HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

LE CHEMIN DU POUVOIR - LE PREMIER MINISTÈRE (1614-1617)

CHAPITRE TROISIÈME. — LE PREMIER MINISTÈRE.

 

 

I. — Le ministère Concini-Barbin. - La politique d'autorité.

Il semblait que l'on entrât dans un nouveau règne, écrit un contemporain au moment où, par l'influence du maréchal d'Ancre, l'évêque de Luçon arrivait aux affaires. En effet, la première phase de la régence de Marie de Médicis était définitivement close. Les barbons, Villeroy, Sillery, Jeannin, étaient remplacés par les jeunes, Harbin, Mangot, Luçon[1].

Les nouveaux ministres avaient des vues, du courage, et de la capacité. Mais leur fortune politique, qui dépendait de la faveur de Concini, était précaire comme elle ; leur action était affaiblie d'avance par l'insécurité. Il avait fallu de la souplesse pour arriver au pouvoir dans ces conditions : il eût fallu de la bassesse pour y rester longtemps et pour se plier aux projets et aux mœurs du maréchal. Il était le véritable maître du ministère, maitre capricieux, ombrageux, gonflé outre mesure et enivré jusqu'à la folie par la docilité que sa prodigieuse ascension rencontrait parmi les Français.

Marie de Médicis, jusque-là craintive et timorée entre les mains des Villeroy et des Sillery, paraissait excitée par le contact de ses nouveaux conseillers c'étaient plutôt les parties irritables de son caractère qui se manifestaient maintenant. Elle s'arrachait à son ancienne indolence pour se répandre en crises de dépit et de larmes, où elle accusait tout le monde des fautes qu'elle avait commises, et de celles qu'elle se sentait prête à commettre. Âgée de quarante-deux ans, elle entrait dans cette période de la vie des femmes où les regrets sont encore plus insupportables que les remords : le spectacle de leur beauté qui s'effeuille fait de la maturité des veuves le plus lugubre des automnes. Un portrait de Haluech dessine brutalement les carnations pâlies et empâtées du visage, le nez proéminent, les yeux amortis, et les plans graisseux des joues et du menton. Le corps seul pouvait tenir encore ce que la figure ne promettait déjà plus.

On avait perdu pour la reine tout respect. Les pamphlétaires ne se gênaient pas pour incriminer son origine étrangère, ses faiblesses pour les deux Concini et le je ne sais quoi de suspect qui s'affirmait dans les relations avec le mari. Les diplomates ne s'adressaient à elle que par égard pour les prérogatives déjà effacées d'une régence arrivée à son terme. Même ceux qui comptaient sur elle pour la défense de leurs idées ou de leurs intérêts la jugeaient sévèrement : La reine est, par nature, pauvre de paroles, et encore plus pauvre d'idées, écrivait le nonce Bentivoglio ; dans les affaires importantes, on ne peut rien tirer d'elle, quand elle n'a pas eu le temps de conférer avec ses ministres[2].

Concini était. le véritable souverain, et les ministres désignés par lui étaient à ses ordres. Il les considérait tous, Barbin, Luçon, Mangot, Brienne, comme des valets et les traitait comme tels. Quand il était à la cour, les conseils se tenaient chez lui[3]. Quand il était absent, on lui écrivait tous les jours pour le tenir au courant des décisions prises. La politique générale du ministère se subordonnait à ses vues particulières[4].

Il se montrait, d'ailleurs, de plus en plus décidé à affirmer et à exercer l'autorité gouvernementale. C'est la tendance ordinaire des favoris : maures de la volonté du souverain, ils veulent qu'elle soit obéie. En poursuivant les grands, toujours en état de rébellion, il se pesait en défenseur de la tranquillité publique et de l'ordre. C'était, pour son gouvernement, une chance sérieuse de succès. Les intérêts sont pusillanimes ; ils se rallient vite à ceux qui parlent haut et qui frappent fort, puisqu'en somme l'énergie dans le gouvernement tourne au profit de ceux qui ont quelque chose à défendre.

Pour l'action, le ministère était bien composé : des hommes pauvres et maigres, n'ayant rien à ménager, non de ces gras personnages qui tremblent sans cesse pour leur bourse ou pour leur peau, — de basse naissance et des faquins, dit du Vair. Plutôt intègres, mais ambitieux d'honneurs et de pouvoirs, sur la carte que le hasard avait mise entre leurs mains, ils jouaient leur va-tout. Seul, peut-être, dans ce conseil, l'évêque de Luçon était tenu à quelque ménagement pour la classe à laquelle il appartenait par sa naissance et par son rang épiscopal ; les diplomates contemporains le distinguent finement en cela de ses collègues[5]. Mais il n'était pas le chef du ministère. N'eût-il pas subordonné sa fortune à la faveur du maréchal, qu'il eût dû s'incliner devant la volonté de l'homme qui l'avait poussé aux affaires : c'était Barbin.

Tout le monde considérait celui-ci comme le premier ministre[6] : Le maréchal m'a parlé des trois ministres comme de ses créatures, écrit le nonce dès son arrivée à Paris ; il fait beaucoup de cas de Margot et de Luçon. Mais il me dit que celui qu'il estime le plus, c'est Barbin, qui, par sa pratique des grandes affaires, peut vraiment passer pour le maitre des deux autres. Ce Barbin est celui qui a, en ce moment, le plus d'autorité ; c'est lui qui a provoqué la chute du président du Vair. Dans les audiences c'est bien l'attitude que prenait Barbin : Je l'ai trouvé homme résolu, parlant librement, et avec autorité. Nous avons parlé des choses du dedans, et des choses du dehors. Il me dit qu'il avait bon espoir de sortir d'affaires, au besoin par la force, si la douceur ne suffit pas ; en tout cas, il assure qu'il ne ménagera rien de ce qu'il faut pour réussir[7].

Après l'avoir fréquenté plus longtemps, le même nonce, de sa plume élégante, fait de Barbin le portrait suivant : C'est un homme de basse naissance, mais d'esprit vif et subtil. Il a une longue pratique des questions de finances ; en maintes circonstances, il a montré, en ces sortes d'affaires, un esprit inventif et ingénieux qui l'a introduit dans la faveur des Concini et qui lui a fait obtenir la charge de contrôleur général. Maintenant, tant par son titre que par leur faveur, il a le maniement de toutes les finances du royaume. C'est un homme d'aspect rigide, dur en affaires, haï autant à cause de sa puissance que parce qu'il la tient de ce qui est haï de tout le monde. Il passe pour homme de bien et bon catholique ; d'ailleurs, pour les choses ecclésiastiques, il s'en rapporte à l'évêque de Luçon. Il montre du jugement et de la résolution. Il parle avec fermeté et autorité et c'est lui qui a la plus grande part dans tout ce qui se fait actuellement[8].

Luçon était le bras droit de Barbin : l'ami, le protégé, le confident. Tout ce qui s'est fait pendant ce court ministère a été décidé en commun par ces deux hommes, souvent contre leurs collègues, parfois contre le maréchal d'Ancre. Be cette action commune, Luçon, par la suite, n'a jamais rien désavoué. Après la chute du ministère, il écrivait dans un mémoire intime qu'il préparait en manière d'apologie : ... faudra mettre la défense de Barbin, mains nettes et courageux[9]. Barbin, d'autre part, avait en Luçon une confiance absolue. Il semble qu'il prenait plaisir à satisfaire les ambitions de son jeune ami. Il y incitait même de la rondeur et lui faisait, au grand émoi de ses collègues, attribuer, en vertu du rang épiscopal, la préséance sur les autres secrétaires d'État[10]. La commission qui nomma l'évêque au secrétariat d'État l'associe au vieux Villeroy, qui reste titulaire de la charge, pour en faire la fonction et jouir des honneurs, pouvoir, autorité, prérogatives, privilèges et franchises appartenant à ladite charge, et office de secrétaire d'État et de nos commandements, tout ainsi et en la même forme qu'en a ci-devant joui ledit sieur de Villeroy ; pour avec lui, conjointement ou séparément, en la présence ou l'absence l'un de l'autre, faire, signer et délivrer toutes les lettres et autres expéditions concernant nos affaires tant au dedans qu'au dehors notre royaume. En outre, par une innovation importante, la commission de Richelieu, étendant singulièrement les pouvoirs du nouveau ministre, lui confie dans les termes suivants l'administration de la guerre : également en ce qui concerne l'ordinaire et l'extraordinaire de la guerre et toutes les autres fonctions qui dépendent de ladite charge et office. Les gages et entretenemens étaient fixés à 17.000 livres tournois[11]. Dans les circonstances critiques que l'on traversait, un évêque ministre de la guerre, voilà qui prêtait aux criailleries des partis et notamment des protestants ! Mais cela témoigne aussi de l'extraordinaire confiance que ses protecteurs avaient en ce jeune homme qui n'avait encore rempli aucune fonction publique.

Jusqu'ici, il n'avait été, en effet, qu'un évêque zélé et un courtisais habile. La dignité épiscopale qui l'avait approché de la reine lui donnait seule une sorte d'autorité. Le maréchal d'Ancre eût désiré le voir renoncer à son diocèse pour le tenir tout à fait. Mais Luçon, par une première méfiance, refusa de se démunir ; il consentit seulement à se défaire de sa charge d'aumônier de la reine régnante qu'il céda bientôt à Zamet, évêque de Langres[12].

Cette même dignité épiscopale lui assurait, de prime abord, la confiance des catholiques. Le nonce se louait beaucoup de lui au début, vantait ses vertus, son dévouement, sa piété ; le pape l'accablait d'éloges, de faveurs, de bénédictions[13]. En revanche, les huguenots étaient mécontents[14]. Au dedans et au dehors, tous ceux qui étaient engagés dans la politique anti-espagnole partageaient la même méfiance. Il semble même qu'autour de l'évêque on appréhendât de le voir succomber sous le poids des lourdes charges qu'il avait assumées ; car on lui adjoignit pour les affaires militaires un vieux commis nommé Beaucler, chargé de lui faire leçon[15]. Mais il montra bientôt qu'il n'avait de leçon à recevoir de personne.

Cet homme était fait pour gouverner. Jusque-là, il avait marché, contraint et courbé, dans les avenues de l'ambition et de l'intrigue. A peine au pouvoir, sa taille se redresse : il est encore tout vibrant de jeunesse : sa sagesse même a quelque chose de passionné. Il ne faut nullement se représenter ici le futur cardinal, l'homme d'État de grand poids et de physionomie grave que la tradition, par un procédé de simplification trop aisé, ramène à un type unique et consacré. Le nouveau ministre est beaucoup plus près de ce qu'a été le marquis de Chinon. C'est à peine s'il a perdu l'aspect de l'adolescence, ses habitudes physiques et son ton cavalier. Il ne parait en évêque que dans les cérémonies publiques. Dans le cours de la vie, c'est un jeune courtisan maigre et grêle, à l'aspect sérieux et intelligent. C'est ainsi, par exemple, qu'il apparait à l'abbé de Marolles, mandé du collège pour recevoir une semonce sur la conduite. de son père, mêlé à la révolte de Nevers ; au milieu de l'algarade, le collégien eut le temps de jeter un coup d'œil autour de lui : , dit-il, était M. de Luçon, en habit noir, renversé sur une chaise de cuir, tandis que le garde des sceaux était debout en me parlant sur ce sujet[16]....

On rencontre aussi l'évêque aux bals de cour, même aux bals masqués[17]. Dans les audiences, il est empressé, affable, donne sa foi de cavalier et de gentilhomme, parle abondamment, mêlant, au besoin, le français et l'italien[18]. Il écrit vite et bien. Il écrit beaucoup. Parfois, il dicte à ses secrétaires de courts résumés qu'ils n'auront qu'à développer. Mais, le plus souvent, il prend-lui-même la plume et s'applique avec un réel souci de la forme et même une pointe de prétention à ce sujet.

En tout, il a la coquetterie des débutants, l'entrain des jeunes, une confiance dans le succès que l'expérience n'a pas encore atteinte. Ignorant encore de la force des petits obstacles, il va devant lui, court et galope avec une gaîté, une allure où il y a du fond et de la race, mais aussi une étonnante imprescience des événements qui, pourtant, s'approchent déjà, et de la catastrophe qui va bientôt l'envelopper. C'est de ce contraste que naît le drame de ce court et impétueux premier ministère.

Le duc de Nevers, ayant rompu avec la cour après l'arrestation du prince de Condé, avait allumé un incendie qu'il ne fut plus question d'éteindre. C'était un singulier esprit que ce Nevers, et Guez de Balzac nous a laissé de lui un portrait que Saint-Simon ne désavouerait pas : Je ne vis jamais d'imagination si fertile et si chaude que la sienne. Il ne se pouvoit voir de raisonnement plus vite, ni qui courût plus de pays, ni qui revint plus difficilement au logis. Mais cette fertilité et cette étendue ne faisoient que fournir matière à l'extravagance et donner plus d'espace à des pensées folles... Il péchoit surtout en subtilité ; il avoit trop de ce qui élève et qui remue et trop peu de ce qui fonde et qui affermit. Son repos même étoit agité : il dictoit ses dépêches en dînant. Il dormoit les yeux ouverts, et l'un de ses domestiques m'a dit que, de ces yeux ouverts, il sortoit des rayons si affreux que, souvent, il en eut peur et ne s'y accoutuma jamais bien[19]. Ce bon duc, très excité depuis l'arrestation du prince de Condé agitait tout, dans la province de Champagne. Il traitait insolemment les envoyés du roi ; il levait des troupes ; il jetait du monde dans les villes frontières ; il vendait la coupe de ses bois pour faire de l'argent ; il était sans cesse en relation avec Sedan et avec cet infernal Bouillon[20].

Celui-ci, esprit caustique et rebelle expérimenté[21], jetait l'huile sur le feu et excitait le pauvre Nevers qui n'avait pas besoin d'être mis hors de sens. Après l'arrestation de Condé, Bouillon avait dit en s'échappant : Notre procès ne peut se vider qu'à huis ouvert ; que ceux qui ont accoutumé d'en juger à huis clos aillent à Paris, s'ils veulent s'y enfermer ; je tiens que le chemin de Soissons est le plus assuré que nous puissions tenir. Et, en effet, Soissons et les provinces de l'Est devaient être le champ de cette nouvelle rébellion. Terrain bien choisi, puisqu'il commandait la capitale, coupait ses relations avec le dehors, et assurait, par les Flandres, la Belgique et l'Allemagne, la venue des troupes étrangères destinées à renforcer les arasées des princes. Je suis contraint de me sauver sans hottes, aurait encore dit Bouillon, mais pour un bas de soie qu'on me fait gâter, je ferai user par centaines les paires de hottes[22]. Sa prédiction se réalisait, toute la France de l'Est était à cheval et hottée.

Les nouveaux ministres ne s'en étonnaient nullement. Luçon lui-même, oublieux de ses bonnes relations avec le Père Joseph et avec le duc de Nevers, répondit sur un ton ferme et moqueur qui dut exaspérer le rebelle, à une lettre de plainte que celui-ci avait publiée.

D'ailleurs, les grandes résolutions étaient prises. Une des premières lettres de notre évêque donne tout de suite le ton : Reste maintenant l'affaire de M. de Nevers, qui, s'étant assuré force gens, ayant actuellement levé un assez bon nombre, grossi  ses garnisons, muni ses villes, et écrit en fort mauvais termes, a donné par ce procédé, de grands et justes sujets de plainte à Sa Majesté qui, par la grâce de Dieu, est en état de se faire obéir. On ne sait pas encore comment cette affaire se terminera, si doucement ou par les armes. Tout ce que je vous en puis dire est que véritablement Leurs Majestés désirent avec passion que mondit sieur de Nevers se reconnaisse et leur donne sujet de n'employer point leurs forces contre lui. S'il ne le fait, Elles sont obligées, par raison d'État, de le mettre à la raison et s'y sont résolues ;comme tous autres qui voudraient s'élever contre leur autorité[23].

Pour soutenir ce langage, il fallait des forces et il fallait de l'argent. L'argent, c'était affaire à Barbin de le trouver. Ses prédécesseurs avaient laissé la caisse vide : l'avarice des grands avait épuisé le royaume, et maintenant qu'on voulait châtier leur insolence, on était ruiné[24]. On dut donc recourir à ces moyens fâcheux, usités sous l'ancien régime dans les grands besoins. On décréta, par voie d'édits, qu'une taxe supplémentaire serait perçue par les élus[25]. C'était une mesure arbitraire. La cour des aides refusa d'enregistrer les nouveaux édits. Mais les présidents furent convoqués au Louvre, et là, une algarade assez vive se produisit entre leur chef, le président Chevalier, et le garde des sceaux, Mangot. Celui-ci représenta la nécessité des finances, les excessives dépenses que le roi était contraint de supporter, l'urgence de recourir à des moyens extraordinaires pour y subvenir. Chevalier, en bon parlementaire, tonna contre le gaspillage et le désordre régnant dans les finances de l'État. Mangot répondit que les reproches en question portaient sur l'administration précédente, qu'il était dans les intentions du nouveau contrôleur général de porter remède aux abus signalés ; mais que, pour le moment, il fallait de l'argent à tout prix, et il enjoignit à la cour des aides d'enregistrer les édits[26]. Quelques jours après, on envoya auprès d'elle le comte de Soissons assisté d'un maréchal de France et de trois des plus anciens du Conseil, et il fallut bien s'exécuter. Les ministres se procurèrent ainsi quelques ressources.

Barbin était, d'ailleurs, disposé à s'appliquer sérieusement à ses fonctions, et à mettre un peu d'ordre dans le bourbier suspect où la bonhomie de son prédécesseur, le président Jeannin, avait fini par se perdre. Assisté d'un homme expérimenté, Arnauld, l'intendant, il fit préparer un relevé complet de tous les états de ressources et de dépenses du Trésor pour l'année 1617. Il voulut que ce travail fut prêt le ter janvier ; ainsi, pour la première fois depuis Sully, et pour la dernière fois, peut-être, jusqu'à Colbert, on vit, au début de l'année, un budget complet de l'exercice dans lequel on allait entrer. Ce travail permit de relever de grosses irrégularités. Ou s'aperçut, par exemple, que, rien que dans la solde des Suisses, il y avait des manquants montant à près de 300.000 livres. Arnauld d'Andilly, qui nous raconte ce détail, fait observer simplement que M. de Castille, gendre du président Jeannin, était, en même temps, ambassadeur en Suisse, et était chargé, par conséquent, à la fois de conclure les traités et de verser les sommes qui lui étaient reluises par son beau-père. De telles insinuations visant des personnes qui passaient pour honnêtes, s'expliquent par les mœurs du temps. Personne ne s'étonnait de voir des particuliers s'enrichir aux affaires. On demandait seulement qu'ils y missent quelque mesure[27].

Dans l'affaire des élus, sur laquelle s'était expliqué le président Chevalier, on fut également obligé de convenir, après vérification, que l'affermage était fait. dans des conditions fâcheuses pour les intérêts du roi. La corruption, la faiblesse des gouvernements précédents pesaient. ainsi sur la nouvelle administration. Mais celle-ci eut à peine le temps de se reconnaître et de pourvoir au plus pressé.

On avait réuni quelque argent ; il fallait des armées. On songea d'abord à s'assurer des chefs dévoués et autorisés. La puissance royale était si diminuée que l'investiture du commandement de la part du prince n'eût pas suffi pour donner à un général l'autorité nécessaire. Il fallait qu'il eût, par lui-même, une grande situation et qu'il entraînât, en quelque sorte, tout un parti derrière lui dans le service du roi. Quelque temps avant l'arrivée de Richelieu au pouvoir, on avait fait sortir de la Bastille un homme de grande naissance, qui avait la réputation d'un bon officier général ; c'était le comte d'Auvergne, fils naturel de Charles IX et de Marie Touchet, emprisonné par Henri IV lors du complot de Mme de Verneuil, et qui avait cuvé l'esprit de rébellion dans les loisirs d'une longue détention à la Bastille. Par un retour de confiance, où se peint toute une époque, on le délivra pour lui confier le commandement d'une armée. On s'assura aussi du chic de Guise, qui, un instant, s'était engagé avec les princes ; en s'y prenant adroitement, on put le ramener à la cour, et le réconcilier avec le maréchal d'Ancre. Enfin, on avait sous la main un vieux soldat, vaniteux mais brave, Montigny. Tels furent les chefs qu'on destina aux armées qu'il s'agissait maintenant de rassembler.

Ceci était l'affaire particulière du nouveau ministre de la guerre ; mais il se heurtait à de grandes difficultés. L'armée n'existait plus : ni cadres, ni troupes. Pour la refaire, il fallait, de toute nécessité, s'adresser aux gentilshommes et aux capitaines qui opéraient le recrutement par le système des commissions. Mais, par ce temps d'indiscipline universelle, ils se montraient très exigeants. Le moindre d'entre eux marchandait longuement et faisait payer chèrement un concours toujours mal assuré.

Le mieux était de recourir aux troupes étrangères : la Suisse avait, depuis longtemps, le privilège de fournir aux armées françaises leur plus solide noyau ; l'Allemagne avait été la grande matrice des hommes durant les guerres du XVIe siècle ; la Hollande était l'école des officiers et des ingénieurs. Pour s'assurer les ressources en hommes que ces pays voisins pouvaient fournir, la politique du nouveau cabinet dut donc s'orienter sans retard vers les questions extérieures[28].

D'ailleurs, les princes rebelles avaient pris les devants. On n'ignorait pas que Bouillon, familier de tous les souverains, agissait auprès des puissances hostiles à l'Espagne, décriait partout le nouveau gouvernement, et réclamait des secours pour les rebelles français, en invoquant l'intérêt général de l'Europe. Il parlait, en somme, le langage traditionnel de la politique française, celui de Henri IV, celui qui devait servir plus tard à Richelieu lui-même. Il disait que les mariages espagnols subordonnaient la France à la politique de l'Escurial. Près des patriciens de Venise, il agitait le spectre de l'asservissement de la Péninsule ; aux États généraux de Hollande, il rappelait les souvenirs de la guerre de l'indépendance ; au roi Jacques d'Angleterre, il faisait un cas de conscience de laisser le royaume de Henri IV s'inféoder de plus en plus à la papauté romaine ; il implorait l'appui des princes protestants de l'Allemagne au nom d'une vieille confraternité d'armes ; enfin, il savait qu'il trouverait dans le duc de Savoie un ambitieux toujours prêt à rechercher, parmi les complications internationales, l'accroissement de son domaine et la fortune de sa dynastie. Ses émissaires étaient partout. Ils dénonçaient l'influence toujours croissante des Italiens à la cour de France. Ils assuraient, non sans raison, que les Espagnols avaient les Concini à leur solde. Ils se plaignaient que les affaires du royaume fussent aux mains d'un évêque notoirement dévoué à l'Espagne. Ils justifiaient ainsi la cause des rebelles et demandaient des hommes, des armées, de l'argent. On les écoutait.

Or, au même moment, des dissentiments graves agitaient l'Europe. Les querelles qui divisaient les princes du Nord de l'Italie pouvaient devenir les premières étincelles d'un grand incendie. Les ambassadeurs de Venise et du due de Savoie assiégeaient, leur tour, les ministres du roi et imploraient leur intervention.

C'est dans ces circonstances que l'évêque de Luçon prenait la place de Mangot, dont l'insuffisance notoire avait encore embrouillé une situation très compromise, tandis que Villeroy boudait dans son coin, après avoir emporté tout ce qui pouvait éclairer ses successeurs sur les origines et sur les relations si complexes des affaires qu'ils avaient à traiter.

 

II. — La politique extérieure. - La mission de Schomberg. - Les affaires d'Italie.

A peine ministre, le premier soin de Luçon fut d'entrer en contact avec les représentants du roi au dehors par une véritable circulaire dont il traça lui-même les grandes lignes dans les termes suivants : Faut faire une dépêche à tous les ambassadeurs qui portera, qu'ayant plu au roi me mettre en la charge de secrétaire d'État, j'ai été extrêmement aise d'avoir les affaires étrangères pour avoir l'occasion de l'y servir ; qu'ils peuvent croire que j'embrasse. rai toutes les occurrences qui s'y présenteront ; que, de leur part, ils me feront plaisir de me les donner. Mais qu'ils se peuvent assurer que je n'aurai point besoin d'avis en celles que je verrai moi-même... Après cette entrée en matière quelque peu assurée, il songe que les renseignements lui manquent ; il demande aux agents du roi de lui adresser non seulement une relation complète de ce qui se passe dans le pays où ils résident, mais aussi de lui transmettre une copie de l'instruction qui leur fut donnée lorsqu'ils partirent en ambassade... S'il attend ce secours de leur obligeance, il leur promet en échange tout son appui auprès du roi[29].

Le ton un peu hautain de cette première communication parait avoir déplu aux ambassadeurs qui, pour la plupart, étaient des personnages importants en un temps où l'évêque était encore sur les bancs du collège. Les diplomates, gens de nuances, sont susceptibles. Le vieux Léon, ambassadeur à Venise, homme méthodique et grave, attaché probablement à l'ancien ministre Villeroy, ne cacha pas à l'évêque sa façon de penser, et il saisit bientôt une occasion d'apprendre le métier à ce blanc-bec : Vous me permettrez de vous dire que voilà deux ordinaires passés sans que j'aie reçu aucune réponse du roi en réponse aux miennes... Ce qui désoriente et met en peine les ministres qui servent au dehors... La coutume est d'écrire à, chaque ministre une lettre au nom du roi et une autre au nom de la reine, sa mère... il est à propos d'accuser en icelles réception auxdits ministres... Voilà en gros ce que je puis vous dire en cette heure[30]. Tresnel, ambassadeur à Rome, était un personnage assez médiocre ; il se fâcha, lui aussi, pour quelque formule de politesse oubliée et se plaignit hautement[31]. Le ministre en Hollande, du Maurier, était plus prudent, mais il se tenait sur la réserve[32]. Avec de tels instruments, Luçon, isolé, sans secours, n'ayant guère, pour l'aider, que son cabinet intime, avait des heures pénibles. Les ambassadeurs des puissances à Paris en faisaient l'observation. Bentivoglio écrit : Monteleone se plaint que Luçon est distrait quand il lui parle, et qu'il ne lui prête pas toute l'attention désirable. Et vraiment, le pauvre homme, outre qu'il est nouveau dans les affaires, en a pris la conduite dans un temps de tourmente ; il n'est donc pas étonnant s'il est distrait par la multitude de ses devoirs.

Bans ces moments, son tempérament nerveux prenait le dessus. Je n'ai jamais été au milieu des grandes entreprises qu'il a fallu faire pour l'État que je ne me sois senti comme à la mort, écrivait-il quelques années plus tard. Mais de telles crises ne duraient pas ; et cette âme énergique avait bientôt retrouvé tout son ressort. Après avoir reçu la lettre de Léon, il le remercie sur le ton de la plus fine ironie, de ce que, non content de satisfaire au désir que j'ai de prendre connaissance du sujet de votre ambassade, vous avez voulu, par un excès de bonne volonté, me prescrire comme quoi je me dois gouverner en toutes les autres. Mais son parti était pris de changer tout ce personnel lié au passé et de n'employer partout que des hommes nouveaux.

Cette résolution une fois arrêtée, il consacra quelques semaines à un examen rapide de la situation de l'Europe et à l'étude des diverses questions qui se présentaient à lui, ne voulant agir que quand il se sentirait en pleine connaissance des affaires et bien maitre de ses intentions.

Le premier pays qui attirait ses regards, c'était l'Italie. Un des problèmes politiques les plus graves qui puissent retenir l'attention des hommes d'État français était posé à cette époque : il s'agit de la possession de ces vallées des Alpes par lesquelles l'Allemagne entre en communication avec les puissances méridionales, rivales de la France. A cette époque, l'Espagne était puissante. Elle régnait sur la Belgique et sur la Franche-Comté ; elle dominait l'Italie. Ses armées, suivant les routes militaires ouvertes par les Romains, s'efforçaient de gagner le Rhin supérieur à travers les défilés des Alpes centrales. Établir ce réseau de routes d'une manière durable, c'était fermer le cercle qui enserrait nos frontières[33].

Heureusement, en Italie même, les ambitions tenaces de l'Espagne rencontraient deux adversaires luttant pour leur propre compte.

C'était la Savoie et c'était Venise.

La dynastie de Savoie, encore blottie dans son aire, passait seulement la tête et humait le vent. La paix conclue à Lyon, par Henri IV la détournait de la France, proie hors de proportion, sinon avec ses- appétits, du moins avec ses forces. L'échec réitéré des fameuses escalades de Genève lui avait appris qu'il n'y avait rien à mordre sur la Suisse. Ne pouvant satisfaire ni sa soif de Genève, ni sa faim de Grenoble, elle se tournait vers ces grasses plaines de l'Italie, où sa rapide fortune devait bientôt s'abattre.

Elle était représentée, alors, par un des types les plus remarquables de la race, Charles-Emmanuel, petit homme noir, Italien par l'intelligence, l'adresse, la fertilité extraordinaire des desseins et des ressources, plus homme du Nord par le sang-froid, la force de résistance et l'inébranlable fermeté. C'était vraiment l'aigle rapace. Tout pour lui était butin. Il convoitait tout, il attaquait tout ; il avait toujours du sang aux ongles ; et les rudes coups qu'il recevait parfois ne faisaient que l'étourdir. Fontenay-Mareuil le définit en deux mots : le plus ambitieux prince du monde et le plus inquiet ; et Brèves, l'ambassadeur, le juge de même : Tant que son esprit traversier vivra et aura de quoi, il troublera toujours le monde. Il devait, en effet, tailler de la besogne aux diplomates, faisant endiabler quiconque le voulait servir tout autant que ses ennemis[34].

Cet étonnant brouilleur de cartes avait toujours, en raison de sa nombreuse famille, quelque mariage à manigancer, quelque prétention à produire, quelque tutelle a exercer qui, par une suite de déductions aussi plausibles qu'inattendues, lui permettaient de réclamer, au détriment de la tranquillité générale, le privilège le plus odieux du cousinage, celui de se mêler des affaires d'autrui.

La mort de Henri IV l'avait bien surpris ; car justement il négociait un mariage avec le roi, grand marieur aussi de son côté. Une alliance politique doublait l'union éventuelle des deux dynasties, et on partait ensemble en guerre contre l'Espagne, quand le roi de France mourut. Profonde déception et terrible embarras pour le duc, qui restait tout seul en face de l'énorme molosse espagnol, grondant et déchaîné[35].

Par quels trous tortueux le Savoyard ne dut-il pas passer pour échapper à la colère qu'il avait suscitée ? Son fils, le prince Philibert, dut aller en Espagne subir les rebuffades de l'orgueil castillan et implorer le pardon de l'alliance conclue avec Henri IV. Il est vrai que, tout en négociant un nouveau mariage pour ce fils, Madrid, le duc en traite un autre tout contraire en Angleterre, et qu'en Italie il trame une vaste alliance entre les États hostiles à la domination espagnole. C'est alors qu'il adresse effrontément aux Italiens un manifeste célèbre où le fin renard fait parade de ses plus beaux tours : Mes armées sont la sauvegarde de l'Italie ; le roi d'Espagne tient sous le joug Naples et Milan ; les embarras de Venise se multiplient, la Toscane est comme assiégée, Rome hésite ; Gênes, sous le canon des flottes de Barcelone, n'obéit qu'aux ordres de Madrid ; si je désarme, la Péninsule ne comptera plus que des traîtres et des esclaves. Que l'opinion des Italiens dicte ma réponse ![36]

L'Espagne possédait, en Italie, Naples et le Milanais ; elle avait. Mantoue sous sa protection. On ne pouvait lever un doigt dans la Péninsule sans toucher à ses intérêts ou à ses prétentions. Mais, en raison même de la grandeur et de la diversité de ses possessions, elle était obligée de laisser à ses vice-rois une véritable indépendance. L'Espagne, comme l'Angleterre d'aujourd'hui, était dispersée sur le monde entier. Sa politique était toujours partagée entre la nécessité de s'étendre sans cesse et la difficulté de garder des acquisitions de plus en plus éloignées. Aussi, même en Italie, le vice-roi de Naples et le gouverneur du Milanais étaient-ils à peu près les maîtres dans leur province. Leur action, subordonnée seulement danse sa ligne générale aux intérêts de la couronne, était dirigée, le plus souvent, selon les vues et le tempérament particuliers de ces hauts personnages, semi-indépendants.

Dans la période qui avait suivi immédiatement la mort de Henri IV, Charles-Emmanuel avait eu affaire dans le Milanais à un gouverneur si réservé, si timoré qu'on finit par l'accuser, à Madrid même, d'infidélité. C'était le marquis d'Inojosa. Il fut rappelé. On lui donna des juges et on le remplaça par Don Pedro de Tolède, homme énergique, hautain, porté, autant par caractère qu'en raison des circonstances de sa nomination, à prendre le contre-pied de la politique prudente de son prédécesseur. Il déclara tout de suite qu'il était décidé à faire reconnaître par le monde entier que les Espagnols ne se soumettent qu'à ce qui leur plaît, sans prendre égard' à quoi que ce soit, quand il s'agit d'une affaire où il y va de leur grandeur et de leur supériorité.

Avec Charles-Emmanuel, les sujets de conflit ne manquaient pas. Tout auprès de la Savoie, et, si je puis dire, sous son aile, un petit pays, le Montferrat, la séparait seule du duché de Milan. Le Montferrat appartenait aux ducs de Mantoue. En 1612, François, duc de Mantoue, était mort, laissant une fille âgée de trois ans, de son mariage avec Marguerite de Savoie, fille de Charles-Emmanuel. Celui-ci, en bon grand-père, mit d'abord la main sur l'héritage de sa petite-fille, ou, du moins, sur ce qui était à sa convenance, le Montferrat (avril 1613). Ceci se passait du temps du marquis d'Inojosa. A la suite d'une guerre de courte durée, la France était intervenue, et sa médiation avait fait accepter, par les belligérants, la paix d'Asti (21 juin 1615), qui, en somme, était favorable au duc Charles-Emmanuel[37]. C'est à la suite de ces événements qu'Inojosa avait été disgracié. L'exécution du traité d'Asti fut donc le point sur lequel Don Pedro fit porter sans retard ses réclamations[38].

Charles-Emmanuel, malgré l'engagement qu'il avait pris dans le traité, avait continué ses armements ; Don Pedro le mit en demeure de disperser ses troupes. Mais Charles-Emmanuel s'y refusa. Il se croyait fort. Il avait contracté des alliances avec Jacques Ier et avec la République de Venise et avait reçu de l'argent de ces deux gouvernements : il avait levé et instruit ses excellentes milices savoisiennes, enrôlé des troupes en France, en Suisse, en Lorraine, acheté des mousquets à Genève, intrigué partout, et surtout en France, auprès de son grand ami et voisin, le maréchal de Lesdiguières. Il se sentait vivre, puisque tout, en Europe, était troublé à cause de lui.

De ces diverses intrigues, les plus importantes étaient assurément celles qu'il poursuivait avec les Vénitiens.et avec Lesdiguières. Venise était, pour l'Espagne, une adversaire beaucoup plus ancienne et plus irréductible que la Savoie. Ceux qui combattaient la monarchie péninsulaire pouvaient toujours escompter, de sa part, une prudente adhésion. Pour le moment, la République était engagée dans un défilé très étroit, où la force et l'adresse de sa grande rivale l'étreignaient cruellement. Il ne s'agissait pas de secourir les autres, mais bien de les appeler à l'aide.

La République reine de l'Adriatique avait, par-dessus tout, besoin de sécurité sur les eaux. Mal protégée par ses lagunes, non' fortifiée et non fortifiable, tout danger qui s'approchait d'elle, si mince qu'il fût, la faisait trembler. Or, depuis plusieurs années, elle se trouvait aux prises avec un ennemi qui, pour n'être qu'un moucheron, à comparer avec la puissance du lion de Saint-Marc, ne lui en faisait pas moins de cruelles piqûres. C'était la tribu célèbre des Uscoques.

Ce ramassis de brigands et de transfuges, formé, dans la première moitié du XVIe siècle, à l'abri des îlots qui découpent le fond de la mer Adriatique, était cantonné autour de la ville de Segna. De là, il menaçait sans cesse la navigation, attaquant le plus souvent les Turcs, mais, faute de mieux, s'en prenant aux Vénitiens. Venise, avait la prétention de faire la police de ses eaux. Elle résolut de mettre le pied sur ce nid de forbans. Mais elle se heurta à la maison d'Autriche. En effet, les Uscoques avaient réclamé la protection de l'archiduc Ferdinand d'Autriche, proche parent de l'Empereur[39], Segna étant situé sur son territoire. Au cours de leur expédition, les troupes vénitiennes avaient ravagé les terres de l'archiduc. Les sujets de Ferdinand se vengèrent, et le sénat de Venise, sortant des bornes de sa prudence habituelle, se décida à entrer en guerre ouverte avec l'archiduc. En décembre 1615, le généralissime des forces vénitiennes, Pompeo Giustiniani, avait reçu l'ordre de mettre le siège devant la ville autrichienne de Gradisque. Pompeo passait pour un bon général, mais ses troupes étaient déplorables : La lâcheté et la bonhomie de ses soldats que les prières, l'autorité, les menaces et les coups de leurs capitaines ne purent jamais déterminer à tenter l'escalade, firent échouer l'entreprise. Quelques temps après, P. Giustiniani fut tué dans une reconnaissance. On lui éleva un tombeau magnifique et une statue équestre. Mais cela ne constituait pas une armée pour son successeur, Jean de Médicis[40].

Or, justement, Don Pedro de Tolède, avant assumé le gouvernement du Milanais, menaçait de prendre Venise à revers. Les affaire de l'Espagne étaient étroitement jointes à celles de l'Autriche. Il pensait que l'occasion était excellente pour briser, d'un coup, la force de l'orgueilleuse République. Au même moment, deux autres Espagnols non moins redoutables, le vice-roi de Naples, le célèbre duc d'Ossuna, et l'ambassadeur du roi catholique près de la République, le marquis de Bedmar, méditaient aussi sa perte. Un vaste complot, sur les origines et la portée duquel le dernier mot n'est pas dit encore, était tramé au sein des armées de mercenaires enrôlées par le Sénat, et jusque dans la ville même[41].

Dans ce péril, Venise, à son tour, cherchait des alliés. Il est naturel qu'elle ait pensé tout d'abord au duc de Savoie : un intérêt commun rapprocha les deux adversaires de don Pedro de Tolède. Un traité d'alliance fut donc signé entre eux, le 21 juin 1615, à Asti[42]. En cas de rupture nouvelle avec l'Espagne, Venise devait fournir au due un subside en argent et un corps de 4.000 hommes pour opérer contre le Milanais. La République devait, en outre, mettre une flotte à la mer. Mais, comme le duc de Savoie, elle manquait de soldats et elle devait les chercher au dehors. Elle s'adressa à tous les ennemis de la maison d'Espagne ; d'abord, aux Provinces-Unies, qui conclurent, elles aussi, un traité d'alliance avec la République italienne ; de ce chef, on put compter sur un corps de 4.000 Hollandais qui vint débarquer et passer la revue sur la place Saint-Marc, à la grande satisfaction du parti de la guerre, mais au grand effroi des gens timides et expérimentés, qui voyaient avec terreur ce corps redoutable d'hérétiques, maitre de la ville. On se hâta de l'expédier vers le Frioul[43].

On s'adressa aussi aux cantons suisses. Parmi eut, les catholiques restèrent fidèles à l'Espagne. Mais Berne et Zurich se laissèrent charmer par le Son des sequins et promirent des soldats[44]. Pour permettre à ces recrues de gagner son territoire, et, en même temps, pour achever cette vaste entreprise d'enrôlement, Venise devait s'entendre avec une petite république voisine, maîtresse des défilés des Alpes, les Ligues grises. Or, ces peuples, à demi barbares, étaient engagés, depuis longtemps, dans l'alliance de la France. Henri IV avait renouvelé les traités qui lui assuraient, à lui et à ses successeurs, le privilège exclusif de recruter ses armées chez les Grisons et de faire passer ses troupes par les importants défilés qu'ils occupaient[45].

Ainsi, en même temps que le duc de Savoie se tournait vers la France et notamment vers son puissant voisin, le maréchal de Lesdiguières, gouverneur du Dauphiné, pour réclamer de lui aide et secours contre les lieutenants de l'Espagne, Venise, invoquant la vieille amitié qui l'unissait à la couronne de France, rappelant le souvenir si récent de l'appui qu'elle avait fourni au roi Henri IV pour l'aider à conquérir son royaume, s'adressait aussi à son successeur[46].

Ces événements se passaient dans les premiers mois de l'année 1616, quelque temps avant l'arrivée de l'évêque de Luçon aux affaires.

L'embarras était grand pour la cour de France. Les deux dynasties de France et d'Espagne venaient de s'unir par le double mariage, couronnement de la politique de Marie de Médicis. Sans qu'il y eût, à proprement parler, de traité d'alliance, l'entente existait entre les deux cours. L'ambassadeur d'Espagne, le duc de Monteleone, était admis dans les conseils de Marie de Médicis. Il avait acquis à la cause de son maître les Concini et leur bande. A l'intérieur, le parti catholique, les prêtres, les moines, s'appuyaient sur lui, et il n'avait d'autres adversaires que les adversaires de la reine mère, les rebelles, Condé, Bouillon, Mayenne, Vendôme, qui recherchaient l'appui du parti huguenot, des princes d'Allemagne, de la Hollande, de la Savoie, de Venise, en un mot, de tout ce qui, au dehors, était engagé dans la lutte ouverte contre la maison d'Espagne.

D'autre part, on ne pouvait oublier les vieilles traditions qui poussaient. invinciblement les bons Français à résister à la domination espagnole. Cette politique était considérée, non seulement. en France, mais en Europe même, comme une maxime d'État. On constatait, comme un fait, la contrariété d'humeur qui existait entre la nation française et l'espagnole[47]. Il faut, dit Rohan, poser pour fondement qu'il y a cieux puissances dans la chrétienté qui sont comme les deux pôles desquels descendent les influences de la paix et de la guerre sur les autres États, savoir, les maisons de France et d'Espagne. Celle d'Espagne, se trouvant accrue tout d'un coup, n'a pu cacher le dessein qu'elle avait de se rendre maîtresse et de faire lever en Occident le soleil d'une nouvelle monarchie. Celle de France s'est incontinent portée à faire le contrepoids. Les autres puissances se sont attachées à l'une ou à l'autre selon leurs intérêts[48]. La situation que Rohan exposait avec la clarté et la force de son esprit, tout le monde la considérait comme fatale, et la subordination complète à la maison d'Espagne eût été, pour les ministres français, mie honte qu'aucun d'eux n'eût ph accepter.

Quel embarras pour un ministre jeune, arrivé aux Affaires par la faveur des Concini et de Marie de Médicis, familier intime de l'ambassade d'Espagne, pour un homme qui, par ambition ou par conviction, s'était prononcé publiquement, dix-huit mois auparavant, en faveur des alliances espagnoles, pour un prêtre que l'éclat des grandes dignités ecclésiastiques attirait, et qui, avant tout, voulait rester digne de la confiance que Rome et le nonce ne cessaient de lui témoigner !

Au moment où il réfléchissait encore sur le meilleur parti à prendre, ou peut-être, tout simplement, sur le meilleur moyen de se tirer d'affaire, sa politique se trouvait brusquement engagée en dehors de lui. Le gouverneur du Dauphiné, Lesdiguières, franchissait les Alpes, et répondait, par une démonstration militaire, à l'appel du duc de Savoie.

Il fallait l'état de désorganisation profonde où était tombé le royaume pour que de pareils faits fussent possibles. Un gouverneur de province, ayant sa politique extérieure à lui, se décidait et agissait selon ses vues particulières, sans s'inquiéter ou sans tenir compte des volontés de la cour. Il levait des troupes, entrait en campagne, combattait les alliés de la couronne, en daignant à peine avertir le gouvernement de ses intentions ; et, tandis qu'en pleine séance du parlement de sa province, le lieutenant général est convoqué pour entendre les ordres du roi, pendant que les greffiers lisent à haute voix les royales ordonnances qui défendent à l'armée des Alpes de se mettre en marche, on entend le tambour qui bat dans les rues de Grenoble, on peut voir, des fenêtres du palais, défiler, sur les ponts de l'Isère, les soldats enthousiastes du vieux capitaine qui veut sortir de France malgré son roi[49].

Le vice-roi du Dauphiné, celui que Henri IV, lui-même, appelait en riant le roi Dauphin, le vaillant soldat des guerres de religion, le chef militaire le plus considérable du parti huguenot, le serviteur, en somme fidèle, et l'ami, en somme dévoué, de Henri IV, était un habile homme qui avait su conduire adroitement sa fortune jusqu'au degré d'honneurs et de puissance où elle était parvenue. Politique madré autant que vaillant capitaine, il méritait, par son caractère et par ses origines, le surnom d'avocat qu'on lui avait donné au début de sa carrière de soldat de fortune.

Parti de rien, devenu le second personnage du royaume, il avait l'ambition froide et calculatrice, une ambition immodérée dans son but, et mesurée dans ses moyens. Même du vivant de Henri IV, il avait donné au roi quelque ombrage[50]. Après la mort de celui qui avait été son compagnon d'armes, et, dans tous les sens du mot, son maître, il affecta de rester fidèle aux intentions et aux desseins du défunt, recueillant ainsi la part de l'héritage d'Alexandre que d'autres avaient laissé en déshérence. Il borne sa fidélité à une sorte de déférence verbale pour la reine et ses ministres, tandis qu'au dedans et au dehors il agit à son gré, gouverne sans rendre compte, suit ses idées et se dirige où sa fortune le porte.

L'Italie l'attirait. Il avait le sentiment que sa situation, si haute déjà, grandissait encore, quand, rude soldat bardé de fer, il apparaissait sur la crête des Alpes et jetait l'épouvante sur les plaines fertiles soumises à la domination espagnole. Si, dans sa vie, il était resté fidèle à une idée, c'est à celle-là : combattre partout, mais surtout en Italie, la maison d'Espagne. C'est cette pensée qui avait fait de lui, alternativement, un adversaire implacable ou un partisan déclaré du duc de Savoie[51].

Il la suivait encore, quand, au mépris des ordres de la cour, il franchissait les Alpes, en hiver, pour porter secours au Savoyard traqué dans ses montagnes par le gouverneur Don Pedro. Parmi les raisons qu'il donnait, après coup, pour expliquer sa résolution, il y en avait de très plausibles. Le feu roi a engagé le duc de Savoie dans la querelle dont il porte aujourd'hui tout le poids ; Louis XIII lui-même, médiateur de la paix d'Asti, doit veiller à ce qu'elle soit fidèlement observée des deux parts. Le gouverneur du Milanais l'a violée effrontément, et menace l'existence de la Savoie. Or, la maison de France a un intérêt de premier ordre à ce que cette principauté ne soit pas anéantie. Il y va même de l'honneur de la couronne. C'est ce sentiment, partagé par tous les bons Français, qui guide le maréchal au moment où il franchit les Alpes. Sa conduite a toujours été à l'abri du reproche ; elle l'est encore dans cette circonstance ; ce n'est pas à son âge qu'il voudrait gâter une existence toute faite de loyauté et de soumission. Il restera, jusqu'à la mort, fidèle à son serment d'obéissance, mais aussi fidèle au serment qui le lie aux alliés de Sa Majesté. La province est tranquille. Le royaume ne souffrira pas d'une courte absence qui aura pour résultat de rendre les Espagnols plus traitables et de les incliner devant l'intervention du roi de France, qui, une fois encore, agira dans le sens de la paix[52]. Le 19 décembre, Lesdiguières quittait Grenoble avec 7.000 fantassins et 500 cavaliers. Il arrivait à temps pour sauver Charles-Emmanuel, en prenant ou en débloquant les places assiégées ou enlevées par les Espagnols.

Au fond, tous les cœurs français étaient avec Lesdiguières. Louis XIII lui-même, en recevant ces lettres où un sujet en prenait si à son aise avec les ordres du prince, ne pouvait dissimuler sa satisfaction : Tant mieux, dit-il, cela fera baisser le nez aux Espagnols[53]. La cour pensait de même : quelques mois auparavant, sur les instances de l'ambassadeur d'Espagne, on avait interdit aux gentilshommes et aux soldats de franchir les Alpes pour aider le lue. Tout le monde se plaignit de cette mesure, et les gentilshommes n'en tenaient aucun compte : On ne peut croire combien, de cet ordre, chacun en dit vivement sa pensée. On trouve qu'il est vraiment trop dur d'être empêché d'aller à la défense d'un prince allié de cette couronne, qui est en paix avec la France et dont la conservation importe tant aux intérêts de ce royaume, quand le roi défunt n'a pas interdit à ses sujets d'aller se mettre au service de l'archiduc Albert, au moment même où les États de Hollande étaient ses alliés[54].

Les ambassadeurs vénitiens, de leur côté, travaillaient avec ardeur à provoquer une intervention de la cour de France dans les affaires d'Italie. Le 29 novembre, ils écrivaient encore, résumant dans une phrase heureuse l'ensemble des raisons qui auraient dû la décider : Nous avons fait connaître à Sa Majesté la nécessité où elle se trouve d'aider la Savoie, de porter intérêt aux affaires de la République, de soutenir l'Italie, et enfin d'avoir l'œil le plus attentif sur les desseins et les actes des Espagnols, qui veulent arriver, par tous les moyens, à la domination complète sur l'Italie, au grand préjudice de la couronne de France... Mais, ajoutent-ils, nous n'avons guère obtenu de succès, le ministre (Mangot) étant sans expérience non seulement de cette affaire, mais de toute espèce d'affaires, et, en outre, attaché au parti contraire[55].

Maintenant que Mangot venait d'être remplacé par Luçon, allait-il en être autrement ? C'est ici que les circonstances attendaient le ministre débutant pour poser devant lui un de ces dilemmes redoutables qui sont l'épreuve des hommes d'État. On dirait que la destinée prend à tâche de lui soumettre d'emblée les grands débats qui occuperont sa vie.

Plongé dans ses réflexions, le jeune évêque compare et pèse : d'un côté les vieilles traditions, le souvenir du roi Henri, un sentiment d'honneur et de fierté nationales, un noble espoir de luttes et de relèvement après les faiblesses et les hontes d'une régence avilie ; de l'autre, la pression des intérêts et des événements qui ont poussé aux affaires le nouveau ministre et ses amis, les engagements et les familiarités avoués, les paroles prononcées aux États, les aspirations et les vanités de la reine mère si heureuse des mariages espagnols, et, par-dessus tout, l'appréhension d'une grosse partie à jouer avec des ressources restreintes, une autorité discutée, un avenir précaire... Richelieu hésite. Enfin, se mettant en mouvement, il essaye de se dégager des liens qui l'enchainent et sa politique, à la fois impatiente et rusée, se glisse entre les deux solutions qui s'offrent à lui.

Pour bien marquer l'impulsion nouvelle qu'il entendait donner à la politique extérieure, l'évêque de Luçon avait décidé d'envoyer des hommes nouveaux auprès des gouvernements étrangers : le baron du Tour en Angleterre, M. de la Noue en Hollande, M. Miron en Suisse, et M. de Schomberg en Allemagne. La mission de ce dernier est sinon la plus importante, du moins la plus urgente. Il faut agir promptement auprès des princes allemands, pour contrecarrer les démarches du duc de Bouillon et des rebelles français, pour s'opposer au départ des soldats qu'ils ont enrôlés, peur hâter le recrutement des troupes qui doivent renforcer les armées royales.

Schomberg est persona grata près des princes protestants. D'origine écossaise, il est de la religion. Son père, bon serviteur du roi Henri, avait rempli des missions analogues auprès des mêmes personnages. Selon le jugement de Richelieu, c'est un gentilhomme qui fait profession d'être fidèle et qui tient cette qualité de sa nation ; avec moins de pointe d'esprit que de solidité de jugement, il est homme de grand cœur, de générosité et de bonne foi.

Le choix de Schomberg, dans les circonstances où l'on se trouve, est significatif. Jusque-là, Marie de Médicis, ayant tout subordonné au projet des mariages espagnols, suivait avec zèle les conseils venus de Rome ; on ne faisait rien à Paris sans consulter le nonce et l'ambassadeur d'Espagne. Ce n'est assurément ni l'un ni l'autre qui ont désigné Schomberg. Ils ont moins encore collaboré à ses instructions. S'il va retrouver les anciens amis de Henri IV, c'est pour leur tenir un langage très différent de celui que la cour de France leur a fait entendre depuis la mort du roi défunt.

La première chose que M. le comte de Schomberg doit avoir devant les yeux est que la fin de son voyage d'Allemagne est de dissiper les factions qu'on y pourroit faire au préjudice de la France, d'y porter le nom du roi le plus avant que faire se pourra, et d'y établir puissamment son autorité. Ces paroles ont une allure qui n'est déjà plus celle d'une politique subordonnée. Le grief, trop répété par les princes et par les protestants, est immédiatement pris corps à corps : Vos premiers efforts consisteront à faire connoitre que c'est une pure calomnie qui n'a d'autre fondement que la passion et l'imposture de nos ennemis, de dire que nous soyons tellement Romains et Espagnols que nous veuillions embrasser les intérêts, soit de Rome, soit d'Espagne, au préjudice de nos anciennes alliances et de nous-mêmes, c'est-à-dire ou de ceux qui font profession de la religion prétendue réformée en France ou de tous autres qui, haïssant l'Espagne, font particulièrement état d'être bons Français. Si le nonce et l'ambassadeur d'Espagne eussent pu lire cette phrase, elle les eût éclairés et probablement surpris.

N'est-ce pas assez encore ? Une des choses les plus importantes à leur persuader (aux princes et républiques protestantes) est que nous faisons un extrême cas de leurs alliances et que nous avons un soin indicible de les conserver et, qu'en toute occasion, ils recevront notre assistance. Dans ces protestations, il faut faire, évidemment, la part du langage diplomatique ; cependant, de telles paroles ont du poids ; les mettre par écrit, c'est laisser une bien grande latitude à l'homme de confiance, au protestant, à l'ami de la cause qui a charge de les répéter et de les commenter.

D'ailleurs, le fond de la pensée se découvre dans un autre passage des Instructions : il s'agit de ces fameux mariages espagnols tant reprochés. L'apologie de la conduite de la reine est faite en des termes si habilement choisis que le plus farouche huguenot ne trouverait rien à y reprendre : on invoque les précédents historiques ; on assure que ces mariages ont permis de passer les mauvais temps de la régence en paix, qu'ils ont ôté le venin à la politique agressive des Espagnols, qu'ils ont été agréés par ces mêmes princes qui les blâment aujourd'hui, qu'ils ont été désirés par Henri IV, qu'enfin ils ont eu si peu d'influence sur la politique française qu'à l'heure présente on renvoie dans leur pays les Espagnols qui sont près de la reine, ce qui justifie clairement le dessein que nous avons de nous rendre Espagnols en France....

Et, ajoute le document, ne sert de rien de mettre en avant l'humeur entreprenante des Espagnols, puisque, sans approfondir leurs intentions et leurs desseins, c'est nous faire tort de croire que nous ne puissions conserver les nôtres et nous garantir de ceux qui, justement, nous doivent craindre... C'est donc à tort que l'on appréhende que, de l'union de ces deux couronnes, sourde la division de la France. Nul ne croira aisément qu'un homme brûle sa maison pour faire plaisir à son voisin et que, pour aimer autrui, on se veuille haïr et perdre soi-même. Les diverses créances ne nous rendent pas de divers États ; divisés en foi, nous demeurons unis en un prince au service duquel nul catholique n'est si aveuglé d'estimer, en matière d'État, un Espagnol meilleur qu'un Français huguenot.

Est-il nécessaire d'aller plus loin encore et de promettre aux princes d'Allemagne de les aider dans leurs efforts pour s'opposer à la politique de l'Escurial ? On ira jusque-là. Il faut prendre occasion de leur témoigner à notre profit que nous ne désirons point l'avancement de l'Espagne, nous offrant, quoique discrètement, à les assister contre les pratiques que le roi d'Espagne fait pour faire tomber, avec le temps, les couronnes de Hongrie et de Bohême, celles du roi des Romains et l'impériale sur la tête d'un de ses enfants. De loin, Luçon prévoyait les troubles que devait, plus tard, susciter en Allemagne la succession au trône impérial, et les rivalités d'où est issue la guerre de trente ans. Déjà, il prenait, quoique discrètement, position du côté des adversaires de l'Espagne.

Renseigné sur ces intentions, — et, en diplomatie, tout finit par se savoir, — comment le gouvernement de Philippe III eût-il gardé la moindre confiance dans les ministres qui prenaient contre lui, d'avance et de si loin, de telles précautions ?

Quand enfin, arrivant à l'objet direct de la mission de Schomberg, ses instructions lui exposent les arguments qui doivent persuader les princes d'Allemagne de venir en aide au roi, elles renferment des ploies non moins graves : Il faudra leur faire connoitre qu'il n'est pas question de religion, mais de pure rébellion ; que le Roi veut traiter ses sujets, de quelque religion qu'ils soient, également ; mais qu'il veut aussi, comme la raison le requiert, que les uns et les autres se tiennent à leur devoir...

Partout en Europe, l'attitude qu'on va prendre, et qui se dessine déjà dans ces instructions, est conforme à ces principes : Est-ce mépriser nos alliances, pour l'Espagne, que de rechercher la main du prince de Galles pour une des filles de la Reine, que d'entretenir aux États de Hollande 4.000 hommes de pied pour leur conservation, que de donner à la République de Genève une pension de 24.000 écus ? Est-ce mépriser nos anciennes alliances en Italie que de se porter à la défense du traité d'Ast, après avoir été les médiateurs de sa conclusion ? 0n dit que nous abandonnons le chic de Savoie : qu'on nous montre l'Anglois, le Hollandois, l'Allemand qui se trouve en l'armée du duc de Savoie. Cependant ce sont ces nations qui nous blâment, plaisamment à la vérité... Est-ce mépriser nos anciennes alliances en faveur de l'Espagne que d'accorder aux Vénitiens le passage des Grisons qu'ils ne peuvent avoir sans nous, et sans lequel l'archiduc de Gratz aurait contre eux de très grands avantages ?

Il ne reste plus qu'à conclure. Mais c'est le plus difficile. On ne peut passer outre au principal reproche fait par les rebelles au gouvernement de la reine : la laveur du maréchal d'Ancre. Or, comme c'est le point faible de la situation politique dans laquelle les ministres sont engagés, c'est aussi le point faible des instructions. Le maréchal d'Ancre est penché par-dessus l'épaule du rédacteur ; celui-ci atténue, insinue ; il glisse ; mais il appuie trop encore : Celui dont on parle est bien loin du degré d'élèvement où beaucoup d'autres sont parvenus ; il est seul étranger élevé, (c'est-à-dire élevé aux honneurs), étranger tellement François qu'il ne fait part de sa fortune à aucun autre que François. Combien des meilleures maisons du royaume avancées par son entremise ?... Quel sujet y a-t-il de plainte ? S'il y en a, c'est de ceux qui les font et non de ceux de qui elles sont faites, pouvant dire avec vérité (pour clore ce discours en trois mots) que le gouvernement a été et est tel que, si on le considère sans passion, on n'y trouvera rien à reprendre, si ce n'est d'y voir trop de clémence sans rigueur, trop de bienfaits sans châtiments. Ces dernières paroles sont fières. Prononcées par le maréchal d'Ancre lui-même, elles passeraient pour insolentes ; dans la bouche de ses ministres, elles sont au moins téméraires. On ne fait parler les rois sur ce ton que quand on a en vue des œuvres royales. Mais quand ce sont les favoris qui usurpent ce langage, la rigueur n'est pas loin et les châtiments ne se font pas attendre.

Telles quelles, les instructions données à Schomberg sont remarquables par la netteté avec laquelle elles affirment l'indépendance de la cour de France à l'égard de l'Escurial. A ce point de vue, elles sont en contradiction si formelle avec la politique générale suivie par la reine pendant sa régence qu'on ne peut qu'être frappé de l'espèce d'instinct qui, si longtemps à l'avance et en dépit des circonstances ambiantes, pousse dans sa vraie voie le futur cardinal de Richelieu[56].

Les systèmes politiques qu'une génération offre à l'activité d'un homme d'État sont peu nombreux et simples. Une fois au pouvoir, il se porte d'une prompte inclination vers celui dont la réalisation absorbera sa vie. Mais le danger de ces vues si naturelles et si fortes est dans la précipitation. Lancé en avant, l'homme d'imagination ardente ne remarque pas toujours qu'on ne le suit pas et qu'il est seul. Les jeunes gens surtout sont pressés et ne veulent pas faire crédit aux années, qui, pourtant, les payent toujours avec usure.

C'est ainsi que Richelieu, au moment où il adresse à Schomberg les belles instructions dont il sera toujours si fier et qu'il a soigneusement insérées dans ses Mémoires, parce que leur portée s'étend sur toute sa carrière politique, complique singulièrement le problème des relations extérieures de la France par la hâte avec laquelle il traite les affaires d'Italie.

Son ambition est de les régler d'un seul coup, et par une initiative nouvelle et hardie émanant de la France seule.

L'idée première de ce projet apparaît tout d'abord dans la correspondance du comte de Béthune, ambassadeur en Italie ; c'est un diplomate intelligent, actif, expérimenté, mais, comme la plupart des agents qui résident au dehors, plus frappé par le prestige d'une politique d'action que retenu par l'appréhension des difficultés qu'elle soulève et des sacrifices qu'elle impose[57].

Cette idée embryonnaire, Richelieu la fait sienne, la développe, en tire tout un programme. Après avoir consulté, — pour la forme probablement, — le prudent Villeroy, qui, par calcul peut-être, encourage les témérités de son jeune successeur[58], il se lance à fond. Il se rend compte pourtant que la France n'a, pour le moment, qu'un intérêt indirect dans la question ; mais il a confiance en ses forces, et il écrit au nom du roi : Si je n'étois plus touché des intérêts d'autrui que je ne suis des miens propres, j'attendrois du temps ce que, jusques ici, je n'ai pu avancer par mon entremise ; mais l'affection particulière que j'ai au bien de ceux qui sont mêlés en cette affaire m'empêche de prendre cette résolution. Voilà donc qu'il touche, en même temps, à l'affaire de Savoie et à celle des Vénitiens : J'estime que, par un même accord, on peut terminer ces cieux différends, et ainsi, mettre tout d'un coup la ciré-fienté en repos. Quel est donc le procédé qui permettra d'obtenir de si grands résultats ? Le roi lui-même se proclame l'arbitre des deux affaires. Pour cet effet, avisé de prendre une toute autre voie que celle que j'ai tenue jusqu'ici ; désirant maintenant, pour le bien des parties intéressées, attirer la négociation auprès de moi, m'assurant qu'elles déféreront beaucoup plus à ce dont je les prierois quand elles verront que je prendrois moi-même connaissance de leurs affaires que lorsqu'elles pourvoient croire que d'autres seulement la prendroient pour moi[59].

Donc, la négociation serait transportée à Paris. Savoie, Venise, le pape, l'Espagne, l'Empire, enverraient près du roi de France des ambassadeurs spéciaux avec pouvoir de traiter et de conclure. Richelieu caresse d'avance l'idée de cette espèce de conférence, où il entrera pour la première fois en contact avec les diplomates européens, où il pourra faire apprécier la qualité de son esprit. Dieu me fera cette grâce, écrit encore le roi, de seconder le dessein passionné que j'ai de conserver la paix pour moi-même et l'établir par toute l'Europe. Ces formules sont vastes, mais vagues.

Il est de règle, en diplomatie, qu'il ne faut pas s'engager dans une procédure sans avoir sondé le fond de l'affaire, car la procédure touche à l'honneur, et qu'il faut bien circonscrire les questions avant d'entreprendre de les résoudre. Sur ces deux points, l'inexpérience de Richelieu le mettait en défaut. Offrir aux autres puissances une sorte d'arbitrage qu'elles ne demandaient pas, c'était courir le risque d'un refus. A la rigueur, on eût pu prêter à certaines des parties intéressées un appui limité ; mais prendre en charge tout le poids du débat, c'était assumer une responsabilité hors de proportion avec l'intérêt réel du pays, avec ses forces, avec l'autorité dont la France disposait en Europe. Prétendre résoudre, d'un seul coup, comme l'indiquait la proposition, toutes les questions pendantes en Italie, c'était compliquer encore l'objet de l'intervention française, et en affaiblir d'avance l'effet utile ; c'était rechercher, en un mot, un de ces succès de prestige qui échappent presque toujours à ceux qui les poursuivent.

Richelieu, une fois ses vues arrêtées, déploie, il faut le reconnaître, une grande activité personnelle pour les faire aboutir : lettres à tous les ambassadeurs leur expliquant en détail les intentions du roi ; efforts pressants à Paris, près du nonce, près de l'ambassadeur d'Espagne, près des ambassadeurs vénitiens pour les déterminer à recommander cette combinaison à leurs gouvernements ; missions spéciales à des hommes de confiance se rendant à Madrid[60] et à Vienne pour chercher à convaincre les cabinets rivaux.

Quant à Lesdiguières, dont l'intervention en Piémont a été tout d'abord blâmée par la cour, Richelieu comprend que le coup de tête du vieux huguenot peut lui servir. Le corps d'occupation qui opère dans la haute Italie représente, en somme, le seul instrument efficace dont la France dispose dans une affaire où elle prétend s'arroger le premier rôle. Luçon tient donc en suspens l'approbation ou le désaveu que l'on réclame de la cour de France. Le roi écrit à Béthune : Monsieur, j'ai vu, par votre lettre du 29 décembre, la peine en laquelle vous êtes pour ne savoir comment vous devez vous gouverner avec M. Lesdiguières, ayant appris que Leurs Majestés n'agréent son voyage. Je n'ai rien à vous dire là-dessus sinon que votre prudence vous y fournira de plus suffisante instruction que ce qu'on vous en pourroit donner. Quant audit sieur Lesdiguières, je ne sais pas ce qu'il fera en pays où il va ; mais d'une chose suis-je bien assuré, que Sa Majesté sait bien ce qu'il doit faire, étant certain que tant s'en faut qu'elle ait approuvé son dessein, qu'au contraire elle a tâché par ses lettres et ceux qu'elle a envoyé de sa part, à l'en divertir, nonobstant quoi il n'a pas laissé de passer outre en sa résolution[61]. Voilà un agent bien renseigné !... Heureusement qu'il sait lire entre les lignes et que, selon le mot même employé dans la lettre, sa prudence lui servira de suffisante instruction. Lesdiguières reçoit, en même temps, de la main de Richelieu, des compliments d'une forme volontairement banale, mais où il trouve, en somme, tout autre chose qu'un désaveu de l'initiative prise par lui[62].

Cependant, si le ministre qui, prématurément, peut-être, assigne à la France un rôle si grands au dehors se retourne vers les affaires intérieures, il doit se sentir pris d'inquiétude et de dégoût en présence des difficultés, chaque jour croissantes, qui affaiblissent ou entravent son action. Les Nevers, les Bouillon, les du Maine, reprenant le rôle du prince de Condé, enfermé à la Bastille, et préludant à l'œuvre de discorde qui sera, par la suite, celle des Gaston d'Orléans, des Montmorency et des Cinq-Mars, lui donnent déjà la mesure des obstacles entre lesquels il devra, durant toute sa vie, marcher au but qu'il s'est proposé pour le bien de l'État.

L'irritation causée par tant de passions mesquines et d'intrigues odieuses serait faite pour tendre à l'excès des nerfs plus calmes que ceux des conseillers de la reine mère. Ils n'en conçoivent d'ailleurs, qu'un dessein plus vigoureux de s'engager à fond contre les rebelles. Dès le début de janvier, les fers sont mis au feu partout à la fois : Il se tient sans cesse ici des conseils de guerre d'une très grande importance. On est décidé à quitter la politique des rois antérieurs qui dirigeaient les peuples par la douceur et la tolérance. On recourra, s'il le faut, à la force et à la violence. Mais on veut obtenir de tout le monde entière obéissance... Les ministres font tout pour arriver à une autorité absolue... On considère maintenant la guerre comme décidée. La reine mère est disposée à risquer le tout pour le tout... Nous tenons cela de la bouche même de l'évêque de Luçon, qui nous a dit que c'était chose décidée et décrétée dans le Conseil[63].

Tout d'abord, on veut agir sur l'opinion. Ce serait une erreur de croire que, sous l'ancien régime, les gouvernements tenaient peu de compte du sentiment public. Ils s'appliquaient, au contraire, à rester constamment en contact avec lui. Pendant les guerres de religion, on avait connu la force des courants d'idées déterminés par une active publicité. Tous les partis rivaux s'efforcent de gagner les esprits à leur cause. Une nuée de pamphlets s'abat sur le pays ; une guerre de plume passionnée épuise toutes les armes. La presse actuelle n'est ni plus prompte, ni plus ardente, ni plus téméraire, ni plus spirituelle parfois, ni parfois plus niaise. Tout se dit, tout s'écrit ; le torrent des injures, des médisances et des calomnies grossit toujours et déverse impunément ses ondes noires : la polémique dénonce elle-même les abus de la polémique[64].

Luron, emporté peut-être par son ardeur juvénile, se jette dans la mêlée. Le duc du Maine, fils du fameux Mayenne de la Ligue homme violent et téméraire, d'esprit impatient et de nature inquiète, ennemi mortel du maréchal d'Ancre, s'était plaint, dans un mémoire répandu à profusion, des procédés violents employés par les chefs du gouvernement, et, s'exagérant sa propre importance, il avait prétendu qu'on avait voulu le faire assassiner. Le 17 janvier 1617, Richelieu lui répondait, au nom du roi, par une lettre publique[65]. C'est un curieux morceau d'ironie concentrée. Je ferai châtier le coupable, s'il le mérite, dit le roi, je ne souffrirai jamais qu'en mon État on pratique impunément telles méchancetés. Mais je permettrai aussi peu qu'on entreprenne sur les places que me gardent mes sujets et mes serviteurs que sur leurs vies. C'est pourquoi, demeurant dans les bornes de votre devoir, vous pouvez vous assurer que rien ne vous conservera plus surement les villes qui ont été autrefois consignées entre les mains de votre père, que mon autorité. Je ne réponds point à la façon dont vous me témoignez qu'il les a eues, l'intégrité de ses dernières actions m'obligeant de perdre la mémoire des premières qu'il a beau- coup de fois condamnées lui-même... Les témoignages que vous me rendez par votre lettre de désirer chercher votre repos dans l'innocence de vos actions me réjouiroient grandement si les effets ne sembloient contrevenir à vos paroles ; ne pouvant concevoir que l'innocence puisse compatir avec les intelligences et pratiques qui sont, tous les jours, entre vous et ceux qui veulent troubler le repos de mon État.

Les princes répondirent, à leur tour, par un manifeste extrêmement violent, où ils prenaient à partie la reine mère, le maréchal d'Ancre, les ministres nouveaux. Ils reprochaient notamment le renvoi des anciens ministres : Voyant la faveur prodigieuse de cet étranger donner les gouvernemens de vos places, destituer les anciens et principaux officiers de votre conseil, et de vos parlemens, leur ravir des mains les titres d'honneur que leur âge, leur vertu, et leur mérite leur avoient acquis, pour mettre en leur place ses créatures, personnes indignes, inexpérimentées à la conduite d'un État et gens nés à la servitude[66]...

Ce fut encore Richelieu qui répliqua. Dès le 1er février 1617, il taille ses plumes : ce sont ses propres expressions[67]. En trois jours, il a rédigé un manifeste de portée véritablement gouvernementale et qui fut répandu dans le public à un nombre considérable d'exemplaires, sous le titre de : Déclaration du roi sur le sujet des nouveaux remuemens de son royaume. Cette pièce passa auprès des connaisseurs pour délicate et bien faite[68]. C'est en effet, un des morceaux les plus soignés émanés de la plume de Richelieu. La composition est solide, la dialectique vigoureuse, la phrase souvent éloquente :

... Afin d'attirer les peuples, qui ne respirent autre chose que le repos, les princes publient artificieusement qu'ils désirent la paix et que Sa Majesté veut la guerre... Est-ce désirer la paix que de s'assurer, comme ils font, de tous les côtés, des gens de guerre ; que de faire publiquement des levées de soldats de leur autorité ; que de fortifier les places dont Sa Majesté leur a donné la garde et le gouvernement ; que d'entreprendre sur ses villes, d'arrêter et saisir ses deniers, de mendier protection de toutes parts, de vouloir introduire des armées étrangères dans ce royaume ; enfin que de s'approcher avec forces de Sa Majesté et non seulement de commettre tous actes d'hostilité, mais permettre les voleries ? Des sujets désirent-ils la paix lorsqu'ils la demandent à main armée ? Les rois la procurent quelquefois ainsi, mais non pas les sujets...

Quant à Sa Majesté, qui petit dire qu'elle désire la guerre après avoir vu qu'en peu de temps elle a fait trois traités pour donner et conserver la paix à son peuple ? Après avoir vu les sommes immenses avec lesquelles elle l'a rachetée plusieurs fois, après avoir vu l'excessive clémence dont elle a usé envers ceux qui l'ont troublée ? Qui ne voit enfin que le seul moyen qui reste maintenant à Sa Majesté, pour empêcher les rébellions trop fréquentes en son État, est de punir sévèrement ceux qui en sont les auteurs et reconnaître ses fidèles sujets qui demeurent en l'obéissance qu'ils lui doivent ?... Si la douceur dont Sa Majesté a usé jusques à cette heure ne fait autre chose que les endurcir, si l'oubliante de leurs fautes ne sert qu'à leur faire oublier leur devoir, si ses bienfaits n'ont eu d'autres effets que de les rendre plus puissans à mal faire, et que leur ingratitude soit la seule reconnaissance dont ils les payent ; si les menaces portées sur ses déclarations sont inutiles pour les contenir, si enfin ils ne peuvent être ramenés à leur devoir par aucune considération, et que, d'ailleurs, ils continuent à faire paraître par leurs actions qu'ils n'ont autre dessein que d'abattre l'autorité de Sa Majesté, démembrer et dissiper son État, se cantonner en son royaume, pour, au lieu de la puissance légitime, introduire autant de tyrannies qu'il contient de provinces... en ce cas, Sa Majesté, touchée des sentimens d'un vrai père, animée d'un courage d'un grand roi, sera contrainte, quoique à regret, de châtier ces perturbateurs de son État et punir leur rébellion[69].

Des paroles, on passe immédiatement aux actes. Au moment où la déclaration paraissait, trois armées étaient mises sur pied avec ordre de marcher sur les provinces soulevées et de- les ramener ; par la force, dans l'obéissance du roi. Cette partie de la tâche que s'était imposée le nouveau ministre de la guerre n'était ni la moins absorbante, ni la moins difficile. Il fallait tout créer. Luçon déploie une activité sans bornes, faisant beaucoup par lui-même, sollicitant de vive voix et par écrit la fidélité des grands, s'adressant à de simples gentilshommes, secouant la nonchalance des uns, entretenant les espérances des autres, flattant les amours-propres, calmant les susceptibilités, arrangeant les conflits. Il envoie dans les provinces des hommes qui sont les avant-coureurs de ses futurs intendants et qui ont charge de veiller aux enrôlements, aux approvisionnements, à l'argent, à la discipline militaire[70].

Bentivoglio, qui va le voir, le 1er février, le trouve dans le feu du travail et plein de confiance. Il est très ardent pour la guerre ; il la juge nécessaire si le roi veut être roi. Il a parlé en termes violons des princes, disant qu'il falloit les attaquer vigoureusement et que la guerre seroit aussitôt finie que commencée. Il m'a dit que, d'ici à huit ou dix jours, le roi partira pour Reims avec toute la cour, que le ministère disposoit de 900.000 écus outre les revenus ordinaires, que Sa. Majesté avoit réuni, en si peu de jours, une armée de 25.000 fantassins et de 5.000 cavaliers, et qu'il y avoit des troupes dans toutes les provinces du royaume pour étouffer toute tentative de rébellion.

Dans une autre lettre du même jour, le nonce donne, d'après le duc de Guise lui-même, qui va prendre le commandement de l'armée de Champagne, des détails plus précis encore sur la composition de cette armée improvisée et porte le chiffre de l'infanterie à 30.000 hommes, dont 4.000 Suisses, 4.000 lansquenets, 3.000 Liégeois et 4.000 Hollandais, ceux-ci en échange des 4.000 hommes que le roi de France entretenait habituellement en Hollande ; en outre, il y aura 1.200 cavaliers allemands et 500 du pays de Liège. Tout le reste est Français. Le duc dit qu'il dispose de 40 pièces d'artillerie avec tout le nécessaire pour le service de son armée[71].

Ces troupes, formant l'armée principale et opérant dans l'Île-de-France et en Champagne, étaient sous le commandement du duc de Guise. Comme on n'avait aucune confiance dans ses capacités militaires, on lui avait adjoint un homme qui passait pour un brave soldat, Thémines. Une autre armée opérait dans le Maine et le Perche, sous les ordres du comte d'Auvergne. Elle reçut l'ordre de se rabattre au besoin sur l'Île-de-France. Enfin, Montigny, à la tête d'un petit corps de troupes, devait s'emparer des places du Nivernais.

11 semble, qu'à ce moment, le duc de Nevers ait pris peur, et qu'il ait voulu s'accommoder ; il fit faire des ouvertures à Paris, par l'intermédiaire de sa sœur, la duchesse de Longueville, qui en parla au nonce ; mais celui-ci se sentait sans influence. La duchesse s'adressa elle-même à Luçon. Elle le trouva très boutonné et dur. La reine, excitée par lui, ne décolérait pas contre Nevers. Richelieu écrivait lui-même : Il y a apparence que ces remuemens ne se termineront pas par un traité, comme ont fait ceux du passé, le roi se mettant en état de ranger à la raison ceux qui s'en sont éloignés[72].

Bentivoglio, de plus en plus pessimiste, dépeint l'état d'esprit des ministres, l'excitation réciproque, et indique les suites funestes qu'on peut déjà prévoir : Les conseils violens l'emportent. On court précipitamment aux armes. La reine est pleine de rage du manifeste des princes où d'Ancre est déchiré si cruellement, et par conséquent elle-même ; elle n'a à qui se fier. Il n'y a près d'elle aucun homme de valeur, ni pour commander les troupes, ni pour négocier ; l'argent manque. Sa cause est détestée, parce qu'on la considère comme celle du maréchal. Guise, qui est à la tête des troupes de la reine, me disoit lui-même qu'il ne se faisoit aucune illusion, et que le dessein du maréchal étoit de ruiner les princes pour arriver à son but, à savoir d'être connétable de France, et de régner seul sur la cour[73].

On en revient toujours à ce malheureux Concini. Tous les efforts faits auprès de l'opinion, toute l'activité déployée se heurtent à cette réflexion que c'est pour le marquis d'Ancre que l'on travaille, et que ces gens qui parlent si haut, se subordonnent volontairement aux vues personnelles du favori. Les observateurs les plus réservés, comme Pontchartrain, s'expliquent encore en ce sens : Ceux qui liront ceci noteront que les confidens du maréchal d'Ancre avoient résolu, pour maintenir ledit maréchal en son autorité et au pouvoir absolu qu'il prenoit dans le royaume, qu'il était nécessaire d'entretenir toujours la guerre, parce que le moyen qu'il avait d'y employer ses créatures et d'y prendre telle part et l'emploi qu'il voudroit, lui donneroit et conserveroit son autorité[74].

Arrivé au comble de la faveur auprès de la reine, Concini nourrissait toutes les ambitions à la fois. Il poursuivait sa vieille idée de l'acquisition d'une souveraineté indépendante sur la frontière de la France. On dit que la révolte de Bouillon lui donnait lieu de penser à Sedan. En tout cas, il ne cachait pas son désir d'être nommé connétable. Il équipait des troupes à ses frais et avait sous la main un corps de plusieurs milliers d'hommes. Il eut l'insolence d'offrir au roi le concours de cette armée dans une lettre publique, rédigée en des termes tels que le roi de France paraissait l'obligé de l'aventurier[75] !

Il avait perdu, au début de l'année 1617, une fille qu'il aimait tendrement et qu'il comptait établir dans une des grandes familles du royaume. Sa femme était malade : Elle est languissante ; elle va gonflant du ventre et des parties inférieures du corps, non sans grande appréhension d'hydropisie ; elle souffre beaucoup[76]. Le ménage était complètement détruit. Les deux associés se détestaient et ne restaient unis que pour la défense de ce qu'ils avaient acquis ensemble. Ces deuils et ces tristesses avaient rendu le maréchal irritable et sombre. Sa vanité ne connaissait plus de bornes. Au moment où le duc de Guise partait pour l'année, il le blessa cruellement[77]. L'ambassadeur près du pape, Tresnel, est rappelé à Paris : Le maréchal s'exprima sur son compte avec le plus grand mépris, disant que c'étoit une bête, qu'il se moquoit de lui, qu'il l'avoit fait attendre des heures dans son antichambre[78]. Telles étaient ses façons habituelles de parler et d'agir. Il ne traitait pas mieux ses ministres, et même des hommes qu'il eût dû ménager. Alberti, Alberti, mon ami, dit-il un jour, en serrant les mains de Luynes, le roi m'a regardé d'un œil mauvais, con occhi furiosi ; vous m'en répondez, Alberti, vous m'en répondez.

Laissons parler encore un homme qui voit les choses de près, puisqu'il est dans le ministère, Ponchartrain : La tyrannie de l'autorité du gouvernement du maréchal d'Ancre et des trois susnommés, Barbin, Luçon et Mangot, étoit si grande qu'aucun des grands ne la peut supporter ; il fait des affronts aux uns et aux autres quand il se passoit quelque chose qui n'étoit pas agréable ; il est toujours en dessein de faire chasser et congédier le reste du anseil et les secrétaires d'État qui ne dépendoient pas entièrement de lui, de faire changer les officiers des cours souveraines, ôter ceux qui sont près la personne du roi. En somme, son procédé étoit si insupportable, qu'hormis quelques particuliers qu'il faisoit grandement gratifier, toutes personnes de toutes qualités lui vouloient mal et le haïssoient (voire même ses propres domestiques), et, à son occasion, cette haine et malveillance alloit sur la reine mère, qui n'entendoit, voyoit et ne parloit à personne que par l'organe dudit maréchal, qui prenoit soin qu'aucun n'en pût approcher[79].

Les étrangers, plus impartiaux encore, s'expriment de même : La violence du maréchal d'Ancre ne peut durer. Tout ce que les princes disent dans leurs manifestes est la vérité même. Leur cause suscite un applaudissement universel, et c'est tout le royaume qui parle par leurs bouches... Aujourd'hui, toute la haine se déverse sur le maréchal et sur sa femme, tous deux étrangers, tous cieux haïs et détestés comme des furies et que toute la France a en horreur et en abomination[80].

Allez donc faire de la politique dans de telles conditions :-quel respect inspirer au dedans ? quelle confiance au dehors ? Combien de temps, d'ailleurs, avait-on devant soi ; des semaines ? des jours ? Qui eût pu le dire ? Si quelques personnes, comme Rohan, faisaient crédit au ministère et affirmaient qu'il l'emporterait[81], la plupart pensaient le contraire et disaient tout haut que cela finirait mal pour les ministres et pour le favori.

Nevers, alternativement abattu ou fanfaron, jurait maintenant qu'avant peu, par lui et ses amis, la reine mère perdrait le gouvernement de la France et serait obligée de se retirer dans un couvent. Symptôme décourageant, cette sage et fidèle Madame de Guercheville avait manifesté le désir de céder sa charge de dame d'honneur de la reine, disant qu'avant peu de mois, elle n'auroit plus lieu de l'exercer, la reine mère devant perdre son autorité et être reléguée à Florence. Le pape faisait donner très confidentiellement avis à Marie de Médicis qu'il lui revenait de source très sûre (peut-être par les confesseurs) que, dans l'entourage de Louis XIII, on projetait de le séparer d'elle, et qu'on voulait emmener le roi à Lyon pour l'arracher à l'autorité de sa mère. La reine, avertie par le nonce, eut une conversation avec le roi, à la suite de laquelle elle se déclara entièrement rassurée[82].

Cependant, les ministres persévéraient dans la politique énergique qu'ils avaient inaugurée. Leur seule chance reposait maintenant sur le succès des armes. Aussi, Luçon se multipliait pour assurer le recrutement et la solde des hommes, pour stimuler les officiers, leur donner quelque chose de l'ardeur désespérée. qui l'enflammait lui-même. Schomberg, peine arrivé en Allemagne, y avait conclu avec le rhingrave des capitulations et avait levé 400 reîtres et 400 lansquenets ; on faisait en Suisse des levées importantes[83]. Plusieurs milliers d'hommes se dirigeaient vers la France et venaient renforcer les armées royales. Enfin, celles-ci se mettaient en mouvement et obtenaient de premiers succès. Les forces qu'elles avaient devant elles n'étaient ni organisées ni commandées. Les princes ne pouvaient compter que sur les quelques milliers d'hommes que Bouillon était allé recruter dans le pays de Liège et qu'il amenait lentement à leur secours[84].

Dans le Nivernais, Montigny, qui avait pour aide de camp le marquis de Richelieu, s'empara de toutes les places appartenant au duc et enferma dans la capitale de la province la duchesse de Nevers, qui lui avait tenu tête très vaillamment. Le comte d'Auvergne avait pacifié tout le Maine et le Perche ; il était libre maintenant de marcher au secours du duc de Guise. Celui-ci avait eu également, dans les provinces de l'est, dei succès assez importants. Il avait pris Richecourt, Château-Porcien, Cezigny et mis le siège devant Rethel. Nevers, poussé de place en place, ne gardait plus que Mézières, tandis que le duc du Maine, bousculé par le comte d'Auvergne, qui s'emparait successivement des châteaux de l'Île-de-France, était contraint de s'enfermer dans Soissons. Ainsi trois sièges importants, commencés presque simultanément : Nevers, Soissons et Rethel, devaient mettre fin bientôt à la révolte des princes[85].

Les ministres commençaient alors à respirer. Ceux mêmes qui ne leur sont pas favorables reconnaissent que par leurs bons soins et diligences, les princes et grands avoient été si vivement attaqués et serrés de si près qu'ils étoient au désespoir et ne savoient où avoir recours[86].

Luçon pouvait croire que l'on touchait au but.

Il était moins heureux au dehors. Dans la politique extérieure, les résultats sont toujours plus lents : les intérêts adverses, plus sûrs d'eux-mêmes, se défendent mieux. Les missions envoyées par Luçon en Europe avaient abouti à des résultats divers, mais, en somme, assez peu satisfaisants. C'est en Angleterre, peut-être, que l'accueil avait été le plus favorable. Le roi Jacques affectait, depuis la mort de Henri IV, une mauvaise humeur que son pédantisme rendait plus insupportable encore. Il grondait sans cesse contre les mariages espagnols[87], excitait sous main les protestants, se tenait en relations constantes avec leurs chefs et ne cessait de se dire leur protecteur[88]. En agissant ainsi, le roi Jacques poursuivait un dessein arrêté. S'inspirant des traditions de la politique anglaise, il prétendait tenir la balance entre les deux partis qui divisaient l'Europe, et reprendre, grâce aux querelles intestines des puissances continentales, l'autorité internationale qu'Élisabeth avait exercée et que Henri IV lui avait ravie : L'Angleterre, disait, dès le XVIIe siècle, le comte de Salisbury, est comme une demoiselle à laquelle deux prétendans font la cour. Si elle cédait à l'un, elle encourrait la haine de l'autre[89]. Luçon avait sans peine découvert ces vues. Il avait déclaré nettement à l'ambassadeur d'Angleterre qu'il entendait que le roi Jacques ne fit pas en France ce qu'il ne souffrirait pas que le roi de France fit en Angleterre, c'est-à-dire appuyer et soutenir des sujets révoltés[90].

Le baron du Tour, que le roi d'Angleterre aimoit très particulièrement pour avoir été. ambassadeur près de lui lorsqu'il étoit roi d'Écosse, sut dire les mêmes choses sur un ton plus doux et lui insinuer dextrement en l'esprit que la confiance que le roi de France avait en son amitié et alliance était telle qu'il espérait que, bien loin de protéger des sujets rebelles contre leur souverain, le roi, au contraire, aiderait au besoin ; par les armes, les faire rentrer dans l'obéissance. Moitié fermeté, moitié caresse, Jacques avait paru se laisser convaincre, et, le 27 mars 1617, Luçon pouvait écrire au duc de Guise qu'il avait de fort bonnes nouvelles d'Angleterre, et que le roi Jacques avoit assuré à M. le baron du Tour que, quoiqu'on dise qu'il assistait couvertement ces messieurs les princes, il ne le ferait jamais[91].

En Hollande, l'envoyé de Richelieu rencontra de plus sérieuses difficultés. Les États entretenaient avec la cour de France une alliance ombrageuse, toujours inquiète des relations de cette cour avec l'Espagne. L'accomplissement des mariages leur avait été, selon notre ambassadeur, grandement formidable. Ils n'avaient pas pardonné au gouvernement de Marie de Médicis, et, dans leur réserve taciturne, on sentait qu'ils ne lui pardonneraient jamais. Bouillon était, d'ailleurs, pour eux, un vieil allié, confident de tous les déboires et de tous les soupçons[92]. D'autre part, un politicien retors, ancien représentant des États en France, Aersens, soufflait sur le feu[93], tout en discutant, avec des arguments juridiques, la mesure de la gratitude que la République devait à la dynastie des Bourbons. Cette double action était très mollement combattue par notre ambassadeur à la Haye, Aubery du Maurier, diplomate silencieux et prudent, mais protestant convaincu, et correspondant assidu de Duplessis-Mornay[94].

Quand La Noue arriva en Hollande, il ne trouva que de froids visages. Il avait pour mission de dissiper les méfiances ; or, on se méfiait de lui. Un envoyé du prince de Bouillon, Varigny, plaidait la cause des rebelles. Entre ces sollicitations diverses, les esprits étaient partagés. Les grandes querelles religieuses qui, à ce moment même, éclataient en Hollande, subordonnaient toute politique aux passions déchaînées. Le prince Maurice encourageait sous main Aersens et conseillait de refuser l'envoi des 4.000 hommes réclamés par La Noue. Barnevelt, au contraire, se montrait favorable aux demandes de la cour de France. Les choses devaient traîner en longueur jusqu'au Moment où les renforts deviendraient inutiles. En somme, la Hollande, citadelle du parti protestant, refusait toute créance aux protestations imprévues de l'évêque de Luçon[95].

En Allemagne, la mission de Schomberg auprès des princes avait un peu mieux réussi. Parti dès les premiers jours de janvier, il avait vu, en passant, le duc de Lorraine et avait obtenu de lui des promesses verbales de concours et de fidélité. Puis, il s'était acheminé vers tous ces petits centres où pullulaient des rivalités et des dissensions qu'il comptait bien mettre à profit : Saverne où se trouvait l'archiduc Léopold, Durlach où résidait le marquis de Bade, Heidelberg, séjour de l'électeur palatin ; et, dit-il lui-même, si les princes protestans, après m'avoir oüy, ne se comportent envers Votre Majesté comme ils doivent, je leur taillerai, si je ne me trompe, plus de besogne avec les électeurs et princes catholiques qu'ils n'en sauroient de longtemps coudre ; car la défiance n'est pas malaisée à faire naître entre ces deux ligues. Partout, c'étaient des troupes qu'il devait demander. Il en obtint presque partout, ou, du moins, des promesses[96].

Après avoir vu les princes électeurs, Schomberg devait se rendre en Autriche, où la France était représentée par un agent expérimenté, Baugy. Celui-ci suivait, avec un intérêt très intelligent, la grosse affaire de la succession qui s'ouvrirait à la mort de l'empereur Mathias qui n'avait pas d'enfants. On essayait d'écarter l'archiduc Ferdinand, et on réclamait vaguement les droits des descendants de Charles-Quint sur la Bohème et la Hongrie. Richelieu, tout en protestant du respect religieux avec lequel le roi entretient l'alliance qu'il a avec l'Espagne, avait pris parti pour Ferdinand, et il écrivait à Schomberg : Vous vous conduirez dans cette affaire secrètement et avec dextérité et en sorte, s'il y a moyen, comme je n'en doute pas, que vous rompiez les desseins des Espagnols et veniez à bout de ce que je souhaite pour le bien de la chrétienté. Cette politique devait réussir pour des raisons que l'ambassadeur analyse avec soin dans sa correspondance. Les Espagnols eux-mêmes renoncèrent à leurs prétentions sur le royaume de Hongrie et de Bohême, et Baugy l'annonça par une dépêche du 5 mai, qui devait être ouverte par le remplaçant de l'évêque de Luçon[97].

Ce succès de la politique française eut, d'ailleurs, peu de suite. Car Ferdinand, élu roi de Bohême, en juin 1617, puis porté à la couronne impériale, retomba sous la coupe de ses premiers maîtres, les jésuites, et s'appuya exclusivement sur la maison d'Espagne. Mais le nœud de la politique de l'évêque de Luçon était, comme nous l'avons vu, dans les affaires d'Italie. Ici, il avait subi un échec complet.

A la fin de l'année 1616, les situations respectives étaient les suivantes : l'Espagne menaçait la Savoie ; Lesdiguières avait passé les Alpes pour venir au secours du duc Charles-Emmanuel ; Venise était en guerre avec l'archiduc Ferdinand. Battue, elle avait besoin de secours immédiat et prétendait se servir des défilés des Grisons pour faire passer les renforts que ses recruteurs enrôlaient en Suisse ; mais elle ne pouvait le faire sans l'autorisation de la France.

Dès que l'évêque de Luçon a remplacé Mangot, les ambassadeurs s'adressent à lui et le supplient de prendre parti. Ils sollicitent, en même temps, une audience de la reine et exposent à celle-ci toutes les raisons favorables à l'alliance de la République avec les Grisons : La reine nous écouta attentivement, montrant sur son visage qu'elle étoit satisfaite de ce qu'avoient fait Vos Seigneuries, et, se tournant vers l'évêque de Luçon, elle lui dit : Vous avez entendu ce qu'ils demandent ; faites une dépêche immédiatement pour recommander à Gueffier que, puisque la République veut faire son traité d'alliance avec les articles ajoutés, je ne l'empêche nullement. Nous la remerciâmes cordialement, ajoutent les ambassadeurs, et nous nous en allâmes avec une véritable surprise d'avoir trouvé en Sa Majesté une résolution si prompte et si ferme en ce qui concernoit cette affaire. Pour être plus sûrs, nous attendîmes dans l'antichambre pour parler à M. de Luçon et pour lui demander de faire l'expédition conforme aux intentions de la reine. Il sortit, confirma les dires de Sa Majesté, ajouta qu'il alloit préparer l'instruction avec Mangot, et il joignit mille autres bonnes paroles d'obligation et de service pour notre République[98].

Que fallait-il penser de cette attitude favorable ? Luçon marquait-il déjà l'orientation nouvelle, plus indépendante, à l'égard de l'Espagne, qu'il comptait donner à sa politique ? Était-ce simplement courtoisie et bienveillance banales, naturelles chez un nouveau venu qui désire se faire bien accueillir ? Cette résolution un peu prompte ne venait-elle pas aussi d'une certaine ignorance des intérêts importants engagés dans cette affaire d'apparence si simple ?

Quoi qu'il en soit, quelques jours après, Luçon reprend les concessions qu'il a faites un peu hâtivement. Il a probablement réfléchi aux conséquences d'une rupture déclarée avec l'Espagne sur cette question si grave des défilés alpins. Oui, la France interviendra dans les affaires ; mais elle interviendra comme il lui convient, en médiatrice, en arbitre, non en adversaire déclarée de l'une des deux parties en cause. L'ambassadeur du roi auprès des Grisons, Gueffier, recevra donc l'ordre de travailler à l'alliance sous la condition toutefois que des difficultés ne viennent pas de la part des Vénitiens. En même temps, on donne à Gueffier les ordres nécessaires au cas où les difficultés viendraient des Grisons[99].

Quant aux affaires générales d'Italie, le point de vue de la cour de France n'est pas moins relevé : Nous sommes venus à l'audience de la reine mère qui nous a dit qu'elle vouloit, comme son défunt mari, rétablir la paix en Italie, qu'il falloit que tout passât par les mains de son ambassadeur, Béthune, si expérimenté et si bien disposé, que le dessein des Espagnols était manifeste et qu'ils vouloient être les seuls arbitres et dominateurs de la péninsule[100].

En présence de cette double réponse, les ambassadeurs sont-ils satisfaits ? En ce qui concerne l'affaire des Grisons, non certainement. Car ce n'est plus l'adhésion nette et franche à leurs vues qu'on leur avait laissé espérer quelques jours auparavant. Cependant, ils veulent douter encore et suspendent leur jugement. Quant au second point, ils semblent vouloir faire, de leur assentiment à la proposition qu'on leur soumet, une contrepartie de l'arrangement relatif aux défilés des Alpes. Nous avons répondu : M. de Béthune ne quittera pas l'Italie, et la paix ne sera pas faite sans l'intervention de la France[101]. Intervention, au lieu de médiation, c'est une nuance appréciable, dans la bouche de ces diplomates experts, et leur réponse marque l'origine du malentendu qui va sans cesse aller en s'aggravant.

Luçon joue au plus fin. Il fait attendre quinze jours encore une réponse précise au sujet de l'affaire des Grisons. Il sait bien, au fond, qu'il ne peut pas étendre aux Vénitiens ce privilège exclusif des passages, que la sage politique de Henri IV a réservé à la France. Il sait aussi que faire une pareille concession ce serait blesser l'Espagne à la prunelle de Les ambassadeurs, de leur côté, sentent. qu'ils ont manqué l'heure. Ils multiplient les démarches. Ils vont chez le maréchal d'Ancre, qui les assure de son bon vouloir et rejette tout sur Gueffier. Ils vont chez Mangot ; ils vont chez la reine mère. Ils harcèlent Luçon.

Celui-ci, au cours d'une nouvelle audience, développe surtout les raisons du refus, insiste sur les intérêts du roi, promet d'en parler à ses collègues. Fâcheuses dispositions ! Les ambassadeurs reviennent à la charge. Enfin, le 92 janvier, Luçon se décide et leur déclare nettement que, si la France ne fait pas d'obstacle à ce qu'une alliance soit conclue entre les Ligues grises et la République de Venise, si même elle est favorable à cette alliance, c'est à une condition expresse, à savoir que le passage des Alpes reste interdit à toutes les armées, sauf à celles de la France à qui le passage reste assuré même contre les Vénitiens[102]. Cette réponse, prévue peut-être, n'en fut que plus mal accueillie par les ambassadeurs. Pouvaient-ils s'attendre à un pareil coup de la part du roi de France, du fils de ce Henri IV qui leur devait la couronne ? La phrase qu'on leur proposait d'ajouter au traité d'alliance détruisait l'alliance elle-même. Quelle bassesse d'âme supposait-on au gouvernement vénitien de penser qu'il admettrait volontairement une proposition visant le passage des armées françaises dirigées. expressément contre la République. La scène fut vive. Luçon restait assez embarrassé. Il st rejeta sur les résolutions arrêtées en conseil, sur la dureté des temps, sur les difficultés de l'heure présente : Nous sommes vraiment dans une situation misérable, dit-il. Les Espagnols ne sont pas contons de nous, nous ne sommes pas bien avec l'Angleterre, ni avec les États de Hollande, le duc de Savoie est mal satisfait, la République se plaint, nos propres sujets sont soulevés contre nous ; de façon que, pour vouloir faire le bien, nous souffrons des maux sans nombre[103]. Ce langage n'était pas fier ; il dévoilait trop bien les inconvénients de la fausse situation où s'était mis le gouvernement du maréchal et le manque d'autorité de ses ministres, tant au dedans qu'au dehors[104].

Les ambassadeurs de Venise sentaient qu'ils avaient barre sur le jeune secrétaire d'État, et maintenant qu'ils avaient perdu la partie dans l'affaire des Grisons, ils ne cherchaient qu'à prendre leur revanche dans celle de la médiation. On les abandonnait par crainte de mécontenter l'Espagne : avec une promptitude rare, ils se retournent vers l'Espagne, et c'est à la grande ennemie, à la rivale éternelle qu'ils demandent le moyen de punir Luçon de sa témérité.

Celui-ci, en effet, poursuivait officiellement, auprès d'eux et auprès de toutes les puissances, les propositions relatives à la médiation de la France pour le règlement définitif des affaires d'Italie.

Le plan d'ensemble. définitivement arrêté, est exposé dans une lettre que le ministre adresse aux représentants de la France dans les cours intéressées : Je vous dirai que le désir qu'a le Roi de pacifier les troupes de l'Italie et rétablir le repos par toute la chrétienté l'a fait résoudre de traiter par lui-même ce que jusqu'ici il a fait par ses ambassadeurs. Pour cet effet, il s'est résolu d'attirer la négociation de la paix d'Italie auprès de lui, estimant qu'on déférera à sa présence ce que jusqu'ici on n'a pas fait à ses ambassadeurs. Il envoie à cette fin le sieur comte de Larochefoucauld en Espagne pour obtenir que cette affaire se traite ainsi qu'il le désire et juge expédient. Sa Majesté a semblablement écrit au duc de Savoie, aux Vénitiens et à tous ceux qui y ont intérêt pour leur faire goûter cette-proposition que Sa Sainteté agrée, trouvant bon, ou d'envoyer un légat à cette fin, ou de donner commission expresse à son nonce qui est auprès de Sa Majesté. Nous espérons que ce traité réussira au bien de la chrétienté, au repos de l'Italie et à la gloire de Sa Sainteté et du Roi qui l'entreprennent[105].

A Paris, l'évêque de Luçon saisit les ambassadeurs vénitiens le 22 janvier. Il semble, garder une certaine illusion sur les sentiments de ceux qu'il vient de blesser si profondément dans l'affaire des Grisons : unis nous qui lisons les lettres adressées par ces diplomates à leur gouvernement, nous savons ce qu'ils pensent et combien ils sont ulcérés. Aussi leur avis ne se fait pas attendre.

Le 24 janvier, ils écrivent à Venise pour engager la République à ne pas laisser la négociation se transporter à Paris. Ils ont déjà amené l'envoyé' du duc de Savoie à leurs vues et ils trouvent un excellent argument pour vaincre, s'il y a lieu, les hésitations de Sénat : Nous sommes d'accord avec l'envoyé du duc de Savoie, disent-ils, pour penser qu'ici on considère au fond la prompte conclusion de la paix d'Italie comme contraire aux intérêts de cette couronne ; en effet les Français qui, en ce moment, ont pris du service dans les armées du duc de Savoie sont, pour la plupart, des partisans des princes. Si la paix se fait, ils viendront se mettre au service de ceux-ci, et cela au grand préjudice des intérêts du roi. On peut donc douter que les ministres français, s'ils ont une fois l'affaire de la paix d'Italie dans les mains, mettent un grand zèle à la conclure, contrairement à leurs intérêts. Aussi serait-il de la prudence de Vos Excellences de peser leurs résolutions et d'apporter à cette affaire toute la maturité qu'elle demande[106].

Le sénat de Venise n'avait pas besoin d'être poussé par ses agents pour prendre une résolution conforme à leur désir. L'ambassadeur du roi, M. de Léon, lui avait communiqué la proposition, peut-être avec quelque mollesse, car il était loin d'être prévenu en faveur de son chef. Il n'avait obtenu que des paroles évasives, transmises à Paris pour ce qu'elles valaient.

Dès les premiers jours de février, Luçon apprenait, de toutes parts, qu'il était joué. Le duc de Savoie avait fait la moue quand on lui avait parlé d'envoyer un ambassadeur spécial à Paris ; l'Espagne déclinait nettement la proposition ; en Autriche, notre ambassadeur, Baugy, n'osait même pas ouvrir la bouche,- sentant d'avance quel accueil lui serait réservé. Vous aurez vu, par mes précédentes du 18 de ce mois, les raisons qui m'ont mû à ne point passer avec l'Empereur l'office qui m'a été mandé pour lui faire trouver bon que le roi tirât auprès de lui le traité d'accommodement des troubles d'Italie, duquel les Espagnols se sont emparés sur la requête qu'ils disent leur en avoir été faite par les Vénitiens. Quand on m'en parle, je réponds qu'il n'importe à Sa Majesté en quel lieu il soit, pourvu qu'il se termine par une bonne paix. On le voit, ce sont les Vénitiens que l'on accuse hautement[107].

De partout, le même renseignement arrive au ministre. Il s'en plaint en termes amers à l'ambassadeur Léon, qu'il soupçonne de s'être laissé jouer et qui, probablement, rit dans sa barbe de la déconvenue de son chef. Parlant au nom du roi, Luçon écrit : Je ne puis que je ne m'étonne grandement de ce que leurs actes (il parle du sénat de Venise) du tout contraires à leurs paroles, ne soient venus à votre connaissance ; ou que l'ayant su, vous ne m'ayez donné avis de ce que vous auriez vu en cela se passer à mon préjudice... Le sieur Baugy a su et m'a averti, le 14 janvier, qu'à leur prière le Roi Catholique a écrit à l'Empereur pour le prier d'envoyer vers lui des ambassadeurs afin de traiter du différend que mon cousin l'archiduc de Gratz a avec eux. Par là, vous pouvez juger combien j'ai juste sujet de me plaindre de leur procédé, voyant, qu'en même temps que je travaillais avec plus d'affection à cet accommodement, ils se sont pourvus à même fin par devers le Roi Catholique pour lui attribuer l'honneur d'être venu à bout d'une chose qui semblait particulièrement m'être réservée[108].

Luçon ne peut se contenir longtemps à l'égard des ambassadeurs vénitiens ; il va les trouver chez eux, tenant à la main la lettre par laquelle Béthune lui apprend l'échec de la négociation. Il fait d'abord, d'un ton assez calme, un exposé complet de l'affaire, mais il s'anime en parlant, et enfin sa colère éclate : Nous sommes trop intimes, nous, avec le roi d'Espagne pour nous plaindre de voir la paix se traiter à Madrid. Mais vous, c'est donc, désormais au roi d'Espagne que vous vous adresserez quand vous aurez des difficultés en Italie ? Pouvoit-on s'attendre à une pareille conduite de la part de la République ? N'est-ce pas elle qui avoit eu recours au roi de France ? Est-ce ainsi qu'elle reconnoit le zèle qu'on a déployé à Paris pour arranger cette affaire ? C'est un manque d'égards inouï, et le roi s'en souviendra. Pour le moment, il est faible, c'est vrai. Mais il n'est pas si bas que son royaume ne reprenne en peu de temps son ancienne vigueur et pour qu'il impose autour de lui le respect auquel il a droit... C'est au tour des ambassadeurs de s'excuser et de plaider les circonstances atténuantes. Mais ils sont vengés[109].

Ils prennent pour confident de leur joie le nonce Bentivoglio, qui ne parait pas trop fâché, lui-même, du bon tour joué à son jeune partenaire. Il écrit à Rome : J'ai vu les ambassadeurs vénitiens qui m'ont dit que Luçon leur a fait, au nom de la reine, une grosse querelle au sujet de la négociation que la République a transportée à Madrid. Luçon, dit-il, espère encore que, si on arrange à Madrid l'affaire de l'archiduc Ferdinand avec Venise, du moins on laissera l'arrangement des affaires du Piémont se faire à Paris ; mais, ajoute le nonce, les ambassadeurs n'en croient rien, et ils disent que c'est une dernière feinte des Français pour couvrir leur honte de se voir entièrement exclus des affaires d'Italie dont ils se prétendoient les arbitres[110].

L'échec est complet ; et si Luçon ne lit pas ces lettres, il devine, autour de lui, les sourires muets des diplomates qui les ont écrites. Dans sa. colère, il ne sait à qui se prendre. Il rappelle l'ambassadeur du roi à Venise, M. de Léon ; il rappelle l'ambassadeur à Rome, le marquis de Tresnel[111]. Il répand sa mauvaise humeur en lettres dont le ton va, toujours s'exaspérant. : Bien que je n'aie point de paroles qui puissent exagérer l'indignité du procédé des Vénitiens, je trouve bon, néanmoins, l'avis que vous me donnez de remettre en mi temps plus opportun à faire paraître le ressentiment que j'en ai. Bon conseil, mal suivi, d'ailleurs, et Léon, qui lit cette phrase, dans la lettre qui lui annonce son rappel, doit se dire que son. jeune chef aurait encore besoin de quelques bonnes leçons.

L'évêque, en effet, ne devrait s'en prendre qu'à lui-même : c'est lui qui s'est trompé sur la convenance et sur la portée de son intervention ; c'est lui qui a cru jouer au plus fin et qui s'est heurté assez naïvement à ces hommes subtils qu'il n'avait pas su ménager quand ils s'adressaient à lui ; c'est lui qui s'est lancé dans une de ces campagnes dangereuses où l'on met en péril, sans intérêt suffisant, l'honneur des gouvernements qui prétendent n'en tirer que de la gloire. En voulant imposer aux Vénitiens l'alliance des Grisons avec l'adjonction d'une clause contraire à leurs intérêts, en réclamant d'eux, en même temps, une adhésion à sa proposition de médiation, Luçon poursuivait une politique qui, par excès de finesse, tombait dans la contradiction. Il voulait gagner des deux côtés à la fois, ce qui est impossible, à moins d'avoir affaire à des partenaires incapables ou d'avoir recours à la force. Il avait mal calculé : mal calculé le mérite de ses adversaires, mal apprécié sa propre autorité.

N'avait-il donc fait aucun retour sur lui-même ? Ne s'était-il donc pas aperçu que tout croulait autour de lui, que la carrière du maréchal était parvenue à un comble de témérité (lui l'exposait au moindre caprice de la fortune, que le ministère dont il faisait partie n'avait ni poids, ni assiette, ni solidité ? Était-il donc aveugle ? Et, s'il voyait clair, comment pouvait-il supposer que les autres tenaient les yeux fermés, et qu'ils ignoraient le peu de valeur d'une parole tombant de sa bouche ? L'échec était la suite naturelle et fatale de la situation fausse où il se, trouvait et de la témérité avec laquelle il s'était lancé sans consulter ses forces. Jeune présomptueux, averti par ce premier insuccès, il fut trop heureux de dissimuler, dans la catastrophe générale qui l'écarta du pouvoir, avortement complet et piteux de la première négociation importante qu'il eût menée et dont il se garda bien. de souffler mot, par la suite, dans ses Mémoires.

 

III. — La catastrophe.

Concini et les ministres avaient compris, dès la fin de février, qu'il était nécessaire de frapper un grand coup pour en finir avec les rebelles. Le sort de cette courte campagne était suspendu à la prise de Soissons. On avait donc décidé que le roi se rendrait de sa personne à l'armée du duc de Guise ; on comptait que le voyage du roi produirait une grande impression dans le pays et mettrait fin aux intrigues qui se nouaient, à la cour même, sous les yeux de la reine régente.

L'habitude de l'indiscipline était tellement invétérée et les sentiments de haine à l'égard de Concini étaient si répandus, qu'on voyait les plus fidèles serviteurs de la royauté et de la reine, à Paris et dans les provinces, se détacher, l'un après l'autre, du parti de la cour. Par une tactique renouvelée des luttes du xvi e siècle, ces mécontents, plus sages ou plus habiles que les princes révoltés, se groupaient en un parti intermédiaire, — un tiers parti, — qui, comptant sur les sentiments toujours peureux et toujours frondeurs de la bourgeoisie, espérait, avec le concours des politiques, imposer à la royauté et aux rebelles une fructueuse médiation[112]. On citait, parmi les grands personnages qui s'attachaient à ce parti, le vieux d'Épernon, favori hautain, jaloux de toute faveur qui n'allait pas vers lui[113] ; Lesdiguières, auquel la rumeur publique attribuait un mot inquiétant : Je suis venu pour faire la paix d'Italie, et je m'en retournerai pour faire la paix de France[114] ; Sully[115], toujours chagrin et toujours impatient d'un pouvoir qui lui échappait toujours ; Montmorency, si puissant dans son Languedoc ; Bellegarde, Roquelaure, d'Alincourt, gouverneur de Lyon et fils de Villeroy. On disait que ces grands seigneurs, se larguant d'une fidélité particulière et affirmant que la politique de Concini et des ministres était contraire aux véritables intentions du roi, se préparaient à marcher sur Paris, à la tête d'une armée de 35.000 à 40.000 hommes, pour se mettre à la disposition de Louis XIII et l'arracher à la servitude où le tenaient la régente et ses favoris.

Pour couper court à ces bruits, — peut-être à ces projets, — le mieux était de mettre à exécution sans retard, la résolution arrêtée de conduire le roi à Soissons. Mais, sans qu'on pût s'expliquer exactement pourquoi, ce voyage, toujours annoncé, était retardé de jour en jour. A la fin de février, on prie ]es ambassadeurs de se préparer à accompagner le roi qui partira la semaine prochaine[116]. Le 12 mars, le voyage devient problématique. On craint de laisser Paris sans troupes avec le prince de Condé dans sa prison. Un soulèvement populaire auroit vite fait de le délivrer et de lui confier le commandement de la capitale[117]. Les uns affirment que c'est le roi qui ne veut pas partir ; les autres disent. que la reine est indécise : Une personne bien renseignée m'assure que la reine a peur du roi ; on aurait découvert récemment que cette sortie du roi seroit dangereuse, et on lui auroit conseillé de ne pas se séparer de lui[118]. Pendant tout le mois de mars, on a le pied sur l'étrier : ce sera pour le 12 ; ce sera pour le 20 ; ce sera pour le mardi qui suivra le 31 mars ; — et on ne part pas. Enfin le 8 avril, on décide brusquement que le voyage n'aura pas lieu[119]. Ordres, contre-ordres ? Le public ne comprend pas. Mais ceux qui sont dans le secret assurent que la reine mère avoit avis que le roi, qui se vôyoit de jour en jour plus  méprisé, avoit résolu, si l'on alloit à la campagne, après avoir fait une journée ou cieux, de prendre quelques-uns de sa suite les plus confidens et s'en aller lui-même en son armée, se loger dans le quartier du régiment de ses gardes,... et d'y prendre la résolution de ce qu'il avoit à faire pour s'ôter du gouvernement et de l'autorité de la reine sa mère et de la tyrannie du maréchal d'Ancre[120].

Tous les veux sont tournés vers le maréchal d'Ancre. Lui poursuit ses desseins particuliers, va et vient comme si de rien n'était. Il a confiance en son étoile. D'ailleurs, il est brave et aurait dit volontiers comme l'autre : Ils n'oseraient. Un jour, au conseil, il s'assied sur le siège du roi. lin autre jour, il se moque de voir celui-ci jouer comme un enfant et dit qu'il faudroit lui donner le fouet ; il se couvre devant lui ; il se pavane, dans la cour du Louvre, à la tête de deux cents ou trois cents gentilshommes, tandis que le roi regarde, de la fenêtre du premier, seul avec Luynes. Le roi a besoin de quelque somme d'argent pour ses plaisirs : on lui objecte que la caisse est vide[121]. Louis XIII se tait ; mais en lui, la haine monte.

Concini n'éprouvait-il pas au fond du cœur plus d'inquiétude qu'il n'en laissait paraître ? Sa femme, en tout cas, plus adroite que lui, était nerveuse, agitée, pleurait, demandait à partir. La reine elle-même aurait voulu le modérer et elle le rabrouait en public. Surtout, un symptôme qui ne trompe pas les esprits perspicaces aurait dû le frapper : ses amis, ses créatures, les ministres, prenaient leurs précautions et se détachaient de lui. Barbin, après plusieurs algarades très vives, lui tournait franchement le dos ; on dit que le maréchal avait déjà pris son parti de la brouille et qu'il songeait à remplacer Barbin, Mangot et Richelieu par des hommes qu'il considérait comme plus surs : Ruccelaï, de Mesmes et Barentin[122].

Quoi qu'il en soit, l'attitude de l'évêque de Luçon, en cette conjoncture, est digne de toute curiosité. Il ne se fait plus d'illusion ; il ne cache même pas sa tristesse et ses appréhensions ; seulement il essaye de se tirer personnellement d'affaire et de sauver ce qui peut être sauvé.

Tandis qu'à l'égard de Concini, il multiplie les prévenances, les lettres obséquieuses, les paroles de confiance ou les protestations de dévouement, il s'éloigne cependant à reculons, cherchant, à la dérobée, quelque issue. L'évêque va trouver le nonce du pape, lui conte ses inquiétudes et ne lui cache pas qu'il est las des agitations de la politique et, qu'une grande situation ecclésiastique, l'archevêché de Reims, par exemple, ou le chapeau de cardinal, lui conviendrait parfaitement. Il s'adresse aussi à la reine mère ; l'avertit des dangers que la politique téméraire de Concini fait courir à elle et à ses amis ; elle en convient ; l'évêque insiste ; il parle encore de lassitude, de découragement ; il offre de céder la place à d'autres : J'allai au Louvre, je parlai à la reine, lui fis instance de permettre à Barbin et à moi de nous retirer... Elle me dit qu'elle me répondrait dans les huit jours. Cela m'arrêta et m'empêcha de parler au roi que ces huit jours ne fussent expirés, avant lesquels le maréchal fut tué. On joue, en même temps, un jeu plus dissimulé et plus profond. Le beau-frère de l'évêque de Luçon, M. de Pont-Courlay, aborde Luynes secrètement et lui fait des offres de service au nom du secrétaire d'État ; celui-ci promet de n'agir que d'après les ordres directs du roi et de le tenir au courant de tout ce qui se fait dans l'entourage du maréchal d'Ancre. Cela ressemble fort à une trahison. Or, ces propositions sont si sérieuses qu'elles sont prises en grande considération par Luynes comme venant de la plus saine tête du conseil du maréchal, et que peu s'en fallut qu'elles ne modifiassent les résolutions déjà prises dans l'entourage du roi[123].

Concini, si aveuglé qu'il soit, n'est pas dupe. Il devine qu'il se trame quelque chose. Luçon le gêne dans ses projets, se met en travers de la fortification de Quillebœuf, place forte de la Normandie, dont le maréchal venait d'obtenir le gouvernement et qu'il munissait, par précaution, comme la clef du royaume. Il le prend avec l'évêque sur son ton ordinaire : Par Dieu, Monsieur, lui écrit-il, je me plains de vous ; vous me traitez trop mal. Vous traitez la paix sans moi ; vous me faites écrire par la reine... Que tous les diables, la reine et vous, pensez-vous que je fasse ? La rage me mange jusqu'aux os[124].

Concini se précipite ainsi vers sa perte, s'aliénant tout le monde par la fureur de ses emportements. Quel contraste avec le procédé onctueux et félin de Luynes, timide et soupçonneux[125]. Depuis des mois, celui-ci agit sur l'esprit du roi par une pression continue et caressante. L'objet des longues conversations, au chevet du lit ou dans les embrasures de fenêtres, est toujours le même. On montre au jeune souverain son royaume dans la main de cet étranger. On lui répète qu'il n'y a plus un grand seigneur en France qui ne soit hostile au favori de la reine mère. On excite les sentiments de jalousie qu'il garda toute sa vie à l'égard de son frère Gaston, et on lui signale les préférences de Marie de Médicis pour ce cadet. On prend le roi par ses dispositions ombrageuses, le jeune homme par la vanité, l'enfant qu'il est encore, par la peur. Qu'est-ce que ces devins et ces astrologues consultés sans cesse par le Concini et par sa femme, sinon des jeteurs de maléfices et de mauvais sort ? D'ailleurs, on montre, sous le manteau, des lettres, vraies ou supposées, de Barbin, pleines de desseins contre sa personne sacrée. On attire son attention sur ce fait que les gardes de la reine sont substitués à ses propres gardes, comme si on eût eu dessein de. tenir sa personne en la puissance de cette troupe. À la moindre indisposition, on laisse comprendre avec des gestes d'effroi, des attentions inquiètes, des demi-allégations, des réticences, qu'il pourrait bien être question de poison.

Sur ces entrefaites, Concini fait une faute lourde. Il part pour la Normandie. Il va surveiller les fortifications de Quillebœuf qui n'avancent pas assez vite à son gré. Il laisse la place à ses adversaires. Ceux-ci, moins attentivement surveillés, mettent les fers au feu pour le coup décisif. D'ailleurs, ils sentent qu'il faut en finir. Soissons a été investi le 6 avril. En même temps, Rethel est assiégé. Le duc de Nevers demande à s'arranger. Le 13 avril, on délibère au conseil sur ce qu'il y a à faire. Le roi y assiste cieux fois, ce qui n'est guère dans ses habitudes et, à l'issue de la réunion, il va, chaque fois, rendre compte à Luynes. La réponse arrêtée est dure pour Nevers. On lui demande, en somme, une capitulation, sans condition. Rethel se rend le 16. On attend, de jour en jour, la prise de Soissons. Si on tarde jusque-là, Concini l'emporte... Il rentre à Paris, le 11, décidé à en finir, lui aussi. Le drame se noue. Les deux partis sont résolus. Ils se surveillent sournoisement[126].

Les résolutions extrêmes paraissent avoir été envisagées, pour la première fois, au début d'avril, trois semaines avant l'exécution. Tout d'abord, on avait songé à s'enfuir vers l'armée des princes et à leur demander main-forte. Mais les ministres, comme On l'a vu, avaient probablement eu quelque soupçon de ce projet, puisqu'ils avaient contremandé le voyage du roi. Au retour du maréchal d'Ancre, Louis XIII et Luynes commencèrent à parler entre eux de l'arrestation et même de la mort du maréchal. On pensa d'abord à le faire tuer dans le cabinet d'armes du Louvre, en présence du roi, par un homme seul, Montpouillan, fils du maréchal de la Force, qui se chargeait du coup. Mais on renonça vite à ce dessein trop aventureux. On revint vers l'idée de l'arrestation. Chaulnes, frère de Luynes, conseilla de s'adresser au baron de Vitry, capitaine des gardes du corps, homme d'exécution. Il fut sondé par le sieur du Buisson, commis subalterne de la volerie, — car tout cela se passe entre assez minces personnages. Vitry .se dit prêt à faire tout ce que le roi lui commanderait. C'est le vendredi que Vitry est averti ; l'exécution est fixée au surlendemain, dimanche. Durant ces deux jours, on ne dormit guère dans l'entourage intime du roi. Tout le monde, et Louis XIII le premier, vivait dans la crainte d'une indiscrétion qui renverserait les rôles, et mettrait en péril les conjurés. On était entouré d'espions. Les moindres mouvements de la partie adverse paraissaient suspects. On eut plusieurs fausses alertes. Le dimanche, le roi qui fut, dans tout cela, admirable de secret et de dissimulation, alla à la messe, vit sa mère, et rentra chez lui, pour attendre. Mais le coup manqua, par un défaut de coïncidence dans les heures et les rencontres prévues.

Le lundi 24, le roi se leva de grand matin et fit dire qu'il allait à la chasse ; mais sous un prétexte on sous un autre, il tarda jusqu'à dix heures. Luynes, d'Ornano, Bautru, étaient auprès de lui. On causait à voix basse. Les chevaux étaient tout sellés, hors du Louvre, en cas d'échec. Vitry avait aposté une vingtaine d'hommes résolus aux divers endroits de la cour intérieure. Les groupes devisaient entre eux ; mais les principaux étaient aux aguets. Vitry était dans la grande salle des Suisses, assis sur un coffret, son manteau sur l'épaule, les jambes ballantes, un bâton  à la main.

Sur les dix heures, on annonça que le maréchal sortait de son logis, situé, comme on sait, sur le terre-plein du Louvre, et s'avançait vers la porte située en face Saint-Germain-l'Auxerrois, accompagné, comme d'ordinaire, d'une troupe nombreuse de solliciteurs et de courtisans. Comme le maréchal franchissait le pont dormant et allait mettre le pied dans la cour, Vitry se dirigea rapidement vers lui. Mais arrêté par un importun, il le laissa passer, ne le vit plus et dut demander : Où est le maréchal ? On le lui montra qui lisait une lettre. Il s'avança, parmi la presse des gentilshommes, lui mit la main sur le bras droit, disant : Le roi m'a commandé de me saisir de votre personne. Le maréchal se retourne, dit : A mè ! et porte la main à la garde de son épée. Vitry répond : Oui, à vous, le saisit plus fortement et fait signe à ceux de sa suite qui, sortant le pistolet de dessous le manteau, tirent au visage. Trois balles fracassent la gorge, la mâchoire, le front ; d'autres hommes frappent à coups d'épée. Le maréchal tombe sur les genoux ; il est mort. Vitry l'étend à terre d'un coup de pied et crie : Vive le roi ! Ceux qui entouraient le maréchal ont fait à peine mine de résister. Un mot a suffi pour que tout le monde s'inclinât : C'est l'ordre du roi[127].

Le colosse mort, on s'aperçut combien il était peu de chose. Ce fut une ruine immédiate, absolue, complète, une poussière. Catherine, la femme de chambre de la reine mère, entendant les coups de pistolet, s'était mise à la fenêtre de la chambre de.la reine, et appelant Vitry lui-même qui allait et venait au milieu de la cour pour surveiller toutes choses, elle lui demanda ce que c'était. Il lui dit que le maréchal d' Ancre venait d'être tué, que c'était lui qui l'avait fait, par l'ordre du roi. La femme de chambre ferma le châssis et courut prévenir sa maîtresse. Ohimé ! s'écria la reine, j'ai régné sept ans, je n'attends plus qu'une couronne au ciel.

Quelqu'un qui se trouvait là demanda comment il fallait prévenir la maréchale : Eh ! répondit la reine, j'ai bien d'autres choses à penser ; si on ne veut pas le lui dire, qu'on le lui chante. Elle allait, échevelée, par la chambre, battant des mains : Qu'on ne me parle plus de ces gens-là Je les ai bien prévenus. Ils auroient dû repartir pour l'Italie. J'ai assez à faire de m'occuper de moi.

La maréchale d'Ancre apprit l'événement par l'arrivée des gardes du roi. La porte de sa chambre étant ouverte, elle les vit et demanda ce qu'il y avait. On lui dit : Madame, il y a de mauvaises nouvelles ; monsieur le maréchal est mort. Elle reprit : Il a été tué ; c'est donc le roi qui l'a fait tuer. Elle s'écria que son mari était un orgueilleux, un fou, le lui avait bien prédit. Puis, faisant un retour sur elle-même, elle mit ses pierreries et ses billets dans la paillasse de son lit, et, s'étant fait déshabiller, l'Italienne, comme un animal blessé, se coucha.

Bientôt les gardes de Vitry pénétraient chez elle et la faisaient lever. Ils bouleversèrent tout dans sa chambre, la dépouillèrent de ce qu'elle aimait le plus, ses pierreries, ses bagues, l'or, l'argent que, par précaution, elle portait toujours sur elle. Elle ne trouva même plus de bas pour se chausser et dut en faire demander à son jeune fils, qui lui envoya aussi quelques écus qu'il avait sur lui ; et la favorite déchue, dont les grandeurs avaient déséquilibré le corps et l'âme, commença à monter le rude calvaire, où elle se releva, et où l'histoire miséricordieuse inscrit, sur un fond de tortures et de douleurs excessives, sa curieuse physionomie de petite femme énergique et noire[128].

Luçon était chez un de ses amis, recteur de Sorbonne, où la nouvelle fut apportée par un autre sorboniste qui venait du Palais. Il dit lui-même qu'il fut surpris et qu'il n'avait pas prévu que ceux qui étaient auprès du roi eussent assez de force pour machiner une telle entreprise. II revint par le Pont-Neuf et apprit, du frère du Père Joseph, que le roi le faisait chercher. Il se rendit, auparavant, chez la reine, où il trouva Barbin et Mangot, dans les écuries, très effrayés. On disait. que le roi était surtout excité contre Barbin. Il fut décidé que Luçon, évêque et moins compromis, irait devant. Gagnant donc la galerie du Louvre, il vit le roi, monté sur un billard, au milieu de toute la cour très échauffée et multipliant, à grand bruit, les protestations de fidélité.

Le roi distingua l'évêque parmi ces porte-épée. Du plus loin qu'il le vit, il l'appela et lui cria : Eh bien, Luçon ! enfin me voilà hors de votre tyrannie. Sans le laisser répondre, le roi ajouta : Allez, allez, ôtez-vous d'ici. Le prudent Luynes, qui était près du roi, intervint.. Il donna l'assurance que Luçon avait toujours bien conseillé la reine mère et Concini. L'évêque se sentait sauvé ; il parla à son tour et même, si ou l'en croit, avec quelque dignité, puisqu'il essaya d'intervenir en faveur de ses collègues, Barbin et Marigot. Mais on ne voulut pas l'entendre. Le roi lui dit seulement de se rendre au Conseil, où déjà s'étaient e réunis les ministres nouveaux, qui n'étaient, en somme, que les anciens ministres revenus en faveur : du Vair, Villeroy, le président Jeannin. Il semble que Luçon se soit fait l'illusion de croire qu'il pourrait encore siéger parmi eux. Mais le vieux Villeroy, qui n'avait pas oublié tant d'avanies qu'on lui avait fait subir, demanda, dès qu'il le vit entrer, en quelle qualité l'évêque se présentait. Celui-ci ne dit mot ; personne ne lui parlait, Il se tint un moment debout près de la porte et, selon sa propre expression, se retira doucement.

Rentré chez lui, il put philosopher à loisir sur l'inconstance de la fortune et le peu de sûreté qu'il semble qu'il y a aux choses qui paraissent être assurées en la condition humaine. Il apprit, en effet, que Mangot avait été arrêté par l'ordre du roi, que Ballin, qui, dans toute cette affaire, s'était conduit bravement, avait des gardes en son logis, que personne ne leur parlait et qu'il était question de leur donner des juges.

Dans la journée du lendemain, tin spectacle auquel il assista par .hasard, lui découvrit plus encore la grandeur du péril et toute l'horreur de la situation.

Le corps du maréchal d'Ancre, relevé dans la cour du Louvre, avait été dépouillé, et, nu, mis en un drap dont les deux bouts furent attachés par une ficelle, puis trahie sous les marches d'un escalier, près de la porte. La nuit venue, on l'avait porté à Saint-Germain-l'Auxerrois et enterré secrètement, sous les orgues. Mais le peuple de Paris eut vent de la chose et, dans le désordre qui accompagne ces grandes catastrophes, la violence n'ayant plus de frein, la foule s'était précipitée dans l'église, avait déterré le corps et, l'ayant traîné sur le Pont-Neuf, l'avait pendu par les pieds à une potence qu'il y avoit fait planter lui-même pour faire peur à ceux qui parlaient mal de lui. Là, sur ce cadavre, le peuple assouvit sa haine et se livra à la plus horrible boucherie. On lui coupa le nez, les oreilles, et le reste, on jeta les entrailles dans l'eau, on fit rôtir des morceaux de chair découpés dans ce corps ; on essaya de brûler les membres ; et enfin, ce qui restait du cadavre demi-carbonisé fut encore tramé et dépecé par les rues et les carrefours de la ville.

Luçon, allant chez le nonce, devait justement passer par le Pont-Neuf. Il se trouva, dans son carrosse, engagé au milieu de cette foule hurlante et trépignante : Les cochers étant peu discrets, le mien en chapitra quelqu'un qui commença à vouloir émouvoir noise sur ce sujet. Au même instant, je reconnus le péril où j'étois, en ce que, si quelqu'un eût crié que j'étois un des partisans du maréchal d'Ancre, leur rage étoit capable de les porter aussi bien contre ceux qui, aimant sa personne, avoient improuvé sa conduite, comme s'ils l'eussent autorisée. Pour me tirer de ce mauvais pas, je leur demandai, après avoir menacé mon cocher extraordinairement, ce qu'ils faisoient ; et m'ayant répondu selon leur passion contre le maréchal d'Ancre, je leur dis : des gens qui mourroient au service du roi ; criez tous : Vice le roi ! Je commençai le premier, et ainsi j'eus passage ; et me donnai bien de garde de revenir par le même chemin ; je repassai par le pont Notre-Dame[129].

La reine mère était restée chez elle, entourée de Mme de Guise, de la princesse de Conti, de Mme de Guercheville et d'autres dames de la cour. N'ayant pas de nouvelles du roi, elle envoya vers lui son écuyer, Bressieu. On dit à celui-ci que la reine se tint tranquille et que le roi la traiterait comme sa mère ; mais qu'il vouloit désormais être roi. On changea les gardes de la reine mère et on les remplaça par les gens de Vitry. Elle demeura donc enfermée et, en réalité, prisonnière. Cette captivité dura neuf jours. Ce pendant, au bout de quatre ou cinq jours, quand le premier feu de la colère fut apaisé, le roi consentit entrer en pourparlers pour régler la situation qu'on allait faire à Marie de Médicis, mais tout en refluent toujours de la voir.

C'est ici que Luçon apparaît dans le nouveau rôle qui va are le sien pendant des années, celui de conseiller et de favori de la reine mère. Concini mort, sa femme prisonnière, Barbin écarté, Marie de Médicis, qui ne pouvait are seule, n'avait plus que Luçon. Il fut l'intermédiaire des négociations. Luynes n'était pas fâché de se servir de lui et de le ménager[130]. Ainsi, dans ce désastre, il sut prendre immédiatement un rôle qui lui gardait, en somme, une certaine figure et qui le rendait utile aux cieux partis.

Tandis que des collègues du ministère étaient mis sous les verrous ou traités en suspects, que les serviteurs du maréchal d'Ancre étaient requis à son de trompe de sortir hors de Paris[131], que tous les partisans de la reine mère étaient mis hors d'emploi[132] ; seul l'évêque de Luçon fut traité avec égards. Il le constate lui-même avec satisfaction et il ajoute que Luynes lui offrit de rester au conseil avec tous ses appointements[133].

Mais il crut plus habile et plus honorable de mettre ce peu d'influence qu'il s'était ménagée au service de sa maîtresse.

La négociation dont il se chargea fut adroitement conduite. Il fut décidé que la reine irait en son château de Moulins ; qu'en attendant que les réparations fussent faites, elle pourrait s'arrêter à Blois ; qu'elle ne serait accompagnée que de ceux qu'elle voudrait ; qu'elle aurait pouvoir absolu non seulement dans la ville de sa résidence, mais dans toute la province où elle se trouverait située ; qu'elle pourrait jouir de tous ses apanages et appointements et que, si cela ne suffisait, on lui donnerait davantage ; que le roi la verrait infailliblement avant son départ, et que Barbin aurait la vie sauve et serait traité avec ménagement.

Le départ fut fixé au 3 mai. Le roi vint la visiter ce jour-là L'entrevue fut froide et politique, non tendre, ni de mère à fils. La reine l'appela Monsieur. Le roi répondit par un compliment apprêté que Luynes lui avait fait apprendre par cœur. La reine baisa le roi à la bondie, sans l'embrasser ; pourtant, à la fin, elle fondit en larmes, quand son second fils, Gaston, vint prendre congé d'elle ; elle le serra par deux fois, sans pouvoir presque parler. Mais, aussitôt., elle se reprit, et elle reçut, le visage froid et immobile, les compliments de la cour et de la ville, venues pour la saluer à son départ. On devinait, dans ce silence et dans cette froideur, l'orgueil blessé, la dissimulation et le désir de vengeance qui étreignaient le cœur de l'Italienne, chassée du pouvoir dans des circonstances si tragiques.

Au bas du perron, des carrosses attendaient la reine et sa suite. Laissons parler maintenant l'évêque de Luçon : Elle sortit du Louvre simplement vêtue, accompagnée de tous ses domestiques qui portoient la tristesse peinte-sur leur visage ; et il n'y avoit guère personne qui eût si peu de sentiment des choses humaines que la face de cette pompe quasi funèbre n'émût de compassion. Voir une grande princesse, peu de jours auparavant commandant absolument à ce grand royaume, abandonner son trône et passer, non secrètement et à la faveur des ténèbres de la nuit cachant son désastre, mais publiquement, en plein jour, à la vue de tout son peuple, par le milieu de sa ville capitale, comme en montre, pour sortir de son empire, étoit une chose si étrange qu'elle ne pouvoit être vue sans étonnement. Mais l'aversion qu'on avoit contre son gouvernement étoit si obstinée, que le peuple ne s'abstint néanmoins pas de plusieurs paroles irrespectueuses en la voyant passer, qui lui étoient d'autant plus sensibles que c'étoient des traits qui rouvraient et ensanglantoient la blessure dont son cœur étoit entamé[134].

Derrière la longue file de voitures qui emportait, comme dans une débâcle, ce qui restait de la coterie tombée, tout à la fin, dans le dernier carrosse, se trouvait l'évêque de Luçon accompagné de l'évêque de Chartres. Fermant le cortège de cette pompe quasi funèbre, il recueillait, en une heure décisive, la grave leçon que sa jeunesse, maintenant close, laissait à sa maturité.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Ces changements fréquents de ministres étonnaient l'opinion. L'ambassadeur Vénitien écrit : On parle encore de changements dans le ministère. Cette fois, il s'agirait d'écarter Phélypeaux, Sceaux et Loménie. Il y a quelques jours, Mangot a dû perdre sa charge, en raison de sa parfaite inaptitude aux affaires de l'État. Ces changements constants des ministres sont habituels maintenant et nuisent aux affaires. Amb. Vén. (t. 1770, f° 181).

[2] Correspond. de BENTIVOGLIO (t. I, p. 124).

[3] Sur la façon de tenir les conseils, voir un passage du Journal d'ARNAULD (p. 244).

[4] Voir la Correspondance de RICHELIEU, t. Ier, sous l'année 1617, et t. VII, notamment, p. 924 ; remarquer les formules : permette, ordonne.

[5] BENTIVOGLIO (I, p. 72).

[6] PONTCHARTRAIN dit : Barbin que je nomme le premier, comme étant celui qui conduisait toutes les affaires (t. II, p. 306).

[7] Lettres du 15 déc. 1616 et du 17 janvier 1617 (t. I, p. 32).

[8] Lettre du 28 mars 1617 (t. I, p. 165).

[9] Caput apologeticum (Correspond., t. VII, p. 422).

[10] Voir l'incident très vif raconté dans les Mémoires de BRIENNE (édit. de 1721, t. I, p. 62). Brienne contesta la préséance accordée à Luçon, disant que sa qualité d'évêque, que l'on invoquait, l'obligeait à résider : Nous trouvailles dans le cabinet de la Reine l'évêque de Luton et Richelieu, son frère. Barbin s'adressant à l'évêque lui dit ce qui s'étoit passé entre nous, en présence de Sa Majesté Celui-ci oublia pour lors ce qu'il m'avoit souvent protesté qu'il vouloit être de mes amis, et l'expérience qu'il avoit fait de ma bonne foi, en m'adressant les lettres qu'il écrivoit à la Reine, pendant le voyage de Guienne : car il me dit, d'un ton fier, qu'il y avoit longtemps qu'il savoit que plusieurs personnes (et moi particulièrement) qui approchaient le Roi, avoient peu de considérations pour l'Église. Ma réponse fut modérée et je me contentai de lui repartir que le regardant comme évêque et le trouvant dans la maison de Sa Majesté, je n'avois rien à lui dire, mais que je ne conseillais pas à son frère, vers lequel je me retournai de me tenir un pareil langage... Il fallut bien céder devant les injonctions du maréchal d'Ancre et de Barbin, et Luçon eut la préséance.

[11] Voir les deux commissions, celle qui nomma l'évêque et celle qui lui accorde la préséance dans le Recueil d'AUBERY, (t. I, p. 6 et 7).

[12] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 132). — LE CLERC dit qu'il céda sa charge à l'évêque de Langres et qu'il en tira une bonne somme d'argent dont il paya quelques dettes de sa maison et se lait en état de vivre avec plus de splendeur à la cour. Vie du Cardinal, édit. de 1753 (t. I, p. 20).

[13] Le pape approuve le choix de Luçon comme ministre et prescrit au Nonce de remercier le maréchal d'Ancre de cette nomination : BENTIVOGLIO (t. I, p. 61).

[14] BENTIVOGLIO (t. I, p. 83), et Correspond. (t. VII, p. 377).

[15] Recueil de diverses pièces (édit., de 1637, p. 27).

[16] Cité dans Correspond. (I, p. 513, note).

[17] Lettre de Monteleone, citée dans CAPEFIGUE, Richelieu, etc., 1844 (t. I, p. 177).

[18] Il viscovo rispose in italiano : Signori, vi giuro da cavalier e gentilhuomo, che il Re vuole clic habbiate il passo... Ambass. Vénit. (vol. 1770, f° 154).

[19] Aristippe, Discours quatrième, dans l'édit. des Œuvres de BALZAC publiée par Moreau, 1854, in-12° (t. II, p. 203).

[20] Le 27 novembre, on avait appris que Bouillon renforçait la garnison de Sedan. Le 10, décembre, on a nouvelle à la cour que Nevers a surpris Sainte-Menehould, et y a mis une forte garnison.

[21] RICHELIEU appelle Bouillon le démon des rébellions. (Mémoires, I, p. 130).

[22] Journal d'ARNAULD (p. 200).

[23] Lettre du 23 déc. 1616. Correspondance (t. VII, p. 327).

[24] Voir Correspond. des Ambass. Vénit. (t. 1770, f° 291).

[25] PONTCHARTRAIN (t. II, p. 267) et Ambass. Ven. (f° 300).

[26] Journal d'ARNAULD (p. 246). — Cet incident a frappé Richelieu. Car il en fait mention dans ses notes intimes. Voir Maximes d'État et fragments politiques... dans Collect. des Documents Inédits (p. 729)...

[27] Voir tous ces faits dans les Mémoires d'ARNAULD D'ANDILLY, qui collabora, avec son oncle Arnauld, l'intendant, à la confection de ce travail (édit. de 1734, p. 110). — Voir aussi Journal d'ARNAULD (p. 252).

[28] On songeait même à recourir aux troupes espagnoles : La reine fait toujours de grands efforts pour retirer Amiens au duc de Montbazon et le donner au maréchal d'Ancre. Non pas tant pour être agréable au dit maréchal d'Ancre que pour sa propre cause ; car elle désire entièrement être, par lui, en possession complète de la Picardie, pour pouvoir, au besoin, faire pénétrer, par là, dans le royaume un secours d'Espagnols. Lettre des Ambassad. Vénit., datée du 13 décembre 1616 (vol. 1770. f° 166). — Sur le plan politique de la Reine et du maréchal d'Ancre, V. Mémoires de PONCHARTRAIN (t. II, p. 268). — Il est à remarquer que Richelieu confirme ce détail, en disant qu'il s'opposa toujours au projet de la Reine et du maréchal d'Ancre. (Mémoires, I, p. 496) ; Voir aussi Correspondance (t. VIII, p. 16).

[29] Minute inédite de la main de Richelieu. — Fait partie de la collection des documents précieux, venant de Lord Asburnham, que la savante vigilance de M. Léopold Delisle a reconquis pour notre grand dépôt public.

[30] Correspond. (t. VII, p. 344).

[31] Correspond. (t. VII, p. 919, 922).

[32] Sur l'attitude de Du Maurier, cf. Correspond. (t. I, p. 240, note de M. AVENEL) et l'ouvrage si intéressant de M. OUVRÉ sur Aubery du Maurier, 1853 (p. 247).

[33] Les précédents de la question des défilés alpins sont remarquablement exposés dans le livre de M. ED. ROTT, Henri IV, les Suisses et la Haute Italie, la lutte pour les Alpes (1598-1610), Plon, 1882, in-8°. La carte jointe à cet ouvrage est précieuse à consulter.

[34] Cf. FONTENAY-MAREUIL (p. 80). — PERRENS, Mariages espagnols (p. 28-30 et p. 319). — WATSON, dans son Histoire de Philippe III, fait du duc Charles-Emmanuel un éloge vraiment hyperbolique (t. II de la traduction française, p. 116). — La Réponse aux plaintes des Malcontens, insérée dans le Mercure françois dit judicieusement : A la vérité, il seroit grandement à désirer que, comme la valeur et le courage de ce prince font qu'aujourd'hui il est en admiration parmi les plus belliqueux... il y eut aussi en luy, pour tempérer cette ardeur et magnanimité d'esprit, la froideur et égalité aux affaires que doivent nécessairement avoir tous les princes qui ont leurs États médiocres et qui ont des voisins beaucoup plus puissants qu'eux-mêmes. Mercure françois (t. IV, p. 111).

[35] L'Espagne, vraiment, l'avait échappé belle. Henri IV s'était engagé à fond, pour suivre en Italie, d'accord avec la Savoie, une politique qui eût modifié, probablement, il y a trois siècles, le sort de la péninsule. Je reviendrai sur la question. Voir, notamment, le Lesdiguières de M. DUFAYARD (p. 314), et relire l'exposé que fait Villeroy à l'ambassadeur vénitien Foscarini, le 14 juillet 1610, d'un grand projet de confédération italienne, avec le duc de Savoie et le pape, contre l'Espagne, dans Relazioni, XVIIe siècle, Francia, (t. I, p. 340). — La régence de Marie de Médicis avait modifié tout cela.

[36] SAINT-GENYS, Histoire de Savoie (t. II, p. 252). — Au sujet du mouvement d'opinion si accentué qui se produisit, à cette époque, en Italie, contre la domination espagnole, cf. DOMENICO CARUTTI, Istoria della diplomazia di Savola, Torino, Bocca, 1876 (t. II, p. 132).

[37] Voir la correspondance de l'ambassadeur vénitien CONTARINI, notamment ses lettres du 26 mai et du 16 juin (vol. 1768, f° 68 et 112-117) et, plus loin, l'importante lettre du duc de Savoie au sénat de Venise, au sujet de la paix d'Asti (f° 160-172).

[38] Sur les origines des affaires de Mantoue et du Montferrat, voir un bon mémoire dans le Mercure françois (t. IV, p. 114), et FONTENAY-MAREUIL, Mémoires (p. 66). — Je n'ai pas besoin d'ajouter que toutes les archives et tous les ouvrages relatifs à cette période sont encombrés de documents sur ce sujet.

[39] On trouvera un bon exposé de l'affaire et un tableau de l'attitude respective des puissances, au sujet du conflit entre l'archiduc Ferdinand et les Vénitiens, dans LEVASSOR (t. I, p. 569).

[40] Sur tous ces points voir DARU, Histoire de Venise (t. IV, p. 352). — L'appréciation sur les troupes vénitiennes est empruntée à la Correspondance de LÉON et au Journal de son ambassade, conservés à la Bibliothèque Nationale. — J'avais, par erreur, donné au commandant des troupes italiennes le nom de Frangipani. Celui-ci commandait dans Segna. M. le marquis Luigi Frangipani a bien voulu me signaler cette confusion et me communiquer l'épitaphe inscrite sur le monument de Giustiniani : Pompeio Justiniano, patritio genuensi, prœcipuarum arcium in Belgio expugnatori, intrepida brachii obtruncatione apud Oslend. cœleber. Venetœque R. P. cum armis imperio præf. gen. Ad notis invicto flammicrepo marte con fosso. MDCXVI. Armis et calamo bettatorib. conspicuo miratrici famæ servato post funus pub. statuam eq. et monumentum exs. c.

[41] C'est la fameuse conjuration de 1617-1618, au sujet de laquelle on a tant écrit et qui est, certainement, un des romans les plus passionnants que puisse présenter la réalité historique.

[42] DARU (t. IV., p. 379).

[43] Codex diplomaticus. LUNIG (t. II, pars 2, sectio G, XLI). — DARU (p. 369).

[44] LUNIG (loc. cit., XXXVIII).

[45] LEVASSOR (I, p. 575).

[46] Voir une très importante lettre de PIETRO CONTARINI, à la suite d'une audience de Marie de Médicis, le 8 mars 1616, où toute l'attitude de Venise à l'égard de la France, au lendemain des mariages espagnols, se trouve habilement exposée. (Bibl. Nat., f. Ital., vol. 1769, f° 5-15).

[47] Titre d'un pamphlet dédié à Richelieu, peu après la mort de Gustave-Adolphe. L'auteur avait sous les yeux un autre pamphlet publié en 1614, à propos des mariages espagnols, et intitulé l'Antipathie des Français et des Espagnols, par Ch. Gauvin.

[48] Préface de M. de ROHAN, sur les Intérêts des Princes qu'il a composés, Cologne, 1666.

[49] DUFAYARD, Histoire de Lesdiguières (p. 368).

[50] Henri IV disait qu'il voulait faire le Dauphin. Cependant il affectait de lui témoigner la plus grande confiance, ainsi que le prouve la conversation si importante dont Million nous a laissé le récit et qui a été analysée dans le tome Ier du présent ouvrage (p. 259-262). — Richelieu se méfia toujours de cet habile homme. - Voir Maximes d'État et fragments politiques, n° LXVIII (p. 766).

[51] V. l'ouvrage de M. DUFAYARD, passim et notamment p. 267.

[52] Lettre reproduite dans la Correspondance des Ambassadeurs Vénitiens (vol. 1770, f° 217).

[53] Ambassad. Vénit. (vol. 1770, f° 226).

[54] Mercure françois (t. IV).

[55] (Vol. 1770, f° 131). — Cf. l'exposé intéressant de l'affaire que PONTCHARTRAIN fait dans ses Mémoires. — C'est une lettre de Pontchartrain, du 2 décembre, qui interdit à Lesdiguières de passer en Italie. Elle est reproduite par les Amb. Vén.

[56] RICHELIEU en joignant à ses Mémoires le texte des Instructions à Schomberg fait les réflexions suivantes : Et d'autant que l'Instruction que je dressai pour le comte de Schomberg explique fort particulièrement l'ordre qui lui fut donné et justifie le mieux qu'il se peut toute la conduite du gouvernement de l'État depuis la mort du feu roi, joint que les princes d'Allemagne étaient ceux que principalement on considéroit, j'ai cru devoir la mettre en note pour la commodité du lecteur. Édit. Mich. et Pouj. (t. I, p. 137). Voir le texte plus complet donné par M. AVENEL, Correspondance (t. I, p. 208), avec les mentions bibliographiques complémentaires qui sont au t. VIII (p. 12). — On trouve dans la correspondance d'Allemagne aux Archives des Affaires Étrangères deux textes des Instructions données à Schomberg (t. V, f° 275 et f° 290). A la fin du texte on lit la mention suivante : Cette même instruction avoit été baillée par ledit Sr de Richelieu à M. Miron allant pour le roi en Suisse.

[57] Sur l'initiative prise par Béthune, voir lettre de Tresnel du 31 décembre 1616, Affaires étrangères, ROME (f° 400), et cf. Ambass. Vénit., vol. 1770, f° 225 : Il est arrivé avant-hier un courrier de M. de Béthune, proposant à S. M. de provoquer une conférence où il serait traité des affaires communes et de la paix d'Italie... il conseille en même temps à S. M. de ramener toute cette négociation à Paris... La lettre est du 3 janvier 1617.

[58] Villeroy garde une réelle influence sur les affaires, sous le ministère de son nouveau collègue, qui le consulte souvent. Voir Correspondance (t. I, p. 201 et 211, et t. VII, p. 419).

[59] Le roi saisit Sénecey, ambassadeur à Madrid, dès le 1er janvier 1617, par la lettre insérée dans Correspondance (t. VII, p. 330).

[60] Il fut question d'envoyer le marquis de Richelieu en Espagne, puis Marillac, puis La Rochefoucauld. Ambass. Vénit. (vol. 1770, f° 234).

[61] Correspondance (t. I, p. 260).

[62] Correspondance (t. I, p. 381), lettre du 12 mars 1617. Sur le double jeu de Richelieu à l'égard de Lesdiguières comparer la lettre qu'il écrit à Créqui, gendre du maréchal, le même jour (p. 381).

[63] Ambass. Vénit. (t. 1770, f° 249).

[64] Advertissement à la France, touchant les libelles qu'on sème contre le gouvernement de l'État, 1615.

[65] Voir les deux mémoires pour et contre dans le Mercure françois (année 1617, p. 37 et suiv.). — Cf. Correspondance (t. I, p. 255).

[66] Ces documents, publiés dans le Mercure françois, ont été reproduits dans la plupart des recueils de pièces relatives au règne de Louis XIII.

[67] Correspondance (t. VII, p. 347).

[68] ROHAN.

[69] Voir cette déclaration, notamment dans le Recueil de pièces concernant l'Histoire de Louis XIII depuis l'an 1617 jusqu'en l'année 1631, Paris, Montalant, 1716, in-12° (t. II, p. 37). Voir l'original Aff. Étr., Mém. et Doc. (Vol. 771, f° 37).

[70] Voir toute la correspondance des mois de janvier et février 1617, dans AVENEL, t. I et t. VII. Voir notamment lettre à M. Arnauld (t. I, p. 274), à M. de Riberpré, à M. de Champigny, à M. du Plunot, etc. — Au sujet des intendants, voir t. I (p. 238, 279, 333, 349, 396, 444, etc.).

[71] Correspondance de BENTIVOGLIO (t. I, p. 97 et 101). — Cf. Ambass. Vénit. (vol. 1770, f° 331).

[72] Correspondance (t. I, p. 350). — Sur l'activité et l'énergie déployée par l'évêque de Luçon dans toute cette période, voir la note de M. AVENEL (ibid., p. 357).

[73] T. I, p. 100.

[74] Mémoires (t. II, p. 268 et 271).

[75] Voir LEVASSOR (t. I, p. 505).

[76] BENTIVOGLIO (t. I, p. 131).

[77] Ambass. Vénit. (vol. 1770, f° 315).

[78] BENTIVOGLIO (t. I, p. 89).

[79] Mémoires de PONTCHARTRAIN (t. II, p. 275).

[80] BENTIVOGLIO (t. I, p. 106).

[81] Voir la fin de son Discours sur le Gouvernement de la France, en 1617.

[82] BENTIVOGLIO (t. I, p. 121-126).

[83] Voir la correspondance de Schomberg aux Affaires Étrangères, Allemagne, t. V, début de 1617.

[84] On leur avait aussi procuré de l'argent, en Hollande, au pays de Liège et en Allemagne. Ambass. Vénit. (vol. 1770, f° 328).

[85] Sur tous les détails de la campagne, la Correspondance de RICHELIEU renseigne au jour le jour.

[86] PONTCHARTRAIN.

[87] Voir Correspondance (t. VII, p. 328).

[88] Voir les détails intéressants, contenus dans une dépêche de l'ambassadeur vénitien Contarini, au sujet de la réception de l'ambassadeur d'Angleterre, lord Hay, par Marie de Médicis, le 23 juin 1615 : L'ambassadeur est chargé de dire tout l'attachement et la fidélité que son maure éprouve pour la famille royale de France à tel point qu'entre lui et le défunt roi l'engagement avait été pris de veiller au sort des enfants de celui qui viendrait à mourir le premier. Puis il proteste contre les mariages d'Espagne, invite la reine à mieux gouverner son royaume, le parlement ayant de justes sujets de plaintes, les peuples peu satisfaits, les princes mécontents, les huguenots inquiets... Puis il admoneste la reine au sujet de sa politique extérieure en Allemagne. La reine, assez embarrassée, renvoie à son conseil qui fera une réponse écrite. Amb. Ven. (vol. 1768, f° 125). — Cf. sur le même incident un passage des Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 100).

[89] Cité dans PERRENS, Mariages espagnols (p. 26) ; d'après Relat. N. MOLIN, 1607 (p. 46-66).

[90] Ambass. Vénit. (vol. 1770, f° 194). — Cf. BIRCH, An Historial View of the Negotiation between the courts of England, France, and Brussel, from the Year 1502 to 1617, extracted front the Ms State-Papers of Sir TH. EDMONDES, Londres, 1749, in-8° (p. 397).

[91] Correspondance (t. I, p. 452).

[92] Voir au fonds Godefroy, vol. CCLXVIII (tome III, pièce 93) : Lettre du duc de Bouillon aux États de la province de Gueldre, 10 avril 1617. Demande de secours contre le maréchal d'Ancre ; — p. 94 : idem aux États de la province d'Over-Yssel.

[93] Sur Aersens, voir la note de M. AVENEL (t. I. p. 270, et t. VII, p. 334 et 920), l'ouvrage de M. OUVRÉ sur Aubert du Maurier, et l'Histoire des Provinces-Unies de JEAN LECLERC, 2° édition, in f° (t. I, p. 317).

[94] Outre l'ouvrage de M. OUVRÉ, il faut avoir sous les yeux la Correspondance de DUPLESSIS-MORNY, et les Mémoires pour servir à l'Histoire de Hollande et des autres Provinces-Unies où l'on verra les véritables causes des divisions qui sont depuis soixante ans dans cette république et qui la menacent de ruine, par Messire LOUIS AUBERY, seigneur DU MAURIER, Paris, 1687, in-12°.

[95] Voir Correspondance (t. VII, p. 923-925).

[96] Voir toute la correspondance de SCHOMBERG, conservée aux Affaires Étrangères, Allemagne (vol. V, f° 274 et suiv.). — Voir, notamment, au f° 303 : Articles de la capitulation faite, au nom du Roy, avec le sieur comte Rhingraff, etc., fait à Francfort le 23e mars 1617, etc.

[97] Outre la correspondance de SCHOMBERG déjà citée, voir toute celle de BAUGY, conservée dans le même volume (vol. V, fol. 300 et suiv.). Notamment, lettre du 21 janvier 1617, de Baugy à Richelieu : L'archiduc Maximilien est résolu de ne bouger d'auprès de l'Empereur jusqu'à ce qu'il ait parachevé la besogne qu'il a entreprise eu faveur de l'archiduc Ferdinand, son cousin, lequel il veut porter à la succession de tout ce que possède Sa Majesté Impériale. Il a en jusqu'ici deux grandes oppositions, l'une des Espagnols, qui prétendent devoir être préférés audit Ferdinand en celle du royaume de Hongrie et de Bohême qui leur servirait de degré pour parvenir à l'Empire, et l'autre du cardinal Clezel pour la crainte qu'il a de perdre son autorité ou pour le désir d'en être lui-même le promoteur, afin que Ferdinand lui en ait l'obligation. Lettre déchiffrée (f° 313). — Cf. Correspondance (t. I, p. 250, p. 507 et 508), et FONTENAY-MAREUIL (p. 69).

[98] Lettre du 5 décembre 1616 (vol. 1770, f° 151).

[99] Lettre du 28 décembre (vol. 1770, f° 203).

[100] Lettre du 28 décembre (vol. 1770, f° 189).

[101] Ambass. Vénit. (vol. 1770, f° 189).

[102] Lettre du 17 janvier : Jusqu'ici, dit l'évêque de Luçon aux ambassadeurs, le royaume de France a, seul, le passage chez les Grisons. Il veut bien être agréable à Venise ; mais, à condition que le privilège des rois de France n'en souffre aucun dommage... Cependant par suite de l'intervention du maréchal d'Ancre et en raison de l'ancienne alliance, on est disposé à envoyer à Gueffier l'ordre de ne plus s'opposer à la conclusion du traité entre Venise elles Grisons, à condition que le passage ne soit accordé aux Vénitiens que pour la défensive, tandis que la France pourra continuer à se servir du chemin, en tout temps et comme il lui plaira. (Vol. 1770, f° 247, f° 275, 280, 308.) — Les instructions données à Gueffier sont beaucoup plus positives encore. Le roi écrit à Léon : J'ai mandé à Gueffier qu'au cas où on veuille insérer en cette alliance les articles que je lui ai envoyés, il s'oppose ouvertement à ce que telle chose ait lieu pour le préjudice qu'elle me causerait. (Correspondance, t. VII, p. 338.)

[103] Ambass. Vénit. Lettre du 22 janvier (f° 280).

[104] Toute la politique tortueuse de Luçon est résumée, par lui-même, dans une lettre adressée à Sancy, ambassadeur à Constantinople : Le roy estime faire beaucoup s'il peut tenir les choses en telle balance que, sans rompre avec le roi d'Espagne, il empêche la perte de M. de Savoie qu'il est obligé de conserver par raison d'État, c'est ce qui lui fait et vouloir retirer ledit Sieur Lesdiguières, et, tout ensemble, faire la paix. (Correspondance, t. VII, p. 312.)

[105] Lettre du 25 janvier, à M. de Sancy ; Correspondance (t. VII, p. 310).

[106] Toute la lettre des ambassadeurs du 21 janvier est importante (vol. 1770, f° 103). Conférer la lettre de BENTIVOGLIO du 27 janvier (t. I, p. 55).

[107] Voir les lettres de Baugy, notamment celle de Prague du 21 janvier. Aff. Étr. ALLEMAGNE (t. V, f° 314) et la lettre du 25 février (f° 329).

[108] Correspondance (t. VII, p. 345 et 362).

[109] Voir tout le récit de cette scène si animée, dans la lettre des ambassadeurs du 7 février (vol. 1770, f° 321).

[110] BENTIVOGLIO (t. I, p. 108).

[111] Correspondance (t. VII, p. 362 et p. 919, 922). Voir aussi la lettre du 7 avril (t. I, p. 449).

[112] Sur le Tiers-Parti, voir notamment PONTCHARTRAIN (t. II, p. 255) ; le Libre discours de M. de Rohan sur le temps présent, 1617 ; BENTIVOGLIO, lettre du 28 février 1617 (t. I, p. 120).

[113] V. Mercure François, p. 189 ; BENTIVOGLIO (t. I, p. 86) ; Correspond. (I. I, p. 490).

[114] BENTIVOGLIO (t. I, p. 107).

[115] M. de Sully a écrit à la Reine de son style ordinaire qui décrie le gouvernement ; mais, à mon avis, ses humeurs se déchargeront par sa plume. Lettre de RICHELIEU du 9 avril, Correspond. (t. VII, p. 371.)

[116] BENTIVOGLIO (t. I, p. 122).

[117] Ambass. Vénit. (vol. 1770, f° 327).

[118] BENTIVOGLIO (t. I, p. 148).

[119] Voir Correspondance (t. I, p. 449, 477-487, 501).

[120] PONTCHARTRAIN (t. II, p. 285).

[121] Tous les déboires de Louis XIII, par suite de l'insolence du maréchal d'Ancre, ont été relevés et mis en lumière par BASCHET, le Roi chez la Reine (p. 280-285). — Cf. HÉROARD (t. II, p. 204). — PONTCHARTRAIN (t. II, p. 286) et surtout : la Relation publiée dans l'Histoire des plus illustres favoris de PIERRE DUPUY, 1659, in-12°.

[122] RICHELIEU, Mémoires (p. 152).

[123] Sur l'attitude de Richelieu, cf. le récit circonstancié qu'il fait dans ses Mémoires, et le Caput apologelicum dans la Correspond. (t. VII, p. 416). Voir, en outre, toute la correspondance avec d'Ancre qui reste si obséquieuse pendant les mois de mars et d'avril. Tout au plus, une petite nuance de froideur, dans la lettre du 1er avril (t. I, p. 485, et t. VII, p. 380, 382, 926). — Rapprocher surtout ses confidences au nonce du pape, dans les lettres de celui-ci du 14 mars et du 25 avril. — Pour la démarche faite auprès de Luynes, elle est mentionnée dans la Relation publiée par Duruy (p. 9).

[124] RICHELIEU, Mémoires (p. 152).

[125] RICHELIEU, Mémoires (p. 154). Cf. la Relation publiée par Duruy et les Mémoires de MONTPOUILLAN, dans le t. IV des Mémoires de la FORCE.

[126] Voir tous les détails, jour par jour, dans le Journal d'ARNAULD D'ANDILLY et dans la Correspondance des Ambassadeurs Vénitiens (vol. 1770). Il ressort de tous les documents que le ministère touchait au but et qu'il allait l'emporter ; c'est ce que reconnait PONTCHARTRAIN, peu suspect : Néanmoins par le soin et diligence qui y est apportée par ces nouveaux ministres : ces princes et grands avaient été si vivement attaqués et serrés de si près qu'ils étaient au désespoir et ne savaient où avoir recours et même on ne se souciait pas de les recevoir à grâce, et ce changement leur arriva à grand'heur pour échapper et être délivrés de leur entière ruine... — (t. II, p. 306). Cf. le récit d'ARNAULD (p. 285) : J'ai ouï dire à M. Barbin, le 23 mars 1618, que véritablement les affaires du Roi étoient en tel état que les princes ne pouvaient pas durer encore trois semaines et étaient réduits ou à mourir sur la brèche, ou à se jeter entre les bras du Roi et en sa miséricorde.... Richelieu le sentait si bien qu'il jouait le tout pour le tout : Il écrivait le 23 avril, veille de la catastrophe : Je vous assure que les finances de S. M. sont si courtes que, par le désir que j'ai que son service ne retarde point, manque d'argent, j'ai mieux aimé avancer quinze cents livres du mien, ainsi que vous le verrez par la suscription que je vous envoie sur mon fermier (Correspondance, t. I, p. 529). Il n'y a jamais eu plus près de la coupe aux lèvres.

[127] Pour le récit du complot et du meurtre les documents contemporains abondent. C'est un fait public et qui a paru si extraordinaire que chacun eu a parlé à sa façon ; beaucoup même y ont voulu avoir leur part. J'ai suivi comme plus complets et mieux informés : la Relation de Duruy, les Mémoires de RICHELIEU, les Mémoires de MONTPOUILLAN, le Journal d'ARNAULD D'ANDILLY, les Mémoires de FONTENAY-MAREUIL, les lettres des ambassadeurs Vénitiens et celles de BENTIVOGLIO). — Cf. une petite brochure parue en 1853, chez Hachette, intitulée : Assassinat du Maréchal d'Antre, relation, anonyme attribuée au garde des sceaux Marillac. C'est un extrait de la Relation publiée dans le recueil de Dupuy.

[128] Il est étonnant que l'histoire ou du moins la curiosité n'ait pas tiré un plus grand parti du précieux document conservé à la Bibliothèque nationale (500 Colbert) et intitulé Procédures et arretz contre les accusés de crimes de Leze-Majesté, Tome IV, contenant plusieurs informations interrogations et autres pièces du procès de La Mareschale d'Ancre, en 1617. Ce sont les originaux. Les dépositions de. l'entourage 41e Concini et de sa femme, donnent, sur leur vie, les renseignements les plus précieux. Je citerai seulement cette déposition du valet de chambre, Desdiguières : La dite dame avoit à son service un nommé Montalte, médecin juif de religion et qui en faisait profession ;... depuis sa venue, il vit ladite maréchale changer d'humeur et ne se souciait plus de visiter les églises, même d'ouïr la messe comme elle avait accoutumé... et quitta le confesseur qu'elle avait et ne faisait plus de bien aux Carmes déchaussés... Dit aussi avoir reconnu que, depuis ledit temps, elle devint d'humeur fâcheuse et mélancolique et s'imaginait qu'on la pouvait ensorceler en la regardant fixement et qu'en lisant des lettres, on la pouvait empoisonner... qu'elle s'amusait à faire de petites boulettes de cire qu'elle mettait dans une boette, et puis les mettait dans un coffre. (f° 58). Un sieur Philippe Dacquin dépose que le dit Montallo l'entretenait souvent d'un livre qui se nomme, en langue hébraïque, Cepher Gheissira, qui vaut autant à dire que Livre de la création, qui contient les fondemens plus particuliers de la cabale hébraïque, qui est proprement la Magie ; que, par cette science, le Thalmud et les rabbins croient qu'un homme qui en sait la pratique, peut comme de nouveau créer un homme à sa dévotion, changer ses humeurs et habitudes, s'en faire aimer, de sorte qu'il ne lui puisse rien refuser... (f° 64). C'est sur ces misères que l'on établit le procès et la condamnation de la pauvre femme. Au fond, on en voulait à sa fortune et les Luynes avaient hâte de se partager ses dépouilles. La question d'argent a été très bien éclaircie par M. DE CRÈVECŒUR, dans sa brochure : Un Document nouveau sur la succession de Concini, Paris, Champion, 1891, in-8°.

[129] Mémoires (t. I, p. 159).

[130] La lettre de Richelieu à Luynes, du 10 mai, marque l'évolution, dans des termes frappants ; Richelieu, quinze jours avant, n'en écrivait d'aussi déférentes qu'au maréchal d'Ancre : Je vous rends mille grâces des bons offices que, de plus en plus, vous con-limiez journellement à me départir et particulièrement de la confiance qu'il a plu au roi me témoigner, par votre moyen, en agréant l'honneur que la reine mère a voulu me faire en m'établissant chef de son conseil et me mettant ses affaires entre les mains. Je ferai connaître à tout le monde que je m'acquitterai de cette charge au contentement de S. M. Correspond. (VII, 386).

[131] RICHELIEU, Mémoires (t. I, p. 160).

[132] De même, dit encore Richelieu, qu'en ces bâtiments qu'on mine par le pied, rien ne demeure, ainsi l'autorité de la Reine étant ruinée, tous ceux qui subsistoient en elle tombèrent par sa chute. (Ibid., p. 160.) — Barbin, notamment, fut arrêté aussitôt et conduit au For-l'Évêque, puis mis à la Bastille. On lui fit son procès. Condamné au bannissement, sa peine fut commuée d'une étrange façon, car on décida qu'il subirait une prison rigoureuse. Néanmoins, vers la fin de 1619, sur les instances de la reine, Barbin put sortir de la Bastille et quitter la France.

[133] RICHELIEU, Mémoires (t. I, p. 161).

[134] Mémoires (t. I, p. 164).— Il faut lire aussi tout le jugement porté sur le maréchal d'Ancre et sur sa femme (p. 170) : Heureux l'un et l'autre s'ils eussent vécu en l'amour et confiance qu'ils se devoient... etc. — Ce morceau et le Caput apologelicum, écrit en avril 1618, publié par M. AVENEL, sont des morceaux d'histoire du plus haut prix et montrent toute la distance qui sépare, même chez les hommes d'État les plus vigoureux, les jugements des actes, les velléités des volontés.