HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

LA JEUNESSE DE RICHELIEU (1585-1614)

CHAPITRE TROISIÈME. — LA NAISSANCE ; L'ENFANCE ; LES ÉTUDES.

 

 

Tout porte à croire qu'Armand-Jean du Plessis, dernier enfant mâle de François du Plessis et de Suzanne de la Porte, est né à Paris, le 9 septembre 1585.

Cependant plusieurs écrivains du XVIIe siècle ont affirmé qu'il vit le jour à Richelieu. Quelques années seulement après sa mort, on montrait dans le château reconstruit la chambre où son illustre mère accoucha heureusement de cet illustre fils. Cela suffit pour que les auteurs poitevins aient revendiqué comme un titre d'honneur le fait matériel de la naissance de leur compatriote parmi eux[1].

Il faut s'incliner cependant devant le témoignage d'autres contemporains mieux informés et surtout devant l'affirmation de Richelieu lui-même. André Duchesne, qui écrit du vivant du cardinal de Richelieu et qui dresse, sous les yeux du ministre, la généalogie des du Plessis, André Duchesne, dont on connaît l'exactitude et qui avait entre les mains tons les papiers de la famille, dit qu'il naquit à Paris, ville capitale du royaume. Aubery, auquel Mme d'Aiguillon, nièce du cardinal, confia le soin de composer, immédiatement après la mort du cardinal, une histoire de sa vie et de son ministère, Aubery dit qu'il naquit et mourut dans un même hôtel[2]. Le géographe Baudrand affirme et répète qu'il naquit à Paris, rue de Jouy, où est à présent l'hôtel d'Aumont[3]. Un des adversaires les plus ardents de Richelieu, Mathieu de Mourgues, dit, quelques mois après la mort du grand ministre : Il est mort à Paris, où il était né cinquante-sept ans et trois mois auparavant[4]. En 1627, dans un pamphlet rédigé sous ses yeux, en réponse aux attaques de ses ennemis[5], Richelieu fait écrire : Sachez donc qu'il naquit l'an 1585, non pas du côté de Tours, comme s'est imaginé ce conteur qui ne dit rien que ce qu'il ne sait, mais dans Paris même. Richelieu encore, dans une lettre écrite en 1633, dit en propres termes : Si je n'étais Parisien, vous pourriez trouver étrange que je sollicitasse les affaires de Messieurs de Paris ; mais ma naissance m'ayant rendu tel, il m'est impossible de ne pas suivre l'inclination que j'ai de servir une ville où je suis né[6].

Enfin, un écrivain dont le témoignage est précieux, parce qu'il fut un des familiers de la maison de Richelieu, l'abbé Michel de Pure, écrit qu'il naquit à Paris, environ le mois de septembre 1585 ; il ajoute que l'accouchement fut pénible, qu'il faillit coûter la vie à la mère, que l'existence de l'enfant lui-même resta longtemps incertaine, et que, lorsque le baptême eut lieu à l'église Saint-Eustache, huit mois après la naissance, on ne fit aucune fête, le péril qu'avaient couru l'enfant et la mère portant plutôt au deuil qu'à la joie[7].

Ces témoignages concordants, et notamment ces deux dernières affirmations si positives, l'emportent évidemment sur la tradition qui rattache la naissance au château de Richelieu. Le passage de l'abbé de Pure donne la solution du problème qui avait jusqu'ici préoccupé les biographes, à savoir les causes du retard apporté au baptême. On croyait les rencontrer dans le temps nécessaire pour accomplir le voyage du Poitou à Paris. Nous savons maintenant qu'elles tenaient uniquement à la santé de la mère et de l'enfant, ainsi qu'à l'absence du père, qui, au témoignage du même abbé, était éloigné de Paris, au moment de la naissance de son fils.

Le texte de l'acte de baptême a été retrouvé. Le voici tel qu'il a été conservé en original, pendant trois siècles, sur les registres de la paroisse Saint-Eustache.

1586, le Ve jour de may.

Fut baptizé Armand Jehan, filz de mesire Françovs Duplicis, signeur de Richelieu, chevalier des ordres du rov, conseillier en son conseil detast, pruvost de son ostel et grand preuvost de Franche, et de darne Suzane de la Porte, sa femme, demeurant en la rue du Bouloy et ledict enfans fust né le neuvième jour de septembre 1585 : Les parains mesire Armand Gontauld de Biron, chevalier des ordres du rov, conseillier en son conseill detast, capitaigne de cent hommes d'arme de ces ordonanses et maréchal de France, et mesire Jehan Daumon, aussi marechal de Franche, chevalier des ordres du Roy, conseillier en son conseil detast, capitaine de 1 cent hommes d'arme desdict ordonance. La reine, dame Françoise de Rochechouart, dame de Richelieu, mere dudict Richelieu[8].

Il résulte de ce document que le père et la mère de Richelieu donnaient, à cette époque, comme indication de leur domicile à Paris, la rue du Bouloy. C'est probablement là que Richelieu vit le jour. La proximité de la rue du Bouloy et du futur palais-cardinal explique le mot d'Aubery : né et mort dans un même hôtel. Le fait que le maréchal d'Aumont fut l'un de ses parrains peut se rapporter à ce que dit Bandrand. Il résulte enfin de ce même acte que la marraine de Richelieu fut sa grand-mère, Françoise de Rochechouart. Il fallut lui laisser le temps de venir du Poitou.

La présence de la famille de Richelieu à Paris, vers l'époque de la naissance, n'a rien qui puisse étonner. Les fonctions du grand prévôt l'appelaient à résider, le plus souvent, auprès du roi. En outre, dans cette année 1385, il faisait les démarches pour l'enquête qui devait précéder sa réception dans l'ordre du Saint- Esprit. Mme de Richelieu paraît avoir rempli aussi quelque charge à la cour[9]. On peut accepter que sous ces réserves le témoignage d'un contemporain disant qu'ils faisaient leur résidence habituelle à Richelieu[10], et il faut conclure de cet ensemble de faits et de rapprochements que Richelieu est né à Paris[11].

Mais la mort du grand prévôt ayant, comme nous l'avons dit, ramené Madame de Richelieu dans le Poitou, c'est dans cette province que l'enfant passa ses premières années. Il avait cinq ans quand son père mourut. Sa santé fut toujours délicate. Cependant il fut mis de bonne heure à l'étude. Son premier maître fut un prieur de l'abbaye Saint-Florent de Saumur qui s'appelait Hardy Guillot. Celui-ci était bon, grand donneur d'aumônes et son nom devait rester en vénération auprès des frères du couvent[12].

Mais les éléments d'une instruction quelque peu étendue manquaient dans ce château isolé. Dès que l'enfant eut grandi et que les temps furent devenus moins sombres, son oncle, Amador de La Porte[13], offrit à Mme de Richelieu qu'il avoit fort assisté dans sa viduité de se charger de lui. Il l'amena à Paris et le fit entrer au collège de Navarre où il l'entretint. C'était dans ce collège que le père et les oncles de Richelieu avaient fait leurs études. li était au premier rang parmi ces antiques maisons d'éducation qui se pressaient sur la montagne Sainte-Geneviève. Le duc d'Anjou, plus tard Henri III, Henri de Bourbon, plus tard Henri IV, s'étaient assis sur ses bancs[14].

A l'époque où le jeune Armand du Plessis y entrait à son tour, c'est-à-dire vers 1595, ce collège était bien déchu de son antique splendeur. Les longs désordres de la Ligue avaient suspendu la vie de l'Université parisienne. Les collèges avaient dû renvoyer leurs élèves. Pendant les deux sièges, leurs grands bâtiments vicies s'étaient remplis de vagabonds, de soldats, de paysans fuyant les campagnes. Vous n'oyez plus aux classes ce clabaudement latin des régens qui obtondoient les oreilles de tout le monde. Au lieu de ce jargon, vous y oyez à toute heure du jour l'harmonie argentine et la vraie idiome des vaches et veaux de lait ou le doux rossignolement des fines et des truies qui nous servent de cloches. La plupart des professeurs s'étaient enfuis, et les histoires spéciales citent avec grands éloges ceux d'entre eux qui, par amour du devoir ou par attachement à la prébende, étaient restés à leur poste. Les cours furent repris dans les collèges vers 1594. Mais les suites funestes d'une si longue interruption ne disparurent que bien lentement[15].

Ainsi les premières impressions d'Armand du Plessis, en arrivant à Paris, ne différèrent pas de celles que son enfance avait reçues dans sa province : partout le spectacle de la ruine, de la misère, de la désolation, conséquences du désordre public et de l'indiscipline sociale.

Entré à Navarre, il poursuivit ses études selon les programmes et les méthodes alors en usage. On ne le destinait nullement à l'Église. Sa première éducation fut purement laïque. Ébauchée au collège, elle devait se terminer à l'Académie. Les cours ordinaires se divisaient en trois parties : la grammaire, les arts, la philosophie. Pour un gentilhomme, il n'était guère question que des deux premières facultés. Il fallait, en effet, précipiter les études pour que l'Académie le reçût encore jeune et souple et le rendit de bonne heure à une carrière généralement très hâtive.

Les exercices de la grammaire duraient deux ou trois ans. Outre le catéchisme et les principes de la religion, les enfants apprennent le rudiment, c'est-à-dire les règles de la langue latine. Même dans le cours ordinaire de la vie, les écoliers étaient tenus de parler latin. Ils s'élevaient ensuite à l'explication des auteurs, en commençant par les Épîtres familières de Cicéron, les Comédies de Térence, les Églogues de Virgile. En quatrième, on abordait les Discours de Cicéron, quelques Satires d'Horace et de Juvénal, puis les Tusculanes, les Traités de critique de l'orateur romain et de Quintilien. A partir de la quatrième, on commençait à joindre à l'étude du latin les éléments de la langue grecque que Ramus et les Ronsardisants avaient mise à la mode[16].

La grande méthode d'instruction, en dehors de la lecture et de l'explication des auteurs, c'était le développement littéraire, que l'on qualifiait chria ou sententia. On empruntait les sujets de ces développements aux livres éminemment classiques du rhéteur Aphtonius[17] ; par exemple, il fallait prouver par principes et par points que les racines de la science sont amères, mais que ses fruits sont doux, — ou bien il fallait déclamer contre la tyrannie[18]. Les écoliers mettaient en prose ou en vers les paroles d'Hécube après la prise de Troie ; — les plaintes de Niobé sur la mort de ses enfants. Les cahiers de notes, de tours de phrase, de sentences littéraires ou philosophiques, étaient en grand usage ; des collèges, ils avaient gagné la littérature, le barreau, la chaire, et les avaient cruellement infestés.

Un jeune gentilhomme pouvait en rester là, et c'était déjà beaucoup s'il accomplissait le cycle de ces études littéraires. Bien peu abordaient la philosophie, qui les retenait deux ans encore. La philosophie, c'était, à proprement parler, la logique et les sciences, ou plutôt c'était la lecture et le commentaire des œuvres d'Aristote ; les Catégories d'abord, puis les Analytiques, les Topiques, l'Éthique ; enfin, dans la seconde année, la Physique et la Métaphysique, qui se complétaient par les notions de la sphère et des premiers livres d'Euclide. Les philosophes s'habituaient à parler en public. A certaines époques de l'année, ils se disaient prêts à disputer contre tout venant.

Cette éducation était sévère, étroite, toute de méthode et de rigueur. Elle se pliait peu à l'enfant, mais le pliait. Il est à croire que la rigidité même du système le rendait d'une application difficile et rare. Il réservait toute sa rudesse pour les vaillants fils du peuple venus à pied du fond de leur province, afin d'entendre, sur la paille de la rue du Fouarre, les lectures des professeurs célèbres. Mais il se montrait moins exigeant pour l'essaim des jeunes gentilshommes qui arrivaient le matin an collège en externes, déjà vêtus de dentelles et de plumes, les bottes molles, et, derrière, le précepteur domestique avec les livres et le carton[19].

On a conservé quelque trace du passage de Richelieu au collège de Navarre, et l'historien de ce collège dit qu'il y avait fait sa grammaire et sa philosophie, en souvenir de quoi il y fonda, en 1638, une chaire de controverse théologique. Le même écrivain rapporte qu'en 1597, sous le troisième rectorat de Jean Yon, le jeune Armand du Plessis, en costume d'enfant de chœur, accompagna ce même Yon qui conduisait la procession des membres de l'Université au tombeau de saint Denis. Ce souvenir, parait-il, resta gravé dans la mémoire du futur cardinal. Quand, par la suite, l'Université envoyait une délégation auprès de lui, on y joignait toujours le vénérable lion. C'était, dit de Launay, un homme de conduite honnête, de maintien sérieux, de tenue soignée ; il eût fait bonne figure dans un sénat, mais il préféra le repos et la lecture de Cicéron, dont il faisait ses délices. Richelieu le recevait avec plaisir, le traitait avec affabilité et lui rappelait le souvenir de la cérémonie à laquelle ils avaient pris part. Il ajoutait en souriant qu'il ne voyait pas entrer son ancien maitre sans éprouver encore un sentiment de respect et de crainte, — preuve, ajoute judicieusement l'écrivain, — que la discipline était sévère au collège de Navarre.

Cette discipline ne fut pas toujours supportée d'une âme égale par le jeune du Plessis. Il était vif, bouillant, impatient du joug. On tirait tout de lui par les louanges et les récompenses. Mais on employait en vain les menaces et la crainte. L'historien de son enfance, Michel de Pure, trouve des traits qu'il faudrait citer dans leur latin pour dépeindre la promptitude de son esprit, la violence, la colère de ses ambitions et de son émulation enfantine : Il avait une soif de la louange et une crainte du blâme qui suffisaient pour le tenir en haleine. Il avala comme d'un trait toute la grammaire. Bientôt il brilla d'un éclat subit. Ce que les autres enfants font en enfant, lui, il le fit avec méthode : il était conscient de tout ce qu'il disait et faisait. Si on l'interrogeait, il savait, avant de répondre et par des questions embarrassantes, prévenir les questions suivantes. Et l'on ne peut dire enfin les admirables dons d'un esprit vraiment beau qui apparaissaient et jaillissaient sans cesse en étincelles éblouissantes[20].

Devenu plus grand, ce caractère vif, indomptable, se déploya dans l'exubérance de la jeunesse. Il était maigre, avait la figure fine, les yeux aigus. Une flamme brillait en lui. On le sentait propre à tout, mais, quelque carrière qu'il embrassât, capable de grandes choses. — Son audace, dit encore le biographe, était supérieure à ses forces, mais non à son génie. Il se montrait tenace, et dans les luttes du collège, il ne savait ni pardonner ni oublier.

Ce tempérament le portait vers les choses de la guerre. Quand les études touchèrent à leur fin. Suzanne de la Porte rassembla un conseil de famille pour se décharger du poids de la responsabilité qui lui incombait. Il fut décidé que le jeune Armand se destinerait aux armes. Il prit donc le nom de marquis du Chillon, ceignit l'épée et se fit inscrire à l'Académie : Les marques d'une générosité singulière brillaient déjà sur son visage[21].

Des mains du bon Yon, Armand du Plessis passa dans celles de M. de Pluvinel.

Antoine de Pluvinel, gentilhomme dauphinois, était le fondateur d'un genre d'établissement qui répondait parfaitement aux nécessités du temps et qui eut une très grande vogue dans tout le cours du dix-septième siècle : l'Académie. Prenant les écoliers à la sortie du collège, M. de Pluvinel avait pour idéal d'en faire des hommes et surtout des soldats[22].

Il avait tout ce qu'il fallait pour réussir dans ce genre d'entreprises. Cavalier de grand mérite et de haute tenue, il avait l'expérience de la cour et celle des camps ; son assurance, quelque peu gasconne, ajoutait au prestige du mérite et de rage. Il avait beaucoup voyagé, s'était inspiré des exemples des maîtres italiens, avait visité la Hollande, cette école des gens de guerre. Comme le père de Richelieu, il avait accompagné Henri III en Allemagne et en Pologne, remplissant près de ce prince, les fonctions de premier écuyer. Henri IV devait lui confier bientôt le soin de l'éducation physique de Louis XIII.

Antoine de Pluvinel et le Manège où s'exerçaient ses élèves vivent pour nous dans les admirables gravures de Crispian de Pas. Tout l'art de l'homme du monde, du cavalier et du courtisan est exposé dans ces doctes et gracieuses leçons. Ce qu'on apprenait à l'Académie, ce n'était pas seulement les exercices du corps, le maniement du cheval, le manège, l'escrime, la bague, la quintaine ; c'était la tenue, l'aptitude physique et intellectuelle, la promptitude de l'esprit et du corps, l'élégance, la bravoure et l'honneur. Le vieux serviteur de Henri III et de Henri IV enseignait à la jeunesse qui se pressait autour de lui l'usage du monde, la façon de se présenter, de saluer, de s'expliquer d'un geste ou d'un sourire. Sa faconde méridionale abondait en traits instructifs, en belles reparties, en beaux exemples. Les jeunes gens les recueillaient de sa bouche, dans de jolies attitudes de page, le sourire aux lèvres, le poing sur la hanche.

Pluvinel aimait à citer ces excellents points des histoires qui ornent l'esprit et rehaussent le cœur. Il désignait aux jeunes gens les gentilshommes qu'ils devaient prendre pour modèles : les Bellegarde, les d'Épernon, les Bassompierre. Il soulignait leurs mérites d'un mot, ou, d'un sourire, leurs défauts. Il avait un avis sur la hauteur du chapeau, la frisure des plumes, la longueur du manteau, l'empesé des fraises et du collet.

Le marquis du Chillou prit un grand plaisir à ces exercices. Fils de soldat, cadet, destiné par sa naissance, par son peu de fortune, à devenir un de ces gens de main qu'il désigne lui-même comme l'élite de la noblesse française, il embrassait, avec l'ardeur qu'il mettait en toutes choses, des exercices et des études qui devaient faire de lui un homme.

Toute sa vie, il 'conserva le pli que cette éducation lui avait donné. Il aima toujours les choses de la guerre. Une estampe de Callot le représente devant la Rochelle, à cheval, la robe relevée, les jambes bottées, l'épée à la main. Les contemporains se moquaient de cet accoutrement. Il en paraissait, tout au contraire, fort satisfait. Sous le prêtre, on retrouve toujours en lui le soldat.

Un enchaînement de circonstances qui marque bien le caractère du temps, changea soudain, et du tout au tout, la carrière d'Armand-Jean du Plessis. Dès l'année 1581, et peut-être quelque temps auparavant, Henri III, voulant gratifier le grand prévôt, lui avait accordé la disposition de l'évêché de Luçon[23]. L'argent manquait dans les caisses de la royauté ; elle avait trouvé ce moyen de battre monnaie et de récompenser ses serviteurs. Pour les abbayes et les bénéfices réguliers, cette façon d'agir était entrée dans les mœurs ; pour les bénéfices séculiers, et surtout pour les évêchés, la chose était plus rare et avait véritablement un caractère scandaleux, simoniaque.

Le grand prévôt, et, après sa mort, sa veuve, n'en jouissaient pas moins des revenus consistoriaux de Luçon, par l'intermédiaire d'administrateurs qui n'étaient que des prête-noms. Pendant près de cinquante ans, l'évêché se transmit ainsi, au gré de la famille. Le premier de ces évêques confidentiaires fut René de Salla[24] ; puis vint Jacques du Plessis de Richelieu, qui, quoiqu'il exit pris les ordres, ne résida jamais[25]. Un certain François Yver, curé de Braye, d'une famille très dévouée aux du Plessis, reçut le titre d'évêque de Luçon, en l'année 1592[26]. Dès cette époque, on disait que l'un des fils de Madame de Richelieu serait effectivement évêque et qu'Yver administrait seulement pour le temps où ces messieurs étaient aux universités.

Cependant, les chanoines de Luçon supportaient très mal de tels procédés. A la rigueur, ils se seraient passés d'évêque. Mais l'administrateur, qui prélevait les rentes avec une exactitude ponctuelle, refusait de faire aucun des sacrifices qui incombaient à sa charge. On plaida. Se sentant un peu pressée, Madame de Richelieu fit entendre que le premier de ses cadets, Alphonse, allait haler ses études. On prit même, dès lors, la précaution de le faire nommer par le roi. A partir de 1595, n'ayant encore que douze ans, il recevait. parfois le titre d'évêque[27].

Mais cet Alphonse, honnête homme, très dévot et bizarre, ne voulut pas se prêter longtemps à de pareils arrangements. Fut-ce excès de scrupule, ou quelque autre motif ? Le jour venu, il refusa tout net de coiffer la mitre. Il se fit moine et alla s'enfermer à la. Grande Chartreuse. Ce coup de tête rompait toutes les mesures de Madame de Richelieu. L'évêché allait-il lui échapper ? Heureusement, elle avait un troisième fils. Celui-ci avait l'intelligence vive, prompte, prête à tout. Ce n'était pas un rêveur. Sa mauvaise santé pouvait lui être un grand obstacle dans la carrière des armes où il prétendait entrer. Tout bien pesé, cet autre cadet prit la soutane et sauva l'évêché[28].

Ceci se passe aux environs de l'année 1602. Armand du Plessis avait dix-sept ans. Il quitte l'Académie et se remet à l'étude. Il avait déjà fait une philosophie à Navarre. Il en fit une autre à ce même collège, ou peut-être au collège de Lisieux. Puis il aborda la théologie. Soli premier maitre en cette science fut Jacques Hennequin, homme docte qui enseignait au collège de Calvi. Dès 1603, Armand du Plessis suivait ses leçons[29].

Mais la promptitude de son esprit se lassa vite des lentes méthodes usitées dans l'enseignement. Il délaissa les cours publics et se livra, chez lui, à des études personnelles qu'il poursuivit avec une application extraordinaire[30]. C'est à cette époque que Richelieu parait avoir eu pour maitre de controverse l'Anglais Richard Smith, un des esprits les plus libres parmi les théologiens du temps[31].

Richelieu, soit de son propre mouvement, soit par l'impulsion qu'il recevait de ce maître particulier, embrassait alors, avec une passion fougueuse, les doctrines des philosophes. Il voulut manifester ses sentiments à ce sujet et demanda aux maîtres de la maison de Sorbonne l'autorisation d'ouvrir une dispute publique dans leurs bâtiments. Les sorboniens, inquiets, ne voulurent pas se prêter à son désir et la raison du refus, dit l'écrivain qui nous rapporte ces faits, était la même que celle de la demande : à savoir que cela ne s'était jamais fait. Richelieu ne se tint pas pour battu. Il s'adressa à ses anciens maîtres du collège de Navarre, et il livra là son combat philosophique, sous la présidence d'un certain personnage du nom d'Itain, qui n'était ni docteur ni même bachelier et qui se contenta d'accorder sa présence muette aux exploits irréguliers de l'abbé de Richelieu. Cela se passe en 1604.

A cette époque de la vie de Richelieu se rapporte une autre anecdote qui, en elle-même, est peu de chose ; mais il ne faut perdre aucun trait de la jeunesse des grands hommes. Laissons donc parler l'écrivain contemporain : M. le cardinal, étudiant en philosophie, occupait un corps de logis en son particulier qui avoit une entrée dans le jardin du collège de Saint-Jean-de-Latran, dont le jardinier étoit de Chinon et nommé Rabelais. Quarante ans après, Son Éminence, rappelant dans sa mémoire ce temps-là, témoigna à Desbournais (son valet de chambre) qu'il auroit joie de sçavoir ce que ce jardinier étoit devenu et ses deux filles, et lui donna ordre de se transporter le lendemain à ce collège et, s'ils étoient encore en vie, de les lui amener avec toute leur famille, ce que Desbournais ayant exécuté ponctuellement, lui présenta, à l'issue de son Biner, le bonhomme Rabelais, accompagné de ses deux filles et de leurs enfants, lesquels, se jetant tous à genoux, lui demandoient pardon, protestant n'avoir jamais mal parlé de Son Éminence qui, riant de son ingénuité, lui commanda de se relever et lui dit : N'ayez point de peur, bonhomme ; me reconnaissez-vous bien ?Hélas ! bon seigneur, répondit Rabelais, nous ne vous avons jamais vu. — Vous souvenez-vous bien d'un jeune écolier, repartit M. le cardinal, qui avait pour précepteur M. Mulot et pour valet de chambre Desbournais, de votre pays, et un laquais à livrées rouges. — Oui chia, Monseigneur, répondit Rabelais. Ils ont bien croqué de mes pavis et de mes pèches, sans m'en dire mot. — C'est moi, mon bonhomme, je veux vous payer vos fruits. Desbournais, qu'on lui donne cent pistoles, et à chacune de ses filles deux cents. N'êtes-vous pas satisfaits de moi ?... L'on peut juger de leur joie...

L'étudiant avait, comme on le voit, un certain train de maison : habitation à part, précepteur, valet de chambre, laquais. Il se sentait déjà de l'évêque ; et si les fruits du bonhomme Rabelais souffraient du voisinage, si ses filles même étaient approchées d'un peu près, c'était, en somme, beaucoup d'honneur[32].

Cependant, les études de théologie furent menées rondement. Outre le caractère de l'homme, qui n'avait rien de languissant, le temps pressait. Vers 1603, le sieur Yver, agissant au nom de madame de Richelieu, avait été condamné, par arrêt du parlement, a donner un tiers du revenu de l'évêché pour réparer l'église cathédrale et les bâtiments du palais épiscopal. Pour gagner du temps, Madame de Richelieu avait demandé à transiger. Deux chanoines de Luron s'étaient rendus à Paris ; des arbitres avaient été nommés, et la famille de Richelieu avait dît s'engager à faire les réparations réclamées depuis si longtemps. Cet engagement absorbait les principaux revenus de l'évêché. La situation du sieur Yver, évêque non consacré de Luçon, devenait insoutenable. Dès octobre 160, on faisait figurer dans les actes rendus au nom de l'évêque, un N... de Richelieu ; le nom restait en blanc, comme si on eût hésité encore entre Alphonse et Armand.

Il fallait en finir. Vers la fin de 1606, sans attendre l'obtention de ses grades, et cinq ans avant d'avoir atteint l'âge canonique, l'abbé de Richelieu fut nommé évêque de Luçon. En même temps, le roi Henri IV, qui continuait à protéger la famille du grand prévôt, sollicitait du pape la dispense nécessaire pour la consécration.

Richelieu avait dès lors, près du roi, un protecteur dévoué et influent. C'était son propre frère, Henri du Plessis. Cet aîné, dont nous avons à peine prononcé le nom jusqu'ici, mérite de nous arrêter un instant. On ignore la date de sa naissance ; mais on peut penser qu'il était de cinq ou six ans plus tige que son frère. C'était un jeune homme vif, brillant, aimable, d'un cœur tendre et prompt, d'un esprit ouvert et délié. Dès qu'il fut en âge de paraître à la cour, il vint à Paris et, en partie par la faveur de son nom, en partie par la complaisance de ses services, sut s'attirer l'amitié du roi. Nous avons vu que, de bonne heure, il s'était, fait inscrire sur la liste des pensionnaires, libéralité d'autant plus remarquable de la part de Henri IV, que ce prince ne passait pas pour prodigue. Malgré ses modiques ressources, Henri de Richelieu s'était mêlé à tout ce qu'il y avait de galant à la cour. Il était l'un des dix-sept seigneurs qui donnaient le ton et réglaient la mode.

Actif, insinuant et brave, il était cligne, en tous points, du nom qu'il portait. Les mémoires contemporains le montrent mêlé aux intrigues de la cour. Dès 1605, il portait ombrage au puissant favori du roi, Rosny. Il servait d'intermédiaire dans une négociation où les jésuites étaient intéressés. Le père Cotton l'utilisait[33].

Il s'appuyait lui-même sur son beau-frère, du Pont de Courlay. Celui-ci, de beaucoup plus âgé que lui, d'abord gentilhomme de la chambre, puis capitaine des gardes du roi, combattant d'Arques et d'Ivry, peut-être huguenot converti, était un homme actif et d'ambitions très inquiètes, malgré sa noblesse douteuse. Il avait épousé, le 23 août 1603, Françoise du Plessis, sœur de Henri et d'Armand. Ils formaient, tous ensemble, une petite cabale dévouée à la reine Marie de Médicis. Bons joueurs de luth, courtisans élégants et souples, ils avaient leur entrée dans les cabinets et jouissaient d'une espèce de faveur occulte qui devait porter ses fruits sous la régence[34].

Henri de Richelieu aida toujours, et de la meilleure grâce du monde, à la fortune de son cadet.

Les lettres par lesquelles le roi Henri IV recommanda à son ambassadeur près du pape l'affaire de l'évêché de Luçon sont honorables pour l'un et l'autre frères.

Monsieur d'Halincourt, dit le roi, j'ai naguère nommé à notre saint père le pape, M. Armand-Jehan du Plessis, diacre du diocèse de Paris, frère du sieur de Richelieu, pour être pourvu de l'évêché, de Luçon, en Poitou, par la démission et résignation qu'en a faite à son profit M. François Hyver, dernier titulaire d'icelui ; et parce que ledit du Plessis, qui est déjà dans les ordres, n'a encore du tout atteint l'âge requis par les saints décrets et constitutions canoniques pour tenir ledit évêché, et que je suis assuré que son mérite et suffisance peuvent aisément suppléer à ce défaut, je vous écris cette lettre afin que vous fassiez instance de ma part à Sa Sainteté, avec mon cousin le cardinal de Joyeuse, à. qui j'en écris de telle sorte que cette grâce ne lui soit refusée, parce qu'il est du tout capable de servir en l'Église de Dieu et que je sais qu'il ne donne pas peu d'espérance d'y être grandement utile[35].

Quoiqu'il y ait lieu de faire, dans ces sortes de documents, la part de la formule courante, les éloges donnés par le roi à l'évêque qu'il venait de nommer ont un caractère particulièrement flatteur. Déjà, il avait distingué le jeune abbé dont l'empressement cherchait à s'approcher de lui et à gagner ses bonnes grâces.

Pendant que l'ambassadeur mettait en train, à Rome l'affaire de la dispense, à Paris, l'abbé de Richelieu brûlait les étapes de sa carrière théologique. En juin ou juillet 1606, il obtenait son premier brevet d'études ; en août de la même année, il demandait et obtenait la dispense du temps requis pour accomplir en son entier, le premier cours. Le texte de cette demande nous est parvenu. La réponse est libellée en termes élogieux qui méritent d'être cités : Extrait des actes de la sacrée Faculté de Paris, année 1606. — Magister Armandus du Plessis de Richelieu designatus episcopus Lucionensis supplicavit ut secus dispensaretur de tempore requisito in statutis ante quam recipiatur ad primum cursum. Dispensatum est ex illo et receptus est ad primum, habita ratione doctrinæ et capacitatis illius[36]. Richelieu passe bientôt un nouvel examen, et, tout à coup, impatient des lenteurs de la chancellerie pontificale, il se décide à aller faire lui-même ses propres affaires et part pour Rome. M. d'Halincourt fit au jeune prélat désigné un excellent accueil ; il l'introduisit à la cour pontificale et le présenta au pape, qui était alors Paul V[37].

Le court séjour que Richelieu fit à Rome eut sur le reste de sa carrière une réelle influence. Il vit, à l'fige où les impressions sont vives et durables, cette ville qui était à la fois la capitale du monde catholique et le centre du inonde civilisé. Son œil perçant put distinguer le fort et le faible de cette cour, de ces congrégations, de ces cercles qui passaient pour les retraites de la politique la plus hante et la plus raffinée. Il vit de près ce que, de loin, on appelle les grandes choses.

Il s'insinua dans la faveur de plusieurs cardinaux, les Borghèse, les Givry, les Joyeuse. La tenue de la cour romaine, où les longues ambitions se couvrent si longtemps du manteau de l'humilité et du désintéressement, le frappa. Il s'appliqua dès lors à contenir ce que sa nature avait de naturellement impétueux et soumit son attitude extérieure à la discipline de ses ambitions.

Il étudia les langues qu'on parlait à Rome, l'italien et l'espagnol. Cette dernière surtout était préférée par tout le monde galant. Il s'y consacra jusqu'à dédaigner l'usage du français. Il rechercha aussi les occasions de se faire remarquer dans les discussions littéraires et théologiques. Il y brillait par l'étendue de sa science, la sûreté de sa mémoire, la vivacité de son esprit, la modestie de son maintien. Le pape Paul V, dont l'abord était plutôt sévère, s'intéressa au jeune prélat. Il eut avec lui de longues et graves conversations. Il alla jusqu'à lui confier les inquiétudes que la conduite de fleuri IV inspirait au Saint-Siège : Ce prince, à peine arraché aux erreurs de l'hérésie, disait le pape, s'abandonne fi toutes les tentations des sens et se livre à tous les plaisirs. Ne pouvons-nous pas craindre justement qu'une pareille conduite ne l'éloigne de la voie droite et ne le rejette vers ses anciennes erreurs ? Richelieu, après avoir laissé passer le flot des plaintes du Saint-Père, reprenait doucement la défense de son roi, et il le faisait en termes si heureux que Paul V terminait l'entretien par cette plaisanterie pontificale Henricus Magnus armandus ArmandoHenri le Grand armé par Armand[38].

Une autre fois, un des prédicateurs de la cour ayant prononcé un long sermon devant un nombreux auditoire, Richelieu le récita, d'un bout à. l'autre, à la sortie de l'église. Le fait fut rapporté au pape qui, quelques jours après, demanda au jeune abbé de répéter le sermon. Il réussit et, pour mettre le comble à l'admiration que ce trait avait excité, le lendemain, il fit un autre sermon de son crû, sur le même sujet, et cela, dit son historien, avec une telle abondance d'idées et de citations, avec une telle splendeur de l'âme, un tel choix des sentiments et des paroles, que l'on criait au miracle[39].

La faveur dont Richelieu paraissait jouir auprès du Saint-Père lui valut des ennemis. Il fut accusé d'avoir écrit contre un cardinal espagnol, sur un ton de louange feinte qui, au fond, voilait la plus mordante ironie. Il dut se défendre, mais il le fit avec bonheur et, bien loin de le considérer comme ayant insulté le collège des cardinaux, on pensa plutôt qu'il était digne d'en faire partie. Après s'être rendu compte par lui-même des mérites de Richelieu, le souverain pontife se décida enfin à lui accorder la dispense qu'il était venu solliciter. Les panégyristes de Richelieu disent même que Paul V se serait exprimé en ces termes flatteurs : Æquum est ut qui supra ætatem sapis infra ætatem ordineris. — Il est juste que l'homme qui montre une sagesse au-dessus de son âge soit ordonné avant l'âge. Mais les adversaires du cardinal racontent, au contraire, que Richelieu se serait trouvé dans la nécessité d'exhiber un faux acte de baptême, et qu'une fois les bulles obtenues, il s'en serait confessé au pape lui-même. Celui-ci aurait pris la chose du bon côté, mais en ajoutant seulement que ce jeune homme serait un grand fourbe[40].

Il faut prendre ces anecdotes pour ce qu'elles valent. Ce qui est certain, c'est que Richelieu fut sacré à Rome, à l'occasion des fêtes de Pâques, le 17 avril 1607, par le cardinal de Givry. Il n'avait pas vingt-trois ans.

Aussitôt, Richelieu revint il Paris. Ses études théologiques étaient restées en suspens. Étant homme à ne pas laisser languir la fortune, il ne négligeait rien de ce qui peut la fixer. Il se remit au travail avec nue nouvelle ardeur. La hôte de ses ambitions l'emporta bientôt sur la force des lisières dont la tradition scolastique embarrassait cc genre d'études. Au mois d'août 1607, il sollicita la faveur de soutenir le premier acte de théologie. Le 29 octobre de la même année, devant un auditoire nombreux étonné de cette exceptionnelle circonstance d'un évêque sur les bancs des écoles, il soutint un examen en manière de résompte, sur une chaire basse, sans président, la tête couverte, en considération de son titre épiscopal.

On dit qu'il avait inscrit comme épigraphe à ses thèses ces paroles orgueilleuses de l'Écriture : Quis erit similis mihi ? On dit aussi que la force de son argumentation provoqua l'admiration des vieux théologiens et qu'elle souleva dans l'auditoire nu applaudissement universel.

. Deux jours après l'examen, l'évêque de Luçon sollicitait l'honneur de figurer parmi les membres du collège de Sorbonne ; par une dernière faveur, et une dernière dérogation aux usages, le corps des sorbonnistes s'ouvrit immédiatement pour lui, en raison de sa dignité ; le 31 octobre, il était admis dans l'hospitalité de la maison[41].

Ainsi, menant de front à la fois toutes les études et toutes les ambitions, le jeune prélat justifie les unes par les autres. Eu moins de trois ans, sa nouvelle carrière est tracée, déblayée. Bientôt, sa jeunesse elle-même ne lui sera pas un obstacle, et il n'en rencontrera, plus d'autre que la trop évidente supériorité de son génie.

L'année 1608, qui termine pour Richelieu cette période laborieuse, le trouve malade, dévoré des fièvres qui seront, toute sa vie, la rançon de son immense dépense d'activité et d'énergie. Cependant à Paris, où il demeure un an encore, il ne perd pas son temps. Il prêche, et se place déjà. au rang des orateurs écoutés ; il suit la cour, et s'empresse auprès d'un roi qui l'aime, et qui l'appelle familièrement son évêque.

Il étend ses relations dans le clergé, s'attache particulièrement à la haute et influente personnalité du cardinal du Perron, et se met, en quelque sorte, dans son ombre[42]. Il fréquente aussi à la ville, y renoue les anciennes relations, en crée de nouvelles. On pourrait croire qu'il va devenir un de ces prélats de cour que les mœurs du temps tolèrent, et qui, parmi les intrigues et les complaisances, cherchent le chemin de la faveur et des hauts emplois. Il a déjà des visées politiques. On le sait, on le sent. Paris et la cour sont le lieu des grâces, des sollicitations, des hasards imprévus qui distinguent un homme et le mettent soudain sur le pinacle. Tous les désirs et toutes les combinaisons roulent à la fois dans cette jeune tête. Enfin, il se décide. Mais, tout au contraire de ce qu'on dit pensé, il prend sur lui de quitter Paris, la cour, les premières espérances et les premiers succès. Il part et va s'enterrer au fond de la province, à l'extrémité du royaume, dans son évêché de Luçon. Au lieu d'un prélat de coterie et d'intrigues, Richelieu, déjouant toutes les prévisions, devient un évêque sérieux et résident.

Après avoir mis ordre à ses affaires, fait de nombreuses visites d'adieu, s'être bien assuré, par des promesses de correspondance réciproque, qu'il ne serait pas trop oublié ; après s'être recommandé à tout ce qui pouvait lui être utile, depuis le roi jusqu'aux simples commis de la poste, notre évêque emprunte à son ami, M. de Moussy, un carrosse tiré par quatre chevaux, et malgré l'épuisement d'une longue maladie et d'une lente convalescence, malgré les rigueurs de la saison, il se met en route pour le Poitou.

Parmi les difficultés d'un voyage d'hiver à cette époque, il arrive dans son évêché vers la mi-décembre 1608. Avant d'y pénétrer, il s'arrête à Fontenay-le-Comte, ville assez importante du Poitou. Ses habitants étaient un peu glorieux et se piquaient de belles-lettres. Ils allèrent en corps saluer l'évêque. Celui-ci les harangua courtement, mais poliment : il se félicite d'avoir son évêché proche d'une ville qui est renommée pour avoir donné une infinité de beaux esprits à la France. Il veut bien rechercher leur amitié, toutes les sciences, comme disent les anciens, se tenant par la main, et il se met de bon cœur à leur service, si l'occasion se présente de leur être utile.

Les délégués du chapitre de Luçon étaient venus au-devant de leur évêque jusqu'à Fontenay. Avec eux, la situation était particulièrement délicate. Depuis si longtemps que le chapitre se plaignait de la famille de Richelieu, surtout depuis qu'un procès était engagé, il y avait eu bien des aigreurs de part et d'autre. L'évêque indiqua les choses d'un mot, voulut bien faire allusion à sa trop longue absence, et parut accepter sa part des torts. Mais le lendemain, quand il fut tout à fait sur son terrain, à Luçon même, il le prit d'un peu plus haut, et s'il voulut bien convier les chanoines à ne faire avec lui qu'un seul cœur et qu'une seule âme (cor unum et anima una) pour le bon exemple et le bien du diocèse, il ne manqua pas de faire sentir ce qu'il y avait de généreux, de sa part, dans une pareille condescendance. Il accordait l'amnistie, l'amnistie d'oubliance, comme il disait ; mais il rappelait à ceux qui lui avaient été si fort contraires combien ils avaient manqué à l'homme que Dieu avait rendu leur chef[43].

Le peuple eut aussi sa petite part de l'éloquence épiscopale, et même les protestants ne furent pas oubliés ; il y en avait un assez grand nombre à Luçon. Richelieu leur promit sa bienveillance et leur déclara que tout en étant désuni de croyance, on pouvait être uni d'affection[44].

En somme, c'était un fort bon début, cligne, grave et conciliant. Le 21 décembre 1608, jour de la fête de saint Jacques, lorsque le nouvel et jeune évêque célébra pontificalement la messe d'inauguration dans sa cathédrale depuis si longtemps abandonnée, il dut y avoir chez tous les assistants un mouvement de joie, et l'évêque en particulier dut ressentir pleinement la satisfaction d'avoir su faire si à propos et si élégamment son devoir.

Cette satisfaction, l'histoire la partage. Il est bon, en effet, de voir un homme que tant de raisons diverses portaient vers les hautes ambitions, qui les avait toutes, mais qui réfléchissait aux meilleurs et aux plus solides moyens de les satisfaire, de voir cet homme reconnaître, de lui-même, que le parti le plus modeste et le plus digne est, en même temps, le plus avantageux et le plus prompt. Ce coude, ce crochet vers la province, fut certainement longuement médité ; il est particulièrement significatif dans les débuts du jeune prélat que tant de raisons diverses et l'exemple de nombre de ses collègues eussent pu retenir à Paris.

Parmi les motifs qui déterminèrent Richelieu, le plus fort vient assurément d'une sorte d'honnête calcul. Il se sentait bien jeune encore, exposé à tous les hasards d'un terrain mouvant et dangereux. De situation médiocre et d'aspect maigre, sans poids, sans famille et sans argent, jouer sa vie dans de telles conditions, c'était avoir toutes les chances contraires. Son intelligence, le peu qu'il avait d'expérience, ce flair que l'homme politique emploie d'abord à s'assurer des moyens de parvenir, ne pouvaient guère lui servir, au point où il en était, qu'à lui signaler les dangers d'une trop grande précipitation.

L'éloignement de Paris convenait à sa pauvreté, le titre d'évêque à sa dignité, l'administration d'un diocèse à son activité. S'emparer de ce qu'il avait à faire pour prouver ce qu'il savait faire, c'était l'inspiration naturelle d'un génie fait d'énergie et de modération. Il faut tout gagner dans la vie, même le temps.

D'ailleurs, la province a du bon. Elle donne de l'assiette, crée les relations fortes et sûres, apprend à connaître le détail étroit et précis des intérêts humains, rapproche de la réalité. Tenir à quelque chose a été, de tout temps, une grande force.

Un homme que l'encombrement de la cour étouffait, devait se sentir plus à l'aise dans son pays. On savait, du moins, là, qui il était, d'où il venait, ce qu'il valait. On jalousait peut-être un peu sa trop écrasante supériorité. Mais ce sentiment lui-même était un hommage arraché à la curiosité perspicace de la province.

Le plan de Richelieu était clair : gagner quelques années, compléter ses études, acquérir un bon renom d'homme de devoir et d'administrateur capable, se désigner à l'estime de ses concitoyens et attendre les occasions, prêt à les saisir toutes, mais sans se précipiter sur aucune. Il a quitté Paris avec l'espoir du retour. Il y reviendra plus âgé, plus expérimenté, plus connu, mieux apprécié. Il s'éloigne de la cour, écolier encore ; elle le reverra homme fait avec l'autorité et la confiance en soi-même qu'inspire le sentiment du devoir accompli.

 

 

 



[1] Il est curieux que le problème historique du lieu de naissance de Richelieu ne soit pas encore résolu. Des deux derniers biographes du cardinal, l'un, M. MARTINEAU, se prononce pour le Poitou, l'autre, M. AVENEL, pour Paris. Les raisons qui militent pour le Poitou sont, fortes, il faut le reconnaitre. Mme DE MONTPENSIER, qui voyagea dans ces régions, en 1637, et qui descendit à Richelieu, avec la nièce du Cardinal, dit : C'est une chose inconcevable que les appartements répondent si mal pour leur grandeur à la beauté du dehors. J'appris que cela venoit de ce que le cardinal avoit voulu que l'on conservât la chambre où il était né. (Mémoires, Michaud et Poujoulat, p. 7). Il convient de remarquer cependant que Mademoiselle écrivit ses Mémoires longtemps après avoir visité le château. — La Fontaine et Tallemant des Réaux, dans les deux passages que nous avons cités ci-dessus, ne sont pas moins affirmatifs. VIGNIER dans sa description du Château de Richelieu dit la même chose. — Manor, architecte contemporain, qui nous a laissé les plans et devis du château de Richelieu indique avec précision, à côté de la sale de l'ancien bâtiment, la chambre de l'ancien bâtiment dans laquelle naquit le grand. cardinal de Richelieu. — Un écrivain local, descendant d'une famille qui longtemps avait, servi les Richelieu, M. DU CARROY décrit, au dix-huitième siècle, cette même chambre où l'illustre mère accoucha de l'illustre fils. — Enfin, on a cité récemment les deux discours d'inauguration de l'Académie de Richelieu adressés au cardinal lui-même et qui contiennent les phrases suivantes : Monseigneur, il semble que la Grèce, l'Italie... se soient dépouillées de tout ce qu'elles avaient de précieux pour honorer le lieu de votre naissance... Votre Éminence a voulu laisser à la postérité dans le lieu de sa naissance un modèle accompli de l'éducation de la noblesse... etc. (Article de M. Ariel Mouette dans le Monde, du jeudi 7 novembre 1889). — Je ne parle pas des autres auteurs cités par M. MARTINEAU, parce qu'ils écrivent de seconde main et que leur témoignage n'a pas la valeur d'un renseignement original. La concordance des sept ou huit textes que nous venons de rapprocher n'en forme pas moins un ensemble très imposant. Il convient de remarquer cependant que ces documents ont pour la plupart un point de départ commun, la description du château. et la recherche d'une explication pour l'étroitesse relative de certaine partie du bâtiment. Or, chose curieuse, dans le palais qu'il éleva, à Paris, le Cardinal ordonna également de conserver une chambre particulière. TALLEMANT dit : A Paris, il s'est amusé encore à garder une chambre de l'hôtel de Rambouillet et, par cette fantaisie, a gâté son principal corps de logis. C'est ce détail, qui, évidemment, permet à AUBERY de dire qu'il était né et mort dans un même hôtel. Si bien que les deux traditions contraires se détruisent. Il faut donc chercher ailleurs. Je pense que les preuves imprimées dans le texte tranchent, la question en faveur de Paris ; notamment le passage de la Lettre de Timandre à Théopompe me parait catégorique. La Lettre déchiffrée est une réponse à la Vie de l'illustrissime cardinal, écrite en latin dernièrement. L'auteur, qui pouvait bien être ANDRÉ DUCHESNE, dit : J'ai vu presque tous les titres de la maison. — Il faut aussi attacher un grand prix aux deux documents qui ont été publiés par M. DE BOISLISLE, ainsi qu'aux renseignements provenant de l'ABBÉ DE PURE.  — La légende du portrait de Richelieu, publié chez Daret, en 1652, dit : La mort le ravit, à nos yeux, à Paris qui l'avoit vu naître.

[2] L'Histoire du Cardinal duc de Richelieu, par le sieur AUBERY, advocat au Parlement et aux conseils du Roy. A Paris, chez Antoine Bertier, 1670, in-f° ; et du même, Histoire de Mazarin (t. I, p. 112).

[3] MICHAEL ANTONIUS BAUDRAND, Lexicum geographicum, etc., 1670, in-f°, article Richeteum seu Rirolocus, et Dictionnaire géographique historique, v° Richelieu.

[4] Abrégé de la vie du cardinal de Richelieu, pour lui servir d'épitaphe. Édition d'Anvers, in-12°.

[5] Lettre de Timandre à Théopompe... dans le Recueil de diverses pièces pour servir à l'histoire, 1639, in-4° (p. 16).

[6] Extraits des archives de l'Hôtel de ville, publiés par M. A. DE BOISLISLE dans Annuaire-bulletin de la Société de l'Histoire de France, 1874 (p. 181).

[7] Vita Eminentissimi cardinalis Acm. Joan. Plessei ; vitæ et fortunæ exordia ab ann. rep. s. 1585, ad annum 1619 A. M. D. P. Parisis, apud Alexandrum Lesseln, juxta Palatii porta sub signo urbis Lugduni, M. DC. LVI. Tous les bibliographes s'accordent à traduire A. M. D. P. par Autore Michæle de Pure. Cet écrivain, né à Lyon, en 1634, fuit le protégé d'Alphonse de Richelieu, dont il écrivit la vie. Le frère du Cardinal lui fournit probablement plus d'un détail intéressant sur son illustre cadet. C'est ainsi qu'il put écrire l'ouvrage le plus complet que nous ait laissé un contemporain sur la jeunesse du Cardinal. Malgré un ton d'éloge outré, il faut tenir compte des renseignements fournis par l'abbé de Pure. Ceux que contrôlent d'autres documents sont toujours vrais. Ainsi ce livre est le seul qui ait rapporté que le baptême de Richelieu avait eu lieu à Saint-Eustache. Vérification faite, l'indication est exacte. M. AVENEL après avoir, sur la foi des railleries de Boileau, mis en doute l'autorité de l'ABBÉ DE PURE, a fini par reconnaître que, si ses poésies tombaient justement sous les critiques du législateur du Parnasse, ses ouvrages d'histoire méritaient plus d'attention.

[8] Cet acte a été publié, pour la première fois, par M. JAL (1867), Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, v° Richelieu. — M. AVENEL l'a aussi publié dans les Lettres et instr. diplomat. (t. VIII, p. 5). Nous empruntons le texte que nous donnons au livre de M. MARTINEAU qui a publié une sorte de fac-simile de l'original. (op. cit., p. 130.) Les registres de l'élise Saint-Eustache sur lesquels cet acte était inscrit ont péri, en 1871, dans les incendies de la Commune avec les archives de l'Hôtel de ville. M. MARTINEAU a insisté avec raison sur un détail, à savoir que les mots demeurant en la rue du Bouloy, ont été inscrits en marge et après coup, ce qui parait marquer une certaine hésitation dans l'indication du domicile à Paris de la famille du Plessis.

[9] Le P. ANSELME affirme que la femme du grand prévôt fut dame d'honneur de la reine, femme de Henri III. Cf. aussi : Les Amours du grand Alcandre, en appendice au Journal DE L'ESTOILE.

[10] C'est la déposition d'un témoin dans l'enquête faite au sujet de la promotion du Saint-Esprit. (V. A. DUCHESNE, p. 137.)

[11] Richelieu est Parisien, et Paris, si prodigue de statues, n'a pas encore songé à en élever une à l'un de ses plus grand prévôt dans l'ordre du place du Palais-Royal, construit par lui, la figure tournée vers le Louvre, demeure de ces rois qu'il a si utilement servis.

[12] M. MARTINEAU dit que ce premier maître de Richelieu, désigné seulement par AUBERY sous l'appellation de prieur de Saint-Florent de Saumur, se nommait Charles Cerveau. L'examen de l'histoire manuscrite de Saint-Florent porte à croire que ce fut plutôt Hardy Guillot qui exerça la charge de prieur, au nom du cardinal de Joyeuse, jusqu'en juin 1597. Charles Cerveau ne fut prieur qu'à partir de 1606. (V. Histoire de l'abbaye de Saint-Florent de Saumur, Biblioth. nat. Cabinet des Mss., n° 19.862, f° 447.)

[13] Amador de la Porte, frère puîné de Suzanne, baptisé le 1er juillet 1568. Son père qui était avocat de l'ordre de Malte avait pu le faire recevoir chevalier. Il devint commandeur, puis grand prieur de l'ordre et c'est sous l'un ou l'autre de ces deux noms qu'il figure dans la Correspondance du cardinal de Richelieu et dans les Mémoires du temps. C'était un homme sincère, hardi, ayant son franc-parler. Il fut plus d'une fois utile au cardinal de Richelieu et il se plaignait que celui-ci ne lui eût pas marqué une bien grande reconnaissance. (V. TALLEMANT DES RÉAUX, Historiette de la Meilleraye.) — Mémoires DE CASTELNAU (t. II, p. 297). — DE LA FONTENELLE DE VAUDORÉ, Histoire de la maison de la Porte de la Meilleraye.

[14] LAUNOEI, Regii Navarræ Collegii Historia (t. I, p. 341).

[15] QUICHERAT, Histoire de Sainte-Barbe, Paris, 1862, in-8° (t. II, p. 63). Le passage du discours de Guillaume Rose dans la Satyre Ménippée est d'autant plus curieux que ce fameux ligueur s'était fait nommer grand-maître de Navarre, à la faveur des troubles. V. LAUNOI (t. I, p. 376).

[16] J'ai emprunté la plupart de ces renseignements au très intéressant ouvrage de M. COMPAYRÉ, Histoire critique des Doctrines de l'éducation en France depuis le douzième siècle, Paris, 2 vol. in-12°, 1889 (t. I, p. 403 et suiv). Il faut lire aussi : JOURDAIN, Histoire de l'Université au dix-septième et au dix-huitième siècle, in-f° (t. I, p. 3 et suiv.) et LANTOINE, Histoire de l'Enseignement secondaire en France au dix-septième siècle. —QUICHERAT, Histoire de Sainte-Barbe, 1863, 3 vol. in-8°. — EMOND, Histoire du Collège Louis le Grand, Paris, 1815, 1 vol. 8°. — L'ABBÉ PUYOL, Edmond Richer, Paris, 1876, 2 vol. 8°. — P. PRAT, la Compagnie de Jésus en France au temps du P. Cotton, Paris, 1876,5 vol. in 8°. — Richelieu fit ses études à une époque de troubles et de transformation. Il quittait le collège au moment mène où Henri IV chargeait une commission importante de la grande réforme universitaire. Ses contemporains se sont parfois moqué de quelques lacunes que paraissait présenter son instruction. On sait qu'on lui reprocha d'avoir cité Terentianus Maurus en appelant cet auteur le Maure de Térence, comme si c'eut été une comédie du poète latin. — Dans la grande lutte qui allait s'engager entre l'Université et les jésuites, Richelieu ne voulut pas prendre parti. Il craignait ceux-ci et les ménageait. Sur ces diverses questions, son opinion est exprimée dans le chapitre de son Testament politique intitule : Des Lettres.

[17] APHTONII AUSONII sophistæ Præludia, Hermogenis rhetorica ; in ædibus Justin, 1515. — APHTONII, Progymnasmata, gr. et lat., edente Dan. Heinsin, Lugd. Bat., 1625, in-8°. Il y a une édition de 1642, chez Louis Elzevir.

[18] On sait que le pamphlet de LA BOÉTIE publié sous le titre la Servitude volontaire n'était rien autre chose à l'origine qu'un de ces exercices de rhétorique : Ce subject fut traité par luy (dit Montaigne) en son enfance, par manière d'exercitation seulement, comme subject vulgaire, et tracassé en mille endroicts des livres. (Essais, edit. Charpentier, t. I, p. 277.) — Voir les Progymnasmata d'Aphtonius, édit. 1642 (p. 163).

[19] Si l'on en croit TALLEMANT DES RÉAUX, Armand du Plessis aurait eu, dès ce temps, à son service Le Masle, prieur des Roches, plus lard secrétaire et familier du Cardinal. Il dit ... des Roches le Masle..., autrefois petit valet du cardinal de Richelieu au collège..., etc. — Historiette du chancelier Séguier (t. III, p. 58). — Un document du temps, que nous citerons plus loin, donne au jeune Armand du Plessis, tandis qu'il était au collège, pour précepteur, M. Mulot et pour valet de chambre, Desbournais, qui resta près de lui en cette qualité. M. Mulot était docteur et devint plus tard confesseur du Cardinal. V. Correspondance (t. I, 566). Il passait pour bouffon. — V. DE MOURGUES et TALLEMANT cités par AVENEL (Correspondance, t. III, 327 ; IV, 454).

[20] MICHEL DE PURE, loc. cit. (p. 7).

[21] V. ANDRÉ DUCHESNE, op. cit. (f° 73, v°).

[22] Les détails que nous donnons sur les exercices de l'Académie sont empruntés au volume si recherché des bibliophiles, intitulé : Maneige royale, où l'on peut remarquer le défaut et la perfection du chevalier en tous les exercices de cet art... fait et praticqué en l'instruction du roy, par ANTOINE DE PLUVINEL, son écuyer principal (publié par J. D. Peyrol) ; le tout gravé et représenté en grandes figures en taille douce, par CRISPIAN DE PAS, Paris, Cramoisy, 1623, in-folio. — Le manège de M. Pluvinel était installé rue Saint-Honoré, prés de la rue du Dauphin, dans l'hôtel précédemment nommé de la Corne-de-Cerf. (V. Topographie historique du Vieux Paris... Louvre et Tuileries, t. I, p. 231). — L'ambassadeur vénitien, Pietro Duodo, parle en termes précis des exercices de l'Académie. Sa Majesté, écrit-il en 1598, pour élever sa noblesse le plus vertueusement possible a fondé une Académie à Paris, où chaque jour les exercices sont conduits par le grand écuyer du roi. Celui-ci doit fournir aux jeunes gens des chevaux qu'il tire d'ailleurs des écuries royales. Il leur enseigne à monter à cheval et tous les exercices qui se rapportent à l'équitation. Il leur procure des maîtres d'escrime, de table de musique, de mathématique, et il leur fournit un ou deux valets selon la qualité de chacun d'entre eux ; le tout moyennant une somme de 700, 800 ou 1.000 écus l'an. A l'exemple de cette Académie, d'autres se sont établies dans différents villes du royaume, à Rouen, à Toulouse. Si cela continue, il est à croire que l'on verra beaucoup moins de jeunes Français en Italie et que notamment, la ville de Padoue en souffrira. Relaz. deg. Ambasc. Veneti. APPENDICE (t. XV, p. 103). — M. de Pluvinel tenait table ouverte pour les jeunes gentilshommes attachés à la cour. (V. Mémoires de LA FORCE, publiés par M. le marquis DE LA GRANGE, 1843, in-8° (t. II, p. 309.)

[23] Pour tout ce qui touche à l'évêché de Luçon, je me suis servi du savant et judicieux ouvrage de M. DE LA FONTENELLE DE VAUDORÉ, Histoire du monastère et des évêques de Luçon, Paris, 1847, 2 vol. in-8° (p. 322 et suiv.). — Voir aussi l'Histoire des moines et des évêques de Luçon par l'abbé du TRESSAY, Paris, 1869, in-8° (t. II, p. 149 et suiv.).

[24] Les renseignements recueillis par M. DE VAUDORÉ ne permettent pas d'affirmer que René de Salla fut chargé des intérêts de la famille de Richelieu. Peut-être tenait-il la place d'une autre famille du Poitou : les Belleville. On lit dans le cartulaire de Luçon : Hic erat confiduciarius defuncti domini de Belleville, et l'on voit plus tard Richelieu réclamer des titres relatifs à l'évêché qui auraient été détenus par M. de Belleville, évêque de Luçon. Cf. FONTENELLE DE VAUDORÉ (p. 323) et Correspondance (t. I, p. 17).

[25] Jacques du Plessis était l'oncle du grand prévôt : quoiqu'il ne fût, en 1563, qu'un simple tonsuré, il prenait le titre d'aumônier du Roi. Il fut abbé de Nieuil-sur-l'Autise et de la Chapelle-aux-Planches, en Champagne, doyen de l'église de Poitiers. Dans un acte de lui qui se trouve dans les Archives du Ministère des Affaires Etrangéres (Provision de la prévôté de Parthenay en faveur de René Champigny), il s'intitule conseiller et aumônier ordinaire du roi (Mémoires et documents, France, vol. 761, r) 20). — Voir, en outre, l'Histoire de l'abbaye de Nieuil-sur-l'Autise, par Ch. ARNAULT, Niort, Clouzot, in-8°.

[26] Sur la famille Yver, originaire de Niort, voir l'article de DREUX DU RADIER, Bibliothèque du Poitou (t. II, p. 493).

[27] Nous ne connaissons pas sûrement la date de la naissance d'Alphonse de Richelieu. D'après certains renseignements, je l'avais fixée à 1581. Mais je vois que, d'autre part, on le fait mourir en 1653, à l'âge de soixante et onze ans ; il serait donc né en l'année 1582. (V. Sa Vie, par l'ABBÉ DE PURE et ce qu'en dit TALLEMANT DES RÉAUX). — Le PÈRE ANSELME, suivi par SAINT-SIMON, dit qu'Alphonse de Richelieu mourut, le 23 mars 1653, à 73 ou 74 ans, renseignement qui reculerait la naissance jusqu'en 1579 ou 1580. — M. AVENEL la met approximativement, vers 1583 (t. I, p. 180).

[28] M. BONNEAU-AVENANT, dans sa Vie de Mme d'Aiguillon, M. l'ABBÉ LACROIX, après lui, citent une lettre que Richelieu aurait écrite à son oncle, Amador de la Porte, au moment où il prenait le parti de quitter l'épée pour la robe et où se trouverait la phrase suivante : Que la volonté de Dieu soit faite: j'accepterai tout pour le bien de l'Église et la gloire de notre nom. Je ne sais où ces messieurs ont puisé ce document.

[29] DE LAUNOY (op. cit., p. 191). — AUBERY (loc. cit., p. 6). D'ARGENTRÉ, cité par AVENEL, Jeunesse de Richelieu (p. 165). — Cf. Vie de Richelieu, par M. DE PURE : Domestica studia publicis coronavit. Hennequinum in Calvico audiit... Hic Logicam et Æthicam ab Hennequino professore edoctus est anno millesimo sexcentesimo tertio.

[30] Voici le passage de la Réponse à la Lettre déchiffrée relatif aux études théologiques de Richelieu : A cet effet il se mit sur les bancs de la Sorbonne ; et après y avoir acquis, par-dessus les titres ordinaires, toute la réputation que l'on peut attendre de ce lien-là, se retira en diverses maisons des champs proches de Paris où il conféra deux ans entiers avec un docteur de Louvain (on croit que c'est Cospéau) pour se consommer entièrement en l'étude des Saintes Lettres. Il se jeta de la dans les controverses avec tant de contention et d'assiduité qu'il y mit, quatre ans durant, tous les jours règlement huit heures. Ce qui altéra tellement sa complexion assez délicate et faible d'ailleurs que le corps se ressent à cette heure des efforts de l'esprit... Recueil de diverses pièces, etc. (p. 21).

[31] V. SAINTE-BEUVE, Port-Royal (t. I, p. 314).

[32] Mémoires de CLAUDE COURTIN, Manuscrit de la biblioth. de l'Arsenal, fonds Conrard, n° 4651, fol. 268 et suiv. — Tallemant raconte une anecdote qui a sa place ici : En ce temps-là, dit-il, le cardinal dit en riant à Quillet, qui est de Chinon : Voyez-vous ce petit homme-là, il est parent de Rabelais, et médecin cuisine lui. — Je n'ai pas l'honneur, dit Quillet, d'être parent de Rabelais. — Mais, ajouta le cardinal, vous ne nierez pas que vous ne soyez du pays de Rabelais. — J'avoue, Monseigneur, que je suis du pays de Rabelais, reprit Quillet, mais le pays de Rabelais a l'honneur d'appartenir à Votre Éminence. Cela était hardi, ajoute Tallemant, et il raconte à la suite quelques traits un peu bizarres qu'il attribue à M. Mulot, justement cet aumônier du cardinal dont il est question dans le texte. Quant à Desbournais, il resta toute sa vie le valet de chambre du cardinal. On retrouve souvent son nom. — V. TALLEMANT, Historiette de Richelieu (t. I, p. 426).

[33] V. TALLAMANT DES RÉAUX, Historiette de Richelieu (t. I, p. 372). — Cf. Économies Royales, édit. Petitot (t. VI, p. 83) ; et PRAT, la Compagnie de Jésus en France au temps du P. Cotton (t. II, p. 317).

[34] Cf. Notes sur la Confession de Sancy, dans le Journal de l'ESTOILE, édit. de 1746 (t. IV, p. 31). — TALLEMANT, loc. cit. ; — BONNEAU-AVENANT, la Duchesse d'Aiguillon, Paris, 1879, in-8°, (p. 4 et 5). — Lettres missives de Henri IV (t. VII, p. 599).

[35] BERGER DE XIVREY, Lettres missives de Henri IV (t. VII, p. 53-55).

[36] M. AVENEL, a publié un extrait d'un brouillon relatif à cette demande de dispense. Mais il n'a pas connu le texte complet tel que nous l'a transmis l'abbé de Pure. Cf. AVENEL, Jeunesse de Richelieu (p. 167), et DE PURE, op. cit. (p. 19).

[37] V. Lettres missives de Henri IV (t. VII, p. 115).

[38] L'ABBÉ DE PURE, op. cit. (p. 24 et suiv.).

[39] L'ABBÉ DE PURE, op. cit. (p. 28-30).

[40] La première mention de cette anecdote, souvent répétée, se trouvé dans un pamphlet des plus violents contre Richelieu, rédigé par un de ses anciens amis, l'abbé de MORGUES ST-GERMAIN : La très humble, très véritable et très importante Remontrance au Roy (in-12°, p. 26). — L'ABBÉ DE PURE a déjà répondu à ce récit, que l'objet du voyage de Richelieu à Rome étant précisément d'obtenir une dispense d'âge, on ne comprend pas dans quel intérêt il aurait menti, d'autant plus que ces dispenses étaient accordées facilement. L'abbé de Pure ajoute que Henri IV aurait lui-même pris la peine de démentir ce mauvais bruit qui s'était répandu de son vivant : Il l'a mérité, dit-il, il n'a pas trompé, il l'a dit à la faveur papale, à sa vertu et non à la tromperie. La lettre de Henri IV que nous avons publiée ci-dessus vient à l'appui de ce récit et de ce raisonnement. Cependant un document, nouveau, cité récemment, donne quelque valeur au récit de MATHIEU DE MORGUES, répété par VITTORIO SIRRI, dans son Histoire des évêques de Metz, DOM MEURISSE (Metz, 1633, in-4°, p. 660), cité par l'ABBÉ LACROIX (Richelieu à Luçon, 1890, in-8°, p. 52), donne des détails curieux sur le rôle que le cardinal de Givry joua dans l'élévation d'Armand-Jean du Plessis à l'épiscopat. La proposition fut faite, par ce cardinal, au consistoire de l'an 1606, le 17 septembre. La dispense fut accordée par Paul V, le 9 décembre de la même année. Le bref rédigé en termes très élogieux pour Richelieu est reproduit dans l'Histoire des Évêques de Metz. Il y est dit que la dispense est accordée au jeune évêque, non à cause de la recommandation du roi, mais en raison de ses mérites personnels et le pape ajoute licet ipse sicut accepimus in vigesimo tertio ætatis anno tantum constitutus existas, quoique, ainsi qu'il nous a été affirmé, vous soyez encore dans votre vingt-troisième année. Or, en décembre 1606, Richelieu entrait seulement dans sa vingt-deuxième année. Il y a donc une erreur d'un an dans l'indication donnée au pape. Que cette erreur ait été ou non volontaire, elle n'a probablement eu aucune influence sur la décision de Paul V ; car les nominations d'évêques contraires aux régies du droit canonique sont très fréquentes à cette époque. — Richelieu a saisi souvent l'occasion de rappeler la marque de confiance que Henri IV lui avait donnée en cette circonstance, par exemple dans ce passage du Caput apologelicum écrit, en 1618 : La bonne opinion que le feu Roi en avait conceu dès son jeune âge lui doit estre une marque de grande approbation. Le feu roi l'a voulu promouvoir en la charge à laquelle il est, devant qu'il eust l'âge requis. Il ajoute : A Rome, il a esté reçu avec contentement et a obtenu plus de grâces qu'il en désirait, ni mérite que le feu roi en demandait. Le pape en ayant rendu des témoignages singuliers, l'ayant dispensé à vingt-deux ans, remis pour plus de six mille escus de bulles. Corresp. (t. VII, p.422). — Il convient de faire observer en terminant que l'on n'a aucun renseignement précis sur la date de l'ordination de Richelieu. Il arriva à Rome diacre et en partit évêque. Il avait probablement été ordonné prêtre au moment des cérémonies de son sacre.

[41] Grâce aux diverses dispenses et faveurs qu'il obtint, Richelieu gagna environ quatre ans sur le temps ordinaire des études de théologie. Pour obtenir le grade de docteur, il était nécessaire à un maitre ès arts (c'est-à-dire à un jeune homme ayant fait ses deux années de philosophie) de suivre les cours et de passer les examens suivants : Préparation du Baccalauréat simple : trois ans de cours, deux examens. Baccalauréat formé : deux ans de cours, deux examens, une thèse. Licence : deux ans de cours, trois thèses (mineure, majeure, sorbonique). DOCTORAT : un an de cours, trois thèses (vespéries, aulique, résumpte). Il est vrai que, de tout temps, on accorda des avantages signalés aux princes du sang et aux évêques. Voir : Statuta sacræ facultatis theologiæ parisiensis..., etc. Paris, 1715, in-4°. — Cf. ANDRÉ DUVAL, cité par AVENEL, Jeunesse de Richelieu (p. 170), et AUBERY (p. 8). Les dates et les détails précis au sujet des dispenses et des examens de Richelieu en Sorbonne ont été élucidés, pour la première fois, par M. AVENEL dans ses articles sur la Jeunesse de Richelieu. Il s'est servi d'un registre de notes qu'il a découvert aux archives Nationales. L'abbé de Pures, plus complet, nous donne le texte qu'il a extrait lui-même des registres officiels de la faculté, registres qui ont disparu aujourd'hui : Tractum ex monumentis facultatis theologiæ parisiensis. Anno Dom. 1607. Die julii 1606, Domitius Joannes Armandus de Richelieu, Lucionensis episcopus designatus, instituit in Facultate suplicationem pro primo cursu théologico cum quo Facultas dispensavit de tempore studii. Antequam publice responderet, Romam perexit et bullas quas vocant obtinuit, quibus mediantibus, Episcopus consecratus, secundam scripto habuit suplicationem, prima augusti 1607, bac formula conceptam : Dignissime Domine Decune, vosque S. S. M. M. N. N. supplico ut statuatis apud vos qua tandem ratione de actibus theologicis quos jam diu meditor me respondere oporteat ut tum Regis voluntati lum votis meis satisfaciam. Num vobis probetur ut de primo actu more solito uno, dempto præside necue ; de Sorbonica juxta perpetuam consuetudinem ; de tertio instar resumptæ ? Quidquid eligeritis, restris stabo decretis. Vestri ordinis observantissimus, ARMANDUS JOAN EPISCOPUS LUCIONENSIS. Cui postullationi annuente Facultate respondit : de primo actu theologico, die 29 octobr. 1607, operto capite, sine præside, in cathedra inferiore, disputantibus primæ licentiæ baccalaureis per Facultatem designatis, videlicet Hennequin, Flavigny, etc. (loc. cit., p. 44).

[42] La première lettre que nous ayons de Richelieu (en dehors des requêtes latines publiées ci-dessus), est adressée au cardinal du Perron. Richelieu s'excuse sur sa mauvaise santé, de ne pouvoir prêcher devant le Roi, le jour de Pâques 1608. (V. Correspondance, t. VII, p. 317.) — Cf. AUBERY (p. 8) ; MICHEL DE PURE (p. 35).

[43] Correspondance (I, p. 11-13-14).

[44] Correspondance (p. 15). Voici le texte de la petite harangue adressée au peuple : Messieurs, venant pour vivre avec vous et faire ma demeure ordinaire en ce lien, il n'y a rien qui me puisse être plus agréable que de lire en vos visages et reconnaitre par vos paroles que vous en ressentez de la joie ; je vous remercie du témoignage que vous nie rendez de votre bonne volonté, que je tacherai de mériter par toutes sortes de bons offices, n'y ayant, rien que j'aie en plus grande affection que de vous pouvoir être utile à tous et en général et en particulier. Je sais qu'en cette compagnie, il y en a qui sont désunis d'avec nous quant à la croyance ; je souhaite en revanche que nous soyons unis d'affection ; je ferai huit ce qui Ille sera possible pour vous convier à avoir ce dessein, qui leur sera utile aussi bien qu'a nous et agréable au Roi, à qui nous devons tous complaire. Le temps vous donnera plus de connaissance de l'affection que je vous porte, que mes paroles ; c'est ce qui fait tue je me réserve aux effets pour vous faire paraître que toutes rues intentions ne tendent qu'a ce qui est de votre bien.