HISTOIRE ILLUSTRÉE DE LA GUERRE DE 1914

 

CHAPITRE XIV. — L'ATTENTAT DE SARAJEVO. - LA TENSION DIPLOMATIQUE.

 

 

Les Projets combinés de l'empereur Guillaume II et de l'archiduc François-Ferdinand. — Assassinat de l'archiduc. — Émotion dans le monde entier. — La Volonté agressive de l'Autriche-Hongrie. — L'Ultimatum austro-hongrois.

 

AU début de l'année 1914, la double action de l'Allemagne au Maroc et de l'Autriche-Hongrie dans les Balkans aboutissait à une double impasse. Au Maroc, la France, à force de patience, de sagesse, d'esprit de concession, comme elle l'avait montré en abandonnant une partie de sa colonie du Congo, restait maîtresse de la situation. Dans les Balkans, la conception pour laquelle le comte Berchtold avait obtenu le consentement de l'Europe, à savoir une Albanie indépendante, n'était plus, par l'échec du prince de Wied, qu'un fiasco avéré.

La Serbie, victorieuse à la fois dans la guerre contre la Turquie et dans la guerre contre la Bulgarie, n'avait plus qu'à consolider le fruit de ses efforts. La situation est présentée par M. Vesnitch dans les termes suivants : Nous venions à peine de sortir de deux guerres sanglantes et coûteuses et d'émettre, sur le marché de Paris, un emprunt de liquidation. Comme notre territoire était sensiblement agrandi, presque doublé, nous nous étions mis à l'œuvre pour mettre, aussitôt que possible, en valeur nos nouvelles provinces ; en vue de quoi, nous nous étions empressés d'engager des spécialistes en France et dans d'autres pays, même en Allemagne[1]. Il fallait organiser les nouvelles contrées, récupérées du joug ottoman après tant de siècles d'esclavage ; il fallait y répandre partout l'instruction publique ; nous méditions sur les moyens de relever notre agriculture et nos finances et de refaire notre armement, de construire de nouvelles lignes de chemins de fer, de canaliser nos fleuves et nos rivières, d'irriguer nos champs... Au mois de juillet, la Serbie était en train de négocier, avec les représentants austro-hongrois, une série de questions résultant des changements territoriaux réalisés par les traités de Londres et de Bucarest. Nous étions, en outre, à la veille des élections générales, et tous nos hommes politiques, M. Pachitch en tête, étaient partis pour faire la campagne électorale...

Rien de plus paisible que ces perspectives : c'est alors qu'éclate, comme un coup de foudre, la nouvelle de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand et de sa femme la duchesse de Hohenberg, dans les rues de Sarajevo.

La visite de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo était, de sa part, un fait d'une grande hardiesse et d'une importance considérable : elle dessinait une politique et affirmait une volonté.

La figure de l'archiduc restera, sans doute, énigmatique pour l'histoire : de matière un peu lourde, de complexion épaisse et sanguine, il n'avait, durant les années de sa jeunesse, rien promis de grand. Il était devenu l'héritier du trône impérial à la suite des événements tragiques qui avaient décimé la famille de François-Joseph. Ses sentiments extrêmement catholiques n'avaient pas empêché son mariage avec la comtesse Chotek qui devint, par cette union, duchesse de Hohenberg et qui, ayant pris sur lui un grand ascendant, contribua, sans doute, à tourner les vues de l'archiduc vers une politique nouvelle[2].

L'archiduc n'était pas un homme d'État ; mais il paraît avoir eu un très haut sentiment de la nature spécialement militaire de la monarchie austro-hongroise ; il avait senti naître en lui des ambitions et même des vues personnelles peut-être un peu vagues dans leur objet, mais très affirmées dans leur manifestation. Elles s'étaient déclarées en 1911, quand il avait conçu le dessein de risquer une guerre avec l'Italie, dessein qui rencontra, comme on le sait, l'opposition résolue du ministre d'Ærenthal. Elles se manifestaient de nouveau avec plus d'intensité et de force à l'égard des Serbes, après l'entrevue que l'archiduc avait eu avec l'empereur Guillaume à Konopischt.

Guillaume II paraît s'être emparé assez habilement de l'esprit de l'archiduc pour faire servir les ambitions de celui-ci aux destinées de la politique allemande. Telle serait la portée du mot attribué à l'empereur quand il apprit l'assassinat de l'archiduc : Toute mon œuvre est à recommencer.

LES PROJETS DE L'ARCHIDUC FRANÇOIS-FERDINAND.

M. Take Jonesco expose assez exactement les sentiments qui purent être communs aux deux interlocuteurs, dans ces entretiens qui décidèrent de la vie de l'archiduc et de l'avenir du monde. En rapprochant son témoignage d'un autre, d'origine plus mystérieuse, on peut arriver aux approximations suivantes : le grand dessein de la marche vers l'Ouest, se réaliserait par une entente définitive entre les deux empires germaniques. On combinait définitivement l'action austro-hongroise dans les Balkans avec une extension de l'influence allemande vers Constantinople et vers l'Adriatique. La Taegliche Rundschau a écrit : Dans cette entrevue de Konopischt, la question de Trieste a trouvé une solution.

En compensation de ce sacrifice, l'Autriche devait se mettre à la tête d'une confédération qui, de gré ou de force, ferait d'elle la maîtresse des destinées balkaniques. Le principal obstacle étant la Serbie, on l'abattrait d'abord.

C'était là, d'ailleurs, une détermination avérée chez les gouvernants austro-hongrois.

En 1911, un Européen, voyageant en Bosnie et Herzégovine, eut à Sarajevo, avec un personnage administratif austro-hongrois, l'entretien suivant : On n'a pas compris, en Europe, pourquoi le baron d'Ærenthal a renoncé au district de Novi-Bazar. Est-ce que l'Autriche-Hongrie s'est désintéressée pour toujours de ses vues sur Salonique ?Nullement, répondit le personnage austro-hongrois. — Mais, alors, pourquoi ces déclarations publiques ?Le chemin qui passe par le district est le plus mauvais de tous ; nous en prendrons un autre. — Mais, lequel ?Il passe par Belgrade et à travers la Serbie. — Cela veut dire qu'il passe à travers une grande guerre ?C'est entendu. Cette guerre, il nous la faut.

L'archiduc était conquis à cette idée, mais il élargissait sa portée et ses suites : Il rêvait de donner à l'Autriche un nouvel éclat, de lui faire jouer un rôle, un très grand rôle. Il avait pensé à couper court aux difficultés nationalistes de son empire, eu lui donnant une sorte de constitution fédérative impériale. Il était sûr de pouvoir incorporer à l'Autriche, non seulement la Serbie, mais aussi la Roumanie et la Bulgarie, sous la forme d'états confédérés, à l'instar de la Bavière dans l'empire allemand. Je sais, de la meilleure source, qu'il espérait attirer le royaume de bon gré dans l'empire des Habsbourg, en montrant aux Roumains que c'était pour eux la seule manière d'arriver à l'unité nationale. En même temps, il était sûr, — et il ne s'en cachait pasde pouvoir convertir à l'Eglise catholique romaine tous les habitants de l'Autriche-Hongrie, même les protestants. Il n'aimait pas les Magyars, et il détestait l'Italiesur laquelle il avait voulu gagner des lauriers dès 1911,et il n'en avait été empêché que par le non possumus absolu de d'Ærenthal. Il est probable qu'à Konopischt il ait fait, avec l'autre illuminé, l'empereur Guillaume, de vastes plans de conquêtes universelles à deux. (Take Jonesco.)

Le plan ainsi esquissé, par un homme qui sait les choses des Balkans pour y avoir été mêlé officiellement, se complétait par d'autres vues plus hardies encore : Il ne s'agissait de rien moins que d'absorber la Serbie et de reprendre à la Bulgarie, à la Grèce, à la Roumanie, par étapes successives, la plus grande partie des territoires arrachés à la Turquie. On voulait réduire les États balkaniques à des expressions géographiques, en détruisant l'influence russe... François-Ferdinand exposa son dessein de saisir le premier prétexte venu pour réduire la Serbie à merci et pour s'emparer du petit royaume.

En vertu de son principe de ne rien accorder gratuitement, le kaiser aurait acquiescé, mais en réclamant pour lui-même la satisfaction des ambitions allemandes si souvent exprimées : soit l'accès de l'Adriatique par le port de Trieste. L'Italie et ses visées nationales étaient sacrifiées. On tomba d'accord sur ce point, qu'un débouché serait assuré à l'Allemagne sur l'Adriatique, en lui accordant liberté complète de trafic par une voie ferrée quasi neutralisée reliant l'Allemagne à Trieste[3].

Ces projets ne faisaient que cristalliser, en quelque sorte, les ambitions de l'Autriche-Hongrie sur les Balkans, telles qu'elles flottaient dans l'atmosphère du Ballplatz et telles qu'elles sont exposées dans un mémoire émanant d'une personnalité des plus averties et dont nous extrairons ces quelques lignes : Dans ses aspirations à l'hégémonie sur les Balkans, l'Autriche-Hongrie a toujours été poussée plutôt par le souci de son prestige que par une vue nette de ses intérêts. Avec son orgueil d'antique et jadis prépondérante monarchie, les satisfactions de vanitéceci soit dit à son honneurl'emportent de beaucoup, pour elle, sur la poursuite d'avantages matériels. Faire grande figure dans la péninsule à l'encontre de la Russie et régler à sa convenance l'expansion du slavisme était un programme dont le vague convenait aux conceptions de ses hommes d'État. Afin de le préciser, le but assigné devint la marche sur Salonique, sans qu'on sût, d'ailleurs, par quels moyens le réaliser, ni même quels profits en espérer.

Mais, bientôt, apparut l'obstacle en travers de la route, la petite Serbie, résolue dans sa résistance, inquiétante par sa force d'attraction, assurée d'être soutenue par la main moscovite. D'où l'animosité toujours grandissante de l'Autriche contre la dynastie régnant à Belgrade et sa continuelle préoccupation d'entraver le tenace développement serbe.

Cet antagonisme, l'Allemagne n'a pas cessé de l'exploiter pour ses intérêts. Il lui convenait merveilleusement que l'empire austro-hongrois s'affirmât ainsi comme l'adversaire des progrès du slavisme, malgré les ménagements qu'il aurait dû s'imposer envers ses sujets yougoslaves, et s'aliénât une clientèle dans les Balkans que le commerce germanique s'empressait de faire sienne. Afin d'aggraver le conflit austro-serbe, ce fut donc l'effort constant de l'Allemagne d'exciter les ressentiments à Vienne et d'entretenir les rancunes à Belgrade, tout en acquérant, pour le négoce allemand (et pour la culture allemande, comme on l'a vu plus haut) le bénéfice des positions perdues par l'Autriche-Hongrie.

L'archiduc François-Ferdinand, poussé par les conseils de l'empereur Guillaume, entrait donc dans le rôle de vainqueur, d'organisateur des Balkans, au moment précis où la faillite des combinaisons albanaises du comte Berchtold plaçait l'Autriche-Hongrie dans le dilemme ou d'être battue ou de risquer le tout pour le tout ; il faisait un premier pas, en se rendant à Sarajevo.

L'ATTENTAT.

Il hésita, paraît-il, au dernier moment. Il avait, le matin de son départ, passé plusieurs heures dans son oratoire et confié à ses proches qu'il partait le cœur serré. Son destin le poussait.

Peut-être, ce pas décisif avait-il été motivé par un bruit qui s'était répandu dès les premiers jours de juin : on assurait que la Serbie et le Monténégro avaient résolu de s'unir plus étroitement. Ils établiraient entre eux, d'abord, l'unité douanière et auraient deux ministères communs : les Affaires étrangères et les Finances. C'était la résistance slave qui s'organisait dans les Balkans et cela, ajoutait-on, sous l'égide et avec les encouragements du Gouvernement russe. Les positions se prenaient donc de part et d'autre.

Quoi qu'il en soit, les intentions et les projets de l'archiduc François-Ferdinand n'étaient pas tenus dans un secret si absolu qu'ils n'eussent filtré à travers les mailles, peu serrées, des nationalités diverses et des fidélités contrastées constituant la monarchie et la bureaucratie austro-hongroises. Dans les pays du Danube, tout le monde est aux écoutes, tout se sait. Les conspirateurs bosniaques furent avertis et, comme l'archiduc Ferdinand se mettait en mouvement pour écraser la conspiration panserbe, celle-ci résolut de l'arrêter.

Le choc fatal se produisit.

Le 28 juin, l'archiduc Ferdinand et sa femme furent assassinés à Sarajevo dans des circonstances dont le détail fut exposé en ces termes, par la version officielle, adressée de Vienne aux agences : L'archiduc François-Ferdinand et sa femme, la duchesse de Hohenberg, se rendaient au municipe pour la réception des autorités, quand une bombe fut lancée contre eux : elle tomba sur le bras de l'archiduc qui la repoussa d'un simple mouvement. La bombe fit explosion après le passage de la voiture. Le comte Boor-Waldeck et l'aide de camp, lieutenant-colonel Mirizzi, qui se trouvaient dans une automobile de la suite, furent légèrement blessés et quelques personnes le furent grièvement dans la foule qui se pressait sur le passage des voitures. L'auteur de cet attentat est un certain Kaprinovic, typographe, originaire de Trebinge : il a été arrêté immédiatement.

Après la réception officielle au municipe, l'archiduc retournait au konak quand se produisit un second attentat à coups de revolver browning. L'archiduc fut atteint au visage et la duchesse à l'abdomen. L'archiduc et la duchesse furent transportés aussitôt au konak où ils expirèrent. L'auteur du second attentat est un étudiant de huitième classe, au lycée, un certain Princip, né à Grahovo. Il fut arrêté aussitôt. Les deux assassins ont été soustraits à la fureur de la foule qui voulait les lyncher. L'auteur de l'attentat, Gravilo Princip, âgé de 19 ans, né à Grahovo, dans le district de Livro (Bosnie), a déclaré à la police qu'il avait étudié pendant plusieurs années à Belgrade et qu'il avait, depuis longtemps, l'intention de tuer un haut personnage, par dévouement à la cause nationaliste.

Il attendit que le prince passât sur le quai Général-Appel pour commettre l'attentat. Princip a raconté que la voiture de l'archiduc, revenant du municipe, ralentit à l'angle de la rue François - Joseph. Lui, Princip, hésita un instant, parce que la duchesse était dans la voiture, mais qu'il tira soudain ses deux coups. Il nie avoir des complices. Le typographe Nedeljko Kopronic, âgé de 20 ans, auteur du premier attentat, a déclaré à la police qu'il reçut la bombe des mains d'un anarchiste de Belgrade dont il ignore le nom. Lui aussi déclare n'avoir aucun complice. Son attitude fut cynique pendant l'interrogatoire de la police.

A peine la nouvelle de l'attentat se fut-elle répandue, que des drapeaux noirs furent arborés à toutes les maisons de la ville. La douleur est générale dans toutes les classes de la société. L'ordre et le calme règnent dans tout le pays.

L'accusation s'étendit immédiatement, comme on le voit, à certaines complicités serbes : elle devait être reprise avec une violence extrême par la presse officieuse austro-hongroise. De là à une incrimination politique, il n'y avait qu'un pas. Dès le 29 juin, la Reichspost écrivait : Nous avons négligé d'enfumer à temps la tanière venimeuse de Belgrade, ce repaire où le meurtre du souverain passe pour un procédé légal de combat politique, où fut organisée la tentative d'assassinat du souverain monténégrin, pourtant de même race, ce repaire d'où le sud-est de notre monarchie est, depuis longtemps, empoisonné ; car, c'est à Belgrade que l'on transforme nos propres Serbes en émissaires, en espions et en meurtriers. L'humeur de notre armée la poussait instinctivement à courir sus aux Serbes... Maintenant, nous sommes sous le coup de la plus terrible des provocations : l'assassinat de notre archiduc héritier par des meurtriers qui ont étudié et travaillé à Belgrade... Nous avons une défaite à réparer ; nous avons à faire payer le meurtre de Sarajevo à ses instigateurs. L'assassinat de notre archiduc héritier est, pour nous, l'avis que la onzième heure a sonné : nous attendons le coup de la douzième.

Cette question de la complicité serbe devait être précisée officiellement dans les termes suivants, par l'ultimatum austro-hongrois à la Serbie.

L'instruction criminelle ouverte par le tribunal de Sarajevo contre Gravilo Princip et consorts du chef d'assassinat et de complicité y relative, crime commis par eux le 28 juin dernier, a abouti aux constatations suivantes :

1° Le complot ayant pour but d'assassiner, lors de son séjour à Sarajevo, l'archiduc François-Ferdinand fut formé à Belgrade par Gravilo Princip, Nedeljko Cabrinovic, le nommé Milan Ciganovic et Trifko Grabez, avec le concours du commandant Voija Tankosic ;

2° Les six bombes et les quatre pistolets browning avec munitions, moyennant lesquels les malfaiteurs ont commis l'attentat, furent livrés à Belgrade à Princip, Cabrinovic et Grabez par le nommé Milan Ciganovic et le commandant Voija Tankosic ;

3° Les bombes sont des grenades à main provenant du dépôt d'armes de l'armée serbe à Kragujevaks ;

4° Pour assurer la réussite de l'attentat, Ciganovic enseigna à Princip, Cabrinovic et Grabez la manière de se servir des grenades et donna, dans une forêt, près du champ de tir, à Topschider, des leçons de tir avec pistolets browning, à Princip et à Grabez ;

5° Pour rendre possible à Princip, Cabrinovic et Grabez de passer la frontière de Bosnie-Herzégovine, et d'y introduire clandestinement leur contrebande d'armes, un système de transport secret fut organisé par Ciganovic.

D'après cette organisation, l'introduction en Bosnie-Herzégovine des malfaiteurs et de leurs armes fut opérée par les capitaines frontières de Sabac (Popovic) et de Loznica, ainsi que par le douanier Rudivoj Grbic de Loznica, avec le concours de divers particuliers[4].

A ces accusations, les Serbes répondaient : L'auteur principal du crime, l'étudiant Princip, déclare : Il n'y a eu, dans cette affaire, aucune instigation venue du dehors. Les dénonciations de Cabrinovic, qui a dit le contraire, sont mensongères.

Toute l'accusation des complicités venues du dehors repose sur les déclarations de Cabrinovic. Or, Cabrinovic avait été signalé par la police serbe à la police autrichienne. Il est démontré qu'il est le fils d'un agent de la police secrète autrichienne.

Nous laisserons aux scrutateurs de ces âmes obscures, le soin de décider si les assassins ont été ou non le jouet des passions plus hautes ou des calculs plus bas, dont ils ont, en tous cas, subi l'ambiance. Leur bras était armé par les violences contraires qui se heurtaient au-dessus de leurs têtes. Leur geste terrible subissait l'histoire et la déchaînait tout ensemble.

Au moment de l'assassinat, l'empereur François-Joseph était à Ischl ; il fut avisé télégraphiquement.

ÉMOTION CAUSÉE PAR L'ATTENTAT.

L'empereur Guillaume assistait aux régates de Kiel et était à bord du yacht Météos. On a raconté qu'il était sur le pont quand la nouvelle fut télégraphiée. On lui apporta le pli fermé : Ah ! non, non ! dit-il, qu'on nous laisse tranquilles ! Cependant, il ouvrit l'enveloppe, lut les quelques lignes, pâlit... et c'est alors qu'il aurait dit : L'archiduc est mort, c'est toute mon œuvre à recommencer... Après ce premier mouvement, la réflexion lui inspira, sans doute, la pensée contraire, à savoir, de poursuivre plus énergiquement l'entreprise commune.

La destinée frappait sa première victime ; celui qu'elle visait ensuite ne voulut pas comprendre l'avertissement qui lui était donné. Peut-être se fût-il arrêté, si ce sang qui coulait d'abord, eût évoqué en lui la vision de la catastrophe que sa volonté, à cette heure précise, en s'obstinant, déterminait ?

Les effets de l'attentat se développèrent comme une vague circulaire, du lieu où il s'était produit jusqu'aux extrémités du monde. A Sarajevo, où les Serbes sont une petite minorité,

la populace met à sac leurs boutiques, leurs maisons ; la ville et d'autres, comme Mostar, offrent un spectacle de terreur et d'anarchie. A Vienne, ont lieu des conseils répétés où assistent le comte Berchtold, le ministre de la Guerre et le chef d'Etat-Major. Les ministres sont reçus par l'empereur François-Joseph, revenu en toute hâte d'Ischl à Schcenbrunn.

Nous avons indiqué déjà l'émotion agressive produite sur l'opinion austro-hongroise, et surchauffée encore par la presse, même officieuse ; les cercles officiels ne cherchent nullement à la calmer. M. Dumaine, dévoilant, dès le 2 juillet, le plan conçu dès la nouvelle de l'attentat, écrit : Le crime de Sarajevo suscite les plus vives rancunes dans les milieux militaires autrichiens et chez tous ceux qui ne se résignent pas à laisser la Serbie garder, dans les Balkans, le rang qu'elle a conquis. L'enquête sur les origines de l'attentat qu'on voudrait exiger du gouvernement de Belgrade, clans des conditions intolérables pour sa dignité, fournirait, à la suite d'un refus, le grief permettant de procéder à une exécution militaire.

On s'émeut à Belgrade. Une note officieuse, datée du 30 juin, dit : Nous pouvons à peine concevoir la possibilité que la presse allemande puisse inculper la Serbie et l'attaquer pour cet attentat inqualifiable d'un jeune homme d'une mentalité maladive... Le gouvernement royal prendra des mesures envers les éléments sujets à caution se trouvant sur son territoire.

L'empereur d'Allemagne est rentré à Wildpark ; il fait savoir que, de là, il se rendra aux obsèques. L'empereur et l'impératrice d'Allemagne adressent à la princesse Sophie de Hohenberg, l'aînée des enfants de l'archiduc, un télégramme ainsi conçu : Nous ne pouvons guère trouver de paroles pour vous exprimer à vous, enfants, comme nos cœurs saignent en songeant à votre douleur indicible. Il n'y a pas encore quinze jours que nous avons vécu chez vous de si belles heures avec vos parents, et, maintenant, vous savoir dans ce chagrin immense ! Dieu vous aide et vous donne la force de supporter ce coup : la bénédiction de vos parents survit à la tombe.

Presque tous les journaux, depuis la catholique Germania, jusqu'au radical Berliner Tageblatt, rendent la Serbie responsable de l'assassinat.

En Russie, le ton est à la fois pessimiste et ferme. Le Courrier de Saint-Pétersbourg écrit : La main d'un Serbe a frappé mortellement un prince qui portait en lui la flamme qui pouvait allumer la conflagration européenne. La destinée offre à l'Autriche une occasion de changer ses voies et de racheter les péchés commis par elle depuis dix ans. Dans l'intérêt de la paix et pour la prospérité générale européenne, nous espérons que la tragédie d'hier coïncidera avec une nouvelle orientation de la politique autrichienne en Europe.

En France, en Angleterre, en Italie, on essaye de calmer et d'apaiser ; le marquis di San Giuliano s'exprime ainsi, dans son discours à la Chambre : Nous espérons tous que l'admirable fermeté d'âme de l'empereur François-Joseph saura supporter ce nouveau choc. Tous, nous trouvons, en sa haute sagesse, une sauvegarde pour la paix, condition nécessaire du progrès et de la prospérité pour tout l'univers.

Les condoléances contenaient, comme on le voit, un conseil respectueux.

Les corps de l'archiduc et de sa femme furent transportés à Trieste, par le cuirassé Viribus Unitis, et de Trieste à Vienne.

Il avait été décidé que, en raison de la situation délicate de la duchesse de Hohenberg, le cérémonial garderait un caractère d'intimité. Par la volonté de l'empereur François-Joseph, cette décision fut si strictement observée que l'empereur Guillaume renonça à assister aux obsèques.

La cérémonie eut lieu à la chapelle de la Hofburg, le 3 juillet, en présence de l'empereur. La maîtrise, placée dans la sacristie, chanta les motets funéraires à mi-voix. Les enfants de l'archiduc n'arrivèrent à Vienne qu'après les obsèques et n'y assistèrent pas. Les cercueils, transportés par voie ferrée, passèrent en bac le Danube pour être conduits au château de Armtetten où ils reposent.

A Vienne et dans la plupart des villes de l'empire, les fureurs nationalistes étaient déchaînées ; le drapeau serbe était insulté ; les foules parcouraient les rues en criant : A bas la Serbie ! A Belgrade ! Les perquisitions, les arrestations se multipliaient en Bosnie, en Croatie, en Bohême. La presse russe s'émouvait à son tour. La Gazette de Saint-Pétersbourg écrivait : L'Autriche lance un défi à la moitié de l'Europe orthodoxe.

L'inquiétude générale crut trouver un apaisement dans une lettre de l'empereur François-Joseph à ses ministres, datée du 4 juillet, et qui attribuait l'attentat à l'erreur d'un petit nombre d'hommes. On fut frappé de l'accent résigné de la lettre : Pendant soixante-cinq ans, j'ai partagé avec mes peuples la tristesse et la joie, songeant toujours, même dans les heures les plus difficiles, à mes devoirs élevés, à ma responsabilité pour le sort des millions d'hommes dont j'aurai à rendre compte au Tout-Puissant...

Comme le monarque ne faisait aucune allusion à des sanctions internationales, on crut que tout danger de rupture entre l'Autriche-Hongrie et la Serbie était écarté.

En Allemagne, la tendance semblait également moins pessimiste.

Le chargé d'affaires de France à Berlin, M. de Manneville, télégraphiait le 4 juillet : On pense que la Serbie donnera à l'Autriche les satisfactions nécessaires pour la poursuite des complices du crime de Sarajevo. Le gouvernement allemand ne paraît donc pas partager les inquiétudes qui se manifestent dans la presse allemande, au sujet d'une tension possible des rapports entre les gouvernements de Vienne et de Belgrade, ou, du moins, il ne veut pas en avoir l'apparence.

M. d'Apchier Le Maugin, consul général à Budapest, signale les mêmes dispositions favorables, du moins pour le moment.

Après avoir analysé un discours très réservé de M. Tisza, il ajoute : Officiellement pour le quart d'heure, tout est à la paix... Tout est à la paix, du moins dans les journaux. Le gros public, ici, croit à la guerre ; on m'assure que, chaque jour, des canons et des munitions sont dirigés en masse vers la frontière. Le gouvernement, soit qu'il veuille sincèrement la paix, soit qu'il prépare un coup, fait maintenant tout son possible pour calmer les inquiétudes. Mais cet optimisme de commande est, actuellement, sans écho ; les valeurs, sans exception, sont tombées, hier, à des cours exceptionnellement bas.

En réalité, on gagne du temps pour mieux préparer le coup que l'on médite ; les grandes résolutions paraissent avoir été prises, dès le 7 juillet, dans une conférence tenue par les ministres communs (l'Autriche et de Hongrie, après une consultation avec le chef d'État-Major de l'armée, général Conrad de Hœtzendorff et l'amiral Hans.

Toute la question est de savoir ce que fera la Russie, au cas où l'on procéderait à des mesures d'exécution, décidées en principe, à l'égard de la Serbie. M. Sazanoff avait averti formellement l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie, le comte Czernin, de l'irritation inquiétante que les attaques de la presse viennoise risquaient de produire dans le pays. Comme l'ambassadeur laissait entendre que le gouvernement austro-hongrois serait peut-être obligé de rechercher, sur le territoire serbe, les instigateurs de l'attentat de Sarajevo, M. Sazanoff lui dit nettement : Ne vous engagez pas dans cette voie !

On ne prit pas garde à ce conseil qui contenait un avertissement : peut-être doutait-on qu'il fût suivi d'effet. La presse austro-hongroise discutait ouvertement l'organisation militaire de la France et de la Russie, présentant ces deux pays comme hors d'état de dire leur mot dans les affaires européennes. La Militarische Rundschau écrivait : L'instant nous est encore favorable. Si nous ne nous décidons pas à la guerre, celle que nous devrons faire, dans deux ou trois ans au plus tard, s'engagera dans des circonstances beaucoup moins propices. Actuellement, c'est à nous qu'appartient l'initiative : la Russie n'est pas prête ; les facteurs moraux et le bon droit sont pour nous, de même que la force. Puisqu'un jour, nous devrons accepter la lutte, provoquons-la tout de suite. Ainsi, l'on voit poindre ce sentiment que la Russie, comme en 1911, reculera. La Neue Freie Presse, qui passe pour un journal modéré, écrit : L'apaisement ne peut résulter, pour nous, que d'une guerre au couteau contre le panserbisme, et c'est au nom de l'humanité qu'elle réclame l'extermination de la maudite race serbe. (Livre jaune, p. 28.)

Cette note était donnée, surtout, par les journaux à la solde de l'Allemagne : en réalité, l'union des deux partis militaires était faite, et probablement la décision prise.

Tout au plus, peut-on admettre, qu'à Vienne, il y eut encore quelque hésitation dans certaines sphères officielles ou, du moins, qu'on n'y ait pas encore envisagé les pires conséquences. Tel est l'avis d'un des hommes qui fut à même de connaître le mieux les dessous de cette crise : Conscient, malgré tout, que le peu de cohésion des peuples de la monarchie habsbourgeoise interdisait les trop violentes commotions, le ministère austro-hongrois ne se fût pas encore résolu à l'action, s'il ne s'était cru assuré que le conflit resterait limité entre la monarchie dualiste et le petit royaume serbe. Trompé par sa courte vue, il se laissait persuader que, ni la Russie, ni la France ne seraient en état d'intervenir et que l'occasion s'offrait de régler enfin une vieille querelle dans un duel inégal et sans danger. La Serbie, épuisée, à bout de souffle, après deux guerres en un an, dont la seconde était, d'ailleurs, le résultat des manœuvres sournoises de Vienne à Sofia, se trouvait réduite à céder, à subir une humiliation profonde et qui portait, sans doute, atteinte à la force d'attraction qu'elle exerçait sur les Slaves des Balkans et même sur ceux de l'empire. Même les puissances sur la sollicitude desquelles elle pouvait le plus compter, convenaient que détourner d'elle cette rude épreuve était, en même temps, sauver la paix européenne. L'Autriche-Hongrie allait ainsi triompher, sans que, cette fois encore, son perpétuel état de mobilisation eût abouti à l'ouverture des hostilités...[5]

Donc, tout au plus, une simple exécution militaire rapide et sans résistance. Les plus sages, leurrés par cet espoir, se laissaient glisser peu à peu sur la pente où les poussait la volonté déclarée des plus ardents.

Ceux qui observent avec attention n'ont pas de peine à remarquer, dans les oscillations de chaque minute, que le parti de l'action a le dessus ; il mène de front le travail des griefs et celui des préparatifs militaires.

Tandis que le reste du monde s'émeut à peine, la Bourse viennoise est en pleine effervescence.

Le 11 juillet est une journée de panique à Belgrade ; les Austro-Hongrois se réfugient à la légation, persuadés que le peuple serbe veut procéder contre eux à des Vêpres Siciliennes. La presse viennoise exploite cette folle journée et relève, dans les journaux serbes les plus inconnus, les moindres allusions blessantes pour l'empire.

Le 19 juillet, on écrit de Vienne au gouvernement français qu'on aurait tort de s'en rapporter aux rumeurs d'optimisme. Le correspondant apprend, de bonne source, qu'on exigera beaucoup de la Serbie, qu'une note sera adressée à Belgrade dont l'allure impérative garantit presque assurément que la Serbie ne pourra l'accepter. Alors, on opérera militairement.

Pour la première fois, la perspective d'une guerre générale est envisagée : Il y a ici, et pareillement à Berlin, un clan qui accepte l'idée !du conflit à dimensions généralisées, en d'autres termes, la conflagration. L'idée directrice est probablement qu'il faudrait marcher avant que la Russie ait terminé ses grands perfectionnements de l'armée et des voies ferrées, et avant que la France ait mis au point son organisation militaire... Tandis que les diplomates et le comte Berchtold se contenteraient d'une action localisée contre la Serbie, un travail officiel a visiblement pour but d'exciter le sentiment public et de créer une opinion favorable à la guerre.

Ce point de vue est celui de la diplomatie austro-hongroise dans les Balkans. Le 2I juillet, le baron de Giest, ministre d'Autriche-Hongrie à Belgrade, l'expose dans un rapport adressé au comte Berchtold :

... Pour conserver à la Monarchie sa position de grande puissance, que dis-je, pour assurer son existence même, en tant que grande puissance, il ne sera pas possible d'éviter à la longue un règlement de comptes avec la Serbie, une guerre... Si, par conséquent, nous sommes résolus à formuler de vastes exigences liées à un contrôle efficace — car lui seul nous permettra de nettoyer les écuries d'Augias où se nouent les intrigues panserbes —, il nous faudra alors envisager toutes les conséquences possibles et avoir, dès l'abord, la forte et ferme volonté de tenir jusqu'au bout. (Livre rouge austro-hongrois)[6].

On ne peut rester longtemps dans l'incertitude. Trois semaines se sont écoulées depuis l'attentat. Tout le monde sait qu'une note adressée au gouvernement serbe a été rédigée par les bureaux du Ballplatz. Le comte Berchtold est à Ischl, près de l'empereur, et son séjour se prolonge.

La Serbie, inquiète, a fait une démarche à Berlin (20 juillet) pour essayer de prévenir une rigueur excessive et inacceptable pour elle ; le chargé d'affaires de Russie a questionné discrètement le ministre des Affaires étrangères allemand, M. de Jagow, sur le caractère de la note, qu'on dit rédigée maintenant, et dont le cabinet de Berlin doit avoir connaissance. M. Jules Cambon fait une démarche analogue. M. de Jagow répond qu'il ignore absolument le contenu de cette note. La Bourse baisse à Berlin. Le bruit s'est répandu que les avis militaires officiels, mettant l'Allemagne dans une sorte de garde à vous, ont été envoyés aux classes qui doivent être appelées sous les drapeaux.

L'émotion se répand dans les milieux diplomatiques tandis que le calme règne encore dans l'opinion générale. M. Bienvenu-Martin, ministre des Affaires étrangères par intérim, résume en ces termes les renseignements qui lui sont parvenus (22 juillet) : Dans les circonstances présentes, la supposition la plus favorable qu'on puisse faire est que le cabinet de Vienne, se sentant débordé par la presse et par le parti militaire, cherche à obtenir le maximum de la Serbie par une intimidation préalable directe et indirecte et s'appuie sur l'Allemagne à cet effet.

M. Dumaine signale de Vienne qu'on est résolu à traiter la Serbie comme une autre Pologne et que l'ambassadeur d'Allemagne, M. de Tchirscky, se montre partisan des résolutions violentes, au delà même, assure-t-on, des intentions de son gouvernement.

A Londres, l'ambassadeur d'Allemagne fait, auprès de sir Edw. Grey, une démarche qui laisse celui-ci sous une impression d'inquiétude. L'ambassadeur a dit que, le gouvernement allemand ne parvenait pas à modérer le cabinet de Vienne. Sir Edw. Grey voit l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie et lui conseille la prudence, la modération. Le ministre de Serbie ne lui a pas dissimulé ses appréhensions.

A Vienne, la chancellerie affecte toujours de croire à un dénouement pacifique et l'ambassadeur de Russie se sent si rassuré qu'il part en congé.

Cependant, une première lueur commence à filtrer : le président du conseil bavarois, ne sachant pas que Berlin affecte d'ignorer là note austro-hongroise, dit qu'il en a connaissance ; il ajoute qu'elle lui semble rédigée en des termes acceptables pour la Serbie ; mais il ne cache pas que la situation lui paraît très sérieuse et il ne peut dissimuler un réel pessimisme.

Vienne et Berlin, qui ont pris certainement leur résolution, détiennent jalousement le secret de leur action imminente.

LA PÉRIODE D'ATTENTE À PARIS.

Voyons comment ces trois semaines se sont écoulées pour l'immense partie de l'Univers dont le sort se décide et qui est à la merci de quelques volontés faibles ou passionnées.

En France, le cabinet Viviani est aux affaires, le président du Conseil ayant assumé le portefeuille des Affaires étrangères ; M. Messimy est ministre de la Guerre ; M. Pierre Gauthier, ministre de la Marine ; M. Bienvenu-Martin, garde des sceaux, vice-président du Conseil ; M. Noullens, ministre des Finances ; M. Marty, ministre de l'Intérieur.

La session parlementaire touche à sa fin ; les cieux Chambres ont débattu longuement et voté finalement un projet de loi établissant l'impôt sur le revenu ; on s'est demandé, jusqu'à la dernière minute, si le président de la République pourrait quitter la France pour accomplir un voyage officiel à Saint-Pétersbourg, dont la date est, depuis longtemps, fixée au 20 juillet.

Le 13 juillet, M. le sénateur Humbert a, dans un discours retentissant, critiqué l'état de la préparation militaire en France.

M. Humbert a signalé certaines lacunes dans le matériel, notamment en ce qui concerne l'artillerie, l'habillement, les chaussures, l'état d'entretien des forts, les hangars de dirigeables, les camps d'instruction, la défense des côtes.

Fondées ou non, ces révélations, en pleine crise diplomatique, inquiètent le pays. Le ministre de la Guerre hésite à répondre. M. Clemenceau s'écrie : Il nous faut des explications ; nous ne partirons pas avant qu'on nous les ait fournies. Le lendemain, 14 juillet, jour de la fête nationale, la discussion est reprise devant le Sénat. Après les explications fournies par le ministre de la Guerre, le Sénat vote la proposition Boudenoot : Le Sénat donne mandat à la commission de l'armée de lui apporter, à la rentrée des Chambres, un rapport sur la situation du matériel de guerre.

Le débat sur le budget qui doit incorporer le nouveau système d'impôt sur le revenu fait la navette entre les deux Chambres. M. Jaurès intervient, au moment où la discussion paraît achevée, pour faire voter un amendement in extremis. Enfin, les deux Chambres se sont mises d'accord. M. Noullens dépose, en blanc, le projet de budget pour 1915 et M. Malvy donne lecture du décret déclarant close la session ordinaire de 1914.

Le même jour, 15 juillet, à minuit, le président de la République a quitté Paris pour entreprendre son voyage. Au lieu de se rendre à Cherbourg, il gagne Dunkerque où l'escadre de l'amiral Le Bris et le cuirassé France ont reçu l'ordre d'aller l'attendre. Au départ de Paris, M. Viviani, président du Conseil, qui l'accompagne, est retenu jusqu'à la dernière minute par le travail parlementaire. enfin, il arrive à minuit moins deux. Le président se trouvera en Russie au jour et à l'heure qui ont été fixés, c'est-à-dire le 20 juillet, à deux heures.

Sauf ces incidents parlementaires, qui ont, avec les événements prochains, une corrélation frappante mais que l'on ne peut deviner encore, les trois premières semaines de juillet se sont passées, à Paris, dans le calme habituel : le ministère a pris quelques mesures contre les dernières congrégations ; l'emprunt d'État, montant à 805 millions, en rentes 3 %, trop longtemps retardé et émis le 7 juillet, est souscrit quarante fois.

Les concours du Conservatoire sollicitent l'attention des nombreux Parisiens dont le théâtre est une des principales préoccupations. Le grand prix de l'Automobile-club est disputé sur le circuit de Lyon ; à Maisons-Laffitte, les courses ont lieu, comme d'ordinaire, avec le Prix du président de la République ; des fêtes anniversaires de Victor Hugo sont célébrées à Guernesey ; M. Maurice Barrès revient d'un voyage en Palestine et en Orient ; un grand combat de boxe est disputé entre Carpentier et Gunboat Smith.

Mais le grand événement qui passionne la presse, qui absorbe l'attention générale, qui soulève les passions les plus vives, c'est le procès intenté à Mme Caillaux qui, de deux coups de revolver, a tué, le 16 mars, M. Gaston Calmette, directeur du Figaro.

Le président de la République a débarqué à Cronstadt, le 20 juillet, à l'heure convenue. Le soir, un dîner a eu lieu, au palais impérial à Peterhof. Au dîner, assistent l'impératrice et toute la famille impériale ; on remarque le prince héritier de Monténégro et la princesse Hélène de Serbie. Les toasts échangés sont d'un accent volontairement pacifique, mais où l'on sent de la chaleur et de la force. Le tsar dit : Le chef de l'État ami et allié est toujours assuré de rencontrer un accueil des plus chaleureux en Russie ; mais aujourd'hui, notre satisfaction de pouvoir saluer le président de la République française est encore doublée par le plaisir de retrouver en vous une ancienne connaissance, avec laquelle j'ai été charmé de nouer, il y a deux ans, des relations personnelles... Je ne doute pas que, fidèles à leur idéal pacifique, et, s'appuyant sur leur alliance éprouvée, ainsi que sur des amitiés communes, nos deux pays continueront à jouir des bienfaits de la paix, assurée par la plénitude de leurs forces, en serrant toujours davantage les liens qui les unissent... Et M. Poincaré répond : Près de vingt-cinq ans ont passé depuis que, dans une claire vision de leur destin, nos pays ont uni les efforts de leur diplomatie... Fondée sur la communauté des intérêts, consacrée par la volonté pacifique des deux gouvernements, appuyée sur des armées de terre et de mer qui se connaissent, s'estiment et sont habituées à fraterniser, affermie par une longue expérience et complétée par de précieuses amitiés, l'alliance dont l'illustre empereur Alexandre III et le regretté président Carnot ont pris la première initiative, a donné la preuve de son action bienfaisante et de son inébranlable solidité.

LE MOIS DE JUILLET : EN RUSSIE, EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE.

Pendant le mois de juin et le début de juillet, la Russie avait connu les alternatives habituelles de son existence contrastée. Au début du mois de juin, la visite d'une flotte anglaise dans les eaux russes avait donné lieu au bruit d'un projet d'entente navale entre l'Angleterre et la Russie, bruit qui n'était pas absolument infondé. Par contre, la nouvelle inverse d'une entente des Etats-Majors allemand et austro-hongrois, dans l'éventualité d'une guerre contre la Russie, s'était confirmée. Une chaleur accablante, qui compromettait la prochaine récolte, rendait la vie presque insupportable. Le tsar approuvait les mesures ordonnant la création de tout un réseau de chemins de fer nouveaux, dans la région de l'Amour.

M. Gorémékine était président du conseil des ministres, succédant à M. Kokowtsoff. Le nouveau ministre des Finances, M. Karp, s'inspirant des vues de l'empereur, prenait les premières mesures pour la suppression de la consommation de l'alcool.

Vers le 15 juillet, de graves dissentiments s'étaient produits entre patrons et ouvriers à Saint-Pétersbourg. Cette grève imprévue prenait soudain une grande extension. Le 18 juillet, 50.000 ouvriers quittaient le travail et, bientôt, entraient en collision avec la police. Le grève se prolongeait, se développait dans des conditions anormales : 100.000 grévistes parcouraient les ries de Saint-Pétersbourg ; les boutiques se fermaient, la circulation des tramways était suspendue, des bandes organisées arrêtaient la marche des trains, les rencontres avec la police et les troupes devenaient sanglantes ; la grève prenait un caractère politique, révolutionnaire ; elle gagnait, à Reval, les ouvriers des arsenaux ; puis, s'étendait à Riga, Moscou, jusqu'à Tiflis. Malgré la visite du président de la République, Saint-Pétersbourg avait une physionomie triste. En réponse à la grève, les patrons prononçaient le lock out.

En Angleterre, les préoccupations de la politique intérieure n'étaient pas moins absorbantes.

La question du Home Rule était arrivée au point le plus aigu. La loi établissant un parlement irlandais ayant été votée en première lecture par les deux Chambres, 14 juillet, la résistance de l'Ulster s'était violemment affirmée. M. Carson, dans un grand meeting tenu pour célébrer l'anniversaire de la bataille de La Boyne, avait déclaré que l'autorité du parlement de l'Irlande ne serait pas reconnue dans la province protestante de l'Ulster.

Les deux partis irlandais étaient armés jusqu'aux dents ; ils procédaient, l'un contre l'autre, à des manœuvres d'instruction militaire, à une véritable mobilisation avec armes, trains d'équipages, ambulances ; c'était, dans la pacifique Grande-Bretagne, comme un premier entraînement à la guerre : on affirmait que 80.000 volontaires étaient enrôlés dans les troupes de l'Ulster, tandis que les volontaires nationalistes étaient au nombre de 132.000.

En même temps, les suffragettes se livraient à leurs exploits ordinaires ; on trouvait des bombes dans les églises ; sur la voie publique, les meetings ou les réunions étaient troublés par des irruptions soudaines ; des femmes se jetaient à la tête des chevaux attelés aux voitures officielles ; le feu était mis à la gare de Blaby.

Le roi et la reine, après un court séjour en Ecosse, rentraient à Londres pour assister à la revue navale qui devait avoir lieu à Spithead, le 15 juillet. On touchait au point culminant de la crise du Home Rule.

Le roi est obligé de retarder son départ pour assister à la revue, tant les inquiétudes sur le maintien de la paix intérieure sont grandes. La mobilisation navale est, d'ailleurs, magnifique : quatre cent quatre-vingt-treize navires sont complètement armés, équipés, en état de prendre la mer. A peine le roi a-t-il quitté Spithead, qu'après de longues hésitations, il se résout à intervenir lui-même pour essayer d'apaiser le conflit. Il décide la réunion, au malais de Buckingham, d'une conférence entre les chefs des partis anglais et irlandais. En ouvrant cette conférence, il prononce un discours qui exprime l'intensité de ses angoisses patriotiques :

Mon intervention peut être regardée comme une procédure nouvelle, mais les circonstances exceptionnelles justifient cet acte. Voilà plusieurs mois que les événements en Irlande vont s'inclinant sans cesse et inévitablement vers un appel à la force. Aujourd'hui, le cri de guerre civile est sur toutes les lèvres. Il est inconcevable que nous puissions arriver à l'imminence d'une lutte fratricide. Notre responsabilité est grande... Témoignez de votre patience et de votre esprit de conciliation, étant donné la haute importance des intérêts en jeu...

Malgré cet appel émouvant, la conférence, qui dure trois jours, n'aboutit pas.

M. Asquith annonce cet échec à la Chambre, le 24 juillet, et il fait connaître l'intention du gouvernement de reprendre l'amendement du bill en seconde lecture, le mardi 27 juillet. La crise paraît sans issue : l'unité britannique est-elle en péril ?

Cependant, tout est calme en Allemagne et en Autriche[7]. Le 6 juillet, l'empereur Guillaume est parti pour Kiel ; il s'est embarqué, le 7, à bord du Hohenzollern pour sa croisière habituelle dans les mers du Nord. Le même jour, l'empereur François-Joseph a repris, à Ischl, sa cure interrompue par l'attentat contre le prince Ferdinand.

Quel travail sourd se cache sous ces apparences placides ? Le parti militaire s'agite, un parti plus pacifique résiste mollement. L'Allemagne mène le jeu. A Vienne, on déclare encore que les choses s'arrangeront, que les conditions faites à la Serbie seront acceptables.

Quinze jours s'écoulent dans le silence.

 

 

 



[1] Il n'y avait en Serbie aucun parti pris contre l'influence allemande. M. Jovan Cvijic écrivait encore, en 1909, après l'annexion de la Bosnie et de l'Herzégovine : Il est à peine besoin de dire que l'auteur n'est pas un adversaire de la haute culture allemande. Il croit, au contraire, que les jeunes peuples balkaniques, tout en gardant leurs caractères nationaux, doivent l'étudier et l'adopter en ce qu'elle a de profond. (Bosnie et Question serbe, p. 68.)

[2] L'archiduc François-Ferdinand était fils de l'archiduc Charles-Louis, frère cadet de François-Joseph, et de l'archiduchesse Annonciade, princesse de Bourbon-Siciles. Il avait connu la comtesse Chotek dans l'entourage de l'archiduchesse Frédéric, dont elle était demoiselle d'honneur. L'empereur François-Joseph n'avait consenti au mariage, après une longue résistance, que sous la condition qu'il y aurait renonciation aux droits de la descendance dynastique de la part des enfants à naître du mariage. Le 28 juin 1900, l'archiduc déclara donc renoncer, au nom de ses enfants et de leur descendance, à tous droits, honneurs quelconques, titres, blasons et privilèges pouvant résulter du mariage et du fait de la descendance du sang de l'archiduc.

[3] Ces indications sont données par M. René Bazin qui affirme les tenir d'un des hommes qui connaît le mieux le dessous des cartes. On a fait allusion à des communications venant des entourages du Vatican. Le nonce du pape s'en est entretenu avec le prince Léopold de Bavière. On eut vent de ces révélations à Petrograd et au Quai d'Orsay. Revue d'Italie, 1er janvier 1905, p. 91.

[4] Le procès fut jugé à Sarajevo à partir du 12 et le verdict rendu le 27 octobre 1914. L'analyse ci-dessous, extraite des comptes rendus austro-hongrois, prouve la volonté arrêtée du gouvernement impérial d'incriminer les autorités serbes d'après les plus vagues indices. En raison de l'importance historique de l'événement, nous croyons devoir donner une analyse complète du document :

Sarajevo, 12 octobre.

Vingt-deux personnes sont accusées de haute trahison et trois autres personnes sont accusées d'avoir connu la préparation du crime et d'avoir recélé les armes destinées à l'attentat. La plainte traite en détail des origines de l'affaire qui, à Belgrade, commença par une conjuration placardée par les organes de Narodna Ororma, l'exposé du voyage des conjurés, la contrebande d'armes et de bombes en Bosnie et ensuite, comment les conjurés enrôlèrent des aides à Sarajevo, comment ils se répartirent les armes et se placèrent dans les rues pour l'accomplissement de l'attentat. Princip avoue dans l'interrogatoire qu'avec le second coup, il voulait tuer Potiorek mais qu'il atteignit l'épouse de l'archiduc.

La fin du réquisitoire traite des motifs de l'attentat. Elle expose le mouvement irrédentiste de la faction Grande Serbie de Belgrade qui pénétrait jusqu'à la cour..., le travail souterrain contre l'Autriche-Hongrie et la dynastie des Habsbourg en Serbie, Croatie et Bosnie et dont le but unique était d'arracher la Croatie, la Dalmatie, l'Istrie, la Bosnie, l'Herzégovine, ainsi que les provinces du sud de la Hongrie habitées par des Serbes, à la monarchie austro-hongroise pour réunir ces pays à la Serbie.

Les accusés Princip, Grahez et Cabrinoviz avouent qu'ils ont suce à Belgrade la haine de la monarchie austro-hongroise, et l'idée d'une Grande Serbie, qu'ils s'efforçaient d'arriver à la réunion politique des peuples serbes du sud et à la ruine de l'Autriche-Hongrie leur idéal étant la fondation d'un grand empire serbe. C'est pour atteindre cet idéal qu'ils avaient conçu et accompli le plan de l'assassinat de l'archiduc.

Cabrinovic a avoué être devenu à Belgrade un Serbe nationaliste convaincu. Il se proposait d'arriver par la force des choses à la séparation des provinces sud-slaves pour les réunir à la Serbie. La pensée d'assassiner l'archiduc Ferdinand lui vint pour la première fois quand il apprit, par une découpure de journal qu'on lui avait adressée, que l'héritier du trime viendrait à Sarajevo. Il communiqua la nouvelle à Princip. Celui-ci lui fit faire la connaissance de l'employé des chemins de fer serbes, Ciganovic, pour recevoir par lui les armes et les bombes. Ciganovic lui déclara n'avoir pas de moyen pour se procurer les browning et qu'il les adresserait pour cela au commandant (major) Tankosic. Dans l'intervalle, Princip et Cahrinovic avaient gagné Grabez à leur projet. Ciganovic donna des leçons de tir à Grabez et à Princip. Avant le départ pour la Bosnie, Ciganovic leur remit six bombes et du cyankali (?). En se séparant, il remit à Princip une lettre pour le major serbe Popovic à Schabatz. Celui-ci les reçut et leur remit de faux papiers pour les envoyer par le train à Loznitza, où ils furent reçus par le capitaine garde-frontière Pravanovic qui les confia à l'inspecteur serbe des finances Grbic pour leur faire passer la frontière.

Cabrinovic se joignit à Princip et à Grabez à Tuzla et fit le voyage avec eux jusqu'à Sarajevo. Là, il réunit Danilo, Illic et tous les auteurs de l'attentat et leur distribua les armes et le cyankali. L'accusé Cabrinovic avoue avoir lancé une bombe contre l'automobile de l'archiduc dans l'intention de le tuer. Il reconnaît avoir été présenté en avril au prince héritier Alexandre de Serbie et lui avoir parlé. Cette présentation a été faite par le directeur d'imprimerie Civojin Dacio. L'accusé se refuse à révéler cet entretien.

Dans le procès qui continue plusieurs jours, l'accusé Vaso Cubrilovic dit avoir refusé de participer personnellement à l'attentat et d'y jouer le rôle à lui assigné, à cause de la présence de la duchesse de Hohenberg qu'il ne voulait pas tuer. L'accusé Cojekto avoue avoir été prié par Cubrilovic de prendre part au crime et avoir reçu un revolver d'Illic. Au moment décisif, le courage lui a manqué. D'après les précisions exactes des accusés, la participation de la municipalité de Belgrade à la propagande révolutionnaire en Bosnie est irréfutablement prouvée ainsi que l'origine serbe des bombes et des armes.

Le 16 octobre, on entend les accusés Jowanovic, Cabrinovic, Gjukic, le lycéen (Obergymnasiast) Perin, l'étudiant Porkapic, Kalember.

Le 27 octobre, le jugement est rendu.

Les accusés : Ilic Valjko, Cubrilovic, Niedo Kerovic, Jowanovic et Milovic sont condamnés à être pendus ; Mitar Kerovic à la réclusion perpétuelle ; Princip, Cabrinovic et Grabez à vingt ans, Vaso Cubrilovic à seize ans, Popovic à treize ans, Kranjcevic et Gjukic à dix ans, Stjepanovic à sept ans, Zagorac et Perin à trois ans de réclusion. Les autres accusés sont acquittés.

[5] L'intrigue autrichienne en Bulgarie est prouvée par la publication dans le Mir, organe de M. Guéchoff (début de mai 1915), du rapport adressé au gouvernement bulgare par M. Salabachoff, ministre de Bulgarie à Vienne, rapport daté du 29 mat 1913, un mois avant l'attaque brusquée des Bulgares contre leurs alliés :

— Aujourd'hui, je me suis entretenu pendant une heure avec le comte Berchtold ; il m'a dit que les négociations entre la Roumanie et la Bulgarie ne se poursuivent pas d'une façon satisfaisante, malgré les efforts du ministre d'Autriche à Bucarest ; la question n'avance pas.

Le comte Berchtold est d'avis que l'entente avec la Roumanie doit être activée afin de nous assurer de sa coopération contre la Serbie en cas de guerre, ou tout au moins, de sa neutralité.

Le comte Berchtold dit que l'Autriche et l'Italie soutiendront activement la-Bulgarie, non seulement pour lui assurer Serrès et Cavalla, mais aussi pour lui faire obtenir Salonique. L'empereur d'Allemagne personnellement, et pour des raisons dynastiques, favorise les prétentions de la Grèce sur Salonique, mais le comte Berchtold espère que l'Allemagne, à la fin, appuiera la Bulgarie pour lui faire obtenir cette ville. L'Angleterre, jusqu'à ce jour, ne s'es t pas encore prononcée sur cette question, mais il est à craindre que la France et la Russie n'exercent une pression sur elle en faveur de la Grèce.

J'ai demandé ensuite au comte Berchtold quelle serait l'attitude que garderait l'Autriche-Hongrie, dans le cas d'une guerre contre la Serbie et la Grèce. Il m'a répondu que l'Autriche userait de toute son influence morale en faveur de la victoire des Bulgares en Macédoine et assisterait la Bulgarie contre la Serbie.

J'ai demandé, enfin, si l'Autriche serait disposée à fa ire une démonstration contre la Serbie, en concentrant des troupes sur ses frontières et si, en cas de besoin, elle serait disposée à nous soutenir d'une façon ou de l'autre. Le comte Berchtold a répondu : L'Autriche, même actuellement, a suffisamment de troupes en Bosnie et en Herzégovine et sur les frontières hongroises pour exercer une assez forte influence sur la Serbie. La nécessité d'autres moyens à prendre dépendra de la décision du gouvernement bulgare et de la marche des événements.

[6] Le même diplomate a reconnu, d'ailleurs, que tout le mal vient de l'annexion de la Bosnie et Herzégovine : Depuis la crise provoquée par l'annexion, écrit-il, les relations entre la Monarchie et la Serbie ont été empoisonnées, etc.

[7] L'agitation des premiers jours s'était peu à peu calmée. Il semble bien qu'il y eut un mot d'ordre. M. Jovanovich, ministre de Serbie à Vienne, dit que les principaux instigateurs des violences populaires étaient le docteur Funder, le directeur principal du journal catholique Reichspost, Hermengild Wagner et Léopold Mandl. (Livre bleu serbe, n° 11).