HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

LA JEUNESSE DE RICHELIEU (1585-1614)

CHAPITRE SIXIÈME. — LES PREMIÈRES VISÉES POLITIQUES ; L'ÉLECTION AUX ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1614 ; LE RETOUR À PARIS.

 

 

Que Richelieu, simple évêque de Luçon, fût préoccupé de la carrière politique à laquelle il se destinait[1] ; c'est ce qui résulte, avec la dernière évidence, d'un des documents les plus intéressants que nous ait laissés la jeunesse d'un grand homme : les Instructions et maximes que je me suis données pour me conduire à la Cour ; curieux mémoire retrouvé et publié par M. Armand Baschet[2].

Sur des feuillets détachés, une écriture hâtive a jeté comme le trop-plein des réflexions qui occupaient les loisirs du jeune évêque. Avide de clarté, il fixe ses pensées, leur donne, par la rédaction, le caractère précis et ferme de la chose mûrement délibérée, écrite. Ce procédé, il devait l'employer toute sa vie. Pas une résolution importante qu'il n'ait ainsi étudiée, discutée avec lui-même, la plume à la main.

Cette fois, c'est une sorte de bréviaire portatif de l'ambitieux de cour, qu'il écrit pour son usage personnel. L'ensemble du texte ne peut laisser de cloute sur la date de la rédaction. Elle remonte, évidemment, au temps de Henri IV. C'est donc avant le mois de mai 1610, probablement vers la fin de 1609, qu'il convient de la placer.

Pénétrons, à l'aide de ce mémoire, dans le secret le plus intime de cette âme ambitieuse. Tous les pas sont comptés, toutes les paroles sont pesées, tous les gestes sont surveillés ; rien n'est abandonné au hasard de l'improvisation. Un continuel empire sur soi-même subordonne toutes les manifestations de la pensée à la discipline d'une volonté toujours en éveil.

Dans son rêve, le rédacteur du mémoire quitte Luçon pour Paris.

Une fois arrivé, il choisira son logement et ne l'éloignera ni de Dieu ni du roi. Les premiers instants de la journée seront donnés à Dieu. Ce devoir rempli, on peut penser à autre chose, le reste du temps.

En ce qui concerne le roi, c'est un grand art de savoir quand et comment il convient de le visiter. Sans être importun, il faut se trouver là pourtant, aux moments propices : une fois par semaine à Paris, tous les deux jours à Fontainebleau, c'est la bonne mesure. Un joli portrait de Henri IV témoigne de l'attention psychologique du jeune courtisan : Les mots les plus agréables au roi sont ceux qui élèvent ses royales vertus. Il aime les pointes et les soudaines réparties. Il ne goûte point ceux qui ne parlent pas hardiment, mais il y faut du respect. L'importance est de considérer quel vent tire et de ne le prendre point sur des humeurs auxquelles il ne se plaît de parler à personne, se cabre à tous ceux qui l'abordent... et terminant par un trait de fine observation : Prendre garde d'arrêter le discours quand le roi boit.

C'est du roi que dépend désormais, en France, la fortune de tout ambitieux politique. Il tient une grande place dans ce court mémoire. Bon de toujours tomber sur cette cadence que c'a été par malheur que jamais on ne lui a pu faire service qu'en petites choses et qu'il n'y a rien d'impossible à une bonne volonté pour un si bon maitre, un si grand roi[3].

Il faut aussi avoir égard aux grands, à la cour dont le suffra.ge désigne souvent pour les hauts emplois. Il faut fréquenter le monde, les tables, mais sans excès, avec dignité ; se tenir A égale distance du reproche d'orgueil et de celui d'importunité ; se taire, écouter, n'avoir point l'esprit distrait, ni les veux égarés, ni l'air triste ou mélancolique quand quelqu'un parle, et y apporter une vive attention, ainsi que beaucoup de grâce, mais plus par l'attention et le silence que par la parole et l'applaudissement.

Puis, par une réflexion qui bride l'élan de son âme impétueuse : En traitant ou parlant avec des seigneurs de qualité, j'ai eu de la peine à me tenir et me resserrer en moi-même. Là, plus ou est honoré et respecté, plus il faut faire l'humble et le respectueux... De toutes choses, il faut dire son opinion avec respect et ne jamais ni juger ni conclure.

Si, dans la conversation, quelque beau mot échappe, il faut le noter ; il faut noter également les principaux faits dont on est le témoin. La correspondance demande un soin particulier ; écrire le moins possible ; penser d'avance aux conséquences qu'on peut tirer de telle phrase jetée imprudemment ; tenir copie des lettres les plus importantes ; répondre à tous ceux qui vous écrivent, fussent-ils inférieurs ; lire et relire plusieurs fois les lettres que l'on reçoit et celles que l'on envoie : Le feu doit garder celles que la cassette ne peut garder qu'avec péril.

Enfin, Richelieu s'arrête sur la vraie science du courtisan : la dissimulation. Il en dégage, avec précision, les principes. La dissimulation supérieure se fait par le silence. Le silence garde les secrets qui vous sont confiés ; cache les desseins qui ne pourraient réussir, une fois éventés ; ménage l'amour-propre des gens sur lesquels on porte, au fond, un jugement sévère. Le silence sert à tromper les adversaires qui croient que l'on ignore leurs mauvais desseins ; il dévore les offenses que l'on vengera par la suite ; il écarte les brouilles et les querelles stériles, en un mot, il évite le tort que des paroles inconsidérées feraient à autrui et à soi-même.

Il est dur, dira-t-on, de vivre dans une telle contrainte avec ses amis. Mais il faut toujours penser au plus grand mal qui peut advenir. Cette dissimulation par le silence a même l'avantage d'épargner l'autre, bien plus périlleuse, celle qui se fait par la parole et qui conduit l'esprit entre cieux écueils, le lame de la menterie et le péril de la vérité. Si pourtant On est acculé et qu'on ne puisse pas se taire ? Alors, le jeune évêque n'ose aller jusqu'au bout de sa pensée et conseiller le mensonge ; il s'en tire par. une jolie métaphore, empruntée au langage des camps : Il faut, en ces occurrences, dit-il, faire des réponses semblables aux retraites qui, sans fuir, sans désordre et sans combattre, sauvent les hommes et les bagages.

Ce court mémoire donne une juste idée de rame du jeune Français qui se préparait à affronter, vers l'année 1610, les périls de la carrière politique. Le but qu'il se propose, c'est la faveur du roi ; son champ d'action, c'est la cour ; ses moyens sont la persévérance, la souplesse, la dissimulation.

L'intrigue n'a pas le caractère extérieur et tempétueux des siècles de liberté. Elle est couverte, attentive, repliée sur elle-même, jusqu'au jour où elle s'élance d'un bond. L'exercice constant de la volonté, le zèle et la grâce souriante, telles sont les qualités qui assurent le succès. Ce sont éminemment des qualités sociables. Tout repose sur les relations du monde, sur la confiance qu'on inspire ou, mieux encore, sur le charme qu'on exerce. Tout dépend d'une fantaisie, d'un caprice du monarque, — il faut répéter le mot, — de sa faveur.

Richelieu, dans ce court mémoire, ne parle pas des femmes. Il leur devra pourtant ses premiers succès. Le jeune prélat élégant, fin, à l'œil clair, dont la robe dissimulait à peine la tournure de cavalier, devait penser souvent à elles. Mais Henri IV vivait encore. Richelieu ne pouvait prévoir le gouvernement de Marie de Médicis, ni l'étrange fascination qu'il devait, un jour, exercer sur elle.

La mort de Henri IV fut, pour le jeune évêque, un événement décisif. Il l'apprit par une lettre[4], pleine des détails les plus circonstanciés, que lui adressa, le lendemain du crime, son doyen Bouthillier, qui se trouvait à Paris. Après s'être ému, comme il convenait, du tragique de l'aventure, Richelieu se demanda quel parti il pouvait en tirer. Jusque-lit, il avait bien eu des velléités d'agir. Il parlait souvent de ce voyage à Paris, de cette installation définitive à laquelle il fait allusion dans le Mémoire. Cependant, il hésitait.

Cette cour, composée de personnages déjà vieux, de soldats à la figure rébarbative, au geste rude, la bouche toujours pleine des grands services qu'ils avaient rendus au Béarnais, en imposait à sa jeunesse, à ses ambitions provinciales. Il exagérait près d'eux le respect, la déférence, l'obséquiosité, dans un effort qui devait coûter à sa fière nature. Par l'avènement d'un roi enfant, d'une reine étrangère, d'un personnel de femmes, de favoris, et de prêtres, il vit s'ouvrir un monde nouveau.

Il parait avoir eu l'intuition très vive de ce changement favorable. Avec une précipitation qui fut longtemps un de ses défauts, il s'agite tout à coup, s'efforce d'attirer sur lui l'attention, écrit à tout le monde. Il avait, près de la reine, un appui naturel ; c'était son frère aîné, le brillant Henri de Richelieu. Beau et bien fait, mêlé aux intrigues, celui-ci avait ses entrées dans ce qu'on appelait les cabinets, c'est-à-dire dans les petits cercles où se plaisait la reine. A peine Henri IV est-il mort, que nous le voyons mentionné avec son beau-frère, du Pont de Courlay, sur la liste des seigneurs auxquels la régente distribue les sommes péniblement amassées par le sage Sully[5].

Dans l'entourage de la reine, l'évêque de Luçon avait en outre une protectrice à laquelle la plupart des mémoires du temps attribuent une certaine influence sur les débuts de sa carrière politique. C'est Antoinette de Pons, marquise de Guercheville, qui avait été mariée, en premières noces, au comte de La Roche-Guyon[6].

Il faut mentionner encore le nom d'une demoiselle Selvage qui, au début de l'année 1613, lui écrivait de revenir bientôt auprès de la reine et lui disait qu'elle parlait souvent de lui à Sa Majesté, comme il le désirait[7]. Enfin, il pouvait se réclamer du père Cotton, du père de Bérulle, du père Joseph, de tout ce personnel ecclésiastique qui enserrait déjà la dévote Italienne.

Dès qu'il eut appris la mort du roi, Richelieu crut faire un coup de maitre en adressant à la reine un serment de fidélité, rédigé en des ternies particulièrement expressifs. Après avoir déploré l'évènement, il jurait, en son nom et au nom de son clergé de Luçon et de Coussay, de se comporter, envers le roi Louis XIII, à présent régnant, tout ainsi que les très humbles, très affectionnés et très fidèles sujets doivent faire envers leur légitime seigneur et roi. Il ne s'en tenait pas là ; une adroite flatterie se glissait jusque dans l'ordinaire banalité de ces sortes de formules : Nous certifions que, bien qu'il semble, qu'après le funeste malheur qu'une homicide main a répandu sur nous, nous ne puissions plus recevoir de joie, nous ressentons toutefois un contentement indicible de ce qu'il a plu à Dieu, nous donnant la reine pour régente de cet État, nous départir ensuite, de l'extrême mal qui nous est arrivé, le plus utile et nécessaire bien que nous eussions pu souhaiter en nos misères, espérant que la sagesse d'une si vertueuse princesse maintiendra toutes choses au point où la valeur et la prudence du plus grand roi que le ciel eût poilais couvert, les aient établies. Nous jurons, sur la part qui nous est promise en l'héritage céleste, de lui porter obéissance, etc.

Ce serment, dont les termes étaient si soigneusement pesés et paraissaient devoir être si agréables, en un temps où la cour était pleine d'inquiétude sur la fidélité des provinces et notamment des provinces de l'ouest, ce serment fut immédiatement envoyé à Paris. Richelieu priait son frère de remettre le document à la reine elle-même. La Cochère devait informer son évêque de l'effet produit[8].

Malheureusement les choses ne se passèrent pas comme l'impatience de celui-ci l'avait prévu. Les amis de Paris furent d'avis que, par une telle démarche, on affichait un excès de zèle presque ridicule : Je crois, écrit Bouthillier, que M. de Richelieu vous aura averti qu'il n'a point présenté l'acte de fidélité que vous aviez envoyé, ayant su que cela n'avait été pratiqué par personne, comme, de mon côté, je l'ai particulièrement appris. L'évêque en fut pour ses frais de rédaction ; mais ses ardeurs n'en furent nullement refroidies.

En effet, au même moment, il décidait brusquement son départ pour Paris. Il en écrivait à sa bonne amie, Mme de Bourges, la priant de lui trouver un logis, de lui acheter des meubles : dorénavant, j'espère faire un tour à Paris tous les ans, ajoute-t-il. Comme son frère, il force sa misère pour subvenir à la première mise de son ambition. Il faut à tout prix faire figure : C'est grande pitié que de pauvre noblesse, dit-il ; mais il n'y a remède ; contre fortune bon cœur ; et encore : tenant un peu de votre humeur, c'est-à-dire étant un peu glorieux, je voudrais bien, étant plus à mon aise, paraître davantage, ce que je ferai mieux ayant un logis à moi[9].

Tandis que l'abbé de La Cochère et Mme de Bourges veillaient sur les premiers pas de leur ami, celui-ci écrivait à divers personnages, à son métropolitain, M. de Sourdis, alors à Paris, à l'évêque de Maillezais, frère de ce cardinal, au père Cotton, que la reine retient à la cour et dont elle demande les avis, à d'autres encore. C'est toujours le fidèle doyen qui est chargé de remettre les lettres, dont le texte nous manque. Mais nous savons, par les réponses de l'abbé, qu'elles produisaient leur effet, que le père Cotton assurait l'évêque de tout son service ; que M. de Souvré disait beaucoup de bien de lui selon la réputation que vos mérites vous ont acquise par toute la France. On ajoutait même que, si le jeune évêque se fût trouvé à Paris, on eût probablement confié à son éloquence l'oraison funèbre du roi défunt[10].

Ce séjour à Paris, sur lequel on comptait tant, ne parait pas avoir produit de résultats immédiats. La reine, absorbée par les premiers soucis du pouvoir, assiégée par les convoitises des grands, n'avait pas encore pris la direction effective des affaires. Les anciens ministres de Henri IV continuaient à gérer les intérêts publics. La place n'était pas prête pour les nouveaux venus.

Richelieu quitta bientôt Paris, abattu, découragé, rongé par la fièvre. Il ne rentra pas à Luçon. L'air des marais lui était tout à. fait contraire. Il avait des difficultés graves avec son chapitre, avec ses grands vicaires ; il écrit à ceux-ci dans des termes violents, qui ne sont pas de sa manière habituelle, mais qui découvrent le fond d'un caractère autoritaire et passionné : Vous êtes tous deux mes grands vicaires, et comme tels vous devez n'avoir d'autre dessein que de faire passer toutes choses à mon contentement, ce qui se fera, pourvu que ce soit à la gloire de Dieu. Il semble par votre lettre que vous étiez en mauvaise humeur, lorsque vous avez pris la plume. Pour moi, j'aime tant mes amis que je désire ne connoitre que leurs bonnes humeurs et il me semble qu'ils ne devroient point en faire paroitre d'autres. Si une mouche vous a piqués, vous la deviez tuer et non en faire sentir l'aiguillon aux autres... Je sais, Dieu merci, me gouverner et sais davantage comme ceux qui sont sous moi doivent se gouverner. Vous me mandez qu'il ne vous chaut de ce qui se passe, disant que l'affaire nie touche plus qu'à vous. Je trouve bon que vous m'avertissiez des désordres qui sont en mon diocèse ; mais il est besoin de le faire plus froidement, n'y ayant point de doute que la chaleur pique voit en ce temps-cy, ceux qui ont le sang chaud comme moi... Vous dites que vous renonceriez volontiers au titre que je vous ai donné ; je l'ai fait pour vous obliger, vous croyant capable de servir l'Église. Si je me suis trompé, en ce faisant, vous désobligeant au lieu de vous gratifier, j'en suis Biché ; mais je vous dirai qu'il toute faute il n'y a qu'amende ; je ne force personne à recevoir du bien de moi. Vous prêchez aux autres le libre arbitre ; il vous est libre de vous en servir[11]...

Ce sont là les paroles d'un homme ulcéré, peu maître de lui. A cette époque, Richelieu se plaignait continuellement de sa santé, des tourments qu'il endurait. Son humeur s'aigrissait. Autour de lui, on était inquiet ; on le ménageait. Sa nature, d'habitude si résolue, passait par des périodes d'abattement et de mélancolie[12].

Il habitait parfois son prieuré des Roches, d'où il avait Poil sur les affaires de Fontevrault ; mais, le plus souvent, il se renfermait dans son prieuré de Coussay, près de Mirebeau, non loin de Poitiers, dont le voisinage l'attirait. Il se plaît dans cette région montueuse, aux horizons étendus, aux longues promenades pleines de rêves fouettés par le vent.

Un joli castel du XVIe siècle, muni de tours, environné de fossés et de douves profondes aux eaux jaillissantes, lui offrait un abri coquet, riant et sûr. Ce château avait été construit, vers le milieu du siècle précédent, par Bohier, évêque de Saint-Malo. dans le style le plus charmant de la Renaissance[13]. Il cachait (et cache encore) dans un repli de terrain, les quatre tours coiffées en poivrières et l'élégant donjon qui domine la vallée. Tout à l'entour, le paysage est vaste, solitaire, plein de repos.

Richelieu y séjourne ; il s'arrange un promenoir où se perdent ses pas méditatifs. Il se renferme dans le cabinet de la tour maitresse, près de la chapelle, où il dit la messe, ayant sous la main ses livres, l'armoire secrète où il cache les papiers précieux, les notes où se fixent ses premiers desseins. C'est son hermitage. Il y mène l'existence d'un pauvre moine réduit à la vente de ses meubles et à la vie rustique.

Cette pauvreté relative est toujours son grand souci. Il s'en plaint souvent, s'efforce d'y remédier par un soin attentif, des discussions d'affaires, des procès sans fin. Il prend même en main les intérêts de sa famille, s'attendrit à la nouvelle de la mort d'une petite nièce, fille de sa sœur, mais beaucoup plus, à ce qu'il semble, en apprenant une perte d'argent qui survient à cette même sœur, Mme du Pont de Courlay[14].

Cependant ces chagrins et ces préoccupations ne le détournent pas de son éternelle pensée : la cour, Paris.

Il est aux écoutes. Le moindre bruit qui vient de là-bas l'éveille. M. de Vic est envoyé à Poitiers pour apaiser-les différends qui subsistent entre les protestants et les catholiques (fin de 1611). Richelieu lui écrit et se met à sa disposition[15]. Il s'adresse également à Phelypeaux de Pontchartrain, secrétaire d'État chargé particulièrement des affaires de la religion, homme actif et laborieux, qui tenait très sérieusement en main la direction des affaires intérieures de la France (mars 1612)[16]. Richelieu se met en relations suivies avec ces deux personnages, devient, pour eux, une sorte d'agent officieux, leur donne des renseignements précis sur l'attitude des huguenots. li est question, à un certain moment, de l'envoyer à la Rochelle pour haranguer ces messieurs[17]. Il s'entremet, de lui-mètre, auprès de du Plessis-Mornay, son illustre voisin ; approuve la conduite de la reine mère, l'engage à venir dans le pays à la tête de l'armée que commande M. de Themines et achève sa lettre à Pontchartrain par une insinuation qui vise plus haut : Cependant, si vous jugez à propos de faire entendre à la reine ce que je vous mande, parce qu'elle me commanda, lorsque je partis, de l'avertir de ce qui se passerait par-deçà, vous en userez comme vous le jugerez bon. Il avait vu Marie de Médicis lors de son voyage à Paris ; ses offres de service avaient été reçues un peu froidement : il les renouvelle sans se rebuter.

Il suit les événements politiques avec l'assiduité d'un homme qui se prépare. Nous n'avons que de rares échappées sur ses pensées d'alors ; elles paraissent déjà pleines de grandeur : Encore que les brouilleries présentes et plusieurs pronostics fâcheux semblent nous augurer et présager la guerre, néanmoins, je ne crois pas qu'elle puisse sitôt éclore, les moyens de la faire naître étant beaucoup moindres que la volonté de ceux qui la pourraient désirer. La sage conduite et l'affection et fidélité de plusieurs bons serviteurs nous garantiront des maux du dedans. Pour ceux du dehors, je les baptiserai d'un autre nom s'ils nous font naître les occasions d'accroître nos limites et de nous combler de gloire aux dépens des ennemis de la France[18]. Ces fières paroles sont écrites, en 1612, du fond de sa province, par un ecclésiastique à peine âgé de vingt-sept ans !

D'ailleurs, ses mérites finissent par percer. Malgré son échec dans l'affaire de l'assemblée du clergé, on a pensé à lui. On reconnaît son obligeance, son zèle ; on lui lient compte de son humilité, du moins apparente, de son loyalisme toujours eu éveil. Ses relations s'étendent ; il ne manque pas à ses propres maximes et s'empresse auprès des grands, multipliant auprès d'eux ses protestations, comme on offre des sacrifices aux dieux mêmes non favorables. A la mort du comte de Soissons (novembre 1612), il adresse à la comtesse une longue lettre de condoléances écrite dans le style le plus amphigourique ; il offre ses services au duc d'Épernon, alors très eu faveur ; à Sully, que sa qualité de gouverneur du Poitou mettait en contact plus direct avec lui ; à Villeroy, qu'il console tout aussi longuement de la mort de sa fille.

Il est, à cette époque, très bénin, très épiscopal. La sécheresse de sa nature s'ingénie à trouver des paroles émues et tendres. Il s'adresse beaucoup aux ecclésiastiques, à l'archevêque d'Aix, au général des chartreux, à l'archevêque de Toulouse, au cardinal de la Rochefoucauld, dont la haute personnalité religieuse pouvait être d'un utile appui. Il demande au père Georges une part dans ses prières.

Il arrange les différends, apaise les querelles ; s'emploie pour ses diocésains, pour M. de Boisvérbert, un de ses meilleurs amis, pour MM. de Fontmorin, de la Brosse, de la Mabillière et du Coustau, de bons gentilshommes, ses amis et ses voisins de campagne, qu'on poursuit injustement ; heureux, enfin, de pouvoir se rendre à lui-même ce témoignage : Je suis maintenant en ma baronnie, aimé, ce me veut-on faire croire, de tout le monde[19].

Évidemment, il se rend compte de l'importance que sa province va prendre dans les destinées générales du pays. Par la mort de Henri IV, le lien de la centralisation s'est relâché. Le parti protestant relève la tête ; les revendications locales reprennent quelque vigueur. La cour a besoin de tout le monde : c'est l'heure de s'imposer à la cour.

Le personnel que Henri IV avait choisi, et que sa mort avait groupé autour de la régente, commençait à se lasser et à lasser. Ceux qui avaient le mieux personnifié le caractère parfois autoritaire et dur de la politique de l'ancien roi avaient disparu les premiers : ainsi, le duc de Sully. Villeroy, Sillery, plus souples, étaient restés. Mais leur influence allait en diminuant.

Nous sommes à l'époque de la faveur de Concini ; faveur inquiète, toujours précaire, cherchant en France des appuis que l'esprit français lui refuse.

Un habile homme peut tirer un excellent parti de cette situation difficile. Dans un pareil temps, les dévouements sont précieux. Le tout est de se faire valoir, de se faire aimer ou craindre ; pour cela, le séjour dans une province agitée est extrêmement favorable.

C'est vers cette époque, que se dessine nettement la première partie de la carrière politique de Richelieu. Il ne s'agit nullement alors de grandes conceptions ou d'actions politiques étendues. Il ne s'agit pas de savoir ce que l'on fera quand on sera au pouvoir, mais seulement d'y parvenir. Tout ambitieux porte en lui la conviction que les affaires ne peuvent prospérer que par lui. Il se donne d'abord pour tâche d'en saisir la direction ; c'est la première partie de sa carrière, et c'est par là aussi que ses qualités se révèlent. Les actes viennent ensuite et distinguent, selon le succès, l'orgueil légitime de la folle présomption.

Richelieu profite de son caractère ecclésiastique ; il se souvient de son voyage à Rome, envoie, près du pape, un émissaire qui traite parait-il, de grandes choses ; il affiche des sentiments ultramontains. La cabale qui est aux affaires est catholique, papiste, espagnole. Le futur adversaire de la maison d'Espagne, le futur allié de Gustave-Adolphe, le futur chef des politiques, s'y enrôle sans hésiter.

Dans le Poitou, il prend nettement position. La correspondance qu'il entretient avec M. Phelypeaux et avec M. de Vic le montre de plus en plus engagé dans le parti royal. Il écrit que c'est cracher contre le ciel que de vouloir heurter l'autorité du roi et de la reine[20]. Bouthillier, son fidèle doyen, a l'ordre de l'instruire des menus faits de la cour et de ne pas perdre de vue le Père Cotton, le cardinal du Perron, les favoris.

Richelieu fait un nouveau voyage à Paris, sur la fin de 1613. Il prend langue, à cette date, avec Concini. Celui-ci, précisément, semble menacé d'une disgrâce. Tous les princes ont quitté la cour. La guerre civile est en perspective. C'est le moment choisi par Richelieu, qui, au fond, ne faisait mil cas de cet Italien, pour adresser à celui-ci une lettre pleine de protestations : Monsieur, honorant toujours ceux à qui j'ai une fois voué du service, je vous écris cette lettre pour vous en continuer les assurances ; car j'aime mieux vous témoigner la vérité de mon affection aux Occasions importantes que de vous en offrir, hors le temps, les seules apparences... Je vous supplierai seulement de croire que mes promesses seront toujours suivies de bons effets et pendant que vous me ferez l'honneur de m'aimer, que je vous saurai toujours très dignement servir[21]... Cette lettre est précieuse ; de tels concours, ainsi offerts, ne se refusent pas ; mais aussi on ne les accepte pas gratuitement. L'évêque de Luçon s'engage à fond dans la cause du maréchal qui, bientôt, l'appellera au ministère.

Nous sommes arrivés, d'ailleurs, à cette année 1614, qui marque une date importante dans le règne de Louis XIII. Les fonds amassés par Henri IV dans les caves de la Bastille avaient été dépensés pendant les trois premières années de la régence. Les princes du sang, les seigneurs de la cour, les protestants s'agitaient et cherchaient quelque occasion de troubler la tranquillité, qui, malgré tout, persistait dans le royaume. Sur la fin de MU, un prétexte, le plus futile des prétextes, s'était présenté. Le prince de Condé, pour le moment d'accord avec le marquis d'Ancre, s'était montré froissé du refus qu'on lui avait fait du gouvernement de Château-Trompette et aussi de la faveur dans laquelle la reine tenait les Guise et d'Épernon. Il s'était retiré de la cour. Mayenne, Nevers, Bouillon et le marquis d'Ancre lui-même avaient fait comme Condé.

Au bout de quelques mois, Concini était revenu. à la cour, avait repris sa place dans la faveur de la reine, et s'était séparé de la cabale de Condé pour se rapprocher des vieux ministres, Villeroy et Sillery. Cette fois, Condé, très irrité, ne ménage plus rien. Il se persuade que ces intrigues de cour ou d'alcôve intéressent toute la France. Il profite du mécontentement vague que la puissance du favori répand clans le royaume ; il lance un manifeste plein de reproches et de menaces.

Au fond, ce manifeste n'était qu'une adroite exploitation de tous les mécontentements : L'Église n'a plus de splendeur ; nul ecclésiastique n'est employé aux ambassades et n'a plus rang au conseil ; la noblesse appauvrie et ruinée est maintenant taillée, chassée des offices de judicature et de finances faute d'argent, privée de la paie des gens d'armes et esclave de ses créanciers ; le peuple est surchargé par des commissions extraordinaires et tout tombe sur les pauvres pour les gages des riches.

Ce sont là des plaintes qui peuvent se renouveler de tout temps, et qui, de tout temps, flattent les passions de ceux que leur sort ne satisfait pas. Condé ne se mettait pas en peine d'indiquer un remède précis aux maux qu'il dénonçait. Mais il essayait de rendre sa conjuration populaire, en réclamant énergiquement la convocation des États généraux.

En un mot, on voulait brouiller. Ce temps étoit si misérable, dit Richelieu lui-même, que ceux-là étaient les plus habiles, parmi les grands, qui étoient les plus industrieux à faire des brouilleries, et les brouilleries étoient telles et il y avoit si peu de sécurité en l'établissement des choses, que les ministres étoient plus occupés aux moyens nécessaires pour leur conservation qu'à ceux qui étoient nécessaires pour l'État[22]. Le gouvernement de la reine, timide, tiraillé, sans prestige, se défendait mollement contre des accusations insaisissables ou contradictoires. Pour les écarter, il eût suffi qu'un mot fut prononcé avec autorité. Mais c'est justement l'autorité qui manquait à ce gouvernement, qu'on accusait d'abuser de la sienne.

Aussitôt la publication de son manifeste, Condé esquissa quelque chose comme une prise d'armes. Le peuple ne bougea pas. Tout était tranquille. Si le gouvernement de la reine n'était pas fort, il était doux. On avait le souvenir encore présent des misères civiles. On végétait dans une sorte d'indifférence que les objurgations intéressées de Condé et de ses amis ne pouvaient secouer.

Le gouvernement de la régente rassembla une armée. Les conjurés, mal préparés, prirent peur. La reine ne demandait qu'à composer. Elle craignait que sa force ne se brisât, si elle en faisait seulement l'essai. Des pourparlers furent engagés à Soissons, d'abord, puis à Sainte-Menehould. Les princes obtinrent à peu pifs tout ce qu'ils voulurent : des places, des châteaux, des gouvernements, de l'argent, et, enfin, pour ne pas abandonner tout leur programme populaire, la promesse de la réunion des États généraux.

La rébellion des princes n'avait fait que rider la face du royaume ; pourtant, elle avait agité un peu plus profondément le Poitou[23].

Au cours de ses pérégrinations, Condé, se rendant à sa maison de Rochefort-sur-Creuse, s'était approché de Poitiers. Les magistrats municipaux avaient résolu d'aller, comme de coutume, au-devant de lui. Sur ces entrefaites, arrive une lettre de la reine, datée du 13 février 1614, qui se plaignait vivement du prince. Les ennemis du maire répandirent aussitôt le bruit que le projet de voyage annoncé n'avait d'autre objet que de livrer la ville au prince de Condé. On disait aussi que la reine, mécontente de Poitiers, avait conçu le dessein d'y construire une citadelle et d'y mettre une garnison.

Un vif mouvement d'opposition se produisit alors contre le maire, Scévole de Sainte-Marthe[24]. Celui-ci se trouvait ainsi, bon gré mal gré, rejeté dans le camp du prince ; ses adversaires exagéraient leur royalisme pour l'expulser du sien. A la tête de ces adversaires, était le jeune évêque, Chasteignier de La Rocheposay, l'ami de Richelieu. Il était en correspondance avec la reine et avec Phelypeaux ; il se sentait soutenu par le gouvernement. Il prit bientôt une attitude violente, agressive, peu convenable à un évêque. Il fit assassiner un émissaire du prince de Condé, Latrie[25]. Il fit fermer les portes au prince lui-même qui s'avançait vers la ville et, enlevant la direction effective des affaires au maire et à ses échevins, il se mit en posture de soutenir un siège[26].

Le gouverneur, le duc de Roannès[27], instruit des faits, accourut en toute lette avec des paroles de conciliation. On ne voulut pas l'entendre. Il fut menacé, maltraité par les partisans de l'évêque ; il ne dut la vie qu'à sa prudence et il fut forcé de quitter la ville[28].

Cependant, la paix avait été signée à Sainte-Menehould. La reine s'avança elle-même, à la tête d'une armée assez importante pour pacifier les provinces de l'ouest. Elle délivra à MM. Mangot et Mazuyer, maîtres des requêtes, une commission qui leur donnait charge d'entendre les deux partis et de calmer les esprits. Le duc de Roannès revint pour un jour à Poitiers. L'assassinat des compagnons de Latrie fut oublié, tout rentra dans l'ordre. L'évêque La Rocheposay, qui avait affiché un royalisme si intolérant, garda toute son influence.

Or c'est précisément à cette influence, à l'appui que lui donna son ami, que Richelieu dut, en août 1614, son élection aux états généraux. Le peu de renseignements que nous avons sur cette période de sa vie nous le montre se prononçant très nettement contre les princes. Résidant dans son prieuré de Coussay, il soutient de ses conseils l'énergie de son collègue de Poitiers. Ils étaient, à cette époque, très unis[29].

Comme les bandes de Mayenne, allié de Condé, parcouraient le Poitou, elles n'eurent pas, pour le château de Richelieu, les égards auxquels avait droit la veuve du grand prévôt. Richelieu, en écrit de bonne encre à un lieutenant du duc de Mayenne, et il lui fait savoir qu'il comptait sur plus d'attention de la part du due : Je lui en eusse volontiers écrit, dit-il, si je n'eusse reconnu par le traitement qu'il a fait à tua mère, ou qu'il ne me croit plus au monde, ou qu'il me tient du tout incapable de lui rendre jamais service. Adressée à l'ancien adversaire de Henri IV, c'est là une parole assez fière, et qui ne sent plus son débutant.

Lors de la signature de la paix de Sainte-Menehould, Richelieu avertit lui-même les fidèles de son diocèse ; mais il se lutte d'ajouter que le mérite de cette heureuse conclusion appartient tout entier à la reine, dont la prudence a veillé pour assurer notre repos[30]. L'évêque ne perd, on le voit, aucune occasion d'affirmer sa fidélité à la cause de la régente. C'est à titre de royaliste avéré qu'il fut choisi pour représenter à Paris le clergé de la province.

L'occasion était guettée par lui depuis longtemps. Avant même que les lettres de convocation fussent lancées, un de ses amis, aposté dans la chancellerie, avait envoyé à M. de Bouthillier un double du projet de rédaction de ces lettres : Voici ce que je vous ai promis, écrivait cet affidé ; vous en savez l'importance qui fera que vous le tiendrez secret, comme je vous en prie[31].

Ainsi, Richelieu avait pu lire avant tout le monde, non seulement la lettre du roi aux baillis et sénéchaux, lettre purement officielle, et toute de formules, mais celle de la reine régente. Il avait pu voir que les états étaient convoqués pour le mois de septembre en la ville de Sens, que les baillis étaient invités non seulement à présider l'élection, mais à la surveiller de très près. Je vous prie, disait la reine, de vouloir bien exhorter les uns et les autres d'apporter en cette action un esprit de paix et d'obéissance avec une bonne inclination et entière disposition de n'avoir autre but que celui que de bons et fidèles sujets doivent porter à ces occasions. Vous prendrez aussi soigneusement garde et avertirez ceux que vous estimez être à propos ; à ce que le choix et l'élection de ceux qui doivent être députés soient faits de personnages d'honneur qui soient recommandables tant par leur probité et intégrité que pour leur affection au service du roi, mondit sieur et fils, et au bien et au repos de ses sujets[32].

Richelieu, prévenu à l'avance, pouvait préparer ses batteries. Pour qui savait lire entre les lignes, il était clair que la candidature officielle allait faire jouer tous ses ressorts.

Quelques jours après (23 juin 1614), l'évêque de Luçon reçut du duc de Sully, gouverneur de Poitiers, l'ordre de convocation des trois ordres de son diocèse : Vous tiendrez, s'il vous plaît, la main, écrivait le vieux huguenot disgracié, à ce que toutes choses se fassent avec douceur ; et, en tant que vous pourrez, qu'il soit député une personne de chacun ordre, de probité, qualité, et pouvoir suffisant et convenable au sujet... Votre piété et affection au service du roi nie fait espérer que vous les témoignerez tout entières en une si importante occurrence... Je vous prie de croire, ajoutait-il obligeamment, que j'honore votre vertu et fais état, de votre amitié, comme je vous conjure de vous assurer de la mienne[33]. Pour obtenir de pareilles protestations de la part d'un homme si hautain, il fallait que Richelieu fût décidément devenu un personnage dans la province.

Ses amis, en effet, ne s'endormaient pas. Le 3 juillet 1614, La Rocheposay, au fort de la querelle contre le prince de Condé, écrivait à son collègue une lettre qui établit l'entente, en vue de l'élection : Monsieur, je fis hier réponse à M. de Sully et le priai de me mander le jour auquel il désiroit que se fit l'assemblée pour l'élection des députés, parce qu'il ne me l'avoit pas spécifié. Toutes les affaires sont en bon état, ajoutait l'évêque de Poitiers, tant au dedans qu'au dehors, de sorte- qu'on ne peut. espérer que bien, la reine ayant offert à 31. le prince toute satisfaction et justice. Vous m'obligez trop d'avoir souvenance de moi et de me plaindre de mes peines ; j'y suis tellement accoutumé depuis cinq mois, que je ne les ressens comme point, avant aussi la résolution de ne rien appréhender en m'acquittant de mon devoir.

Un mois après, à la veille même de l'élection, il prenait ses dernières mesures avec Richelieu et lui indiquait comment il avait aplani toutes les difficultés : Je vous envoie M. le prieur de Sainte-Radegonde pour vous dire l'ordre que nous mettons ici pour l'assemblée du clergé et savoir de vous celui que vous avez apporté à votre diocèse. Ceux de Maillezais sont avertis de se trouver ici. Ou ne nommera qu'un député, parce que celui duquel je. vous avoir parlé ne peut accepter la charge, à cause de son pige, de sorte que vous serez seul, ce qui sera bien à propos pour beaucoup de raisons[34]...

Le lendemain, 10 août, les cloches sonnèrent dans chaque paroisse et les habitants députèrent quelques-uns d'entre eux pour aller à Poitiers procéder à l'élection.

Le terrain, comme on le voit, était bien préparé. La candidature de Richelieu était seule présentée. Ce jour même, pour apaiser les dernières inquiétudes de l'évêque de Poitiers, la reine régente avait signé le pouvoir de MM. Margot et Mazuyer, chargés de rétablir l'ordre et le calme dans les esprits.

Le mardi 12, la réunion des électeurs du tiers état eut lieu au palais, par-devant l'assesseur, en l'absence du lieutenant-général ; celle du clergé se tint en la salle de l'évêché ; celle de la noblesse en la salle de l'audience du palais. Cette première réunion avait pour objet une entente préalable tant sur le choix des candidats que sur la rédaction des cahiers.

Dès le 19, l'élection de Richelieu était assurée. Duvergier de Hauranne l'avait averti le premier, au nom de son évêque. Celui-ci prend bientôt la plume. On n'avait pu obtenir, du clergé de Poitiers, la nomination d'un seul député : il avait fallu donner, comme adjoint à l'évêque de Luçon, le doyen de Saint-Hilaire. En outre, le diocèse de Maillezais n'avait pas voulu se joindre au vote. La Rocheposay s'en explique : Monsieur, vous savez par M. de Saint-Cyran comme vous fûtes hier nommé député pour ce diocèse, et M. le doyen de Saint-Hilaire avec vous, qui est un homme aussi paisible qu'on en sauroit désirer. On a été obligé de vous donner cet assistant parce que ceux de la ville eussent murmuré s'il n'y en eût eu un de la ville — encore qu'on n'a pas laissé de dire que les évêques vouloient tout faire, qu'un évêque seroit plus que quatre, capitulaires et qu'on avoit toujours accoutumé d'en nommer un de Saint-Pierre —, outre qu'on en nomme cieux partout et qu'on compte aux états, à ce qu'ou dit, les voix des députés et non pas les provinces. La considération que vous serez député pour les trois évêchés a fort servi pour contenter les capitulants, qui seuls font les difficultés ; mais, à ce pic j'entends, Maillezais va à Fontenay pour faire bande à part, ce qui ne leur réussira pas. Vous y remédierez, s'il vous plait, comme à ce qui est de Luçon, et puisque vous me voulez l'honneur de venir ici, j'oserois vous supplier que ce fût lundi au soir, parce qu'on a pris le mardi suivant pour aviser aux cahiers et mettre ce qui est des trois diocèses en un cahier. Je me remets à M. de Saint-Cyran pour les autres particularités[35]...

Ces documents montrent les trois amis de Richelieu, La Rocheposay d'Abain, Saint-Cyran, et le fidèle doyen Bouthillier (car celui-ci n'avait pas quitté Poitiers durant tout le temps de l'élection), s'employant ensemble à préparer la carrière de leur ami, écartant devant lui tous les obstacles, lui mettant, selon une métaphore du temps, le pied à l'étrier.

H ne restait plus qu'à donner, au travail qui s'était fait sous le manteau, une consécration officielle. Le août, chacun des ordres fut convoqué pour élire définitivement ses députés : Ceux de l'église s'assemblèrent en la chambre du conseil ; ils désignèrent Mgr l'évêque de Luçon et le doyen de Saint-Hilaire ; ceux de la noblesse, en la chapelle ; ils nommèrent MM. de la Chateigneraie et de la None ; ceux du tiers état, en la salle de l'audience, nommèrent MM. Desfontaines-Brochard, ancien conseiller et échevin, Brisson, sénéchal de Fontenay-le-Comte, et Arnaud, marchand[36].

Les quelques semaines qui suivirent furent consacrées à la rédaction du cahier du clergé. Richelieu vint exprès à Poitiers pour prendre part à la discussion. L'exemplaire qui lui fut remis est parvenu jusqu'à nous[37]. Il garde, dans le fond comme dans la forme, de nombreuses traces de sa collaboration. En ce qui concerne les privilèges ecclésiastiques, le souci de la décence et du respect dans les actes religieux, l'obéissance au concile de Trente, le désir de voir s'étendre l'instruction des prêtres, l'abolition des duels. sur tons ces points, les cahiers du clergé de Poitou sont d'accord avec les pensées personnelles de l'évêque de Luçon. Ils sont aussi en conformité absolue avec les idées ou les préjugés du temps. Richelieu, mandataire des membres du clergé poitevin, s'élève peu au-dessus d'eux. St, déjà, il avait conçu quelque vague idée de son œuvre future, il se taisait. Pour le moment, il fallait réussir, et pour réussir, il fallait parler le langage des hommes dont il sollicitait la confiance.

Le 4 septembre 1614, la rédaction définitive du cahier lui fut remise, ainsi qu'a son collègue, le doyen de Saint-Hilaire. Le temps pressait, d'ailleurs. La réunion des états, d'abord indiquée comme devant avoir lieu à Sens, avait été plusieurs fois retardée ; on venait de décider qu'elle se ferait à Paris, dans les premiers jours d'octobre.

Le jeune évêque, après avoir fait. ses adieux à tous ceux qui l'avaient si généreusement servi dans cette circonstance, monta en carrosse, et accompagné du doyen de Saint-Hilaire, collègue peu embarrassant, il refit en hâte ce chemin que, six ans auparavant, il avait parcouru en sens contraire. Le séjour qu'il avait fait en province n'était pas perdu. C'était la province qui, maintenant,. le désignait à la cour. IL recevait d'elle un mandat qui lui donnait qualité pour se mêler au monde politique et pour s'occuper des affaires de l'État.

Au moment où il rentre à Paris, ce jeune homme, que la vie publique va saisir, pétrir, déformer, est encore intact, droit, frais, tel, ou à peu près, qu'il est sorti des mains de la nature ; il respire encore l'arome du champ paternel. Il n'a pas trente ans.

Sur un corps maigre, droit, élancé, une figure longue et pâle, encadrée d'une chevelure noire, tombant en boucles abondantes, un nez long, fort, busqué, se rattachant, par deux sourcils élevés, comme étonnés, à un front imposant et grave, une bouche charmante, pleine à la fois de volontés et de sourires, l'ensemble de ces traits expressifs caractérise une physionomie dont la forte construction aquiline se dissimule encore sous les grâces de la jeunesse. La moustache, relevée gaîment à la soldade et la royale, taillée en pointe, affinent et allongent encore cette figure triangulaire qui s'aiguise et luit clans l'acier d'un regard vif et tranchant.

L'œil parle: il résume, dans sa mobilité profonde, les contradictions de ce grand corps à la fois anguleux et souple, de cette physionomie dure et souriante. Il y a, dans cet œil, la clarté, la sûreté du regard poitevin. Parfois pourtant la paupière tombe, et l'œil se voile des ombres épaisses qu'amasse la réflexion intérieure. Un sourire l'égaie, une larme le mouille, avec une mobilité nerveuse. tout d'abord sincère, plus tard calculée et voulue.

Vêtu de la robe violette, coiffé du bonnet carré, portant le large col blanc qui convient à la pâleur de son feint, la main en avant, allongée et très fine, jeune, prompt, fébrile, l'évêque de Luçon s'avance, dans la foule` des inconnus, du pas ferme d'un homme qui se sent, parti pour les longs chemins.

Il est fier de sa noblesse, des services rendus par ses aïeux, par son père.. Le souvenir n'en est pas totalement perdu ; il saura le faire revivre. Les grandes alliances, les amitiés ne lui manquent pas. Son père, le grand prévôt, a laissé plus d'un compagnon d'armes parmi les hommes qui entourent la régente. Son frère a déjà renoué les fils de ces anciennes relations. Du côté de la. mère, il est vrai, les alliances sont moins illustres. On ne s'en vante pas ; mais on ne dédaigne pas leur utilité. Les Bouthillier, personnages insinuants, amis des La Porte, fréquentent le monde parlementaire. Ce sont de ces gens qui se glissent par les passages secrets, alors que les grandes portes sont closes. L'évêque-député les met au service de sa fortune. Il a ainsi un pied dans les deux mondes, celui de la noblesse et celui de la haute bourgeoisie.

Ce n'est pas seulement qu'il se mêle à l'un ou à l'autre de ces deux mondes ; il les résume en sa personne. Fils d'une race de soldats, il est homme d'action ; petit-fils d'un avocat célèbre, il a le sens des lois et des affaires ; prêtre, évêque, il cache, sous sa robe, les doubles ambitions et les doubles facultés qui lui viennent de ces deux origines. Trois classes, clergé, noblesse et tiers état, divisent alors la nation française. Richelieu prend quelque chose à chacune d'elles ; il se trouve, si je puis dire, placé exactement à leur point d'intersection. Sa carrière est la résultante de leur action historique.

Le hasard l'a fait naître à Paris, dans les dernières années, si troublées, de la dynastie des Valois. Peut-être son enfance a-t-elle gardé l'étonnement de cette journée des barricades qui chassa le roi de sa capitale et mit en péril l'unité du royaume ? Son père concourt à l'avènement des Bourbons et crée ainsi le lien qui rattache une famille, toujours fidèle, à la nouvelle race des rois. Ce père meurt.

La mère retourne à Richelieu, ramassant autour d'elle, avec ses fils, les débris d'une fortune que les révolutions ont détruite. Tout le monde souffre clans le royaume ; la province où elle se réfugie, plus que nulle autre. La petite famille est exposée à. tous les hasards de ces temps sombres. On vit, dans ce château lointain, serrés les uns contre les autres, en proie à toutes les émotions, à toutes les terreurs, à tontes les misères privées qui suivent les malheurs publics. La guerre, la rébellion, frappent aux portes, à coups répétés, et enfoncent, dans ces âmes impressionnables, l'horreur et la haine de la rébellion et de la guerre.

La source du mal n'est pas loin : elle est à la Rochelle, à Saumur, à Loudun : c'est l'hérésie. C'est elle qui engendre l'insoumission, les luttes individuelles, le désordre. Elle est la mère funeste de tous les maux dont on souffre.

L'enfant revient à Paris pour y poursuivre des études commencées dans le tumulte. A Paris, même spectacle. La honte et la désolation s'étalent jusque dans le paisible séjour des écoliers, sur cette Montagne-Sainte-Geneviève que la guerre civile n'a pas respectée. Les esprits sont sur le qui-vive. Il semble toujours que les maux passés vont reparaître ; l'inquiétude renaît à la moindre alerte.

Pourtant, le pouvoir royal s'est ressaisi, sous la direction d'un prince vaillant, habile, autoritaire. Cette enfance s'achève clans le calme et la prospérité relative des dernières années du règne de Henri IV. On avait tant souffert que le contraste grandit encore le grand roi auquel on devait ce bonheur. Il suffit de quelques années heureuses pour rendre à tous les Français cette inclination vers le pouvoir personnel qui leur est si naturelle.

Le jeune adolescent recueille bientôt les premiers bénéfices des services rendus par son père à, la nouvelle dynastie. Le roi le remarque, le connaît, l'appelle. Par les soins du prince, ses études sont facilitées ; sa carrière est ouverte. Rome, à la demande du roi, passe sur les exigences habituelles de la hiérarchie. Henri IV fait de Richelieu un évêque, son évêque.

Celui-ci retourne dans sa province. Il y attend, dans le repos laborieux des lettres, l'heure de se distinguer ; il y acquiert le premier sentiment de sa force, une première expérience des affaires.

Mais le roi meurt. L'inquiétude renaît. La France est agitée de nouveau. On sent passer le souffle des anciennes discordes, des anciennes rébellions, si détestables. Le lien de l'autorité royale, quoique relâché, ne se rompt pas : niais tous les bons citoyens sentent qu'il est en péril. Ils se groupent autour du pouvoir pour maintenir, à tout prix, la paix civile.

La province, avec son calme, son sang-froid, son discernement, s'emploie à cette œuvre. La royauté s'appuie sur elle, pour résister aux attaques de ses vieux adversaires : la haute féodalité seigneuriale et le parti huguenot. Les États vont se réunir. L'influence de la reine s'est fait sentir dans les élections qui envoient à Paris tant de fidèles serviteurs de la cause royale.

Richelieu est de ceux-ci. Il a la conception très claire de l'œuvre qu'on allait entreprendre en commun. Ses ancêtres ont déposé en lui une tradition de loyalisme qu'ont encore développée les impressions de son enfance, son éducation classique, un voyage à Rome qui, en ouvrant son esprit, lui a donné le sentiment des intérêts supérieurs de la patrie commune. Cet ensemble de traditions, d'impressions, de préjugés mêmes, race, famille, caste, profession, se fondent clans une personnalité qui se complète par une longue réflexion et un grand empire sur elle-même.

Intelligence et volonté, telle est, en deux mots, cette personnalité. Elle met un parfait équilibre des facultés au service d'une passion violente, l'ambition. Cet homme veut commander. Mais il est digne du commandement. Ce Français, Français de père, de mère, de naissance, d'éducation, a le sentiment très net de ce qu'est la France ; il l'a vue au dedans et du dehors ; il en a fait le tour. Il sait aussi ce que la France doit à un homme comme lui.

Ses ambitions sont exigeantes, très personnelles. Il a, dans les veines, le sang convoiteux des vieux chasseurs de La Brenne. Il est, comme eux, âpre à la curée. Mais ces instincts violents n'apparaissent qu'à peine. Il les surveille et ne laisse rien percer. Il s'essaye à la dissimulation et déjà il y réussit.

Un tempérament susceptible, orgueilleux, fourbe, que peu à peu l'âge et l'exercice du pouvoir manifesteront, ne montre encore que ses beaux calés, l'ardeur, la finesse, la grâce souriante, le désir des grands services et l'amour de la gloire. Il est empressé, souriant, charmant, dans la gravité ecclésiastique d'une jeunesse déjà mure. N'ayant pas encore reçu beaucoup, il n'a pas eu le temps de se montrer ingrat.

Justement, le gouvernement d'une reine ouvre devant ce jeune homme, devant ce prêtre, la voie rapide de la faveur ; faveur actuellement prodiguée à des étrangers indignes. Mais il n'est pas si difficile de les remplacer, de reprendre, à un point de vue français, la politique étroitement royale qui est naturellement celle des favoris. Si cette entreprise est facile à concevoir que d'habileté, de persévérance, de prudence pour l'achever ! Il faut jouer un jeu si serré et si couvert que personne ne s'aperçoive des desseins obscurs qu'on a peine à s'avouer à soi-même.

L'occasion s'est offerte à Richelieu. Il l'a saisie. Le voilà rentré à Paris, portant en lui l'amas confus de ses aspirations, de ses projets et de ses rêves. Son activité, sou flair, sa souplesse sont en jeu. Il hume l'air de la cour.

Il se jette dans la mêlée avec une résolution contenue, qui se domine jusque dans l'ardeur du combat. Se taire, dissimuler, attendre, cc sont ses premiers jeux. Plaire, émouvoir, séduire, ce sont ses premiers succès. Comme il est adroit, comme il est prompt, comme il est beau, ce jeune et gracieux lutteur, fils de Paris, fils de la province, fils de la France, qui va paraitre dans une grande assemblée, se faire écouter par les trois ordres, obtenir la confiance du premier d'entre eux, étonner la cour, fasciner une reine, s'emparer enfin du pouvoir : — de ce pouvoir tant désiré, qui n'est encore que le but, mais qui, une fois saisi, deviendra l'instrument !

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] C'était une idée courante chez les contemporains : On a remarqué, dit Tallemant des Réaux, que, de tout temps, il a tâché à se pousser et qu'il a prétendu au maniement des affaires.

[2] Paris, PLON, 1880, in-12°.

[3] Tallemant des Réaux dit encore : Estant sur les bancs de Sorbonne, il eut l'ambition de faire un acte sans président ; il dédia ses thèses au roi Henri IV, et quoiqu'il fût fort jeune, il lui promettois dans cette lettre de rendre de grands services, s'il estoit jamais employé.

[4] Cette lettre tout entière ainsi que quelques extraits des lettres suivantes, forment un récit nouveau et complet des événements qui accompagnèrent et qui suivirent la mort de Henri IV. Ces documents sont conservés au ministère des Affaires Étrangères. Mémoires et documents. France. Vol. 769, pièces 67 et suivantes.

[5] Voir la mention des dons faits aux deux beaux-frères par Marie de Médicis, le 26 février 1611, dans les registres de cette reine : Bibliothèque nationale ; Cabinet des Mss ; Cinq Cents Colbert, vol. 91, f° 4. — Je crois devoir transcrire, sur du Pont de Courlay, un extrait d'une note de l'éditeur de la Confession de Sancy. Appendice au Journal de Henri III. Édition de 1746, in-12° (t. IV, p. 32). Les Mémoires de Sully sur 1604, (édit. Petitot, t. V, p. 248), parlent d'un sieur du Pont de Courlay qui s'entendait avec Armand du Plessis, depuis cardinal de Richelieu, contre le marquis de Rosny et les huguenots. (Il ne s'agit pas ici d'Armand du Plessis, mais bien de Henri du Plessis, son frère aîné). Ce du Pont de Courlay est René de Vignerod, sieur du Pont de Courlay en Poitou, que Guy Patin dit avoir été l'un des espions du marquis d'Antre s mille livres par an, avoir eu pour père un notaire de la ville de Bressuire en Poitou et avoir épousé Françoise de Richelieu, l'une des sœurs du cardinal de Richelieu... Une chose m'embarrasse, c'est de savoir si ce Pont de Courlay était un converti.

[6] La marquise de Guercheville avait été mariée avec Charles du Plessis, seigneur de Liancourt, premier écuyer et gouverneur de Paris, etc. Il y avait peut-être quelque alliance entre ce du Plessis et les du Plessis-Richelieu. — V. les Mémoires de Saint-Simon, édit. CHÉRUEL, Hachette, in-12 (t. IX, p. 301). — Correspondance (I, 603).

[7] Analyse de la Correspondance de Richelieu faite par l'abbé LEGRAND. Bibliothèque Nationale, Cabinet des Mss.  Mélanges de CLÉREMBAULT, vol. 521. année 1613.

[8] Correspondance (t. Ier, p. 53).

[9] Correspondance (t. I, p. 55). Je choisirai un logis (à Paris) qui ne soit loin ni de celui de Dieu, ni de celui du Roi. Mémoire publié par A. BASCHET (p. 11).

[10] Voir Correspondance (t. VIII, p. 5).

[11] Correspondance (t. I, p.59).

[12] A l'occasion de la mort de leur tante, Mme de Saulves, son frère lui écrit : Je m'assure que cet accident, arrivé en votre présence, vous aura bien touché, et je crains que ce déplaisir n'augmente encore votre humeur mélancolique et votre fièvre par conséquent. 14 février 1611. (Affaires Étrangères. Mémoires et documents. France. t. 768, pièce 13). Richelieu, lui-même, ne dissimule pas ses défaillances momentanées : Qui remit état de passer cette vie sans traverse, écrit-il, se mécompteroit bien fort. Quelque prudence qu'un homme puisse avoir, il doit se souvenir qu'on se trompe souvent aux choses mêmes auxquelles il semble qu'on ait le mieux pourvu. Correspondance (I, p. 34.)

[13] J'ai dit dans le texte, d'après un document daté du 2 février 1563, que Coussay avait été bâti par Rollier, évêque de St-Malo. Ce serait peut-être plutôt par son prédécesseur, Guillaume Briçonnet. Guillaume Briçonnet, connu sous le nom de Cardinal de St-Malo, surintendant des finances sous Charles VIII, étant devenu veuf, était entré dans les ordres et s'était fait donner l'évêché de Saint-Malo, en 1491, et l'archevêché de Reims eu 1-i91. Privé de la pourpre par Jules II et excommunié, il fut absous par Léon X qui lui donna l'évêché de Narbonne où il mourut en 1514. Voir sur tout ce qui le concerne, ainsi que son fils, Guillaume évêque de Meaux, un article de l'abbé DUFOUR dans Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris, 1881 (p. 118). — Richelieu avait pris possession du bénéfice de Coussay à la mort de son oncle, Jacques du Plessis, avant lui évêque de Luçon. Le souvenir de Richelieu s'est conservé intact dans le village reculé qui entoure le château encore debout. Les métayers qui habitent celle charmante demeure connaissent le nom de leur illustre prédécesseur et le curé de la paroisse, s'intitule volontiers comme le cardinal, prieur de Coussay. Malheureusement le délabrement de l'intérieur du monument ne répond guère à l'élégance encore frappante de l'extérieur. On trouve aux Archives de la Vienne quelques documents intéressants relatifs au prieuré de Coussay : — 2 février 1563. Édit du Roi pour le rachat du domaine ecclésiastique du prieuré de Coussay au profit de notre cher ami et féal conseiller et aumônier ordinaire, Messire François Rovier, évêque de St-Malo et prieur de Coussay. — 13 mai 1623. C'est la déclaration des choses béreditaux, dommaynes et hérittages que nous Vincent et Guiot Bouttement père et fils, meusniers, demeurant aux moulins de Brissay, paroisse de Coussav, Me Pierre Rovier sergent, et Pierre Deronette, demeurant à Brissay, paroisse dudit Coussay, avouons et advonerons tenir à Vous, nostre seigneur l'Illustrissime Cardinal de Richelieu, prieur et chastellain de Coussay, et, ce, à cause de vostre dict prieuré de Coussay... — XVIIIe siècle. Déclaration que donne à Messieurs de la Chambre ecclésiastique du diocèse de Poitiers, D. G. Marie Cunat, prêtre, religieux bénédictin de la Congrégation de St-Matir, prieur titulaire du prieure simple et régulier de Saint-Paul de Coussay, diocèse de Poitiers, membre dépendant de l'abbaye royale de St-Paul de Connery... pour satisfaire à la déclaration du Roi du 17 août 1750. Il résulte de cette déclaration et d'un bail qui y est joint, qu'en 1751. le revenu du prieuré était évalué à la somme de 3.844 livres desquelles il fallait déduire 2.164 livres, à cause des grands frais d'entretien du château. Déjà, à cette époque, la moitié du château était habitée par des métayers.

[14] Voir une lettre de Richelieu à son frère qui a échappé aux recherches de M. Avenel et qui est mentionnée en ces termes dans le catalogue d'autographes d'Étienne Chamvay, 28 novembre 1881, n° 133 : RICHELIEU (L.-F. Armand DU PLESSIS, cardinal de). — L. aut., sig. d'un monogramme, à son frère ; 26 déc. 1611, 2 p., ¾ in fol., cachets Richelieu donne, dans cette lettre, son avis sur une délicate question de propriété et raconte les démarches qu'il a faites pour trancher à l'amiable une contestation intéressant son frère. Il ne croit pas qu'on puisse obtenir satisfaction. Vous pouvez croire que je scay quel est vostre courage que je croy aussy franc qu'il y en ait au monde, et parlant que je ne dis rien pour penser datter vostre humeur, mais au contraire pour l'empescher de suivre les voies à quoy d'elle-mesme elle se porte. Nous sommes frères ; je vous parle à cœur ouvert en ceste qualité. Je vous prie de le trouver bon et croire que personne ne désirera jamais votre contantement et vostre honneur avec tant de passion que moy... — Voir aussi Correspondance, année 1613 et 1614, passim (notamment p. 117 et suiv. p. 125 ; etc.). — Voir enfin les lettres à lui adressées par Bouthillier et la lettre, déjà citée ci-dessus, que son frère lui écrivit, en février 1611, à l'occasion de la mort de leur tante, Mole de Saulves. Elle avait désigné l'évêque de Luçon connue son exécuteur testamentaire. (Archives des Affaires Étrangères. France, t. 768, pièce 13.)

[15] Correspondance (t. I, p. 72)

[16] Correspondance (t. I, p. 82). Voir sur l'importance du rôle de Phelypeaux de Pontchartrain, ses Mémoires dans la Collection Michaud et Poujoulat. Il dit en propres termes que l'évêque et le lieutenant criminel Nouziéres appuyaient le parti de la Cour (p. 331). — Voir encore une lettre du prince de Condé au président Jeannin : Monsieur, j'ai reçu un si sanglant déplaisir à Poitiers, que dis-je, déplaisir ? mais affront si grand qu'il n'est pas possible de plus, qui sont les effets des correspondances que M. Phelypeaux a dans les villes. Bibl. Nat., Cabinet des Mss., n° 3799, f° 1. — Voir aussi les lettres de M. de Vic à l'évêque de Luçon, datées du 25 août 1612, du 9 septembre 1612 du 21 mars 1613, aux archives des Affaires Étrangères. France (t. 768, pièces 33 et 33 ; t. 26, pièce 1.)

[17] Lettre adressée à l'évêque de Luçon par son ami, G. de l'Aubespine, évêque d'Orléans (8 octobre 1612). Affaires Étrangères, France (t. 768, pièce 38).

[18] Correspondance (t. I, p. 86). Lettre à M. des Préaux.

[19] Correspondance (t. I, p. 93-123).

[20] Richelieu répète cette expression trois ans plus tard, dans un passage Caput apologeticum qu'il écrit après sa chute du premier ministère. Il rappelle d'ailleurs qu'il a toujours été fidèle à la royauté. V. Correspondance (t. VII, p. 420).

[21] Correspondance (t. I, p. 121).

[22] Mémoires de Richelieu. Coll. Michaud et Poujoulat (t. I, p. 57).

[23] V. THIBEAUDEAU, Histoire du Poitou (t. III, p. 183 et suiv.) OUVRÉ, Essai sur l'Histoire de Poitiers depuis la fin de la Ligue jusqu'à la prise de La Rochelle (1595-1628), Poitiers, 1856, in-8° (p. 60 et suiv).

[24] Richelieu dit que Sainte-Marthe avait été nommé à la mairie de la ville par suite des menées du prince de Condé. Mémoires (t. I, p. 71.)

[25] Latrie ne fut que blessé ; mais un laquais qui l'accompagnait fut tué. V. OUVRÉ (p. 73).

[26] C'est à cette époque que Duvergier de Hauranne composa son pamphlet pour prouver qu'il est permis à un ecclésiastique de porter les armes.

[27] Richelieu dit qu'il était aidé à M. le Prince (p. 71).

[28] Condé resta aux environs de Poitiers muguetant la ville et cherchant à la surprendre. Mémoires de Richelieu (p. 71).

[29] Le récit de Richelieu dans ses Mémoires est visiblement favorable à La Rocheposay. — J'avais cru trouver une autre preuve de cette entente des deux évêques contre le prince de Coudé, en lisant sur le catalogue du fonds Moreau, à la Bibliothèque nationale, la mention d'une lettre du prince de Condé à la reine mère contre l'évêque de Luçon, datée du 4 juillet 1614. Vérification faite, ce n'est pas de Richelieu, mais de La Rocheposay qu'il est question dans ce document qui n'est d'ailleurs qu'une copie d'un original conservé dans le vol. 3799 du cabinet des Manuscrits.

[30] Correspondance (I, 126).

[31] Correspondance (I, p. 111).

[32] Archives des Affaires Étrangères ; France (t. 768, f° 173).

[33] Affaires Étrangères ; France (t. 768, pièce 33).

[34] Voir Affaires Étrangères ; France (vol. 1696, f° 22 et suiv.) — Cfr. THIBAUDEAU, Histoire du Poitou (t. III, p. 203-204).

[35] La ville de Fontenay prétendit avoir sa députation spéciale et ne pas confondre ses votes avec ceux de la sénéchaussée du Poitou. Une élection eut donc lieu dans cette ville. Mais une fuis arrivés à Paris, les députés du Poitou, ayant à leur tête Richelieu, se pourvurent devant le Conseil du Roi et obtinrent un arrêt, qui interdisait aux députés de Fontenay d'entrer aux étals et qui leur ordonnait de faire remise de leurs cahiers et remontrances aux députés de la Sénéchaussée. Voir sur cet incident, Procès-verbal de la Chambre Ecclésiastique des états généraux de 1614, Paris, 1650, in-8° (p. 112).

[36] Mémoires de M. de Baze, cités par THIBAUDEAU, p. 201. Malheureusement les lettres de Saint-Cyran nous manquent.

[37] Affaires Étrangères ; France, vol. 789, f° 180 et suiv. — Nous avons trouvé les traces de l'indemnité payée à l'évêque de Luçon et à son collègue : voir le curieux document conservé aux archives de la Vienne : Taxe de 75 livres, 2 sous, dix deniers, imposée sur le chapitre de Saint-Hilaire pour subvenir aux frais faits par l'évêque de Luçon et le doyen de Saint Hilaire, députés des trois diocèses de Poitiers, Luçon et Maillesais aux états généraux du royaume assemblés à Paris. Archives de la Vienne, G, 540. reg.