlève son bel habit de drap d'Espagne couleur de muse et le donne à l'exempt qui est debout auprès de lui ; il ne conserve que son caleçon et sa chemise. Ainsi dévêtu, il écrit à son ami le cardinal de La Valette et à la princesse de Condé, sa sœur ; il remercie M. de Launay ainsi que tous les gardes, puis il demande un bouillon et se gargarise, car la fluxion, déterminée par les plaies de son gosier, l'étouffe. Charles de Lévis, comte de Charlus, capitaine des gardes, vient d'entrer ; il a de la peine à retenir ses pleurs, lorsque, de la part du Roi, il demande à Montmorency de rendre le bâton de maréchal de France et le collier de l'ordre du Saint-Esprit : Monsieur et cher Cousin, répond le duc, je les rends volontiers à mon Roi, puisque après tant de services une seule action me rend indigne de sa grâce[163].

Il est midi : on annonce que deux commissaires du Parlement et le greffier criminel attendent le duc dans la chapelle, pour lui donner lecture de son arrêt. Juste à ce moment le Roi demande M. de Launay. Est-ce enfin la grâce ? Conduit par M. de Charlus, Montmorency descend à la chapelle. Les magistrats le virent entrer le crucifix à la main, les épaules couvertes d'une casaque de soldat. Il se mit à genoux devant l'autel et, tout le temps que dura la lecture de la cruelle sentence, les yeux du condamné restèrent fixés sur le crucifix. Il se relève, et, s'adressant aux commissaires, il leur parle avec assurance : Messieurs, je vous remercie et toute votre compagnie, à qui je vous prie de dire de ma part que je tiens cet arrêt de la justice du Roi pour un arrêt de la miséricorde de Dieu : priez Dieu qu'il me fasse la grâce de souffrir chrétiennement l'exécution de ce que l'on vient de lire[164].

Les commissaires se retirent : le dur s'agenouille de, nouveau et recommence à prier. De nouveau, voici M. de Launay : la seule grâce qu'il apporte au condamné est d'être exécuté à l'intérieur de l'hôtel de ville. Faveur dont Montmorency exprime tout haut sa reconnaissance, bien qu'il eût préféré mourir en public, pour que sa mort ressemblât davantage à celle de Jésus-Christ. M. de Charlus sort de la chapelle à son tour, tenant le bâton de maréchal et l'ordre du Saint-Esprit : il est résolu de se jeter aux pieds de son maitre et d'implorer à son tour la grâce du condamné.

A l'archevêché de Toulouse, où il était descendu, le Roi jouait aux échecs avec M. de Liancourt[165]. Il voyait des larmes dans tous les yeux : il entendait les cris du peuple, qui montaient de la rue : Grâce, grâce, miséricorde, miséricorde ! Le maréchal de Chatillon venait de lui dire que la douleur peinte sur les visages de toute la Cour l'avertissait qu'il ferait plaisir à beaucoup de personnes en pardonnant au duc de Montmorency. Le cardinal était aux écoutes. Le Roi répondit au maréchal : Je ne serais pas Roi, si j'avais les sentiments des particuliers. Et il se retourna vers son échiquier. Entre Charlus, qui tombe à genoux devant le Roi : Sire, dit-il, je viens de la part de M. de Montmorency vous apporter son collier de l'ordre et son bâton de maréchal de France, dont vous l'avez ci-devant honoré, et vous dire en même temps qu'il meurt avec un sensible déplaisir de vous avoir offensé et que, bien loin de se plaindre de la mort à laquelle il est condamné, il la trouve trop douce par rapport au crime qu'il a commis. M. de Charlus embrassait les pieds de Louis XIII : Ah ! Sire, implorait-il, que Votre Majesté fasse grâce à M. de Montmorency ; ses ancêtres ont si bien servi les Rois vos prédécesseurs ; faites-lui grâce, Sire ! Louis XIII regarda tous les assistants, qui s'étaient eux aussi jetés à genoux et joignaient leurs prières à celles de M. de Charlus. L'air chagrin, il dit : Non, il n'y a point de grâce, il faut qu'il meure. On ne doit pas être fâché de voir mourir un homme qui l'a si bien mérité. On doit seulement le plaindre de ce qu'il est tombé par sa faute dans un si grand malheur. Allez lui dire que toute la grâce que je puis lui faire, c'est que h' bourreau ne le touchera point, qu'il ne lui mettra point la corde sur les épaules et qu'il ne fera que lui couper le cou[166].

Montmorency attendait dans la chapelle, assis sur un banc, près du balustre du chœur[167] ; il s'entretenait avec le Père Arnoul. A quelques pas de lui, tous les archers du grand prévôt et l'exécuteur, à qui le grand prévôt venait de le livrer. Il était environ deux heures de l'après-midi et l'on n'avait pas encore procédé aux derniers apprêts du supplice : M. de Launay était retourné à l'archevêché demander au Roi quelques ordres particuliers. Les amis du condamné avaient encore une lueur d'espérance. M. de Launay ne tarda pas à reparaitre et cette dernière lueur s'éteignit. Lucante s'avance pour couper les cheveux et les moustaches de son maitre : ses forces l'abandonnent, il semble près de s'évanouir. Montmorency, d'ailleurs, afin de souffrir une ignominie de plus, veut que cet office lui soit rendu par le bourreau. Bien que dispensé d'avoir les mains liées, il les tend aux cordes de l'exécuteur et se laisse découvrir le col et le haut des épaules. Puis, ayant à sa droite le Père Arnoul, entre deux haies de gardes du corps, il marche par les basses-cours, vers le lieu du supplice.

Le grand prévôt et ses archers viennent de pénétrer dans la cour de l'hôtel de ville, — une étroite cour rectangulaire, où l'échafaud se dresse atteignant la hauteur du premier étage. On y monte par un escalier qui communique avec une fenêtre du rez-de-chaussée. Aux autres fenêtres, le greffier du Parlement, les capitouls en robes rouges, les officiers du corps de ville en habits de cérémonie. Bientôt apparaît, dans l'embrasure de la fenêtre sinistre, le condamné, un crucifix entre ses mains liées. Montmorency aperçoit la statue de Henri IV en ronde bosse qui décore la porte intérieure de l'hôtel de ville. Il s'arrête et, comme le Père Arnoux lui demande s'il désire quelque chose : Non, mon Père, je regardais l'effigie de ce grand monarque, qui était un très bon et très généreux prince, de qui j'avais l'honneur d'être tilleul. Allons, mon Père, voici le seul et le plus assuré chemin du paradis[168]. Mais avant de monter à l'échafaud, il se tourne vers un des Jésuites qui accompagnent le Père Arnoux et dit : Je vous supplie d'avoir soin que ma tête, après avoir reçu le coup, ne tombe point de l'échafaud à terre. Recueillez-la, s'il se peut[169].

Il monte les degrés qui conduisent à la plate-forme ; il salue les assistants, déclare qu'il meurt fidèle serviteur du Roi et baise le crucifix, que le Père Arnoux retire de ses mains. Il ne conserve qu'une médaille qu'il avait reçue du religieux et à laquelle était attachée l'indulgence de la bonne mort. Le Père Arnoux avait voulu l'attacher à son bras, de peur qu'elle ne tombât durant l'exécution Montmorency avait protesté : Donnez-la moi, s'était-il écrié, et soyez assuré qu'avec l'aide de Dieu je la tiendrai autant de temps qu'il faut pour mon salut[170].

Le condamné s'est mis à genoux et reçoit une absolution suprême. Il met la tête sur le billot. Au-dessus de lui, brille la manaja, sorte de hache suspendue. Car en ce pays-là, nous explique M. de Puységur, on se sert d'une doloire qui est entre deux morceaux de bois et, quand on a la tête posée sur le bloc, on lâche la corde et cela descend et sépare la tête du corps. Montmorency ne parvient pas à ajuster son cou, navré de plaies, sur le billot, qui est trop bas : Je ne remue pas par appréhension, dit-il, mais ma blessure me fait mal. Il a enfin trouvé une position moins pénible ; Frappez hardiment, commande-t-il. On entend : Seigneur Jésus, recevez mon âme : la doloire s'abat. La tête tombe d'un côté, le corps de l'autre ; le sang éclabousse la statue de Henri IV, inonde les planches, ruisselle sur le pavé... Puységur observe que le décapité tenait en main la médaille du Père Arnoux, laquelle il ne lâcha que quand il n'eut plus de sang et que pour lors sa main s'ouvrit[171].

Sur l'ordre du grand prévôt, on a laissé la foule envahir la cour de l'hôtel de ville, regarder le bourreau, qui montre la tête de l'ancien gouverneur du Languedoc. Des gens du peuple, des soldats se ruent sous l'échafaud, d'autres en escaladent les marches, pour tremper leurs mouchoirs ou leurs épées dans le sang du héros qu'ils adorent. Ce qui restait de Montmorency fut enveloppé dans un drap de velours noir, emporté dans un carrosse de l'évêque de Mirepoix à l'abbaye de Saint-Sernin[172]. La tête et le corps furent ensevelis dans l'église, le cœur fut donné, selon la volonté du défunt, à la maison professe des Jésuites de Toulouse.

Le Père Arnoux rendit compte au Roi des derniers moments du supplicié : Je suis marri, soupira Louis XIII, qu'il m'ait fallu en venir là et bien consolé de ce que Vous me dites de sa vertu à bien mourir ; je préjugeais bien, qu'ayant un grand courage comme il avait, il le ferait paraître en la conclusion, mourant en bon chrétien comme il a fait. Onze années plus tard, sur son lit de mort, le Roi, si l'on s'en rapporte à Le Laboureur, instruit par le père du Grand Condé, protestera que sa volonté a été surprise dans ce malheureux voyage de Toulouse, où il est allé contre son gré. Il avait eu dessein de sauver la vie au duc de Montmorency, mais il s'était laissé entraîner par une foule de prétextes qu'on lui représentait comme des raisons d'État ; il lui en était toujours resté un déplaisir cuisant, qu'il avait tenu caché. Les rois étaient bien malheureux de n'entendre parler que de sinistres rapports, de se délier de leurs plus proches parents, de leurs principaux officiers et de ceux même qu'ils affectionnent le plus et d'être obligés de régler leur conduite sur des fantômes de politique, qui ne sont bien souvent que l'intérêt d'autrui[173].

Richelieu axait démontré que le châtiment du duc de Montmorency était conforme à l'intérêt de l'État : mais il savait aussi qu'il accumulait sur sa tête de terribles haines. Les politiques et le public en jugeaient diversement. Le comte d'Olivarès disait, en apprenant l'exécution du vaincu de Castelnaudary : C'est le plus hardi coup que ministre ait jamais fait et, si le cardinal n'a point eu de passion particulière contre lui, le Roi ne le peut jamais assez récompenser d'une telle action[174].

 

Maintenant, comment sortir de la crise poussée à son point extrême, comment dominer la colère des Reines, la haine fourbe de Monsieur, l'indignation ou la peur de tous les compromis ? Richelieu se à demandait, tandis que, par Grenade et Beaumont, il s'acheminait vers Bordeaux ainsi qu'Anne d'Autriche et une partie de la Cour. Louis XIII avait pris, le 31 octobre, la route de Paris et le cardinal avait demandé au Roi la permission de gagner avec la Reine régnante, les côtes de l'océan. Il voulait lui montrer Brouage, traverser La Rochelle, revenir par Richelieu, — le château splendide qu'il aménageait alors avec le concours de son fidèle archevêque de Bordeaux et auquel ni les affaires ni les complots ne l'empêchaient rie penser. N'avait-il pas écrit à ce cher archevêque, le 10 juin 1632, deux semaines après l'exécution du maréchal de Marillac : Les peintures que je vois en tous les lieux où je vas, me font désirer que les miennes soient fort bien. Partant je vous prie de prendre garde que la chambre de dessus le portal soit peinte d'un beau dessin et assez richement ?[175] Vous n'avez dans votre esprit, écrivait en ce même temps Mathieu de Morgues, dans un des plus sanglants pamphlets qu'il ait aiguisés contre le cardinal, que Richelieu, ce bâtiment fait sur le modèle de celui de la Reine mère pour le rendre riche vous mettez la pauvreté partout[176].

Le cardinal était parti de Toulouse le novembre. On était

aux environs du 10 et les voyageurs se reposaient à Lectoure. Richelieu s'y trouvait dans la chambre de la Reine, quand Mme de Chevreuse lui posa une question à laquelle Son Éminence assurément ne s'attendait pas : Dites-trous un peu ce que M. de Montmorency a mandé au Roi par Launay. — Il a mandé plusieurs choses, répondit le cardinal ; je ne sais pas ce que vous voulez savoir. — Il lui a mandé, reprit Mme de Chevreuse, prompte à son ordinaire, que le mariage de Lorraine est fait[177]. Je le dis, afin que vous ne pensiez pas que nous ignorions ce dont vous faites secret[178]. Bien qu'elle se gardât de nommer celui qui lui avait donné cet avis, Richelieu ne douta point que ce ne fût Châteauneuf. Cette scène prouve que les fers restaient croisés. Partout, malgré les victoires et le sang répandu, l'intrigue avec, à sa tête, ce dangereux lourdaud, Monsieur !

La Cour s'était remise en route. On avait dépassé Casteljaloux et Bazas, l'on approchait de Langon. Il y avait quelque temps déjà que Soit Éminence ressentait des douleurs aiguës : depuis Lectoure (trente lieues), un rhumatisme lui était tombé sur les reins. Tout à l'heure il allait être à Cadillac, la royale demeure du duc d'Épernon, sur la rive droite de la Garonne. Déjà une galiote peinte, venue de Bordeaux, a transporté la Reine ; une autre galiote vogue avec sa suite. Richelieu passe sans encombre, mais, au débarqué, nul carrosse sur le rivage. La suite de la Reine étant trop nombreuse, les dames, qui ne trouvaient point de places dans les pesants véhicules, sont montées dans celui qui était réservé au cardinal et Richelieu gravit à pied la côte[179] qui mène au château, courte pour un homme valide, bien longue pour un rhumatisant. Le duc d'Épernon vient au-devant de lui en carrosse ; il a conduit la Reine dans la belle chambre qui lui est destinée, d'où l'on aperçoit la Caroline fuyant au loin vers Bordeaux. Et, maintenant, il accourt chercher le cardinal ; il met pied à terre. Vainement il offre à Son Éminence de s'asseoir dans la voiture. Richelieu refuse de fort méchante humeur et le gouverneur de Guyenne en est réduit à marcher à ses côtés, faisant ainsi une entrée assez peu triomphale dans l'immense cour de son beau Cadillac.

Richelieu, à peine installé, brûle de repartir : il craint que M. d'Épernon, qui n'est pas son ami, ne lui joue quelque mauvais tour. Il a pour sa défense, douze cents chevaux de l'armée du Roi et ses propres gendarmes, chevau-légers et gardes du corps, mais le duc, a logé le gros de l'escorte de l'autre côté de la rivière. Le cardinal ne peut compter que sur les gardes qui l'ont suivi à Cadillac et sur ses domestiques. Ceux-ci le suivent même de trop près, car M. d'Épernon a donne de si bons ordres, que les gens de M. le Cardinal ne sont point logés : M. de Cahusac est l'hôte du maréchal ferrant et Son Éminence est obligée de souffrir ses domestiques dans son antichambre et jusque dans sa chambre. Dans cet embarras, Richelieu se méfie des cuisiniers du survivant de la cour des Valois. Aussi avec quelle halte délogea-t-il dès le grand matin, sans avoir rien pris qu'un bouillon qui n'était pas de la cuisine de M. d'Épernon[180]. Il s'embarqua, sous prétexte que la marée ne saurait attendre, et s'en fut en galiote à Bordeaux, où il dut se mettre au lit.

Lorsque, par la marée suivante, let Reine eut quitté Cadillac, le duc d'Épernon n'oublia point le cardinal : il se rendit à Bordeaux et l'alla voir soigneusement tous les matins avec deux cents gardes, qui l'accompagnaient jusqu'à la porte de sa chambre. Là s'asseyant sur un fauteuil à côté du lit de Son Éminence, il disait : Je ne viens point pour vous incommoder, mais pour savoir l'état de votre santé de pareilles visites n'étaient pas pour guérir la fièvre du malade. Le cardinal craignait même, lisons-nous dans les Mémoires de M. de La Porte, que le duc ne se saisit de sa personne et ne le mît au Château-Trompette, ce qu'on prétend qu'il m'a fait sans la croyance qu'il avait qu'il ne réchapperait pas de cette maladie et qu'il en serait défait sans user de violence[181].

Il est probable que le cardinal ne parlait guère à ce redoutable fâcheux de sa lièvre, de son apostume, de l'abcès dont il attendait avec angoisse la suppuration. Mais il est prodigue de détails précis chaque fois qu'il s'agit de rassurer Louis XIII : Quant à ma suppression d'urine, écrit-il à Bouthillier le 13 novembre, il s'est trouvé un chirurgien, en cette ville, qui a un secret admirable, — un secret qui n'en était plus un depuis près de soixante ans — : avec de la bougie de cire cannelée, il m'a fait vider maintenant toute l'urine que j'avais dans la vessie, qui me tuait, et qui nue donne un soulagement indicible. J'espère que cela mettra le Roi hors de peine[182].

Le 17 novembre, la Reine, qui a gagné Blaye en bateau, s'achemine, depuis plusieurs jours, eu carrosse, au milieu d'une cour nombreuse, vers La Rochelle. Curieuse de savoir si M. le Cardinal est aussi mal qu'on le dit, elle vient de dépêcher à Bordeaux M. de La Porte. On introduit l'envoyé dans la chambre du malade. Il fait nuit : Richelieu est assis sur une chaise entre deux petits lits et, tandis, qu'on lui panse son apostume ; M. de La Porte, fort obligeamment, tient le bougeoir, pour que Son Éminence puisse lire les lettres de la Reine et de Mme de Chevreuse, qu'il lui présente. Le cardinal jette les yeux sur cette correspondance, puis il questionne. Il parait anxieux de la conduite de M. de Châteauneuf : le garde des Sceaux va-t-il souvent chez la Reine ? reste-t-il tard chez elle ? est-il ordinairement chez Mme de Chevreuse ? Richelieu finasse. La Porte, autant qu'il lui est possible, fait l'ignorant, puis retourne à Blaye, où il reprend ses chevaux. Il n'a pas plutôt couru deux postes, qu'il tombe sur Lange, courrier de M. de Châteauneuf. Le garde des Sceaux a envoyé Lange pour hâter le retour de l'envoyé de la Reine : Il est en grande impatience de savoir si Son Éminence mourra de cette maladie[183].

La Porte rejoint la Cour à Surgères (huit lieues de La Rochelle) et, comme il ne fait pas encore jour chez la Reine, il va droit chez le garde des Sceaux lui annoncer que le cardinal est assuré de la guérison, que le chirurgien Mingelousaux a réussi à le soulager. A mesure qu'il parle, Châteauneuf s'assombrit. Consterné, il regarde son interlocuteur avec des Feux vagues. Voyant qu'il se rend chez Mme de Chevreuse, il ne tarde pas à le suivre dans la chambre de la duchesse et tons trois vont chez la Reine, qui s'est éveillée. Là nouveau récit et nouvelle déception : Je les laissai, dit La Porte, en conseil, où je crois qu'il n'y eut rien de résolu que de faire bonne mine et de montrer sur le visage plus de joie qu'ils n'en avaient dans le cœur[184].

Que d'inquiétude cache le sourire d'Anne d'Autriche, tandis que, le 20 novembre, elle est reçue triomphalement à La Rochelle, haranguée à l'entrée de la ville, traitée de la plus grande et la plus belle princesse de l'univers[185]. Le même jour, Richelieu quittait Bordeaux, enveloppé dans un tapis de soie, sur un matelas que portaient ses gentilshommes. On l'installe furtivement dans une galiote, qui cingle vers le Bec-d'Ambez. Il sera ce soir à Bourg-sur-Gironde et demain à Blaye. Puis de dures étapes, trente lieues de cahots en carrosse, et il pourra se reposer dans sa forteresse de Brouage, près de Marennes. Il a mandé deux chirurgiens de Paris, experts et fidèles : Son Éminence ne veut pas de M. Juif, le chirurgien à la mode : elle préfère ne pas confier sa vie à la lancette d'un Tomés qui est à Monsieur. Mme de Combalet, ainsi que l'explique à Bouthillier, l'un des secrétaires du cardinal, leur fera bailler un carrosse à six chevaux pour les mener à Orléans, où ils se mettront par eau jusqu'à Saumur et là ils trouveront un autre carrosse pour les mener en Brouage[186].

Le cardinal est sous le coup de plusieurs nouvelles qui l'ont atteint à Bordeaux : son ami le maréchal de Schomberg y est mort, enlevé par l'apoplexie à cinquante-neuf ans ; et Monsieur, qui ne pardonne ni au Roi ni à son ministre l'exécution de Montmorency, est sorti du Royaume pour la quatrième fois, afin de rejoindre la Reine mère à Bruxelles. Richelieu est encore bien plus affecté du peu d'intérêt que lui a témoigné Châteauneuf, tandis qu'il gisait sur son lit, en proie aux souffrances les plus cruelles. On a donné un bal en l'honneur de la Reine, et le garde des Sceaux n'a pas craint de danser à quelques pas du logis où le cardinal paraissait tout près d'expirer, — si faible, que sa mort fut annoncée au Roi en même temps que celle de Schomberg. Mais maintenant les grandes douleurs sont passées. Richelieu se souviendra. Il songe au procédé du garde des Sceaux dans sa maladie[187] : Mme de Chevreuse lui a rapporté les propos imprudents tenus par le garde des Sceaux dans la chambre de la Reine. Décidément ce successeur de Marillac est, à son tour, suspect.

Dans la ville de Cozes, à cinq lieues au sud de Saintes, Charpentier, l'un des secrétaires de Richelieu, griffonne pour Bouthillier ce court billet : Le 26 novembre, Monsieur, Monseigneur le Cardinal m'a commandé de vous écrire qu'il désire qu'il plaise au Roi de faire un mot de lettre à Monseigneur le Cardinal de La Valette, contenant ces mots : Mon Cousin, j'ai bien voulu vous témoigner, par ces lignes, le gré que je vous sais de ce que vous avez toujours demeuré auprès de mon cousin le cardinal de Richelieu et ne l'avez point abandonné durant sa maladie ; et, parce aussi que je veux bien que tout le monde sache que ceux qui l'aiment sincèrement et sans feintise comme vous, sont ceux dont je ferai cas particulièrement[188].

Richelieu, en dictant ces lignes, tient à fortifier le dévouement de ses amis. A l'égard de ses ennemis, il se tait. Silence de mauvais augure.

A Paris quinze jours plus tard, Châteauneuf s'inquiétait. Il écrivait à Charpentier le 8 décembre : L'on nous jette deçà que voyant Monseigneur le Cardinal malade, je l'avais quitté ; dont il n'était content, et cela est venu en après aux oreilles du Roi, dont j'ai grand sujet de me plaindre[189]. Et l'imprudent, — ou trop prudent, — garde des Sceaux conjurait le secrétaire du cardinal de le justifier auprès de Son Éminence[190].

 

Le 3 janvier 1633, une animation inaccoutumée remplissait le château de Rochefort-en-Yvelines (à deux petites lieues au nord de Dourdan). Richelieu, qui se rendait de Brouage à Paris, venait d'arriver dans cette demeure féodale, élevée en plein siècle de la Renaissance par Hercule de Rohan. Le cardinal y était l'hôte du duc de Montbazon, fils du bâtisseur, et il attendait Sa Majesté, qui séjournait au château de Dourdan.

Le Roi et son ministre avaient aussi grande hâte l'un que l'autre de se rencontrer. Le 31 décembre, Louis XIII avait, écrit au cardinal : Puisque vous me mandez que vous serez à Rochefort le 3 ou le 4 du mois prochain, je veux prendre le terme le plus court et vous assure que je serai lundi devant trois heures après midi à Rochefort, où je vous attendrai avec impatience. Je ne doute point que le désir de me revoir ne vous empêche de ressentir les incommodités du mauvais temps. Assurez-vous de mon affection, qui sera toujours telle que vous la pourrez désirer[191].

L'approche du Roi est signalée. Richelieu va au-devant de lui, se jette à ses pieds. Le Roi le relève d'une main, le caresse de l'autre, le tient embrassé, lui dit qu'il reçoit autant de joie de le revoir en bonne sauté, connue ses ennemis avaient témoigné de contentement de la fausse nouvelle de sa mort[192]. Et le cardinal de répondre qu'il ne désirait vivre que pour servir Sa Majesté et qu'il priait Dieu pour que les bornes de son service fussent celles de sa vie[193]. Puis le Roi eut plusieurs entretiens particuliers avec son ministre : Sa Majesté, disent les Mémoires, lui fit beaucoup de remarques qu'elle avait faites, pendant son absence, de l'infidélité du sieur de Châteauneuf et lui fit connaître la résolution qu'elle avait prise de le chasser, dont le cardinal la détourna autant qu'il put, la suppliant de trouver bon qu'on prit temps de bien examiner ses actions[194].

Il y avait alors plus d'un mois que, par le l'ère Joseph, qui correspondait en chiffre avec Léon Bouthillier, Richelieu cherchait à indisposer Louis XIII contre celui qui avait convoité prématurément sa succession.

Le Roi ne quitte Rochefort qu'il la nuit. Le mente soir, le garde des Sceaux dit au cardinal qu'il serait heureux de voir sa nièce Mlle de Châteauneuf, une héritière fort enviable (dix mille livres et cinquante mille écus comptant), épouser un parent de Son Éminence, Charles du Cambout, marquis de Coislin, baron de Pontchâteau. Richelieu n'était pas homme à tomber dans un piège si grossier. Il tint en suspens la réponse. Le lendemain, il rejoignait à Dourdan le Roi, qui, le 11, revint au Louvre et deux ou trois jours plus tapi, ii Saint-Germain.

Si Richelieu avait pu lire dès ce temps les lettres d'amour[195] que Mme de Chevreuse échangeait avec ce barbon de Châteauneuf, il aurait vite démêlé, à travers les chiffres qui les embroussaillent, que 38 est Châteauneuf, 28 Mme de Chevreuse, 24 Marie de Médicis, 22 le cardinal et que les deux complices le tournent en ridicule. Les lettres le peignent sous les apparences d'un autant jaloux, restant des deux heures de suite chez la Reine à cause de Mme de Chevreuse et prodiguant à Marie de Médicis des compliments inimaginables et des louanges extraordinaires. Tout cela, explique Mme Chevreuse, devant 28, à qui il a parlé fort froidement et affectant une grande négligence et indifférence pour 28. Laquelle l'a traité à son accoutumé sans faire semblant de s'apercevoir de l'humeur de 22 et, sur une picoterie que lui a voulu faire 22, l'a raillé jusqu'à en venir au mépris de sa puissance. Cela l'a plus étonné que mis en colère, car il a changé alors de langage et s'est mis dans des civilités et humilités grandes. Je ne sais si ç'a été qu'en la présence de 24, il n'a pas voulu montrer sa mauvaise humeur ou bien, si ce n'est cela, de ne se vouloir pas brouiller avec 28. Demain je le dois voir à deux heures. Je vous manderai ce qui se passera. Et Mme de Chevreuse termine par ce tendre adieu, où déjà flotte je ne sais quel charme racinien : Soyez assuré que 28 ne sera plus au monde, lorsqu'elle ne sera plus à 38.

Le garde des Sceaux tenu ainsi en haleine n'est autre chose pour l'intrigante que l'ennemi du ministre et son successeur éventuel. Avec une habileté toute féminine, elle excite la jalousie de Châteauneuf contre le cardinal : Je l'ai vu ce soir, confie-t-elle à son crédule autant, et trouvé plus résolu à persécuter 28 que jamais ; jamais 28 ne l'a trouvé, comme aujourd'hui, l'esprit si inquiet et des inégalités telles en ses discours, que souvent il se désespérait de colère et en un moment s'apaisait et était dans des humilités extrêmes. Il ne peut souffrir que 28 estime 38 et ne saurait l'empêcher. Je le vous promets, mon fidèle serviteur, que j'appelle ainsi pour ce que je le crois tel. — Il jure, dit-elle encore, que 28 sera mal avec vous dans peu, que 38 n'aime point 28 et en fait des railleries. Enfin lorsqu'elle croit avoir asservi pour toujours Châteauneuf, suivant sa propre expression, elle change de style : Je vous ordonne de m'obéir, commande-t-elle, non seulement pour suivre votre inclination, si elle vous y convie, mais pour satisfaire à mon désir qui est de disposer absolument de votre volonté. Voilà le secret que je ne vous dis pas hier et que je vous promets de vous dire  aujourd'hui. Je ne veux pas vous occuper davantage pour ce soir. Il faut mieux employer le temps qu'à lire une longue lettre. Cette raison m'oblige à vous envoyer des heures et un chapelet. qui vous feront voir que, si je n'ai pas appris en ce lieu la vertu d'humilité, j'ai trouvé celle de la pauvreté, qui ne saurait être mieux représentée que par les dévotions que je vous en envoie. Le cachet est pour fermer les lettres que vous m'écrivez. Je pense que vous vous en servirez plus que du reste. Elle ne se trompait point ; elle put lire du barbon des hymnes d'amour et des serments d'obéissance : J'attends impatiemment votre commandement... Mon Dieu ! faut-il que je passe un jour de ma vie sans vous servir !... Que je me trouve lâche d'employer mes soins à autre chose !

Cette correspondance, où Mme de Chevreuse jurait qu'elle aimait mieux se résoudre à périr qu'à faire des soumissions au cardinal, dont la gloire ne lui était pas seulement insupportable, mais odieuse, Richelieu ne la connaissait pas encore, mais il la soupçonnait, il la devinait. Quand la duchesse venait le voir en sa maison de Rueil ; quand, malgré force gens qui l'interrompaient souvent, le cardinal la pressait au dernier point, pour savoir comme elle était avec le garde des Sceaux, disant que tout le monde les croyait en une intelligence extrême, elle répondait que Châteauneuf lui était indifférent.

Le Roi était averti de tout : Mon Cousin... écrivait-il de Saint-Germain, le 4 février 1633, au cardinal, je viens d'avoir avis, par une voie du tout assurée, qu'un ouvrier, venu d'Angleterre, est venu trouver la lapidaire (Mme de Chevreuse), à Jouarre. Si elle vous le dit elle-même, c'est quelque témoignage d'amendement. Si elle ne vous en parle point, au moins connaissez pour la dernière fois qu'elle vous trompe et se moque de vous et de moi. Et ce Louis XIII, si renfermé, ouvrait son cœur au cardinal : Je vous avoue, lui confiait-il, que deux choses me piquent extraordinairement et m'empêchent quelquefois de dormir : l'insolence du Parlement et les moqueries que ces personnes que vous savez font de moi, sans vous y oublier[196].

Ces personnes que vous savez, c'étaient entre autres Mme de Chevreuse et Châteauneuf. Dès ce moment, les lettres des deux écrivains commencèrent à passer[197] sous les yeux du cardinal. Son Éminence les lut avidement : Un terme injurieux dont on se servait dans cette cabale pour désigner le cardinal, fût ce qui l'offensa davantage, dit pudiquement Voltaire, qui ajoute dans une note rapide : La Reine Anne et la duchesse l'appelaient cul pourri[198]. Mais, comme le remarque Levassor, appeler ainsi un cardinal n'est pas un crime de lèse-majesté.

 

Ce qui contribua le plus à la perte de Châteauneuf, ce fut certaine dépêche de Fontenay-Mareuil, ambassadeur de France à Londres. Louis XIII et Richelieu apprirent que Weston, grand trésorier d'Angleterre, était venu trouver le diplomate pour lui dénoncer les intrigues de la Reine mère et de Monsieur, étroitement liés avec la reine d'Angleterre. I.es ennemis de Richelieu, las d'attendre la mort de Louis XIII, qu'ils croyaient cependant si prochaine, avaient mis leur dernier espoir dans la ruine du ministre, et ils avaient ourdi ces intrigues pour détruire en France Richelieu et renverser en Angleterre Weston lui-même. Ainsi un des hommes de leur cabale, le comte de Holland, devait être envoyé comme ambassadeur extraordinaire à Paris pour devenir le lien entre toutes ces femmes. Malgré l'opposition des Reines, Weston envoya comme ambassadeur à Paris son propre fils, et les avis du fils vinrent confirmer ceux du père. Louis XIII et Richelieu surent que, deux mois auparavant, la reine Henriette avait annoncé à la cour d'Angleterre la nouvelle de la mort du cardinal. Weston lui ayant fait observer que les lettres de France n'en parlaient pas et que cet accident causerait un préjudice considérable aux affaires du Roi Très Chrétien : Pourquoi dites-vous cela, avait répliqué vivement la Reine ? N'est-il pas mortel connue un autre ? Et pensez-vous qu'il soit seul capable de faire les affaires. M. le Garde des Sceaux les entend pour le moins aussi bien que lui[199].

Tout poussait Châteauneuf à sa perte, et il s'y portait de lui-même.....

Le 25 février 1633, à huit heures du soir, le garde des Sceaux voit entrer chez lui, au château de Saint-Germain, M. de La Vrillière, secrétaire d'État, qui, de la part du Roi, lui demande les Sceaux et tous les papiers qui sont là dans une cassette. Châteauneuf, atterré, livre la boîte : il est si troublé, qu'il oublie d'y joindre la clef, pendue à son cou[200]. Après la boîte, les Sceaux. Le malheureux, en reconduisant La Vrillière, le prie d'engager le Roi à lui accorder la permission de se retirer dans sa terre de Châteauneuf en Berri.

Mais que veut dire ceci ?... Dans l'antichambre se trouve M. de Cordes, capitaine des gardes, qui s'avance vers lui, l'arrête et lui annonce qu'il a reçu l'ordre de le conduire à Ruffec. En attendant, il va le laisser entre les mains de M. de Lamont, exempt de la garde écossaise : M. de Châteauneuf n'aura d'entretien avec personne que Lamont n'y soit en tiers. La Vrillière reparaît. Il vient chercher la clef de la cassette. Châteauneuf la détache de son cou, s'excuse de l'oubli. La Vrillière lui annonce que le Roi n'agrée pas sa demande.

Richelieu se souvenait que, dans certaine lettre du 4 février où le Roi lui parlait de l'insolence du Parlement et des moqueries des personnes que vous savez, Sa Majesté avait conclu ainsi : Vous savez comme je vous crois en toutes mes affaires ; croyez-moi en ces deux-ci et nous en aurons raison[201]. Et il écrivait, le 6 mars, cette lettre destinée à passer sous les yeux du Roi : Le temps fait tous les jours paraitre de plus en plus l'affaire du sieur de Châteauneuf importante et le cardinal avoue que la prévoyance et la défiance du Roi étaient avec raison préférables à la simplicité dudit cardinal[202].

On fit monter le prisonnier dans un carrosse, qui prit la route de Ruffec avec une escorte de cinquante chevau-légers. Un ordre du Roi ne tarda guère à le rejoindre pour l'éloigner encore, le confiner dans le château d'Angoulême, d'où il ne devait sortir que dix ans plus tard, — lorsque le cardinal fut hors de ce monde.

Louis XIII avait pris la peine de donner lui-même à Richelieu des nouvelles du prisonnier : Mon Cousin, écrivait-il, le 7 mars 1633, Lamont me mande qu'il a pris quelques papiers dans la toilette du sieur de Châteauneuf, écrits d'une lettre italienne, pleine de jargon  et chiffres ; qu'il sait encore que son chirurgien, nommé Le Jay, en a caché et que ledit sieur de Châteauneuf en a de cousus dans son pourpoint... Il dit que à sieur de Châteauneuf est fort mélancolique... Je vous prie d'avoir soin de vous et de prendre garde à votre personne[203].

N'insistons pas sur le sort de ceux qui avaient ponté sur la fortune du garde des Sceaux. Ménessier, son secrétaire, devint fou à la vue du commissaire qui l'interrogeait. Son ami le maréchal d'Estrées, qui commandait à Trèves l'armée du Roi, appréhendant le sort de Marillac, s'enfuit en pays ennemi : puis, rassuré, il tenta de s'expliquer ; Richelieu pardonna : il écrivit de sa main sur la minute de la lettre : Je vous assure qu'on ne s'est jamais imaginé que vous fussiez embarrassé dans les affaires de M. de Châteauneuf[204]. M. de Leuville, neveu de Châteauneuf, fut emprisonné au château de Couzières, près de Tours. Le Parlement de Bourgogne sévit contre les serviteurs de Monsieur, contre le président Le Coigneux, Montsigot, maitre des comptes, Beslandes-Tavel, conseiller au Parlement de Paris ; il condamna, par contumace les deux premiers à la peine capitale, le troisième au bannissement. M. de Laffemas, alors intendant en Champagne, fut chargé de juger, avec le présidial de Troyes, divers criminels de lèse-majesté.

Cette âme damnée du cardinal est sans pitié pour les prévenus : à l'écartèlement le vicomte d'Hôtel, le marquis de Sablonnières, les barons de Cirey, de Changy et de Tenances, MM. de Villedonnay, père et fils ; à la corde, MM. d'Elbène, oncle et neveu, le marquis de dardes, Chavagnac, Saint-Hilaire, La Varenne, La Frette ; à la décollation, quelques autres ; à la roue, M. de La Croix. Tant de victimes ne fatiguèrent point le bourreau, car elles ne l'avaient point attendu : elles étaient depuis longtemps hors du Royaume et les exécutions n'eurent lieu qu'en effigie.

Les peintures représentant la mort des condamnés furent portées jusqu'à la place choisie pour l'exécution, sur une charrette traînée par le cheval qu'avait monté le baron de Cirey à la bataille de Castelnaudary. Dans la province voisine, les favoris de Monsieur, le duc d'Elbeuf, le duc de Puylaurens, du Coudray-Montpensier et Coulas, condamnés par le Parlement de Dijon, périrent également en peinture.

François de Rochechouart, chevalier de Jars, amant de Mme de Ventelet, première femme de chambre de la reine Henriette, et correspondant de Châteauneuf, vit le bourreau de plus près. Il avait refusé de dénoncer aucun de ses amis. Reconduit en prison, après avoir été interrogé sur la sellette, il avait dit au prévôt de l'Île-de-France : Mon ami, ces pendards vont me condamner, je le vois bien à leur mine, il faut avoir patience et le cardinal enragera de voir que je me moque de lui et de ses tortures. Il fut condamné à être décapité sur la place de la Halle-aux-Blés.

Le prieur des Jacobins conféra plusieurs heures avec M. de Jars : Il ne put tirer autre chose de lui, écrivit Laffemas à Richelieu, sinon que les femmes l'avaient perdu et que ses saletés et lascivités avaient attiré la justice de Dieu sur lui et non les crimes dont on l'accusait, n'avant, pour ce regard, péché qu'en curiosité. Confessé, préparé à mourir, il fut mené à l'échafaud. Le Jacobin l'admonestait encore de dire la vérité, lorsque deux gardes fendirent la foule immense qui couvrait la place, et crièrent : Grâce ! Grâce ! M. l'Intendant vient de recevoir une dépêche du Roi[205]. Jars était sauvé. Il y avait plus de vingt-quatre heures que Laffemas était en possession de cette dépêche. Le ridicule poète tragi-pastoral, Laffemas, auteur des Amours infortunées de Phélamas et de Gaillargeste, publiées en 1605, avait organisé cette comédie sinistre conjointement avec le cardinal, dans l'espérance d'arracher au chevalier les noms de ses complices.

 

1633 : Richelieu est plus puissant que jamais. Pour consacrer sa faveur, le Roi, par lettres patentes du mois d'août 1631, avait uni à la seigneurie de Richelieu une quinzaine de baronnies, terres, seigneuries, justices, châteaux, villes, bourgs et villages il avait érigé le tout en duché-pairie. Envahissement que Mathieu de Morgues reprochait durement à Son Éminence : Vous avez converti en duché-pairie, déclamait l'impitoyable pamphlétaire, un petit fief relevant d'une baronnie voisine, après que vous avez uni tous le pays d'alentour et le lieu même qui vous rendait vassal[206]. Et dans la Charitable remontrance de Caton chrétien, dont il inonde Paris, il reproche à l'Éminentissime de porter tant de noms, qu'il ne sait même plus qui il est, étant a la fois u cardinal, premier ministre, amiral, connétable, chancelier, garde des Sceaux, surintendant des finances, grand mitre de l'artillerie, secrétaire d'État, duc et pair, gouverneur de trente places, abbé d'autant d'abbayes, capitaine de deux cents hommes d'armes et d'autant de chevau-légers, contraint de comprendre par un etc., le reste de ses titres. Il proclame les remords qui rongent le cardinal, les songes vengeurs qui, la nuit, le terrorisent. Les gens, hurle-t-il, qui ont couché dans votre chambre ont dit fort souvent que vous en avez de plus épouvantables que celui d'Apollodore, qui songea que les Furies lui avaient arraché le cœur et dansaient toutes en feu autour de la marmite clans laquelle il bouillait. Vous savez ce que l'Écriture a dit, que la conscience agitée présume et craint toujours choses cruelles : la vôtre doit être dans ces troubles, étant impossible qu'elle soit en repos, lorsque vous ravissez celui du Roi votre maitre ; de la Reine votre bonne maîtresse et bienfaitrice ; de la Reine épouse du Roi ; de Monsieur, frère unique de Sa Majesté ; des princes et grands du Royaume ; de deux maréchaux de France ; de plusieurs personnes de haute, médiocre et basse condition, que vous tenez prisonniers ; de tout le peuple de France que vous affligez par la guerre, la famine et la peste ; de toute l'Europe que vous renversez ; de l'Église de Dieu, qui pâtit dans ces mouvements et perd en beaucoup d'endroits l'exercice de la religion, que vous chassez par l'assistance que vous donnez à ses ennemis. Quand toutes ces choses ne vous 1'4teraient point la tranquillité de l'esprit, la pouvez-vous conserver, étant tourmenté par les quatre bourreaux de la vie, qui sont l'ambition, l'avarice, la vengeance, auxquelles on dit que depuis peu sous avez ajouté l'amour ?[207]

Diatribe féroce ! qui s'efforce d'attribuer à des causes plus ou moins honteuses l'état nerveux où tant de services avaient mis le cardinal. La charge écrasante des affaires, supportée en dépit d'une santé débile, avait rendu à corps exsangue et n'élue suppurant par l'excès de tension physique et intellectuelle. Le surmenage inouï de toutes les facultés, la vie sans cesse menacée, — si l'on peut appeler vie ce que nous venons de dépeindre l'autorité du Royaume et du Roi portée à bout de bras de La Rochelle à Suse, de Suse à Casal, de Casal à Privas, à Toulouse, — fardeau grandissant à chacune de ces rudes étapes, — la lutte partout et toujours, surtout, dans ces quelques pieds carrés du cabinet royal, au milieu de cette Cour plus dangereuse que les mers les plus perfides, avaient laissé l'homme pantelant entre son apothicaire et ses gardes de corps.

Cependant, Richelieu a vaincu : la paix intérieure est assurée, les protestants sont abattus, les grands tremblent, le parti dévot est paralysé, et si, maintenant, on veut reprendre l'œuvre laissée par le roi Henri et se retourner vers la maison d'Autriche, les mains sont libres. Avant d'engager la lutte, il n'y a plus à apaiser le Royaume, il suffit de l'organiser. Tâche encore difficile, certes ! mais les premiers succès sont un gage des succès futurs. La confiance du Roi est intacte. Dieu protège la France !

 

Revenons donc vers cette grande affaire du traité de Ratisbonne non ratifié et que l'amas des brouilleries intérieures a laissée en suspens (13 octobre 1630).

Le Père Joseph avait été rappelé en France et Léon dépêché à Vienne. Le cardinal faisait grand éclat de cette décision un peu brutale. Prenant pour confident l'ambassadeur vénitien, il lui écrivait qu'il n'avait plus qu'à se retirer dans un cloître ; et il mandait au maréchal de Schomberg ; Comme il est impossible de faire marcher un boiteux sans miracle, le traité est si défectueux qu'il semble qu'il ait que Dieu qui le puisse réparer[208].

Le mieux était maintenant, non plus de lier les affaires, mais, puisque les généraux avaient fait bonne besogne en Italie, de traiter à part l'affaire de Mantoue. Servien, premier président du Parlement de Bordeaux, et le maréchal de La Force avaient reçu pleins pouvoirs pour négocier la paix en Italie avec interdiction d'y mêler les affaires d'Allemagne. Rendez-vous fut pris à Cherasco avec le duc de Savoie, le nonce Pancirole, l'ingénieux Mazarin. Le commissaire impérial Gallas avait mandat de traiter et de s'engager non seulement pour l'Empire, mais aussi pour l'Espagne, preuve de la solidarité qui unissait toujours les deux familles de la puissante maison.

Or Richelieu avait le secret dessein de profiter de cet ensemble de conjonctures pour traiter séparément avec chacune d'elles et ainsi diminuer leur force et leur résistance. Pour l'Italie, sa pensée de derrière la tête était la suivante il l'a expliquée dans l'Avis que le Roi lui avait demandé sur l'état présent de toutes les affaires vers la fin du siège de La Rochelle et qu'il a pris le soin de recueillir dans ses Mémoires : Si on demandait : Que faut-il donc faire ? il dima franchement ce qui lui en sembloit. Les Espagnols vouloient avoir le Montferrat afin de se rendre maîtres de toute l'Italie et en exclure tout passage aux Français... Lui (le cardinal) voudroit faire une entreprise sûre qui lui conservât pour jamais un passage en Italie, passage dont la conquête et la conservation seroient d'autant plus faciles qu'il seroit contigu aux États du Roi... Il voudroit attaquer ou Pignerol ou le marquisat de Saluces, qu'on emporteroit indubitablement pourvu qu'on y allât avec un préparatif raisonnable, ce qui étoit aisé vu que le marquisat est contigu au Dauphiné. Cette conquête étant faite, il voudroit s'y arrêter pour cette heure. Il voudroit fortifier les places du marquisat, en sorte que toutes les forces de la terre ne l'en pussent faire démordre. Il arriveroit de là indubitablement, ou que M. de Savoie, qui était déjà ébranlé, penserait à sa conscience et s'accorderoit avec nous de peur d'être comme un pou entre deux singes. Auquel cas, étant joint aux armes du Roi, nous pourrions faire quelque autre conquête, dont il se contenteroit en échange du marquisat et lors nous serions en état de faire restituer Casal, et M. de Savoie y contribuerait lui-même puisque ce serait son intérêt. Si le duc ne le faisait pas, il perdroit indubitablement Pignerol et le marquisat de Saluces, par le moyen duquel on feroit, avec le temps, ce que raisonnablement on ne pourvoit entreprendre par autre voie[209].

Est-ce clair ? Ce que Richelieu voulait, c'était une porte en Italie. Cette porte était ou Pignerol ou le marquisat de Saluces, limitrophe de notre propre frontière. Pour cela il fallait intimider le duc de Savoie et l'amener à composition, le séparer à la fois de l'Espagne et de l'Empire pour ne pas rester exposé comme le pou entre deux singes ; en un mot, le forcer à choisir. L'Espagne, absorbée ainsi par les affaires d'Italie, ne pouvait guère se trouver en mesure de venir en aide à l'autre branche de la Maison d'Autriche dans les affaires d'Allemagne, qui étaient en somme les plus importantes de toutes pour la France. On isolait l'Empereur en glissant un caillou dans le soulier de l'Espagne en Italie. Tel était le dessein secret inclus dans la non ratification du traité de Ratisbonne.

Dans la suite des négociations qui s'ouvrent à Cherasco, nous allons voir les laits se dérouler selon le dessein du cardinal et comme s'il avait pris les négociateurs par la main.

Le 6 avril 1631, il fut décidé que le duc de Nevers serait mis en possession du duché de Mantoue et du Montferrat, tandis que les Impériaux évacueraient la Valteline et les Grisons et que les Français sortiraient du Piémont.

Paravent diplomatique destiné if masquer une négociation secrète engagée avec le duc de Savoie et qui avait abouti, dès le 31 mars, au but principal que se proposait le cardinal. Victor-Amédée cédait à la France la ville de Pignerol et la vallée de Pérouse nonobstant tout traité fait ou à faire. En retour, le Roi concluait une alliance offensive et défensive avec le Savoyard et lui garantissait la ville de Trino ainsi fille les autres seigneuries du Montferrat qu'on lui avait allouées à Ratisbonne[210].

Ainsi Richelieu gardait à la France les clefs de l'Italie eu vue de ce que l'on pourrait faire avec le temps. Le 21 septembre 1631, la garnison française sortit de Pignerol, mais de nombreux soldats restèrent cachés dans les casemates et, comme Servien était allé se plaindre à Turin de la manière fantaisiste dont les Espagnols observaient leurs engagements, comme il réclamait deux places de sûreté, le duc de Savoie avait averti le gouverneur de Milan, qu'il lui était impossible de s'opposer aux exigences d'un plénipotentiaire appuyé par une armée puissante. Obligé de choisir, il avait signé, le 19 octobre, le traité de Mirafiori : cette fois Pignerol était cédée officiellement à Louis XIII pour six mois, et davantage si c'était nécessaire. Ce nouveau traité contenait un article secret, où il était dit qu'il n'avait d'autre raison d'être que de rendre possible l'exécution de celui du 31 mars. L'entremetteur Mazarin ne se montra pas moins ingénieux dans la suite des négociations que dans les commencements : grâce à lui, le 6 juillet 1632, toujours dans le plus profond secret, Pignerol devenait à jamais française ; le Roi achetait quatre cent quatre-vingt-quatorze mille écus la ville d'Albe au duc de Mantoue et il en faisait présent à son beau-frère le duc de Savoie, — de ces petits présents qui entretiennent l'amitié et ne vont pas sans compromettre ceux qui les reçoivent. Au Mercure français, Richelieu triomphe dans ce couplet anonyme, dont l'accent révèle suffisamment l'auteur : Ainsi s'est passé tout ce grand trouble que l'ambition espagnole avait fait naître, que l'injustice avait conçu, que le fléau de la guerre, de la peste et de la famine avait terriblement fait éclater. Ainsi s'est dissipé ce grand orage qui semblait menacer toute la terre et faisait mine d'enlever à la France ses lys, à Mantoue ses forteresses, à l'Italie ses frontières, à la noblesse française sa gloire, et à toute l'Europe sa liberté. Ainsi sont venus et sortis les Allemands et les Espagnols de l'Italie avec plus de honte que de profit, ne restant, de toute cette persécution faite à un prince catholique, qu'un mémorial éternel à la postérité de cette iniquité, la plus extrême qui ait été faite depuis huit cents ans entre princes chrétiens[211]. Voilà donc l'Empereur qui se retire de l'Italie et ainsi se sépare quelque peu de l'Espagne : connue Richelieu, renseigné par le Père Joseph, l'avait prévu, il ne eut plus disperser ses forces ni dédoubler sa politique, étant rappelé de toute urgence en Allemagne.

Les affaires, en effet, s'y embrouillaient et les intérêts de la maison d'Autriche étaient menacés de toutes parts. La scission entre l'Empereur et l'Empire s'était déclarée de ce fait que Ferdinand n'avait pu obtenir des Électeurs qu'ils déclarassent la guerre aux Hollandais, bien que MM. de Hollande fussent entrés dans le duché de Clèves, en attestant, il est vrai, qu'ils étaient prêts à se retirer si les Espagnols se retiraient des territoires de l'Empire. Pour complaire à ces mêmes Électeurs, il avait congédié Waldstein et s'était ainsi grandement affaibli ; son armée ne comptait plus que quarante mille hommes, placés sous les ordres du comte de Tilly, général de cette Ligue catholique dont il avait inutilement poursuivi la rupture. Les Électeurs ne lui en avaient pas su gré : ils avaient refusé de nommer Roi des Romains son fils le roi de Hongrie. Il disait lui-même que le Père Joseph, ce pauvre Capucin, l'avait désarmé avec son chapelet et, tout étroit qu'était son capuchon, avait su y faire entrer six bonnets électoraux[212].

El, de plus, les affaires s'aggravaient dans le nord. C'est le moment de tourner les ceux vers cette partie de la scène, où fait son entrée, pour une bien courte durée, un de ces personnages extraordinaires que le nord jette parfois d'une façon bien inattendue sur le grand théâtre du monde.

 

En 1611, dans ce royaume de Suède, encore agité des crises de famille, des crises sociales et des crises religieuses, était monté sur le trône le petit-lits de Gustave Vasa, Gustave II, que l'on appelle ordinairement Gustave-Adolphe. Etant né le 9 décembre 1594, il avait dix-sept ans. Son éducation avait été grave, sérieuse, digne de l'héritage et des responsabilités qui l'attendaient. Oxenstiern, son fameux ami, confident et chancelier, écrit dans ses Mémoires : À peine sorti de l'enfance, il s'occupait de l'art militaire ; il avait adopté le système de Maurice d'Orange comme le plus propre à le former. La conversation des guerriers expérimentés et les discussions qu'il engageait avec eux, les récits des hauts faits d'armes dont ils avaient été les témoins et les acteurs, faisaient naître dans le jeune prince le désir de surpasser les héros dont on lui traçait les portraits. Il acquit aussi, dans sa jeunesse, une connaissance approfondie de plusieurs langues étrangères : il parlait le latin, l'allemand, le néerlandais, le français et l'italien aussi purement que sa langue maternelle ; il possédait aussi, mais imparfaitement, le russe et le polonais. Il avait le caractère grave et enjoué à la fois, sentimental nième comme le révèle sa passion pour la jeune Ebba Brahe. Droit, équitable, susceptible, brave, ami de la gloire, sans égal pour l'impulsion et la résolution, il réalisait à la lettre l'expression : foudre de guerre. Le peuple sur lequel il était appelé à régner n'avait connu, durant le demi-siècle qui précédait cet avènement que des déchirements shakespeariens : des guerres de frère à frère, des insurrections, des luttes intestines acharnées au sujet de la religion et de la couronne, deux rois renversés, un trône souillé de sang, la guerre déclarée avec trois puissants voisins, il y avait de quoi mûrir et flamber au feu de l'adversité et du tourment un tempérament naturellement ardent et réfléchi. Le peuple suédois était peu nombreux, divisé en des classes hostiles sous des rois faibles ou violents ; une noblesse affamée et ambitieuse se jetait en travers des réformes populaires et dominait sans gouverner ; mais ce peuple avait ces fermes qualités du nord, qu'un contemporain, le Hollandais Guillaume Husselinck, signale en ces termes : Ce royaume jouit de beaucoup d'avantages que n'ont pas d'autres pays, grâce à ses ports, ses bois, son cuivre, son fer, son acier, son goudron et la fonte des canons et des boulets. Le peuple est endurci à la fatigue et supporte également le froid et la chaleur ; il a l'intelligence facile et est rempli de bravoure ; il ne lui manque rien qu'une plus grande expérience de la nier, car il a le courage et le génie nécessaires. Connue il sait bien manier la hache, il pourra par la pratique devenir habile dans la construction des vaisseaux. Il obéit à son souverain et se livre rarement à la mutinerie et à la révolte, qui sont dans les habitudes des autres nations. Il y a peu de manufactures parce que les matières premières manquent et que la consommation est presque nulle. Les Suédois ont la conception vive ; leurs mains s'exercent à chaque métier ; ils sont charpentiers, menuisiers, forgerons, boulangers, brasseurs, tisserands, teinturiers, tailleurs, etc. A cet égard, ils l'emportent sur toutes les autres nations de l'Europe ; car, ailleurs, personne n'exercerait un métier sans l'avoir appris. Les hommes et les jeunes filles sont très laborieux ; le tissage et la couture fout leur occupation habituelle, ce qui prouve qu'elles sont raisonnables... Il y en a qui reprochent à cette nation son intempérance pour la boisson et sa gloutonnerie, son penchant à l'oisiveté et sa répugnance pour les travaux de longue haleine[213]...

N'y avait-il pas dans tout cela, — qualités et défauts, — une sorte de prédestination militaire ?... Nous n'avons pas à exposer ces querelles baltiques dont le XVIe siècle septentrional avait été ensanglanté. La dérision prise par Charles IX en 1595 d'imposer à son peuple, comme religion unique et exclusive, le luthéranisme, avait encore affirmé l'isolement de la politique suédoise parmi des peuples soit orthodoxes comme les Russes, soit catholiques comme les Polonais et une grande partie de l'Allemagne, soit calvinistes comme d'autres princes allemands et les puissances de la mer. La presqu'île, à la fois continentale et maritime, découpée et ramassée, pauvre et ambitieuse, était appelée à devenir, pour chacun des grands partis qui se divisaient l'Europe, un sujet de crainte ou d'espoir. Si elle intervenait, elle pouvait exercer soit le rôle d'un médiateur pacifique, soit le rôle d'un arbitre armé, Gustave-Adolphe, entraîné par une nécessité qui ne dépendait pas exclusivement de sa volonté et de son caractère, poussé par cette ambition de la gloire, si naturelle à un homme nourri de la Bible et de Plutarque, s'était précipité tête baissée dans les complications extérieures où s'était déjà engagé son père. Ayant réorganisé l'armée suédoise d'après les principes des maîtres de sa jeunesse, ayant créé autour de lui un conseil composé d'hommes choisis, à la tête duquel il avait placé son illustre ami, le chancelier Oxenstiern, il avait foncé sur les trois puissances voisines, le Danemark, la Russie et la Pologne, qui prétendaient emprisonner son Royaume dans la péninsule glacée. En 1613, il imposait la paix au Danemark, en 1617 à la Russie, et en 1628, après deux victoires éclatantes, remportées à Walhof et à Stuhm (Prusse orientale), il avait imposé à la Pologne une paix qui donnait à la Suède une tête de pont solide sur le continent par la cession de la Livonie et d'une partie de la Prusse polonaise. Il s'était acquis la réputation d'un capitaine invincible, d'un astre qui se levait dans le nord. Richelieu salue dans ces termes, dès 1623, son apparition : Ce roi de Suède est un nouveau soleil, qui vient de se lever, jeune mais d'unie vaste renommée. Les princes maltraités ou bannis de l'Allemagne ont, dans leur malheur, tourné leurs regards vers lui comme le marin vers l'étoile polaire.

Or, c'est justement au moment où ce soleil nouveau atteignait son apogée que se dévoilait, sous l'impulsion nouvelle de l'empereur Ferdinand, cette ambition dominatrice de la maison d'Autriche tendant à une restauration de l'empire de Charles-Quint et de l'unité romaine en Europe.

Il n'est pas douteux que le grand plan impérial, soufflé, dit-on, par les Jésuites, enveloppait la Suède d'un immense filet de revendications catholiques. Il se rattachait, en effet, aux événements de Pologne par suite de l'alliance qui existait entre le roi de Suède détrôné, Sigismond, beau-frère à la fois de l'empereur Ferdinand et du roi d'Espagne. Les trois princes étaient ligués contre la Hollande révoltée. L'Espagne, assurait-on, avait pour projet d'inaugurer ses conquêtes dans le nord par l'occupation du Sund, et l'Autriche, cuivrée de sa victoire à la Montagne-Blanche, était résolue à porter son effort jusqu'à la Baltique, comptant sur les bonnes dispositions de la Saxe et sur une sorte d'adhésion occulte de l'électeur de Brandebourg, quoique protestant. Contre ce péril imminent tous les princes protestants s'unirent et firent appel au jeune héros suédois, en même temps qu'ils tournaient les yeux vers le roi de France. Il y avait dans tout cela beaucoup de religion, mais encore plus de politique.

On voit maintenant par quel lieu, et toujours prêt à rompre, la cause française et la cause suédoise se trouvèrent unies par-dessus le vaste désordre germanique. Richelieu avait envoyé en Suède un très habile diplomate, Charnacé, avec l'ordre de suivre, les démarches de Gustave-Adolphe, dans l'esprit d'une négociation double à la Père Joseph.

Le roi de Danemark avait tenté le premier la fortune des armes. Battu, le 27 août 1626, à Lutter par les troupes catholiques de Tilly, il fut mis définitivement hors de combat par Waldstein, qui le chassa de l'Allemagne (traité de Lubeck, 6 juin 1629) et rafla pour son propre compte le duché de Mecklembourg, dont il reçut l'investiture à titre héréditaire ; il prit en même temps le titre de général de l'Océan et de la Baltique.

Ce fut alors le tour de Gustave-Adolphe.

Celui-ci avait dévoilé le jeu de l'Empire et les raisons de sa propre action, dès le mois d'octobre 1627, par une lettre où il avertissait Christian, qui, la paix faite, paraissait sur le point de renoncer à toute intervention : Il nous a été facile de deviner que la Ligue catholique a des desseins sur la Baltique ; elle cherchera à les réaliser par les moyens directs ou indirects, tantôt par la conquête de la Hollande, tantôt par celle de la Suède, tantôt par celle du Danemark. Waldstein assiégeait Stralsund, clef de la Baltique. Cette offensive servait les ambitions combinées de l'Espagne et de l'Autriche. Dès 1628, Gustave-Adolphe avait résolu de pénétrer en Allemagne et de mener la guerre jusqu'au bout. Il écrivait à Oxenstiern le 17 avril 1628 : Les choses sont point que les guerres qui se font en Europe se compliquent et sont presque devenues générales. Le prudent Oxenstiern écrivait lui-même qu'il voyait dans la résolution de Gustave-Adolphe : une destinée, une impulsion divine, une inspiration de génie[214]. Le jeune Gustave-Adolphe, — tel, plus tard, Charles XII, — était, en effet, emporté par son destin.

Le récit de l'extraordinaire aventure militaire du héros appartient à l'histoire d'Allemagne. Au cours de l'hiver le plus rigoureux, invasion de la Poméranie, de la marche de Brandebourg et de la Saxe, victoire sanglante sur Tilly à Breitenfeld. L'année suivante. par mue percée prodigieuse jusque sur le Rhin, occupation des électorats de Trèves et Mayence, et, au passage du Lech, destruction de l'armée de Tilly, blessé mortellement dans la bataille (I632). L'Empereur aux abois n'avait plus d'espérance que dans le génie militaire de ce Waldstein, si imprudemment disgracié.

Comment Richelieu, avec les projets qui étaient les siens, n'aurait-il pas suivi des yeux l'extraordinaire chevauchée de l'homme vers lequel se tournaient tous les espoirs des adversaires de la maison d'Autriche ? Gustave-Adolphe, a-t-il écrit dans ses Mémoires, était attendu en Allemagne comme un messie ; le peuple donneroit son cœur pour nourrir ses soldats ; tous les avantages et gloires de la guerre devoient lui rester. Le roi de France ne vouloit que voir son ami admiré de l'Europe et du monde entier et l'aider à devenir empereur d'Orient, si tel était le but de son ambition. Charnacé faisait la navette de Paris au camp du Suédois (1630).

Gustave-Adolphe avait tout pour réussir : un puissant génie, un peuple dévoué, une armée admirablement entrainée et qui se recrutait de ses victoires. Il ne lui manquait qu'une chose, l'argent. On le prenait par ce côté faible, et, dès 1631, la France lui faisait offrir cent vingt mille thalers par an, tant que durerait la guerre d'Italie, et quatre cent mille thalers, dés que cette guerre serait terminée.'

Ce roi guerrier en était réduit à avouer que ses troupes ne vivaient que de pillage et s'attiraient ainsi la haine des peuples, même de ces populations protestantes qui l'avaient salué, à son entrée en Allemagne, comme un Judas Macchabée. Depuis seize semaines, écrivait-il à Oxenstiern, l'armée n'a pas touché un sol. La peste sévissait et décimait civils et soldats ; la disette et les maladies faisaient plus de ravages que la guerre elle-même. Il avait bien fallu accepter les offres de la France. C'était le moment où le vainqueur de Tilly s'emparait d'Augsbourg et rétablissait la confession d'Augsbourg dans la ville qui en avait été le berceau.

Si Charnacé avait eu quelque peine à faire accepter ses premières offres de -concours pécuniaire, c'est qu'il ces offres Richelieu avait posé des conditions sur lesquelles il faut insister pour faire comprendre, une fois pour toutes, sa politique à l'égard des partis religieux en Allemagne, politique qu'une véritable légende historique a entièrement défigurée. Ces conditions étaient : maintenir la liberté des princes et des villes d'Allemagne ; contraindre les Espagnols à retirer leurs troupes de l'Empire ; réclamer la démolition des forteresses qu'on y avait élevées... Tout cela allait de soi ; mais Richelieu demandait en outre au jeune vainqueur de se montrer respectueux des droits de l'électeur de Bavière, de la Ligue et de la religion catholique en Allemagne. Or Gustave-Adolphe qui, de son côté, entendait ménager l'Espagne, cliente des marchands suédois, était décidé, en tant que prince protestant, à ne pas abandonner la cause de l'électeur palatin, et il était hostile, par-dessus tout, à ce Maximilien de Bavière, véritable chef du catholicisme dans l'Allemagne centrale. Le roi de France et le roi de Suède se trouvaient donc, pour les questions religieuses, dans deux camps différents, tout en ayant, à l'égard de la maison d'Autriche, des intérêts communs. Telle est la situation réelle ; telle est la position que Richelieu a choisie et qu'il n'abandonnera pas. Il combat la prépondérance austro-espagnole en Europe d'une façon générale, mais, en Allemagne, son système est la défense des libertés germaniques visant en cela non seulement les protestants mais les catholiques qu'il protège et qu'il défend.

Le plus faible et le plus désargenté devait céder : c'est la marche ordinaire des choses humaines. Le 13 janvier 1631, le Suédois avait fini par signer le traité de Bärwald (Brandebourg), qui lui assurait un subside d'un million de livres chaque année ; par contre, il s'engageait à entretenir une armée de trente mille hommes de pied et de trois mille chevaux, qui opérerait en Allemagne. Il consentait à respecter les droits de la Ligne et de l'Église catholique. Le cardinal ne se faisait pas beaucoup d'illusion sur la portée de cet engagement. Mais, du moins, il sauvait les apparences.

Tout le protestantisme germanique s'était jeté dans le sillon ouvert par le Suédois. Tilly, l'année qui avait précédé sa mort, avait accompli la plus atroce des vengeances par les affreuses journées du sac de Magdebourg (mai 1631). Craignant les suites d'un si cruel exemple, l'électeur de Brandebourg avait laissé son territoire à la disposition de l'armée suédoise. Bernard de' Saxe-Weimar avait rejoint Gustave-Adolphe avec un contingent de trois régiments. L'électeur de Hesse-Cassel lui avait confié la garde de ses forteresses. L'électeur de Saxe avait imploré son secours et, le 17 septembre, battu par Tilly, il avait été sauvé par Gustave-Adolphe. C'était ainsi que le Suédois, traversant l'Allemagne centrale en triomphateur, était venu s'installer sur le Rhin. Là il se trouvait campé sur le territoire des principautés ecclésiastiques et il ménageait les populations protestantes, tout en donnant large satisfaction aux besoins de rapine de ses soldats. Mais en même temps, il se trouvait à proximité des frontières françaises, sur un terrain d'influence française. On sent l'inquiétude que cette apparition de l'homme du nord protestant pouvait faire naitre dans l'esprit du cardinal aux longues vues.

Le Roi se proclamait protecteur des libertés germaniques ; il fit demander à Gustave-Adolphe d'évacuer Mayence. Le Suédois s'y refusa. Ce n'était pas qu'il prétendit interdire à la France de conquérir ses limites naturelles. Au contraire, il désirait vivement l'embarquer dans une guerre ouverte contre la maison d'Autriche, par la conquête de Bourgogne (Franche-Comté), Luxembourg, Flandres ou Alsace ; mais, vainqueur, il entendait marcher sur un pied d'égalité et s'assurer, non d'une simple médiation de la France, mais d'une alliance.

C'était le temps où le Roi et le cardinal étaient entrés en Lorraine. A la cour de France, on assurait au mois de janvier 1632, que Sa Majesté ceindrait bientôt la couronne de Roi des Romains ; on ajoutait que les Électeurs l'en avaient pressé : Hier, mandait aux États Généraux de Hollande (19 novembre 1631) l'envoyé Boetzelaer, on a emballé tous les ornements royaux, costume, sceptre, couronne et manteau, pour les expédier à Metz, sous prétexte que Sa Majesté voudra y faire sa première entrée et prendre possession de ces pays pour protester contre les prétentions et les desseins de l'Empereur et du duc de Lorraine[215].

Le 6 janvier 1632, la majorité du Conseil avait préconisé l'attaque de Haguenau et de Saverne, la saisie de l'Alsace. Si l'on en croyait quelques conseillers, il fallait, sous couleur de venir eu aide au duc de Wurtemberg et au margrave de Bade, s'emparer de Strasbourg et du pont de Kehl. Cet audacieux dessein séduisait, semble-t-il, l'imagination du cardinal. Mais le Père Joseph, grand connaisseur des choses d'Allemagne, tirait par la manche son vigoureux maître et ami. Attaquer le territoire impérial, c'était se brouiller avec l'Empire et tous les princes indistinctement, même protestants. Et quel risque de rompre avec les princes catholiques, si l'on s'unissait ostensiblement, pour cette politique aventureuse, au Judas Macchabée des protestants ! Le vrai jeu était de s'en tenir à la politique d'arbitrage et de protection des libertés germaniques en s'assurant la clientèle des petits Etats.

Après avoir exposé au Roi les quatre procédures entre lesquelles on pouvait, hésiter au sujet des affaires d'Allemagne, le cardinal s'était rallié, comme nous allons le voir, à la quatrième.

Fallait-il se joindre au roi de Suède, pour faire ouvertement la guerre à l'Empereur ? lui aurait l'avantage de ruiner la maison d'Autriche, on serait à jamais débarrassé d'un voisin puissant et incommode : mais, si le roi de Suède mourait, la France se trouverait seule contre cette puissante maison. De plus, les séditieux du Royaume pourraient se joindre aux Espagnols contre le Roi, qui encourrait la haine de tous les catholiques, dont il aurait essayé de détruire le rempart.

Fallait-il s'accommoder avec l'Empereur pour combattre le roi de Suède et les protestants ? L'avantage de conserver la religion catholique en Allemagne et peut-être en toute la chrétienté, de rabaisser la puissance d'un prince dont l'ambition et le courage étaient grandement à craindre, celui de profiter de la ruine des protestants, se trouveraient achetés beaucoup trop cher, si le roi de Suède pénétrant le dessein du Roi, s'accommodait avec l'Empereur et se tournait contre la France, qu'il obligerait à une guerre éternelle.

Qui pouvait encore essayer de faire accepter la neutralité pur les Électeurs catholiques dans les ternies où elle était proposée par le roi de Suède, laisser Gustave-Adolphe continuer la guerre en Allemagne sans s'en mêler, mais seulement tenir quelques troupes sur la frontière. pour s'en : servir en tout événement. Politique séduisante, si elle n'entraînait pas la ruine presque inévitable des princes catholiques et de la religion en Allemagne, par la facilité qu'aurait le roi de Suède de rompre la neutralité avec eux, après avoir occupé toutes les entrées du Rhin et des Grisons. Il serait alors impossible de les secourir : le Roi aurait la honte de les regarder périr après avoir promis de les défendre. Il verrait Gustave-Adolphe devenir, pour la France, un dangereux voisin. Le Suédois vainqueur ne se contenterait pas de porter les armes en Italie coutre le Saint l'ère et de détruire partout la religion catholique en passionné protestant qu'il était. L'Allemagne à ses pieds, il chercherait à nuire à la France, le seul État qu'il pût craindre : il lui nuirait par soi ou par les mauvais Français, ou par tous les deux ensemble. Et pour aboutir à ce désastreux résultat, le Roi aurait à entretenir à prix d'or sur la frontière une armée inutile.

Ce qu'il fallait, c'était, en faisant accepter par les princes catholiques, la neutralité que proposait le roi de Suède, pousser une armée en Alsace, à Brisach, aux passages du Rhin que tenaient les Électeurs. L'inconvénient de se brouiller avec la maison d'Autriche subsisterait pour le Roi, quelque prétexte qu'on prit d'occuper l'Alsace. Bien entendu, il fallait tout faire pour éviter là rupture : mais étant maitre des passages, le Roi resterait effectivement le protecteur et le maitre des princes allemands : il détournerait le roi de Suède de l'attentat italien, car si ce roi se portait plus ait sud, l'armée française pourrait en Allemagne lui couper les communications et la retraite. Et tout cela par la seule présence d'une armée postée en bon lieu et qui, loin de vivre aux dépens du Royaume, serait nourrie par l'étranger.

Louis XIII avait approuvé tut dessein qui conciliait l'intérêt du Royaume et l'intérêt de l'Église. Le marquis de Brézé, envoyé comme ambassadeur avec cinquante gentilshommes auprès du roi de Suède, en avait assuré l'exécution. C'est cette adroite politique qui avait permis à la France de parler haut, lorsque Gustave-Adolphe avait attaqué l'électeur de Bavière et battu Tilly sur le Lech. Le représentant de la France à Munich, M. de Saint-Étienne, s était acheminé au camp d'Ingoldstadt. Il avait déclaré à Gustave-Adolphe que son maitre secourrait l'Électeur. Le Suédois avait répondu qu'il ne le craignait pas. Déjà la cour de France estimait que le moment était venu d'arrêter les progrès du Goth : déjà le Cardinal avait suspendu le paiement des subsides[216].

Cependant, en Allemagne même, les choses paraissaient s'orienter autrement. La fortune de Waldstein, rappelé par l'Empereur, s'opposait à celle du roi de Suède. L'électeur de Saxe, lieutenant de Gustave-Adolphe, avait été chassé de la Bohème. Au mois de juillet 1632, le brillant guerrier, en son camp de Nuremberg, en était à la défensive contre l'armée du grand général catholique ; au mois de novembre, Waldstein allait ravager les Etats de l'électeur de Saxe. Mais, cette fois, Gustave-Adolphe, par une manœuvre supérieure, se mettait à sa poursuite le 15, l'attaquait le 16 à Lutzen et remportait une éclatante victoire. Dans le feu de l'action le prince s'élance : il tombe en avant de ses troupes sous les coups des cuirassiers de l'Empereur ; et l'armée suédoise voit soudain le cheval de son roi galoper à l'aventure, les étriers ballants, la selle vide et teinte de sang.

Richelieu, pour les raisons exposées ci-dessus, ne prit pas au tragique la mort du roi de Suède. On l'accusa — bien à tort, — de l'avoir fait assassiner. Il a exprimé lui-même son sentiment dans cette lettre adressée au Roi, le 15 décembre 1632, alors qu'il se mitait de revenir à la Cour : Si le roi de Suède eût attendu six mois à mourir, il y a apparence que les affaires de Votre Majesté en eussent été plus assurées. Mais il ajoutait bien vite : Pourvu qu'on fasse diligemment tout ce qui est nécessaire pour empêcher la désunion des princes, que cet accident pourrait délier, je ne crois pas que Votre Majesté ait beaucoup à craindre la mauvaise volonté des ennemis qu'elle a eu Allemagne. Une des choses que j'estime aussi nécessaire, au commencement du changement arrivé à la mort du roi de Suède, est d'envoyer à M. de Charnacé une lettre de change de trente mille écus payable à Francfort ou autre ville d'Allemagne, pour distribuer à des personnes considérables qui se moqueront de simples promesses, et ne prendront pas votre argent sans s'engager à vous. L'importance est d'envoyer promptement cet argent, si Votre Majesté le trouve à propos. Et, pour hâter l'envoi des fonds, le cardinal avait glissé cette flatterie, qui ne  lui semblait pas moins utile au Royaume qu'à lui-même : Je prends la hardiesse d'écrire à Votre Majesté, parce que je sais que, comme elle est le premier de son conseil en jugement, elle est aussi le plus soigneux des exécutions[217].

A peine revenu à Paris, Richelieu pressait de nouveau Louis XIII, le 1er janvier 1633, d'obtenir à prix d'argent la continuation de la guerre que les princes allemands faisaient en Allemagne à l'Empereur et les Hollandais en Flandre au roi d'Espagne[218]. Il désirait que la France ne cessât point d'observer une neutralité officielle et qu'il fût décidé que, si quelqu'un des belligérants signait une paix ou une trêve, la France y serait comprise, de manière que la maison d'Autriche ne pût rompre avec l'un des confédérés sans rompre avec tous. Le cardinal craignait, en effet, que, délivré de la guerre des princes, l'Empereur, secondé par l'Espagne, ne tournât tout son effort contre la France. S'il était impossible d'éviter une paix séparée, mieux valait une rupture ouverte avec la maison d'Autriche, une guerre immédiate, mais brève, menée hors du Royaume conjointement avec les princes allemands et les Hollandais, qu'une guerre offensive qu'on apporterait à la France jusque dans ses entrailles[219].

Richelieu savait bien que le Royaume n'était pas prêt pour une guerre à fond et qui serait nécessairement de longue durée. Au cas où des hostilités de courte durée et de moindre effort s'interposeraient, le Roi n'entendait y participer qu'à deux conditions : ses troupes occuperaient la rive gauche du Rhin et plusieurs villes de la rive droite ; la religion catholique serait maintenue dans tous les pays conquis. Il apaiserait ainsi et le cri de sa conscience et la clameur des dévots ; en plus il étendrait soli Royaume jusqu'au Rhin sans coup frapper, n'ayant qu'à recevoir des places qu'il n'avait pas conquises ; tenant les gages en main, il serait arbitre de la guerre et de la paix, qu'on ne pourrait faire sans lui, vu le dépôt dont il serait en possession[220].

Ce fut un cousin du Père Joseph, Manassès du Pas, marquis de Feuquières, gouverneur de Verdun, qui eut mission de négocier avec les princes protestants d'Allemagne, hésitant sur la ligne à suivre depuis que Gustave-Adolphe n'était plus là pour les maintenir unis. Engager l'électeur de Saxe à poursuivre la guerre contre l'Empereur et s'entendre avec Oxenstiern, chancelier de Suède, promettre à l'Électeur et au chancelier l'appui de la France : telles étaient les instructions de Feuquières. L'envoyé de Louis XIII devait dire à Oxenstiern que le Roi, pour mieux défendre ses alliés, ne refuserait pas de se charger de la garde de quelques places, Henreid, Haguenau, Schlestadt, Brisach (si Brisach était pris) et autres principaux lieux d'Alsace au-deçà du Rhin ; Trarbach sur la Moselle et Kreutznach sur le Nahe, places qu'il ne manquerait pas de rendre dès que la paix serait faite. Feuquières devait aussi offrir une pension à Bernard de Saxe-Weimar, à qui le cardinal eût voulu faire donner le commandement suprême des troupes[221].

L'envoyé français vit Oxenstiern avant l'électeur de Saxe. Son avis fut que la guerre serait mieux conduite par le sage chancelier que par l'Électeur, qui était porté aux plaisirs, au repos et au vin, plein d'envie et de haine à l'égard de toute puissance étrangère, même auxiliaire de l'Empire. Par les soins de Feuquières, un traité fut signé à Heilbronn, le 13 avril 1633, entre Oxenstiern et les cercles supérieurs d'Allemagne : Palatinat électoral, Franconie, Souabe et haut Rhin. Le chancelier, aux ternies de ce traité, devait présider un conseil nommé par les cercles ; il aurait la direction de la guerre, cette guerre sainte qui allait défendre les libertés germaniques, conserver la religion et rétablir la paix ! Les Suédois voulaient bien se contenter d'une satisfaction qui leur serait accordée lors du règlement général et dont leurs conquêtes présentes, qu'ils étaient autorisés à garder provisoirement, seraient le gage.

Richelieu, négociant partout à la fois, cherchait à atteindre les buts, parfois opposés, de sa savante politique. Tandis que Feuquières, en Suède, traitait avec les Suédois, Saint-Étienne essayait d'entraîner le duc de Bavière dans l'alliance des électeurs de Saxe et de Brandebourg, et, Charnacé, à La Haye, s'efforçait d'empêcher la trêve qui se négociait entre les hollandais et les Espagnols. Le cardinal l'avait même chargé de sonder les intentions des Hollandais, pour le cas où le Roi consentirait à rompre ouvertement a% cc les Espagnols. Négociation fort secrète, qui se faisait entre le prince d'Orange et un ou deux commissaires, confidents de MM. des Etats, cette affaire ne pouvant se divulguer sans se ruiner. Richelieu avait même remis à Charnacé un projet de partage des futures conquêtes : la France recevrait le Hainaut, l'Artois, le Tournaisis, Lille, Douai et Orchies, la Flandre gallicane, qui consiste en Gravelines, Dunkerque, Ostende, Nieuport et le Namurois, une partie du Luxembourg. Les États acquerraient le Brabant, Malines, Limbourg, la Frise, la Gueldre, une partie de la Flandre impériale, qui contient depuis la rivière de l'Escaut jusques en Hollande[222] ; on leur attribuerait aussi quelques villes du Luxembourg et du Namurois.

Les États de Hollande, qui s'enrichissaient à piller l'immense proie espagnole, prêtaient une oreille attentive au langage du tentateur : ils consentaient que toutes les places qui seraient prises en Flandre, demeureraient au Roi ; ils offraient d'en commencer la conquête tout de suite ; ils n'y demandaient rien pour eux. Le cardinal savait, de plus, que des seigneurs du pays étaient prêts à livrer au Roi Bouchain, le Quesnoy, Avesnes, Landrecies, quatre places bonnes et importantes, conjointes sur les frontières de l'Artois. Ces personnes considérables parlaient, — le mot est de Richelieu, — de susciter une grande révolte contre l'Espagne et déclaraient que, si on perdait l'occasion présente, on ne la retrouverait plus, parce que telles occasions étaient chauves et que ceux qui se voulaient rendre au Roi ne voulaient pas être en une perpétuelle attente capable de les perdre[223].

Il est certain que le feu Roi n'eût pas perdu cette occasion, disait Richelieu à Louis XIII en ces premiers jours de l'année 1633. Mais le cardinal avait toujours cette préférence sourde pour une paix infiniment moins onéreuse et qui pouvait apporter les mêmes avantages : Il faut regarder au temps où l'on se trouve, ajoutait-il avec une éloquence vive et précise. Peut-on seulement songer à un tel dessein, quand le Roi est sans enfants et que Monsieur, héritier présomptif, attend sa mort en Flandre auprès de la Reine mère ; quand le Royaume ne peut secouer cette pensée qui l'obsède : le Roi se porte bien, mais s'il venait à être malade ? Le cardinal dépeint à Louis XIII la guerre s'éternisant avec ses inquiétudes et ses travaux infinis, la lutte aux frontières forçant le Roi à s'absenter de Paris, l'épuisement des finances, la colère des cagots, furieux d'une guerre déclarée au Roi Catholique. Et, tandis que le Roi est occupé à mouvoir trois armées sur trois théâtres différents. en Picardie, en Champagne, en Italie, que faut-il attendre de MM. de Savoie et de Lorraine ? Ils s'apprêtent à trahir.

En France, à cette heure, il y a peu de chefs propres à la guerre. Les Français sont impatients de guerre, mais également de repos. Que le Roi considère le dégoût de ceux qu'on emploierait et la jalousie de ceux qui seraient délaissés : les uns et les autres capables de succomber aux offres de Monsieur. Le ministre n'oublie pas que les gouverneurs des provinces et des villes sont peu sûrs ; il connaît leur avarice, leur légèreté, leur désir de vengeance, — car tous ils ont senti le poids de sa main de fer. Le cardinal ne l'ignore pas non plus, comme tous les subordonnés, ces gouverneurs ne pensent qu'à s'assurer les chances de l'avenir, ils auront toujours les yeux tournés vers l'héritier de la Couronne. A la moindre défaite, au moindre accident, quelle clameur contre les auteurs de la guerre ! Si alors, par malheur, le Roi est malade, toute la France reprochera au ministre d'avoir causé l'infortune du Royaume et la maladie du Roi. Encore une fois, Richelieu sait que la France n'est pas prête et que ni la discipline intérieure, ni l'armée, ni l'argent ne lui permettent de risquer la partie définitive. Il conclut après avoir balancé : Le meilleur est que le Roi n'entre point en rupture, quelque avantage spécieux qu'on puisse proposer ; mais il ne faut pas aussi qu'il perde l'occasion de faire continuer la guerre contre les Espagnols, parce qu'autrement il les aurait sur les bras et tomberait en d'aussi grands inconvénients pour se défendre d'eux, qu'il ferait en les attaquant maintenant.

Il fallait à Richelieu une force d'eue singulière pour donner ce conseil de patience et de modération après les grands succès qu'il venait de remporter, alors qu'il avait mis à l'épreuve la confiance et le courage du Roi. Peut-être la France ne retrouvera-t-elle jamais une occasion plus propice pour s'assurer les frontières que l'histoire, la géographie et une tradition séculaire lui assignent. Mais, il a précisément cette qualité que, quelques jours auparavant, il attribuait au Roi, de ne pas concevoir seulement les desseins, nais de soigner les exécutions.

Il ne renonce pas au projet, il l'ajourne. Voyant qu'il peut facilement contenir en Allemagne l'élément protestant, il se trouve satisfait de s'être assuré son indispensable concours. Il laisse ouverte la question allemande ; il se retourne vers l'intérieur et travaille à grouper dans la main du Roi les forces et les ressources nécessaires pour la grande et nécessaire entreprise.

 

FIN DU TOME TROISIÈME

 

 

 



[1] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 921, note. — Mémoires de Gaston, Duc d'Orléans, p. 580.

[2] Mémoires du Comte de Brienne, p. 53.

[3] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 331 (23 octobre 1631).

[4] Mémoires du Comte de Brienne, p. 54.

[5] Batiffol, La Journée des Dupes, p. 77-79.

[6] Marillac à Richelieu, 2 mars 1630 (Affaires étrangères, France) 795 bis, f° 92.

[7] Traduction publiée en 1621, souvent réimprimée (livre III, ch. XIX).

[8] Mémoires du Sieur de Pontis, t. II. p. 41 et 48.

[9] Mémoires du Sieur de Pontis, t. II. p. 54.

[10] Mémoires de M. de Puységur, t. I, p. 99.

[11] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 22.

[12] Mémoires de M. de Puységur, t. II, p. 102-104.

[13] P. de Vaissières, L'Affaire du Maréchal de Marillac, p. 83.

[14] Aubery, Histoire du Cardinal-Duc de Richelieu, t. I, p. 144.

[15] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 61.

[16] Journal de M. le Cardinal-Dur de Richelieu, p. 2.

[17] Bullion à Richelieu, 18 novembre 1630, Affaires étrangères. France 792 bis, f° 394 et suivants.

[18] Bullion à Richelieu, 22 novembre 1630, Affaires étrangères, f° 401.

[19] Bullion à Richelieu, 23 novembre 1630, Affaires étrangères, f° 405.

[20] Bullion à Richelieu, 23 novembre 1630, Affaires étrangères, f° 411.

[21] La Barde à Bouthillier (Saint-Germain, 6 décembre 1630), Affaires étrangères, France, 795 bis, f° 416.

[22] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis-XIII, t. II, p. 81.

[23] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 43.

[24] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 37-38.

[25] Archives de M. Gabriel Hanotaux.

[26] Journal du cardinal-Duc de Richelieu, t. VII. — Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 67.

[27] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV. p 48-49 et note.

[28] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 7.

[29] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 7-8.

[30] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 9.

[31] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 24.

[32] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu. p. 24.

[33] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 34-35.

[34] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV.

[35] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 15.

[36] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 37.

[37] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 113.

[38] Mathieu de Morgues, La Vérité défendue, p. 43.

[39] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 75-76.

[40] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 114.

[41] Mémoires de Fontenay-Mareuil, p. 231.

[42] Mémoires du maréchal de Bassompierre.

[43] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 76-77.

[44] Mémoires du Maréchal de Bassompierre, t. IV, p. 129.

[45] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 76.

[46] Mémoires de Mme de Motteville, tome I, p. 47.

[47] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 451-464.

[48] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 100.

[49] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 230-231.

[50] Pierre de Vaissières, L'affaire du Maréchal de Marillac, p. 85-88.

[51] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 23.

[52] Avenel, Lettre du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 112.

[53] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot. t. VI, p. 472.

[54] Voir Mercure français, t. XVII, p. 172.

[55] Voir Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 34 et suivantes.

[56] B. N. Fr. 23. 400, f° 371.

[57] B. N. Fr. 23. 400, f° 46.

[58] B. N. Fr. 23. 400, f° 58.

[59] B. N. Fr. 23. 400, f° 58.

[60] Le maréchal d'Estrées au Roi, 15 mars 1631 (B. N., Fr. 23.310, f° 89).

[61] P. de Vaissières, L'Affaire du Maréchal de Marillac, p. 98.

[62] Louis XIII à Marie de Médicis, 1er avril 1631 (B. N., Fr. 23.310, f° 128).

[63] Marie de Médicis à Louis VIII, 11 avril 1631 (B. N. Fr., f° 23.310, f° 130).

[64] Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 45-46.

[65] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 152.

[66] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 91.

[67] Information faite par M. de Nesmond, maitre des Requêtes sur la sortie du Royaume de la Reine, mère du Roi.

[68] Archives générales du Royaume de Belgique, Carton 2.052 du fonds des Papiers d'État et de l'Audience. Voir Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 62.

[69] Information faite par M. de Nesmond, maitre des Requêtes, publiée par Aubery, Histoire du Cardinal-Duc de Richelieu, t. II, p. 370-371.

[70] René du Bec, fils aîné de René du Bec, marquis de Vardes et d'Hélène d'O. Richelieu l'appelle toujours le jeune Vardes.

[71] Information faite par M. de Nesmond, maitre des requêtes sur la sortie de la Reine, mère du Roi, de Compiègne et du Royaume, publiée par Aubery, Histoire du Cardinal-Duc de Richelieu, t. II, p. 374.

[72] Archives générales du Royaume de Belgique (carton n° 2052, Papiers d'Etat et de l'Audience).

[73] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 182.

[74] Richelieu au marquis de Brézé, 21 juillet 1631 (Archives de M. Gabriel Hanotaux). Richelieu envoya la même lettre à son oncle le commandeur de La Porte : c'était une circulaire de famille. (Avenel, Lettres du cardinal de Richelieu, t. IV, p. 182-183).

[75] Testament politique.

[76] Mercure français, t. XVII, p. 343-345.

[77] Lui a fait dire mensongèrement que le gouverneur de La Capelle lui offrait la place, etc.

[78] Lettre du baron de Crèvecœur, gouverneur d'Avesnes, à l'audiencier Verreyken, 24 juillet 1631. (Archives générales du Royaume de Belgique, Carton n° 2.052, Papier s d'État et de l'Audience.) Voir Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 67.

[79] Henrard, Marie de Médicis dans les Pays-Bas, p. 70-71.

[80] P. de Vaissières, L'Affaire du Maréchal de Marillac, p 117-118.

[81] Hay du Chastelet, Apologie pour Malefas. — Voir G. Mongrédien, Isaac de Laffemas.

[82] P. de Vaissières, L'Affaire du Maréchal de Marillac, p. 139.

[83] Journal de M. le Cardinal-Duc de Richelieu, p. 215.

[84] P. de Vaissières, L'Affaire du Maréchal de Marillac, p. 158-159.

[85] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 267-268.

[86] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 269-270.

[87] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 271.

[88] P. de Vaissières, L'Affaire de Maréchal de Marillac, p. 171-204.

[89] P. de Vaissières, L'Affaire du Maréchal de Marillac, p. 195-196.

[90] Voir Relation véritable de ce qui s'est passé au procès du Maréchal de Marillac, p. 12 et la lettre de Jacob à Holden, citée par P. de Vaissières, L'Affaire du Maréchal de Marillac, p. 215-216.

[91] Relation de M. de Mongey, publiée par P. de Vaissières, L'Affaire du Maréchal de Marillac, p. 216-217.

[92] Relation de M. de Mongey.

[93] Relation véritable, p. 14-15.

[94] Relation véritable, p. 15.

[95] Relation véritable, p. 17.

[96] Relation véritable, p. 31.

[97] Relation véritable, p. 50.

[98] Relation véritable, p. 50.

[99] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 9.

[100] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 308-309 et les notes.

[101] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 271.

[102] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 311-312.

[103] Mémoires du Duc de La Force, t. III, p. 33.

[104] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 117.

[105] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 124.

[106] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 323.

[107] Histoire de Henry, dernier duc de Montmorency (par Simon du Cros, poète et historien, qui servit sous le Duc à la bataille de Castelnaudary).

[108] Paul-Albert Aliès, Une Ville d'États, Pézenas. Mme Belleau, La Grange-des-Prés.

[109] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 372.

[110] Dom Vaissette, Histoire du Languedoc, preuves, livre XII.

[111] Histoire de Henry, dernier duc de Montmorency, p. 361-366.

[112] Voir Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 265.

[113] P. Gachon, Les États de Languedoc et l'Édit de Béziers, p. 223-249.

[114] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 272.

[115] Mercure français, t. XVIII, p. 553.

[116] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 335, note.

[117] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p.294.

[118] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 353.

[119] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 357-359.

[120] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 231.

[121] Mémoires du Comte de Brienne, p. 60-61.

[122] M. Reynès-Monlaur, La Duchesse de Montmorency, p. 181.

[123] Dom Vaissette, Histoire du Languedoc.

[124] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 360.

[125] Dom Vaissette, Histoire du Languedoc.

[126] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 368.

[127] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 380.

[128] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, pp. 370-371. — Quinze jours ne s'étaient pas écoulés, que M. de Nesmond, envoyé de Monsieur le Prince, venait entretenir Richelieu de la succession de Montmorency : M. le Cardinal, écrivait-il de Montpellier le 30 septembre 1632, m'a dit que, si M. de Montmorency mourait, le Roi vous remettrait votre tiers de ce qui lui appartient par confiscation et les autres à MM. d'Angoulême et de Ventadour (beaux-frères, eux aussi, du rebelle). Je lui ai répondu sur tout cela tout ce que j'ai cru être de vos intentions et avons eu force discours sur ce sujet, le tout pourtant dans les termes des intentions de Votre Altesse de ma part. (Voir Duc d'Aumale, Histoire des Princes de Condé, t. III, p. 541).

[129] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 432.

[130] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 440.

[131] André Duchesne, Les Antiquités et recherches des Villes, Châteaux et Places, p. 732.

[132] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 441.

[133] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 375.

[134] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 198.

[135] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 202.

[136] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 242.

[137] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 206.

[138] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 206-209.

[139] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 210.

[140] Mémoires de Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 213-214.

[141] Mémoires de Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 216.

[142] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p 216.

[143] Mercure français, t. XVIII, p. 800-803. — Dom Vaissette, Histoire du Languedoc.

[144] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 392-393.

[145] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 447.

[146] Désormeaux, Histoire de la Maison de Montmorency, t. III, p. 424-425.

[147] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 394-395.

[148] Mémoires de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 257.

[149] Désormeaux, Histoire de la Maison de Montmorency, t. III, p. 417.

[150] Levassor, Histoire de Louis XIII, t. IV, p. 193.

[151] Procès criminel de Messire Henry, Duc de Montmorency, p. 100.

[152] Levassor, Histoire de Louis XIII, t. IV, p. 196.

[153] Procès criminel, p. 112.

[154] Procès criminel, p. 112.

[155] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 472.

[156] Désormeaux, Histoire de la Maison de Montmorency, t. III, p. 427.

[157] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 469-470.

[158] Relation véritable de ce qui s'est passé au procès de Messire Henry, Duc de Montmorency, p. 139.

[159] Louis XIII le fit remettre à la sœur et aux demi-sœurs du condamné, la princesse de Condé, les duchesses d'Angoulême et de Ventadour ; mais il garda Chantilly, le joyau de la succession. Pendant la minorité de Louis XIV, en octobre 1643, la Régente Anne d'Autriche donna Chantilly au duc d'Enghien, alors dans tout l'éclat de ses premières victoires. (Voir Boislisle, Trois Princes de Condé à Chantilly).

[160] Servien à son frère l'ambassadeur, le 9 novembre 1632. (Archives de la Guerre, vol. 20, pièce 77.)

[161] Vicomte de Noailles, La Mère du Grand Condé, p. 213 et 478.

[162] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 488.

[163] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 488.

[164] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 357.

[165] Roger du Plessis-Liancourt, gendre du maréchal de Schomberg.

[166] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p 359.

[167] Histoire de Henry, dernier Duc de Montmorency, p. 496.

[168] Histoire de Henry, dernier duc de Montmorency, p. 500.

[169] Histoire de Henry, dernier duc de Montmorency, p. 492.

[170] Histoire de Henry, dernier duc de Montmorency, p. 492.

[171] Mémoires de M. de Puységur, t. I, p. 137-138.

[172] La duchesse de Montmorency fit plus tard (après la mort de Richelieu) transférer le corps de son époux dans l'église des Visitandines de Moulins, où elle lui avait élevé un mausolée.

[173] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 362.

[174] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 223.

[175] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 304.

[176] Mathieu de Morgues, Remontrance de Caton chrétien, p. 4.

[177] Rappelons que Monsieur avait épousé secrètement Marguerite de Lorraine, le 3 janvier 1632.

[178] Mémoire écrit de la main de Richelieu. — Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 431.

[179] Voir Marquis de Dampierre, Le Duc d'Épernon, p. 197 et Le Duc et le Roi, le livre si dramatique et si coloré de M. Léo Mouton, p. 187 et suivantes.

[180] Mémoires de M. de La Porte, p. 72.

[181] Mémoires de M. de La Porte, p. 73.

[182] Avenel, Lettres dit Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 402.

[183] Mémoires de M. de La Porte, p. 74-77.

[184] Mémoires de M. de La Porte, p. 77-78.

[185] Mercure français, t. XVIII, p. 884.

[186] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 403, note.

[187] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 436-437.

[188] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 410-411.

[189] Archives des Affaires Étrangères, France 803, 7° 288.

[190] Comte de Beauchamp, Louis XIII, p. 103.

[191] Comte de Beauchamp, Louis XIII, p. 103.

[192] Mercure français, t. XVIII, p. 897.

[193] Mercure français, t. XVIII, p. 897.

[194] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 325.

[195] Dont la copie ancienne qui a été communiquée à M. Batiffol, est conservée dans les archives de M. G. Hanotaux.

[196] Comte de Beauchamp, Louis XIII, p. 168. — Il est à observer qu'en ce moment même, Châteauneuf écrivait pour le Roi un mémoire très étudié sur les droits du Parlement, destiné à satisfaire le sentiment du Roi et dont il sera fait usage par la suite dans le chapitre consacré à la politique intérieure de Richelieu. 2 vol. manuscrits in-4°, conservés dans les archives de M. G. Hanotaux.

[197] Levassor, Histoire de Louis XIII, t. IV, l. XXXIII, p. 221.

[198] Voltaire, Essai sur les Mœurs, t. III, p. 20.

[199] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 394.

[200] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 390.

[201] Comte de Beauchamp, Louis XIII, p. 108.

[202] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. p. 441.

[203] Comte de Beauchamp, Louis XIII, p. 110.

[204] Catalogue Charavay, 1873.

[205] Voir les curieux articles de M. Georges de Mongrèdien, Isaac de Laffemas. — Revue des Questions historiques (1er janvier et 1er avril 1928).

[206] Mathieu de Morgues, Remontrance de Caton chrétien, p. 4.

[207] Mathieu de Morgues, Remontrance de Caton chrétien, p. 3, 4, 75.

[208] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 4.

[209] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. VIII, p. 117-120.

[210] Voir Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 162-164.

[211] Mercure français, t. XVII, p. 63.

[212] G. Fagniez, Le Père Joseph et Richelieu, t. I, p.552.

[213] Cité dans E. G. Geyer, Histoire de Suède, ch. XV.

[214] Histoire de Suède, par E. G. Geyer, chap. XVII.

[215] G. Fagniez, Le Père Joseph et Richelieu, t. I, p. 585-586, note. — La politique du Père Joseph, suivie finalement par Richelieu et qui consistait surtout à ne pas abandonner, la protection de la Ligue et à sauvegarder les droits des catholiques en exigeant du roi de Suède une déclaration de neutralité, est exposée dans le Supplément de Lepré-Balain sous la date de janvier 1632.

[216] Voir l'altercation du roi de Suède avec M. de Saint-Etienne. Père Griffet, t. III, p.374.

[217] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 415-416.

[218] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 271.

[219] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 272.

[220] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. IV, p. 274.

[221] Voir les Instructions données à Feuquières avec toute la suite de la négociation et les sages vues d'Oxenstiern, dans Lettres et Négociations du Marquis de Feuquières, 3 vol. in-12°, Paris, 1753.

[222] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 424-425.

[223] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. VII, p. 354.