HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

IV. — LA RÉPUBLIQUE PARLEMENTAIRE

CHAPITRE VII. — LE CABINET WADDINGTON-FERRY. - L'ARTICLE 7. - LA TRIPLE ALLIANCE.

 

 

M. Jules Grévy à l'Élysée. — Formation du cabinet Waddington. — M. Gambetta, président de la Chambre. — Vote de l'amnistie. — Débuts de la réforme scolaire. — M. Lepère, ministre de l'intérieur. — Vote de flétrissure contre le Seize Mai. — L'épuration du personnel administratif. — Reprise de la session. — Le Sénat vote le retour des Chambres à Paris. — Mort du prince impérial. — La loi sur l'enseignement supérieur. — Vote de la loi sur les écoles normales. — Première fête du 14 juillet. — Le budget de 1880. — Exécution du plan Freycinet. — Les suites du congrès de Berlin. — La Bulgarie. — La Grèce. — L'Égypte. — La genèse de la triple alliance. — L'entrevue d'Alexandrowo et la rencontre de Gastein. — Le traité d'alliance austro-allemande. — Léon XIII et le prince de Bismarck. — Léon XIII et les évêques de France. — Mgr Czacki, nonce à Paris. — Le parti républicain et la politique religieuse. — M. Jules Simon et l'article 7. — La situation politique générale. — Chute du cabinet Waddington.

 

I

Le lundi 3 février, M. Jules Grévy s'installa au palais de l'Élysée. Le 6 février, il adressa au parlement un message qui, lu au Sénat par M. Waddington, à la Chambre par M. de Marcère, fut accueilli par les applaudissements chaleureux de la gauche : Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels... Il préconisait une politique libérale et vraiment conservatrice.

Le samedi 8 février, le président donna audience solennelle au corps diplomatique. Toutes les formalités étaient accomplies. La République parlementaire était fondée.

M. Dufaure avait déclaré, dès le 30 janvier, à M. Jules Grévy son intention de quitter le pouvoir. Il était las et un peu surpris de la façon dont les choses s'étaient passées : A une situation nouvelle, dit-il, il faut des hommes nouveaux[1] ; il indiqua M. Gambetta qui, assure-t-on, s'était, le jour de l'élection, mis à la disposition de M. Jules Grévy. Mais le nouveau président déclara que l'heure n'était pas venue ; il donna à M. Gambetta le conseil d'être candidat à la présidence de la Chambre[2].

Il fut donc décidé qu'on laisserait le cabinet aux affaires en le modifiant le moins possible (4 février). M. Waddington devint président du conseil et garda le ministère des affaires étrangères. MM. de Marcère (intérieur), Léon Say (finances), de Freycinet (travaux publics), le général Gresley (guerre), conservaient leur portefeuille. On confia les sceaux à M. Le Royer, sénateur ; le vice-amiral Jauréguiberry remplaça l'amiral Pothuau à la marine ; M. Jules Ferry fut nommé au ministère de l'instruction publique ; M. Lepère, au ministère de l'agriculture et du commerce. L'administration des cultes était détachée du ministère de l'instruction publique, et M. de Marcère était nommé, par intérim, ministre des cultes. On offrit à M. Bardoux de créer, pour lui, un ministère des cultes : il refusa. Un ministère des postes et télégraphes fut institué en faveur de M. Cochery, dont les relations avec la présidence étaient intimes. M. Sadi Carnot fut maintenu au sous-secrétariat du ministère des travaux publics, M. Goblet à la justice, M. Edmond Turquet aux beaux-arts, la démission de M. Guillaume laissant la direction vacante. M. Cyprien Girerd fut nommé à l'agriculture et M. Jules Develle à l'intérieur.

Si le ministère était terne par le nom et la valeur de son chef, il était remarquable par le mérite de plusieurs de ses membres. On y voyait, au premier plan, des républicains énergiques, anticléricaux déclarés ; c'étaient, en somme, les chefs de cette gauche républicaine qui avait conduit si persévéramment sa tactique entre M. Jules Simon et M. Gambetta. Parmi ces hommes, plusieurs étaient, pour celui-ci, des rivaux, sinon des égaux. M. de Freycinet n'était déjà plus un lieutenant ; M. Jules Ferry n'avait pas une nature de subordonné. Il était le ministre éminent de la combinaison. Parmi ces protestants : M. Waddington, M. de Freycinet, M. Le Royer, il se sentait à l'aise, lui, le libre penseur, résolu à faire sentir au troupeau clérical la dent du légiste et du positiviste. A l'instruction publique, on lui confiait le département des runes. Et, si on lui enlevait les cultes, son bras était assez long et sa poigne assez forte pour qu'ils n'échappassent pas à son influence.

M. Waddington, chef du cabinet, était honorablement connu en Europe, depuis le congrès de Berlin. C'était un excellent homme, figure large, favoris blonds avec des fils d'argent, joues molles, yeux bleus et doux ; du bon sens, du sang-froid, du caractère même. A l'ordinaire, l'être le plus accommodant, le plus tranquille, le plus humain. Sa science archéologique, ses beaux travaux sur l'ancienne Asie Mineure et sur les monnaies grecques, lui assuraient une certaine faveur dans les milieux universitaires. Ce n'était ni un initiateur ni un novateur, certes, — encore moins un rétrograde : armé du flegme britannique, vraiment libéral, il était la respectabilité en personne. Sans éclat, mais sans ombre ; tranquille au milieu des passions et chi bruit... Un président de tout repos, tel que pouvait le rêver le président Grévy.

M. Gambetta avait été élevé et un peu relégué au fauteuil de la présidence, dès le 3r janvier, par 338 voix sur io7 votants. Il prononça une courte harangue qui détonait avec tout ce qui s'était dit et fait depuis quelque temps, parce qu'elle était chaleureuse et qu'elle respirait l'action.

Avant de se mettre au travail, on bouscule des fonctionnaires. Une trentaine de préfets et de sous-préfets déménagent. M. Bertauld, sénateur, est nommé procureur général à la cour de cassation. Les parquets sont mis en d'autres mains. Les justices de paix sont l'objet d'un long travail d'adaptation au nouveau régime. Quatre trésoreries et un grand nombre de recettes des finances sont offertes en holocauste. M. Albert Grévy, député, est appelé au gouvernement général de l'Algérie ; c'est l'inauguration du régime civil.

Le marquis de \rogné à Vienne, le général Le Flô à Saint-Pétersbourg, le marquis d'Harcourt à Londres furent remplacés par M. Teisserenc de Bort, le général Chanzy et l'amiral Pothuau. Quatre commandants de corps d'armée : les généraux Montaudon, Bataille, du Barail, Bourbaki, furent mis en disponibilité : le général de Lartigue, attaché à la deuxième section de l'état-major. Trois commandants de corps d'armée : MM. le duc d'Aumale, Deligny et Douai furent nommés inspecteurs d'armée. Les huit corps d'armée vacants sont confiés aux généraux Cornat, Clinchant, de Galliffet, Schmitz, Farre, etc. Le major Labordère est réintégré.

 

Mais, comme le dira bientôt M. Ch. Floquet dans un discours qui sert de plate-forme au parti radical, il ne suffit pas que les républicains entrent dans les places, il faut surtout que les grands principes entrent dans les lois.

Ces grands principes, quels sont-ils ? Voilà le point exact où une nouvelle classification des partis se produit. La République cherche, dès sa fondation, ses deux partis de gouvernement. Mais ce ne sont encore que des essais. La nécessité de défendre les institutions et l'esprit de discipline, survivant au Seize Mai, effaceront souvent ces distinctions encore confuses et, plus d'une lois, ramèneront l'union.

Deux tendances se dessinent cependant. Les uns se reportaient au mot de M. Thiers : La République sera conservatrice ou ne sera pas ; d'autres réclamaient, dans une République de suffrage universel, des institutions démocratiques et, par conséquent, de profonds changements. Entre les deux systèmes, une politique de prudence et de ménagement entendait procéder par étapes : c'était la méthode opportuniste, celle de M. Gambetta. Il la définissait, une fois de plus, quelques jours après avoir pris possession du fauteuil, dans ces paroles adressées à une députation des électeurs du XXe arrondissement venus pour le féliciter au palais Bourbon :

Nous saurons résister à tout esprit de réaction, mais nous ne nous laisserons pas emporter davantage par l'esprit d'impatience et de témérité... Nous continuerons à être des hommes sages, des hommes de bon sens et d'opportunité ; rien ne peut remplacer cette méthode politique.

Des républicains plus avancés, soit par leur nature d'esprit, soit en raison de la pression exercée sur eux par les comités et les circonscriptions électorales, reprochaient à M. Gambetta ces atermoiements. On accusait les prudents de modérantisme. Le reproche est formulé dans le discours de M. Floquet :

Jusqu'à ce jour, presque tous les gouvernements républicains, au lendemain de leur installation, ont été comme pris de peur et se sont montrés, devant leurs adversaires, hésitants et sans confiance en eux-mêmes. Ils ont immédiatement cherché à se concilier les adhésions de ceux qu'ils combattaient la veille.

Le parti avancé ou radical était représenté, dans l'Assemblée, par un groupe ayant à sa tête des républicains éminents : MM. H. Brisson, Ch. Floquet, Madier de Montjau, Clémenceau ; à Paris, par le conseil municipal, par les nombreuses organisations politiques qui existaient alors, par certains journaux : le Rappel, la Lanterne, etc. Son programme inscrivait, comme urgentes, les réformes suivantes : l'amnistie, le retour des Chambres à Paris ; ce qu'on appelait, d'après M. Thiers, les libertés nécessaires : liberté de la presse, liberté de réunion, liberté d'association — c'était ici le premier et le seul indice, dans les programmes politiques, des préoccupations sociales. Donnez-nous le droit d'association, complet, libre, puissant, et nous résoudrons nous-mêmes les questions sociales, disaient les ouvriers à M. Floquet.

On réclamait, en outre, les destructions nécessaires. Cela voulait dire : arracher l'enseignement à l'autorité cléricale ; abolir dans l'armée les derniers privilèges, le volontariat d'un an, etc. ; purger la magistrature des influences hostiles ; dans l'ensemble, enlever les bénéfices du pouvoir à cette race privilégiée qui profite seule de tous les avantages du gouvernement : c'est cette race qu'il s'agit enfin de déposséder[3].

Pour le moment, la revendication n'allait pas au delà. On ne parlait ni de la séparation des Églises et de l'État ni des autres thèses qui étaient, au fond, inhérentes au système. Malgré tout, on était amené, par la nécessité des choses, à sérier les questions.

Le temps lui-même se chargerait de prouver qu'il a toujours le dernier mot ; il efface et use lentement la première lettre du mot révolution en accomplissant l'évolution.

 

C'est par l'amnistie que l'on commence. On discute le 20 février. M. Louis Blanc a posé la question. Il prononce un discours éloquent et chaleureux qui touche l'Assemblée. M. Andrieux, ancien procureur à Lyon, rapporteur de la commission, homme d'esprit, ingénieux pionnier d'une carrière qui se cherche encore, défend le texte de la commission, c'est-à-dire l'amnistie limitée. Le garde des sceaux, M. Le Royer, lyonnais lui aussi, vieillard gris, un peu effacé d'aspect, franc-maçon militant, esprit aigu et fin, personnalité tenace sons sou aspect paterne, répond avec beaucoup de bonheur à MM. Naquet et Lockroy, qui défendent l'amnistie pleine et entière.

Pour la première fois, deux hommes, qui sont appelés à se rencontrer bien souvent, sont face à face : M. Clemenceau et M. Ribot. M. Clemenceau réclame, avec une verve extraordinaire, le plenum de l'amnistie. M. Ribot, ancien président de la commission des grâces, frais émoulu de son contact avec M. Dufaure, combat toute amnistie : La politique libérale, conservatrice, est aussi nécessaire pour gouverner la République, qu'elle a été nécessaire pour la défendre. Le contre-projet de M. Louis Blanc est repoussé par 363 voix contre 105. Le projet du gouvernement et de la commission est, voté par 315 voix contre 104. Il y a donc une majorité de gouvernement modérée.

Oui, mais énergiquement anticléricale. Ce qu'elle oublie le moins, c'est le seize Mai. Les assemblées sont rancunières : elles ressentent longtemps la blessure des luttes d'où elles sont sorties. Le passé les tient.

Ces dispositions soudainement, affichées au pouvoir étonnaient les évêques et les irritaient. Fils des séminaires de la Restauration, ils ne voulaient pas, ils ne pouvaient pas admettre une telle évolution du siècle.

Mgr Pie, dans une lettre pastorale du 18 février 1879, fonce sur l'ennemi. Il s'attaque au principe même de la thèse républicaine :

...Que dis-je, cet axiome de la tyrannie césarienne, devenu le dogme de nos démocraties, — à savoir que la loi humaine ne connaît rien au-dessus d'elle, —pas été posé, dans les plus hautes régions politiques, comme la condition sine qua non de la pacification religieuse ? Avec de telles doctrines, pas de transaction. La marche progressive des passions, d'accord avec les justes jugements de Dieu, pousse notre génération jusqu'au fond de l'abîme où nous allons finir.

Le cardinal Lavigerie, plus tragique encore, se prépare au martyre : le 6 février, il écrit à Mgr Bourret :

Cher Seigneur, je vous ai toujours trouvé ami excellent et homme de foi. Finissons dans ces sentiments si nous devons, comme tout l'annonce, bientôt finir. La dévotion du moment me semble être celle de la décollation de saint Jean-Baptiste. Il ne manque pas d'Hérodes pour nous mettre la tête sur le plat, et d'Hérodiades pour les demander... Avec un bon coup de sabre ou de fusil nous rendrons témoignage Notre Seigneur. Quelle belle occasion de réparer les misères de notre vie !...

Il exagère.

Cependant, il y a quelque chose de changé. Parmi les hommes qui sont aux affaires, il en est qui ne se laisseront ni séduire ni intimider.

Le samedi 15 mars, M. Jules Ferry dépose à la Chambre deux projets de loi, le premier relatif au conseil supérieur de l'instruction publique et aux conseils académiques : le second relatif à la liberté de l'enseignement supérieur. C'est le point de départ et l'annonce de la réforme scolaire.

Pour fonder un régime d'enseignement conforme aux idées traditionnelles du parti républicain, tout était à faire. Enseignement supérieur, enseignement secondaire, enseignement primaire, les trois ordres étaient restés marqués de l'empreinte confessionnelle c'est-à-dire, en France, catholique.

Le parti républicain pensait que, dans un régime de suffrage universel, l'enseignement était un devoir d'État, qu'il appartenait à l'État, et à lui seul, de sculpter l'âme de l'enfance. Revendication logique puisque, seul, le système démocratique reconnaît que le pouvoir appartient au corps social et émane de la collectivité des citoyens.

Deux institutions actives et puissantes, la franc-maçonnerie et la ligue de l'enseignement, avaient préparé les esprits aux solutions les plus énergiques et les plus fortes. M. Jules Ferry était, au pouvoir, le représentant de ces doctrines. Il apportait, à les réaliser, sa vigueur, sa rudesse, sa logique réaliste : d'où sa force et les haines qu'il soulève.

Il aborde la matière selon un plan préconçu et il dépose, en moins de trois mois, la série des projets, qui portent la hache, à la fois, clans les trois enseignements. Ce sont les fameuses lois scolaires, les lois scélérates[4].

Le parlement était saisi, depuis le temps de l'Assemblée nationale, d'une proposition relative à l'enseignement primaire, et introduisant la gratuité, l'obligation et la laïcité. Elle émanait de M. Barodet et d'un grand nombre de ses collègues. C'était un véritable code de l'instruction publique en 109 articles. Attendre la fin des débats qu'un tel projet eût provoqués, autant remettre la réforme aux calendes grecques. M. Jules Ferry entendait employer des remèdes plus héroïques et plus expéditifs.

Le premier des projets déposés le 15 mars était relatif au conseil supérieur de l'instruction publique et aux conseils académiques : il éliminait du conseil supérieur les ecclésiastiques et les représentants de certains intérêts sociaux ; il les remplaçait par des techniciens, des professeurs. Il introduisait au conseil des délégués élus par leurs pairs, à côté des membres désignés par décret.

Le second projet s'appliquait, dans son ensemble, à l'enseignement supérieur. Il rendait à l'État la collation des grades universitaires, supprimait les jurys mixtes, forçait les élèves des établissements libres d'enseignement supérieur à s'inscrire dans les facultés de l'État, enlevait aux établissements fondés par des particuliers le droit de prendre la qualification de faculté ou université, en leur attribuant celle d'écoles libres. C'était une correction à la loi votée par l'Assemblée nationale. Niais voici qu'un article assez inattendu, l'article 7, s'applique non plus seulement à l'enseignement supérieur. Il interdit aux membres des congrégations non autorisées de participer à l'enseignement public ou de diriger un établissement de quelque ordre que ce soit.

On a fait observer que cet article n'était pas à sa place dans le projet relatif à l'organisation de l'enseignement supérieur : qu'il avait un caractère vexatoire et spécialement anticatholique, frappant, sans avertissement préalable, une catégorie considérable d'établissements qui s'étaient développés à l'abri d'une tolérance ancienne et par les services rendus aux familles. On se plaignait qu'il visait particulièrement une puissante organisation d'enseignement, la compagnie de Jésus, dont les collèges, nombreux et remarquablement administrés, faisaient, une concurrence redoutable... Jalousie de professeurs, disait-on.

Oui, les jésuites étaient visés : personne ne le niait. C'était eux que l'on voulait atteindre.

L'article 7, dit l'exposé des motifs, est un des plus importants de la loi nouvelle. C'est de propos délibéré et après mûre réflexion que le gouvernement, au moquent où il cherche : reconstituer le domaine de l'État dans les choses de l'enseignement, vous le propose... Il ne pouvait s'élever de doute sur la situation légale des congrégations religieuses non autorisées dans le pays : elles sont dans un état de perpétuelle et imprescriptible contravention... La liberté d'enseigner n'existe pas pour les étrangers : pourquoi serait-elle reconnue aux affiliés d'un ordre essentiellement étranger par le caractère de ses doctrines, la nature et le but de ses statuts et l'autorité de ses chefs ? Ce qui était vrai il y a cinquante ans, n'a pas cessé de l'être, car c'est le droit.

L'Église entière, la catholicité s'émeut à ce coup. Le corps des évêques organise une campagne de pétitionnement contre l'article 7. Certains lèvent la crosse. L'archevêque d'Aix est poursuivi selon la procédure un peu surannée de l'appel comme d'abus.

Et pourtant, M. J. Ferry n'a pas encore dit son dernier mot. Il n'a pas perdu de vue l'enseignement primaire.

Un projet de loi, déposé le 19 mai 1879, établit les titres nécessaires pour être reconnu apte à enseigner. Certificat de capacité simple ou supérieur, certificat d'aptitude pour les femmes. C'était la suppression, par prétérition de la lettre d'obédience.

Ce projet de loi, s'appuyant sur la proposition émanée de M. Paul lied et tendant à créer une école normale d'instituteurs et d'institutrices dans chacun des départements qui n'en avaient pas (sur 37.000 institutrices, 5.700 seulement possédaient des brevets), les mesures de laïcisation prises, notamment à Paris —qui motivèrent une interpellation de M. Chesnelong, — l'ensemble des discussions parlementaires soulevées par ces mesures, le mouvement provoqué dans le pays par de telles initiatives, ne pouvaient, plus laisser de doute : la campagne était engagée à fond. L'aventure du Seize Mai, où le clergé s'était jeté avec tant d'ardeur, avait ce retour immédiat et brutal.

Le comte de Mun, qui n'avait pas été validé par la Chambre, commence immédiatement la contre-campagne par un discours prononcé le 3 mai, à la clôture de la septième assemblée générale des cercles catholiques. Bientôt après, le 10 juillet, dans une conférence faite au cirque d'hiver sous la présidence du duc de La Rochefoucauld-Bisaccia, il développe les grandes lignes de la thèse que l'action catholique allait opposer a la thèse républicaine : Abus de l'autorité gouvernementale, réclamation de la liberté du père de famille, esprit satanique des groupements qui ont donné le branle, la ligue de l'enseignement et la franc-maçonnerie ; l'école sans le prêtre, c'est l'école sans Dieu, c'est l'école sans morale, sans idéal et sans patrie.

M. Lamy, qui rompait, dès ce moment, avec le parti républicain, ne pouvant pas lui faire le sacrifice de ses croyances, disait : Ils soulèveront contre eux la coalition de la pitié et de la générosité françaises. L'Église ne se rendait pas compte de la niasse d'hostilités et de méfiances que la vainc ingérence de ses chefs avait accumulées.

Au parlement, la session du printemps se poursuivit dans le train-train ordinaire du travail, des intrigues, des potins et des affaires. On mena quelque bruit autour d'une indiscrétion de M. Léon Say qui, le 27 février, aurait fait connaitre une puissante maison de banque une résolution du conseil des ministres contraire l'urgence d'une conversion de la rente 5 %[5].

La campagne de la Lanterne contre la préfecture de police amusait l'opinion. Le cabinet était si faible qu'un souffle l'ébranlait. M. Gigot, préfet de police, ayant donné sa démission, M. Clémenceau interpelle. Il reproche à M. de Marcère son impuissance et son imprévoyance. Celui-ci ne se défend même pas. Le lendemain, il quitte le ministère. Il avait survécu bien inutilement au cabinet Dufaure.

On replâtre. M. Lepère remplace M. de Marcère à l'intérieur, et M. Tirard remplace M. Lepère au ministère du commerce. L'entrée de M. Tirard aux affaires est un avènement : il devait être, dans l'avenir, une ressource précieuse pour les présidents de la République en mal de cabinet. M. Andrieux, le rapporteur de la loi d'amnistie, est nommé préfet de police.

An début de mars, le Sénat entame la discussion de la loi d'amnistie, proposée par le gouvernement et acceptée par la Chambre. Elle est votée telle quelle, malgré l'intervention de Victor Hugo, qui insiste pour l'amnistie plénière.

Le 8 mars, M. Henri Brisson dépose à la Chambre le rapport de la commission d'enquête sur les élections des 14 et 28 octobre 1877, c'est-à-dire sur le Seize Mai. Le rapport conclut à la mise en accusation des membres des cabinets de Broglie et Rochebouët.

Voilà encore de quoi faire flamber les polémiques et fumer les cervelles ! La Chambre discute le 13 mars. M. Léon Renault combat le projet. M. Henri Brisson réclame des mesures énergiques. Les détails qu'il fournit sur les dessous de l'aventure politique et militaire, passionnent la Chambre.

M. Waddington répond avec bonhomie et dit que la condamnation des ministres du Seize Mai résulte du verdict du suffrage et de la publicité donnée à ces faits, qui n'ont été, tout au plus, qu'une velléité de conjuration. L'opinion jugera ou plutôt elle a jugé. Le président du conseil oppose à la politique du conflit permanent la politique de l'apaisement et du travail. Il se prononce contre les poursuites et pose la question de confiance.

L'extrême gauche s'irrite : M. Floquet, M. Madier de Montjau, somment le ministère : Prenez garde, s'écrie M. Madier de Montjau ; c'est la division du parti républicain ! Et, en effet, la coupure décisive, celle qui va déterminer le caractère des luttes politiques sous la République parlementaire pendant de longues années, se fait à cette heure.

Les conclusions du rapport de M. Henri Brisson et de la commission d'enquête, mises aux voix, sont rejetées par 317 voix contre 159. Un ordre du jour, déposé par M. Rameau, ancêtre vénéré de tous, livre au jugement de la conscience nationale les fauteurs du Seize Mai ; il est voté par 217 voix contre 135. La Chambre ordonne que cette résolution sera affichée dans toutes les communes de France. Les anciens ministres des cabinets Broglie et Rochebouët publièrent une contre-protestation. Le Seize Mai était entré dans l'histoire.

Le 22 mars, s'ouvre, à la Chambre, un débat qui soulevait de non moins vives polémiques : le retour du parlement à Paris. La peur de Paris était restée au cœur de ces gens timorés qui ne voient, dans les événements, que les causes secondes et croient qu'on arrête les marées montantes avec des l'élus de paille : sans Paris, disait-on, la France serait guérie des révolutions. Ces gens ne s'apercevaient pas que Paris, malgré l'audace provocante ou piquante de ses polémiques, est relativement conservateur, parce qu'il a fait, en somme, ses révolutions : tandis que la province, en ces temps surtout où elle porte le poids encore si proche du passé féodal, aspire au changement. La province a l'épiderme irrité et les nerfs douloureux des contacts pénibles. Ce n'est pas la province qui apaisera la République. On comptait sur elle ; suprême illusion !

M. Méline était rapporteur de la commission chargée d'examiner le projet de résolution déposé par M. Spuller le 29 mars 1878 et celui déposé par M. Laroche-Joubert le 27 février 1879. Le rapport estime qu'il y a lieu de réunir le congrès pour lui proposer la suppression de l'article 9 de la loi organique du 25 février 1875, désignant Versailles comme siège du parlement. La Chambre, sur l'avis conforme du gouvernement, vote le projet de résolution de la commission par 315 voix contre 128.

Reste le Sénat. Le Sénat n'est pas parisien. Le projet est communiqué à la haute Assemblée le 24 mars. Elle est saisie aussitôt d'une proposition identique par M. Peyrat. Renvoi à la commission. Rapport de M. Laboulaye. La commission et son rapporteur sont hostiles au projet. M. Laboulaye tremble pour son œuvre fragile. Il est de ceux qui trouvent que l'on va trop vite. Le projet est en péril. M. Léon Say, au nom du gouvernement, demande l'ajournement.

Le samedi 5 avril, les Chambres s'ajournent au 5 mai.

 

Pendant ces courtes vacances, des élections ont lieu dans une vingtaine de circonscriptions ; il s'agit de remplacer les députés élus sénateurs : elles sont, en général, favorables aux républicains : elles amènent au parlement des hommes distingués qui forment l'avant-garde d'une nouvelle génération : c'est M. Raynal, élu à Bordeaux par 12.893 voix, sans concurrent ; c'est M. Audiffret, élu à Roanne par 8.465 voix ; c'est M. Deluns-Montaud, élu à Marmande par 14.576 voix ; c'est M. Waldeck-Rousseau, élu à Rennes, en remplacement de M. Roger-Marvaise, par 8.703 voix, sans concurrent. Ces hommes, jeunes pour la plupart, sont les disciples et les élèves de M. Gambetta : ils appartiennent à la bourgeoisie et à la robe. Ils sont ardents, cultivés, ambitieux. Ce ne sont pas encore les nouvelles couches : ce sont, tout au moins, les premières fleurs.

L'extrême gauche, les avancés, les vieux républicains, les vieilles barbes, sont surpris par l'entrée en ligne de ces conscrits qu'enrôle l'opportunisme. Entre le centre, qui ne lâche pas la proie, et ces recrues déjà ambitieuses, ils ne trouvent plus leur place. Ils rompent avec les compagnons des luttes récentes. La polémique de l'amnistie restaure leurs liens originaires avec les hommes de la Commune : ils ménagent le socialisme naissant.

Ces sentiments confus se traduisent par la candidature, à Bordeaux, du vieux conspirateur Blanqui, condamné à la suite de l'insurrection du 31 octobre 1870, et détenu, depuis lors, à Clairvaux ; candidature déjà mise en avant à diverses reprises, et opposée, cette fois, à celle de M. André Lavertujon. M. A. Lavertujon est un ami personnel de M. Gambetta, le fidèle compagnon de la jeunesse et des premiers combats[6] : esprit ingénieux et fécond, écrivain remarquable, rédacteur en chef du journal la Gironde, qui avait été, dans le Sud-Ouest, la citadelle de la résistance au Seize Mai.

Lavertujon, Blanqui : aucune opposition n'est plus significative que ces deux noms. La République du 4 septembre s'est encore faite au profit de la bourgeoisie, disait un des défenseurs de la candidature Blanqui ; il est temps que le peuple arrive sur la scène. Et un autre : Vous êtes des Versaillais et nous sommes la Commune. Les conservateurs, fidèles à leur tactique du pire, donnèrent des voix à Blanqui. Le prisonnier, l'Enfermé, fut élu au scrutin de ballottage, le 21 avril[7].

A bas l'opportunisme ! tel fut le cri de triomphe des oppositions enivrées. Les journaux comme la Révolution française, le Prolétaire, écrivaient, s'adressant aux électeurs de Bordeaux : Vous avez eu le courage de soutenir la cause que les nôtres ont défendue en 1871. L'élection de Blanqui en est la revendication. Ces paroles et ces actes n'étaient pas de nature à rassurer M. Laboulaye.

A Paris, le conseil municipal laïcisait les écoles congréganistes. Dans les provinces, on commençait à interdire les processions de la Fête-Dieu. M. Jules Grévy sortait, pour la première fois, de son mutisme présidentiel pour rassurer les représentants du clergé. En remettant les insignes du cardinalat à deux évêques français nouvellement promus, Mgr Pie et Mgr Desprez, il dit que les droits de l'Église ne couraient aucun péril, étant sous la sauvegarde des lois (26 mai).

M. Gambetta s'installe, en sa qualité de président de la Chambre, au palais Bourbon, à Paris. Ce déménagement prit les allures d'un événement. Il ne fut question que des goths luxueux du nouveau président, de son mobilier, de ses déjeuners, du cuisinier Trompette et de la fameuse baignoire d'argent. M. Gambetta, avec son optimisme ordinaire, écrit, le 31 janvier 1879, au lendemain de l'élection, i l'amie clairvoyante et peu satisfaite :

Il me semble qu'il distance, tu juges amèrement, sévèrement, les faits accomplis ; ta tendresse te trouble la vue ; je voudrais t'expliquer les raisons supérieures de se réjouir et la preuve que j'ai choisi la bonne part, la part supérieure...Tout ceci saute au yeux : je suis désormais sorti de la campagne terrible des huit ans : la position est à nous ; je vais pouvoir passer au deuxième programme, l'action extérieure et, me tenant au-dessus et en dehors des partis, choisir mon heure, ma voie, mes moyens. J'écris tout ceci que j'abrège à dessein dans la sincérité de mon cœur et de mon jugement.

Aucune parole ne dévoile mieux la pensée profonde du patriote. Se tenir au-dessus et en dehors des partis, passer à l'action extérieure, c'est le rêve de tout homme d'État digne de ce nom. Rêve trop rarement réalisable, même avec le passé et l'autorité de M. Gambetta, il n'est pas permis de tenter à ce point la fortune : c'est l'escalade du ciel. Combien de fois renouvellera-t-il en vain cet appel l'union de tous les Français dans un commun amour de la patrie ! La méfiance sectaire le surveillait et l'attendait à la première démarche de l'impartialité.

Dans cette demi-retraite élevée, d'où sa voix miaule ne se fait plus entendre que rarement, M. Gambetta avait entrepris la campagne de conquête et de séduction personnelle qu'il entendait poursuivre sur les partis et sur les individus pour le plus gram ! bien de la République. Ce fut la première sonnerie au ralliement. Quelles que fussent leurs origines, les hommes utiles, les hommes distingués, les hommes ambitieux commencèrent à prendre le chemin de cette maison accueillante. Les Français et les étrangers, les diplomates et les soldats, les artistes et les journalistes trouvaient une main largement ouverte et une oreille attentive. M. Gambetta recevait de tous et il rendait à tous : il rendait en flamme et en enthousiasme ce qu'il recevait en dévouement et en compétence technique.

Il était la serviabilité née. Mais le don le plus précieux était celui qu'il faisait, sans cesse, de sa personne. L'abondance et l'entrain de sa conversation, la vivacité imagée des définitions et des expressions, le vivant miroir que présentait cet étonnant esprit de repartie, renvoyant à l'interlocuteur la pensée comme un rayon réfléchi et plus ardent, tout contribuait à la fascination qui fut peut-être, parmi les qualités de M. Gambetta, la qualité maîtresse : en lui, l'éclat de l'esprit était fait de la vibration du cœur.

Déjà discuté, il dominait encore. Les concours qui se portaient vers lui le mettaient à son plan : il s'instruisait plus directement des affaires, travaillait avec les ministres, ouvrait les dossiers.

De toutes les affaires, de toutes les enquêtes, de toutes les recherches, celles qui le passionnaient surtout étaient celles qui touchaient à l'armée. Là, sa vigilance et son activité étaient incomparables : il ne laissait rien échapper. Les souvenirs de Tours et de Bordeaux étaient gravés dans son esprit : il lui était resté, de ce temps, une expérience des hommes, la connaissance des mérites, des caractères, des visages. Pendant la guerre, un pli lui avait été remis par un zouave qui, souffrant des yeux, portait des limettes teintées : il le rencontre, dix ans plus tard, dans un comité électoral, le dévisage, le reconnaît et dit : — J'ai déjà vu cette tête-là quelque part. Vous êtes le zouave aux lunettes vertes...[8]

M. Gambetta cherchait, avant tout, les bons soldats, les officiers jeunes vigoureux et allants. On sait le goût qu'il manifesta, de bonne heure, pour le général de Galliffet. Entre ces deux natures vigoureuses et altières, il y eut contact du cœur et fidélité jurée, le cas échéant, pour l'action. On devait dire bientôt : — Gambetta nous mène à la guerre. Ce fut une des armes les plus perfides employées contre lui. Il n'avait qu'une pensée : c'est qu'il n'y a ni peuple, ni politique, ni indépendance, sans armée. Il faut vingt ans et de l'esprit de suite avec un gouvernement fort et habile pour refaire une armée, répétait-il à satiété : donc, patience et méthode[9].

M. Gambetta n'avait pas rompu tout à fait ses relations indirectes avec le prince de Bismarck. De même qu'il avait déjeuné avec le prince de Galles, il laissait une porte toujours ouverte du côté du grand homme d'État européen. Ses amis qui voyageaient ou qui résidaient en Allemagne, des diplomates, des commerçants même, furent plus d'une fois ses intermédiaires. Peut-être n'avait-il pas abandonné tout à fait l'idée d'une conversation[10].

Sa conception politique se résume en deux mots : réorganisation et relèvement de la France par la République. Un des plus beaux jours de cette vie, si encombrée, et si hâtive, fut, certainement, le 14 juillet 1879, la première revue républicaine de l'armée reconstituée. Il écrivait :

J'ai senti remuer au fond de mon enfle nies plus ambitieuses et mes plus sacrées espérances, et ces grands desseins dont je ne peux m'abstraire aussitôt que je suis en présence de nos jeunes régiments. Je suis revenu de là le cœur gonflé des plus fortifiantes pensées... Au retour, j'ai retrouvé mon grand peuple de Paris, et j'ai reçu de lui des acclamations enthousiastes, délirantes que je n'accepte, en vérité, que comme un moyen d'atteindre le but patriotique que je me suis fixé ; jamais comme une flatterie personnelle. J'en reviens toujours meilleur, plus fort, plus riche, plus confiant[11]...

 

II

La question du personnel est plus que jamais à l'ordre du jour. Toute une France administrative nouvelle se substitue à l'ancienne. 11 faudra des années pour panser les blessures faites par la République à cette heure douloureuse. Parmi les remplacés il y avait beaucoup de vieillards, dévoués aux régimes disparus et ayant eu leur temps ; mais les vieillards ont peur de la retraite, parce qu'elle leur est l'avant-courrière de la mort.

Les efforts portent, à ce moment, sur le conseil M. Andral a del quitter la vice-présidence de cette assemblée, le 10 février. Il est remplacé par M. Faustin-Hélie. Sont nommés conseillers d'État : MM. Laferrière, Blondeau, Flourens, Courcelle-Seneuil, Victor Chauffour, Clamageran ; Gougeard, capitaine de vaisseau ; Berger, préfet du Rhône ; Decrais, préfet de la Gironde, etc.

Le général Berthaut, ancien ministre de la guerre, est relevé du commandement du 18e corps à Bordeaux et remplacé par le général Dumont ; le général Saussier est nommé commandant du 20e corps à Alger ; M. Le Myre de Villers, gouverneur de la Cochinchine, au grand émoi de Germain Casse qui lui trouve des opinions bonapartistes. Sont désignés pour faire partie du conseil supérieur de la Légion d'honneur, les généraux Frébault et de Chazal, MM. Mignet, Wurtz, Faustin-Hélie et Havet, de l'Institut. Quant aux mouvements dans l'administration et dans les conseils de préfecture, dans les emplois inférieurs des finances, des travaux publics, partout, en un mot, où peut s'abriter une existence ou se satisfaire une ambition, c'est un débordement. Cette œuvre nécessaire, qui fut la plus délicate et parfois la plus difficile de toutes, s'est appelée d'un mot assez laid : l'épuration.

La rentrée des Chambres a lieu dans le calme. Cette session du 15 mai au 2 août 1879 est une session de travail. S'il n'y avait pas la querelle, religieuse qui s'envenime et offre à cette France, toujours en goût des émotions et des spectacles, l'excitant qui lui est indispensable, la nouvelle République, sous l'œil mi-clos de M. Jules Grévy et de M. Waddington, s'endormirait dans un régime à la papa.

Mais catholiques et libres penseurs ont juré d'en venir aux mains, et leurs gestes furibonds, leurs visages convulsés, leurs masques tragiques occupent le devant de la scène. M. Chesnelong interpelle, dès le 15 mai, au Sénat, sur les recours au conseil d'État des instituteurs congréganistes arrachés il leurs écoles. Engagement vif où M. Jules Ferry et M. Le Royer latent la majorité anticléricale au Sénat.

Le 3 juin, c'est à propos de la validation de l'élection Blanqui. Légalement, Blanqui est inéligible. M. Clémenceau demande qu'on passe outre par application de la loi d'amnistie. Par 354 voix contre 33, M. Blanqui est invalidé. Le 7 juin, il est gracié et mis en liberté. Il fonde le journal Ni Dieu ni Maître et meurt peu de temps après, en 1881.

M. Clémenceau se manifeste par son activité, son talent, son ton tranchant et ses hardiesses systématiques, comme le leader et le tacticien le plus redoutable du parti intransigeant. Il a développé, le 12 mai, dans une réunion publique, le programme de ce parti, beaucoup plus hardi que celui de Ch. Floquet : révision de la constitution, suppression du Sénat, liberté complète de réunion et d'association, extension du service militaire il tons et notamment aux séminaristes, expulsion des congrégations non autorisées, impôt direct sur le revenu.

La prise en considération ; par la Chambre, de la proposition de loi de M. Naquet rétablissant le divorce est un autre signe des temps (27 mai).

Les violences de tribune de M. Paul de Cassagnac visent M. Gambetta, qu'on voudrait arracher à son silence, mais qui, de haut, surveille, impassible, le mouvement (9 juin).

Vive discussion, au Sénat, sur la question du retour des Chambres à Paris. Le gouvernement le déclare : Il n'y a aucune espèce d'inconvénient ou de danger. Nous en répondons. M. de Freycinet, avec le charme de son éloquence insinuante, prononce son premier discours politique, et obtient le plus rare des succès : il convainc. Après un brillant tournoi entre MM. Laboulaye, Wallon, duc d'Audiffret-Pasquier, d'une part, M. Jules Simon, d'autre part, le Sénat, par 149 voix contre 130, adopte la proposition. 11 y a lieu à révision de la constitution.

Le congrès est convoqué le 19 juin. Formalité : la résolution est prise. Par 526 voix contre 249, l'Assemblée nationale décide que l'article qui fixe à Paris le siège des Chambres sera rayé du texte constitutionnel. Reste, pour en finir, il obtenir les mesures législatives pour l'installation définitive du parlement et du pouvoir exécutif. Les deux Chambres discutent alternativement pendant tout le mois de juillet. Au Sénat, M. Bullet se bat en désespéré. Mais à sort en a décidé. La loi est votée ; elle est promulguée sous la date du 22 juillet.

Le 1er juin, le bruit avait couru dans Paris que le prince impérial était mort. Une dépêche particulière, reçue à Londres le 20 juin, à minuit, annonce qu'il avait été tué, précisément le 1er juin, par les Zoulous. On reçut la nouvelle, à Paris, à deux heures vingt. Des éditions spéciales des journaux, parues le 21, la répandirent dans l'après-midi. On dit que M. Gambetta avait été le premier informé[12].

Le 25 février précédent, le prince impérial avait adressé à M. Rouher une lettre destinée à la publicité et dans laquelle il lui annonçait son départ pour l'Afrique australe. Cette résolution avait été prise quelque temps auparavant, au moment où la démarche du cardinal de Bonnechose auprès du maréchal de Mac Mahon avait échoué.

Le jeune homme de vingt-deux ans qui avait été l'espoir d'une dynastie, d'une cause et d'un pays, était parti, (( sans un Français pour combattre près de lui[13]. Recommandé au général anglais comme un étranger de distinction[14], il avait quitté Cambden Place pour s'embarquer, le 27 février, à Southampton à bord du Danube, avait fait la traversée, du 27 février au 9 avril, passant devant Sainte-Hélène. Débarqué le 9 avril, il est atteint des fièvres, et reste, quelque temps, inemployé.

Attaché à l'état-major de lord Chelmsford, puis sous les ordres du général Marshall, le 1er juin, il participe à une reconnaissance commandée par le lieutenant Carey, du 98e régiment, et composée de six cavaliers, plus un Zoulou ami. Le peloton, après avoir poussé en avant du corps jusqu'à une distance d'environ dix milles, fait halte pour laisser reposer les chevaux ; on était au milieu d'un pays couvert de hautes herbes, sur les ruines d'un kraal, près de Blood River (rivière du sang). Le cheval du prince s'appelait Destin (Fate).

Et ce fut un coup du destin, en effet ! Les Zoulous se sont approchés dans les herbes, ils tirent à bout portant. On se précipite sur les chevaux, on selle à la hâte. Le Zoulou ami a disparu. Les six cavaliers fuient, ayant en tête le lieutenant Carey et sans s'occuper les uns des autres.

Quand le lieutenant Carey est hors d'atteinte, il s'arrête et regarde. Le prince n'a pu monter, la selle ayant tourné : il est donc resté seul, à pied, au milieu des Zoulous qui l'attaquent à coups de sagaies : il se défend quelque temps ; bientôt, il tombe, percé de dix-huit blessures au visage, au bras gauche, dont il s'est protégé, à la poitrine, au ventre. Plus tard, le lieutenant Carey n'a trouvé, pour expliquer sa conduite, qu'une seule excuse : En Zoulouland, tout homme démonté est un homme mort. Guerre de sauvages, où chacun cherche à sauver sa peau. L'héritier de l'homme qui avait commandé les plus belles batailles de l'histoire, était frappé à mort dans la plus mesquine et la plus louche des rencontres.

Le lendemain, on retrouva le corps entièrement dépouillé, sauf un scapulaire. Après embaumement, la dépouille mortelle fut embarquée à bord du Danube et ramenée en Angleterre. Les obsèques s'accomplirent dans la petite église catholique Sainte-Marie de Chislehurst, le 12 juillet. La reine Victoria et le prince de Galles y assistèrent. Les membres les plus notoires du parti bonapartiste vinrent de Paris. Le prince Napoléon quitta l'église directement pour la gare, sans se rendre chez l'impératrice[15].

L'impératrice Eugénie, frappée une fois de plus, avait appris l'affreuse nouvelle par lord Sydney, envoyé de la reine, et par le duc de Bassano, le 21 juin. Le jour des obsèques, elle dit aux compagnes de son exil : — Mesdames, inutile de me préparer, je serai forte. Elle arriva dans le vestibule au moment où les officiers anglais apportaient le cercueil et le déposaient dans la chapelle ardente : elle se précipita sur cette bière où dormait son enfant, l'étreignit de ses bras, le couvrit de baisers, criant au milieu de ses sanglots : — Voilà donc tout ce qui reste de mon fils ! Depuis, la femme qui avait été si puissante et si belle, — belle et imposante encore —, erre de par le monde, portant ses croix sous ses voiles de deuil, ayant, seule, survécu !

Le prince impérial ressemblait à sa mère. Il était blond, fin, élancé, mais son air était contraint, sa ligure peu expressive : dans l'ensemble, un beau jeune homme et un hardi cavalier. Il avait adoré son père. Élevé dans des idées religieuses très strictes, catholique pratiquant, son développement avait été lent, avec la double origine et dans la double vie qui était la sienne : prince et particulier, Français plié aux coutumes anglaises. A l'école de Woolwich, il avait fait de sérieuses études, était sorti clans un bon rang avec les brevets ordinaires. Il était resté ensuite près de sa mère, surveillé et un peu entravé. La conception politique qui lui avait été infusée par l'impératrice et par M. Rouher était éminemment conservatrice, dynastique et hiérarchique, non révolutionnaire, démocratique et égalitaire.

Sa mort fit apparaître, dans le parti, un schisme, latent alors qu'il vivait. D'après les constitutions de l'empire, l'héritier direct du prince impérial était le prince Jérôme. Mais la coupure était faite, depuis des années, entre les deux cousins. Le prince Jérôme, âgé de cinquante-sept ans, haut, large, noir, nez d'aigle, la figure ronde, l'œil ardent et sombre sous des sourcils touffus, était un Bonaparte de Corse, tandis que le jeune prince, blond aux yeux bleus, avait le sang du Nord — probablement par ses grands-parents maternels, les Kirkpatrik. Deux races, deux natures.

Le prince Jérôme, n'oubliant pas, lui, les origines révolutionnaires, avait recueilli, dans l'héritage des Bonaparte, la thèse républicaine, populaire et plébiscitaire.

On se servit, contre lui, du codicille d'un testament du prince impérial, daté du 26 février 1879, codicille qui, par une omission voulue, tendait à changer l'ordre de succession dynastique :

Je n'ai pas besoin de recommander à ma mère de ne rien négliger pour défendre la mémoire de mon grand-oncle et de mon père. Je la prie de se souvenir que, tant qu'il y aura des Bonapartes, la cause impériale aura des représentants. Les devoirs de notre maison envers le pays ne s'éteindront pas avec tua vie : moi mort, la tâche de continuer l'ouvrage de Napoléon Ier et de Napoléon III incombe au fils aîné du prince Napoléon, et j'espère que ma mère bien-aimée, en le secondant de tout son pouvoir, nous donnera à nous autres qui ne serons plus, cette dernière et suprême preuve d'affection.

On assure que M. Rouher avait écrit de sa main le modèle de cet acte. Quoi qu'il en soit, c'est son esprit et sa politique qui avaient inspiré une décision si grave.

Le 1er juillet, eut lieu mie réunion des sénateurs et des députés du groupe de l'appel au peuple. M. Rouher donna lecture du testament. Ou décida d'envoyer une délégation auprès du prince pour lui communiquer le texte. M. Rouher déclara qu'il ne ferait pas partie de la délégation, cette démarche étant au-dessus de ses forces. Le prince Jérôme la reçut.

A la lecture, son masque impassible ne trahit pas Le mince ses sentiments. Il dit seulement qu'il n'accepterait aucune discussion de ses droits. La rupture était accomplie. M. Paul de Cassagnac se prononça dans le Pays : Je l'ai écrit : Plus d'empire jamais, plutôt que certain empire. Et ce certain empire est l'empire du prince Jérôme que l'on confiait. Il s'agissait surtout de la question religieuse. Le prince s'est dit républicain, écrivait encore M. P. de Cassagnac : il a laissé croire qu'il était ennemi de la religion. Qu'il nous rassure, qu'il renie la République, qu'il nous promette la liberté de l'enseignement, le respect du culte, et, naturellement, il reprend sa place...

Dans l'opinion, la mort du prince causa une certaine émotion, vite distraite par ces bruyantes polémiques. Le prince impérial avait été un enfant de France ; il était mort sous l'uniforme anglais, héros d'un roman que la fatalité avait interrompu. Quant au bonapartisme, quelques mois auparavant redoutable, on eût dit qu'il s'était, soudain, restreint et comme ratatiné. Quelques fonctionnaires blanchis sous le harnais, des chambellans chamarrés, ;les généraux en retraite, ou bien des journalistes à gages, des aventuriers, des risque-tout, enfui d'honorables fidélités, une vieille garde divisée, débandée, affolée, se blessant elle-même en des luttes niaises et incompréhensibles, c'était tout.

Les cierges à peine éteints, le souvenir de cet autre duc de Reichstadt ne fut plus qu'une image touchante planant sur une cause évanouie.

 

A Paris, on se disputait. Le 1er juillet, interpellation de M. E. Bouchet sur la saisie du journal la Lanterne. Pénible débat auxquels prennent part le préfet de police, M. Andrieux, M. Lepère, ministre de l'intérieur, M. Christophe, directeur du Crédit foncier. Vague relent de chantage politique et même financier[16].

Mais la grande bataille, c'est toujours la bataille des lois scolaires ; la querelle religieuse est au plus fort. Le pape Léon XIII faisait donner aux prélats, par son nonce, le cardinal Czacki (accusé d'ailleurs d'être trop favorable au gouvernement), des conseils de prudence et de modération :

Si le nonce parle ainsi, dit le cardinal Guibert, c'est son point de \lie ; il est diplomate, nous, nous sommes des évêques ; notre devoir est de défendre le peuple et puisque, pour le défendre, il faut parler, nous parlerons.

Et, en effet, de presque toutes les provinces ecclésiastiques partirent des lettres collectives d'évêques protestant contre les lois Ferry.

Mgr Lavigerie accourut d'Alger, résolu à saisir le taureau par les cornes...

Il vit M. Jules Ferry, raconte son biographe ; c'est la première fois qu'il se trouvait en face du ministre exécuteur des hautes œuvres des sectes... L'archevêque s'adressa il son incontestable intelligence des affaires, l'intéressa à ses écoles, et lui laissa le sentiment d'une supériorité de vues et de génie qui intéressa l'homme sans convertir le sectaire.

Le ministre fournit au prélat les ressources utiles aux nombreuses œuvres que ce génie entreprenant menait à la fois. Quant à l'affaire des congrégations, Mgr Lavigerie disait il ses amis :

Ils iront jusqu'au bout, et déjà ses yeux se tournaient vers les stations lointaines de la société comme vers des lieux de refuge contre les persécuteurs[17].

Le rapport sur le projet de loi relatif il l'enseignement supérieur est déposé le u9 niai par M. Spuller. La discussion s'ouvre le 16 juin. M. de Cassagnac provoque un violent incident qui faillit amener la scission d'une partie des députés républicains se plaignant d'être insuffisamment protégés par M. Gambetta. Pendant plusieurs semaines, ce sont des discours alternés selon le talent et le caractère des orateurs. M. Paul Bert, président de la commission, expose le système : M. Gaslonde parle au nom de la droite.

Si vous voulez l'unité patriotique, vous avez raison ; mais, si vous exigez l'unité morale, c'est la servitude des hiles. On a donné cette formule (c'était M. Jules Ferry) : la liberté dans l'unité. Il ne peut y avoir de liberté dans l'unité. C'est au nom de l'unité que les plus effroyables tyrannies ont été exercées dans ce monde... Il appartient à un gouvernement républicain, qui n'impose pas sa volonté, qui subit celle du pays, de s'arrêter dès qu'il voit le pays divisé et ému à ce point...

Emile Deschanel répond. Il esquisse déjà la thèse que défendra plus tard M. Waldeck-Rousseau, l'antagonisme des deux jeunesses :

Existe-t-il une cause plus profonde de nos divisions que cette éducation contradictoire donnée aux hommes dans les lycées et aux femmes clans les couvents Cela crée une sorte de divorce intellectuel dans les ménages.

M. de Mackau : La loi coulera 150 millions en constructions et annuellement 10 millions d'entretien et de charges nouvelles. C'est le catholicisme que l'on vise. Aujourd'hui les jésuites, demain les catholiques ! La gauche proteste. M. Spuller, rapporteur, reconnaît que la loi est l'acte le plus important qui se soit produit, depuis l'avènement de la République. Mais on ne fait pas la guerre au catholicisme. On se défend ; on commence à se défendre... Il réfute la thèse libérale, usurpée par les adversaires de toute liberté :

La liberté d'enseignement que volis demandez n'est qu'un masque sous lequel on monte à l'assaut des droits de la société moderne... seul, l'État est assez fort pour résister aux prétentions cléricales et aux entreprises de Rome... Les représentants de la démocratie ne peuvent pas faire moins que n'ont fait les gouvernements monarchiques... Vous avez inscrit sur votre cira-peau, avec le comte de Mun, contre-révolution, et nous défendons la Révolution...

Voici M. Étienne Lamy (26 juin) :

On va chasser les congrégations à l'heure même où rentrent les condamnés de la Commune... Prenez garde : sous prétexte d'éducation civile, vous allez faire une jeunesse qui ne croira à rien, pas même à vous.

C'est, enfin, l'heure du ministre, M. Jules Ferry. Argumentation très nourrie, bourrée de faits et de chiffres ; après un exposé un peu lent, la discussion s'élève, elle se précise sur le caractère de l'éducation donnée par les jésuites ; enseignement nettement antimoderne, antirévolutionnaire...

Nous poursuivons les jésuites, parce que les jésuites et leurs adhérents sont Filme de cette milice laïque contre laquelle nous luttons depuis sept ans ; qui a été maîtresse dans l'Assemblée nationale ; qui, par les comités catholiques, s'étend sur la France entière et l'enveloppe comme d'un réseau ; qui a un personnel politique ; qui est un parti ; je me trompe, qui est une faction !... Quant à faire la guerre au catholicisme, vraiment j'ai été surpris, douloureusement surpris de trouver cette accusation sur les lèvres de M. Lamy, qui nous connaît... Attaquer le catholicisme, se mettre en guerre avec la croyance du plus grand nombre de nos concitoyens, mais ce serait la dernière et la plus criminelle des folies... Nous n'avons pas besoin d'un kulturkampf : nous n'avons qu'à nous en tenir à notre concordat...

L'orateur ajoute que les établissements de l'État sont prêts à recevoir les élèves qui sortiront des maisons d'éducation fermées. On parle de troubles dans les consciences :

Il n'y aura pas de troubles dans les consciences ; il y aura peut-être plus d'une conscience religieuse soulagée et secrètement ravie. La domination jésuite ne pèse pas qu'aux libres penseurs.

D'ailleurs la question est posée, il faut se prononcer... Et, s'adressant directement à la majorité, dont il exhorte le zèle et lie le vote :

Est-ce que le peuple républicain de France vous a envoyés ici pour vous croiser les bras ? Ne vous a-t-il pas donné mandat, non seulement d'affirmer la République et de l'apporter ici, mais de la fonder sur des bases solides ? Les questions politiques, les événements ou les gouvernements les posent. Mais il y a des questions qui, quand elles sont posées, doivent être résolues. Si vous ne votez pas l'article 7, qu'aurez-vous fait, Messieurs ? Vous aurez consacré, à tout jamais, dans ce pays-ci, le libre enseignement par les jésuites... Y a-t-il, parmi vous, quelqu'un qui veuille assumer une telle responsabilité devant notre temps et devant l'histoire ?

M. Jules Ferry n'hésitait pas à s'enfermer dans un cercle sans issue ; mais il y enfermait la majorité avec lui ; ce n'était pas un naïf. La bataille engagée, il fallait la gagner. Le combat se ramenait au sort de cette citadelle, la compagnie de Jésus.

On écarte un contre-projet Lenglé et Robert Mitchell (les amis du prince Jérôme, les néo-bonapartistes, les bonapartistes républicains), puis un autre contre-projet Bardoux, prédécesseur de M. Jules Ferry au ministère de l'instruction publique, qui n'interdit pas l'enseignement aux congrégations et remplace l'article 7 par un système d'inspection. Le 3 juillet, on vote l'article Ier, après rejet d'un amendement de MM. Keller et le baron Reille, maintenant le jury mixte pour la collation des brades. Puis, vote des articles 2 à 6.

La discussion reprend sur l'article 7, le 4 juillet. M. Keller s'écrie : Le grand cheval de bataille pour éviter les réformes sociales, c'est la guerre au cléricalisme. Nouveau discours de M. Paul Bert, extrêmement vif contre les jésuites et n'hésitant pas à aborder le problème moral.

L'extrême gauche attaque l'article comme insuffisant. M. Madier de Montjau propose d'interdire l'enseignement aux membres des congrégations religieuses et au clergé séculier. Bataille acharnée et pied à pied, de droite et de gauche, sur une série d'amendements. Enfin, par 333 voix contre 164 l'article 7 est voté et l'ensemble de la loi par 347 voix contre 143, le 9 juillet.

Au même moment (19 juillet), le Sénat discute le projet de loi voté par la Chambre, le 20 mars, relatif à l'établissement d'écoles normales primaires dans les départements. M. Chesnelong et M. Jules Ferry sont aux prises. M. Chesnelong, soutenu par une conviction profonde, emporte un de ses plus beaux succès oratoires. La droite s'écrie : Voilà notre O'Connell ! Cependant, après un pénible incident provoqué par les déclarations de M. Jules Ferry, la loi est votée par 158 voix contre 109 le 1er août et promulguée le 9 août.

Le 14 juillet 1879 fut une des belles fêtes de la jeune République. Elle se sentait maîtresse de ses destinées. La constitution s'appliquait normalement. Les pouvoirs publics étaient en harmonie, le suffrage universel était le moteur puissant et libre d'une nouvelle organisation sociale. Le peuple était lier et comme enivré d'un triomphe inespéré après de si longues luttes ; il jouissait de cette paix, de cette abondance, de toutes les richesses restaurées et de toutes les satisfactions que lui prodiguaient les premières années du nouveau régime. Les haines de classe n'étaient pas soulevées comme en 1848. Il n'est pas dans le caractère français de prévoir les déboires ou les malheurs de trop loin. La joie de vivre rayonnait dans un ciel apaisé et éclairait les visages. Ce 14  juillet fut donc un 14 juillet splendide, la plus belle, la plus spontanée, la plus ingénue des fêtes populaires, sans qu'un regret, un remords, une ombre vint ternir la gaieté lumineuse d'une telle journée.

Le 13 juillet la revue des troupes avait eu lieu à Longchamps. M. Gambetta l'ut acclamé. Paris était pavoisé, décoré, illuminé. La circulation fut de bonne heure impossible dans les rues. Les danses s'organisèrent à tous les carrefours. L'armée, le peuple, les pouvoirs publics communiaient, alors, dans un seul sentiment patriotique. Ce sont, pour un pays, des instants trop rares et des heures inoubliables. Il fallut vingt années pour accomplir l'orbe qui commençait alors et pour clore, par d'autres fêtes et d'autres enthousiasmes populaires, le cycle paisible que la République parlementaire devait parcourir.

 

Discussion du budget du 10 juillet au 1er août. M. Henri Brisson, président de la commission ; M. Wilson, rapporteur général. Le débat est mené rondement par M. Gambetta. Le budget ne comportait, d'ailleurs, aucune nouveauté essentielle. L'exposé des motifs présenté par M. Léon Say était aussi peu orné qu'un billet de banque... Jamais situation financière plus florissante n'avait été exposée avec plus de rigueur scientifique et de modestie[18]. L'amortissement était assuré ; la politique de dégrèvement se poursuivait à la faveur des plus-values. La Chambre s'efforçait de favoriser l'essor commercial du pays à une heure où un certain ralentissement paraissait se produire.

Au début de la session, la Chambre avait consacré de longues séances à la loi d'organisation de l'état-major. Les Chambres ne cessaient de s'occuper des mesures relatives au programme Freycinet. Au Sénat, M. Bocher critiqua vivement le projet qui, au fur et à mesure qu'il se précisait, prenait des proportions plus colossales (juillet). On avait parlé tout d'abord d'une dépense de cinq à six milliards. On était maintenant à huit milliards. Pour satisfaire aux réclamations incessantes des circonscriptions et de leurs représentants, on ajoutait continuellement de nouvelles lignes de chemins de fer. Le conseil supérieur des ponts et chaussées avait évalué à 4.500, au maximum, le nombre de kilomètres à construire... La Chambre porte à 8.848 kilomètres le devis du conseil supérieur, non compris 4.151 kilomètres à conduire ultérieurement, soit un total de 13.000 kilomètres. Emporté par ce dangereux élan, on crée un quatrième réseau, que la polémique baptise : le réseau électoral. De même pour les canaux et les ports. Le programme s'élargit indéfiniment et s'applique à des nécessités problématiques, à des prévisions forcées. Tout le monde le sentait, le savait. Cependant, les ministres eux-mêmes couvraient, de leur autorité, les propositions nouvelles qui altéraient le caractère et compromettaient l'avenir de leur propre projet[19].

M. Bocher, au nom de l'opposition, fait une critique aussi juste que pressante :

Ce que je reproche au projet, c'est de provoquer des illusions, c'est d'établir un classement qui n'en est pas un, qui n'établit ni distinction ni ordre dans les différents chemins. Je reproche au projet de tromper les espérances, de faire naitre des prétentions qu'on ne pourra satisfaire, et je crains que ce projet ne crée des embarras sérieux à ceux qui suivront M. le Ministre.

M. de Freycinet, avec sa manière persuasive et séduisante, leva les dernières hésitations du Sénat :

Quelle est, dit le ministre, la différence entre les projets du gouvernement et les tracés qui ont été regardés comme nécessaires par les commissions de la Chambre des députés et du Sénat ? Ces tracés, d'après ces commissions, devaient nécessiter 5.000 kilomètres or, nous proposons 7.000 kilomètres : ce n'est qu'une différence de 2.000 kilomètres. — On arriva plus tard à une évaluation bien plus large encore. —... Sous l'empire, on consacrait par an 430 millions aux voies ferrées — oui, mais il s'agissait de construire le grand réseau — ; nous ne demandons que 300 à 350 millions par an ; donc nous sommes loin d'atteindre la dépense annuelle engagée sous l'empire.

Rien n'arrêtait M. de Freycinet.

Un labeur immense autorisait ces vastes entreprises : dans les lois d'affaires qui se débattent devant les Chambres, le ministre des travaux publics est toujours sur la brèche.

En ces heures fécondes, l'action de la France ne se referme pas au dedans ; elle rayonne au dehors dans les grandes entreprises qui devaient changer la face du monde. Le 29 mai, le congrès international constitué pour l'étude du projet destiné à relier les deux Océans, réuni à Paris, termine ses travaux et se prononce, sur le rapport de M. Braune, pour un canal à niveau constant allant de la baie de Limon (Colon) à Panama, plan et avant-projets de MM. Wyse et Reclus. Sur 98 votants, le vote est acquis par 74 voix. Il y a eu 8 non et 16 abstentions. Les 6-7 août a lieu la souscription publique à 800.000 actions de 500 francs.

Le 13 juillet, un décret institue, sous la présidence du ministre des travaux publics, une commission pour l'étude des questions relatives à la communication, par voie ferrée, de l'Algérie et du Sénégal avec l'intérieur du Soudan. Il s'agit d'atteindre le Niger et d'affirmer la suprématie de la France sur l'Afrique occidentale. On étudierait immédiatement un avant-projet entre Biskra et Ouargla et, au delà de Ouargla, on préparerait, sans retard, la campagne d'exploration.

Sept ou huit milliards de chemins de fer, de canaux et de ports en France, le canal de Panama, le projet de transsaharien, voilà de l'emploi assuré pour le bas de laine français !

 

III

Depuis un an que le traité de Berlin était signé, l'Europe vivait dans la confusion et dans l'incertitude. Le prince de Bismarck, trop perspicace pour ne pas avoir deviné les conséquences de la position prise par lui au congrès, cherchait à parer aux évolutions dans les alliances qu'il prévoyait.

La guerre d'Orient ayant modifié les relations des grandes puissances entre elles, une nouvelle Europe s'ébauchait dans Le secret des gouvernements. Triple alliance, puis alliance franco-russe, telles sont les étapes prochaines du nouveau cursus. Au fond, c'est la paix et le respect mutuel assurés par l'équilibre des forces militaires restaurées.

Ce n'était pas tout d'avoir inscrit des formules sur le papier : maintenant, il fallait tailler à même la chair et la réalité. Les puissances, un peu surprises de leur œuvre, s'efforçaient de sauver la paix parmi les résistances, les déceptions, les colères, soulevées, de toutes parts, par la mise en pratique de leurs décisions.

Une convention intervient, en février 1879, entre la Russie et la Turquie, pour régler les points que le traité de Berlin avait insuffisamment éclaircis. L'indemnité de guerre fut fixée à 802 millions et demi de francs : cette dette, toujours exigible, pouvait devenir une arme formidable aux mains de la Russie.

On avait créé une Bulgarie indépendante : elle s'organise lentement sous l'égide des généraux russes. C'était un nouvel État européen, comptant plus de deux millions d'habitants. Les Bulgares, à peine arrachés au sommeil de leur servitude, étaient bien empêchés pour prendre les allures d'une nation. Quant à ceux de leurs frères qui n'avaient pas été détachés de la Turquie, — soit qu'ils demeurassent dans la province privilégiée, la Roumélie orientale (7 ou 800.000 habitants), soit qu'ils restassent soumis au gouvernement direct du sultan, — en Macédoine notamment, — ils avaient, depuis les préliminaires de San-Stefano, humé l'air de l'indépendance : ils ne devaient plus se résigner au joug qui leur était réimposé par le congrès. L'autorité russe, appuyée sur l'occupation militaire, veillait aux premiers pas du nouveau peuple. Le prince Dondoukoff élabora une constitution calquée sur celle de la Serbie. Une sobranié, composée des notables du pays, la modifia dans un sens démocratique ; le prince Alexandre de Battenberg, de nationalité allemande, fils du prince régnant de Hesse-Darmstadt, fut élu, le 29 avril 1879. Ce choix paraissait concilier tous les intérêts. Une certaine dose de politique germanique s'introduisait en Orient, comme précédemment par la nomination du prince Charles en Roumanie[20]. Bismarck avait dit au prince Alexandre : — Allez-y toujours, cela vous laissera au moins des souvenirs. Le tsar croyait être sûr de son neveu : il n'était pas sir même de ses agents. Ceux-ci menaient les Bulgares à la russe. Or, les Bulgares entendaient bien ne pas se laisser russifier. Les libérés trouvaient lourde déjà la main du tsar libérateur.

La date de l'évacuation était fixée au neuvième mois après la signature du traité de Berlin. Le sultan avant conservé, avec la Roumélie orientale, le droit d'établir des garnisons dans les Balkans, les troupes turques devaient réoccuper le pays. Mais les populations et les agents russes furent d'accord pour considérer cette prescription du traité comme nulle et non avenue. Quand les troupes russes commencèrent à se retirer (mai 1879), les populations s'opposèrent à l'occupation par les garnisons ottomanes. La Russie prit fait et cause pour les chrétiens et réclama, sur un ton assez raide, une révision de la clause en question. Émoi en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Angleterre ; tout paraissait compromis. La Russie se montrait irritée et exigeante. On eût pu croire que Gortschakoff cherchait sa revanche. Il incitait l'Allemagne en demeure de se prononcer. Bismarck écrit dans ses Souvenirs :

La logique de l'histoire est bien plus exacte que notre cour des comptes. Pour l'exécution des décisions du congrès, In Russie espérait et voulait que les commissaires allemands se prononçassent, en général, dans le sens de la Russie lorsque, dans les négociations qui avaient lieu sur place, en Orient, il se produisait des divergences entre les idées russes et celles des autres puissances. L'impératrice Marie disait à un de nos représentants : — Votre amitié est trop platonique...

Maintenant qu'on en était à l'application du traité de Berlin, l'Allemagne était obligée soit d'appuyer les solutions russes, soit de les combattre. Les faits ne sont, pas aussi complaisants que le parchemin des protocoles.

Le prince, au moment de répondre, jetait sur l'Europe un regard circulaire : Tout à l'extrémité, le Monténégro menait un tapage assourdissant. Il était le plus petit et le moins satisfait des États balkaniques, mais aussi le plus cher au cœur de la Russie. La Porte, lui ayant remis sans difficulté les villes de Pouz et de Podgoritza, tardait à concéder les territoires faisant partie du vilayet de Scutari d'Albanie. Elle n'était pas maîtresse absolue, chez ces rudes montagnards, qui ne tenaient pas à rester turcs, mais qui ne voulaient pas se soumettre à leurs ennemis héréditaires, les Monténégrins. Le général turc, l'illustre Mouktar pacha, fomentait sous main, affirme-t-on, la résistance de la ligue albanaise. Ce fut bientôt, un souci pour l'Europe. Cette minuscule affaire devint une très grosse affaire.

Les diplomates s'épuisaient à rechercher des transactions et des équivalences qui fussent acceptées par les deux parties : plus d'une fois, les hostilités parurent imminentes. Les puissances trouvèrent et imposèrent, plus tard, la solution de Dulcigno. Mais cela demanda du temps et des protocoles !

L'Autriche-Hongrie s'installait en Bosnie et Herzégovine : une occupation militaire comprimait d'avance toute velléité de résistance. Cette politique de conquête dissimulée ne satisfaisait pas tout le monde, même dans l'empire. La Hongrie était effrayée par un accroissement aussi énorme de l'élément slave. Le comte Andrassy devait payer, de sa popularité et de sa situation, le service rendu par lui à la cause germanique dans les Balkans. L'obscurité des textes mal connus qui autorisaient la politique austro-hongroise prêtait aux interprétations les plus diverses. Des publicistes Misés commençaient à prévoir l'époque où une ligne de chemin de fer, traversant le district de Novi-Bazar et reliant Vienne à Salonique, ferait de cette ville le plus grand port de la monarchie austro-hongroise[21]. Mais, on était, pour longtemps encore, à la période des difficultés.

La France avait pris en main deux affaires : l'abolition des lois d'exception frappant les Israélites en Roumanie et la rectification de la frontière de l'empire ottoman dans le sens d'une cession de territoire à la Grèce. Autre matière à discussion, à échange de vues et à protocoles. La Roumanie, sacrifiée au congrès de Berlin, se plaignait de l'exigence de l'Europe, qui prétendait lui imposer une population non assimilée, non assimilable[22]. D'autre part, les puissances occidentales ne voulaient plus assister à la prolongation du régime des outlaws ou, plus exactement, du ghetto. L'Allemagne et l'Angleterre appuyaient la France. Ces cabinets faisaient, de l'introduction d'une telle mesure dans la constitution roumaine, une condition de la reconnaissance de l'indépendance et de la proclamation du royaume : il fallut bien céder.

L'affaire de la rectification des frontières entre la Grèce et la Turquie était plus grosse et plus complexe encore.

La Turquie ne se croyait pas obligée par le texte du traité de faire des concessions sérieuses à la Grèce : elle était soutenue par l'Angleterre qui, sous le cabinet Beaconsfield, et malgré la convention du 4 juin, continuait à défendre l'intégrité de l'empire turc. Par contre, la Russie, d'accord sur ce point avec la France, appuyait la Grèce.

Celle-ci réclamait l'annexion de l'Épire, de la Thessalie, d'une portion, la plus large possible, de la Macédoine et, enfin, de la Crète. Une commission turco-grecque, réunie d'après les prescriptions du traité de Berlin n'aboutit pas. Mille combinaisons diverses furent essayées sans succès. La Grèce armait, achetait des fusils, enrôlait des instructeurs. Les cabinets devaient s'épuiser en vaines et complexes tractations, jusqu'au jour où une transformation absolue de la politique anglaise, par l'avènement du parti radical, la fit passer du blanc au noir et détermina, parmi les puissances, un chassé-croisé où la France modifia aussi ses propres positions et qui finit par donner à l'hellénisme une satisfaction très incomplète.

Ces affaires sont, pour l'Europe, une préoccupation et un labeur ingrat. Un conflit universel est toujours menaçant derrière on ne sait quel incident imprévu. Les grandes puissances, malgré les professions de foi les plus sincèrement désintéressées, sont entraînées dans le jeu des populations locales par leurs engagements, leurs traditions, leurs affinités ; c'est toujours la lutte polir l'équilibre. Leur intervention, parfois contradictoire, suit l'évolution continuelle des intérêts et des événements : un ciel d'automne n'est pas plus changeant : s'il s'empourpre, on a, trop souvent, des raisons d'appréhender l'orage. L'Orient fascinera toujours les regards de l'Europe chrétienne, qui se retourne invinciblement vers les débuts de sa journée.

Le romantisme du XIXe siècle vit errer sur ces horizons lumineux et énigmatiques la capricieuse imagination de ses écrivains et de ses orateurs. Il y eut, dans cette politique, beaucoup de littérature. Les conceptions vagues et troubles de cette époque inquiète offraient, en somme, une matière singulièrement propice et malléable aux manipulations vigoureuses des hommes d'État réalistes.

L'Égypte était la terre des grandes envolées. Son histoire moderne commence par l'expédition de Bonaparte. La vie d'Ismaïl est un conte des Milles et une Nuits. Mais, comme l'âge est passé des trésors inépuisables, la légende s'achevait en une débâcle assez piteuse. La comptabilité européenne mettait son doigt taché d'encre sur la stèle des Pharaons.

Ismaïl, à bout de ressources, finit par appeler les financiers à l'aide. Avec une préférence marquée pour l'Angleterre, dont. il espérait l'on ne sait quel secours occulte, il avait sollicité l'établissement d'une commission d'enquête. Cette alFaire était menée, sous (nains, par les agents anglais, en relations étroites avec les porteurs de litres qui avaient une autorité et des moyens puissants ii la Bourse de Londres : Je vis bientôt, dit M. le baron des Michels, alors agent français au Caire, que, le principe de l'enquête étant admis à Londres, il serait accepté à Paris, dût-il avoir pour conséquences le renversement et la ruine de notre œuvre[23].

La commission fut donc instituée. Elle avait il sa tête M. Ferdinand de Lesseps, mais c'était une figuration : le fondateur du canal offrant au khédive, comme dit M. des Michels, la garantie de son incompétence financière. Près de M. de Lesseps, sir Rivers Wilson était vice-président, Riaz pacha représentait le khédive ; M. de Blignières était commissaire de la Dette pour la France ; pour l'Angleterre, M. le capitaine E. Baring, dont la personnalité, pleine d'avenir, mettait ainsi la main sur l'instrument qui allait créer sa fortune politique ; puis M. de Kremer et M. Baravelli représentant l'Autriche et la Russie : comme secrétaire, un Français M. Liron d'Ayrolles, inspecteur des finances. M. de Lesseps étant le plus souvent absent, sir Rivers Wilson prit la direction de la commission, qui devint une manière de gouvernement.

Le bruit se répandit bientôt que l'Égypte ne serait sagement administrée que par un ministre étranger : sir Rivers Wilson était l'homme désigné. La politique britannique prenait très habilement fait et cause pour les populations indigènes, tandis qu'elle laissait aux agents français le rôle pénible et fâcheux de défenseurs des intérêts financiers.

Le 14 octobre, Nubar pacha fut chargé de constituer un ministère soi-disant responsable. Sir Rivers Wilson était ministre des finances et M. de Blignières, ministre des travaux publics. On supprimait le contrôle à deux. Le gouvernement de l'Égypte était aux mains de deux puissances ou plutôt aux mains des bondholders, — manière de séquestre où l'on ne distinguait plus très bien les intérêts politiques des intérêts financiers. Le premier acte du nouveau ministère fut de négocier un emprunt de 212 millions de francs avec la maison Rothschild, qui reçut en gage les biens du khédive et de sa famille, c'est-à-dire 250.000 hectares de terre avec les maisons et les installations des fellahs. M. de Freycinet dit : L'administration de ces biens était placée sous la haute surveillance des gouvernements anglais et français. La conquête financière ne s'était jamais subordonnée à ce point l'action politique, et il ajoute, dans sa manière fine : On se liait ainsi vis-à-vis d'une puissante maison de banque, qui serait désormais un facteur de notre politique égyptienne[24].

Le khédive s'aperçut de la faute qu'il avait commise en réclamant l'institution de la commission ; il voulut reprendre les rênes : il était trop tard. Cependant, il crut pouvoir profiter du mécontentement que les réformes décidées par la commission provoquaient dans le pays. En février 1879, un certain nombre d'officiers égyptiens ayant été licenciés en raison des réductions imposées par la commission, une émeute éclata subitement. M. Wilson et Nubar pacha furent insultés ; celui-ci fut même blessé, et Ismaïl pacha, s'appuyant sur l'élément indigène, rompit avec l'Europe, en renvoyant Nubar pacha.

On essaya d'abord de ne pas pousser les choses au pire : mais toutes les combinaisons intermédiaires échouèrent. Ismaïl en avait assez de ses contrôleurs, et les contrôleurs ne cherchaient qu'il se débarrasser de lui. La crise était ouverte.

Qu'allait-il advenir de l'Égypte ? Entre la France et l'Angleterre, la partie décisive s'engageait au montent où l'Europe était en suspens sur ses propres destinées et où M. de Bismarck cherchait un point d'appui pour ses futures combinaisons.

La situation de la France était mauvaise : un premier ministre sans autorité, influencé outre mesure par ses origines ou par son entourage, des agents faibles, divisés, énervés par la diversité ou l'obscurité de leurs instructions, se succédant les uns aux autres avec une rapidité inquiétante[25], une opinion publique faussée, un chef d'État sceptique et indifférent.

Les deux puissances, dans une note officielle remise au khédive, à laquelle celui-ci, bon gré mal gré, dut adhérer, exigèrent que les deux membres européens du cabinet eussent conjointement le droit d'opposer un veto absolu à toute mesure qu'ils désapprouveraient. C'était les menottes à Ismaïl. On prenait, en outre, une mesure immédiate et effective : la réduction des intérêts de la Dette.

Ismaïl répondit brutalement à cette sommation brutale. Il destitua sir Rivers Wilson et M. de Blignières (début d'avril). Chérif pacha était chargé de former un cabinet exclusivement composé d'indigènes. L'Égypte aux Égyptiens !

La France et l'Angleterre sont embarrassées. Elles hésitent à recourir aux grands moyens.

Mais voici qu'une intervention imprévue se produit. L'Autriche-Hongrie d'abord, puis, aussitôt, l'Allemagne protestent. Elles demandent des sécurités pour leurs nationaux et réclament la destitution d'Ismaïl. Ainsi, ce sont les puissances germaniques, jusque-là si réservées, qui prennent les initiatives à cette heure critique. M. de Bismarck a deviné, avec sa lucidité habituelle, l'intérêt qu'il avait à se jeter dans la fissure qui se produisait entre la France et l'Angleterre. Au moment où les plus vastes desseins roulent dans son cerveau, l'occasion qui s'offre à lui est inespérée. Il la saisit et se fait l'arbitre des affaires anglo-françaises en Égypte, comme il s'était fait l'arbitre des difficultés anglo-russes dans les Balkans. La politique allemande découvre un instrument avec lequel elle pèsera, à son gré, sur la politique anglaise et sur la politique française alternativement. L'un des plus puissants leviers des affaires européennes, pendant de longues années, est ainsi dégagé et saisi d'une main robuste.

Dans l'Europe entière, les cabinets des ministres sont assaillis de réclamations. Rarement, campagne fut plus habilement menée et plus savamment plaidée devant l'opinion. Ismaïl fut mis au ban de la civilisation. L'homme qui avait donné aux badauds européens des spectacles splendides à l'inauguration du canal de Suez, apparut comme un pauvre sire, victime successivement du machiavélisme des financiers et de leur rigueur.

A Constantinople, d'autres ficelles étaient tendue et d'autres docilités préparées par de semblables moyens. Les cabinets de Paris et de Londres, subissant l'impulsion venue de Berlin, demandèrent au sultan (très besogneux au lendemain de la guerre) la révocation du khédive. L'affaire fuit menée rondement. En deux mois (fin juin), la Porte rendait un bérat qui destituait Ismaïl et transmettait le pouvoir à son fils Tewfick ; on reconstituait autour de celui-ci le régime boiteux de contrôle et d'intervention européenne. Le sultan, à l'heure où l'on recourait à lui, fit des réserves au sujet de ses droits suzerains sur l'Égypte. On ne disputa pas sur des formules, et le condominium, plus direct, plus responsable, moins uni et plus subordonné que jamais aux intérêts financiers, reprit la main.

Il y avait, dans l'avenir de cette nouvelle combinaison, une inconnue : c'était la sincérité et la solidité de l'accord entre les deux puissances directrices, la France et l'Angleterre... L'Europe portait là toute son attention et prêtait l'oreille aux moindres vibrations du condominium, prête à profiter de chaque crise et sans qu'il fût possible de se dérober à son intervention, puisque tous les actes importants s'accomplissaient, désormais, au nom des six grandes puissances. Touche singulièrement vibrante ajoutée au clavier où préludait, — encore incertaine, — la main du prince de Bismarck.

Il était obligé d'attaquer un air nouveau. Celui de l'alliance des trois empereurs avait servi jusqu'à épuisement de l'auditoire et de l'orchestre. Le fort ténor se préparait à lancer son ut de poitrine : la triple alliance. Dans ses Souvenirs, qu'il faut toujours prendre cum grano salis, mais qui sont à la fois le bréviaire, de la politique moderne et le roman psychologique de cette époque complexe, le prince de Bismarck s'arrange pour faire retomber toutes les responsabilités sur le gouvernement russe et, notamment, sur sa tête de bois, Gortschakoff. Il ne peut pas nier, pourtant, que la Russie, alors et plus tard, fit, auprès de lui, les plus instantes démarches et rechercha, après le congrès de Berlin, l'alliance de l'Allemagne. Le prince ne la découragea jamais complètement ; il se réservait de profiter des facilités qu'il trouva toujours de ce côté russe, pour arranger, un jour, une de ces combinaisons à double et à triple fond, que son prodigieux génie mécanique ne se lassait pas d'établir. Mais, pour le moment, il fallait qu'il se prononçât.

La Russie, aux prises avec la réalité dans toutes les questions instantes en Orient, voulait savoir à quoi s'en tenir. Bismarck a donc mauvaise grâce à épiloguer sur la question que Saint-Pétersbourg lui adressa a brûle pourpoint. Cette question ne pouvait pas ne pas être posée. Cela ressort, en somme, de la lettre que Bismarck écrivit au roi de Bavière, quand il fut question d'obtenir l'adhésion des États confédérés à la nouvelle politique où l'Allemagne s'engageait :

En présence de cette situation, la Russie nous a demandé d'opter définitivement entre elle et l'Autriche, en donnant l'instruction aux membres allemands des commissions orientales de voter pour la Russie dans les cas douteux. A notre avis, ce n'est pas là la véritable interprétation des actes du congrès ; celle-ci se trouve du côté de la majorité fournie par l'Autriche, l'Angleterre et la France ; l'ALLEMAGNE A TOUJOURS VOTÉ DANS CE SENS[26].

Voilà qui est clair. On travaillait contre la Russie, toujours contre la Russie. Rien d'étonnant à ce que la Russie ait mis l'Allemagne en demeure.

Bismarck était dominé par une appréhension qui faisait toute sa nervosité : il craignait que Saint-Pétersbourg ne se retournât vers Vienne, que les Slaves des deux États ne se rapprochassent contre l'élément allemand. Il dénonce sans cesse les mystères de la Convention de Reichstadt. Cela veut dire qu'il ne peut supporter une conversation en tête-à-tête entre la Russie et l'Autriche. Il y voit les premières avances d'une coalition russe, autrichienne et française, la coalition Kaunitz, comme il l'appelle, coalition dont il a le cauchemar. Si on n'y pare pas, les événements peuvent la décider précipitamment. Elle est, au fond, dans les intérêts des trois puissances. En public, Bismarck affecte de la traiter fort légèrement[27]. La meilleure preuve qu'il la craint par-dessus tout, c'est la peine qu'il se donne pour y obvier.

En août 1879, il s'était rendu à Gastein pour y prendre les eaux. Il était au plus pénible des tortures physiques que lui faisait endurer sa névralgie faciale. Mais il ne s'occupait guère de se guérir. Jamais cure ne fut plus traversée, plus laborieuse, plus tourmentée par le souci, l'angoisse des responsabilités mesurées par un regard impavide dans son inquiétude même.

Donc, aux longues heures de la baignoire, il plongeait son esprit dans l'abîme de ses réflexions : C'est en réfléchissant toutes ces considérations, écrit-il, qu'après la lettre menaçante de l'empereur Alexandre, je dus très résolument prendre des précautions défensives contre la Russie pour sauvegarder notre indépendance.

Il faudrait avoir présent à l'esprit tout l'orchestre européen pour comprendre comment, dans ce morceau magistral que combine le maestro, tout s'harmonise et tout. vibre à la fois. La France sera tenue en échec par l'Angleterre, et c'est pourquoi l'Égypte occupe, dès lors, une si grande place dans les préoccupations allemandes. La Russie sera laissée, aussi longtemps que possible, sous le mirage des sympathies personnelles existant entre les deux empereurs. L'Italie sera détournée de la tendance qui la porte vers la Russie, à la fois par l'appui mesuré donné à l'Autriche sur la mer Adriatique et par la crainte de voir l'empire allemand, hier si ardent contre la papauté, prendre en main la cause du pouvoir temporel. Et si, pour enlever à la France de M. Waddington toute velléité d'un rapprochement avec la Russie, il est nécessaire de lui faire les veux doux, à cela ne tienne, on inaugurera une procédure aussi empressée vis-à-vis d'elle que la tactique antérieure l'avait été peu.

Mais cette politique complexe, avec ses ramifications infinies en Pologne, en Hongrie, en Turquie, dans la Méditerranée, dans le monde enfin, repose principalement sur une savante chloroformisation de l'Angleterre, en ce qui concerne les dangers que peut lui faire courir, ainsi qu'à l'Europe, la grandeur germanique. Pour cela, l'affaire d'Égypte est providentielle : les financiers qui l'ont en mains sont des gens avec qui on peut causer.

A Paris, à Saint-Pétersbourg, à Londres, les hommes politiques qui se succédaient au pouvoir devaient ignorer, pendant de longues années, les dessous de leurs propres cartes, qu'un habile prestidigitateur faisait passer sous leurs yeux avec une miraculeuse prestesse. A Vienne même, on ne connaissait pas très bien la partie dont on recueillait le bénéfice ; sinon, on eût fait payer plus cher, peut-être, un concours indispensable. Si la Hongrie eût appris le dédain avec lequel Bismarck traitait messieurs les avocats hussards de la Hongrie, elle ne se serait pas mise si gratuitement dans les mains du maître queux, qui pressait l'orange, sauf à rejeter l'écorce. La maison de Savoie, partagée entre la gloriole d'un illustre compagnonnage et la terreur des menaces occultes au sujet de Rome, ne se Mt pas engagée aussi délibérément dans un voyage suspect. Mais l'habile homme avait su prendre ses partenaires et ses adversaires par leurs passions plus encore que par leurs intérêts.

 

Ce fut à Vienne que la partie s'engagea[28]. Le chancelier allemand prit texte d'une lettre adressée à l'empereur Guillaume par le tsar Alexandre, dans les derniers jours du mois d'août 1879. Il voulut y voir une menace de guerre qui, assurément, était bien loin de la pensée d'Alexandre Il : la Russie avait toutes les raisons du monde de ne pas provoquer l'Allemagne. Le prince de Bismarck, qui se garde de faire connaître le texte de cette lettre, la résume en ces termes : En voici à peu près le contenu : si l'Allemagne persiste dans son refus d'adopter (dans les  affaires des Balkans) la manière de voir de la Russie, la paix ne pourra subsister entre nous. Le tsar demandait à rencontrer l'empereur Guillaume à Alexandrowo[29].

Le prince de Bismarck prit, sans tarder, ses précautions : Lorsque l'empereur Guillaume se rendit à Alexandrowo (le 3 septembre), j'avais déjà préparé une entrevue, à Gastein, avec le comte Andrassy ; elle eut lieu les 27 et 28 août[30]. Il était urgent d'agir, car le comte Andrassy était démissionnaire depuis le 14 août, par suite des difficultés qu'avait provoquées sa politique en Bosnie et Herzégovine : c'était le rempart de l'alliance allemande en Autriche qui disparaissait. Avant que la démission fût acceptée, il fallait conclure.

Le prince de Bismarck s'ébranle. Tout bien pesé, il s'est décidé à nouer avec l'Autriche-Hongrie une alliance formelle contre la Russie et cela dans le plus court délai possible. Il prend les devants. Cette alliance, il la veut ; il l'aura. Son art consiste à se la faire demander par le ministre austro-hongrois.

Après que j'eus fait au comte Andrassy un exposé de la situation, il en tira la conclusion suivante : — Contre une alliance franco-russe (dont les journaux russes commençaient à parler dès cette époque) le coup qu'il faut jouer, c'est une alliance austro-allemande. Je lui répondis qu'il venait de donner une 'Ormaie à la question qui, à mon sens, était la raison de notre entrevue et l'objet de notre délibération. Nous parvînmes facilement à nous entendre au préalable sur la question d'une alliance purement défensive contre une attaque de la Russie dirigée contre l'une ou l'autre des deux parties contractantes : une proposition d'étendre notre alliance à des attaques d'autres puissances que, la Russie ne trouva pas un accueil favorable auprès du comte. Après avoir obtenu, non sans peine, que Sa Majesté m'autorisât à engager des négociations officielles, je passai, à cet effet, par Vienne à mon retour[31].

Le prince de Bismarck s'assure en même temps du concours des Etats confédérés et notamment de la Bavière, en agitant le spectre d'une attaque prochaine de la Russie. Le roi Louis, effrayé d'une telle perspective, donne des mains au projet du prince-chancelier.

Et, tandis que l'empereur Guillaume, à l'entrevue d'Alexandrowo, confirme à l'empereur Alexandre, avec la plus grande sincérité et en versant des larmes, les assurances d'une amitié traditionnelle[32], le prince de Bismarck était à Vienne.

Au cours du long trajet de Gastein à Vienne, par Salzbourg et Linz, l'attitude prévenante du public dans les stations me fit sentir, a-t-il raconté lui-même, que je me trouvais sur un territoire purement allemand et parmi une population allemande.

A Vienne, une réception plus chaleureuse encore était réservée à l'homme d'État qui avait, triomphé à Sadowa. L'empereur François-Joseph rendit, en personne, visite au prince-chancelier. Et le traité Bismarck-Andrassy fut conclu.

Telle fut l'origine de la triple alliance. Le traité allemand-austro-hongrois est analysé dans ces termes par son principal auteur :

Le traité que nous avons signé avec l'Autriche, au point de vue d'une défensive commune contre la Russie, est publici juris. Une alliance défensive analogue entre les deux puissances contre la France n'est pas connue — cela veut dire probablement que le texte n'en est pas publié, mais l'alliance est un fait notoire —. Le traité austro-allemand n'accorde pas à l'Allemagne, directement menacée, la même protection contre la France que celle qu'il accorde à l'Autriche en cas de guerre contre la Russie[33].

Le prince de Bismarck avait, selon sa propre expression, fait l'option entre l'Autriche et la Russie. Il raconte qu'il alla jusqu'à se demander alors s'il n'y avait pas lieu d'attacher l'Autriche-Hongrie à l'Allemagne par un lien organique. Mais il s'arrêta dans cette voie d'un pangermanisme trop éclatant et trop téméraire.

Le traité conclu, le prince de Bismarck en fit, auprès de son maitre, une question de cabinet. Il n'alla pas lui-même à Baden-Baden, mais il confia le soin de plaider la cause de l'alliance à un de ses collègues du ministère, le comte Stolberg ; celui-ci réussit, malgré l'opposition énergique de l'empereur, qui ne céda que par horreur du changement de ministère et sous la condition que l'empereur de Russie serait prévenu. Alexandre II apprit donc, officiellement, que s'il attaquait l'une ou l'autre des deux puissances, il les aurait tontes deux contre lui[34]. On peut bien admettre qu'au lendemain de l'entrevue d'Alexandrowo la pilule parut amère an tsar. On rejeta la responsabilité de l'événement sur la rancune et les provocations du prince Gortschakoff.

Pour faire accepter par l'Europe un changement de front d'une telle importance, on prit aussi quelques précautions. Le prince de Bismarck se rendit, séance tenante, auprès de l'ambassadeur de France Vienne, M. Teisserenc de Bort, bien surpris de ce soin officieux, et il lui lit entendre le langage le plus rassurant :

Je saisis avec empressement cette occasion pour donner votre Excellence l'assurance la plus formelle et la plus catégorique que les relations intimes de l'Autriche et de l'Allemagne ne doivent nullement inquiéter la France, ni éveiller sa susceptibilité... Je crois, au contraire, que, dans un avenir prochain, l'intensité de nos rapports ira grandissant et que nous serons les meilleurs amis du monde... Les peuples, comme les boulines, ont peu de mémoire... Je ne me suis jamais servi de ma parole pour déguiser ma pensée. Je suis toujours sincère, et M. Waddington, avec qui j'ai eu des rapports très suivis à Berlin, on a eu la preuve. D'ailleurs, l'Allemagne ne poursuit pas une politique agressive. Elle veut, désormais, vivre en paix ; et, à cette occasion, je citerai le mot d'un de vos ministres qui, jadis, dit que la France ne cherchait querelle à personne parce qu'elle était satisfaite. Eh bien ! ajouta M. de Bismarck, je puis assurer à votre Excellence, que l'Allemagne est satisfaite ![35]

Il était difficile de pousser plus loin l'ironie des épanchements confidentiels.

Quant à l'Autriche, elle reçut immédiatement les arrhes du marché. Le 8 septembre, les troupes autrichiennes occupaient le sandjak de Novi-Bazar, par suite d'une convention spéciale passée avec la Turquie. C'était un pas nouveau et décisif fait par la pénétration germanique dans les Balkans.

 

Le rapprochement de l'Allemagne et de l'Autriche avait une autre conséquence non moins importante sur l'ensemble de la politique européenne. Il mettait fin nécessairement au culturkampf. L'Autriche représente, en Allemagne, le principe catholique. Il est difficile d'être bien avec elle en faisant une guerre à mort à la papauté. L'évolution nouvelle de la politique bismarckienne s'appuyait, à l'intérieur, sur le Sud et sur les populations que représentaient, au parlement, les députés du centre. Il fallait donc que le prince de Bismarck changeât son fusil d'épaule. Il le fit galamment.

Il rencontra, d'ailleurs, auprès de son nouveau partenaire, le pape Léon XIII, des dispositions très favorables. Les deux diplomates les plus considérables et les plus ingénieux qu'il y eût alors, étaient faits pour s'entendre. Mais, dignes l'un de l'autre, ils procédèrent dans les règles de la plus savante escrime.

Dès le 31 mars 1879, le prince de Bismarck avait eu une entrevue avec M. Windthorst. C'était le point de départ d'un rapprochement avec le centre. Pour conclure, il fallait passer par Rome, sinon par Canossa. Le 1er août 1879 —remarquer le synchronisme, quelques semaines avant l'entrevue de Gastein —, Mgr Aloisi-Masella, nonce à Munich, qui avait été l'intermédiaire des premiers pourparlers entre le prince-chancelier et le gouvernement pontifical, reçut, pour être transmise à Rome, une lettre par laquelle le prince de Bismarck faisait savoir au cardinal Nina qu'il était prêt à négocier avec le nonce à Vienne, Mgr Jacobini, les bases d'un accord entre le Saint-Siège et Berlin[36]. C'était Vienne qui était choisi comme lieu des négociations ; et l'on sait maintenant pourquoi M. de Bismarck s'était senti pris, tout à coup, pour les catholiques en général, et pour les catholiques du Sud en particulier, d'une crise d'affection et de respect se traduisant par les paroles les plus attendrissantes[37].

Les circonstances qui retardèrent l'arrangement, désormais décidé entre Rome et l'empire, appartiennent. à une autre histoire. Léon XIII maintint, avec une grande fermeté, les principes sur lesquels s'était appuyée l'intransigeance de Pie IX. Son habile patience sut mettre le prince de Bismarck dans une situation telle que celui-ci n'eut plus d'autre ressource que de sacrifier lui-même sur cet autel du Reichstag, où il avait adoré d'autres dieux. Il présenta donc au parlement et fit voter le décret-loi dit des pouvoirs discrétionnaires qui, par un arrangement intérieur, mettait fin à ce combat pour la civilisation sur lequel on s'était tant et si vainement échauffé.

 

IV

La conduite de Léon XIII, si habile dans ses rapports avec l'Allemagne, rie paraissait pas moins prudente dans ses relations avec la République française. Jamais, pourtant, position ne fut plus difficile et plus dangereuse[38].

A une situation qui parait sans remède, Pie IX avait opposé une offensive constante contre les erreurs du siècle, une parole toujours véhémente et les foudres de l'Église. Léon XIII recourt à une tactique différente. Il assure, d'abord, par plusieurs actes publics, son attachement inébranlable aux principes posés et défendus par son prédécesseur : sur les droits de l'Église, soit comme puissance spirituelle, soit comme puissance temporelle, il ne cédera pas d'une ligne[39]. Mais, ceci bien établi, la méthode est telle que le théologien chargé officiellement de l'expliquer au monde et de recueillir les paroles où elle s'est manifestée, n'hésite pas à la mettre en opposition avec celle de Pie IX :

Pie IX, avec toute l'ardeur des saintes indignations, avait dû crier et combattre contre tous ceux qui le dépossédaient ou le laissaient déposséder de son pouvoir temporal et spirituel, qui chargeaient l'Église de draines et mettaient son chef sous le joug. Léon XIII put, d'un esprit plus apaisé, mais avec une âme également forte, combattre, pour la même cause, en conjurant qu'on lui ôte ce joug, etc. Telle était l'œuvre que Pie IX léguait à son successeur. Celui-ci la comprit autrement : il se donna tout entier aux œuvres de paix, il offrit au monde la paix avec instance, il prêcha la paix. D'où il résulte que sa voix, nous l'appellerons la voix pacificatrice[40].

Le succès obtenu en Allemagne devait encourager le nouveau pape à suivre partout la même méthode, et c'est dans cet esprit qu'il se tourna vers la France.

La plupart des évêques qui ont acquis, par leurs titres, leurs services ou leur âge, une autorité plus particulière sur le clergé de France sont appelés ad limina ; là, ils entendent les conseils du pape, et les choses sont dites de telle façon qu'il faut obéir. Le plus fougueux de tous, l'évêque de Poitiers, Mer Pie, apprend de la bouche du Saint-Père que le chapeau de cardinal lui sera bientôt attribué : Léon XIII tient à son concours. Or, quelles sont les premières paroles prononcées par l'éminent prélat quand il remet les pieds dans son diocèse ?

C'est le propre d'un nouveau pontificat, comme l'un changement de règne quelconque, d'apporter des facilités et d'offrir des ouvertures nouvelles pour des négociations quelque temps suspendues ou abandonnées sous le régime précédent. La marche du temps ayant mûri les questions, les maux inséparables de toute opposition à l'Église s'étant manifestés et aggravés et, d'autre part, les froissements antérieurs de personne à personne ayant cessé, la diplomatie vaincue a pu renouer avec succès des relations dont l'interruption était nécessaire.

Mgr Pie croit donc, d'après la lettre où il expose aux fidèles de son diocèse ses entretiens si précieux avec le nouveau pontife, Mgr Pie croit que c'est l'heure de négocier : on le fait avec l'Allemagne, on le fera avec la France[41].

Le cardinal de Bonnechose entend le même conseil, dès la première heure du nouveau pontificat. Il est bon, m'a dit le pape, que la papauté se recueille : le cardinal ajoute : Léon VIII me développa cette grande pensée, qui a certainement son fondement dans l'expansion excessive, la surexcitation, les agitations, le bruit et les combats du pontificat précédent...[42] Au mois de septembre 1879, au plein de la lutte de l'article 7, il se rend à Rome ; il est reçu par le pape ; ce qu'il entend, ce sont encore des paroles d'apaisement qui étonnent un peu le négociateur récent du complot bonapartiste.

Je suis sorti de cette conférence moins triste et moins découragé que je ne l'étais la veille. Il m'a semblé voir poindre des jours meilleurs pour l'Église en Italie et en Allemagne. Mais hélas ! je n'ai pas la même consolation pour la France.

Pourtant, il devra se plier aux directions romaines. Il multipliera les démarches auprès du président de la République, auprès des ministres eux-mêmes, malgré ses répugnances ; et quand il s'agit d'encourager M. Jules Simon dans l'attitude d'opposition que l'éminent sénateur a adoptée à l'égard de l'article 7, c'est le cardinal de Bonnechose qui s'approchera du républicain ; quand il faudra conseiller aux congrégations non autorisées de s'incliner devant les nécessités et de signer, c'est encore le cardinal de Bonnechose qui, avec le cardinal Guibert, transmettra les ordres de Rome. Il faut obéir.

Quant à Mg' Lavigerie, dont l'activité un peu turbulente s'emploie, avec la même assurance, dans des sens divers, il parait avoir trouvé, dès sa première visite à Home, ce même mois de septembre 1879, son chemin de Damas. Le Saint-Père, écrit-il, a des idées à lui en philosophie, en politique, en affaires. En tout, il porte un grand caractère de fermeté et de sagesse. Et le biographe ajoute : Cette sagesse l'inclinait, dès lors, à une politique nouvelle : il voulait essayer de la conciliation avec la République. Telles étaient les vues du pape. Mgr Lavigerie y conforma les siennes, on ne devait pas tarder à s'en apercevoir[43].

Les choses allèrent si loin que le pape Léon XIII fit faire, auprès du comte de Chambord, certaines démarches pour amener le parti légitimiste à déposer les armes dans l'intérêt de la foi et de la religion. Le comte de Chambord fit observer à MM. de Blacas et de Dreux-Brézé, chargés de la commission, que l'Église interdisant le suicide, elle ne pouvait lui conseiller de supprimer sa propre raison d'être en demandant à ses amis de l'abandonner[44].

Le nonce à Paris, Mgr Meglia, fut promu au cardinalat et, après avoir reçu la barrette des mains de M. Jules Grévy, du noble chef de l'État, fut remplacé par un confident intime de Léon XIII, l'esprit le plus souple et le plus dépouillé de préjugés surannés, M Czacki. Le marquis de Gabriac, ambassadeur au Vatican, écrivait le 23 septembre :

C'est un véritable cadeau que, dans sa pensée, à Saint-Père l'ait à la France en se séparant d'un homme qui possède sa confiance entière et en nous le donnant... Le Saint-Père a bon espoir que les difficultés présentes pourront être aplanies dans un esprit de modération et d'équité. Le nouveau venu a les instructions les plus larges ; il ne repoussera personne et il accueillera tous ceux qui viendront à lui[45]...

On verra, en effet, le cardinal, homme du monde, brillant causeur, esprit vif et vigilant, se produire dans les réceptions officielles, fréquenter les ministres, les personnages en vue et faire le siège, notamment, de M. Gambetta. On dit que, par l'intermédiaire du baron des Michels[46], il fit parvenir à Gambetta une lettre où étaient précisées les conditions auxquelles le pape, et par suite le clergé français, consentirait il faire publiquement adhésion à la République. M. liane rapporte qu'on le choisit pour remettre la lettre M. Gambetta et que celui-ci, après l'avoir lue, aurait dit simplement : — Au prix qu'ils veulent y mettre, c'est trop cher !

Dans les partis de droite, certains esprits commençaient à s'étonner et à s'inquiéter de l'attitude adoptée par le Saint-Siège ; beaucoup, par contre, lassés des luttes stériles, se portaient sinon à l'accommodement, du moins il la résignation. Le bonapartisme s'enlisait dans des dissensions de famille. Le comte de Chambord avait essayé de galvaniser, par une lettre du 26 juillet 1879, les débris du parti royaliste : un grand banquet, où devaient se trouver réunies toutes les sommités du royalisme, avait été préparé à Marseille pour le 29 septembre, anniversaire de la naissance du prince. Mais les orléanistes avaient fait défaut[47].

Le banquet eut lieu. M. Baragnon parla et aussi M. de Baudry-d'Asson... Il fut question de poursuites. M. Jules Grévy dit, avec son à-propos et son flegme habituels : — Tout laisser dire, ne rien laisser faire.

 

C'est plutôt parmi les troupes républicaines que la soudaineté de l'offensive prise par le gouvernement à l'égard de l'Église commençait à jeter quelque désunion. De nombreuses manifestations se produisent de la part des hommes les plus sages et les plus respectés : M. Vivenot, M. Henri Germain, M. Casimir-Perier, sénateurs ou députés de gauche, invitaient le gouvernement à la modération.

Mais celui qui reparut alors sur le devant de la scène fut M. Jules Simon.

Depuis le Seize Mai, M. Jules Simon s'était tenu il l'écart et il avait été tenu à l'écart. Les vieilles rancunes de la délégation de Bordeaux subsistaient : on ne lui pardonnait pas d'avoir failli arrêter, en même temps, la personne et la carrière de M. Gambetta. On triomphait de son échec du Seize Mai, où la position qu'il s'était choisie entre les deux partis l'avait conduit à un si complet effondrement. Il était à la côte, pantelant, sans un regard de commisération, car si on lui en voulait de ses fautes, on lui en voulait plus encore, peut-être, de ses talents. Grâce à M. Thiers et aux amis de celui-ci, il axait pu forcer les portes de l'Académie française. Les usages courtois de ces assemblées amollissent, au dire des Calons parlementaires, la fermeté des amer : même les adversaires du duc de Broglie étaient inscrits, bon gré mal gré, au parti des ducs.

M. Jules Simon, philosophe politique, n'était pas un politique philosophe. Il avait eu son heure, mais un peu courte. Quand il passait en revue sa vie de polémiste d'orateur, d'écrivain, il la trouvait égale, au moins, à celle des plus célèbres parmi les hommes qui l'écartaient[48].

M. Jules Simon avait une parole douce, une intelligence vive et un caractère obstiné. Lui et son compatriote Renan sont, comme les rochers de leur Bretagne, de granit, sous leur parure de fleurs. Les mérites de M. Jules Simon étaient éminents, plutôt dans le genre universitaire. Même son courage, son incontestable courage moral, avait quelque chose de livresque. Disciple de Victor Cousin, il se tenait, d'une main déroidie, au dernier promontoire de l'éclectisme, sentant bien que, s'il le lâchait, le libre penseur qu'il était tombait à la mer.

En politique, il s'accrochait plus désespérément encore à une autre doctrine philosophique, le libéralisme. Il y trouvait l'harmonie de ses idées, de ses tendances et de ses sentiments. Homme de cabinet, mais passionné pour la discussion, ayant l'action du cerveau plus que cette du cœur ou du caractère grandi dans l'opposition et diminué au pouvoir, toute sa vie était justifiée, couverte, honorée par le mot : liberté.

M. Thiers mort. M. Jules Simon avait vu M. Dufaure jouer le rôle que, peut-être, il avait désiré pour lui-même ; il avait vu M. Jules Grévy arriver à la présidence de la République. M. Gambetta était président de la Chambre, M. Challemel-Lacour était ambassadeur (et ces titres magnifiques impressionnent toujours les ambitions oratoires) : enfin. M. Jules Ferry avait pénétré, de haute lutte, en ce ministère de l'instruction publique où lui-même, M. Jules Simon, avait passé des heures si douces et laissé des souvenirs si chers.

Ces vainqueurs achevaient et confirmaient leurs victoires en ébranlant tout, en menaçant tout ; leur violence anticléricale détournait des bonnes volontés que le sénateur inamovible rencontrait dans les couloirs du Luxembourg et sous la coupole du palais Mazarin. Dans ces palabres journaliers, les voix chevrotantes faisaient chorus, les chefs chenus branlaient tristement. Ah ! si l'on voulait, comme tout serait facile : que demandait-on, en somme ? que demandaient ces bonnes gens, ces religieuses, ces prêtres, contre lesquels on soulevait le flot des violences populaires ? Seulement continuer à faire le bien : rien que la paix et la liberté. Qui saurait parler pour eux, plaider cette cause juste, digne, humaine ? Le rôle était à prendre ! Quelle thèse ! quelle critique ! quelle discussion !... Et comme la pointe serait mise au bon endroit !

Tout poussait M. Jules Simon. Le cardinal de Bonnechose lui rendait visite, ambassadeur imprévu du libéralisme, à la demande du supérieur des jésuites. Mgr Dupanloup n'avait-il pas dit de M. Jules Simon : — Il sera cardinal avant moi ! Les évêques, Rome, un vœu et un appel ardents se portaient vers lui. En chef expérimenté qui va jouer sa suprême partie, il mesurait de l'œil le terrain et pesait cette arme redoutable, son éloquence, au service d'une telle cause, à une heure si grave. Enfin, il se résout à se jeter dans la mêlée et à faire sentir le ceste du vieil athlète.

La loi relative à l'enseignement supérieur, qui contenait le fameux article 7 interdisant aux congrégations non autorisées de tenir école sur le territoire de la République, avait été renvoyée au Sénat. La commission spéciale, nommée comme d'habitude dans les bureaux, s'était scindée en trois groupes. M. Jules Simon est choisi comme rapporteur. Ayant une position intermédiaire, il peut attaquer l'article 7 avec d'autant plus de force qu'il accepte le reste de la loi.

Le rapport de M. Jules Simon, au nom de la commission, ne sera déposé que le 8 décembre : mais la discussion, le vote, l'attitude prise par l'ancien ministre de M. Thiers, occupent la presse, passionnent le public et créent l'état d'esprit qui décide de l'aspect des choses au moment de la rentrée du parlement. Le gouvernement, pris entre la campagne de l'épuration et la campagne de l'amnistie à gauche, la campagne de l'article 7 à droite, est resserré dans un couloir très étroit. Le rôle de M. Jules Simon, en cette période critique, fut considérable. Pour la première fois, le centre manquait à la solidarité du parti, et c'était un vieux républicain qui prenait la responsabilité de cette scission.

Il faut connaître les raisons de M. Jules Simon : un gouvernement d'opinion a-t-il le droit d'imposer, par l'autorité de l'État, à l'éducation nationale, ses vœux et ses aspirations ? Oui ou non, l'État a-t-il pour mission de créer l'unité morale clans la nation ? Le gouvernement républicain marche-t-il sur les brisées des gouvernements qui se crurent chargés du soin des âmes ? Tout est là. Ballotté de la violence à la faiblesse et de la faiblesse aux révolutions, abandonnera-t-il la formule dont se réclament ses origines : la liberté.

Nous voudrions faire aimer la République[49], dit M. Jules Simon ; vous pensez uniquement à la faire craindre. Nous voudrions la faire désirer ; vous voulez qu'on la subisse. Nous tenons à donner de la sécurité, de la stabilité aux intérêts privés, à assurer l'indépendance des citoyens, à leur inspirer l'amour de l'indépendance, à leur en faciliter la pratique ; à développer, à favoriser par tous les moyens l'esprit d'initiative et l'esprit d'association ; vous êtes, au contraire, préoccupés de ce que vous appelez les droits de l'État, l'unité morale de l'État... Vous allez jusqu'à craindre la diversité des croyances, sans vous apercevoir que, sous ce nom, c'est la liberté elle-même qui vous fait peur...

Cette critique, cette argumentation, si pressante et si séduisante, s'était emparée de l'esprit de M. Jules Simon. Il avait le grand mérite et la haute abnégation d'en user pour la défense de gens qui ne l'avaient pas ménagé ! — Plus la thèse était difficile, plus son talent déployait de ressources.

La thèse libérale est la plus simple, la plus douce, la plus facile et la plus honorable de toutes. Mais, par le fait seul qu'il existe un gouvernement, la liberté a ses limites. Il y a un point où l'organisme politique dit à l'action individuelle : tu n'iras pas plus loin. Qu'il s'agisse des consciences ou de l'éducation des enfants, on retombe infailliblement dans l'éternel débat des droits du magistrat et des droits du peuple.

M. Jules Simon pose la question en ces termes : L'État a-t-il le droit d'exclure du droit d'enseignement ceux dont il juge les doctrines dangereuses ? S'il a ce droit, il n'y a pas de liberté d'enseignement... On peut observer, d'abord, que l'expression doctrines dangereuses est, elle-même, bien dangereuse : où s'arrêtera l'imprudence, parfois la folie de certains éducateurs ? Où s'arrêtera-t-elle et qui l'arrêtera ? M. Jules Simon poursuit : L'État a-t-il le droit d'exclure du droit d'écrire ceux dont il juge les doctrines dangereuses ? S'il en a le droit, il n'y a pas de liberté de la presse. Pourquoi aurait-il sur la parole parlée un droit qu'il n'a pas sur la parole écrite ?

Cette analogie n'est qu'un sophisme. Toute doctrine professée par la parole écrite, et notamment par la voie de la presse, est immédiatement et directement réfutable par les nièmes moyens : tandis que, pour la parole parlée dans la classe, la réfutation, la discussion même est impossible. Le maitre l'a dit : magister dixit. Et, quand M. Jules Simon conclut : Ce sont les deux formes de la liberté de penser... n'est-on pas en droit d'ajouter : — Pour les hommes faits peut-être, pour les enfants, non. Il n'y a pas de liberté de penser à l'école, voilà la vérité ; il y a et il ne peut y avoir autre chose qu'imprégnation de pensée.

M. Jules Simon conclut contre l'autorité exclusive de l'État en démontrant que, par son abus, elle tombe dans le nihilisme ; on pourrait conclure contre celle de l'Église en prouvant que, par son abus, elle tombe dans l'obscurantisme.

La croyance est un mobile des mes que la libre pensée ne supprimera pas et ne remplacera pas : la religion élève, soutient, soulage ; elle adoucit bien des misères ; elle est la sœur émue de la pitié. Mais si, au nom de ce sentiment respectable, certaines autorités, constituées en dehors de l'État, réclament un privilège, et invoquent une liberté — qu'elles refuseraient elles-mêmes — si ces corps constitués revendiquent comme dû ce qu'ils ne peuvent obtenir qu'à titre de concession contrôlable et toujours révocable, l'État, la nation ont le droit et le devoir de défendre leur indépendance et leur intégrité ; et, en fait, sous peine de subordination et de ruine, ils l'ont toujours défendue.

Un tel débat ne peut donc pas être tranché par ce seul mot : liberté. Il y faut des formules plus larges : sagesse, tolérance, humanité.

 

La situation du cabinet Waddington devenait plus pénible chaque jour. Au dedans et au dehors, il paraissait inactif, mou, insuffisant. Pourtant, sa véritable faiblesse n'était ni dans sa constitution ni dans ses actes : elle était dans les compétitions ardentes du parti républicain, compétitions de principes et surtout compétitions de personnes. La majorité était trop nombreuse pour rester unie, et pas assez forte, en présence de la minorité monarchique, pour pouvoir se diviser sans péril. Toute la difficulté de vivre des gouvernements républicains, à partir de cette époque, vient de là. Avec l'appui de la droite, il y a, presque toujours, une majorité de circonstance pour renverser un ministère : mais le ministère constitué est sans cesse menacé par la défection d'urne partie de la majorité républicaine.

Les élections à la Chambre des députés doivent avoir lieu en 1881. Chacun des partis voudrait s'assurer le pouvoir pour cette date. On attribue, en effet, à l'intervention gouvernementale et à l'action des fonctionnaires une autorité prépondérante sur le résultat des scrutins. De là vient également l'importance extrême que l'on attache à la question du personnel, la réclamation incessante de l'épuration. Chaque député travaille pour lui-même ou pour son comité en poursuivant, dans chaque circonscription, les agents publics qui n'ont, pas donné de gages. De cette foule d'intérêts particuliers naissent les coalitions dangereuses aux ministères, à quelque nuance qu'ils appartiennent.

Les modérés ne sont pas sans tourner les yeux vers les troupes électorales de droite, hésitantes et flottantes après la défaite du Seize Mai ; ils ménagent les éléments conservateurs ; tandis que les avancés, s'exaltant dans leur intransigeance, cherchent un appui jusque parmi les socialistes, chez les survivants de la Commune et les revenants de la Nouvelle-Calédonie.

M. Louis Blanc s'est mis, pendant les vacances, à la tête de la campagne.

Trois discours, l'un prononcé à Marseille le 21 septembre 1879, l'autre à Perpignan le 15 octobre, le troisième au lac Saint-Fargeau le 26 octobre, exposent le programme de la gauche avancée. Le premier discours pose les principes : lutte contre le cléricalisme ; l'article 7 n'est qu'un expédient, ce qu'il faut, c'est la séparation de l'Église et de l'État. Lutte contre le bonapartisme : réforme profonde de l'administration. Organisation démocratique de la République : révision de la constitution, suppression du Sénat, suppression de la présidence de la République : liberté de la presse : autonomie communale, service de trois ans, l'armée territoriale transformée en milice nationale ; réforme de la magistrature, tous les citoyens inscrits sur la liste du jury ; instruction primaire obligatoire, gratuite, laïque et professionnelle ; représentation des minorités : impôt unique avec exacte proportionnalité des charges ; suppression de tous les monopoles et concessions privilégiées ; aboli-lion de la peine de mort émancipation civile des femmes ; égalité des deux sexes dans le mariage : divorce.

La réforme sociale est l'objet du discours prononcé à la salle Saint-Fargeau, à Belleville, c'est-à-dire dans la circonscription de M. Gambetta.

La société doit à chacun de ses membres et l'instruction, sans laquelle l'esprit humain ne peut se déployer, et les instruments de travail, sans lesquels l'activité humaine ne peut se donner carrière ; donc, encouragement, par prêts de l'Etat, aux associations ouvrières (c'est le projet de réformes de la commission du Luxembourg), rachat des chemins de fer, transformation de la Banque de France en Banque nationale, développement du droit de réunion et d'association ; centralisation et développement du régime des assurances ; en matière d'assurances, développement d'un système créant une étroite solidarité entre tous les citoyens.

C'est une refonte complète de la société, réclamée à la face de la bourgeoisie, encore maitresse sinon du suffrage, au moins du pouvoir.

Pour appuyer le parti des réformes, ln première mesure, la plus urgente de toutes, c'est l'amnistie pleine et entière pour les condamnés de la Commune (discours de Perpignan, 15 octobre 1879), apologie à peine mitigée de la Commune : elle est née d'un sentiment de patriotisme ; elle a été attisée par les provocations systématiques de l'Assemblée ; les insurgés du 18 mars ont pris les armes, de l'aveu de M. Thiers, pour la défense de la République ; critique acerbe de la répression. Le discours se termine par la citation d'une phrase superbe de Victor Hugo : Il n'est pas de spectacle plus auguste que celui du proscrit, debout à l'horizon, et de la patrie lui tendant les bras.

Les proscrits, rentrés en France, par suite de l'application des premières mesures d'amnistie, s'abstiennent du beau geste. M. Alphonse Humbert, l'ancien rédacteur du Père Duchesne, fait une campagne des plus ardentes dans la Marseillaise ; au Père-Lachaise, parlant sur la tombe d'un amnistié, il vante ceux qui reviennent des bagnes calédoniens, ceux qui, en ont été marqués au front par cette prostituée qui osait s'appeler la justice, etc. Poursuivi, il plaide lui-même sa cause : condamné à six mois de prison, il est élu membre du conseil municipal de Paris (quartier de Javel). A Lyon, un amnistié entre au conseil municipal ; à Lille, un autre est élu au conseil général.

Les Chambres sont convoquées et se réunissent, après quatre mois de vacances, le 27 novembre. La rentrée a lieu à Paris. Le Sénat occupe la salle du palais du Luxembourg et la Chambre des députés, celle du palais Bourbon. Aucun trouble, aucune émotion dans Paris. Les faiseurs de pronostics en sont pour leurs discours.

M. Gambetta a surveillé les événements d'un œil attentif et inquiet. Il déplore les dissensions qui, en détruisant l'unité du parti républicain, enlèvent à ses chefs la force et l'autorité qui ne peuvent naître que de l'union. Il sait que le travail de destruction et de division le vise personnellement. Au moment où son heure approche, on mine, d'avance, le terrain. La campagne de presse contre lui, la campagne de la dictature est plus ardente que jamais. Ses anciens amis, ses amis les plus sûrs commencent à chercher, à trouver des griefs. L'un des plus pondérés et des plus fins, M. Allain-Targé, explique cet état d'esprit à l'égard des nouveaux venus, des députés de province :

J'avais une influence à l'Union républicaine où Hoquet, Brisson et moi, nous exercions une action que cherchait déjà à contrarier le nouvel entourage de Gambetta, des jeunes gens, des députés de province, aspirant à se constituer, avec l'aide de Gambetta, des fiefs, des exarchats clans leurs arrondissements, des candidats aux ministères et aux sous-secrétariats, et aussi des intrigants, des ambitieux faits pour parvenir en sous-ordre, et attendant du pouvoir occulte du président de la Chambre une rapide fortune. Gambetta, installé au palais Bourbon, dans les appartements de Morny, se laissait trop facilement assiéger, circonvenir par cette bande de flatteurs, de parasites et de corrompus, qui s'efforçaient de le mettre en défiance de nous, des maréchaux, comme nous avaient surnommés les intimes, les favoris, les courtisans de celui qu'ils avaient appelé le Patron ou le Dictateur. il n'est pas juste de dire qu'il se laissait dépouiller par ces gens, niais il se laissait amuser et compromettre ; et il se faisait, ii son grand préjudice, une légende exploitée par ses ennemis pour le perdre dans l'opinion du peuple, pour le dépouiller de son prestige, de sa belle réputation de démocrate dévoué, généreux et pauvre[50].

Ces dissensions de l'entourage mettaient de l'hésitation dans le parti. M. Gambetta commence à voir, autour de lui, bien des figures fermées : M. Jules Grévy, M. Jules Simon, M. Jules Ferry, depuis longtemps ; et puis M. Brisson, M. Clémenceau, M. Louis Blanc. Si l'opinion, dans sa masse, lui reste favorable, les symptômes de désaffection ne manquent pas.

Comment fera-t-il pour se réserver toujours, entre les deux camps qui se disputent son concours exclusif ? Est-il avec les modérés, est-il avec les avancés ? Chacun le réclame, le met en demeure, veut l'avoir, le compromettre.

En vue de sauvegarder l'union, M. Gambetta s'est, prononcé pour le rétablissement du scrutin de liste. M. Bardoux préparait une proposition dans ce sens ; il en parlait aux uns et aux autres ; il l'avait soumise au président Grévy, que l'on croyait favorable et qui parut d'abord l'approuver : les sentiments de M. Jules Grévy furent autres, parait-il, quand il eut appris l'adhésion chaleureuse de M. Gambetta.

Dans son allocution de président, celui-ci invite la Chambre au travail : Il faut aboutir. Il craint les discussions qui ne peuvent que compromettre l'existence si précaire du cabinet, hâter des réalisations trop promptes et porter atteinte aux institutions républicaines, si nouvelles et fragiles encore. Il sait qu'on attend le régime ses premières fautes.

Mais l'heure n'est ni au travail paisible, ni aux mesures pondérées. Les Chambres sont revenues nerveuses, après ces trop longues vacances.

 

La veille de la rentrée des Chambres (26 novembre), le gouvernement a publié un rapport rendant compte au parlement de l'application de la loi d'amnistie du 3 mars 1879. La loi a été largement interprétée : on n'a écarté que les coupables de crimes de droit commun ou certains individus particulièrement dangereux, dont l'attitude est telle qu'elle rend, en l'état, toute mesure d'indulgence impossible à leur égard. En somme, le nombre des condamnés pour faits se rattachant à l'insurrection de 1871, non graciés et non libérés, se trouve réduit à 830. Sur ces 830, 65 ont été membres de la Commune, 39 ont commis des crimes de droit commun contre les personnes ; 104 ont commis des crimes de droit commun contre la propriété 521 ont des antécédents judiciaires ; 51 appartiennent à la dernière catégorie des exclus de l'amnistie.

Le gouvernement parait résolu à ne pas aller au delà. Par où le saisir ? M. Waddington prend les devants et s'explique, dès le 2 décembre, sur une interpellation déposée, puis retirée.

Il ouvre la brèche et M. Brisson livre l'assaut (décembre) : le cabinet n'a que des résolutions moyennes : ni principe, ni programme, ni action ; il est impuissant parce qu'il est divisé :

Le grief principal que nous formulons contre lui, c'est qu'il est hésitant et que la majorité est résolue. Notre rentrée à Paris doit être la rupture définitive avec l'ère des timidités ; elle doit inaugurer l'ère des résolutions et des réformes.

M. Waddington répond en faisant le tableau de l'œuvre, en somme considérable, accomplie par le gouvernement en dix mois : amnistie Iris large, retour des Chambres à Paris, lois sur l'enseignement, réorganisation du conseil d'État, travaux publics, questions douanières, ordre maintenu au dedans, paix avec dignité au dehors. Les fonctionnaires ? On a l'ait beaucoup : on fera plus encore. La magistrature ? On examinera scrupuleusement les cas particuliers, et le cabinet ne se refuse pas de plano aux mesures générales.

On a reproché au cabinet actuel son manque d'homogénéité. Au sens littéraire du mot, il n'y a de cabinet homogène que celui qui exécuterait les volontés d'un dictateur... Si nous cédions la place à M. Brisson et à ses amis, ils ne pourraient pas former un cabinet homogène. Si M. Brisson veut présider aux élections de 1881, il faudrait qu'il s'appuyât sur ceux de ses amis qui demandent le remaniement de la constitution, la suppression du Sénat, l'abrogation du concordat, la nomination des maires par tous les conseils municipaux, même à Lyon, même à Paris ; la liberté absolue de la presse.

M. Allain-Targé dépose un ordre du jour au nom de la gauche républicaine ; M. Devès, un ordre du jour de confiance au nom de l'union républicaine. C'est la coupure, au milieu même des amis de M. Gambetta. Celui-ci laisse l'aire. Il n'a pas voulu répondre à la double sommation de M. Waddington, d'une part, et de M. Il. Brisson, de l'autre. Il ne juge pas que son heure soit venue.

L'ordre du jouir de l'union républicaine est adopté par 224 voix contre 97 sur 318 votants. La droite s'est abstenue. Le ministère est sauvé. Non. Il ne peut pas vivre d'une vie si précaire et, en quelque sorte, tolérée.

Le 11 novembre, M. Le Royer, ministre de la justice, qui ne petit accepter l'injonction de la Chambre au sujet de la réforme de la magistrature, donne sa démission ; il est suivi dans sa retraite par le sous-secrétaire d'État, M. Goblet.

Tandis que le cabinet cherche à reprendre son équilibre, il est harcelé. M. Lockroy interpelle sur l'amnistie. C'est M. Le Royer (quoique démissionnaire) qui répond. Vous nous reprochez d'être dans l'ère des timidités, prenez garde d'inaugurer l'ère des témérités. Discours violent et ordre du jour de biffure de M. Clémenceau. L'ordre du jour de confiance est voté péniblement.

Interpellation de M. Achard au ministre de la guerre sur le traitement à appliquer aux officiers de l'armée territoriale qui se livrent à des manifestations politiques — allusion au discours prononcé dans un banquet légitimiste par M. de Carayon-Latour —. Un nouveau député, M. Raynal, développe l'interpellation avec un talent remarquable. Le général Gresley répond qu'il ne peut pas ne pas tenir compte de l'avis du conseil d'enquête qui a été saisi. Là-dessus, le général descend de la tribune et, sans rejoindre son banc, quitte la salle des séances.

M. Raynal dépose un ordre du jour de blâme. Le gouvernement doit se contenter de l'ordre du jour pur et simple, voté par 244 voix contre 163. La majorité compte de nombreuses voix de droite.

 

Le même jour, 26 décembre, la session extraordinaire de 1879 est close par décret du président de la République.

Le budget de 1880, voté au Sénat sans sérieuses difficultés, a été promulgué le 21 décembre. Le ministère parait hors d'affaire.

Le lendemain de la séparation, 27 décembre, le Journal officiel publie la note suivante :

Les ministres et les sous-secrétaires d'État ont remis leurs démissions entre les mains de M. le président de la République, qui les a acceptées.

M. le président de la République a fait appeler M. de Freycinet et l'a chargé de former un nouveau cabinet.

Le cabinet Waddington était mort de la situation qu'il avait usurpée à la tête des partis, de son impuissance congénitale et des dissensions que son avènement avait accrues dans la majorité républicaine.

 

 

 



[1] Cet excellent M. Dufaure, écrit M. Léon SAY, est comme un poisson rentré dans l'eau depuis qu'il n'est plus ministre. J'ai cru qu'il allait m'embrasser, à la face de nos concitoyens, comme dit Joseph Prudhomme, quand nous nous sommes rencontrés tout à l'heure au Sénat. Il s'est fait jouer, hier au soir, une sonate par sa fille et Sauzay, et il a dit à Sauzay : Il n'y a que deux états : avocat ou artiste.

[2] J. REINACH, Le ministère Gambetta (p. 24).

[3] Ch. FLOQUET, Discours et Opinions, t. I (p. 198). — V. critique du programme radical, article de LITTRÉ, Revue positiviste de mai 1879.

[4] Sous M. J. Ferry. M. Zévort est délégué dans les fonctions de directeur de l'enseignement secondaire ; M. Ferdinand Buisson est directeur de l'enseignement primaire ; M. Gréard, recteur de l'université de Paris.

[5] MICHEL, Léon Say, t. II (p. 448).

[6] V. Gambetta inconnu, par André LAVERTUJON, 1905, in-8°.

[7] V. le livre ému de M. E. GEFFROY, L'Enfermé (p. 422).

[8] TOURNIER, Gambetta ; Souvenirs (p. 217.)

[9] V. GOYAU, Le Patriotisme à l'école.

[10] V. Francis LAUR, Le Cœur de Gambetta.

[11] Revue de Paris (p. 67).

[12] FIDUS affirme que le cardinal de Bonnechose, à Rouen, eut un télégramme le 20, à une heure trente : peut-être une heure trente de la nuit.

[13] HÉRISSON, Le Prince impérial, 1890, in-12 (p. 246).

[14] V. la lettre du duc de Cambridge au commandant en chef de l'armée du Cap, lord Chelmsford, dans HÉRISSON (p. 263) : Le prince a manifesté le désir d'être enrôlé dans notre armée, mais le gouvernement a considéré comme impossible de satisfaire ce désir. Toutefois, le gouvernement m'autorise à vous écrire, à vous et à sir Batte Frere, pour vous prier de lui témoigner de la bienveillance et de lui prêter assistance pour qu'il puisse suivre, autant que cela sera possible, les colonnes de l'expédition.

[15] HÉRISSON (p. 359).

[16] ANDRIEUX, Mémoires d'un préfet de police, t. Ier (p. 83 et suivantes).

[17] Vie du cardinal Lavigerie, t. II (p. 40).

[18] MICHEL, Léon Say (p. 346).

[19] V. MICHEL, Léon Say (p. 330 et suivantes).

[20] Comte Joseph GRABINSKI, Alexandre de Battenberg, Correspondant du 25 décembre 1893.

[21] RATZENHOFFER, Sur l'occupation de la Bosnie et de l'Herzégovine. — V. aussi baron DE STILGLITZ, L'Italie et la Triple Alliance (p. 144).

[22] Circulaire roumaine (13-25 juillet 1874). — Livre jaune, 1879 (p. 21).

[23] Souvenirs de carrière (p. 170).

[24] DE FREYCINET, La question d'Égypte (p. 171).

[25] En deux ans et demi, au plus fort de la crise, de novembre 1876 à juin 1879, la légation de France fut occupée par quatre titulaires. MM. des Michels, Raindre, Godeaux et Tricou. Le personnel anglais resta le même pendant plus de vingt ans.

[26] Souvenirs, t. II (p. 284).

[27] Souvenirs, t. II (p. 293).

[28] Le prince de Bismarck avait commencé, aussitôt après le congrès de Berlin, par s'entendre avec le comte Andrassy pour l'abolition de l'article 5 du traité de Prague, effaçant ainsi le dernier souvenir de la guerre de 1866.

[29] Souvenirs, t. II (p. 260).

[30] On a dit aussi que l'initiative de l'entrevue émana de l'empereur Guillaume. Le prince de Bismarck s'irrita beaucoup des propos tenus par le prince Gortschakoff dans une interview, à Bade. On laissa dire par M. de Blowitz, dans le Times (1er novembre), qu'à Alexandrowo le tsar se plaignit auprès de l'empereur Guillaume de l'altitude de l'Allemagne et avait écrit cette phrase : Le chancelier de Votre Majesté a oublié la promesse de 1870. Rien n'était plus blessant pour l'opinion allemande qu'un tel rappel ainsi formulé et rendu public.

[31] Souvenirs, t. II (p. 250).

[32] Souvenirs, t. II (p. 290).

[33] L'acte fut signé à Vienne, le 7 octobre 1879, par Henri VII, prince de Reuss, ambassadeur d'Allemagne, et par le comte Andrassy. Il a été renouvelé en 1887 et publié, à Berlin et à Vienne, le 3 février 1888. — Seule, en effet, la Russie est nommée dans l'acte, qui prend ainsi, un caractère plus spécialement favorable à l'Autriche : D'après l'article Ier, si l'une des puissances est attaquée par la Russie ; les parties contractantes se prêteront mutuellement secours de toutes leurs forces militaires et ne concluront la paix que simultanément. — Si l'un des pays contractants est attaqué  par une autre puissance, l'autre s'oblige non seulement à ne pas porter secours à la puissance agressive, mais à observer une neutralité bienveillante. Mais si la Russie soutient d'une manière quelconque le pays agresseur, le traité entre en vigueur. Les deux puissances comptent sur les sentiments pacifiques de la Russie, mais sont d'accord pour avertir le tsar Alexandre, ne fût-ce que confidentiellement, devront considérer tonte attaque contre l'un d'eux comme si elle était dirigée contre les deux. — Le caractère du traité est donc bien conforme à l'appréciation de Bismarck dans ses Souvenirs. L'entente donna lieu à une convention commerciale.

[34] Souvenirs, t. II (p. 292).

[35] Le Temps du 27 septembre 1879.

[36] LEFEBVRE DE BEHAINE, Léon XIII et le prince de Bismarck, (p. 104).

[37] Je pensais bien qu'il fallait mettre sur le compte des liens du sang la sympathie dont je fus l'objet dans l'empire allemand, mais au Sud plus qu'au Nord, parmi les conservateurs que dans l'opposition, dans l'Ouest catholique plus que dans l'Est protestant. Souvenirs, t. II (p. 289).

[38] Sur l'état misérable où était la cause catholique en Europe, à l'avènement de Léon XIII, lire le discours préliminaire au Recueil des discours du pape LÉON XIII, par le R. P. DON PASQUALE DE FRANCISCIS (Plon, 1884, in-8°, p. VII). — Voir, par contre, l'ouvrage de l'abbé BARRIER, Le progrès du libéralisme catholique sous le pape Léon XIII ; Le pape du possumus, t. I (p. 101).

[39] Voir, notamment, l'éloge de Pie IX dans l'Allocution du pape Léon XIII aux cardinaux venus en corps pour le féliciter (28 mars 1878, p. 9), et l'Allocution, si importante, aux représentants des journaux catholiques, du 22 février 1879 (p. 82). Nous aussi, suivant l'exemple de nos prédécesseurs, Nous ne cessons d'affirmer et de revendiquer ces droits et Nous ne cesserons jamais de le faire. Mais il est déjà remarquable que ce soit à des journalistes que ce discours soit adressé.

[40] DE FRANCISCIS, Discours préliminaire (p. X).

[41] Mgr BAUNARD, Histoire du Cardinal Pie, t. II (p. 636).

[42] Mgr BESSON, Vie du cardinal de Bonnechose, t. II (p. 296).

[43] Mgr BAUNARD, Vie du cardinal Lavigerie, t. II (p. 40).

[44] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ, Notes et Souvenirs (p. 171 et suivantes).

[45] DEBIDOUR, t. t (p. 231), citant les Archives des affaires étrangères, Rome.

[46] DEBIDOUR, t. I (p. 232), citant des articles de RANC, La France noire (p. 224).

[47] Lettres du comte DE CHAMBORD (p. 338) ; DREUX-BRÉZÉ (p. 271).

[48] Jules SIMON, Dieu, Patrie, Liberté. Le parti autoritaire (p. 179).

[49] Pour l'exposé de la thèse de M. Jules Simon, voir, à la fois, son rapport à la commission, DANIEL, 1879 (p. 389), et son ouvrage, Dieu, Patrie, Liberté.

[50] Le ministère Waddington. Extrait des Souvenirs d'ALLAIN-TARGÉ, dans la Revue de Paris, octobre 1903.