HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

III. — LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL MAC MAHON

LA CONSTITUTION DE 1875

CHAPITRE VIII. — LE PREMIER CABINET DUFAURE.

 

 

La première session. — La majorité. — M. Dufaure ; son caractère, sa situation. — Constitution du cabinet, Dufaure. — La déclaration ministérielle. — Divisions dans la majorité. — Vérification des pouvoirs. — Tactique de l'extrême gauche : elle demande l'amnistie. — M. Gambetta élu président de la commission de finances. — Une exposition universelle est décrétée pour 1878. — Premières lois républicaines. — Mouvement administratif. — Mort de M. Ricard il est remplacé au ministère de l'intérieur par M. de Marcère. — Débat sur l'amnistie. — Élections législatives complémentaires. — Au Sénat, discussion sur la portée du droit de révision. — La loi sur l'enseignement supérieur est modifiée par la Chambre ; quant à la collation des grades. — M. Buffet est élu sénateur inamovible. — Surexcitation des partis. — La loi des maires est votée à la Chambre. — Désaccord entre M. Jules Ferry et M. Gambetta. — La loi sur la collation des grades au Sénat ; elle est repoussée. — Conflit entre les deux Chambres. — Discussion du budget de 1877. — Démission du général de Cissey ; il est remplacé au ministère de la guerre par le général Berthaut. — Clôture de la session ordinaire. — Les vacances. — Élections partielles. — Le maréchal de Mac Mahon aux manœuvres d'armée. — Incident avec le Vatican. — La France et l'Italie. —- Discours politiques. —- Le congrès ouvrier de Paris. — La session extraordinaire de 1876. — Cessation des poursuites consécutives à la Commune. — La réformé de l'impôt. — Le budget. — M. Chesnelong, sénateur inamovible. — Le Sénat repousse le projet de loi sur les poursuites de la Commune. — Chute du ministère Dufaure.

 

I

Les conditions matérielles expliquent souvent les dispositions morales. Avant le 8 mars 1876, la France était gouvernée par l'Assemblée nationale siégeant dans le palais des rois, à Versailles : le président et les ministres n'étaient que des délégués.

A partir de mars 1876, la France inaugure le régime parlementaire : deux Chambres coexistent ; le pouvoir exécutif a une autorité constitutionnelle.

Les deux Chambres siègent Versailles : le Sénat, dans la salle de l'Opéra, où l'Assemblée nationale avait tenu ses séances ; la Chambre des députés dans une salle, construite pour elle, dans la cour du midi.

De celle vie prolongée aux mêmes lieux, il tombe sur le régime nouveau une influence, un sortilège du passé. Certaines habitudes acquises, des plis, des façons d'être, de penser et d'agir s'imposent à lui et pèsent sur son avenir, si tendre encore.

A Versailles, le Sénat est chez lui. La plupart des sénateurs ont appartenu l'Assemblée nationale. Dès la première séance, les figures connues se saluent d'un banc l'autre. Amis, adversaires, se serrent la main. Les groupes se reforment. On reprend les propos familiers, les confidences interrompues. Tous ensemble, ils font corps. Le long contact a poli les angles. D'un mouvement réflexe, ils subissent la mécanique du métier : ils vont et viennent du palais à la gare et de la gare au palais, selon l'horaire accoutumé. Ils allument, en passant, le cigare ou la cigarette dans le même bureau de tabac. Leur vie particulière s'est aménagée selon les nécessités et les rites de leur vie publique. Ces hommes âgés trottent menu le long des boulevards déserts, qui ne s'étonnent pas de les revoir.

En séance, le troupeau se range de lui-même aux prescriptions du règlement. Ils savent d'avance ce qu'on va dire : leur opinion est faite. Ils ont éprouvé la vanité des discours : ils escomptent les effets de leurs orateurs ordinaires. Le Sénat, c'est l'Assemblée nationale qui se survit... et ce résultat est précisément celui qu'avaient voulu les auteurs de la constitution.

La Chambre tics députés est tout autre : composée principalement d'hommes nouveaux, impatients, le cœur agité encore des derniers tumultes de la lutte électorale. Du fond de leurs provinces, ils sont accourus pour prendre Paris d'assaut : on les cantonne à Versailles !

D'abord, le court voyage dans ce printemps naissant, au sourire incertain des premiers soleils, ressemble à une partie de campagne. Bientôt, ils s'irritent. Cette vie monotone et énervante, ces démarches journalières et rythmées, ces jardins rectilignes, ces avenues solennelles, tout les ennuie : le palais n'est, pour eux, qu'une vaste galerie des Tombeaux. Le retour à Paris, le soir, est lugubre, et le départ pour Versailles, le matin, phis lugubre encore.

Le Sénat, trop voisin, a l'œil sur sa pupille, la Chambre des députés. Elle se sent surveillée, suspecte : morigénée si elle bronche. Ses débats et ses votes sont, des pensums soumis à correction et qui passent sous la férule. Pourtant, elle est la plus forte : elle est, la jeune reine, saluée et couronnée hier par le suffrage. Quelle pitié de lui avoir donné, pour camarade de lit, ce Sénat chenu, en cet endroit somptueux et maussade !

Le président de la République, qui, officiellement, doit demeurer à Versailles, est, en fait, installé à Paris, au palais de l'Élysée. Maréchal de France, duc de Magenta, survivant de la monarchie de Juillet et du second empire, parent, allié ou ami des familles du faubourg, institué depuis trois ans par l'Assemblée nationale, consacré à nouveau par les doubles élections soit sénatoriales, soit législatives, où son nom a été si souvent invoqué, muni, par la constitution elle-même, d'une double autorité personnelle, le septennat incommutable et l'initiative du droit de révision, le maréchal de Mac Mahon est, lui aussi, d'une autre époque.

L'Élysée. En tout cas, il est d'un autre monde. L'Élysée était à l'égard de la République comme une sorte de camp ennemi. Presque aucun membre des gauches n'y allait, et si on y entrait, l'air ambiant ne vous mettait pas ii l'aise. La haute société parisienne, celle du faubourg Saint-Germain, entourait Madame la Maréchale, ce qui était fort naturel, et n'était de nature à gêner personne. Mais ce monde brillant n'Y était pas attiré seulement par les relations anciennes : il y mettait quelque affectation et faisait entendre qu'il était lia chez lui et que les autres y étaient quelque peu des intrus. Je crois que les maitres de la maison auraient préféré qu'il en fût autrement. Mais ils n'y pouvaient guère[1].

L'Élysée représente ce qui reste en France de l'esprit monarchique. C'est encore une cour. Sur le Paris du luxe, des fêtes, de l'élégance, sur le Paris qui n'est pas seulement le Paris électoral, mais le Paris capitale, le Paris mondain, le Paris cosmopolite, le président, avec ses façons simples et ses manières cordiales, est une survivance : il règne.

Entre l'Élysée et Versailles, entre le président et le parlement, entre ces talons rouges finissants et ces démocrates issants, M. Dufaure fait la navette. Il porte la redingote, l'éloquence et le gallicanisme de 1830.

Il avance sur la corde raide de ce parlementarisme singulier, tiré, d'un côté. par le suffrage universel, de l'autre, par la tradition ii laquelle il appartient lui-même. Il faut, unir, combiner ces dissemblances et ces divergences. Véritable tour de force et, d'équilibre parmi tant de passions violentes, tandis qu'au dessous de cette marche risquée s'ouvre, l'abime et s'élève h' cri vertigineux des foules.

 

Avant même que la Chambre fût élue tout entière, dans l'intervalle des deux scrutins, M. Gambetta, devinant que l'on forgeait dans l'ombre les entraves de la future majorité, avait prononcé à Lyon un discours magistral qui était tout à la fois une précaution, une offre et un avertissement.

Il se croyait maître de la situation. En cela, il se trompait. Son autorité avait été battue en brèche avant d'être consacrée. L'Élysée, et les droites, M. Thiers et le centre gauche, M. Grévy et les gauches modérées, M. Madier de Montjau et les gauches avancées, autant, de forces rivales avec lesquelles il devait compter. Les pièges étaient tendus au-devant de ses pas.

Le premier avait été la constitution du ministère.

N'était-ce pas, pourtant, la chose du monde la plus naturelle ? M. Buffet cédant la place, on lui substituait M. Dufaure, l'homme dont la fidélité républicaine et l'autorité libérale avaient tracé et défendu la frontière que les adversaires n'avaient pu franchir. M. Dufaure avait été au péril, on l'appelait à l'honneur.

Outre ses qualités de parlementaire vraiment supérieures, M. Dufaure avait un mérite incomparable : il était rassurant. — rassurant pour le maréchal, rassurant pour la portion timorée de la bourgeoisie, qui se détournait, non sans se retourner de ses sympathies antérieures et qui s'avançait en tremblant vers les idées nouvelles. M. Dufaure, escorté par M. Léon Say, c'étaient les anciennes classes dirigeantes et la haute banque veillant sur les premiers pas de la jeune République. Tuteurs sévères, mais indispensables, croyait-on.

M. Dufaure, né en 1798, avait alors 78 ans. Que cet homme se fût maintenu, à travers les vicissitudes d'un siècle agité, à la hauteur où il pouvait toujours être utile sans être indispensable, respecté sans être populaire, il le devait à sa haute valeur morale, à son rare talent et à sa parfaite intégrité. Bourgeois et basochien de la tête aux pieds, le corps mal fait, les jambes grêles, la tête grosse, les sourcils en touffe, la mâchoire carrée, les lèvres lippues, le teint parcheminé, la figure rasée, la voix aigre et nasillarde, on l'eût pris pour un comique, si l'âme ne se fût révélée, au regard clair et droit, à la démarche, à l'allure, où s'affirmaient le piéton robuste et le dangereux lutteur. Il avait une force tranquille qui était son éloquence et une action intense qui venait de sa vigueur naturelle ; avec cela, un ton, une ironie latente où l'on sentait sourdre la verve gauloise : bourgeois, mais fameux bourgeois !

Son art oratoire est décrit en termes excellents, par un homme qui fut son confrère et son ami. Chez lui, la pensée, le langage, l'accent, le geste et la voix s'unissaient comme dans une étreinte et dans une pesée puissante à laquelle rien ne pouvait résister. Le mot était juste, le sens précis, la langue forte et saine, sans autre ornement que son incomparable clarté. Puis, par instants, dans une subite échappée sous la détente de l'étau qui tenait et serrait tout le discours, un mouvement qui s'animait jusqu'à la violence ; une phrase émue qui faisait trembler ces lèvres épaisses et secouait ces grosses mains velues ; un trait acéré, terrible et court, qui allait droit au but et restait dans la blessure. M. Dufaure fut un des maitres de l'éloquence réaliste.

Il était né en ces bonnes terres de Saintonge où, aux approches de la France girondine, les esprits savoureux et les natures pondérées mûrissent. Comme de Sèze, Martignac et Laîné, il avait été une des gloires du barreau de Bordeaux : prisonnier, d'ailleurs, pour toute sa vie, de cette illustre origine. Libéral sous Louis-Philippe et sous le prince-président, adversaire du second Empire, ami de M. Thiers, — non sans prendre la mesure du petit grand homme et le juger ; — défenseur de Montalembert et de Mgr Dupanloup à la barre des tribunaux impériaux ; croyant sincère, avocat fervent, bâtonnier de l'ordre, membre de l'Académie française, il était resté toujours dans les régions moyennes et tempérées ; mais lit, excellent et éminent, ferme et courageux : se refusant, il l'empire libéral, comme il devait se refuser plus tard au 24 mai : saisissant la nuance par où les causes s'exagèrent et se perdent, trouvant le joint oh, par la prétention, elles touchent au ridicule. Ayant, au besoin, des paroles nombreuses, au besoin, des silences utiles, il était un parlementaire précieux et redoutable par le labeur, l'application et l'emporte-pièce. M. Thiers qui le comparait à un chien de garde, ajoutait qu'il mordait surtout les gens de la maison !

M. Durango était le meilleur ministre que pussent fournir les classes moyennes : mais il n'était que cela : homme secondaire, comme il disait lui-même, à son lit de mort, avec une belle et grave modestie[2].

Entre ce prophète du passé, tremblant encore des souvenirs de 1793, qui lui étaient presque contemporains, et les représentants d'une jeune démocratie enivrée d'avenir, quel contraste, quelles antinomies. Pourtant, c'était M. Dufaure que l'Élysée, avait investi entre les deux tours de scrutin.

Il y avait eu, au for de cette décision, une arrière-pensée, ignorée certes de M. Dufaure, mais qui se-cachait sous une raison de sagesse pratique, à savoir qu'il faut ménager les transitions. En fait, le dessein était de biaiser avec la volonté du pays et, comme l'avait indiqué le duc de Broglie, d'attendre la Chambre à ses premières fautes.

Il est difficile de savoir si l'on examina à l'Élysée le, projet de faire appel au leader le plus important de la majorité future, M. Gambetta. Il y eut quelques tentatives : un déjeuner où M. Gambetta reçut des familiers de la présidence. M. Duclerc a voulu rapprocher Gambetta de moi, a dit le maréchal, à la fin de cette année 1876 ; il m'a un jour proposé-une entrevue et, pour qu'on ne fît, pas courir de bruits, je devais me rencontrer, comme par hasard, au bois de Boulogne avec lui. Mais je n'ai pas voulu, pas plus que je n'ai voulu d'une autre entrevue[3]...

Peut-être était-on arrêté à l'Élysée non seulement par des préjugés anciens, mais par la nécessité d'entrer en conversation préalable avec M. Thiers. Le maréchal disait encore : Je ne pourrais pas nommer M. Thiers ministre, je ne pourrais que me retirer devant lui. Quoi qu'il en soit, rien ne perça dans le public. M. Gambetta en fut pour ses avances, et la marche adoptée prouve que les conseils du duc de Broglie, furent suivis de point en point.

Il y avait tout avantage a mettre la Chambre et le pays en présence d'un fait accompli. Le président de la République pria donc M. Dufaure de constituer le nouveau cabinet. Un incident remarquable dévoila immédiatement les tendances de l'Élysée. La première pensée de M. Dufaure avait été de confier le portefeuille de l'intérieur à M. Casimir-Perier. On avait même prononcé le nom, peu sympathique au maréchal, de M. Jules Simon. C'eut été un cabinet de gauche et non pas seulement de centre gauche : on se fût rapproché sensiblement de l'axe probable de la majorité. Mais M. Casimir-Perier ayant fait connaître sa résolution de ne pas gouverner avec le personnel de M. Buffet, les pourparlers avaient été rompus brusquement et M. Dufaure avait proposé le ministère de l'intérieur à M. Ricard.

M. Ricard avait joué un rôle dans le vote de la constitution : c'était un homme de cœur et de talent, mais il était de notoriété assez mince et d'opinion très modérée : or, le cabinet, avec MM. Dufaure et Léon Say, était uniquement centre gauche. M. Ricard venait d'échouer à Niort, aux élections législatives, battu par un bonapartiste. Le choix ne s'imposait donc pas et, malgré les sympathies réelles qui entouraient M. Ricard, la surprise parmi les groupes de gauche alla presque jusqu'au mécontentement. : Ce n'est pas un ministère de majorité, écrivait la République française, c'est un ministère de coterie.

Le ministère, constitué par une série de décrets parus le 10 au Journal officiel et datés du 9, était composé ainsi qu'il suit :

Présidence du conseil avec la justice et les cultes : M. Dufaure.

Intérieur : M. Ricard.

Affaires étrangères : Duc Decazes.

Instruction publique : M. Waddington.

Finances : M. Léon Say.

Travaux publics : M. Christophle.

Commerce : M. Teisserenc de Bort.

Guerre : M. de Cissey.

Marine et Colonies : Amiral Fourichon.

Par décret en date du 11 mars, M. de Marcère était nommé sous-secrétaire d'État à l'intérieur en remplacement de M. Desjardins. M. Louis Passy ne quittait pas les finances.

Dufaure prit le titre de président du conseil, affirmant ainsi l'avènement du régime nouveau. Le duc Decazes restait aux affaires étrangères et, le maréchal de Cissey à la guerre, par la volonté déclarée du maréchal de Mac Mahon. On connaissait mal dans le public les dissentiments qui s'étaient produits au sein du ministère précédent entre M. Buffet et le duc Decazes. Celui-ci était le dernier tenant de la politique du 24 mai. M. Thiers disait à qui voulait l'entendre que le maintien du duc Decazes aux affaires étrangères était un scandale.

Tout est achevé, quand les Chambres se réunissent, le 8 mars, à Versailles.

Les personnalités désignées ne prêtaient en somme aucune critique immédiate. La gauche entière respectait le nom de M. Dufaure. Que faire, sinon attendre le ministère à ses paroles et à ses actes. La constitution hâtive du cabinet causait une première déception, semait des germes de division et mettait la majorité de gauche en porte-à-faux pour ses premiers pas.

Ce n'était pas si mal manœuvré !

Du 9 au 13 mars, les formalités initiales sont remplies dans les deux Chambres. Nomination des bureaux : le duc d'Audiffret-Pasquier est élu président par le Sénat avec 203 voix ; vice-présidents : M. Martel (250 voix), M. Duclerc (242 voix), M. Audren de Kerdrel (152 voix) et le général de Ladmirault (189 voix). A la Chambre, M. Jules Grévy est élu président par 462 voix sur 468 votants. Sont élus vice-présidents : comte de Durfort de Civrac (378 voix), MM. Bethmont (349 voix), Rameau (339 voix), Lepère (335 voix). MM. Gailly, Denfert-Rochereau et Faye sont désignés comme questeurs. Les secrétaires sont MM. Lamy, Chiris, Sadi Carnot, Savary, Rouvier, le prince de Léon, Clémenceau et le duc d'Harcourt : la fournée de l'avenir.

M. Thiers, élu sénateur à Belfort et député dans le IXe arrondissement à Paris, opte pour Paris.

Les allocutions des présidents sont brèves. On attend avec impatience la déclaration ministérielle. Elle est lue, le 14 mars, au Sénat, par M. Dufaure, garde des sceaux, sénateur : à la Chambre, par le duc Decazes, ministre des affaires étrangères, député.

C'est un exposé consciencieux et nourri, un programme de travail parlementaire, une table des matières constitutionnelles et législatives, un dossier déposé sur le bureau du parlement. Cela n'échauffe pas des esprits déjà froids.

Le premier mot que prononce le vieux routier Dufaure, de sa voix nasillarde, est destiné à satisfaire l'Élysée, mais pourrait faire cabrer la Chambre : Choisis par le président de la République pour exercer en son nom les pouvoirs que la constitution lui confère, nous avons attendu votre organisation... etc. C'était affirmer hautement l'autorité indépendante du pouvoir exécutif. Mais cela passe : tout passe.

Le long mémoire est assaisonné de déclarations républicaines ; la proclamation des saintes lois de la religion, de la morale et de la famille, de la propriété inviolable et respectée, du travail encouragé et honoré fait la contrepartie indispensable.

On s'appesantit sur le budget, les traités de commerce, le régime économique à fixer, la reconstitution de l'armée et de la marine à poursuivre. On glisse sur les questions brillantes, la question du personnel, la question cléricale ; à peine une allusion à la loi de l'enseignement supérieur et à la loi des maires, tant reprochées aux gouvernements antérieurs. Tout cela est sage, mesuré, édulcorant, émollient. M. Dufaure est rassurant.

Des applaudissements modérés accueillent cette lecture tempérée. En somme, l'heure des messages présidentiels est passée. On a allure à des ministres, à des égaux. On se retrouvera.

Le Sénat donne une marque d'encouragement au nouveau cabinet en élisant, le 15 mars, M. Ricard sénateur-inamovible en remplacement de M. de La Rochelle, décédé.

Le contact est pris entre le parlement et la présidence par une visite que les bureaux des deux Chambres rendent, le 18 mars, au maréchal de Mac Mahon, en l'hôtel de la présidence, à Versailles.

Maintenant, au travail.

 

A peine les deux Chambres étaient-elles en session qu'une première conséquence du scrutin d'arrondissement apparut ; les forces parlementaires, au lieu de se grouper en un puissant faisceau, comme l'aurait voulu M. Gambetta, s'éparpillèrent. L'esprit de coterie avait beau jeu.

La question fut posée avant l'ouverture du parlement, dès le 7 mars, par M. Gambetta. Il faut, disait-il, que chacun de nous puisse parler au nom de la majorité tout entière d'une majorité qui n'est pas seulement celle des assemblées, mais qui est, aussi celle de la nation. L'orateur prestigieux, le chef de parti, était fier de son quadruple succès. Aidé par les nombreux collègues qui avaient réclamé de lui l'investiture, emporté par la joie du triomphe, il aborde de front la difficulté et prend l'initiative de convoquer, pour le 7 mars, une assemblée plénière des gauches. La réunion échoua. Première déception.

 Le 12 mars, sur une seconde convocation, plus de 300 membres du parlement, sénateurs et députés de gauche, sont présents. M. Gambetta expose l'objet de la réunion. Il s'agissait de grouper toutes les forces du parti et, par l'entente réalisée, de parer au péril de la division, escomptée par les adversaires. M. Gambetta prend à partie le cabinet ; il se découvre peut-être un peu vite : En face d'actes politiques aussi graves et aussi incorrects auxquels on assiste depuis trois jours, il est impossible que la majorité reste impassible, muette, passive... On dit qu'on saura mettre la nouvelle majorité à la raison... Je ne veux pas provoquer la chute du cabinet, mais je suis étonné que les conditions de M. Casimir-Perier aient été rejetées et qu'il ait trouvé des successeurs. Je ne me plains pas des ministres qui entrent, mais je me plains de ceux qui ne sortent pas : donc, pas de défiance, mais pas de confiance.

M. Gambetta, comme tout le monde d'ailleurs, était gêné. On incriminait publiquement ses ambitions impatientes, ses allures dictatoriales. L'extrême gauche l'appuyait encore parce qu'elle espérait dominer, par  lui, le groupement puissant qu'il désirait former. Les partis plus modérés, au contraire, s'inquiétaient. Ils craignaient d'apeurer l'opinion. Ils préféraient procéder par étapes. Ils sentaient l'avantage de multiplier les combinaisons possibles et de prolonger le jeu de bascule où les moindres oscillations des groupes du centre décideraient de la majorité et seraient profitables.

Sous cette opposition latente, on sentait l'action des grands chefs : M. Thiers, M. Jules Grévy, M. Jules Simon. M. Jules Ferry, toujours net, expliqua les réserves de ses amis, en prenant possession, le 19 mars, de la présidence d'un des groupes reconstitués, la gauche républicaine : Pour rester unis, vraiment unis, unis sans trompe-l'œil, le vrai moyen, dit-il, est de rester distincts. Ce n'est pas là diviser le parti, c'est le fortifier en le classant. La discipline, sans laquelle le système parlementaire n'est, que hasard et anarchie, ne s'apprend et ne se consolide que dans les groupes séparés, limités, en assemblées homogènes de composition : les transactions entre les extrêmes ne s'opèrent que par l'action des éléments intermédiaires...

C'était, donner la prépondérance aux éléments intermédiaires : c'était retarder, par prudence, l'avènement que M Gambetta eût voulu précipiter par résolution. Cette heure fut. la mère de bien des années de luttes, de débats graves, de souffrances durables et peut-être nécessaires. Les amis de M. Gambetta dénoncent à l'histoire les manœuvres, les intrigues, les misérables méfiances[4] qui s'élevèrent contre le dessein du chef. M. Gambetta disait lui-même : Le présent et l'avenir démontreront, soyez-en certains, quelle faute on a commise en morcelant, en divisant la majorité républicaine... Je crois que nous devons garder notre liberté d'action jusqu'à ce qu'il apparaisse à tous qu'il faut revenir il la vérité en constituant une majorité républicaine compacte et décidée il faire sentir sa puissance au gouvernement.

Les rivaux de M. Gambetta blâmaient, par contre, sa tactique ; ils y voyaient une erreur et un péril. Ils exagéraient des dissentiments de doctrines dont ils espéraient tirer parti.

En un mot, l'habileté des adversaires de la République, maitres de la présidence, la constitution hâtive du cabinet Dufaure, les antagonismes latents parmi les républicains, créèrent, dès la première heure. un état de choses qui troubla et qui compliqua singulièrement le fonctionnement des institutions.

Le 24 mars, alors que la gauche républicaine de la Chambre était reconstituée sous la présidence de M. Jules Ferry et le centre gauche, sous la présidence de M. Paul Bethmont, soixante-dix députés environ, fidèles à la pensée de M. Gambetta, refusèrent de s'organiser en groupe séparé. L'extrême gauche s'affirma dans sa résolution d'agir pour son compte et selon ses vues particulières.

 

La courte session qui précéda les vacances de Pâques vit s'ouvrir des débats essentiels pour le caractère et la consolidation du régime républicain : un débat de philosophie sociale à propos de l'intervention du clergé dans les élections : un débat d'orientation politique à propos d'une motion d'amnistie : un débat de pratique gouvernementale à propos de la loi des maires. Doctrines, sentiments, application, les partis vont se mesurer.

La question de l'ingérence du clergé se pose au sujet de la vérification des pouvoirs. La valeur d'une Assemblée se juge à son impartialité. Les majorités récemment élues abusent de leur force quand les élections ont été passionnées et les résultats disputés. Un des dangers que court la liberté sous le régime représentatif, c'est l'oppression des vaincus par la poursuite vindicative des vainqueurs. L'inconvénient d'une extrême indulgence sera toujours moins grave que celui d'une excessive sévérité. Habituer l'esprit public au sel de la contradiction, respecter chez l'adversaire l'exigence du contrôle et même l'entêtement de la conviction, c'est se soumettre à la condition de la vie politique, c'est assurer à l'autorité son plus puissant, mérite, l'unanimité dans l'obéissance. Il y a quelque chose de sauvage dans une victoire achevée par le massacre de l'ennemi à terre.

En 1876, les deux Chambres avaient à vérifier en même temps les pouvoirs de leurs membres. Le Sénat se montra tris accommodant, quoique divers laits de pression administrative eussent été signalés.

La Chambre, plus ardente, retint plusieurs élections où des irrégularités et des illégalités s'étaient produites. Elle invalida les élections de M. Malartre à Yssingeaux et de M. Fairé à Angers ; celles de MM. Haentjens dans la Sarthe et, Peyrusse à Auch : de MM. de Nivernon et de La Rochejaquelein en Haute-Loire et dans les Deux-Sèvres ; de M. de Goyon à Guingamp (Côtes-du-Nord) ; de M. Cunéo d'Ornano à Tonnerre (Yonne) ; plusieurs élections en Corse et notamment celle de M. Rouher à Ajaccio, celle de M. d'Ayguevives à Toulouse, celle de M. Veillet à Loudéac. On décida une enquête parlementaire sur celle de M. Tron à Saint-Gaudens.

Mais le débat s'anima au sujet des élections où l'action cléricale fut particulièrement signalée : celle de M. Boigne à Thonon, celle de M. Chesnelong à Orthez, celle de M. du Demaine à Avignon, celle de M. le comte de Mun à Pontivy[5].

Le rapport sur cette dernière élection avait été confié à M. Henri Brisson. Deux thèses étaient en présence. M. de Mun était candidat catholique. Il avait pour concurrent l'abbé Cadoret, chanoine de Saint-Denis, bonapartiste, et M. Le Magnet, républicain. M. Henri Brisson concluait à une enquête. Il signalait notamment, l'intervention de l'évêque de Vannes, Mgr Recel, qui avait écrit au comte de Mun une lettre rendue publique au cours de la campagne électorale et qui, en raison de la haute autorité personnelle du prélat, avait en sur les catholiques de la circonscription une incontestable influence : Monsieur le comte, disait l'évêque, vous parlez, vous écrivez, vous agissez en apôtre... Votre insuccès serait un malheur public... Toute âme vraiment sacerdotale fouine le même vœu et partage mon espoir... Le Morbihan s'honorera de vous avoir choisi pour porter et défendre le drapeau de sa foi catholique, apostolique et romaine...

C'était une ingérence formelle et directe de l'Église, et en une circonstance d'autant plus remarquable qu'un prêtre était concurrent de M. de Mun. C'était un appel à la foi des catholiques : le candidat était expressément soutenu par l'autorité de la hiérarchie ecclésiastique.

M. de Mun ne contesta ni les faits ni l'intervention. Il repoussa l'enquête et sollicita, de l'équité de la Chambre, soit la validation, soit l'invalidation : Je me suis présenté comme candidat catholique, disait-il, annonçant l'intention de prendre les enseignements catholiques comme règle de ma vie politique. C'est un droit, un droit qui est le devoir de tout homme ayant la foi que je défends devant, vous. L'Église est menacée, attaquée. Elle se défend. Je viens vous dire, moi : le défi a été entendu et les catholiques ont relevé le gant... Il y a partout, en France, des populations chrétiennes qui ne veulent pas laisser attenter à leur foi... Je repousse l'enquête parce qu'elle sera dirigée, en général, contre les agissements du clergé en matière d'élection. Vous cherchez l'occasion d'une campagne anticatholique, d'un scandale religieux. Si vous refusez aux candidats catholiques le droit de se poser en champions de leur religion menacée, alors, tous n'avez qu'une chose à faire : invalidez l'élection.

Le comte de Mun, n'ignorant pas le rôle du centre catholique en Allemagne, cherchait évidemment à inaugurer en France une tactique analogue. Le régime parlementaire n'assurait-il pas à l'Église, disposant en France de masses si profondes, des avantages non moins efficaces S'incliner devant les idées modernes, entrer dans la liberté pour la faire servir à la plus grande gloire de Dieu, c'était une attitude habile et peut-être une noble évolution. Des esprits moins enthousiastes et des cœurs moins ardents s'y fussent trompés. Que la France, que la catholicité française dussent manquer à ce calcul, faire défaut à cet appel, c'était une éventualité alors bien peu probable ; que tant d'autorité, d'honorabilité, de vertus qui distinguaient le clergé français ne dussent avoir qu'une influence à peu près nulle sur l'orientation politique de la nation, c'était une hypothèse que personne, pas même les adversaires n'eût admise à cette époque.

Plus la revendication était fière, plus elle paraissait dangereuse, et M. Henri Brisson, rendant hommage à la franchise et à la sincérité de M. le comte de Mun, n'en établit qu'avec plus d'évidence l'opportunité du débat. Il s'agit de savoir, dit-il à son tour, si le parti catholique, si le parti clérical, si l'association qui le gouverne, s'emparant de l'Église, s'emparant des hommes qui, comme les archevêques et les évêques, — sans être des fonctionnaires publics dans la pleine acception du mot, — sont du moins des salariés de l'État, si ces hommes peuvent intervenir dans nos luttes politiques et qu'ensuite on puisse vous dire en leur nom : Arrêtez-vous ; vous n'avez rien à voir dans ces faits ; ils sont lions de votre compétence : ils sont de l'ordre sacré... C'est ce mélange du sacré et du profane qui fait toute l'équivoque, équivoque dont on abuse contre nous et que nous avons le droit de dissiper : que l'Église reste dans son domaine. si elle ne vent pas tomber sons notre investigation. M. Henri Brisson se défend de parler au nom d'une secte jalouse, mesquine, exclusive, bornée. Il parle au nom de l'équité, de la liberté des consciences, de l'indépendance nationale menacée.

Un catholique éminent, M. Keller, traça les limites qu'il croyait convenables à l'action politique (In clergé. Il lui reconnaissait le droit de soutenir des candidats à condition de ne pas attaquer les institutions du pays. Cette condition révélait l'embarras des catholiques et elle indiquait d'avance les tendances que devait affirmer Léon XIII. Mais M. Keller niait fortement cette conspiration cléricale qu'avait dénoncée M. Henri Brisson. Non, non, s'écriait-il, il n'est pas prudent, il n'est pas politique de mettre, dès le début, la République et la constitution en hostilité avec les sentiments religieux de la France... Il eût voulu éviter cette redoutable rupture.

M. Gambetta répond. Il salue, dans le comte de Mun, un nouveau Montalembert. Il parle en termes modérés et réfléchis de l'action de l'Église. Ce que le parti républicain combattra, ce n'est pas la religion, mais l'ingérence cléricale. L'enquête est nécessaire Our établir qu'elle s'est produite et faire la part de ce qui est légitime et de ce qui est abusif. Voici la formule finale : Nous vous demandons de statuer sur des faits et de prendre des mesures pour qu'à l'avenir la chaire ne soit pas un instrument de pression électorale et que le clergé, qui a droit au respect de tous, sache bien que, pour le mériter et pour le garder, pour ne pas s'exposer principalement à ces violences, à ces représailles que vous redoutez et qui ne viendront pas, il a d'abord un devoir à accomplir, c'est de vivre au milieu de notre société moderne comme un agent de concorde et de pacification.

Par 307 voix contre 169, l'enquête est ordonnée[6].

L'extrême gauche, inaugurant, dès les premières séances, une tactique qui devait gêner si souvent les partis républicains plus modérés, avait décidé de déposer, avant tout débat, une demande d'amnistie. M. Victor Hugo au Sénat, M. Raspail à la Chambre, acceptent le mandat de soumettre à l'une et à l'autre des deux Chambres des propositions identiques ; MM. Victor Hugo, Schœlcher, Scheurer-Gessner, A. Peyrat et quelques autres sénateurs avaient souscrit la proposition. A la Chambre, trente signatures, dont celles de MM. Clemenceau, Allain-Targé, Lockroy, Spuller, figuraient sur la motion, mais non pas celle de M. Gambetta : M. Rouvier devait proposer au cours du débat une amnistie partielle.

M. Dufaure demanda l'urgence (21 mars). Il fut entendu que le Sénat, ne discuterait qu'après la Chambre. Des commissions furent désignées, celle du Sénat, rapporteur M. Paris et celle de la Chambre, rapporteur M. Leblond, ami de M. Thiers, M. Thiers étant visé par le simple fait de la proposition Raspail-Victor Hugo.

A la Chambre comme au Sénat, la majorité, soutenue naturellement par la droite, était hostile. Le gouvernement, par l'organe de M. Ricard, combattit énergiquement l'amnistie. L'urgence fut prononcée. La gauche voulait retarder la discussion. La droite, pour embarrasser le parti républicain, réclamait la discussion il bref délai. Elle tendait la main an gouvernement, qu'elle n'eut pas été fâchée de compromettre. M. Raoul Duval conduisait la manœuvre. M. Ricard s'arrachait, par des coups de bouloir, il ces dangereuses étreintes.

Le 11 avril, M. Leblond saisit la Chambre de son rapport : il conclut au rejet de la proposition Raspail, sous la réserve d'un appel à une large clémence par voie de grâces. La discussion est renvoyée il une date postérieure aux vacances de Pâques. Les propositions de l'extrême gauche sont une entrave pour le gouvernement et pour la majorité.

Cependant, le parlement se met au travail et déblaie : des inondations ayant eu lieu à Paris et dans les environs, un crédit de 1.750.000 francs est voté le 28 mars. 20 mars, proposition de M. Paul Bert, tendant à introduire le principe de l'élection dans les conseils départementaux de l'instruction publique. 4 avril, proposition de M. Henri de Lacretelle, comportant organisation de l'instruction primaire gratuite, obligatoire et laïque. G avril, proposition de M. Paul Bert ayant pour objet d'améliorer la retraite des instituteurs : l'urgence est votée. C'est la campagne de l'instruction populaire qui commence.

Le 21 mars s'ouvre au Sénat, sur l'interpellation de M. de l'arien, un débat relatif à la question monétaire. M. de l'arien conseille l'adoption immédiate de l'étalon unique d'or. M. Léon Say, ministre des finances, soutient le statu quo, c'est-à-dire le double étalon, avec suspension facultative de la frappe pour les pièces de cinq francs[7].

M. Maigne, d'une part (26 mars) et M. Deschanel, de l'autre (26 mai), réclament la liberté du colportage ; MM. Naquet, Vernhes, Barodet, de l'extrême gauche, la liberté absolue de la presse[8] (11 avril).

MM. Maigne et Boysset, de l'extrême gauche, demandent l'abrogation de la loi qui prescrit le repos dominical. L'activité des groupes avancés de la Chambre tenait le public en haleine et harcelait la majorité.

Au Sénat, le sort désigne, le 29 mars, la série des départements qui auront à procéder aux premières élections sénatoriales triennales. Les départements étant divisés en trois séries d'après l'ordre alphabétique, c'est la série B qui sort au tirage. Or, les départements compris dans cette série (de la Haute-Garonne à l'Oise) sont ceux qui ont envoyé au Sénat le moins de républicains. Le hasard a favorisé la République.

Le 14 mars 1876, M. Léon Say a déposé à la Chambre le projet de budget pour 1877. C'est un budget d'attente, un temps d'arrêt. Aucun impôt n'est aggravé, dit l'exposé des motifs, mais aucune réforme n'est proposée. Cette phrase pourrait servir de devise au cabinet lui-male. 96 millions de dépenses affectées en augmentation il la guerre, à la marine, à l'instruction publique, aux travaux publics, devaient t'Are couverts par le jeu normal de l'impôt.

La commission du budget est élue, dans les bureaux, le 3 avril. Elle est composée de trois membres de la droite et de trente membres de la gauche. La commission choisit M. Gambetta connue président. Il occupait ainsi une position redoutable qui lui permettait d'avoir sur la marche générale des affaires une action immédiate et puissante. Le coup fut une surprise. On n'était pas encore habitué il voir, dans le tribun, l'homme pratique, le calculateur, l'initiateur. M. Gambetta voulait, évidemment, détruire la légende où l'obstination de la polémique adverse l'avait enfermé. Et puis, qui tient les cordons de la bourse, tient le gouvernement.

Pour la première fois, l'avènement des nouvelles couches s'affirmait par cet acte magistral. M. Gambetta le déclarait dans l'allocution inaugurale de ses fonctions : Nous avons voulu entrer dans la commission du budget, nous mettre face à face avec les réalités, étudier de plus près les détails de notre régime financier, sans illusion et sans précipitation. Uniquement inspirés par l'esprit d'économie, de maturité et de sage réforme, nous nous garderons de rien livrer à l'aventure, persuadés qu'en ces délicates matières, on ne devance ni le temps, ni l'opinion.

Lui aussi, il devenait rassurant !

 

D'ailleurs, un apaisement universel. une foi instinctive en l'avenir commençaient, malgré les difficultés subsistantes, à se répandre. La République s'installait dans son rôle : les mauvaises humeurs s'atténuaient, les propositions dangereuses n'étaient pas acceptées sans résistance. Une minorité ardente ne suffisait pas pour motiver une réelle inquiétude. La France ne demandait qu'à jouir du repos après de si longues agitations. Tel était, en tout cas, l'avis clos hommes au pouvoir. Pangloss est souvent ministre.

 Le 5 avril, le Journal officiel publiait un décret rendu sur l'initiative de M. Teisserenc de Bort, aux termes duquel une exposition universelle des produits industriels s'ouvrirait à Paris le 1er mai 1878. Le rapport au président de la République s'exprimait ainsi : En annonçant au monde la nouvelle exposition universelle internationale, la France affirme sa confiance dans les institutions qu'elle s'est données... elle proclame qu'elle veut la paix.

L'une et l'autre pensée étaient justes. On était loin déjà de 1870 !

Un décret du 3 avril, rendu sur la proposition de M. Waddington, ministre de l'instruction publique, instituait une exposition universelle des beaux-arts.

Le gouvernement s'affermissait sans bruit, grâce ces mesures opportunes. Il s'attachait à jouer loyalement son rôle d'intermédiaire, sans se faire illusion sur le caractère un peu précaire et transitoire tenant à son origine.

M. Ricard, parlant le 24 mars, avait dit combien les ménagements étaient nécessaires : Ce que nous voulons avant tout, c'est fonder une République sage et éminemment conservatrice. Ce serait une trahison envers le pays, qui demande la sécurité, envers M. le Maréchal de Mac Mahon qui a répondu de l'ordre... si nous ne nous appliquions pas à gouverner selon ces principes...

Cependant la neutralité, l'abstention gouvernementales ne pouvaient se prolonger indéfiniment. Les causes, les passions qui avaient troublé le pays au moment des élections subsistaient. Avec qui, pour qui, par qui le ministère gouvernerait-il ? Ce ne sont pas là des sujets qu'il soit possible d'éviter puisqu'ils sont l'essence même du gouvernement.

 Le 18 mars, MM. Floquet. Clémenceau, Gambetta, etc., avaient proposé à la Chambre de lever immédiatement l'état de siège dans les quatre départements où il était encore appliqué : Seine, Seine-et-Oise, Bouches-du-Rhône et Rhône. Sans discussion, la loi avait été votée par la Chambre, d'abord, le 24 mars, puis par le Sénat, le 3 avril. C'était le premier projet de loi renvoyé de la Chambre au Sénat. M. Schérer, sénateur, chargé du rapport. l'avait fait observer ; peut-être lu Sénat avait-il besoin de cet avertissement : Invités pour la première fois à ratifier une résolution de la seconde Chambre, il nous a paru que nous devions montrer notre disposition à agir autant que possible en harmonie avec ce corps de l'État. L'accord des trois pouvoirs, ne l'oublions pas, est une condition de dignité et de force pour le gouvernement du pays.

L'extrême gauche, poursuivant sa tactique, propose, le 4 avril, sur l'initiative de M. Barodet, le rétablissement de la mairie centrale à Lyon. Le 23 mars, M. Charles Rolland avait demandé an Sénat de rendre aux conseils municipaux la nomination des maires et adjoints qui leur avait été enlevée par la loi Broglie. Le 29 mars 1876, MM. Jules Ferry, Bethmont, etc., déposaient à la Chambre une proposition analogue. Ici, la gauche modérée et même les amis de M. Thiers intervenaient. La loi des maires avait été une des mesures notoires prises par le gouvernement du 24 mai : le maréchal de Mac Mahon y avait participé. Dans le régime parlementaire normal, ces contradictions apparentes n'embarrassent pas le chef du pouvoir exécutif ; mais le maréchal, détenteur du pouvoir septennal, avait-il, oui ou non, la responsabilité des actes accomplis sous son nom ? Avait-il eu, pouvait-il garder une politique à lui ?

 Ce qui ajoutait à la gravité du débat, c'est que la proposition Ferry avait été délibérée au cours d'une réunion plénière des bureaux des groupes de gauche, tenue le dimanche 26 mars, et où la lenteur du gouvernement à réaliser ses promesses avait été incriminée.

 M. Ricard, inquiet, alarmé, prie les bureaux des gauches d'entendre, dans un entretien confidentiel, les observations que lui suggérait une motion de cette importance. Il y avait donc de la résistance, une résistance secrète quelque part. On sentait la pression de l'Élysée. Mais la gauche modérée, qui craint de devenir suspecte à son tour, n'est pas d'humeur à se laisser émouvoir. M. Jules Ferry définit, avec une double et forte ironie, dans une lettre à la Gironde, les dispositions de la majorité : La majorité de la Chambre n'est ni malveillante, ni exigeante. Elle n'est même pas morose. La République française est morose : la majorité ne l'est pas. Elle a pris tout à fait au sérieux les programmes de sagesse et de patience qui ont donné à la dernière campagne de M. Gambetta un si rassurant éclat. Elle s'étudie à ne se montrer ni impatiente, ni impérieuse... Mais le cabinet se tromperait fort s'il prenait ces prudences d'attitude pour irrésolution sur le fond des choses. La pensée de M. Dufaure parait être de lier la question des maires à celle de la loi organique municipale... pour aboutir, après quelques années d'études, à des élections municipales qui pourraient être suivies de, l'élection des maires par les conseils... Ce sont là des rêves de vieillard... Si le conseil des ministres n'a pas encore pris son parti, la France a pris le sien...

Il fallait marcher.

Le 5 avril, M. Louis Legrand soumet à la Chambre son rapport sur les deux propositions Jules Ferry et Raspail. Elles sont prises en considération. M. Jules Ferry demande l'urgence. Le cabinet a réfléchi ou, plutôt, le bruit se répand que le ministre de l'intérieur a pu triompher des obstacles mis par le pouvoir exécutif à l'abrogation de la loi de 1874, et il ne s'oppose plus à l'urgence. L'urgence est déclarée.

Dans le premier engagement, la Chambre reste la maîtresse. M. Jules Ferry commente de nouveau : Ce n'est pas une majorité qui se cherche, c'est une majorité qui s'offre. Le cabinet, depuis une huitaine, n'avait pas l'air de s'en apercevoir... Isolé ou obsédé, peu présent à l'Assemblée, peu visible place Beauvau, on eût dit d'un ministère qui se dérobe, fuit la lumière, craint qu'on l'interroge et court à la prorogation à toutes jambes... Aujourd'hui, non seulement il accepte l'urgence, mais il la motive. Il parle de la loi Broglie, dont quelques-uns lui conseillaient de se faire un instrument, comme on en parle dans les groupes de gauche... Le trait va frapper au cœur toutes ces municipalités de combat qui, déjà, relevaient la tête... Il y a des instructions particulières à l'adresse des préfets. M. Ricard les a fait, connaître aux délégués de gauche... La morale à tirer de tout cela, c'est que la majorité possède, dans l'organisation qu'elle s'est donnée elle-même et sans avoir recours au bruyant appareil des réunions plénières, tous les moyens d'une action parlementaire mesurée, mais efficace. C'est à l'intervention officieuse, mais résolue, des présidents des groupes de gauche qu'est due incontestablement, la bonne altitude du cabinet. L'initiative semblait faire défaut au cabinet. Ils l'ont prise...

Voici donc le régime parlementaire qui fonctionne, les gauches qui s'organisent, le pouvoir qui recule et peut-être un nouveau chef de la majorité qui se désigne.

 

II

Situation La mise en train n'en est pas moins laborieuse. Chacun tirant de son c(Mé, la constitution ne contente personne. Le ministère est étranglé entre les prétentions diverses ; il vil, mais il n'avance pas ; sa durée est faite de son immobilité.

Il emploie les courtes vacances que la Chambre s'est accordées jusqu'au 10 mai pour se consolider et ordonner les affaires courantes. Déjà, avant la prorogation, il avait, par une série de décrets, mis la main à la partie la plus épineuse et la plus nécessaire de sa tâche, la question des fonctionnaires.

Les révolutions réalisent rarement leur objet idéal, mais elles remplissent généralement les ambitions immédiates de ceux qui les font. Le prêtre vit de l'autel et les gouvernements gouvernent avec leur parti. S'il s'était trouvé un régime qui dit agi autrement, il faudrait ajouter un chapitre imprévu à la Politique d'Aristote.

En France, la force propre de l'administration peut, jusqu'à un certain point, dans les époques de transition, entraver l'autorité parlementaire. Mais, après des victoires pareilles à celle du 20 février, un changement complet était inévitable. La terreur planait, sur le monde des fonctionnaires, qui avait tant, fait pour éloigner ce terme. L'heure était sonnée : le personnel de l'empire, maintenu ou restauré par le 24 mai, était sur la sellette. Il ne lui restait plus qu'un espoir : la solidarité qu'une origine commune imposait, sinon comme un devoir, du moins comme une convenance, au maréchal de Mac Mahon. Ce peuple d'agents qui clamait vers lui, la tête sur le billot, était en somme le même qui s'épuisait, depuis des années, à crier : Vive Mac Mahon !

Un décret du 21 mars, paru à l'Officiel du 22, avait commencé la série des holocaustes : cinq préfets étaient destitués : MM. Pascal (Gironde), de Tracy (Bouches-du-Rhône), Guignes de Champvans (Gard), le baron de Behr (Loiret) et le baron de Foucault (Vosges). Trois étaient mis en disponibilité : M. Doucieux (Vaucluse), de Serre (Aveyron) et de Chambon (Meurthe-et-Moselle). Un seul, M. Després (Tarn-et-Garonne), était appelé à d'autres fonctions, forme adoucie de la destitution. Quatre étaient admis à faire valoir leurs droits à la retraite. Le baron Leguay, préfet du Nord, était élu sénateur.

Douze préfets, dons sept avaient déjà rempli ces fonctions sous le gouvernement de M. Thiers, étaient nominés immédiatement. La République jetait la semence de son futur recrutement administratif et politique. Voici des noms : M. Doniol était nommé préfet des Bouches-du-Rhône ; M. Devrais, de la Gironde ; M. Félix Renaud, de Lot-et-Garonne ; M. Albert Gigot, de Meurthe-et-Moselle ; M. Achille Delorme, de la Haute-Garonne ; M. Paul Cambon, du Doubs ; M. Develle, de l'Aube ; M. Herbette, de Tarn-et-Garonne ; M. Tenaille-Saligny, du Pas-de-Calais ; M. Tirman, du Puy-de-Dôme.

Ce n'était qu'une préface. Pendant les vacances de Pâques, le vendredi 14 avril et le samedi 15, paraissaient au Journal officiel des décrets emportant un second mouvement. Onze préfets étaient éliminés, dont quatre destitués. Plusieurs sous-préfets étaient écartés ou démissionnaient. Trente-trois préfets et sous-préfets quittaient leur poste pour d'autres plus ou moins importants. Quelques noms d'avenir : M. Hendlé était nommé préfet de l'Yonne et M. Bihourd, secrétaire général de la Charcute. M. de Chazelles, envoyé du Cantal dans les Hautes-Pyrénées, proteste par une lettre publique où il s'abrite derrière le nom du maréchal de Mac Mahon : Je ne veux pas finir, Monsieur le Ministre, sans vous assurer que je reste profondément dévoué au gouvernement du maréchal. Un jour viendra peut-être où, après avoir bien fait des concessions, après malheureusement s'être séparé de ses plus sûrs amis, celui que nous persistons à considérer comme notre chef voudra chercher à remonter ce funeste courant qui a amené tant de régimes à leur ruine. Dans la sphère d'action qui me reste ouverte, je ne serai pas parmi les moins ardents à défendre sa cause.

Ce que celui-ci disait, les autres le pensaient. On devine quel fourmillement, quel tapage dans les cercles politiques de Paris, dans les salons du faubourg, dans les cabinets des anciens ministres ! Il était difficile que l'écho ne montât pas jusqu'aux approches de l'Élysée.

M. Ricard, ministre de l'intérieur, complète ces mesures par plusieurs circulaires adressées aux nouveaux préfets, l'une relative à la nomination des maires et adjoints, la seconde visant le colportage, une autre, enfin, traçant la ligne politique qu'il faut suivre désormais : Vous devez déclarer nettement qui vous êtes. Vous êtes le représentant de la République. Vous avez à accomplir une œuvre d'apaisement... Vous représentez un gouvernement qui n'est ni celui d'une classe, ni celui d'une secte... Vous êtes l'intermédiaire naturel entre les citoyens et le pouvoir central. Le devoir de bienveillance et d'impartialité que ce rôle vous impose vous sera facile si vous considérez que la République exclut, dans le gouvernement, tout esprit de parti... C'était beaucoup ; mais on ne trouvait pas que ce fût assez.

M. Waddington s'était chargé d'exposer, en une circonstance solennelle, la doctrine du cabinet sur des matières non moins hautes, non moins délicates, celles qui touchaient à la réforme des trois ordres de l'enseignement. Dans la séance de clôture du congrès des sociétés savantes, il indiqua des améliorations prochaines dans l'enseignement supérieur, par l'élargissement et l'assouplissement des programmes et des méthodes. Pour l'enseignement moderne, il résume sa pensée en une formule, d'ailleurs féconde : De l'hygiène et de l'espace. Il insiste sur le développement indispensable de l'enseignement populaire. Il annonce que le gouvernement n'entrera pas, sans mètre réflexion, Bruis la voie de l'obligation, mais qu'il prépare tout pour qu'on pût y atteindre le plus tôt possible, son intention étant d'engager une vaste entreprise de construction d'écoles permettant de satisfaire à tous les besoins. En attendant, il faut augmenter largement le nombre des instituteurs et créer de nouvelles écoles normales.

 Dans les départements, la session des conseils généraux se déroula sans incidents. Des élections législatives eurent lieu, le 16 et le 30 avril, dans sept circonscriptions, par suite d'options ; elles renforcèrent la majorité républicaine et affirmèrent le mouvement vers la gauche. M. Gustave Mazure (extrême gauche) fut élu à Lille, Mt. Jules Bouquet (extrême gauche) à Marseille, M. Cantagrel (républicain) à Paris (XIIIe arrondissement), M. Pascal Duprat (républicain) à Paris (XVIIe arrondissement), M. Camille Sée (républicain) à Saint-Denis. M. Rollet (républicain) à Saint-Amand (Cher) et M. Léon Pagès (républicain modéré) à Montauban (Tarn-et-Garonne), en remplacement de M. Prax-Paris, bonapartiste.

 

Les Chambres reprirent leur session le 10 mai.

Le 11 mai, à minuit, on annonça la mort soudaine de M. Ricard, ministre de l'intérieur. Une crise d'angine de poitrine avait abattu cet homme robuste en pleine activité ; les soucis du pouvoir avaient hâté cette fin émouvante. C'était un coup pour le cabinet et pour le parti républicain. M. Ricard, non sans quelques hésitations et talonnements, avait fini par discerner sa voie. Il avait conquis la faveur, un instant résistante, de la majorité. Plus jeune et plus allant que M. Dufaure, il était, pour celui-ci, un collaborateur précieux, un coadjuteur.

Le lendemain (12 mai), un décret chargea le Sous-Secrétaire d'État à l'intérieur, M. de Marcère, de l'intérim et, le 15 mai, M. de Marcère fut nommé ministre.

Ce choix étonna d'abord. On avait pensé à une autre solution : La solution brillante, politique, c'était l'entrée d'un homme nouveau, d'un seul, mais qui s'appelait Jules Simon !... C'était trop beau, dit M. Jules Ferry. Le pas en avant eût été trop marqué. L'Élysée n'avait pu s'entendre avec M. Casimir-Perier, a fortiori avec M. Jules Simon. Le maréchal n'en était pas là ! Le choix de M. de Marcère fut un heureux expédient. M. Léopold Faye, questeur de la Chambre, le remplaça au sous-secrétariat d'État, inaugurant ainsi les !taules destinées parlementaires de la représentation de Lot-et-Garonne, sous la troisième République.

L'extrême gauche continuait à déposer, d'un geste régulier, la série des propositions et motions où se développait son programme : le 13 mai, Laisant, Denfert-Rochereau, etc., demandent à la Chambre de nommer une commission de 22 membres, chargée d'étudier les divers projets de loi militaire : le 17 mai, M. Schœlcher soumet au Sénat une proposition ayant pour objet l'abolition de la peine de mort. Le 18 mai, le même M. Laisant dépose sur le bureau de la Chambre une proposition de loi, signée par 130 députés, réduisant le service à trois ans et supprimant le volontariat d'un an. Le gouvernement s'élève contre la prise en considération. Il faudra que M. Gambetta intervienne (le 12 juin) pour l'empêcher. M. Gambetta et ses amis, refoulés par les centres, sont coupés de leur gauche : situation parlementaire qu'il faut saisir pour avoir la clef des événements qui se préparent.

 

Le 11, le 17, le 18, le 19 mai, la Chambre discute l'amnistie. Ce débat, dont l'issue n'était pas douteuse, était cependant périlleux pour le gouvernement et pour la majorité républicaine : il menaçait, en effet, de diviser celle-ci irrémédiablement et risquait de rejeter le ministère vers la politique des centres, où son inclination le portait.

Les partisans de la motion faisaient appel au plus poignant des sentiments humains : la pitié. Des hommes malheureux, des Français, n'avaient-ils pas assez souffert ? M. Clémenceau ouvrit le débat par un discours habile et fort, qui le mit au premier rang des orateurs républicains. M. Clémenceau est un esprit incisif, hardi, sa parole est ailée et perçante ; à la tribune, c'est un sagittaire. Ce jour-là, l'émotion du sujet, le souvenir des scènes terribles, je ne sais quel retour sur les responsabilités partagées, adoucit et atténua l'âpreté habituelle de sa parole ; il toucha et ne blessa pas.

M. Clémenceau ne fit nullement, comme la polémique adverse le lui reprocha, une apologie de la Commune ; il l'expliqua. Après avoir exposé les causes, il signale la rigueur de la répression : 17.000 exécutions sommaires, 50.000 arrestations, 14.000 condamnations ; 100.000 Parisiens en fuite, vivant dans un exil volontaire, la crainte des poursuites étant, pour ceux-ci, la plus cruelle des peines, et une peine injuste peut-être, en tout cas non légale. Il faut en finir avec ces souffrances si intéressantes et si cruellement prolongées.

L'orateur réfutait d'avance l'argument politique : prenons garde d'alarmer le pays. Il y a, dit-il, des hommes que vous ne rassurerez jamais, quoi que vous fassiez... Vous ne rassurerez jamais des hommes qui sont effrayés de voir à la tête du gouvernement M. le maréchal de Mac Mahon, de voir qu'il a le sentiment de sa responsabilité et qu'il est disposé à pratiquer sincèrement, loyalement la constitution : des hommes que le gouvernement actuel ne rassurera pas ne seront jamais rassurés. Accordez l'amnistie et l'oubli quand c'est une preuve de force ; n'attendez pas qu'elle soit une preuve de faiblesse quand l'opinion vous l'imposera.

Un autre orateur, un républicain modéré, M. Lamy, répondit à M. Clémenceau, et ce fut, pour lui, dans une situation plus difficile, un succès non moindre. Il fit, l'apologie de la grâce, plus prudente, plus clairvoyante et plus perspicace que l'amnistie, de la clémence, plus généreuse que l'oubli ; il concluait en ces termes : Ce n'est pas par ce débat que j'aurais voulu voir s'ouvrir notre carrière. Notre domaine n'est pas le passé ; notre œuvre véritable, ce sont les grandes réformes, les grandes libertés que notre pays attend. Mais il faut d'abord prouver à tous, qu'au seuil de ces libertés et, comme leur sauvegarde, la République place le maintien de l'ordre et le respect des lois.

MM. Lockroy, Méline, Georges Périn, parlent encore : la discussion s'envenime sur une intervention moins mesurée de M. Raspail, le père. Sa présence, sa parole, les souvenirs des querelles antérieures échauffent la bile de M. Dufaure. Devant la Chambre étonnée, deux vieillards, deux âges se heurtent. M. Dufaure fut ironique et amer. Il remua les plus douloureux souvenirs : Ainsi, c'est par l'utilité que sous jugez un  crime. Ainsi, à l'occasion de cet abominable égorgement d'hommes qui n'avaient fait de mal personne, qui étaient renommés, qui étaient vénérables et par leur caractère et par les souvenirs de leur vie ; lorsqu'on les tue, vous dites : — Je veux bien que ce ne soit pas là un crime politique, parce que leur meurtre était inutile. ... Si on en avait tiré parti, le crime était politique et devait être excusé !... Vous n'avez pas mandat polir dire que la France a oublié ces crimes ; ce n'est pas vrai. M. Dufaure fut passionné et passionnant ; mais il perdit l'équilibre. La Grèce disait que l'homme d'État doit être sans passion.

Le cabinet penchait à droite. L'inquiétude se répandit dans tout le parti républicain et dans le ministère lui-même. Heureusement le débat se prolonge. D'autres orateurs : M. Marcou, M. Gatineau, M. Floque !, celui-ci soutenu par M. Gambetta, interviennent. La discussion dure jusqu'an vendredi 19. Un sage discours du rapporteur de la commission, M. Leblond, remet les choses au point et amène M. Dufaure à préciser sa pensée, à dépouiller son air bourru, à sortir du collet de sa redingote, où sa mauvaise humeur s'était d'abord enfoncée.

Il s'explique soudain avec bonne grâce sur les intentions du gouvernement et les expose sous un nouvel aspect : Messieurs, dès le premier moment, dès que la question de l'amnistie a été posée, les membres du cabinet l'ont examinée, ils ont pris leur résolution : repousser toutes les propositions d'amnistie ; demander l'exercice du droit de grâce, se promettre, naturellement., nécessairement, de l'exercer, même avec plus d'étendue que ne pouvait le faire la commission des grâces unie au gouvernement. Voilà notre résolution, vous nous avez laissé l'exercice du droit de grâce ; ce sera à nous de remplir un devoir auquel nous tenons autant qu'aucun d'entre vous.

Quant à la cessation des poursuites, le gouvernement l'examinera de façon à satisfaire ceux qui la réclament. C'était l'apaisement.

La proposition, sous la réserve de ces explications, est repoussée par 367 voix contre 99.

Débat au Sénat, le lundi 22.

M. Victor Hugo en habit noir et cravate blanche lut, à la tribune, une page où l'orateur se montrait digne du poète : Si je dépasse la mesure, si j'exagère la pitié, souvenez-vous qu'un excès de pitié, s'il pouvait y avoir excès de pitié, serait pardonnable chez celui qui a vécu beaucoup d'années ; que celui qui a souffert a le droit de protéger ceux qui souffrent, que c'est un vieillard qui vous sollicite pour des femmes et des enfants et que c'est un proscrit qui vous parle pour des vaincus... Ayez foi en vous-mêmes. L'intrépidité de la clémence est. le plus beau spectacle qu'on puisse donner aux hommes. Mais, ici, la clémence n'est pas l'imprudence ; la clémence est la sagesse... La pitié et la douceur sont d'excellents moyens de gouvernement. Personne ne répondit à M. Victor Hugo. Si ; il y eut un mot malheureux de M. Paris, rapporteur : Le silence du Sénat, dit cet homme obscur, est une réponse.

Par mains levées, l'amnistie fut repoussée[9].

Le débat sur l'amnistie était un engagement d'avant-garde. Ce qui échauffait les âmes, dans les deux camps, c'était le corps à corps prochain où devait se décider l'orientation politique, soit que le nouveau gouvernement gardât des ménagements à l'égard de la droite, soit qu'il se rendit aux sommations des gauches avancées.

Les trois discussions annoncées sur la question du personnel, sur la question constitutionnelle et sur la question cléricale sont attendues, tandis que l'extrême gauche ne se lasse pas de déposer les propositions de lois au sujet desquelles la droite ne cesse de jeter des cris d'alarme : motion de M. Sansas, abrogeant le décret du 27 décembre 185i sur les cafés et cabarets, motion prise en considération sur le l'apport de M. Malézieux (19 mai 1876) ; motion de M. Paul Bert modifiant les conditions du recrutement et du fonctionnement du service des instituteurs et institutrices primaires — brevet de capacité ; choix entre les instituteurs laïques ou congréganistes laissé aux conseils municipaux, etc. —, motion prise en considération le 1er juin. Proposition de M. Naquet tendant au rétablissement du divorce (6 juin 1876) ; proposition du même tendant à abroger la loi de 1872 sur le jury et rendant la prépondérance à l'élément électif sur l'élément judiciaire. C'était un assaut en règle à la société bourgeoise consacrée par la monarchie de Juillet et sauvée par le second empire.

Situation de jour en jour plus difficile pour le gouvernement.

Aux élections législatives des 14 et 21 mai, les résultats étaient toujours aussi favorables au parti républicain. En Corse, le prince Napoléon était élu comme républicain. M. le comte de Casabianca, bonapartiste, M. Gavini, M. Cunéo d'Ornano, M. de Goyon, duc de Feltre, gardent, il est vrai, leurs sièges à Bastia, à Corte, à Cognac, à Guingamp. Mais les républicains l'emportent, à Loudéac (M. Carré-Kérisouet), à Auch (M. Jean David), à Dax (M. Loustalot), au Puy (M. Guyot-Montpayroux), à Angers (M. Maillé), à Orthez (M. Vignancourt, élu par 9.042 voix, contre M. Chesnelong, invalidé, qui n'obtient, cette fois, que 8.809 voix)[10]. Succès républicain également à Thonon (M. Folliet), à Melle (M. Giraud). M. Haentjens, bonapartiste, et le marquis de La Rochejaquelein se défendent péniblement au Mans et à Bressuire. L'Ouest, si fidèle à la cause conservatrice et catholique, est entamé.

Par contre, à Belfort, les électeurs sénatoriaux choisissent M. Vieillard-Migeon, conservateur, en remplacement de M. Thiers, optant pour la Chambre, et ce fait, quoique isolé, est significatif : les électeurs sénatoriaux se refusent à emboîter le pas au suffrage universel.

Le parti républicain veut affirmer son succès devant le public. Michelet était mort, à Hyères, le 9 février 1874. Son corps est transporté à Paris. Des obsèques populaires lui sont faites, le 18 mai 1876. Au cimetière Montparnasse, MM. l3ersot, Laboulaye, Have, Quicherat et Challemel-Lacour prononcent des discours qui ont, dans la jeunesse républicaine, un grand retentissement.

On dirait que les deux causes hésitent avant d'en venir aux mains. A la Chambre, les travaux parlementaires sont entravés par la difficulté des études préparatoires. Il n'y a rien à l'ordre du jour. M. Grévy se plaint, admonestant les différentes commissions et en particulier celle du budget. M. Gambetta, qui préside cette dernière, est visiblement gêné : talonné par l'extrême gauche et surveillé par les gauches modérées. Il faut se prononcer.

Quant au gouvernement, affaibli par la mort de Ricard, il vit sous l'œil de l'Élysée. Les mutations dans le personnel, les changements dans les municipalités, sont épluchés par le maréchal. L'embarras de la situation pour le cabinet est mis en relief au cours d'une discussion qui s'engage, le 20 mai, au sujet du remplacement des maires et adjoints. Le gouvernement obéit aux exigences de ses amis, dit M. de Castellane ; sous ce régime, les ministres sont obligés de donner, chaque jour, des preuves effectives de leur attachement aux républicains. A peine êtes-vous arrivés au pouvoir que vous êtes obligés de briser la carrière de vingt préfets... — le baron Tristan-Lambert : ... De préfets qui n'ont fait que soutenir le maréchal, sa politique et son gouvernement. — M. de Castellane : Auxquels vous n'aviez pas d'autre reproche à faire que d'avoir appliqué loyalement cette politique conservatrice que vous prétendez ne pas abandonner[11].

M. Jules Ferry écrit le 23 mai, dans le journal la Gironde : La légende du 24 mai n'a pas cessé d'être pieusement nourrie dans les salons de l'Élysée. Chaque préfet révoqué est venu, depuis deux mois, porter sur cet autel sa larme et sa goutte de fiel, attester son martyre, inscrire son holocauste. Chaque fonctionnaire nouvellement nommé y a trouvé l'étamine d'une enquête malveillante, dirigée par un cabinet occulte, à l'affût de toutes les rancunes et de toutes les diffamations, incessamment hanté par les trois plus redoutables revenants du dernier régime : ce cabinet est celui de M. d'Harcourt ; les revenants sont M. Depeyre, M. de Broglie, M. Buffet.

Voilà donc l'Élysée pris à partie. Le souvenir persistant du 24 mai pèse sur toute cette période de l'histoire parlementaire.

M. Ricard avait affirmé, dans une de ses dernières circulaires, qu'il fallait couper court, dans l'esprit des partis, à des espérances désormais factieuses. Cette épithète de factieuses irrite la droite. La dernière ressource que lui laisse la constitution est le droit de révision : le laissera-t-elle mettre en question ? Le marquis de Francien interpelle au Sénat. C'est le Sénat qui a la garde de la constitution et la tradition de l'esprit dans lequel elle a été conçue. Il est, avec le maréchal, une survivance du 24 mai. A lui d'agir.

M. Paris, qui a été, à l'Assemblée nationale, le rapporteur de l'article 8 de la constitution, presse M. de Marcère : il veut lui arracher la reconnaissance publique du droit de révision permanent et constant ; il veut qu'on déclare officiellement la porte ouverte aux espérances monarchiques. M. de Marcère se dérobe habile-meut. Mais l'autorité de M. Dufaure est nécessaire pour faire prévaloir la nouvelle thèse ministérielle qui, en réalité, coule à fond les illusions de la droite : M. le ministre de l'intérieur, dit le président du conseil en venant en aide à son collègue, M. le ministre de l'intérieur a parlé comme un gouvernement qui consent à diriger les destinées de la République doit parler. Les uns croient qu'on pourra substituer un jour à la République un gouvernement monarchique. Quant aux autres, quant à nous, nous regardons l'article 8 comme un moyen donné pour modifier la constitution républicaine, si elle a besoin d'être modifiée... et, avec une ironie voilée, d'autant plus forte : Nous avons eu l'exemple de deux monarchies qui ont regardé leurs chartes comme des constitutions définitives et les ont vues renouvelées, modifiées, changées complètement par les révolutions. Nous avons voulu avoir une constitution plus élastique, nous l'avons faite révisable afin d'arriver à la garder plus longtemps, aussi longtemps que nous le pourrons.

La pilule était amère pour la droite. Et elle ne pouvait engager le combat à fond, car elle savait bien que sur la question république ou monarchie, elle était battue d'avance : elle se contente donc de l'ordre du jour pur et simple. Mais elle garde une dent ; elle se souviendra.

M. Waddington, ministre de l'instruction publique, protestant, avait déposé, le jeudi 23 mars, un projet de loi, conforme d'ailleurs à la déclaration ministérielle et tendant à l'abrogation des articles 13 et 14 de la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l'enseignement supérieur.

L'exposé des motifs caractérisait ainsi le projet : La liberté d'enseigner n'implique nullement le droit, pour les facultés libres, à la collation des grades... Plus la liberté est grande, plus le contrôle doit être efficace et sévère.

La loi de 1875 avait été l'œuvre catholique magistrale de l'Assemblée nationale. La modifier dans une de ses prescriptions principales, avant même qu'elle fût entrée en application, c'était la blessure la plus cruelle pour les hommes qui l'avaient votée. La polémique faisait, de la collation des grades, une question de conscience.

Les évêques s'étaient réunis ; ils publiaient des mandements ; des pétitions étaient signées partout. Le cardinal archevêque de Paris élevait la voix devant le Congrès général des Comités catholiques. Mgr Dupanloup, visé personnellement, touché personnellement, touché au cœur, comme il le disait lui-même, s'adressait au maréchal de Mac Talion qui était venu, le 7 mai, à Orléans, pour assister aux fêtes de Jeanne d'Arc ; il priait Dieu pour qu'il accordât au président une de ces illuminations supérieures qui font qu'un homme se rencontre à l'heure du péril !

Le vendredi 26 niai, M. Spuller développe, au nom de la commission, le rapport favorable à la proposition du gouvernement. Il constate que le projet de loi ne fait que consacrer un retour à l'ancienne législation sur la collation (les grades, celle-ci étant une fonction d'État. Il termine son discours par une de. ces paroles dont la polémique saura s'emparer : Nous voterons la réforme parce qu'elle est conforme à la politique que nous voulons suivre, parce que nous voulons aller lentement, mais sûrement... La discussion est fixée au 1er juin.

M. Paul de Cassagnac ouvre le débat : ce n'est certes ni pour le restreindre, ni pour en atténuer le venin. Le discours est agressif, le ton provocant, les paroles amères. Désordre ; attaque à l'impartialité du président. La journée s'annonce comme mauvaise.

M. Émile Deschanel répond par des violences adverses : Hypocrisie cléricale, alliance honteuse avec l'hypocrisie politique, prétentions insolentes des évêques, criminelle ineptie de l'empire..., etc.

M. Keller dit le mot de l'heure quand il déclare que la loi en discussion est le gage donné par le ministre à la nouvelle majorité. En effet, le débat est surtout politique. Quant à l'opinion des catholiques, elle est résumée en une seule phrase du même orateur : Je considère comme une folie la monomanie cléricale. Vous voulez supprimer le catholicisme et vous n'avez rien à mettre à la place.

M. Waddington, homme aux manières douces et au ton tranquille, déclare qu'il n'est nullement question de porter atteinte à la religion, et que la République en France a souvent accordé au clergé plus de libertés que la monarchie.

M. de Mun, avec la hautaine élégance et la chaleur pressante qui caractérisent son talent, tient la Chambre suspendue à ses lèvres : il est prophète, hélas ! quand il prédit, dans sa péroraison, les longs démêlés, la guerre (car le mot est prononcé) qui menace de s'ouvrir entre les deux Frances : Eh bien ! et ce sera mon dernier mot, n'espérez pas que l'agitation dont vous parlez vienne à se calmer ; n'espérez pas que les familles catholiques vous regardent avec indifférence détruire l'œuvre qu'elles avaient vu édifier avec de si grandes espérances. Fidèles à leur religion, qui leur commande le respect des lois, mais fortes de leur conscience et de leur droit, les catholiques ne cesseront de protester contre la violence que vous allez leur faire ; ils conserveront le ferme espoir que leur voix impuissante à vous arrêter dans la guerre que vous nous déclarez, trouvera plus d'écho dans une autre assemblée qui leur rendra, nous le croyons encore, la justice qu'ils réclament.

Cette péroraison était un acte politique. Elle formulait l'appel au Sénat.

M. Jules Ferry répond. Il affirme le principe essentiel de la Révolution et, au fond, le principe de tout gouvernement en France, depuis qu'il y a une France : Il faut que l'État soit laïque. Voilà le vrai débat. Les nouvelles institutions républicaines sont mises à l'épreuve.

Par 365 voix contre 133, la Chambre passe à la discussion des articles. Ce chiffre de 365 est celui de la majorité républicaine unie. On le retrouvera souvent. La loi est adoptée par 357 voix contre 123 (7juin).

Et le Sénat ?...

A la Chambre, le 8 juin, au sujet de la proposition de M. Naquet relative aux modifications à apporter au recrutement du jury, s'ouvre le premier débat sur ces propositions de l'extrême gauche qui ont paru si menaçantes. M. Dufaure est bien obligé de se séparer de cette partie de la majorité qui pourtant l'a soutenu la veille. Il fonce bravement sur elle ; mais du même coup rompt et désagrège le bloc sur lequel son ministère est fondé. Il se tire péniblement d'embarras avec le vote de 254 voix, pour la plupart de droite, qui repoussent la proposition Naquet : 132 républicains ont voté contre le cabinet.

Le Sénat se sent ou se croit l'arbitre de la situation. Un sourd travail s'est accompli, depuis quelques jours, parmi ses membres. La droite saisit une occasion de faire connaitre sa force : il y a un sénateur inamovible à nommer en remplacement de M. Ricard. Les gauches portent M. Renouarcl, procureur général à la Cour de cassation. Les droites opposent M. Buffet, si impopulaire, même à droite, il y a quelques mois à peine, M. Buffet dont le nom rompt en visière à la majorité.

A la suite du vote de la Chambre sur la collation des grades, les légitimistes sont revenus vers les droites modérées. On les a reçus à bras ouverts. Le malheur rapproche. M. Buffla est élu, le 16 juin, par 144 voix contre 141. L'Élysée, disait-on, avait appuyé cette candidature, tandis que les ministres sénateurs votaient pour M. Renouard.

La veille, 15 juin, le maréchal avait passé en revue, sur le terrain de courses de Longchamp, les troupes de toutes armes stationnées dans le gouvernement de Paris.

Il y avait, de nouveau, en France, une politique du maréchal.

 

III

Le banquet Hoche a lieu le 24 juin. M. Gambetta était de mauvaise humeur. Dans le discours traditionnel, il s'en prend à tout le monde : à la droite et à la politique de dépit, aux pygmées ridicules et prétentieux qui, derrière leurs canapés, profèrent des menaces contre l'avenir de nos institutions, à la majorité : Savez-vous ce que je redoute le plus ? ce sont les majorités qui manquent d'équilibre et de contrepoids, qui manquent d'adversaires (on n'en manquait pas, pourtant !) ; ce sont les majorités dont la force peut égarer la raison. Cette Chambre indisciplinée, ce Sénat inquiétant, ce président qui ne se laissait pas faire ; décidément, la constitution fonctionnait mal ; elle rie fonctionnait pas.

Les partis, mécontents d'eux-mêmes, reviennent sur les histoires passées : M. Marcou et les membres de l'extrême gauche demandent des poursuites coutre les complices du coup d'État de 1851 ; réciproquement, le baron Dufour réclame des poursuites contre les auteurs et les complices du 4 septembre. Quand on fait de la politique historique, c'est que le présent est trouble et que les passions tournent à vide.

M. de Cassagnac pose au gouvernement une question irritante au sujet de la nomination de M. Jean David comme maire d'Auch. Le bruit s'est répandu que le maréchal est en dissentiment avec ses ministres pour l'établissement des nouvelles listes de municipalités. M. de Cassagnac affirme que toutes les droites unies soutiennent le président contre le cabinet et coutre la majorité. Ces sorties embarrassent des hommes, comme M. Keller, qui a l'honnêteté de le dire tout haut ; mais elles embarrassent plus encore le cabinet, qui se porte garant de la fidélité du maréchal aux institutions républicaines.

Il reste à savoir si, oui ou non, le maréchal et à cabinet sont d'accord sur l'abrogation de la loi des maires. C'est la question du jour. Le lundi 29 niai, le ministre de l'intérieur avait déposé à la Chambre un projet de loi concernant l'organisation municipale. En  gros, c'était un retour à la loi de 1871. Cependant, moins libéral que celle-ci, le projet réservait, encore au gouvernement la nomination des maires dans les chefs-lieux, y compris les chefs-lieux de canton ? Le maréchal ne voulait pas faire un pas de plus. Et, pourtant, il s'agissait d'un intérêt capital aux yeux de la gauche : c'était bien, comme le dit M. Jules Ferry, la chair de sa chair et les os de ses os ; la base de tout le recrutement politique repose sur l'organisation des municipalités, puisque les municipalités influencent le suffrage universel et sont maitresses du suffrage sénatorial. Le parti républicain pensait qu'en cas de dissolution, il devait être prêt.

Le projet est renvoyé à une commission qui choisit M. Jules Ferry pour président et pour rapporteur. La politique de M. Jules Ferry se distingue de celle de M. Gambetta. Plus prudente, elle a ses avenues ouvertes vers l'Élysée. M. Jules Ferry adopte, dès lors, une conception gouvernementale qu'il appliquera toute sa vie : il ne songe nullement à affaiblir les pouvoirs constitutionnels l'un par l'autre, mais bien à les fortifier en leur faisant rendre le plein de leurs attributions nettement délimitées. Dans la flottante imprécision de la constitution, c'était là une vue de politique profonde. Les institutions se seraient améliorées d'elles-mêmes par le jeu de la pratique, par une sorte d'édit du prêteur.

Comme la majorité de la Chambre, la commission est d'avis que le projet de loi est insuffisant ; mais si l'Élysée ne veut pas céder, s'inclinera-t-on ou passera-t-on outre ? C'est, à la fois, une question de principe et une question de méthode.

Vers le milieu de juin, la situation s'aggrave : Crise ministérielle et crise gouvernementale, une des crises décisives de notre République naissante, écrit M. Jules Ferry.

On négocie. Parmi ces allées et venues, l'élection Buffet éclate comme un coup de foudre. L'Élysée a, maintenant, au Sénat, une majorité où s'appuyer.

La commission presse le ministère. Elle réclame une loi plus libérale. Le ministère se dérobe. Évidemment, on a de lui des engagements. Toutes les combinaisons présentées échouent devant un non irréductible. La résistance du cabinet est une muraille[12]. Que faire ?

La droite n'a pas de peine à deviner l'embarras du gouvernement et de la majorité. Elle est probablement avisée sous main ; aussi, elle insiste pour la mise à l'ordre du jour de la loi.

Le rapport est déposé ; mais la majorité républicaine ne veut pas suivre ; elle s'irrite. Un ami de M. Gambetta, M. Le Pomellec, rédige un amendement attribuant la nomination des maires au conseil municipal dans toutes les communes de France, excepté Paris. Les chefs des trois groupes de gauche, M. Germain, M. Bethmont, M. Gambetta, confèrent avec M. Dufaure et obtiennent de lui la promesse de saisir à nouveau le conseil — c'est-à-dire le maréchal.

Séance du conseil le 1er juillet. Le maréchal aborde, de lui-lui me, la question : Où en êtes-vous de la loi municipale ? demande-t-il à M. de Marcère ; et, sur l'exposé qui lui est fait de la situation : — Mais vous n'avez pas de majorité, s'écrie-t-il ; on ne peut pourtant pas gouverner sans majorité. — C'est la future tactique du 16 mai qui s'esquisse. — Si vous n'avez pas de majorité, il faudra en chercher une. Quant à moi, sachez-le, je n'irai pas plus loin. Je ne ferai pas de concessions. Vous, Monsieur de Marcère, vous êtes ma limite extrême, entendez-vous. Je n'en dirai pas davantage. Si vous ne pouvez pas former une majorité, j'en chercherai une ailleurs. Et l'on se tromperait si l'on imaginait que je la chercherai plus loin à gauche ou que je changerai les ministres des affaires étrangères et de la guerre, dont les services ont été appréciés par l'Europe[13]. Si on ne se met pas d'accord, eh bien, il reste la dissolution. Et cette fois, les choses ne se passeront pas comme la première fois. Personne ne sera autorisé à se servir de mon nom[14].

Il faut céder. L'accord se fait entre le maréchal et le gouvernement d'abord, puis entre le gouvernement et la commission. Celle-ci, à la majorité de 9 voix contre 2, accepte, à titre provisoire, la proposition même du cabinet, c'est-à-dire la loi de 1871 modifiée dans ce sens que la nomination des maires dans les chefs-lieux de canton est laissée au gouvernement. La discussion s'ouvre le mardi 11 juillet. L'amendement Le Pomellec-Gambetta est le texte sur lequel on se comptera. Il faut choisir : brusquer ou temporiser ; la bataille ou l'atermoiement.

Si le Sénat n'eût pas manifesté son opinion par l'élection Buffet, on eût pu escompter, à gauche, les chances de la résistance. Mais, maintenant, la résistance, c'était le conflit certain d'un pouvoir contre les deux autres. M. Jules Ferry, dessinant ici très-nettement sa propre physionomie politique, dit, en défendant la commission devant la Chambre : ... Je sais qu'il y a, parmi mes honorables collègues qui siègent à gauche, des hommes politiques éminents qui se rattachent à une autre école. Ils ont, rêvé, et ils semblent se contenter de ce rêve, qu'il nous suffirait de légiférer ici, comme si nous étions une assemblée unique, et nous complaisant dans notre isolement, de tout décider, de tout remuer, de tout organiser suivant nos vœux, sans nous préoccuper de l'autre Assemblée. C'est une politique, j'en conviens, mais ce n'est pas une politique efficace ; et permettez-moi de vous le dire, si cette politique avait été suivie durant, les cinq dernières années qui viennent de s'écouler, la France ne serait pas aujourd'hui en possession de la République... Et il reprend à son compte la formule : La politique des résultats.

M. Gambetta réplique, et le duel entre ces deux compagnons d'armes, entre ces deux maîtres de l'avenir, est aussi intéressant pour les destinées de la République que significatif pour la nature des deux hommes. C'est le jouteur froid et le jouteur ardent : M. Jules Ferry, sur la défensive, énerve et fatigue son brillant adversaire ; son ton parfois sarcastique excite et brise l'élan passionné et chaleureux du tribun.

M. Gambetta n'est pas dans une bonne position. Emporté par sa hâte, par son désir de rompre les pièges tendus devant lui, il s'irrite, il s'embrouille, il n'est pas toujours d'accord avec lui-même : Nous ne voulons pas renverser le cabinet, dit-il d'abord. Je ne suis pas décentralisateur, ajoute-t-il bientôt... De quoi se plaint-il, alors ? Une première passe d'armes n'est pas heureuse : mais, excité par la lutte, il reparait à la tribune, laisse les arguments de parade et dénonce le fantôme de respect qu'on n'ose approcher : Je ne trouve pas le motif qui a paralysé la commission... Il y a, évidemment, quelque chose qui nous échappe dans cette politique... Quant à moi, je le dis, je ne me sens pas libre.

Le coup porte. Mouvement prolongé, dit le compte rendu. Le fer est sur la plaie.

M. de Marcère, en termes mesurés, demande à la Chambre de réfléchir avant de toucher à l'harmonie des pouvoirs. D'ailleurs, le vote de la droite est acquis d'avance. La Chambre, par 389 voix contre 76, repousse la proposition préjudicielle de M. Le Pomellec. M. Gambetta est battu ; mais il a reconquis son équilibre vers les gauches avancées.

M. Le Pomellec retire son amendement sur l'article 2. Cet amendement est repris par M. Madier de Montjau. Simple manifestation : l'amendement est écarté. La droite, poursuivant le même objet en sens inverse, propose le retour pur et simple à la loi de 1871. Elle ne réussit pas davantage. Au scrutin, M. Gambetta et plusieurs de ses collègues ont employé, pour s'abstenir, la formule : Retenus à la commission du budget. C'est la première fois que ce motif fut invoqué.

M. Jules Ferry était le vainqueur de la journée. Il apprécie lui-même en ces ternies les suites du vote : La première conséquence est un classement nouveau, plus précis, moins empirique des groupes de gauche. La Montagne est reconstituée, elle se sépare définitivement de la majorité républicaine. M. Gambetta a voulu éviter ce résultat en soutenant, au début de la législature, la nécessité de l'union des diverses fractions de gauche. La séparation est aujourd'hui acquise... L'extrême gauche a des éléments essentiellement réfractaires. Il y a là des tempéraments irréductibles faits pour bouder jusqu'à la fin des temps, des vanités intraitables que rien ne ramènera... Le propre de cette assemblée est son imperturbable bon sens. M. Madier de Montjau n'y fera aucun ravage. Quant à la situation de l'Union républicaine, elle est moins claire : partagée qu'elle est entre deux courants, celui qui la porte vers le pouvoir républicain et celui qui la retient du côté des atrabilaires... Les cinquante membres de l'Union républicaine qui votèrent la motion d'ajournement imaginée par M. Gambetta savaient à merveille qu'ils ne seraient pas suivis : et les trente réfractaires qui jugèrent il propos de se séparer, jouaient sur le velours. Dans les votes décisifs, l'abstention fut le refuge des uns et des autres. Parmi les pointus eux-mêmes, il n'y en a pas vingt-cinq qui tiennent à rester pointus jusqu'au bout... Les termes étaient vifs. La mise en demeure est catégorique : C'est au groupe central, à cette majorité de gauche, désormais constituée en dehors de l'Union républicaine elle-même, sans appoint ni du centre droit ni du centre gauche, à cette majorité que M. Gambetta a vue se former avec inquiétude, mais qui sera à lui quand il voudra — la seule condition d'être avec elle et rien qu'avec elle, — c'est cette majorité que profiteront les inévitables escapades, les niaiseries solennelles, le faux goth et l'esprit faux de la nouvelle Montagne.

Vrai morceau de psychologie parlementaire. Page toute de pénétration, expliquant et couronnant une remarquable manœuvre. M. Gambetta sentait la poigne d'un égal.

Donc, une nuance très intéressante apparaissait. Le maréchal de Mac Mahon ne pouvait plus s'entêter dans sa bouderie. Sa volonté pouvait jusqu'à un certain point modifier même celle de la Chambre. C'était un régime très particulier qui s'essayait. Le septennat devenait une réalité. En tout cas, si le cabinet Dufaure succombait, on avait préparé, tout au moins, un relai...

Mais, à ces heures troublées, la prudence n'était l'apanage d'aucun parti. Les amis du maréchal ne songeaient qu'à confirmer, au profit de la droite, une victoire qui n'avait été remportée qu'avec le concours des gauches. On vantait l'efficacité de la résistance. On portait le Sénat aux nues à l'occasion de l'élection de M. Buffet. Avec la présidence, le Sénat et les fractions modérées des groupes républicains, on croyait pouvoir recommencer un 24 mai. Toujours le même manque de finesse et de discernement dans l'appréciation des réalités, toujours la même exigence des extrêmes et des exaltés, toujours la même pusillanimité des sages et des clairvoyants.

 

Tous les yeux étaient tournés vers le Sénat. Il était saisi de la loi Waddington relative à la collation des grades. Sur cette question, les droites faisaient bloc. Une partie des gauches même les rallièrent au nom des principes libéraux. C'est alors que les grandes figures de l'Assemblée nationale descendent sur le devant de la scène.

M. Paris est le rapporteur de la commission sénatoriale. Il conclut au rejet de la loi. Il défend comme équitable, honorable et sage, la combinaison du jury mixte pour la collation des grades telle que l'a institué la loi Dupanloup. Une loi qui n'a pas un an d'existence, qui n'a pu encore entrer dans l'application, ne peut être ainsi bouleversée selon les caprices des majorités. Mgr Dupanloup et M. Challemel-Lacour parlèrent : le sage M. Laboulaye se déclare contre le projet dans la crainte pie ce brusque retour sur la loi de 1875 n'éloigne les catholiques de la République. M. Wallon demande le renvoi à une autre session, — le temps de la réflexion. Mais le combat est engagé. Ce n'est pas seulement le principe qui est en cause, il s'agit d'une position politique à conquérir. Oui ou non, le Sénat aura-t-il une autorité déterminante et indépendante sur l'œuvre législative et constitutionnelle du gouvernement ?

Le duc de Broglie prend le drapeau : C'est le premier acte important auquel le Sénat est appelé à concourir : suivra-t-il la Chambre ? Le Sénat a été institué précisément pour parer aux inconvénients du caprice populaire. Constitué comme une digue pour résister au flot, va-t-il céder à la première vague qui vient battre contre lui ? En cédant, il abdiquera son rôle... On transforme les luttes politiques en luttes religieuses. C'est le chemin des persécutions... Dans une réunion électorale (Lille, 6 février 1876), M. Gambetta a dit, avec une autorité arrogante : Je ferai abroger cette loi ; cette voix a été déjà obéie : si elle l'est encore, elle le sera jusqu'au bout. Le parti avancé, pour la première fois depuis les élections, approche du pouvoir par les voies légales. Il se croit très près d'y monter... Il essaye d'apprivoiser les intérêts matériels. Ceux-là, on les ménagera, mais on livrera à ceux qui s'impatientent les intérêts religieux. Cela servirait à donner le change, à faire prendre patience ; on gagnerait du temps et la politique des résultats irait à son but, du pas lent et sûr qu'elle a annoncé (allusion au récent discours de M. Spuller) et qui lui convient.

Avec quel art cette première poussée contre les institutions républicaines se produisait ! Les raisons, les appréhensions, les rancunes, tout était réveillé, caressé, exalté, par cette harangue prononcée à mi-voix et que des lèvres pincées laissaient tomber d'un air dépris. Le grand seigneur, homme d'État déchu, se révélait un chef d'opposition incomparable.

M. Dufaure répond. Il se sait battu d'avance et plaide sans conviction une cause qui ne lui tient pas au cœur. Il réfute avec modération le fameux argument du premier pas : On a déjà entendu ce langage sous la monarchie de Juillet, à propos de la loi électorale de 1831... Vous nous dites que nous faisons le premier pas et que nous ne savons pas où cela nous conduira. Moi, je vous dis : Vous faites une première résistance. Jusqu'où résisterez-vous ?

C'était la vraie question... et c'est l'éternelle question. La politique est l'art de mesurer l'effort an résultat et de faire un pas qui ne soit pas nécessairement le premier pas. Tout est dangereux à l'extrême : mais l'immobilité n'est pas une solution.

Les opinions étaient fixées. Le bienfaisant M. Wallon a demandé l'ajournement de la discussion à la prochaine session. L'amendement est repoussé par 139 voix contre 139 : M. Wallon est l'homme des petites différences. Par 140 voix contre 139, le Sénat décide qu'il ne passera pas à la discussion des articles.

Le ministère était battu. Il ne donne pas sa démission, refusant, par ce seul fait, au Sénat, une autorité parlementaire absolue sur la marche du gouvernement. Pourtant, la constitution ne s'était pas prononcée. Le Sénat, heureux de sa victoire, ne songea pas à pousser plus loin les choses.

La Chambre était battue en même temps que le ministère et, là, c'était le conflit.

La Chambre, aussitôt, relève le gant.

A propos de la nomination du nouveau maire de Valence, M. Deupès, M. de Cassagnac adresse une question au ministère et affecte de séparer le maréchal de ses ministres : M. Gambetta saisit l'occasion de répondre au duc de Broglie : il le fait avec une netteté et une force singulières. Il n'était pas fâché de donner une leçon aux temporisateurs.

Profitant de l'entrée en matières fournie par M. de Cassagnac, il vise à la tête, et se sert, du cabinet même, comme d'une arme contre l'Élysée : Il est nécessaire, dit-il, que la Chambre, pour faire un acte vraiment politique, exprime sa confiance dans le cabinet... Il faut qu'un ordre du jour catégorique instruise le pays, instruise surtout ceux... ou plutôt, pour être clair, instruise celui à qui vous prétendez adresser vos avertissements, lui apprenne que cette Chambre, tout en respectant la constitution, sait en écarter ceux qui s'en écartent... Il est temps d'en finir avec ces tentatives qui ne tendraient à rien moins qu'à prêter au chef de l'État un rôle qui serait en contradiction avec l'épithète même dont vous le saluez, l'épithète de loyal. Quant au Sénat, ajoute l'orateur, j'ai contribué à sa constitution ; je ne le regretterai jamais. Ce ne sont Pas quelques voix déplacées et recrutées à l'aide de quelles intrigues, vous le savez, ce ne sont pas les votes de trois ou quatre personnages qui arrêteront la volonté du suffrage universel, et celui-ci aura le dernier mot.

Les trois chefs des groupes de gauche ont déposé un ordre du jour de confiance qui condamne, à la fois, les manœuvres des fonctionnaires révoqués et les menées bonapartistes.

L'ordre du jour est voté par 350 voix contre 0.

Le 23 juillet, une discussion très vive s'engage à la Chambre, au sujet d'indiscrétions commises dans les sujets de compositions de l'école polytechnique. On vise les jésuites de la rue des Postes. Un instant, le ministre de la guerre, M. de Cissey, est en péril. On le tire d'affaires par une promesse d'enquête. Mais il sort diminué du débat.

Le cabinet, battu au Sénat, débordé à la Chambre, peu sûr du maréchal, se traîne plutôt qu'il ne vit. M. Dufaure s'abandonne. La mort de M. Ricard lui a ravi son plus solide lieutenant. M. de Marcère, malgré une bonne volonté et une grâce réelles, ne s'est pas imposé au parlement.

Pourtant, de part et d'autre, on hésite avant d'en venir aux mains. On se compte, on réfléchit.

 

Le cabinet profite de cc répit pour demander à la Chambre le vote du budget. On est au 23 juillet, en pleine canicule. Les députés étaient impatients de rentrer chez eux ; cependant, ils avaient à cœur de ne pas laisser s'achever la première session des Chambres républicaines sans entamer au moins la discussion du budget. M. Gambetta, président de la commission de finances, n'avait pas oublié l'admonestation adressée à celle-ci par M. Grévy. On tenait à ce que la République prit figure de gouvernement.

Le lundi 17 juillet, tous les rapports spéciaux étaient déposés sur le bureau de la Chambre. M. Gambetta expliqua rapidement le double caractère des travaux de la commission : d'une part, elle a fait le ménage de la France ; d'autre part, elle a étudié un projet de réforme financière qui sera soumis à la Chambre dès la rentrée d'automne.

Le parti républicain, qui avait tant promis, avait à réaliser maintenant. Mais, devant la difficulté de l'entreprise, il hésitait et se livrait à de nécessaires et laborieuses études.

M. Haentjens, bonapartiste, raille, le 2 juillet, quand s'ouvre la discussion générale, le premier projet de budget proposé par un gouvernement républicain, élaboré, pour la première fois, par une commission composée de républicains. On ne fait, en somme, que suivre les errements monarchiques et reprendre pied à pied cc qui s'est fait, soit dans les chapitres de recettes, soit dans les chapitres de dépenses. On était si sévère pour les budgets impériaux, et on s'en tient les copier servilement ! Le  contribuable ne s'apercevra du changement de régime que par une aggravation de charges.

M. Léon Say répond à M. Haentjens : les augmentations inscrites aux budgets de la République sont la rançon des fautes et, des folies impériales. Il ne s'agit pas de récriminer, mais d'équilibrer les ressources du pays et les dépenses par un sérieux et utile examen du projet soumis aux Chambres.

Le budget de l'instruction publique et le budget de la guerre furent examinés d'abord. Au budget de l'instruction publique, la Chambre, décidée assumer la vaste entreprise de l'instruction populaire obligatoire, sur laquelle le parti républicain fonde de si belles espérances, augmente de 12 millions les divers services de l'enseignement[15]. On se disputa à propos des facultés de théologie, comme on le faisait chaque fois que la question religieuse était sur le tapis. On parla beaucoup du Syllabus.

Les crédits de la guerre furent la cause de débats  passionnés du 1er au 11 août. Le rapporteur était M. Langlois, qu'on appelait familièrement le colonel. M. Gambetta veillait à cette entrée en relations de la République et de l'armée. Les adversaires du nouveau gouvernement ne songeaient qu'à troubler, dès le début, cette délicate union. L'armée n'appartenait-elle pas de droit aux régimes monarchiques ? L'esprit militaire peut-il se concilier avec l'esprit démocratique ? Les sentiments religieux de la plupart des officiers ne seront-ils pas choqués par les dispositions anticléricales déclarées de la majorité ?

M. Gambetta, par sa vigilance sympathique, sa finesse, sa clairvoyance, rendit alors au pays, et aux institutions le plus rare service. Il se fit, pour ainsi dire, l'avocat de l'armée, son défenseur, son patron : il sut trouver la juste mesure et inspirer la confiance tout, en introduisant, dans le complexe budget de la guerre, l'esprit de réforme et d'économie trop souvent odieux à la routine des administrations et des bureaux. Vingt fois il revient à la charge, assidûment, éloquemment, précisant, distinguant, éclaircissant, apaisant. Ce fut une de ses campagnes les plus brillantes et les plus heureuses. M. Gambetta convenait aux grandes causes et aux grandes circonstances.

Le général de Cissey, ministre de la guerre, ancien président du conseil, fort de la protection du maréchal de Mac Mahon et de l'appui de M. Thiers, d'ailleurs intelligent, et souple, était un peu vieilli et dominé par son entourage. Il était vivement traqué par la presse : il avait, sans consulter le parlement, fait signer un décret d'unification des soldes entrainant une dépense de 32.500.000 francs. A titre de blâme, la Chambre finit par voter une diminution de 3.000 francs que le ministre dut accepter.

Le rapporteur, M. Langlois, avait découvert, dans les chiffres fournis à la commission, une erreur de huit centimes qui, corrigée, réalisait une économie de 13 millions. Les bonapartistes affirmaient que cette façon d'éplucher les comptes était un outrage à l'armée. La discussion fut des plus vives. M. Dréolle s'écrie que l'armée est au-dessus des lois. Mais le président Grévy ramène vertement M. Dréolle.

Quelques mesures d'économie, notamment la suppression de l'indemnité d'entrée en campagne pour les officiers partant pour l'Algérie et le refus des fonds destinés à l'aumônerie militaire, alimentèrent la polémique.

Enfin, ce cap difficile fut franchi.

Après le vote de son budget, le général de Cissey offrit sa démission. Elle fut acceptée. Il fut remplacé par le général de division Berthaut (15 août) dont le nom, agréable nui maréchal, fut favorablement accueilli par l'opinion et par les Chambres.

Le gouvernement a assisté à ces débats plus qu'il ne les a dirigés. On le sent, il se sent lui-même diminué, affaibli. Pris entre deux feux, c'est-il-dire entre les deux partis et les deux Chambres, son existence ne tient, qu'à un fil. Cependant, la saison tardive, l'appréhension du lendemain, un dernier respect arrêtent encore les gestes décisifs. Les vacances sont proches. A la rentrée.

Le Sénat donne des mains à ce sursis. Le projet Marcère, sur la nomination des maires et des adjoints, lui avait été soumis le 18 juillet. Il est inscrit à l'ordre du jour pour le 8 août, M. de Parien rapporteur. La discussion est abordée dans un esprit de transaction. Malgré l'opposition de M. de Broglie, de M. Bocher, de M. Grivart, qui propose de laisser le choix des maires au gouvernement, à condition qu'ils ne puissent être pris en dehors des conseils municipaux, après un éloquent discours de M. Jules Simon en faveur du projet et une sage déclaration de M. de Marcère, l'ensemble du projet, légèrement amendé, est adopté par 176 voix contre 89. Il est discuté immédiatement à la Chambre ; celle-ci, sur le rapport de M. Jules Ferry, adhère aux changements proposés par le sénat comme un dernier et pénible sacrifice.

Cette loi, qui avait été, avec la loi des gracies, l'œuvre politique du cabinet pendant la session, réalisait finalement l'accord entre les deux Chambres, tandis que la loi des grades instituait le conflit. La machine gouvernementale eût marché peut-être, si la question religieuse ne l'eût entravée ou détraquée.

Le 12 août, M. Dufaure est élu sénateur inamovible en remplacement de M. Casimir-Perier par 137 voix contre 100 à M. Chesnelong.

Le même jour, M. Dufaure au Sénat et M. de Marcère à la Chambre lisent le décret de clôture. Le dénouement de l'imbroglio est reporté après les vacances.

 

IV

Les vacances se passèrent comme d'ordinaire : villégiatures, bains de mer, chasse. Le monde des affaires se repose ou s'amuse. Quant au monde politique, qui ne s'arrête jamais, il se distrait selon les rites habituels : banquets, réunions publiques, voyages officiels, discours.

Quelques élections sénatoriales et législatives : 20 août, Mayenne (M. Bernard du Treil, élu sénateur) ; 27 août, Morbihan (M. de Mun réélu) ; Côtes-du-Nord, Guingamp (M. Huon, républicain, élu contre M. de Lucinge invalidé) ; 1er octobre, Hautes-Alpes, Embrun (M. Ferrary, radical, élu) : Nord, Cambrai (M. Bertrand-Milcent, républicain, élu) ; Gers, Auch (M. Peyrusse, invalidé, réélu) ; Haute-Garonne, Saint-Gaudens (M. Troll, bonapartiste, invalidé, réélu) ; Meurthe-et-Moselle, Toul (M. Petitbien, républicain, élu) ; Oise, Senlis (M. Franck-Chauveau, républicain, élu) ; 12 novembre, Charente-Inférieure (M. Mestreau, républicain, élu) ; 19 novembre, Drôme, Valence (M. Isidore Christophle, républicain, élu). Enfin, Doubs (M. de Mérode, conservateur, élu contre M. Février, républicain).

Aucun changement appréciable dans les situations acquises. Pourtant, le Sénat se renforce plutôt à droite, taudis que la Chambre gagne à gauche. L'une et l'autre majorité est encouragée à se tenir sur ses positions.

Le maréchal de Mac Mahon s'occupe avec assiduité du progrès matériel et moral de l'armée. Celle-ci subit le contre-coup des émotions politiques qui agitent le pays. Aux obsèques civiles du compositeur Félicien David, le piquet d'honneur se retire. Dans la Nièvre, le général Ducrot ordonne à ses troupes d'assister sous les armes, en service commandé, à une messe militaire célébrée au mont Beuvron. Des officiers, invités à présider des distributions de prix, se livrent à des manifestations oratoires qui alimentent les polémiques locales. Le général Berthaut croit devoir tracer la règle de conduite de la grande muette.

Le maréchal-président passe une revue et fait exécuter des manœuvres de tir, le 27 août, au camp de Châlons. Un décret présidentiel du 28 septembre maintient dans leur service, pour une nouvelle période de trois ans, les commandants de corps d'armée. Le maréchal de Mac Mahon se montre bon camarade. Mais la République est gardée par de grands chefs qui ne l'aiment guère !

Le président quitte Paris le 5 septembre ; il se rend aux grandes manœuvres, exécutées, pour la première fois, avec la participation des réservistes. Malgré quelques protestations isolées, l'enrôlement des réservistes s'est accompli normalement : la nouvelle armée est constituée. Les manœuvres des Se et i 4e corps, commandées par les généraux Bourbaki et Ducrot, eurent lieu dans les environs de Lyon. Le maréchal entra dans cette ville le 9 septembre. Sa bonhomie lui attirait la sympathie des populations et, malgré quelques cris de : Vive l'amnistie ! fut chaleureux à la Croix-Rousse. De Lyon, le maréchal se rendit à Bourg, à Lons-le-Saunier, à Poligny, à Champagnole et à Besançon. Il assista aux manœuvres du 7e corps d'armée, commandé par le duc d'Aumale... Ducrot, Bourbaki, Aumale, ces noms donnaient à réfléchir.

Le président rentre à Paris le 14 septembre. Le 21 septembre, il quitte de nouveau l'Élysée pour prendre part aux manœuvres des 3e et 4e corps. Il se sentait, à sa place, plein d'activité et d'autorité, au milieu des troupes.

Que de regards se tournaient vers lui ! Mgr Pie parla, le 1er octobre 1876, à la cathédrale de Reims, à l'occasion de la fête de saint Remi. Clovis à la tête des Francs, c'était le maréchal à la tête des vrais serviteurs de Dieu et de la France : Mais osez donc ! s'écriait l'évêque, nouveau saint Remi ; — osez donc, vous qui présidez, en quelque mesure que ce soit, aux destinées de la France, et ne craignez rien de l'opinion du vrai peuple. Il est prêt à vous suivre. La religion du Christ est, depuis quatorze siècles, et elle restera la religion nationale !

C'était comme une exaltation du sentiment religieux après la déception des élections succédant aux années si douces de l'Assemblée nationale. Le gouvernement, malgré la prudence du président Dufaure, était forcé d'agir : une circulaire du garde des sceaux réprimait certains abus en matière d'acceptation de legs institués en faveur des œuvres religieuses ou de paiements indûment faits pour des fonctions ecclésiastiques non remplies. Quelques évêques eussent voulu modérer l'ardeur militante du clergé et des fidèles. L'évêque de Gap publiait (novembre 1876) deux lettres pastorales dans lesquelles il recommandait au clergé de ne pas se mêler aux choses de la politique et où il signalait le danger de faire de la religion le drapeau d'un parti. Voix isolée.

A ce même moment, Mgr Dupanloup fondait le Journal la Défense sociale et religieuse. Mgr Guibert, cardinal-archevêque de Paris, soutenait, contre la circulaire du garde des sceaux, la thèse que le budget des cultes, représentant le revenu des biens ecclésiastiques confisqués en 1792, était intangible.

Un incident provoqué par Rome forçait M. Dufaure, imbu des traditions gallicanes, ii montrer quelque fermeté à l'égard du Saint-Siège. Le pape, dans gille bulle d'investiture, datée du 26 juin 1876, qui consacrait Mgr Caverot, comme archevêque de Lyon, avait affirmé le droit du Saint-Siège de dédoubler, au besoin, le vaste diocèse de Lyon-Vienne. Or, en vertu du concordat, une pareille mesure ne pouvait être prise que d'accord avec le gouvernement français. M. Dufaure soumit à la signature du président un décret en vertu duquel le passage de la bulle relatif au dédoublement éventuel (lu diocèse ne serait pas admis en Franco ni enregistré par le conseil d'État.

A la suite de cet incident, M. de Corcelle, ambassadeur près du Saint-Siège, donna sa démission[16]. Le cardinal de Bonnechose vit le maréchal à l'Élysée. Comme pour ajouter aux épines du Saint-Père, le gouvernement français venait d'ériger en ambassade la légation accréditée près du roi d'Italie : le titulaire, M. le marquis de Noailles, était confirmé en qualité d'ambassadeur, et le général Cialdini était nommé, réciproquement, ambassadeur à Paris.

Le maréchal s'épancha dans le sein du cardinal. Il déplorait ces mesures, disant qu'il n'avait pu les empêcher, mais qu'il demeurait fermement résolu à défendre l'armée, la magistrature et le clergé, ces trois boulevards de l'ordre social. Le cardinal vit aussi M. Dufaure et M. le duc Decazes. Il les trouva pleins de dispositions qui lui parurent excellentes, mais, eux aussi, découragés, déçus, résignés. L'autorité du gouvernement est très faible, lui dit M. Dufaure. L'autorité manque à tout le monde, conclut le cardinal[17].

En public, le gouvernement affiche un grand optimisme. M. de Marcère avait prononcé un discours, le 20 août, à Domfront : La République est fondée : elle protège toits les intérêts sérieux du pays. Elle permet les longs espoirs dont parle le poète... Elle a maintenant la faveur de la Providence qui, après avoir, dans des circonstances terribles, placé sa naissance sous les auspices d'un patriote illustre, lui réservait dans M. le maréchal de Mac Mahon un des plus nobles modèles de loyauté, de courage civique et militaire, le type même de l'honneur français... C'était du lyrisme !

Dans les banquets républicains, — M. Louis Blanc (22 septembre), M. Naquet (24 septembre), — on se montrait méfiant. M. Naquet reprenait le programme des jacobins de 1792 à Thermidor.Y conquis la guillotine ? interrogeaient les polémiques adverses.

M. Gambetta remettait les choses au point dans un discours prononcé à Belleville, le 27 octobre. Il faisait devant cet auditoire, d'abord rebelle, puis entrainé par la chaleur du verbe et la force de la conviction, l'apologie de la politique de transaction. Il qualifie la Commune d'insurrection criminelle. Il fait des réserves sur la campagne de l'amnistie : il défend, à ce sujet, la politique qualifiée, avec assez de dédain, d'opportunisme ; il définit, une fois de plus, cette politique : Elle consiste il ne s'engager jusqu'au bout dans une question que lorsqu'on est sûr d'avoir, sans conteste, la majorité du pays avec soi. Mais quand il y a des hésitations, quand le pays n'a pas manifesté sa volonté, quand il répugne à une mesure, quand l'adoption de celle mesure serait une cause de faiblesse et de ruine pour le gouvernement, quelle que soit alors l'ardeur qui nous pousse, je résiste et je résisterai toujours...

C'était l'inquiétude qui faisait cette sagesse si remarquable. En présence de la recrudescence inouïe des passions réactionnaires, je trouve que jamais la prudence, la circonspection, l'union et la cohésion de toutes les nuances du parti républicain n'ont été plus nécessaires. L'ennemi apparait partout, englobe tout, sous le masque clérical ; c'est le moment que l'on choisit pour diviser le parti républicain : c'est impie !

L'apostrophe vise les exaltés de la gauche, mais aussi les prudents du centre. M. Gambetta n'a pas oublié l'échec de son projet de réunions plénières. Il signale les premières conséquences.

Les questions sociales étaient reprises. Déjà, à la Chambre (23 juin), M. Laroche-Joubert, député bonapartiste, avait interpellé le gouvernement à l'effet de connaitre les études auxquelles il se livre pour arriver à l'amélioration morale et matérielle du sort du plus grand nombre. — Dans cette assemblée et dans la précédente, disait-il, on a beaucoup parlé politique. Mais, à quand le problème social ? Oui ou non, s'occupera-t-on des ouvriers ? On voit le piège. M. Dufaure avait répondu par quelques paroles évasives inspirées de la doctrine orthodoxe. M. Laroche-Joubert avait déposé, le 10 juillet, à la Chambre, une proposition ayant pour objet de favoriser le développement de la coopération.

Dès le 4 juillet, M. Édouard Lockroy, reprenant une motion déjà soumise à l'Assemblée nationale, avait rédigé une autre proposition tendant à la reconnaissance légale, à l'organisation et au fonctionnement des chambres syndicales, soit patronales, soit ouvrières. L'idée sociale était en marche : la politique faisait œuvre politique en s'en emparant.

Le 3 octobre devait se tenir, à Paris, le premier congrès ouvrier réuni depuis la Commune. Le journal radical la Réforme avait pris l'initiative ; les frais étaient couverts par M. Crémieux. Une réunion de l'Internationale avait été tenue à La Haye en 1879, où s'était accomplie la rupture entre Marx et Bakounine : un autre congrès, à Genève en 1873. Maintenant, on croyait pouvoir rentrer à Paris. Le congrès comprenait, 255 délégués de Paris, 105 de la province : loi syndicats, dont 30 de la province, et 46 unions locales ou cercles d'études étaient représentés.

Le ton fut modéré : Une fraction énorme de la population, disaient les organisateurs du congrès, a soif de réformes, veut obtenir un travail plus rémunérateur, le droit complet de réunion et d'association, mais par voie légale, pacificatrice. Les théories révolutionnaires viennent de faux ouvriers, payés par les ennemis de la République... L'idée coopérative ne fut pas soutenue. On décida la création d'un organe socialiste, le Prolétaire, dirigé et rédigé par les membres et les délégués des syndicats ouvriers parisiens, MM. Prudent-Dervilliers, Adhémar Leclerc, Paulard, Ribanier, Chabert, Joffrin, Labusquière. Les cadres se reconstituaient. Une délégation fut chargée de se mettre en relations avec les députés, MM. Lockroy, Martin Nadaud, s'intéressant plus particulièrement aux questions ouvrières. Cependant, un délégué ouvrier horloger demanda qu'on en finît avec les politiciens ambitieux qui se servent du peuple pour arriver et il fit voter, à l'unanimité, le principe des candidatures ouvrières.

La presse bourgeoise montra des égards pour ce sage congrès[18].

Les Chambres se réunirent en session extraordinaire, le lundi 30 octobre. Le temps est triste, l'humeur maussade. Le moindre incident déchaînera les tempêtes. Le inonde politique est nerveux, peu maitre de soi. On n'était phis d'accord, on n-était plus conduit, on ne savait plus oh on allait.

Dès le lendemain de la rentrée, le duc Decazes lut à la Chambre une déclaration affirmant le rôle pacifique et l'abstention de la France dans les graves complications qui se produisaient en Orient[19].

Puis on se rua, tête baissée, dans le conflit politique et religieux que les vacances avaient suspendu, non apaisé. La question de l'amnistie était toujours brûlante. Malgré la publication régulière de longues listes de grâces, parues à l'Officiel pendant les vacances[20], malgré la lettre présidentielle du 27 juin qui, en fait, mettait fin aux poursuites. la gauche n'était pas satisfaite.

M. Gatineau propose de consacrer la cessation des poursuites par voie législative (3 novembre). L'article principal de la motion Gatineau est celui qui dessaisit les conseils de guerre et qui renvoie les procédures nouvelles, s'il y a lieu, devant le jury. M. Dufaure s'oppose au dessaisissement. M. Gambetta répond à M. Dufaure. Le système des grâces fonctionne trop lentement : la cessation des poursuites n'est pas proclamée avec assez de netteté pour avoir un résultat efficace. Mieux vaut légiférer. Il faut faire quelque chose pour répondre au vœu très pressant de l'opinion.

Un débat confus s'engage sur un pêle-mêle de projets et de contre-projets. On se presse debout dans l'hémicycle ; les groupes se consultent, les députés s'interpellent. La discussion traîne, tombe et reprend. Enfin, la difficulté se précise sur une proposition de M. Houyvet, rapportée par M. Lisbonne.

Votée par la Chambre, elle accorde le bénéfice de la prescription légale pour tous les faits se rattachant la Commune qui n'ont pas encore été l'objet de poursuites, il l'exception des inculpations de meurtre, incendie ou crime de vol. La prescription est accordée également à toutes les personnes qui sont l'objet de poursuites commencées et non terminées. L'article 3 (c'est l'article important) décide que les individus exceptés par les articles précédents seront traduits devant les cours d'assises compétentes, conformément aux dispositions du droit commun. C'est le dessaisissement des conseils de guerre. L'article 3 est adopté, après pointage, par 244 voix contre 242. Les ministres ont voté contre.

Le projet sera soumis au Sénat.

La gauche de la Chambre est résolue à marcher droit devant elle, sans user d'atermoiement ni de ménagement. Le gouvernement est impuissant ; les gauches modérées se taisent. M. Gambetta, mécontent au fond, suit le mouvement.

La commission du budget, qu'il présidait. avait nommé, le 4 avril, une sous-commission spéciale, composée de MM. Gambetta, Cochery, Proust, Guyot et Le Pomellec, chargée de préparer un rapport sur la réforme de Le rapport, présenté par M. Gambetta à la commission du budget, demande la diminution des impôts indirects et conseille d'aborder hardiment la question de l'impôt sur le revenu. La commission propose de remplacer les quatre contributions par un impôt général sur le revenu, divisé en cinq cédules comprenant notamment les rentes françaises et étrangères, les pensions viagères, etc. Les bénéfices de cette réforme permettront des dégrèvements sur le sel, la petite vitesse, la chicorée, les huiles et les savons, le papier, les bougies, les vinaigres, et, plus tard, sur les sucres, les télégraphes, les lettres, les vins, les alcools... M. Haentjens réclamait un programme : en voilà un.

M. Léon Say, devant la commission, se hâte de rassurer les intérêts facilement inquiets : Rien n'est plus dangereux que de bouleverser de fond en comble, par des projets trop vastes et insuffisamment étudiés, tout le système financier. La vraie marche à suivre, c'est de procéder par réformes partielles, en subordonnant les dégrèvements aux plus-values ou aux économies. Toute refonte d'ensemble du système d'impôts est une redoutable chimère. M. Gambetta maintient les propositions de la sous-commission spéciale ; elles sont adoptées par la commission du budget (26-31 octobre). Une fois de plus, le gouvernement est en échec[21].

La discussion du budget de 1877, qui reprend en séance publique à partir du lundi 6 novembre, va remplir le calice d'amertume. Un examen attentif du budget colonial fait apparaître des abus fâcheux dans la gestion de l'administration (affaire de la société des Comores). L'amiral Fourichon, ministre de la marine, est sur le point, de donner sa démission.

A l'occasion du budget des affaires étrangères, M. Tirard demande la suppression des crédits affectés à l'ambassade de France auprès du Vatican. On fait au duc Decazes, qui défend le crédit, un accueil froid. M. Gambetta subordonne la solution de la question celle du maintien du concordat. Débat pénible. Par 363 voix contre 85 l'amendement, repris par M. Madier de Montjau, est repoussé. Non sans lenteurs et acrimonies réciproques, des escarmouches où, le plus souvent, le ministère a le dessous, se produisent sur les budgets de l'intérieur, de l'Algérie, de la justice. Pourtant, ils sont votés (18-20 novembre). A propos du budget de l'imprimerie nationale, le contrat passé par le cabinet Broglie avec M. Dalloz pour la publication du Moniteur des Communes est rompu, contrairement il l'avis de M. Dufaure. M. Floquet, quand vient le budget de la Légion d'honneur. pose la question des honneurs militaires. Le ministre de la guerre est retenu au Sénat. Malgré M. Dufaure, la Chambre ajourne le crédit et suspend la séance, ce qui veut dire qu'elle met le ministère en demeure de s'expliquer.

Les bureaux des gauches prennent l'affaire en mains et font savoir qu'ils attendent un projet de loi modifiant le décret de messidor. Le 23, M. de Marcère, le sourire aux lèvres, la confiance dans les yeux, apporte le projet de loi. Le gouvernement pense que de pareilles questions suscitent des polémiques propres à troubler les consciences : il propose de ne rien changer en ce qui concerne les honneurs funèbres rendus aux militaires et de les supprimer pour les civils, membres de la Légion d'honneur.

Projet un peu simpliste ; il est accueilli par la gauche avec surprise, avec stupeur. On demande l'urgence. L'urgence est prononcée. Renvoi au lendemain pour nommer la commission. Agitation. C'est sur cette impression que s'ouvre la discussion du budget des cultes. Il est facile de s'imaginer le diapason. M. Charles Boysset raye tout simplement ce budget (24 novembre). M. Bernard Lavergne réclame la substitution de la morale de l'État à celle de l'Église. On reparle du Syllabus. Le prince Jérôme Napoléon dénonce les influences cléricales... qui ont causé la perte de l'Alsace et de la Lorraine. A ce coup, le bon M. Keller ne se tient pas d'indignation : Moins que personne l'orateur précédent devait réveiller ces douloureux souvenirs, car il porte un nom écrit en lettres de sang dans la chair palpitante de l'Alsace et de la Lorraine... Les phrases, les discours sont hachés par les cris, interrompus par de longs tumultes. M. Gambetta monte à la tribune. Tumulte ! M. Tristan Lambert crie : Vive l'empereur ! Tumulte ! M. Gambetta parle du fanatisme clérical qui animait l'Espagnole dont on avait fait l'impératrice de France. Terrible conflit d'applaudissements et de protestations de gauche et de droite ! M. Grévy rappelle l'orateur aux convenances. La Chambre est déchaînée.

M. Raoul Duval joue le rôle de conciliateur : Il nous faut apprendre à devenir assez maîtres de nous-mêmes pour nous oublier un peu et penser plus à la commune patrie. Mais M. Madier de Montjau dit qu'il faut parler encore et parler toujours du coup d'État et des proscriptions de décembre. On est loin du budget.

La discussion est rein orée au lendemain. La commission nommée pour examiner le projet de loi sur les honneurs funèbres est hostile au projet Marcère. Le cabinet, qui a contre lui le Sénat, n'a plus pour lui la Chambre.

On reprend la discussion de l'amendement Boysset supprimant le budget des cultes. M. Dufaure se jette dans la mêlée. Il s'exprime selon sa conscience, selon ses sentiments il la fois libéraux et catholiques. C'est la véritable déclaration ministérielle sur ce sujet brillant : ce discours marque la place du cabinet devant la Chambre et devant l'histoire : Je parle au nom du gouvernement tout entier : nous voulons être parfaitement respectueux envers la religion : nous sommes convaincus que ce n'est pas être un esprit fort que de l'attaquer et de l'offenser : nous voulons être  respectueux envers elle ; mais nous n'oublierons jamais que nous sommes les représentants des pouvoirs publics en France et, à aucun prix, quelles que soient nos convictions religieuses, nous ne ferons jamais le sacrifice d'un des éléments des pouvoirs publics qui nous sont confiés : autrement, nous serions traitres à notre pays.... Je parle comme si je craignais une lutte à cet égard. Je ne la crains pas. Nous respectons sincèrement le pouvoir spirituel et nous trouvons, dans le pouvoir spirituel, un respect sincère pour notre pouvoir temporel, et si jamais des conflits s'élevaient, j'ai la ferme confiance que les bons rapports, les négociations amiables, et quelquefois, permettez-moi de vous le dire, l'intervention du Saint-Siège contribueraient calmer ces conflits, et que nous ne rencontrerions aucune résistance de la part de ces prélats si distingués et si sages qui forment, en ce moment, l'épiscopat français. C'est avec celte conduite prudente, mais ferme, que nous pourrons, je l'espère, rattacher les esprits à deux choses qui nous sont chères et dont on voudrait les éloigner : la religion et la République.

Ces paroles modérées sont applaudies. Mais l'agitation ne se calme pas. La séance est suspendue. L'incident consacre la rupture entre la gauche avancée et à président du conseil.

M. Boysset n'est pas satisfait. Il proteste. Par 430 voix contre 62, son amendement n'est pas adopté.

De nouveaux débats s'engagent sur chaque chapitre du budget des cultes, qui est disputé pied à pied. Des paroles vives sont échangées entre M. Dufaure et le rapporteur, M. Wilson, que, finalement, M. Gambetta, au nom de la commission, désavoue. M. Dufaure se renfonce dans le collet de sa redingote. Il intervient à peine ou n'intervient que pour se faire battre : battu sur le traitement des desservants ; battu sur le chapitre de Saint-Denis, sur l'école des hautes études des carmes, sur les bourses des séminaires ; battu sur les édifices diocésains d'Algérie.

En fait, le cabinet se désintéresse et le budget des cultes est voté non pas selon ses demandes, mais selon les propositions de la commission. M. Haentjens s'écrie : — Il n'y a plus de gouvernement ! (30 novembre.)

 

C'est le Sénat qui assénera le coup final. Le 24 novembre, la droite et la gauche de la haute Assemblée s'étaient mesurées une fois de plus, à l'occasion de l'élection de deux inamovibles, en remplacement de MM. Letellier-Valazé et Wolowski, décédés. La droite avait pour candidats MM. Chesnelong et le général Vinov, et la gauche, MM. Renouard et André.

M. Chesnelong, le chef laïque des catholiques français, le député non réélu à Orthez, est, nommé sénateur inamovible au deuxième tour, par 147 voix. M. Renouard est élu au troisième tour par 140 voix. L'élection de M. Chesnelong, après celle de M. Buffet, ces deux épaves du suffrage universel, prend, aux yeux de la majorité de gauche, à la Chambre, l'allure d'une provocation.

Le 1er décembre, la haute Assemblée met en discussion le projet de loi voté par la Chambre, relatif aux poursuites consécutives à la Commune : cessation des poursuites, dessaisissement des conseils de guerre, etc. La commission et son rapporteur, M. Paris, acceptent le projet, mais rejettent l'article 3 (dessaisissement). L'urgence est déclarée. Le général Changarnier, hostile au projet, ouvre le débat. M. Bertauld, du centre gauche, développe un contre — projet qui n'est qu'une paraphrase de la lettre présidentielle du 27 juin. M. Dufaure est dans une situation singulièrement difficile, puisqu'il s'est assigne pour tache de défendre (levant le Sénat un projet voté malgré son opposition à la Chambre. Mais le ministère n'est-il pas, surtout, un organe de conciliation entre les deux Chambres ?

M. Dufaure s'explique d'un air détaché, mais avec netteté. Il est contraire aux conclusions de la commission et se porte vers le contre-projet Bertauld : Nous ne pouvons pas nous plaindre, dit-il, si les Chambres veulent bien donner leur adhésion aux principes qui ont été exposés dans la lettre du président de la République. Nous regarderions le vote de l'amendement Bertauld comme une reproduction législative de la lettre de M. le président de la République ; et, quoique le projet n'émane pas du gouvernement, quoique le gouvernement soit fermement résolu à exécuter la lettre de M. le président de la République, quel que soit le sort du projet, néanmoins je ne dois pas dissimuler que le gouvernement préfère l'adoption au rejet de l'amendement Bertauld.

Planche très étroite, mais qui permettrait peut-être au ministère de passer pour essayer ensuite d'obtenir l'adhésion de la Chambre. Pouvait-on pousser au delà la bonne volonté et l'abnégation ?

La gauche et le centre soutiennent le cabinet. M. Paris repousse l'amendement au nom de la commission et de la droite, non sans ajouter : Nous ne sommes pas vos adversaires ; nous sommes vos alliés. Nous défendons avec vous la politique que vous avez défendue devant la Chambre... Et c'était vrai. Mais il y a l'esprit et la manière !

On vote. Par 148 voix contre 134, le Sénat décide qu'il ne passera pas à la discussion des articles. Le projet tombe et le contre-projet Bertauld du même coup.

Le vote acquis, un membre du centre droit, que de vieux liens unissaient à M. Dufaure, vint à son banc et lui dit, l'air inquiet : — Vous ne nous quittez pas, n'est-ce pas, pour aussi peu de chose ?

 Ce peu de chose me renverse, mon bon ami, répliqua le président du conseil. Cela sans aigreur, de l'air bonhomme et malicieux d'un philosophe qui a fait ses paquets[22].

Le soir, M. Dufaure annonça à ses collègues qu'il se retirait.

 

 

 



[1] DE MARCÈRE, Le 16 mai (p. 25).

[2] Voir les belles pages consacrées à M. Dufaure dans l'opuscule de mon éminent et regretté confrère M. ROUSSE : La liberté religieuse en France (pp. XXI et suivantes), — et le livre de M. G. PICOT, M. Dufaure, sa vie et ses discours, 1883, in-8°.

[3] MICHEL, Léon Say (p. 296).

[4] Joseph REINACH, Discours et Plaidoyers de M. Gambetta (t. V. P. 214).

[5] Il y eut, en tout, 18 invalidations. Aux élections des 14 et 21 mai 1877, Cunéo d'Ornano, de Feltre, Peyrusse, Haentjens, Gavini, Malartre, de La Rochejaquelein et de Mun furent seuls réélus. Les dix autres sièges furent occupés par des républicains. A Ajaccio, le prince Jérôme remplaça M. Rouher.

[6] La commission d'enquête fit deux rapports, l'un de M. Turquet sur les faits de l'élection, l'antre de M. Guichard au point de vue juridique. La Chambre prononça l'invalidation par 297 voix contre 171. M. le comte de Mun fut réélu.

[7] Le 6 juin 1876, le Sénat discuta un projet de loi autorisant le gouvernement à limiter et à suspendre par décret, jusqu'en 1878, la frappe des pièces de cinq francs. Le projet fut voté le 15 juin ; le 29 juin, la Chambre en fut saisie. Elle le vota d'urgence le 2 août et la loi fut promulguée le 6 août. Le libre monnayage de l'argent et l'admission de lingots en vue du monnayage particulier furent suspendus par décret le même jour.

[8] La question de la liberté de la presse fut en permanence à l'ordre do jour. Le 10 juin, M. Lisbonne déposa une proposition sur la liberté de la presse. Le jeudi 6 juillet, M. Madier de Montjau demande l'abrogation du décret de 1852 sur la presse. Ces propositions et, une autre de M. Cunéo d'Ornano furent renvoyées à l'examen d'une commission spéciale de 22 membres (20 juillet 1876).

[9] Le 28 juin, le Journal officiel publiait une note aux termes de laquelle la présidence de la République accordait un certain nombre de grâces. Dans la partie non officielle, une lettre du maréchal au ministre de la guerre annonçait la cessation des poursuites contre les hommes ayant participé à la Commune, sauf contre ceux qui n'ont respecté ni la vie, ni la liberté des personnes, ni les propriétés, pour satisfaire leur vengeance ou leur cupidité.

C'était une de ces rédactions de bureau qui manquent généralement leur objet par l'abus d'une phraséologie vague. Les grâces se succédèrent dans les mois suivants. Mais M. Raspail protesta contre les termes de l'exception. Une commission de la Chambre remit sur pied, sur l'initiative de M. Gatineau et sur le rapport de M. Lisbonne, la proposition relative à la cessation des poursuites. Il y eut, le 22 juillet, un débat, où M. Raspail intervint assez maladroitement. De nouvelles listes de grâces furent publiées le 26 juillet, le 4 août, le 13 août, le 17 août, etc. Le débat sur la cessation des poursuites ne devait être repris qu'à la session d'automne.

[10] L'échec de M. Chesnelong fut très sensible à la droite. On songea immédiatement à le réparer en réservant au négociateur de Salzbourg un siège d'inamovible au Sénat.

M. CHESNELONG écrivait à M. de Gavardie, le 1er juin 1876 : Merci de vos bonnes et affectueuses sympathies ; j'ai soutenu la lutte avec vigueur. Mes amis ont fait leur devoir fermement et généreusement. Je suis frappé à travers mon drapeau, au milieu d'une troupe vaillante et fidèle, après avoir combattu pour la bonne cause et en recueillant les sympathies des hommes de foi et de cœur... Je ne puis, vous le comprenez, ni témoigner un désir, ni exprimer une prétention personnelle. Je mets le destin entre les mains de Dieu et de mes amis. Ils voudront bien disposer de mon nom comme ils l'entendront... — Document privé inédit.

[11] M. de Marcère avait complété les mouvements administratifs commencés sous M. Ricard par une série de décrets rendus le ai mai et portant nomination ou mutation d'un grand nombre de préfets et de sous-préfets ; sur ces nouvelles listes figurent les noms de MM. Lagarde, Millet, Gragnon, Payelle, Granet, Catusse, Filippini, Monod, Dusolier, Liotard, etc.

[12] Jules FERRY, Discours et Opinions (t. II, p. 263).

[13] Pour confirmer son sentiment, notamment à l'égard du duc. Decazes, le maréchal de Mac Mahon fit prendre, par le conseil des ministres, le 19 juillet, une décision aux termes de laquelle le duc Decazes fut promu à la dignité de grand-officier de la Légion d'honneur. Il était commandeur depuis le 27 août 1816.

[14] Récit du Times, démenti évasivement par l'Agence Havas.

[15] Le 10 août, la Chambre adopte une proposition de M. Paul Bert, admettant le personnel de l'enseignement primaire à bénéficier de la loi du 9 juin 1853 sur les retraites. Le projet est voté par le  Sénat le 9 août. La loi promulguée le 17 août  1876.

[16] Un mouvement diplomatique suivit cette démission : le baron Baude fut nommé à Rome ; le marquis de Gabriac passa d'Athènes à Bruxelles ; M. Tissot, du Maroc en Grèce ; le comte Duchâtel était nommé à Copenhague, et M. Lesourd à Tanger.

[17] Mgr BESSON, Vie du cardinal de Bonnechose (t. II, p. 233).

[18] V. BOURDEAU, L'évolution du socialisme (p. 259). — V. aussi WINTERER, Le socialisme contemporain. — Paul LOUIS, Les étapes du socialisme. — Le 18 novembre suivant, M. Lockroy pose une question au ministre de l'intérieur à propos de l'interdiction d'une réunion privée où il se proposait de développer, devant les délégués des chambres syndicales, sa motion relative aux syndicats patronaux et ouvriers. M. de Marcère objecta qu'on tendait à organiser une représentation de classes. Après quelques observations de M. Ed. Lockroy, l'incident fut clos.

[19] Les événements qui amenèrent la guerre russo-turque, cette guerre elle-même et le congrès de Berlin seront l'objet d'une étude d'ensemble dans le quatrième volume de l'Histoire Contemporaine.

[20] 1.374 dossiers nouveaux ont été examinés, 706 condamnés ont été graciés. Deux poursuites nouvelles seulement ont été intentées depuis la lettre du 27 juin.

[21] En fait, la commission du budget ne saisit pas la Chambre du rapport de la sous-commission. D'ailleurs, M. Gambetta avait dit dans son rapport : Nous voulons seulement indiquer, pour le moment, les vues d'ensemble et marquer la route à suivre pour nos successeurs.

[22] J. FERRY (t. II, p. 296).