HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

LA JOURNÉE DES DUPES

CHAPITRE PREMIER. — LE PAS DE SUSE.

 

 

Le 3 janvier 1629, Louis XIII descendait de carrosse à la porte de la maison que M. de Castille, beau-frère de l'infortuné Chalais, possédait à Chaillot. Cette maison de campagne, bâtie par Catherine de Médicis, couronnait la colline au pied de laquelle la Seine s'incurve avec tant de mollesse. En amont sur la rive droite, les hôtes de l'ancien contrôleur des finances distinguaient, quand la journée était claire, les Tuileries, la porte Neuve, et par delà les galeries du Louvre parées de toutes les grâces de la Renaissance, les tours pondues couvertes de tuiles qui, du côté de l'ouest, du nord et de l'est, conservaient au vieux palais de nos Rois son air morose de château féodal. Richelieu se reposait[1] alors dans ce délicieux logis, dont les terrasses étagées, — remplacées de nos jours par les jardins du Trocadéro, — descendaient jusqu'au bord de la rivière. Bassompierre était à cette heure avec lui.

Le cardinal se reprochait d'avoir offert à Monsieur le commandement de l'année qui se préparait à délivrer Casal. Mais comment faire ? Monsieur voulait épouser Marie de Gonzague, fille du duc de Nevers, depuis peu duc de Mantoue. La Reine mère eût préféré pour Gaston une des deux Médicis, filles du grand-duc de Florence. Or l'aînée, fiancée au duc de Parme, était seule jolie, et Gaston ne voulait pas entendre parler de l'autre. La Reine mère ressassait en son esprit un mot du duc de Nevers : ce prince, dont elle avait parlé avec beaucoup de mépris, avait dit qu'il savait le respect qu'il devait à la mère de son Roi, mais que, hors de lui, personne n'ignorait que ceux de Gonzague étaient princes avant que les Médicis fussent gentilshommes. Richelieu, pour des raisons politiques, était opposé au mariage Nevers. Louis XIII, ainsi conseillé, avait prié son frère de renoncer à sa princesse. Gaston avait répondu que, si on lui donnait le commandement de l'armée d'Italie et cinquante mille écus pour son équipage, c'était une affaire faite et que même Marie de Gonzague quitterait la France, quinze jours après son propre départ. Le Roi avait accepté le marché ; mais le cardinal, qui connaissait Monsieur, était d'avis maintenant que le commandement présentait plus d'inconvénients que les épousailles.

C'est pour en délibérer qu'avait lieu la rencontre de Chaillot. Probablement suggérée, une pensée obsédait l'esprit de Louis XIII : son frère n'allait-il pas conquérir à la tête de Farinée une gloire qui ravalerait la sienne ? La jalousie l'a empêché de dormir et il accourt. Le cardinal écoute avec respect les doléances de Louis XIII, mais, observateur aux regards duquel rien n'échappe, il songe à part soi : Cette grande jalousie du Roi n'a-t-elle pas été émue par cette chasse où les chiens de Monsieur donnèrent mieux que les siens et parurent si excellents qu'après que la meute de Sa Majesté eut un jour failli un cerf dans la forêt de Saint-Germain, les autres y en prirent un le lendemain nonobstant tout l'art qu'on pût y apporter pour le faire faillir, ce qui se pratique d'ordinaire entre chasseurs. Or, voici que ce Roi, incertain en tant de choses, parle en maitre : il ne saurait souffrir que Monsieur commandât son armée delà les monts ; il entend que le cardinal fasse en sorte que cet emploi se rompe. Richelieu répond froidement qu'il ne sait pour le Roi qu'un seul moyen de le rompre, prendre le commandement lui-même et partir dans huit jours au plus tard.

Se retournant vers Bassompierre, qui s'était retiré discrètement au bout de la chambre, le Roi s'écrie : Voici qui viendra avec moi et m'y servira bienOù ? demande le maréchal — En Italie, où je m'en vas dans huit jours, reprend le Roi, faire lever le siège de Casal. Apprêtez-vous pour partir et m'y servir de lieutenant général sous mon frère (s'il y veut venir) : je prendrai avec moi le maréchal de Créqui, qui tonnait ce pays-là et j'espère que nous ferons parler de nous[2].

La résolution prise, Louis XIII rentre au Louvre pour en faire part aux deux Reines et à Monsieur. Le cardinal ne se sent pas de joie. La délivrance de Casal était devenue sa grande airain, depuis la prise de La Rochelle, il ne pensait plus à autre chose.

Le dernier duc de Mantoue, Vincent de Gonzague, mort eu décembre 1627, avait choisi comme successeur le cousin établi en France, Charles de Gonzague, due de Nevers de père de la jeune fille qu'aimait le line d'Orléans). Le Gonzague français avait donc pris possession du bel héritage italien, et, comme le Mantouan et le Montferrat étaient des fiefs de l'Empire, il avait envoyé l'évêque de Mantoue prêter eu sou nom hommage à l'Empereur. L'Empereur n'était pas contraire : ce Nevers qui n'avait pas craint d'aller eu Hongrie se battre contre les Turcs et recevoir des blessures au service de Sa Majesté Très Sacrée, lui était sympathique : homme bizarre, il est vrai ; mais on pourrait exploiter sa marotte de la guerre coutre les Turcs. Cependant d'autres princes prétendaient à l'héritage. la duchesse douairière de Lorraine, Marguerite de Gonzague, sœur alitée des trois derniers ducs de Mantoue, François II, Ferdinand et Vincent

Un cousin de ceux-ci Fernand de Gonzague, duc de Guastalla ; enfin le duc de Savoie, Charles-Emmanuel. Le Savoyard assurait que le Montferrat, comme fief féminin, devait revenir à sa petite-fille Marguerite, dont le père était le duc de Mantoue François, frère aîné du duc Vincent.

Dès le mois de janvier 1683, Charles-Emmanuel, toujours prompt à changer de roupille, s'était tourné vers l'Espagne et lui avait proposé de lier leurs intérêts par le partage du Montferrat. Alléché, Philippe IV s'adresse à l'Empereur et lui fait observer que si Philippe III a renoncé à ses prétentions sur la Bohême, la Hongrie et l'Autriche, c'est à condition d'obtenir, le cas échéant, tous les fiefs de l'Empire en Italie. Richelieu sentait bien que l'union de la Savoie et de l'Espagne n'était pas peu de chose et il avait conseillé au duc de Nevers de se dégager du côté du duc de Savoie moyennant douze mille livres de rente en terres souveraines. Il avait même fait luire aux yeux de Charles-Emmanuel la couronne royale, sans parler de quelques avantages territoriaux dans la région contestée. En un mot, il n'avait rien épargné pour empêcher cette redoutable combinaison. Peine perdue. A la fin de l'hiver 1628, Albe et Turin avaient été prises par le duc de Savoie, Moncalvo par le prince de Piémont, fils du duc de Savoie, et Casal enfin, que défendaient quatre mille soldats du nouveau duc de Mantoue et quelques gentilshommes français, se trouvait assiégée par le gouverneur espagnol du Milanais, Gonzalès de Cordova[3]. Le comte de Guiche avait capitulé dans Nice-de-la-Paille et les troupes que Richelieu avait autorisé Charles de Gonzague à lever en France, s'étaient, faute de munitions dispensées à leur entrée en Italie.

Tous ces événements s'étaient déroulés tandis que les armées françaises étaient retenues devant La Rochelle. Mais maintenant on avait les mains libres. La défense de Casal, disent les Mémoires, non seulement reprenait courage, mais ne sentait plus rien de tous ses maux, trouvant abondamment en cette seule nouvelle tout ce dont elle avait besoin[4]. Le cardinal ne craignait plus que, par la ville protestante, comme par l'ouverture funeste d'un autre cheval de Troie, on pût faire entrer dans le Royaume des armées ennemies, pour y mettre le feu et y entretenir un long embrasement ; il ne faisait point de doute que le parti huguenot ne fût ruiné, puisque la communication avec l'étranger lui était ôtée et qu'il ne pouvait plus tirer de nourriture et de soutien de dehors[5].

Assuré de sa force, il n'hésitait plus à mettre en scène le Roi lui-même : si le Roi ne perdait point de temps, il donnerait la paix à l'Italie au mois de mai et en plus revenant avec son armée par le Languedoc, il donnerait la paix à la France au mois de juillet et rentrerait victorieux à Paris au mois d'août[6].

Le fils de Henri IV, brave comme son père, était séduit par ce beau rôle : il avait parfaitement compris qu'il s'agissait de la grandeur de sa Couronne. Mais une opposition violente jouait à fond contre les desseins hardis et la faveur de Richelieu. Laissons le ministre s'en expliquer lui-même : Ces gens, écrit-il, haïssaient le cardinal, premièrement pour ce qu'il était aimé de sou maitre et que c'est chose ordinaire dans les cours des rois que, là où est l'amour et la confiance du prince, là soit aussi la haine des courtisans, en cela semblables aux démons qui accourent et essaient de s'insinuer par leur malignité en l'aine en laquelle ils voient que Dieu habite par sa grâce. Ils le haïssaient par envie, qu'ils portaient à sa gloire, d'avoir si sagement prévu, si courageusement persévéré, si heureusement réussi en ses conseils contre leur intention et leur désir. Ils abhorraient en lui le ministre qui établissait et affermissait l'autorité souveraine et les contraignait eux, la famille royale, la Cour et les grands, forts de la faiblesse de l'État, à servir au rang qui leur était assigné.

Voilà le principal sujet pour lequel ils pestaient et forcenaient contre le cardinal[7] et, du mute coup, on comprend tous les dessous de l'entretien de Chaillot. Richelieu se taisait comme les grands politiques savent se taire, mais il voyait d'autres conséquences plus lointaines. Les protestants une fois abattus comme parti d'État, l'heure allait sonner où l'on mesurerait le danger de cette formidable combinaison Autriche-Espagne qui écrasait l'Europe et le cardinal découvrait dans la péninsule italienne le talon d'Achille où l'on pourrait atteindre mortellement ce grand corps qui se croyait invulnérable[8].

Cette éternelle affaire de la Valteline, qui avait contrecarré ses premiers desseins, était toujours présente à son esprit. Or Mantoue, Montferrat réveillaient en lui le même souci, les mêmes calculs, les mêmes espoirs. La volte-face de la Savoie aggravait le danger, si elle devenait définitive et si l'on ne donnait à l'astucieux Allobroge un sévère coup de caveçon.

Fallait-il aller jusqu'à la guerre et pourrait-on retirer à temps le doigt de l'engrenage ? telle était la question qui hantait ses nuits. Mais il sentait aussi qu'il n'y avait aucun avantage à tergiverser. Principiis obsta ! C'est la grande loi de la politique. Que fallait-il cependant pour agir à coup de prestige et intimider l'adversaire ? Il fallait, autour de la majesté du Roi, l'union de tous les Français. Donc toujours la nième pierre d'achoppement : la Cour, les partis, les coteries, en un mot la cabale des deux Reines.

Le parti protestant avait succombé, mais la querelle confessionnelle n'était pas close ; le parti dévot, après le succès de La Rochelle, entendait pousser à bout sa victoire, se saisir du pouvoir, en revenir à la politique de l'alliance espagnole : pour but le refoulement des puissances protestantes du nord et pour moyen l'unité catholique en Europe avec prédominance assurée à la maison d'Espagne.

On en revenait toujours à la politique de la Régence lors de la conclusion des mariages espagnols. Marie de Médicis avait suivi d'instinct jadis cette politique qu'exaltait encore son entourage ; et quel appui lui apportait la présence au Louvre d'une reine espagnole ! Celle-ci, jeune femme timide, mais passionnée et tenace, comme l'avenir devait le montrer, restait bien renfermée dans l'étroite surveillance où la tenait l'impuissance jalouse du jeune Roi ; mais entourée d'un personnel gagné d'avance à la cause, la Reine à qui la couche royale ne ménageait pas les pénibles attentes, se maintenait dans une ligne d'opposition muette favorable aux impétueuses revendications de la Florentine.

Autour de ce noyau féminin, la famille royale dissidente : sa tête, cet écervelé Monsieur et cet ambitieux Condé, que son intérêt du moment retenait dans une apparence de fidélité. Puis les derniers Ligueurs, les Guise, les Épernon, les Bellegarde, les Bassompierre, les Lorrains et leurs alliés, les grands, la haute noblesse ; puis les favoris d'intrigue, les séides, les gens de main, impatients du repos ; puis les parlementaires, toujours en goût de critique ou d'opposition, les financiers inquiets pour leurs profits, les privilégiés enragés de leurs privilèges, les défenseurs, attitrés ou non, du pauvre peuple ; en tout et surtout ce grand parti catholique, frais émoulu de la Ligue et que les sentiments les plus généreux ralliaient autour de l'unité religieuse européenne, avec comme ultime but, le refoulement des Turcs et la délivrance des Lieux Saints.

Le secours de Casal, tout tournait donc autour de ce pivot. Et voilà que le Roi s'y portait de lui-même ! Quel pas accompli et quel triomphe au lendemain de la prise de La Rochelle !

Ayant saisi au vol cette première adhésion du Roi, le cardinal ne songeait plus qu'à la faire confirmer par le Roi lui-même en présence de à Heine mère. entretien fut convenu, auquel assisteraient seuls, auprès de Louis XIII et de Richelieu, Marie de Médicis et le Père Suffren, confesseur de Sa Majesté. Dans cet entretien, Richelieu entendait parler à la fois en prêtre et en ministre d'État. Ayant pris son parti de secourir Casal, quels que fussent les sentiments de l'Espagne, il dressa un long mémoire, une sorte d'examen de conscience, qu'il devait soumettre au royal pénitent et dont les en-têtes de chapitres, écrits de la main des secrétaires ou de celle de Richelieu, sont conservés aux archives du ministère des Affaires étrangères[9]. Promptitude, soupçons, jalousie, aversions, impressions, changements, oubli des services, facilité à lainer ceux qui servent, inexécution des lois, libéralité, mauvaise honte, mépris des affaires : tels étaient les sujets sur lesquels on allait attirer l'attention du Roi. En cherchant à éclairer sur l'état de leur conscience Louis XIII et Marie de Médicis, le cardinal cherchait surtout à les gagner définitivement à sa politique.

 

L'examen de conscience du Roi.

13 janvier 1629, l'audience prévue pour l'avant-veille du jour où le Roi va prendra la route de l'Italie. Rien n'est plus facile à percer que le jeu du cardinal : il risque le tout pour le tout. Après avoir exposé les projets qu'il médite, les raisons qu'il a de s'inquiéter ou de se plaindre, les oppositions qu'il rencontre chez le Roi, dans la famille royale, chez les grands, il mettra le Roi en quelque sorte au pied du mur. Il lui demandera devant la Reine et devant le confesseur, plus tremblant encore que suspect, de se prononcer une bonne fois et de lui accorder avant de partir un appui et un engagement contre l'intrigue. Il veut être garanti même contre les défauts du Roi, l'hésitation, la jalousie, la suspicion, mais avant tout contre les coups fourrés, les coalitions et les niellées de toute nature qui le menacent ; sinon, il cède la place, quitte la Cour, laisse le gouvernement. Un autre fera mieux, s'il le peut. Et le cardinal de développer ses projets. D'abord le plus facile et le plus agréable au Roi : achever de détruire la rébellion de l'hérésie, prendre Castres. Mmes. Montauban et tout le reste des places de Languedoc, Rouergue et Guyenne ; raser toutes les places qui ne sont pas frontières. ne tiennent point les passages des rivières ou ne servent point de bride aux grandes villes mutines et fâcheuses : prendre cri main le gouvernement : abaisser et modérer les parlements, qui par une prétendue souveraineté, s'opposent tous les jours au bien du Royaume ; faire obéir les grands et les petits ; remplir les évêchés de personnes choisies, sages et capables ; racheter le domaine du Royaume et augmenter son revenu de la moitié, comme il se peut, par moyens innocents. Ensuite, une première vision des grands desseins, hérités de Henri IV, et qui sans doute ont été l'objet fréquent des conversations intimes entre le Roi et le ministre : fortifier la France, lui ouvrir des portes pour entrer dans les États de ses voisins et les garantir des oppressions d'Espagne ; se rendre puissant sur la mer, qui donne entrée à tous les États du monde ; munir Metz, s'avancer jusqu'à Strasbourg avec beaucoup de temps, grande discrétion et une douce et couverte conduite ; mettre Genève en état d'être un des dehors de la France ; acheter au duc de Longueville la souveraineté de Neuchâtel ; prendre au duc de Savoie le marquisat de Saluces ou l'obtenir moyennant une compensation en Italie ; entretenir trente galères dans la Méditerranée pour être considéré par les princes italiens ; penser à la Navarre et à la Franche-Comté comme nous appartenant, étant contiguës de la France et faciles à conquérir toutes et quant-es fois que nous n'aurons pas autre chose à faire. Cette esquisse a quelque chose de glorieux, fait pour flatter le Roi et l'attacher au ministre, seul capable de s'élever si haut et de donner au règne le cachet de la grandeur.

Mais pour atteindre à ce sommet, il faut vouloir et persévérer. Alors commence l'examen des difficultés et des obstacles qui peuvent contrecarrer cette politique aux longs détours. Elle demande avant tout volonté, persévérance, fidélité, union. Le Roi est mis eu face de lui-même. Le prêtre, le cardinal lui épargne la peine d'un examen de conscience, qu'il fait pour lui, devant lui, devant les assistants, tout haut : le Roi est soupçonneux ; il est jaloux : comme si le soleil pouvait être jaloux des astres qui lui doivent leur lumière ; le Roi n'a pas d'héritier, prend en haine un successeur qui lui marche sur les talons. Quel danger pour le cardinal ! car, sous un prince jaloux on court plus de fortune de se perdre pour trop bien faire que pour ne pas faire ce à quoi on est obligé. Le Roi prête l'oreille aux propos de Cour, aux calomnies contre ses meilleurs serviteurs. Les diverses impressions pourraient même faire craindre que Sa Majesté se prit dégoûter aisément de ceux qui la servent le mieux, ce qu'elle doit éviter avec soin. Non sans amertume, Richelieu ajoute : Comme aussi s'étudier à faire perdre l'opinion, que beaucoup ont, qu'un service rendu à Sa Majesté est tellement perdu en sa mémoire, qu'elle ne s'en souvient plus trois jours après, attendu qu'il y a peu de gens qui veulent travailler la plus grande partie de leur vie, pour qu'on leur en sache gré si peu de temps. Le Roi ne s'applique pas volontiers aux affaires, on ne peut rien entreprendre en sa présence, puisqu'il faut répondre des mauvais événements, comme si on était coupable.

Il est d'autres défauts encore, où Sa Majesté s'empêchera, s'il lui plaît, de tomber : péché, l'inexécution des lois : péché, l'impunité des factieux ; faute des plus impolitiques, le manque de libéralité envers les grands serviteurs de l'État. Ici le cardinal met prudemment ses critiques dans la bouche du feu connétable : M. de Luynes a souvent dit qu'il avait remarqué que le Roi, de soit inclination naturelle, se portait plus volontiers aux sévérités qu'aux grâces. Pour moi je n'ai jamais fait cette remarque, mais le mal est que beaucoup ont cette croyance. Et Richelieu laisse échapper cette maxime inattendue sur les lèvres de ce fameux coupeur de têtes : Les rois doivent être sévères et exacts à faire punir ceux qui troublent la police et violent les lois de leurs royaumes, mais il ne faut pas y prendre plaisir. Le Roi est mis en garde contre une certaine bonté exploitée par les entourages. Le Roi enfin devra faire en sorte que l'on sache bien que les décisions viennent de lui, qu'il couinait ses affaires et qu'il suit avec résolution et affection celles qui sont sur le tapis[10].

Après un retour sur lui-même ou il fait l'aveu de ses propres faiblesses, le cardinal en vient au point le plus délicat : l'attitude de la Reine mère. Il commit à fond Marie de Médicis et ne craint pas de lui parler avec la même franchise dont il a usé envers le Roi. Les changements de la Reine, dit-il, viennent de son naturel, à mon avis, qui, de soi-même, est ombrageux et qui, ferme et résolu aux grandes affaires, se blesse aisément pour peu de chose, ce qu'on ne peut éviter, parce qu'il est impossible de prévoir ses désirs ; joint que souvent les considérations d'État requièrent qu'on passe par-dessus la passion des princes. Rendant Marie de Médicis responsable des imperfections de Louis XIII, il ajoute : Les dégoûts du Roi peuvent provenir de diverses causes et du même naturel soupçonneux et ombrageux de la Reine, de qui, par raison naturelle, il doit tenir, et de l'inclination naturelle de Sa Majesté. Il lui ennuie si promptement d'une grande affaire, que quelque fruit qu'il en puisse recueillir, il ne peut empêcher qu'il n'en soit dégoûté, avant que d'eu être au milieu. Voici donc la vraie question : le Roi et sa mère ont-ils confiance oui ou non ? Les soupçons, les calomnies, les critiques, quel cas en font-ils ? Ont-ils pris une résolution ferme de marcher avec lui au but qu'il leur a proposé ou ruineront-ils sans profit et sans raison la force de la confiance et de l'union ?

Et le cardinal fait le dernier pas : sa santé, les haines qui l'entourent, celle de Monsieur, qui peut être son maitre demain, l'opposition d'une partie de la Cour, la grandeur des taches qui sont en vue, tout lui commande de laisser à d'autres la charge du gouvernement : En vérité, toutes ces considérations rendront un autre, quoique de moindre force, égal à moi et peut-être réussira-t-il en ce que, n'étant pas prévenu de ces craintes, il dira librement ses pensées et agira avec plus de hardiesse. Hardiesse ! Le cardinal accentue ce mot. Il a terminé, il s'incline, il attend.

La Reine n'a rien dit. Le Père Suffren n'a rien dit. Les yeux sont tournés vers le Roi. Louis XIII a écouté patiemment le long mémoire longuement pourpensé, les admonestations, les vérités, les interrogations, la mise en demeure finale. Il répond avec une brièveté royale : Ce que le cardinal vient de lui dire, il est résolu d'en faire son profit ; mais il ne veut plus qu'il parle de retraite. C'est tout. Richelieu se tait. Le voyage de Casal est décidé.

 

Le voyage du Cardinal.

Dix jours plus tard, Richelieu se trouvait près de Nogent-sur-Seine, au château des Caves, qui appartenait au secrétaire d'État Boudiner. Le Roi avait quitté Paris le 13 janvier 1629, après avoir, en un lit de justice, donné à la Reine mère le gouvernement des provinces en deçà de la Loire et assisté à l'enregistrement de la compilation de lois et d'ordonnances libellées par le garde des Sceaux Marillac et qui est connu sous le nom de Code Michau[11]. Richelieu accompagnait le Roi, mais s'était écarté légèrement de sa route pour aller voir Madame Bouthillier.

Sur le point de reprendre son voyage. Richelieu dictait une lettre, qui remerciait Bouthillier, demeuré à Paris, de la bonne chère que lui avait faite sa femme. Le terrible justicier parlait avec toutes les grâces d'un courtisan, et, bâtisseur passionné, donnait au maitre de la maison des conseils pour l'embellissement de son château : Je ne puis que je ne vous die que là où vous nous aviez fait passer cette maison jusques ici pour une ferme, elle se peut dire très jolie et très belle maison, n'y restant rien à désirer pour la rendre au point où elle doit être, que d'y faire faire une galerie à la main gauche en entrant, pour répondre à l'aile droite qui joint au corps du logis, à quoi tous ceux qui Font vue avec moi vous condamnent.

Ses loisirs aux Caves n'étaient pas perdus pour la politique. Il lisait le résumé de l'entretien qu'il avait eu avec le prince de Condé, en ces mêmes Caves. Installé dans soli gouvernement de Berri, au retour de la campagne où il avait vaincu, mais non écrasé le duc de Rohan, Monsieur le Prince désirait recouvrer entièrement les bonnes grâces du Roi, qu'il n'avait pas vu depuis six ans. Il avait parlé au cardinal de la situation du Dauphiné, du Languedoc et de la Guyenne, où le Roi n'était pas roi ? Plus d'une dénonciation agrémentaient ses discours : Richelieu avait fait noter par Charpentier, son secrétaire, celle qui concernait le duc d'Épernon, gouverneur de Guyenne : Dit que le vieil Cacofin, — c'est ainsi que le cardinal désignait l'ancien mignon de Henri III, — l'a souvent pressé de n'achever pas les affaires contre les huguenots, au contraire d'aller bride en main, pour voir les événements des choses : qu'il lui représentait que c'était son avantage et que, si une fois le Roi prenait La Rochelle, le cardinal lui conseillerait de faire raser toutes les places que tenaient tous les grands et encore des têtes. Le cardinal avait noté aussi : Vendôme, liberté quand le Roi voudra, après son abolition et l'échange de son gouvernement. Le Grand Prieur ; méchant pour l'État, pour le Roi et pour tout, peut porter Hébertin (Monsieur) et Saint-Ursin (le comte de Soissons) à toutes extravagances ; mérite punition[12].

Il s'agissait du duc de Vendôme et de son frère le Grand Prieur, arrêtés lors de la conspiration de Chalais, il y avait près de trois ans. Le bonheur du Roi fit que le Grand Prieur mourut d'hydropisie à la Bastille le 8 février 1629. Richelieu n'accepta point les dépouilles du mort : Le Roi, écrivit-il à M. de Rancé le 15, m'a voulu donner les deux meilleures abbayes de feu M. le Grand Prieur, je les ai refusées, comme vous verrez dans la copie des lettres que je vous envoie pour les faire voir à la Reine. Il est bon que l'on sache la bonté du Roi en mon endroit et comme j'en ai usé, ce qui, à mon avis, sera approuvé.

A la suite de ce refus, Louis XIII avait destiné une partie des abbayes du Grand Prieur au cardinal de Bérulle et ainsi on espérait donner quelque contentement à Marie de Médicis, près de qui Bérulle était alors en faveur. Quant nu duc de une,

Louis XIII avait décidé de faire entériner par le Parlement les lettres d'abolition qu'il lui avait envoyées dès 1627, mais les Parlementaires ne s'exécutaient pas, non pour l'intérêt du Roi et de la justice, disait Richelieu, mais pour celui de leurs prétentions[13]. Ils cédèrent le 23 mars.

Condé n'obtint pas encore la permission d'aller à Paris. Il fut du moins chargé de tenir les États de Bretagne à la place du due de Rohan, dont Louis XIII lui avait donné le duché.

Cependant le Roi s'acheminait avec son ministre vers le Piémont. Par la Champagne, Dijon et Chalon-sur-Saône, tous deux gagnaient Grenoble, évitant la route de Lyon, où la peste sévissait. De somptueux décors et des entrées triomphales les attendaient dans les grandes villes : La Rochelle vaincue était figurée à Troyes par une Niobé pleurant ses enfants, à Chialait par tin Cerbère foulé aux pieds par Hercule.

Le 1er février, Richelieu couchait à Gille-les-Citeaux à quatre lieues de Dijon. Louis XIII un peu plus loin, à Nuits-Saint-Ceorges. Le soir unique de son arrivée à Gillv, le cardinal reçut de graves nouvelles de Madrid. L'ambassadeur du Roi, M. de Bautru, à la fin de l'automne 1628, alors que La Rochelle était inviolée et Casal en grand danger d'être prise, avait, avec la permission de Richelieu, accepté que cette dernière ville fût confiée aux Espagnols. Et voici qu'au moment où la fortune souriait à nos armes, il envoyait un projet d'accord rédigé par le conseil d'Espagne et contenant des articles plus désavantageux encore pour la France. Le marquis de Mirabel, ambassadeur d'Espagne, publiait hautement à Paris que l'ambassadeur de France avait signé le projet : Il n'a pu consentir le dépôt d'un château entre les mains de Gonzalès (de Cordova, gouverneur du Milanais), écrivait Richelieu à d'Herbault, secrétaire d'État, ni recevoir autre que le Pape pour dépositaire de la citadelle de Casal, s'il n'était en même temps dépositaire de la ville et du château. Il n'a pu consentir les dépôts, si, au même temps. M. de Mantoue n'était investi du duché de Mantoue. Il n'a pu aussi n'établir pas le Pape pour juge définitif eu absolu de cette affaire. Je vous avoue que cette nouvelle m'a fait malade jusque-là qu'il m'a fallu saigner cette nuit à une heure. Et Richelieu commandait d'expédier un courrier à Bautru avec sa lettre.

Bautru, par bonheur, n'avait fait nulle réponse à la note qui troublait si fort le cardinal. Le 2 février 1629, le lendemain du jour où le document parvenait à Gilly, l'ambassadeur de France sollicitait du roi d'Espagne son audience de congé. Aussitôt Olivarès retarde l'audience en vue de suspendre la marche de Louis XIII et de donner aux troupes espagnoles le temps de prendre Casal. Sous différents prétextes et à la faveur d'incidents d'étiquette, on prolonge le retard jusqu'au 12 février. Bautru part enfin.

Ces manœuvres dilatoires n'avaient ralenti ni la marche de Louis XIII ni celle des généraux français. Le 16 février, Bassompierre arrivait à Châteaumorant, près de Roanne. Il y avait juste un mois que Louis XIII avait quitté Paris et qu'il lui avait demandé, pour son voyage, un peu de ce bon cidre que ses amis avaient coutume de lui envoyer de Normandie. Bassompierre avait envoyé douze bouteilles et, le soir au Louvre, le Roi, qui savait que le maréchal, depuis ses énormes dépenses du siège de La Rochelle, n'était pas fort en argent, lui avait dit en lui passant le mot d'ordre pour la nuit : Betstein[14], vous m'avez donné douze bouteilles de cidre et moi je vous donne douze mille écus ; allez trouver Effiat, qui vous les fera délivrer. Façon vraiment royale de rembourser au maréchal une partie des vingt-huit mille écus qu'il avait dépensés durant cinq semaines dais son quartier de Laleu, à loger et à festoyer l'innombrable suite du Roi : Sire, avait répliqué Bassompierre, j'ai la pièce entière au logis, que, s'il vous plaît, je vous donnerai tout entière à ce prix-là[15].

Le maréchal rejoignit à Châteaumorant Monsieur, qui n'était pas de si belle humeur que son frère. Cheminant avec Bassompierre jusqu'à Haon-le-Châtel, Gaston se plaignait du cardinal. Il disait : qu'il n'aurait aucun emploi à l'armée, puisque Monsieur le Cardinal y était, qui ne ferait pas seulement sa charge, mais celle du Roi encore. En ce voyage de Casal, le ministre, prétendait-il, faisait aller le Roi contre son gré, seulement pour lui ôter (à lui Monsieur) le commandement que le Roi lui avait accordé. Aussi Monsieur, loin de rejoindre Sa Majesté, était-il résolu de se retirer dans sa principauté souveraine de Dombes, où il attendrait les commandements du Roi. Toute l'éloquence de Bassompierre, — qui ne tenait peut-être pas beaucoup à combattre sous Monsieur, — fut impuissante à changer la résolution du jeune prince et ce fut sans Gaston que Bassompierre se présenta devant Louis XIII à Grenoble, le 19 février.

Le Roi et le cardinal sont décidés à ne pas s'y arrêter longtemps. Le 21 février, le Roi dépêche vers son frère un gentilhomme pour l'avertir de son passage, afin qu'il se trouve à la frontière, s'il l'a ainsi agréable. Or Monsieur reprit la route de Paris, tandis que le cardinal, précédant sou maitre, à quinze lieues au delà de Grenoble, s'enfonçait dans les montagnes.

Le 24 février, Richelieu arrive à Saint-Bonnet. Le temps se brouille : grave difficulté pour franchir les Alpes. Comme il l'écrivait à Marie de Médicis, les chemins n'étaient pas si beaux que le Cours la Reine. Le 28, les maréchaux de Créqui et de Bassompierre, ensuite le cardinal, enfin le Roi gravirent le mont Genèvre. Ils regardent avec admiration, dit Bassompierre, les arbres qui portent la manne, l'agaric et le térébinthe[16]. Le tapis de neige s'épaissit sous les pas de leurs mulets. Les Mémoires de Bassompierre nous représentent la cour de France embarquée dans de petits traîneaux appelés ramasses et filant sur les pentes neigeuses à la merci des guides. Du bourg d'Oulx, choisi pour le coucher, Richelieu écrit à la Reine mère : Il neige ici continuellement, le lieu est le plus laid qu'il se puisse trouve, au monde mais personne ne s'y ennuie.

Le cardinal moins que personne ; au milieu de ces neiges, il était parvenu à ses fins. Le 27 février, dans un conseil tenu à Embrun, le Roi s'était rangé à son avis, qui était de franchir à défilé du pas de Suse et de pénétrer dans les Etats du duc de Savoie, que ce prince le voulût ou non. Le cardinal, avant n'élue que son maitre eût quitté Paris, avait envoyé le commandeur de Valençay et M. de Lisle demander au duc l'autorisation de passer, offrant, en échange du passage, la ville de Trino et douze mille écus de rente. Le duc avait répondu par de bonnes paroles et des lettres courtoises, que terminait, au lieu de l'habituel très affectionné serviteur un très affectionné cousin vous faire service assez inquiétant. Richelieu avait pensé qu'un prince qui traitait si cavalièrement le premier ministre, était déjà détaché du service du Roi et le voulait faire paraître[17]. Charles-Emmanuel en revenait à sa vieille exigence : qu'on lui permit d'attaquer la ville de Cènes.

Richelieu, dans le conseil d'Embrun, écarta de haut les prétentions du Savoyard. Trahisons publiques ou secrètes ; excitations sous main à la guerre ; secours en hommes et argent au duc de Rohan ; les places frontières qui s'échelonnaient entre la France et la Savoie (Valence, Montélimart, Toulon) audacieusement muguetées ; encouragements à la rébellion du comte de Soissons, à l'entrée en guerre du duc de Lorraine ; envoi d'un ambassadeur exprès en Hollande pour détacher les États de la France et les joindre à l'Angleterre et à l'Espagne tout ensemble ; lettres insolentes au roi de France, où le duc de Savoie se donnait comme seul détenteur des clefs de l'Italie : tels étaient les griefs qui furent ramassés dans un véritable réquisitoire fortement documenté, et cela au moment où Charles-Emmanuel voyait le Roi à sa porte avec trente-cinq mille hommes et trois mille chevaux et que la nécessité le contraignait d'offrir ce qu'il ne pouvait dénier. Attaquer Gênes ! Ce qui n'aurait même pas l'avantage de le brouiller avec les Espagnols, puisque, par le traité qu'il avait conclu avec eux pour l'attaque du Montferrat, il ne s'était pas interdit de vider par les armes le différend qu'il avait avec cette république[18].

Les négociations traînaient par l'entremise du prince de Piémont, beau-frère de Louis XIII ; Richelieu passa outre ; il s'avança jusqu'au village de Chaumont à trois lieues d'Onk. Là il vit arriver, le 5 mars, le comté de Verrue, ministre du duc du Savoie. Nouvelles insistances pour obtenir du moins 'l'rino, Albe et Moucalvo. Sur un nouveau refus, il offrit de remettre Suse entre les mains du Roi, si une place française était mise entre les mains du duc de Savoie. Le cardinal, entendant cette proposition, disent les Mémoires, se prit à rire et lui offrit, en se moquant, Orléans ou Poitiers ; en vérité M. de Savoie traitait avec le Roi, comme s'il avait cinquante mille hommes et le Roi dix ; procédé peu honorable et qu'il serait bon de changer. Évidemment, le Savoyard voulait gagner du temps pour fortifier les passages, dans l'espoir où il était que Casal ne pourrait tenir que jusqu'au 20 mars. Il entendait brusquer les événements. Un courrier fut dépêché vers Louis XIII, qui était à Oulx et partit pour Chaumont.

Il y a trois lieues d'Oulx à Chaumont. Accompagné du comte de Soissons, du maréchal de Schomberg et d'une foule de gentilshommes, qui l'avaient rejoint, Louis XIII y arrive vers les trois heures après minuit ; il donne aussitôt l'ordre de pousser les troupes vers Suse et d'attaquer les barricades à huit heures du matin.

Ces trente-cinq mille hommes qui s'apprêtaient à passer en Piémont, quelle peine Richelieu avait eue il les réunir et à les amener jusque-là ! Quelque dix jours plus tôt, à Grenoble, rien n'était prit, pas ou peu de munitions, le canon encore au bas des montagnes, pas de magasins de vivres, pas un grain de blé, bien que les intendants eussent reçu mie avance de deux cent mille livres, nulle étape organisée, un seul officier d'artillerie très vieux. L'arrivée du cardinal a mis tout le monde en alerte : de Valence on reçoit du blé pour cinquante mille écus ; le canon est monté à graisse d'argent : les troupes du maréchal de Créqui, retirées sous prétexte d'épargner le Dauphiné, accourent à l'appel du ministre. Le 6 mars, Louis XIII prend le commandement et donne l'ordre de marche à la pointe du jour. Le cardinal, le comte de Soissons, le comte d'Harcourt, frère du duc d'Elbeuf, le comte de Muret, bâtard de Henri IV, le marquis de Brézé et le marquis de La Meilleraye, l'un beau-frère, l'autre cousin de Richelieu, sont auprès de lui.

 

Le défilé.

La vallée, où coule la Doire, s'ouvre vers Suse. Elle est couverte de neige. On avance tantôt à cheval, tantôt à pied. Un quart de lieue au delà de Chaumont, nous explique le Père Joseph, le duc de Savoie a fait mettre une assez faible barricade proche du lieu où les confins de la France et du Piémont se rencontrent. A un quart de lieue plus bas, au-dessous du fort de Gélasse, qui est du Piémont, il y en a une autre bien flanquée et fort haute, qui ferme un passage étroit et creux entre deux montagnes, et cent pas au delà une troisième qui défend la seconde, laquelle reçoit aussi un grand secours de ce fort de Gélasse, situé sur un grand rocher, au pied duquel il faut passer à la merci du canon et des mousquetades[19].

Le Roi est à cent pas en arrière, entouré de cinq cents hommes du régiment des gardes. Sept heures du, matin : Bassompierre, qui commande ce jour-là envoie Comminges[20], précédé d'un trompette, demander à l'officier de la première barricade la permission d'aller préparer à Suse le logis du Roi, qui se présente en ami. Comminges rapporte bientôt la réponse du comte de Verrue, qui est sorti du retranchement avec deux cents mousquetaires pour dire : Monsieur, Son Altesse a grand honneur de loger Sa Majesté ; mais puisqu'elle vient si bien accompagnée, vous trouverez bon, s'il vous plaît, que j'en avertisse auparavant Son Altesse (qui se trouve à cinq cents pas). Nous défendrons bien nos passages et vous n'avez pas affaire aux Anglais (de La Rochelle)[21]. Comminges n'a pas attendu la réponse, — trop prévue, — de Son Altesse[22].

Bassompierre s'approche du Roi : Sire, Sire, dit-il, l'assemblée est prête, les violons sont entrés et les masques sont à la porte ; quand il plaira à Votre Majesté, nous danserons le ballet. — Savez-vous bien, observe Louis XIII, que nous n'avons que cinq livres de plomb dans le parc de l'artillerie. — Il est bien temps maintenant de penser à cela, réplique le maréchal, faut-il que, pour un masque qui n'est pas prêt, le ballet ne se danse pas ? Laissez-nous faire, Sire, et tout ira bien. — M'en répondez-vous ?Ce serait témérairement fait, à moi de cautionner mie chose si douteuse, bien vous réponds-je que nous en viendrons à notre honneur ou j'y serai mort ou pris. — Oui, mais, si nous manquons, je le vous reprocherai. — Que me sauriez-vous dire autre chose que de m'appeler marquis d'Uxelles[23]. Laissez-nous faire seulement. Alors le cardinal, muet témoin de cette courte scène, sort enfin de son silence : Sire, à la mine de M. le Maréchal, j'en augure bien, soyez-en assuré[24].

Le cardinal en augurait d'autant mieux que, la veille, sous prétexte de faire porter une lettre au comte de Verrue, il avait envoyé sur les lieux M. d'Argencourt, un gentilhomme, qui avait constaté que les barricades pouvaient emporter. Il est bien possible que Bassompierre n'ail pas eu besoin d'insister auprès de Louis XIII autant qu'il veut bien nous le dire en ses Mémoires.

Le voici au fond de la vallée, id la tête des troupes avec Schomberg et Créqui. Parmi les maréchaux de camp, Toiras, Valençay. Déjà Schomberg est blessé aux reins d'une mousquetade venue de la montagne à gauche. Sur cette gauche, Valençay conduit les Suisses, les régiments de Navarre et d'Estissac. A droite, avec d'autres régiments, le comte de Sault, fils du maréchal de Créqui, gagne les hauteurs afin de tourner les barricades par les sommets et d'envelopper l'ennemi. Guidé par des gens du pays, il passe au-dessus du fort de Gélasse et taille en pièces un régiment italien. Cependant Valençay, avec quelques Suisses et quelques soldats du régiment de Navarre, a chassé l'ennemi des postes qu'il occupait il la crête des rochers : il menace d'en haut lei soldats du duc de Savoie qui défendaient dans le fond les barricades. Voyant aussi venir à eux de front le régiment des gardes animé de la furie française, les défenseurs abandonnent la première barricade, font peu de résistance à la seconde et à la troisième et se retirent en désordre dans Suse[25]. Les gardes et les Suisses, dit triomphalement le Mercure, uivis de fort près de la propre personne du Roi et de M. le Cardinal, donnèrent d'une telle impétuosité, que, comme si c'eut été un coup de tonnerre, ils tirent ouverture dans le détroit de ces montagnes retranchées, t'emparées et flanquées de telle sorte que le lieu semblait imprenable[26]. Nos gens suivirent les vaincus à la course, notait le Père Joseph le lendemain 7 mars, et, trouvant les portes ouvertes, s'en fussent saisis à la même heure sans que MM. de Créqui et de Bassompierre estimèrent à propos de savoir la volonté du Roi, qui, tout plein de justice, dit tout haut qu'il était mieux d'éviter les désordres ordinaires dans le saccagement des villes et principalement en ce qui concerne l'honneur des femmes[27].

 

L'entrevue de Suse.

Au moment où écrivait le Père Joseph, Suse, évacuée la veille par les troupes de Savoie, était occupée par les soldats de Louis XIII, avec la conduite et le règlement qu'on se peut promettre, ajoutait l'Éminence Grise, de la bonté du Roi et de la piété de M. le Cardinal. Richelieu et le prince de Piémont y signèrent, le 11 mars 1629, un traité aux termes duquel M. de Savoie ouvrait à l'armée du Roi les défilés qui venaient à la place. Le Savoyard livrait la citadelle et les châteaux forts des environs, consentait à vendre tout ce qui était nécessaire pour le ravitaillement de Casal. Le Roi, de son côté, s'engageait à obtenir du duc de Mantoue, pour à duc de Savoie. la ville de Trino et une rente de quinze mille écus d'or : il s'abstiendrait de toute conquête en Italie et défendrait le Savoyard, s'il était attaqué. Des articles secrets stipulaient que, dès le 15 mars, Casal recevrait mille charges de blé, cinq cents de vin et que Charles-Emmanuel, s'entremettant auprès de Gonzalès de Cordova, ferait lever le siège[28].

Prompt et décisif succès pour le cardinal. Trois jours plus tard, annonçant à Marie de Médicis la grossesse de la princesse de Piémont, il lui écrivait : Si Sa Majesté ne réglait ses desseins par sa bonté, je puis vous assurer qu'il lui serait fort aisé d'emporter tous les États de M. de Savoie, mais Mme la Princesse de Piémont lui sert beaucoup en cette occasion. Louis XIII, le 21 mars, attendait à cheval sa sœur, à quatre mille pas de la ville de Suse, dont le séjour lui agréait un peu plus que le triste village de Chaumont, car, — Richelieu le constatait avec plaisir, — quoiqu'il n'y ait qu'une lieue de distance, en même jour que l'hiver est à l'un, on ressent le printemps à l'autre[29]. Il vit bientôt sortir d'une litière ouverte et toute en broderie d'or, qu'escortaient le maréchal de Créqui et vingt cornettes de cavalerie, une jeune femme richement vêtue à la française, parée de belles perles et dont les boucles, qui tombaient sur les joues, à la mode d'Angleterre, s'échappaient d'une grande plume incarnate illustrée de perles en poires, grosses comme celles que l'on contrefaisait à Venise. C'était sa sœur Christine de France, princesse de Piémont. Louis XIII mit pied à terre. Christine sortit de sa litière, se jeta à genoux et, tandis qu'il la relevait en l'embrassant, elle lui dit : Votre Majesté est si remplie de gloire, que je ne sais si j'oserai la regarder : vous êtes le plus heureux prince du monde. — Je ne pouvais avoir plus grand contentement au monde que de vous voir, répondit Louis XIII. Le prince de Piémont s'approcha ensuite et s'agenouilla. Quelques instants plus tard, la princesse remontait en litière et Louis, chevauchant à la portière, s'entretenait avec Christine. Cependant Madame savait si bien se servir des avantages que son grand esprit lui donnait[30], qu'elle refaisait peu à peu la conquête de son frère. Les troupes françaises délitèrent devant le Roi et la princesse, puis Louis XIII conduisit le prince de Piémont au milieu des bataillons et des escadrons et les lui montra en connaisseur[31]. On gagna enfin le château de Suse : Demain, écrivait Richelieu à Marie de Médicis le 22 mars, doit venir M. de Savoie, après quoi nous aurons tout vu, hormis les infantes, qui ne bougent de Turin et ne vont point d'ordinaire avec Madame[32]. Demain ?... Charles-Emmanuel n'avait pas tant de hâte de rendre hommage au vainqueur et il ne voulait point paraître, aux yeux de l'Espagne, trop empressé à l'égard de la France. Il ne se décida que le 5 avril, lorsque le prince de Piémont fut sorti de Suse, car, nous explique un historien du temps, il avait pris cette conduite de ne se voir pas ensemble, son fils et lui, au pouvoir du Roi, quoiqu'il n'y eût rien à craindre pour lui ni pour son fils[33].

Richelieu sortit à cheval au devant du Savoyard. Charles-Emmanuel arrivait, à cheval comme lui, avec Louis XIII, qui, sous prétexte de se promener, était allé à sa rencontre jusqu'à une demi-lieue de Suse. Si, tout à l'heure, Charles-Emmanuel, en saluant le Roi, avait mis le genou en terre, cette fois aucun des cavaliers ne descendit de sa monture. Le duc et le cardinal s'approchèrent l'un de l'autre, s'arrêtèrent et se baissèrent sur le col de leurs chevaux, pour se saluer : les compliments furent fort succincts et la mille encore plus fraiche, principalement de la part de M. de Savoie, qui l'a haï jusqu'à la mort plus qu'aucun homme du monde, parce qu'avec lui il fallait parler nettement et agir de mène et que ce n'était pas son style[34].

Quelques instants plus tard, au château de Suse, le Roi menait M. de Savoie dans sa chambre. Une foule nombreuse de gentilshommes se pressait sur leurs pas, remplissant toute la galerie, et commue Louis XIII conseillait à son hôte de se buter, de crainte, que le plancher surchargé ne vint à plier sous lui : Ce n'est pas sous moi, Sire, qu'il peut plier, répondit le fin renard, mais bien plus sous Votre Majesté, sous laquelle plient les plus fortes puissances de la terre[35].

Le Roi garda près d'une demi-heure le duc de Savoie dans sa chambre, puis Charles-Emmanuel alla trouver le ministre dans le cabinet du Roi : Au retour, il me dit mille biens de mon cousin le cardinal de Richelieu et me témoigna avoir reçu un grand contentement de l'entretien qu'ils avaient eu ensemble, écrivit Louis XIII à sa mère. Je ne sais encore ce qu'ils se sont dit, parce que je n'ai pas vu mondit cousin cardinal depuis, à cause qu'il s'est trouvé un peu mal aujourd'hui[36]. Richelieu a raconté dans ses Mémoires qu'il reçut du Savoyard force assurances d'amitié et d'estime et tacha de lui en rendre avec usure[37]. En réalité, Charles-Emmanuel s'était excusé de ne pouvoir ravitailler davantage la place de Casal, le cardinal s'était opiniâtré[38] et le duc avait promis tout ce qu'on avait voulu, d'autant plus aisément qu'il était décidé à ne rien tenir.

M. de Savoie se garda bien d'aborder tant de sujets qui lui tenaient à cœur. Si Gonzalès de Cordova, gouverneur de Milan, trouvait dans le traité beaucoup de choses amères et de difficile digestion[39], Charles-Emmanuel n'était guère plus satisfait. Ce singe des grands rois[40], pour employer la forte expression du cardinal, prétendait ajuster les affaires comme s'il eût été vainqueur. Depuis quinze jours, il pressait le Roi d'attaquer le Milanais ; ou bien il offrait le marquisat de Saluces et les quatre vallées qui y donnaient accès ou bien encore il demandait lit permission d'attaquer Genève. Il veut, songeait le cardinal, porter la France à tout entreprendre, veut avoir tolites ces complètes et ne lui donner aucune chose de considération ; son esprit ne peut pas avoir de repos et, allant plus vite que les mouvements rapides des cieux, il fait tous les jours plus de trois fois le tour du monde, pensant à mettre on guerre tons les rois, princes et potentats les tilts avec les autres, pour retirer seul le profit de leurs divisions[41].

Le cardinal ne s'était pas arrêté à l'échange du Montferrat, mais il avait examiné la question de Genève et celle de Gènes : la France était l'alliée perpétuelle des Cantons suisses, qui lui fournissaient des soldats : elle n'avait nul intérêt à voir Genève entre les mains d'un prince aussi peu sil ruine le duc de Savoie.

Quant à Gênes, la conquête de cette ville pouvait être juste et utile ; mais était-il sage de hasarder la réputation du Roi, mise à si haut point par la prise de La Rochelle et le secours de Casal[42], dans un temps où les affaires du Languedoc ne permettaient pas d'employer toutes les forces de Sa Majesté ? Le Roi finit par condescendre à l'expédition de Gènes. Rien ne fut conclu cependant, car, devant les irrésolutions de M. de Savoie, Richelieu avait simplement prié ce prince d'exécuter les articles du traité qu'il avait signé : il avait exigé le ravitaillement de Casal et la retraite définitive des Espagnols, qui tenaient encore plusieurs châteaux. Une peur que le Roi n'y allât en personne, Charles-Emmanuel s'y était rendu lui-même.

Après l'entrevue du 5 avril, le prince de Piémont refusa de laisser pour toujours au pouvoir du Roi la place de Pignerol, qui commandait la porte de l'Italie. Il offrit le marquisat de Saluces. Mais le cardinal savait que Charles-Emmanuel avait reçu un courrier de l'abbé Scaglia, son ambassadeur à Madrid, et que Clausel, agent du duc de Rohan, avait passé d'Espagne à Cènes et se cachait à Turin. Richelieu avait conseillé au Roi de partir pour le Languedoc.

Deux traités fort importants n'en furent pas moins signés : l'un ratifié à Suse par Louis XIII le 14 avril, formait contre l'Espagne une ligue défensive entre la France, la République de Venise, le Pape, le duc de Savoie et le duc de Mantoue, afin de maintenir ce dernier prince sur son trône italien ; l'autre, signé à Paris le 24 avril[43], rétablissait les anciennes alliances entre les deux couronnes de France et d'Angleterre sans restitution de part et d'autre et confirmait les articles du contrat de mariage de la reine Henriette pour être exécutés de bonne foi. Le malheureux Charles Ier, aux prises avec son Parlement, n'était déjà plus assez puissant à l'extérieur de ses États pour obtenir que fuit inséré dans son traité un article favorable aux protestants de France.

Louis XIII rentrait dans son Royaume, admiré et redouté. Sa politique tenait l'Espagne en échec partout. A Madrid, Spinola ne craignait pas dé rendre justice à l'adversaire du Roi catholique ; il disait tout haut, dans l'antichambre d'Olivarès : Le roi de France a fait en soldat et en homme de bien tout ensemble. Les seigneurs de la cour d'Espagne ajoutaient encore, mais plus secrètement, de peur du comte-duc, qui ne leur eût pas pardonné, que le roi de France était heureux d'avoir un si grand ministre que le cardinal et que c'était la preuve fondamentale de la bénédiction de Dieu en son règne[44].

Richelieu, qui recueille, dans ses Mémoires, ces propos louangeurs, nous montre le peuple de Madrid contemplant, dans toutes les boutiques, les portraits de Louis XIII qui s'y trouvaient exposés. Grâce à lui, nous apercevons, dans une galerie du couvent de l'Incarnation, le roi d'Espagne marchant tout pensif. Le petit-fils de Philippe II semble plongé dans une incurable mélancolie : Une religieuse s'étant approchée de lui pour le divertir, nous explique le cardinal, qui tient ces détails d'une personne de confiance, le Roi Catholique la pria de le recommander à Dieu, pour ce qu'il était en la plus grande anxiété d'esprit où il eût jamais été, et qu'une prophétie le menaçait, en l'an 1630, de la perte de tous ses Etats d'Italie[45].

Cependant, en Languedoc, le duc de Rohan, lui aussi, rendait hommage à la gloire du Roi et de son ministre : Dieu permit, constatent les Mémoires du chef rebelle, que le Roi allât, vît et vainquît, car passer les montagnes, prendre la ville de Suse, ravitailler Casal et faire la paix avec le roi d'Espagne furent une même chose.

Louis XIII s'était uns en route pour le retour, le 28 avril 1629. Bu Conseil avait été tenu à Suse l'avant-veille de son départ. On y avait agité une grave question d'étiquette, au sujet de laquelle le Roi et le cardinal n'étaient pas du même avis : les délestés de la République de Gênes paraîtraient-ils devant le Roi couverts ou tête nue ? L'ambassadeur de Gènes, Fiesque, veut être reçu couvert, il invoque des précédents. Endoctriné par M. de Châteauneuf, Louis XIII en invoque d'autres. Il déclare que los Génois sont ses sujets ; il n'oublie pas que Gènes est une dépendance du duché de Milan, qui appartenait à François Ier ; Pans tous les traités qui se font avec les Suisses, les rois de France ne prennent-ils pas la qualité de ducs de Milan et de seigneurs de Gênes — comme les rois d'Angleterre se diront rois de France jusqu'au milieu du XIXe siècle et même à la cour de Louis XIV — ? Le nonce du Pape a prié Bassompierre de faire entendre raison à Louis XIII. Bassompierre a répondu que ce n'était pas facile, parce que le Roi était opiniâtre, quand il avait nus une fois une chose en sa tête ; Bassompierre a consulté le cardinal. Richelieu a promis de le soutenir au Conseil : il lui procurera l'appui des maréchaux de camp et de M. de Bullion, il obtiendra que Châteauneuf défende mollement sa thèse.

Le Conseil délibère. M. d'Herbault, secrétaire d'État, vient de dire que l'ambassadeur de Gènes lui a montre des papiers qui prouvent que les envoyés de Gènes se sont autrefois couverts ; il ajoute que l'ambassadeur de Gènes ne demande audience qu'à cette condition. Devant la résistance du Roi, qui s'opiniâtre fort, le cardinal dit froidement : S'il vous plaît, Sire, d'en prendre les avis de ces Messieurs, après quoi vous jugerez vous-même ce qu'il vous plaira. Alors Louis XIII se tourne vers Bassompierre, lui demande son opinion, et, comme le maréchal veut parler : Je vous la demande, ajoute-t-il avec aigreur, mais je ne la suivrai pas, car je sais déjà qu'elle va à les faire couvrir et que ce que vous en faites est à la recommandation d'Augustin Fiesque. Le cardinal entend Bassompierre répondre, la voix altérée, qu'il n'est pas assez léger pour desservir Sa Majesté en faveur du Génois. Et le maréchal conclut : Puisque vous jugez si mal de ma prud'hommie, je m'abstiendrai, s'il vous plaît, de vous donner mon avis. — Et moi, réplique Louis XIII extraordinairement en colère, je vous forcerai de me le donner, puisque vous êtes de mon Conseil et que vous en tirez les gages. Richelieu, assis un peu au-dessus du maréchal, se penche et lui glisse à l'oreille : — Donnez-le au nom de Dieu et ne contestez plus. — Sire, explique Bassompierre avec son ironie lorraine, puisque Votre Majesté veut absolument que je lui dise mon opinion, elle est que vos droits et ceux de votre couronne se dépériraient, si par cet acte, vous accordiez la souveraineté aux Génois, que vous prétendez avoir sur eux et que vous les devez entendre tête nue comme vos sujets, et non couverts comme républicains. Le Roi, transporté de fureur, se lève, il dit que le maréchal se moque de lui et qu'il lui fera bien connaître qu'il est son roi et son maitre. Tandis que Bassompierre laisse couler le flot des paroles royales, Richelieu, qui observe Louis XIII, intervient, l'apaise en quelques mots froids et précis. Tous les avis sont demandés : ils sont tous contraires à celui du Roi.

Ce fut encore le cardinal qui ramena Louis XIII à lendemain, après que la réputation de Gènes se fut présentée couverte. Le Roi reconnut qu'il avait tort de s'en prendre à Bassompierre pour une chose dont le maréchal ne parlait que pour son service. Bientôt Louis XIII lui donna neuf caisses d'excellentes confitures qu'il venait de recevoir de la princesse de Piémont et fit ainsi sa paix avec lui[46].

Le soir de ce 28 avril 1629, le Roi avait annoncé à Bassompierre qu'il quittait l'armée du Piémont pour aller à celle de Valence. Le cardinal prenait le commandement de l'armée et il gardait Bassompierre et Créqui pour lieutenants généraux. Sur l'ordre du cardinal, Toiras, qui servait sous les ordres de Bassompierre en qualité de maréchal de camp, entrait dans le Montferrat à la tête de trois initie hommes et de quatre cents chevaux et prenait le gouvernement de la ville de Casal.

 

 

 



[1] Mémoires du Maréchal de Bassompierre, t. IV, p. 2.

[2] Mémoires du Maréchal de Bassompierre, t. IV, p. 2.

[3] Don Gonzalès de Cordova, duc de Soma et de Sessa.

[4] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. VIII, p. 210.

[5] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. VIII, p. 211.

[6] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 150-152, décembre 1628.

[7] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. VIII, p. 211-235.

[8] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, in fine.

[9] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 179-213.

[10] Avenel, Lettres de Cardinal de Richelieu, t. III, p. 179-199. — Avis donné au Roi après la prise de La Rochelle pour le bien de ses affaires, 1er janvier 1629.

[11] Voir étude sur le Code Michau, t. IV du présent ouvrage, dans le chapitre Richelieu législateur.

[12] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 215-219.

[13] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 73.

[14] Forme allemande du nom de Bassompierre.

[15] Mémoires du Maréchal de Bassompierre, t. IV, p. 3.

[16] Mémoires du Maréchal de Bassompierre, t. IV, p. 6.

[17] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 129.

[18] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 133-134.

[19] Relation de ce qui s'est passé à l'entrée du Piémont (Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, appendice, p. 360).

[20] Charles de Comminges, sieur de Guitaut, capitaine des gardes.

[21] Mémoires du Sieur de Pontis, t. I, p. 512 ; et Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 248.

[22] Relation de ce qui s'est passé à l'entrée du Piémont.

[23] Jacques du Blé, marquis d'Uxelles, fameux par la défaite qu'il avait essuyée l'année précédente en voulant secourir le duc de Mantoue.

[24] Mémoires du Maréchal de Bassompierre, t. IV, p. 10-11.

[25] Relation de ce qui s'est passé à l'entrée du Piémont.

[26] Mercure français, t. XV, 1re partie, p. 128.

[27] Relation de ce qui s'est passé à l'entrée du Piémont.

[28] Voir Mercure français, t. XV, p. 132-136, et Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 234, note.

[29] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 258.

[30] Mémoires de Fontenay-Mareuil, p. 220.

[31] Mercure français, t. XV, p. 143-144.

[32] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 264.

[33] M. Baudier, Histoire du Maréchal de Toiras, t. II, p. 29.

[34] Mémoires de Fontenay-Mareuil, p. 22.

[35] M. Baudier, Histoire du Maréchal de Toiras, t. II, p. 29.

[36] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 262, note.

[37] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 194.

[38] Journal du... secours de Casal, f° 50.

[39] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 170.

[40] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 179.

[41] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 187.

[42] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 187.

[43] Mémoires du Cardinal de Richelieu, t. IX, p. 213.

[44] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 224.

[45] Mémoires du Cardinal de Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 227.

[46] Mémoires du Maréchal de Bassompierre, t. IV, p. 30-34.