HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

RICHELIEU CARDINAL ET PREMIER MINISTRE

CHAPITRE DEUXIÈME. — RICHELIEU CARDINAL.

 

 

I. — Le siège de Montauban. - La fin de Luynes.

La guerre étant décidée contre le parti protestant, le Roi avait quitté Fontainebleau, le 1er mai 1621, pour se rendre à Orléans, puis à Blois, puis à Tours. Il descendait la Loire en bateau.

A Bourgueil, il avait reçu, le 16 mai, la visite de la reine mère. Celle-ci était très embarrassée[1]. Accompagnerait-elle le Roi dans sa campagne contre les protestants ? Le faire, c'était s'atteler en quelque sorte au char du connétable. Mais laisser le Roi, c'était abandonner la partie. Elle se décide à suivre l'armée, sans trop s'écarter cependant des bords de la Loire, où elle se plaisait. Elle alla jusqu'à Saumur, place forte dont le gouverneur était Duplessis-Mornay.

Luynes, en agissant par l'intermédiaire de Villarnould, gendre de Duplessis-Mornay, obtint, pour le Roi, l'entrée dans la ville et il sut se faire ouvrir également les portes du château. Le vieux huguenot fut plus mécontent que surpris. Il espérait que, le Roi une fois parti, on lui rendrait le gouvernement de la place ; mais il n'en fut rien. On la lui emprunta par un acte en bonne et due forme, avec le ferme propos de la garder. La ville fut donc perdue pour les protestants. Les plus violents accusèrent Duplessis d'être le complice de la fraude dont il était la victime. Sa faiblesse ou sa prudence passèrent pour de la trahison. Il ne survécut guère à sa peine[2].

Dès Saumur, les dégoûts commencèrent pour la reine mère. On ne prit même pas la peine de lui assigner un logement et Luynes occupa celui qui devait lui être réservé. Le Roi, quittant Saumur, se dirigea sur Saint-Jean d'Angély où commandait Soubise, le frère du duc de Rohan. Soubise, sommé de se rendre, s'avança sur la muraille, le chapeau à la main, pour entendre le héraut d'armes, et il déclara qu'il étoit là de la part de l'assemblée et que l'exécution des commandemens du Roi n'étoit pas en son pouvoir. Le siège commença. On avait des nouvelles très satisfaisantes du reste du royaume. Sauf dans le Sud-Ouest, les protestants étaient contenus partout. Bien loin de se mettre en campagne, ils ne pouvaient même pas se réunir en troupes armées ; la plupart des villes ouvraient leurs portes au vu des ordres du Roi[3].

Marie de Médicis félicitait amèrement le connétable. Bientôt, elle n'y tint plus, et, pour se réconforter, elle se résolut à aller passer quelques jours dans l'intimité de son cher évêque. Elle se rendit, avec lui, dans l'étroit prieuré de Coussay. C'était une faveur si extraordinaire que les documents publics contemporains l'ont tue. Quant à Richelieu, en recevant, dans ce modeste manoir où s'étaient écoulées les années pénibles de sa jeunesse et de son évêché crotté, la reine veuve, de Henri IV et mère du Roi, en la sentant si près dans cette solitude aux longs horizons mélancoliques, il ne se possédait pas de joie, comprenant à quel point une telle démarche engageait la Reine et avertissait la Cour[4].

Dans le tête-à-tête, on arrêta tout le plan de conduite à suivre à l'égard de Luynes. Pour le moment, on ne quitterait pas le Roi. La reine mère le rejoignit devant Saint Jean d'Angély, vers le 12 juin. Elle fut logée au château de Matha, à quelques lieues de la ville ; mais là les dégoûts, recommencèrent.

On lui reprocha de fortifier Angers, comme si elle se préparait à soutenir un nouveau siège. On répandit le bruit que, suivant les conseils de l'évêque de Luçon, elle travaillait à constituer dans le royaume un tiers-parti qui se poserait en arbitre entre le Roi et les protestants[5]. Richelieu faisait étalage de son zèle auprès de Luynes en dénonçant les armements des protestants dans la région[6]. Mais ces habiletés ne trompaient personne. On était en des brouilleries perpétuelles ; on s'épuisait en négociations vaines.

La Reine perd de nouveau patience. Saint-Jean d'Angély capitule le 25 juin. Elle laisse le camp et vient apaiser son cœur ulcéré chez son ami ; mais, cette fois, à Richelieu, non plus à Coussay. L'évêque affecte une parfaite sérénité ; de là il écrit à l'archevêque de Sens des lettres où il affirme que la Reine et le connétable ne se sont jamais séparés en meilleure intelligence. C'est une feinte. Cependant, comme le Roi quitte ces régions pour s'enfoncer dans le Sud, on te rejoint, on l'accompagne encore et l'évêque écrit que si la Reine trouvait un Couzières sur sa route, elle en mesureroit volontiers les allées pour huit ou dix jours. Elle va jusqu'à Blaye. Puis elle se dégoûte définitivement ; elle s'éloigne de l'armée et rentre lentement vers le Nord, par Angers.

C'est, de nouveau, la rupture complète. Luynes, voyant tout céder devant lui, est au comble de l'orgueil. Il écrit à son beau-père une lettre qui n'est qu'une gasconnade impudente : Quelle est la chose que Dieu ne peut quand il veut donner son assistance à un grand Prince ? Vous le voyez par tout ce qui s'est passé. Il ne nous manque que les jambes pour aller plus vite ; car elles ne peuvent point suffire au chemin qu'il nous faut faire... Il ne reste plus à M. de La Force qu'à capituler. Je ne sais pas encore de quelle farine sera le pain. M. de Rohan est à Montauban, lui, bien épouvanté, je crois, et nous bien résolus d'aller bientôt et courageusement lui donner l'assaut... Si les choses continuent à aller comme maintenant, nous aurons bien vite expédié le tout et vous pouvez dire que vous avez un gendre qui n'a pas été sans vous faire honneur ; car il a exposé sa vie pour son Dieu, pour son roi, pour le devoir de sa charge... Vantardise d'autant plus ridicule que, de l'avis commun, Luynes n'aimait pas beaucoup à s'exposer au feu[7].

On dirait que les succès de son adversaire ne font que roidir l'évêque de Luçon. Jusqu'alors, il avait essayé de couvrir les mécontentements réciproques entre la reine mère et le favori. Maintenant, il ne dissimule plus. On peut croire qu'il a fait son deuil de l'affaire du chapeau. A Rome, La Cochère s'aperçoit de ce changement et se plaint de l'excès de retenue dans l'attitude et les démarches de l'évêque.

Mais celui-ci prétend garder, avant tout, sa dignité et son franc parler. La reine mère, sur son conseil, envoie au camp royal. M. de Marillac en mission confidentielle. Les instructions sont rédigées par Richelieu. Elles le prennent de haut au sujet de cette affaire des fortifications d'Angers, tant célèbre dans l'histoire. Ce ne sont d'ailleurs que plaintes, récriminations de toutes sortes et celle qui fait toujours le fond de la querelle, à savoir qu'on ne donne pas à la reine mère entrée au Conseil[8].

Même langage, et plus accentué encore, dans les lettres adressées, presque chaque jour, au bon archevêque de Sens qui sert d'intermédiaire. La Reine se plaint que le connétable méprise d'avoir son amitié. Tandis que Luynes écrit encore à l'évêque de Luçon, le 9 juillet, avec ses phrases excessives : Je voudrois avoir donné de mon sang et que vous fussiez avec nous, l'évêque réplique sur un ton très haut : M. le connétable me fait l'honneur de me mander que quelques-uns philosophent sur le voyage de la Reine ; et il me le mande obligeamment pour Sa Majesté vu qu'il dit qu'il en fait un jugement contraire. Les deux hommes se mesurent à ce simple rapprochement[9].

Luynes prétend se servir encore de la tentation du chapeau ; il en parle à Marillac : Richelieu répond en communiquant des nouvelles de Rome où La Cochère lui dit combien la cour de France travaille mollement à la promotion, et il ajoute simplement : Mon intérêt n'est nullement considérable ; celui de la France ne l'est pas peu, qui recevroit deux affronts de suite. Sur tout cela, je vous laisse faire ce que vous estimerez à propos[10].

La mission de Marillac n'arrangé rien, et Richelieu le fait encore savoir à Luynes dans une lettre extrêmement polie, mais nette : La Reine vous tient très bon ; ce sont ses paroles ; mais elle croit que vous vous rendez facile à recevoir de mauvaises impressions en ce qui la touche et que vous êtes détourné par autrui, et non par vous, de beaucoup de choses qui pourroient lui apporter contentement[11].

En même temps, l'archevêque de Sens reçoit une bordée terrible de la Reine elle-même. En vérité, on dirait qu'on entend la grosse femme : Le sieur de Marillac m'a rapporté que mon cousin le connétable lui avoit dit que quelques-uns faisoient mauvais jugement de mon voyage : Je me moque de leurs juge-mens... Si c'est faute d'être inutile dans les chaleurs du Languedoc, j'ai tort, mais pas autrement. Si j'étais utile à ce qui se fait je mépriserois ma santé... mais je ne puis digérer le mépris ; j'ai le cœur grand ; je ne suis point trompeuse, je ne le serai jamais.

Richelieu ajoute à la lettre de la Reine un commentaire froid, à sa manière : J'ai vu un temps que la Reine appréhendoit les mauvais rapports ; mais depuis quelque temps, elle ne s'en soucie plus... Entre vous et moi, je ne puis vous celer que le porteur ne m'ait dit une chose qui ne me plaît aucunement qui est qu'on persuade à M. le connétable que la Reine lui veut un extrême mal. Tout cela doit passer sous les yeux de Luynes.

Les choses, comme on le voit, sont au pire. Luynes sent qu'il a forcé la mesure. Il a quelques procédés aimables pour l'évêque de Luçon, dans des questions secondaires, permutation d'abbayes, etc. L'évêque envoie un nouvel émissaire, des Roches, pour le remercier. Mais le ton reste le même. Voici d'abord pour l'affaire du cardinalat : Si M. le connétable parle de l'affaire de M. de La Cochère ou que M. de Marillac et lui jugent à propos d'en parler comme d'eux-mêmes, ils se souviendront qu'il y a lieu maintenant de le faire et qu'on sait assurément de Rome que si on le veut absolument la chose est faite, mais qu'Amadeau (c'est Richelieu) n'en veut faire ni pas, ni planche, d'autant qu'il sait assurément que, si on le veut, cela sera, et que si on ne le veut pas, il ne le veut pas lui-même, ne désirant rien qui se fasse avec mécontentement...

Voici maintenant pour ce qui concerne les sentiments de la Reine : Se gouvernant comme elle le fait, elle tiendroit à grande injure qu'on pensât qu'elle fût capable de machiner quelque mal et qu'elle en voulût produire en quelque lieu qu'elle fût, sa bonne conduite étant attachée à sa personne et non aux conseils qu'on peut lui donner et à la nature des lieux.

Quant à l'évêque, ses dispositions sont résumées en quelques phrases : Le but qu'il a est qu'on ne trouve rien à redire à ses actions ; la Reine est tellement jalouse de sa liberté, qu'on ne peut dire d'avance ce qu'elle fera... Ce qui est certain, c'est que, l'évêque aimeroit mieux mourir que de manquer de fidélité à la Reine.

Pour prendre les choses sur ce ton hardi, quand il s'agissait d'un favori dont tout dépendait dans le royaume, il fallait que l'on fût bien sûr de son hostilité irréductible et il fallait qu'on eût des raisons sérieuses de ne pas la craindre. Sur ces deux points, en effet, Richelieu savait à quoi s'en tenir. Pour l'affaire du chapeau, Luynes n'avait en rien modifié les intentions qu'il avait fait connaître à la cour de Rome. Corsini, qui avait remplacé Bentivoglio, écrivait encore, le 4 novembre 1621 : Si l'on considère les sentiments particuliers du connétable, il ne veut certainement pas que l'évêque de Luçon ait le chapeau... J'ai vu que le connétable ne se soucie pas, au fond, de l'évêque de Luçon ; mais il désire que personne ne puisse découvrir le fond de sa pensée. Il m'a dit qu'il désire plutôt être agréable à Votre Illustrissime Seigneurie qu'à Luçon et nous sommes convenus ensemble que vous, lui, Modène et moi, serions seuls au courant de l'affaire[12].

Quant à la situation du favori, elle était bien changée. Les événements avaient réalisé les prévisions de l'évêque. L'assurance grandissante de celui-ci vient de la joie contenue qu'il éprouve, au fur et à mesure qu'il reçoit, de Marillac resté auprès du Roi, les nouvelles de ce qui se passe dans le Midi.

Tandis que le Roi, quittant les provinces où l'autorité royale était respectée, s'avançait vers les régions où la cause protestante était en force, il se rendait compte, à la fois, de la difficulté de l'entreprise et de l'imprudence de ceux qui l'avaient décidée sans la préparer. Pas d'argent. Les 80.0000 écus votés par l'assemblée du clergé n'étaient qu'une goutte d'eau. L'armée se constituait lentement ; elle n'atteignit jamais la moitié du nombre d'hommes que l'on avait prévus. Le commandement exercé par un courtisan qui portait le titre de connétable, mais qui n'était qu'un militaire dérisoire, manquait d'autorité et de suite. On allait devant soi, comme pour une promenade, mais de plus en plus pénible. Tantôt on parlait d'attaquer la Rochelle, tantôt de se porter sur Montauban.

L'armée royale avait devant elle des adversaires autrement redoutables. Rohan qui avait pris la responsabilité de la rupture, assumait celle du succès. Auprès de lui, La Force, soldat expérimenté et vieilli sous le harnais, jouait sa dernière carte et prétendait réparer les fautes commises dans l'affaire du Béarn. Ses enfants et gendre, Castelnaut, d'Orval, Montpouillan, faisaient comme une couronne de jeunesse autour du vieil athlète des guerres de religion. Un autre ami de Henri IV, le duc de Sully, qui ne devait jamais se consoler de sa chute, très riche et maitre de quelques places très fortes, songeait, parait-il, à profiter des circonstances pour se tailler une principauté indépendante dans la région[13].

C'étaient là des noms considérables. Mais surtout l'armée royale avait affaire à une population ardente, passionnée, soulevée par le fanatisme et, disons-le pour être complet, excitée par des intérêts particuliers. Depuis près d'un siècle, en effet, les biens clos catholiques, dans la plupart des villes du Midi, avaient passé aux mains des calvinistes. Les luttes politiques, parmi ces populations Apres et sans frein, avaient abouti A une sorte d'éviction générale. Or, l'exemple du Béarn prouvait que la restauration du pouvoir royal était suivie infailliblement de la restitution des biens usurpés, et notamment des biens ecclésiastiques. Les intérêts travaillaient donc dans le mémo sens que le zèle religieux[14].

Partout les prédicateurs remuaient les foules et ne faisaient que traduire leurs sentiments en les exagérant. Toutes les questions étaient débattues dans les temples ou sur les places publiques. Dans chaque ville, le parti formait un véritable gouvernement populaire. Ces tribuns étaient des hommes austères, froids, velus de la robe noire, se répandant en paroles abondantes et ; mêlant les citations de l'Écriture à la savoureuse et dramatique improvisation méridionale. Ils agitaient les esprits et les précipitaient vers les solutions extrêmes, remplissant les villes de rumeurs, les esprits de méfiances et les délibérations de surprises longuement ménagées. L'excitation de la parole, l'engagement des déclarations publiques, l'aigreur du soupçon, le courage naturel à ces peuples, l'ardeur de la foi, l'ivresse du péril, tout contribuait à les jeter — orateurs et auditeurs — dans une sorte de folie tumultueuse qui souvent touchait à l'héroïsme[15].

Rien de tel dans l'armée royale. On se battait pour Luynes, et cette idée n'était pas de celles qui suscitent l'enthousiasme. Une plaisanterie constante tournait autour du pauvre homme. La noblesse de la cour, légère et téméraire, s'exposant et se faisant tuer par bravade, se vengeait du chef qu'on lui imposait, en l'accablant de cuisantes piques. On répétait les Plaintes de l'épée du connétable :

Ha ! que fais-je au fourreau, lâche et perfide épée,

Que, comme au temps jadis, je n'assiste mon Roi ?

Et faut-il, qu'au lieu d'être à cette œuvre occupée,

L'araigne, jour et nuit, fasse un fuseau de moi.

Les grands Montmorencys, en semblables querelles.

M'avaient accoutumée à m'abreuver de sang[16]...

En un mot, cette campagne, décidée par un homme d'État de la petite fauconnerie, commandée par un connétable de carton, était traitée, par toute la Cour, comme une aventure un peu folle, mais sans risque sérieux. Personne ne songeait aux liens qui la rattachaient aux affaires générales européennes, très peu même étaient assez clairvoyants pour comprendre le péril que l'on faisait courir à un jeune roi inexpérimenté, dans les premières années de son pouvoir personnel. On en était encore à la drôlerie des Ponts-de-Cé.

Le premier avertissement fut la résistance de Clairac. Cette villette tint bon plusieurs jours et il fallut sacrifier du monde et plusieurs gentilshommes pour l'emporter d'assaut. Cependant, on prit, dans la ville, un officier protestant, nommé Sauvage, qui promit que si on le laissait faire, il saurait, par des moyens A lui, amener la reddition de Montauban qui était la capitale militaire du Languedoc. Des hommes expérimentés conseillèrent à Luynes d'aller mettre le siège devant la Rochelle. Mais les promesses de ce Sauvage le séduisirent. Le connétable était homme à s'engouer de ces procédures louches. Il dirigea donc l'armée royale vers le Midi et résolut d'attaquer Montauban. Il était plus enclin à traiter qu'à combattre.

La résistance avait été habilement et fortement organisée. Rohan ne s'était pas enfermé dans la place, comprenant que la confiance de ses défenseurs serait dans l'espoir d'un secours. Mais La Force y était, ainsi que d'Orval, un certain nombre de gentilshommes huguenots accourus des Cévennes pour aider leurs frères, et surtout plusieurs ministres et hommes de robe, gens de vertu, de sang froid et de résolution : Dupuy, Charnier, Constans, Bardou, Natalis. La tranchée fut ouverte à une époque déjà avancée de l'année, le 17 août[17].

Luynes comptait sur ses négociations pour obtenir la capitulation presque sans coup férir. Les assiégés lui enlevèrent une première illusion en mettant la main sur son émissaire, Sauvage. Celui-ci fut interrogé, mis à la torture et puis pendu, non sans avoir fait des aveux complets. Cette exécution découragea les traîtres[18].

La place ne fut jamais complètement investie. On n'avait pas assez de monde. Le Roi prit séjour à Piquecos, nid d'aigle perché sur une haute colline dominant la vallée du Lavarion, à une bonne lieue de Montauban : on ne voulait pas l'exposer de trop près ni le faire vivre au milieu des troupes. Le connétable, établi entre le Roi et la ville, du côté de la porte de Montmirat, avait sous ses ordres le maréchal de Praslin et son propre frère, le maréchal de Chaunes. Le quartier du duc de Mayenne était sur la rive du Tarn, en face du faubourg de Ville-Bourbon ; là commandait le maréchal de Thémines ; et enfin le maréchal de Lesdiguières, secondé par le duc de Chevreuse et le prince de Joinville, était campé du côté de la ville Neuve, entre la porte du Moustier et le Fort. Les attaques les plus vives furent poussées de ce côté par le prince de Joinville, et surtout du côté de Ville-Bourbon par le duc de Mayenne. Il y eut plusieurs assauts brillants où beaucoup de noblesse périt. Mais, en réalité, Luynes empêchait tout par ses éternelles négociations : tantôt avec Sully, tantôt avec Rohan, tantôt avec des personnages plus minces ; il était en manigance perpétuelle, comptant toujours que son savoir-faire arrangerait les choses. Il eût mieux fait de laisser agir les soldats[19].

Sur ces entrefaites, le chancelier Du Vair étant mort[20], Luynes ne sachant à qui confier les sceaux et ne voyant plus de fidélité assurée autour de lui, les garda pour lui-même. Il accumulait ainsi sur sa tète toutes les responsabilités et attirait sur elle toutes les foudres. Le Roi commençait à se méfier. Il tirait les gens dans les embrasures et leur parlait à l'oreille. Il se plaignait tout bas et disait que Luynes faisoit le Roi. Chez un prince qui n'avait pas assez de ressources pour mettre un long intervalle entre l'impression et l'action, ces dispositions étaient tout au moins dangereuses[21].

Cependant, Luynes, payant d'audace, remporta encore sur ses adversaires une nouvelle victoire qui lui parut décisive. Le parti catholique, auquel il avait tout sacrifié, ne le trouvait pas assez ardent. Le prince de Condé l'avait pris de haut avec lui et s'était retiré, dès la fin de l'année précédente, dans son gouvernement du Berry ; le Père Arnoux, resté près du Roi, menait dans le camp même toute l'intrigue contre le favori.

Le bon Père fut bien surpris quand, un beau jour, le Roi lui dit, d'un ton sec, qu'il n'avait plus besoin de ses services et qu'il lui retirait le soin de sa conscience. Jamais jésuite plus sûr de soi, ne fut plus décontenancé[22].

Le temps passait ; les semaines et les mois s'écoulaient. On bombardait à force. Selon les conseils du Père Dominique, venu exprès d'Allemagne pour bénir les urinées royales, on fit tirer, sur la ville elle-même et non plus sur les fortifications, trois cents coups de canon à la volée ; on livrait des petits assauts partiels où on perdait beaucoup de monde. On négociait toujours, et la ville ne se rendait pas.

Les seigneurs, et Rohan lui-même, eussent été d'assez bonne composition. Mais le peuple et les ministres étaient intraitables. Parmi ceux-ci, un des plus violents, Charnier, fut atteint d'un coup de canon en pleine poitrine. Sa mort fit de lui un martyr et ne découragea nullement les autres.

Un grand effet moral fut produit en sens contraire, sur l'armée royale, par la mort du duc du Maine. Il appartenait à la famille de Guise ; il était brave, libéral, aimable ; le peuple l'adorait. Il s'exposait follement. Un coup de mousquet le tua dans la tranchée, le 12 septembre[23]. Sa mort eut dans tout le royaume un immense retentissement. A Paris, la population se souleva et se porta au temple de Charenton, pour venger cette mort et tuer les huguenots.

Le siège tournait au désastre. Depuis le début, une grave épidémie de fièvre pourpre sévissait sur l'armée royale. Les eaux étaient malsaines, l'air empesté ; on ne suffisait plus à soigner les malades et à enterrer les morts ; les effectifs fondaient à vue ; tout autour du Roi, de grands personnages étaient atteints ; la personne royale était en péril ; partout on blâmait l'imprudence de l'homme qui avait exposé ainsi un jeune Roi, sans postérité.

Enfin, le 28 octobre, Rohan, qui tenait la campagne, fut assez adroit pour faire pénétrer dans la place un secours de quelques centaines d'hommes. C'était renouveler les forces et surtout la confiance des défenseurs de la ville. On essaya de négocier encore. Toutes les propositions furent rejetées. Les bruits les plus encourageants se répandaient dans Montauban : on disait que le Roi était dégoûté de la longueur du siège, qu'il allait quitter Piquecos pour s'éloigner de son camp contaminé ; on disait qu'à Piquecos, dans l'entourage du Roi, plusieurs personnes se mouraient ; on citait l'archevêque de Sens, grand ennemi de notre religion, Phelypeaux, sieur de Pontchartrain, secrétaire d'État du Roi, aussi notre grand adversaire. On disait que les chefs les plus expérimentés, comme M. de Lesdiguières, M. d'Estissac, avaient demandé au Roi congé de se retirer. Il est vrai que la maladie sévissait aussi dans la ville. Mais la foi et l'espérance soutenaient tous les cœurs.

On était au mois de novembre. L'hiver était commencé, des pluies continuelles rendaient le camp intenable. Rien n'avait été prévu, ni abris durables, ni approvisionnements, ni hôpitaux ; l'artillerie était sans munitions (on avait tiré seize mille coups de canon) ; en raison de l'état des chemins, on était exposé à manquer de vivres. Il fallut prendre le parti de lever le siège. On décampa le 10 novembre. Le roi pliait bagage devant ses sujets. Le mercredi 10, le roi quitta son logis de Piquecos et vint loger à Montbeton. Il passa, en y allant, devant mon logis et me dit, la larme à qu'il étoit au désespoir d'avoir reçu ce déplaisir de lever le siège[24].

Luynes accusait tout le monde. Il accusait la reine mère d'avoir voulu fomenter un tiers-parti[25]. Il s'en prenait au temps, à la saison, aux troupes, aux généraux qui commandaient sous ses ordres. Payant d'audace, il écrit au prince de Condé une lettre où il lui reproche qu'au milieu de ses plaisirs, il parle avec liberté d'une personne qui couche tous les jours de son reste pour le salut de l'État, mais ajoutant qu'il espère d'être quelque jour assez heureux pour faire sentir à ses ennemis l'injustice de leurs plaintes.

Au fond, il se sent perdu. La honte et l'impuissance le dévorent. II n'ose pas ramener le Roi à Paris, ni affronter lui-même, sous les coups de son échec, la raillerie de la grande ville où la Reine, Marie de Médicis, est rentrée en hâte. Autour de lui, ce ne sont plus que plaintes, blâme, défection, piège, péril. La Cour se venge et se prépare à l'accabler s'il tombe. Ruccellai seul lui reste fidèle.

En désespoir de cause, il s'en prend à Monheurt, petit château entre Aiguillon et Tonneins, qu'on croyait pouvoir emporter en un tour de main ; du moins, la campagne ne se terminerait pas sur un échec. Mais Monheurt se défend. Le connétable perd tout courage. Il fait venir un de ses amis, Contades : Contades dit-il, voilà ma compagnie défaite, Montauban que nous avons failli, Monheurt que nous ne pouvons prendre, les Huguenots, qui ne sont rien en effet, et qui résistent à la puissance d'un grand Roi. Qu'est-ce que cela ? Contades répondit que c'était la saison, les maladies, les pluies. Non, dit-il, Contades, mon ami ; il y a autre chose que je ne puis dire. Richelieu ajoute qu'il voyait que Dieu n'était pas de son côté.

Cet homme, qui avait été si constamment heureux, ne put supporter un pareil retour de la fortune. Dans les premiers jours de décembre, il fut atteint lui-même de la maladie. Il s'alita, se sentant frappé à mort. Ruccellai, qui se piquait d'originalité, le soigna avec un dévouement touchant. L'éruption se fit mal et rentra.

Monheurt fut pris et mis à sac, le 13 décembre. Le 15 décembre, Luynes était mort. La destinée, qui arrange si bien les choses, fit mourir, avec la faveur, le favori[26].

Louis XIII vit la mort de Luynes avec la froideur d'un Bourbon et d'un roi. Il fit écrire par ses secrétaires des lettres suffisamment émues au beau-père du connétable, le duc de Montbazon, et à la veuve, qui d'ailleurs paraît avoir porté le deuil assez légèrement, puisque trois mois après elle se remariait avec le duc de Chevreuse. Et puis, on ne parla plus du mort, qui, la veille, tenait une telle place. Quand on porta son corps pour être enterré, je crois, à sa duché de Luynes, dit Fontenay-Mareuil, au lieu de prêtres qui priassent pour luy, j'y vis de ses valets jouer au piquet sur son cercueil, pendant qu'ils faisoient repaitre leurs chevaux[27].

Pour Louis XIII, Luynes était l'homme qui l'avait fait roi. Ne pouvant se passer d'un appui et d'un guide, il s'était attaché à ce courtisan plus âgé que lui, insinuant et doux. Luynes s'entendait mieux que personne à faire jouer les ressorts, assez simples d'ailleurs, qui remuaient cette âme : le besoin d'une distraction perpétuelle, la méfiance à l'égard des proches et le goût contraint de l'autorité.

Louis XIII était de ces hommes qui ne peuvent être seuls et qui, incapables d'une application soutenue, remplissent les longues heures de la vie par l'activité physique et par d'insipides bavardages. L'accoutumance pouvait aller jusqu'à créer en lui l'affection, et même jusqu'à susciter une sorte de passion. II n'avait pas l'âme tendre, mais il était comme les timides qui adorent les visages connus, car ils représentent pour eux tout un monde. Si d'autres visages succèdent, les yeux prennent d'autres habitudes, sans que le cœur soit touché.

Ce sont les femmes qui s'emparent, d'ordinaire, de ces natures ennuyées et inquiètes. Mais la femme avait effrayé l'adolescent royal, marié trop tôt. Il s'en tint au favori. Il eut toujours auprès à e lui un homme : compagnon de chasse, familier, intime, ami, aimé, l'expression est aussi difficile à trouver que le sentiment lui-même à saisir et à préciser.

Le genre d'attachement que Louis XIII éprouva pour Luynes fut la première expérience de ces relations singulières. Luynes ménagea, au profit de sa faveur, la transition qui prolongea l'adolescence jusque dans la majorité. Ainsi, par tous les moyens, il resta maitre de l'esprit du Roi.

Il fut d'ailleurs le seul qui exerça véritablement une autorité politique. Luynes mort, Louis XIII qui, malgré tout, ne manquait pas de bon sens, se jura à lui-même de ne plus prendre ses ministres parmi ses favoris. Il tint parole, et ne mêla plus son amusement avec son devoir[28].

 

II. — Les Sillery. — Le Cardinalat.

Marie de Médicis apprit la mort de Luynes, à Paris, par une lettre du Roi des plus satisfaisantes pour elle. Louis XIII se retournait vers sa mère avec une vivacité qui suffit pour expliquer les longs ménagements du favori à l'égard d'une femme toujours puissante sur l'esprit de son fils. C'est à peine si le Roi mentionne l'ennui qu'il éprouve de la mort du Connétable : L'affection que j'ai pour vous, plus forte que tout autre ressentiment, ne souffre pas que mon esprit demeure davantage en ces tristes pensées. Il dit combien il a hâte de rentrer à Paris et combien il supporte mal l'idée d'être plus longtemps éloigné d'elle[29].

Richelieu reçoit, en même temps, une lettre de Schomberg, datée du jour même de la mort du Connétable, qui l'informait minutieusement et lui permettait de prendre le vent, au moment où il avait à commander, soudain, une manœuvre si difficile.

Avant tout, il fallait connaître les sentiments du Roi. La reine Marie de Médicis répondit à son fils dans les termes les plus tendres, et elle lui expédia aussitôt un homme en qui elle et l'évêque de Luçon avaient toute confiance et qui était leur intermédiaire habituel auprès du Roi, Marillac. Celui-ci trouve, à son arrivée, toute la cour en ébullition. Il prend, pour la reine, un crayon vivant de tout ce qui se passe. Il montre la cour surprise, n'ayant point encore de forme, l'abattement des amis de Luynes, la joie de ses adversaires, l'anxiété de tous ceux qui approchent le Roi et qui suivent son regard pour essayer de deviner la faveur du lendemain ou pour escompter du moins le cours du marché[30].

Quant. à la reine, elle a toute raison d'espérer. Le Roi a reçu avec un empressement particulier l'homme qu'elle envoyait près de lui. Il a écouté avec attention les plaintes discrètes que, selon ses instructions, Marillac avait formulées au sujet de la conduite du défunt Connétable. Lui, si taciturne, il s'était ouvert. Il me répondit en sorte qu'il témoigna trouver bonne la liberté avec laquelle j'avois osé lui parler du passé avec modestie, blâma le procédé du mort et se montra obligé à la longanimité de la Reine et à son respect ; il dit que la patience étoit sur le point de lui échapper. Pour l'avenir, il déclara que le désir de la reine mère étoit accompli, que jamais il ne tàteroit plus de favori ni de connétable, qu'il agiroit par lui-même sur toutes les affaires de son État, comme il faisoit à cette heure. Enfin, le Roi ajouta, dans une effusion bien rare chez lui : Que jamais il n'avoit pu douter que la Reine ne l'aimât, qu'il la supplioit de continuer : qu'il avoit grand désir de la voir, que pour cela comme pour les affaires qui l'y appelaient, il se rendoit à Paris.

II se sentait bien seul, en effet. Il avait besoin d'appui, de conseil, de direction, d'affection. Tout lui manquait à la fois. Sa méfiance était mise en éveil par les ambitions qui s'agitaient autour de lui. Cependant, dans sa pensée, les arrangements durables étaient reportés jusqu'à sa rentrée à Paris.

Quelle situation pour Richelieu ! Quel revirement soudain ! Que de méditations sur la conduite à suivre et sur celle qu'il convenait de conseiller à la reine ! On écrivit, tout d'abord, au Roi, une lettre dont les termes étaient pesés et où on abondait dans ses vues. La reine lui conseillait fortement d'agir désormais par lui-même, avec un bon conseil ; de ne partager son autorité avec qui que ce fût. La reine ajoutait qu'elle-même n'y prétendait nulle part, ne demandant que l'affection et la confiance ; elle déclarait son intention de se prêter uniquement à l'exécution de toutes les volontés du Roi. Et un mot, elle ne voulait être, auprès du fils, rien autre chose que la mère : été reprendre, par la voie la plus naturelle, la plus douce et la plus forte influence.

Mais la cour, remise du premier choc, veillait. Louis XIII était entouré d'un réseau d'ambitions très attentives. Autour de lui, les mailles se renouèrent promptement. Pour le travail des affaires courantes, il y avait, nécessairement, des gens ayant accès auprès du Roi : les ministres, les secrétaires d'État. Par la nature même de leurs fonctions, c'étaient des gens de procédure couverte, mais patiente, toujours en garde et toujours aux aguets. Les circonstances leur étaient propices. Ils ne laissèrent pas échapper l'occasion. Ils s'insinuèrent entre le Roi et la reine, durant le court intervalle qui sépare la mort de Luynes de la rentrée à Paris. Laissant couler les paroles et les sentiments, ils retardèrent autant que possible la rencontre. Quand elle eut lieu, il était trop tard. Le jeune Roi avait déjà pris de nouvelles habitudes.

Ces gens étaient d'anciens serviteurs de la couronne ; l'un, le père, Nicolas Brulard de Sillery, était chancelier du royaume. Il occupait cette charge depuis quinze ans. Henri IV l'avait choisi ; Marie de Médicis l'avait gardé ; il était un des Barbons. Le maréchal d'Ancre l'ayant écarté, Luynes l'avait rappelé et il avait vécu très effacé et souvent très mortifié sous la hautaine domination du favori.

Depuis longtemps déjà il avait réussi à glisser son fils, Puisieux, dans les fonctions de secrétaire d'État aux Affaires étrangères. En se faisant tous deux très petits, ils avaient vécu, et tissé leurs trames : ils avaient amassé une belle fortune, contracté des alliances, s'étaient constitué une manière de parti parmi le peuple des subalternes qui s'attache à ce qui dure. D'ailleurs, l'un et l'autre savaient le métier ; ils eussent été de bons ministres, si on pouvait faire des âmes de ministres avec des âmes de commis[31].

Sillery était homme d'expérience, de prudence consommée, écrivant bien et beaucoup, doux, facile, insinuant. Un contemporain le dépeint en quelques traits : il écoute paisiblement, répond doucement, prend hardiment, et donne du galimatias longuement. Son esprit inquiet était encore entravé par l'âge, l'avarice, la timidité et les impuissances inséparables de l'extrême vieillesse.

Son fils, Puisieux, était né dans le sérail. Sous Henri IV, le père avait obtenu pour lui, alors qu'il n'avait que dix-sept ans, le titre et l'emploi de secrétaire d'État. Il avait vécu à la Cour depuis lors, éloigné seulement pendant quelques mois au temps du maréchal d'Ancre. Avec l'âge et la pratique, il avait su rendre service au duc de Luynes ; il connaissait les affaires étrangères, savait parler aux ambassadeurs, savait surtout les écouter et les renvoyer à demi satisfaits, avec de bonnes paroles inutiles. Si la conduite des affaires extérieures pouvait se suffire d'une perpétuelle abstention, il eût été l'idéal des ministres. N'ayant pas une idée à lui, il empruntait celles des autres, et comme il en changeait souvent, il paraissait en avoir beaucoup ; il entretenait ainsi sa réputation par une tactique assez habile de plagiat discret et d'évolutions sournoises. Un pamphlet du temps dit, à propos de ce personnage : Il faut que vous sachiez que, de tout temps, on a appelé Galbouziers ceux qui prennent le nom de celles qu'ils épousent. Or, Puisieux était très honoré de l'alliance d'une Étampes de Valençay, et c'était une opinion à la Cour que si l'on voulait obtenir une faveur, ou un service, il fallait les demander à la Puisieuse : c'est ainsi qu'on l'appelait. Quant au mari, on l'avait baptisé un hermaphrodite d'État. C'était, dit Vittorio Siri, un homme irrésolu dans les affaires, inconstant dans les paroles qu'il donnait et plus artificieux que véritablement habile. Certains projets ambitieux et je ne sais quelles espérances du côté de la Cour de Rome le rendirent dépendant du Pape. Bassompierre dit de lui craintif et peureux. Rohan, dans sa manière sèche, achève le portrait : Puisieux, dit-il, homme de petit courage et dont l'industrie ne consistait qu'en tromperies[32].

C'étaient ces deux hommes que la fortune jetait maintenant en travers de la destinée de Richelieu, comme si elle eût voulu que le Roi Louis XIII fît le tour de toutes les insuffisances, avant d'appeler l'homme que la voix publique désignait. L'évêque, dans le premier moment, ne sut pas contenir son impatience. Son ambition si vive avait déjà la main tendue pour saisir le pouvoir. Laissons-le parler lui-même : Dès que le roi fut revenu à Paris, le 28 janvier 1622 (c'est-à-dire près de six semaines après la mort du connétable), on proposa d'abord si la Reine auroit entrée dans les conseils. On dit au Roi qu'il étoit à propos qu'il eût confiance en elle, mais qu'il ne devoit pas l'appeler au maniement de ses affaires, parce que l'amour qu'on avoit pour elle feroit que, bientôt, elle partagerait avec lui l'autorité... Cette résolution ayant été communiquée à la Reine, je me chargeai de faire entendre aux ministres que, s'ils désiroient la gloire du Roi, la satisfaction publique et leur utilité particulière (que de choses à la fois !), ils devoient porter le Roi à lui donner cette place due à sa qualité et à l'honneur du Roi. Mais les ministres ne se laissèrent pas convaincre. Rien ne put les émouvoir... Il est vrai, ajoute-t-il aussitôt, qu'ils ne s'y opposoient pas tant par aversion qu'ils eussent contre elle que par la crainte qu'y étant une fois établie, elle m'y voulût introduire. Ils connoissoient en moi quelque force de jugement, ils redoutoient mon esprit, craignant que si le Roi venoit à prendre quelque connoissance particulière en moi, il me vint à commettre le principal soin de ses affaires... ils avoient posté des gens pour lui rendre toutes mes actions suspectes[33]... S'il en était ainsi, il eût pu s'épargner la démarche.

Sa hâte mit tout le monde en méfiance, et le roi plus que tout le monde : A l'égard de la reine mère, dit le nonce Corsini, le roi est plein de soupçon qu'elle ne veuille l'assujettir comme du temps de Concini. Lorsqu'on voit auprès d'elle l'évêque de Luçon, on peut redouter que celui-ci ne prenne pied trop avant ; car sa cervelle est ainsi faite qu'il est capable de tyranniser la mère et le fils[34].

Cependant les ministres avaient compris qu'ils n'étaient pas assez forts pour résister seuls à l'intrigue de la Cour et à l'influence de la reine mère, conseillée par un homme tel que l'évêque de Luçon. Cherchant autour d'eux des appuis, ils se rapprochèrent du prince de Condé. Celui-ci était accouru de Berry à Châteauneuf-sur-Charente, aussitôt la mort du connétable, pour saluer le Roi. C'était un homme hardi, ambitieux, impudent, haut à la main, de langage mordant et qui se considérait toujours comme l'héritier du trône, en cas de disparition soudaine du roi et de Gaston d'Orléans, sans postérité.

Après avoir lié partie avec les protestants pendant la Régence, il s'était, après sa captivité, donné corps et aine au parti catholique, et il résumait sa politique présente en une formule très simple : opposition constante à la reine mère. 11 devint donc, à la cour, l'allié des ministres. Mais à ses yeux ils étaient de bien petites gens, et il n'avait qu'à les mettre dans sa poche.

Il commença par rompre en visière à la reine mère. Ce fut encore le fameux Ruccellai qui fut la cause active de ces nouveaux dissentiments. Une querelle très vive qu'il sut provoquer rompit toutes les mesures si prudemment combinées par l'évêque de Luçon. Marie de Médicis s'emporta, cassa les vitres, prétendit mêler la Reine régente à la querelle, et le Roi dut, avec froideur, la ramener à la raison.

Il fallait donc, au moins pour un temps, s'accommoder de cette situation qui n'avait, au fond, qu'une seule raison d'être et de, durer : la crainte que l'évêque de Luçon inspirait au monde politique, tandis qu'une opinion universelle l'appelait aux affaires. Il était indispensable, il était inévitable ; mais précisément à cause de cela, il était odieux. Toutes les médiocrités étaient conjurées contre lui. Elles l'eussent emporté, si elles n'avaient été des médiocrités.

Il fallait attendre encore. Toutefois, la situation était déjà différente de ce qu'elle était du temps du connétable. Personne n'était plus assez fort ni assez autorisé pour traiter Richelieu en adversaire public. On le ménageait, on pactisait avec lui. Il ne lui manquait que la pourpre.

Dès le 22 janvier, Marie de Médicis avait posé la question en termes catégoriques à Puisieux. La lettre qu'elle adressait au ministre était aigre et ferme. C'était à prendre ou à laisser ; elle mettait son amitié à ce prix : intervenir franchement à Rome pour obtenir le chapeau[35].

Puisieux avait été le complice de la manœuvre déloyale de Luynes. Mais il n'était pas de taille à reprendre le jeu. Il essaya de s'en tirer en biaisant. Il laissa entendre qu'il assurerait le chapeau à l'évêque, si celui-ci s'engageait à résider à Rome. On eût fait d'une pierre deux coups, puisque en même temps on séparait la reine mère de son confident.

Richelieu eut l'air de condescendre à ce qu'on réclamait de lui. Puisieux envoya donc à Rome une expédition officielle en faveur de la promotion. Immédiatement, Richelieu prit acte par une lettre écrite au ministre : Cela étant, je recevrai, sans doute, par votre moyen, l'honneur qu'il plaît au Roi me procurer en considération de la reine sa mère et vous supplie de croire que je cesserai plutôt de vivre que de manquer à embrasser soigneusement toutes les occasions que je pourrai pour me revancher des obligations que je vous aurai. A la rigueur, c'était un engagement.

Sur ces données, on fit une espèce de trêve. La reine mère entra au Conseil où Condé avait pris ses sûretés contre elle. Il disait qu'on ne lui donneroit connoissance que de ce qu'on voudroit, et qu'on se serviroit d'elle pour autoriser les décisions auprès des peuples. Elle fut assez habile pour se tenir coite au début, cherchant à lire dans les yeux du roi, s'appuyant sur les plus sages et les plus expérimentés, comme Schomberg. L'évêque de Luçon la dirigeait toujours du dehors.

 

Mais l'heure arriva où il fallut compter avec elle. La politique à suivre à l'égard des protestants était toujours en suspens. Le Roi avait quitté le Midi sur un échec ; son autorité était méconnue et bafouée ; il avait laissé le duc d'Elbeuf avec les débris de son armée pour contenir les rebelles pendant l'hiver. Le retour de la belle saison forçait à prendre un parti.

D'autre part, les affaires du dehors s'aggravaient. Les Espagnols bloquaient Juliers ; la trêve de Hollande était expirée et les Pays-Bas demandaient du secours à la France ; l'occupation de la Valteline par les Espagnols s'éternisait. Ce ne sont pas là des questions que l'on règle par des phrases de cour et par des propos de diplomate. Le Conseil dut donc en délibérer.

Sur l'avis de Richelieu, la reine mère se prononça franchement contre le projet de rouvrir les hostilités à l'intérieur. Le prince de Condé, au contraire, tenu par ses engagements envers le parti catholique, fit décider que le Roi se mettrait de nouveau en personne à la tête de son armée pour en finir avec les protestants.

Le Roi quitta Paris, le 21 mars, jour de Pâques-Fleuries, presque à la dérobée, en costume de chasse, sans escorte et sans apprêt, emporté par l'ardeur qu'avait Monsieur le Prince de voir les choses engagées, La reine mère se résolut à l'accompagner.

Quinze jours après, Louis XIII était à Nantes ; il s'avançait contre Soubise qui occupait l'Ile de Riéz. Etonné de cette marche rapide, Soubise essaya de se dérober ; mais le Roi, prenant l'offensive, quoique ses troupes fussent inférieures en nombre, l'accula à la mer et lui lit éprouver une sanglante défaite. La reine mère tomba gravement malade, de fatigue et de dépit, à Nantes. Le Roi la laissa et, suivant la côte océane, s'achemina vers le Midi.

Partout, ses armes furent heureuses : il prit Royan, fit bloquer la Rochelle par une armée que commandait le comte de Soissons, prit Sainte-Foy où le vieux La Force vint à composition, ramassa, en passant, toutes les places de Sully dans le Quercy, enleva, en huit jours, Négrepelisse qui fut mise à sac, Saint-Antonin où la lutte fut si terrible que les femmes mêmes y eurent part, et que presque tous les défenseurs se firent tuer sur la muraille. Montauban avait réparé ses murailles, muni sa garnison et comptait arrêter le Roi. On n'osa pas l'affronter. Par Toulouse, l'armée royale gagna Castelnaudary, Carcassonne, Narbonne, Béziers, et se dirigea vers Montpellier ; place importante qui commandait les communications entre le Languedoc, les Cévennes et le Dauphiné[36].

On était déjà vers la fin du mois d'août 1621 Montpellier ne s'attendait pas à être attaquée ; sa muraille était de papier. Mais la population était décidée à se défendre. Rohan fit faire, à la hâte, des fossés, des levées de terre et quelques fortifications par un bon ingénieur M. d'Argencourt. Le vieux Bouillon, qui assistait mélancoliquement à la ruine de tous ses projets, lui avait promis un secours du dehors ; en effet, il traitait avec Mansfeld.

Rohan, fidèle à sa tactique antérieure, se tint hors de la place. Mais il avait mis dans la ville ses meilleures troupes, ses meilleurs officiers, et notamment le consul Dupuy qui avait été un des héros du siège de Montauban.

Lui-même se multiplie et déploie une habileté et une activité sans pareille. Il n'avait que 4.000 hommes de pied et 500 chevaux. Il résiste à une armée de 30.000 hommes commandée par le Roi en personne : Dénué de tout, traversé par ceux de sa religion qui l'accusaient d'ambition et d'ignorance dans le métier de la guerre, il soutint, à lui seul, son parti presque entièrement abattu... Insensible aux intempéries, accompagné d'une poignée de gens, parfois seul et inconnu, il parcourt les montagnes, réveille les courages, arme les gentilshommes et les paysans, les jette dans la ville d'abord, puis sur les derrières de l'armée du Roi ; sa présence crée des armées[37].

Les événements se reproduisirent à peu près tels qu'ils avaient été à Montauban l'année précédente. Au bout de six semaines, on n'avait pas encore d'espoir de prendre la ville. On avait perdu beaucoup de monde. De grands personnages comme le cardinal de Retz, mouraient de maladies. Le duc de Montmorency était blessé ; le duc de Fronsac, Zamet, le marquis de Beuvron, Canillac, Montbrun, l'Estrange, Combalet tués. Les femmes de la ville se battaient sur le rempart. Plusieurs assauts, imprudemment livrés, avaient été repoussés. Condé, qui les avait conseillés, était désemparé. Bassompierre y avait compromis sa réputation militaire auprès du Roi. On pouvait craindre un nouvel échec, et bien plus grave, cette fois, car il eût détruit l'effet d'une si brillante campagne.

Le Roi fut trop heureux d'entendre aux ouvertures de paix qui, dans ces circonstances critiques, lui furent faites de la part du duc de Rohan ; celui-ci se sentait, de son propre aveu, à bout de ressources. Il eut recours au vieux Lesdiguières qui depuis quel-pies semaines, s'était converti et que le Roi, pour aider à la conversion, avait nommé connétable. L'expérience de celui-ci et son autorité tirèrent d'embarras le Roi et le royaume.

Si la paix de Montpellier n'abattait pas encore le parti protestant, elle lui portait un coup terrible. Seules, la Rochelle et Montauban restaient places de sûreté. Le roi entrait dans Montpellier comme s'il eût reçu la ville à composition[38].

Pourtant, une fois encore, il traitait avec ses sujets. Le prince de Condé s'éleva fortement contre cette transaction. La paix se fit malgré lui et contre lui. Dès qu'il vit les négociations définitivement engagées, par un coup rie tête, il quitta la cour, le 9 octobre, et s'en alla en Italie, à Notre-Dame de Lorette. Il ne pouvait choisir plus mal son temps pour faire ses dévotions[39].

En effet, dès qu'il fut parti, la cabale adverse monta aux nues. Tout le monde était à la paix ; on ne le considérait plus que comme un boutefeu. La reine mère qui, de Nantes, s'était rendue aux eaux de Pougues, où elle avait passé l'été, revenait vers la Cour toute fraiche et ragaillardie[40].

Les articles de la paix furent arrêtés le 9 octobre. Le 18 octobre, le Roi entra dans la ville et il la quitta le 29. Le rendez-vous général était à Lyon.

Le Roi n'était qu'à demi fier d'un succès qui n'avait pas été complet. Les ministres, furieux contre Condé, ne savaient s'ils devaient se féliciter ou se plaindre de son départ. Dans la période d'incertitude qui avait précédé la conclusion de la paix, ils ne s'étaient pas crus assez forts pour rester entre les deux partis. Brouillés avec le prince, ils devaient nécessairement se rapprocher de la reine mère.

Ils avaient un moyen de tout arranger. La mort du cardinal de Retz laissait vacant un des chapeaux attribués à la couronne de France. Il était bien difficile d'empêcher, cette fois, la promotion de l'évêque de Luçon. Richelieu s'était soigneusement tenu à l'écart pendant toute la maladie de la reine mère. S'étant, depuis six mois, replié dans le silence, il paraissait moins dangereux.

Durant cette période, on l'avait vu se prêter aux tentatives de rapprochement même avec ses adversaires ; il s'était concilié des amitiés précieuses dans le Conseil, et notamment celle du président Jeannin[41]. Le Père Arnoux, qui avait reconquis quelque influence, lui écrivait des lettres de plus en plus affectueuses. La Sorbonne l'avait nommé son proviseur, le 9 août, et avait ainsi attaché à sa fortune tout un monde bruyant et agité. Quant à la reine mère, elle accablait les ministres de ses objurgations. En cas d'échec nouveau, sa passion se changerait en hostilité déclarée, et les Sillery, brouillés avec Condé, ne pouvaient plus se passer d'elle[42].

D'ailleurs, Rome était lasse du double jeu qu'on lui faisait jouer. Le pape déclarait au cardinal de Sourdis qu'il ne ferait plus de promotion sans y comprendre l'évêque de Luçon. Quand les choses sont sur le point de se faire, tout le monde s'y emploie avec ostentation. Le nonce Corsini, qui mit voulu temporiser pour se réserver le chapeau à lui-même, est débordé. Enfin, Louis XIII se déclare : Le Roi ayant su qu'on cherchoit encore à empêcher la promotion de l'évêque de Luçon, s'est mis en colère et a commandé à son ambassadeur, nonobstant tout ce qui a pu être dit au nonce, de faire de vigoureuses instances en faveur de Richelieu.

Les ministres n'avaient plus qu'à s'incliner. La mort dans l'âme, et sentant bien qu'ils signaient leur perte, ils transmirent les ordres du Roi et demandèrent sans réticence, cette fois, la nomination de Richelieu comme cardinal de couronne. Puisieux écrit : J'ai fait mon office en faveur de l'évêque de Luçon contre l'attente de plusieurs. Mais vous savez mon humeur qui est, après Dieu, de préférer l'intérêt du Roi à toutes passions et considérations privées.

L'évêque de Luçon fut promu cardinal le 5 septembre 1622[43].

La nouvelle, annoncée au Roi par son ambassadeur, le commandeur de Sillery, frère de Puisieux, dans une lettre datée du jour même, fut connue à Avignon le 14 septembre. Aussitôt, Marillac la transmit à la reine qui était en route pour se rendre de Pougues à Lyon : Monseigneur, écrivait-il au nouveau cardinal, la Reine vous dira de sa bouche s'il lui plaît que vous êtes cardinal ; car je n'oserois entreprendre sur Sa Majesté de vous annoncer cette bonne nouvelle. En effet, c'était bien le moins que Marie de Médicis lui apprit elle-même ce qu'elle avait fait de lui. La lettre fut reçue par la reine à la Pacaudière[44], bourg entre La Palisse et Roanne. Nous ne savons rien de ce qui se passa entre la veuve de Henri IV et le nouveau cardinal. Mais il est permis d'imaginer les effusions intimes d'une femme déjà sur le déclin, au moment où elle assurait la fortune de l'homme jeune et supérieur qu'elle avait su distinguer.

Naturellement les lettres de compliments affluèrent : Le pape Grégoire XV écrit au Roi : Les prières et le suffrage de Votre Majesté ont désigné ce prélat, dont la haute sagesse est considérée dans la Gaule comme le rempart de la religion catholique, le fléau de l'audace des hérétiques et qui a toujours jugé préférable de mériter les plus hautes dignités que de les obtenir.

Il écrivait au cardinal lui-même, en beau langage cicéronien : De même que les lois de la discipline militaire décernaient sagement le triomphe aux soldats dont le courage avait servi de rempart à la République et causé la ruine des ennemis, ainsi est-ce avec raison que tu viens d'arriver à la plus grande dignité de l'Église romaine... La splendeur de tes mérites brillait d'un tel éclat dans la République chrétienne qu'il importait à la Gaule tout entière que tes vertus fussent distinguées par la gloire d'insignes sacrés, puisque ces distinctions font plus pour frapper l'imagination des hommes que la vertu sans ornement... Continue à augmenter en Gaule la dignité de l'Église, écrase les forces de l'hérésie, sans te laisser épouvanter par les difficultés, marche sur les aspics et les basilics ; ce sont là les grands services que l'Église romaine attend et exige de toi.

Le Roi écrit. Le chancelier écrit. Puisieux écrit. Le nonce écrit. C'est la liste de tous ceux qui, pendant si longtemps, avaient contrarié, retardé cette promotion. Puis, ce sont les collègues : Sourdis, Lavalette, les évêques, la Cour, les hommes de lettres, les amis, les clercs et les fidèles du diocèse, les religieux d'Avignon, les simples relations, les connaissances, la foule.

A tous, Richelieu répond du style entortillé qui est le sien dans ces occasions, n'ayant pas la tournure d'esprit complimenteuse[45]. Pourtant, les paroles adressées au Roi sont nobles et sobres ; elles dévoilent déjà les autres ambitions : Je supplie Dieu qu'il me fasse la grâce d'être si heureux en ce dessein que mes actions me signalent, encore plus que la pourpre dont il vous a plu m'honorer. Au vieux chancelier, ce sont de parfaites politesses. A Puisieux, ce sont des protestations si exagérées qu'elles n'engagent plus : M. d'Aire (Bouthillier La Cochère) m'écrit en sorte que je connois clairement qu'après le Roi et la Reine, je vous dois ma promotion et au soin que vous avez eu d'envoyer et rafraîchir souvent de bons ordres à M. l'ambassadeur, et à la dextérité et à la force avec laquelle il a su les faire valoir. Je le reconnois ingénument, afin que vous m'en fassiez reproche si j'oublie rien de ce que je pourrai pour en prendre revanche. Faites donc état de moi, Monsieur, comme d'un ami et d'un serviteur entièrement assuré.

Avec le Nonce, c'est une ironie froide : J'ai fait voir à la Reine la lettre de M. le cardinal Ludovisio qui fait foi du soin que vous avez pris de lui faire connoître les intentions du Roi... elle sait bien aussi que vous avez toujours trop fait profession de l'honorer pour que vous n'ayez favorisé une affaire qu'elle affectionnait. Pour moi, monsieur, je vous tiens trop de mes amis pour en avoir autre pensée...

Nous devons à la littérature de mentionner les lettres échangées entre Balzac et le futur fondateur de l'Académie française : le grand épistolier avait connu l'évêque de Luçon à Angoulême ; mémo il avait pu croire un instant qu'il était en passe de le supplanter dans la faveur de Marie de Médicis. Il avait taillé sa plus belle plume pour écrire à l'Éminence un compliment qui, en vérité, n'est pas ordinaire : C'est de gens sages et capables de gouverner les États que la stérilité est grande et, sans mentir, pour en voir encore un pareil à vous, il est besoin que toute la nature travaille et que Dieu le promette longtemps aux hommes avant que de le faire naître.

Il semble que dans cette passe d'armes courtoises, ce n'est pas le futur ministre qui a l'avantage : Vos lettres sont telles, répond-il à Balzac, qu'en faisant paroitre l'affection que vous avez pour moi et la bonté de votre esprit, elles étoient capables de donner de la vanité à une personne qui ne se connoîtroit pas... S'il se présente occasion de vous témoigner combien j'estime et la bonne volonté que vous avez en tout ce qui me touche et votre mérite, vous avouerez que je suis plus d'effet que de paroles, Monsieur, votre, etc. Il est vrai que les situations ne sont pas les mêmes. Balzac devait être, toute sa vie, candidat à quelque bénéfice ou à quelque pension, et il comptait un peu, pour réussir, sur cet amateur de belles-lettres qui devenait un si grand personnage. Or, Richelieu, précisément parce qu'il occupait une situation si haute, se méfiait, de plus en plus, de cette espèce de littérature qui engage[46].

En somme, ce qui apparait clairement, c'est le changement de ton et d'allures. Une fois assuré de l'avenir, le nouveau cardinal montre ce qu'il est : un homme fait pour commander aux hommes. Le voilà dans son naturel. Il revêt son personnage avec une dignité et une aisance parfaites. Pas un mot d'édification ; aucune affectation, aucune mômerie. La pourpre, c'est, pour lui, la consécration de la situation qu'il occupe dans le monde, dans l'État ; c'est l'entrée dans les conseils et la voix dans les délibérations importantes. C'est une situation éclatante, une autorité indiscutée, une ressource peut-être, en-cas de péril ; rien autre chose.

Observez que pas une seule fois, dans tout le reste de sa carrière, ce cardinal de l'Église romaine n'a manifesté l'intention d'aller à Rome. 1l négligea complètement le voyage ad limina. A quelque temps de là il y eut un conclave : personne n'eut l'idée de l'y envoyer tenir sa place ; il était convenu que cet homme n'était pas de ceux dont le suffrage se mêle avec celui des autres. Balzac traduit, en termes excellents, une impression qui est celle de tous : ce qu'on attend de lui, ce sont des actes.

Ce bon La Cochère, heureux et fier de son succès, écrit à son tour de Rome : Il me semble que je n'ai plus rien à désirer en cc monde, puisque M. de Luçon est cardinal... Il faut bien que Dieu le destine à la continuation des grandes actions auxquelles il s'est déjà plusieurs fois employé, puisqu'il l'a élevé à la dignité qu'il mérite, contre les plus puissans empêchemens qui se soient peut-être jamais rencontrés à une pareille occasion... Dès la première heure, par tous et par lui-même, il est reconnu et consacré Cardinal d'État.

Avec une promptitude singulière, il règle ses affaires et se débarrasse de tout ce qui peut lui devenir gène ou encombrement. Il n'est pas riche ; il le sait assez ; il doit cependant faire figure et tenir le rang convenable à sa nouvelle dignité : c'est donc une correspondance active avec ses hommes d'affaires pour se procurer de l'argent, lieder les procès, trancher les questions pendantes : J'approuve que vous vendiez du bois... Je suis bien aise du haussement que vous faites de la ferme... etc.

Déjà il commence à réunir sur sa tête de nombreux bénéfices ecclésiastiques ; il profite de toutes les occasions d'accroître ainsi son revenu ; car il n'aime, pas plus que les autres infériorités, celle qui vient de la pauvreté. D'ailleurs, bon prélat, administrateur vigilant, pour le plus grand bien de l'Église : Je désire faire monter mes bénéfices le plus qu'il se pourra, par voies avantageuses à l'Église, afin que ceux qui viendront après moi aient occasion de prier pour moi... Je laisse à la conscience de M. Geneton de pourvoir aux cures de gens capables.

Avec son voisin de campagne, M. de Itouville, il se montre coulant et, si j'ose dire, bon diable : Je suis extrêmement fâché de la peine que vous prenez en l'affaire que j'ai à démêler avec M. de Puigareau ; de ma part, vous en serez souverainement juge... Ces messieurs font peu d'état de ma pauvre et misérable personne... et quel joli post-scriptum : Je vous prie de trouver bon que je baise les mains à celle qui vous fait trouver l'air de la campagne doux et agréable.

Il a souvent ce ton de bonne humeur quand il se sent en confiance et dans la véritable intimité : Tuus sum, écrit-il à un ami, qui est peut-être le Père Joseph. Je suis à vous, en latin, en français et en grec si bon vous semble ; je suis à vous autant que votre mérite m'y oblige et que votre franchise et votre affection en mon endroit m'y étreignent étroitement... A bon entendeur, peu de paroles. C'est ce qui fait que vous n'en aurez pas davantage ; joint aussi que mon naturel me porte à faire mes lettres aussi courtes que mes amitiés de longue durée...

Il est généreux et attentif pour ceux qui l'entourent ; il sait se faire aimer, dire le mot tendre, au moment opportun : Je suis extrêmement fâché du mal de M. des Roches ; vous savez combien j'estime son affection envers ses amis, son esprit, son courage... Vous lui direz, de ma part, tout ce qu'il faut dire... Je ne lui écris point, me mourant de ma tête ; ces lignes suppléeront à ce défaut.

Aussi, ses intimes — ces hommes qu'on a toujours près de soi et qui vous jugent — lui étaient étroitement attachés. Un de ses secrétaires s'était forgé quelque souci. Le secrétaire Charpentier lui écrit : Je me promets que la lettre que Son Éminence vous écrit tirera entièrement votre esprit de l'inquiétude où il est, convertira votre trouble en repos et vous fera avouer sans doute que la justice n'est pas la moindre des vertus qui exhaussent l'éclat de sa pourpre, ou que l'équité qui paroit entre toutes ses actions est l'unique règle de son autorité[47].

Poussé par l'ensemble des préoccupations qui l'assaillent, à cette heure décisive, il se résout à se défaire de son évêché de Luçon. L'épiscopat n'a été pour lui qu'un marchepied. Sa dignité est intéressée à ce qu'on ne puisse lui faire le reproche de non-résidence. D'ailleurs, la combinaison à laquelle il s'arrête lui convient à d'autres points de vue : se démettant en faveur de M. Émery de Bragelongne, il se réserve une pension de cinq mille livres, dont il a grand besoin. En effet, son train de maison, ses frais, sa représentation s'accroissent soudain. Il s'installe[48].

Il est homme de goût. Il sera, toute la vie, un amateur d'art éclairé. Cette disposition se révèle dès lors. Il avait acheté Limours. Limours ne lui suffit plus. Bientôt il achètera Ruel qui avait été construit par l'opulent financier Moysset, et il écrira à M. des Roches qui est en Italie pour les affaires de Marie de Médicis : Faisant faire quelque fontaine et ornement en une maison que j'accommode près de Paris, le sieur Franchine m'a donné avis de vous écrire pour voir si vous ne pourriez pas faire venir quelques statues de marbre, un bassin de marbre, etc. C'est le moment où il surveille, pour la Reine, la construction et la décoration du Luxembourg, et lui-même commence à montrer du goût, qu'il aura toute sa vie, pour la bâtisse[49].

En un mot, il se met à sa vraie place, c'est-à-dire parmi les grands seigneurs nés. Sa dignité ne fait qu'achever sa nature. Il a trente-sept ans : maigre, élancé, les cheveux et la barbe noirs, l'œil clair et pénétrant, il est encore beau, si la beauté est compatible avec une évidente et intimidante supériorité. Il a le teint mat des hommes que les veilles consument, que les pensées rongent et qui souffrent. Il est exactement de ceux dont on dit que la lame use le fourreau : et, en effet, long, mince et flexible, il semble une épée. Il place le bonnet rouge de cardinal sur sa tête triangulaire. Il s'enveloppe des plis abondants de la pourpre. Ainsi, il entre tout rouge dans l'histoire, réalisant la plus complète et la plus puissante physionomie de cardinal que l'imagination et l'art aient jamais pu rêver.

Aussitôt qu'il eut appris la nouvelle de sa promotion, Richelieu patata reine pour aller dire son remerciement au Roi. Il descendit encore une fois ce cours du Rhône qui le vit, si souvent, aller et venir selon les diverses phases de sa fortune. Il joignit le Roi à Tarascon, le suivit à Avignon, où il retrouva les souvenirs si récents des mois d'exil et de disgrâce, puis à Lyon qui fut pour lui, à partir de cette date, la ville des grands événements.

La remise de la barrette eut lieu le 12 décembre. A Rome, on s'était disputé l'honneur d'apporter le bonnet au nouveau cardinal ; le comte Giulio fut désigné pour cette mission. La cérémonie se fit dans la chapelle de l'archevêché. Selon la coutume, ce fut le Roi qui remit le bonnet. Richelieu remercia dans une harangue qui passa, en son temps, pour une pièce admirable et qui est, surtout, un morceau très travaillé.

Sur la minute de ce discours qui a été conservée, on voit que le cardinal avait d'abord écrit un paragraphe à l'adresse de la reine mère. Il le remplaça, dans la cérémonie publique, par un beau geste. Il se dirige, tout à coup, vers la reine, il met à ses pieds le bonnet rouge et il lui dit : Madame, cette pourpre dont je suis redevable à ]a bienveillance de Votre Majesté me fera toujours souvenir du vœu solennel que j'ai fait de répandre mon sang pour votre service.

Le soir, le cardinal de Richelieu prit possession de sa situation à la cour en offrant un magnifique festin, où la reine elle-même assista et où les princes et les seigneurs se firent un devoir de figurer[50].

 

III. — La chute des Sillery.

La paix de Montpellier venait de mettre fin aux complications intérieures. L'attention publique était absorbée presque exclusivement par les affaires extérieures et le gouvernement suivait le mouvement de l'opinion. Tous comprenaient que, dans le drame sanglant qui se déroulait en Europe, la France devait avoir les mains libres pour intervenir au besoin.

En Allemagne, même après la bataille de la Montagne-Blanche, la guerre avait continué, guerre atroce, inexpiable, qui couvrait de ruines une immense contrée, sans qu'il fût possible de prévoir quelle en serait l'issue. Les pansions et le désordre avaient tellement dépassé toute mesure qu'on détruisait maintenant pour détruire. Des chefs d'armée qui, au début, s'étaient réclamés de certains principes politiques ou religieux, n'avaient d'autre but que de vivre sur le pays et n'étaient que des chefs de bande.

De tous, Mansfeld était à la fois le plus connu et le plus terrible. Il érigeait la rapacité en système. N'ayant ni terre, ni famille, ni patrie, personne à ménager et rien à perdre, il attirait à lui tous les aventuriers, petits et grands. Il était abominable avec impassibilité. D'autres, comme le duc Christian de Brunswick-Wolfenbuttel, administrateur d'Halberstadt, ou le margrave de Bade-Durlach, quittaient délibérément leurs maisons, leurs familles, leurs biens et se vouaient au métier de soldats jusqu'à la mort[51].

Ces gens se posaient en défenseurs du Palatin ; ne recevant que de rares subsides de l'Angleterre ou de la Hollande, leur plan de campagne consistait, tout simplement, à envahir les régions (lui n'avaient pas encore été dévastées. Ils les parcouraient, le fer et la torche la main, et laissaient le désert là où ils avaient passé. L'Allemagne, grasse et riche après des siècles de prospérité, était leur proie. Ils l'éventraient et faisaient couler la graisse de ses bourgeois à la flamme des incendies. On pillait les églises, on volait les biens ecclésiastiques, on rançonnait les villes, on saccageait la campagne ; on inventait de nouvelles tortures. Il y avait des siècles que l'humanité n'avait vu de pareilles horreurs. On appelait cela une guerre de religion !

Le Palatin, qui s'était réfugié en Angleterre, croyait encore qu'il s'agissait de sa cause. Il vint, pendant quelque temps, prendre le commandement, du moins nominal, de ces singuliers soldats. Mais il eut lui-même honte de ce qui se faisait en sou nom ; et il se réfugia à Sedan, près de son oncle, Bouillon (juillet 1622).

En réalité, il n'y avait d'armée régulière, en Allemagne, que celle de Maximilien de Bavière, conduite par Tilly ; celui-ci entendait que la dévastation eût du moins les formes de la discipline. Il battit Halberstadt à Höchst le 20 juin 1622, puis, l'année suivante (6 août 1623), à Stadtholm. Ce furent des tueries célèbres, mais sans grand résultat. Mansfeld ne se laissait pas saisir. Toujours poursuivi et jamais atteint, en tout cas jamais achevé, il traversait l'Allemagne en tous sens, quelquefois fort, quelquefois faible, négociant tantôt avec ses adversaires, tantôt avec ses troupes, toujours prêt à traiter et disparaissant au moment de conclure. Entre temps, il avait prêté la main à Maurice d'orange contre les Espagnols et contribué à faire lever le siège de Berg-op-Zoom.

En 1622, le principal objectif de la guerre était le Haut-Palatinat. Maximilien de Bavière nourrissait depuis longtemps le dessein de s'emparer des domaines du Palatin et d'usurper sa dignité électorale. Sur ce dernier point, il avait reçu une promesse formelle de l'Empereur. Il avait donc ordonné à Tilly de saisir le gage. Heidelberg, capitale du Palatinat, s'était rendue le 18 septembre 1622, et Manheim le 3 novembre. La dernière des places du Palatin, Frankenthal, était bloquée sans espoir de secours. Le Palatin était donc vaincu, chassé, banni et entièrement dépossédé[52].

Maximilien de Bavière jugea que le moment était arrivé d'obtenir de l'Empereur, pour lui et les siens, la réalisation des promesses faites en ce qui concernait la dignité électorale. Question délicate et qui avait pour suite un bouleversement complet dans la constitution impériale et une atteinte à l'équilibre des forces en Allemagne. Jusqu'ici dans le collège électoral elles se balançaient : trois électeurs catholiques et trois électeurs protestants. Dépouiller le prince Palatin au profit de la maison de Bavière, c'était donner, pour toujours, la majorité aux catholiques. On risquait de s'aliéner gravement ceux des princes luthériens qui jusqu'alors, en haine du calvinisme et par jalousie contre le Palatin, avaient prêté leur concours à l'empereur Ferdinand.

Maximilien rencontrait, en outre, une opposition plus imprévue et autrement redoutable pour lui, celle de l'Espagne. L'Espagne, à travers ces complications, poursuivait toujours la réalisation du programme qui visait à relier ses possessions d'Italie à ses possessions de Flandre. Or, la constitution, au centre de l'Allemagne, d'un État puissant réunissant à la Bavière la partie la plus riche des États du Palatin, — cet État fût-il catholique, — serait pour elle un obstacle insurmontable. Elle formula donc son veto au transfert de la dignité électorale dans la famille du duc de Bavière.

Par une singulière coïncidence, elle était, sur ce point particulier, en conformité de vues avec Jacques Ier ; celui-ci, en effet, ne cherchait qu'à retarder une échéance fatale pour son gendre, le Palatin. Ainsi, l'Espagne et l'Angleterre se rapprochèrent. Les choses allèrent si loin qu'on crut un instant, de part et d'autre, à la possibilité d'une union entre les deux familles souveraines. Le prince de Galles traversant la France, dans un incognito qui ne trompait personne, se rendit à Madrid pour demander la main de l'infante. Si ce mariage se faisait, la grande puissance catholique et la grande puissance protestante étaient unies et peut-être alliées[53].

Toutes ces circonstances travaillaient à la fois contre la France. Sa politique cependant restait incertaine, ballottée par les événements. Du temps de Luynes, les actes étaient des fautes. Sous ses successeurs, l'abstention était une faute non moins grave. Les Sillery écoutaient le vent, répondaient par des paroles évasives aux demandes contradictoires des ambassadeurs.

Des déplacements d'influence se produisaient en Allemagne ; un nouvel État catholique se constituait à nos portes ; les anciens alliés de la Couronne étaient écrasés. La Hollande, de nouveau en guerre avec l'Espagne, sollicitait des secours en hommes et en argent ; l'alliance de l'Angleterre paraissait sur le point d'échapper. Mansfeld courait sur la frontière, parfois même pénétrait sur le territoire, tantôt priant, tantôt menaçant, sans que le gouvernement français donnât signe de vie, sans qu'il prononçât la parole que toute l'Europe attendait.

Au fond, à Paris comme en Allemagne, la cause catholique l'emportait. Le nonce faisait tout ce qu'il voulait des ministres. La diplomatie pontificale déployait une activité sans égale. Le pape Grégoire XV travaillait à satisfaire les ambitions du cher élève des Jésuites, Maximilien de Bavière. Puisque l'Espagne était contraire à ce dessein, le pape, n'ayant d'autre appui possible que la cour de France, s'efforçait d'amener celle-ci à ses vues. On lui démontrait qu'elle aurait intérêt à favoriser la formation, entre l'Allemagne du Nord et l'Allemagne du Sud, d'un État intermédiaire qui ne pourrait guère se passer d'elle pour subsister. La thèse était plausible.

En France, il y a eu, de tout temps, sous l'ancien régime, un parti bavarois. A cette époque, il était représenté par des hommes actifs et influents, notamment par le Père Joseph et Fancan. Rome avait délégué ses capucins les plus habiles, les Pères Hyacinthe et Valérien, pour soutenir la cause du duc de Bavière. Ce travail se faisait dans la coulisse. Mais le résultat devait apparaître plus tard au grand jour. Les émissaires du Pape crurent, à un moment, qu'ils triomphaient. La perplexité des ministres était telle qu'ils ne surent même pas se prononcer franchement pour cette solution intermédiaire[54].

Quoi qu'il en soit, l'Empereur ne put se refuser plus longtemps à l'exécution de sa promesse. Une diète spéciale fut tenue à Ratisbonne, le 22 novembre 1622. L'archevêque de Cologne, Ferdinand, frère de Maximilien (et protecteur particulier de notre Fancan), défendit chaudement la cause du duc de Bavière ; le nonce s'y employa ardemment, l'ambassadeur de France parut favorable. Quant aux protestants, luthériens et calvinistes réunis par le péril commun, ils se prononcèrent énergiquement contre la transmission de l'électorat à la Bavière. Après plusieurs semaines de délibération et divers projets de compromis qui n'aboutirent pas, ils rompirent l'assemblée, quittèrent la diète et rentrèrent chez eux, brouillés avec l'Empereur et décidés, s'il le fallait, à recourir aux armes. Il y avait là les germes de nouvelles complications.

L'Empereur était engagé ; il passa outre. Le 25 février 1623, dans la grande salle des chevaliers, au Rathbaus de Ratisbonne, précédé de la couronne impériale, du sceptre, du globe et de l'épée, assis sur un trône magnifiquement décoré, entouré de la plupart des princes catholiques de l'Allemagne, il fit proclamer par Jean d'Ulm, vice-chancelier de l'Empire, qu'il accordait au duc de Bavière l'investiture de la dignité électorale palatine. C'était un triomphe éclatant pour la cause catholique.

Au sud-est de l'Empire, c'est-à-dire dans sa lutte contre Bethlen Gabor, l'empereur Ferdinand n'était pas moins heureux. Bethlen, après avoir observé pendant quelque temps l'arrangement de Nikolsbourg (janvier 1622), ménagé par les ambassadeurs français avait rassemblé des troupes, dans les premiers mois de l'année 1623. Aidé par le Sultan et renforcé par un corps d'armée turc, il était entré en Hongrie à la tète d'une armée de 60.000 hommes (août 1623). Il faisait frapper des médailles avec le titre de roi de Hongrie et annonçait qu'il irait manger à Prague l'oie de la Saint-Martin. Vienne fut de nouveau menacée.

L'Empereur, surpris, n'avait que 9.000 hommes à opposer à la puissante armée de Bethlen Gabor. Il est vrai que Wallenstein était un de ses généraux ; l'autre était le marquis de Montenegro, de la maison de Caraffa. Les chefs impériaux eurent la sagesse de ne pas livrer bataille. Tilly accourut du Nord à la rescousse. Une fois encore, il sauva l'Allemagne et la cause catholique. Bethlen, abandonné par ses alliés turcs, dut accepter les propositions d'armistice qui lui furent faites sagement, au nom de l'Empereur, et il se retira (20 novembre 1623)[55].

Ainsi, partout, la cause impériale l'emportait. Elle abattait successivement et isolément tous ses adversaires. Cette phase du duel européen se réglait à son avantage. Le pape Grégoire XV était mort, en s'écriant que son cœur était rempli de la manne céleste.

 

La France, tenue à l'écart des affaires d'Allemagne, était atteinte plus directement par ce qui se passait dans la Valteline. Ici encore, la diplomatie du pape Grégoire XV avait été habile et heureuse. L'Espagne, tout en louvoyant, avait su conserver la situation avantageuse que le gouverneur Feria avait conquise à force d'audace.

Le traité de Madrid, œuvre de Bassompierre, contenait l'engagement, de la part de l'Espagne, d'évacuer la Valteline. Mais il était resté lettre morte. Les négociateurs espagnols y avaient glissé adroitement une clause qui subordonnait son exécution au consentement des Grisons catholiques. Il y avait mille moyens d'empêcher ou de retarder ce consentement. Intimidations, caresses, argent, tout fut employé pour amener les Ligues Grises à composition.

Celles-ci, à la fin, lassées des lenteurs de leurs alliés, avaient signé le traité de Milan (janvier 1622) qui, sous la promesse de la démolition des forts, consacrait, de leur part, l'abandon de la Valteline. Jamais l'Espagne ne s'était vue plus près de la réalisation de ses desseins. Le Pape lui-même était effrayé des conséquences d'un tel acte ; il disait que la France ne pourrait jamais le supporter : il ne faut pas se dissimuler qu'il y a là un cas de guerre avec la France. Mais c'était précisément l'heure où Louis XIII, sur les instances pressantes de Condé et sous l'influence de la cabale catholique, commençait la seconde campagne contre les protestants. Les conseils qui le poussaient émanaient de Rome, évidemment. Le gouvernement de la France n'était plus libre ou il était aveugle.

Sur l'avis de Richelieu, Marie de Médicis prit nettement position. Elle déclara au Roi qu'il était indigne de lui de supporter une pareille injure : Il faut faire tenir par les Espagnols la parole qui a été donnée pour la Valteline ; il est très important pour la grandeur et la réputation du Roi qu'il ne soit pas si enfermé dans son royaume qu'il n'ait plus une porte pour en sortir. Le Conseil lui-même parut s'émouvoir[56].

Le vieux président Jeannin se prononça fortement pour une politique énergique. Mais, une fois encore on s'en tint à des protestations solennelles sous forme d'instructions adressées aux ambassadeurs près des cours de Rome et de Madrid. Les Grisons, de leur côté, envoyèrent une députation près de la cour de France. Puisieux pensa que c'était le moment ou jamais de leur témoigner de la froideur. On les congédia sans argent et fort mal satisfaits. Nos adversaires eux-mêmes ne pouvaient croire à tant de sottise[57].

L'ambassadeur de France en Espagne, du Fargis, appartenait à cette espèce de diplomates prétentieux qui se croient habiles en suivant une politique particulière, tandis que la grande loi de la discipline et de la convergence des efforts est, dans toute affaire d'État, l'habileté suprême. Il crut qu'il abondait dans la pensée de ses ministres en négociant, avec la cour d'Espagne, un nouveau traité qui détruisait la convention de Madrid et substituait à la promesse de l'évacuation pure et simple, obtenue par Bassompierre, l'engagement, de la part de l'Espagne, de remettre la Valteline en dépôt entre les mains du grand-duc de Toscane. La cour de France désavoua l'ambassadeur ; mais l'Espagne avait glissé, ainsi, une idée subsidiaire : celle de la remise en dépôt, entre les mains d'une puissance tierce, du territoire qu'elle avait usurpé. C'était, pour elle, une ressource en cas de nécessité et un moyen de gagner du temps[58].

Les Grisons étaient au désespoir ; ils avaient compris l'étendue de la faute commise à Milan ; ils rappelaient l'agent français Gueffier et, bravement, s'insurgeaient[59]. Venise suppliait la France d'agir. A la cour, tout un parti se prononçait pour l'intervention armée. Le président Jeannin, Lesdiguières, Schomberg, la noblesse, les soldats entouraient le Roi et disaient tout haut : Sire, en Valteline ! A Rome même, on n'en revenait pas de la pusillanimité des ministres français. Tout le monde sentait que c'était une de ces occasions qui ne se retrouvent pas. En vérité, nous n'aurions jamais cru, écrit le cardinal-neveu, que, du côté des Français, on ne sauroit se prévaloir d'aucun des avantages qu'ils ont pour le présent ; voilà les Espagnols engagés à fond dans les affaires de Flandre et d'Allemagne ; ils ont sur les bras le soulèvement des Grisons qui menacent la Valteline et tiennent forcément occupées les forces de l'État de Milan ; les corsaires d'Afrique unis avec les Hollandais sont prêts à assaillir les côtés de l'Espagne. Ils sont sans argent ; ils n'en peuvent plus trouver ; ils n'ont aucun crédit. Leur roi a plus de goût pour le plaisir que pour les affaires. Leur gouvernement est mal dirigé et mal obéi...

Les ministres français ne voulaient rien entendre, et tandis que le sort de l'Europe se décidait autour d'eux, ils continuaient à rédiger des dépêches et à se renfermer, énergiquement, dans l'inaction.

Cependant, la paix de Montpellier était conclue ; on ne pouvait plus, maintenant, s'en prendre aux protestants. Allait-on se montrer plus ferme ? Les Grisons tenaient bon. Malgré la disproportion des forces, leur résistance, inespérément désespérée, tendait la main, en quelque sorte, à mie expédition française. Le Roi remontait le cours du Rhône à la tête de l'armée qui avait fait la campagne du sud-ouest ; il s'approchait de la frontière. Il déclarait son intention d'aller à Grenoble saluer le connétable de Lesdiguières. Il n'avait qu'un ordre à donner pour que l'armée se précipitât avec enthousiasme, sous les ordres du vieux connétable, vers ces passages des Alpes qu'il connaissait si bien, et entrât dans le Milanais.

Or, à ce moment même, presque sous les yeux du Roi et de l'armée frémissante, l'archiduc Léopold écrase définitivement les Grisons (sept. 1622). Il leur impose la convention de Lindau qui complète, au profit de l'Autriche, ce que le traité de Milan avait commencé au profit de l'Espagne. La Basse-Engadine et huit juridictions étaient détachées de la confédération des Grisons et réunies au Tyrol autrichien ; Mayenfeld et Coire devaient être occupées pendant six ans par des garnisons autrichiennes... Une phrase suffit pour expliquer l'importance de ces deux actes parallèles : Les forts espagnols dans la Valteline, les garnisons autrichiennes dans tout le pays des Grisons, établissaient, en fait, la communication tant recherchée entre les Mats espagnols d'Italie, d'Allemagne et des Pays-Bas ![60]

La mesure était comble.

A cette heure, Rome croit à la guerre. Elle supplie l'Espagne d'être prudente. C'est l'heure où. Louis XIII reçoit, à Tarascon, la visite de Richelieu qui vient le remercier du chapeau et qui, probablement, fait entendre quelques conseils plus fermes. Le Roi, qui se rend à Avignon, y rencontre le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, qui, avec l'autorité de l'âge et de l'expérience, l'avertit qu'il s'agit des intérêts de l'Europe entière prête à se grouper autour de la France, si celle-ci relève le gant.

Un conseil est tenu à Avignon auquel assistent le duc de Savoie, l'ambassadeur de Venise, le connétable, le garde des sceaux, Schomberg, Puisieux et Bullion. Que va-t-il sortir de ces débats solennels ? Rien encore, ou presque, rien. Des paroles, des promesses vagues, des menaces conditionnelles.

Quelque temps après, à Lyon, nouvelle délibération et nouveau conseil. Sous la pression de l'opinion publique, et peut-être sous l'influence de la reine mère qui est maintenant auprès du Roi, on s'avance un peu plus ; il est question d'exiger le dépôt de la Valteline entre les mains du duc de Lorraine ; on met sur le tapis un projet de ligue réunissant la France, Venise, la Savoie et les Suisses, pour envoyer dans les Alpes une armée confédérée forte de 45.000 hommes. Mais la signature de ce traité est encore ajournée. La vieillesse des ministres étoit si grande, dit Richelieu, que, appréhendant la longueur des voyages où tels desseins pourroient les embarquer, ils donnèrent des conseils conformes à la foiblesse de leur Age. La Reine ne se désiste pas de sa poursuite... Mais ses raisons profitent de fort peu. Les ministres pensent à leurs affaires et non pas à celles du Roi qui, partant de Lyon, vers la fin de décembre (1622) s'achemina à Paris où son peuple l'attend où avec un extrême désir[61].

Ainsi la France est chassée de l'Allemagne ; ses droits, ses intérêts, sont méprisés dans la Valteline. Ses deux rivaux l'emportent partout ; pour la première fois, le cercle de fer de la domination austro-espagnole s'est fermé autour d'elle ; ses alliés sont ruinés, abattus ou hésitants ; et les deux ministres Sillery et Puisieux, absorbés par le travail de l'intrigue, ne songent qu'à sauver, par les plus basses compromissions, les restes d'une autorité qui s'effondre.

De la France entière, une immense huée s'élève contre eux. Ce que tout le monde comprend, c'est que ces ministres sont là non pas en raison de leur mérite, mais uniquement pour empêcher l'arrivée au pouvoir de l'homme qui, seul, dans ces circonstances difficiles, serait capable de conduire les affaires.

On sait que le Roi, jeune, ignorant et obstiné, est entretenu savamment dans l'idée que cet homme sera pour lui non un ministre, mais un malte. On sait que toute la cour craint le retour aux affaires du personnage dévoué uniquement au bien public, qui planera au-dessus de tous les intérêts louches, de toutes les coteries et qui mettra, s'il le faut, tout le monde à la raison. Les médiocrités restent coalisées contre lui et font bloc dans cet étroit espace, la Cour.

Ce qu'elles détestent en lui, c'est sa capacité, son intégrité, cette hue altière qui ne veut pas dépendre. Les quelques mois qui s'écoulent maintenant ne sont rien autre chose que la lutte entre l'ascension fatale d'un génie nécessaire et la résistance lamentable d'une coalition qu'épouvante sa marche irrésistible. Il l'écrivit lui-même, plus tard, évoquant ces temps médiocres : J'ai eu ce malheur que ceux qui ont pu beaucoup dans l'État m'en ont toujours voulu, non pour aucun mal que je leur eusse fait, mais pour le bien qu'on croyait être en moi. Ce n'est pas d'aujourd'hui que la vertu nuit à la fortune et que les bonnes qualités tiennent lieu.de crimes. On a remarqué de tout temps que, sous de foibles ministres, la trop grande réputation est aussi dangereuse que la mauvaise et que les hommes illustres ont été en pire condition que les coupables. C'est encore un mot qu'il faut lui emprunter : il n'y avait qu'à laisser faire le temps et à se consoler en cette attente[62].

Autour de lui, les vœux et les témoignages abondent ; son adversaire d'autrefois, le Père Arnoux, s'écrie : Quand donc prendrez-vous le timon ? Nous avons lu la phrase de Balzac sur ces capacités que Dieu promet longtemps aux hommes avant que de les faire naître. Voici maintenant l'avis de Malherbe dans une lettre écrite, dans l'intimité, à son ami Racan : Vous savez que mon humeur n'est ni de flatter ni de mentir, mais je vous jure qu'il y a, en cet homme, quelque chose qui excède l'humanité et que si notre vaisseau doit jamais vaincre la tempête, ce sera tandis que cette glorieuse main en tiendra le gouvernail[63].

Voici la voix publique, qui s'exprime en termes naïfs et sincères :

Monseigneur de Luçon, vous êtes la lumière ;

C'est vous qui par sagesse et qui, par bonne foi,

Vos offices rendant, nous donnerez la loi.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

... Si que chacun crie au seigneur de Luçon :

Après Ténèbres, viens ; J'espère en ta leçon.

Post tenebras spero lucem[64].

D'autres écrivent : Pour le cardinal de Richelieu, les courtisans le tiennent raffiné jusqu'à vingt-deux carats, et les clairvoyans ont opinion que son naturel courageux l'engagera à bien faire pour avoir de la gloire... Issu d'un père bon François, il imitera un si brave cavalier... Sans s'arrêter aux intérêts de l'Espagne ni des cagots, il embrassera ceux de Votre Majesté comme un autre cardinal d'Amboise, afin de relever cet État menacé de ruine évidente... sa prudence et sa dextérité incomparable au maniement des affaires ont été les échelons qui l'ont fait monter à ces hauts degrés d'honneur et de gloire qu'il tient en l'Église et en l'État... il conjoint une si grande solidité du jugement à une si grande vivacité que jamais qualités contraires ne se virent tempérées par une si puissante harmonie... il est comme le flambeau qui pour éclairer se consume lui-même, attendu que l'État recueillant les fruits de son travail et de ses veilles, il ne fait que ruiner le peu de santé qu'il a, comme une hostie immolée pour le salut public[65]...

Voici, la voix de ses ennemis déclarés : Plusieurs personnes le connoissoient homme d'un esprit subtil et qu'on ne peut aisément surprendre, parce qu'il est toujours en garde, qu'il dort peu, travaille beaucoup, pense à tout, est adroit, parle bien et est assez instruit des affaires étrangères[66]. Il faut une singulière force dans la vérité pour arracher de tels éloges.

Voici, enfin, l'opinion des diplomates étrangers : témoins attentifs et intéressés, ils disent ce qui est nécessaire à l'instruction de leurs gouvernements. Leurs correspondances secrètes nous font assister au drame qui se joue autour de la faveur royale, au cours de cette année suprême, où les derniers efforts sont faits par toutes les médiocrités et toutes les jalousies, pour barrer la route au génie. Le nonce écrit en janvier 1622 : les anciens ministres, devenus tout-puissants, redoutent son cerveau trop actif (cervello torse troppo gagliardo del vescovo di Lusson). Il répète en janvier 1623 : Le cardinal de Lusson ne pourra jamais s'entendre avec eux tant ils redoutent son intelligence et son talent. L'ambassadeur vénitien témoigne de la réserve où il se tient (mars 1623) : Les conseils se tiennent dans la chambre de la reine mère et le cardinal de Richelieu affecte de plus en plus de s'éloigner du gouvernement.

Voulons-nous saisir au naturel le jeu des subalternes et même de la valetaille : tout ce qui entoure la reine mère fait ses confidences au résident florentin. Ce diplomate n'aime pas le cardinal. Voici ses paroles : J'ai été mis au courant par le moyen des femmes de chambre et de l'apothicaire, étant très familier avec ces gens de mon pays. Ils viennent souvent exhaler confidentiellement avec moi leur passion et particulièrement celle que fait naitre en eux la domination superbe et intéressée du cardinal qui veut tenir bas, soit par ambition, soit par avarice, tous les autres serviteurs de la Reine... Ils me dirent que ce cardinal seroit encore la cause d'une nouvelle ruine pour la Reine, parce que le Roi ne pouvoit pas le souffrir... ils me dirent aussi que le Roi avoit, à ce propos, lancé de la belle façon quelque brocard à la Reine ; mais qu'elle ne veut pas comprendre.

Et voici un seul mot en passant qui, à lui seul, résumerait tout : M. le cardinal de Richelieu qui, pour sa valeur personnelle, est très redouté..., s'il ne fallait finir par cette phrase écrite encore par le résident florentin, le 16 février 1624, et qui prouve que, jusqu'au dernier moment, la cabale n'a pas désarmé : Le Roi, dit-il, voudroit bien que la Reine sa mère acceptât que le cardinal de Richelieu s'en allât pour quelque temps à Rome et qu'elle vouloit bien se servir pour principal ministre de M. de Brèves ou d'un personnage semblable... C'est là la raison qui met encore quelque obstacle à une entente complète entre le Roi et sa mère ; car il est très certain qu'aujourd'hui il n'y a plus de mésintelligence entre eux ; mais le Roi ne peut pas s'empêcher d'avoir en tète certains scrupules relatifs non pas à la fidélité, mais à l'esprit altier et dominateur du cardinal[67].

La preuve est faite ; mais il fallait faire cette preuve. Jamais un homme en passe du pouvoir ne fut mieux compris, mieux deviné, plus impatiemment attendu par ses contemporains ; jamais un homme n'eut autour de lui un tel cortège de confiance, de vœux et d'applaudissements ; jamais un homme ne fut, dans toute la force du terme, appelé comme le fut Richelieu.

Il avait été ministre quelques mois à peine, dans les temps troubles de la faveur du maréchal d'Ancre ; sa conduite, pendant les longues années qui séparent sa chute de son second ministère, avait pu sembler suspecte ; tous savaient que le Roi, qui l'estimait peut-être, ne l'aimait pas. Cependant l'éclat de son intelligence était tel, qu'il éblouissait les yeux et forçait les suffrages. On reconnaissait en lui un génie extraordinaire, même avant qu'il l'eût déployé. Bonaparte avant Montenotte n'était qu'un officier ignoré. Il gagna sa fortune à coups de victoires. Richelieu n'eut qu'à se montrer. Son regard pénétrait les esprits. Une sorte de magnétisme rayonnait de lui. D'une main souple, il dénouait les oppositions et les humeurs. Sa présence était active. Il parlait bien : c'était une sirène. Il avait toujours raison : c'était un chef.

Cette année 1623 est une des plus pitoyables de notre histoire. Elle se consume en luttes vaines, en intrigues médiocres, en un confus amas d'erreurs, de fautes et de manèges mesquins, tandis qu'autour de la France montait la marée des événements désastreux.

Le Roi est entré à Paris. Il y vit dans l'inaction et dans l'isolement, dégoûté de lui-même et des autres. Assez soucieux de son devoir de roi pour sentir qu'il y a mieux à faire que ce qu'on fait, trop inexpérimenté et trop timide pour discerner et décider ce qu'il convient de faire, il cherche des conseils qu'il ne se résout pas à suivre. Sa méfiance est toujours en éveil.

Il n'est pas heureux ; son ménage ne va pas. La reine Anne égarée par des amis imprudents, se prête mal volontiers à ses fantaisies d'enfant triste et exigeant ; elle est jeune, elle voudrait rire, s'ébrouer ; elle cherche des jeunesses pareilles à la sienne. Lui, survient parmi ces gaîtés ; renfrogné et morose, il boude dans un coin. Sa présence est une gêne ; il le sent, il le voit ; il souffre. Et puis, on dirait que l'approche de la femme l'effraye.

La jeune Reine ne l'encourage pas : deux fois, elle devient grosse ; deux fois par imprudence, par jeu, par gaminerie, elle se blesse ; c'est comme un sort jeté sur cette union. Le Roi est un mari médiocre ; la Reine, qui s'est formée tardivement, appartient à cette maison d'Espagne si affinée, si épuisée, qu'on se demande si l'arbre peut encore porter des rejetons. Le frère du Roi, Monsieur, grandit. On s'habitue à voir en lui l'héritier présomptif. Le Roi commence à se montrer jaloux ; la jeune reine regarde avec quelque attention ce jeune beau-frère, joli gamin, noir, vicieux et hardi ; elle se plaît en sa compagnie. Quant à la reine mère, elle couve d'une tendresse maternelle l'avenir de cet autre enfant ; elle est Médicis ; en cas d'accident, la destinée de sa grand'tante Catherine, qui pendant cinquante ans, grâce aux régences, a été reine de France, ne lui déplairait pas[68].

Le Journal d'Héroard nous raconte, jour par jour, la vie du Roi : c'est toujours cette chasse obstinée, effrénée, qui, par l'exagération niaise, volontaire, têtue, a quelque chose de navrant. Cet homme ne peut donc pas se trouver en face de lui-même ? Le Roi de France n'a-t-il d'autre fonction publique que de courir le cerf Ou le renard ? Le 6 mars, mercredi, il va à Versailles à la chasse, revient au galop, comme il étoit allé, va chez la Reine sa mère. Le 8, vendredi ; il va à la chasse à Versailles, prend Un renard, fait la curée. — Le 9, samedi. Il entre en carrosse et va pour la chasse à Versailles, y dîne ; après, monte à cheval, va courir un cerf, le prend, revient de bonne heure et prend un renard. Après souper, il va en sa chambre, fait faire son lit, qu'il avait envoyé quérir de Paris, y aide lui-même. — Le 10, dimanche. Il va à la messe, puis courir un renard, après-dîner monte à cheval et arrive à Paris. Il va chez la Reine sa mère, au sermon, puis va jouer à la paume.

Autre journée un peu moins monotone : 20 février 1623. Il va à la volerie plénière par les plaines du Roule, vers celle de Saint-Denis ; les Reines et les Dames y vont aussi. Elles s'en reviennent et lui, sans découvrir son dessein à personne, va au Bourget, loge à une hôtellerie, y fait lui-même tout. Il étoit en eau, de peine, change de chemise, soupe, à six heures, de la viande qu'un poulailler de Senlis portoit à des conseillers et à Messieurs des Comptes A. Paris ; mange peu. Il n'avoit aucuns officiers qu'un porte-manteau ; M. le grand écuyer Bellegarde lui fait son lit ; il s'enveloppe dans sa mandille doublée de panne de soie, et se met sur le lit[69].

A quoi pense-t-il l'adolescent songeur, les yeux grands ouverts, étendu dans sa cape espagnole ? Il se dit peut-être que Luynes lui manque bien. Il est seul, ses ministres sont assommants et ridicules. Il se moque d'eux, tout le premier. Il n'a personne ; il ne lui reste que sa mère.

Celle-ci, par l'autorité de l'âge, du sang, par la présence continuelle, s'impose ; elle l'entoure d'une assiduité attentive ; sortant de son naturel, elle se lève tôt ; surtout qu'on la réveille si le Roi la demande, en partant pour ses chasses. Elle est toujours prête. C'est qu'elle a la pensée constante de son ami ; les femmes ont des nerfs d'acier pour le service de leurs passions. Le Roi, dominé par ce travail de captation réfléchie, se serait déjà abandonné à la volonté maternelle, s'il n'entrevoyait parfois, derrière une tenture, cette figure triangulaire et ce regard noir qui l'observent.

Alors, il se dérobe brusquement. Les ministres profitent de ces alternatives, de ces boutades, de ces bourrasques. Ils font leur main sur tout, s'enrichissent effrontément, poussent les leurs dans les emplois, dans les ambassades, éloignent les capacités qu'ils soupçonnent de leur nuire ; c'est ainsi que Schomberg, surintendant des finances depuis 1619, homme sûr, expérimenté, bon au conseil, et bon à la guerre, est écarté, le 20 février 1623, par une soudaine résolution du Roi qui est passé maitre, décidément, dans l'art de congédier les gens. Louis XIII, il est vrai, ne s'est décidé cette fois que sur l'insistance des ministres. Il leur en garde rancune. Donc, double faute, de leur part : ils mécontentent le Roi et ils remplacent Schomberg, qui est sûr, par un courtisan qui les trahira, La Vieuville.

Le Roi manifeste son dépit contre Sillery en accordant la préséance, dans le Conseil, au cardinal de La Rochefoucauld sur le connétable et sur le chancelier. Les gens avisés voient poindre, sous cette intrigue, les ambitions prochaines de l'autre cardinal, toujours dans la coulisse, et qui, d'avance, marque sa place.

Cependant le Roi dissimule encore ; une nouvelle prétention de Sillery -met le comble à leur fortune et rapproche en même temps l'heure de la catastrophe. Caumartin, qui avait reçu les sceaux à la mort du duc de Luynes, meurt à son tour. Le vieux Sillery, qui ne s'était jamais consolé de les avoir perdus, les réclame avec la maladresse d'un vieillard têtu et avare. Le Roi les lui laisse comme un jouet. Mais il juge ces gens bien envahissants ; il a désormais l'oreille ouverte à toutes les critiques[70].

La Cour, l'opinion sentent que cette faveur qui se croit sûre du lendemain, est déjà ruinée. Une violente campagne de pamphlets commence contre les ministres.

Évidemment, il y a un mot d'ordre. La France mourante remet sur le tapis toute la thèse des bons François. Elle déplore les partialités dans le Louvre, les consultations sécrètes, l'éloignement des bons serviteurs du Conseil, la vente à l'encan des gouvernements, les édits nouveaux, le rétablissement de la Paulette, la licence de mal faire, le gaspillage financier, nulle recherche des malversations, le trafic des intérêts extérieurs, nul soin des alliés, les guerres civiles, les paix fourrées (la paix de Montpellier), la pauvreté du trésor. Les ministres avaient la réputation de n'avoir pas les mains nettes : Le grief devient crime. Ce sont ces Brulart, ces Nicolaïtes, le don Nicolas Platreux, le Puisieux et la Puisieuse qui sont cause de tout le mal. Pourquoi ce vieillard et les siens s'obstinent-ils à se mettre en travers des jeunes, pleins de mérite, qui marquent le pas ? Voici encore un bout de la robe rouge derrière le rideau : Mais que dites-vous des élixirs et remèdes du cardinal de Richelieu ? Il seroit bien capable d'en donner de bons, s'il vouloit, et principalement à cette heure que son écarlate l'a mis à l'abri des atteintes de l'envie des favoris ; mais il est si accommodant à la complaisance du siècle qu'il n'ose parler non plus que la reine mère.

C'est surtout quand il s'agit de nos intérêts au dehors que le ton s'élève. Le discours de L'Hôpital à la France mourante est un programme : Vous savez, Madame, que, pendant que vous étiez devant Montauban, l'Espagnol a pris l'occasion de s'emparer du duché de Juliers, du Haut et du Bas-Palatinat, qu'il a fort accortement joints à ses Pays-Bas. Il a démêlé à son avantage toutes les brouilleries de Bohème et de Hongrie ; il a fait bouquer tous les potentats de la Germanie ; il a befflé l'Angleterre ; il s'est emparé de la Valteline, puis des trois Ligues Grises. De sorte que si on laisse affermir ses conquêtes, il est très certain qu'il se rend maitre de toute l'Italie et edominateur des Allemagnes...

Et voici maintenant les remèdes : Je ne suis point d'avis de faire la guerre ouverte à l'Espagne ni à la Maison d'Autriche. Mais vous devez, Madame, assister à bon escient vos alliés, les faire mouvoir tant en Allemagne qu'en Italie, envoyer vers eux toute la noblesse et les soldats qui cherchent les armes ; ne plus permettre qu'ils aillent servir les Ibériens ; donner de bonnes instructions à vos ambassadeurs et les châtier rigoureusement s'ils ne les exécutent pas mieux que par le passé ; relever la réputation de cette couronne qui décherrait tous les jours parmi les nations étrangères et reculer de vos conseils tous ceux qui ont l'haleine espagnole[71].

On croirait entendre la voix de Richelieu. D'ailleurs, ces pamphlets sont écrits sous son inspiration. Ils émanent de son entourage ; on dit qu'ils sont de Fancan. Ils traduisent les sentiments de l'opinion. Ils portent ; les ministres sont touchés ; ils ne savent comment se défendre.

Puisieux, selon sa méthode habituelle, pense qu'il suffit de s'approprier les idées des autres. Cette affaire de la Valteline encombre sa route. Tout le monde crie. Il cherche un expédient qui fasse taire les plaintes, comme si cela, arrangeait l'affaire ! Il s'avise d'une procédure, déjà indiquée, sous main, par les Espagnols eux-mêmes lors de la négociation de du Fargis, et qui consistait à mettre la Valteline en dépôt sous la garde d'une puissance tierce. Son frère, l'ambassadeur à Rome, le commandeur de Sillery, va plus loin et s'engage, par écrit, à faire trancher le différend par le Pape. L'Espagne est enchantée puisque c'est sa proposition qu'on accepte et son défenseur qui arbitrera ; voici une des parties satisfaites.

Quant aux ennemis de l'Espagne, on leur réserve une compensation. On bâcle rapidement une sorte de ligue en faveur de la Valteline, avec la Savoie, Venise, et on laisse le protocole ouvert pour le Pape, les Suisses, la Grande-Bretagne, les princes d'Allemagne et d'Italie. Les articles très détaillés de la convention constituaient un programme d'action. Mais il était ruiné d'avance par l'abandon de la Valteline entre les mains du Pape. Comme le dit l'un des signataires, l'ambassadeur de Venise, c'était une manifestation sur le papier (7 février 1623)[72].

Après cet effort, l'énergie des Sillery retombe à rien. Ils ont annoncé de grands effets. On a remué des phrases et on a gagné du temps. Voilà tout. La cour s'épuise en intrigues obscures. On danse au carnaval. Le Roi chasse.

Si, pourtant ; un changement s'est produit : le Roi a substitué à la chasse avec des oiseaux la poursuite avec des petits chiens pour le renard. L'ambassadeur vénitien se bâte d'informer son gouvernement.

La peste sévit à Paris ; on répand des prédictions sinistres. La vie est triste. La cour quitte la ville. Le Roi recherche sa mère. A Saint-Germain, à Fontainebleau, on remarque de longues conférences entre la mère et le fils. Où cela tend-il ? tout le monde est aux écoutes. Richelieu s'éloigne ; on dit qu'il va s'établir chez lui, en Anjou. On dit encore qu'il y a mésintelligence entre Sillery le père et Puisieux le fils ; ce qui est certain, c'est qu'ils sont en pleine discorde avec leur créature, La Vieuville. Quand les cabales se querellent, c'est que le navire fait eau. En effet, une personne de qualité affirme qu'on verra du nouveau dans quelques semaines.

Les imaginations travaillent. Bientôt, elles sont fixées, Le soir du jour de l'an, — attention charmante, — le Roi dit à brûle-pourpoint au vieux Sillery de lui rendre les sceaux. Celui-ci se récrie. Paroles vives. Pour en finir, le Roi ordonne. Les pauvres gens mettent une nuit à se décider et Puisieux rapporte les sceaux, le lendemain matin. Il faut laisser à l'ambassadeur de Venise la responsabilité d'une anecdote bien singulière : Des trois sceaux dont on se sert, dit-il, à savoir de la couronne de France, de la Navarre et du Dauphiné, il se trouvait qu'il manquait celui de France ; le Roi le réclame ; Puisieux l'avait gardé... On assure que ce manque de mémoire a fortement accru la bourse de Puisieux au moyen de sceaux secrets. C'est un procédé de domestique à l'égard du roi son maître[73].

Puisieux essaye de se raccrocher aux branches. Il tient bon sous les camouflets. Il se fait petit. Les Sillery, selon que le visage du Roi s'ouvre ou se ferme, se redressent ou s'effondrent. Puisieux eut un moment d'espoir, sinon pour son père, du moins pour lui-même. Enfin, le 3 février, le Roi leur envoie son secrétaire, Tronçon, leur dire qu'ils aient à se retirer dans leur terre de Champagne : cependant, s'ils le désirent, il les entendra. Ils se voient perdus. Le visage du Roi est terrible à ces âmes tremblantes : ils partent. Personne ne les accompagne ; personne ne les plaint (3-5 février 1624).

 

 

 



[1] Correspondance (t. VII, p. 934).

[2] Voir tout l'incident dans Histoire de la Vie de Messire Philippes de Mornay, seigneur du Plessis-Marly, édit. Elzévir, 1647, in-4° (p. 598 et suiv.).

[3] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 242).

[4] Correspondance (t. I, p. 671).

[5] Le reproche de vouloir former un tiers-parti est celui qui s'adressa désormais à la reine mère et à son conseiller. V. Correspondance (t. VII, p. 455) et ZELLER, Luynes (p. 124).

[6] Correspondance (t. VIII, p. 21). Lettre du 8 juillet écrite par l'évêque et datée de Richelieu, lieu riche de nom et non d'effet, à l'archevêque de Sens. Correspondance (t. VII, p. 489).

[7] Voir la lettre dans ZELLER, Luynes (p. 299).

[8] Correspondance (t. VII, p. 493, 500, 935).

[9] Cf. BASSOMPIERRE, Journal (t. II, p. 275).

[10] Correspondance (t. I, p. 691, et t. VII, p. 502-503).

[11] Les correspondances aigres-douces entre tous ces personnages sont conservées aux Affaires Étrangères, vol. 773, et en partie publiées dans Correspondance (t. I et t. VII).

[12] Voir l'étude d'AVENEL dans Revue des Questions Historiques, année 1870, 1er juillet (p. 120).

[13] Sur l'altitude du duc de Sully, de son fils d'Orval et de La Force, voir les Mémoires de LA FORCE et notamment Mémoires de CASTELNAUT (t. IV, p. 320). — Cf. un très curieux passage du président de GRAMOND : Historiarum Galliæ ab excessu Henrici IV, libri XVIII, édit, L. Elzévir, 1653, in-8° (p. 462).

[14] Cette question de l'éviction des biens ecclésiastiques, qui joue un si grand rôle dans les affaires de religion, du moins dans les provinces du midi, mériterait d'être éclaircie. J'ai consulté aux Archives de la préfecture de Tarn-et-Garonne des documents extraits du Cartulaire Devals que je dois à l'obligeante communication de mon confrère M. Maisonnobe, archiviste à Montauban : Livre noir, f° 31 r°, 7 juillet 1586 : Don des fruitz et revenus du bien des catholiques absens de la villa de Montauban fait par le Roy de Navarre en faveur de ladite ville pour l'année MCeIIIIxxVI. — f° 32 : Don des fruitz etc. pour l'année 1587. — 12 novembre 1588 : Procès-verbal de l'enquête sommaire faite par le lieutenant principal de la judicature de Villelongue sur les excès et les usurpations commis par les calvinistes de Montauban et de Gascogne envers les ecclésiastiques et les catholiques du Quercy, Gascogne et Languedoc, etc. (Archives de Montauban. Titre de l'évêché, original en parchemin). — Deux autres documents analogues pour mars et décembre 1593. — Pour tous ces événements, les documents les plus précieux sont réunis à la Bibliothèque nationale, dans le fonds de dom Vaissette. Voir notamment les volumes 93 et 94. Je signalerai aussi le manuscrit de la bibliothèque de M. Foucaud contenant un Journal de ce que M. le duc de Rohan a fait en Languedoc ès années 1621-22 (vol. 94, f° 109).

[15] Voir les Mémoires de BOUFFARD DE MADIANE sur les guerres civiles du duc de Rohan, 1610-1629, publiés par Charles Pradel, Picard, 1898, in-8°, et la brochure de M. Schybergson : Sur les mémoires de Bouffard de Madiane, Helsingfors, 1901. Cf. pour Montauban, le livre intéressant mais passionné du pasteur JOLY : Histoire particulière des plus mémorables choses qui se sont passées au siège de Montauban, dressé en forme de Journal, MC.XXIIII, in-12°.

[16] Recueil des pièces... contre le connétable de Luynes (p. 147).

[17] Je suis allé, à Montauban, étudier les péripéties du siège. J'ai été guidé sur les lieux par la science et la complaisance de mon confrère, M. Maisonnobe, archiviste de la préfecture, de M. Forestié et de M. Defrance. Qu'ils veuillent bien agréer tous mes remerciements. Je dois aussi remercier M. Delorme de Toulouse, qui m'a communiqué des pièces intéressantes. Aux archives de la préfecture du Tarn, j'ai pu consulter des documents importants ; notamment, M. Maisonnobe m'a procuré une copie des mémoires manuscrits de siège par NATALIS. M. Defrance m'a montré les plans du siège et me les a expliqués sur les lieux. M. Forestié neveu a publié dans les Éphémérides montalbanaises, 1882, in-8°, une relation complète du siège. — Parmi les documents anciens, il faut consulter surtout la relation insérée dans le Mercure François ; — la relation de JOLY citée ci-dessus ; — l'État de Montauban, par le pasteur Pierre BERAULD, 1628, in-8°. — Voir enfin l'étude de M. l'abbé DAUX dans Histoire de l'Église de Montauban, Paris, Bray, 1882, in-8°, 2e volume (p. 1-91).

[18] Voir dans le Journal ms. de NATALIS sous la date du 1er septembre 1621 (f° 36) la condamnation et la mort du capitaine Sauvage. — Voir aussi une lettre du Père Olivier, conservée dans les archives de la ville de Nîmes DDL, 25 septembre 1621. On a fait pendre dans Montauban un capitaine nommé Sauvage qui avait faict la trahison de Clairac et qui estoit entré portant des lettres de M. de La Force au comte d'Orval...

[19] Voir Journal ms. de NATALIS, f° 52 et suiv., 26 octobre 1621. Pourparlers entre les deux partis.

[20] Sur Du Vair, voir le passage curieux que Richelieu lui consacre, dans ses Mémoires (t. I, p. 243). Il était un des chefs du parti catholique. — Cf. PUYOL, Béarn (p. 355).

[21] Journal de BASSOMPIERRE (t. II, p. 382).

[22] L'histoire de la disgrâce du Père Arnoux est racontée dans tous les documents contemporains. Voir notamment Mémoires de RICHELIEU (t. I), Journal de BASSOMPIERRE (loc. cit.) et CHABANS, Guerre des huguenots (p. 184). — Voir la lettre assez plate que le P. Arnoux, après sa disgrâce, écrivit à Luynes : M'estant icy rendu dans ce désert, par vostre commandement... j'ai fait une profonde réflection sur tout ce qui s'est passé entre vous et moy... Bibl. Nat., fonds Clairembault (vol. 1132, f° 2).

[23] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 244). — Mémoires de ROHAN (p. 130).

[24] Journal de BASSOMPIERRE (t. II, p. 361).

[25] Cette accusation n'était pas sans fondement. Les parlements, notamment ceux de Bordeaux et de Toulouse, se montraient bien hardis dans leurs harangues. Richelieu surveillait tous ces mouvements, prêt à en profiter. V. Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 246-47-254) et aussi le récit de l'ambassadeur florentin dans ZELLER (p. 126).

[26] Mémoires de RICHELIEU. — CHABANS (p. 190-96). — Luynes mourut au château de Longuetille, non loin de Monheurt (renseignement dû à M. COUYBA, l'érudit auteur de La Fronde en Agenais). — Héroard dit, sous la date du 15, mercredi : Le roi quitte Longuetille à cause de la maladie du Connétable qui meurt à Dumasan, à deux heures (t. II, p. 265).

[27] FONTENAY-MAREUIL (p. 164).

[28] Luynes... est mort bien à propos pour sa fortune parce que les yeux du Roy s'ouvraient peu à peu... Il sentit les défauts des talens de celuy en qui il avoit mis toute sa confiance ; il fut enfin frappé des dimensions de ce colosse formé tout à coup, et il se repentit si bien de celte faute de la simplicité de sa jeunesse et de sa première liberté qu'il s'en est plaint souvent depuis à mon père. SAINT-SIMON, Parallèle des trois premiers rois bourbons, édit. 1880 (p. 145).

[29] Correspondance (t. VII, p. 936). — Voir l'Histoire de Louis XIII du Père GRIFFET (t. I, p. 326).

[30] Ces lettres de Marillac sont conservées aux Affaires Étrangères. Mémoires et Documents, France, vol. 775.

[31] M. Berthold ZELLER a publié, sur la période de 1621 à 1624 et sur le ministère des SILLERY, un livre emprunté en grande partie aux archives italiennes et qui contient de nombreux documents inédits et curieux : Richelieu et les Ministres de Louis XIII de 1621 à 1624, Paris, Hachette, 1880, in-8°.

[32] Pour tous ces traits, voir Correspondance (t. I, p. 705). — BASSOMPIERRE (t. II, p. 385). — LEVASSOR (t. II, p. 437 et 472). — Mémoires de ROHAN (p. 193).

[33] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 258).

[34] ZELLER, Ministres (p. 8).

[35] Voir les lettres relatives à toute cette affaire du cardinalat à la Bibliothèque de l'Institut, fonds Godefroy ; Nouvelles acquisitions, venant de Libri. — Cf. Correspondance (t. VII, p. 428 et suiv.).

[36] Voir les relations insérées au Mercure français. — Cf. Réduction de huit grandes villes à l'obéissance du Roy, submission de MM. de Sully, La Force, etc., Paris, Étienne, 1622, in-12° : Bibl. de l'Arsenal, Histoire, in-12°, n° 6261. — Cf. le manuscrit venant de M. Foucaud, au fonds Vaissette à la Bibl. Nat., vol. 94 (f" 109 et suiv.). — CHABANS, Guerre des Huguenots. — Mémoires de ROHAN, édit. 1646 (p. 187 et suiv.).

[37] LEVASSOR (t. II, p. 483). — Voir Extrait du siège de Montpellier par GARIEL, au fonds Vaissette (f° 89 et suiv.) ; — la lettre de Marillac à Richelieu, du 17 mai 1622, Affaires Etrangères, vol. 775 ; et les deux lettres si importantes de Rohan à Lesdiguières et à Bouillon, du 7 juin et 22 juillet 1622, fonds Godefroy, vol. 269 (f° 78 et 97).

[38] V. Harangue faicte au Roy au camp devant Montpellier, par les députés de toutes les Églises réformées de France et de Béarn, avec les articles du traité. Bibl. de l'Arsenal, fonds Conrart (n° 177-178). — Cf. Mémoires de ROHAN (p. 191).

[39] Voir le curieux et rarissime petit ouvrage : Voyage de Monsieur le prince de Condé en Italie, Paris, Olivier de Varenne, 1666, in-12° : M. le Prince avec la permission du Roy, partit du camp devant Montpellier le dimanche neuvième jour d'octobre mil six cent vingt-deux, alla coucher à Aigues-Mortes... (p. 1).

[40] Correspondance (t. I, p. 710).

[41] Lettre écrite de Pougues au Président Jeannin, le 26 juin 1622. Correspondance (t. I, p. 711).

[42] Marie de Médicis écrit à Puisieux, le 6 août 1622 : Monsieur de Puisieux, j'ay très grand déplaisir que la perte de mon cousin le cardinal de Retz que je regrette infiniment vous donne lieu de faire nouvelle instance pour la promotion de M. l'Évesque de Luçon, mon grand aumonier. Mais puisque cet accident est arrivé je m'asseure que vous vous souviendrez de recevoir commandement du Roy Monsieur mon fils de faire promptement une dépesche expresse au Sr Commandeur de Sillery son Ambassadeur pour le charger de presser sans relâche le Saint-Père de donner au Roy le contentement qu'il attend il y a si longtemps. Il ne peut plus être différé puisqu'il est promis sitost qu'il y aurait une quatrième place et que depuis un an en ça il est mort trois cardinaux français au grand dommage de cest Estat. Je me promets que vous n'oublierez rien de ce qui sera nécessaire en ceste affaire... etc. MARIE. De sa main, elle ajoute : La confiance que j'ay particulièrement en l'amitié que vous m'avez promise et la franchise avec laquelle je voudrois avoir lieu de vous faire paroitre la mienne faict que librement je vous prie de parachever ce que vous avez mis en fort bon estai par vos dernières lettres. Fonds Godefroy, Mss. Libri (f° 67).

[43] M. AVENEL, dit, à tort, dans son article de la Revue des Questions Historiques, que la date de la promotion de Richelieu au Cardinalat n'est pas connue. Cette date du 5 septembre est donnée par AUBERY dans son Histoire (t. I, p. 40) d'après la lettre du Roi au nouveau Cardinal. — Voir, d'ailleurs, pour tous les détails précis, Correspondance (t. VII, p. 458, note) et fonds Godefroy, Mss. Libri., loc. cit.

[44] Voir Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 267), et Richelieu à Tarare, par Eug. PROTHIÈRE publié dans le Bulletin de la Société des Sciences de Tarare, 1902.

[45] Voir les réponses de Richelieu dans Correspondance (t. I, p. 725 et suiv.).— Cf. l'Histoire et les Mémoires d'AUBERY.

[46] Voir les deux lettres dans Correspondance (t. I, p. 734).

[47] Pour toute cette correspondance familière, voir Correspondance, t. I, in fine et t. VII (p. 936 et suiv.).

[48] Correspondance (t. I, p. 761, t. VII, p. 531-35, et t. VIII, p. 23). — Cf. LA FONTENELLE DE VAUDORÉ, Histoire du monastère et des évêques de Luçon (fin du tome Ier, début du t. II). — A ce même moment (9 sept. 1623), Richelieu vend la charge d'aumônier de la reine régnante à l'évêque d'Alep. Voir Correspondance (t. VII, p. 530).

[49] Correspondance (t. I, p. 765).

[50] Voir Correspondance (t. I, p. 732, p. 745-47). — Cf. AUBERY, Histoire (t. I, p. 43)

[51] CHARVÉRIAT, Histoire de la guerre de Trente Ans (liv. I, chap. IX et X).

[52] Dr W. SCHREIBER, Maximilian der Katholische und der dreizigjührige Krieg, München, 1868, in-8° (p. 248-256).

[53] Il y a une relation très curieuse de l'arrivée du Prince de Galles à Madrid dans les Mémoires et Négociations secrètes de M. DE RUSDORF, conseiller d'État de Frédéric V, comte palatin et roi de Bohême, Leipzig, 1789, in-8° (t. I, p. 5). — Voir aussi, sur les difficultés que rencontra le mariage, AUBERY, Mémoires de Richelieu, in f° (t. I, p. 58).

[54] Voir aux Affaires Étrangères, Bavière, t. I, et cf. FAGNIEZ, Père Joseph (t. I, p. 249).

[55] FR. HURTER, Geschichte K. Ferdinand II (vol. IX, p. 259 et suiv.).

[56] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 271).

[57] Voir Négociations du Président JEANNIN, appendice. — Cf. LEVASSOR (t. II, p. 446). — Recueil d'AUBERY (t. I, p. 57 et suiv.).

[58] Voir les documents réunis dans B. ZELLER, Ministres (chap. II et IV).

[59] Histoire de la Valteline et des Grisons, Genève, 1632 (p. 268).

[60] Voir La Valteline ou Mémoires, discours, traités et actes des négociations... Recueil très utile et nécessaire en ce temps à tous les bons patriotes, Genève, 1631 (p. 248-251).

[61] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 272) et ZELLER, Ministres (chap. VI).

[62] Mémoires (t. I, p. 270).

[63] Lettres de MALHERBE, édit. des Grands Écrivains (t. IV, p. 20-21).

[64] Recueil des pièces... du temps de Luynes, édition 1625 (p. 440).

[65] Recueil de diverses pièces contre Luynes (p. 483). — GELEY, Fancan (p. 190).

[66] MATHIEU DE MORGUES, Pièces pour la défense de la Reine mère du Roi.

[67] ZELLER, Ministres (p. 280).

[68] Voir le charmant volume d'Armand BASCHET : Le Roi chez la Reine, Plon, 1866, in-8°.

[69] Journal de Jean HÉROARD (t. II, p. 288 et suiv.).

[70] ZELLER, Ministres (chap. IX).

[71] Recueil des pièces... du temps de Luynes, édition 1625 (p. 489 et suivante).

[72] Recueil d'AUBERY (t. Ier, p. 60 et suiv.). — ZELLER, Ministres (p. 190).

[73] ZELLER, Ministres (p. 220).