HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

III. — LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL MAC MAHON

LA CONSTITUTION DE 1875

CHAPITRE III. — LA RÉPUBLIQUE FONDÉE.

 

 

En vue du débat constitutionnel. — Initiative de la commission des Trente. — Conférences à l'Élysée. — Rentrée de l'Assemblée. — Message présidentiel du 5 janvier 1875. — Le gouvernement demande la priorité pour la loi du Sénat. — Elle est repoussée ; démission du ministère ; il est maintenu provisoirement. — Débat en première lecture sur la loi d'organisation des pouvoirs publics. — Première délibération sur le projet de création d'un Sénat. — Deuxième délibération de la loi sur les pouvoirs publics. — Les trois séances des 28, 29 et 30 janvier. — Débat solennel sur l'article premier. — Amendement Laboulaye, développé par son auteur. Intervention de M. Louis Blanc. — Rejet de l'amendement Laboulaye. — Amendement Wallon. — Négociations du groupe Lavergne. — Sentiments des royalistes. — Sous-amendement Desjardins ; il est rejeté. — L'amendement Wallon est voté à une voix de majorité. Conséquences de ce vote. — Suite de la deuxième délibération de la loi sur les pouvoirs publics. — Question de la dissolution de la Chambre et de la révision des lois constitutionnelles. — Le siège des pouvoirs publics reste fixé à Versailles. — Deuxième délibération de la loi sur le Sénat. — Vote de l'amendement Pascal Duprat. — Déclarations de la commission des Trente et du gouvernement. — Projet de dissolution Extrême confusion. — La droite propose la dictature au maréchal. — Le duc de Broglie refuse de former le ministère. — La droite contre M. Buffet. Le groupe Lavergne intervient entre le centre gauche et le centre droit. — Le maréchal abandonne la nomination des inamovibles. — Accord conclu. — Vote de la loi sur le Sénat et de la loi sur les pouvoirs publics.

 

I

Enfin, allait s'ouvrir cette session de janvier 1875, qui devait décider de l'avenir du pays.

Le président Buffet avait été réélu à la rentrée de décembre. Dans son allocution d'ouverture, il avait, non sans solennité, appelé, sur les travaux de l'Assemblée, les bénédictions du Seigneur. Son ton pénétré, son émotion grave avaient frappé les auditeurs. On eût dit qu'il ramassait en lui les préoccupations et les responsabilités de tous. Et, en effet, le rôle de ce personnage, froid et fermé, peut-être incertain sous ses apparences rigides, devenait prépondérant. L'Assemblée, sans programme et sans boussole, n'ayant devant elle qu'un gouvernement sans autorité, allait à la dérive, si elle ne trouvait pas une direction, du moins chez son président[1].

Le président Buffet appréhendait par-dessus tout la faillite de l'Assemblée[2].

Les droites modérées, qui formaient encore le parti dominant, avaient deux craintes entre lesquelles elles étaient comme ballottées, la crainte du bonapartisme et la crainte de la dissolution. Les princes d'Orléans étaient d'avis qu'il fallait, avant tout, consolider ce qui existait, dût-on se résigner à organiser des institutions républicaines : tout pour barrer le chemin au bonapartisme.

Le parti bonapartiste était plein d'espoir[3]. Il s'exagérait sûrement, et, on s'exagérait à l'Assemblée, sa force dans les campagnes. L'ardent leader que le néo-impérialisme avait rencontré en la personne de M. Raoul Duval pressait véhémentement l'Assemblée d'en finir et l'accusait, sans trêve, d'usurper la souveraineté, — et c'était un point sur lequel elle n'avait pas l'âme tranquille.

A gauche, les partisans de la dissolution n'avaient pas tous désarmé. M. Louis Blanc établissait, sans peine, qu'il s'en fallait d'une vingtaine de voix peut-être qu'une proposition de dissolution ne rallia la majorité. Des hommes comme M. Thiers et comme M. Jules Grévy s'étaient prononcés pour des élections prochaines. Dans la presse, M. Emile de Girardin demandait la convocation d'une constituante, d'une convention. Il suffisait d'un faux coup de barre pour que l'on échouât devant le port. Donc, il fallait se hâler si l'Assemblée voulait rester maîtresse des événements.

Les groupes se retrouvaient en présence avec la pensée de jouer, les uns et les autres, la partie décisive. On était au bout de l'atermoiement. La droite modérée, si lente et si tardive d'ordinaire, prit ses dispositions de combat. Le duc de Broglie dicta, de la coulisse, le plan de bataille. La commission des Trente reçut le mot d'ordre.

Puisque le gouvernement du maréchal, gouvernement à terme, durable et provisoire, était la seule ressource des partis royaliste et conservateur, on prétendait, d'abord, l'étayer par des institutions solides ; on voulait, en outre, faire survivre la volonté de l'Assemblée nationale et reporter jusque dans le régime futur les chances de la monarchie constitutionnelle que cette Assemblée n'avait pas pu restaurer. On en revenait à l'idée d'une seconde Chambre, d'un Sénat conservateur où serait conservée surtout la pensée maîtresse qui avait couvé si vainement chez les hommes du 24 mai. Le duc de Broglie avait échoué en proposant à l'Assemblée l'institution de cette seconde Chambre. On reprenait sa proposition, légèrement modifiée. Et ainsi se posa, une fois encore, une question de priorité.

La commission des Trente, dans sa séance du 16 décembre, décida de réclamer, dès le début de la nouvelle session, non plus la mise à l'ordre du jour du projet Ventavon, c'est-à-dire de la loi sur les pouvoirs publics, mais bien la discussion immédiate de la loi sur la Chambre haute : rapporteur, M. Antonin Lefèvre-Pontalis. On pensait que le centre gauche qui, selon l'expression du duc de Broglie, ne transigeait pas sur le principe d'une seconde Chambre, ne refuserait pas son concours et, ainsi, on gagnerait du temps, tout en constituant, par la création du Sénat, une survivance parlementaire ; d'où peut-être le salut.

Le centre gauche ne se prête pas à cette combinaison. M. Dufaure, qui était membre de la commission, maintient la priorité pour la discussion du projet Ventavon qui, du moins, forme un tout constitutionnel. L'attitude on ce qu'on appelait la défaillance du centre gauche, d an s cette circonstance cri tique, fut un rude coup pour les hommes qui avaient préparé la manœuvre.

La partie était si importante qu'on résolut de recourir aux grands moyens.

Le 29 décembre, sur une convocation spéciale portée conférences par le secrétaire général de la présidence, furent priés de bien vouloir se rendre à l'Élysée, les personnages dont les noms suivent : MM. Buffet, Dufaure, Casimir-Perier, le duc de Broglie, Bocher, le duc d'Audiffret-Pasquier, le duc Decazes, de Kerdrel, Depeyre, général de Chabaud La Tour, Ramille, Chesnelong et Léon Say. On s'assit autour d'une table : le maréchal ayant à sa droite le général de Chabaud La Tour, à sa gauche le duc Decazes ; en face de lui, M. Buffet, qui avait à sa droite le duc de Broglie et à sa gauche M. Dufaure.

On eût pu croire qu'une réunion composée de tels personnages et où se trouvaient rapprochés les hommes modérés de tous les partis était assemblée pour donner au maréchal-président un avis suprême sur les décisions qui ne pouvaient plus être retardées. Cependant, M. Thiers et M. Jules Grévy n'étaient, pas là.

On reconnut, à l'exposé présenté par le maréchal et ses ministres, que la partie était arrangée pour peser sur le centre gauche et pour obtenir, de ses membres éminents, la modification à l'ordre du jour qui eût permis, selon les expressions qu'employa M. Buffet, de constituer une seconde Chambre, afin de ne pas laisser, lorsque les élections seront nécessaires, le maréchal seul face à face avec une assemblée nouvelle.

M. Buffet s'exprima dans les termes les plus conciliants : Pour lui, dit-il, il choisirait le meilleur ; s'il ne pouvait pas réussir, il ferait ce qui lui paraîtrait moins bon ; il irait, au besoin, jusqu'à ce qui lui paraîtrait, à certains égards, mauvais, parce qu'il croyait qu'une dissolution, dans l'état actuel, serait le pire des dangers.

Le maréchal de Mac Mahon dit, avec son sens ordinaire, que la dissolution, s'il s'agissait d'écarter une Chambre radicale, renverrait probablement une Chambre radicale ; quant à l'armée dont on parlait comme d'une armée de dévouement, il ne se servirait jamais d'elle contre la représentation nationale, cela n'étant ni dans son caractère, ni dans ses principes.

Les ministres et d'abord le général de Chabaud La Tour, le duc Decazes dépeignirent les dangers intérieur et extérieur. Le duc Decazes se montra soucieux. Le général de Chabaud La Tour parla d'un complot contre les jours du maréchal. Le duc Pasquier déclara qu'il lui serait douloureux de se séparer de ses amis, avec lesquels il avait marché jusqu'ici, mais qu'après l'échec de la restauration monarchique, on ne pouvait refuser au pays d'organiser un gouvernement. Il voulait que la présidence — non pas la présidence du maréchalfût constituée pour durer jusqu'au 20 novembre 1880 : de cette parole, il semblait résulter que l'on s'intéressait plus à la fonction qu'au titulaire. Songeait-on à une substitution de personne ?

M. Chesnelong fut d'avis d'atermoyer. MM. de Kerdrel et Depeyre insistèrent pour qu'on ne fermât pas la porte au roi, à l'issue de la présidence du maréchal. Le duc de Broglie prit prudemment position entre les divers groupes de la droite ; il provoqua des explications de la part de M. Dufaure et de M. Léon Say. Le centre gauche était mis sur la sellette.

M. Dufaure était de mauvaise humeur. Il se demandait ce qu'il faisait là. Il répondit crûment, puisqu'on l'interrogeait sur ce qu'il y avait à faire, qu'il fallait faire la République, et, par conséquent, assurer la transmission normale des pouvoirs à la date du 20 novembre 1880 : le centre gauche restait fidèle au système de l'organisation des lois constitutionnelles sans combinaison, sans arrière-pensée, sans faux-fuyant.

M. Dufaure, se radoucissant un peu, fit observer que la procédure de la révision, acceptée par tous, laissait la porte ouverte aux espérances de la droite. La déclaration de M. Dufaure en faveur de la République avec un Sénat et la révision possible fut si précise et si formelle qu'elle frappa l'auditoire. La voici telle qu'elle fut publiée par l'Événement, journal républicain : Cette clause de la révision, formulez-la aussi énergiquement, que vous le voudrez, j'admets que si, par impossible, il se formait contre la République un courant d'opinion tel que la constituante de 1880 fût antirépublicaine, cette constituante aurait le droit de changer la forme du gouvernement. C'était une main tendue. Le duc d'Audiffret-Pasquier, toujours bien embarrassé, ne voulait pas, cependant, que l'on mit trop les points sur les i. Cela voulait dire qu'on n'avait pas encore abandonné toute espérance monarchique.

On chercha des formules ; M. Bocher, ami et confident des princes d'Orléans, proposa, d'accord avec le duc de Broglie, de régler immédiatement l'ordre du jour de l'Assemblée, en ce sens que l'on procéderait d'abord à la discussion de la loi sur la seconde Chambre : c'était l'objet principal de la réunion.

Après d'assez longs débats, il fut entendu qu'on pouvait suivre cet ordre a condition qu'il y eût un lien de solidarité bien établi entre la discussion de la loi sur la seconde chambre et celle de la loi des pouvoirs publics. A une autre conférence, qui eut lieu le lendemain, on aborda l'examen du projet relatif à la seconde Chambre ; mais, cette fois, les membres du centre gauche se dérobèrent. On n'aboutissait pas. La fameuse conjonction des centres ne pouvait se faire, même sous l'œil bienveillant du président[4].

L'extrême droite, tenue en dehors de ces pourparlers, prenait une attitude menaçante. On criait à la dictature du maréchal. On dénonçait les ambitions du duc d'Aumale. Le jour de la rentrée, M. de Vinols dit au duc d'Audiffret-Pasquier : Si le maréchal fait un pas de plus vers la gauche, il est perdu ; le parti conservateur lui retire sa confiance et cette confiance fait toute sa force. — Donnez-lui donc ce qu'il demande, réplique le duc Pasquier ; donnez-lui un Sénat[5].

L'Univers et l'Union déclarèrent que le maréchal de Mac Mahon rompait, par le fait, avec les royalistes et qu'il ouvrait une crise gouvernementale aussi bien que ministérielle.

 

L'Assemblée reprend ses travaux, le mardi 5 janvier. M. Grivart, ministre du commerce, lit un nouveau message présidentiel.

Le maréchal prie l'Assemblée de discuter immédiatement la loi du Sénat.

On se dit à l'oreille que le duc Decazes était le rédacteur du message. Au fond, ce document était fait, dans son éclectisme, pour obtenir de l'Assemblée une adhésion au septennat personnel : en vue de ce résultat, il éliminait tacitement la solution monarchique. Une décision immédiate quelconque, un débat sous forme de dilemme, Monarchie ou République, était ce qu'on appréhendait le plus. On savait qu'une partie du centre droit, indignée contre l'extrême droite, irait jusqu'à voter la République. En gagnant du temps, en restaurant le cabinet Broglie, peut-être retarderait-on les événements : Si nous avons pu éviter la proclamation républicaine, rien ne sera absolument perdu[6].

L'accueil fut froid : un malaise indicible régnait sur l'Assemblée.

M. Batbie, président de la commission des Trente, demande la mise à l'ordre du jour des deux projets sur l'organisation des pouvoirs publics et sur la seconde Chambre en accordant la priorité à la loi sur le Sénat. Il expose qu'un caractère solidaire sera donné à la discussion des deux lois.

M. Laboulaye prend, à partir de cette heure, un rôle prépondérant : Organiser le Sénat ! dit-il. Fort bien. Mais, pour quel gouvernement ?... Allons-nous faire un Sénat hypothétique pour un gouvernement hypothétique ?... Parlons franchement : s'il y en a qui veulent taire la monarchie constitutionnelle, qu'ils nous le disent et, surtout, qu'ils nous présentent leur roi constitutionnel.

Une allusion très claire vise le stathoudérat : Si, au contraire, on ne veut rien faire, qu'on ait le courage de dire qu'on laissera la France dans l'incertitude pendant six ans, pour arriver un jour à une combinaison... je ne sais laquelle !

M. Antonin Lefèvre-Pontalis, rapporteur du projet sur le Sénat, défend la proposition de la commission. M. Jules Simon précise plus encore que ne l'a fait M. Laboulaye : Nous avons besoin de savoir si, oui ou non, nous avons une république. Et voici le général de Chabaud La Tour, ministre de l'intérieur, qui découvre le fond de la pensée gouvernementale par cette phrase presque cornique : Nous voulons un Sénat pour le septennat.

On vote. L'Assemblée décide, par assis et levé, qu'elle ne donne pas la priorité au projet de loi sur la seconde Chambre. C'est toute la combinaison à l'eau. On dit que le centre gauche a voté contre, sous la pression de M. Thiers. Quant à l'extrême droite, elle a voté avec les gauches. M. Antonin Lefèvre-Pontalis s'écrie : C'est la seconde coalition ! L'orléanisme est, une fois de plus, déconcerté.

A l'issue de la séance, les ministres remettent leur démission au président. Celui-ci est découvert. Que va-t-il faire ? Insister, quitter le pouvoir ou attendre en se renfermant dans une absolue neutralité ? C'est à ce parti qu'il s'arrête, sur le conseil du duc de Broglie, assure-t-on. Le Journal officiel publie, le 8 janvier, la note suivante : A la suite du vote du 6 janvier, les ministres ont offert leur démission au président de la République, qui les a priés de conserver l'administration de leurs départements respectifs, en attendant la formation d'un nouveau cabinet.

Situation étrange et qui se prolongera. A l'égard de l'œuvre constitutionnelle, le ministère et le président lui-même sont hors de combat.

L'Assemblée consacre huit séances à la discussion, en première délibération, de la loi des cadres. Débat technique, très approfondi. Mais les esprits sont ailleurs.

Une activité singulière règne, pendant ces huit jours, dans les coulisses et dans ces coins obscurs des régions parlementaires où les consciences et les énergies se pèsent et se mesurent. L'histoire elle-même a peine à découvrir ce travail secret. On sait seulement qu'une tentative suprême est faite pour amener un rapprochement entre les droites et pour reconstituer la majorité du 24 mai. Une réunion des chefs du parti a lieu sous la présidence de M. Rocher. Mais la querelle s'envenime plutôt. On en vient aux mots aigres. Le duc d'Audiffret-Pasquier rompt les chiens : Il faut se rapprocher des gauches et consentir à la République pour six ans. Il n'y a rien à faire avec l'extrême droite. Les efforts du duc de Broglie pour rallier les esprits à un plan d'action commune n'aboutissent pas. On ira à la bataille en débandade. La Patrie annonce que MM. Bocher et d'Audiffret-Pasquier, qui ont, en somme, fait échouer la réunion, sont allés rendre compte au prince de Joinville[7].

S'il était nécessaire de prouver l'intervention directe des princes d'Orléans et notamment, du comte de Paris, les textes parlent : le 7 janvier 1875, le comte de Paris écrit à M. Adrien Léon, un des constitutionnels déclarés du centre droit : Je suis toujours heureux de pouvoir m'entretenir avec ceux qui partagent mes convictions, quand même (ce qui n'est pas le cas pour vous) je différerais avec eux d'opinion sur certaines questions. Après avoir lu attentivement la séance d'hier à l'Officiel, je ne puis me persuader que toute chance soit perdue de donner à notre pays les institutions que réclame le soin de sa sécurité... Malgré les difficultés de l'heure présente et la facilité avec laquelle l'Assemblée donne des votes négatifs, je veux croire qu'il existe dans son sein les éléments d'un parti constitutionnel réunissant tous ceux qui ne veulent pas laisser le pays livré à tous les hasards, à tous les accidents et ouvrir la porte au régime qui l'a mis si bas[8].

Un parti constitutionnel : l'expression reste ambiguë. Mais il est bien évident que, par crainte du pire, on se résigne à une constitution.

 

II

La discussion commence à l'Assemblée nationale le 21 janvier, jour anniversaire de la mort de Louis XVI, — le fait fut remarqué en séance par les membres de l'extrême droite.

Première délibération sur la loi d'organisation des pouvoirs publics. Débat tranquille, tout de principe, d'abord.

Les groupes sont massés et se mesurent du regard. L'extrême-droite, passionnée et résolue, suivant aveuglément les instructions de Frohsdorf, qui se résument ainsi : Entraver tout ; faire sentir la force du groupe et démontrer l'impuissance de l'Assemblée[9]. De ce côté, il y a, sur les visages, de la rancune, de la fureur concentrée, du mépris ; on accuse les ambitions et les menées du centre droit. Vieilles animosités renaissantes, sentiments que l'ardeur du conflit rend implacables pour des amis devenus des adversaires.

Le bloc de la droite et de la droite modérée, imposant par le nombre, la confiance, l'habitude de vaincre, la valeur des chefs, ceux-ci prenant, en somme, l'offensive une fois de plus et croyant commander encore.

Le centre droit, troublé, inquiet, agité au dedans de lui-même, s'abandonnant à des passions alternatives, se jetant successivement dans des résolutions qui se contredisent et se heurtent.

Le centre gauche ceint pour la bataille et groupé autour de M. Dufaure, qui a l'œil sur M. Thiers.

La gauche, silencieuse sous le geste de M. Gambetta. L'extrême gauche, avec M. Louis Blanc, boutonnée dans sa réserve hostile.

Les bonapartistes, enfin, ardents, mais gênés sous le sentiment unanime qui, à cette heure suprême, pèse sur eux.

Matériellement, on étouffe. A diverses reprises, au cours du débat, des voix s'élèvent criant : De l'air, de l'air ! Atmosphère électrique, irrespirable.

C'est M. de Ventavon qui ouvre le débat. Singulier contraste entre la grandeur des circonstances et ce  petit homme avec son petit projet. Cette proposition  dont il est l'édificateur, le rapporteur et le parrain, traitait de l'organisation et de la transmission des  pouvoirs publics. A part ce titre solennel, M. Casimir  de Ventavon se faisait aussi modeste que possible : Ce n'est pas une constitution que j'ai l'honneur devons soumettre, disait-il ; il s'agit tout simplement d'organiser des pouvoirs temporaires, les pouvoirs d'un homme... Le projet établissait donc le régime du septennat. Il confirmait l'existence de deux Chambres, il investissait le maréchal du droit de dissoudre, sans conditions et sans contrôle, la Chambre des députés, il attribuait également au maréchal, pendant toute la durée de son autorité, la faculté de provoquer la révision. A l'expiration des pouvoirs du maréchal, ou bien en cas de vacance prématurée de la présidence, les cieux Assemblées réunies en Congrès devaient statuer sur les résolutions à prendre. En un mot, la monarchie en expectative dans une antichambre dont le maréchal tenait la clef.

C'est cet embryon constitutionnel qui sert de texte aux délibérations. Quant à la pensée de la commission, M. de Ventavon la résume dans cette seule phrase : Que l'avenir soit pleinement réservé ; que chacun garde ses espérances et sa foi.

Telle est la pâture livrée à un pays et à une opinion qui ont faim et soif de précision et de stabilité.

M. Lenoël, ami de M. Thiers, prononce un solide discours contre le projet. Il le définit nerveusement : Ce que le projet propose, c'est de faire une monarchie temporaire qui exclue les autres monarchies à temps, et qui exclue la République à perpétuité. Vous avez proclamé un principe, ajoute-t-il, celui de la souveraineté nationale. Il faut en tirer les conséquences logiques et nécessaires, et c'est la République.

M. Ch. de Lacombe, ami et biographe de Berryer, défend le projet de la commission. Il faut donner à la France le temps de voir clair dans sa volonté et, en attendant cette heure encore lointaine, la mettre en garde contre ses propres entraînements.

Thèse, antithèse, arguments soigneusement balancés. Bientôt les esprits s'animent. Un vaillant serviteur de la légitimité, un brave homme, un brave cœur, un soldat, moustaches grises, ligure sympathique, M. de Carayon-Latour, tire, du fond de sa conscience, une harangue pénible, heurtée, rude, mais dont la sincérité abime toutes les combinaisons si minutieusement arrangées et équilibrées. C'est la vengeance de Frohsdorf. M. de Carayon-Latour dévoile les erreurs de cette majorité qui, arrivée monarchiste à Bordeaux, au lendemain des catastrophes nationales, en est maintenant à se demander si elle ne va pas voter la République. Il accuse M. Thiers ; il accuse le duc de Broglie ; il accuse les droites modérées ; il dénonce le mépris des principes, la haine de l'autorité, en un mot l'esprit révolutionnaire qui se retrouvent chez ceux mêmes qui se vantent de le combattre. Il tire parti de la dépêche, récemment publiée, du prince de Bismarck au comte d'Arnim, souhaitant que la France se constitue en République et espérant ainsi éloigner d'elle les alliances monarchiques... Péril au dehors, désordre au dedans et, comme fin, la fin habituelle des Républiques en France, l'empire, tel est le tableau que M. de Carayon-Latour oppose au tableau présenté par M. Lenoël. Il est temps encore, dit-il à la droite ; rentrez en vous-mêmes ; revenez sur vos pas ; fondez la monarchie : Pour nous, nous aimons trop notre pays pour ne pas conserver, jusqu'au dernier jour, l'espoir que cette Assemblée, qui a déjà rendu de si grands services à la France, complétera son œuvre en rappelant le roi.

Ce discours termine la séance du 21 janvier. Les passions se sont soulevées peu à peu. M. de Carayon-Latour les a allumées. Le retard les excite. Elles éclatent dans la journée du 22 janvier : Il faut, dit un témoin, avoir assisté à cette séance du 22 janvier 1875 : il faut y avoir vu l'animation des visages : il faut y avoir entendu les interruptions haineuses qui, à chaque instant, coupaient la parole des orateurs, les exclamations bruyamment échangées, la fusée des applaudissements mêlée à la fureur des murmures, pour avoir une idée du profond désordre que l'Assemblée portait dans ses flancs[10].

La pensée qui commençait à sourdre dans les esprits n'avait pas encore trouvé son cours. La journée du 22 janvier fut une journée violente, dangereuse, stérile. Les paroles cruelles déchargèrent l'électricité dont l'atmosphère était saturée.

Chaque parti est à la barre. Il faut rendre des comptes. Le centre droit plaide par la bouche de M. de Meaux : Il ne reste plus à la France que la confiance en un homme, en un soldat que le pays a rencontré par un bonheur inespéré ; peut-on refuser à cet homme, à ce soldat, à ce chef, les lois qu'il demande ?... Le septennat, c'est l'ancre de salut : ne songeons qu'à la fixer et à la renforcer.

M. Lucien Brun revient à la charge au nom des légitimistes : On nous a trompés. Nous avions la monarchie prête, digne, honorable. On s'est dérobé devant elle : on lui a substitué un système bâtard, sans principe, sans avenir et si vacillant, qu'il n'est jamais question que de le consolider. Il n'y a d'autre recours que de remonter vers la tradition antique et respectable de ce pays.11 est monarchique, vous l'avez pensé, cru, déclaré vous-mêmes : Qu'est-ce qu'il vous manque donc pour faire la monarchie ? J'affirme d'abord qu'il ne vous manque pas le roi. Vous avez le roi, la plus haute expression de la grandeur morale de l'homme et de la dignité... il ne vous manque pas non plus l'héritier du trône ; il a fait, le 5 août, un de ces actes qui sont une date dans la vie d'un peuple et qui suffisent pour honorer un prince. Vous avez une race royale, la plus nationale dont aucun peuple puisse s'enorgueillir... Pour cette monarchie que vous dites impossible, que vous manque-t-il donc ? Uniquement le concours de vos propres volontés. Écartons les projets qui vous sont apportés. Fortifiez le pouvoir provisoire que vous avez constitué, oui ; mais qu'il soit, lui-même, la source de cette restauration des mœurs antiques, des droits et de la dynastie qui assureront. la sécurité intérieure et la paix, la liberté garantie par l'autorité respectée.

Le duc de Broglie est contraint de s'expliquer, une fois de plus. Son embarras est grand. Tout croule autour de lui, il le sent. Ce qu'il a préparé de si loin avorte. Il ramène le débat à l'éternel commentaire de la loi du 20 novembre 1873 : Nous n'avons trompé personne ; nous nous sommes expliqués clairement, en affirmant que le maréchal de Mac Mahon était placé, pour sept ans, à la tête du pouvoir : personne n'a le droit de lui demander d'en descendre. Quant aux lois constitutionnelles que l'on vous soumet aujourd'hui, nous les avons annoncées également. J'espère encore, dit l'orateur en terminant, et c'est le dernier refuge de sa politique en déroute, j'espère que nous pourrons trouver ensemble un terrain de conciliation sur lequel nous établirons un gouvernement régulier, pacifique, inspirant confiance et sécurité au pays.

M. Raoul Duval traque le chef des droites jusque dans cette retraite : Quand le duc de Broglie affirmait qu'aucune équivoque n'avait pu exister dans les esprits. il oubliait qu'au cours de novembre 1873 je lui ai demandé de répondre catégoriquement à cette question : oui ou non, est-ce sept ans de pouvoir ? oui ou non, aura-t-on, pendant ces sept ans, ou n'aura-t-on pas le droit de rétablir la monarchie ? Ce jour-là, M. le président du conseil n'a pas répondu, je crois, avec la sincérité dont il a fait parade tout à l'heure...

C'est assez accabler le centre droit. M. Bérenger, du centre gauche, se retourne contre l'extrême droite : Vous vous plaignez sans cesse d'avoir été trompés, dit-il. Qui se dit ainsi trompé donne une médiocre idée de sa sagacité politique... Vous n'avez pas fui les équivoques quand vous avez pensé qu'elles vous étaient utiles. Nous, nous les craignons aujourd'hui comme jadis... Le septennat, que vous avez voté par la force des choses, nous en faisons une réalité : il doit cesser d'être le rideau tendu devant la statue inachevée, et quelle statue ? Quant à nous, nous prendrons texte du projet que vous nous apportez, mais pour en faire, cette fois encore, non plus le néant que vous avez conçu, mais quelque chose, et quelque chose de meilleur.

Le gouvernement, gêné, insiste cependant, par la bouche du général de Chabaud La Tour, pour que l'on passe à une deuxième lecture.

 

C'est alors que le drame se noue : un vétéran des luttes anciennes, un orateur fameux qui s'est tu depuis de longs mois et dont la figure fatale assiste aux événements plutôt qu'elle ne s'y mêle, M. Jules Favre, occupe la tribune. Rien que son apparition évoque les temps épiques, soulève les émotions dont le romantisme oratoire avait, du temps des Cinq, agité le pays. Les illusions, les désastres lui font cortège. Voilà bien ce masque superbement tragique et presque hors nature, ce masque de bronze, modelé en quelques traits ineffaçables, si étrangement accentué par la lèvre hautaine dont le relief extraordinaire porte des flots de barbe blanche, voilà ce front proéminent couvert d'une forêt de cheveux gris à l'ombre de laquelle les yeux cernés qui, comme dans un halo bleuâtre, dardent un regard intense et froid. Nous reconnaissons cette voix musicale dans sa limpide abondance, ce langage somptueux et glacé...[11] On a fait le procès de la Révolution. M. Jules Favre fait le procès de la royauté. Il est des heures dans l'histoire où les lieux communs sont des témoignages nécessaires, il est des heures où des incidents endormis se réveillent et se lèvent comme pour être jugés, car le jugement du passé est dans les suites que l'avenir indéfiniment déroule. Ni la Saint-Barthélemy, ni le règne de Louis XIV, ni la révocation de l'édit de Nantes, les fautes pas plus que les services, ne sont absents de cette heure solennelle. On dirait que la salle, cette salle où l'Assemblée délibère, retentit encore des cris et (les serments où, au banquet des gardes du corps, on jurait de tuer, dès le berceau, la liberté naissante.

Tout ce passé est, dans la phrase puissante, dans le geste robuste appuyé sur la tribune et jusque dans le hoquet du vieil orateur. Son éloquence se déchaine et c'est une tempête. Les protestations, les huées, les invectives jaillissent. Les droites sont provoquées, insultées, frappées. Elles crient. Rien n'arrête ce flot âcre de vengeance qui coule d'un cœur meurtri : Le pouvoir est tombé entre vos mains. Vous vous êtes intitulés conservateurs. Qu'avez-vous conservé ? Rien, que je sache, si ce n'est les traditions impériales pour les restaurer, les perfectionner et les aggraver ; l'arbitraire de l'état de siège ; tout le cortège des lois exceptionnelles... Vous n'avez su faire que la réaction, vous qui étiez arrivés, ayant aux lèvres le mot de liberté. Laissez donc la place à la souveraineté nationale puisque vous lui avez manqué.

M. Bocher répond. Avec bonne humeur d'abord, avec vivacité bientôt, avec virulence ensuite, il rouvre le débat et fait, par contre, le procès de la République : Trois fois la République s'est établie en France, trois fois elle s'est écroulée dans le désordre et dans le sang. Il poursuit sur ce ton, la figure pâle, frappant la tribune, la voix altérée par la colère[12]. On ne sait plus où l'on va. Tous les projets d'entente semblent à jamais détruits à cause de la mort de Louis XVI.

Les esprits restent incertains, tandis que les cœurs sont gonflés. Ce terrible débat a épuisé les forces de l'Assemblée. Elle vote, par 538 voix contre 145, le passage à la seconde délibération. Et, par un dernier mouvement de passion, elle met à son ordre du jour, immédiatement après les lois constitutionnelles, le rapport de la commission d'enquête sur les actes du gouvernement de la Défense Nationale.

 

Trois jours se sont écoulés. Après une journée violente, une journée calme ; car, dans ce mois tourmenté et fécond, les alternatives se succèdent comme l'ombre et la lumière sur un ciel de printemps. Les deux projets, avec la complication parlementaire des trois délibérations, occupent simultanément les esprits. Il faudrait le fil d'Ariane pour se retrouver dans ce labyrinthe où l'intérêt public se cherche et, tout en suivant sa voie, parait continuellement s'égarer.

Nous sommes maintenant (25 janvier) à la première délibération de la loi sur la création et les attributions d'un Sénat. Il y a quinze jours, ce projet, c'était le salut : il se produit maintenant, comme le remarque M. Jules Simon, au milieu de l'indifférence générale.

Le machiavélisme bien anodin du système est dévoilé. Le rapporteur, M. Antonin Lefèvre-Pontalis, l'expose d'ailleurs avec une naïveté qui désarme : L'heure d'une réforme du suffrage universel est passée, dit-il ; il ne nous reste plus d'autre garantie que l'institution d'une seconde Chambre... Nous voulons opposer au parti révolutionnaire une barrière suffisante pour qu'il ne puisse pas s'emparer légalement du pouvoir... Comme s'il était possible d'empêcher l'exercice à légal d'un droit reconnu ! M. Bardoux, esprit fin, raille agréablement la commission des Trente et l'invite à accorder M. de Ventavon et M. Lefèvre-Portalis. Paroles.

Deux interventions, pourtant, sont des actes. M. Raoul Duval, avec une franchise acérée, va au fond des choses et touche le tuf, tandis que la politique des compromis chemine et travaille, comme il le dit lui-même, dans les souterrains parlementaires. Le pouvoir constituant de l'Assemblée est discutable, discuté. La monarchie est impossible, la République a été écartée par le vote sur la proposition Casimir-Perier : J'aurais peu de foi dans l'avenir d'une République qui serait, après cela, décrétée par une Assemblée impuissante. Quant au projet de la commission, qui consiste à faire déléguer une part de cette souveraineté constitutionnelle si discutable et à faire nommer par une Assemblée à temps des sénateurs inamovibles, c'est une téméraire absurdité : Si vous êtes en mesure de faire une constitution, choisissez d'abord entre la monarchie et la République. Si vous ne voulez pas faire ce choix catégorique, soumettez vos différends à la nation.

Le bonapartisme donnait corps à cette thèse de l'appel au peuple, qui, opposée décidément à celle de la représentation, pouvait reprendre faveur dans un pays amoureux des formes simples, des gestes prompts et de la logique rigoureuse. M. Raoul Duval, se servant, devant l'Assemblée et contre l'Assemblée, de cette arme de la souveraineté populaire, directe et immédiate, faisait œuvre d'avenir.

L'extrême gauche le sentait bien : c'est pourquoi elle hésitait à suivre le centre gauche et la gauche modérée sous les fourches caudines de la droite, où une politique plus habile, mais plus dangereuse peut-être, se préparait à l'entraîner.

M. Jules Simon représente cette politique. Il négocie à la tribune, c'est-à-dire qu'il consent et refuse, accorde pour obtenir. Nous nous rallions à l'idée d'une seconde Chambre. Puisque vous faites enfin l'affaire qui est votre grande et principale affaire, à Dieu ne plaise que nous y portions le moindre obstacle... On accuse le parti républicain d'intransigeance. Il donne au contraire des preuves constantes de sa modération. Il a accepté la République sans les républicains ; il a accepté le mandat constituant de l'Assemblée ; il accepte de discuter vos projets constitutionnels. Mais il y a une chose que nous n'accepterons jamais, jamais, s'écrie d'une voix forte le futur inamovible, c'est de reconnaître qu'un homme, un seul, puisse obtenir le pouvoir constituant ou le pouvoir législatif, sans que ce pouvoir lui ait été concédé directement par lé suffrage universel de la nation. M. Jules Simon insiste : Il y a entre votre loi et nous une barrière infranchissable ; et cette seconde Chambre qu'on nous propose ; jamais, non, jamais un seul d'entre nous ne la votera.

Il ne faut jamais dire jamais.

Par 498 voix contre 173, on passe à la seconde délibération. Il y a une majorité pour le principe de la seconde Chambre. Cependant, non seulement l'extrême droite et les bonapartistes, niais une partie de l'Union républicaine, avec M. Gambetta, ont voté contre. Instituer une Chambre haute, c'est un sacrifice auquel un grand nombre de républicains ne sont pas encore décidés.

 

III

28, 29, 30 janvier, les trois séances mémorables n'en font qu'une. A l'ordre du jour, deuxième délibération sur le projet Ventavon : organisation des pouvoirs publics[13] ; c'est-çà-dire consolidation du septennat.

ARTICLE PREMIER. Le pouvoir législatif s'exerce par cieux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat.

La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale.

Le Sénat se compose de membres élus ou nommés dans les proportions et aux conditions qui seront réglées par une loi spéciale.

Pouvoir anonyme. Régime indéfini. Prescriptions imprécises.

M. Naquet défend un contre-projet, où est développé tout un système conforme à la doctrine républicaine traditionnelle : Chambre unique ; pas de président de la République ; un président du conseil responsable devant la Chambre ; pas de ministres parlementaires. Révision toujours possible par une constituante. Ratification directe de la nouvelle constitution par le suffrage universel... On se croirait en 1848 : le contreprojet Naquet est écarté sans autre forme de procès.

Maintenant, la vraie bataille. Un amendement à l'article premier du projet Ventavon est présenté, à l'instigation de M. Thiers, par MM. Corne, président du centre gauche, Bardoux, le colonel de Chadois, Chiris, Danelle-Bernardin et Laboulaye ; l'amendement est ainsi conçu : Le gouvernement de la République se compose de deux Chambres et d'un président.

Le gouvernement de la République, voilà le nom et la chose. Nous touchons au but.

M. Laboulaye défend l'amendement.

Ce fut la grande journée de M. Laboulaye. Sa vie avait été la préparation de cette heure unique. Ses qualités naturelles, ou acquises, son bon sens aiguisé, son érudition spéciale, son libéralisme célèbre, sa fine et ferme dialectique, sa bonne grâce et sa bonhomie, tout se réunissait pour lui assurer une autorité plus pénétrante peut-être qu'imposante, mais qu'une Assemblée subit rarement au même degré.

 Des orateurs plus illustres n'obtinrent jamais peut-être un succès comparable à celui qu'il remporta ce jouir-là : il sut charmer, émouvoir, convaincre. Dans cette histoire des États-Unis d'Amérique où il était allé chercher des leçons de liberté, on rencontre, aux heures de la fondation, des hommes remarquables par la sagesse, la vigueur, l'esprit de prévision, de décision et d'à-propos : ces hommes, les Hamilton, les Madison, les Jay, furent les véritables pères de la constitution, serviteurs incomparables de leur pays et de la liberté.  Puisque, dans les débats qui fondèrent la République française, M. Laboulaye s'inspirait de leurs exemples, la justice de l'histoire et la gratitude de la République doivent le mettre sur le même rang.

Le discours qu'il prononça n'est, en somme, qu'une redite, une traduction de tout ce qui s était produit déjà dans les conversations, à la tribune et dans la presse, en faveur de la République. L'éloquence parlementaire ne se propose ni la beauté de la forme, ni l'originalité du fond. Par delà l'enceinte, elle s'adresse aux foules : elle leur explique et, au besoin, leur ressasse les arguments simples, les raisons faites pour déterminer les esprits confus et les âmes incertaines. Dans ces circonstances rares, la nation tout entière est transformée en un grand conseil ; ce qu'elle cherche, ce qu'elle attend ce n'est pas un orateur, c'est un homme.

M. Laboulaye fut cet homme-là. Il rappelle d'abord que la République est le fait existant. Aucun des partis rivaux ne peut offrir un gouvernement à la France. Il insiste sur la conformité de principe entre la monarchie constitutionnelle et la République parlementaire, avec cette différence toutefois que celle-ci peut, sans contredire son essence, accepter. dès sa naissance, l'éventualité d'une révision : La seule chose que nous n'admettions pas, et vous verrez combien cette différence est petite, c'est que vous vouliez condamner la France de 1880 à refaire sa constitution, tandis que nous pensons qu'il vaut mieux laisser la France de 18So libre de faire ce qu'elle voudra... Quant à cette idée singulière de dire qu'une Assemblée, pour une époque oint elle n'existera plus, forcera le pays, qui peut-être sera parfaitement tranquille de remettre en question son gouvernement, c'est une illusion étrange...

La constatation que la République, en durant, a fait ses preuves, l'énumération des services déjà rendus, l'affirmation de l'ordre maintenu, des droits et des sentiments respectés, tout est mis en œuvre : La République a-t-elle menacé la religion ?... Aujourd'hui, il y a, dans toute l'Europe, une espèce de manie, la manie de la persécution catholique... Est-ce en France que cela se passe ? tous ces prêtres bannis, toutes ces sœurs qu'on chasse, quoique, par leurs bienfaits, elles aient acquis le droit au respect même des incrédules, où vont-ils ? ou se réfugient-ils ? en France : et c'est dans cette République qu'on trouve la sécurité la plus complète et la plus entière...

L'argumentation devient plus pressante, plus haletante : elle avait rassuré, maintenant elle inquiète, elle alarme : Il faut songer il la situation où nous nous trouverons demain, quand, après avoir essayé de toutes les solutions, nous n'en aurons accepté aucune. Je ne viens pas ici vous démontrer les mérites comparatifs de la monarchie et de la République. Je viens seulement vous dire que le cercle se resserre, que la nécessité s'impose. Le péril est imminent au dehors : nous sommes peut-are à la veille d'une nouvelle guerre. On guette notre désordre et notre impuissance. Le péril n'est pas moins grand à l'intérieur. Vous pouvez faire un gouvernement avec la République : si vous ne l'acceptez pas, vous ne laites pas de gouvernement du tout... Si nous ne constituons pas, notre mandat est fini : il faut le remettre à la nation...

Le raisonnement est immédiat, direct, irréfutable. Il touche chacun de ces hommes qui ont à se prononcer, à voter : Si demain vous ne faites pas un gouvernement constitutionnel régulier, c'est un ministère de dissolution... Je sais, on aura un ministère énergique qui forcera, qui faussera les élections. On jouera le jeu qu'a joué M. de Polignac... Il n'y a pas de peuple qui soit à l'épreuve de pareilles conditions d'existence, et nous sommes exposés à ce qu'avant qu'une nouvelle Assemblée se réunisse, tout le système parlementaire s'écroule et la France avec lui.

Les souvenirs de la guerre et de la Commune n'étaient pas si loin. Dans les aines, il restait de l'angoisse : la situation diplomatique était critique : on le savait, on le disait à voix basse, en hochant la tête ; l'Assemblée était composée de bons citoyens : elle ne fut pas insensible à l'appel par lequel cet honnête homme termina son honnête discours : Oui, Messieurs, j'ose compter sur votre patriotisme et je dis que, dans la situation où nous sommes, il est permis de descendre jusqu'à la prière pour sous supplier de considérer où nous en serons demain et de réfléchir sur le parti que vous allez prendre. En ce moment l'Europe entière vous regarde, la France vous implore et nous, nous vous supplions, nous vous disons : n'assumez pas sur vous une pareille responsabilité ! Ne nous laissez pas dans l'inconnu et, pour tout dire en un mot, ayez pitié, ayez pitié de ce malheureux pays !

L'effet du discours et surtout de la péroraison fut tel que l'Assemblée se souleva et tendit les mains vers l'orateur.

La partie est gagnée. On réclame le vote immédiat. La journée touchait à sa fin. Aux voix, aux voix ! La clôture est prononcée. Le scrutin va s'ouvrir... M. Louis Blanc demande la parole sur la position de la question.

Il y eut un cri d'impatience et de réprobation sur les bancs de la gauche : Il n'y a pas de position de question, criait M. Ernest Picard. Mais M. Louis Blanc veut parler. Il attend, la figure froide, les bras croisés. La droite le soutient. Au milieu des interruptions, il s'oppose à la création d'une seconde Chambre. Rien ne serait plus funeste à la République. Il évoque le souvenir de 1848. — Lui ! 1848 ! — Il exprime le regret que l'amendement Grévy n'ait pas été adopté alors. C'est une nouvelle discussion. Il affirme flue la République ne doit pas are mise aux voix parce qu'elle ne peut pas être mise en question. Il déclare que ses amis et lui ne pourront pas voter.

Ils sont cinq.

M. de Castellane profite de l'incident qui a prolongé le débat et laissé aux esprits le temps de se ressaisir. Il demande le renvoi du vote à une autre séance. Le renvoi est voté !

La République française, journal de M. Gambetta, publiait, le lendemain, un article virulent contre M. Louis Blanc : Envers et contre tout son parti, M. Louis Blanc a occupé la tribune. Tout entier à son opinion personnelle, il n'a pas vu ce qui se passait dans les rangs des adversaires de la République. Il leur laissait le temps de se concerter, de reformer leurs rangs, d'arrêter un plan de conduite... M. Louis Blanc invoque sa conscience. Il se peut qu'il arrive à se payer de cette monnaie de son propre orgueil... C'est une grave responsabilité, que nous lui laissons tout entière. Nous souhaitons qu'elle ne pèse pas d'un poids trop lourd sur cette conscience si scrupuleuse, quand les bouffées d'une vanité, maintenant trop connue, seront entièrement dissipées.

Deux thèses, deux systèmes, deux méthodes étaient, en présence. Le germe des futures dissensions républicaines était déposé dans l'œuf d'où la République elle-même allait naître.

On discute le paragraphe de l'article Ier du projet Ventavon : Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. Il est voté mains levées.

Séance du vendredi 29 janvier. Vote an scrutin public à la tribune sur l'amendement Laboulaye. La salle était houleuse, jusque dans les tribunes. On dévisageait chaque député montant les degrés, le bulletin à la main. M. Léonce de Lavergne, malade, s'était fait transporter dans la galerie des Tombeaux, d'où il envoya son bulletin blanc. M. Buisson (Seine-Inférieure), M. de Kergariou sont aidés pour monter à l'urne. L'anxiété est au comble.

Les cinq membres de l'extrême gauche : MM. Louis Blanc, Edgar Quinet, Madier de Montjan, Peyrat et Marcou, s'abstiennent. Au moment où le scrutin s'achève, le bruit se répand qu'il ne manque que cinq voix pour que l'amendement soit voté. M. Peyrat se précipite vers la bibliothèque, où MM. Louis Blanc et Marcou se sont retirés : — Il s'en faut de cinq voix que la République ne soit votée, s'écrie-t-il, marchons ! Les instances redoublent. Nous nous laissâmes traîner à la tribune, écrit M. Louis Blanc, et nous jetâmes, l'un après l'autre, notre bulletin dans l'urne, au milieu de l'émotion générale et au bruit d'applaudissements immenses qui nous entrèrent comme des flèches dans le cœur ![14]

A 4 heures 25 minutes le résultat est proclamé. Par 359 voix contre 336, l'amendement n'est pas adopté. L'Assemblée ne voulait pas de la République.

Un mot court cependant, sur une intervention rapide de M. Antonin Lefèvre-Pontalis : on parle d'un amendement Wallon.

La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale. Adopté sans débat.

Paragraphe 3. Rédaction modifiée par la commission elle-même, sur la proposition de M. Marcel Barthe : La composition, le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale. Adopté. A mains levées, on vote l'ensemble de l'article premier.

C'est le septennat.

M. Wallon, a rédigé une disposition additionnelle, ainsi conçue :

Le président de la République est élu à la pluralité des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale.

Il est nommé pour sept ans et est rééligible.

Qu'est-ce cela ?

M. de Ventavon demande le renvoi à la commission. Il en est ainsi ordonné. La séance est levée.

 

La nuit se passe sur le rejet de l'amendement Laboulaye, avec le mince espoir laissé par l'amendement Wallon.

A la réflexion, cet amendement paraissait plein de choses et, si on peut appliquer le mot à l'œuvre d'un homme si droit, plein d'artifices. Il exprimait en termes atténués et comme effacés tout ce que l'on pensait et tout ce que l'on n'avait pas voulu dire depuis des mois. Fragment détaché d'une proposition plus complète, il était devenu, à force de retouches (et il devait être retouché une fois encore au cours de la discussion), à lui seul toute une constitution.

Post-scriptum modeste de l'article Ier du projet Ventavon, il apportait à celui-ci du corps, de la saveur, de la vie. Dans le titre du chef de l'État, la République était en somme reconnue : pourquoi la proclamer si solennellement ? En visant le mode de transmission des pouvoirs présidentiels, la rédaction écartait tacitement la monarchie héréditaire et l'appel au peuple : pourquoi insistera Enfin, la mention de la rééligibilité assurait une certaine stabilité. La loi du 20 novembre 1873 ; la loi qui instituait le septennat du maréchal de Mac Mahon, était ainsi respectée : ou mieux c'était elle qui se transformait par voie d'interprétation en loi constitutionnelle de la République. Jusqu'en 1880, la République gardait, il est vrai, un caractère exceptionnel et transitoire. Mais on verrait alors.

Dans le scrutin sur cet amendement, pouvaient se rencontrer les voix de ceux qui voulaient la République maintenant et les voix de ceux qui ne se refuseraient peut-être pas à s'y résigner plus tard : c'était le fin du fin, le triomphe du sous-entendu et un peu l'équivoque.

Autour de cette combinaison entrevue comme possible, s'était fait, dans la coulisse, un travail de confabulation, de marchandage si l'on peul, qui peu 1 peu lui avait attribué une importance extrême. Dans le centre droit, s'était constitué un sous-groupe, dont les origines remontaient à l'ancien groupe Target, qui s'était manifesté par son énergie libérale dans les négociations avec le comte de Chambord et qui, dès le mois de juin 1874, avait pris position par la déclaration du centre droit dissident et par le discours du vicomte d'Haussonville, au moment de la discussion de la loi électorale[15]. Ce groupe avait pour chefs M. Léonce  de Lavergne, M. Bocher, le duc d'Audiffret-Pasquier lui étaient favorables. Le duc de Broglie ne l'ignorait pas. Le duc d'Aumale, le prince de Joinville, le comte de Paris, lui-même, avaient été en contact avec lui.

L'action personnelle du comte de Paris est certaine. Elle pèse sur ces journées mémorables. Le prince écrivait, le 28 janvier, à son confident girondin, membre du groupe constitutionnel, M. Adrien Léon : ... M. C. se méprend s'il croit que je ne sais pas ce qui se passe dans la Gironde et ailleurs ; je pourrais ajouter bien des chapitres à sa lettre ; mais je n'y puis absolument rien. Je l'ai dit, je le répète inutilement. Si M. de C. a pu contribuer à faire un préfet depuis six mois, il est plus heureux et influent que moi. C'est pour cela que je vous disais ce matin que le prochain gouvernement serait ou l'ennemi déclaré Ou le complice des bonapartistes et que si nos amis ne pouvaient pas fonder te premier, Ils ne devaient pas are associés au second...[16]

Les uns et les autres appréhendaient, par-dessus tout, que les échecs successifs de la monarchie et de la République, en un mot, l'impuissance reconnue de l'Assemblée, ne profitassent à la cause bonapartiste. La hardiesse croissante de ce parti, ses projets et son organisation récemment dévoilés excitaient et fouettaient, si j'ose dire, le libéralisme, d'ailleurs sincère, (les promoteurs du mouvement.

Voyons les choses comme elles sont : le groupe avait fait un calcul, que la méfiance de M. Louis Blanc caractérisait, un peu aigrement, il est vrai, en ces termes : Ils voulaient une république faite par les royalistes, c'est-à-dire une maison construite par ceux qu'elle gênait et construite en vue de sa démolition future. M. Vitet, dit-il encore, avait laissé en mourant ce conseil aux royalistes de toute nuance : Puisqu'il ne dépend pas de vous d'empêcher la République, entendez-vous pour vous l'approprier[17].

Peut-être même y avait-il, dans quelques esprits, une arrière-pensée plus immédiate : On assure qu'au moment même où se nouaient ces négociations, certains membres de l'Assemblée regardaient comme possible encore, et peut-être voisin, le rétablissement de la royauté : ils croyaient que, sous cette menace suprême, d'un mot, d'un seul mot, le comte de Chambord pouvait, l'opérer. Il eût suffi que Monseigneur, ému de nos périls, se mit, sans condition, à la disposition des mandataires du pays. Aussitôt renaissait la majorité monarchique. De fidèles légitimistes, autorisés par l'âge et les services, avaient, dit-on, adressé à Monseigneur ce dernier et pressant appel cette suprême prière. Monseigneur n'a pas répondu[18].

Il est plus simple de croire, ce qui est plus lovai et plus droit, — ce que M. Léonce de Lavergne avait dit dans sa lettre au Temps. — que, faute d'une autre issue, il se rallierait à la République. Il avait déclaré, dans une autre lettre au Journal des Économistes, que le suffrage universel lui apparaissait comme une puissance opposée au socialisme. Or, M. Wallon, qui avait en réserve sa proposition déjà déposée et comme de l'Assemblée, ne pouvait rencontrer un plus utile auxiliaire.

M. Léonce de Lavergne était un homme instruit, expérimenté, connaissant, par ses études, le fort et le faible des révolutions et des constitutions. Il dit lui-même, en propres termes, pour expliquer sa conduite : A l'Assemblée, toutes mes préférences ont été pour la monarchie constitutionnelle ; mais quand il m'a été démontré que cette monarchie était impossible, je me suis rallié la République libérale et conservatrice[19]. M. Léonce de Lavergne était, comme M. Target, en relations étroites avec M. Guizot : une nuance de libéralisme religieux et protestant se mêlait peut-être aux raisons si nombreuses qui déterminèrent l'évolution.

Quoi qu'il en soit, ces hommes, une fois le parti adopté, entendirent profiter de leur situation. M. Léonce de Lavergne négocia avec le centre gauche. M. Dufaure, M. Léon Say, M. Bérenger, s'entremirent. Dans les pourparlers, M. Gambetta et M. Jules Ferry représentèrent la gauche. Il y eut pacte débattu, accepté, formulé. — ce sont les expressions de M. Louis Blanc, — car il fallait ou enregistrer humblement les volontés de ce groupe ou voir la majorité constitutionnelle tomber en poussière[20].

Les conditions imposées par le groupe Lavergne peuvent se résumer eu quelques mots : en échange de la reconnaissance d'un état de choses républicain, il prétendait assurer à l'organisme qu'il s'agissait de constituer des rouages monarchiques. De part et d'autre, double sacrifice, égale abnégation. Les circonstances pesèrent tellement sur les esprits qu'elles réalisèrent l'accord. Il n'y avait pas d'autre issue. Les faits étaient plus forts que les volontés. Selon une autre parole de M. Louis Blanc, le groupe Lavergne tint en ses mains le sort de la France.

Mais ce groupe si important et si exigeant, quel était son quotient numérique ? Que pèserait-il au débat, au vote ? Seul, le vote lui-même pouvait fournir la réponse, dans l'incertitude générale d'une situation si confuse.

 

Au début de la séance du samedi janvier, la commission des Trente annonce qu'elle repousse la disposition additionnelle présentée par M. Wallon. M. Henri Wallon monte à la tribune pour défendre son amendement.

La physionomie du père de la République est devenue légendaire : sa figure ronde et poupine, ses favoris blancs et courts, son œil bleu, ail regard terne et doux, disaient la candeur de son finie. C'était un très brave homme, instruit, patient, modeste et pieux. Fils de cette active et riche Flandre française où la prudence, la pondération et la gravité accompagnent ordinairement la douceur des mœurs et un habile sens pratique, il représentait le département du Nord à l'Assemblée. Il devait une certaine notoriété à ses mérites de professeur distingué et à des travaux historiques remarquables par la solidité, sinon par l'éclat. C'était un commentateur zélé des grands classiques du XVIIe siècle, un admirateur de Bossuet. Il avait écrit un livre sur Jeanne d'Arc. Malgré ses titres sérieux et notoires, combien, cependant, sa personne était effacée parmi tant d'hommes éminents et illustres qui, dans l'Assemblée, composaient son auditoire !

Il parle. On ne l'écoute pas : Le bruit des conversations, dit le compte rendu officiel, couvre sa voix. Il continue. Le président est obligé de réclamer le silence : — L'orateur est interrompu à chaque mot, sans pouvoir même faire comprendre sa pensée. Il faut que ces interruptions cessent. On saisit une parole, un lambeau de phrase. M. Wallon se fait des objections à lui-même : Mais, dira-t-on, vous proclamez donc la République ? Messieurs, je ne proclame rien. (Exclamations et rires.) Je prends les choses telles qu'elles sont... (Très bien, à gauche. Rumeurs, à droite.) Il continue : Mais, dira-t-on, vous n'en faites pas moins la République. A cela je réponds tout simplement : si la République ne convient pas à la France, la plus sûre manière d'en finir avec elle, c'est de la faire. Des rires bruyants accueillent cette parole d'une naïveté vraiment un peu forte. L'excellent homme s'émeut, s'embrouille. Messieurs, vous n'avez pas l'air de comprendre ma pensée. Veuillez suivre mon raisonnement ; j'espère que vous en saisirez la signification. Le discours se poursuit cahin-caha, parmi un parti pris d'indifférence affectée et d'ironie.

Dans la situation où est la France, il faut que nous sacrifiions nos préférences, nos théories. Je dis que c'est le devoir de tout bon citoyen. J'ajoute, au risque d'avoir l'air de soutenir un paradoxe, que c'est l'intérêt même du parti monarchique. Les rires reprennent. Moi je vous dis : constituez le gouvernement qui se trouve maintenant établi et qui est le gouvernement de la République... — C'est le septennat, lui crie-t-on à droite. — ... Je ne vous demande pas de le déclarer définitif, reprend le bonhomme. Qu'est-ce qui est définitif ? Mais ne le déclarez pas non plus provisoire. Faites un gouvernement qui ait en lui les moyens de vivre et de se continuer, qui ait aussi en lui les moyens de se transformer, non pas à une date fixe comme le 20 novembre à 1880, mais alors que le besoin du pays le demandera, ni plus tôt, ni plus tard. Voilà, Messieurs, quel est l'objet de mon amendement.

Ah ! le saint Vincent de Paul des constitutions abandonnées et de la République naissante n'est pas un foudre d'éloquence. Pourtant, il dit tout juste ce que les autres pensent. Son intervention répond au sentiment qu'exprimait, à la sortie d'une de ces séances, un homme d'esprit, s'il en fut, M. de Mérode : — Comme nous serions heureux d'apprendre un beau jour que la République s'est faite, à la condition que l'on ne nous demandât pas de la faire !

On allait voter, lorsque M. Albert Desjardins, sous-secrétaire d'État à l'instruction publique, ami et confident du duc de Broglie, parait, à la tribune. En son nom personnel, dit-il, il dépose une addition à l'article additionnel de M. Wallon. Ceux qui sont dans le secret s'étonnent. Quel coup fourré, se prépare encore ?

C'est la tentative suprême de la droite aux abois. M. Albert Desjardins propose de commencer de la manière suivante l'article additionnel de M. Wallon : A l'expiration des pouvoirs conférés à M. le maréchal de Mac Mahon par la loi du 20 novembre 1873, et s'il n'est procédé à la révision des lois constitutionnelles, conformément aux articles ci-dessous... le reste comme à l'article additionnel de M. Wallon. Si cette rédaction était acceptée, la révision prendrait le pas sur l'œuvre constitutionnelle elle-même. C'est donc une restriction nouvelle, un provisoire suspensif corrigeant le définitif possible. M. Desjardins s'explique obscurément. Le bruit, se répand que le duc de Broglie voudrait rester maitre de l'évolution qu'il sent s'accomplir en dehors de lui et imposer sa marque et sa sanction à cette République si vague, qui est encore dans les limbes de l'amendement Wallon.

Voilà donc le point précis où la division doit se faire. Être ou ne pas être... On entre dans les affres.

Une certaine émotion, dit le compte rendu officiel, succède au discours de M. Albert Desjardins. Beaucoup de membres se lèvent et des conversations particulières s'engagent sur plusieurs bancs.

M. Raoul Duval ne mâche pas les termes : Les auteurs de l'amendement, dit-il, veulent continuer le provisoire par une nouvelle présidence septennale jusqu'à ce que la Providence ait fait disparaître l'obstacle qui barre la route aux ambitions... Ces paroles visent la mort du comte de Chambord : ce serait donc, d'après cet enfant terrible, le fin mot de ce tortueux et persistant travail.

A l'heure où il s'agit de tout sauver, il serait surprenant que M. Chesnelong ne se montrât pas. Le voici, en effet : il ne manque pas de revenir sur ces événements du 27 octobre et du 20 novembre 1873 qui le rendent fameux. Il sait, lui, comment les dogmes finissent. La monarchie agonisa sous ses yeux et presque sous sa main : malgré tout, il a gardé sa belle confiance. En attendant la monarchie, ne désorganisons pas le grand parti conservateur par des institutions républicaines. La République ne pourra jamais se séparer de la Révolution. L'Assemblée ne la votera pas.

M. Clapier répond à M. Chesnelong ; il est curieux de comparer les deux langages : Plus que jamais, j'attends le roi, dit M. Chesnelong. — Puisqu'il n'y a pas de roi, fondons la République, dit M. Clapier. De quelles vacillations intérieures se font les opinions humaines

Le discours de M. Clapier expose, avec beaucoup de clarté, les dispositions des monarchistes qui évoluaient vers la République : Je reconnais, dit M. Clapier, que la monarchie a donné à la France des années de prospérité et de stabilité. Mais c'est lorsque l'état social et politique était monarchique en France... En somme, on nous propose, aujourd'hui, tout ce que nous demandons sauf un titre royal, dont nous reconnaissons nous-mêmes que nous ne pourrions pas disposer à l'heure présente. Par contre, On nous accorde les trois choses que nous réclamons au nom des intérêts conservateurs : l'établissement d'une seconde Chambre, le droit de dissolution pour le chef de l'État, la possibilité de la révision... Hier, M. Laboulaye vous demandait, en votant, pour la République, de poser un principe absolu, général. Vous avez refusé et vous avez bien fait. Aujourd'hui, M. Wallon nous met en présence d'un fait spécial, défini, concret. Votez : si, dans six ans, la modification de la constitution n'a pas lieu, c'est que les choses iront bien, et l'on n'aura qu'à continuer purement et simplement ce qui aura réussi.

M. de Ventavon, au nom de la commission des Trente, combat, à la fois, l'amendement Wallon et le sous-amendement Desjardins.

L'embarras est extrême. On est en plein doute, en pleine chicane, en pleine obscurité. D'où viendra la lumière, la direction ?

Des engagements ont été pris au cours des pourparlers qui ont précédé cette journée. La formule captieuse apportée par M. Desjardins a-t-elle pour but de les rompre ? M. Bérenger, homme droit, interroge avec sa fermeté habituelle : Un fait inattendu s'est produit au début de la séance. Un amendement que rien ne pouvait faire prévoir a été déposé : cet amendement n'a peut-être pas de gravité : il en a peut-être une considérable... J'ai l'honneur de demander à l'honorable M. Desjardins de vouloir bien en préciser le sens. Si sa signification est simplement une allusion à l'engagement pris, aussi bien par le côté gauche de l'Assemblée que par d'autres groupes politiques, d'insérer dans la constitution une clause de révision, nous ne faisons pas d'objection, nous sommes hommes de parole ; si cet amendement a une autre portée, je demande qu'on le dise clairement, et s'il s'agit d'une modification à l'amendement Wallon, qu'on explique en quoi consiste cette modification.

M. Albert Desjardins répond ; mais son commentaire est de plus eu plus embrouillé. Finalement, il s'en réfère au vote de l'Assemblée. La droite entend que la rédaction Desjardins jointe à la proposition Wallon ne fasse qu'un seul et mime article, sur lequel on se prononcera dans un seul et même scrutin.

Voyez la malice : on détruirait, tout en construisant. La motion Wallon, qui corrige l'article Ventavon, serait corrigée, à son tour, par la motion Desjardins. Il n'est pas douteux, d'après les documents les plus authentiques, que le sous-amendement Desjardins ait été une tentative in extremis du duc de Broglie pour faire avorter l'amendement Wallon. Voilà le dernier mot de la politique parlementaire.

C'est sur cette pointe d'aiguille que tout va tourner.

 

A partir de ce moment, le rôle de M. Buffet s'affirme. Il s'agissait d'une question de procédure qui relevait de sa compétence présidentielle. Or, il se prononce et se maintient obstinément en faveur du vote te par division. Il se refuse à couvrir de son autorité la tactique préconisée par M. de Kerdrel au nom de la droite, et qui consistait à inclure le oui et le non dans la même phrase. Il insiste pour que l'on vote à part sur l'amendement Desjardins. Cet amendement perd ainsi toutes ses chances ; il est rejeté par 522 voix contre 129.

L'effet fut tel que M. Dufaure, qui s'était réservé jusque-là, prend immédiatement la direction du débat. Il s'était abstenu au vote de l'amendement Desjardins, ne voulant pas laisser croire que ses amis et lui se dérobaient au sujet de la promesse faite par eux d'inscrire, dans les lois constitutionnelles, la faculté de révision. Cette fois, il monte à la tribune et il s'engage très haut et très clair : Avec l'honorable M. Wallon, avec un grand nombre de mes amis, j'admets parfaitement en premier lieu que, par l'amendement de M. Wallon, nous ne porterons aucune atteinte aux pouvoirs qui ont été conférés, le 20 novembre, à M. le président de la République, et, en second lieu, que nous admettons le droit de révision. Voilà le pacte scellé, ratifié publiquement.

Il ne reste plus qu'à voter.

L'amendement Wallon a été modifié encore une fois par son auteur en cours de séance. Voici son texte définitif :

Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale.

Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible.

On vote.

Après un premier dépouillement, à président annonce que le nombre des bulletins blancs et celui des bulletins bleus paraissant ne devoir présenter qu'un faible écart, il sera procédé au pointage.

Plusieurs incidents. Un membre s'approche du  bureau des secrétaires à gauche et met son bulletin dans l'urne. Le général Billot décide, à la dernière minute, le général de Chabron à ne pas s'abstenir et reçoit de lui un bulletin blanc qu'il dépose dans une des corbeilles... Vives réclamations à droite. Le président Buffet déclare que le compte des bulletins n'étant pas terminé, il pense que les votes des retardataires peuvent être mis valablement dans les corbeilles...

Le dépouillement avec pointage dure une heure. On attendait en silence. La droite était dans les transes, dit. M. de Vinols. A 6 heures 45 minutes, le résultat est proclamé. Par 353 voix contre 352, l'amendement Wallon est adopté. Des applaudissements éclatent et se prolongent à gauche.

La République est fondée, — sauf une troisième délibération.

La droite avait dit et répété, en octobre 1873, qu'elle établirait la monarchie à une voix de majorité. Elle était prise à ses propres déclarations ; elle subissait la loi qu'elle avait dictée. Une voix suffisait pour instituer la République.

Quelques détails : toutes les gauches, y compris les cinq membres de l'extrême gauche, votèrent l'amendement. Toutes les droites, y compris l'extrême droite, votèrent contre. C'est au centre qu'un léger déplacement de voix décida de la majorité.

La République qui venait d'être votée, c'était, comme on l'a dit, la République du centre droit. La veille, MM. Clapier, Fourichon, Léonce de Lavergne, Antonin Lefèvre-Pontalis et Luro s'étaient déjà prononcés pour l'amendement Laboulaye. Le 30 janvier, onze députés du centre droit et du centre gauche, qui avaient voté contre l'amendement Laboulaye, se prononcèrent pour l'amendement Wallon, ce sont : MM. Adrien Léon, Amédée Beau, général de Chabron, Delacour, Drouin, Gouin, vicomte d'Haussonville, Houssard, Savary, comte de Ségur, Félix Voisin. Sept députés qui s'étaient abstenus dans le vote de l'amendement Laboulaye, votèrent pour l'amendement Wallon : MM. Bernard, Desbons, Ducuing, Duvergier de Hauranne, Guinard, Paul Morin, Target. Six députés ayant voté contre l'amendement Laboulaye, s'abstinrent dans le vote de l'amendement Wallon ce sont : MM. Bompard, Deseilligny, de La Sicotière, Leurent, Mallevergne, Mathieu-Bodel (ministre des finances). M. le comte de Chambrun, qui s'était abstenu la veille, a voté contre, et M. Ganault, qui avait voté pour, est mentionné par erreur comme s'étant abstenu[21].

Nous avons, sur les raisons et les conséquences du vote, l'avis de deux hommes également éminents dans les partis opposés : le duc de Broglie et M. Léon Say : Ce fut après une longue attente, dit le duc de Broglie, qu'une fraction assez faible de la majorité monarchique, effrayée (on ne peut dire que ce fut sans sujet) du désordre qui pouvait naître si l'Assemblée était contrainte de se retirer en confessant son impuissance, inquiète de la nature des successeurs qui leur seraient donnés par les passions révolutionnaires que surexciterait un tel aveu, crut qu'il lui était possible, sans adhérer au principe républicain, de le laisser s'établir en fait, mais en y mettant une condition et une réserve expresse : c'est que toute facilité serait réservée à la France pour s'en dégager le jour où le rétablissement de la monarchie, devenu possible, serait agréé par le vœu national. C'est sur ce terrain très nettement défini qu'une entente fut établie entre ce groupe détaché du parti monarchiste et les principaux personnages de la minorité républicaine[22].

Ainsi, dans la résignation même du duc de Broglie, il y avait encore de la confiance et de l'illusion. Le duc de Broglie oubliait son mot spirituel du 24 mai : La victoire fait toujours des prisonniers.

Les chefs de la gauche appréciaient mieux les conséquences de la journée du 30 janvier. M. Léon Say écrivait, le 1er février 1875, à son oncle, M. Cheuvreux : Nous sommes en pleine évolution politique. Le vote à une seule voix de l'amendement Wallon va produire des effets étonnants et, déjà, nous pouvons compter sur une soixantaine de voix de majorité pour voter l'ensemble d'une loi qui, présentée avec un caractère antirépublicain, va être votée avec un caractère nettement républicain. La première personne à qui j'ai parlé au moment de la proclamation de cette majorité d'une voix, a été le prince de Joinville. Il m'a dit :Vous l'emportez et j'en suis enchanté ; ma position personnelle me forçait de voter contre, mais je suis ravi d'être battu. Pasquier m'a dit que lui et ses amis acceptaient complètement le terrain nouveau créé par la majorité d'une voix. Il est donc probable que la loi constitutionnelle sera votée. M. de Broglie s'en console en disant qu'il ne faudra pas en tirer des conséquences logiques ; mais il se fait une étrange illusion, et ses amis commencent à parler sur un tout autre ton... — Ils nous disaient toujours de les suivre encore une fois, m'a dit M. de Meaux, en me parlant des chefs de la droite, et, à chaque bêtise qu'ils nous faisaient faire, nous n'avions que la ressource de leur dire que d'agir bêtement n'avait pas empêché que l'on n'aboutit à rien[23].

Les républicains triomphaient modestement. lis savaient que le dernier défilé n'était pas franchi. Et pourtant, ils ne pouvaient dissimuler leur satisfaction. M. de Vinols raconte qu'il avait rencontré M. Gambetta à la gare Montparnasse le jour du vote sur l'amendement Laboulaye : Je fus surpris de l'y voir, dit-il, car il passait toujours par la gare Saint-Lazare. Je fus frappé de son abattement... Je revis encore Gambetta à la gare Montparnasse le jour où fut voté l'amendement Wallon : il était hors de lui de joie et ne ressemblait guère au Gambetta de la veille[24].

 

IV

La République était votée à une voix de majorité, c'est-à-dire que le nom du régime, du moins, était introduit dans les projets constitutionnels de la droite. Cependant, le texte qui restait soumis aux délibérations de l'Assemblée, c'était toujours le projet Ventavon. Or, il avait été préparé en vue d'un gouvernement personnel, sinon d'une monarchie parlementaire. Par quelle transformation ou par quelle contorsion s'adapterait-il à une République démocratique ?

Dans la séance du lundi 1er février, on aborde la discussion de l'article 3 du projet : Le maréchal président de la République est investi du droit de dissoudre la Chambre des députés ; il sera procédé, en ce cas, à l'élection d'une nouvelle Chambre dans le délai de six mois.

Voici, encore, M. Wallon : il s'installe dans son rôle. Le succès lui a donné de l'assurance et du prestige ; maintenant, on l'écoute. Sans s'attarder aux détails de rédaction au sujet des attributions du président de la République, il propose de sanctionner, par un nouvel amendement, l'accord intervenu entre les groupes du centre, relativement à une question des plus délicates : il s'agit du droit de dissolution. Cet amendement est ainsi conçu :

Il (le président de la République) peut, en outre, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat.

En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour, de nouvelles élections dans le délai de trois mois.

Le projet Ventavon reconnaît au président seul le droit de dissolution ; le projet Wallon le remet aussi au président, mais sur l'avis conforme du Sénat.

La thèse monarchique a pour corollaire nécessaire le droit de dissolution laissé à la couronne ; la thèse républicaine, qui attribue le dernier mot à la Chambre, refuserait le droit de dissolution au président, qui n'est que l'émanation de l'assemblée représentative. Ce que M. Wallon apporte, c'est encore une transaction.

M. Dufaure demande le renvoi à la commission. La commission des Trente a été surprise par le vote de l'amendement Wallon, qui change le caractère du projet et substitue une loi générale d'organisation des pouvoirs publics à une loi visant les pouvoirs d'une personne. Il faut que la commission examine la situation qui lui est faite et se consulte. Ainsi décidé ; débat remis au lendemain, 2 février.

La droite attachait une importance extrême à cet article. C'était le dernier lambeau d'institutions monarchiques qui se déchirait sous ses yeux. La commission, sur l'insistance de M. de Meaux, se prononça, cette fois encore, contre l'amendement Wallon. On voulait donner au maréchal plus de prestige et d'indépendance[25].

Devant l'Assemblée, un membre du centre gauche, M. Bertauld, défend la doctrine républicaine sous cette forme : le droit de dissolution sera reconnu, une fois, au maréchal seul, en raison de sa situation exceptionnelle et des engagements pris, mais non à ses successeurs, car ce droit est radicalement incompatible avec le principe républicain.

Un des membres du centre droit dissident, M. Luro, s'explique sur l'évolution accomplie par lui et par ses amis : Quel que soit le regret que l'on ait de ne pas pouvoir donner au pays les institutions que l'on préfère, dit-il, il faut courageusement prendre son parti. Parmi ces tiraillements entre ceux qui veulent une organisation plus républicaine que monarchique et ceux qui la veulent, plus monarchique que républicaine, il faut se contenter, faute de mieux, de la seule chose possible. Or, il n'y a qu'une chose que vous puissiez faire, c'est la République. Mes amis et moi, nous avons voulu ouvrir au parti conservateur l'accès du seul terrain qui restait ouvert pour l'organisation d'un gouvernement. Et nous avons confiance que si cette démarche était imitée par nos amis de la droite, la République ne deviendrait pas le gouvernement d'un parti.

Cette parole fut l'une des plus sages émises au cours de ce long débat ; si elle eût été écoutée, elle consacrait, à l'heure même out la République naissait, le pacte de concorde qui eût uni tous les Français. Hélas ! les partis sont imprudents et oublieux.

M. de Meaux s'appuie habilement sur la motion de M. Bertauld pour maintenir au président seul le droit de dissolution. Le Sénat ne peut pas être juge de la future Chambre. Ce droit appartient au pouvoir exécutif seul : sinon, en face de ce pouvoir désarmé et d'une seconde Chambre fatalement impuissante, la Chambre issue du suffrage universel, deviendra une véritable Convention.

M. Dufaure est décidément le maitre du débat. Dès qu'il est à la tribune, l'Assemblée est pendue à ses lèvres. On attend de lui les solutions. Il apparait déjà comme le ministre qui mettra en jeu, bientôt, les rouages dont il conseille la création. On semble croire, dit-il, que ce sont les Chambres qui sont toujours factieuses et le pouvoir exécutif qui est toujours sage ; on oublie l'histoire. Le Sénat est un élément pondérateur, un arbitre. Voilà quel est son rôle, rôle qu'il ne convient ni d'exagérer, ni de diminuer... Je désire ardemment que la loi qui vous est soumise, et dont vous avez accepté deux articles, soit votée tout entière. Il est nécessaire qu'elle soit votée pour la tranquillité de notre pays ; le gouvernement est énervé, le pouvoir est affaibli. Nous sommes entourés des intrigues les plus audacieuses... (c'était la corde sensible) le nouvel amendement a le double effet de donner aux uns la garantie qui naît du pouvoir présidentiel et aux autres celle qui vient du Sénat.

Cette intervention, dit le compte rendu officiel, provoque sur tous les bancs de l'Assemblée une vive agitation. Les conversations s'engagent. Pendant dix minutes, le rapporteur, qui est à la tribune, ne peut parler au milieu du bruit.

C'est qu'il s'agit, cette fois, de consacrer ou d'abolir, et cela après réflexion, non par surprise, le vote qui, par une vox, a décidé de la République : Ce second scrutin c'était, comme le dit M. de Vinols, à la fois la confirmation de la République et la condamnation du septennat personnel.

M. Bertauld retire son amendement. Repris par M. Depeyre, il est écarté par 354 voix contre 346. Par 425 voix contre 213, l'amendement Wallon est immédiatement adopté.

Et voici ce qu'on vit : on vit les membres de la droite modérée, les fondateurs du septennat, les hommes qui avaient tout tenu en suspens pendant près de deux années pour faire du maréchal de Mac Mahon le maitre de la situation et créer en sa faveur une sorte de principat temporaire au-dessus de l'Assemblée, au-dessus du pays, on vit ces hommes se rallier à la majorité et sanctionner la décision constitutionnelle qui détruisait leur œuvre, annulait leurs efforts, rayait tant de déclarations solennelles et de si éloquents discours. Le prince de Joinville, le duc d'Audiffret-Pasquier, le duc Decazes et le duc de Broglie lui-même votèrent l'amendement ! Parmi les députés qui s'abstinrent, on compte M. de Voguë, M. de Bonald, M. de Chabrol, M. de Chabaud La Tour, et M. de Lacombe — et M. de Meaux, qui avait défendu à la tribune le projet de la commission !

M. de Vinols dit : On ne peut expliquer ce vote, que par un mot d'ordre donné pour constituer la République, dans l'espoir de faire du duc d'Aumale le successeur du maréchal de Mac Mahon[26]. On disait aussi que le duc de Broglie voulait s'emparer du nouveau régime et en devenir le pilote puisqu'il était à flot. Quoi qu'il en soit, la force des choses et l'autorité latente du suffrage universel l'emportaient ; les droites, sentant leur impuissance, détendaient leurs nerfs et capitulaient.

La commission elle-male, la citadelle du septennat, rendit les armes, le 3 février. L'article 3 du projet Ventavon, devenu l'article 4, était ainsi conçu :

Les ministres sont solidairement responsables devant la Chambre de la politique générale du gouvernement et, individuellement, de leurs actes personnels.

Le maréchal de Mac Mahon, président de la République, n'est responsable que dans le cas de haute trahison.

Or, au lieu et place de M. de Ventavon, indisposé, M. Paris, rapporteur substitué, dit que la commission cotisent à la suppression des mots le maréchal de Mac Mahon. — C'est la déchéance, s'écrie-t-on à droite. — Non : c'est l'impersonnalité du pouvoir. La présidence du maréchal de Mac Mahon rentre dans la constitution au lieu d'être à elle seule une constitution. L'article est adopté à mains levées.

L'article 5 vise le mode d'élection du président de la République et établit le principe de la révision. Sur l'initiative de M. Wallon, l'article est divisé en deux. L'article 5, nouveau, organisant le mode d'élection, est adopté sans débat :

En cas de vacance par décès ou pour toute autre cause, les deux Chambres réunies procèdent immédiatement à l'élection d'un nouveau président.

Dans l'intervalle, le conseil des ministres est investi du pouvoir exécutif.

L'article 6 vise le droit de révision. C'est le nœud de l'accord intervenu entre les centres, accord qui imprime au débat cette allure rapide, faite pour étonner les adversaires désemparés.

M. Paul Cottin demande au rapporteur s'il est bien entendu que la clause de révision insérée dans la constitution implique le droit — éminemment révolutionnaire — de changer, à un moment donné, la forme du gouvernement.

Jamais, peut-être, les fondateurs d'un régime n'avaient été soumis à une telle exigence. M. Paris, rapporteur, est trop heureux de préciser, d'affirmer : Oui, oui, répond-il, le texte ne peut laisser aucun doute ; nous entendons formellement que toutes les lois constitutionnelles, dans leur ensemble, pourront être modifiées, que la forme même du gouvernement peu n'a être l'objet d'une révision. Il ne peut, il ne doit y avoir, à cet égard, aucune équivoque. Descendu de la tribune, il se tourne vers M. Dufaure : — Voilà bien, n'est-ce pas, ce que vous vouliez ? Vous êtes content ? C'est, ce qu'on avait promis, en effet. Le pacte était conclu ; il fallait voter.

M. Gambetta ne peut résister, cependant, à l'impulsion qui le porte à la tribune. Il voudrait s'expliquer, interpréter. Mais, soudain, il tourne court et il se réserve pour la troisième lecture : A la vérité, dit le duc de Broglie, M. Gambetta parut gêné. Il fit quelques réserves et annonça qu'il les développerait dans une délibération suivante ; mais, le jour venu du débat final, il resta muet. Il jugea, sans doute, qu'une position est toujours bonne à prendre... Il n'avait pas tort et son silence fit preuve du sens politique qui l'a souvent distingué, toutes les fois que des deux qualités du tempérament méridional, la finesse et la fougue, ce n'était pas la seconde qui l'emportait sur la première. Seulement, son embarras explique pourquoi les républicains ne se soucièrent pas de donner au débat de la loi tout entière plus d'étendue et plus d'ampleur[27].

On continue à voter à mains levées et l'on pourrait presque dire au pied levé. L'article G est adopté sans scrutin public. Il est ainsi conçu :

Les Chambres auront le droit, par délibérations séparées, prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du président de la République, de déclarer qu'il y a lieu à réviser les lois constitutionnelles.

Après que chacune des deux Chambres aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision.

Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles en tout ou en partie devront être prises à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale.

Toutefois, pendant la durée des pouvoirs conférés par la loi du 20 novembre 1873 à M. le maréchal de Mac Mahon, cette révision ne pourra avoir lieu que sur la proposition du président de la République.

La gauche n'avait pas encore vidé le calice. Un amendement du baron de Ravinel, repris par M. Giraud, forme un nouvel article 7 et introduit dans le texte une prescription qui n'avait qu'un rapport bien éloigné avec les lois constitutionnelles : Le siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres est Versailles. C'était, comme le dit M. Louis Blanc, une défiance injurieuse à l'égard de Paris. L'article est adopté, le centre droit dissident faisant défection et votant avec les droites. On ferme les yeux, il faut finir.

Adopté également un autre article additionnel (art. 8) portant que la loi des pouvoirs publics ne sera promulguée qu'après le vote définitif de la loi du Sénat. C'est donc le pacte sous condition résolutoire : on accepte tout.

Par 508 voix contre 174, l'Assemblée décide qu'elle passera à une troisième délibération ; puis elle s'ajourne au jeudi 11 février pour la discussion, en deuxième lecture, de la loi sur le Sénat.

Donc, les 11 et 12 février a lieu la deuxième délibération de cette loi sur le Sénat, connexe, comme il a été entendu, la loi sur l'organisation des pouvoirs publics. On peut dire qu'elles forment, à elles deux, toute la constitution.

Ainsi, lentement et fragmentairement, ou plutôt assise par assise, s'élève une constitution, et une constitution républicaine.

La procédure parlementaire, avec ses trois délibérations, complique singulièrement le travail : chaque débat et à chaque mot de chaque article, tout est remis en question.

Le Sénat., tel que la commission l'avait conçu, devait être un organe pondérateur, un frein ; il devait représenter spécialement les traditions et les intérêts : voici les propres paroles de M. A. Lefèvre- Pontalis, rapporteur du projet : Nous voulons opposer au parti révolutionnaire une barrière suffisante pour qu'il ne puisse pas s'emparer légalement du pouvoir. Comprise ainsi, l'institution d'une deuxième Chambre apparait comme un acte de méfiance à l'égard du suffrage universel ; il ne jouera pas dans le même sens — si l'on peut s'exprimer ainsi — que les autres institutions.

L'article premier de la commission manifeste cette préoccupation de la droite de l'Assemblée de se survivre par l'institution d'un Sénat :

ARTICLE PREMIER. — Le Sénat est composé :

1° De sénateurs de droit ;

2° De sénateurs nommés par décret du président de la République ;

3° De sénateurs élus par les départements et les colonies.

 Le Sénat ne peut comprendre plus de trois cents membres.

 M. Pascal Duprat a déposé un amendement : Le Sénat est électif. Il est nommé par les mêmes électeurs que la Chambre des députés.

 C'est la doctrine républicaine. La France n'a plus d'aristocratie, plus de classe privilégiée, dit M. Pascal Duprat. Elle est une démocratie pure. Il n'y a d'autorité souveraine que dans la volonté de tous. Une institution qui n'émanerait pas du suffrage populaire, ou ne pèserait pas ou ne serait qu'une cause de trouble. Un État démocratique ne comporte pas de sénateurs de droit. Des raisons politiques et morales s'opposent à la nomination des sénateurs par le pouvoir exécutif : le chef de l'État, élu pour sept ans, ne peut logiquement consacrer des sénateurs à vie. D'autre part, les catégories d'électeurs créées par le projet de la commission sont purement arbitraires : c'est l'incohérence, l'illogisme, le désordre et, par-dessus tout, la mutilation ou la contradiction vaine du suffrage universel.

 M. Pascal Duprat conclut : Je puis donc vous présenter sans embarras l'amendement que je vous ai proposé. Il est conforme au vote que vous avez émis récemment. Vous avez commencé à organiser la République, achevez votre œuvre en donnant à la République un Sénat républicain. C'est ce qu'exigent, selon moi, le bon sens, la logique et le patriotisme.

Pas un républicain, si modéré qu'il fut, ne pouvait désavouer cette thèse[28]. On se souvient du jamais, jamais, proféré par M. Jules Simon. M. Laboulaye, dans l'Esquisse d'une Constitution républicaine, avait fait paraître dès 1872, et dont les grandes lignes se retrouvaient, en somme, dans la proposition Wallon, M. Laboulaye avait réclamé l'élection du Sénat par le suffrage universel : Pour qu'un Sénat fasse contrepoids à l'autre Chambre, il faut, nécessairement, que son origine ne soit pas moins populaire : autrement, l'opinion ne l'adoptera pas ; au lieu d'être une force, il sera une faiblesse et un embarras. Je n'hésiterai donc pas à faire nommer les sénateurs par le suffrage universel. La seule atténuation que M. Laboulaye apportât à ce système radical, c'était d'ajouter aux sénateurs nommés par les départements un certain nombre de membres représentant spécialement l'agriculture, l'industrie, le commerce, l'armée, la magistrature, les sciences et les arts : politesse sans conséquence aux situations acquises et aux corps constitués.

Donc, du moment où le principe d'une seconde Chambre était accepté et que la question n'était plus entière, selon la remarque de M. Pascal Duprat, celui-ci traduisait les sentiments de tout le parti en proposant que le Sénat fût élu par les mêmes électeurs que la Chambre des députés.

Pas de discussion. On vote. A droite, à gauche, les mains se lèvent. Hésitation. Le bureau déclare l'épreuve douteuse. Mouvement par toute la salle.

Les uns ne pensent qu'au triomphe de leurs idées ; les autres songent au péril qui menace l'édifice républicain. si péniblement élevé, au cas où l'une des conditions du pacte ne serait pas réalisée. Le centre droit dissident se ralliera-t-il à l'institution d'un Sénat élu par le suffrage universel ?

Nouveau vote à mains levées : seconde épreuve encore douteuse. Scrutin public... Il y a lieu à pointage... Longue attente : le résultat est proclamé. Par 322 voix contre 310, l'Assemblée a adopté l'amendement Pascal Duprat. Mouvement prolongé, dit le compte rendu officiel. L'adoption de l'amendement fut accueillie avec transport par les républicains, écrit M. Louis Blanc.

Le centre droit dissident avait voté contre. Une partie du centre gauche également. Mais les bonapartistes avaient voté l'amendement et le groupe de l'extrême droite, sentant que l'occasion était bonne pour brouiller et remettre tout en question, l'extrême droite s'était abstenue.

M. Batbie demande le renvoi à la commission des Trente d'un projet dont, dit-il mélancoliquement, il ne reste que peu de chose. Le rapporteur M. de Ventavon s'est évanoui. Le président, plus robuste, a tenu bon : mais il fait triste figure. Renvoi à la commission.

Le lendemain, vendredi in février, M. Antonin Lefèvre-Portalis dit les dernières paroles : Le système de l'amendement est inconciliable avec les doctrines de la commission. Tant que cet amendement restera le principe de la loi, la commission ne croit pas devoir participer au débat ; plus tard, elle verra selon les circonstances.

Et voici que le cabinet sort de son sommeil pour Intervention du transmettre à l'Assemblée la parole même du maréchal-président.

Messieurs, dit le général de Cissey, le président de la République n'a pas cru devoir nous autoriser à intervenir dans la suite de la discussion. Il lui a paru, en effet, que votre dernier vote dénaturait l'institution sur laquelle vous êtes appelés à statuer et enlevait ainsi, à l'ensemble des lois constitutionnelles, le caractère qu'elles ne sauraient perdre sans compromettre les intérêts conservateurs. Le gouvernement, qui ne peut en déserter la défense, ne saurait donc s'associer aux résolutions prises dans votre dernière séance. Il croit devoir vous en prévenir, avant qu'elles puissent devenir définitives.

M. Charreyron, au nom du centre droit dissident, fait une déclaration découragée et décourageante. Le pacte est rompu. Tant pis pour ceux qui n'ont pas su le respecter.

Le centre droit, se dégage. Confusion extrême. M. Laboulaye, M. Bardoux, M. Bérenger déposent des amendements transactionnels. Mais il n'y a plus de commission, plus de méthode. Un amendement de M. Bardoux, qui stipule que les élections sénatoriales auront lieu au scrutin de liste, est voté, et l'ensemble de l'article, composé des amendements Pascal Duprat et Bardoux, est adopté par 36G voix contre 235.

Les autres articles sont votés également, sans débat et à mains levées. C'est acquis, le Sénat est institué : ses membres seront élus par le suffrage universel au scrutin de liste par département.

Il ne reste qu'à décider si l'on passera à une troisième délibération. Ce vote doit, selon le règlement, avoir lieu au scrutin public. C'est ici qu'on attend les gauches. Alors, l'extrême droite se retourne. Par 368 voix contre 345, l'Assemblée décide qu'elle ne passera pas à une troisième délibération.

Tout est à vau-l'eau. Pas de Sénat, pas de constitution. La jeune République est mort-née : c'est la faillite de l'Assemblée.

Dans le trouble qui suit ces votes contradictoires, une discussion haletante se produit où toutes les passions se heurtent.

M. Henri Brisson dépose immédiatement une proposition de dissolution et réclame l'urgence. Les conciliateurs, M. Waddington, M. Vautrain, etc., soumettent à l'Assemblée divers systèmes d'organisation du Sénat : Tout cela est connu ! leur crie-t-on. A six mois ! A six mois ! M. Raoul Duval appuie, lui aussi, en termes véhéments, la dissolution : Il ne suffit pas de déclarer solennellement qu'on votera des lois constitutionnelles pour qu'on les puisse voter... Ne prolongeons pas ce spectacle d'une Assemblée qui, depuis deux ans, ne parvient pas à voter des lois qu'elle promet toujours... Cédons la parole au pays et la place à une autre Assemblée... Le pire de tout serait, de nous obstiner à maintenir notre pays dans l'état, politique où nous sommes nous-mêmes...

M. Victor Lefranc fait entendre quelques paroles sages : Ne désespérons pas ; remettons-nous au travail avec un sentiment patriotique, avec un sentiment résigné, s'il le faut... sauvons le pays, au besoin par le sacrifice de nos opinions. Il n'est pas suivi. M. Bethmont, membre du centre gauche, ami de M. Thiers, défend la motion de dissolution. Il n'y a plus de gouvernement, personne de responsable, pas d'Assemblée ; il faut nous en aller.

Un duel animé s'engage entre la personnalité éminente du cabinet, qui, jusque-là, s'était tenue dans l'ombre, le duc Decazes, et M. Gambetta. Le duc Decazes combat la dissolution, au nom du gouvernement, et M. Gambetta d'interrompre : Au nom d'un ministère six fois battu et toujours présent. Le duc Decazes insiste pour que l'Assemblée ne se sépare pas sans achever son œuvre et sans exécuter l'engagement qu'elle a pris elle-même de laisser des institutions au pays.

M. Gambetta répond : C'est vous, vous, qui êtes venu, tout à l'heure, apporter cette parole de discorde qui a tout remis en question... Le principe du Sénat auquel vous teniez tant, nous l'avons voté ; nous vous avons suivi partout où il vous a plu de nous conduire ; nous avons fait taire nos scrupules. Nous avons consenti à diviser le pouvoir, à créer deux Chambres ; nous avons consenti à vous donner le pouvoir exécutif le plus fort qu'on ait jamais constitué dans un pays d'élection et de démocratie ; nous vous avons donné le droit de dissolution, et sur qui ? sur la nation elle-même, au lendemain du jour où elle aurait rendu son verdict. Nous vous avons donné le droit de révision : nous vous avons tout donné, tout abandonné ! Abandonné, non ; parce que nous avions la confiance que vous étiez sincères... et, alors que nous avons cédé tout cet appareil, tout ce régime protecteur, muré à triple enceinte, dans lequel vous pouviez abriter le gouvernement et les doctrines de votre choix, vous êtes venu, vous, ce ministère six fois battu et toujours persistant, nous dire qu'il vous fallait un Sénat qui fût à vous, exclusivement à vous... Ce cabinet sans responsabilité s'est  précipité chez le maréchal et en est revenu avec la déclaration qu'il nous a lue... Eh bien ! il faut que cela finisse. Il est nécessaire que nous mettions un terme à cette maladie qui nous travaille, depuis tantôt deux ans, d'échouer coup sur coup dans toutes nos entreprises... Puisqu'il en est ainsi, rompons ; allons devant le pays ; expérimentez vos illusions ; la déception ne tardera pas à venir. Plus tard, on dira que vous avez manqué la seule occasion peut-être de faire une République véritablement ferme, légale et modérée.

Au cours de cette magistrale improvisation, M. Gambetta fit une allusion très vive à la politique extérieure du duc Decazes : Votre politique extérieure ne vaut pas mieux que votre politique intérieure, dit-il au ministre des affaires étrangères ; je vous le prouverai.

M. Gambetta avait donc présent à l'esprit tout l'échiquier politique. Sa véhémence elle-même ne remportait pas au delà du but. En réclamant la dissolu-lion, en insistant pour le Sénat électif, le chef du parti républicain menaçait la droite et, en même temps, il se couvrait à gauche. Il négociait parmi ses fureurs. Le général de Chabaud La Tour indique des tendances conciliatrices en répondant à M. Gambetta. Les esprits s'apaisent.

Par 390 voix contre 257, l'Assemblée n'adopte pas la déclaration d'urgence sur la motion de dissolution déposée par M. Henri Brisson.

On voulait se revoir, réfléchir. La meilleure preuve, c'est que, sur l'initiative du président Buffet, on renvoie à la commission des Trente les projets transactionnels et notamment ceux de MM. Waddington et Vautrain.

M. Wallon demande à la Chambre de s'ajourner au 15 février ; il est bien entendu qu'elle aura à se prononcer seulement alors, d'une manière définitive, sur l'existence du Sénat. Adopté. On dirait que l'Assemblée hésite devant les conséquences de cette incohérente journée.

 

V

Le chapitre de l'histoire constitutionnelle de la France qui s'ouvre maintenant, pourrait s'appeler : le cas de conscience.

L'Assemblée était à la veille de la décision suprême. Mais tout était encore en suspens : d'une part les déclarations, les doctrines, le passé ; d'autre part, un vote déjà émis, la volonté évidente du pays, l'avenir. On était au carrefour de l'une ou l'autre voie.

Tout le monde est averti ; plus d'obscurité, pas de surprise possible ou prétendue ; ce qu'on va faire, on le fera consciemment. Veut-on s'arranger et céder ; préfère-t-on brusquer et risquer La crise est de celles qui sondent les reins et les cœurs.

Dès la veille, jeudi 11, le centre gauche, mesurant le péril en présence du vote de l'amendement Pascal Duprat, avait essayé de s'interposer. Il avait fait savoir au centre droit dissident qu'il était à sa disposition pour établir une combinaison transactionnelle sur le mode d'élection du Sénat. Mais le groupe Wallon avait refusé de rien entendre. Il était trop tard. Le discours de M. Charreyron, dans la séance du 12, avait été l'expression de cet état d'esprit, et la séance avait vu la rupture du pacte et le vote du rejet sur l'ensemble.

Les conciliateurs se remettent à l'œuvre. Mais les adversaires de l'entente sont sur pied également. Ils travaillent avec une ardeur non moindre.

Sur l'initiative de M. Méplain, plusieurs membres de la réunion Colbert : MM. de Montlaur, Leurent, Lallié, Depasse, Adnet, des Rotours, Malartre, etc., signent un projet engageant le maréchal à constituer un nouveau cabinet appuyé sur la majorité du 24 mai, y compris les bonapartistes, et ayant le programme suivant : retrait des lois constitutionnelles, organisation des pouvoirs personnels du maréchal : droit de veto ; droit de dissolution de la prochaine Assemblée ; renouvellement partiel (c'est-à-dire survivance de l'Assemblée) ; direction politique nettement monarchiste.

C'était un coup d'État parlementaire, dont le maréchal serait l'instrument.

Le projet est, soumis au maréchal de Mac Mahon. Son bon sens, qui l'avait tiré d'embarras dans d'autres circonstances non moins graves, lui vient en aide, cette fois encore : il répond qu'il ne désespérait pas de voir l'accord se faire dans l'Assemblée pour l'institution d'un Sénat et, qu'en tout cas, il ne pense pas qu'il y ait lieu au retrait des lois constitutionnelles.

Cependant, le ministère, déconfit après la querelle Decazes-Gambetta, veut se retirer. Le maréchal convoque le duc de Broglie. Le 13, à la première heure, conférence entre le duc de Broglie, le duc Decazes et M. Léon Renault, préfet de police. Le duc Decazes et M. Léon Renault refusent énergiquement d'entrer dans une combinaison quelconque où l'élément bonapartiste serait admis.

Avec.

C'était le dilemme tel que l'avait posé le comte de Paris : ou, avec les bonapartistes, la rupture et le coup d'État ; ou, sans eux et contre eux, les lois constitutionnelles et l'entente avec les républicains.

L'enquête relative à l'élection de la Nièvre avait laissé, dans les esprits de la droite libérale, de réelles inquiétudes. Le préfet de police, M. Léon Renault, affirmait le complot. L'existence du comité impérialiste avait été prouvée, malgré les démentis embarrassés de M. Roulier. La propagande s'étendait sur l'armée, sur les fonctionnaires et s'efforçait de pénétrer jusqu'aux classes ouvrières. On disait tout bas qu'autour de l'Élysée, grâce à la camaraderie militaire, elle atteignait jusqu'au maréchal ou, du moins, se mêlait à l'entourage.

M. Léon Say écrivait : Le complot militaire parait se nouer de plus en plus. On dit que les généraux Abbatucci et d'Espeuilles, appuyés sur quatre colonels, tiennent en mains l'armée de Nancy et ont, désigné le village par lequel ils feraient entrer Napoléon IV[29]. En un mot, le trouble était dans l'âme des parlementaires et ce trouble venait plus encore de leurs propres vacillations que de la réalité des faits.

C'est à ce moment critique, après le duc Decazes et M. Léon Renault, que le duc de Broglie dut donner l'avis sollicité par le maréchal. Le chef des droites déclara que l'œuvre des lois constitutionnelles ne devait pas être abandonnée[30].

Ce simple mot enlevait toutes chances à la combinaison Méplain. En prenant parti aussi nettement, le duc de Broglie ne faisait que se conformer aux sentiments et probablement aux directions du comte de Paris. Celui-ci, fidèle à une opinion qui ne le quitta jamais, écrivait, quelques semaines plus tard, à M. Adrien Léon : Parlementairement, le parti constitutionnel libéral, dont le droit et le devoir sont de défendre les actes organiques qui nous régissent aujourd'hui, peut avoir une action sérieuse sur l'attitude du gouvernement. L'alliance, le compromis avec les véritables bonapartistes est inadmissible[31].

Le duc de Broglie déclina l'offre qui lui était faite de constituer un cabinet et il conseilla au président d'appeler M. Buffet. Le rôle de M. Buffet dans le vote de la constitution était trop notoire pour qu'il y eût le moindre doute sur le sens de cette indication[32]. On savait que M. Buffet voulait organiser les institutions républicaines. On disait qu'il était même d'ores et déjà disposé à céder sur la nomination des inamovibles par le maréchal, si la gauche renonçait à l'élection des sénateurs par le suffrage universel[33]. La droite acceptait et avouait sa défaite.

Tout dépendait donc uniquement du maréchal de Mac Mahon. D'une part, la question ministérielle était ouverte, et il avait à la résoudre ; d'autre part, s'il revendiquait le droit de nomination d'un certain nombre de sénateurs, tel que le lui accordait le projet Ventavon, l'accord était impossible. Les gauches ne Céderaient pas. Peut-être, à la rigueur, renonceraient-elles à l'élection de la seconde Chambre par le suffrage universel, mais c'était la limite extrême de leurs concessions. La nomination de membres de la Chambre haute par le pouvoir exécutif était une attribution royale, incompatible avec un régime démocratique et républicain où le dernier mot doit appartenir au suffrage. Il fallait trancher à un point quelconque, et c'était là le point.

Le maréchal de Mac Mahon avait réclamé très formellement ce droit, dans ses messages réitérés aux Chambres. Il était engagé : engagé à l'égard de lui-même, à l'égard de l'Assemblée, à l'égard de ses amis. La droite modérée, qui avait quelque raison d'attendre l'attribution de la plupart des sièges dont le président disposerait, ne se rallierait à l'une quelconque des combinaisons transactionnelles par lesquelles on lui enlèverait un tel avantage, que si l'exemple et le conseil lui venaient de l'Élysée.

Parmi ces combinaisons, celles qui rencontraient le plus de faveur dans l'Assemblée émanaient de M. Waddington, de M. Vautrain, de M. Cézanne et de M. Bérenger. En principe, elles admettaient la nomination des sénateurs par le suffrage des représentants des communes et des départements. En outre, les soixante-quinze inamovibles dont le projet Ventavon réservait la nomination au maréchal, seraient élus par l'Assemblée nationale elle-même.

Les groupes délibéraient sur ces divers projets. Mais les jours se passaient. On n'aboutissait pas.

Les partisans du coup de tête à la Méplain prétendent, profiter de ces retards : ils s'animent et sont résolus à l'emporter de haute lutte. Ils décident de s'en prendre au personnage que les circonstances ont placé à la tête des partisans de la conciliation, à M. Buffet.

Dans la séance du 16 février, M. l'amiral Saisset adresse une question directe au président de l'Assemblée : Je désire savoir si le président de l'Assemblée a violé les articles 70 et 22 du règlement, en permettant, le vendredi 12, le renvoi à la commission des Trente des projets Waddington et Vautrain. L'article 70 s'exprime ainsi : Si, après trois délibérations, le projet est repoussé, il ne peut pas être reproduit avant le délai de trois mois. Cela voulait dire que, dans la pensée du groupe, le retrait des lois constitutionnelles était de droit et que la prorogation du débat était antiréglementaire et duc à une complaisance du président.

M. Buffet est donc, à son tour, sur la sellette. Il explique, avec beaucoup de fermeté, que chacun des projets présentés n'étant, ni dans leur portée, ni dans leurs expressions, le même que le projet rejeté, le président et, en tout cas, l'Assemblée avait un droit d'appréciation et que, par conséquent, ni l'un ni l'autre n'étaient liés par le règlement.

Alors, il y aura trois lectures sur les nouveaux projets ? demande M. de Belcastel.

Évidemment, répond le président, il y aura trois lectures, à moins que l'Assemblée ne déclare l'urgence.

La procédure qui permettrait, le cas échéant, à l'Assemblée de se dégager du vote émis dans la séance du 12, était indiquée dans ces courtes observations. Après le maréchal de Mac Mahon, après le duc de Broglie, le président Buffet se refusait à toute compromission avec les partisans de la politique de casse-cou.

Jusqu'à la commission des Trente qui, malgré l'opposition de M. de Kerdrel et de M. Chesnelong, se prononce contre le projet Méplain et pour le vote des lois constitutionnelles !

Donc, les dispositions sont bonnes : mais les conditions de l'entente ne se précisent pas ; les pourparlers traînent en longueur. On est, au mercredi 17. La loi du Sénat reste en suspens : la question de la nomination d'une partie des membres du Sénat par le maréchal-président est toujours la pierre d'achoppement.

 

Sur l'avenue des Champs-Élysées, à gauche en montant vers l'arc de Triomphe de l'Étoile, s'élevaient deux hôtels voisins et semblables auxquels un appareil de briques et les hauts toits d'ardoises donnaient l'aspect de deux pavillons Louis XIII. Ces maisons confortables, leurs beaux jardins entourés de grilles, assuraient à ce quartier de Paris un caractère de luxe traditionnel et cossu, avant qu'il l'en transformé par les colossales et somptueuses bâtisses construites sur le même emplacement, dans les dernières années du XIXe On les nommait les pavillons Fontenilliat.

Dans ces hôtels jumeaux, les deux beaux-frères habitent. A droite, le duc d'Audiffret-Pasquier ; à gauche, M. Casimir-Perier : c'est là que le débat suprême va s'engager et la dernière difficulté se résoudre.

 Le mercredi 17, à sept heures du soir, écrit M. Léon Say, M. Casimir-Perier reçut de son beau-frère, le duc Pasquier, l'avis que les délégués du groupe Wallon et du centre droit se réuniront chez lui et qu'ils nous invitent à conférer avec eux. Immédiatement, M. Casimir-Perier télégraphie à MM. Corne, Ricard, Bardoux, Bethmont, Christophle et Léon Say. Premier entretien, le mercredi soir. On apprend de la bouche de M. de Ségur que le groupe Wallon fait une proposition ; à savoir : 175 sénateurs nommés par le collège des conseillers généraux et d'arrondissement avec des délégués des communes, à raison de deux par département, trois pour l'Algérie et les colonies, et les autres 75, par le président, en tout 250 sénateurs.

Le lendemain, jeudi 18, à neuf heures du matin, conférence, d'abord chez M. Casimir-Perier, entre les délégués des gauches qui se mettent d'accord pour réclamer : 1° l'augmentation du nombre des sénateurs, en répartissant les 50 sénateurs nouveaux sur les départements les plus peuplés ; 2° la nomination des 75 inamovibles, non par le président, mais par l'Assemblée ; 3° un plus grand nombre de délégués aux conseils municipaux des communes les plus peuplées.

Ces dispositions arrêtées, le groupe Perier sort pour se rendre à l'hôtel voisin, où l'attend le groupe Pasquier. Nous traversons la cour comme un enterrement, écrit M. Léon Say, puisque les deux beaux-frères sont les chefs des deux corps d'armée. Chez le duc Pasquier, nous trouvons Bocher et Callet, qui sont des centres droits purs, ainsi que Buisson, le député caricaturiste et les amis de Wallon, c'est-à-dire d'Haussonville, Ségur et Target.

Ultimatum. Longues confabulations. Le nœud du débat, c'est toujours la nomination de 75 sénateurs par le président ou par l'Assemblée : c'est-à-dire par le pouvoir législatif ou par le pouvoir exécutif : monarchie ou république. Il faut que le président et la droite se prononcent avant quatre heures, car le centre gauche est convoqué pour cette heure, et si l'accord n'est pas fait, la débandade commence.

Cet ultimatum posé, le groupe Perier retraverse la cour et rentre dans l'autre hôtel. Et l'on déjeune, ajoute M. Léon Say, car la nature ne perd jamais ses droits.

M. Dufaure arrive ; il est mis au courant ; il part pour Versailles où la commission des Trente se réunit.

Au dessert, le duc Pasquier survient... Il annonce que le duc Decazes et le général de Chabaud La Tour ont consenti à demander la concession au maréchal lui-même dans un conseil des ministres qui est en séance en ce moment même à Paris. Le bon M. Wallon est accouru avec son empressement habituel pour rédiger le projet. Il est aidé par M. Ricard qui fut, pendant toute cette crise, un des membres les plus actifs de la gauche.

A trois heures, les deux beaux-frères montent en voiture et vont à la place Beauvau, aux nouvelles.

Le conseil avait été très court. Le maréchal avait cédé, non sans tristesse, mais avec bonne grâce.

On télégraphie la nouvelle à Versailles. Le centre gauche tient une réunion à Paris, salle Nadar ; il accepte le projet à l'unanimité. M. Wallon part pour Versailles faire imprimer le texte, afin qu'il soit, distribué le lendemain, vendredi 19.

Le centre droit s'assemble, à la même heure, chez son président, M. Bocher. M. Target est lit. On lit le projet Wallon. Les amis de M. Méplain font un appel suprême à la résistance. Mais quelqu'un s'élève contre eux, et c'est le duc de Broglie : On veut mettre le maréchal, n'ayant, pour toute arme, que son droit de veto, face à face avec le pays, avec la future Chambre unique qui sera convoquée nécessairement si l'Assemblée nationale n'aboutit pas. Folie ! Et qu'y a-t-il au bout de cette politique ? peut-être la guerre civile. Donc, le mieux est d'accepter le projet Wallon !...[34]

Le duc d'Audiffret-Pasquier est non moins catégorique. Le projet Wallon est adopté par le groupe.

Le lendemain, vendredi 19, le texte est distribué à l'Assemblée ; il est ainsi conçu :

ARTICLE PREMIER. — Le Sénat est composé de trois cents membres ; deux cent vingt-cinq élus par les départements et les colonies et soixante-quinze élus par l'Assemblée nationale.

ART. 2. — Les départements de la Seine et du Nord élisent chacun cinq sénateurs.

Seine-Inférieure, Pas-de-Calais, Gironde, Rhône, Finistère, Côtes-du-Nord, chacun quatre sénateurs.

Loire-Inférieure, Saône-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Seine-et-Oise, Isère, Puy-de-Dôme, Somme, Bouches-du-Rhône, Aisne, Loire, Manche, Maine-et-Loire, Morbihan, Dordogne, Haute-Garonne, Charente-Inférieure, Calvados, Sarthe, Hérault, Basses-Pyrénées, Gard, Aveyron, Vendée, Orne, Oise, Vosges, Allier, chacun trois sénateurs.

Tous les autres départements, chacun deux sénateurs.

L'arrondissement de Belfort, les trois départements de l'Algérie, les quatre colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et des Indes françaises élisent chacune un sénateur.

 ART. 3. — Les sénateurs des départements et des colonies sont élus à la majorité absolue et, quand il y a lieu, au scrutin de liste, par un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie et composé :

1° des députés ;

2° des conseillers généraux ;

3° des conseillers d'arrondissement ;

4° des délégués élus, un par chaque conseil municipal, parmi les électeurs de la commune.

ART. 4. — Les sénateurs nominés par l'Assemblée sont élus au scrutin de liste, à la majorité absolue des suffrages.

ART. 5. — Les sénateurs des départements et des colonies sont élus pour neuf années et renouvelables par tiers, tous les trois ans. Au début de la première session, les départements seront divisés en trois séries, contenant chacune un nombre égal de sénateurs. Il sera procédé, par la voie du tirage au sort, à la désignation des séries qui devront être renouvelées à l'expiration de la première et de la deuxième période triennale.

ART. 6. — Les sénateurs élus par l'Assemblée nationale sont inamovibles.

En cas de décès, démission ou autre cause, il sera, dans les deux mois, pourvu au remplacement par le Sénat lui-même.

ART. 7. — Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l'initiative et ta confection des lois.

Toutefois, les lois de finances doivent être en premier lieu, présentées à la Chambre des députés et votées par elle.

ART. 8. — Le Sénat peut être constitué en cour de justice pour juger, soit le président de la République, soit les ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l'État.

ART. 9. — Il sera procédé à l'élection du Sénat, un mois avant l'époque fixée par l'Assemblée nationale pour sa séparation.

Le Sénat entrera en fonctions et se constituera, le jour où l'Assemblée nationale se séparera.

Nous sommes, maintenant, à Versailles.

Dans les couloirs de l'Assemblée, le tumulte est tel que la séance ne peut avoir lieu : La séance, la vraie séance, était dans la salle des Pas-Perdus, dit M. Louis Blanc. C'était un commentaire tumultueux, violent, satisfait ou résigné des articles, un remous de groupes qui se formaient et se déformaient. La droite est en fureur, écrit M. Léon Say ; elle dit que le maréchal est un nouveau Louis XVI, qu'il est sur la route de Varennes et qu'il montera sur l'échafaud.

Dans les bureaux, les groupes sont en permanence. L'assentiment du centre droit était acquis ; mais ou ne savait pas cc que feraient les gauches. Elles s'assemblent en réunion plénière. M. Corne, président du centre gauche, expose et défend le projet. Un seul député le combat, mais avec quelle autorité ! C'est M. Jules Grévy. M. Jules Grévy avait suivi, avec une humeur visible, l'œuvre de transaction conduite par M. Gambetta et par les groupes républicains modérés pour obtenir de l'Assemblée, dans les conditions que l'on sait, la fondation de la République. Il s'était laissé trainer vers chacune des concessions qu'il avait fallu consentir. Sa pensée se reportait sans cesse au fameux article, proposé par lui en 1848, et qui était, ses yeux, toute une constitution.

Par crainte du pouvoir personnel, cet homme froid se déclarait hostile à l'institution d'un président de la République. La constitution nouvelle faisait une part trop large au pouvoir exécutif et lui paraissait inacceptable. On ne pouvait savoir exactement si, au fond de ces sentiments singuliers, il n'y avait pas quelque calcul, car le franc-comtois, habile et taciturne, pensait i tout. Il parla : Devant une assemblée nombreuse, M. Jules Grévy développa, avec une éloquence grave et l'autorité qui s'attachait à son nom, les motifs qui devaient faire repousser le projet. Il montre l'inanité des dangers dont on se prévalait pour en presser l'adoption. Il fit ressortir ce qu'une conception si peu républicaine avait de menaçant[35].

L'accueil fut froidement respectueux. M. Jules Grévy se sentit isolé. M. Jules Simon, M. Ricard, M. Gambetta plaidèrent pour l'entente, mais sous certaines réserves et conditions.

Ce n'est pas l'accord.

Ou renvoie au lendemain 21. Dans la nuit, le bruit court que si l'Assemblée ne sait pas faire un gouvernement, l'armée se charge d'en faire un. Le maréchal, tiraillé en des sens divers, est, dit-on, très hésitant. Il faut en finir vite, ou tout s'écroule[36].

Nouvelles réunions des groupes, le samedi 21. Le centre gauche, après réflexion, repousse toute modification au projet. La gauche, se laissant toucher par l'éloquence mielleuse de M. Jules Simon, décide de voter tel quel le projet Wallon et d'écarter tout amendement. L'Union républicaine tient séance sous la présidence de M. Henri Brisson : MM. Edgar Quinet, Louis Blanc, Madier de Montjau, combattent le projet. M. Corne, M. Jules Ferry, au nom de la gauche modérée, insistent pour l'acceptation du texte dans son intégralité. L'habile éloquence de M. Gambetta, entraîna la réunion, un instant ébranlée par une véhémente harangue de M. Madier de Montjau. A une grande majorité, l'Union républicaine décide qu'elle votera le projet Wallon.

C'était la dernière résistance qui tombait.

Le bruit se répand immédiatement dans les couloirs, où les députés de la gauche se précipitent et rencontrent les députés de la droite venus au-devant d'eux. Des courants de satisfaction et de déception se croisent et se mêlent.

La chose est faite, écrit M. Léon Say. Perier, Pasquier et Ricard ont été chargés de s'entendre avec Buffet sur la procédure. On demandera l'urgence. Tous les adversaires de l'accord voteront contre l'urgence : ce sera la première bataille. Nous aurons de 60 à 100 voix de majorité, si rien ne se défait.

L'accord conclu, il ne reste qu'à le consacrer en séance publique. Séance le lundi 22 février. La loi du Sénat est à l'ordre du jour. La commission des Trente porte encore une fois la parole devant l'Assemblée, et c'est encore pour essayer d'une bien inutile résistance. En son nom, le rapporteur, M. Antonin Lefèvre-Pontalis discute le projet Wallon. Toujours la même conception de la Chambre haute : Son rôle est de former un contrepoids au nombre. On tient à imposer au président cette prérogative de désigner 75 sénateurs, à laquelle il a lui-même renoncé. On veut adjoindre aux conseillers municipaux, pour élire les délégués des communes, les plus haut imposés. Il vaut mieux que le vote ait lieu au chef-lieu d'arrondissement. L'Assemblée écoute à peine ce long et encombrant rapport.

M. Henri Wallon réclame l'urgence pour son projet et, par conséquent, l'abandon de la formalité des deux dernières délibérations. L'urgence est votée : la discussion immédiate décidée. M. Buffet mène le débat rondement. On le remarque à droite : Le vote tout de suite, s'écrie-t-on ; sans phrases ! Et c'est cela, en effet : sans phrases.

On met les bulletins dans les urnes au milieu du désordre, l'Assemblée debout. Pas de discussion générale. M. Raoul Duval s'accroche, en quelque sorte, à chacun des articles : il dépose amendement sur amendement, invoquant la souveraineté nationale méprisée, la dignité de l'Assemblée. M. Lepère et M. Bethmont lui répondent, en deux mots, que l'on n'est pas dupe d'un stratagème de procédure n'ayant d'autre objet que de retarder inutilement le vote attendu par le pays. M. Henri Wallon — M. Wallon lui-même, dit, en propres termes, le président Buffet, — prononce quelques phrases et chacun des articles de son contreprojet est adopté. L'article premier, qui fixe le nombre des sénateurs et enlève au président, pour le remettre à l'Assemblée, le droit de désigner les 75 inamovibles, est voté par 422 voix contre 261.

Les articles 2 et 3 sont adoptés sans débat. Ainsi du reste. Tous les amendements sont successivement repoussés. Repoussé, par 381 voix contre 308, le scrutin au chef-lieu d'arrondissement. Repoussée, par 378 voix contre 255, l'adjonction des plus haut imposés. M. Raoul Duval demande que les sénateurs reçoivent une indemnité égale à celle des députés. Après un court débat et le renvoi à la commission, la question est réservée.

Les articles 8, 9, 10 sont votés sans débat.

Sur l'ensemble, M. Raoul Duval réclame la ratification de la loi sur le Sénat, comme des autres lois constitutionnelles, par le suffrage universel. C'est encore la thèse impérialiste, et c'est aussi la doctrine républicaine. M. Raoul Duval, dont l'éloquence vigoureuse et juvénile s'est prodiguée dans cette lutte pied à pied, raille le silence des conjurés qui, dit-il, s'ils ouvraient la bouche, ne pourraient que se désavouer eux-mêmes et se contredire les uns et les autres. C'est une constitution votée par des muets ; c'est un étranglement. J'avais toujours cru qu'il y avait intérêt à ce que la contradiction se produisît et fit libre, franche, sincère, la lumière complète. Or, la nouvelle majorité en a décidé autrement. Son œuvre est si précaire qu'on n'oserait pas lui faire affronter le grand jour de la discussion publique et du vote populaire.

On se tait. On vote. La motion est rejetée.

Sur la proposition de M. Wallon, on décide que les deux lois : celle sur le Sénat et celle sur l'organisation des pouvoirs publics, seront promulguées simultanément. Par cette résolution, on fait, de l'œuvre législative, un tout constitutionnel.

On renvoie à la séance du 24 février le vote sur l'ensemble.

Le 24 février, M. Buffet, appelé dans les Vosges au chevet de sa mère mourante, est absent. C'est un des hommes les plus considérables de la droite, M. Audren de Kerdrel, qui préside la séance où, en cet anniversaire fameux dans les fastes de la République française, une fois encore, la République sera fondée.

Avant le vote sur l'ensemble, M. Raoul Duval se lève ; il est épuisé ; mais il veut, dit-il, dégager les responsabilités devant le pays. On l'écoute à peine. Par 435 voix contre 234, l'ensemble de la loi sur le Sénat est voté. Le scrutin est proclamé dans le silence de l'Assemblée.

 

Sans désemparer, on passe à la troisième délibération du projet de loi relatif à l'organisation des pouvoirs publics.

Toujours M. Raoul Duval. Il veut que la loi constitutionnelle affirme la souveraineté populaire. — Cela va sans dire, répond M. Lepère. La proposition est écartée.

On lit le texte du projet de loi. Sur l'article 5, c'est une protestation solennelle de M. de La Rochejaquelein : Vous faites la République par haine de l'empire, dit-il à la droite, et c'est à l'empire que vous ramènera la République. Il prend à partie le centre droit qui, tout en se disant monarchiste, n'a su qu'empêcher la monarchie et fonder la République. Il remonte jusqu'aux journées d'octobre 1873 : La vérité, dit-il, c'est que ceux qui prétendaient imposer au roi leurs conditions, voulaient sauvegarder, non pas ce qu'on appelle dans la langue politique les principes et les conquêtes de la Révolution, mais l'esprit et les traditions révolutionnaires. Et il adresse directement au duc de Broglie cette sanglante invective : Pour venger, en peu de mots, le parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir de toutes les accusations, de toutes les calomnies, je ne saurais emprunter un langage plus élevé, plus éloquent que les paroles prononcées par l'honorable duc de Broglie dans la séance du 23 mai 1873 : Périr pour sa cause, en tenant son drapeau dans sa main et au pied d'un rempart qu'on défend, c'est une mort glorieuse dont un parti se relève et qui grandit la mémoire des hommes publics. Périr, au contraire, après avoir préparé, avant de le subir, le triomphe de ses adversaires ; périr en ayant ouvert la porte de la citadelle, périr en joignant au malheur d'être victime, le ridicule d'être dupes et le regret d'être involontairement complices, c'est une humiliation qui emporte la renommée, en même temps que la vie des hommes d'État.

Le duc de Broglie reste muet à son banc.

On vote, malgré M. de Colombet ; on vote, malgré M. Raudot. On vote.

Le jeudi 25, la séance, sous la présidence de M. Martel, présente la même physionomie : les gauches toujours aussi résolues : vaines protestations des droites.

On vote une nouvelle rédaction de l'article 3, qui détermine les pouvoirs du président de la République. M. Raoul Duval veut connaître l'avis du gouvernement. Le gouvernement, par la bouche de M. Grivart, déclare qu'il accepte le texte proposé par la commission et auquel se rallie M. Henri Wallon. On vote. — C'est un étranglement, répète le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia. — C'est un scandale, ajoute le marquis de Castellane. M. Raudot crie, dans le bruit. On n'entend pas et on n'écoute pas. La majorité est impassible. Tous les articles sont adoptés sans discussion.

Maintenant, le scrutin sur l'ensemble. L'heure est solennelle.

L'Assemblée va décider du sort du pays et de son propre renom devant l'histoire.

M. de La Rochette apporte à la tribune, la protestation de la droite légitimiste. Il prédit les pires catastrophes. Notre pays est bien malheureux, dit-il : il a subi bien des revers et bien des douleurs... La monarchie aujourd'hui serait le salut ; demain, elle sera la délivrance... Ne perciez pas le souvenir de vos rois. Vous reviendrez vers eux. C'est d'eux que vous attendrez, un jour, le relèvement.

Le vieux comte de Tocqueville, fils de l'illustre auteur de la Démocratie en Amérique, se lève, par contre, pour approuver l'énergique parti pris de la majorité. A mon âge, on a le droit d'être écouté. Notre  pays est fatigué de révolutions, fatigué de trop de dynasties. Oubliez vos divisions, vos préférences et donnez-lui, enfin, le repos et la sécurité qu'il ne peut trouver que dans la République. Le marquis de Franclieu, M. de Belcastel adressent à l'Assemblée une dernière supplication. Il y a un beau discours de M. de Belcastel qui remue les cœurs : Arrêtez-vous !... Ce n'est qu'un cri.

Par 425 voix contre 254, la loi est votée. L'Assemblée est debout. Les groupes se mêlent. Une sourde rumeur emplit la vaste salle qui a vu les fêtes de la monarchie et voit naître la République[37].

La majorité comprenait les gauches, le centre droit et quelques membres de la droite modérée. La minorité comprenait la droite, l'extrême droite et les bonapartistes. Les membres du cabinet, sauf M. Tailhand et M. Baragnon, avaient voté pour. Le prince de Joinville, qui avait voté avec le centre droit, dans la plupart des scrutins précédents, s'abstint. M. Jules Grévy s'abstint. Mais tous les chefs de la droite, y compris le duc de Broglie, votèrent.

Celui-ci hésita jusqu'à la dernière minute. Quand le scrutin fut ouvert, il quitta la salle des séances et, s'appuyant au mur, dans le couloir, il resta là, plongé dans ses méditations :J'espère que vous allez voter, mon cher duc, lui dit un de ses amis, en s'approchant de lui. — Le puis-je ? répondit-il, et ne croyez-vous pas que mon vote sera interprété comme  un trait d'ambition ? L'ami, le voyant toujours hésitant, chercha le duc Decazes, auquel il dit : Le duc de Broglie hésite à voter.

Le duc Decazes s'approcha.

Allons, Albert, fit-il, il le faut, pour le bien du  pays... Le maréchal vous en saura gré.

Et le duc de Broglie alla voter[38].

Les membres de l'extrême gauche, MM. Barodet, Louis Blanc, Escarguel, Madier de Montjau, Marcou, Ordinaire, Peyrat, Edgar Quinet, s'abstinrent. Ils résistèrent aux supplications de M. Gambetta, de M. Challemel-Lacour : Pour me dérober à leurs instances, écrit M. Baroda, je m'échappai par les couloirs. Et M. Louis Blanc peint, à propos d'Edgar Quinet, le drame poignant qui remuait ces âmes : Il résista, lui aussi, dit-il, mais à quel prix ! Je crois voir encore l'illustre vieillard s'affaissant sur son banc dans un état d'émotion tel que les larmes coulaient le long de ses joues[39].

 

 

 



[1] Voici un croquis assez exact de l'Assemblée et du gouvernement, tracé par un membre éminent de la droite modérée, à la veille de la rentrée de 1875 :

... Le comte Creptovich se trompe : le comte de Paris n'est pas républicain ; mais vous savez, hélas ! qu'il est de mode aujourd'hui d'accuser de cette défaillance tous les septennalistes. Le prince est comme nous, il voudrait voir organiser les pouvoirs du maréchal. Je ne puis pas vous dire que nous soyons en grande voie pour y réussir. L'extrême droite est plus intraitable que jamais ; les bonapartistes ne sont pas de meilleure composition ; la droite modérée est timide et hésitante ; le centre droit conserve une sorte d'homogénéité, mais elle est plus apparente que réelle. Quant au centre gauche, il est difficile de voir encore quelle action nous pourrons exercer sur lui. Il me parait disposé à renoncer à la proclamation de la République ; mais comme il subit, sans s'en rendre compte, l'influence et la direction de M. Thiers, il me faut bien conserver vis-à-vis de lui toutes nos méfiances. Nous allons donc aborder, à la rentrée, les grandes questions, sans bien savoir sur qui et sur quoi nous pourrons compter. (Lettre particulière du 26 décembre 1874.) — Document privé inédit.

[2] Vicomte DE MEAUX (p. 216).

[3] M. DURUY écrivait, le 12 janvier 1875, à Mme Cornu une lettre dont nous ne connaissons que l'analyse : Éloges de M. F.... qui désire un gouvernement fort. A ce propos, M. Duruy développe son système : un gouvernement très résolu, impitoyable même, avec un parlement délibérant librement : Un pouvoir qui administre en dehors de la pression de MM. les députés. Catalogue Charavay.

[4] Récit de M. Léon Say dans Georges MICHEL, Léon Say, sa vie et ses œuvres, in-8° (pp. 523 et s.), et les journaux du temps. — Cf. Marquis DE DAMPIERRE, Cinq années de vie politique (p. 305).

[5] Baron DE VINOLS (p. 232).

[6] Document privé inédit.

[7] Marquis DE DAMPIERRE, Cinq années de vie politique (p. 319).

[8] Document privé inédit.

[9] Les derniers événements ont démontré, en deux mots : puissance du gouvernement lorsqu'il veut sortir du provisoire, l'impuissance de la Chambre depuis qu'elle a fermé, pour un temps défini, la porte à nos espérances... L'indépendance active de la droite et son union dans une même pensée la rendront plus forte et obligeront ses adversaires à compter davantage avec elle lors de la discussion des lois constitutionnelles. Marquis DE DREUX-BRÉZÉ, Notes et Souvenirs (pp. 306-308).

[10] Louis BLANC, Histoire de la Constitution du 25 février 1875, in-18 (p. 71).

[11] Camille PELLETAN, Le Théâtre de Versailles, in-12 (p. 237).

[12] Louis BLANC (p. 69).

[13] Aux termes du règlement de l'Assemblée nationale, la première délibération est consacrée à la discussion générale, portant sur le principe même de la loi, sans examen détaillé des articles. Cet examen a lieu lors de la deuxième délibération. La troisième n'est qu'une sorte de consécration définitive.

[14] Louis BLANC (p. 99).

[15] La première proposition Wallon avait déposée, le 1er juin  1874, au moment même où le discours du vicomte d'Haussonville avait affirmé la rupture des droites modérées avec l'extrême droite.

[16] Document privé inédit.

[17] Louis BLANC (p. 109).

[18] Auguste CALLET, Les Responsabilités, in 8°, 1875 (pp. 36-38).

[19] Ernest CARTIER, Léonce de Lavergne (p. 188).

[20] Louis BLANC (p. 109).

[21] Un certain nombre de rectifications ont eu lieu au lendemain de la séance. On raconta depuis que M. Mallevergne, député du centre droit, retenu par une courte indisposition, n'avait pu rentrer en séance au moment du vote, alors qu'il était décidé à voter contre. Le sort de la France aurait dépendu de la cystite de M. Mallevergne ! Je reçois, à ce sujet, une bienveillante communication de M. Pierre Charreyron : Mon père, M. Charreyron, qui, en cas d'absence, disposait habituellement de la boite à bulletins de M. Mallevergne, ne voulut pas, faute d'instructions précises, prendre la responsabilité d'un vote au nom de son collègue... M. Mallevergne rentra en séance, le scrutin clos, le principe de la République était proclamé. En fait, il eût certainement voté contre... Ce sont les miettes de l'histoire.

[22] Duc DE BROGLIE, Histoire et Politique (p. 34). — Le duc de Broglie dit qu'il resta étranger aux négociations et qu'il ne fut même pas consulté. Au contraire, le vicomte DE MEAUX dit que le duc de Broglie, avait favorisé sous main la négociation, d'où la droite modérée était exclue. — Souvenirs politiques (p. 247).

[23] Georges MICHEL, Léon Say (p. 232).

[24] Baron DE VINOLS (p. 239).

[25] Vicomte DE MEAUX (p. 247).

[26] Baron DE VINOLS (p. 243).

[27] Duc DE BROGLIE, Histoire et Politique (p. 37).

[28] La doctrine du parti républicain sur la question des deux Chambres, dans un sens opposé à l'institution d'une Chambre haute, est fortement déduite dans le livre publié, en 1875, par M. Antonin DUBOST, Des conditions du gouvernement en France, Alcan, in-8° (pp. 263 et suivantes).

[29] G. MICHEL (p. 535).

[30] Ernest DAUDET, Souvenirs de la présidence du maréchal de Mac Mahon (p. 49).

[31] Document privé inédit. Lettre du 14 avril 1875. — Plus tard, le comte DE PARIS écrivait encore : La peinture que vous me faites des avances dont le parti bonapartiste est l'objet dans le département de la Gironde est bien étrange après le vote des lois constitutionnelles. — Lettre du 7 mai 1875.

[32] DE MEAUX : C'était lui qui, par sa façon de diriger les débats, les avait fait aboutir au vote des lois constitutionnelles. (p. 250).

[33] G. MICHEL, Léon Say (p. 535). — Cf. Louis BLANC (p. 133).

[34] Louis BLANC (p. 142).

[35] Louis BLANC (p. 158).

[36] Léon Say (p. 538).

[37] Un membre de la droite écrivait le 27 février : Nous venons de terminer une bien douloureuse besogne ; si les partis pouvaient et savaient être justes et sages, nos amis reconnaîtraient que la constitution consacre et constate notre droit de faire la monarchie en 1880, si nous en avons la force et les moyens, et qu'elle ne nous condamne à y renoncer que si nous sommes contraints, alors comme aujourd'hui, à reconnaître notre impuissance.

En d'autres termes, nous nous sommes bornés à dire que si nous étions impuissants à faire la monarchie constitutionnelle, la République en profiterait par voie de tacite reconduction... — Document privé inédit.

[38] Ernest DAUDET (p. 52).

[39] Louis BLANC (p. 172).