HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

I. — LE GOUVERNEMENT DE M. THIERS

CHAPITRE VII. — LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE.

 

 

La session d'hiver de l'Assemblée nationale. — Message du 7 décembre 1871. — Les partis et les groupes. — Versailles et l'Assemblée nationale. — Les princes d'Orléans à la Chambre. — M. de Falloux et la question du drapeau. — Discussions fiscales. — Première démission de M. Thiers. — La fusion parlementaire. — Propagande bonapartiste. — Le budget de 1872. — M. Gambetta en province ; M. Thiers à Paris.

 

I

Il faisait froid, à Versailles, quand la session fut rouverte, dans les premiers jours de décembre. M. Thiers était de mauvaise humeur et un peu découragé. Ce séjour ne lui plaisait pas : il eût aimé vivre à l'Élysée ; mais une décision formelle de l'Assemblée lui avait imposé, comme résidence officielle, la ville du Grand Roi. On appelait l'hôtel de la Préfecture, où il demeurait, le Palais de la Pénitence.

La question du retour à Paris était encore à l'ordre du jour. Elle avait été soulevée, à la fin de la dernière session, par une proposition de la droite tendant à fixer définitivement les ministères à Versailles. On avait fait, une fois de plus, à cette occasion, le procès de Paris. M. Thiers s'était opposé  au projet, et il l'avait emporté. D'autre part, dès le début de la session, M. Duchâtel et M. Humbert avaient demandé la rentrée à Paris, mais le gouvernement s'étant abstenu dans ce nouveau débat, la motion avait été rejetée.

L'Assemblée supportait avec aigreur les inconvénients de ses propres décisions. Entre la gare et le château, sur les longues avenues, la bise soufflait et les dispositions étaient médiocres quand on entrait en séance.

M. Thiers, qui appréhendait les sautes de vent d'une majorité désorientée, crut devoir la ménager. Il sentait qu'il n'avait plus, sur elle, l'autorité qu'elle lui avait reconnue dans la session antérieure. Quand il vint devant elle pour lire le message d'ouverture, on l'interrompit fréquemment ; on l'écoutait par tolérance, par habitude, pour en finir. Il y avait, dans tout cela, beaucoup de contrariété et aussi un peu de gaminerie. On trouvait que le vieux baissait. Il était nerveux. Les incidents avec l'Allemagne, qu'il était obligé de dissimuler, compliquaient sa tâche. A bout, sinon d'arguments, du moins de patience, il parlait trop souvent de s'en aller. Il donnait l'idée et l'envie de le prendre au mot.

Ses sentiments se reflètent dans le message long et obscur qu'il adresse, le 7 décembre, à l'Assemblée. Il s'attaque un peu à tout le monde : d'abord, selon sa coutume, à l'empire : il ne faut jamais oublier dans quel état le gouvernement impérial a laissé les finances de la France ; puis aux légitimistes : il faut se préparer à doter la France d'un régime définitif, en ayant la claire intelligence de la société moderne. Mais il ne prononce pas le nom de République ; il combat la thèse de M. Gambetta, en soutenant le droit souverain de l'Assemblée, et il se dérobe devant ces nécessités constitutionnelles dont il avait parlé si vivement en septembre :

La politique ayant pour objet, dit-il à l'Assemblée, la constitution d'un gouvernement définitif, c'est vous, surtout, qu'elle regarde, et nous empiéterions sur vos droits si nous prenions, à cet égard, une initiative précipitée.

Quant à moi, accablé de fatigue et quelquefois de douleur, lorsque je me détourne, un moment, d'un travail incessant pour penser à nos malheurs, je n'ai accepté qu'une tâche : c'est de réorganiser le pays, brisé par sa chute, en refaisant, au dehors, ses relations, au dedans, son administration, ses finances, son armée, en maintenant un ordre rigoureux pendant que cette tâche s'accomplit et en me tenant toujours prêt à vous remettre intact, dans sa forme scrupuleusement et loyalement conservée, le dépôt que vous m'avez confié.

Le voilà, en effet, continue-t-il, tel que vous me l'avez remis, en partie réorganisé et, surtout, conformément au contrat passé entre nous. Je vous le remets... Qu'en ferez-vous ? Vous êtes le souverain, ou le mot de droit n'est qu'un vain mot, car vous êtes les élus, librement élus du pays.

Vous faire aujourd'hui des propositions sur tout ce qui est constitutif, serait de notre part, à mes collègues et à moi, une témérité, une entreprise sur vos droits. Mais nous sommes, nous aussi, des élus du pays, et nous avons des devoirs à remplir comme membres de cette Assemblée et comme membres du gouvernement.

Lorsque, en soulevant vous-mêmes les graves questions qui préoccupent les esprits, vous nous provoquerez à nous expliquer sur leur solution, nous vous répondrons avec franchise et loyauté. Jusque-là, nous n'avions, mes collègues et moi, qu'un compte à rendre, loyal, exact, et nous vous l'avons rendu.

Signalant, avec humeur, le mal qui se développait, il s'en prenait à la politique des partis :

Dans son ensemble, le pays est sage. Mais les partis ne le sont pas. C'est d'eux, d'eux seuls qu'il y a quelque chose à craindre. C'est d'eux seuls qu'il faut vous garder.

Les sages conseils de M. Thiers, empreints d'une sorte d'hésitation qu'on remarquait chez lui pour la première fois, ne devaient pas être entendus.

La majorité de l'Assemblée, surprise par le résultat des élections départementales, décontenancée par l'insuccès de la fusion, se sentait impuissante et se livrait, avec une colère sourde, à ses rancunes, attendant tout d'un incident qu'elle n'avait même pas la volonté arrêtée de provoquer ; un fond de droiture et de sincérité contenait encore les violences. Un des membres de cette majorité la définit très exactement : La Chambre est usée. Incapable de décision, de volonté, elle aurait honnêtement marché dans une voie toute tracée : frayer son chemin, le connaître surtout, c'est trop difficile pour elle. Elle hésite, elle avance, elle recule : elle ne veut ni rompre ni briser. Elle sent que M. Thiers la trahit (c'était le langage courant dans la droite), qu'il aspire à la jeter à l'eau ; qu'il le fera au premier jour ; mais elle attend et n'ose ouvrir la lutte.

Depuis un an bientôt qu'elle siégeait, l'Assemblée s'était lentement organisée selon les traditions parlementaires. Les opinions s'étaient aménagées, les groupes s'étaient constitués par ces concessions mutuelles qui affaiblissent les convictions, mais qui créent la discipline des partis.

La droite s'était divisée en extrême-droite, droite et centre droit. A l'extrême-droite, des gentilshommes sincères, hautains, figés dans leur loyauté monarchiste et leur soumission absolue à la volonté du Roi ;

La droite, plus souple et plus politique, s'appliquant patiemment à résoudre le problème de la quadrature du cercle, en cherchant à concilier la monarchie de droit divin avec les conquêtes de la Révolution ;

Le centre droit, où abondaient les orléanistes, prêt à faire des concessions, soit à droite, soit à gauche, pourvu que la mission de sauver le pays et les principes conservateurs fût confiée à un des membres de la famille d'Orléans, soit le comte de Paris, soit le duc d'Aumale[1].

Vers la gauche, par un travail insensible et presque imperceptible, on voyait se constituer lentement un nouveau groupe, dont le développement devait avoir sur les événements une influence considérable : le centre gauche.

Ce groupe s'était fondé dans un petit appartement de la rue Duplessis, à Versailles. Là, se réunissaient, au début, M. de Marcère, député du Nord et conseiller à la cour d'appel de Douai ; M. Christophle, ancien préfet de la Défense nationale ; MM. Félix Renault et Duréault, députés de Saône-et-Loire ; M. Gailly, riche industriel des Vosges. Ces députés avaient pris leur parti d'accepter la forme républicaine. Ils pensaient qu'elle pourrait donner au gouvernement du pays une stabilité que les diverses monarchies établies et renversées depuis 1815 n'avaient pu lui assurer. Pour cela, ils prétendaient entourer la République de garanties destinées à satisfaire et à grouper tous les éléments modérés. On rédigea un programme, et le nouveau groupe compta bientôt une soixantaine de membres. On discuta sérieusement la question de savoir s'il s'appellerait Réunion des républicains conservateurs ou Réunion des conservateurs républicains. Au bout d'un certain temps, il fut assez nombreux pour abandonner le petit local de la rue Duplessis et se réunir dans une des salles de la mairie de Versailles.

Lentement, on vit venir vers lui des hommes occupant une situation sociale considérable : MM. Casimir-Perier, de Rémusat, Léon Say, Dufaure. Ils étaient, pour la plupart, des amis de M. Thiers. M. Casimir-Perier, notamment, dont le nom avait une si haute-signification, avait dit à M. Jules Simon, dès les premiers jours de la constitution du gouvernement : Je suis avec vous. M. Thiers appréciait sa parfaite-droiture, la vivacité de son esprit, son talent d'écrire et son expérience des affaires. Il fut heureux de lui offrir le portefeuille de l'intérieur, quand il devint vacant par la mort de M. Lambrecht.

Il avait fallu, à ces hommes, un réel courage pour-se dégager des influences de l'éducation, de la famille, de l'entourage, et pour supporter les objurgations, et les anathèmes qui, pendant de longues années, les poursuivraient[2].

Le centre gauche s'était prononcé, tout d'abord timidement, pour la République ; puis, entraîné par les manifestations de l'opinion, il s'était fait, avec ses hésitations, des convictions ; les critiques mêmes l'avaient engagé. Finalement, c'était sur la proposition d'un de ses membres, M. Rivet, que l'Assemblée nationale avait donné un embryon de constitution à la République. Dans la session qui allait s'ouvrir, ce groupe devait prendre consistance et s'affirmer de nouveau.

Au delà du centre gauche, l'Assemblée était encore divisée en deux groupes : la gauche, comprenant les républicains modérés qui suivaient MM. Jules Grévy, Jules Simon, Jules Favre et qui, en somme, s'étaient dévoués à la personne de M. Thiers ; l'union républicaine, qui se composait des amis de M. Gambetta. Ceux-ci se qualifiaient volontiers de républicains radicaux et on les appelait les rouges. Ils avaient un programme de réformes qu'ils développaient dans les professions de foi ou dans les réunions publiques, mais dont ils retardaient la réalisation jusqu'à la constitution définitive de la République. Ils s'étaient séparés des républicains modérés au moment de la guerre à outrance ; ils déniaient énergiquement à l'Assemblée le pouvoir constituant ; ils étaient en état de rupture déclarée avec M. Thiers sur plusieurs questions importantes, notamment sur lm question militaire et sur la question économique, car ils étaient libre-échangistes. Cependant, ils s'inclinaient devant son autorité ; ils le ménageaient, parce qu'ils commençaient à compter sur lui pour fonder la République ; ils le soutenaient presque toujours de leurs votes et dans des circonstances bien choisies, de leurs éloges qu'on affectait de trouver compromettants.

En séance, dans les scrutins, dans les couloirs, ces cadres, d'ailleurs très élastiques, contenaient mal la foule houleuse et agitée que formait l'Assemblée. Jamais la France n'en avait connu d'aussi nombreuse.

738 représentants se réunissaient dans la grande salle de l'Opéra du château de Versailles, construite par Gabriel pour les fêtes du roi Louis XV, aux fauteuils couverts de velours rouge, à la tribune d'acajou, élevée sur un double escalier de six marches, et aux loges surplombant la salle et toujours remplies d'un nombreux public de journalistes, de curieux, de femmes.

Un perpétuel mouvement d'entrée et de sortie soulevait les portières de velours rouge, au delà desquelles on se trouvait dans une salle de pas-perdus construite sur l'ancienne scène transformée ; de là, par les couloirs, on gagnait la Galerie des bustes, toute pleine des hautes figures de l'histoire nationale, mais glaciale entre ses murs de pierre.

 Dans la salle, M. Grévy, au fauteuil, siège en redingote noire, la figure placide et parfois somnolente ; attentif, cependant, aux nombreux représentants qui viennent le consulter, ou tout simplement lui demander des billets. Sur les gradins, des types très accusés, des figures célèbres ou connues : M. de Lorgeril, le barde breton ; M. de l3elcastel, toujours prêt à lancer une interruption ; M. de Tillancourt, qui a gardé, de la Chambre impériale, la réputation d'un faiseur de mots ; M. de Lasteyrie, avec son éternel abat-jour vert ; M. Emmanuel Arago, dont la voix de stentor domine soudain le tumulte ; M. Schœlcher, vêtu de noir et affectant la réserve et la correction du gentleman ; le colonel Langlois, qui se précipite à la tribune au moindre incident suscitant la vivacité de ses nerfs et de ses sentiments ; M. Ernest Picard, plantureux et de joyeuse humeur ; M. Jules Simon, le dos voûté ; M. Jules Favre, les traits creusés et l'air mélancolique ; M. Dufaure, caché derrière le haut collet de sa redingote marron ; M. Littré, ratatiné sous sa calotte de velours bleu ; Mgr Dupanloup, très entouré, et distribuant des indications qui sont des ordres à des représentants plus jeunes qui les répandent immédiatement parmi les travées ; M. Gambetta, déjà gros, la tête en arrière, à demi étendu sur la banquette, très attentif aux débats, ayant auprès de lui le faux-col du légendaire M. Garnier-Pagès, et, à ses pieds, le vieux M. Corbon.

Souvent, la séance s'anime. Les orateurs sont nombreux dans cette Assemblée qu'on eût pu croire recrutée au hasard : des orateurs passionnés, ayant foi dans l'autorité et dans la force de la parole. A droite, c'est le duc d'Audiffret-Pasquier, vif, ardent, naturel ; c'est M. Ernoul, orateur abondant et informé ; c'est Mgr Dupanloup, qu'on écoute avec considération ; M. de Cazenove de Pradines, qui parle au milieu du respect. Au centre, c'est M. Thiers, qui, quoi qu'on en ait, tient toujours tout le monde sous le charme ; c'est M. Jules Simon, dont la voix semble une caresse ; c'est M. Dufaure, qui pousse une argumentation comme un paysan le manche d'une charrue ; c'est M. Ernest Picard, plein de verve, d'esprit et d'à-propos. A. gauche, c'est M. Challemel-Lacour, que les élections du 7 janvier 1872 amènent à l'Assemblée nationale et dont l'amère véhémence sera bientôt une révélation ; c'est M. Jules Ferry, pénible et heurté, mais vigoureux et pénétrant ; c'est M. Gambetta, dont l'apparition à la tribune impose le silence, et dont la voix soulève l'orage.

Hors séance, dans le palais et aux alentours, le travail parlementaire et le travail des passions sont plus animés encore. Partout, dans les salles du château, les commissions se réunissent : commissions d'études, commissions d'enquête, commissions de contrôle, ou groupements particuliers. La fameuse réunion des Réservoirs ne compte pas moins de deux cents membres ; le centre gauche siège dans une salle de l'Hôtel de Ville.

Versailles est une ruche bourdonnante. On revoit les foules de l'ancienne cour, mais noires et tristes sous la redingote parlementaire : cohue précipitée, surveillance réciproque, bavardages inutiles ou dangereux, immense intrigue. Les solliciteurs arrêtent les députés dans la rue et leur confient à l'oreille leurs doléances. ou leurs déceptions. Le pouvoir est là ; on est en quête de recommandations ou d'apostilles. On hume le vent. Les représentants affairés passent, tendant des mains pleines de promesses.

A l'hôtel des Réservoirs, on se dispute les tables ; c'est un va-et-vient de ministres, de députés, de journalistes, de fonctionnaires, de quémandeurs, de curieux, où se mêle, le jour des grandes séances, un nombreux public de femmes en toilettes élégantes ; elles donnent le ton. On rit, on plaisante, on crie, on fait de l'esprit. La bonne humeur nationale l'emporte, même dans les mauvais jours. Jamais, peut-être, le monde politique n'eut plus d'entrain que dans ces années de Versailles.

Mais ce qui communique à ces sessions une physionomie à part et un caractère singulièrement pittoresque, c'est l'aller et le retour en commun de Paris à Versailles et de Versailles à Paris, dans les fameux trains parlementaires. Chaque jour de séance, une cohue endimanchée, que représente assez bien un départ pour les courses, envahit la gare Saint-Lazare. Par centaines, par milliers, les mêmes figures se précipitent, à l'heure dite. Les salles, le quai se hérissent de personnages vêtus de noir, le bras arrondi autour de lourdes serviettes bourrées de paperasses ; on s'entasse dans les wagons : les journalistes, suivant les députés ou les ministres, essaient de surprendre, sur les lèvres un mot, sur les visages une nuance pouvant prêter à l'indiscrétion. Le contact, les rencontres inévitables, les rapprochements imprévus, les politesses réciproques, la glace baissée et la glace rompue multiplient les incidents qui compliquent encore la complexité déjà si grande des relations autour d'une assemblée délibérante et souveraine. Durant des années, tout le personnel politique de la France passa la moitié de ses journées en wagon ; peut-être n'exagérerait-on rien en disant que cette existence, forcément instable et nomade, prolongea parfois, jusque dans la salle des séances de l'Assemblée, sa vaine trépidation.

C'est dans ces conditions que M. Thiers devait gouverner. On comprend sa lassitude.

Voulant donner quelque unité à cette foule souvent incohérente, toujours indisciplinée, il avait institué ces dîners, ces soirées quotidiennes où tout le personnel politique était accueilli. C'était, pour lui, une fatigue de plus ; mais il aimait à y rencontrer son monde et à s'y produire lui-même.

On trouvait là l'énorme M. Batbie et le charmant M. Beulé, l'inévitable Guyot-Montpayroux ou le taciturne Barthélemy Saint-Hilaire, le général Trochu, éloquent et chagrin ; on y vit le duc d'Aumale, et même, dit-on, M. Gambetta. M. Thiers, adossé à la cheminée, essayait un discours, aiguisait ses arguments ou simplement se laissait aller à son heureuse verbosité. Le voici, faisant tout un manège de grâces autour d'un député qu'il veut gagner, il l'entretient longuement des générations spontanées, de la Genèse, reconnaît (puisqu'il parle à un catholique déclaré) que toutes les données certaines de la science moderne concordent avec les récits de la Bible. Il a, lui, M. Thiers, consacré bien des aimées de sa vie à ces études. Il a beaucoup d'estime pour les travaux de Pasteur. — Il m'a fait asseoir auprès de lui, dit l'interlocuteur lui-même, il m'a traité tout le temps avec une distinction particulière... Nous avons beaucoup parlé de mon rapport ![3] Et, malgré toute méfiance, le député sort conquis ou, du moins, charmé.

La tension des rapports entre M. Thiers et l'Assemblée se manifeste dès la rentrée : M. de Malleville n'est pas réélu vice-président.

M. Jules Simon, ministre de l'instruction publique, dépose un important projet de loi sur l'instruction primaire qui fait partie du programme de réorganisation et qui, ajournant les deux principes républicains en cette matière, la gratuité et la laïcité de l'école, s'en tenait à proclamer le principe de l'obligation. Quoique tout le monde fût d'accord pour reconnaître la nécessité de la diffusion de l'enseignement dans les classes populaires, la commission nommée par l'Assemblée est, en grande majorité, hostile au projet de M. Jules Simon. Mar Dupanloup la dirige. La loi ne viendra jamais en discussion.

Dans le débat sur la proposition Duchâtel-Humbert, relative au retour de l'Assemblée à Paris, le 2 février 1872, M. Casimir-Perier, qui avait posé la question de portefeuille, est battu, par 366 voix contre 310. Il donne sa démission, le 6 février 1872. M. Thiers est ainsi successivement privé des concours auxquels il tient le plus.

Déjà, son ministère, constitué depuis moins d'un an, a vu s'éloigner ou disparaître MM. Ernest Picard et Jules Favre, démissionnaires, le premier le 28 mai 1871, le second le 2 août ; il perd maintenant M. Casimir-Perier, qui avait succédé, à l'intérieur, à M. Lambrecht, décédé. M. Casimir-Perier est remplacé par M. Victor Lefranc, de la gauche républicaine, qui laisse le ministère du commerce et de l'agriculture à M. de Goulard, membre du centre droit, ami personnel du président de la République.

Un moment, le 20 décembre 1871, à propos d'une interpellation de M. Raoul Duval, qui vise le rôle de M. Ranc au moment de la Commune, M. Dufaure lui-même avait été mis en péril et n'était sauvé que par un ordre du jour émanant d'un membre de la droite intransigeante, M. Pâris. Ce sont des incidents journaliers et irritants ; comme dit le président Grévy : on incidente constamment.

Au début de cette session, alors que M. Thiers mettait l'Assemblée en garde contre la politique des partis, tous les partis s'agitent à la fois. Depuis l'échec de la fusion, chacun d'entre eux voudrait prévenir les entreprises rivales et précipiter, à son profit, les événements. C'est une concurrence, une sorte de steeple-chase où tous se surveillent, où les plus bruyants et les plus violents se croient les plus utiles. Ainsi que cela arrive souvent dans les assemblées, les paroles passent pour des actes et l'agitation pour de l'action.

 

II

Les princes d'Orléans avaient donné le signal. Il leur tardait de sortir du rôle un peu effacé où les confinait, d'une part, la volonté du comte de Chambord et, d'autre part, l'engagement qu'ils avaient pris envers M. Thiers de ne pas siéger à l'Assemblée.

Le samedi 16 décembre, le bruit se répand que les princes sont décidés à se présenter à l'Assemblée, le lundi suivant.

Les groupes de gauche se réunissent ; la gauche républicaine proteste contre la présence des princes qui trouble l'œuvre de réorganisation du pays.

Au jour dit, alors que l'on attend le duc d'Aumale et le prince de Joinville, ils ne viennent pas : Mais chaque député trouve, sur son pupitre, un numéro du Journal des Débats contenant des lettres adressées par eux à leurs électeurs. Un trait de crayon bleu indique complaisamment, aux représentants, le passage intéressant.

Après avoir rappelé leur engagement de ne 'pas siéger, les princes affirmaient que cet engagement avait un caractère temporaire et révocable. Ils déclaraient ensuite que les circonstances avaient changé depuis : la prorogation des pouvoirs de M. Thiers ayant été votée, ils se considéraient, quant à eux, comme déliés ; mais M. Thiers interprétant autrement leur promesse, ils faisaient appel aux décisions d'un tribunal supérieur qui n'était évidemment autre que l'Assemblée.

Dès l'ouverture de la séance, l'Assemblée est transformée en un vaste cabinet de lecture. M. Jean Brunei, au milieu de la préoccupation de tous, interpelle le gouvernement sur l'absence de députés dont l'élection était validée. M. Casimir-Perier, encore ministre de l'intérieur, lit une déclaration aux termes de laquelle le président de la République renonce, pour ce qui le concerne, à se prévaloir de la promesse faite par les princes, mais il ajoute que cet engagement ayant été pris envers l'Assemblée, c'était à celle-ci de prononcer en dernier ressort. Débat orageux. De droite, de gauche, on échange des personnalités vives. MM. Moulin, Batbie et de Broglie défendent les princes et soutiennent un ordre du jour de M. Desjardins, ainsi conçu :

Considérant que la validation, par l'Assemblée, des élections de l'Oise et de la Haute-Marne investit les élus de ces départements de la plénitude de leurs droits, l'Assemblée passe à l'ordre du jour.

Au contraire, MM. Turquet, Pascal Duprat, Leblond et Duvergier de Hauranne soutiennent l'ordre du jour pur et simple, qui est repoussé.

Coalisés pour la circonstance, les légitimistes et, les républicains rejettent, par 352 voix contre 284, l'ordre du jour Desjardins, sur la question de priorité, et enfin, par 646 voix contre 2, l'Assemblée vole l'ordre du jour suivant, proposé par M. Fresneau, légitimiste :

L'Assemblée nationale, considérant qu'elle n'a ni responsabilité à prendre, ni avis à donner sur des engagements auxquels elle n'a pas participé, passe à l'ordre du jour.

Comme M. Thiers, l'Assemblée se refusait à trancher la question posée par les princes. Ils finissent par la résoudre d'eux-mêmes. Le lendemain, 19 décembre, ils assistent à la séance. Précédés de MM. Bocher et de Mornay, ils font une entrée modeste et non dénuée d'embarras. Quelques députés, à peine, se lèvent par curiosité. On s'habitue rapidement à la présence des princes, qui siègent, d'ailleurs, de la façon la plus simple, assis à côté l'un de l'autre, au centre droit. Cette manifestation ne produisit pas tout l'effet sur lequel on avait compté ; les princes d'Orléans n'étaient pas faits pour jouer le rôle d'un Louis-Napoléon.

Par contre, elle irrita vivement M. Thiers. Il sentait qu'elle le compromettait, s'il ne prenait pas nettement position. Il était renseigné exactement sur les tendances du suffrage universel. Une évolution décisive se faisait en lui. Il ne voulait pas favoriser les prétentions dynastiques, quelles qu'elles fussent. Dans ses Souvenirs, il explique lui-même son état d'esprit à l'égard d'une famille qu'il avait servie : J'aurais préféré cette famille à toute autre, si la monarchie m'eût paru possible en ce moment. Mais les républicains et les légitimistes formant ensemble une grande majorité dans l'Assemblée, s'y seraient opposés, et toute tentative que j'eusse faite pour favoriser cette restauration eût été, de ma part, non seulement un manque de loyauté vis-à-vis des légitimistes et des républicains, mais encore la violation de mes devoirs envers la France, que j'avais mission de pacifier en prévenant les luttes des partis[4].

Le 26 décembre, au milieu du grand discours qu'il prononçait contre l'impôt sur le revenu, il brûle ses vaisseaux et fait acte d'adhésion à la République.

Démontrant que l'impôt dont il s'agit répandra des germes de discorde dans le pays, il ajoute :

...Et ici, Messieurs, je parle, comme toujours, avec une conviction profonde, mais croyez-moi, vous qui voulez taire un essai loyal de la République, et vous avez raison (Rumeurs sur quelques bancs, assentiments sur les autres), il faut le faire loyal. Il ne faut pas être des comédiens qui essaieraient d'une forme de gouvernement avec le désir secret de le faire échotier. Cet essai, il faut le faire sérieusement, sincèrement, et, je le vois tous les jours à vos votes si sensés, nous le voulons tous. (Rumeurs à droite, — très bien ! très bien ! et applaudissements à gauche.) Non ! encore une fois, nous ne sommes pas des comédiens. Nous sommes des hommes sincères. Nous voulons faire cet essai loyalement. (Nouvelles rumeurs sur quelques bancs à droite.)

Messieurs, je voudrais vous unir et non pas vous diviser. (Très bien !) Eh bien, je sais qu'en vous parlant de loyauté, je ne vous divise point, je vous unis au contraire. (Très bien ! Très bien !)

Je m'adresse à ceux qui veulent que cet essai réussisse, et je suis sûr que c'est m'adresser à toute l'Assemblée ; mais je m'adresse tout spécialement à ceux qui se font de la République un souci continuel, — et je suis du nombre. (Mouvements.)

Je leur demande an nom du vœu secret, du vœu profond de leurs cœurs, de mettre, sous la République, de la justice partout. Je les supplie de ne pas faire comme a fait le pouvoir absolu (Très bien !), qui a voulu flatter le peuple, en lui donnant des lois dont il s'est ensuite servi contre lui, quand le peuple croyait s'en servir lui-même contre d'autres. (Vive adhésion.)

Ces paroles, prononcées avec un accent de grande sincérité et un geste habilement impérieux, firent sur l'Assemblée, et spécialement sur la droite, une profonde impression.

Les monarchistes admettent, dès lors, qu'ils ne peuvent plus compter sur M. Thiers pour les aider à restaurer le trône. Il était déjà l'adversaire déclaré de l'Empire et du comte de Chambord. Il vient de se séparer des princes d'Orléans. La République, il l'a déclaré, reste à ses yeux la seule ressource. Celle-ci, avec l'appui d'un chef aussi expérimenté et qui, en détient le pouvoir, est la solution probable et peut-être imminente. Il faut immédiatement aviser.

C'est alors qu'on vit s'engager, entre les deux fractions du parti royaliste, un débat solennel, dont les échos ne sont venus que lentement à la connaissance du public. Nous avons dit la situation toute particulière qu'occupait, en dehors et à côté de la droite de l'Assemblée, un homme qui n'avait pas cru devoir y figurer, mais que la plupart de ses membres considéraient comme leur chef, M. de Falloux.

Le 3 janvier 1872, il se rendit à Versailles, dans le salon de M. de Meaux, député de la Loire, et là, il tint une sorte de conférence à laquelle les monarchistes furent invités. Avec un mélange de franchise et de circonspection fort remarquable, il parla : Vous ne pouvez pas demeurer longtemps dans une situation aussi fausse et aussi périlleuse que celle où vous êtes... Quant à la solution, que doit-elle être ? Elle ne peut être, selon moi, selon tous ceux qui sont réunis ici, que la monarchie, avec la maison de Bourbon tout entière réconciliée et réunie...

Et alors, abordant franchement la difficulté qui empêchait la fusion, il disait : M. le comte de Chambord s'est prononcé pour le drapeau blanc ; les princes d'Orléans, si je suis bien informé, persistent à croire que la France ne consentirait pas à répudier le drapeau tricolore et que satisfaction serait donnée à tous les souvenirs et toutes les gloires, si nos antiques fleurs de lys venaient se poser sur le drapeau actuel

Il posait la question : M. le comte de Chambord peut-il se déjuger ? Et il répondait que le prince pouvait le faire devant un tribunal, un arbitre suprême qui n'était autre que la nation représentée par l'Assemblée nationale : l'Assemblée la plus loyale, la plus sincèrement patriotique, la plus capable, en un mot, de donner une garantie égale au peuple et au roi.

C'était affirmer, en face de l'autorité souveraine du prince, l'autorité souveraine de la nation et de l'Assemblée. Les légitimistes purs ne cachèrent pas leur étonnement, bientôt leur indignation.

Par une insistance qui, dans un tel milieu, fut une faute, M. de Falloux examina les moyens transitoires qui pouvaient permettre d'arriver à la restauration de la monarchie, et il prononça cette phrase : C'est ici qu'apparaît le rôle possible du duc d'Aumale. Il ajouta : M. le duc d'Aumale est peut-être le plus éloigné de nous ; cependant, s'il prenait des engagements d'honneur, qui se refuserait à le croire ?[5]

Un murmure se produisit. Quelqu'un s'écria : Nous proposez-vous la présidence de la République pour le duc d'Aumale ? Sur cette interruption, M. de Falloux dut se défendre. La conférence devint houleuse et elle se termina au milieu d'une confusion et d'une mauvaise humeur réciproques. L'effort suprême des conciliateurs avait échoué. Le lendemain il n'était question, dans les cercles légitimistes, que de la tentative avortée de M. de Falloux et de ce que le marquis de Dreux-Brézé appelle un programme préparatoire à la diminution, comme souverain, du roi de France.

Ces faits si graves, coïncidant avec les déclarations non moins graves de M. Thiers, précédaient de quelques jours les élections partielles du 7 janvier 1872.

Dans le département de la Seine, les candidats en présence étaient Victor Hugo, soutenu par le parti radical, et M. Vautrain, président du conseil général de la Seine et du conseil municipal de Paris. Républicain modéré, M. Vautrain fut élu, par 121.158 voix contre 93.243 données à Victor Hugo.

L'élection de M. Vautrain était un succès pour Thiers. Elle indiquait la reprise de la vie normale parisienne et la force des idées modérées. Ce nom, avait dit M. Jules Favre, dans une lettre adressée au Siècle, veut dire : Réconciliation de Paris avec Versailles, retour de l'Assemblée à Paris, amnistie.

Le vote de Paris allait exercer une grande influence sur la propagande républicaine en province.

Dans les départements, sur seize élections, onze sont républicaines : celles de MM. Robert., Lambert, Jacques, Bouchet, Cballemel-Lacour, Gaudy, Brillier, Laget, Dauphin, Cotte et Dérégnaucourt. Quatre monarchistes : MM. Dupont, Grange, Charreyron et Chesnelong, sont nominés. Le Pas-de-Calais envoie à l'Assemblée nationale M. Levert, ancien préfet, bonapartiste.

En somme, les manifestations du suffrage universel se succédaient, toutes favorables à la République, et elles étaient particulièrement agréables au président dans la période critique qu'il traversait.

Il se plaît à le rappeler lui-même dans ses Souvenirs : La grande majorité des bourgeois, des commerçants, des gens de la campagne, sans se déclarer expressément pour la République, disaient : Nous sommes pour le gouvernement de M. Thiers. Ce mot nous revenait de toutes parts[6].

Par contre, M. Thiers commençait à rencontrer dans Janvier l'Assemblée des résistances auxquelles il n'était pas habitué. Sur une question financière, le projet de loi autorisant la Banque de France à augmenter de quatre cents millions l'émission de ses billets, il fut pris à partie par M. Bocher, l'ami et le confident des princes d'Orléans, et par M. Buffet, qui devait bientôt jouer un rôle considérable. M. Thiers fut un peu étonné : M. Bocher, dit-il, ancien préfet, fin, agréable de sa personne, intelligent en affaires, parlant clairement, quelquefois très bien, d'abord fort modeste dans ses prétentions, avait senti peu à peu croître son ambition. M. Buffet, sec d'esprit, réduisant tout en formules de l'économie politique, parlant didactiquement, mais appliqué, sérieux, exact, avait tons les dehors qui prennent les assemblées. Tous deux se montrèrent, dans cette discussion, aussi peu clairvoyants en finances que malintentionnés envers le gouvernement.

Il fallut l'insistance énergique de M. Thiers et le rare talent avec lequel M. Henri Germain défendit la proposition, pour que la Banque reçût, à la dernière heure, le 29 décembre, une autorisation qui épargnât au pays la crise monétaire qui paraissait imminente.

Un incident plus grave encore plaça bientôt M. Thiers en présence de la majorité frémissante et lui permit de mesurer la portée de l'évolution qui s'était accomplie. Il s'agissait encore d'une question d'affaires, mais d'un sujet qui lui tenait particulièrement au cœur : le projet de loi sur les matières premières.

Dans les propositions relatives au remaniement du système d'impôts, nécessaire pour faire face aux besoins nouveaux, trois courants se manifestaient :

Les uns conseillaient d'augmenter, dans une proportion donnée, tous les anciens impôts : c'était un procédé purement fiscal, le procédé des centimes additionnels ; d'autres étaient d'avis d'emprunter à l'Angleterre et à l'Amérique l'income-tax : c'était l'impôt sur le revenu ; d'autres obéissaient, surtout, à des préoccupations économiques : ils demandaient le relèvement des droits de douane et, en particulier, l'impôt sur les matières premières.

Dans son message du 7 décembre 1871, M. Thiers, avec sa lucidité habituelle, avait soutenu ce dernier système, qui, à divers points de vue, avait ses préférences.

Il avait abordé, en même temps, une question non moins sérieuse, non moins urgente, celle de nos relations économiques avec l'étranger. Après avoir exposé comment les traités conclus avec les puissances, depuis 186o, avaient fait passer la France, au point de vue douanier, du régime prohibitionniste au régime de la liberté à peu près absolue ; après avoir rappelé l'atteinte portée par la politique du libre-échange aux plus importantes industries nationales, telles que l'industrie des fers, celle des tissus de toute nature, la production agricole, la marine marchande ; après avoir exposé les ruines qui, dans plusieurs de nos provinces, avaient suivi l'application de la politique impériale ; après avoir rappelé que le Corps législatif, ému de ces malheurs, avait ordonné une enquête sur les traités de commerce, M. Thiers définissait ainsi la politique qu'il comptait suivre :

Nous entendons, en laissant aux échanges toute la liberté compatible avec la prospérité publique, assurer if nos industries, à celles qui, depuis trois quarts de siècle, font la fortune de la France, la protection de tarifs suffisants pour qu'elles n'expirent pas sous la concurrence illimitée de l'étranger. Assez de stimulant pour les empêcher de s'endormir, point assez pour qu'elles soient obligées de renoncer à produire ; telle est la politique économique que nous vous proposerons.

Ainsi, se plaçant, il la fois, au point de vue économique et au point de vue fiscal, M. Thiers était amené à réclamer, de l'Assemblée, le relèvement du produit des douanes et l'établissement de droits sur les matières premières.

Mais cette proposition était loin de satisfaire la majorité de l'Assemblée. Quoique protectionniste, elle était influencée par les démarches très actives des représentants du monde des affaires, qui reprochaient à l'impôt sur les matières premières de frapper l'industrie au moment où elle déployait une activité inespérée, et qui démontraient, d'une façon probante, les difficultés de la perception. D'autre part, M. Thiers ne voulait pas céder.

Quand ils auront repoussé tous les autres impôts, disait-il à ses familiers, il faudra bien qu'ils en viennent à l'impôt sur les matières premières.

Enfin, il ne resta plus, en présence, que cette ressource et l'impôt sur le revenu.

Celui-ci fut discuté pendant six jours, en décembre 1871. La proposition émanait d'hommes d'une compétence incontestable : MM. Wolowski, Henri Germain, Léonce de Lavergne. Ils insistaient sur les avantages d'un impôt contre lequel assurément il existe, en France, un fort préjugé, disaient-ils, mais qui est appliqué en Angleterre, aux États-Unis, en Prusse, en Autriche, en Suisse, eu Italie ; impôt juste, car il fait contribuer tous les citoyens proportionnellement à leurs ressources ; impôt conforme aux principes économiques, puisqu'il remplace d'autres impôts dont le moindre inconvénient est de surcharger soit la classe pauvre, soit la classe productive et, avec elle, le travail national.

Les auteurs de la proposition reconnaissaient, d'ailleurs, que la perception de cet impôt présenterait de réelles difficultés ; mais ils se targuaient d'avoir obvié à cette objection par leur projet de cédules. Cependant, pour celle des cédules qui visait les revenus du commerce et des professions, ils étaient bien obligés d'en venir au système de la déclaration et de la taxation.

Dans la séance du 26 décembre, M. Thiers combattit très vivement l'impôt sur le revenu. Il lui adressait deux reproches : cet impôt fait double emploi, en atteignant des revenus qui sont déjà lourdement grevés ; puis, il est complètement arbitraire

M. Thiers défendit, avec beaucoup d'éloquence, l'œuvre fiscale de la Révolution, qui a fait la répartition de l'impôt la plus équitable de beaucoup qu'il y ait dans toutes les sociétés européennes. Il démontra que l'impôt sur le revenu, applicable en Angleterre, ne saurait être établi en France, où toutes les sources de revenus sont déjà frappées par les quatre contributions. M. Thiers se demandait si on pourrait se fier à une ressource aussi aléatoire pour équilibrer le budget. Il se demandait encore s'il était possible, dans ce pays constamment bouleversé par les révolutions, d'établir un impôt laissant tant de place à l'arbitraire des taxateurs et offrant la tentation, aux divers partis, de rejeter indûment le fardeau des uns sur les autres.

Il résumait toute son argumentation en cette phrase vraiment lapidaire : Nous avons un système fiscal ingénieux, savant, bien combiné, qui donne le moyen de frapper tous les revenus et qu'on peut améliorer encore ; ne le gâtons pas en y introduisant une institution qui en troublerait toute l'économie, qui ferait double emploi, et dont l'application serait souvent injuste et quelquefois même dangereuse pour la sécurité des contribuables. Le discours de M. Thiers produisit un grand effet sur l'assemblée. Les marques d'approbation furent très vives, observe-t-il ; on sentait bien, en ce moment, que j'étais le vrai conservateur.

Malheureusement, dès que la question politique apparaissait, ces impressions favorables se dissipaient : c'est au cours de ce débat que M. Thiers irrita violemment la droite de l'Assemblée nationale en prononçant les mats qu'elle ne devait jamais lui pardonner, d'essai loyal de la République, et qu'il se déclara du nombre de ceux qui se font de la République un souci continuel. Sur le fond M. Thiers obtint gain de cause, et l'impôt sur le revenu fut repoussé.

Il ne restait plus que l'impôt sur les matières premières. Commencée le 10 janvier 1872, la discussion passionna encore plus les esprits. Il s'agissait, cette fois, pour l'Assemblée nationale, d'opter définitivement entre le libre-échange et la protection. Le débat se prolongea pendant neuf jours, l'agitation gagna le dehors. Tandis que les Chambres de commerce se prononçaient contre le projet d'impôt, les centres agricoles, au contraire, adhéraient en grand nombre.

A l'impôt sur les matières premières, les libre-échangistes opposaient, comme ressource éventuelle, l'impôt sur les valeurs mobilières. M. Thiers intervint les 13 et 18 janvier, et prononça deux importants discours ; mais la solution ne se dégageait pas. Les esprits s'étaient aigris, l'Assemblée était nerveuse. Pour en finir, M. Barthe déposa un ordre du jour de conciliation.qui satisfaisait M. Thiers, en permettant d'imposer les matières premières, et devait plaire aux adversaires, en atténuant le plus possible l'importance de la mesure.

Cet ordre du jour allait être adopté, lorsque surgit une nouvelle motion. M. Lucien Brun, parlant au nom des représentants des Chambres de commerce, conseilla de chercher les cent quatre-vingts millions indispensables au budget dans un impôt établi sur le chiffre des affaires. Il demanda qu'on nommât, avant toute décision, une commission de quinze membres, chargée d'étudier la proposition.

Dans un discours des plus vifs, M. Thiers combattit cette idée, et déclara qu'en acceptant l'ordre du jour de M. Barthe, le gouvernement avait atteint la limite des concessions possibles. Il affirmait ne pouvoir se prêter à des délais qui laisseraient le budget saris équilibre.

Il posa, nettement, la question de confiance, ajoutant que la résistance de l'Assemblée nationale à l'impôt sur les matières premières n'était duc qu'à des intérêts perdant toute pudeur pour se satisfaire. C'est alors que M. Féray, ami politique de M. Thiers, mais très excité sur la question économique au point d'en être méconnaissable, proposa une résolution à laquelle se rallia M. Lucien Brun :

L'Assemblée nationale, réservant le principe d'un impôt sur les matières premières, décide qu'une commission de quinze membres examinera les tarifs proposés et les questions soulevées par cet impôt, auquel elle n'aura recours qu'en cas d'impossibilité d'aligner autrement le budget.

Malgré l'opposition résolue du président de la République, qui s'indignait, un peu bruyamment, de l'effronterie des intérêts coalisés, cette résolution fut adoptée par 367 voix contre 297. Les députés s'étaient divisés d'une façon inaccoutumée ; partagés en libre-échangistes et en protectionnistes, presque tous les républicains qui, habituellement, soutenaient M. Thiers, l'avaient abandonné, tandis que ses adversaires ordinaires, les monarchistes, avaient voté pour lui.

Le gouvernement était mis en minorité ; le soir même, les ministres signaient leur démission. Le président de la République, le lendemain, donnait la sienne par la lettre suivante adressée à M. Jules Grévy, président de l'Assemblée :

Monsieur le Président,

Je vous prie de vouloir bien transmettre à l'Assemblée nationale ma démission de président de la République.

Je n'ai pas besoin d'ajouter que, jusqu'à mon remplacement, je veillerai à toutes les affaires de l'État avec mon zèle accoutumé. Cependant, l'Assemblée nationale comprendra, je l'espère, qu'il faut prolonger le moins possible la vacance du pouvoir.

Les ministres m'ont donné aussi leur démission et j'ai dû l'accepter.

Comme moi, ils continueront à expédier les affaires avec la plus grande application, jusqu'à la désignation de leurs successeurs.

Recevez, Monsieur le Président, l'assurance de ma haute considération.

THIERS.

Versailles, 20 janvier 1872.

Connue dès le 19 janvier au soir, la décision de M. Thiers provoqua une grande émotion dans le monde parlementaire. De nombreuses démarches furent immédiatement faites auprès de lui, pour l'amener à revenir sur sa détermination. La gauche, la droite elle-même, envoyèrent des délégués à l'hôtel de la Préfecture. Le maréchal de Mac Mahon, parlant au nom de l'armée et de ses chefs, joignit ses instances à celles des députés.

Quelques monarchistes espéraient trouver, dans cet incident, l'occasion d'en arriver à leurs fins, et ils songeaient déjà à poser une candidature princière.

La matinée du 20 fut consacrée à la réunion des diverses fractions de l'Assemblée. De tous les côtés, on cherchait une solution à la crise et on rédigeait des ordres du jour. Une conférence eut lieu entre le bureau du centre droit et le bureau de la réunion légitimiste des Réservoirs. C'est là que fut concerté le plan d'action dont on confia l'exécution à un député orléaniste, M. Batbie. Celui-ci, après que le président eut donné lecture de la lettre de démission de M. Thiers, monta à la tribune et demanda que l'Assemblée se retirât immédiatement dans ses bureaux, pour nommer une commission qui, préparant la conciliation, obtiendrait, du président de la République qu'il retirât sa démission.

Le retard de la délibération équivalait à une acceptation.

M. Deseilligny, au nom du centre gauche, proposa de voter immédiatement un ordre du jour de confiance dans le président de la République et dans ses ministres, refusant d'accepter leur démission. Ce fut le tour de la droite d'être embarrassée : elle désirait la crise peut-être ; mais elle ne voulait pas porter la responsabilité de la démission de M. Thiers.

M. Batbie couvrit la retraite des monarchistes, en déposant l'ordre du jour suivant :

Considérant que l'Assemblée, dans sa résolution d'hier, s'est bornée à réserver une question économique, que son vote ne peut être, à aucun titre, regardé comme un acte de défiance ou d'hostilité et ne saurait impliquer le refus du concours qu'elle a toujours donné au gouvernement, l'Assemblée fait un nouvel appel au patriotisme de M. le président de la République et déclare ne pas accepter sa démission.

On vota au milieu de la plus vive agitation. L'ordre du jour fut adopté à l'unanimité, moins huit voix.

La séance fut aussitôt suspendue, et l'Assemblée chargea son bureau d'aller porter sa résolution au président de la République. Près de deux cents députés appartenant, pour la plupart, à la gauche et au centre gauche, allèrent à pied à l'hôtel de la Préfecture.

Au bout d'une demi-heure, les délégués étaient de retour à la Chambre. M. Benoist d'Azy, vice-président, rendit compte de leur mission. Sur ses instances et sur celles des députés présents, M. Thiers, après avoir pris connaissance de l'ordre du jour, avait répondu :

— Je suis très fatigué et je crains que des difficultés semblables ne se produisent de nouveau.

Cependant, je ne puis résister au vœu de l'Assemblée. Je suis touché de cette démarche et je veux bien essayer encore de me dévouer, dans la mesure de mes forces, aux intérêts du pays.

Ce n'est pas par un esprit systématique que j'ai soutenu cet impôt sur les matières premières ; seulement si j'ai des idées arrêtées sur certaines questions, c'est que j'ai la conviction qu'elles sont justes.

M. Benoist d'Azy ajouta que le témoignage de confiance de l'Assemblée s'adressait également au cabinet, tel qu'il était constitué avant l'incident.

La crise était donc conjurée. Mais elle servait d'avertissement à M. Thiers. Elle indiquait, pour la première fois, le dissentiment qui existait entre lui et la majorité de l'Assemblée. Elle fut le premier acte d'une longue suite d'événements qui devaient prolonger, en France, la période du doute et de l'instabilité.

 

III

Ces crises répétées irritèrent vivement la majorité. Non seulement elle n'avait plus confiance en M. Thiers, mais elle pouvait à peine le tolérer. Si le roi manquait aux parlementaires, les parlementaires entendaient faire leurs affaires eux-mêmes. La conception nouvelle parait avoir été la suivante : renversement de M. Thiers, proclamation de la vacance du pouvoir exécutif, lieutenance-générale confiée au duc d'Aumale.

Mais, pour arriver à ce résultat, il fallait la droite unie, sinon la monarchie unie. On se contenterait de la fusion parlementaire : encore devait-on la faire. Même ainsi restreint, l'accord ne pouvait s'obtenir que par l'adhésion du comte de Chambord, puisque, dans l'extrême-droite, rien ne se faisait que par son ordre.

On se trouvait toujours en présence de la même difficulté. Tout dépendait de la volonté du comte de Chambord. Cette fois, M. Ducrot se fit le champion de la combinaison.

Vers la fin de janvier, le général se rendit à Anvers, où le prétendant venait d'arriver et où il était descendu à l'Hôtel Saint-Antoine. A diverses reprises, le comte de Chambord s'était, en 1871, rapproché de la frontière française et, chaque fois, à Genève comme à Lucerne, des députations lui avaient exprimé leurs vœux en faveur de son avènement.

Le général Ducrot soumit au comte de Chambord l'exposé des moyens pratiques d'aboutir à la restauration. Il le pressentit sur la nomination du duc d'Aumale à la place de M. Thiers, à titre de transition, et le supplia de revenir sur son manifeste du 5 juillet 1871, tranchant la question du drapeau. On a raconté que le général se traîna aux genoux du comte de Chambord sans fléchir sa volonté[7].

Sur la question relative à la présidence du duc d'Aumale, la méfiance du comte de Chambord était en éveil ; il répondit assez froidement :

Je n'admets pas qu'un prince du sang soit en dehors de l'entourage de son roi.

Cette démarche isolée du général Ducrot fut longtemps tenue secrète.

Au même moment, dans les couloirs de l'Assemblée, on préparait une solution, pour le cas où une autre crise présidentielle se produirait. On pensait que la meilleure façon d'assurer la fusion parlementaire, c'était de rédiger un programme transactionnel qui réunirait l'adhésion de la droite extrême, des politiques de la droite et même, si on y réussissait, des libéraux du centre droit. Une fois tous les concours acquis, on s'efforcerait d'obtenir l'assentiment du comte de Chambord.

Si les conditions étaient soumises respectueusement au représentant de la dynastie légitime par les députés de qui dépendait le vote d'une restauration, il les accepterait plus facilement que si elles émanaient de la branche dissidente de la maison de France et il ne refuserait peut-être pas à la majorité ce qu'il refusait. à ses cousins.

Les députés légitimistes modérés, à la tète desquels étaient MM. Baragnon, Ernoul, Depeyre, de Meaux et de Cumont, tentent l'entreprise. Les négociations sont très activement menées. On est sur le point de tomber d'accord. L'union va se faire entre tous les députés royalistes. Le comte de Paris, cédant, cette fois, aux sollicitations de son oncle, le duc de Nemours, se déclare prêt à partir pour Anvers.

Le comte de Chambord est avisé de ces pourparlers par ses agents de Versailles. Avant qu'on aille plus loin, il juge nécessaire de préciser la situation. Il a sur le cœur les commentaires dont on a entouré sort manifeste du 5 juillet 1871 ; une note anonyme, publiée par quelques légitimistes à la suite de ce manifeste, lui avait attribué l'intention d'abdiquer. Il entend protester. Surtout, il prétend s'opposer à toute candidature de ses cousins à l'exercice du pouvoir. Ce qu'il veut, en dépit de toutes les sollicitations, c'est affirmer de nouveau ses principes et la conception pleine et entière qu'il s'est faite des droits du roi.

Le 25 janvier 1872, il lance un nouveau manifeste. Il s'élève contre les efforts persistants qui s'attachent à dénaturer ses paroles, ses sentiments et ses actes. Je n'abdiquerai jamais, déclare-t-il en réponse à la fameuse note dans laquelle on parlait de la sincérité du comte de Chambord, qui allait jusqu'au sacrifice, ce mot impliquant l'abdication, ainsi qu'on l'a reconnu[8].

Puis, il incrimine avec véhémence les combinaisons stériles, faisant ainsi une claire allusion à la candidature présidentielle du duc d'Aumale. Et il dit encore, à l'adresse des princes d'Orléans : je ne laisserai pas porter atteinte, après l'avoir conservé intact pendant quarante années, au principe monarchique, patrimoine de la France, dernier espoir de sa grandeur et de ses libertés.

Il insiste sur le principe national de l'hérédité monarchique, sans lequel il n'est rien, avec lequel il peut tout, et, après avoir affirmé de nouveau son attachement au drapeau blanc, il termine par cette phrase, qui sape par la base tout l'édifice parlementaire en construction : Rien n'ébranlera mes résolutions, rien ne lassera ma patience, et personne, sous aucun prétexte, n'obtiendra de moi que je consente à devenir le roi légitime de la révolution.

Le coup, répété avec une telle insistance, paraissait décisif.

Il semblait qu'il n'y eût plus, cette fois, qu'à renoncer aux entreprises royalistes, puisque, de son côté, le comte de Paris avait catégoriquement déclaré qu'il ne serait pas le compétiteur du comte de Chambord au trône de France.

Mais, telle était la volonté de la droite de profiter de la situation exceptionnelle qu'elle occupait dans l'Assemblée que le parti légitimiste modéré poursuivit ses négociations.

Le 17 février 1872, on réussit à arrêter un programme. En voici les parties essentielles :

Nous considérons la monarchie comme le gouvernement naturel de notre pays, disait ce document, et par monarchie nous entendons la monarchie traditionnelle et héréditaire.

Une monarchie héréditaire, représentative, constitutionnelle, assure au pays son droit d'intervention dans la gestion de ses affaires, et, sous la garantie de la responsabilité ministérielle, toutes les libertés nécessaires : libertés politiques, civiles, religieuses ; l'égalité devant la loi ; le libre accès de tous à tous les emplois, à tous les honneurs, à tons les avantages sérieux ; l'amélioration pacifique et continue de la condition des classes ouvrières.

Cette monarchie est celle que nous voulons.

Respectant d'ailleurs notre pays autant que nous l'aimons, nous n'attendons rien que du vœu de la nation librement exprimé par ses mandataires.

Ce programme, rédigé par quatre légitimistes : M. Baragnon, Ernoul, de Cumont et de Meaux, contenait une dose savamment répartie de principes orléanistes et légitimistes. Il indiquait, en outre, le moyen pratique de la restauration : un vote de l'Assemblée nationale.

Dès qu'il fut connu, il réunit quatre-vingts signatures. L'extrême-droite refusa tout d'abord son adhésion ; elle déclarait qu'on manquait de respect au comte de Chambord en arrêtant un programme et en affirmant le pouvoir souverain de la nation et du pays.

On avait pris toutes les précautions pour ménager les susceptibilités du prince. Il avait été décidé que le programme serait envoyé comme un hommage de fidélité, absolument comme l'acte de quelques députés qui, faisant une profession de foi à leurs électeurs, n'entendaient pas compromettre le roi en lui demandant une réponse quelconque. En somme, c'était une communication respectueuse ; ce n'était ni une consultation, ni une sommation[9].

Le comte de Chambord eut immédiatement connaissance du programme de la droite, et fut averti que MM. Ernoul et Baragnon avaient été chargés de le lui remettre le lendemain. Dans la nuit qui précéda leur départ, un envoyé du prince avisa les deux mandataires de l'Assemblée que le prétendant ne pourrait accueillir leur communication. Toutefois, il ne prononçait aucune parole de désaveu. Ce silence entraîna l'adhésion des députés de l'extrême-droite. MM. Ernoul et Baragnon partirent pour Anvers, où ils furent reçus, le 18 février 1872, par le comte de Chambord.

Ils renoncèrent à lui présenter le programme de la droite et se bornèrent à l'entretenir de la situation de l'Assemblée. Le prétendant les écouta sans faire connaître son appréciation. M. Ernoul fut pressant : ce fut pendant cette audience qu'essayant, au moyen d'une comparaison, de vaincre, au sujet de l'acceptation éventuelle des trois couleurs, les répugnances explicables, mais trop accentuées du comte de Chambord, il ne craignit pas de lui dire que si, pour racheter la faute originelle, le fils de Dieu lui-même avait dû revêtir les misères les plus cruelles de notre humanité déchue, le roi de France, apparemment, pouvait, sans déroger, s'inspirer du divin exemple, et s'identifiant à la condition du pays éprouvé qui reviendrait à lui, consentir au besoin à combattre avec ses fidèles l'esprit révolutionnaire sous l'étendard remis entre ses mains royales par la France désabusée. Aucune réponse précise ne lui fut faite et, sans vaciller dans sa foi résistante de royaliste, M. Ernoul revint inquiet, presque triste à Versailles[10].

Chacun, tirait parti de ce mutisme. On eût dû comprendre que le silence des rois, comme le silence des peuples, est une leçon.

L'ambiguïté de la situation eut son effet habituel. Les adhésions sur lesquelles on comptait firent défaut. Au premier moment, on se flattait de réunir trois cents signatures. On n'en recueillit que 159[11]. Le centre droit, au lieu d'approuver purement et simplement, exprima des réserves :

Nous voulons, comme vous, rappeler au pays les services qu'il a déjà reçus et ceux qu'il peut encore attendre de la monarchie constitutionnelle, dont vous indiquez si bien les hases essentielles, en vous efforçant de réconcilier la France ancienne avec la France moderne. Et le centre droit proclamait, en outre, sa fidélité au drapeau tricolore.

En somme, la tentative de fusion parlementaire échouait. On renonça même à publier le programme de la droite et la déclaration du centre droit. Ces deux documents ne furent livrés à la publicité que dix-huit mois plus tard, après la lettre du comte de Chambord, datée de Salzbourg, qui devait porter le dernier coup aux espérances monarchiques.

La droite restait donc divisée.

Quelques jours après le voyage de MM. Ernoul et Baragnon, des manifestations se produisirent devant l'Hôtel Saint-Antoine, et le comte de Chambord dut quitter Anvers. Il n'était pas nécessaire qu'il demeurât plus longtemps à proximité de la frontière de France.

La tentative de restauration monarchique était donc indéfiniment ajournée. Deux systèmes seulement se trouvaient désormais en présence : la république et l'empire. M. Thiers le conquit.

Après avoir laissé à M. Barthélemy Saint-Hilaire, secrétaire général de la présidence, le soin d'affirmer, dans une lettre publique, datée du 28 février 1872, et adressée à Varroy, député et président du conseil général de la Meuse, qu'il fallait, sans retard, organiser la République, il entama la lutte contre le parti bonapartiste qui, profitant du désarroi des monarchistes, reprenait vigoureusement l'offensive pour la conquête du pouvoir.

Le 11 février 1872, avaient eu lieu trois élections partielles à l'Assemblée nationale. Des républicains furent élus dans les Côtes-du-Nord et dans l'Eure. Celui qu'on appelait le vice-empereur, M. Routier, fut élu en Corse.

Pendant les vacances parlementaires, M. Roulier, qui avait quitté la France depuis le t septembre, était rentré à Paris, non sans mystère. Il ne descendit pas d'abord chez lui, rue de l'Élysée, mais dans un hôtel ; il donnait des rendez-vous chez de tierces personnes. Ses démarches ayant été dépistées, il s'installa ostensiblement et prit publiquement le titre de liquidateur de la liste civile de Napoléon III[12].

Il organisa aussitôt une propagande bonapartiste des plus actives à travers la France. Des brochures furent répandues à profusion, et, notamment, celle de M. Peyron intitulée : Ils en ont menti, qui avait pour objet de démontrer que les malheurs de la France étaient dus non à l'empire, mais au gouvernement du 4 Septembre.

Les fidèles du parti avaient réuni, pour cette propagande, une somme assez élevée qui fut employée à lancer, dans les campagnes, une véritable nuée d'agents allant, de cabaret en cabaret, affirmer que le meilleur moyen de libérer le territoire était de rappeler Napoléon III. On consacra, dit-on, cent mille francs à fonder, sous la direction de M. Clément Duvernois, ancien ministre de l'empire, le journal l'Ordre, qui devait catéchiser la bourgeoisie. On lança également le Petit Caporal, qui s'adressait aux masses populaires et l'Armée, qui exerçait son action dans les casernes. Le Gaulois se rallia à la politique impériale et dirigea ses efforts vers le monde des écoles.

Enfin, les bonapartistes adoptèrent, pour lieu de leurs réunions quotidiennes, le café de la Paix, si bien que la partie du boulevard qui fait le coin du Grand-Hôtel et de la place de l'Opéra était plaisamment appelée le Boulevard de l'île d'Elbe.

Simultanément, le parti organisait des manifestations : services funèbres à Saint-Augustin ; attroupements tumultueux près de la gare Saint-Lazare, à l'arrivée des trains parlementaires ; mobilisation du parti aux funérailles de M. Conti, ancien secrétaire particulier de l'empereur.

Des personnages aussi importants que le cardinal de Bonnechose s'employaient ostensiblement à la propagande bonapartiste[13]. Les uns s'efforçaient d'amener un rapprochement entre le parti catholique et l'empire. Napoléon III, consulté, se prêtait à la combinaison : il conseillait qu'on ménageât l'Univers. Il ajoutait que ses convictions étaient depuis longtemps arrêtées : pas de concession à la Révolution. Il disait qu'il avait été faible, mais qu'il était religieux d'éducation et de principes. De son côté, le prince Napoléon flattait les libres penseurs et dînait avec M. Renan. On remarquait que le maréchal de Mac Mahon, dans sa déposition devant la commission d'enquête sur les actes du gouvernement du 4. Septembre, avait, à propos de la capitulation de Sedan, pris un soin particulier de défendre Napoléon

On manifestait même à l'Académie française. Le 9 novembre 1871, avait eu lieu la réception de M. Jules Janin. Plusieurs personnes arborèrent à la boutonnière des bouquets de violettes. M. Camille Doucet, qui répondit au récipiendaire, lit l'éloge de l'empereur, ce qui provoqua un tumulte assez vif, exceptionnel sous la coupole de l'Institut. Il est vrai que, moins de deux mois après, le 30 décembre 1871, l'Académie appelait M. Littré au fauteuil de M. Villemain.

Il manquait au parti bonapartiste l'accès de la tribune. Le 16 août 1871, M. Séverin Abbatucci avait donné sa démission de député de la Corse, afin de faire place à M. Roulier. La campagne électorale en Corse fut très vive et le gouvernement put constater que des fonctionnaires de tout ordre soutinrent avec ardeur la candidature de l'ancien ministre de l'empire.

Au mois de janvier 1872, Napoléon III avait dit à Chislehurst :

Je sais que je suis la solution

M. Thiers crut devoir veiller de ce côté. Une restauration impériale eût, été, à ses yeux, la pire des catastrophes. Ce n'est pas qu'il se laissât intimider par les vantardises des journaux du parti : N'attachez aucune importance aux propos des bonapartistes, écrivait-il, le 12 février 1872. Ils parlent, n'ayant ni occupation, ni argent. Cependant, comme il ne négligeait pas les petits moyens, il entreprit de déconsidérer l'administration impériale en intentant un procès à M. Janvier de la Motte, qui comptait parmi les préfets les plus vigoureux de Napoléon III. Ce procès, qui se déroula à Rouen, révéla de singulières pratiques administratives ; mais il entraina indirectement la chute d'un des meilleurs collaborateurs de M. Thiers. M. Pouyer-Quertier, ministre des finances, cité en témoignage, soutint la théorie des mandats fictifs et des virements irréguliers en matière de comptabilité départementale.

M. Thiers n'avait plus, en lui, une pleine confiance. Le président écrivit au sujet de cette démission, à M. de Gontaut-Biron, pour prévenir Berlin où M. Pouyer-Quertier était persona grata : J'ai vu le pauvre Pouyer-Quertier frappé d'un obus échappé de sa propre main. Il a voulu soutenir Janvier... et a donné comme peccadilles des friponneries révoltantes. Il a soulevé une tempête d'indignation. Le cabinet m'a demandé de choisir entre lui tout entier et le ministre des finances. M. de Bismarck avait pris du goût pour M. Pouyer-Quertier, mais peut-être aimait-il ses défauts autant et plus que ses qualités. Pourtant le crédit de la France ne tenait pas à lui, et on le verra quand il faudra reprendre nos paiements[14].

M. Pouyer-Quertier donna sa démission et fut remplacé, au ministère des finances, par M. de Goulard, membre de la droite.

La condamnation de M. Janvier de la Motte ne fut qu'un intermède. Au commencement de février 1872, on commença 'a parler avec persistance, surtout à l'étranger, d'une prochaine restauration impériale. Celle-ci devait s'accomplir d'accord avec l'Allemagne. On faisait courir le bruit, propagé notamment par le prince d'Orange, qu'aux termes de l'accord qui serait intervenu, l'Allemagne devait rendre à Napoléon III l'Alsace et la Lorraine et prendre, en compensation, la Belgique et la Hollande[15].

Il parait bien que des pourparlers furent engagés avec le gouvernement allemand. Les allégations du comte d'Arnim et du prince de Bismarck, dans des documents officiels destinés à rester secrets, ne permettent guère le doute. M. Thiers, qui eut probablement connaissance de ces pourparlers, perdit patience. Le 16 février 1872, il manifesta devant, plusieurs députés, dans les couloirs de l'Assemblée nationale, l'intention de sévir contre les agitateurs bonapartistes.

L'Assemblée elle-même, qui avait, à Bordeaux, proclamé, à l'unanimité, la déchéance de l'empire, sentait s'émousser sa haine contre ce régime. C'est ainsi que M. Jozon, ayant émis le vœu qu'on inscrivit sur les avertissements et les contraintes des contributions directes, ces mots : Impôts résultant de la guerre de Prusse, la motion ne fut adoptée qu'à une faible majorité.

A la séance du 21 février 1872, le ministre de l'intérieur, M. Victor Lefranc, réalisant la menace de M. Thiers, dépose un projet de loi sur la sécurité de l'Assemblée et du gouvernement. Mais le projet, qui visait les bonapartistes, pouvait également atteindre les monarchistes, puisqu'il condamnait tous ceux qui auraient entrepris de renverser la République.

Vif émoi sur les bancs de l'Assemblée. Le gouvernement demandait l'urgence. Elle allait être refusée. C'était la crise, une crise qui, au lendemain de l'échec de l'entrevue d'Anvers, ne pouvait qu'être favorable à l'empire.

M. Baragnon, qui savait mieux que personne à quoi s'en tenir sur l'impuissance de la droite à recueillir alors la succession de M. Thiers, monte à la tribune. Après avoir fait des réserves quant aux intentions qui inspiraient le gouvernement, il conjure ses amis de se prononcer en faveur de l'urgence. Elle est adoptée. Pendant trois mois, le projet, qu'on appela la loi Lefranc entretint l'agitation dans les couloirs de Versailles. Ce n'était qu'une machine de guerre. Finalement, il ne vit jamais le jour de la discussion publique.

Le groupe de l'appel au peuple. Dès son arrivée à l'Assemblée nationale, M. Rouher créa le Groupe de l'appel au peuple. Ainsi, le bonapartisme, reconstitué en parti d'opposition avec tous ses organes, était prêt il n'attendait plus qu'un ordre-venu de Londres.

 Comme s'il ne voulait pas laisser prescrire les griefs de la droite contre M. Thiers, M. de Guiraud les précisa nettement, le 9 mars 1872, au cours d'une interpellation, annoncée à grand fracas, sur la démission de M. Pouyer-Quertier. Dans le discours de M. de Guiraud, il fut très peu question des doctrines soutenues devant la cour d'assises de Rouen par le ministre des finances. Le député de l'Aude fit le procès du gouvernement : Celui-ci, dit-il, va d'un côté, l'Assemblée de l'autre, et il se plaignait que M. Thiers donnât, chaque jour, de nouvelles chances à la République, non sans avouer, avec une touchante naïveté, qu'il avait rendu la monarchie impossible. M. de Guiraud dit voulu que le président de la République constituât un ministère homogène pris dans le sein de la majorité et qu'il gouvernât en complet accord avec celle-ci.

 Vous aurez ainsi, dit-il à M. Thiers, une majorité de trois cents voix.

A ce conseil, M. Thiers répondit avec esprit et à-propos : On me reproche de ne pas gouverner avec la majorité. Je la cherche, cette majorité, et je trouve la conspiration.

Mis personnellement en cause, M. Pouyer-Quertier se défendit, fit l'apologie de son administration et chercha à rallier les sympathies de l'Assemblée en se livrant à de violentes attaques contre la délégation de Tours et de Bordeaux. Il eut un mot malheureux qui amena M. Gambetta à la tribune : La France a payé, dit-il, toutes les dettes contractées en son nom, honorablement ou autrement. Après une intervention de M. Dufaure, garde des sceaux, l'Assemblée proclama l'immoralité des théories financières de l'empire.

Deux jours après, le 13 mars 1872, elle votait une loi contre l'Association internationale des travailleurs. La question donnait lieu à des échanges de vue entre les chancelleries. M. Jules Favre l'avait prise à cœur. M. Dufaure proposa le projet de loi, qui fut voté par l'Assemblée et dont la rédaction parut généralement défectueuse.

ÈnEin, l'Assemblée nationale, avant de clore la session, vota le budget de 1872. Elle se sépara le 29 mars, pour rester en vacances jusqu'au 22 avril. L'ensemble de la session avait été heurté, confus. La situation restait plus obscure que jamais. Au point de vue politique, toutes les parties étaient engagées à la fois. Le gouvernement de M. Thiers était visiblement ébranlé. Au dedans et au dehors, des bruits fâcheux commençaient à se répandre au sujet de sa stabilité.

 

IV

Dans l'intervalle des deux sessions (31 mars-22 avril), le mouvement de l'opinion s'affirme dans un sens favorable aux institutions républicaines. Un grand nombre de conseils généraux, réunis hors séance,  envoient au président de la République des adresses dans lesquelles ils témoignent de leur confiance en ses lumières, en son patriotisme, le remerciant de la part qu'il a prise aux négociations avec l'Allemagne et du soin qu'il met à conserver la forme du gouvernement établi. Ces adresses prennent, par leur nombre et leur fermeté, le caractère d'une véritable manifestation.

A Paris, le procès intenté par le général Trochu au Figaro ouvre le premier débat public sur les responsabilités de la guerre. L'empire est attaqué avec une grande vigueur par Me Allou ; il est défendu par Me Grandperret. Le général Trochu parle lui-même ; et, comme toujours, il parle beaucoup, il parle bien. Le journaliste qui l'avait attaqué fut condamné à une peine qui parut légère.

M. Thiers rapporte malicieusement qu'il s'exprima dans ce sens auprès du maréchal de Mac Mahon. Le maréchal lui aurait répondu : Croyez-moi, Monsieur le Président, cet arrêt est bon pour l'armée ; c'est une leçon pour elle. Il faut qu'elle sache qu'on ne doit pas être général de- l'empereur le matin et général de la République le soir du même jour[16].

En province, M. Gambetta commence ces tournées oratoires qui vont servir si fortement la propagande républicaine. Cette procédure politique avait été adoptée, après mûre réflexion, dans le groupe politique auquel appartenait M. Gambetta. M. Spuller lui écrivait, le 9 mai 1871 : Je te rappellerai que nous avons souvent causé autrefois de tournées dans les principales villes. Plus que jamais, ces tournées me semblent nécessaires. Jusqu'à ce que la République soit enfin proclamée et assise, ton rôle m'apparaît comme celui d'un O'Connell républicain. De ville en ville, nous irons, semant la parole démocratique dans les banquets, dans les meetings improvisés : il le faut à tout prix[17].

Dans cette première phase de son action, M. Gambetta n'a qu'une pensée : rassurer le pays, lui donner confiance dans la stabilité du régime républicain et dans la sagesse du parti qui le reconnaît pour chef ; en même temps, il précise la campagne de dissolution et dénie énergiquement à l'Assemblée le droit de se proclamer souveraine.

A Angers, le 7 avril, il dit : Il est percé à jour, le calcul de nos adversaires, qui consiste à représenter une partie de la France comme étrangère à l'autre, à opposer ceux-ci à ceux-là, le Nord au Midi. Non ! c'est partout le même esprit, partout homogène et partout semblable à lui-même qui anime, qui enflamme et qui réunit toutes les parties de la France. Au nom des intérêts républicains, je salue l'unité morale de la patrie. C'est reprendre très habilement, contre des adversaires qui affectent de distinguer entre Paris et la province, la thèse de l'indivisibilité de la République. Il fait l'éloge de M. Thiers : Il y a quelque chose de plus beau que d'avoir écrit les annales de la Révolution française, c'est de l'achever en couronnant son œuvre par la loyauté, par la sincérité de son gouvernement.

Au Havre, le 18 avril 1872, il dit : On m'appelle commis voyageur. Eh bien, oui ! je suis un voyageur et je suis le commis de la démocratie. C'est ma commission, je la tiens, du peuple... Si je crois mon pays perdu en dehors de la République, il faut bien que je le dise ! c'est ma mission ; je la remplis ; advienne que pourra ! Il dit encore : Bornons là nos exigences, ne nions pas les misères, les souffrances, les douleurs d'une partie de la démocratie... Mais tenons-nous en garde contre les utopies... Il n'y a pas de remède social, parce qu'il n'y a pas une question sociale. Il y a une série de problèmes à résoudre... La France ne se séparera pas de vous, républicains, car la France n'a jamais demandé que deux choses au gouvernement : l'ordre et la liberté... Il aborde le problème de l'éducation en ces termes : Cette éducation, il la faut absolument civile ; c'est le caractère même de l'État. Et qu'on ne crie pas à la persécution ! L'État laissera aux cultes la plus grande liberté, et nos adversaires seront les premiers à le reconnaître. L'État ne peut avoir aucune compétence ni aucune action sur les dogmes, ni sur les doctrines philosophiques : il faut qu'il ignore ces choses, ou bien il devient arbitraire, persécuteur, intolérant, et il ne peut pas, il n'a pas le droit de le devenir. Réclamant le service militaire égal pour tous, l'orateur prononce cette autre formule : Chaque citoyen, soldat et instruit.

Il dégage, ainsi, les grandes lignes d'un programme de gouvernement. Mais il ajoute que tout doit reposer sur un système constitutionnel nouveau, et il refuse à l'Assemblée le droit de le fonder : Au premier rang des réformes, dit-il, vous savez que je place l'élection d'une assemblée républicaine... Je n'attends rien de l'Assemblée de Versailles... La dissolution, voilà la première réforme qu'il faut poursuivre...

 M. Thiers se laisse porter par le courant ; il fait un premier pas dans le sens de la réconciliation avec Paris. Échappant, en quelque sorte, à la surveillance de la commission de permanence, il donne une grande soirée à l'Élysée. La foule des invités se presse dans les salons du chef de l'État, ouverts pour la première fois depuis la guerre. La République prendrait-elle figure de gouvernement ?

 

 

 



[1] Il n'est pas inutile, pour faciliter la lecture des documents de cette époque, de rappeler le sens exact de certaines appellations pour désigner les différents groupes de la droite :

Réunion des Réservoirs, tenue à l'hôtel du même nom et comprenant tous les députés de la droite, jusqu'au manifeste du comte de Chambord, du 5 juillet. 1871. Après ce manifeste et après la signature de la note Lorry : Les inspirations personnelles de M. le comte de Chambord lui appartiennent, la réunion des Réservoirs se divise :

Centre droit, composé des députés n'admettant pas le drapeau blanc ; c'est un groupe fermé, dans les réunions duquel seuls ses membres étaient admis.

Chevau-légers. Ce groupe comprend les députés prêts à crier : Vive le roi quand même ! Il est dirigé par les chefs qu'indiquait leur confiance le mandat spécial du comte de Chambord : MM. Lucien Brun, de Carayon-La tour, de Cannove de Pradines, de la Rochelle.

Droite modérée, constituée sur l'initiative de M. Ernoul, dans le but de réunir le centre droit et les chevau-légers. C'est dans cette pensée que fut rédigé, par M. de Meaux, le programme de la droite, de février 1872. On forma ainsi, des signataires du manifeste, un nouveau groupe (réunion Colbert) qui devait servir de trait d'union entre les diverses fractions du parti monarchique.

5° Enfin, réunion Changarnier, comprenant des conservateurs que des raisons diverses empêchaient de se faire inscrire sur la liste des réunions plus tranchées.

[2] RANC, De Bordeaux à Versailles (p. 67 et 93).

[3] Martial DELPIT, Journal (p. 225).

[4] THIERS, Notes et Souvenirs (p. 199).

[5] Souvenirs du vicomte DE MEAUX. Correspondant, numéro du 10 octobre 1902 (p. 7). — Voir aussi comte DE FALLOUX, Discours et Mélanges politiques (t. II, p. 319).

[6] Notes et Souvenirs (p. 237).

[7] Ernest DAUDET, Le duc d'Aumale (p. 262).

[8] Comte DE FALLOUX, Souvenirs d'un royaliste (t. II, p. 485).

[9] Lettre de BARAGNON, en date du 18 février 1872. Correspondant du 10 octobre 1901.

[10] MERVEILLEUX-DUVIGNEAU, Un peu d'histoire (p. 65).

[11] Marquis DE DAMPIERRE, Cinq années de vie politique (p. 78).

[12] Jules RICHAUD, Le Bonapartisme sous la République, 1883 (p. 31). — Voir aussi Journal de FIDUS (Eugène Loudun), t. III : L'Essai loyal (p. 41).

[13] Journal de FIDUS (t. III, p. 48).

[14] Occupation et Libération (t. I, p. 208).

[15] OSMONT, Reliques et Impressions (p. 75).

[16] Notes et Souvenirs (p. 267).

[17] Lettres de SPULLER à GAMBETTA, Revue de Paris, 1er juin 1900.