HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

I. — LE GOUVERNEMENT DE M. THIERS

CHAPITRE PREMIER. — LA GUERRE.

 

 

La France en 1870. — La politique impériale des Nationalités aboutit à la guerre avec la Prusse. — Le gouvernement de la Défense nationale. — La conclusion de l'armistice. — La France après la guerre. — Les élections du 8 février 1871. — Réunion de l'Assemblée nationale, à Bordeaux. — M. Thiers, chef du pouvoir exécutif.

 

I

La guerre était dans la logique de la politique impériale : l'empereur est, par définition, un chef d'armée ; un Bonaparte ne peut rejeter la tradition qui le rattache au plus illustre capitaine des temps, modernes ; enfin, Napoléon III n'avait pu régner qu'en se donnant, corps et âme, à la politique interventionniste qui devait allumer le feu aux quatre coins de l'Europe et mettre en émoi tous les gouvernements. Comme l'illustre fondateur de la race, il était voué à la guerre et condamné à la victoire perpétuelle.

Le fils de la reine Hortense était, dans sa jeunesse, un homme concentré, ambitieux, résolu et fataliste. Avec l'âge, l'activité tombe, et il ne reste plus en lui qu'une sorte de mélancolie résignée. Son visage mat, auquel la moustache et la barbiche donnaient quelque chose de factice et d'apprêté, était impassible. Son regard pille était insaisissable. Sa taille basse, son torse large. ses jambes courtes lui donnaient un aspect trapu et tassé ; il se retrouvait prince à cheval. Le calme voulu de toute sa personne n'en laissait pas moins percer le sentiment qui dominait en lui : l'inquiétude.

Il intitule lui-même ses réflexions des Rêveries. Son intelligence était vive, mais courte ; son imagination était vaste, mais trouble ; ceux qui l'approchaient le trouvaient à la fois indifférent et bon. Il allait à l'action par l'idée. Sa volonté était forte, plutôt, que soutenue. Il n'était pas créateur.

Ce second Bonaparte fut, en quelque sorte, une copie réduite du premier. Les deux carrières se ressemblent. L'une suit l'autre exactement. Même jeunesse inquiète et ambitieuse ; même sentiment de la puissance des foules : Consulat d'une part, Présidence de l'autre ; 18 Brumaire d'une part, 2 Décembre de l'autre : guerres heureuses au début et défaite finale. Mais l'un avait du génie, l'autre du savoir-faire ; l'un avait créé la légende, l'autre la suivait ; et si les carrières se ressemblent à ce point, c'est que l'obsession napoléonienne était devenue, pour le fils de la reine de Hollande, une seconde nature.

Cependant, ceux qui imitent, imitent avec leur tempérament, avec leur éducation ; ils s'accommodent nécessairement aux circonstances et subissent l'influence de leur temps. Napoléon III appartenait à la branche des Bonaparte de Hollande, à celle que l'histoire, mieux informée, voit, maintenant, déroulant le long travail de ses ambitions pendant toute la première moitié du XIXe siècle : ce sont les Bonaparte-Beauharnais, les Bonaparte blonds. Ou les oppose aux Bonaparte noirs, aux Bonaparte de Corse, qui se prétendaient les héritiers plus directs de l'empereur, mais qui, malgré leur intelligence, leur vigueur et leurs coups de boutoir, ont finalement été joués et écartés par la savante et aristocratique intrigue des premiers[1].

Ces Beauharnais et ces Tascher qui, en somme, avaient fait, par Barras, la carrière du mince parvenu corse, imprimèrent fortement leur marque sur la dynastie. Ils eurent leur héroïne et leur martyre : Joséphine ; leur héros : le prince Eugène ; leur muse : la reine Hortense. Celle-ci est autre chose encore : c'est une femme d'action et une femme de tête : elle consacra sa vie à préparer la carrière de son fils. Une femme qui écrit le mémoire publié en 1834 et qui joue le roi Louis-Philippe avec le sang-froid et l'aplomb qu'elle manifeste, sait où elle va. Dès 1831, elle prévoyait 1848.

De ses fils, le second, Louis, le filleul du grand empereur, était son préféré, son beau Dunois. Elle se met en révolte ouverte contre le mari résigné, le roi Louis, parce que celui-ci veut la paix et que la reine et les enfants ne pensent qu'à la lutte.

Élève d'une telle mère, Louis Napoléon n'a vécu que pour la politique. La participation aux affaires de Rome, en 1831, la tentative de Strasbourg, celle de Boulogne, l'évasion de Ham, tous ces faits se rattachent à un système préconçu, qu'il explique lui-même au sage M. Viellard : Si vous voyiez un homme abandonné, seul dans une île déserte, vous lui diriez : Ne tâchez pas de former, avec des troncs d'arbre, un esquif que la tempête fera sombrer, attendez que le hasard amène près de vous un libérateur. — Moi, je lui dirais : Employez tous vos efforts à vous créer un navire ; lorsque votre navire sera terminé, jetez-vous y hardiment... Mais, enfin, que reste-t-il de cet enchaînement de petits faits et de petites peines ? Une chose immense pour moi. En 1833, l'empereur et son fils étaient morts. Il n'y avait plus d'héritier de la cause impériale ; la France n'en connaissait plus aucun... Pour le peuple, la lignée était rompue. Tous les Bonaparte étaient morts. Eh bien ! j'ai rattaché le fil. Je me suis ressuscité de moi-même.

C'est certainement la reine Hortense qui comprit la première, qu'en Europe, les Bonaparte devaient chercher leur appui du côté des peuples. Le grand homme avait dicté, de Sainte-Hélène, ce conseil suprême. La reine, qui était capable de penser par elle-même, le recueille et le retourne avec la désinvolture d'un machiavélisme tout féminin : Soyez toujours aux aguets, écrit-elle à ses fils ; surveillez les occasions propices... Soyez les amis de tout le monde... Il est si facile de gagner l'affection du peuple. Il a la simplicité de l'enfance. S'il voit qu'on s'occupe de lui, il laisse faire ; ce n'est, que quand il croit à l'injustice et a la trahison qu'il se révolte... Mais il n'y croit jamais, si on lui parle avec sympathie et douceur. C'est toujours Jacques Bonhomme[2].

En France, sous la Restauration, la cause du peuple, c'était la cause de la Révolution. Le parti bonapartiste se rapproche du parti libéral ou républicain. Quand les Bourbons furent remplacés par les d'Orléans, ceux-ci oublièrent vite leurs origines : un gouvernement ne peut pas rester du côté de l'émeute. Les Bonaparte se trouvaient donc la seule famille déchue qui pût lier sa cause à celle d'une opposition irréductible. La reine Hortense disait avec orgueil au roi Louis-Philippe : Nous sommes, nous, les rois populaires. Mais cela ne pouvait durer qu'autant que les Bonaparte ne régneraient pas. S'ils régnaient, ils devaient se retourner, eux aussi, contre leurs origines. La politique intérieure bonapartiste était donc nécessairement contradictoire et sans avenir.

Il n'en était pas de même de leur politique étrangère. En Europe, la cause des peuples, c'était celle des nationalités. On trouvait là, tout à la fois, une grande Liche et des appuis considérables. Battre le rappel des indépendances, c'était réclamer, pour la France, le rôle de soldat de l'idée qu'elle a joué si souvent dans le monde. C'était pousser, une fois encore, à travers l'Europe, les conséquences des principes révolutionnaires. Le bonapartisme représentait donc surtout une politique extérieure.

Le lendemain du jour où Napoléon Ier tomba, les peuples, qui l'avaient tant haï, s'étaient réveillés bonapartistes. Louis-Philippe, proclamant la politique de non-intervention, suivait dans ses relations internationales le système qu'il appliquait dans sa politique intérieure : enrayer le mouvement en paraissant le servir. Cette attitude de la France avait été, pour les peuples éveillés par le coup de trompette de 1830, la plus cruelle désillusion. Louis-Philippe, dit le professeur italien Diego Soria, voulant se faire pardonner par les rois de l'Europe une couronne qu'ils lui reprochaient d'avoir usurpée, n'était pas éloigné de leur offrir, en échange de son crime, la liberté de tous les peuples : service magnifique que lui seul pouvait rendre, comme souverain de cette même France sur laquelle se reposaient follement tous les peuples libres de l'Europe.

Louis-Philippe, fils des barricades et descendant des vieilles dynasties européennes, était donc destiné à n'avoir aucune politique extérieure. C'est par là que son règne, d'ailleurs sage et prospère, devait périr. Et il avait contre lui l'opposition permanente d'un parti qui comptait, dans ses souvenirs, Austerlitz et, dans son programme, la liberté des peuples ; d'un parti qui était tout politique extérieure, tout propagande, intervention et gloire, le parti bonapartiste !

Les événements et les calculs assez courts des politiques préparèrent l'avènement du nouveau Napoléon. Louis-Philippe avait ramené les cendres de l'empereur, et il avait permis ainsi à l'héritier du nom de répandre dans le public cette proclamation dont tout l'effet se résumait dans la date : Citadelle de Halo, le 15 décembre 1840, et dans cette phrase : Un vaisseau français, conduit par un noble jeune homme, est allé réclamer vos cendres (il s'adresse à l'empereur Napoléon). Mais c'est en vain que vous cherchiez sur le pont quelqu'un des vôtres : votre famille n'y était pas.

A l'extérieur, d'autres faits s'étaient accumulés : la délivrance de la Grèce, l'impression profonde produite par les Prisons de Silvio Pellico, éveillant l'attention sur les malheurs de l'Italie, la campagne menée dans toute la presse libérale en faveur de la Pologne, c'étaient autant de prodromes indiquant l'importance qu'allait prendre la cause des nationalités. Par contre, dans des circonstances qui intéressaient l'honneur ou le prestige de la France, le gouvernement de Louis-Philippe avait laissé percer l'embarras d'une politique faite d'atermoiements et de faiblesse.

En Belgique, on n'avait osé accepter un trône : dans l'affaire d'Égypte, ou avait reculé devant la coalition européenne ; dans l'affaire Pritchard, on avait courbé la tête. La plus belle armée de l'Europe s'épuisait dans la conquête de l'Algérie, legs de la Restauration. En un mot, le gouvernement de Juillet, sans allié et sans programme, mettait l'enthousiasme français au régime de la désillusion.

Quel contraste avec la légende napoléonienne, dont la littérature et la presse rappelaient sans cesse les triomphes et ennoblissaient jusqu'aux désastres !

Lamartine avait prononcé le fameux mot : La France s'ennuie. Mais, en 1848, le gouvernement provisoire n'avait ni pu ni voulu reprendre la tradition révolutionnaire.

L'héritier de cette tradition ne pouvait donc être qu'un Napoléon, et le prétendant lançait, dans les Idées Napoléoniennes, la formule de la politique extérieure bonapartiste : La politique de l'empereur consistait à fonder une association européenne solide, en faisant reposer son système sur des nationalités complètes et sur des intérêts généraux satisfaits.

Cette formule était une critique, mais était aussi un engagement. Cela voulait dire qu'on reprendrait, en sens inverse, l'œuvre de la Sainte-Alliance : on attribuait ce mot ii Napoléon Ier, parlant des souverains alliés et du Congrès de Vienne : Ils m'ont volé mon idée. On répétait la phrase du Mémorial de Sainte-Hélène : Une de mes plus grandes pensées avait été l'agglomération, la concentration des mêmes peuples géographiques qu'ont dissous, morcelés les révolutions et la politique. J'eusse voulu faire, de chacun de ces peuples, un seul et même corps de nation... Le premier souverain qui, au milieu de la première grande mêlée, embrassera, de bonne foi, la cause des peuples, se trouvera à la tête de toute l'Europe et pourra tenter tout ce qu'il voudra[3].

Donc, on déchirerait les traités de 1815. Avec de telles paroles et de telles promesses, on enflammait la France.

 

Quand le prétendant devint empereur, il fallut la satisfaire. On peut dire, de l'empereur Napoléon III, qu'il avait, d'avance, affiché sa politique extérieure sur les murs. C'est ce qui explique, probablement, que son règne n'a pas eu de diplomatie. Ses diplomates, comme Morny, il les employait à l'intérieur, là où étaient ses embarras journaliers. Mais, au dehors, son action fut simpliste, comme la pensée des peuples auxquels il faisait appel. La guerre de Crimée, la guerre d'Italie, la guerre d'Allemagne sont les trois actes d'une trilogie, à peine interrompus par les épisodes sanglants de Chine et du Mexique.

La force de cette politique propagandiste en Europe était telle que Napoléon III fut, un instant, l'arbitre des puissances, parce qu'il avait avec lui les peuples. S'il eût été toujours vainqueur, il eût entraîné les libéraux de tous les pays, même ceux de France. Beaucoup d'entre eux, et des plus réservés, comme Henri Martin, Edgar Quinet, furent séduits lorsqu'il annonça sa volonté de délivrer l'Italie, tant le sentiment de solidarité internationale était puissant alors[4].

Mais la diplomatie traditionnelle, dont Napoléon III déroutait toutes les mesures, devait prendre sa revanche. Elle endigua, par de lentes combinaisons souterraines, le torrent révolutionnaire et impérial, de même que les savants calculs des stratégistes classiques devaient avoir raison de la furia francese.

Napoléon, insurgé contre l'Europe, crut trouver un point d'appui dans l'alliance anglaise. L'Angleterre, toute à ses intérêts commerciaux, grandit par le concours du neveu de l'empereur qu'elle avait vaincu. Elle l'accompagnait, au début, dans toutes les aventures, quitte à l'abandonner quand il était une fois bien engagé. Elle savait l'arrêter au moment décisif, et lui arracher, le cas échéant, les bénéfices de sa victoire. Il en fut ainsi en Crimée, en Chine, en Italie, au Mexique. Et engin, quand la guerre franco-allemande mit en suspens le sort de l'Europe, elle lui manqua encore.

Quant aux autres grandes puissances, elles avaient toutes à se plaindre de la turbulence napoléonienne et française. Pour la Russie, le grief, c'était la Pologne ; pour l'Autriche, le grief, c'était l'Italie. La Prusse, enfin, qui s'était réservée longtemps, avait en des inquiétudes croissantes, lors de l'affaire des duchés, à l'époque de sa campagne si risquée de Sadowa, dans l'affaire du Luxembourg. Elle était, d'ailleurs, la rivale désignée de la France, dans une question capitale où la diplomatie traditionnelle reprenait tous ses avantages : la question du Rhin.

C'est une vieille querelle. Elle touche à la constitution même de l'Europe. En germe dans la succession de Charlemagne, elle trouve son point de départ, dans l'histoire moderne, lorsque s'ouvrit une autre succession dont le litige n'est pas encore réglé : l'héritage de Bourgogne.

En Europe, la vallée du Rhin et de la Meuse a une physionomie à part. Ce vaste territoire est un des plus peuplés et des plus riches du monde. Là, vivent des populations actives, douces, intelligentes, industrieuses. Là, parurent, d'abord, les grandes œuvres et les grandes inventions qui donnèrent l'élan à la civilisation moderne : la peinture à l'huile, l'imprimerie. Il n'y avait pas, au XVe siècle, de pays plus civilisé que la vaste domination qu'on appelait alors les Bourgognes.

Entre la France et l'Allemagne, cet empire, dont la gloire est peu connue et dont l'histoire expliquera, un jour, celle de l'Europe, cet empire formait comme un puissant tampon. Mais il avait ses causes de faiblesse intimes. Les principales étaient sa forme trop allongée et le manque d'accès commode vers la mer. Quoi qu'il en soit, par les imprudences de Charles le Téméraire, l'existence de cette domination intercalaire fut compromise, et, quand il mourut, sa fille, Marie de Bourgogne, vécut assez pour poser, par ses dissentiments avec Louis XI et par son mariage avec Maximilien d'Autriche, le grave problème dont souffre encore l'Europe. Louis XV disait, avec raison, en visitant, à Bruges, le tombeau de Marie de Bourgogne : Voilà le berceau de toutes nos guerres.

Cette autre Pologne fut démembrée. L'Allemagne et la France se disputent, depuis quatre siècles, ses débris.

Du côté de l'Allemagne, l'Autriche et la Prusse ont dirigé Successivement la campagne, tandis que la France est seule, de son côté.

Quand la doctrine des nationalités eut fait le tour de l'Europe et qu'après avoir délivré les principautés danubiennes, unifié la Grèce et l'Italie, agité la question polonaise, elle commença à soulever l'Allemagne, la politique impériale fut prise au dépourvu.

Les principes étaient eu opposition avec les intérêts. S'abandonnerait-on au courant, et laisserait-on se constituer, à nos portes, une nationalité allemande, comme on avait aidé il la constitution d'une nationalité italienne ? L'empereur Napoléon crut, d'abord, qu'il pourrait rester logique avec lui-même.

Eu 1863, au moment où l'affaire des duchés posait la question de l'unité allemande, il disait : Je serai toujours conséquent dans ma conduite. Si j'ai combattu pour l'indépendance italienne, si j'ai élevé la voix pour les nationalités polonaises, je ne puis pas, en Allemagne, avoir d'autres sentiments ni obéir à d'autres principes[5]. Mais, c'était donner une singulière force à la puissance qui prenait l'initiative de cette œuvre, comme le Piémont l'avait prise en Italie, c'est-à-dire à la Prusse : c'était organiser et discipliner, pour un élan nouveau, les forces de l'Allemagne, et, la Prusse étant maitresse des provinces rhénanes, c'était rouvrir, dans des conditions plus dangereuses que jamais, cette redoutable querelle de l'héritage de Bourgogne, qu'on avait eu tant de peine à clore avec l'Autriche.

On voyait donc reparaître le vieux problème européen. Après avoir suivi la doctrine brillante et populaire des nationalités, on se retrouvait, avec effroi, devant la politique traditionnelle de la lutte pour la domination sur le continent.

Tout manquait à la fois à l'empereur Napoléon III. Il n'était plus maître de sa politique intérieure : on peut dire qu'il avait abdiqué son système, le jour où il avait donné les mains à la constitution de l'empire libéral. Mais il perdait toute raison d'être, le jour où il voyait se tourner contre lui le principe qui, en Europe et, par contrecoup, en France, avait fait tout son prestige et toute sa force : le principe des nationalités.

 

Sa diplomatie désemparée se débattit péniblement dans cette difficulté inextricable. Il ne sut même pas préparer la guerre, que tout le monde sentait prochaine. Il reconnait lui-même, dans les Mémoires justificatifs publiés en son nom[6], qu'au moment où l'habile tactique de M. de Bismarck mit la politique française dans son tort et l'accula à la déclaration de guerre, les effectifs étaient insuffisants, l'armement en voie de transformation, le haut commandement mal préparé.

Les Souvenirs de M. de Bismarck ont établi, maintenant, qu'il voulait la guerre ; il dénatura les faits, altéra des documents importants[7] pour arriver à ses fins ; cette révélation tardive justifie l'observation qui fut rappelée au moment même où les hostilités éclatèrent : Le véritable auteur de la guerre n'est pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire.

 Mieux préparés et plus tôt prêts, les Prussiens écrasèrent les armées françaises pendant leur formation. Après deux batailles malheureuses, nos lignes étaient forcées et le territoire national était envahi.

Mais rien n'était définitivement perdu. La France avait, autour de Metz, une armée encore redoutable et, à Châlons, des forces, manquant peut-être de cohésion, mais sur lesquelles on pouvait compter. Il fallait ramener ces troupes sous Paris, afin de couvrir la capitale. La régence s'opposa à cette mesure de salut. On craignait le retour à Paris de l'empereur vaincu. Mac Mahon hésitait. Suivrait-il sa propre inspiration : rétrograder vers la Seine ; ou obéirait-il aux injonctions du pouvoir politique : marcher au nord-est, pour opérer sa jonction avec Bazaine ? Un télégramme du maréchal Bazaine, qui annonçait une pointe sur Montmédy, le décida[8]. Il ne songea plus qu'à venir en aide à son collègue. L'union des deux forces eût été formidable. Mais les armées prussiennes gagnèrent Mac Mahon de vitesse. Au lieu de joindre Bazaine, l'armée de Châtions alla s'engouffrer dans l'entonnoir de Sedan où, après une résistance héroïque, elle fut écrasée.

A Sedan, Napoléon III ne rendit pas seulement son épée, il brisa sa couronne. En droit, l'empereur étant prisonnier, il n'y avait plus de gouvernement. Il reconnaît lui-même qu'il était, par la force des choses, privé des droits qu'il tenait de la nation. D'autre part, le décret qui conférait la régence à l'impératrice, ne déléguait à celle-ci qu'une partie de l'autorité. Ainsi, de l'aveu de tous, la catastrophe de Sedan ouvrait une crise gouvernementale ; selon l'expression de M. Thiers, il y avait vacance du pouvoir.

L'impératrice avait convoqué les Chambres sans même consulter l'empereur ; tant il est évident que, dans de telles circonstances, le gouvernement impérial avouait lui-même son impuissance. Quand le Corps législatif eut été envahi et que l'impossibilité fut démontrée de faire aboutir la proposition Thiers sur la constitution d'un conseil de défense pris dans l'assemblée, quand l'impératrice eut quitté les Tuileries, qui donc allait gouverner la France, tenter de repousser l'invasion, organiser la défense de Paris ?

La révolution s'accomplit d'elle-même, et en vertu d'une nécessité suprême. Elle se produisit, d'ailleurs, sans qu'une goutte de sang ait été versée, sans qu'une personne ait été privée de sa liberté. C'est ce qui permit à M. Jules Favre d'affirmer, dans sa circulaire du 6 septembre aux représentants de la France à l'étranger, que la population de Paris n'a pas prononcé la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie, mais qu'elle l'a enregistrée au nom du salut public.

 

II

C'est dans ces conditions, au milieu d'une inévitable confusion, que fut constitué le gouvernement de la Défense nationale. Les hommes du 4 Septembre canalisèrent la révolution en contenant les violents. Ils eurent raison de dire : Nous ne sommes pas au pouvoir, mais au péril.

Paris a l'habitude de gouverner la France. Depuis des siècles, dans ce pays centralisé, le mot d'ordre vient de la capitale. Aussi, dès les premiers moments, personne no s'étonna de voir Paris s'emparer, en quelque sorte, du pouvoir vacant et le confier à ses représentants.

Paris était, d'ailleurs, dans une situation exceptionnelle. Place forte, camp retranché, rouage indispensable à la vie normale de la nation, il allait devenir bientôt l'objectif principal des armées ennemies. A tort ou à raison, on s'arrêtait à l'idée que Paris enfermait, dans ses murs, le salut et l'honneur du pays. Celui-ci n'était pas encore habitué à la défaite. Personne ne songeait aux futures campagnes qui devaient se poursuivre sur la Loire, dans le Nord, dans l'Est, dans le Centre. Paris était l'espoir suprême et la suprême pensée.

A l'Hôtel de Ville, le 4 septembre, on constitua donc moins le gouvernement de la France qu'un grand conseil local, chargé de disputer aux Prussiens les murs de Paris. Cette décision, si naturelle qu'elle fût, devait avoir, dans l'avenir, les plus graves conséquences.

Les hommes qui se trouvaient ainsi portés si soudainement au pouvoir, étaient incontestablement animés des sentiments du plus pur patriotisme : quelques-uns avaient acquis, dans les assemblées délibérantes, une grande réputation ou une certaine notoriété. Ils étaient des serviteurs dévoués de la démocratie. Ils savaient parler au peuple. La lutte tenace qu'ils avaient soutenue contre l'empire ajoutait à leur crédit : car les événements leur donnaient raison.

Mais ces députés, ces publicistes, ces hommes de parti, n'avaient pu acquérir aucune expérience ; ils ne savaient rien de la direction des affaires publiques. Si, parmi eux, il existait un véritable homme d'État, il s'ignorait lui-même.

Le seul recours, pour la France, dans les circonstances terribles qu'elle traversait, c'était ou une victoire inespérée, ou une heureuse négociation. Or, le gouvernement plaçait à sa tête un général qui n'avait pas foi dans la victoire. Il confiait sa diplomatie à un admirable orateur qui, le lendemain même de son entrée en fonctions, inquiétait l'Europe en proclamant les principes révolutionnaires et fermait la porte à toute négociation pratique en s'adressant à la France plus qu'aux chancelleries ; en tenant un langage, fier assurément, mais qui, dans sa bouche, ne pouvait qu'engager inutilement l'avenir.

Les origines mêmes de ce gouvernement lui firent commettre l'une de ses fautes les plus graves. Au lieu de laisser Paris, menacé d'investissement, se défendre et d'aller en province pour y organiser la résistance, il se laissa enfermer dans une forteresse assiégée, n'envoyant, tout d'abord, à Tours, qu'une délégation sans autorité et sans prestige.

On a dit pie tous les membres du gouvernement voulaient partager le péril commun, et que, quitter Paris, c'était le livrer à l'anarchie. Mais le premier devoir d'un gouvernement n'est pas de combattre, c'est de gouverner. On eût pu laisser le commandement de la place assiégée à un général dont l'autorité eût été probablement moins discutée.

Peut-être eût-on ainsi évité la journée du 31 octobre, l'échec de l'armistice négocié par M. Thiers et, plus tard, le drame de la Commune. Qui sait : Libre de ses mouvements, M. Jules Favre eût peut-être ému l'Europe à la conférence de Londres ? Quant à la province qui, dans le péril commun, offrait encore les ressources nécessaires pour prolonger la lutte, elle se fût groupée, sans difficulté, autour d'un gouvernement qui se fût rapproché d'elle.

Paris assiégé, le gouvernement enfermé, c'était le pays entier livré au hasard de l'improvisation et au caprice des événements. C'est une leçon qui doit se dégager de ces faits poignants : le gouvernement d'un peuple qui lutte pour son existence, doit être libre ; dût-il reculer dans la dernière province, ou même passer la frontière, il ne doit pas s'exposer aux fièvres obsidionales, ni se laisser acculer aux capitulations.

 

Quand le gouvernement fut constitué, il se trouva en présence d'un devoir impérieux : mettre Paris en état de défense, et d'un problème redoutable : continuerait-on la guerre ?

Il s'acquitta sans défaillance de son devoir militaire. Grâce à ses efforts, Paris put étonner le monde par son héroïque résistance.

Maintenant, fallait-il traiter ?

Une question subsidiaire se posait immédiatement : le gouvernement du Septembre avait-il l'autorité nécessaire pour conclure la paix ? Pouvoir de fait, son existence n'avait pas été ratifiée par le suffrage universel, base du droit public, en France, depuis 1848. Les puissances, il est vrai, entraient en relations avec lui. Mais ce n'était là qu'une nécessité de la situation. Quant au vainqueur, il avait tout intérêt à multiplier les pourparlers avec tous ceux qui se prétendaient autorisés. Par ce marchandage, il n'avait eu vue que ses propres intérêts. Son arbitrage entre les différentes compétitions eût été la pire des consécrations.

Donc, préalablement à toute négociation, il eût fallu convoquer, sans délai, une assemblée constituante. Ici encore, le droit se heurtait aux faits. Si on consultait le pays, comment les provinces envahies pourraient-elles exprimer librement leurs votes ? Elles ne le feraient qu'avec le consentement de l'envahisseur. Mais celui-ci, pour donner son adhésion, exigerait, avant tout, la signature d'un armistice. Or, pour conclure cet armistice, il fallait accepter les conditions, déjà rigoureuses, posées par le vainqueur.

Il ne serait donc pas exact de prétendre :

1° Que si l'empire avait survécu au désastre de Sedan, il dit immédiatement conclu la paix ;

2° Et que, si le gouvernement de la Défense nationale avait, dès sa constitution, mis fin à la guerre, il eût sauvé l'intégrité du territoire.

A peine arrivé au ministère des affaires étrangères, le 16 août, le prince de La Tour d'Auvergne disait à lord Lyons, ambassadeur d'Angleterre, qu'il y avait deux conditions indispensables à la paix : le maintien des frontières actuelles et celui de la dynastie. D'autre part, le 3 septembre, après avoir annoncé au Corps législatif la catastrophe de Sedan et la captivité de l'empereur, le comte de Palikao, président du conseil, déclarait que la France ne cesserait ses efforts qu'après avoir expulsé les Prussiens du sol national. Donc, le gouvernement impérial agonisant professait, sur la question de la paix ou de la guerre, les mânes idées qui furent bientôt proclamées si hautement par M. Jules Favre.

Enfin, il est certain que, dès ses premiers succès, la Prusse était décidée à ne pas traiter sans obtenir une importante cession territoriale.

Quand Napoléon III se constitua prisonnier, la question de la paix l'ut soulevée incidemment. A cette époque déjà, M. de Bismarck indiquait, comme conditions, la cession de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine et le paiement d'une indemnité de quatre milliards. Un acte, plus caractéristique encore, est le décret du 14 août 1870, nommant le comte de Bismarck-Böhlen gouverneur général de l'Alsace[9].

A cette date, l'état-major général prussien publia une carte assignant à peu près, comme limites au nouveau gouvernement, celles qui devaient être inscrites dans le traité des préliminaires de paix. Ce fut cette carte, la fameuse carte au liseré vert, qui servit de base aux futures négociations, et elle est visée expressément dans l'article premier du traité de paix. Les résolutions, sinon de la chancellerie, du moins de l'état-major prussien étaient donc fixées, dès que les premiers succès militaires furent obtenus[10].

La vérité est que, pour traiter, le il septembre, il eût fallu sacrifier Strasbourg, qui tenait encore, et peut-être Metz, qui n'était pas même investie : Vainement le gouvernement de la Défense nationale eût mis sa signature au bas d'un tel document ; le soulèvement de la colère publique l'eût déchiré.

D'ailleurs, les hommes du 11 Septembre avaient reçu de la nation une sorte de mandat de désespoir. Ils ne pouvaient justifier leur existence que par la guerre à outrance.

Que l'on reproche à l'opinion de s'être laissée égarer par les grands souvenirs de 1792 et des années glorieuses où la France luttait, seule, contre les armées de l'Europe coalisée ; de n'avoir pas remarqué la différence du temps et des circonstances, cela peut se discuter. Mais, c'est aussi son honneur d'avoir pensé que la France ne devait pas se rendre dès le premier engagement et de s'être refusée à un sacrifice si cruel, tant qu'il restait une lueur d'espérance.

Strasbourg se défendait héroïquement. Bazaine, qui avait encore la confiance de tous, était à la tête d'une force considérable, la fleur des armées françaises. Il restait Paris, debout et en armes !

Ne désespérant pas de la continuation de la lutte, le gouvernement de la Défense nationale ne veut, cependant, se prononcer qu'à bon escient. Il entend connaître, de la bouche même du vainqueur, les conditions de la paix, ou du moins, d'un armistice. M. Jules Favre va, à Ferrières, les demander au comte de Bismarck. A Ferrières, l'accord ne peut s'établir : historiquement, une sorte de malentendu subsiste sur les conditions qui furent posées à M. Jules Favre par M. de Bismarck. Le gouvernement s'inquiète aussi de l'opinion de l'Europe et charge M. Thiers de le renseigner à cet égard. M. Thiers, qui n'avait pas cru devoir figurer dans le gouvernement de la Défense nationale, ne décline pas la mission qu'on lui confie[11].

L'Europe est émue des malheurs de la France ; mais elle a pris la résolution de ne pas intervenir directement entre les belligérants. La Russie et l'Angleterre facilitent, cependant, une nouvelle entrevue de M. Thiers avec M. de Bismarck.

Celle-ci a lieu à Versailles. M. Thiers dit qu'il crut deviner que deux milliards avec l'Alsace et une partie de la Lorraine, sans Metz, pourraient être les conditions d'une paix immédiatement signée. Il envisage, avec M. de Bismarck, l'éventualité d'élections faites immédiatement, sans armistice et sans ravitaillement ; mais la sédition du 31 octobre, à Paris, rompt ces pourparlers. La France, cependant, comprend l'étendue du désastre qui menace son intégrité. Sa colère patriotique s'en accroit. En province et à Paris, ce sont des efforts désespérés. Paris se laisse acculer à la famine. La province, où l'admirable ardeur de M. Gambetta l'éveille les courages et utilise toutes les forces disponibles, improvise des armées. On se bat encore partout, même quand Metz a capitulé. Successivement, les armées de la Loire, l'armée du Nord et l'armée de l'Est succombent.

Paris, enfin, réduit à la famine, doit se rendre. Sa chute est celle de la France.

Le 28 janvier 1871, un armistice est signé, pour la convocation à une Assemblée nationale qui aura pour mandat de se prononcer sur la continuation de la guerre ou la conclusion de la paix.

Un décret, daté du 29 janvier, et publié le lendemain à Paris et dans les grandes villes, convoque les électeurs pour le 8 février 1871.

Pendant cette courte période de dix jours, la France avait dû faire un retour sur elle-même. Elle avait pu se recueillir dans le sentiment des fautes commises, des douleurs présentes et dans l'inquiétude du jour obscur qui se levait.

Cette grande consultation nationale était donc comme un inventaire moral que la nation faisait de sa situation, de ses pertes, de ses forces, de ses espérances. Heures tristes, dont il faut cependant revivre les douleurs pour l'intelligence des événements et pour la leçon permanente de ceux qui n'ont pas vu ces choses.

La guerre et la défaite finale avaient ceci d'amer pour les hommes qui en furent les témoins, qu'ils avaient tous quelque chose à se reprocher : ils auraient pu dire, comme ce pape du XVIe siècle, parlant de la Réforme : Nous avons tous péché, tous. La France n'était pas seulement frappée, elle était punie.

Le plus cruel des châtiments, pour une nation unifiée, c'était le sentiment universel de la dissociation. Paris et la province, les provinces entre elles, par l'intermédiaire de Paris, vivent, depuis des siècles, d'une même vie et respirent du même rythme. Or, par suite du siège, on se sentait, les uns et les autres, isolés, perdus, sans contact et sans lien. Une famille dispersée donne mal l'idée de cet éparpillement, de cet effarement. La France avait dû se passer de Paris durant six mois : les provinces elles-mêmes n'avaient plus communiqué entre elles que par de rares messages, des bruits incertains, je ne sais quels lointains grondements du canon ou quels vols de pigeons passagers. La respiration commune avait cessé. Cette interruption était, à elle seule, une souffrance, une angoisse.

Rien ne peut rendre la vie haletante de ces dernières semaines, quand, les yeux tournés vers le ciel, on attendait la nouvelle, l'imprévu, le miracle, la victoire toujours prédite et jamais obtenue. Une sorte d'enthousiasme sans cesse déçu tendait les corps et les âmes jusqu'à la lassitude du soir et au mauvais repos des sommeils agités, interrompus par l'alerte des bruits imprévus ou par l'inquiétude du silence.

Dans cet isolement et dans cette attente, on se cherchait, on se réunissait par groupes sur les places, dans les rues vides, sous le ciel bas de janvier ; on commentait les rares dépêches, les proclamations du gouvernement de la Défense nationale, les phrases, toujours les mêmes : la retraite en bon ordre, la levée en masse, vaincre ou mourir. Les vieux hochaient la tête et les plus jeunes essayaient de comprendre, ayant, dans les yeux, l'étonnement de cette injuste et cruelle entrée dans la vie.

Paris manquait à la France. C'est comme si on lui eût enlevé la faculté de penser, pour ne lui laisser que celle de sentir et de souffrir. Le lent et sage esprit provincial, tombé de désillusion en désillusion, comprenait mal ce qui s'était passé.

Eh quoi ! après un règne si éclatant, une défaite si prompte ; puis, soudain, la ruine, la vie suspendue, huit mois de douleurs et de sacrifices, l'été s'achevant, puis l'automne, puis l'hiver, l'invasion s'étendant comme une tache d'huile, gagnant les villes, les bourgs, les villages, les hameaux ; l'arrivée des uhlans, avec le long manteau, le talpack, la lance ou la carabine au poing, par petits groupes furtifs et inquisiteurs, le pas de leurs chevaux sur le pavé désert ; les réquisitions, les logements, les promiscuités, le servilisme du sourire, les rages dans le cœur et les hontes bues ; puis, les alertes, les violences, le sifflement railleur du fifre, le roulement sourd des tambours plats, la pointe des casques, et le Wacht am Rhein montant de la plaine, les soirs de bataille.

Chaque famille était frappée, les fortunes détruites, cachées ou menacées, les maisons abandonnées, les champs déserts, les foyers décimés.

 Les hommes étaient partis : d'abord les soldats, puis les mobiles, les mobilisés, les gardes nationaux, les francs-tireurs. Parfois, on voyait revenir les éclopés, les malades, ou les prisonniers échappés d'une casemate, ayant traversé d'immenses contrées, la nuit, ayant passé des rivières in la nage, en plein hiver, pour venir mourir au foyer. Du fond des villages, le matin, on partait en cabriolet pour aller,  à la ville, chercher des nouvelles, et les nouvelles étaient toujours mauvaises : les femmes avaient dia prendre la direction des maisons et des affaires, et, même, dans le Nord et dans l'Est, faire tête à l'ennemi. Des provinces qui n'avaient pas vu la fumée des bivouacs étrangers depuis la guerre de Cent ans, étaient occupées depuis de longs mois. Les mères couvaient leurs grands garçons des yeux, en se demandant s'ils devaient être eux aussi, demain, une proie pour la mort.

Ces douleurs s'étaient enfoncées, à coups répétés, dans le cœur de la province, et elle se demandait si elle avait été bien conduite, si ce brillant et lumineux Paris avait fait tout son devoir. On était en méfiance, maintenant. Et, d'ailleurs, il n'exerçait plus la dictature journalière de sa presse, de ses idées, de sa séduction. On était sans nouvelles de lui. On ne savait ce qu'il était devenu.

Les premiers détails propagés, dès que les portes avaient été ouvertes, furent écoutés avidement. Un immense récit s'échangea, d'un bout à l'autre du pays, sur ce qui s'était passé durant la longue séparation.

La province avait beaucoup souffert ; mais Paris avait souffert plus encore. Paris assiégé, Paris, sans air, serré derrière ses forts, dans sa ceinture de murailles, Montrant dans sa fierté et ses colères vaines, rien que cette idée avait quelque chose de terrible. Deux millions cinq cent mille hommes emprisonnés pendant cinq mois, on n'avait jamais rien vu de tel sur la terre. Paris avait été accablé de lui-même, de sa foule, de son poids, de son inaction : il avait volontairement subi celle peine : mais au prix d'une dépense nerveuse qui l'avait affolé.

Entre la résolution sombre et résignée de la province, et la fureur, d'abord calme, puis irritée de Paris, il y avait un désaccord.sur lequel on s'expliqua mal et en bitte. Paris racontait l'étranglement du siège, l'enthousiasme des premiers jours, la foi dans les hommes nouveaux, l'élan de tous et le sacrifice unanime auquel on était prêt, tout le monde au rempart, le képi de M. Victor Hugo symbolisant cette situation ; les proclamations du gouvernement, lues d'abord avec enthousiasme, puis avec surprise, puis avec ironie, la demande générale et continuelle de sortie en masse, les hésitations des chefs, le fameux plan du gouverneur, les déceptions croissantes, les violences des partis extrêmes, la discorde s'installant dans la place assiégée, la chute graduelle des hommes populaires ; puis l'attente, les espérances toujours en éveil et toujours déçues, les yeux se tournant aussi vers le ciel, attendant, l'arrivée des pigeons voyageurs, messagers de la délivrance on de la victoire ; les lettres microscopiques lues et relues par groupes, et disant si peu, et toujours trop : Bazaine, Chanzy, Faidherbe, Bourbaki ; les acclamations d'un jour, les silences du lendemain ; enfin, le ronflement, dans la nuit, des premiers obus apprenant le bombardement auquel on ne croyait pas, l'indignation, la joie sombre, les enfants courant par les nies après les éclats d'obus : Paris se portant, le dimanche, vers les quartiers Où pleuvaient les projectiles, le déménagement de toute la rive gauche, les hôpitaux et les édifices publics bombardés, les obus à Saint-Sulpice, à la Salpêtrière et au Panthéon ; puis la faim, les viandes étranges : le chat, le rat, l'éléphant du Jardin des Plantes, lo prix des vivres, le pain noir, les rations, les longues attentes aux portes des bouchers et des boulangers, le manque de chauffage, les arbres du Bois et des squares abattus, les rues noires la nuit, les épidémies, la mortalité croissante, dix mille hommes fauchés, les faibles, les enfants frappés d'abord — et combien qui, se sentant atteints, allaient traîner dans les familles une misérable agonie, — la naissance maudite de ceux qui étaient nés dans ces jours noirs :

... Ah ! nouvelle venue innocente et rêvant,

Vous avez pris, pour naître, une heure singulière ;

enfin, la fureur et le désespoir de sentir qu'on ne faisait rien, qu'on ne pouvait rien peut-être, les convulsions impuissantes de l'agonie, Champigny, Buzenval, les paroles imprudentes : Mort ou victorieux, le gouverneur de Paris ne capitulera pas, et la rancœur finale de la capitulation, avec le sen-ment vague que tant d'efforts et de sacrifices avaient été inutiles.

Ces confidences se croisaient tristement, par menus faits précis, dans chaque famille à peine rapprochée, avec les larmes, les deuils privés, la pensée de ceux qui étaient Et-bas prisonniers, et l'alarme sur ceux dont on ne savait pas ce qu'ils étaient devenus, et qui ne reviendraient jamais.

Mais, au-dessus de tout, planait, comme une clameur sourde, et une plainte faite de toutes les plaintes, le deuil de la patrie.

Tout n'avait donc été qu'aveuglement et désillusion ! Aveuglement des soldats : ces vieilles bandes d'Algérie, de Crimée et d'Italie aux drapeaux intacts, n'avaient connu que les défaites et les capitulations ! Aveuglement des patriotes : en vain, ils avaient eu foi aux formules révolutionnaires, les levées en masses, les enrôlements volontaires, les troupes franches, les gardes nationales, et la Marseillaise ! Aveuglement des humanitaires : ils n'en revenaient pas de cette fureur soldatesque, alors qu'ils avaient gardé si longtemps la foi dans la paix, et entretenu la légende de l'Allemagne sentimentale et rêveuse. Aveuglement sur les faits : on n'avait jamais voulu croire ù la défaite, même après Frœschwiller, même après Sedan, même après Metz ; on avait vécu dans un rêve duquel on attendait, chaque matin, le réveil glorieux, et l'odieux cauchemar n'avait fait que s'épaissir. Aveuglement sur les idées : on avait cru au devoir secourable de la France envers les autres nations, aux nationalités relevées, aux populations délivrées et reconnaissantes. Maintenant, l'œuvre accomplie se retournait contre nous. Aveuglement sur l'Europe : on se croyait aimé, on était haï. La France eût pu répéter les paroles du Christ : Seigneur, Seigneur, vous m'avez abandonné. Le monde était rempli de l'apothéose de Bismarck. Le général Trochu, le chef responsable de la défense, a dit lui-même que, jusqu'à la dernière heure, il avait cru à l'intervention de la république américaine... Quand les portes de Paris furent ouvertes, il prit connaissance des télégrammes du président Grant.

Imprévoyance, incapacité, ruine, triomphe de la force sur le droit, allotissement d'un peuple comme d'un troupeau, sans consultation préalable, quel réveil !

Ainsi, cette génération, le sens de la vie apparaissait comme retourné, tant sa naïve inconscience avait désappris l'histoire. Les braves cœurs étaient encore plus malheureux que les autres ; ils étaient accablés et ils se sentaient un peu ridicules.

Car la grande douleur, pour un peuple vif et sensible, c'était le contraste des espérances et des résultats. Hier, on croyait la France si grande ; on la Voyait si belle ! On pensait que, même vaincue, elle défendait la cause du genre humain : Edgar Quinet l'écrivait encore, le 9 septembre 1870. Ce n'étaient pas seulement les courtisans de la dynastie, c'était tout le monde les poètes, les prêtres, les philosophes, les historiens, les prophètes, les révolutionnaires, les proscrits qui le disaient, le répétaient sans cesse. Et voilà, elle était là, pantelante. Ah ! le cri de douleur comprimé dans toutes les poitrines, quand on pensait que c'était cela qu'on avait fait de la France !

Et maintenant, il fallait vivre ; il fallait recommencer à vivre. Le pourrait-on seulement ? Pourrait-on ramasser les débris, se reconnaître parmi les ruines ; retrouverait-on des forces, du sang, quand il en avait tant coulé ! L'ennemi était partout. Sa silhouette veillait sur le malheur et contenait les douleurs trop vives. Il vivait abondamment, installé pour longtemps. Les villes étaient appauvries, ne connaissant plus que le papier monnaie ; la rançon allait être énorme ; les bras manquaient, les hommes étaient encore au loin. Et puis, tout cela n'était rien. Comment accepter le sacrifice suprême, le démembrement dès lors entrevu, les deux sœurs arrachées au foyer, la séparation imposée et qu'il fallait sanctionner polir avoir la paix ? Qui oserait débattre le cruel sacrifice, signer l'acte impie ? Les esprits s'abandonnaient aux sentiments divers, allant de l'abattement à la détermination farouche. La France n'était plus elle, et on sentait gronder en elle, par sa dissociation même, une autre crise suprême, au moment où elle était obligée, de reprendre possession de ses sens et de se donner un nouveau gouvernement.

 

III

C'est dans ce sentiment d'affreuse douleur et d'inquiétude plus affreuse encore que s'étaient faites, sous l'œil de l'ennemi, les élections du 8 février 1871.

Dans quarante-trois départements, les communications postales étaient interdites, et la circulation, dans les départements occupés, était à peu près impossible. Sur cette partie du territoire, c'est par les soins des autorités allemandes que furent affichés les décrets électoraux !

Comment, dans l'universel désarroi, aurait-on pu se concerter sur les institutions à donner à la France ? Comment, dans l'universelle douleur, eût-on pu s'arracher à la préoccupation instante qui accablait tous les esprits ? Paix ou Guerre, il ne pouvait être question d'autre chose. C'est à peine si on entrevoyait un lendemain.

Aussi, la France, pressée par le temps, se renferma-t-elle, le 8 février 1871, dans le dilemme posé par l'article 2 de la convention d'armistice : L'armistice ainsi conclu a pour but de permettre au gouvernement de la Défense nationale, de convoquer une assemblée librement élue qui se prononcera sur la question de savoir si la guerre doit être continuée ou à quelles conditions la paix doit être faite.

En province, on ne songea guère à autre chose. A Paris seulement, les candidats publièrent des professions de foi. En face des proclamations belliqueuses de quelques-uns, on affichait les listes intitulées franchement : Listes de la paix[12].

Voici donc le grand débat qui s'engage devant le pays, et qui, pour ainsi dire, domine tout le reste : Guerre ou Paix ; la question politique est au second plan. Cependant, elle se trouve rattachée à la première, par le fait que les chefs du parti républicain se sont déclarés fermement pour la guerre à outrance.

Les républicains pensaient qu'il y avait encore un effort à faire ; ils étaient d'avis que la chute de Paris n'engageait pas la France. Ils comptaient sur la difficulté qu'aurait l'ennemi à couvrir, de ses troupes, la France entière ; ils calculaient que l'Allemagne elle-même aurait de la peine à continuer longtemps un effort qui la déversait, pour ainsi dire, toute, sur la France. Ils évoquaient les souvenirs de la guerre de guérillas ; ils comptaient sur une défense plus âpre, dans le Morvan, sur le plateau central, en Auvergne, dans les places du Nord ; ils voulaient intéresser, davantage encore, le Midi et l'Ouest à la lutte : ils pensaient que les hommes d'Etat allemands, inquiets de la prolongation des hostilités, n'ignorant pas qu'ils pouvaient difficilement accroître leurs exigences, sentiraient eux-mêmes qu'ils avaient intérêt à la paix ; on croyait aussi que l'Europe allait s'émouvoir ; en un mot, on ne se décidait pas à rompre avec les précédents fameux des époques révolutionnaires. Guerre à outrance, résistance jusqu'à complet épuisement, disait une des dernières circulaires de M. Clément Laurier, directeur général du personnel, aux préfets ; le temps de l'armistice va être mis à profit pour renforcer nos trois armées en hommes, en munitions et en vivres... Ce qu'il faut à la France, c'est une Assemblée qui veuille la guerre à outrance et qui soit décidée à la faire.

Ce langage enthousiaste ne produisait plus d'effet, il faut bien le reconnaitre, sur la grande masse du pays. Pour agir, la France a besoin d'espérer et elle a besoin d'être gouvernée. L'espoir manquait et l'autorité était discutée. Un peu partout, sous la direction du clergé et des autorités municipales et cantonales, mécontentes de la dissolution des conseils généraux, prononcée au mois de décembre 1870, se formèrent des comités qui dressèrent des listes de coalition sur une seule formule : la paix.

On fut ainsi amené, dans nombre de départements, à choisir, parmi les notoriétés locales, des hommes connus, désignés par leur âge, leur expérience, leur situation, leur fortune, et aussi par leur incontestable honorabilité. Par la force des choses, les électeurs se trouvèrent portés vers une catégorie de candidats animés, pour la plupart, de sentiments modérés et libéraux, mais inclinant également, par leur passé, leurs traditions, la réserve même où ils s'étaient tenus jusque-là, vers le principe monarchique. On ne leur avait pas demandé leur drapeau ; il suffisait qu'ils arborassent le fanion blanc des parlementaires.

Le pays, en effet, n'avait, pour ainsi dire pas, d'autres ressources en hommes.

La série des révolutions qu'il avait traversées dans le cours du siècle, l'avait divisé en quatre grands partis rivaux : les bonapartistes, les républicains, les orléanistes, les légitimistes.

A ne considérer que le plébiscite du 8 mai 1870, le parti impérialiste devait être le plus nombreux dans le corps électoral. Ses chefs occupaient partout, dans les campagnes et dans les bourgs, la plupart des situations officielles : maires, conseillers généraux et municipaux, notables. Dans les grandes villes seulement, ils avaient disparu, dès le 4 septembre. Cependant, les hommes influents restaient dans le pays. Ils avaient accoutumé de mener le suffrage universel it leur gré. Mais, précisément, parce qu'ils commandaient au nom du pouvoir, ils avaient le pli de l'obéissance. Toute l'administration impériale ayant disparu à la suite de la dynastie, ils se trouvaient sans guide et sans boussole. Les responsabilités qui pesaient sur ceux qui, ayant fait partie du Corps législatif, avaient voté la guerre, étaient trop lourdes et trop récentes. Le bonapartisme avait conquis sa clientèle en assurant l'ordre, en développant la prospérité matérielle, eu Faisant luire aux yeux le brillant simulacre des vieilles gloires impériales. Or, tout cela s'évanouit en un instant. Si des fidélités, des espérances et des regrets se cachaient dans les cœurs, ils n'osaient se produire. Le parti bonapartiste se déroba, pour ainsi dire, et il apparut à peine devant le scrutin. Les troupes électorales, si nombreuses, qu'il avait enrégimentées antérieurement, se trouvèrent ainsi, en quelque sorte, livrées à elles-mêmes.

Une fois le bonapartisme écarté, c'était peut-être le parti républicain qui avait les plus solides attaches dans l'opinion. Il avait une possession d'état, ce qui est toujours une grande force dans un pays centralisé comme la France et où les groupements professionnels et régionaux n'existaient nulle part encore.

La campagne d'opposition menée contre l'empire était justifiée, maintenant, par les catastrophes où l'empire avait conduit le pays. Les plus grands noms de la littérature et de la philosophie se rattachaient au parti républicain. Victor Hugo avait pris, sur son rocher d'exil, la haute physionomie d'un Dante : les Châtiments étaient sur toutes les lèvres :

Chastes buveuses de rosée,

Qui, pareilles à l'épousée,

Visitez le lys du coteau,

Ô sœurs des corolles vermeilles,

Filles de la lumière, abeilles,

Envolez-vous de ce manteau !

Les écrits de Michelet, d'Edgar Quinet, d'Henri Martin, avaient pénétré dans les lycées impériaux et avaient préparé de nouvelles et ardentes recrues à l'idée républicaine. Les pamphlets de Rochefort circulaient sous le manteau ou faisaient, par-dessus la frontière, la contrebande des idées. Parmi les chefs du parti républicain, ceux qui étaient mêlés plus directement à l'action, Jules Favre, Jules Simon, Ernest Picard, avaient gagné une grande illustration par dix ans de lutte. L'activité déployée par Gambetta et par M. de Freycinet, en province, compensait un peu la diminution de prestige qui résultait, pour le parti, de la direction donnée aux affaires diplomatiques et militaires par le gouvernement du 4 Septembre. En somme, l'ensemble de ces conditions inclinait déjà une grande partie de la nation vers la formule républicaine.

Mais ces tendances osaient à peine se manifester. Les souvenirs de la Terreur, la crainte d'un bouleversement social, les appréhensions encore récentes qu'on avait éprouvées en 1848, étaient évoqués par les partisans de la monarchie. D'ailleurs, le parti républicain n'était pas organisé dans les campagnes ; il y était à peine connu des électeurs, qui se trouvaient dans l'embarras d'avoir à voler librement pour la première fois.

L'antagonisme qui se produisit entre le gouvernement de Paris et la délégation de Bordeaux, au sujet des conditions d'inéligibilité, répandait une grande obscurité sur la politique du parti. Par-dessus tout, l'attitude décidée prise par M. Gambetta et ses amis en faveur de la guerre à outrance tint beaucoup d'esprits à l'écart. Sans être opposés à la République, les électeurs voulaient la paix ; cette considération l'emporta. Il faut remarquer, toutefois, que l'on ne vota nulle part contre l'idée républicaine. Pas un candidat ne protesta contre la révolution du A Septembre. Les républicains furent au nombre de deux cents environ, ainsi que chacun des deux autres partis qui se disputaient les suffrages.

Légitimistes et orléanistes, ni les uns ni les autres n'eurent à manifester clairement leurs opinions. Autour des châteaux et des évêchés, la coalition monarchique, réveillée sous la forme un peu flottante de l'opposition libérale, avait une organisation électorale assez étendue, qui fonctionnait déjà sous l'empire. Tout ce qui était opposé au régime impérial s'était rapproché d'éléments qui représentaient, presque partout, la fortune et l'influence. Celte organisation était dirigée, soit par le bureau du comte de Chambord, soit par les chefs du parti orléaniste.

Depuis la mort de Louis-Philippe, et surtout depuis celle de la duchesse d'Orléans, les deux fractions du parti monarchiste étaient un peu moins divisées entre elles qu'elles ne l'avaient été antérieurement. Elles escomptaient déjà la fusion. Il subsistait bien encore des antagonismes et des haines particulières. Mais on voulait croire qu'il n'y avait plus d'opposition de principes.

Sauf dans les régions de la France où il se confondait avec le parti clérical, le parti légitimiste n'avait plus que de rares attaches parmi les masses. Des familles illustres ou anciennes, ayant gardé de grandes situations territoriales ou vivant dans une honorable pauvreté, des membres du haut clergé, des chefs respectés à la tête de l'armée ou de braves officiers dans les régiments, quelques écrivains, quelques propriétaires, quelques magistrats et hommes de loi prudents et pieux, tels étaient les cadres du parti légitimiste. Une méconnaissance souvent voulue des conditions de la vie moderne, des mœurs honnêtes mais réservées, des habitudes distantes, un regret vague de tout ce qui avait été et une obstination invincible à fermer les yeux sur le présent et sur l'avenir, un pessimisme déclaré qui venait de l'habitude de la désillusion et de la défaite, tels étaient les dispositions et les sentiments qui faisaient la force et la faiblesse du parti légitimiste. Il eut plus de succès électoraux qu'il n'avait d'action électorale. On ne considéra pas comme des hommes de parti les candidats de cette nuance : on vota pour eux, en raison de leur situation personnelle, du courage que nombre d'entre eux avaient déployé pendant la guerre et de leurs déclarations favorables à la paix.

Le parti orléaniste disposait d'un nombre d'électeurs sensiblement plus considérable. Les événements de 1848 n'étaient pas tellement éloignés, que les personnes qui avaient été attachées au gouvernement de Juillet eussent toutes disparu ou eussent rompu entièrement avec le passé. La bourgeoisie française n'avait pas oublié l'autorité dont elle avait joui sous un règne qui avait été son œuvre et son image. Rappelant les temps heureux du suffrage censitaire, elle s'habituait avec peine à la souveraineté du suffrage universel et au vote inquiétant des mains calleuses. Prudente comme elle l'était, elle ne manifestait guère ses sentiments ; mais elle les gardait soigneusement au fond du cœur.

En petit comité, on célébrait les mérites des princes de la famille d'Orléans ; les connaissances et l'humanité du comte de Paris, la bravoure du prince de Joinville et du duc de Chartres ; on vantait les prouesses de Robert Lefort ; surtout, on exaltait le haut mérite intellectuel et la compétence militaire du duc d'Aumale. Essentiellement parlementaires 'et libéraux, les orléanistes se tenaient quelque peu l'écart du clergé : ils laissaient entendre que la France retrouverait, avec eux, une ère de prospérité, loin des crises et des aventures, avec la pratique d'une sage liberté. Beaucoup d'entre eux, d'ailleurs, et notamment ceux qui s'attachaient particulièrement au duc d'Aumale, n'étaient pas éloignés de se rallier à une République conservatrice et modérée ; ils parlaient, à voix basse, de la constitution d'une sorte de stathoudérat.

En somme, la situation électorale était confuse. Pas de cadres, pas d'expérience, aucun programme. Partout, de la bonne volonté, de la prudence, une inclination à tenir compte des cruelles leçons que l'on venait. de recevoir, et 'deux notes dominantes : la haine de la dictature et le vif désir d'une prompte paix.

Si l'on veut aller au fond des choses, on s'aperçoit que la véritable division du pays se faisait sur la question religieuse. L'âme de la France a toujours été préoccupée de ce problème, jusqu'à en être déchirée. D'une part, des croyances antiques, une solution traditionnelle du problème de la destinée, la soumission de la plupart des familles aux rites et aux coutumes de la religion catholique et romaine, des gloires accumulées durant les siècles où la France était le soldat du Christ : Saint Louis, Jeanne d'Arc, Saint Vincent de Paul ; la leçon laissée par les grands maîtres de la pensée et de la langue : Pascal, Bossuet, Chateaubriand ; enfin, une sorte d'élan mystique qui, aux heures douloureuses, croise les mains des femmes et des enfants devant cette image de la Vierge-mère, où se retrouvent peut-être quelques traits de la Vierge druidique.

D'autre part, la libre pensée, le doute de Montaigne, le rire de Voltaire, l'affirmation d'Auguste Comte, l'idée d'une humanité s'appliquant à l'œuvre précise des réalités et reconstituant sa morale et son idéal sur les données de la nature et du progrès ; une conviction profonde répandue, surtout dans les classes intermédiaires, que l'enseignement de l'Église est contraire au développement de la civilisation et de la science, que le gouvernement des curés est toujours à craindre, que le jésuite et la congrégation guettent la société et sont à la veille d'un triomphe décisif. En face du clergé, que la nation continue à maintenir et à reconnaître par le vote du budget des cultes, une organisation occulte, mais puissante : celle de la franc-maçonnerie, très active, mêlée au siècle, et s'attachant avec passion au problème de l'instruction laïque.

De part et d'autre, des haines sourdes, des tendances sectaires, une lutte pied à pied jusque dans la moindre des bourgades, et même une intransigeance agressive contre les rares esprits qui, s'élevant au-dessus des deux partis, reconnaissent que, tous deux, ils représentent des forces, des forces nobles, utiles, indispensables, des convictions respectables et qui, faisant appel à la tolérance, à la nécessité de vivre en commun et de s'aimer, se consacrent surtout au culte de la patrie et conseillent ii tous, avec la douceur réciproque, la patience de la vie.

Ces sentiments mal définis, mais profonds, reposaient dans les fumes, au moment où le pays était consulté, dans ces heures tristes et sincères, en présence de l'ennemi. Ils se reflétèrent tous dans la composition de l'Assemblée.

Le décret du 29 janvier 1871 fixait à 768 le nombre des députés[13]. Le scrutin du 8 février envoya seulement 630 représentants à Bordeaux, par suite de la pluralité d'élections de certains candidats. M. Thiers fut élu dans vingt-six départements ; le général Trochu et M. Gambetta eurent les honneurs de neuf élections. En outre, MM. Jules Favre, Durante, Changarnier, Ernest Picard, Casimir-Perier, le général d'Aurelle de Paladines furent nommés dans plusieurs départements.

A Marseille, M.M. de Charette et Eugène Pelletan, le général Trochu et M. Esquiros, M. Gambetta et M. Lanfrey se trouvèrent curieusement rapprochés. D'autres départements, comme l'Isère, envoyèrent à Bordeaux des représentants de tous les partis en présence.

Si les grandes villes donnèrent, en général, leur confiance aux vétérans de la démocratie, les campagnes suivirent les chefs dont les opinions étaient simplement favorables au régime parlementaire. La noblesse, qui avait pris les armes pendant la guerre, est largement représentée ; elle ne compte pas moins de deux cents députés. Un évêque, Mgr Dupanloup, et deux abbés, MM. du Marhallach et Jaffré, représentent le clergé. Un membre d'une famille alliée aux Bonaparte, le comte Joachim Murat, est élu dans le Lot. Deux membres de la famille d'Orléans, le prince de Joinville et le duc d'Aumale, sont élus, le premier, dans la Manche et dans la Haute-Marne, le second, dans l'Oise.

Au point de vue du classement des partis, l'Assemblée nationale comprenait : deux cents républicains environ, divisés, par moitié, en modérés et en radicaux ; quatre cents conservateurs monarchistes, partagés en fractions à peu près égales, entre les orléanistes et les légitimistes ; enfin, une trentaine de bonapartistes.

Parmi les républicains marquants, beaucoup étaient Les républicains. des hommes de 1848 et de 1849 : MM. Étienne Arago, Arnaud (de l'Ariège), Louis Blanc, Hippolyte Carnot, Marc Dufraisse, Pascal Duprat, Ferrouillat, Gambon, Gent, Jules Grévy, Victor Hugo, Henri Martin, Ledru-Rollin, Joigneaux, Pierre Lefranc, Félix Pyat, Edgar Quinet, Rolland, Victor Schœlcher. D'autres avaient appartenu aux Assemblées de la seconde République et au Corps législatif de l'empire : MM. Esquiros, Emmanuel Arago, Jules Favre, Jules Simon. Quelques-uns avaient dirigé l'opposition démocratique au Corps législatif : MM. Dorian, Jules Ferry, Léon Gambetta, Eugène Pelletan, Ernest Picard. Les autres s'étaient signalés à l'attention par l'ardeur de leurs convictions républicaines ou les services rendus au gouvernement de Septembre : MM. Edmond Adam, Sadi Carnot, Charles Floquet, Clémenceau, Lepère, Littré, Tolain, Alfred Naquet, Peyrat, Rochefort.

Le parti orléaniste, lui aussi, comptait un certain nombre de membres des anciennes Assemblées : le marquis de Gouvion Saint-Cyr, ancien pair de France ; MM. Bocher, général Changarnier, de Goulard, général Le Flô, marquis de Maleville, Martel, Mathieu-Bodet, Saint-Marc-Girardin, qui avaient siégé dans les parlements de la Restauration ou de la seconde République ; Chesnelong, le comte Daru, anciens membres du Corps législatif. Ce parti comprenait encore : deux représentants de l'armée, le général Ducrot et l'amiral Fourichon ; un certain nombre de membres de la haute noblesse : le duc d'Audiffret-Pasquier, le duc Albert de Broglie, le marquis de (Castellane, le duc Decazes, le vicomte Othenin d'Haussonville ; enfin, plusieurs députés qui allaient se signaler par l'importance ou l'originalité de leurs rôles : MM. Batbie, Beulé, Depeyre, Ernoul, de Gavardie, Target. M. Buffet se tenait un peu à l'écart.

Des quatre partis qui divisaient l'Assemblée nationale, le parti légitimiste était celui qui comptait le moins de personnalités marquantes : une demi-douzaine de membres des anciennes assemblées, parmi lesquels MM. Aubry, le comte Benoist d'Azy, Fresneau, le baron de Larcy, le vicomte de Meaux, le marquis de Vogüé ; au second plan, des hommes de grande situation personnelle ou de haute honorabilité : MM. de Cazenove de Pradine, le marquis de Dampierre, l'amiral de Dompierre d'Hornoy, le vicomte de Gontaut-Biron, Audren de Kerdrel, Lucien Brun, Baragnon. A ces hommes distingués il manquait un chef.

Parmi les bonapartistes, peu de noms évoquant des souvenirs illustres ou rappelant de hauts mérites : MM. de Fourtou, Gavini, comte Joachim Murat, Pouyer-Quertier.

Enfin, comme toutes les assemblées, celle de 1871 comprenait un certain nombre d'individualités qui oscillaient de droite à gauche ou bien se faisaient une règle d'obéir aux nécessités gouvernementales. C'était le futur centre gauche. Parmi eux, beaucoup de noms connus : MM. Baze, Bethmont, Casimir-Perier, Dufaure, Léopold Javal, Victor Lefranc, Léon de Maleville, Teisserenc de Bort, Louis Vitet, Wallon, ayant siégé dans les parlements antérieurs ; MM. Bérenger, Féray, Lanfrey, l'amiral Pothuau, Léon Say, comte de Tocqueville, Waddington, qui exercèrent une réelle influence au sein de l'Assemblée ou dans les conseils du gouvernement.

Vieilles barbes de 1848, ou bonnets à poil des régimes déchus, la plupart des membres de l'Assemblée étaient des hommes de principes, plus que des hommes d'affaires. On les avait choisis plutôt d'après leur notoriété générale ou locale que d'après leur capacité. Il y avait, certes, de très grands talents : il y en avait beaucoup qui devaient se révéler à eux-mêmes pendant les travaux de l'Assemblée ; mais ces hommes avaient, pour la plupart, des idées préconçues et peu d'expérience pratique. Quelques-uns d'entre eux savaient ce qu'ils voulaient ; mais ceux qui subordonnaient leur conduite aux événements, étaient plus nombreux encore. Quelques tètes éminentes, beaucoup de rares esprits et, pour la grande masse, de braves gens, telle était cette assemblée que le pays avait choisie à son image, et envoyée à Bordeaux.

 

IV

A peine l'Assemblée était-elle réunie, que tous les yeux se tournèrent vers M. Thiers. Aucun autre nom ne vint même à l'idée des membres de l'Assemblée. Tel paraissait être, d'ailleurs, l'avis de la nation : vingt-six élections, réunissant sur cc nom près de deux millions de suffrages, l'avaient désigné comme l'administrateur de l'infortune nationale[14].

L'esprit de parti était resté étranger à cette manifestation de la volonté populaire. M. Thiers avait été élu sur des listes très diverses, bien plus pour ses discours contre la guerre et pour ses efforts persévérants en faveur de la paix que pour sa renommée d'historien et d'orateur libéral. A la fin d'une carrière déjà longue, il avait, pour lui, cette force d'avoir eu trop souvent raison contre tout le monde, pendant plus de vingt ans. Selon la parole de M. de Meaux, il était inévitable.

M. Thiers forme, avec Napoléon III, un contraste parfait : il avait été, pendant tout le règne de celui-ci, l'incarnation de la prudence, de l'expérience et de la prévoyance, en opposition à l'esprit d'aventure, au goût pour le risque et aux idées nuageuses. Et ce contraste est d'autant plus frappant que ce petit homme était aussi, à sa façon, un héritier de la légende napoléonienne.

D'origine méridionale, il avait du sang grec et il devait, probablement, à ces lointains ancêtres méditerranéens l'éclat de sa qualité maitresse : l'intelligence ; il avait une certaine parenté avec l'admirable et malheureux André Chénier. Son père était un capitaine marchand, se qualifiant propriétaire à ses heures[15], qui, parmi quelques qualités, n'avait pas le goût de la famille.

M. Thiers est né à Marseille : c'est le Midi qui rayonne en lui. Il avait fait ses études à Aix, avec Mignet, qui lui resta toujours attaché et qui apportait dans la vie d'homme de lettres et d'historien, une gravité élégante, une tenue discrète, bien différentes de la pétulance de son brillant ami.

Les études faites, les deux étudiants étaient venus à Paris. En quelques années, M. Thiers s'était glissé, introduit et imposé partout. Inscrit au barreau, il parlait, il écrivait, il polémiquait, excitant déjà une grande admiration et quelque surprise par ses connaissances étendues, sa verve intarissable, son sautillement continuel et son étrange sans-façon. Sa taille courte, ses lunettes en faisaient, au physique, un phénomène assez curieux, mais son imperturbable aplomb et son incontestable supériorité contenaient les rieurs.

A trente-deux ans, il avait écrit un livre d'une puissante action : l'Histoire de la Révolution Française ; il avait renversé une dynastie, en prenant, au National, les initiatives qui décidèrent du départ de Charles X, et enfin il avait institué une dynastie nouvelle, en posant, le premier, la candidature du duc d'Orléans et en levant, chez celui-ci, qui hésitait à devenir le roi Louis-Philippe, les derniers scrupules.

Il avait fréquenté la vieillesse de Talleyrand, et son intelligence s'était ouverte aux sèches leçons de la politique réaliste ; mais, longtemps, son imagination l'emporta. Balzac l'appelait l'enfant terrible. Pendant tout le règne de Louis-Philippe, il avait été, pour celui-ci, un cruel embarras ; il disait à la tribune : la couronne et moi. Le roi l'aimait un peu et le craignait beaucoup.

Il dut quitter le ministère après l'alerte de l'entente à quatre, où, à propos de l'affaire d'Égypte, il avait, sans prévision et sans souplesse, refait la coalition de l'Europe contre la France. Exilé du pouvoir, rejeté dans l'opposition, adversaire implacable de M. Guizot, il perdit alors le contact avec la bourgeoisie, sans se livrer, cependant, aux partis révolutionnaires. On le considérait comme encombrant et léger. M. Guizot, qui fut son grand adversaire, l'écrasait du poids de son éloquence magistrale, de son protestantisme austère, de la faveur royale et de la confiance d'une majorité soumise. Dans l'opposition, M. Thiers parlait à vide et M. Guizot, au pouvoir, gouvernait à vide. Ces deux méridionaux, le méridional grave et le méridional vif, s'opposaient et s'annulaient. Cependant, Chateaubriand, en écrivant ses Mémoires d'outre-tombe, appelait M. Thiers l'héritier de l'avenir. En 1848, M. Guizot disparut, et M. Thiers resta sur la scène.

De 1848 à 1852, M. Thiers en est encore à la période des contradictions : sa fougue, sa vanité et ses imprudences luttent en lui contre l'expérience, le bon sens, la clairvoyance. Il prononce, déjà, des paroles prophétiques, comme l'empire est fait ; mais il commet des fautes lourdes, comme l'appui donné à la candidature du prince Louis-Napoléon, alors qu'il avait dit qu'une telle élection serait une honte pour la France.

Répétant sans cesse qu'il était du parti de la Révolution, il restait, pour l'opinion, l'homme des Lois de septembre et de la rue Transnonain. Collaborateur de la légende napoléonienne, il est anti-bonapartiste. Royaliste d'origine, il est déjà en coquetterie avec la République.

Dès 1855, il écrivait : Quant à l'avenir, il est à la République. Le peuple qui a perfectionné tous les arts, et qui a fourni, en même temps, l'armée de Sébastopol, ce peuple-là a et aura, de plus en plus, des prétentions au niveau de son mérite... Le gouvernement, dans sa forme actuelle, est un temps d'arrêt ; mais l'avenir appartient, non à la liberté, qui ne trouve ses vraies conditions d'existence que dans la monarchie représentative, mais à la démocratie et à la République. Les barbouilleurs de 1848 ont échoué et devaient échouer ; mais la même entreprise réussira un jour, quand elle sortira, non de quelques clubs ou de quelques estaminets, mais des entrailles mêmes de la nation[16].

Selon un mot qui fut prononcé, il admettrait qu'on fondât la République, pourvu qu'il en fût le président. Sa mobilité inquiète se tourne de nouveau vers les idées courantes parmi la bourgeoisie : il rentre, peu à peu, en grâce auprès d'elle. Cependant, il la déroute encore souvent par ses singularités, ses pratiques, son genre de vie, son goût un peu affecté et un peu maladroit pour certaines élégances qui ne conviennent guère à un homme de tribune et de cabinet.

Le coup d'État de 1852 se passe de lui, se fait contre lui, et l'écarte. Cette fois, il semble bien que sa carrière politique est finie. Mérimée écrit, en 1865, qu'il ne sortira plus de la voie où il est engagé due par une catastrophe. Cette parole est prophétique ; on dirait que M. Thiers l'a entendue et qu'il se prépare.

Pendant les onze années où il vit dans la retraite, tout à ses chères études, il achève son Histoire du Consulat et de l'Empire et se voit qualifié, par l'empereur, d'historien national. Cette vaste enquête, qu'il poursuit ainsi sur les origines de la France moderne, développe en lui des connaissances immenses, renouvelle ses jugements et ses vues, multiplie, par l'effort de l'étude, l'autorité qui vient d'une longue pratique des affaires et du maniement des hommes.

 A partir du moment où il rentre à la Chambre, nominé par le département de la Seine, en 1863, il mène, auprès de l'opposition républicaine, mais non confondu avec elle, là campagne de critiques, de conseils et de prophéties qui ébranle l'empire et qui dit clisi l'avertir. C'est un orateur clair, précis, renseigné, parfois ému. Il a rejeté, depuis longtemps, les formes ampoulées et les développements verbeux. Il est, à la tribune, aussi à l'aise que dans un entretien familier, — plein de finesse, d'à-propos et de saillies, derrière ses lunettes malicieuses. Il parle pendant des heures et son auditoire oublie la fatigue, qu'il ne ressent pas lui-même. Il accable, de la clarté et de l'évidence de ses raisons et de son information, une majorité qui le déteste et qui ne voudrait pas l'entendre. C'est une sirène, toujours, et c'est, parfois, une Cassandre. Tous ses mots portent. Il qualifie l'empire une monarchie à genoux devant la démocratie. Il prononce son fameux discours sur les libertés nécessaires ; il découvre l'audacieuse fiction de la responsabilité de l'empereur qui supprime toute responsabilité dans le gouvernement. Il dit sans cesse : Je représente l'instinct national, le bon sens. On finit, par le croire.

Dans la politique étrangère, son regard s'élève souvent et perce l'avenir. Il entrevoit ce qu'un poète anglais appelle la grande ombre des événements qui s'approchent. Il dit que l'unité italienne sera la mère de l'unité allemande. Il s'oppose, de toutes ses forces, à cette expédition du Mexique, qu'on donne comme la grande pensée du règne. Il ramène sans cesse les regards vers l'Europe et vers la politique traditionnelle, qu'une politique de prestige et d'apparat affecte de négliger. A la veille de Sadowa, il dénonce, en termes saisissants, les événements qui vont suivre et qui feront le malheur de la France. Il prédit la perte de l'Alsace-Lorraine et la constitution de la Triple Alliance. Et alors, dit-il, le 3 mai 1866, on verra refaire un nouvel empire germanique, cet empire de Charles-Quint., qui résidait autrefois à Vienne, qui résiderait maintenant à Berlin, qui serait bien près de notre frontière, qui la presserait, la serrerait, et, pour compléter l'analogie, cet empire de Charles-Quint, au lieu de s'appuyer, comme au XVe et au XVIe siècle, sur l'Espagne, s'appuierait sur l'Italie.

Quand Sadowa fut un fait accompli, il triompha, non sans amertume : Prenez garde, disait-il à l'empire, prenez garde, vous n'avez plus une faute à commettre, et visant directement cette politique des nationalités, cette politique d'intervention qui avait été toute la politique impériale, il ajoutait : Nous sommes ici tantôt Italiens, tantôt Allemands ; nous ne sommes jamais Français.

Logique avec lui-même, éclairé par les connaissances militaires que lui avait acquises l'étude des grandes guerres napoléoniennes, pressentant les catastrophes prochaines, il se séparait de ses amis de la gauche et combattait la réduction du contingent, proposée chaque année par l'opposition républicaine. Il pensait sans cesse à l'armée. Il voulait que la France fût prête.

Elle ne l'était pas. Il le savait, il le déplorait. Quand la candidature Hohenzollern se produit et que l'heure des graves événements approche, que les foules crient A Berlin !, M. Thiers s'efforce encore d'arrêter le courant de perdition : il supplie la Chambre de différer. Il demande la communication des dépêches et insiste pour qu'on ne rompe pas sur une question de susceptibilité. Selon ses propres expressions, il remplit le devoir le plus pénible de sa vie. C'est la clairvoyance, aidée du courage, et portée presque jusqu'au génie. Mais on n'aime pas les clairvoyants. La majorité veut imposer silence à M. Thiers. On l'appelle la trompette antipatriotique du désastre. On lui crie : A Coblentz ! La foule se porte vers sa maison de la rue Saint-Georges et menace de l'envahir. Jamais l'antagonisme entre l'aveuglement et la raison ne fut plus violent.

Jamais la revanche de celle-ci ne fut plus rapide et plus douloureuse. Quinze jours après, la série de nos désastres commençait. La France était envahie, l'opinion était plongée dans la stupeur, l'empire s'effondrait.

La première pensée de tous était de recourir à M. Thiers. L'impératrice-régente envoie vers lui un ami ancien, un écrivain illustre, un intime de la famille impériale, Mérimée, avec mission de lui proposer le ministère. Mais il était déjà trop tard.

M. Thiers a fait, lui-même, le récit de cet entretien, qui eut lieu le 3 septembre :

M. Mérimée était mourant. C'était le plus galant homme du monde, un des hommes les plus spirituels et les meilleurs que j'aie connus. Il était dévoué à l'impératrice, lui donnait de sages conseils.

— Vous devinez pourquoi je viens ? me dit-il.

— Oui, je le devine.

— Vous pouvez nous rendre un grand service.

— Je ne puis vous en rendre aucun.

— Si, si, je connais votre manière de penser : les dynasties ne vous occupent pas. Vos pensées sont surtout tournées vers l'état des affaires. Eh bien ! l'empereur est prisonnier, il ne reste qu'une femme et un enfant ! Quelle occasion pour fonder le gouvernement représentatif !

— Après Sedan, il n'y a rien à faire, absolument rien.

Mérimée ne put emporter d'autre réponse[17].

Ce fut la dernière rencontre des deux amis. Mérimée mourait, quelques jours après, à Cannes.

M. Thiers avait pris, dès lors, sur le Corps législatif, convoqué en toute hâte, l'ascendant que lui assuraient son âge, son expérience et sa clairvoyance trop justifiée.

Dans Paris, le revirement était complet. La foule nous appelait par nos noms, a-t-il déclaré devant la commission d'enquête du 4 Septembre, et elle me répétait : Monsieur Thiers, tirez-nous de là !

Voulant prévenir la révolution, adversaire de l'émeute et comprenant tout ce qu'il y avait de précaire dans un gouvernement né d'une journée, M. Thiers cherche à ménager une transition légale et parlementaire entre le régime qui s'effondrait et celui que la France se donnerait. Le 27 août, l'Assemblée l'avait désigné, à l'unanimité, pour faire partie du comité de défense créé par le gouvernement. Mais au moment où on discutait sa proposition de constituer un gouvernement provisoire vu la vacance du pouvoir, la salle des séances était envahie, et, le jour même, à l'Hôtel de Ville, le gouvernement de la Défense nationale était constitué.

M. Thiers ne fait pas partie de ce gouvernement, mais il ne lui refuse pas son concours. Au retour de la mission qu'il remplit dans les diverses capitales de l'Europe, à Londres, à Saint-Pétersbourg, à Vienne, Florence, il négocie un armistice qui n'aboutit pas, et il se retire à Tours et à Bordeaux, surveillant les événements.

Au moment où l'Assemblée, réunie à Bordeaux, le proclama le chef du pouvoir exécutif de la République française, M. Thiers avait soixante-treize ans. Mais sa santé, son activité, son ardeur étaient telles, qu'il pouvait dire à ses amis, réunis autour de lui :

— C'est nous qui sommes encore les jeunes aujourd'hui.

Il faut le montrer, tel qu'il apparaissait alors aux yeux de ces députés, arrivant de leur province, à Bordeaux, pour la plupart ignorants de la vie publique, troublés jusqu'au fond de l'âme de la grandeur des tâches et des responsabilités qui leur incombaient, cherchant, dans l'obscurité des temps, un pilote, un guide, une lumière.

M. Thiers était tout cela. Cinquante ans de notoriété, vingt ans de polémique indépendante et ferme, et, par-dessus tout, une pleine vue des réalités, dans la dernière période du drame, alors que tout le monde s'était trompé, de tels antécédents et de tels services avaient fait pénétrer son nom jusque dans la moindre bourgade. Son autorité était sans égale : ses amis lui appliquaient les paroles de Thucydide sur Périclès : Grâce à l'élévation de son caractère, à la profondeur de ses vues, Périclès exerçait sur Athènes un ascendant incontestable... Partout où il paraissait, dit un de ses adversaires, il prenait, sans conteste, la première place[18].

Dans ces heures néfastes où une nation accablée est en face d'elle-même, en face de ses propres fautes et des conséquences de ses fautes, et qu'elle se met à douter de ses destinées, elle se confie volontiers à des hommes qui paraissent préparés, par un dessein supérieur, pour saisir le commandement et prendre le timon. Certes, ce siècle avait vu des hommes considérables jouer un tel rôle, en France, pendant les périodes agitées qui s'étaient succédé. Tout le monde avait sur les lèvres le nom de Talleyrand. Si M. Thiers ne montrait pas la haute et souveraine tenue, l'allure froide et détachée qui, dans les affaires internationales, assurait une si grande autorité au prince de Talleyrand, on ne pouvait pas ne pas recors- naître en lui une compétence plus étendue, plus d'activité, plus de désintéressement, et plus de feu, sinon plus d'âme.

Il ne s'agissait pas seulement d'une situation diplomatique à restaurer, il s'agissait de refaire un monde. Or, dans le délabrement universel, seul M. Thiers paraissait apte à ranimer les ruines et à relever l'abri des générations futures.

Il comptait, dans tous les camps (sauf dans le Camp bonapartiste), des amitiés et des dévouements. Il prêtait et même se prêtait à toutes les combinaisons. Il encourageait toutes les espérances. Les royalistes pensaient ; qu'au fond il était avec eux, ou que, du moins, il leur reviendrait. Les républicains n'oubliaient pas qu'il avait, dès longtemps, admis l'hypothèse de traverser l'Atlantique. Il avait trouvé, en faveur de la République, une formule heureuse : C'est le gouvernement qui nous divise le moins.

Les soldats lui savaient gré de la confiance et du respect qu'il avait toujours témoignés pour l'armée ; tout en souriant, d'un air entendu, quand on vantait sa compétence militaire, les grands chefs, vaincus de la veille, étaient embarrassés pour répondre aux justes observations de ce diable d'homme ; les administrateurs, les fonctionnaires, tout ce qui, dans les temps de crise, représente l'ossature du pays, ces hommes timorés, toujours prêts à obéir, mais toujours enclins à se réserver, répétaient son mot sur les employés aux manches de lustrine ; ils attendaient, de lui, des ordres, connue d'un homme qui ne craint pas les responsabilités.

On ne chicanait guère sur les détails : ses défauts à peine atténués, sa vanité, son irritabilité, sa souplesse parfois inquiétante, on passait sur tout. Les puissances étrangères comptaient avec lui ; les ambassadeurs fréquentaient chez lui et télégraphiaient ses paroles à leurs gouvernements. Son salon était ouvert à tous. Après le sommeil réparateur de l'après-dîner, il apparaissait frais, dispos, vêtu de sa redingote marron, le toupet blanc en houppe sur le haut de la tête, les yeux ronds derrière ses lunettes, allant, venant, gesticulant, parlant seul et multipliant les traits, les reparties, les conseils, et, ce qui valait mieux, les raisons. Sa conversation était piquante et savoureuse. Quand il était sur les sujets militaires, il ne tarissait pas. Selon le mot de quelqu'un qui l'a beaucoup connu : il était plus intéressant qu'attachant.

Il aimait à parler par maximes.

A ceux qui lui reprochaient de se montrer trop accueillant pour ses adversaires : On ne fait, disait-il, de reconnaissances utiles qu'en pays ennemi. Voici un autre trait, raconté par un témoin :

Le soir de la discussion sur la pétition des évêques, à la soirée de la présidence, un orléaniste, la bouche amère, disait, dans un groupe, que M. Thiers avait joué ses anciens amis et que, malgré ses dénégations, il aspirait à la dictature. M. Thiers entendit, s'approcha et, interpellant le mécontent, il lui dit : Mon cher ami, un jour, le roi Louis-Philippe voulait me faire entrer dans une combinaison ministérielle qui ne me convenait pas. Je me défendais ; le roi insistait : Vous voudriez me faire croire, dit Louis-Philippe ironiquement, que vous ne tenez pas à un portefeuille ? Moi, je fus un peu fâché et je répondis au roi : Sire, toutes les fois que Votre Majesté m'a dit qu'elle n'avait accepté qu'avec désespoir le fardeau de la couronne, je l'ai toujours crue.

Il y avait, dans ces boutades, dans cette improvisation apparente, beaucoup de calcul et parfois une certaine affectation. On riait, — quelquefois jaune, — mais on s'inclinait. Puis, sous le manteau, on colportait les algarades, les sorties vives, les singularités voulues, les petitesses du petit grand homme, sa parcimonie de vieillard, ses manies. Un jour, un jeune chargé d'affaires est convoqué à la présidence pour entendre, de la bouche de M. Thiers, les instructions qui lui sont nécessaires pour une mission qu'il va remplir à Rome, auprès du pape Pie IX. L'audience est à sept heures du matin. Après un moment d'attente, le jeune diplomate est introduit ; il s'attendait à quelque grave entretien ; il trouve le chef du pouvoir exécutif, venant de sa visite matinale à ses écuries, vêtu d'un pantalon à pied, d'un mac-farlane et coiffé d'un chapeau rond. Dans ce costume, M. Thiers reste debout, va et vient, s'anime, s'excite, puis s'apaise, s'assoit, et dicte, enfin, des instructions pleines de sagesse, de précision et de sagacité[19].

De toutes ses fantaisies, il n'en était pas qui lui tînt plus au cœur que son désir de faire reconnaître, par tous, son universelle compétence. Il disait d'un solliciteur qui demandait l'emploi de directeur à la manufacture de Sèvres :

Il n'est pas plus fait pour ce poste-là que moi pour... et il s'arrêta.

Ah ! ah ! Monsieur Thiers, lui dit son interlocuteur, vous voilà bien embarrassé pour dire ce que vous ne sauriez faire.

C'est vrai, c'est vrai, dit-il gaiement.

L'auteur du récit rappelle, à ce sujet, une autre anecdote. M. Thiers disait, un jour, en parlant d'un homme élevé à une haute fonction :

Il n'est pas plus fait pour cet emploi que moi pour être pharmacien... et encore, ajoutait-il en se reprenant, moi, je sais la chimie.

Ces traits ne sont pas inutiles, s'ils permettent de pénétrer davantage cet esprit vif, brillant, primesautier, qui contribua à la fortune et à la chute de M. Thiers. II avait une de ces supériorités actives et parfois agressives auxquelles on ne pardonne guère. Mais l'esprit comme le corps étaient d'une excellente trempe ; il était de ces bêtes de race sur lesquelles on compte pour les coups de collier. Son intelligence claire lançait des rayons ; sa parole était une arme étincelante. La lumière émanait de lui. Quand il parlait, il faisait pénétrer, chez ceux qui l'écoutaient, quelque chose de sa vie intense et exubérante. Ce petit bourgeois qui avait l'âme fière, c'est son mot sur lui-même, a mérité, en somme, l'éloge singulier, qui lui était adressé, non sans hésitation, par un ami qui devint un adversaire : Vous aurez une grande place dans l'histoire, qui n'aura jamais vu un héros, sans épée, changeant le cours des événements par la simple royauté de son esprit[20].

La souplesse de cet esprit était peut-être la qualité la plus précieuse de M. Thiers, dans les temps où il arrivait au pouvoir. Avait-il, à proprement parler, des convictions ? Le mot est bien arrêté pour cet esprit en perpétuelle évolution. Un jour, M. de Belcastel le poussait et lui demandait où il en était avec le Bon Dieu. — Sur cela, répondit-il en riant, nous nous entendrons ; car je ne suis ni de la cour ni de l'opposition. Il en était de même sur beaucoup de points. Son jeu entre la république et la monarchie rappelle celui qu'il jouait, sous Louis-Philippe, entre la couronne et le pays. Il était tout le contraire d'un homme de parti. On lui en fait reproche ; on dit qu'il était du parti de M. Thiers : oui, mais M. Thiers n'est-il pas, le plus souvent, du parti de la France ?

La France, c'est le mot qui est toujours sur ses lèvres. Il ne veut songer qu'à la santé de la France. Une nécessité s'impose avant toute chose : apaiser, réorganiser. Pourtant, même pour faire le bien, encore faut-il une étiquette, un nom, un titre, un drapeau. Lit, la tendance de M. Thiers apparaît ; il est encore fidèle à lui-même, quand il répète qu'il est du côté de la Révolution, du côté de la liberté et qu'il laisse ou fait prononcer, autour de lui, le mot de République.

M. Thiers, à vrai dire, n'a jamais été républicain. En général, il n'a qu'une foi médiocre en la magie des formules. Mais il n'a pas peur de la République et, par lit, il se distingue de la plupart des gens parmi lesquels il a vécu.

 Nous l'avons vu, pendant toute la durée de l'empire, il resta convaincu que la République était l'héritière naturelle de Napoléon III. Au cours de sa mission diplomatique en Europe, parlant à lord Granville, le 13 septembre 1870, du régime qui convenait à la France, il lui fait cette déclaration : La République est, en ce moment, le gouvernement de tout le monde ; ne désespérant aucun parti, parce qu'elle ne réalise définitivement le vœu d'aucun, elle convient maintenant à tous. M. Thiers tint le même langage à Saint-Pétersbourg. Parlant au prince Gortschakoff, il prononça cette parole clairvoyante et prophétique : C'est une république qui est, aujourd'hui, le meilleur de vos amis (il s'agit des États-Unis), et peut-être y en aura-t-il bientôt cieux dans vos affections : au moins je le souhaite. — Je le voudrais bien, répondit le prince[21].

En arrivant à Bordeaux, M. Thiers était donc sinon républicain de principe, du moins républicain de raison. Et il affirma, sans délai, son sentiment, en demandant, d'abord, qu'au décret qui le nommait chef du pouvoir exécutif, on ajoutât ces mots : de la République française. C'était un coup de barre décisif. M. Thiers le confirmait, en confiant, dans la constitution de son premier cabinet, les trois principaux portefeuilles à des républicains de la veille, à des hommes du 4 Septembre : MM. Jules Simon, Jules Favre, Ernest Picard. En agissant ainsi, M. Thiers songeait évidemment à grouper toutes les forces actives du pays et surtout toutes celles qui pouvaient l'appuyer contre l'hostilité du parti bonapartiste ; il songeait aussi à l'avenir ; et il annonçait sa résolution de faire ce qu'il appela lui-même un essai loyal du gouvernement républicain.

 M. Thiers, l'homme d'État éminent, le ministre de haute expérience, l'ancien serviteur de la royauté, et l'adversaire éclairé de l'empire, le libéral convaincu, le patriote ardent, l'homme, enfin, à qui un élan unanime remettait les destinées de la patrie, M. Thiers, tout en réservant ses décisions dernières, inclinait donc vers la République.

 

V

Était-il, en cela, d'accord avec l'opinion, et surtout avec l'Assemblée qui venait de lui confier le pouvoir ?

A peine réunie, l'Assemblée affiche, d'abord, une irritation très vive, excessive, contre ce qu'elle appelait la dictature de M. Gambetta, et surtout une colère profonde à l'égard de la dictature impériale. Elle se méfie de Paris qu'elle accuse d'avoir prolongé la guerre inutilement, d'avoir mal conduit le pays et d'avoir donné des élections radicales.

Ses sentiments sont surtout négatifs. C'est en leur obéissant qu'elle accomplit ses premiers actes politiques : l'élection de M. Jules Grévy au fauteuil présidentiel et celle de M. Thiers aux fonctions de chef du pouvoir exécutif.

En nommant, par 519 voix sur 536 votants, M. Jules Grévy président, l'Assemblée avait fermé les yeux sur ses opinions républicaines éprouvées. Elle s'inclinait devant le désir, hautement manifesté par M. Thiers, qui l'avait désigné aux suffrages de ses collègues. Fils d'un ancien volontaire de 1792, parvenu au grade de chef de bataillon, M. Jules Grévy avait vécu à l'écart de hi politique sons l'empire, mais antérieurement il avait joué, sous la seconde République, un rôle marquant. Quoiqu'il eût, disait-on, figuré, dans sa jeunesse, parmi les insurgés qui s'étaient emparés de la caserne de la rue de Babylone, il avait adressé, à ses compatriotes du Jura, auprès desquels il était commissaire du gouvernement de 1848, ces paroles que l'on rappelait complaisamment : Je ne veux pas que la République fasse peur.

Élu à l'Assemblée nationale de mai 1848, il en avait été nommé vice-président. Durant la période électorale pour l'Assemblée législative, il avait prononcé ces paroles qui annonçaient de la clairvoyance : Le danger n'est plus dans les émeutes, il est dans les coups d'État. C'est parce qu'il prévoyait l'avènement du second empire qu'il avait, au cours des débats constitutionnels, déposé le fameux amendement qui supprimait la présidence de la République : L'Assemblée nationale délègue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président du conseil des ministres.

Lors du premier plébiscite de 1851, M. Jules Grévy protesta, très énergiquement, contre le principe de cette consultation nationale : La réponse qu'on demande au peuple, disait-il, est un ordre qu'on lui donne.

Parmi les raisons qui décidèrent de son choix, l'Assemblée nationale fut particulièrement sensible au fait que M. Jules Grévy avait été opposé à la constitution du gouvernement de Septembre et qu'il avait, non sans véhémence, protesté contre la dictature de Tours et de Bordeaux. Enfin, en se présentant aux électeurs du Jura, il s'était prononcé pour la paix. Mais, encore une fois, ce qui entraina surtout le vote de l'Assemblée, ce fut le désir exprimé par M. Thiers. Tout au moins au début, répétée dans les couloirs de Bordeaux ou de Versailles, cette phrase : M. Thiers le veut, était un mot d'ordre qui ramenait les opposants.

Installé au fauteuil présidentiel, M. Jules Grévy y siégea avec une majesté curulaire. C'était la dignité en personne. Son attitude froide, impassible et sagement impartiale rompait la tradition, affirmée par M. de Morny, des présidents égayant, d'un mot fin et spirituel, l'aridité des débats parlementaires. Fils de cette Franche-Comté qui avait donné à la France, rien que dans celle génération, Victor Hugo et Pasteur, il avait la sagesse pondérée, la finesse matoise, l'esprit de conduite et l'esprit de suite de la province. Il réalisait admirablement l'idéal bourgeois. De nature moins vive et moins primesautière que M. Thiers, prudent, modéré et calme, parlant peu et bien, laissant tomber, d'une bouche un peu dédaigneuse, de rares axiomes frappés en médailles, sans grandes vues et sans grandes passions, il allait, par sa prudence même et sa réserve, convenir bientôt à tout le monde, et préparer sourdement le chemin à des ambitions très couvertes et très tenaces.

C'est par l'élection des autres membres du bureau que l'Assemblée donna la mesure de ses sentiments politiques. Sur quatorze membres, cieux seulement, le président et l'un des secrétaires, M. Bethmont ; étaient des républicains notoires, les autres appartenaient au parti orléaniste. Le premier vice-président, M. Martel, après avoir siégé à l'Assemblée de 1849, avait été député au Corps législatif, de 1863 à 187o, et l'un des fondateurs du tiers parti. A l'Assemblée nationale, il devait soutenir la politique de M. Thiers.

Le deuxième vice-président, M. le comte Benoist d'Azy, était fils d'un ancien ministre de la Restauration. Doyen de l'Assemblée, il était d'opinion légitimiste et avait siégé au parlement, de 1841 à 1848, et en 1849, à la Législative, dont il. avait été élu vice-président. Au 2 Décembre, M. Benoist d'Azy avait présidé, de concert avec M. Vitet, la réunion de la mairie du Xe arrondissement où se réfugièrent les représentants du peuple adversaires du coup d'État.

M. Vitet, membre de l'Académie française, était le troisième vice-président. C'était, lui aussi, un vétéran du parlementarisme. Député, de 1834 à 1848, il vota avec M. Guizot. Représentant en 1849, il siégea avec les monarchistes. Au 4 Septembre, il adhéra à la République, pour retourner, plus tard, à ses premières opinions.

M. Léon de Maleville, autre vice-président, avait également siégé dans les Assemblées du règne de Louis-Philippe, de 1834 à 1848. En 184o, il avait été sous-secrétaire d'État à l'intérieur. Représentant en 1848 et en 1849, Louis-Napoléon le nomma ministre de l'intérieur, mais il ne conserva ces fonctions que pendant neuf jours. Ami de M. Thiers, il se dévoua, dès le premier jour, à sa personne et à sa politique.

Il faut s'imaginer maintenant cette Assemblée nombreuse et tumultueuse, venue de tous les coins de la France, sans passé, sans lien, sans groupements, composée, en grande partie, de personnes inconnues les unes aux autres, curieuses de se voir, de s'entendre, anxieuses de la situation où se trouvait la France et des solutions urgentes que la situation exigeait.

Réunie dans le cadre exquis qu'offre la salle du théâtre de Bordeaux, et abritée, en quelque sorte, par un des plus glorieux souvenirs de la vieille France, elle avait à prendre, immédiatement, les mesures qui allaient décider du sort de la France nouvelle.

Le 17 février, sur la proposition de MM. Dufaure, Jules Grévy, de Maleville, Rivet, de la Redorte, Barthélemy-Saint-Hilaire, elle nomme M. Thiers chef du pouvoir exécutif de la République française ; mais l'Assemblée, sachant mieux ce qu'elle ne voulait pas que ce qu'elle voulait, limitait, elle-même, l'autorité qu'elle créait en lui donnant un caractère éphémère. M. Thiers, en effet, est nommé chef du pouvoir exécutif, en attendant qu'il soit statué sur les institutions de la France, tels étaient les termes du considérant du décret du 17 février 1871. L'Assemblée instituait ainsi, moins qu'une république provisoire, un gouvernement à qui, selon le mot de M. Thiers, on interdisait, comme une usurpation, de se croire définitif. Donner le titre de République au régime de la France provoquait invariablement les murmures de la majorité, à tel point que le chef du pouvoir exécutif pouvait, à bon droit, reprocher à l'Assemblée de ne pas oser s'avouer à elle-même le gouvernement qu'elle s'était donné.

On peut se demander, dans ces conditions, pourquoi l'Assemblée nationale ne proclama pas, dès le début, la monarchie ? La vérité est, selon la parole d'un royaliste, M. de Meaux, qu'à ce moment, personne ne crut la chose possible... Avec une maison royale désunie, avec un monarque séparé de ses héritiers, comment, ajoute-t-il, songer à relever une monarchie ?[22]

Les plus prudents ou les plus réservés cachaient leur timidité sous de spécieux prétextes. Ils avaient, d'avance, pour le gouvernement de leur choix, la crainte des responsabilités : faire signer, par le petit-fils de Louis XIV, le démembrement de la France qu'on jugeait inévitable et donner, une troisième fois, pour escorte à la Restauration, une armée étrangère, en vérité, c'était impossible.

Les royalistes appréhendaient la guerre civile, ils ne voulaient pas en assumer l'odieux[23]. Ils voulaient aussi éviter à leur prince, à peine monté sur le trône, la pénible nécessité d'établir les nouveaux impôts et d'aggraver les charges militaires. Que Dieu préserve les princes d'un pareil fardeau en pareil temps ! s'écriait l'un d'eux. C'eût été, disait-on encore, ceindre le front du roi d'une couronne d'épines.

On voulait donc laisser à un gouvernement anonyme, la République, la tâche de liquider la guerre. On chargeait le dévouement ou l'ambition de M. Thiers de cette délicate opération et, une fois l'œuvre de déblaiement accomplie, on demanderait au même M. Thiers, en faisant appel à sa fidélité monarchique, de restaurer, de ses mains, sur une place nette, le trône où s'assoirait le dernier héritier de nos rois.

Les plus clairvoyants se disaient que c'était beaucoup confier et beaucoup demander à un homme, à un homme qu'on savait actif, adroit, ambitieux, et qu'on devait croire assez sagace pour ne pas se laisser prendre à. des calculs qui cachaient mal un piège. On l'accablait de caresses et de promesses, mais aussi de plaintes et d'épigrammes.

Cependant, sa prudence ne décourage pas complètement les monarchistes et leur laisse, volontiers, quelque espoir dans l'avenir.

Que ferez-vous de la France, au lendemain de la paix ! lui avait demandé le comte de Falloux.

Je ne sais ce que nous ferons, répond M. Thiers. Mais je suis sûr qu'avec un ministère où j'aurai à ma droite mes vieux et chers amis, Falloux et Larcy, nous viendrons à bout de toutes les difficultés.

Ma condition sera la monarchie, objecte M. de Falloux.

Sans nul doute, réplique M. Thiers, nous sommes d'accord là-dessus ; mais il faudra du temps, plus de temps peut-être que vous et moi ne le supposons aujourd'hui.

On ne saurait évidemment interpréter ces paroles comme un engagement précis, d'autant plus que cet entretien avait lieu avant qu'on connût la composition de l'Assemblée nationale. Dès avant le 4 septembre, c'était. la conviction de M. Thiers, que la restauration de la monarchie n'était pas immédiatement réalisable.

Comprenez-moi, disait-il à M. d'Haussonville, le 4 septembre 1870 ; au fond, je désire que cela tourne pour les princes d'Orléans, mais pas à présent, pas lotit de suite ; il faut absolument, pour je ne sais combien de temps, le terrain neutre[24].

Le terrain neutre ! C'était la politique que M. Thiers devait faire prévaloir bientôt et qu'on a appelée le pacte de Bordeaux.

Que M. Thiers ait, à son profit personnel, modifié ses vues, quant à l'issue de cette neutralité provisoire, après l'éclatante manifestation du suffrage universel sur son nom, cela est possible, probable même. L'échec de la fusion donna raison, en somme, à sa perspicacité. Quoi qu'il en soit, obéissant à son patriotisme, à ses ambitions et aussi, comme le remarque finement le vicomte de Meaux, à l'amour du travail et au besoin d'être occupé, il résista, pendant plus d'une année, aux assauts des trois groupes monarchistes, en les combattant l'un par l'autre. Il n'y a qu'un trône, disait-il, et ils sont trois prétendants pour s'y asseoir. A cela, il n'y avait rien à répondre.

Les orléanistes le considéraient toujours, au fond, comme le chef indispensable de leur parti, ils le surveillaient et le ménageaient. Quant aux- légitimistes, ils ne pouvaient oublier avec quelle impitoyable décision il avait mis fin à la carrière aventureuse de la duchesse de Berry.

A gauche, il y avait également de la défiance ou de la rancune contre M. Thiers. Les socialistes le détestaient franchement. Ils ne lui marquaient aucune reconnaissance de son attitude libérale sous l'empire. La gauche proprement dite craignait toujours, de sa part, un retour vers l'orléanisme. Entre lui et M. Gambetta, qui était, en somme, le nom le plus eu vue du parti républicain, se creusait le dissentiment qui s'était manifesté pendant la guerre et qui allait se manifester publiquement par les deux fameuses invectives : fou furieux !sinistre vieillard !

Mais, si vifs que fussent ces antagonismes latents, ils s'inclinaient devant les nécessités du moment et devant la volonté formelle de l'Assemblée de conclure la paix à brève échéance. Au milieu de ses passions naissantes, elle reconnaissait que M. Thiers était à peu près seul capable, parmi les rares hommes dont disposait alors la France, d'affronter M. de Bismarck et de faire face aux difficultés croissantes de la situation intérieure.

Appréciant d'un coup d'œil sagace tous ces éléments épars qui, par leur contradiction, plus encore que par leur union, faisaient sa force et le rendaient indispensable, M. Thiers aborda son œuvre de reconstitution nationale et fit connaître à l'Assemblée, dans un message du 19 février 1871, en même temps que le ministère qu'il avait choisi, le programme qu'il entendait suivre.

Dans le discours qu'il prononce, le 19 février, il définit ainsi la situation de la France, à l'heure où il reçoit le pouvoir :

La France, précipitée dans une guerre sans motif sérieux, sans préparation suffisante, a vu une moitié de son sol envahi, son armée détruite, sa belle organisation brisée, sa vieille et puissante unité compromise, ses finances ébranlées, la plus grande partie de ses enfants arrachée au travail pour aller mourir sur les champs de bataille ; l'ordre profondément troublé par une subite apparition de l'anarchie, et, après la reddition forcée de Paris, la guerre suspendue pour quelques jours seulement, et prête à renaître si un gouvernement estimé de l'Europe, acceptant courageusement le pouvoir, prenant sur lui la responsabilité de négociations douloureuses, ne vient mettre un terme à d'effroyables calamités !

Eu présence d'un pareil état de choses, y a-t-il, peut-il y avoir deux politiques P Et, au 'contraire, n'en est-il pas une seule, forcée, nécessaire, urgente, consistant à faire cesser le plus promptement possible les maux qui accablent le pays ? Il répond aussitôt :

Non, non, Messieurs, pacifier, réorganiser, relever le crédit, ranimer le travail, voilà la seule politique possible et même concevable en ce moment ! A celle -là, tout homme sensé, honnête, éclairé, quoi qu'il pense sur la monarchie ou sur la république, peut travailler utilement, dignement, et n'y eût-il travaillé qu'un an, six mois, il pourra rentrer dans le sein de la patrie, le front haut, la conscience satisfaite.

Cette œuvre accomplie, mais alors seulement, on pourra songer à doter la France d'un régime définitif.

Ah ! sans doute, poursuit-il, lorsque nous aurons rendu à notre pays les services pressants que je viens d'énumérer, quand nous aurons relevé du sol où il gît ce noble blessé qu'on appelle la France, quand nous aurons fermé ses plaies, ranimé SPIS forces, nous le rendrons à lui-même, et rétabli, alors, ayant recouvré la liberté de ses esprits, il dira comment il veut vivre. Quand cette œuvre de réparation sera terminée, et elle ne saurait être bien longue, le temps de discuter, de peser les théories de gouvernement sera venu, et ce ne sera plus un temps dérobé au salut du pays. Déjà un peu éloigné des souffrances d'une révolution, nous aurons retrouvé notre sang-froid ; ayant opéré notre reconstitution sous le gouvernement de la République, nous pourrons prononcer en connaissance de cause sur nos destinées, et le jugement sera prononcé, non par une minorité, mais par la majorité des citoyens, c'est-à- dire par la volonté nationale elle-même.

Et M. Thiers conclut en s'adressant aux partis :

Sachez donc renvoyer à un terme qui, du reste, ne saurait être bien éloigné, les divergences de principes qui nous ont divisés, qui nous diviseront peut-être encore, mais n'y revenons que lorsque ces divergences, résultat, je le sais, de convictions sincères, ne seront plus un attentat contre l'existence et le salut du pays.

On n'a jamais dit à une assemblée plus anxieuse des choses plus vraies, plus fines et plus sages. Elle les applaudissait ; car chaque parti voyait, surtout, dans ces vérités, la part qui s'appliquait à ses adversaires ; mais aussi tous savaient que, pour choisir entre les partis, la France, dans la misérable situation où elle se trouvait, allait prendre la mesure des capacités, des dévouements et des bonnes volontés.

 

 

 



[1] V. Frédéric MASSON, Joséphine de Beauharnais. Introduction.

[2] La Reine Hortense en Italie et en Angleterre. Fragment extrait de ses Mémoires inédits, actifs par elle-même. Paris, 1834. Cfr. DUVAL, Napoléon III (p. 74).

[3] Mémorial (t. II, p. 419).

[4] Voir Théophile DUFOUR, Lettres à Quinet (p. 139).

[5] ÉMILE OLLIVIER, L'Empire libéral (t. VII, p. 147).

[6] Œuvres posthumes et autographes inédits de Napoléon III en exil, par le comte DE LA CHAPELLE. Paris, Lachaud, 1873. Imprimés à Londres.

[7] Voir les Souvenirs du prince DE BISMARCK (t. II, p. 103).

[8] Voir l'avis du général Schmitz, Journal des GONCOURT (t. V, p. 15).

[9] Édouard SIMON, L'Empereur Guillaume et son règne (p. 342).

[10] Voir COLONEL LAUSSEDAT, La Délimitation de la frontière franco-allemande.

[11] Voir JULES FAVRE, Le Gouvernement de la Défense nationale (p. 126 suivantes), et les Notes et Souvenirs de M. THIERS (p. 20).

[12] Dans certains départements, on reprit le travail préparatoire élaboré lors de la convocation des électeurs par le gouvernement de la Défense nationale. Les élections devaient avoir lieu le 2 octobre 1870 ; quelques listes de candidats avaient déjà été publiées, quand intervint le décret du 24 septembre, reculant sine die les élections municipales et législatives. Voir Louis PASSY, Le Marquis de Blosseville, in-8°, Evreux, 1898 (p. 381). Cf. Ad. FRANCK, L'Assemblée nationale (p. 7).

[13] Par la suite du traité de Francfort, le nombre des députés fut réduit de 768 à 738.

[14] Voici la liste des départements dans lesquels M. Thiers fut élu le 8 février 1871 : Aude, Basses-Alpes, Bouches-du-Rhône, Charente-Inférieure, Cher, Drôme, Dordogne, Doubs, Finistère, Gard, Gironde, Hérault, Ille-et-Vilaine, Landes, Loir-et-Cher, Loire, Loiret, Lot-et-Garonne, Nord, Orne, Pas-de-Calais, Saône-et-Loire, Seine, Seine-et-Oise, Seine-Inférieure, Vienne.

[15] Voir Joseph D'ARÇAY, Notes inédites sur M. Thiers, Paris, Ollendorff, 1888, in-16. Voir aussi Notes sur la famille de M. Thiers, par TEISSIER, 1877.

[16] Baron A. DE COURCEL, Notice sur M. Buffet.

[17] Enquête parlementaire sur les actes du gouvernement de la Défense nationale ; Déposition des témoins (p. I et suivantes). Cf. Lettres inédites de Prosper MÉRIMÉE, Paris, 1900, in-8° (préface, p. CXIII).

[18] FALLOUX, Mémoires d'un royaliste ; et Vicomte DE MEAUX, Souvenirs politiques.

[19] Baron DES MICHELS, Souvenirs de carrière (p. 98).

[20] Lettre de M. Cochin, mourant, à M. Thiers, publiée par M. DE FALLOUX, Mémoires d'un royaliste (t. II, p. 529).

[21] Notes et Souvenirs de M. THIERS (p. 18).

[22] Souvenirs politiques, publiés par le vicomte DE MEAUX, dans le Correspondant ; le premier article a paru dans le numéro du 10 avril 1902.

[23] FALLOUX (t. II, p. 444) et Ch. GAVARD (p. 30).

[24] Journal inédit du comte B. D'HAUSSONVILLE.