HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

PRÉLIMINAIRE. — VUE D'ENSEMBLE. - LE DEDANS ET LE DEHORS.

 

 

Du 19 avril au 12 août 1624, le cardinal de Richelieu s'était trouvé dans une situation très difficile. Nommé ministre sur la proposition de La Vieuville et auprès de La Vieuville, il n'avait épargné aucun effort pour se consolider au pouvoir, ruiner dans l'opinion son chef d'un jour, le renverser et s'établit en son lieu et place. Il fallait qu'il confirmât en inique temps, chez le Roi et devant le public, l'idée de sa propre aptitude à diriger les affaires de l'État ; il avait à garder son influence sur la Reine mère, tout en s'assurant définitivement de la faveur du Roi ; il devait avoir sur ses adversaires irrités par son avènement et même sur ses amis déjà inquiets de sa rapide ascension.

A peine les félicitations agréées et les compliments échangés, à peine a-t-il marqué sa place dans le Conseil, que, le premier dossier ouvert et le premier ambassadeur reçu, il s'arrête en quelque sorte et se met en présence de ses nouveaux devoirs. Aussitôt il sent la nécessité d'avoir auprès de lui un confident, un appui. Il écrit au Père Joseph, qui est parti pour Orléans : Vous êtes le principal agent dont Dieu s'est servi pour me conduire dans tous les honneurs où je me suis élevé... Je vous prie d'avancer votre voyage et de venir au plus tôt partager le maniement des affaires. Il y en a de pressantes que je ne veux confier à personne ni résoudre sans votre avis[1].

Que je ne veux confier à personne ! — Richelieu a pourtant autour de lui des hommes capables et qu'il peut considérer comme dévoués : Schomberg, La Ville-aux-Clercs, le chancelier d'Aligre, Marillac lui-même et, en général, les personnes de l'entourage de la Reine mère. Rails son étroite intimité, il ne veut nul autre que ce mystérieux l'ère Joseph, — même pas ce 'Vatican qui a été son principal instrument quand il s'agissait de détruire dans l'opinion Luynes ou Sillery, tuais dont la violence passionnée risque de l'engager plus qu'il ne voudrait dans la cause protestante. A l'égard de Fancan, il va procéder doucement à l'un de ces dangereux abandons qui lui deviendront familiers et Faneau, suspect d'ailleurs, apprendra bientôt, lui aussi, à se métier.

La présence du Père Joseph offre un autre avantage, que le ministre a sûrement calculé : elle le couvre du côté de la Reine mère. Et puis ce Capucin connaît l'Europe ; il est connu à Rome ; il est secret, secrétissime. Avec lui, on peut parler à cœur ouvert, envisager les choses, non pas politiquement, mais franchement, comme elles sont.

Le cardinal a besoin de toute sa perspicacité, de toute son énergie, de toute sa prudence, de tout son doigté, pour débrouiller l'écheveau que lui ont laissé ses prédécesseurs : en vue de mieux comprendre et de s'éclairer soi-même, d'approfondir sa propre pensée, il débat avec lui-même, en silence et, finalement, il écrit. C'est ce qui nous permet de voir jusqu'au fond de son âme dans cette période anxieuse qui va décider de son avenir.

Encore jeune, — trente-sept ans, — désigné par une réputation établie, porté pour la seconde fois à ce ministère longuement convoité, il n'éprouve nul vertige. Plein de sang-froid, se sentant à sa place, il prend ses contacts de toutes parts, les veux mi-clos, le geste décidé, cette main en avant que lui donne le portrait de Philippe de Champagne.

Dans les loisirs de la disgrâce, il a analysé les maux du Royaume et les causes diverses qui, pour le montent, empêchent la France d'occuper en Europe la place qu'avait rêvée pour elle Henri IV. Déjà sont fixées en son esprit quelques-unes des idées qui dirigeront sa conduite[2]. Rappelons la fameuse déclaration adressée par lui au Roi, beaucoup plus tard, quand il écrivait le préambule du Testament politique : Lorsque Votre Majesté se résolut à me donner en même temps l'entrée de ses conseils et grande part, dans sa confiance, je lui promis d'occuper toute son industrie et toute l'autorité qu'il lui plaisait de me donner, pour ruiner le parti huguenot, rabaisser l'orgueil des grands et relever son nom dans les puissances étrangères au point où il devait être.

Et c'est, précisément, ce programme qu'il s'applique à exécuter. On a mis en doute l'authenticité de la phrase que les historiens du XVIIIe siècle lui attribuent : Le Roi a changé de Conseil et le Conseil de maximes. Ce qui n'est pas douteux, c'est que telle était bien sa pensée et telle était la confiance qu'il avait eu soi-même. En Gilet, au montent où il se débarrasse de La Vieuville, il s'exprime en ces termes dans une lettre qu'il adresse, sous le seing royal, à M. de Marquemont, ambassadeur auprès du Saint-Siège : Cela serait peu (le changement de ministère), si je n'avais résolu d'établir un tel ordre en mes affaires que mon Royaume viendra à reprendre sa première splendeur et puissance, empêchera les desseins que plusieurs conçoivent contre la liberté publique, moi-même étant porté à défendre les anciens alliés de ma couronne et à m'unir à eux pour le bien de la chrétienté[3]. Comment ne pas relever aussi ces quelques mots qui tombent de la plume du cardinal, dans une autre lettre au même ambassadeur : J'essaierai au moins de faire dire vrai à ceux qui estiment que j'aime la religion, le Roi et l'État ?

Ne revenons pas sur les circonstances qui ont libéré Richelieu de la présence, si encombrante dans le Conseil, de ce pauvre La Vieuville[4] et passons en revue, comme il le fait, les premières grandes affaires qui Se saisissent de lui et qui sont propres à sa nouvelle fonction, le secrétariat d'État des Affaires étrangères.

Il retrouve sur la table cette affaire de la Valteline qui lui a été si pénible au moment où l'assassinat du maréchal d'Ancre le chassait du pouvoir[5]. Rien de plus complexe ni de plus grave, car du parti qui sera adopté dépendra l'attitude de la France dans la crise où se débat l'Europe ; rien de plus urgent, car l'ambassadeur du Roi près dit Saint-Siège, le chevalier de Sillery, s'est laissé glisser dans la main (sans le signer heureusement) un projet d'accord qui résoudrait la difficulté au profit de l'Espagne. Il faut donc se prononcer et décider si on rompra ou si on négociera.

Mais de l'un ou de l'autre parti quelles seront les conséquences ? Le problème doit être considéré dans son ensemble.

 

Sur la nature et le résultat des réflexions du cardinal, en cette période liminaire, nous sommes renseignés par deux documents, l'un daté de mai 1624, alors qu'il arrive au pouvoir, et l'autre de mai 1625, alors qu'il y est consolidé. Ces deux témoignages intimes nous permettent de saisir à la fois l'élan des premiers jours et le temps d'arrêt que lui impose bientôt l'expérience. Nous les lirons, les rapprocherons, les comparerons, avant d'entrer dans le détail même des affaires. Car, en histoire comme dans la vie, ce qui importe c'est l'esprit.

En somme, il s'agit d'abord de l'Espagne, de l'Espagne catholique, alliée à la maison d'Autriche, de l'Espagne qui pèse sur toutes les frontières de la France, de cette maison d'Autriche que Henri IV se préparait à attaquer lorsqu'un coup bien suspect le frappa.

Si l'on se reporte à la polémique ardente que Richelieu a menée dans l'opposition, avec l'aimait, contre le gouvernement de Luynes et de Sillery, sa principale pensée, une fois aux affaires, sera de saisir la première occasion de rompre avec l'Espagne et de se mettre à la tête des adversaires de cette puissance en Europe.

L'affaire de la Valteline suffirait, à elle seule, pour dévoiler les plans de l'ambitieux voisin. Le but de celui-ci n'est-il pas d'achever l'encerclement de la France et de lui enlever toute autorité dans l'Empire ? L'Espagne veut prendre une situation dominante sur les Alpes, se subordonner la Suisse, nourrice des soldats, comme elle s'est déjà subordonné l'Italie, maîtresse des clercs : On ne peut douter, lisons-nous dans le mémoire destiné au Roi et au Conseil, que les Espagnols n'aspirent 'à la domination universelle et que, jusqu'à présent, les seuls obstacles qu'ils ont rencontrés sont la séparation de leurs Etats et la faute d'hommes ? Or, par l'acquisition de ces passages, ils remédient à l'un et à l'autre.

La crainte d'une monarchie universelle, l'éternelle hantise de la France, détermine la position prise, dès l'abord, par le nouveau ministre contre une puissance si dangereuse à la liberté du inonde. On n'a pas oublié que l'Espagne était maîtresse de Paris en 1590. Or maintenant la France délivrée, il y a l'Europe : Que si le Roi se relâchait, il manqueroit à ceux qui sont en son alliance.

Le sort de l'Italie et de la Papauté, qui intéresse si grandement la sécurité politique et religieuse du Royaume, est, de toute évidence, également en grand péril du t'ait que l'Espagne regarde d'un œil de convoitise les passages des Alpes : Par ces passages, nous empêcherions que l'Italie fût inondée du déluge d'hommes que les Espagnols y feroient descendre, et en France même, de leurs États de Flandre el d'Allemagne et qu'ils ne fermassent les portes de l'Italie à tout secours, contraignant le Pape d'être leur chapelain et faisant plier le col à tous les autres potentats de l'Italie sous le joug de leur servitude.

La politique anti-espagnole du nouveau ministre est donc des plus nettes, des plus énergiques : à peine conçue, elle devient action.

En mai 1624, sur le rapport fait par le cardinal au Conseil, on décide qu'il y a lieu de prendre immédiatement les mesures de sécurité nécessaires, par la force au besoin. L'ambassadeur Sillery est rappelé et la négociation romaine se trouve, non seulement suspendue, mais rompue. En même temps, des troupes sont massées sur la frontière et le marquis de Cœuvres, demeuré en Italie, reçoit l'ordre d'occuper, au premier signal, les défilés de la Valteline. Le gouvernement du cardinal se dirige ainsi selon les principes qui inspiraient, par opposition à la politique de Luynes et de Sillery, la plume de l'aman.

Un an s'est écoulé ; le nouveau ministre, qui s'était élancé un peu rapidement peut-être, a, en somme, réussi : l'armée du Roi a occupé les passages de la Valteline. A présent, uni au duc de Savoie, Lesdiguières assiège Gênes, dont on espère à bref délai la reddition. Le cardinal peut se donner l'illusion d'un succès qui lui ralliera à la fois le Roi et l'opinion. N'adressera-t-il pas à Louis XIII, quelque temps après (milieu de 1626), ces paroles, qui sont comme un chant de victoire un peu prématuré, à supposer qu'elles le trompent lui-même : Si Dieu me fait la grâce de vivre six mois, comme je l'espère, et davantage, je mourrai content voyant l'orgueil de l'Espagne abattu, vos alliés maintenus, les huguenots domptés, toutes factions dissipées, la paix établie dans le Royaume...[6] ?

Mais voilà que soudain, en plein succès, une grave difficulté s'est jetée à la traverse : les protestants, à la suite de Soubise, menacent d'un dangereux soulèvement dans le sud-ouest.

Nous connaissons le problème protestant et la place qu'il occupe dans la pensée de Richelieu. Assurément, le prélat est loin de se laisser entra1ner par l'esprit de sa robe. Homme d'État avant tout ; il considère la difficulté d'État plus que le problème des croyances. Tout en ayant combattu, dans ses écrits épiscopaux, la Réforme et dénoncé l'attentat qu'elle a commis à l'égard de l'unité chrétienne, ses sentiments le porteraient plutôt vers une tolérance à la Henri IV. Nous avons cité déjà les paroles qu'il adressait, en prenant possession de son siège épiscopal, aux protestants du diocèse de Luçon : Je sais qu'en cette compagnie il y en a qui sont désunis d'avec nous, quant à la croyance ; je souhaite, en revanche, que nous soyons toujours unis d'affection. Je ferai tout ce qui me sera possible pour vous convier à avoir ce dessein qui vous sera utile aussi bien qu'à nous. Dans le cours de son ministère, le cardinal devait faire les plus grands efforts pour arriver à l'union, à la réunion des deux Églises.

Mais ses fonctions l'obligeaient, maintenant, à considérer les choses du point de vue de l'État, de l'autorité royale, de l'unité française. Or la situation créée, dans le Royaume, au corps des protestants par l'édit de Nantes lui-même, était du maniement le plus délicat. La pacification, si péniblement obtenue par Henri IV, avait reporté les difficultés plutôt qu'elle ne les avait résolues. De l'application de l'édit, il résultait des difficultés chaque jour renaissantes qui mettaient le gouvernement royal sur un fagot d'épines, les torts étant, d'ailleurs, des deux côtés. D'une part, à la Cour, le parti catholique, — notamment du temps de Sillery et de Puisieux, — empiétait systématiquement sur les conditions de l'édit- : à tout moment, c'étaient des places protestantes occupées ou fermées, des forts détruits. des grands seigneurs convertis par autorité ou corruption, des pasteurs détournés ou séduits, si bien que les protestants, pour avoir des hommes sûrs, étaient trop souvent obligés de prendre leurs ministres parmi les étrangers. En 1623, le synode national de Charenton avait formulé des réclamations, la plupart fondées, contre les infractions au traité. Le Roi avait répondu d'une façon assez favorable sur le principe : Les réformés conserveraient le bénéfice des anciens édits, tant se maintiendraient dans le devoir de l'obéissance : mais il formulait nettement sa volonté qu'aucun ministre ne fût désormais reçu dans l'ordre s'il n'était sujet du Royaume. Il renouvelait l'interdiction des assemblées politiques, et nième imposait la présence d'un commissaire-orateur représentant l'autorité royale dans chaque synode. Les protestants n'avaient pu obtenir gain de cause sur les deux revendications qui leur tiennent le plus à cœur : la destruction de la citadelle que Valençay, gouverneur pour le Roi, construisait à Montpellier et le rasement du fort Louis que les ingénieurs royaux élevaient à proximité de La Rochelle[7].

C'est à la suite de ces divers mécontentements que les protestants, encouragés sans doute par les difficultés où se trouvait engagé le Roi du côté de l'Espagne, avaient, à l'appel de Soubise et de Rohan, repris les armes. Le sud-ouest tout entier était en rumeur et se préparait à la guerre, avec La Rochelle connue bastion vers le nord et connue porte ouverte sur l'océan.

Le cardinal considère toute cette tempête d'un cœur assuré. On en était en un point, écrit-il dans son mémoire de 1625, où tout semblait conspirer à rabattre l'orgueil de l'Espagne : la force et l'autorité du Roi, ses armées bien munies, ses caisses pleines, ses alliances confirmées, son appui recherché par la Savoie, par l'Angleterre, tout paraissait se prêter au succès de la politique énergique engagée contre l'Espagne. Cependant l'homme d'État, franc avec soi-même, est bien obligé de reconnaître, qu'en cette heureuse conjoncture des affaires, l'attitude des protestants lui donne de graves sujets d'inquiétude. Cette disposition du parti tendant à profiter de tous les embarras du gouvernement royal pour s'essayer à ces tentatives de rébellion qui vont jusqu'à prévoir une sorte de séparation, est chose intolérable. Un jour ou l'autre, il faudra en finir avec un esprit de hargne qui fait courir de tels dangers à la cause publique. Abattre les protestants, sera donc l'un des buts principaux que se propose le cardinal.

Mais l'heure est-elle arrivée ?

Le cardinal, depuis qu'il est au ministère, a beaucoup réfléchi, beaucoup appris. Le triple but qu'il se propose n'est décidément pas si facile à atteindre. Le dehors et le dedans se tiennent, influent l'un sur l'autre, s'entraident ou s'entravent. On ne pensait qu'à l'Espagne, et voici les protestants. S'engager contre les protestants ? Si on le fait, on peut s'attendra à d'autres complications : la Cour, l'armée, l'argent, les passions, les intérêts particuliers... Donc, il faut s'habituer à rendre la bride ou à tirer sur les rênes selon les circonstances pour mener, sans péril de chute, un attelage si compliqué.

Chef du ministère, le cardinal n'a plus à s'occuper seulement du secrétariat des Affaires étrangères, il doit veiller à tout, mettre la main à tout, étudier les voies diverses qui s'ouvrent devant lui, les obstacles qu'on a déjà rencontrés ou ceux qu'il faut savoir deviner. Ces réalités, ces prévisions n'imposent-elles pas des délais, des détours, peut-être des renoncements ?

Parcourons le tableau si vaste, aux perspectives quelque peu diverses et confuses, qui se déroule aux veux du ministre.

 

Si l'on considère le dehors, une Europe en plein désordre, où l'on ne peut dire si ce sont les conflits spirituels ou les intérêts matériels, l'esprit de rapine et de violence ou le besoin de paix et de repos qui animent les gouvernements et les peuples : un immense machiavélisme couvre la chrétienté de sa trame obscure et entrave les meilleures volontés.

D'abord, cette Espagne ; avec sa politique complexe, insondable ; avec son secret de l'Escurial, ses bandes disciplinées et féroces, ses galions des Indes renouvelant chaque année un trésor qui peut se croire inépuisable ; avec sa position incontestée de maîtresse des catholiques, y compris les moyens et ramifications infinies que cela suppose ; tenant sous sa coupe la moitié de l'Europe et, presque entier, ce monde nouveau de l'Ultramar, si étendu que le roi d'Espagne peut dire : le soleil ne se couche pas sur mon domaine ; tant de princes et tant de peuples à la botte ou à la solde ; le clergé, les moines, les Jésuites, tous escomptant, pour la cause sacrée, l'approbation du Pape et la bénédiction de Dieu ; les femmes, les artistes, les ambitieux, les chimériques, même les mystiques, tous attirés par la religion, la puissance ou l'or.

L'Allemagne, où la guerre intestine est déchaînée pour longtemps dans le heurt des trois religions, catholicisme, luthéranisme, calvinisme ; en proie aux militaires, Mansfeld, ce Marius, Waldstein, ce Sylla[8], et tant d'autres capitaines tramant leurs armées comme des socs d'un bout à l'autre du pays ; le seigneur-soldat s'offrant au plus offrant, ne se donnant qu'au chef le plus avantageux : Moi, je marche d'un pas assuré, dit le chasseur de Schiller, et je marche hardiment sur le bourgeois, comme mon général sur les princes. Les choses vont ici connue dans l'ancien temps, quand le sabre décidait de tout... Tout ce qui n'est pas défendu est permis. On ne demande à personne quelle est sa croyance ; il n'y a que deux choses essentielles : ce qui regarde le service et ce qui ne le regarde pas, et je n'ai de devoirs qu'envers le drapeau[9].

Dans cette Allemagne, dans cet Empire qui pourrait mieux s'appeler un chaos, les princes creusant chacun leur plaie. Ferdinand, duc d'Autriche, roi de Bohème, roi de Hongrie, Empereur depuis 1619, qui, après avoir chassé de Prague l'électeur palatin, a juré d'extirper le protestantisme. En face, les deux adversaires, chefs ou promoteurs de la ligue protestante : le prince palatin Frédéric, battu en 1620 à la Montagne Blanche, réfugié en Angleterre près de son beau-père, Jacques let ; le roi de Danemark, d'abord vainqueur et maitre de l'Allemagne du Nord, mais qui, battu bientôt à Lutter par Tilly, n'aura plus qu'A se réfugier dans son modeste royaume. Puis, le duc de Bavière, Maximilien, vainqueur à la Montagne Blanche, qui, ayant obtenu de l'Empereur l'électorat du Palatin, est le héros du catholicisme, mais qui, ne voyant que ses intérêts, est parfaitement capable de changer de ristourne, si on sait lui offrir ce qu'il convoite[10]. En plus, une nuée de principicules, soldats, diplomates, électeurs, évêques, abbés, marquis ou margraves, tous à vendre, si on y met le prix, et qui font pâture, dans la riche Allemagne, de cette broussaille du particularisme auquel elle est vouée[11].

En Angleterre, ce Jacques Ier, fils tragique de Marie Stuart, successeur de la grande Élisabeth, pédant couronné, théoricien de l'absolutisme, dont le règne a laissé, par la Conspiration des poudres, la trace la plus profonde sur toute l'histoire anglaise. Il va mourir, précisément en 1625, léguant à son fils, le malheureux roi Charles, un Parlement hostile et l'odieuse faveur de Buckingham. Chef du parti protestant en Europe, comme le roi d'Espagne est le chef du parti catholique, le père a conçu un montent, pour le fils, l'étrange rêve d'une union par mariage entre les deux couronnes hostiles, et il met le feu à l'Europe en s'enflammant lui-même pour les droits du Palatin, son gendre, qu'il est incapable, d'ailleurs, de sauver soit par les négociations, soit par les armes.

Dans le pays des embouchures, sur l'Escaut, la Meuse et le Rhin, les rebelles de Hollande, répandant en Europe pour la première fois les semences de la liberté, ont secoué le joug de l'Espagne et, s'appuyant à la fois sur la France et sur l'Angleterre, sont eu train de bath., faute de territoire, une étrange Laputa de ports, de canaux, de vaisseaux et de colonies lointaines, suspendue, en quelque sorte, au-dessus des destinées de l'Europe. Ayant compliqué leur difficile histoire d'atroces querelles religieuses, ils sont exsangues, si on ne les alimente pas : ils attendent, dans un spasme d'orgie, l'issue de l'illustre siège de Breda[12]. Quant à leurs voisins des provinces belges, rentrés au giron du catholicisme et de l'Espagne, ils offrent leur  plantureuse terre au ravage des deux partis.

La péninsule italienne est subordonnée à la péninsule jumelle par la Sicile, Naples, les Pouilles, le Milanais : ce qui lui reste d'indépendance ne tient que par un fil. A Rome, le nouveau pape Urbain VIII (Barberini) ose à peine se souvenir de ses premiers sentiments français. Florence, le petit grand-duc Ferdinand II de Médicis, encore mineur, fléchit sous le poids du lourd héritage. En contact avec les puissances européennes, seulement deux États libres, l'un plein de passé, Venise, l'autre plein d'avenir, la Savoie, cherchent l'appui de la France contre l'Espagne, et, au point de jonction des pays méditerranéens et des pays du nord, oscillent selon les mouvements de la balance politique.

 

C'est entre ces forces vivantes et ces cadavres, entre ces puissances et ces impuissances, que la politique française doit cheminer. Son choix décidera : on se groupera soit autour d'elle, soit contre elle, selon qu'elle choisira, elle-même, Richelieu pèse le pour et le contre jusque dans de menus détails, où se complaisent ses Mémoires.

Trois partis à prendre pour le cardinal : ou s'attacher à la politique catholique, celle des mariages espagnols, celle des Reines et spécialement de Marie de Médicis, celle de sa pourpre et celle de Rouie, conséquemment vivre en bons ternies avec l'Espagne et lui devenir un brillant second ; ou bien, juste à l'opposé, reprendre la politique de Henri IV, la politique dont lui-même, malgré sa mitre, s'est fait une arme dans l'opposition, unir la France aux Puissances protestantes, pousser jusqu'à l'extrême les conséquences du mariage d'Angleterre qui est en train de se réaliser, prendre en mains les intérêts du Palatin, élargir le conflit de la Valteline en tombant sur le Milanais, ébranler la puissance de l'Espagne dans la péninsule italienne et faire trembler Rome ; ou bien, enfin, prendre une position tierce, une position d'attente , peut-être d'arbitre, s'installer au fléau de la balance, ne rien abandonner, ne rien risquer, ménager les catholiques et les protestants, traiter sous main avec tous, même avec ce difficile Bavarois, que peut-être on finira par gagner, si on lui vend le Palatin, caresser, leurrer, tromper les deux adversaires, sinon par des paroles, du moins par le silence, et aller au luit, — au triple but, — s'il le faut, comme les railleurs, en lui tournant le dos.

 

Mais ce choix, auquel il faudra bien se déterminer, que les circonstances réclament, le cardinal peut-il le faire ? Sa vue est claire, sa volonté est forte ; mais ses mouvements sont-ils libres ? Ici, d'autres considérations assaillent son esprit : il a envisagé le dehors ; a-t-il tenu compte du dedans ?

La rébellion des huguenots !... Sans aucun doute, tant que les huguenots auront le pied en France, le Roi ne sera jamais le maître au dedans ni ne pourra entreprendre aucune action glorieuse au dehors[13]. Non pas que leur puissance soit d'elle-même assez considérable pour arrêter le Roi de poursuivre le dessein de faire la guerre au dehors, mais il faut compter que l'Espagne les favorisera d'argent et de vaisseaux[14]. Avant de s'engager contre eux, il y a bien d'autres choses à considérer : prendre un tel parti, en effet, c'est s'attirer sûrement l'hostilité de l'Angleterre, rompre avec les protestants d'Allemagne, avec la Hollande, renoncer à la politique de Henri IV, annuler les effets du mariage d'Angleterre, irriter la Savoie, désorienter Venise, en un mot isoler la France en Europe et la mettre à la merci de l'Espagne.

Et puis, toujours à l'intérieur du Royaume, le moindre mouvement menace d'en déclencher d'autres, à l'infini. Les grands sont sages : qui peut répondre de leur sagesse, si l'horizon se charge ? Combien sont-ils qui désireraient qu'il arrivât quelque remuement, pour cependant faire mieux leurs affaires[15] ? Il suffit de regarder autour de soi, parmi les ministres, dans les entourages du Roi, des Reines, des princes de la famille royale : la Cour est pleine de gens qui n'attendent autre chose qu'un mauvais succès, pour se servir du talent qu'ils ont acquis à faire du mal à ceux qui servent le public[16].

Et le peuple du Royaume, enfin, est-il en état de supporter le poids d'une politique doublement dangereuse et onéreuse ? la foi, la volonté, les hommes, les ressources, l'argent ?

Car il faut toujours en venir à cette question d'argent qui entre, du premier coup, comme un poignard dans le cœur de l'homme d'État. A peine engagé, il a senti la pointe : Quoique le Roi ait de l'argent, écrit-il, et que l'argent n'ait pas encore manqué aux armées (sur le mot encore, le front se plisse), les dépenses sont si excessives en France, que personne ne saurait répondre qu'on puisse toujours fournir à de si grands frais, vu, principalement, qu'en matière de guerres, on sait bien quand et comment elles commencent, mais on ne peut prévoir le temps et la qualité de leur lin, d'autant que l'appétit vient parfois en mangeant et que les armes sont journalières...

Du temps du roi Henri IV, le pays avait retrouvé quelque aisance ; mais voilà quinze ans de cela et les incartades des grands, les dilapidations de la Reine mère ont tout dévoré. Le trésor amassé par Sully dans les caves de la Bastille a fondu : le vieux ministre en fait assez de bruit. On a bien repris une douzaine de millions au trésorier de l'Épargne Beaumarchais, beau-père de La Vieuville, et aux compagnons de ses voleries : mais ce n'est qu'une goutte d'eau. Par quelles voies, de quelle autorité, avec quels risques d'impopularité imposera-t-on de nouvelles charges au pays ?

Et voici qu'un fléau terrible survient : la peste. Le Roi, les ministres seront obligés bientôt de fuir les villes pour aller chercher un air pur de château en château. Quant à la nasse, au pauvre peuple, il succombe. Des scènes affreuses, plus affreuses que le fléau lui-même, vont déshonorer la face du Royaume. En pareilles conditions, peut-on superposer une ruine dont on ne cannait pas la fin à cette ruine qui s'étend et gagne de toutes parts ?

Poursuivre la guerre contre l'Espagne, entamer la guerre contre les huguenots : desseins justifiés assurément, nais il faut envisager la question sous tous ses aspects et, selon l'expression même du cardinal, tourner le feuillet : Quelles autres considérations, lisons-nous dans les Mémoires, peuvent contre-peser celles qui sont ci-dessus déduites ?[17]

 

A considérer l'ensemble de la situation, les choses, ni en Europe ni en France, ne sont assez pressantes et assez claires pour .prendre un parti qui peut, quel qu'il soit, culminer plus loin qu'on ne voudrait. Le plus sage ne serait-il pas d'attendre ? Que va-t-il advenir, par exemple, du siège de Breda, qui, s'il tourne mal, comme tout l'indique, libérera les troupes victorieuses de Spinola ? Que va-t-il advenir des armées du roi de Danemark et quels renforcements les troupes victorieuses de Tilly ne vont-elles pas apporter aux armées catholiques d'Allemagne ? Quel sera le succès des démarches tentées auprès du Bavarois ? Fancan a des relations secrètes avec l'Électeur : il a tout intérêt à nous leurrer. Car ce Fancan lui-même n'est pas sûr. A Rome, le changement de Souverain Pontife aura peut-être de bons résultats, — peut-être ; car si le nouveau Pape est capable, il est bien mal entouré. En Angleterre, enfin, le roi Jacques venant de mourir, que sera le nouveau Roi ? Gardera-t-il ce dangereux Buckingham ? Pliera-t-il devant la majorité puritaine du Parlement ?... Doutes, indécisions, suspens.

Oui, le mieux est d'attendre, de voir venir, de se réserver ; en tous cas, de s'en tenir aux affaires absolument urgentes, à celles qui sont sur la table, sans anticiper sur un avenir incertain.

Elles suffisent bien comme cela :

D'abord, les difficultés avec l'Espagne au sujet de la Valteline ;

Parallèlement, l'affaire des huguenots ;

Et, le mariage d'Angleterre étant décidé, les suites de ce mariage.

C'est donc sur ces trois points que se concentre l'attention dm ministre et, à leur étude, il apporte un effort de volonté et d'ingéniosité qui suffit à l'absorber tout entier.

A y regarder de près, en effet, il est bien obligé de reconnaître que ses premières décisions et exécutions ont été un peu promptes et qu'elles doivent être reprises sur nouveaux frais.

Certes, il n'a pas à se plaindre des résultats obtenus : dans les Alpes, l'armée du Roi a remporté des succès appréciables, bien que ce siège de Cènes trahie en longueur. Tout compte fait, l'Espagne est embarrassée : on la sent qui cherche une issue ; partout ses embarras se sont accrus ; elle est sans argent, les galions des Indes étant capturés ou guettés par les capitaines hollandais. Selon les conseils du plus prudent de ses ministres, il semble qu'elle hésite à pousser à fond la politique des passages. Peut-être se prêterait-elle à quelque concession qui permettrait de régler raisonnablement la question des forts. En soi-même, le cardinal est bien obligé de reconnaître que ni sa position ni celle de la France ne sont, en ce moment, assez solides, assez sûres pour lui permettre de persévérer dans l'une ou l'autre des politiques extrêmes et, encore moins, d'agir contre les deux adversaires à la fois.

Attaqué par les protestants, s'il s'engage à fond contre l'Espagne ; rompant avec l'Angleterre et les princes protestants, s'il s'engage à fond contre les Rochelais : tout lui est péril et, en cas d'insuccès, catastrophe. Ainsi, avant tout, se fortifier soi-même, fortifier ses instruments et fortifier le Royaume. Et, pour conclure, ne rien brusquer, gagner du temps. A tous les points de vue, la paix est le parti à prendre pour mieux aborder, par la suite, les secrets desseins retardés.

La paix, donc... Mais quelle paix ? La paix des huguenots ou la paix d'Espagne ? Eh bien ! les deux à la fois, tel est le dessein auquel, par une extraordinaire finesse de jugement et par une singulière autorité sur soi-même, s'arrête le jeune ministre ; dessein tout personnel, infiniment complexe et que l'homme d'État déjà consommé saura mener à bonne fin, comme il le dit, par une conduite pleine d'industrie inaccoutumée, qui portera les huguenots à consentir à la paix de peur de celle d'Espagne et les Espagnols à faire la paix de peur de celle des huguenots[18].

Mais, au moment de s'engager dans une telle procédure, encore faut-il se préoccuper du troisième problème, celui des conséquences à tirer du mariage d'Angleterre, puisque c'est chose faite. Le cardinal va donc s'efforcer de ne rien perdre de ce côté, en ayant soin de se dégager des autres ; il fera entrer les relations avec l'Angleterre dans sa politique d'ensemble, de façon à combiner le tout en un système solidement agencé et bien emboîté. Il sait qu'il ne peut y avoir, pour la France, de politique européenne efficace, si on n'a pas mis au point d'abord les rapports avec l'Angleterre. Or il a négocié minutieusement cette affaire du mariage, de façon qu'elle lui ouvrit une porte à la fois vers les catholiques et vers les protestants. En somme, par ce mariage, il a la main dans les affaires intérieures d'Angleterre, et il saura bien jouer de cet avantage de façon à l'occuper citez elle.

Reprenons le détail des événements et entrons maintenant dans le fond de cette politique pleine d'industrie, en suivant d'abord l'affaire du mariage anglais, où une fille de France est offerte en holocauste au calcul profond de la politique.

 

 

 



[1] Cette lettre si forte est d'une authenticité incontestable, en dépit de l'opinion de Voltaire, puisqu'elle est citée par Lepré-Balain, Supplément à l'Histoire de France, où sont expliquées les plus considérables affaires de cet État durant l'administration du Cardinal-Duc de Richelieu depuis l'année 1624 jusqu'en 1638, Bibliothèque Nationale, 1655, Nouvelles acquisitions, n° 6823, année 1624. Nous aurons à citer fréquemment ce précieux manuscrit qui s'appuie sur les papiers du Père Joseph. Voir, à ce sujet, le livre de M. le Chanoine Louis Dedouvres, Le Père Joseph de Paris, Capucin, Beauchêne, 1932, 2 vol., in-8°, t. I, p. 44 et suiv.

Tout au plus faudrait-il reporter la date de la lettre en août 1624, Richelieu parlant de sa nomination comme premier ministre. La lettre est publiée dans Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. II, p. 3.

[2] Lepré-Balain donne un détail qui précise le temps et les circonstances où l'évêque le Luçon et le Père Joseph s'appliquèrent ensemble à se faire une opinion sur les grandes affaires européennes : Le cardinal de Richelieu qui avait l'esprit généreux et cupide d'honneurs, ne voulut pas permettre que, durant son administration, ce Royaume fut humilié... il prêta l'oreille aux avis et ouvertures que lui proposa le Père Joseph, non de déclarer la guerre, à quoi jamais il n'a pensé, mais de se fortifier de plusieurs alliés, et ceci ensuite de plusieurs conférences qu'ils avaient eues ensemble sur ces matières, n'étant encore qu'évêque de Luçon, demeurant à ses prieurés des Roches et de Coussé (Coussay, V, l. I, p. 117), où le Père Joseph le voyait souvent, ayant dès ce temps grande habitude avec lui. Op. cit., anno 1625.

[3] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. II, p. 22, et ibid., dernier septembre 1624, p. 36.

[4] Les reproches faits à La Vieuville et qui ont décidé le Roi à le renvoyer durement, sont résumés dans la lettre qui vient d'être citée, Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. II, p. 21, et dans la lettre du Roi sur l'éloignement du marquis de La Vieuville, ibid., p. 25.

[5] Voir l'exposé de l'affaire de la Valteline, dans : Histoire du Cardinal de Richelieu, t. II.

[6] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. II, p. 215.

[7] Voir Anquez, Un nouveau chapitre de l'Histoire politique des Réformés de France, 1865, p. 80-100.

[8] Le double jeu très délicat de Richelieu, en ce qui concerne Mansfield d'une part et la Ligue catholique d'autre part, est exactement précisé dans les instructions du 27 novembre 1624 remises à M. de La Ville-aux-Clers se rendant à Londres en ambassade. Voir Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. II, p. 39. Voir aussi la note, p. 49 et encore, p. 58.

[9] Schiller, Le Camp de Wallenstein, sc. VI, traduct. X, Marinier, 3e série, p. 15.

[10] Sur les princes allemands, leurs rivalités, leurs appétits, voir en particulier Mémoires du Cardinal de Richelieu, édit. Soc. Hist. de France, IV, 226, et le récit de Marescot dans les lettres de l'ambassadeur vénitien, août 1625 (hlza 62).

[11] En ce qui concerne le double jeu de la Bavière, double jeu qui finit par donner ses résultats en 1657, voir le Mémoire pour le Roi, du mois de mai 1625, dans Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. II, pages 80 et 85, et surtout les précisions apportées par Lepré-Balain sur le rôle du Capucin Alexandre d'Alais, travaillant à un rapprochement avec la Bavière et secondé par Fancan, op. cit., anno. 1625.

[12] Breda capitule fin mai 1625.

[13] Sur les origines de la rupture avec les réformés, voir ce que dit Lepré-Balain : il attribue une responsabilité toute spéciale aux hommes du Consistoire, à ces fronts d'airain opposés à la politique plus conciliante du duc de Rohan et des principaux chefs du parti. — Cf. Mémoires, t. V, p. 29.

[14] Mémoires, t. V, p. 27.

[15] Mémoires, t. V, p. 26.

[16] Mémoires, t. V, p. 34.

[17] Mémoires, t. IV, p. 24.

[18] Mémoires, t. V, p. 206.