HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME TROISIÈME — LA MONTAGNE

 

LIVRE QUINZIÈME. — THERMIDOR AN II (JUILLET 1794).

 

 

Situation de la République aux premiers jours de thermidor. — De la participation de Robespierre dans les questions extérieures et intérieures. — Il défend Prost aux Jacobins. — Actes d'oppression dénoncés par lui. — La pétition Magenthies. — Les repas patriotiques. — Une lettre de Mme Buissart. — Plaintes des amis de Robespierre. — Joseph Le Bon et Maximilien. — Citoyens d'Arras sauvés par Robespierre. — Le Bon devant ses juges. — Tentatives pour sortir de la Terreur. — Aveux des assassins de Robespierre. — Jacquotot et les Thermidoriens. — Comment on est parvenu à noircir la réputation de Robespierre. — L'ex-comte de Barras. — Les orgies de Maisons-Alfort. — Histoire de la Révolution par les Deux amis de la liberté. — Un mot sur le représentant Courtois. — Rapport sur les papiers trouvés chez Robespierre et autres. — Discussion sur l'impression de ces papiers. — Cri de Choudieu. — Fraudes thermidoriennes. — Les autorités de Courtois. — Une lettre de Charlotte Robespierre. — La question de l'espionnage. — Lâchetés et apostasies. — Rares exemples de fidélité. — Taschereau emprisonné. — Moyens d'action de la calomnie. — Les continuateurs de Courtois. — Rouget-Delisle et Robespierre. — Les vaincus au théâtre. — Galart de Montjoie historien. — Le véritable sentiment populaire. — Mémoire manuscrit de Billaud-Varenne. — Opinion de Boissy-d'Anglas. — Hésitation du comité de Salut public à se séparer de Robespierre. — Cri d'indignation. — Incertitude de Billaud-Varenne. — Pressentiments d'Ingrand. — Remords de Billaud-Varenne. — De Carnot et de Robespierre. — Encore l'accusation de dictature.- Réponse de Maximilien. — Saint-Just a-t-il proposé la dictature ? Les assertions de Barère. — L'anglais Benjamin Vaughan. — Protestations de Saint-Just. — Les remords de Barère. — Continuation des manœuvres thermidoriennes. — Exclamations de Couthon et de Robespierre jeune. — Mot féroce de Vadier. — Visite aux Madelonnettes. — Les conjurés et les députés de la droite. Isolement de Maximilien. — Les lettres anonymes. — Un billet de Labenette. — Inertie de Robespierre. — Ses alliés. — Le général Hanriot. — Trompeuse confiance de Maximilien. — Séance des comités réunis les 4 et 5 thermidor. — Avertissement de Saint-Just. — Départ des canonniers. — L'école de Mars. — Sortie de Couthon contre les conjurés. — Pétition des Jacobins. — Justification de Dubois-Crancé. — Le baiser de Judas. — Réunion chez Collot-d’Herbois. — Robespierre la veille du 8 thermidor. — Discours-testament. — Séance du 8 thermidor. — Exclamation de Laurent Lecointre. — Vote de l'impression du discours. — Vadier à la tribune. — Intervention de Cambon. — Billaud-Varenne et Panis dans l'arène. Fière attitude de Maximilien. — Apostrophe de Charlier. — Faute capitale de Maximilien. — Remords de Cambon. — Séance du 8 thermidor aux Jacobins. — Tentative suprême auprès des gens de la Droite. — Nuit du 8 au 9 thermidor. — Un mot de Bourdon (de l'Oise). — Principale cause du succès de la faction. — Séance du 9 Thermidor. — Tallien à la tribune. — Mensonges de Billaud-Varenne. — Efforts pour ôter la parole à Robespierre. — Rapport de Barère. — Encore Vadier et Tallien. — Cri de Garnier (de l'Aube). — Le Montagnard Louchet. — Décrets d'arrestation et d'accusation demandés. — Dévouements sublimes. — Les proscrits à la barre. — Réunion du conseil général de la commune. — Mesures diverses. — Effet produit dans Paris par l'arrestation de Robespierre. — Les doléances de Bailleul. — La dernière charrette. — Rôle d'Hanriot. — Son arrestation. — Mesures prises par les comités. — Attitude des Jacobins. — Les vrais Jacobins. — Mouvement des sections. — Conseil exécutif provisoire. — Délivrance d'Hanriot. — Reprise de la séance conventionnelle. — Mise en liberté des députés détenus. — Robespierre à la commune. Il s'oppose à l'insurrection. — Le décret de mise hors la loi. — Fermeté du comité d'exécution. — L'appel à la section des Piques. — Hésitation suprême de Robespierre. — Proclamation conventionnelle. — Le temps complice des conjurés. — Assassinat de Robespierre. — Envahissement de la commune. — Le gendarme Merda. — Impossibilité du suicide. — Mort de Le Bas. — Robespierre jeune se précipite par une fenêtre. — Longue agonie de Maximilien. — Le Tribunal révolutionnaire à la barre. — Exécution de Robespierre et de ses amis. — La moralité du 9 Thermidor. — Conclusion.

 

I

Avant de commencer le récit du drame où succomba, sans tache et sans peur, l'homme extraordinaire dont le malheur et la gloire sont d'avoir entraîné dans sa chute les destinées de la Révolution, arrêtons-nous un moment pour contempler ce qui fut si grand ; voyons l'œuvre des quatorze mois que nous venons de parcourir, et comparons ce qu'était devenue la République dans les premiers jours de thermidor avec ce qu'elle était quand les hommes de la Montagne la prirent, défaillante et bouleversée, des mains de la Gironde.

A l'intérieur, les départements, soulevés l'année précédente par les prédications insurrectionnelles de quelques députés égarés, étaient rentrés dans le devoir : de gré ou de force, la contre-révolution avait été comprimée dans le Calvados, à Bordeaux, à Marseille ; Lyon s'était soumis, et Couthon y avait paru en vainqueur modéré et clément ; Toulon, livré à l'ennemi par la trahison d'une partie de ses habitants, avait été repris aux Anglais et aux Espagnols à la suite d'attaques hardies dans lesquelles Robespierre jeune avait illustré encore le nom déjà si célèbre qu'il portait ; la Vendée, victorieuse d'abord, et qui au bruit de ses succès avait vu accourir sous ses drapeaux tant de milliers de combattants, était désorganisée, constamment battue, réduite aux abois, et à la veille de demander grâce. Sur nos frontières et au dehors, que de prodiges accomplis ! Où est le temps où les armées de la coalition étaient à peine à deux journées de la capitale ? Les rôles sont bien changés.

D'envahissante l'Europe est devenue envahie ; partout la guerre est rejetée sur le territoire ennemi. Dans le Midi Collioure, Port-Vendres, le fort Saint-Elme et Bellegarde sont repris, et nos troupes ont mis le pied en Espagne. Au Nord, Dunkerque et Maubeuge ont été sauvées ; les alliés ont repassé la Sambre en désordre après la bataille de Wattignies ; Valenciennes, Landrecies, Le Quesnoy, Condé, ont été repris également ; enfin, sous les yeux de Saint-Just, nos troupes se sont emparées de Charleroi et ont gagné la bataille de Fleurus qui va nous rendre la Belgique. Un port manquait à la sûreté de nos flottes, Ostende est à nous. A l'Est, grâce encore en grande partie aux efforts énergiques de Saint-Just et de Le Bas, Landau a été débloqué, les lignes de Wissembourg ont été recouvrées ; déjà voici le Palatinat au pouvoir de nos armes ; la France est à la veille d'être sur tous les points circonscrite dans ses limites naturelles.

Était-ce l'esprit de conquête qui animait le grand cœur de la République ? Non certes ; mais, exposée aux agressions des États despotiques, elle avait senti la nécessité de s'enfermer dans des positions inexpugnables et de se donner des frontières faciles à garder : l'Océan d'une part, les Pyrénées, les Alpes et le Rhin de l'autre. On a quelquefois dit que le comité de Salut public, sous l'inspiration de Robespierre, était disposé à des concessions envers les puissances étrangères. C'est là une erreur démentie par tous les faits. Seulement le comité de Salut public dans sa sagesse n'entendait pas révolutionner les peuples qui se contentaient d'assister indifférents au spectacle de nos luttes intérieures et extérieures. Nous ne devons point nous immiscer dans l'administration de ceux qui respectent la neutralité, écrivait-il, le 22 pluviôse an II (10 février 1794), au représentant Albite. Force, implacabilité aux tyrans qui voudraient nous dicter des lois sur les débris de la liberté ; franchise, fraternité aux peuples amis. Malheur à qui osera porter sur l'arche de notre liberté un bras sacrilège et profanateur, mais laissons aux autres peuples le soin de leur administration intérieure. C'est pour soutenir l'inviolabilité de ce principe que nous combattons aujourd'hui. Les peuples faibles se bornent à suivre quelquefois les grands exemples, les peuples forts les donnent, et nous sommes forts. Ce langage, où semble se reconnaître l'âpre et hautain génie de Saint-Just, n'était-il pas celui de la raison même[1] ?

Pour atteindre les immenses résultats dont nous avons rapidement tracé le sommaire, que d'efforts gigantesques, que d'énergie et de vigilance il fallut déployer ! Quatorze armées organisées, équipées et nourries au milieu des difficultés d'une véritable disette, notre marine remontée et mise en état de lutter contre les forces de l'Angleterre, tout cela atteste suffisamment la prodigieuse activité des membres du comité de Salut public. Lorsque, après Thermidor, les survivants de ce comité eurent, pour se défendre, à dresser le bilan de leurs travaux, ils essayèrent de ravir à Robespierre sa part de gloire, en prétendant qu'il n'avait été pour rien dans les actes utiles émanés de ce comité, notamment dans ceux relatifs à la guerre, et Carnot ne craignit pas de s'associer à ce mensonge, au risque de ternir la juste considération attachée à son nom. Robespierre, Couthon, Saint-Just n'étaient plus là pour confondre l'imposture ; heureusement le temps est passé où l'histoire des vaincus s'écrivait avec la pointe du sabre des vainqueurs. Nous avons prouvé déjà avec quelle sollicitude Maximilien s'occupa toujours des choses militaires. Ennemi de la guerre en principe, il la voulut poussée à outrance pour qu'elle fût plus vite terminée ; mais sans cesse il s'efforça a de subordonner l'élément militaire à l'élément civil, le premier ne devant être que l'accessoire dans une nation bien organisée. Tant qu'il vécut, pas un général ne fut pris de l'ambition du pouvoir et n'essaya de se mettre au-dessus des autorités constituées. Quand ils partaient, nos volontaires de 92, à la voix des Robespierre et des Danton, ce n'était point le bâton de maréchal qu'ils rêvaient, c'était le salut, le triomphe de la République, puis le prochain retour au foyer. Quelle différence, lorsque plus tard un soldat heureux aura rétabli cette dignité du maréchalat !

Quelle était donc la perspective que Robespierre montrait à nos troupes dans les lettres et proclamations adressées par lui aux officiers ou aux soldats, et dont nous avons pu donner quelques échantillons ? Était-ce la gloire militaire, mot vide et creux quand il ne se rattache pas directement à la défense du pays ? Non, c'était surtout la récompense que les nobles cœurs trouvent dans la seule satisfaction du devoir accompli. Et à cette époque le désintéressement était grand parmi les masses. Comment oser révoquer en doute les constants efforts de Maximilien pour hâter le moment du triomphe définitif de la République ? Plus d'une fois ses collègues du comité de Salut public se servirent de lui pour parler aux généraux et aux représentants du peuple en mission près les armées le langage mâle et sévère de la patrie. Il s'attacha surtout à éteindre les petites rivalités qui sur plusieurs points s'élevèrent parmi les commissaires de la Convention. Amis, écrivait-il en nivôse à Saint-Just et à Le Bas, à propos de quelques discussions qu'ils avaient eues avec leurs collègues J.-B. Lacoste et Baudot, j'ai craint, au milieu de nos succès, et à la veille d'une victoire décisive, les conséquences funestes d'un malentendu ou d'une misérable intrigue. Vos principes et vos vertus m'ont rassuré. Je les ai secondés autant qu'il était en moi. La lettre que le comité de Salut public vous adresse en même temps que la mienne vous dira le reste. Je vous embrasse de toute mon âme[2]. Un peu plus tard, il écrivait encore à ces deux glorieux associés de sa gloire et de son martyre : Mes amis, le comité a pris toutes les mesures qui dépendaient de lui dans le moment pour seconder votre zèle ; il me charge de vous écrire pour vous expliquer les motifs de quelques-unes de ses dispositions ; il a cru que la cause principale du dernier échec était la pénurie de généraux habiles ; il vous adressera les militaires patriotes et instruits qu'il pourra découvrir. Puis, après leur avoir annoncé l'envoi du général Stetenofer, officier apprécié pour son mérite personnel et son patriotisme, il ajoutait : Le comité se repose du reste sur votre sagesse et sur votre énergie[3]. On voit avec quel soin, même dans une lettre particulière adressée à ses amis intimes, Robespierre s'effaçait devant le comité de Salut public ; et l'on sait si Saint-Just et Le Bas ont justifié la confiance dont, à la recommandation de Maximilien, les avait investis le comité.

Maintenant, — toutes concessions faites aux nécessités de la défense nationale, — que Robespierre ait eu la guerre en horreur, qu'il l'ait considérée comme une chose antisociale, antihumaine, qu'il ait eu pour les missionnaires armés une invincible répulsion, c'est ce dont témoigne la lutte ardente soutenue par lui contre les partisans de la guerre offensive. Les batailles où coulait à flots le sang des hommes n'étaient pas à ses yeux de bons instruments de civilisation. Si les principes de la Révolution se répandirent en Europe, ce ne fut point par la force des armes, comme le prétendent d'étranges publicistes, ce fut par la puissance de l'opinion. Ce n'est ni par des phrases de rhéteur, ni même par des exploits guerriers, que nous subjuguerons l'Europe, disait Robespierre[4], mais par la sagesse de nos lois, la majesté de nos délibérations et la grandeur de nos caractères. Les nations, tout en combattant, s'imprégnaient des idées nouvelles et tournaient vers la France républicaine de longs regards d'envie et d'espérance. Nos interminables courses armées à travers l'Europe ont seules tué l'enthousiasme révolutionnaire des peuples étrangers et rendu au despotisme la force et le prestige qu'il avait perdus. Si Robespierre engageait vivement ses concitoyens à se méfier de' l'engouement militaire, s'il avait une très-médiocre admiration pour les carmagnoles de son collègue Barère, si, comme Saint-Just, il n'aimait pas qu'on fit trop mousser les victoires, c'est qu'il connaissait l'ambition terrible qui d'ordinaire sollicite les généraux victorieux, c'est qu'instruit par les leçons de l'histoire, il savait avec quelle facilité les peuples se jettent entre les bras d'un chef d'armée habile et heureux, c'est qu'il savait enfin que la guerre est une mauvaise école de liberté ; voilà pourquoi il la maudissait. Quel sage, quel philosophe, quel véritable ami de la liberté et de l'humanité ne lui en saurait gré ?

Si nous examinons la situation intérieure, que de progrès accomplis ou à la veille de l'être ! Tous les anciens privilèges blessants pour l'humanité, toutes les tyrannies seigneuriales et locales avec le despotisme monarchique au sommet, — en un mot l'œuvre inique de quatorze siècles, — détruits, anéantis, brisés. Les institutions les plus avantageuses se forment ; l'instruction de la jeunesse, abandonnée ou livrée aux prêtres depuis si longtemps, est l'objet de la plus vive sollicitude de la part de la Convention ; des secours sont votés aux familles des défenseurs de la République ; de sages mesures sont prises pour l'extinction de la mendicité ; le code civil se prépare et se discute ; enfin une constitution où le respect des droits de l'homme est poussé aux dernières limites attend, pour être mise à exécution, l'heure où, débarrassée de ses ennemis du dedans et du dehors, la France victorieuse pourra prendre d'un pas sûr sa marche vers l'avenir, vers le progrès. Contester à Robespierre la part immense qu'il eut dans ces glorieuses réformes, ce serait nier la lumière du jour. Au besoin, ses ennemis mêmes stipuleraient pour lui. Ne sentiez-vous donc pas que j'avais pour moi une réputation de cinq années de vertus... que j'avais beaucoup servi à la Révolution par mes discours et mes écrits ; que j'avais, en marchant toujours dans la même route à côté des hommes les plus vigoureux, su m'élever un temple dans le cœur de la plus grande partie des gens honnêtes... lui fait dire, comme contraint et forcé, un de ses plus violents détracteurs[5]. Cet aveu de la part d'un pamphlétaire hostile est bien précieux à enregistrer. Robespierre, en effet, va mourir en cette année 1794, fidèle à ses principes de 1789 ; et ce ne sera pas sa moindre gloire que d'avoir défendu sous la Convention les vérités éternelles dont sous la Constituante il avait été le champion le plus assidu et le plus courageux[6]. Il était bien près de voir se réaliser ses vœux les plus chers ; encore un pas, encore un effort, et le règne de la justice était inauguré, et la République était fondée. Mais il suffit de l'audace de quelques coquins et du coup de pistolet d'un misérable gendarme pour faire échouer la Révolution au port, et peut-être ajourner à un siècle son triomphe définitif.

 

II

Revenons à la lutte engagée entre Robespierre et les membres les plus gangrenés de la Convention ; lutte n'est pas le mot, car de la part de ces derniers il n'y eut pas combat, il y eut guet-apens, je le maintiens. Nous en sommes restés à la fameuse séance des Jacobins où Robespierre avait dénoncé Fouché comme le plus vil et le plus misérable des imposteurs. Maximilien savait très-bien que les quelques députés impurs dont il avait signalé la bassesse et les crimes à ses collègues du comité de Salut public promenaient la terreur dans toutes les parties de la Convention ; nous avons parlé déjà des listes de proscription habilement fabriquées et colportées par eux. Aussi Robespierre se tenait-il sur ses gardes, et, s'il attaquait résolument les représentants véritablement coupables à ses yeux, il ne manquait pas l'occasion de parler en faveur de ceux qui avaient pu se tromper sans mauvaise intention. On l'entendit, à la séance du 1er thermidor (18 juillet 1794), aux Jacobins, défendre avec beaucoup de vivacité un député du Jura nommé Prost, accusé sans preuves d'avoir commis des vexations. Faisant allusion aux individus qui cherchaient à remplir la Convention de leurs propres inquiétudes pour conspirer impunément contre elle, il dit : Ceux-là voudraient voir prodiguer des dénonciations hasardées contre les représentants du peuple exempts de reproches ou qui n'ont failli que par erreur, pour donner de la consistance à leur système de terreur. Sans prétendre accuser les dénonciateurs de Prost de complicité dans les manœuvres des gens dont il parlait, il les engagea à distinguer les mesures dictées dans un moment d'erreur d'avec celles engendrées par une malice profonde. Prost n'avait pas, selon lui, le caractère d'un conspirateur ou d'un chef de parti. Il fallait se méfier, ajoutait-il, de la méchanceté de ces hommes qui voudraient accuser les plus purs citoyens ou traiter l'erreur comme le crime, pour accréditer par là ce principe affreux et tyrannique inventé par les coupables, que dénoncer un représentant infidèle, c'est conspirer contre la représentation nationale. Vous voyez entre quels écueils leur perfidie nous force à marcher, mais nous éviterons le naufrage.  La Convention est pure en général ; elle est au-dessus de la crainte comme du crime ; elle n'a rien de commun avec une poignée de conjurés. Pour moi, quoi qu'il puisse arriver, je déclare aux contre-révolutionnaires qui ne veulent chercher leur salut que dans la ruine de la patrie qu'en dépit de toutes les trames dirigées contre moi, je continuerai de démasquer les traîtres et de défendre les opprimés[7]. On voit sur quel terrain les enragés pouvaient se rencontrer avec les ennemis de la Révolution, comme cela aura lieu au 9 Thermidor.

Cependant, en dépit de Robespierre, la Terreur continuait son mouvement ascensionnel. Écoutons-le lui-même s'en plaindre à la face de la République : Partout les actes d'oppression avaient été multipliés pour étendre le système de terreur et de calomnie. Des agents impurs prodiguaient les arrestations injustes ; des projets de finance destructeurs menaçaient toutes les fortunes modiques et portaient le désespoir dans une multitude innombrable de familles attachées à la Révolution ; on épouvantait les nobles et les prêtres par des motions concertées.[8]. Comment ne pas flétrir l'injustice de ces écrivains prétendus libéraux qui viennent aujourd'hui, après tous les pamphlétaires de la réaction, lui jeter à la tête les mesures tyranniques, les maux auxquels il lui a été impossible de s'opposer et dont il était le premier à gémir ! Tout ce qui était de nature à compromettre, à avilir la Révolution lui causait une irritation profonde et bien légitime. Un jour il plut à un individu du nom de Magenthies de réclamer de la Convention la peine de mort contre quiconque profanerait dans un jurement le nom de Dieu : n'était-ce point là une manœuvre contre-révolutionnaire ? Robespierre le crut, et, dans une pétition émanée de la société des Jacobins, pétition où d'un bout à l'autre son esprit se reconnaît tout entier, il la fit dénoncer à l'Assemblée comme une injure à la nation elle-même. N'est-ce pas l'étranger qui, pour tourner contre vous-mêmes ce qu'il y a de plus sacré, de plus sublime dans vos travaux, vous fait proposer d'ensanglanter les pages de la philosophie et delà morale, en prononçant la peine de mort contre tout individu qui oserait laisser échapper ces mots : Sacré nom de Dieu ?[9] Là se révèle le système de ceux qui s'évertuaient à transformer en prêtres les plus purs disciples de la raison. Ah ! s'écriait Saint-Just dans son discours du 9 Thermidor, ce ne sont point là des blasphèmes : un blasphème est l'idée de faire marcher devant Dieu les faisceaux de Sylla. Voilà comme Saint-Just répondait d'avance à l'accusation portée après coup contre lui d'avoir demandé la dictature pour Robespierre, accusation dont nous démontrerons bientôt la fausseté et l'absurdité.

N'était-ce pas aussi pour déverser le ridicule sur la Révolution que certains personnages avaient inventé les repas communs en plein air, dans les rues et sur les places publiques, repas où l'on forçait tous les citoyens de se rendre. Cette idée d'agapes renouvelées des premiers chrétiens, d'une communion fraternelle sous les auspices du pain et du vin, avait souri à quelques patriotes de bonne foi, mais à courte vue. Ils ne surent pas démêler ce qu'il y avait de perfide dans ces dîners soi-disant patriotiques. Ici l'on voyait des riches insulter à la pauvreté de leurs voisins par des tables splendidement servies ; là des aristocrates attiraient les sans-culottes à leurs banquets somptueux et tentaient de corrompre l'esprit républicain. Les uns s'en faisaient un amusement : A ta santé, Picard, disait telle personne à son valet qu'elle venait de rudoyer dans la maison. Et la petite maîtresse de s'écrier avec affectation : Voyez comme j'aime l'égalité ; je mange avec mes domestiques. D'autres se servaient de ces banquets comme autrefois du bonnet rouge, et les contre-révolutionnaires accouraient s'y asseoir soit pour dissimuler leurs vues perfides, soit au contraire pour faciliter l'exécution de leurs desseins artificieux. Payan à la Commune[10], Barère à la Convention[11], Robespierre aux Jacobins[12], dépeignirent sous de vives couleurs les dangers de ces sortes de réunions, et engagèrent fortement les bons citoyens à s'abstenir d'y assister désormais. Ces conseils furent entendus ; les repas prétendus fraternels disparurent des rues et des places publiques, comme jadis, à la voix de Maximilien, avait disparu le bonnet rouge dont tant de royalistes se couvraient pour mieux combattre la Révolution.

 

III

Mais c'était là une bien faible victoire remportée par Robespierre, à côté des maux qu'il ne pouvait empêcher. Plus d'une fois son cœur saigna au bruit des plaintes dont il était impuissant à faire cesser les causes. Un jour un immense cri de douleur, parti d'Arras, vint frapper ses oreilles : Permettez à une ancienne amie d'adresser à vous-même une faible et légère peinture des maux dont est accablée votre patrie. Vous préconisez la vertu : nous sommes depuis six mois persécutés, gouvernés par tous les vices. Tous les genres de séduction sont employés pour égarer le peuple : mépris pour les hommes vertueux, outrage à la nature, à la justice, à la raison, à la Divinité, appât des richesses, soif du sang de ses frères. Si ma lettre vous parvient, je la regarderai comme une faveur du ciel. Nos maux sont bien grands, mais notre sort est dans vos mains ; toutes les âmes vertueuses vous réclament. Cette lettre était de Mme Buissart[13], la femme de cet intime ami à qui Robespierre, au commencement de la Révolution, écrivait les longues lettres dont nous avons donné des extraits. Depuis, la correspondance était devenue beaucoup plus rare. Absorbé par ses immenses occupations, Maximilien n'avait guère le temps d'écrire à ses amis ; l'homme public avait pour ainsi dire tué en lui l'homme privé. Ses amis se plaignaient, et très-amèrement quelquefois. Ma femme, outrée de ton silence, a voulu t'écrire et te parler de la position où nous nous trouvons ; pour moi, j'avais enfin résolu de ne plus te rien dire[14], lui mandait Buissart de son côté. — Mon cher Bon bon..., écrivait d'autre part, le 30 messidor, à Augustin Robespierre, Régis Deshorties, sans doute le frère de l'ancien notaire Deshorties qui avait épousé en secondes noces Eulalie de Robespierre, et dont Maximilien, on s'en souvient peut-être, avait aimé et failli épouser la fille, Que te chargerai-je de dire à Maximilien ? Te prierai-je de me rappeler à son souvenir, et où trouveras-tu l'homme privé ? Tout entier à la patrie et aux grands intérêts de l'humanité entière, Robespierre n'existe plus pour ses amis[15]. Ils ne savaient pas, les amis de Maximilien, à quelles douloureuses préoccupations l'ami dont ils étaient si fiers alors se trouvait en proie au moment où ils accusaient son silence.

Les plaintes dont Mme Buissart s'était faite l'écho auprès de Robespierre concernaient l'âpre et farouche proconsul Joseph Le Bon, que les Thermidoriens n'ont pas manqué de transformer en agent de Maximilien. Voilà le bourreau dont se servait Robespierre, disaient d'un touchant accord Bourdon (de l'Oise) et André Dumont à la séance du 15 thermidor (2 août 1794)[16] ; et Guffroy de crier partout que Le Bon était un complice de la conspiration ourdie par Robespierre, Saint-Just et autres[17]. Nul, il est vrai, n'avait plus d'intérêt à faire disparaître Le Bon, celui-ci ayant en main les preuves d'un faux commis l'année précédente par le misérable auteur de Rougyff. Si quelque chose milite en faveur de Joseph Le Bon, c'est surtout l'indignité de ses accusateurs. Il serait d'ailleurs injuste de le mettre au rang des Carrier, des Barras et des Fouché. S'il eut, dans son proconsulat, des formes beaucoup trop violentes, du moins il ne se souilla point de rapines, et l'on sait combien victorieusement il se justifia d'accusations de vol dirigées contre lui par quelques coquins. Commissaire de la Convention dans le département du Pas-de-Calais, il rendit à la République des services dont il serait également injuste de ne pas lui tenir compte, et que ne sauraient effacer les griefs et les calomnies sous lesquels la réaction est parvenue à étouffer sa mémoire. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'il fut le ministre implacable des vengeances révolutionnaires, et qu'il apporta dans sa mission une dureté parfois excessive. Ce fut précisément là ce que lui reprocha Robespierre. Compatriote de ce dernier, Joseph Le Bon avait eu dans les premières années de la Révolution quelques relations avec Maximilien. Il lui avait écrit à diverses reprises, notamment en juin 1791, pour l'engager à renouveler sa motion contre le célibat des prêtres[18], et un peu plus tard, en août, pour lui recommander chaudement un des vainqueurs de la Bastille, le citoyen Hullin, qui, arrivé au grade de capitaine, venait d'être suspendu de ses fonctions[19]. Joseph Le Bon fut d'ailleurs nommé membre de la Convention sans autre recommandation que l'estime qu'il avait su inspirer à ses concitoyens par ses vertus patriotiques.

Chargé, au mois de brumaire de l'an II, de se rendre dans le Pas-de-Calais pour y réprimer les manœuvres et les menées contrerévolutionnaires dont ce département était le théâtre[20], il déploya contre les aristocrates de ce pays une énergie terrible. Mais par qui fut-il encouragé dans sa redoutable mission ? Fut-ce par Robespierre ? Lisez cette lettre : Vous devez prendre dans votre énergie toutes les mesures commandées par le salut de la patrie. Continuez votre attitude révolutionnaire ; l'amnistie prononcée lors de la constitution captieuse et invoquée par tous les scélérats est un crime qui ne peut en couvrir d'autres. Les forfaits ne se rachètent point contre une République, ils s'expient sous le glaive. Le tyran l'invoqua, le tyran fut frappé. Secouez sur les traîtres le flambeau et le glaive. Marchez toujours, citoyen collègue, sur la ligne révolutionnaire que vous suivez avec courage. Le comité applaudit à vos travaux. Signé : Billaud-Varenne, Carnot, Barère[21]. Lisez encore cette autre lettre à propos de la ligne de conduite suivie par Le Bon : Le comité de Salut public applaudit aux mesures que vous avez prises. Toutes ces mesures sont non-seulement permises, mais encore commandées par votre mission ; rien ne doit faire obstacle à votre marche révolutionnaire. Abandonnez-vous à votre énergie ; vos pouvoirs sont illimités... Signé : Billaud-Varenne, Carnot, Barère et Robert Lindet[22]. Certes, je ne viens pas blâmer ici les intentions du comité de Salut public ; mais j'ai tenu à montrer combien Robespierre était resté en définitive étranger aux missions de Joseph Le Bon. Et quand on voit Carnot se retrancher piteusement et humblement derrière une excuse banale, quand on l'entend soutenir qu'il signait de complaisance et sans savoir, on ne peut s'empêcher de sourire de pitié. Carnot, dans tous les cas, jouait de malheur, car on chercherait vainement la signature. de Robespierre au bas d'actes du comité de Salut public recommandant aux commissaires de la Convention de secouer, même sur les traîtres, le flambeau et le glaive.

Ce n'est pas tout : lorsqu'en exécution du décret du 14 frimaire (4 décembre 1793), le comité de Salut public fut autorisé à modifier le personnel des envoyés conventionnels, Joseph Le Bon se trouva désigné pour les départements du Pas-de-Calais et du Nord. Par qui ? par Billaud-Varenne, Barère, Collot-d’Herbois et Carnot[23]. Revenu à Paris au commencement de pluviôse sur une invitation pressante de Saint-Just et de Collot-d’Herbois, il repartait au bout de quelques jours à peine, en vertu d'un arrêté ainsi conçu : Le comité de Salut public arrête que le citoyen Le Bon retournera dans le département du Pas-de-Calais, en qualité de représentant du peuple, pour y suivre les opérations déjà commencées ; il pourra les suivre dans les départements environnants. Il est revêtu à cet effet des pouvoirs qu'ont les autres représentants du peuple. Signé : Barère, Collot-d’Herbois et Carnot[24]. Je n'ai aucunement l'intention, je le répète, d'incriminer les signataires de ces divers arrêtés, ni de rechercher jusqu'à quel point Joseph Le Bon dépassa, dans la répression des crimes contre-révolutionnaires, les bornes d'une juste sévérité ; seulement il importe de laisser à chacun la responsabilité de ses actes, et de montrer une fois de plus ce que valent les déclamations de tous ces écrivains qui persistent à attribuer à Robespierre ce qui fut l'œuvre commune du comité de Salut public, de la Convention nationale, de la France entière.

Il y avait à Arras un parti complètement opposé à Joseph Le Bon, et dans lequel figuraient Buissart et quelques autres amis de Maximilien, ce qui explique la lettre de Mme Buissart à Robespierre. Mais une chose me rend infiniment suspecte la prétendue modération de ce parti : il avait pour chef de file et pour inspirateur Guffroy, l'horrible Guffroy, dont l'affreux journal excita tant l'indignation de Maximilien. Quoi qu'il en soit, Mme Buissart accourut auprès de Robespierre, et vint loger sous le même toit, dans la maison de Duplay, où elle reçut la plus affectueuse hospitalité. Elle profita de son influence sur Maximilien pour lui dépeindre sous les plus sombres couleurs la situation de sa ville natale. De son côté, le mari écrivait à son ami, à la date du 10 messidor (18 juillet 1794) : N'accordez rien à l'amitié, mais tout à la justice ; ne nie voyez pas ici, ne voyez que la chose publique, et peut-être vous-même, puisque vous la défendez si bien... On comptait beaucoup alors à Arras sur la prochaine arrivée d'Augustin Robespierre, dont il avait été un moment question pour remplacer Joseph Le Bon. Quand viendra Bon bon tant désiré ? ajoutait Buissart ; lui seul peut calmer les maux qui désolent votre patrie[25]. On n'ignorait pas en effet comment dans ses missions Augustin avait su allier la sagesse, la modération à une inébranlable fermeté et à une énergie à toute épreuve. Trois jours après, Buissart écrivait encore, à sa femme cette fois : L'arrivée de Bon bon est l'espoir des vrais patriotes et la terreur de ceux qui osent les persécuter ; il connaît trop bien les individus de la ville d'Arras pour ne pas rendre justice à qui il appartient. Sa présence ne peut être suppléée par celle d'aucun autre. Il faut donc qu'il vienne à Arras pour rendre la paix et le calme aux vrais patriotes... Embrassez-le pour moi, jusqu'à ce que je puisse le faire moi-même ; rendez-moi le même service auprès de Maximilien[26]... Mais Augustin n'était pas homme à quitter Paris à l'heure où déjà il voyait prêt à éclater Forage amassé contre son frère.

Cependant Robespierre, ému des plaintes de ses amis, essaya d'obtenir du comité de Salut public le rappel de Le Bon, s'il faut s'en rapporter au propre aveu de celui-ci, qui plus tard rappela qu'en messidor sa conduite avait été l'objet d'une accusation violente de la part de Maximilien[27]. Mais que pouvait alors Robespierre sur ses collègues ? Le comité de Salut public disculpa Joseph Le Bon en pleine Convention par la bouche de Barère, et l'Assemblée écarta par un ordre du jour dédaigneux les réclamations auxquelles avaient donné lieu les opérations de ce représentant dans le département du Pas-de-Calais[28]. Toutefois, le 6 thermidor, Robespierre fut assez heureux pour faire mettre en liberté un certain nombre de ses compatriotes, incarcérés par les ordres du proconsul d'Arras, entre autres les citoyens Demeulier et Beugniet, les frères Le Blond et leurs femmes. Ils arrivèrent dans leur pays le cœur plein de reconnaissance, et en bénissant leur sauveur, juste au moment où y parvenait la nouvelle de l'arrestation de Maximilien ; aussi il faillit leur en coûter cher pour avoir, dans un sentiment de gratitude, prononcé avec éloge le nom de Robespierre[29].

Quand, victime des passions contre-révolutionnaires, Joseph Le Bon comparut devant la cour d'assises d'Amiens, où du moins l'énergie de son attitude et la franchise de ses réponses contrastèrent singulièrement avec l'hypocrisie de ses accusateurs, il répondit à ceux qui prétendaient, selon la mode du jour, voir en lui un agent, une créature de Robespierre : Qu'on ne croie point que ce fût pour faire sortir les détenus et pour anéantir les échafauds qu'on le proscrivît ; non, non ; qu'on lise son discours du 8 à la Convention et celui que Robespierre jeune prononça la veille aux Jacobins, on verra clairement qu'il provoquait lui-même l'ouverture des prisons et qu'il s'élevait contre la multitude des victimes que l'on faisait et que l'on voulait faire encore[30]. Et l'accusation ne trouva pas un mot à répondre. Qu'on ne s'imagine point, ajouta Le Bon, que le renversement de Robespierre a été opéré pour ouvrir les prisons ; hélas ! non ; ç'a été simplement pour sauver la tête de quelques fripons[31]. L'accusation demeura muette encore. Ces paroles, prononcées aux portes de la tombe, en face de l'échafaud, par un homme dont l'intérêt au contraire eût été de charger la mémoire de Maximilien, comme tant d'autres le faisaient alors, sont l'indiscutable vérité. Il faut être d'une bien grande naïveté ou d'une insigne mauvaise foi pour oser prétendre que la catastrophe du 9 Thermidor fut le signal du réveil de la justice. Quelle ironie sanglante !

 

IV

Que Robespierre ait été déterminé à mettre fin aux actes d'oppression inutilement et indistinctement prodigués sur tous les points de la République, qu'il ait été résolu à subordonner la sévérité nationale à la stricte justice, en évitant toutefois de rendre courage à la réaction, toujours prête à profiter des moindres défaillances du parti démocratique ; qu'il ait voulu enfin, suivant sa propre expression, arrêter l'effusion de sang humain versé par le crime, c'est ce qui est hors de doute pour quiconque a étudié aux vraies sources, de sang froid et d'un esprit impartial, l'histoire de la Révolution française. La chose était assez peu aisée puisqu'il périt en essayant de l'exécuter. Or l'homme qui est mort à la peine dans une telle entreprise mériterait par cela seul le respect et l'admiration de la postérité.

De son ferme dessein d'en finir avec les excès sous lesquels la Révolution lui paraissait en danger de périr, il reste des preuves de plus d'un genre, malgré tout le soin apporté par les Thermidoriens à détruire les documents de nature à établir cette incontestable vérité. Il se plaignait qu'on prodiguât les accusations injustes pour trouver partout des coupables. Une lettre du littérateur Aignan, qui alors occupait le poste d'agent national de la commune d'Orléans, nous apprend les préoccupations où le tenait la moralité des dénonciateurs[32]. Il avait toujours peur que des personnes inoffensives, que des patriotes même ne fussent victimes de vengeances particulières, persécutés par des hommes pervers ; et ses craintes, hélas ! n'ont été que trop justifiées. Il lui semblait donc indispensable de purifier les administrations publiques, de les composer de citoyens probes, dévoués, incapables de sacrifier l'intérêt général à leur intérêt particulier, et décidés à combattre résolument tous les abus, sans détendre le ressort révolutionnaire. Les seuls titres à sa faveur étaient un patriotisme et une intégrité à toute épreuve. Ceux des représentants en mission en qui il avait confiance étaient priés de lui désigner des citoyens vertueux et éclairés propres à occuper les emplois auxquels le comité de Salut public était chargé de pourvoir. Ainsi se formèrent les listes de patriotes trouvées dans les papiers de Robespierre. Ainsi, comme on l'a vu plus haut, fut appelé au poste important de la commission des hospices et secours publics le Franc-Comtois Lerebours. Mais trouver des gens de bien et de courage en nombre suffisant n'était pas chose facile, tant d'indignes agents étaient parvenus, en multipliant les actes d'oppression, à jeter l'épouvante dans les cœurs ! Tu me demandes la liste des patriotes que j'ai pu découvrir sur ma route, écrivait Augustin à son frère, ils sont bien rares, ou peut-être la torpeur empêchait les hommes purs de se montrer par le danger et l'oppression où se trouvait la vertu[33]. Robespierre pouvait se souvenir des paroles qu'il avait laissé tomber un jour du haut de la tribune : La vertu a toujours été en minorité sur la terre. Aux approches du 9 Thermidor, il fit, dit-on, des ouvertures à quelques Conventionnels dont il croyait pouvoir estimer le caractère et le talent, et il chargea une personne de confiance de demander à Cambacérès s'il pouvait compter sur, lui dans sa lutte suprême contre les révolutionnaires dans le sens du crime[34]. Homme d'une intelligence supérieure, Cambacérès sentait bien que la justice, l'équité, Je bon droit, l'humanité étaient du côté de Robespierre ; mais, caractère médiocre, il se garda bien de se compromettre, et attendit patiemment le résultat du combat pour passer du côté du vainqueur. On comprend maintenant pourquoi, devenu prince et archichancelier de l'Empire, il disait, en parlant du 9 Thermidor : Ç'a été un procès jugé, mais non plaidé. Personne n'eût été plus que lui en état de le plaider en toute connaissance de cause, s'il eût été moins ami de la fortune et des honneurs.

Tandis que Robespierre gémissait et s'indignait de voir des préjugés incurables, ou des choses indifférentes, ou de simples erreurs érigés en crimes[35], ses collègues du comité de Salut public et du comité de Sûreté générale proclamaient bien haut, au moment même où la hache allaient le frapper, que les erreurs de l'aristocratie étaient des crimes irrémissibles[36]. La force du gouvernement révolutionnaire devait être centuplée, disaient-ils, par la chute d'un homme dont la popularité était trop grande pour une République[37]. Le désir d'en finir avec la Terreur était si loin de la pensée des hommes de Thermidor, que, dans la matinée du 10, faisant allusion aux projets de Robespierre de ramener au milieu de la République la justice et la liberté exilées, ils s'élevèrent fortement contre l'étrange présomption de ceux qui voulaient arrêter le cours majestueux, terrible de la Révolution française[38]. Les anciens membres des comités nous ont du reste laissé un aveu trop précieux pour que nous ne saisissions pas l'occasion de le mettre encore une fois sous les yeux du lecteur. Il s'agit des séances du comité de Salut public à la veille même de la catastrophe : Lorsqu'on faisait le tableau des circonstances malheureuses où se trouvait la chose publique, disent-ils, chacun de nous cherchait des mesures et proposait des moyens. Saint-Just nous arrêtait, jouait l'étonnement de n'être pas dans la confidence de ces dangers, et se plaignait de ce que tous les cœurs étaient fermés, suivant lui ; qu'il ne connaissait rien, qu'il ne concevait pas cette manière prompte d'improviser la foudre à chaque instance, et il nous conjurait, au nom de la République, de revenir à des idées plus justes, à des mesures plus sages[39]. C'était ainsi, ajoutent-ils, que le traître les tenait en échec, paralysait leurs mesures et refroidissait leur zèle[40]. Saint-Just se contentait d'être ici l'écho des sentiments de son ami, qui, certainement, n'avait pas manqué de se plaindre devant lui de voir certains hommes prendre plaisir à multiplier les actes d'oppression et à rendre les institutions révolutionnaires odieuses par des excès[41].

Un simple rapprochement achèvera de démontrer cette vérité, à savoir que le 9 Thermidor fut le triomphe de la Terreur. Parmi les innombrables lettres trouvées dans les papiers de Robespierre, il y avait une certaine quantité de lettres anonymes pleines d'invectives, de bave, de fiel, comme sont presque toujours ces œuvres de lâcheté et d'infamie. Plusieurs de ces lettres provenant du même auteur, et remarquables par la beauté et la netteté de l'écriture, contenaient, au milieu de réflexions sensées et de vérités que Robespierre était le premier à reconnaître, les plus horribles injures contre le comité de Salut public. A la suite de son rapport, Courtois ne manqua pas de citer avec complaisance une de ces lettres où il était dit que Tibère, Néron, Caligula, Auguste, Antoine et Lépide n'avaient jamais rien imaginé d'aussi horrible que ce qui se passait[42]. Et Courtois de s'extasier, — naturellement[43].

Ces lettres étaient d'un homme de loi, nommé Jacquotot, demeurant rue Saint-Jacques. Robespierre ne se préoccupait guère de ces lettres et de leur auteur, dont sur plus d'un point du reste il partageait les idées. Affamé de persécution comme d'autres de justice, l'ancien avocat, lassé en quelque sorte de la tranquillité dans laquelle il vivait au milieu de cette Terreur dont il aimait tant à dénoncer les excès, écrivit une dernière lettre, d'une violence inouïe, où il stigmatisa rudement la politique extérieure et intérieure du comité de Salut public ; puis il signa son nom en toutes lettres, et, cette fois, il adressa sa missive à Saint-Just : Jusqu'à présent j'ai gardé l'anonyme, mais maintenant que je crois ma malheureuse patrie perdue sans ressource, je ne crains plus la guillotine, et je signe[44]. D'autres, les Legendre, les Bourdon (de l'Oise), par exemple, se fussent empressés d'aller déposer ce libelle sur le bureau du comité afin de faire montre de zèle, eussent réclamé l'arrestation de l'auteur ; Saint-Just n'y fit nulle attention ; il mit la lettre dans un coin, garda le silence, et Jacquotot continua de vivre sans être inquiété jusqu'au 9 Thermidor. Mais au lendemain de ce jour néfaste, les glorieux vainqueurs trouvèrent les lettres du malheureux Jacquotot, et sans perdre un instant ils le firent arrêter et jeter dans la prison des Carmes[45], tant il est vrai que la chute de Robespierre fut le signal du réveil de la modération, de la justice et de l'humanité.

 

V

C'est ici le lieu de faire connaître par quels étranges procédés, par quels efforts incessants, par quelles manœuvres criminelles les ennemis de Robespierre sont parvenus à ternir sa mémoire aux yeux d'une partie du monde aveuglé. Nous dirons tout à l'heure de quelle réputation éclatante et pure il jouissait au moment de sa chute, et pour cela nous n'aurons qu'à interroger un de ses plus violents adversaires. Disons auparavant ce qu'on s'est efforcé d'en faire, et comment on a tenté de l'assassiner au moral comme au physique.

Un historien anglais a écrit : De tous les hommes que la Révolution française a produits, Robespierre fut de beaucoup le plus remarquable... Aucun homme n'a été plus mal représenté, plus défiguré dans les portraits qu'ont faits de lui les annalistes contemporains de toute espèce[46]. Rien de plus juste et de plus vrai. Pareils à des malfaiteurs pris la main dans le sac et qui, afin de donner le change, sont les premiers à crier : au voleur ! les Thermidoriens, comme on l'a vu, mettaient tout en œuvre pour rejeter sur Robespierre la responsabilité des crimes dont ils s'étaient couverts. D'où ce cri désespéré de Maximilien[47] : J'ai craint quelquefois, je l'avoue, d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur des hommes pervers qui s'introduisaient parmi les sincères amis de l'humanité. Et ces hommes, quels étaient-ils ? Ceux-là mêmes qui avaient poursuivi les dantonistes avec le plus d'acharnement. Nous le savons de Robespierre lui-même : Que dirait-on si les auteurs du complot étaient du nombre de ceux qui ont conduit Danton et Desmoulins à l'échafaud ?[48] Les hommes auxquels Robespierre faisait ici allusion étaient Vadier, Amar, Voulland, Billaud-Varenne. Ah ! a cette heure suprême, est-ce qu'un bandeau ne tomba pas de ses yeux ? Est-ce qu'une voix secrète ne lui reprocha pas amèrement de s'être laissé tromper au point de consentir à abandonner ces citoyens illustres ?

Cependant, une fois leur victime abattue, les Thermidoriens ne songèrent pas tout d'abord à faire de Maximilien le bouc émissaire de la Terreur ; au contraire, ainsi qu'on l'a vu déjà, ils le dénoncèrent bien haut comme ayant voulu arrêter le cours majestueux, terrible de la Révolution. Il est si vrai que le coup d'État du 9 Thermidor eut un caractère ultra-terroriste, qu'après l'événement Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois durent quitter leurs noms de Varenne et de d'Herbois comme entachés d'aristocratie[49]. Et le 19 fructidor (1er septembre 1794) on entendait encore le futur duc d'Otrante, l'exécrable Fouché, s'écrier : Toute pensée d'indulgence est une pensée contre-révolutionnaire[50]. Mais quand la contre-révolution en force fut venue s'asseoir sur les bancs de la Convention, quand les portes de l'Assemblée eurent été rouvertes à tous les débris du parti girondin et royaliste, quand la réaction enfin se fut rendue maîtresse du terrain, les Thermidoriens changèrent de tactique, el ils s'appliquèrent à charger Robespierre de tout le mal qu'il avait tenté d'empêcher, de tous les excès qu'il avait voulu réprimer. Les infamies auxquelles ils eurent recours pour arriver à leurs fins sont à peine croyables.

On commença par chercher à ternir le renom de pureté attaché à sa vie privée. Comme il arrive toujours au lendemain des grandes catastrophes, il ne manqua pas de misérables pour lancer contre le géant tombé des libelles remplis des plus dégoûtantes calomnies. Dès le 27 thermidor (14 août 1794), un des hommes les plus vils et les plus décriés de la Convention, un de ceux dont Robespierre aurait aimé à punir les excès et les dilapidations, l'ex-comte de Barras, le digne acolyte de Fréron, osait, en pleine tribune, l'accuser d'avoir entretenu de nombreuses concubines, de s'être réservé la propriété de Monceau pour ses plaisir, tandis que Couthon s'était approprié Bagatelle, et Saint-Just le Raincy[51]. Et les voûtes de la Convention ne s'écroulèrent pas quand ces turpitudes tombèrent de la bouche de l'homme qui plus tard achètera, du fruit de ses rapines peut-être, le magnifique domaine de Grosbois[52]. Barras ne faisait du reste qu'accroître et embellir ici une calomnie émanée de quelques misérables appartenant à la société populaire de Maisons-Alfort, lesquels, pour faire leur cour au parti victorieux, eurent l'idée d'adresser au comité de Sûreté générale une dénonciation contre un chaud partisan de Robespierre, contre Deschamps, le marchand mercier de la rue Béthisy, dont jadis Maximilien avait tenu l'enfant sur les fonts de baptême. Deschamps avait loué à Maisons-Alfort une maison de campagne qu'il habitait avec sa famille dans la belle saison, et où ses amis venaient quelquefois le visiter. Sous la plume des dénonciateurs, la maison de campagne se transforme en superbe maison d'émigré où Deschamps, Robespierre, Hanriot et quelques officiers de l'État major de Paris venaient se livrer à des orgies, courant à cheval quatre et cinq de front à bride abattue, et renversant les habitants qui avaient le malheur de se trouver sur leur passage. Quelques lignes plus loin, il est vrai, il est dit que Robespierre, Couthon et Saint-Just avaient promis de venir dans cette maison, mais qu'ils avaient changé d'avis. Il ne faut point demander de logique à ces impurs artisans de calomnies[53].

Que de pareilles inepties aient pu s'imprimer, passe encore, il faut s'attendre à tout de la part de certaines natures perverses ; mais qu'elles se soient produites à la face d'une Assemblée qui si longtemps avait été témoin des actes de Robespierre ; qu'aucune protestation n'ait retenti à la lecture de cette pièce odieuse, c'est à confondre l'imagination. Courtois, dans son rapport sur les papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, suivant l'expression thermidorienne, n'osa point, il faut le croire, parler de ce document honteux ; mais un peu plus tard, et la réaction grandissant, il jugea à propos d'en orner le discours prononcé par lui à la Convention sur les événements du 9 Thermidor, la veille de l'anniversaire de cette catastrophe. Comme Barras, l'immonde Courtois trouva moyen de surenchérir sur cette dénonciation signée de trois habitants de Maisons-Alfort. Par un procédé qui lui était familier, comme on le verra bientôt, confondant Robespierre avec une foule de gens auxquels Maximilien était complètement étranger, et même avec quelques-uns de ses proscripteurs, proscrits à leur tour, il nous peint ceux qu'il appelle nos tyrans prenant successivement pour lieu de leurs plaisirs et de leurs débauches, Auteuil, Passy, Vanves et Issy[54]. C'est là que, d'après des notes anonymes[55], on nous montre Couthon s'apprêtant à établir son trône à Clermont, promettant quatorze millions pour l'embellissement de la ville, et se faisant préparer par ses créatures un palais superbe à Chamalières[56] ! Tout cela dit et écouté sérieusement.

Du représentant Courtois aux coquins qui ont écrit le livre intitulé : Histoire de la Révolution par deux amis de la liberté, il n'y a qu'un pas. Dans cette œuvre, où tant d'écrivains, hélas ! ont été puiser des documents, on nous montre Robespierre arrivant la nuit, à petit bruit, dans un beau château garni de femmes de mauvaise vie, s'y livrant à toutes sortes d'excès, au milieu d'images lubriques réfléchies par des glaces nombreuses, à la lueur de cent bougies, signant d'une main tremblante de débauches des arrêts de proscription, et laissant échapper devant des prostituées qu'il y aurait bientôt plus de six mille Parisiens égorgés[57]. Voilà bien le pendant de la fameuse scène d'ivresse chez Mme de Saint-Amaranthe. C'est encore dans ce livre honteux qu'on nous montre Robespierre disposé à frapper d'un seul coup la majeure partie de la Représentation nationale, et faisant creuser de vastes souterrains, des catacombes où l'on pût enterrer des immensités de cadavres[58]. Jamais romanciers à l'imagination pervertie, depuis Mme de Genlis jusqu'à ceux de nos jours, n'ont aussi lâchement abusé du droit que se sont arrogé les écrivains de mettre en scène dans des œuvres de pure fantaisie les personnages historiques les plus connus, et de dénaturer tout à leur aise leurs actes et leurs discours. Devant ces inventions de la haine où l'ineptie le dispute à l'odieux, la conscience indignée se révolte ; mais il faut surmonter son dégoût, et pénétrer jusqu'au fond de ces sentines du cœur humain pour juger ce dont est capable la rage des partis. Ces mêmes amis de la liberté ont inséré dans leur texte, comme un document sérieux, une lettre censément trouvée dans les papiers de Robespierre, et signée Niveau, lettre d'un véritable fou, sinon d'un faussaire. C'est un tissu d'absurdités dont l'auteur, sur une foule de points, semble ignorer les idées de Robespierre ; mais on y lit des phrases dans le genre de celle-ci : Encore quelques têtes à bas, et la dictature vous est dévolue ; car nous reconnaissons avec vous qu'il faut un seul maître aux Français. On comprend dès lors que d'honnêtes historiens comme les deux amis de la liberté n'aient pas négligé une telle pièce. Cette lettre ne figure pas à la suite du premier rapport de Courtois : ce représentant l'aurait-il dédaignée ? C'est peu probable. Il est à présumer plutôt qu'elle n'était pas encore fabriquée à l'époque où il écrivit son rapport[59].

 

VI

J'ai nommé Courtois ! Jamais homme ne fut plus digne du mépris public. Si quelque chose est de nature à donner du poids aux graves soupçons dont reste encore chargée la mémoire de Danton, c'est d'avoir eu pour ami intime un tel misérable. Aucun scrupule, un mélange d'astuce, de friponnerie et de lâcheté, Basile et Tartufe, voilà Courtois. Signalé dès le mois de juillet 1793 comme s'étant rendu coupable de dilapidations dans une mission en Belgique, il avait été, pour ce fait, mandé devant le comité de Salut public par un arrêté portant la signature de Robespierre[60]. Les faits ne s'étant pas trouvés suffisamment établis, il n'avait pas été donné suite à la plainte ; mais de l'humiliation subie naquit une haine qui, longtemps concentrée, se donna largement et en toute sûreté carrière après Thermidor[61]. Chargé du rapport sur les papiers trouvés chez Robespierre, Couthon, Saint-Just et autres, Courtois s'acquitta de cette tâche avec une mauvaise foi et une déloyauté à peine croyables. La postérité, je n'en doute pas, sera étrangement surprise de la facilité avec laquelle cet homme a pu, à l'aide des plus grossiers mensonges, de faux matériels, égarer pendant si longtemps l'opinion publique.

Le premier rapport de Courtois se compose de deux parties bien distinctes[62] : le rapport proprement dit et les pièces à l'appui. Voici en quels termes un écrivain royaliste, peu suspect de partialité pour Robespierre a apprécié ce rapport : Ce n'est guère qu'une mauvaise amplification de collège, où le style emphatique et déclamatoire va jusqu'au ridicule[63]. L'emphase et la déclamation sont du fait d'un méchant écrivain ; mais ce qui est du fait d'un malhonnête homme, c'est l'étonnante mauvaise foi régnant d'un bout à l'autre de cette indigne rapsodie. Il ne faut pas s'imaginer d'ailleurs que Courtois en soit seul responsable ; d'autres y ont travaillé ; — Guffroy notamment. — C'est bien l'œuvre commune de la faction thermidorienne, de cette association de malfaiteurs pour laquelle le monde n'aura jamais assez de mépris.

La tactique de la faction, tactique suivie depuis par tous les écrivains et historiens de la réaction, a été d'attribuer à Robespierre tout le mal, toutes les erreurs inséparables des crises violentes d'une révolution, et tous les excès qu'il combattit avec tant de courage et de persévérance. Le rédacteur du laborieux rapport où l'on a cru ensevelir pour jamais la réputation de Maximilien a mis en réquisition la mythologie de tous les peuples. L'amant de Dalila, Dagon, Gorgone, Asmodée, le dieu Vishnou et la bête du Gévaudan figurent pêle-mêle dans cette œuvre. César et Sylla, Confucius et Jésus-Christ, Épictète et Domitien, Néron, Caligula, Tibère, Damoclès s'y coudoient, fort étonnés de se trouver ensemble : voilà pour le ridicule. Voici pour l'odieux : De l'innombrable quantité de lettres trouvées chez Robespierre on commença par supprimer tout ce qui était à son honneur" tout ce qui prouvait la bonté de son cœur, la grandeur de son âme, l'élévation de ses sentiments, son horreur des excès, sa sagesse et son humanité. Ainsi disparurent les lettres des Girondins, dont nous avons pu remettre une partie en lumière, celles du général Hoche, la correspondance échangée entre les deux frères et une foule d'autres pièces précieuses à jamais perdues pour l'histoire. Ce fut un des larrons de Thermidor, le député Rovère, qui le premier se plaignait qu'on eût escamoté beaucoup de pièces[64]. Courtois, comme on sait, s'en appropria la plus grande partie[65]. Portiez (de l'Oise) en eut une bonne portion ; d'autres encore participèrent au larcin. Les uns et les autres ont fait commerce de ces pièces, lesquelles se trouvent aujourd'hui dispersées dans des collections particulières. Enfin une foule de lettres ont été rendues aux intéressés, notamment celles adressées à Robespierre par nombre de ses collègues dont les Thermidoriens payèrent par là la neutralité, ou même achetèrent l'assistance. Même au plus fort de la réaction, ces inqualifiables procédés soulevèrent des protestations indignées. Dans la séance du 29 pluviôse de l'an III (17 février 1795), le représentant Montmayou réclama l'impression générale de toutes les pièces afin que tout fût connu du peuple et de la Convention, et un député de la Marne, nommé Deville, se plaignit que l'on n'eût imprimé que ce qui avait paru favorable au parti sous les coups duquel avait succombé Robespierre[66]. Les voûtes de la Convention retentirent ce jour-là des plus étranges mensonges. Le boucher Legendre, par exemple, se vanta de n'avoir jamais écrit à Robespierre. Il comptait sans doute sur la discrétion de ses alliés de Thermidor ; peut-être lui avait-on rendu ses lettres, sauf une, où se lit cette phrase déjà citée : Une reconnaissance immortelle s'épanche vers Robespierre toutes les fois qu'on pense à un homme de bien. Gardée par malice ou par mégarde, cette lettre devait paraître plus tard comme pour attester la mauvaise foi de Legendre[67]. Le même député avoua — aveu bien précieux — qu'une foule d'excellents citoyens avaient écrit à Robespierre, et que c'était à lui que de toutes les parties de la France s'adressaient les demandes des infortunés et les réclamations des opprimés[68]. Preuve assez manifeste qu'aux yeux du pays Maximilien ne passait ni pour un oppresseur ni pour l'ordonnateur des actes d'oppression dont il était le premier à gémir. Décréter l'impression de pareilles pièces, n'était-ce point condamner et flétrir les auteurs de la journée du 9 Thermidor ? André Dumont, devenu l'un des insulteurs habituels de la mémoire de Maximilien, protesta vivement. Comme il se targuait, lui aussi, de n'avoir pas écrit au vaincu : — Tes lettres sont au Bulletin, lui cria une voix. — Choudieu vint ensuite, et réclama à son tour l'impression générale de toutes les pièces trouvées chez Robespierre. — Cette impression, dit-il, fera connaître une partialité révoltante, une contradiction manifeste avec les principes de justice que l'on proclame. On verra qu'on a choisi toutes les pièces qui pouvaient satisfaire des vengeances particulières pour refuser la publicité des autres[69]. L'honnête Choudieu ne se doutait pas alors que les auteurs du rapport n'avaient pas reculé devant des faux matériels. L'Assemblée se borna à ordonner l'impression de la correspondance des représentants avec Maximilien, mais on se garda bien, et pour cause, de donner suite à ce décret.

On sait maintenant, par une discussion solennelle et officielle, avec qu'elle effroyable mauvaise foi à été conçu le rapport de Courtois. Tous les témoignages d'affection, d'enthousiasme et d'admiration adressés à Robespierre y sont retournés en arguments contre lui. Et il faut voir comment sont traités ses enthousiastes et ses admirateurs. Crime à un écrivain nommé Félix d'avoir exprimé le désir de connaître un homme aussi vertueux[70] ; crime à un vieillard de quatre-vingt-sept ans d'avoir regardé Robespierre comme le messie annoncé pour réformer toutes choses[71] ; crime à celui-ci d'avoir baptisé son enfant du nom de Maximilien ; crime à celui-là d'avoir voulu rassasier ses yeux et son cœur de la vue de l'immortel tribun ; crime au maire de Vermanton, en Bourgogne, de l'avoir regardé comme la pierre angulaire de l'édifice constitutionnel, etc.[72]. Naturellement Robespierre est un profond scélérat d'avoir été l'objet de si chaudes protestations[73]. S'il faut s'en rapporter aux honorables vainqueurs de Thermidor, il n'appartient qu'aux gens sans courage, sans vertus et sans talents de recevoir tant de marques d'amour et de soulever les applaudissements de tout un peuple.

Comme dans toute la correspondance recueillie chez Robespierre tout concourait à prouver que c'était un parfait homme de bien, les Thermidoriens ont usé d'un stratagème digne de l'école jésuitique dont ils procèdent si directement. Ils ont fait l'amalgame le plus étrange qui se puisse imaginer. Ainsi le rapport de Courtois roule sur une foule de lettres et de pièces entièrement étrangères à Maximilien, lettres émanées de patriotes très-sincères, mais quelquefois peu éclairés, et dont certaines expressions triviales ou exagérées ont été relevées avec une indignation risible, venant d'hommes comme les Thermidoriens. Ce rapport est plein, du reste, de réminiscences de Louvet, et l'on sent que le rédacteur était un lecteur assidu, sinon un collaborateur des journaux girondins. La soif de la domination qu'il prête si gratuitement à Robespierre, et qui chez d'autres, selon lui, — chez les Thermidoriens sans doute, — peut venir d'un mouvement louable, naquit chez le premier de l'égoïsme et de l'envie[74]. Quel égoïste en effet ! Jamais homme ne songea moins à ses intérêts personnels ; l'humanité et la patrie occupèrent uniquement ses pensées. Quant à être envieux, beaucoup de ses ennemis avaient de fortes raisons pour l'être de sa renommée si pure, mais lui, pourquoi et de qui l'aurait-il été ? S'il était amoureux de la gloire, n'en avait-il pas à revendre, et existait-il dans la République une réputation comparable à la sienne ? Ce fut bien là un de ses plus grands crimes aux yeux de ses adversaires.

Un exemple fera voir jusqu'où l'exécrable Courtois a poussé la déloyauté. Dans les papiers trouvés chez Robespierre il y a un certain nombre de lettres anonymes, plus niaises et plus bêtes les unes que les autres. Le premier devoir de l'homme qui se respecte est de fouler aux pieds ces sortes de lettres, monuments de lâcheté et d'ineptie. Mais les Thermidoriens ! ! Parmi ces lettres s'en trouve une que le rapporteur dit être écrite sur le ton d'une réponse, et qui n'est autre chose qu'une plate et ignoble mystification. On y parle à Robespierre de la nécessité de fuir un théâtre où il doit bientôt paraître pour la dernière fois ; on l'engage à venir jouir des trésors qu'il a amassés ; tout cela écrit d'un style et d'une orthographe impossibles. Courtois n'en a pas moins feint de prendre cette lettre au sérieux, et après en avoir cité un assez long fragment, auquel il a eu grand soin de restituer une orthographe usuelle afin d'y donner un air un peu plus véridique, il s'écrie triomphalement : Voilà l'incorruptible, le désintéressé Maximilien ![75] Non, je ne sais si dans toute la comédie italienne on trouverait un fourbe pareil.

Au reste, de quoi n'étaient pas capables des gens qui ne reculaient point devant des faux matériels ? Courtois et ses amis, comme s'ils eussent eu le pressentiment qu'un jour ou l'autre leurs fraudes finiraient par être découvertes, refusaient avec obstination de rendre les originaux des pièces saisies chez les victimes de Thermidor. Il fallut que Saladin, au nom de la commission des Vingt et un, chargée de présenter un rapport sur les anciens membres des comités, menaçât Courtois d'un décret de la Convention, pour l'amener à une restitution. Mais cet habile artisan de calomnies eut bien soin de ne rendre que les pièces dont l'existence se trouvait révélée par l'impression, et il garda le reste ; de sorte que ce fameux rapport qui depuis si longues années fait les délices de la réaction est à la fois l'œuvre d'un faussaire et d'un voleur.

 

VII

Nous avons déjà signalé en passant plusieurs des fraudes de Courtois, et le lecteur ne les a sans doute pas oubliées. Ici, au lieu des écrivains mercenaires dont parlait Maximilien, on a généralisé et l'on a écrit : les écrivains ; là, au lieu d'une couronne civique, on lui fait offrir la couronne, et cela suffit au rapporteur pour l'accuser d'avoir aspiré à la royauté. Mais de tous les faux commis par les Thermidoriens pour charger la mémoire de Robespierre, il n'en est certainement pas de plus odieux que celui qui a consisté à donner comme adressée à Maximilien une lettre écrite par Charlotte Robespierre à son jeune frère Augustin, dans un moment de dépit et de colère. A ceux qui révoqueraient en doute l'infamie et la scélératesse de cette faction thermidorienne que Charles Nodier a si justement flétrie du nom d'exécrable, de ces sauveurs de la France, comme disent les fanatiques de Mme Tallien, il n'y a qu'à opposer l'horrible trame dont nous allons placer le récit sous les yeux de nos lecteurs. Les individus coupables de ce fait monstrueux étaient, à coup sûr, disposés à tout. On s'étonnera moins que Robespierre ait eu la pensée de dénoncer à la France ces hommes couverts de crimes, les Fouché, les Tallien, les Rovère, les Bourdon (de l'Oise) et les Courtois. Je ne sais même s'il ne faut pas s'applaudir à cette heure des faux dont nous avons découvert les preuves authentiques, et qui resteront comme un monument éternel de la bassesse et de l'immoralité de ces misérables.

Charlotte Robespierre aimait passionnément ses frères. Depuis sa sortie du couvent des Manares, elle avait constamment vécu avec eux, et grâce aux libéralités de Maximilien, qui suppléaient à la modicité de son patrimoine, elle avait pu jouir d'une existence honorable et aisée. Séparée de lui pendant la durée de la Constituante et de l'Assemblée législative, elle était venue le rejoindre après l'élection d'Augustin à la Convention nationale, et avait, comme on l'a vu, pris un logement dans la maison de Duplay. Toute dévouée à des frères adorés, elle était malheureusement affectée d'un défaut assez commun chez les personnes qui aiment beaucoup : elle était, avons-nous dit, jalouse, jalouse à l'excès. Cette jalousie, jointe à un caractère assez difficile, fut plus d'une fois pour Maximilien une cause de véritable souffrance, et nous avons dit aussi combien il éprouva de chagrin, de la brouille de sa sœur avec Mme Duplay. Charlotte avait accompagné Augustin Robespierre dans une de ses missions dans le Midi ; mais elle avait dû précipitamment quitter Nice, sur l'ordre même de son frère, à la suite de très-vives discussions avec Mme Ricord, dont les prévenances pour Augustin l'avaient vivement offusquée.

Fort contrariée d'avoir été ainsi congédiée, elle était revenue à Paris le cœur gonflé d'amertume. A son retour, Augustin ne mit point le pied chez sa sœur et, sans l'avoir vue, il repartit pour l'armée d'Italie[76]. Charlotte en garda un ressentiment profond. Au lieu de s'expliquer franchement auprès de son frère aîné sur ce qui s'était passé entre elle, Mme Ricord et Augustin, elle alla récriminer violemment contre ce dernier dans le cercle de ses connaissances, sans se soucier du scandale qu'elle causait. Ce fut en apprenant ces récriminations que Robespierre jeune écrivit à son frère : Ma sœur n'a pas une seule goutte de sang qui ressemble au nôtre. J'ai appris et j'ai vu tant de choses d'elle que je la regarde comme notre plus grande ennemie. Elle abuse de notre réputation sans tache pour nous faire la loi. Il faut prendre un parti décidé contre elle. Il faut la faire partir pour Arras, et éloigner ainsi de nous une femme qui fait notre désespoir commun. Elle voudrait nous donner la réputation de mauvais frères[77]. Maximilien, dont le caractère était aussi doux et aussi conciliant dans l'intérieur que celui de Charlotte était irritable, n'osa adresser de reproches à sa sœur, craignant de l'animer encore davantage contre Augustin ; mais Charlotte vit bien, à sa froideur, qu'il était mécontent d'elle[78]. Son dépit s'en accrut, et Augustin n'étant point allé la voir en revenant de sa seconde mission dans le Midi, elle lui écrivit, le 18 messidor, la lettre bien connue : Votre aversion pour moi, mon frère, loin de diminuer comme je m'en étais flattée, est devenue la haine la plus implacable, au point que ma vue seule vous inspire de l'horreur ; ainsi, je ne dois pas espérer que vous soyez jamais assez calme pour m'entendre ; c'est pourquoi je vais essayer de vous écrire. Cette lettre est longue, très-longue et d'une violence extrême ; on s'aperçoit qu'elle a été écrite sous l'empire de la plus aveugle irritation, et cependant, au milieu des expressions de colère : Si vous pouvez, dans le désordre de vos passions, distinguer la voix du remords... Que cette passion de la haine doit être affreuse, puisqu'elle vous aveugle au point de me calomnier... on sent bien vibrer la corde douce et tendre de l'affection fraternelle, et les sentiments de la sœur aimante percent instinctivement à travers certaines paroles de fureur irréfléchie. On l'avait, s'il faut l'en croire, indignement calomniée auprès de son frère ![79] Ah ! si vous pouviez lire au fond de mon cœur, lui disait-elle, vous y verriez, avec la preuve de mon innocence, que rien ne peut en effacer l'attachement tendre qui me lie à vous, et que c'est le seul sentiment auquel je rapporte toutes mes affections ; sans cela me plaindrais-je de votre haine ? Que m'importe a moi d'être haïe par ceux qui me sont indifférents et que je méprise ! Jamais leur souvenir ne viendra me troubler ; mais être haïe de mes frères, moi pour qui c'est un besoin de les chérir, c'est la seule chose qui puisse me rendre aussi malheureuse que je le suis. Puis, après avoir déclaré à son frère Augustin que, sa haine pour elle étant trop aveugle pour ne pas se porter sur tout ce qui lui porterait quelque intérêt, elle était disposée à quitter Paris sous quelques jours, elle ajoutait : Je vous quitte donc, puisque vous l'exigez ; mais, malgré vos injustices, mon amitié pour vous est tellement indestructible que je ne conserverai aucun ressentiment du traitement cruel que vous me faites essuyer, lorsque désabusé, tôt ou tard, vous viendrez à prendre pour moi les sentiments que je mérite. Qu'une mauvaise honte ne vous empêche pas de m'instruire que j'ai recouvré votre amitié, et en quelque lieu que je sois, fussé-je par delà les mers, si je puis vous être utile à quelque chose, sachez m'en instruire, et bientôt je serai auprès de vous...

Là se termine la version donnée par les Thermidoriens de la lettre de Charlotte Robespierre. Jusqu'à ce jour, impossible aux personnes non initiées aux rapports ayant existé entre la sœur et les deux frères de savoir auquel des deux était adressée cette lettre. Quelle belle occasion pour les Thermidoriens de faire prendre le change à tout un peuple, sans qu'une voix osât les démentir, et d'imputer à Maximilien tous les griefs que, dans son ressentiment aveugle, Charlotte se croyait en droit de reprocher à son frère Augustin ! Ils se gardèrent bien de la laisser échapper ; ils n'eurent qu'à supprimer vingt lignes dont nous parlerons tout à l'heure, qu'à remplacer la suscription : Au citoyen Robespierre cadet, par ces simples mots : Lettre de la citoyenne Robespierre à son frère, et le tour fut fait.

Quand plus tard, longtemps, bien longtemps après, il fut permis à Charlotte Robespierre d'élever la voix, elle protesta de toutes les forces de sa conscience indignée, et elle déclara hautement, d'abord que cette lettre avait été adressée à son jeune frère, et non pas à Maximilien, ensuite qu'elle renfermait des phrases apocryphes qu'elle ne reconnaissait pas comme siennes. Elle déniait notamment les passages soulignés par nous[80]. Sur ce second point Charlotte commettait une erreur. La colère est une mauvaise conseillère, et l'on ne se souvient pas toujours des emportements de langage auxquels elle peut entraîner. Or, ne pas s'en souvenir, c'est déjà avouer qu'on avait tort de s'y laisser aller. Les termes de la lettre telle qu'elle a été insérée à la suite du rapport de Courtois sont bien exacts ; je les ai collationnés avec le plus grand soin sur l'original.

Beaucoup de personnes ont cru, et plusieurs même ont soutenu que Mlle Robespierre n'avait fait cette déclaration que par complaisance et à l'instigation de quelques anciens amis de son frère aîné. Charlotte ne s'est pas aperçue de la suppression d'un passage qui, placé sous les yeux du lecteur, eût coupé court à tout débat. Deux lignes de plus, et il n'y avait pas de confusion possible. Quel ne fut pas mon étonnement, et quelle ma joie, puis-je ajouter, quand, ayant mis, aux Archives, la main sur les pièces citées par Courtois et qu'il ne restitua, comme je l'ai dit, qu'un décret sur la gorge en quelque sorte, je lus dans l'original de la lettre de Charlotte ces bien heureuses lignes d'où jaillit la lumière : Je vous envoie l'état de la dépense que j'ai faite depuis VOTRE DÉPART POUR NICE. J'ai appris avec peine que vous vous étiez singulièrement dégradé par la manière dont vous avez parlé de cette affaire d'intérêt. Suivent des explications sur la nature des dépenses faites par Charlotte, dépenses qui, paraît-il, avaient semblé un peu exagérées à Augustin. Charlotte s'était chargée de tenir le ménage de son jeune frère, avec lequel elle avait habité jusqu'alors ; quelques reproches indirects sur l'exagération de ses dépenses n'avaient sans doute pas peu contribué à l'exaspérer. Je vous rends tout ce qui me reste d'argent, disait-elle en terminant, si cela ne s'accorde pas avec ma dépense, cela ne peut venir que de ce que j'aurai oublié quelques articles[81]. On comprend de reste l'intérêt qu'ont eu les Thermidoriens à supprimer ce passage : toute la France savait que c'était Augustin et non pas Maximilien qui avait été en mission à Nice ; or, pour tromper l'opinion publique, ils n'étaient pas hommes à reculer devant un faux par omission.

Comment sans cela le rédacteur du rapport de Courtois eût-il pu écrire : Il se disait philosophe, Robespierre, hélas ! il l'était sans doute comme ce Constantin qui se le disait aussi. Robespierre se fût teint comme lui, sans scrupule, du sang de ses proches, puisqu'il avait déjà menacé de sa fureur une de ses sœurs. Et, comme preuve, le rapporteur a eu soin de renvoyer le lecteur à la lettre tronquée citée à la suite du rapport[82]. Eh bien ! je le demande, y a-t-il assez de mépris pour l'homme qui n'a pas craint de tracer ces lignes, ayant sous les yeux la lettre même de Charlotte Robespierre ? On n'ignore pas quel parti ont tiré de ce faux la plupart des écrivains de la réaction. Il avait résolu de faire périr aussi sa propre sœur, a écrit l'un d'eux en parlant de Robespierre[83]. Et chacun de se lamenter sur le sort de cette pauvre sœur. Ah ! je ne sais si je me trompe, mais il y a là, ce me semble, une de ces infamies que certains scélérats n'eussent point osé commettre, et contre laquelle ne saurait trop se révolter la conscience des gens de bien. Quelle infernale idée que celle d'avoir falsifié la lettre de la sœur pour tâcher de flétrir le frère !

Charlotte ne se consola jamais de la publicité donnée, par une odieuse indiscrétion, à une lettre écrite dans un moment de dépit, et dont le souvenir lui revenait souvent comme un remords. La pensée qu'on pouvait supposer que cette lettre avait été adressée par elle à son frère Maximilien la mettait au supplice[84] ; car, ainsi qu'on l'a pu voir, elle n'avait, dans son état d'exaltation et de colère, rien perdu de son affection pour ses deux frères, affection à laquelle elle resta fidèle jusqu'au dernier jour de sa vie. Cette lettre avait été écrite le 18 messidor ; à moins de trois semaines de là, dans la matinée du 10 thermidor, une femme toute troublée, le désespoir au cœur, parcourait les rues comme une folle, cherchant, appelant ses frères. C'était Charlotte Robespierre. On lui dit que ses frères sont à la Conciergerie, elle y court, demande à les voir, supplie à mains jointes, se traîne à genoux aux pieds des soldats ; mais, malheur aux vaincus ! on la repousse, on l'injurie, on rit de ses pleurs. Quelques personnes, émues de pitié, la relevèrent et parvinrent à l'emmener ; sa raison s'était égarée. Quant, au bout de quelques jours elle revint à elle, ignorant ce qui s'.était passé depuis, elle était en prison[85].

Voilà donc bien établis les véritables sentiments de Charlotte pour ses frères, et l'on peut comprendre combien elle dut souffrir de l'étrange abus que les Thermidoriens avaient fait de son nom. Tous les honnêtes gens se féliciteront donc de la découverte d'un faux qui imprime une souillure de plus sur la mémoire de ces hommes souillés déjà de tant de crimes, et je ne saurais trop m'applaudir, pour ma part, d'avoir pu, ici comme ailleurs, dégager l'histoire des ténèbres dont elle était enveloppée.

 

VIII

Un faux non moins curieux, dont se sont rendus coupables les Thermidoriens pour charger la mémoire de Robespierre, est celui qui concerne les pièces relatives à l'espionnage, insérées à la suite du rapport de Courtois. De leur propre aveu ils avaient, on l'a vu, formé dès le 5 prairial, contre Robespierre, et très-certainement contre le comité de Salut public tout entier, une conjuration sur laquelle nous nous sommes expliqué en détail dans notre précédent livre. Leurs menées, n'avaient pas été sans transpirer. Rien d'étonnant, en conséquence, à ce que les membres formant le noyau de cette conjuration fussent l'objet d'une surveillance active. Des agents du comité épièrent avec le plus grand soin les démarches de Tallien, de Bourdon (de l'Oise) et de deux ou trois autres. Mais est-il vrai que Robespierre ait eu des espions à sa solde, comme on l'a répété sur tous les tons depuis soixante-dix ans ? Pas d'historien contre-révolutionnaire qui n'ait relevé ce fait à la charge de Maximilien, en se fondant uniquement sur l'autorité des pièces imprimées par Courtois, lesquelles pièces sont en effet données comme ayant été adressées particulièrement à Robespierre. Les écrivains les plus consciencieux y ont été pris, notamment les auteurs de l'Histoire parlementaire ; seulement ils ont cru à un espionnage officieux organisé par des amis dévoués et quelques agents sûrs du comité de Salut public[86].

Cependant la manière embrouillée et ambiguë dont Courtois, dans son rapport, parle des documents relatifs à l'espionnage, aurait dû les mettre sur la voie du faux. Il était difficile, après la scène violente qui avait eu lieu à la Convention nationale le 24 prairial entre Billaud-Varenne et Tallien, d'affirmer que les rapports de police étaient adressés à Robespierre seul. Courtois, dont le rapport fut rédigé après les poursuites intentées contre plusieurs des anciens membres des comités, et qui, par conséquent, put déterrer à son aise dans les cartons du comité de Salut public les pièces de nature à donner quelque poids à ses accusations, s'attacha à entortiller la question. Ainsi, après avoir déclaré qu'il y avait des crimes communs aux membres des comités et communs à Robespierre, comme l'espionnage exercé sur les citoyens et surtout sur les députés[87], il ajoute : L'espionnage a fait toute la force de Robespierre et des comités. ; il servit aussi à alimenter leurs fureurs par la connaissance qu'il donnait à Robespierre des projets vrais ou supposés de ceux qui méditaient sa perte[88]. Billaud-Varenne, il est vrai, à la séance du 9 Thermidor, essaya, dans une intention facile à deviner, de rejeter sur Robespierre la responsabilité de la surveillance exercée par le comité sur certains représentants du peuple ; mais combien mérité le démenti qu'un peu plus tard lui infligea Laurent Lecointre, en rappelant la scène du 24 prairial[89] !

Quoi qu'il en soit, les Thermidoriens jugèrent utile d'appuyer d'un certain nombre de pièces la ridicule accusation de dictature dirigée par eux contre leur victime, et comme ils avaient décoré du nom de gardes du corps les trois ou quatre personnes dévouées qui de loin et secrètement veillaient sur Maximilien, ils imaginèrent de le gratifier d'espions à sa solde, que, par parenthèse, il lui eût été assez difficile de payer. Comme à tous les personnages entourés d'un certain prestige et d'une grande notoriété, il arrivait à Robespierre de recevoir une foule de lettres plus ou moins sérieuses, plus ou moins bouffonnes, et anonymes la plupart du temps, où les avis, les avertissements et les menaces ne lui étaient pas épargnés. C'est, par exemple, une sorte de déclaration écrite d'une femme Labesse, laquelle dénonce une autre femme nommée Lacroix comme ayant appris d'elle, quelques jours après l'exécution du père Duchesne, que la faction Pierrotine ne tarderait pas à tomber. Voilà pourtant ce que les Thermidoriens n'ont pas craint de donner comme une des preuves du prétendu espionnage organisé par Robespierre. Cette pièce, d'une orthographe défectueuse[90], ne porte aucune suscription ; et de l'énorme fatras de notes adressées à Maximilien, suivant Courtois, c'est à coup sûr la plus compromettante, puisqu'on l'a choisie comme échantillon. Jugez du reste.

Viennent ensuite une série de rapports concernant le boucher Legendre, Bourdon (de l'Oise), Tallien, Thuriot et Fouché, signés de la lettre G. Ces rapports vont du 4 messidor au 29 du même mois ; ainsi ils sont d'une époque où Robespierre se contentait de faire acte de présence au sein du comité de Salut public, sans prendre part aux délibérations ; où le fameux bureau de police générale, dont il avait eu un moment la direction, n'existait plus, où enfin il avait complètement abandonné à ses collègues l'exercice du pouvoir. C'était donc aussi bien sous les yeux de ces derniers que sous les siens que passaient ces rapports. On a dit, il est vrai, et Billaud-Varenne l'a soutenu quand il s'est agi pour lui de se défendre contre les inculpations de Lecointre, que certaines pièces étaient portées à la signature chez Maximilien lui-même parles employés du comité, — allégation dont nous avons démontré la fausseté, — et l'on pourrait supposer que ces rapports de police lui avaient été adressés chez lui. Mais cette hypothèse est tout à fait inadmissible. Si en effet le rédacteur de ces rapports, lequel était un nommé Guérin, eût été un agent particulier de Robespierre, les Thermidoriens se fussent empressés, après leur facile victoire, de lui faire un très-mauvais parti, cela est de toute évidence. Plus d'un fut guillotiné qui s'était moins compromis pour Maximilien. Or, ce Guérin' continua pendant quelque temps encore, après comme avant Thermidor, son métier d'agent secret du comité ; on peut s'en convaincre en consultant ses rapports conservés aux Archives. Voici du reste un arrêté en date du 26 messidor, rendu sur la proposition de Guérin. Le comité de Salut public arrête que le citoyen Duchesne, menuisier, se rendra au comité le 28 de ce mois, dans la matinée, pour être entendu. Arrêté signé : Billaud-Varenne, Saint-Just, Carnot, C.-A. Prieur. Cet homme avait été surpris par Guérin en possession de faux assignats[91].

Mais les Thermidoriens avaient à cœur de présenter leur victime comme ayant tenu seul, pour ainsi dire, entre ses mains les destinées de ses collègues. Quel effet magique ne devait pas produire sur des imaginations effrayées l'idée de ce Robespierre faisant épier par ses agents les moindres démarches de ceux des représentants que, dis-ait-on, il se disposait à frapper ! Trente, cinquante députés devaient être sacrifiés par lui ; on en éleva même le nombre à cent quatre-vingt-douze, cela ne coûtait rien[92]. Le comité de Salut public s'était borné à surveiller cinq ou six membres de la Convention dont les faits et gestes lui causaient de légitimes inquiétudes ; n'importe ! il fallait mettre sur le compte de Robespierre ce fameux espionnage qui depuis soixante-dix ans a défrayé presque toutes les Histoires de la Révolution. Les Thermidoriens ont commencé par supprimer des rapports de Guérin tout ce qui était étranger aux représentants, notamment une dénonciation contre un bijoutier du Palais-Royal nommé Lebrun ; car, se serait-on demandé, quel intérêt pouvait avoir Robespierre à se faire rendre compte, à lui personnellement, de la conduite de tel ou tel particulier ? Ensuite, partout où dans le texte des rapports il y avait le pluriel, preuve éclatante que ces pièces étaient adressées à tous les membres du comité et non pas à un seul d'entre eux, ils ont mis le singulier : ainsi, au lieu de citoyens, ils ont imprimé CITOYEN[93].

Je ne saurais rendre l'impression singulière que j'ai ressentie lorsqu'en collationnant aux Archives sur les originaux les pièces insérées par Courtois à la suite de son rapport, j'ai découvert cette supercherie, constaté ce faux. Quel qu'ait été dès lors mon mépris pour les vainqueurs de Thermidor, je ne pouvais croire qu'il y eût eu chez eux une telle absence de sens moral, et plus d'un parmi ceux dont le jugement sur Robespierre s'est formé d'après les données thermidoriennes partagera mon étonnement. La postérité, qui nous jugera tous, se demandera aussi, stupéfaite, comment sur de pareils témoignages on a pu durant tant d'années apprécier légèrement les victimes de Thermidor, et elle frappera d'une réprobation éternelle leurs bourreaux, ces faussaires désormais cloués au pilori de l'histoire.

 

IX

Après Thermidor, une effroyable terreur s'abattit sur les patriotes, ce fut le commencement de la Terreur blanche. De toutes les communes de France, une seule, je crois, eut le courage de protester contre cette funeste journée, ce fut la commune de Dijon. Mais ce fut une protestation isolée, perdue dans le concert des serviles adresses de félicitations envoyées de toutes parts aux vainqueurs. Malheur en effet à qui eût osé ouvrir la bouche pour défendre la mémoire de Robespierre ! On vit alors se produire les plus honteuses apostasies. Tels qui avaient porté aux nues Maximilien vivant et s'étaient extasiés sur son humanité, sur son amour de la justice, firent chorus avec ses calomniateurs et ses assassins, et l'accablèrent, mort, des plus indignes outrages. Les Girondins sauvés par lui, les Mercier, les Daunou, les Saladin, les Olivier de Gérente et tant d'autres injurièrent bassement l'homme qui, de leur propre aveu, les avait par trois fois sauvés de la mort, et vers lequel ils avaient poussé un jour un long cri de reconnaissance. Mais, passé Thermidor, leur reconnaissance était avec les neiges d'antan. Celui qu'en messidor de l'an II Boissy d'Anglas présentait au monde comme l'Orphée de la France, enseignant aux peuples les premiers principes de la morale et de la justice, n'était plus, en ventôse de l'an III (mars 1795), de par le même Boissy, qu'un hypocrite à la tyrannie duquel le 9 Thermidor avait heureusement mis fin[94].

Toutes les lâchetés, toutes les turpitudes, toutes les apostasies débordèrent des cœurs comme d'un torrent fangeux. Barère, malgré l'appui prêté par lui aux assassins de Robespierre, n'en fut pas moins obligé de venir un jour faire amende honorable pour avoir à diverses reprises parlé de lui avec éloge[95]. On entendit, sans que personne osât protester, les diffamations les plus ineptes, les plus saugrenues, se produire en pleine Convention. Ici, Maximilien est désigné par le montagnard Bentabole comme le chef de la faction d'Hébert[96]. Là, deux républicains, Laignelot et Lequinio, qui toute leur vie durent regretter, j'en suis sûr, d'avoir un moment subi l'influence des passions thermidoriennes, en parlent comme ayant été d'intelligence avec la Vendée[97]. Tandis que Thuriot de Larozière, le futur magistrat impérial, demande que le tribunal révolutionnaire continue d'informer contre les nombreux partisans de Robespierre, Merlin (de Douai), le législateur par excellence de la Terreur, annonce que les rois coalisés, et spécialement le pape, sont désespérés de la catastrophe qui a fait tomber la tête de Maximilien[98]. Catastrophe, le mot y est. Merlin l'a-t-il prononcé intentionnellement ? Je n'en serais pas étonné. Quel ami des rois et du pape, en effet, que ce Maximilien Robespierre ! et comme les partisans de la monarchie et du catholicisme ont pris soin de défendre sa mémoire !

On frémit d'indignation en lisant dans le Moniteur, où tant de fois le nom de Robespierre avait été cité avec éloge, les injures crachées sur ce même nom par un tas de misérables sans conscience et sans aveu. Un jour, ce sont des vers d'un bailly suisse, où nous voyons qu'il fallait sans tarder faire son épitaphe ou bien celle du genre humain[99]. Une autre fois, ce sont des articles d'un des rédacteurs ordinaires du journal, où sont délayées en un style emphatique et diffus toutes les calomnies ayant cours alors contre Robespierre[100]. Ce rédacteur, déjà nommé, s'appelait Trouvé. Auteur d'un hymne à l'Être suprême, il composa une ode sur le 9 Thermidor, et chanta ensuite tous les pouvoirs qui s'élevèrent successivement sur les ruines de la République. J'ai déjà dit, je crois, comment, après avoir été baron et préfet de l'Empire, cet individu était devenu l'un des plus serviles fonctionnaires de la Restauration. Les injures d'un tel homme ne pouvaient qu'honorer la mémoire de Robespierre[101].

Aucun genre de diffamation ou de calomnie n'a été épargné au martyr dans sa tombe. Tantôt c'est un député du nom de Cigongne qui, rompant le silence auquel il s'était à peu près condamné jusque-là, a l'effronterie de présenter comme l'œuvre personnelle de Robespierre les lois votées de son temps par la Convention nationale, effronterie devenue commune depuis à tant de prétendus historiens ; tantôt c'est l'épicurien Dupin, l'auteur du rapport à la suite duquel les fermiers généraux furent traduits devant le tribunal révolutionnaire, et leurs biens, de source assez impure du reste, mis sous le séquestre, qui accuse Maximilien d'avoir voulu spolier ces mêmes fermiers généraux[102]. A peine si de temps à autre une voix faible et isolée s'élevait pour protester contre tant d'infamies et de mensonges. Tardivement, Babœuf, dans le Tribun du peuple, présenta enfin Robespierre comme le martyr de la liberté, et qualifia d'exécrable la journée du 9 Thermidor ; mais à l'origine il avait, lui aussi, calomnié, à l'instar des Thermidoriens, ce véritable martyr de la liberté. Plus tard encore, dans le procès de Babœuf, un des accusés, nommé Fossar, s'entendit reprocher comme un crime d'avoir dit devant témoins que le peuple était plus heureux du temps de Robespierre. Cet accusé maintint fièrement son assertion devant la haute cour de Vendôme. Si ce propos est un crime, ajouta-t-il, j'en suis coupable, et le tribunal peut me condamner. Mais ces exemples étaient rares. La justice thermidorienne avait d'ailleurs l'œil toujours ouvert sur toutes les personnes suspectes d'attachement à la mémoire de Maximilien. Malheur à qui osait prendre ouvertement sa défense. Un ancien commensal de Duplay, le citoyen Taschereau, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, craignant qu'on ne lui demandât compte de son amitié et de ses admirations pour Robespierre, avait, peu après Thermidor, lancé contre le vaincu un long pamphlet en vers. Plus tard, en l'an VII, pris de remords, croyant peut-être les passions apaisées, et que l'heure était venue où il était permis d'ouvrir la bouche pour dire la vérité, il publia un écrit dans lequel il préconisait celui qu'un jour, le couteau sur la gorge, il avait renié publiquement[103] ; il fut impitoyablement jeté en prison[104].

Tel était le sort réservé aux citoyens auxquels l'amour de la justice, ou quelquefois un reste de pudeur, arrachait un cri de protestation. Les honnêtes gens, ceux en qui le sentiment de l'intérêt personnel n'avait pas étouffé toute conscience, les innombrables admirateurs de Maximilien Robespierre, durent courber la tête ; ils gémirent indignés, et gardèrent le silence. Qu'eussent-ils fait d'ailleurs ? Ce n'étaient pour la plupart ni des écrivains ni des orateurs ; c'était le peuple tout entier, et au 9 Thermidor la parole fut pour bien longtemps ôtée au peuple. Puis l'âge arriva, l'oubli se fit, et la génération qui succéda aux rudes jouteurs des grandes années de la Révolution fut bercée uniquement au bruit des déclamations thermido-girondines. Dans son œuvre de calomnie et de diffamation, la réaction se trouva merveilleusement aidée par les apostasies d'une multitude de fonctionnaires désireux de faire oublier leurs anciennes sympathies pour Robespierre[105], et surtout par l'empressement avec lequel nombre de membres de la Convention s'associèrent à l'idée machiavélique d'attribuer à Maximilien tous les torts, toutes les erreurs, toutes les sévérités de la Révolution, croyant dans un moment d'impardonnable faiblesse se dégager, par ce lâche et honteux moyen, de toute responsabilité dans les actes du gouvernement révolutionnaire.

Dans les premiers jours de ventôse an III (février 1795), quelques patriotes de Nancy, harcelés, mourant de faim, ayant osé dire que le temps où vivait Robespierre était l'âge d'or de la République, furent aussitôt dénoncés à la Convention par le représentant Mazade, alors en mission dans le département de la Meurthe. Hâtons-nous, écrivit ce digne émule de Courtois, de consigner dans les fastes de l'histoire que les violences de ce monstre exécrable, que le sang des Français qu'il fit couler par torrents, que le pillage auquel il dévoua toutes les propriétés ont seuls amené ce moment de gêne[106]. Tel fut en effet l'infernal système suivi par les Thermidoriens. La France et l'Europe se trouvèrent littéralement inondées de libelles, de pamphlets, de prétendues histoires où l'odieux le dispute au bouffon. Le rapport de Courtois fut naturellement le grand arsenal où les écrivains mercenaires et les pamphlétaires de la réaction puisèrent à l'envi ; néanmoins, des imaginations perverties trouvèrent moyen de renchérir sur ce chef-d'œuvre d'impudence et de mensonge. D'anciens collègues de Maximilien s'abaissèrent jusqu'à ramasser dans la fange la plume du libelliste. Passe encore pour Fréron qui dans une note adressée à Courtois présente la figure de Robespierre comme ressemblant beaucoup à celle du chat[107] ! il n'y avait chez Fréron ni conscience ni moralité ; mais Merlin (de Thionville) ! On s'attriste en songeant qu'un patriote de cette trempe a prêté les mains à l'œuvre basse et ténébreuse entreprise par les héros de Thermidor. Son Portrait de Robespierre et sa brochure intitulée Louis Capet et Robespierre ne sont pas d'un honnête homme[108]. Mais tout cela n'est rien auprès des calomnies enfantées par l'imagination des Harmand (de la Meuse)[109] et des Guffroy. Des presses de l'ancien propriétaire-rédacteur du Rougyff sortirent des libelles dont les innombrables exemplaires étaient répandus à profusion dans les villes et dans les campagnes. Parmi les produits de cette impure officine citons, outre les élucubrations de Laurent Lecointre, la Queue de Robespierre, ou les Dangers de la liberté de la presse, par Méhée fils ; les Anneaux de la queue ; Défends ta queue ; Jugement du peuple souverain qui condamne à mort la queue infernale de Robespierre ; Lettre de Robespierre à la Convention nationale ; la Tête à la Queue, ou Première Lettre de Robespierre à ses continuateurs ; j'en passe et des meilleurs[110]. Ajoutez à cela des nuées de libelles dont la seule nomenclature couvrirait plusieurs pages. Prose et vers, tout servit à noircir cette grande figure qui rayonnait d'un si merveilleux éclat aux yeux des républicains de l'an II. Les poètes, en effet, se mirent aussi de la partie, si l'on peut prostituer ce nom de poètes à d'indignes versificateurs qui mirent leur muse boiteuse et mercenaire au service des héros thermidoriens. Hélas ! pourquoi faut-il que parmi ces insulteurs du géant tombé on ait le regret de compter l'auteur de la Marseillaise ! Mais autant Rouget de Lisle, inspiré par le génie de la patrie, avait été sublime dans le chant qui a immortalisé son nom, autant il fut plat et lourd dans l'hymne calomnieux composé par lui sur la conjuration de Robespierre, suivant l'expression de l'époque[111]. Le théâtre n'épargna pas les vaincus, et l'on nous montra sur la scène Maximilien Robespierre envoyant à la mort une jeune fille coupable de n'avoir point voulu sacrifier sa virginité à la rançon d'un père[112].

Mais les œuvres d'imagination pure ne suffisaient pas pour fixer l'opinion des esprits un peu sérieux, on eut des historiens à discrétion. Dès le lendemain de Thermidor parut une Vie secrète, politique et curieuse de Robespierre, déjà mentionnée par nous, et dont l'auteur voulut bien reconnaître que ce monstre feignit de vouloir épargner le sang[113]. Pareil aveu ne sortira pas de la plume du citoyen Montjoie, que dis-je ! du sieur Félix-Christophe-Louis Ventre de Latouloubre de Galart de Montjoie, auteur d'une Histoire de la conjuration de Robespierre qui est le modèle du genre, parce qu'elle offre les allures d'une œuvre sérieuse, et semble écrite avec une certaine modération. On y lit cependant des phrases dans le genre de celle-ci : Chaque citoyen arrêté était destiné à la mort. Robespierre n'avait d'autre soin que de grossir les listes de proscription, que de multiplier le nombre des assassinats. Le fer de la guillotine n'allait point assez vite à son gré. On lui parla d'un glaive qui frapperait neuf têtes à la fois. Cette invention lui plut. On en fit des expériences à Bicêtre, elles ne réussirent pas ; mais l'humanité n'y gagna rien. Au lieu de trois, quatre victimes par jour, Robespierre voulut en avoir journellement cinquante, soixante, et il fut obéi[114]. Il faut, pour citer de semblables lignes, surmonter le dégoût qu'on éprouve. C'est ce Montjoie qui prête à Maximilien le mot suivant : Tout individu qui avait plus de 15 ans en 1789 doit être égorgé[115]. C'est encore lui qui porte à cinquante-quatre mille le chiffre des victimes mortes sur l'échafaud durant les six derniers mois du règne de Robespierre[116]. Y a-t-il assez de mépris pour les gens capables de mentir avec une telle impudence ? Eh bien ! toutes ces turpitudes s'écrivaient et s'imprimaient à Paris en l'an II de la République, quand quelques mois à peine s'étaient écoulés depuis le jour où, dans une heure d'enthousiaste épanchement, Boissy d'Anglas appelait Robespierre l'Orphée de la France et le félicitait d'enseigner aux peuples les plus purs préceptes de la morale et de la justice. Il n'y a pas à demander si un pareil livre fit fortune[117]. Réaction thermidorienne, réaction girondine, réaction royaliste battirent des mains à l'envi. Les éditions de cet ouvrage se trouvèrent coup sur coup multipliées ; il y en eut de tous les formats, et il fut presque instantanément traduit en espagnol, en allemand et en anglais. C'était là sans doute que l'illustre Walter Scott avait puisé ses renseignements quand il écrivit sur Robespierre les lignes qui déshonorent son beau talent.

Est-il maintenant nécessaire de mentionner les histoires plus ou moins odieuses et absurdes de Desessarts, la Vie et les crimes de Robespierre par Leblond de Neuvéglise, autrement dit l'abbé Proyard, ouvrage traduit en allemand, en italien, et si tristement imité de nos jours par un autre abbé Proyard ? Faut-il signaler toutes les rapsodies, tous les contes en l'air, toutes les fables acceptés bénévolement ou imaginés par les écrivains de la réaction ? Et n'avions-nous pas raison de dire au commencement de cette histoire que depuis dix-huit cents ans jamais homme n'avait été plus calomnié sur la terre ? Ah ! devant tant d'infamies, devant tant d'outrages sanglants à la vérité, la conscience, interdite, se trouble et croit rêver. Heureux encore Robespierre, quand ce ne sont pas des libéraux et des démocrates d'une étrange espèce qui viennent jeter sur sa tombe l'injure et la boue.

 

X

On voit à quelle école a été élevée la génération antérieure à la nôtre. Nous avons dit comment l'oubli s'était fait dans la masse des admirateurs de Robespierre. Gens simples pour la plupart, ils moururent sans rien comprendre au changement qui s'était produit dans l'opinion sur ce nom si respecté jadis. Une foule de ceux qui auraient pu le défendre étaient morts ou proscrits ; beaucoup se laissaient comprimer par la peur ou s'excusaient de leurs sympathies anciennes, en alléguant qu'ils avaient été trompés. Bien restreint fut le nombre des gens consciencieux dont la bouche ne craignit pas de s'ouvrir pour protester. D'ailleurs, dans les quinze années du Consulat et de l'Empire, il ne fut plus guère question de la Révolution et de ses hommes, sinon de temps à autre pour décimer ses derniers défenseurs. Quelle voix assez puissante aurait couvert le bruit du canon et des clairons ? Puis vint la Restauration. Oh ! alors, on ne songea qu'à une chose, à savoir, de reprendre contre l'homme dont le nom était comme le symbole et le drapeau de la République, la grande croisade thermidorienne, tant il paraissait nécessaire à la réaction royaliste d'avilir la démocratie dans son plus pur, dans son plus ardent, dans son plus dévoué représentant. Et la plupart des libéraux de l'époque, anciens serviteurs de l'Empire, ou héritiers plus ou moins directs de la Gironde, de laisser faire.

Eh bien, qui le croirait ? toutes ces calomnies si patiemment, si habilement propagées, ces mensonges inouïs, ces diffamations éhontées, toutes ces infamies enfin, ont paru à certains écrivains aveuglés, je devrais dire fourvoyés, l'opinion des contemporains et l'expression du sentiment populaire[118]. Ah ! l'opinion des contemporains, il faut la chercher dans ces milliers de lettres qui chaque jour tombaient sur la maison Duplay comme une pluie de bénédictions. Nous avons déjà mentionné en passant un certain nombre de celles qui, au point de vue historique, nous ont paru avoir une réelle importance. Et ceci est à noter, presque toutes ces lettres sont inspirées par les sentiments les plus désintéressés. Si dans quelques-unes, à travers l'encens et l'éloge, on sent percer l'intérêt personnel, c'est l'exception[119]. En général, ces lettres sont l'expression naïve de l'enthousiasme le plus sincère et d'une admiration sans bornes. Tu remplis le monde de ta renommée ; tes principes sont ceux de la nature, ton langage celui de l'humanité ; tu rends les hommes à leur dignité... ton génie et ta sage politique sauvent la liberté ; tu apprends aux Français, par les vertus de ton cœur et l'empire de ta raison, à vaincre ou mourir pour la liberté et la vertu... lui écrivait l'un[120]. Vous respirez encore, pour le bonheur de votre pays, en dépit des scélérats et des traîtres qui avoient juré votre perte. Grâces immortelles en soient rendues à l'Être suprême. Puissent ces sentiments, qui ne sont que l'expression d'un cœur pénétré de reconnaissance pour vos bienfaits, me mériter quelque part à votre estime. Sans vous je périssais victime de la plus affreuse persécution[121]... écrivait un autre. Un citoyen de Tours lui déclare que, pénétré d'admiration pour ses talents, il est prêt à verser tout son sang plutôt que de voir porter atteinte à sa réputation[122]. Un soldat du nom de Brincourt, en réclamant l'honneur de verser son sang pour la patrie, s'adresse à lui en ces termes : Fondateur de la République, ô vous incorruptible Robespierre, qui couvrez son berceau de l'égide de votre éloquence ![123]... Vers lui, avons-nous dit déjà, s'élevaient les plaintes d'une foule de malheureux et d'opprimés, plaintes qui retentissaient d'autant plus douloureusement à son oreille que la plupart du temps il était dans l'impuissance d'y faire droit. Républicain vertueux et intègre, lui mandait de Saint-Omer, à la date du 2 messidor, un ancien commissaire des guerres destitué par le représentant Florent Guyot, permets qu'un citoyen pénétré de tes sublimes principes et rempli de la lecture de tes illustres écrits, où respirent le patriotisme le plus pur, la morale la plus touchante et la plus profonde, vienne à ton tribunal réclamer la justice, qui fut toujours la vertu innée de ton âme. Je fais reposer le succès de ma demande sur ton équité, qui fut toujours la base de toutes tes actions[124]. Et le citoyen Carpot : Je regrette de n'avoir pu vous entretenir quelques instants. Il me semble que je laisse échapper par là un moyen d'abréger la captivité des personnes qui m'intéressent[125]. Un littérateur du nom de Félix, qui depuis quatre ans vivait en philosophe dans un ermitage au pied des Alpes, d'où il s'associait par le cœur aux destinées de la Révolution, étant venu à Paris au mois d'août 1J93, écrit à Robespierre afin de lui demander la faveur d'un entretien, tant sa conduite et ses discours lui avaient inspiré d'estime et d'affection pour sa personne ; et il lui garantit d'avance la plus douce récompense au cœur de l'homme de bien, sa propre estime, et celle de tous les gens vertueux et éclairés[126]. Aux yeux des uns, c'est l'apôtre de l'humanité, l'homme sensible, humain et bienfaisant par excellence, réputation, lui dit-on, sur laquelle vos ennemis mêmes n'élèvent pas le plus petit doute[127] ; aux yeux des autres, c'est le messie promis par l'Éternel pour réformer toutes choses[128]. Un citoyen de Toulouse ne peut s'empêcher de témoigner à Robespierre toute la joie qu'il a ressentie en apprenant qu'il y avait entre eux une ressemblance frappante. Il rougit seulement de ne ressembler que par le physique au régénérateur et au bienfaiteur de sa patrie[129]. Maximilien est regardé comme la pierre angulaire de l'édifice constitutionnel, comme le flambeau, la colonne de la République[130]. Tous les braves Français sentent avec moi de quel prix sont vos infatigables efforts pour assurer la liberté, en vous criant par mon organe : Béni soit Robespierre ! lui écrit le citoyen Jamgon[131]. L'estime que j'avais pour toi dès l'Assemblée constituante, lui mande Borel l'aîné, me fit te placer au ciel à côté d'Andromède dans un projet de monument sidéral...[132]

Et Courtois ne peut s'empêcher de s'écrier dans son rapport : C'était à qui enivrerait l'idole. Partout même prostitution d'encens, de vœux et d'hommages ; partout on verserait son sang pour sauver ses jours[133]. Le misérable rapporteur se console, il est vrai, en ajoutant que si la peste avait des emplois et des trésors à distribuer, elle aurait aussi ses courtisans[134]. Mais les courtisans et les rois, c'est l'exception, et les hommages des courtisans ne sont jamais désintéressés. Robespierre, lui, d'ailleurs, n'avait ni emplois ni trésors à distribuer. On connaît sa belle réponse à ceux qui, pour le déconsidérer, allaient le présentant comme revêtu d'une dictature personnelle : Ils m'appellent tyran ! Si je l'étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d'or, je leur assurerais le droit, de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants...[135] Nous pourrions multiplier les citations de ces lettres, dont le nombre était presque infini, du propre aveu de Courtois[136], avons-nous dit, et Courtois s'est bien gardé, comme on pense, de publier les plus concluantes en faveur de Robespierre[137]. Or, comme contre-poids à ces témoignages éclatants, comme contre-partie de ce concert d'enthousiasme, qu'a trouvé Courtois à offrir à la postérité ? quelques misérables lettres anonymes, les unes ineptes, les autres ordurières, œuvres de bassesse et de lâcheté dont nous aurons à dire un mot, et que tout homme de cœur ne saurait s'empêcher de fouler aux pieds avec dédain.

 

XI

On sait maintenant, à ne s'y pas méprendre, quelle était l'opinion publique à l'égard de Robespierre. Le véritable sentiment populaire pour sa personne, c'était de l'idolâtrie, comme l'impur Guffroy se trouva obligé de l'avouer lui-même[138]. Ce sentiment, il ressort des lettres dont nous avons donné des extraits assez significatifs ; il ressort de ces lettres des Girondins sauvés par Robespierre, lettres que nous avons révélées et qui reviennent au jour pour déposer comme d'irrécusables témoins ; ce sentiment, il ressort enfin des aveux involontaires des Thermidoriens.

D'après Billaud-Varenne, dont l'autorité a ici tant de poids, Maximilien était considéré dans l'opinion comme l'être le plus essentiel de la République[139]. De leur côté, les membres des deux anciens comités ont avoué que, quelque prévention qu'on eût, on ne pouvait se dissimuler quel était l'état des esprits à cette époque, et que la popularité de Robespierre dépassait toutes les bornes[140]. Écoutons maintenant Billaud-Varenne, atteint à son tour par la réaction et se débattant sous l'accusation de n'avoir pas dénoncé plus tôt la tyrannie de Robespierre : Sous quels rapports eût-il pu paraître coupable ? S'il n'eût pas manifesté l'intention de frapper, de dissoudre, d'exterminer la représentation nationale, si l'on n'eût pas eu à lui reprocher jusqu'à sa POPULARITÉ même... popularité si énorme qu'elle eût suffi pour le rendre suspect et trop dangereux dans un État libre, en un mot s'il ne se fût point créé une puissance monstrueuse tout aussi indépendante du comité de Salut public que de la Convention nationale elle-même, Robespierre ne se serait pas montré sous les traits odieux de la tyrannie, et tout ami de la liberté lui eût conservé son estime[141]. Et plus loin : Nous demandera-t-on, comme on l'a déjà fait, pourquoi nous avons laissé prendre tant d'empire à Robespierre ?... Oublie-t-on que dès l'Assemblée constituante il jouissait déjà d'une immense popularité et qu'il obtint le titre d'Incorruptible ? Oublie-t-on que pendant l'Assemblée législative sa popularité ne fit que s'accroître... ? Oublie-t-on que dans la Convention nationale Robespierre se trouva bientôt le seul qui, fixant sur sa personne tous les regards, acquit tant de confiance qu'elle le rendit prépondérant, de sorte que lorsqu'il est arrivé au comité de Salut public, il était déjà l'être le plus important de la France ? Si l'on me demandait comment il avait réussi à prendre tant d'ascendant sur l'opinion publique, je répondrais que c'est en affichant LES VERTUS LES PLUS AUSTÈRES, LE DÉVOUEMENT LE PLUS ABSOLU, LES PRINCIPES LES PLUS PURS[142]. Otez de ce morceau ce double mensonge thermidorien, à savoir l'accusation d'avoir eu l'intention de dissoudre la Convention, et d'avoir exercé une puissance monstrueuse en dehors de l'Assemblée et des comités, il reste en faveur de Robespierre une admirable plaidoirie, d'autant plus saisissante qu'elle est comme involontairement tombée de la plume d'un de ses proscripteurs. Nous allons voir bientôt jusqu'où Robespierre poussa le respect pour la Représentation nationale ; et quant à cette puissance monstrueuse, laquelle était purement et simplement un immense ascendant moral, elle était si peu réelle, si peu effective, qu'il suffisait à ses collègues, comme on l'a vu plus haut, d'un simple coup d'œil pour qu'instantanément la majorité fût acquise contre lui. Son grand crime, aux yeux de Billaud-Varenne et de quelques républicains sincères, fut précisément le crime d'Aristide : sa popularité ; il leur répugnait de l'entendre toujours appeler le Juste.

Mais si le sentiment populaire était si favorable à Maximilien, en était-il de même de l'opinion des gens dont l'attachement à la Révolution était médiocre ? Je réponds oui, sans hésiter, et je le prouve. Pour cela, je rappellerai d'abord les lettres de reconnaissance adressées à Robespierre par les soixante-treize membres de la droite dont il avait été le sauveur ; ensuite je m'en référerai à l'avis de Boissy-d'Anglas, Boissy le type le plus parfait de ces révolutionnaires incolores et incertains, de ces royalistes déguisés qui se fussent peut-être accommodés de la République sous des conducteurs comme Robespierre, mais qui, une fois la possibilité d'en sortir entrevue, n'ont pas mieux demandé que de s'associer aux premiers coquins venus pour abattre l'homme à l'existence duquel ils la savaient attachée. Nous insistons donc sur l'opinion de Boissy-d'Anglas, parce qu'il est l'homme dont la réaction royaliste et girondine a le plus exalté le courage, les vertus et le patriotisme. Or, quelle nécessité le forçait de venir en messidor, à moins d'être le plus lâche et le dernier des hommes, présenter Robespierre en exemple au monde, dans un ouvrage dédié à la Convention nationale, s'il ne croyait ni aux vertus, ni au courage, ni à la pureté de Maximilien ? Rien ne nous autorise à révoquer en doute sa sincérité, et quand il comparait Robespierre à Orphée enseignant aux hommes les premiers principes de la civilisation et de la morale, il laissait échapper de sa conscience un cri qui n'était autre chose qu'un splendide hommage rendu à la vérité[143].

Ainsi, à l'exception de quelques ultra-révolutionnaires de bonne foi, de royalistes se refusant à toute espèce de composition avec la République, de plusieurs anciens amis de Danton ne pouvant pardonner à Maximilien de l'avoir laissé sacrifier, et enfin d'un certain nombre de Conventionnels sans conscience et perdus de crimes, la France tout entière était de cœur avec Robespierre et ne prononçait son nom qu'avec respect et amour. Il était arrivé, pour nous servir encore d'une expression de Billaud-Varenne, à une hauteur de puissance morale inouïe jusqu'alors ; tous les hommages et tous les vœux étaient pour lui seul, on le regardait comme l'être unique ; la prospérité publique semblait inhérente à sa personne, on s'imaginait, en un mot, que sa perte était la plus grande calamité qu'on eût à craindre[144]. Eh bien ! je le demande à tout homme sérieux et de bonne foi, est-il un seul instant permis de supposer la forte génération de 1789 capable de s'être prise d'idolâtrie pour un génie médiocre, pour un vaniteux, pour un rhéteur pusillanime, pour un esprit étroit et mesquin, pour un être bilieux et sanguinaire, suivant les épithètes prodiguées à Maximilien par tant d'écrivains ignorants, à courte vue ou de mauvaise foi, je ne parle pas seulement des libellistes ?

Non, l'admiration de ces géants ne s'adressait qu'à des hommes de leur taille ; ils admirèrent dans Maximilien le génie de la liberté et de la démocratie, comme dans Napoléon le génie du pouvoir et de la conquête. Au spectacle du déchaînement qui après Thermidor se produisit contre Robespierre, Billaud-Varenne, quoique ayant joué un des principaux rôles dans le lugubre drame, ne put s'empêcher d'écrire : J'aime bien voir ceux qui se sont montrés jusqu'au dernier moment les plus bas valets de cet homme le rabaisser au dessous d'un esprit médiocre, maintenant qu'il n'est plus[145]. On remarqua en effet parmi les plus lâches détracteurs de Maximilien quelques-uns de ceux qui la veille de sa chute lui proposaient de lui faire un rempart de leurs corps[146].

Ah ! je le répète, c'est avoir une étrange idée de nos pères que de les peindre aux pieds d'un ambitieux sans valeur et sans talent ; on ne saurait les insulter davantage dans leur gloire et dans leur œuvre. Il faut en convenir franchement, si ces fils de Voltaire et de Rousseau, si ces rudes champions de la justice et du droit eurent pour Robespierre un enthousiasme et une admiration sans bornes, c'est que Robespierre fut le plus énergique défenseur de la liberté, c'est qu'il représenta la démocratie dans ce qu'elle a de plus pur, de plus noble, de plus élevé, c'est qu'il n'y eut jamais un plus grand ami de la justice et de l'humanité. L'événement du reste leur donna tristement raison, car, une fois l'objet de leur culte brisé, la Révolution déchut des hauteurs où elle planait et se noya dans une boue sanglante[147].

 

XII

Il est aisé de comprendre à présent pourquoi les collègues de Maximilien au comité de Salut public hésitèrent jusqu'au dernier moment à conclure une alliance monstrueuse avec les conjurés de Thermidor, avec les Fouché, les Tallien, les Fréron, les Rovère, les Courtois et autres. Un secret pressentiment, avons-nous dit avec raison, semblait les avertir qu'en sacrifiant l'austère auteur de la Déclaration des droits de l'homme, ils sacrifiaient la République elle-même et préparaient leur propre perte. C'est un fait avéré que tout d'abord on songea à attaquer le comité de Salut public en masse. Certains complices de la conjuration ne comprenaient pas très-bien pourquoi l'on s'en prenait à Robespierre seul, et ils l'eussent moins compris encore s'ils avaient su que depuis un mois le comité exerçait un pouvoir dictatorial en dehors de la participation active de Maximilien. Un de ces mannequins de la réaction, le député Laurent Lecointre, ayant conçu le projet de rédiger un acte d'accusation contre tous les membres du comité, reçut le conseil d'attaquer Robespierre seul, afin que le succès fût plus certain[148]. On sait comment il se rendit à cet avis, et tout le monde connaît le fameux acte d'accusation qu'il révéla courageusement... après Thermidor, et dont le titre se trouve pompeusement orné du projet d'immoler Maximilien Robespierre en plein sénat[149]. Le conseil était bon, car si les Thermidoriens s'en fussent pris au comité en masse, s'ils ne fussent point parvenus à entraîner Billaud-Varenne, qui devint leur allié le plus actif et le plus utile, ils eussent été infailliblement écrasés. Billaud, c'était l'image incarnée de la Terreur. Quiconque, écrivait-il en répondant à ses accusateurs, est chargé de veiller au salut public, et dans les grandes crises ne lance pas la foudre que le peuple a remise entre ses mains pour exterminer ses ennemis, est le premier traître à la patrie[150]. Etonnez-vous donc si, en dépit de Robespierre, les exécutions sanglantes se multipliaient, si les sévérités étaient indistinctement prodiguées, si la Terreur s'abattait sur toutes les conditions. Il semblait, suivant la propre expression de Maximilien, qu'on eût cherché à rendre les institutions révolutionnaires odieuses par les excès[151].

Le 2 thermidor, Robespierre, qui depuis un mois avait refusé d'approuver toutes les listes de détenus renvoyés devant le tribunal révolutionnaire, en signa une de 138 noms appartenant à des personnes dont la culpabilité sans doute ne lui avait pas paru douteuse ; mais le lendemain il repoussait, indigné, une autre liste de trois cent-dix-huit détenus offerte à sa signature[152], et trois jours plus tard, comme nous l'avons dit déjà, il refusait encore de participer à un arrêté rendu par les comités de Salut public et de Sûreté générale réunis, arrêté instituant, en vertu d'un décret rendu le 4 ventôse, quatre commissions populaires chargées de juger promptement les ennemis du peuple détenus dans toute l'étendue de la République, et auquel s'associèrent cependant ses amis Saint-Just et Couthon[153]. En revanche, comme nous l'avons dit aussi, il avait écrit de sa main et signé l'ordre d'arrestation d'un nommé Lépine, administrateur des travaux publics, lequel avait abusé de sa position pour se faire adjuger à vil prix des biens nationaux[154]. A son sens, on allait beaucoup trop vite, et surtout beaucoup trop légèrement en besogne, comme le prouvent d'une façon irréfragable ces paroles tombées de sa bouche dans la séance du 8 thermidor, et déjà citées en partie : Partout les actes d'oppression avaient été multipliés pour étendre le système de terreur... Est-ce nous qui avons plongé dans les cachots les patriotes et porté la terreur dans toutes les conditions ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. Est-ce nous qui, oubliant les crimes de l'aristocratie et protégeant les traîtres, avons déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes ou des préjugés incurables ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables et rendre la Révolution redoutable au peuple même ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. Est-ce nous qui, recherchant des opinions anciennes, fruit de l'obsession des traîtres, avons promené le glaive sur la plus grande partie de la Convention nationale, demandions dans les sociétés populaires les têtes de six cents représentants du peuple ? Ce sont les monstres que nous avons accusés...[155] Billaud-Varenne ne put pardonner à Robespierre de vouloir supprimer la Terreur en tant que Terreur, et la réduire à ne s'exercer, sous forme de justice sévère, que contre les seuls ennemis actifs de la Révolution. Aussi fut-ce sur Billaud que, dans une séance du conseil des Anciens, Garat rejeta toute la responsabilité des exécutions sanglantes faites pendant la durée du comité de Salut public[156]. Cependant, comme averti par sa conscience, il hésita longtemps avant de se rendre aux invitations pressantes de ses collègues du comité de Sûreté générale, acquis presque tous à la conjuration. Saint-Just, dans son dernier discours, a très-bien dépeint les anxiétés et les doutes de ce patriote aveuglé. Il devenait hardi dans les moments où, ayant excité les passions, on paraissait écouter ses conseils, mais son dernier mot expirait toujours sur ses lèvres : il appelait tel homme absent Pisistrate ; aujourd'hui présent, il était son ami ; il était silencieux, pâle, l'œil fixe, arrangeant ses traits altérés. La vérité n'a point ce caractère ni cette politique[157]. Un Montagnard austère et dévoué, Ingrand, député de la Vienne à la Convention, alors en mission, étant venu à Paris vers cette époque, alla voir Billaud-Varenne. Il se passe ici des choses fort importantes, lui dit ce dernier ; va trouver Ruamps, il t'informera de tout. Billaud eut comme une sorte de honte de faire lui-même la confidence du noir complot.

Ingrand courut chez Ruamps, qui le mit au courant des machinations ourdies contre Robespierre, en l'engageant vivement à se joindre aux conjurés. Saisi d'un sombre pressentiment, Ingrand refusa non-seulement d'entrer dans la conjuration, mais il s'efforça de persuader à Ruamps d'en sortir, lui en décrivant d'avance les conséquences funestes, et l'assurant qu'une attaque contre Robespierre, si elle était suivie de succès, entraînerait infailliblement la perte de la République[158]. Puis il repartit, le cœur serré et plein d'inquiétudes. Égaré par d'injustifiables préventions, Ruamps demeura sourd à ces sages conseils ; mais que de fois, plus tard, pris de remords, il dut se rappeler la sinistre prédiction d'Ingrand !

La vérité est que Billaud-Varenne agit de dépit et sous l'irritation profonde de voir Robespierre ne rien comprendre à son système d'improviser la foudre à chaque instant. Ce fut du reste le remords cuisant des dernières années de sa vie. Il appelait le 9 Thermidor sa déplorable faute. Je le répète, disait-il, la Révolution puritaine a été perdue le 9 Thermidor. Depuis, combien de fois j'ai déploré d'y avoir agi de colère[159]. Ah ! ces remords de Billaud-Varenne, ils ont été partagés par tous les vrais républicains coupables d'avoir, dans une heure d'égarement et de folie, coopéré par leurs actes ou par leur silence à la chute de Robespierre.

 

XIII

Un des hommes qui contribuèrent le plus à amener les membres du comité de Salut public à l'abandon de Maximilien fut certainement Carnot. Esprit laborieux, honnête, mais caractère sans consistance et sans fermeté, ainsi qu'il le prouva de reste quand, après Thermidor, il lui fallut rendre compte de sa conduite comme membre du comité de Salut public, Carnot avait beaucoup plus de penchant pour Collot-d’Herbois et Billaud-Varenne, qui jusqu'au dernier moment soutinrent le système de la Terreur quand même, que pour Robespierre et Saint-Just, qui voulurent en arrêter les excès et s'efforcèrent d'y substituer la justice[160]. Les premiers, il est vrai, s'inclinaient respectueusement et sans mot dire devant les aptitudes militaires de Carnot, dont les seconds s'étaient permis quelquefois de critiquer les actes. Ainsi, Maximilien lui reprochait de persécuter les généraux patriotes, et Saint-Just de ne pas assez tenir compte des observations que lui adressaient les représentants en mission aux armées, lesquels, placés au centre des opérations militaires, étaient mieux à même de juger des besoins de nos troupes et de l'opportunité de certaines mesures : Il n'y a que ceux qui sont dans les batailles qui les gagnent, et il n'y a que ceux qui sont puissants qui en profitent...[161], disait Saint-Just. Paroles trop vraies, que Carnot ne sut point pardonner à la mémoire de son jeune collègue.

Nous avons déjà parlé d'une altercation qui avait eu lieu au mois de floréal entre ces deux membres du comité de Salut public, altercation à laquelle on n'a pas manqué, après coup, de mêler Robespierre, qui y avait été complètement étranger. A son retour de l'armée, vers le milieu de messidor, Saint-Just avait eu avec Carnot de nouvelles discussions au sujet d'un ordre malheureux donné par son collègue. Carnot, ayant dans son bureau des Tuileries imaginé une expédition militaire, avait prescrit à Jourdan de détacher dix-huit mille hommes de son armée pour cette expédition. Si cet ordre avait été exécuté, l'armée de Sambre et Meuse aurait été forcée de quitter Charleroi, de se replier même sous Philippeville et Givet, en abandonnant Avesnes et Maubeuge[162]. Heureusement les représentants du peuple présents à l'armée de Sambre et Meuse avaient pris sur eux de suspendre le malencontreux ordre. Cette grave imprudence de Carnot avait été signalée dès l'époque, et n'avait pas peu contribué à lui nuire dans l'opinion publique[163]. Froissé dans son amour-propre, Carnot ne pardonna pas à Saint-Just, et dans ses rancunes contre lui il enveloppa Robespierre, dont la popularité n'était peut-être, pas sans l'offusquer. Tout en reprochant à son collègue de persécuter les généraux fidèles[164], Maximilien, paraît-il, faisait grand cas de ses talents[165]. Carnot, nous dit-on, ne lui rendait pas la pareille[166]. Cela dénote tout simplement chez lui une intelligence médiocre, quoi qu'en aient dit ses apologistes. Il fut, je le crois, extrêmement jaloux de la supériorité d'influence et de talent d'un collègue plus jeune que lui ; et sous l'empire de ce sentiment, il se laissa facilement entraîner dans la conjuration thermidorienne. Au 9 Thermidor comme en 1815, le pauvre Carnot fut le jouet et la dupe de Fouché.

Dans les divers Mémoires publiés sur lui vous trouverez contre Robespierre beaucoup de lieux communs, d'appréciations erronées et injustes, de redites, de déclamations renouvelées des Thermidoriens, mais pas un fait précis, rien surtout de nature à justifier la part active prise par Carnot au guet-apens de Thermidor. Rien de curieux du reste comme l'embarras des anciens collègues de Maximilien quand il s'est agi de répondre à cette question : Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour le démasquer ? — Nous ne possédions pas son discours du 8 thermidor, ont-ils dit, comme on a vu plus haut, et c'était l'unique preuve, la preuve matérielle des crimes du tyran[167]. A cet égard Billaud-Varenne, Collot-d’Herbois et Barère sont d'une unanimité touchante. Dans l'intérieur du comité Robespierre était inattaquable, paraît-il, car il colorait ses opinions de fortes nuances de bien public et il les ralliait adroitement à l'intérêt des plus graves circonstances[168]. Aux Jacobins, ses discours étaient remplis de patriotisme, et ce n'est pas la sans doute qu'il aurait divulgué ses plans de dictature ou son ambition triumvirale[169]. Ainsi il a fallu arriver jusqu'au 8 thermidor pour avoir seulement l'idée que Robespierre eût médité des plans de dictature ou fût doué d'une ambition triumvirale. Savez-vous quel a été, au dire de Collot-d’Herbois, l'instrument terrible de Maximilien pour dissoudre la Représentation nationale, amener la guerre civile, et rompre le gouvernement ? Son discours[170]. Et de son côté Billaud-Varenne a écrit : Je demande à mon tour qui serait sorti vainqueur de cette lutte quand pour confondre le tyran, quand pour dissiper l'illusion générale nous n'avions ni son discours du 8 thermidor..., ni le discours de Saint-Just ?[171] C'est puéril, n'est-ce pas ? Voilà pourtant sur quelles accusations s'est perpétuée jusqu'à nos jours la tradition du fameux triumvirat dont le fantôme est encore évoqué de temps à autre par certains niais solennels, chez qui la mauvaise foi est au moins égale à l'ignorance.

Que les quelques misérables coalisés contre Robespierre se soient attachés à répandre contre lui cette accusation de dictature, cela se comprend de la part de gens sans conscience : c'était leur unique moyen de jeter un peu d'ombre sur son éclatante popularité et d'ameuter contre lui certains patriotes ombrageux. Ce mot de dictature a des effets magiques, répondit Robespierre dans un admirable élan, en prenant la Convention pour juge entre ses calomniateurs et lui ; il flétrit la liberté, il avilit le gouvernement, il détruit la République, il dégrade toutes les institutions révolutionnaires, qu'on présente comme l'ouvrage d'un seul homme, il rend odieuse la justice nationale, qu'il présente comme instituée pour l'ambition d'un seul homme, il dirige sur un point toutes les haines et tous les poignards du fanatisme et de l'aristocratie. Quel terrible usage les ennemis de la République ont fait du seul nom d'une magistrature romaine ! Et si leur érudition nous est si fatale, que sera-ce de leurs trésors et de leurs intrigues ? Je ne parle point de leurs armées. N'est-ce pas là le dédain poussé jusqu'au sublime[172] ? Qu'il me soit permis, ajoutait Robespierre, de renvoyer au duc d'York et à tous les écrivains royaux les patentes de cette dignité ridicule qu'ils m'ont expédiées les premiers. Il y a trop d'insolence à des rois qui ne sont pas sûrs de conserver leurs couronnes, de s'arroger le droit d'en distribuer à d'autres. J'ai vu d'indignes mandataires du peuple qui auraient échangé ce titre glorieux — celui de citoyen — pour celui de valet de chambre de Georges ou de d'Orléans. Mais qu'un représentant du peuple qui sent la dignité de ce caractère sacré, qu'un citoyen français digne de ce nom puisse abaisser ses vœux jusqu'aux grandeurs coupables et ridicules qu'il a contribué à foudroyer, et qu'il se soumette à la dégradation civique pour descendre à l'infamie du trône, c'est ce qui ne paraît vraisemblable qu'à ces êtres pervers qui n'ont pas même le droit de croire à la vertu. Que dis-je, vertu ? C'est une passion naturelle, sans doute ; mais comment la connaîtraient-ils, ces âmes vénales qui ne s'ouvrirent jamais qu'à des passions lâches et féroces, ces misérables intrigants qui ne lièrent jamais le patriotisme à aucune idée morale ?... Mais elle existe, je vo.us en atteste, âmes sensibles et pures, elle existe cette passion tendre, impérieuse, irrésistible, tourment et délices des cœurs magnanimes, cette horreur profonde de la tyrannie, ce zèle compatissant pour les opprimés, cet amour sacré de la patrie, cet amour plus sublime et plus saint de l'humanité, sans lequel une grande révolution n'est qu'un crime éclatant qui détruit un autre crime ; elle existe cette ambition généreuse de fonder sur la terre la première république du monde, cet égoïsme des hommes non dégradés qui trouve une volupté céleste dans le calme d'une conscience pure et dans le spectacle ravissant du bonheur public ? Vous la sentez en ce moment qui brûle dans vos âmes ; je la sens dans la mienne. Mais comment nos vils calomniateurs la devineraient-ils ? comment l'aveugle-né aurait-il l'idée de la lumière ?...[173] Rarement d'une poitrine oppressée sortirent des accents empreints d'une vérité plus poignante. A cette noble protestation répondirent seuls l'injure brutale, la calomnie éhontée et l'échafaud.

Ce fut, j'imagine, pour s'excuser aux yeux de la postérité d'avoir lâchement abandonné Robespierre, et aussi pour se parer d'un vernis de stoïcisme républicain, que ses collègues du comité prétendirent, après coup, l'avoir sacrifié parce qu'il aspirait à la dictature. Ce qui les fâchait, au contraire, c'était d'avoir en lui un censeur incommode se plaignant toujours des excès de pouvoir. Les conclusions de son discours du 8 thermidor ne tendirent-elles pas surtout à faire cesser l'arbitraire dans les comités ? Constituez, disait-il à l'Assemblée, constituez l'unité du gouvernement sous l'autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge, et écrasez ainsi toutes les factions du poids de l'autorité nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté[174]. Et de quoi se plaignait Saint-Just dans son discours du 9 ? Précisément de ce qu'au comité de Salut public les délibérations avaient été livrées à quelques hommes ayant le même pouvoir et la même influence que le comité même, et de ce que le gouvernement s'était trouvé abandonné à un petit nombre qui, jouissant d'un absolu pouvoir, accusa les autres d'y prétendre pour le conserver[175]. Les véritables dictateurs étaient donc Billaud-Varenne, Collot-d’Herbois, Barère, Carnot, C.-A. Prieur et Robert Lindet, nullement Robespierre, qui avait en quelque sorte résigné sa part d'autorité, ni Couthon, presque toujours retenu chez lui par la maladie, ni Saint-Just, presque toujours aux armées, qu'on laissait à l'écart et paisible, comme un citoyen sans prétention[176].

C'est donc le comble de l'absurdité et de l'impudence d'avoir présenté ce dernier comme ayant un jour réclamé pour Robespierre. la dictature. N'importe ! comme Saint-Just était mort et ne pouvait répondre, les membres des anciens comités commencèrent par insinuer qu'il avait proposé aux comités réunis de faire gouverner la France par des réputations patriotiques, en attendant qu'il y eût des institutions républicaines[177] ! L'accusation était bien vague ; tout d'abord on n'osa pas aller plus loin[178] ; mais plus tard on prit des airs de Brutus indigné. Dans des Mémoires où les erreurs les plus grossières se heurtent de page en page aux mensonges les plus effrontés, Barère prétend que dans les premiers jours de messidor Saint-Just proposa formellement aux deux comités réunis de décerner la dictature à Robespierre. — Dans les premiers jours de messidor, notons-le en passant, Saint-Just n'était même pas à Paris ; il n'y revint que dans la nuit du 10. Telle est, du reste, l'inadvertance de Barère dans ses mensonges, qu'un peu plus loin il transporte la scène en thermidor, pour la replacer ensuite en messidor[179]. Pendant l'allocution de Saint-Just, Robespierre se serait promené autour de la salle, gonflant ses joues, soufflant avec saccades. Et il y a des gens graves, sérieux, honnêtes, qui acceptent bénévolement de pareilles inepties[180] !

Pour renforcer son assertion, Barère s'appuie d'une lettre adressée à Robespierre par un Anglais nommé Benjamin Vaughan, résidant a Genève, lettre dans laquelle on soumet à Maximilien l'idée d'un protectorat de la France sur les provinces hollandaises et rhénanes confédérées, ce qui, suivant l'auteur, du projet, aurait donné à la République huit ou neuf millions d'alliés[181] ; d'où Barère conclut que Robespierre était en relations avec le gouvernement anglais, et qu'il aspirait à la dictature, demandée en sa présence par Saint-Just[182]. En vérité, on n'a pas plus de logique ! La dictature était aussi loin de la pensée de Saint-Just que de celle de Robespierre. Dans son discours du 9 Thermidor, le premier disait en propres termes : Je déclare qu'on a tenté de mécontenter et d'aigrir les esprits pour les conduire à des démarches funestes, et l'on n'a point espéré de moi, sans doute, que je prêterais mes mains pures à l'iniquité. Ne croyez pas au moins qu'il ait pu sortir de mon cœur l'idée de flatter un homme ! Je le défends parce qu'il m'a paru irréprochable, et je l'accuserais lui-même s'il devenait criminel[183]. — Criminel, c'est-à-dire s'il eût aspiré à la dictature. — Enfin, — raison décisive et qui coupe court au débat, — comment ! Saint-Just aurait proposé en pleine séance du comité de Salut public d'armer Robespierre du pouvoir dictatorial, et aucun de ceux qu'il accusait précisément d'avoir exercé l'autorité à l'exclusion de Maximilien ne se serait levé pour retourner contre lui l'accusation ! Personne n'eût songé à s'emparer de cet argument si favorable aux projets des conjurés et si bien de nature à exaspérer contre celui qu'on voulait abattre les républicains les plus désintéressés dans la lutte ! Cela est inadmissible, n'est-ce pas ? Eh bien ! pas une voix accusatrice ne se fit entendre à cet égard. Et quand on voit aujourd'hui des gens se prévaloir d'une assertion maladroite de Barère, assertion dont on ne trouve aucune trace dans les discours prononcés ou les écrits publiés à l'époque même par ce membre du comité de Salut public, on se prend involontairement à douter de leur bonne foi. Robespierre garda jusqu'à sa dernière heure trop de respect à la Convention nationale pour avoir jamais pensé à détourner à son profit une part de l'autorité souveraine de la grande Assemblée, et nous avons dit tout à l'heure avec quelle insistance singulière il demanda que le pouvoir du comité de Salut public fût en tout état de cause subordonné à la Convention nationale.

Comme Billaud-Varenne, dont il était si loin d'avoir les convictions sincères et farouches, Barère eut son heure de remords. Un jour, sur le soir de sa vie, peu de temps après sa rentrée en France, retenu au lit par un asthme violent, il reçut la visite de l'illustre sculpteur David (d'Angers). Il s'entretint longtemps de Robespierre avec l'artiste démocrate. Après avoir parlé du désintéressement de son ancien collègue et de ses aspirations à la dictature, — deux termes essentiellement contradictoires, — il ajouta : Depuis, j'ai réfléchi sur cet homme ; j'ai vu que son idée dominante était l'établissement du gouvernement républicain, qu'il poursuivait, en effet, des hommes dont l'opposition entravait les rouages de ce gouvernement. Nous n'avons pas compris cet homme. il avait le tempérament des grands hommes, et la postérité lui accordera ce titre. Et comme David confiait au vieux Conventionnel son projet de sculpter les traits des personnages les plus éminents de la Révolution, et prononçait le nom de Danton : — N'oubliez pas Robespierre ! s'écria Barère en se levant avec vivacité sur son séant, et en appuyant sa parole d'un geste impératif ; c'était un homme pur, intègre, un vrai républicain. Ce qui l'a perdu, c'est sa vanité, son irascible susceptibilité et son injuste défiance envers ses collègues. Ce fut un grand malheur !... Puis, ajoutent ses biographes, sa tête retomba sur sa poitrine, et il demeura longtemps enseveli dans ses réflexions[184]. Ainsi, dans cet épanchement suprême, Barère reprochait à Maximilien... quoi ?... sa vanité, sa susceptibilité, sa défiance. Il fallait bien colorer de l'ombre d'un prétexte une participation trop active au guet-apens de Thermidor. Étonnez-vous donc qu'en ce moment des visions sanglantes aient traversé l'esprit du moribond, et qu'il soit resté comme anéanti sous le poids du remords !

 

XIV

Cependant les Thermidoriens continuaient dans l'ombre leurs manœuvres odieuses. Présenter Robespierre aux uns comme l'auteur des persécutions indistinctement prodiguées, aux autres comme un modéré décidé à arrêter le cours terrible de la Révolution, telle fut leur tactique infernale. On ne saura jamais ce qu'ils ont répandu d'assignats pour corrompre l'esprit public et se faire des créatures. Leurs émissaires salariaient grassement des perturbateurs, puis s'en allaient de tous côtés, disant : Toute cette canaille-là est payée par ce coquin de Robespierre. Et, ajoute l'auteur de la note où nous puisons ces renseignements, voilà Robespierre qui a des ennemis bien gratuitement, et le nombre des mécontents bien augmenté[185]. Mais c'était surtout comme contre-révolutionnaire qu'on essayait de le déconsidérer aux yeux des masses. Comment, en effet, aurait-on pu le transformer alors en agent de la Terreur, quand on entendait un de ses plus chers amis, Couthon, dénoncer aux Jacobins les persécutions exercées par l'espion Senar, ce misérable agent du comité de Sûreté générale, et se plaindre en termes indignés du système affreux mis en pratique par certains hommes pour tuer la liberté par le crime. Les fripons ainsi désignés — quatre à cinq scélérats, selon Couthon — prétendaient qu'en les attaquant on voulait entamer la représentation nationale. Personne plus que nous ne respecte et n'honore la Convention, s'écriait Couthon. Nous sommes tous disposés à verser mille fois tout notre sang pour elle. Nous honorons par-dessus tout la justice et la vertu, et je déclare, pour mon compte, qu'il n'est aucune puissance humaine qui puisse m'imposer silence toutes les fois que je verrai la justice et la vertu outragées[186]. Ces paroles, ne les croirait-on pas tombées de la bouche de Maximilien ?

Robespierre jeune, de son côté, avec non moins de véhémence et d'indignation, signalait un système universel d'oppression. Il fallait du courage pour dire la vérité, ajoutait-il. Tout est confondu par la calomnie ; on espère faire suspecter tous les amis de la liberté ; on a l'impudeur de dire dans le département du Pas-de-Calais, qui méritait d'être plus tranquille, que je suis en arrestation comme modéré. Eh bien ! oui, je suis modéré, si l'on entend parce mot un citoyen qui ne se contente pas de la proclamation des principes de la morale et de la justice, mais qui veut leur application ; si l'on entend un homme qui sauve l'innocence opprimée aux dépens de sa réputation. Oui, je suis un modéré en ce sens ; je l'étais encore lorsque j'ai déclaré que le gouvernement révolutionnaire devait être comme la foudre, qu'il devait en un instant écraser tous les conspirateurs ; mais qu'il fallait prendre garde que cette institution terrible ne devînt un instrument de contre-révolution par la malveillance qui voudrait en abuser, et qui en abuserait au point que tous les citoyens s'en croiraient menacés, extrémité cruelle qui ne manquerait pas de réduire au silence tous les amis de la liberté[187]... Voilà bien les sentiments si souvent exprimés déjà par Maximilien Robespierre, et que nous allons lui entendre développer tout à l'heure, avec une énergie nouvelle, à la tribune de la Convention.

Il pouvait donc compter, c'était à croire du moins, sur la partie modérée de l'Assemblée, je veux dire sur cette partie incertaine et flottante formant l'appoint de la majorité, tantôt girondine et tantôt montagnarde, sur ce côté droit dont il avait arraché soixante-treize membres à l'échafaud. Peu de temps avant la catastrophe on entendit le vieux Vadier s'écrier, un jour où les ménagements de Robespierre pour la droite semblaient lui inspirer quelques craintes : Si cela continue, je lui ferai guillotiner cent crapauds de son marais[188]. Cependant les conjurés sentirent la nécessité de se concilier les membres de la Convention connus pour leur peu d'ardeur républicaine et leur patriotisme douteux ; il n'est sorte de stratagèmes dont ils n'usèrent pour les détacher de Maximilien. Dans la journée du 5 thermidor, Amar et Voulland se transportèrent, au nom du comité de Sûreté générale, dont la plupart des membres, avons nous dit, étaient de la conjuration, à la prison des Madelonnettes, où avaient été transférés une partie des soixante-treize Girondins ; et là, avec une horrible hypocrisie, ils témoignèrent à leurs collègues détenus le plus affectueux intérêt. Ces hommes qui de si bon cœur eussent envoyé à la mort les auteurs de la protestation contre le 31 mai, que Robespierre leur avait arrachés des mains, parurent attendris. Arrête-t-on votre correspondance ?... Votre caractère est-il méconnu ici ? Le concierge s'est-il refusé à mettre sur le registre votre qualité de députés ? Parlez, parlez, nos chers collègues ; le comité de Sûreté nous envoie vers vous pour vous apporter la consolation et recevoir vos plaintes. Et sur les plaintes des prisonniers que leur caractère était méconnu, qu'on les traitait comme les autres prisonniers, Amar s'écria : C'est un crime affreux, et il pleura, lui, le rédacteur du rapport à la suite duquel les Girondins avaient été traduits devant le tribunal révolutionnaire ! Quelle dérision !

Les deux envoyés du comité de Sûreté générale enjoignirent aux administrateurs de police d'avoir pour les détenus tous les égards dus aux représentants du peuple, de laisser passer toutes les lettres qu'ils écriraient, toutes celles qui leur seraient adressées, sans les ouvrir. Ils donnèrent encore aux administrateurs l'ordre de choisir pour les députés une maison commode avec un jardin. Alors tous les représentants tendirent leurs mains qu'Amar et Voulland serrèrent alternativement, et ceux-ci se retirèrent comblés des bénédictions des détenus[189]. Ainsi se trouvait préparée l'alliance thermido-girondine. Le but des conjurés était atteint. Les Girondins détenus allaient pouvoir écrire librement à leurs amis de la droite, et sans doute ils ne manqueraient pas de leur faire part de la sollicitude avec laquelle ils avaient été traités par le comité de Sûreté générale. Or, ce n'était un mystère pour personne qu'à l'exception de trois ou quatre de ses membres, ce comité, instrument sinistre de la Terreur, était entièrement hostile à Robespierre. D'où la conclusion toute naturelle que Robespierre était le persécuteur, puisque ses ennemis prenaient un si tendre intérêt aux persécutés. Quels maîtres fourbes que ces héros de Thermidor !

 

XV

Toutefois les députés de la droite hésitèrent longtemps avant de se rendre, car ils craignaient d'être dupes des manœuvres de la conspiration. Ils savaient bien que du côté de Robespierre étaient le bons sens, la vertu, la justice ; que ses adversaires étaient les plus vils et les plus méprisables des hommes ; mais ils savaient aussi fort bien que son triomphe assurait celui de la démocratie, la victoire définitive de la République, et cette certitude fut, c'est ma conviction, la seule cause qui fit épouser aux futurs comtes Sieyès, Boissy d'Anglas, Dubois-Dubais, Thibaudeau et autres la querelle des Rovère, des Fouché, des Tallien, des Bourdon et de leurs pareils. Par trois fois ceux-ci durent revenir à la charge, avoue Durand-Maillane[190], tant la conscience, chez ces députés de la droite, balançait encore l'esprit de parti. Comment en effet eussent-ils consenti à sacrifier légèrement, sans résistance, celui qui les avait constamment protégés[191], celui qu'ils regardaient comme le défenseur du faible et de l'homme trompé[192] ? Mais l'esprit de parti fut le plus fort. Il y eut, dit-on, chez Boissy d'Anglas des conférences où, dans le désir d'en finir plus vite avec la République, la majorité se décida, non sans combat, à livrer la tête du Juste, de celui que le maître du logis venait de surnommer hautement et publiquement l'Orphée de la France[193]. Et voilà comment des gens relativement honnêtes conclurent un pacte odieux avec des coquins qu'ils méprisaient.

Outre l'élément royaliste, il y avait dans la Plaine, cette pépinière des serviteurs et des grands seigneurs de l'Empire, une masse variable, composée d'individus craintifs et sans conviction, toujours prêts, comme je l'ai dit, à se ranger du côté des vainqueurs. Un mot attribué à l'un d'eux les peint tout entiers. Pouvez-vous nous répondre du ventre ? demanda un jour Billaud-Varenne à ce personnage de la Plaine. Oui, répondit celui-ci, si vous êtes les plus forts[194]. Abattre Robespierre ne paraissait pas chose aisée, tant la vertu exerce sur les hommes un légitime prestige.

Lui, pourtant, en face de la coalition menaçante, restait volontairement désarmé. Dépouillé de toute influence gouvernementale, il ne songea même pas à tenter une démarche auprès des députés du centre, qui peut-être se fussent unis à lui s'il eût fait le moindre pas vers eux. Tandis que l'orage s'amoncelait, il vivait plus retiré que jamais, laissant a ses amis le soin de signaler aux Jacobins les trames ourdies dans l'ombre, car les avertissements ne lui manquaient pas. Je ne parle pas des lettres anonymes auxquelles certains écrivains ont accordé une importance ridicule. Il y avait alors, ai-je dit déjà, une véritable fabrication de ces sortes de productions, monuments honteux de la bassesse et de la lâcheté humaines. J'en ai là sous les yeux un certain nombre adressées à Hanriot, à Hérault-Séchelles, à Danton. Te voilà donc, f..... coquin, président d'une horde de scélérats, écrivait-on à ce dernier ; j'ose me flatter que plus tôt que tu ne penses je te verrai écarteler avec Robespierre. Vous avez à vos trousses cent cinquante Brutuse ou Charlotte Cordé[195]. Toutes ces lettres se valent, pour le fond comme pour la forme. A Maximilien, on écrivait, tantôt : Robespierre, Robespierre ! Ah ! Robespierre, je le vois, tu tends à la dictature, et tu veux tuer la liberté que tu as créée. Malheureux, tu as vendu ta patrie ! Tu déclames avec tant de force contre les tyrans coalisés contre nous, et tu veux nous livrer à eux. Ah ! scélérat, oui, tu périras, et tu périras des mains desquelles tu n'attends guère le coup qu'elles te préparent[196]. Tantôt : Tu es encore. Écoute, lis l'arrêt de ton châtiment. J'ai attendu, j'attends encore que le peuple affamé sonne l'heure de ton trépas. Si mon espoir était vain, s'il était différé, écoute, lis, te dis-je : cette main qui trace ta sentence, cette main que tes yeux égarés cherchent à découvrir, cette main qui presse la tienne avec horreur, percera ton cœur inhumain. Tous les jours je suis avec toi, je te vois tous les jours, à toute heure mon bras levé cherche ta poitrine. Ô le plus scélérat des hommes, vis encore quelques jours pour penser à moi ; dors pour rêver à moi ; que mon souvenir et ta frayeur soient le premier appareil de ton supplice. Adieu ! ce jour même, en te regardant, je vais jouir de ta terreur[197]. A coup sûr, le misérable auteur de ces lignes grotesques connaissait bien mal Robespierre, un des hommes qui aient possédé au plus haut degré le courage civil, cette vertu si précieuse et si rare. Croirait-on qu'il s'est rencontré des écrivains d'assez de bêtise ou de mauvaise foi pour voir dans les lettres dont nous venons d'offrir un échantillon des caractères tracés par des mains courageuses, des traits aigus lancés par le courage et la vertu[198]. C'est à n'y pas croire !

De ces lettres anonymes, Robespierre faisait le cas qu'un honnête homme fait ordinairement de pareilles pièces, il les méprisait. Quelquefois, pour donner à ses concitoyens une idée de l'ineptie et de la méchanceté de certains ennemis de la Révolution, il en donnait lecture soit aux Jacobins, soit à ses collègues du comité de Salut public, mais il n'y prenait pas autrement garde. Seulement d'autres avertissements plus sérieux ne lui manquèrent pas. Nous avons mentionné plus haut une pièce dans laquelle un ami inconnu lui rendait compte des menées de la conjuration. Dans la journée du 5 thermidor, le rédacteur de l'Orateur du peuple, Labenette, un des plus anciens collaborateurs de Fréron, lui écrivant pour réclamer un service, ajoutait : Qui sait ? Peut-être que je t'apprendrai ce que tu ne sais pas. Et il terminait sa lettre en prévenant Maximilien qu'il irait le voir le lendemain pour savoir l'heure et le moment où il pourrait lui ouvrir son cœur[199]. Celui-là devait être bien informé. Vit-il Robespierre, et déroula-t-il devant lui tout le plan de la conjuration ? C'est probable. Ce qu'il y a de certain, c'est que Maximilien, comme on peut s'en convaincre par son discours du 8 thermidor, connaissait jusque dans leurs moindres détails les manœuvres de ses ennemis.

S'il eût été doué du moindre esprit d'intrigue, comme il lui eût été facile de déjouer toutes les machinations thermidoriennes, comme aisément il se fût rendu d'avance maître de la situation ! Mais non, il sembla se complaire dans une complète inaction. Loin de prendre la précaution de sonder les intentions de ses collègues de la droite, il n'eut même pas l'idée de s'entendre avec ceux dont le concours lui était assuré ! La grande majorité des sections parisiennes, la société des Jacobins presque tout entière, la commune,  lui étaient dévouées ; il ne songea point à tirer parti de tant d'éléments de force et de succès. Les inventeurs de la conspiration de Robespierre ont eu beau s'ingénier, il n'ont pu trouver un lambeau de papier indiquant qu'il y ait eu la moindre intelligence et le moindre concert entre Maximilien et le maire de Paris, Fleuriot-Lescot, par exemple, ou l'agent national Payan[200]. Si ces deux hauts fonctionnaires, sur le compte desquels la réaction, malgré sa science dans l'art de la calomnie, n'est parvenue à mettre ni une action basse ni une lâcheté, ont dans la journée du 9 Thermidor pris parti pour Robespierre, ç'a été tout spontanément et emportés par l'esprit de justice. En revanche on a été beaucoup plus fertile en inventions sur le compte d'Hanriot, le célèbre général de la garde nationale parisienne[201].

 

XVI

Oh ! pour celui-là la réaction a été impitoyable ; elle a épuisé à son égard tous les raffinements de la calomnie. Hanriot a payé cher sa coopération active au mouvement démocratique du 31 mai. De cet ami sincère de la Révolution, de ce citoyen auquel un jour, à l'Hôtel de Ville, on promettait une renommée immortelle pour son désintéressement et son patriotisme, les uns ont fait un laquais ivre, les autres l'ont malicieusement confondu avec un certain Henriot, compromis dans les massacres de Septembre.

Qu'il ait été l'admirateur de Robespierre, qu'il ait été dévoué, jusqu'à sacrifier sa vie, à l'homme qui, à l'époque du procès des hébertistes, l'avait couvert de sa protection, cela est de toute évidence, et l'événement l'a suffisamment prouvé ; mais ce qui n'a jamais été démontré et ce qui est complètement faux, c'est qu'il ait été docilement soumis à son influence et qu'il ait servilement suivi ses inspirations. Fasciné, comme tant d'autres, par le génie, l'éloquence et les hautes qualités morales du tribun populaire, il régla constamment sa conduite sur les sages avis adressés par Robespierre aux patriotes, du haut de la tribune de la Convention ou de celle des Jacobins. Il exerça avec une habileté surprenante les difficiles fonctions dont il était investi. On a jusqu'à ce jour vomi beaucoup de calomnies contre lui, on n'a jamais rien articulé de sérieux ; dans son commandement il se montra toujours irréprochable. Sa conduite, durant le rude hiver de 1794, fut digne de tous éloges. Si la paix publique ne fut point troublée, si les attroupements aux portes des boulangers et des bouchers ne dégénérèrent pas en collisions sanglantes, ce fut grâce surtout à son énergie tempérée de douceur.

S'il est vrai que le style soit l'homme, on n'a qu'à parcourir les ordres du jour du général Hanriot, et l'on se convaincra que ce révolutionnaire tant calomnié était un excellent patriote, un pur républicain, un véritable homme de bien. A ses frères d'armes de service dans les maisons d'arrêt, il recommande de se comporter avec le plus d'égards possible envers les détenus et leurs femmes. La justice nationale seule, dit-il, a le droit de sévir contre les coupables[202]. Le criminel dans les fers doit être respecté ; on plaint le malheur, mais on n'y insulte pas[203]. Pour réprimer l'indiscipline de certains gardes nationaux, il préfère l'emploi du raisonnement à celui de la force : Nous autres républicains, nous devons être frappés de l'évidence de notre égalité, et pour la soutenir il faut des mœurs, des vertus et de l'austérité[204]. Ailleurs il disait : Je ne croirai jamais que des mains républicaines soient capables de s'emparer du bien d'autrui ; j'en appelle à toutes les vertueuses mères de famille dont les sentiments d'amour pour la patrie et de respect pour tout ce qui mérite d'être respecté sont publiquement connus[205]. Est-il parfois obligé de recourir à la force armée, il ne peut s'empêcher d'en gémir : Si nous nous armons quelquefois de fusils, ce n'est pas pour nous en servir contre nos pères, nos frères et amis, mais contre les ennemis du dehors[206]. Ce n'est pas lui qui eût encouragé notre malheureuse tendance à nous engouer des hommes de guerre : Souvenez-vous, mes amis, que le temps de servir les hommes est passé. C'est à la chose publique seule que tout bon citoyen se doit entièrement. Tant que je serai général, je ne souffrirai jamais que le pouvoir militaire domine le civil, et si mes frères les canonniers veulent despotiser, ce ne sera jamais sous mes ordres[207]. Dans nos fêtes publiques il nous faut toujours des baïonnettes qui reluisent au soleil ; Hanriot ne comprend pas ce déploiement de l'appareil des armes dans des solennités pacifiques. Le lendemain d'un jour de cérémonie populaire, un citoyen s'étant plaint que la force armée n'eût pas été là avec ses fusils et ses piques pour mettre l'ordre dans la foule : Ce ne sont pas mes principes, s'écrie Hanriot dans un ordre du jour ; quand on fête, pas d'armes, pas de despote ; la raison établit l'ordre, la douce et saine philosophie règlent nos pas... un ruban tricolore suffit pour indiquer à nos frères que telles places sont destinées à nos bons législateurs. Quand il s'agit de fête, ne parlons jamais de force armée, elle touche de trop près au despotisme[208]... A coup sûr le moindre chef de corps trouverait aujourd'hui cet Hanriot bien arriéré. Dans un pays libre, dit encore cet étrange général, la police ne doit pas se faire avec des piques et des baïonnettes, mais avec la raison et la philosophie. Elles doivent entretenir un œil de surveillance sur la société, l'épurer et en proscrire les méchants et les fripons. Quand viendra-t-il ce temps désiré où les fonctionnaires publics seront rares, où tous les mauvais sujets seront terrassés, où la société entière n'aura pour fonctionnaire public que la loi[209].... ! Un peuple libre se police lui-même, il n'a pas besoin de force armée pour être juste[210]... La puissance militaire exercée despotiquement mène à l'esclavage, à la misère, tandis que la puissance civile mène au bonheur, à la paix, à la justice, à l'abondance[211]. Aux fonctionnaires qui se prévalent de leurs titres pour s'arroger certains privilèges, il rappelle que la loi est égale pour tous. Les dépositaires des lois en doivent être les premiers esclaves[212]. Un arrêté de la commune ayant ordonné que les citoyens trouvés mendiant dans les rues fussent arrêtés et conduits à leurs sections respectives, le général prescrit à ses soldats d'opérer ces sortes d'arrestations avec beaucoup d'humanité et d'égards pour le malheur, qu'on doit respecter[213]. Aux gardes nationaux sous ses ordres il recommande la plus grande modération dans le service : Souvenez-vous que le fer dont vos mains sont armées n'est pas destiné à déchirer le sein d'un père, d'un frère, d'une mère, d'une épouse chérie. Souvenez-vous de mes premières promesses où je vous fis part de l'horreur que j'avais pour toute effusion de sang... Je ne souffrirai jamais qu'aucun de vous en provoque un autre au meurtre et à l'assassinat. Les armes que vous portez ne doivent être tirées que pour la défense de la patrie, c'est le comble de la folie de voir un Français égorger un Français ; si vous avez des querelles particulières, étouffez-les pour l'amour de la patrie[214].

Le véritable Hanriot ressemble assez peu, comme on voit, à l'Hanriot légendaire de la plupart des écrivains. Le bruit a-t-il couru, au plus fort moment de l'hébertisme, que certains hommes songeraient à ériger une dictature, il s'empresse d'écrire : Tant que nous conserverons notre énergie, nous défierons ces êtres vils et corrompus de se mesurer avec nous. Nous ne voulons pour maître que la loi, pour idole que la liberté et l'égalité, pour autel que la justice et la raison[215]. A ses camarades il ne cesse de prêcher la probité, la décence, la sobriété, toutes les vertus. Ce sont nos seules richesses ; elles sont impérissables. Fuyons l'usure ; ne prenons pas les vices des tyrans que nous avons terrassés[216]. Soyons sobres, aimons la patrie, et que notre conduite simple, juste et vertueuse remplisse d'étonnement les peuples des autres climats[217]. Indigné de l'imprudence et de la brutalité avec lesquelles certains soldats de la cavalerie, des estafettes notamment, parcouraient les rues de Paris, au risque de renverser sur leur passage femmes, enfants, vieillards, il avait autorisé les gardes nationaux de service à arrêter les cavaliers de toutes armes allant au grand galop dans les rues. L'honnête citoyen à pied doit être respecté par celui qui est à cheval[218]. Un matin, l'ordre du jour suivant fût affiché dans tous les postes : Hier, un gendarme de la 29e division a jeté à terre, il était midi trois quarts, rue de la Verrerie, au coin de celle Martin, un vieillard ayant à la main une béquille. Cette atrocité révolte l'homme qui pense et qui connaît ses devoirs. Malheur à celui qui ne sait pas respecter la vieillesse, les lois de son pays, et qui ignore ce qu'il doit à lui-même et à la société entière. Ce gendarme prévaricateur, pour avoir manqué à ce qui est respectable, gardera les arrêts jusqu'à nouvel ordre[219]. Quand je passe maintenant au coin de la rue Saint-Martin, à l'angle de la vieille église Saint-Méry qui, dans ce quartier transformé, est restée presque seule comme un témoin de l'acte de brutalité si sévèrement puni par le général de la garde nationale, je ne puis m'empêcher de songer à cet Hanriot dont la réaction nous a laissé un portrait si défiguré.

Aux approches du 9 Thermidor ses conseils deviennent en quelque sorte plus paternels. Il conjure les femmes qui, par trop d'impatience à la porte des fournisseurs, causaient du trouble dans la ville, de se montrer sages et dignes d'elles-mêmes. Souvenez-vous que vous êtes la moitié de la société et que vous nous devez un exemple que les hommes sensibles ont droit d'attendre de vous[220]. Le 3 thermidor il invitait encore les canonniers à donner partout le bon exemple : La patrie, qui aime et veille sur tous ses enfants, proscrit de notre sein la haine et la discorde. Faisons notre service d'une manière utile et agréable à la grande famille ; fraternisons, et aimons tous ceux qui aiment et défendent la chose publique[221]. Voilà pourtant l'homme qu'avec leur effronterie ordinaire les Thermidoriens nous ont présenté comme ayant été jeté ivre-mort par Coffinhal dans un égout de l'Hôtel de ville.

Ces citations, que nous aurions pu multiplier à l'infini, témoignent assez clairement de l'esprit d'ordre, de la sagesse et de la modération du général Hanriot ; car ces ordres du jour, superbes parfois d'honnêteté naïve, et révélés pour la première fois, c'est l'histoire prise sur le fait, écrite par un homme de cœur et sans souci de l'opinion du lendemain. En embrassant, dans la journée du 9 Thermidor, la cause des proscrits, Hanriot, comme Dumas et Coffinhal, comme Payan et Fleuriot-Lescot, ne fit que céder à l'ascendant de la vertu. Si vingt-quatre heures d'avance seulement Robespierre avait eu l'idée de s'entendre avec ces hauts fonctionnaires, si aux formidables intrigues nouées depuis si longtemps contre lui il avait opposé les plus simples mesures de prudence, s'il avait prévenu d'un mot quelques membres influents de la commune et des sections, s'il avait enfin pris soin d'éclairer sur les sinistres projets de ses adversaires la foule immense de ses admirateurs et de ses amis inconnus, la victoire lui était assurée ; mais en dehors de la Convention il n'y avait pas de salut à ses yeux ; l'Assemblée c'était l'arche sainte ; plutôt que d'y porter la main, il aurait offert sa poitrine aux poignards. Pour triompher de ses ennemis, il crut qu'il lui suffirait d'un discours, et il se présenta sans autre arme sur le champ de bataille, confiant dans son bon droit et dans les sentiments de justice et d'équité de la Convention. Fatale illusion, mais noble croyance, dont sa mémoire restera éternellement honorée.

 

XVII

D'ailleurs il ne put se persuader, j'imagine, que ses collègues du comité de Salut public l'abandonneraient si aisément à la rage de ses ennemis. Mais il comptait sans les jaloux et les envieux à qui son immense popularité portait ombrage. La persistance de Maximilien à ne point s'associer à une foule d'actes qu'il considérait comme tyranniques, et à ne pas prendre part, quoique présent, aux délibérations du comité, exaspéra certainement quelques-uns de ses collègues, surtout Billaud. Ce dernier lui reprochait d'être le tyran de l'opinion, à cause de ses succès de tribune. Singulier reproche qui fit dire à Saint-Just : Est-il un triomphe plus désintéressé ? Caton aurait chassé de Rome le mauvais citoyen qui eût appelé l'éloquence dans la tribune aux harangues le tyran de l'opinion[222]. Son empire, ajoute-t-il excellemment, se donne à la raison et ne ressemble guère au pouvoir des gouvernements. Mais Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois, forts de l'appui de Carnot, avaient pour ainsi dire accaparé à cette époque l'exercice du pouvoir[223] : ils ne se souciaient nullement de voir la puissance du gouvernement contrebalancée par celle de l'opinion.

Cependant diverses tentatives de rapprochement eurent lieu dans les premiers jours de thermidor, non-seulement entre les membres du comité de Salut public, mais encore entre les membres des deux comités réunis. On s'assembla une première fois le 4. Ce jour-là l'entente parut probable, puisqu'on chargea Saint-Just de présenter à la Convention un rapport sur la situation générale de la République, Saint-Just dont l'amitié et le dévouement pour Robespierre n'étaient ignorés de personne. L'âpre et fier jeune homme ne déguisa ni sa pensée ni ses intentions. Il promit de dire tout ce que sa probité lui suggérerait pour le bien de la patrie, rien de plus, rien de moins, et il ajouta : Tout ce qui ne ressemblera pas au pur amour du peuple et de la liberté aura ma haine[224]. Ces paroles donnèrent sans doute à réfléchira ceux qui ne le voyaient pas sans regret chargé de prendre la parole au nom des comités devant la Convention nationale. Billaud-Varenne ne dissimula même pas son dessein de rédiger l'acte d'accusation de Maximilien[225].

Le lendemain on se rassembla de nouveau. Les membres des anciens comités ont prétendu que ce jour-là Robespierre avait été cité devant eux pour s'expliquer sur les conspirations dont il parlait sans cesse vaguement aux Jacobins, sur les motifs de son absence du comité depuis quatre décades et sur ses liaisons avec des juges et jurés qui ne parlaient que d'épurer la Convention, et qu'ils se vantaient d'avoir fait arrêter sur-le-champ[226]. Il ne faut pas beaucoup de perspicacité pour découvrir la fourberie cachée sous cette déclaration intéressée. D'abord il n'y avait pas lieu de citer Robespierre devant les comités, puisque, du propre aveu de ses accusateurs, il n'avait encore accompli aucun de ces actes ostensibles et nécessaires pour démontrer une conjuration à l'opinion publique abusée[227]. — Cet acte ostensible et nécessaire ce fut, comme l'ont dit eux-mêmes ses assassins, son discours du 8 thermidor. — Secondement, l'absence de Robespierre a été, comme nous l'avons prouvé, une absence toute morale ; de sa personne il était là ; donc il était parfaitement inutile de le mander, quand chaque jour on se trouvait face à face avec lui.

La vérité est que le 5 thermidor il consentit à une explication. Cette explication, que fut-elle ? Il est impossible d'admettre tous les contes en l'air débités là-dessus par les uns et par les autres. Les anciens membres des comités ont gardé à cet égard un silence prudent[228]. Seul, Billaud-Varenne en a dit quelques mots. A l'en croire, Robespierre serait devenu lui-même accusateur, aurait désigné nominativement les victimes qu'il voulait immoler, et surtout aurait reproché aux deux comités l'inexécution du décret ordonnant l'organisation de six commissions populaires pour juger les détenus[229]. Sur ce dernier point nous prenons Billaud en flagrant délit de mensonge, car dès le 3 thermidor quatre de ces commissions étaient organisées par un arrêté auquel Robespierre, ainsi qu'on l'a vu plus haut, avait, quoique présent au comité, refusé sa signature. Quant aux membres dénoncés par Robespierre à ses collègues des comités pour leurs crimes et leurs prévarications, quels étaient-ils ? Billaud-Varenne s'est abstenu de révéler leurs noms, et c'est infiniment fâcheux : on eût coupé court ainsi aux exagérations de quelques écrivains qui, feignant d'ajouter foi aux récits mensongers de certains conjurés thermidoriens, se sont complus à porter jusqu'à dix-huit et jusqu'à trente le chiffre des Conventionnels menacés. Le nombre des coupables n'était pas si grand ; rappelons que d'après les déclarations assez précises de Couthon et de Saint-Just, il ne s'élevait pas à plus de quatre ou cinq, parmi lesquels, sans crainte de se tromper, on peut ranger Fouché, Tallien et Rovère. Robespierre s'est déclaré le ferme appui de la Convention, a écrit Saint-Just, il n'a jamais parlé dans le comité qu'avec ménagement de porter atteinte à aucun de ses membres[230]. C'est encore au discours de Saint-Just qu'il faut recourir pour savoir à peu près au juste ce qui s'est passé le 5 thermidor dans la séance des deux comités.

Pour un double motif, ses affirmations ont une importance et un poids immenses : premièrement, il les avait écrites en vue de les prononcer devant la Convention, et il ne se fût pas exposé à recevoir en pleine Assemblée un démenti sanglant ; secondement, elles n'ont donné lieu, que je sache, à aucune dénégation de la part de ses anciens collègues. Au commencement de la séance tout le monde restait muet, comme si l'on eût craint de s'expliquer. Saint-Just rompit le premier le silence. Il raconta qu'un officier suisse, fait prisonnier devant Maubeuge et interrogé par Guyton-Morveau et par lui, leur avait confié que les puissances alliées n'avaient aucun espoir d'accommodement avec la France actuelle, mais qu'elles attendaient tout d'un parti qui renverserait la forme terrible du gouvernement et adopterait des principes moins rigides. En effet, les manœuvres des conjurés n'avaient pas été sans transpirer au dehors ; il est même bien évident que certains membres acquis à la conspiration avaient des intelligences avec les émigrés ; à Londres, on discutait publiquement les chances de la faction contraire à Robespierre, et, comme on le peut voir par des articles du Times, on s'attendait d'un jour à l'autre à un déchirement profond dans le sein de la Convention. Les émigrés, ajouta Saint-Just, sont instruits du projet des conjurés de faire, s'ils réussissent, contraster l'indulgence avec la rigueur actuellement déployée contre les traîtres. Ne verra-t-on pas les plus violents terroristes, les Tallien, les Fréron, les Bourdon (de l'Oise), s'éprendre de tendresses singulières pour les victimes de la Révolution et même pour les familles des émigrés ?

Arrivant ensuite aux persécutions sourdes dont Robespierre était l'objet, il demanda, sans nommer son ami, s'il était un dominateur qui ne se fût pas d'abord environné d'un grand crédit militaire, emparé des finances et du gouvernement, et si ces choses se trouvaient dans les mains de ceux contre lesquels on insinuait des soupçons. David appuya chaleureusement les paroles de son jeune collègue. Il n'y avait pas à se méprendre sur l'allusion. Billaud-Varenne dit alors à Robespierre : Nous sommes tes amis, nous avons toujours marché ensemble. Et la veille il l'avait traité de Pisistrate. Ce déguisement, dit Saint-Just, fit tressaillir mon cœur[231].

Il n'y eut rien d'arrêté positivement dans cette séance ; cependant la paix parut, sinon cimentée, au moins en voie de se conclure, et l'on confirma le choix que la veille on avait fait de Saint-Just, comme rédacteur d'un grand rapport sur la situation de la République. Les conjurés, en apprenant l'issue de cette conférence, furent saisis de terreur. Si cette paix eût réussi, a écrit l'un d'eux, elle perdait à jamais la France[232] ; c'est-à-dire : nous étions démasqués et punis, nous misérables qui avons tué la République dans la personne de son plus dévoué défenseur. De nouveau l'on se mit à l'œuvre : des listes de proscription plus nombreuses furent lancées parmi les députés. Épouvanter les membres par des listes de proscription et en accuser l'innocence, voilà ce que Saint-Just appelait un blasphème[233]. Tel avait été le succès de ce stratagème, qu'ainsi que nous l'avons dit, un certain nombre de représentants n'osaient plus coucher dans leurs lits. Cependant on ne vint pas sans peine à bout d'entraîner le comité de Salut public ; il fallut des pas et des démarches dont l'histoire serait certainement instructive et curieuse. Les membres de ce comité, répéterons-nous, semblaient comme retenus par une sorte de crainte instinctive, au moment de livrer la grande victime. Tout à l'heure même nous allons entendre Barère, en leur nom, prodiguer à Robespierre la louange et l'éloge. Mais ce sera le baiser de Judas.

 

XVIII

A cette époque un certain nombre de compagnies de canonniers reçurent de la commission du mouvement des armées de terre, à la tête de laquelle était un citoyen nommé Pille, créature de Carnot, l'ordre de quitter Paris. Les ennemis de Robespierre, dont Carnot se montra l'allié très-zélé, craignaient-ils que Maximilien ne trouvât un appui dans cette troupe composée en général de patriotes ardents ? A cet égard je ne saurais rien préciser. Cependant, dès le 3 thermidor, un pur et sincère démocrate nommé Sijas, le propre adjoint de Pille, dénonça ce fait comme une manœuvre coupable. Il signala de plus, comme une chose infiniment suspecte, le secret dont ce commissaire s'attachait à envelopper ses opérations. L'accusation remontait tout droit à Carnot, des volontés duquel Pille n'était que l'exécuteur. Sijas invita tous ses concitoyens à se mettre en garde contre l'établissement du gouvernement militaire, moyen trop souvent employé, dit-il, pour perdre la liberté[234].

Trois jours après, Couthon témoignait aussi ses inquiétudes sur le départ des canonniers, et se plaignait qu'on dégarnît Paris d'hommes, d'armes et de munitions. Pourquoi, demanda-t-il aussi, avoir envoyé des canons de gros calibre aux trois mille jeunes gens de l'école de Mars ? Tout cela lui paraissait coïncider singulièrement avec les trames des ennemis de la République. A quoi bon même cette école de Mars, disait-il, et que signifiaient ces trois mille apprentis soldats, quand la République avait besoin de douze cent mille combattants pour se défendre[235] ? Chargé, avec son collègue Pessard, de la surveillance de cette école, Le Bas s'empressa de rendre justice à l'excellent esprit des jeunes gens dont elle était composée ; mais les paroles de Couthon suffisent, ce me semble, pour prouver combien peu d'importance Maximilien attachait à cette institution, et surtout dans quelle erreur sont tombés les écrivains crédules qui nous ont montré Robespierre allant, au moins une fois par semaine, haranguer les élèves de l'école de Mars dans la plaine des Sablons[236].

On ne se contenta pas de dégarnir Paris d'une partie de ses plus énergiques défenseurs, le comité de Salut public rendit, à la date du 2 thermidor, un arrêté en vertu duquel toutes les armes durent être déposées dans les salles des comités de surveillance, à l'exception de celles affectées au service public. C'était là évidemment un acte de défiance à l'égard du peuple ; mais Robespierre en prit-il ombrage, et y vit-il une mesure de précaution contre la foule de ses partisans ? J'ai de la peine à le croire, puisque cet arrêté, il le signa de sa main[237].

Quoi qu'il en soit, il y avait dans l'air une inquiétude vague, quelque chose qui annonçait de grands événements. Les malveillants s'agitaient en tous sens et répandaient les bruits les plus alarmants pour décourager et diviser les bons citoyens. Ils intriguaient jusque dans les tribunes de la Convention. Robespierre s'en plaignit vivement aux Jacobins dans la séance du 6, et il signala d'odieuses menées dont ce jour-là même l'enceinte de la Convention avait été le théâtre[238]. Après lui Couthon prit la parole et revint sur les manœuvres employées pour jeter la division dans la Convention nationale, dans les comités de Salut public et de Sûreté générale. Il parla de son dévouement absolu pour l'Assemblée, dont la très-grande majorité lui paraissait d'une pureté exemplaire ; il loua également les comités de Salut public et de Sûreté générale, où, dit-il, il connaissait des hommes vertueux et énergiques, disposés à tous les sacrifices pour la patrie. Seulement il reprocha au comité de Sûreté générale de s'être entouré de scélérats coupables d'avoir exercé en son nom une foule d'actes arbitraires et répandu l'épouvante parmi les citoyens, et il nomma encore Senar, ce coquin dont les Mémoires plus ou moins authentiques ont si bien servi la réaction. Il n'est pas, dit-il, d'infamies que cet homme atroce n'ait commises. C'était là un de ces agents impurs dénoncés par Robespierre comme cherchant partout des coupables et prodiguant les arrestations injustes[239]. Couthon ne s'en tint pas là : il signala la présence de quelques scélérats jusque dans le sein de la Convention, en très-petit nombre du reste : cinq ou six, s'écria-t-il, dont les mains sont pleines des richesses de la République et dégoutantes du sang des innocents qu'ils ont immolés ; c'est-à-dire les Fouché, les Tallien, les Carrier, les Rovère, les Bourdon (de l'Oise), qu'à deux jours de là Robespierre accusera à son tour — malheureusement sans les nommer — d'avoir porté la Terreur dans toutes les conditions. Il suffirait de la vertu et de l'énergie de la Convention nationale pour écraser ces êtres pervers, pensait Couthon ; mais personne ne songeait à attenter à la Représentation nationale, comme ne cessaient de le répéter les hommes infâmes auxquels il faisait allusion ; car le jour où elle serait avilie ou dissoute, ajoutait-il, ce jour-là serait celui de la contre-révolution ; et en effet la République sera perdue et la contre-révolution faite le jour où la Convention se trouvera avilie et frappée dans la personne de Robespierre et de ses amis.

Trois jours auparavant, Couthon, après avoir récriminé contre les cinq ou six coquins dont la présence souillait la Convention, avait engagé la société à présenter dans une pétition à l'Assemblée ses vœux et ses réflexions au sujet de la situation, et sa motion avait été unanimement adoptée. Il y revint dans la séance du 6. C'était sans doute, à ses yeux, un moyen très-puissant de déterminer les gens de bien à se rallier, et les membres purs de la Convention à se détacher des cinq ou six êtres tarés qu'il considérait comme les plus vils et les plus dangereux ennemis de la liberté[240]. Quelques esprits exaltés songèrent-ils alors à un nouveau 31 mai ? Cela est certain ; mais il est certain aussi que si quelqu'un s'opposa avec une énergie suprême à l'idée de porter atteinte à la Convention nationale, dans des circonstances nullement semblables à celles où s'était trouvée l'Assemblée à l'époque du 31 mai, ce fut surtout Robespierre. Il ne ménagea point les provocateurs d'insurrection, ceux qui par leurs paroles poussaient le peuple à un 31 mai. C'était bien mériter de son pays, s'écria-t-il, d'arrêter les citoyens qui se permettraient des propos aussi intempestifs et aussi contre-révolutionnaires[241]. Peut-être d'ailleurs ces appels à la révolte étaient-ils poussés par des agents de la conjuration thermidorienne. N'était-ce pas un moyen d'irriter la Convention contre celui auquel on s'efforçait d'en faire remonter la responsabilité ? Quant à Robespierre, il avait, je le répète, un respect absolu pour l'Assemblée : et si dans le domaine moral il pouvait comprendre l'exercice d'une certaine pression à l'égard de la Représentation nationale, c'était à la condition qu'on se tînt dans les strictes voies de la légalité.

Or, rien de plus légal que l'adresse présentée par la société des Jacobins à la Convention dans la séance du 7 thermidor (25 juillet 1794), rien de plus rassurant surtout pour l'Assemblée. En effet, de quoi est-il question dans ce morceau où d'un bout à l'autre on retrouve les idées de Robespierre ? D'abord, des inquiétudes auxquelles donnaient lieu les manœuvres des détracteurs du comité de Salut public, manœuvres que les Amis de la liberté et de l'égalité ne pouvaient attribuer qu'à l'étranger, contraint de placer sa dernière ressource dans le crime. C'était lui, disait-on, qui, mettant en opposition l'indulgence criminelle avec la justice impartiale, dégradait la justice et donnait à l'indulgence un caractère féroce ; lui qui voudrait que des conspirateurs impunis pussent assassiner les patriotes et la liberté, au nom même de la patrie, afin qu'elle ne parût puissante et terrible que contre ses enfants, ses amis et ses défenseurs. Ces conspirateurs impunis, ces proscripteurs des patriotes et de la liberté, c'étaient les Fouché, les Tallien, les Rovère, etc., les cinq ou six coquins auxquels Couthon avait fait allusion la veille. Ils pouvaient triompher grâce à une indulgence arbitraire, tandis que la justice mise à l'ordre du jour, cette justice impartiale à laquelle se fie le citoyen honnête, même après des erreurs et des fautes, faisait trembler les traîtres, les fripons et les intrigants, mais consolait et rassurait l'homme de bien[242]. On y dénonçait comme une manœuvre contre-révolutionnaire la proposition faite à la Convention, par un nommé Magenthies, de prononcer la peine de mort contre les auteurs de jurements où le nom de Dieu serait compromis, et d'ensanglanter ainsi les pages de la philosophie et de la morale, proposition dont l'infamie avait déjà été signalée par Robespierre à la tribune des Jacobins[243]. La désignation de prêtres et de prophètes appliquée, dans la pétition Magenthies, aux membres de l'Assemblée qui avaient proclamé la reconnaissance de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme, était également relevée comme injurieuse pour la Représentation nationale. Les Amis de la liberté et de l'égalité se plaignaient ensuite des ténèbres dont semblait s'environner le commissaire du mouvement des armées. Et comment leur sollicitude n'aurait-elle pas été éveillée quand ils voyaient les patriotes les plus purs en proie à la persécution et dans l'impossibilité même de faire entendre leurs réclamations ? Ici, bien évidemment, ils songeaient a Robespierre. Leur pétition respirait du reste, d'un bout à l'autre, le plus absolu dévouement pour la Convention, et ils y protestaient avec chaleur de tout leur attachement pour les mandataires du pays. Avec vous, disaient-ils en terminant, ce peuple vertueux, confiant, bravera tous ses ennemis ; il placera son devoir et sa gloire à respecter et à défendre ses représentants jusqu'à la mort[244]. En présence d'un pareil document, il est assurément assez difficile d'accuser la société des Amis de la liberté et de l'égalité de s'être insurgée contre la Convention, et il faut en vérité avoir le front de certains écrivains royalistes ou girondins pour oser prétendre qu'à la veille du 9 Thermidor on sonnait le tocsin contre la célèbre Assemblée.

 

XIX

Au moment où l'on achevait la lecture de cette adresse, Dubois-Crancé s'élançait à la tribune comme s'il se fût senti personnellement désigné et inculpé. Suspect aux patriotes depuis le siège de Lyon, louvoyant entre tous les partis, ce représentant du peuple s'était attiré l'animosité de Robespierre par sa conduite équivoque. Récemment exclu des Jacobins, il essaya de se justifier, protesta de son patriotisme et entra dans de longs détails sur sa conduite pendant le siège de Lyon. Un des principaux griefs relevés à sa charge par Maximilien était, on s'en souvient peut-être, d'avoir causé beaucoup de fermentation dans la ci-devant Bretagne, en s'écriant publiquement à Rennes, qu'il y aurait des chouans tant qu'il existerait un Breton[245]. Dubois-Crancé ne dit mot de cela, il se contenta de se vanter d'avoir arraché la Bretagne à la guerre civile. Robespierre a été trompé, dit-il, lui-même reconnaîtra bientôt son erreur[246]. Mais ce qui prouve que Robespierre ne se trompait pas, c'est que ce personnage, digne allié des Fouché et des Tallien, devint l'un des plus violents séides de la réaction thermidorienne. On voit du reste avec quels ménagements les conjurés traitaient Maximilien à l'heure même où ils n'attendaient que l'occasion de le tuer. Le comité de Salut public n'avait pas dit encore son dernier mot.

On put même croire un moment qu'il allait prendre Maximilien sous sa garde, et lui servir de rempart contre ses ennemis. Barère qui, quelques jours auparavant, avait paru faire une allusion perfide à son collègue en parlant de ces citoyens cherchant à influencer le peuple par des discours préparés[247], présenta au nom du comité de Salut public un long rapport dans lequel il refit le procès des Girondins, des hébertistes et des dantonistes, porta aux nues la journée du 31 mai, et traça de Robespierre le plus pompeux éloge. Des citoyens aveuglés ou malintentionnés avaient parlé de la nécessité d'un nouveau 31 mai, dit-il ; un homme s'était élevé avec chaleur contre de pareilles propositions, avait hautement préconisé le respect de la Représentation nationale, et cet homme, c'était, comme on l'a vu plus haut, Maximilien Robespierre. Déjà, ajouta Barère, un représentant du peuple qui jouit d'une réputation patriotique méritée par cinq années de travaux et par ses principes imperturbables d'indépendance et de liberté, a réfuté avec chaleur les propos contre-révolutionnaires que je viens de vous dénoncer[248]. En entendant de telles paroles, les conjurés durent trembler et sentir se fondre leurs espérances criminelles. Qui pouvait prévoir qu'à deux jours de là Barère tiendrait, au nom de ce même comité, un tout autre langage ? Ce dernier hommage rendu au patriote le plus énergique, au démocrate le plus sincère de la Convention, c'était, nous l'avons dit, le baiser de Judas.

Après la séance conventionnelle, les conjurés se répandirent partout où ils espérèrent rencontrer quelque appui. Aux yeux des gens de la droite ils firent de plus belle miroiter la perspective d'un régime d'indulgence et de douceur ; aux yeux des républicains farouches, celle d'une aggravation de terreur. Un singulier mélange de coquins, d'imbéciles et de royalistes déguisés, voilà les Thermidoriens. Une réunion eut lieu chez Collot-d'Herbois, paraît-il[249], où l'on parvint à triompher des scrupules de certains membres qui hésitaient à sacrifier celui qu'avec tant de raison ils regardaient comme la pierre angulaire de l'édifice républicain, et qu'ils ne se pardonnèrent jamais d'avoir livré à la fureur des méchants. Fouché, prédestiné par sa basse nature au rôle d'espion et de mouchard, rendait compte aux conjurés de ce qui se passait au comité de Salut public. Le 8, il arriva triomphant auprès de ses complices ; un sourire illuminait son ignoble figure : La division est complète, dit-il, demain il faut frapper[250].

Cependant, au lieu de chercher des alliés dans cette partie indécise, craintive et flottante de la Convention qu'on appelait le centre, et qui n'eût pas mieux demandé que de se joindre à lui s'il eût consenti à faire quelques avances, Robespierre continuait de se tenir à l'écart. Tandis que les conjurés, pour recruter des complices, avaient recours aux plus vils moyens, en appelaient aux plus détestables passions, attendant impatiemment l'heure de le tuer à coup sûr, il méditait. un discours, se fiant uniquement à son bon droit et à la justice de sa cause. La légende nous le représente s'égarant dans ces derniers temps en des promenades lointaines ; allant chercher l'inspiration dans les poétiques parages où vivait encore le souvenir de J.-J. Rousseau, son maître, et où il lui avait été permis, tout jeune encore, de se rencontrer avec l'immortel philosophe[251]. C'est là une tradition un peu incertaine[252] ; il a bien pu, par une de ces chaudes journées de juillet, s'en aller une fois à la campagne en compagnie de sa famille d'adoption, et se rendre comme en pèlerinage à Ermenonville, au tombeau de son auteur chéri ; mais ce ne fut point là, je crois pouvoir l'affirmer, qu'il se retira pour composer sa dernière harangue, pour écrire son testament de mort. Il ne quitta guère Paris dans les jours qui précédèrent le 8 thermidor ; sa présence s'y trouve constatée par les registres du comité de Salut public. Ce qui est vrai, c'est que le soir, après le repas, il allait prendre l'air aux Champs-Élysées, tantôt seul, suivi de son fidèle chien Brount, tantôt avec la famille Duplay. On se rendait de préférence, comme je l'ai dit déjà, du côté du jardin Marbœuf[253]. Robespierre marchait en avant, ayant au bras la fille aînée de son hôte, Éléonore, sa fiancée, et pour un moment, dans cet avant-goût du bonheur domestique, il oubliait les tourments et les agitations de la vie politique. De quoi parlait-il ? De Dieu, de l'âme immortelle, car c'était souvent le sujet de ses conversations ; et il cherchait à inspirer ces grandes idées autour de lui, parce qu'elles lui semblaient une consolation et un encouragement dans la vie. Sans doute il s'entretenait aussi du mariage projeté, des joies du foyer intime, c'était comme un rêve en causant, doux rêve dont l'accomplissement se trouvait remis au jour du triomphe et de l'apaisement de la République, et qu'allait, hélas ! si brusquement interrompre l'échafaud. Derrière venaient le père, dont la belle tête commandait le respect, et la mère toute fière et heureuse de voir sa fille au bras de celui dont le nom remplissait le monde, et qu'elle aimait comme le meilleur et le plus tendre des fils.

Dès qu'on était rentré, Maximilien reprenait son travail quand il ne se rendait pas à la séance des Jacobins, où je ne le vois pas du 3 au 8. Ce fut vraisemblablement dans cet intervalle qu'il composa son discours dont le manuscrit, que j'ai sous les yeux, porte les traces d'une composition rapide et pressée. Robespierre se retrouve tout entier, avec son système, ses aspirations, sa politique en un mot, dans cette volumineuse harangue qu'il a si justement appelée lui-même son testament de mort. Ce n'est point, tant s'en faut, comme on l'a dit, une composition laborieusement conçue, et péniblement travaillée ; on y sent au contraire tout l'abandon d'une inspiration soudaine. Ce discours est fait d'indignation. C'est la révolte d'une âme honnête et pure contre le crime. Les sentiments divers dont le cœur de l'auteur était rempli se sont précipités à flots pressés sous sa plume ; cela se voit aux ratures, aux transpositions, au désordre même qui existe d'un bout à l'autre du manuscrit[254]. Nul doute que Robespierre n'ait été content de son discours, et n'y ait compté comme sur une arme infaillible. La veille du jour où il s'était proposé de le prononcer devant la Convention nationale, il sortit avec son secrétaire, Nicolas Duplay, le soldat de Valmy, celui qu'on appelait Duplay à la jambe de bois, et dirigea ses pas du côté du promenoir de Chaillot, tout en haut des Champs-Élysées. Il se montra gai, enjoué jusqu'à poursuivre les hannetons, fort abondants cette année[255]. Néanmoins, par instant, un nuage semblait voiler sa physionomie, et il se sentait pris de je ne sais quelle vague inquiétude qu'on ne peut s'empêcher de ressentir la veille d'une bataille.

En rentrant dans la maison de son hôte il trouva le citoyen Taschereau, dont nous avons déjà eu occasion de parler, et il lui fit part de son dessein de prendre la parole le lendemain à l'Assemblée. — Prenez garde, lui dit Taschereau, vos ennemis ont beaucoup intrigué, beaucoup calomnié. — C'est égal, reprit Maximilien, je n'en remplirai pas moins mon devoir. Je ne puis supporter cet état de choses ; mon cœur se brise en pensant qu'au milieu de nos victoires la République n'a jamais couru autant de dangers. Il faut que je périsse ou que je la délivre des fripons et des traîtres qui veulent la perdre[256]. Le sort en était jeté !

 

XX

Depuis longtemps Robespierre n'avait point paru à la tribune de la Convention, et son silence prolongé n'avait pas été sans causer quelque étonnement à une foule de patriotes. Le bruit s'étant répandu qu'il allait enfin parler, il y eut à la séance un concours inusité de monde. Il n'était pas difficile de prévoir qu'on était à la veille de grands événements, et chacun, ami ou ennemi, attendait avec impatience le résultat de la lutte.

Rien d'imposant comme le début du discours dont nous avons mis déjà quelques extraits sous les yeux de nos lecteurs et que nous allons analyser aussi complètement que possible. Que d'autres vous tracent des tableaux flatteurs ; je viens vous dire des vérités utiles. Je ne viens point réaliser des terreurs ridicules répandues par la perfidie ; mais je veux étouffer, s'il est possible, les flambeaux de la discorde par la seule force de la vérité. Je vais dévoiler des abus qui tendent à la ruine de la patrie et que votre probité seule peut réprimer[257]. Je vais défendre devant vous votre autorité outragée et la liberté violée. Si je vous dis aussi quelque chose des persécutions dont je suis l'objet, vous ne m'en ferez point un crime ; vous n'avez rien de commun avec les tyrans que vous combattez. Les cris de l'innocence outragée n'importunent point vos oreilles, et vous n'ignorez pas que cette cause ne vous est point étrangère.

Après avoir établi, en fait, la supériorité de la Révolution française sur toutes les autres révolutions, parce que la première elle s'était fondée sur la théorie des droits de l'humanité et les principes de la justice, après avoir montré comment la République s'était glissée pour ainsi dire entre toutes les factions, il traça rapidement l'historique de toutes les conjurations dirigées contre elle et des difficultés avec lesquelles dès sa naissance elle s'était trouvée aux prises. Il dépeignit vivement les dangers auxquels elle était exposée quand, la puissance des tyrans l'emportant sur la force de la vérité, il n'y avait plus de légitime que la perfidie et de criminel que la vertu. Alors les bons citoyens étaient condamnés au silence et les scélérats dominaient. Ici, ajoutait-il, j'ai besoin d'épancher mon cœur, vous avez besoin aussi d'entendre la vérité. Ne croyez pas que je vienne intenter aucune accusation ; un soin plus pressant m'occupe et je ne me charge pas des devoirs d'autrui ; il est tant de dangers imminents que cet objet n'a plus qu'une importance secondaire. Arrêtant un instant sa pensée sur le système de terreur et de calomnies mis en pratique depuis quelque temps, il demandait à qui les membres du gouvernement devaient être redoutables, des tyrans et des fripons, ou des gens de bien et des patriotes. Les patriotes ! ne les avait-il pas constamment défendus et arrachés aux mains des intrigants hypocrites qui les opprimaient encore et cherchaient à prolonger leurs malheurs en trompant tout le monde par d'inextricables impostures ? Étaient-ce Danton, Chabot, Ronsin, Hébert, qu'on prétendait venger ? Mais il fallait alors accuser la Convention tout entière, la justice qui les avait frappés, le peuple qui avait applaudi à leur chute. Par le fait de qui gémissaient encore aujourd'hui dans les cachots tant de citoyens innocents ou inoffensifs ? Qui accuser, sinon les ennemis de la liberté et la coupable persévérance des tyrans ligués contre la République ? Puis, dans un passage que nous avons cité plus haut, Robespierre reprochait à ses adversaires, à ses persécuteurs, d'avoir porté la terreur dans toutes les conditions, déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes des préjugés incurables ou des choses indifférentes, d'avoir, recherchant des opinions anciennes, promené le glaive sur une partie de la Convention et demandé dans les sociétés populaires les têtes de cinq cents représentants du peuple. Il rappelait alors avec une légitime fierté que c'était lui qui avait arraché ces députés à la fureur des monstres qu'il avait accusés. Aurait-on oublié que nous nous sommes jeté entre eux et leurs perfides adversaires ? Ceux qu'il avait sauvés ne l'avaient pas oublié encore, mais depuis !

Et pourtant un des grands arguments employés contre lui par la faction acharnée à sa perte était son opposition à la proscription d'une grande partie de la Convention nationale. Ah ! certes, s'écriait-il, lorsqu'au risque de blesser l'opinion publique, ne consultant que les intérêts sacrés de la patrie, j'arrachais seul à une décision précipitée ceux dont les opinions m'auraient conduit à l'échafaud si elles avaient triomphé ; quand, dans d'autres occasions, je m'exposais à toutes les fureurs d'une faction hypocrite pour réclamer les principes de la stricte équité envers ceux qui m'avaient jugé avec plus de précipitation, j'étais loin sans doute de penser que l'on dût me tenir compte d'une pareille conduite ; j'aurais trop mal présumé d'un pays où elle aurait été remarquée et où l'on aurait donné des noms pompeux aux devoirs les plus indispensables de la probité ; mais j'étais encore plus loin de penser qu'un jour on m'accuserait d'être le bourreau de ceux envers qui je les ai remplis, et l'ennemi de la Représentation nationale, que j'avais servie avec dévouement. Je m'attendais bien moins encore qu'on m'accuserait à la fois de vouloir la défendre et de vouloir l'égorger. N'avait-on pas été jusqu'à l'accuser auprès de ceux qu'il avait soustraits à l'échafaud d'être l'auteur de leur persécution ! Il avait d'ailleurs très-bien su démêler les trames de ses ennemis. D'abord on s'était attaqué à la Convention tout entière, puis au comité de Salut public, mais on avait échoué dans cette double entreprise, et à présent l'on s'efforçait d'accabler un seul homme. Et c'étaient des représentants du peuple, se disant républicains, qui travaillaient à exécuter l'arrêt de mort prononcé par les tyrans contre les plus fermes amis de la liberté ! Les projets de dictature imputés d'abord à l'Assemblée entière, puis au comité de Salut public, avaient été tout à coup transportés sur la tête d'un seul de ses membres. D'autres s'apercevraient du côté ridicule de ces inculpations, lui n'en voyait que l'atrocité. Vous rendrez au moins compte à l'opinion publique de votre affreuse persévérance à poursuivre le projet d'égorger tous les amis de la patrie, monstres qui cherchez à me ravir l'estime de la Convention nationale, le prix le plus glorieux des travaux d'un mortel, que je n'ai ni usurpé ni surpris, mais que j'ai été forcé de conquérir. Paraître un objet de terreur aux yeux de ce qu'on révère et de ce qu'on aime, c'est pour un homme sensible et probe le plus affreux des supplices ; le lui faire subir, c'est le plus grand des forfaits ![258]

Après avoir montré les arrestations injustes prodiguées par des agents impurs, le désespoir jeté dans une multitude de familles attachées à la Révolution, les prêtres et les nobles épouvantés par des motions concertées, les représentants du peuple effrayés par des listes de proscription imaginaires, il protestait de son respect absolu pour la Représentation nationale. En s'expliquant avec franchise sur quelques-uns de ses collègues, il avait cru remplir un devoir, voilà tout. Alors tombèrent de sa bouche des paroles difficiles a réfuter et que l'homme de cœur ne relira jamais sans être profondément touché : Quant à la Convention nationale, mon premier devoir comme mon premier penchant est un respect sans bornes pour elle. Sans vouloir absoudre le crime, sans vouloir justifier en elles-mêmes les erreurs funestes de plusieurs, sans vouloir ternir la gloire des défenseurs énergiques de la liberté... je dis que tous les représentants du peuple dont le cœur est pur doivent reprendre la confiance et la dignité qui leur convient. Je ne connais que deux partis, celui des bons et celui des mauvais citoyens ; le patriotisme n'est point une affaire de parti, mais une affaire de cœur ; il ne consiste ni dans l'insolence ni dans une fougue passagère qui ne respecte ni les principes, ni le bon sens, ni la morale. Le cœur flétri par l'expérience de tant de trahisons, je crois à la nécessité d'appeler surtout la probité et tous les sentiments généreux au secours de la République. Je sens que partout où l'on rencontre un homme de bien, en quelque lieu qu'il soit assis, il faut lui tendre la main et le serrer contre son cœur. Je crois à des circonstances fatales dans la Révolution, qui n'ont rien de commun avec les desseins criminels ; je crois a la détestable influence de l'intrigue et surtout à la puissance sinistre de la calomnie. Je vois le monde peuplé de dupes et de fripons ; mais le nombre des fripons est le plus petit ; ce sont eux qu'il faut punir des crimes et des malheurs du monde... Aussi lui paraissait-il insensé de s'en prendre à tous ceux qu'avaient séduits ou entraînés les Girondins, les hébertistes, Danton lui-même. C'était au bon sens et à la justice, si nécessaires dans les affaires humaines, de séparer soigneusement l'erreur du crime. Revenant ensuite sur cette accusation de dictature si traîtreusement propagée par les conjurés : Stupides calomniateurs ! leur disait-il, vous êtes-vous aperçus que vos ridicules déclamations ne sont pas une injure faite à un individu, mais à une nation invincible qui dompte et qui punit les rois ? Pour moi, ajoutait-il en s'adressant à tous ses collègues, j'aurais une répugnance extrême à me défendre personnellement devant vous contre la plus lâche des tyrannies, si vous n'étiez pas convaincus que vous êtes les véritables objets des attaques de tous les ennemis de la République. Eh ! que suis-je pour mériter leurs persécutions, si elles n'entraient dans le système général de conspiration contre la Convention nationale ? N'avez-vous pas remarqué que, pour vous isoler de la nation, ils ont publié a la face de l'univers que vous étiez des dictateurs régnant par la Terreur et désavoués par le vœu tacite des Français ? N'ont-ils pas appelé nos armées les hordes conventionnelles, la Révolution française le jacobinisme ? Et lorsqu'ils affectent de donner à un faible individu, en butte aux outrages de toutes les factions, une importance gigantesque et ridicule, quel peut être leur but, si ce n'est de vous diviser, de vous avilir, en niant votre existence même ?... Puis venaient l'admirable morceau sur la dictature cité plus haut, et cette objurgation à ses calomniateurs, trop peu connue et d'une si poignante vérité : Ils m'appellent tyran ! Si je l'étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d'or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants. Si je l'étais, les rois que nous avons vaincus, loin de me dénoncer (quel tendre intérêt ils prennent à notre liberté !), me prêteraient leur coupable appui, je transigerais avec eux. Dans leur détresse qu'attendent-ils, si ce n'est le secours d'une faction protégée par eux ? On arrive à la tyrannie par le secours des fripons. Où courent ceux qui les combattent ? Au tombeau et à l'immortalité. Qui suis-je, moi qu'on accuse ? Un esclave de la liberté, un martyr vivant de la République, la victime autant que l'ennemi du crime. Tous les fripons m'outragent ; les actions les plus indifférentes, les plus légitimes de la part des autres, sont des crimes pour moi. Otez-moi ma conscience, je suis le plus malheureux de tous les hommes !... Il était certainement aussi habile que conforme, du reste, à la vérité, de la part de Robespierre, de rattacher sa situation personnelle à celle de la Convention et de prouver comment les attaques dont il était l'objet retombaient, en définitive, de tout leur poids sur l'Assemblée entière ; mais il ne montra pas toujours la même habileté, et nous allons voir tout à l'heure comment il apporta lui-même à ses ennemis un concours inattendu.

Eh quoi ! disait-il encore, on assimile à la tyrannie l'influence toute morale des plus vieux athlètes de la Révolution ! Voulait-on que la vérité fût sans force dans la bouche des représentants du peuple ? Sans doute elle avait des accents tantôt terribles, tantôt touchants, elle avait ses colères, son despotisme même, mais il fallait s'en prendre au peuple, qui la sentait et qui l'aimait. Combien vraie cette pensée ! Ce qu'on poursuivait surtout en Robespierre, c'était sa franchise austère, son patriotisme, son éclatante popularité. Il signala de nouveau, comme les véritables alliés des tyrans, et ceux qui prêchaient une modération perfide et ceux qui prêchaient l'exagération révolutionnaire, ceux qui voulaient détruire la Convention par leurs intrigues ou leur violence et ceux qui attentaient à sa justice par la séduction et par la perfidie. Était-ce en combattant pour la sûreté matérielle de l'Assemblée, en défendant sa gloire, ses principes, la morale éternelle, qu'on marchait au despotisme ? Qu'avait-il fait autre chose jusqu'à ce jour ?

Expliquant le mécanisme des institutions révolutionnaires, il se plaignit énergiquement des excès commis pas certains hommes pour les rendre odieuses. On tourmentait les citoyens nuls et paisibles ; on plongeait chaque jour les patriotes dans les cachots. Est-ce là, s'écria-t-il, le gouvernement révolutionnaire que nous avons institué et défendu ? Ce gouvernement, c'était la foudre lancée par la main de la liberté contre le crime, nullement le despotisme des fripons, l'indépendance du crime, le mépris de toutes les lois divines et humaines. Il était donc loin de la pensée de Robespierre, contrairement à l'opinion de quelques écrivains, de vouloir détruire un gouvernement indispensable, selon lui, à l'affermissement de la République. Seulement, ce gouvernement devait être l'expression même de la justice, sinon, ajoutait-il, s'il tombait dans des mains perfides, il deviendrait l'instrument de la contre-révolution. C'est bien ce que nous verrons se réaliser après Thermidor. Maximilien attribuait principalement à des agents subalternes les actes d'oppression dénoncés par lui. Quant aux comités, au sein desquels il apercevait des hommes dont il était impossible de ne pas chérir et respecter les vertus civiques, il espérait bien les voir combattre eux-mêmes des abus commis à leur insu peut-être et dus à la perversité de quelques fonctionnaires inférieurs. Impossible de montrer plus de ménagement pour des collègues. Écoutez maintenant l'opinion de Robespierre sur l'emploi d'une certaine catégorie d'individus dans les choses de la police : En vain une funeste politique prétendrait-elle environner les agents dont je parle d'un prestige superstitieux : je ne sais pas respecter les fripons ; j'adopte bien moins encore cette maxime royale, qu'il est utile de les employer. Les armes de la liberté ne doivent être touchées que par des mains pures. Épurons la surveillance nationale, au lieu d'empailler les vices. La vérité n'est un écueil que pour les gouvernements corrompus ; elle est l'appui du nôtre. Ne sont-ce point là des maximes dont tout gouvernement qui se respecte devrait faire son profit ?

L'orateur racontait ensuite les manœuvres criminelles employées par ses ennemis pour le perdre. Nous avons cité ailleurs le passage si frappant où il rend compte lui-même, avec une précision étonnante, des stratagèmes à l'aide desquels on essayait de le faire passer pour l'auteur principal de toutes les sévérités de la Révolution et de tous les abus qu'il ne cessait de combattre. Déjà les papiers allemands et anglais annonçaient son arrestation, car de jour en jour ils étaient avertis que cet orage de haines, de vengeances, de terreur, d'amours-propres irrités, allait enfin éclater. On voit jusqu'où les conjurés étaient allés recruter des alliés. Maximilien était instruit des visites faites par eux à certains membres de la Convention, et il ne le cacha pas à l'Assemblée. Seulement il ne voulut pas — et ce fut sa faute, son irréparable faute — nommer tout de suite les auteurs des trames ténébreuses dont il se plaignait : Je ne puis me résoudre à déchirer entièrement le voile qui couvre ce profond mystère d'iniquités. Il assigna, pour point de départ à la conjuration ourdie contre lui, le jour où, par son décret relatif à la reconnaissance de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme, la Convention avait raffermi les bases ébranlées de la morale publique, frappé à la fois du même coup le despotisme sacerdotal et les intolérants de l'athéisme, avancé d'un demi-siècle l'heure fatale des tyrans et rattaché à la cause de la Révolution tous les cœurs purs et généreux. Ce jour-là, en effet, avait, comme le dit très-bien Robespierre, laissé sur la France une impression profonde de calme, de bonheur, de sagesse et de bonté. Mais ce fut précisément ce qui irrita le plus les royalistes cachés sous le masque des ultra-révolutionnaires, lesquels, unis à certains énergumènes plus ou moins sincères et aux misérables qui, comme les Fouché, les Tallien, les Rovère et quelques autres, ne cherchaient dans la Révolution qu'un moyen de fortune, dirigèrent tous leurs coups contre lç citoyen assez osé pour déclarer la guerre aux hypocrites, et tenter d'asseoir la liberté et l'égalité sur les bases de la morale et de la justice. Maximilien rappela les insultes dont il avait été l'objet de la part de ces hommes le jour de la fêle de l'Être suprême, l'affaire de Catherine Théot, sous laquelle se cachait une véritable conspiration politique, les violences inopinées contre le culte, les exactions et les pirateries exercées sous les formes les plus indécentes, les persécutions intolérables auxquelles la superstition servait de prétexte. — On se souvient des efforts tentés par Robespierre jeune pour mettre fin à ces monstrueuses persécutions. — Il rappela la guerre suscitée à tout commerce licite sous prétexte d'accaparements. — On n'a pas oublié sans doute l'insistance inutile avec laquelle il avait engagé la Convention à se montrer d'une réserve et d'une prudence extrêmes lors des discussions relatives aux accaparements. — Il rappela surtout les incarcérations indistinctement prodiguées. Toute occasion de vexer un citoyen était saisie avec avidité, et toutes vexations étaient déguisées, selon l'usage, sous des prétexte de bien public.

Ceux qui avaient mené à l'échafaud Danton, Fabre d'Églantine et Camille Desmoulins, semblaient aujourd'hui vouloir être leurs vengeurs et figuraient au nombre de ces conjurés impurs ligués pour perdre quelques patriotes. Les lâches ! s'écriait Robespierre, ils voulaient donc me faire descendre au tombeau avec ignominie ! et je n'aurais laissé sur la terre que la mémoire d'un tyran ! Avec quelle perfidie ils abusaient de ma bonne foi ! Comme ils semblaient adopter les principes de tous les bons citoyens ! Comme leur feinte amitié était naïve et caressante ! Tout à coup leurs visages se sont couverts des plus sombres nuages ; une joie féroce brillait dans leurs yeux, c'était le moment où ils croyaient leurs mesures bien prises pour m'accabler. Aujourd'hui ils me caressent de nouveau ; leur langage est plus affectueux que jamais. Il y a trois jours ils étaient prêts à me dénoncer comme un Catilina ; aujourd'hui ils me prêtent les vertus de Caton. — Allusion aux éloges que la veille lui avait décernés Barère. — Comme nous avons eu soin de le dire déjà, la calomnie n'avait pas manqué de le rendre responsable de toutes les opérations du comité de Sûreté générale, en se fondant sur ce qu'il avait dirigé pendant quelque temps le bureau de police du comité de Salut public. Sa courte gestion, déclara-t-il sans rencontrer de contradicteurs, s'était bornée, comme on l'a vu plus haut, à rendre une trentaine d'arrêtés soit pour mettre en liberté des patriotes persécutés, soit pour s'assurer de quelques ennemis de la Révolution ; mais l'impuissance de faire le bien et d'arrêter le mal l'avait bien vite déterminé à résigner ses fonctions, et même à ne prendre plus qu'une part tout à fait indirecte aux choses du gouvernement. Quoi qu'il en soit, ajouta-t-il, voilà au moins six semaines que ma dictature est expirée et que je n'ai aucune espèce d'influence sur le gouvernement : le patriotisme a-t-il été plus protégé, les factions plus timides, la patrie plus heureuse ? Je le souhaite. Mais cette influence s'est bornée dans tous les temps à plaider la cause de la patrie devant la Représentation nationale et au tribunal de la raison publique... A quoi avaient tendu tous ses efforts ? à déraciner le système de corruption et de désordre établi par les factions, et qu'il regardait comme le grand obstacle à l'affermissement de la République. Cela seul lui avait attiré pour ennemis toutes les mauvaises consciences, tous les gens tarés, tous les intrigants et les ambitieux. Un moment sa raison et son cœur avaient été sur le point de douter de cette République vertueuse dont il s'était tracé le plan. Puis, d'une voix douloureusement émue, il dénonça le projet médité dans les ténèbres, par les monstres ligués contre lui, de lui arracher avec la vie le droit de défendre le peuple. Oh ! je la leur abandonnerai sans regret : j'ai l'expérience du passé et je vois l'avenir. Quel ami de la patrie peut vouloir survivre au moment où il n'est plus permis de la servir et de défendre l'innocence opprimée ? Pourquoi demeurer dans un ordre de choses où l'intrigue triomphe éternellement de la vérité, où la justice est un mensonge, où les plus viles passions, où les craintes les plus ridicules occupent dans les cœurs la place des intérêts sacrés de l'humanité ? Comment supporter le supplice de voir cette horrible succession de traîtres plus ou moins habiles à cacher leurs âmes hideuses sous le voile de la vertu et même de l'amitié, mais qui tous laisseront à la postérité l'embarras de décider lequel des ennemis de mon pays fut le plus lâche et le plus atroce ? En voyant la multitude des vices que le torrent de la Révolution a roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'ai craint quelquefois, je l'avoue, d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur des hommes pervers qui s'introduisaient parmi les sincères amis de l'humanité, et je m'applaudis de voir la fureur des Verrès et des Catilina de mon pays tracer une ligne profonde de démarcation entre eux et tous les gens de bien. Je conçois qu'il est facile à la ligue des tyrans du monde d'accabler un seul homme, mais je sais aussi quels sont les devoirs d'un homme qui sait mourir en défendant la cause du genre humain. J'ai vu dans l'histoire tous les défenseurs de la liberté accablés par la calomnie ; mais leurs oppresseurs sont morts aussi. Les bons et les méchants disparaissent de la terre, mais à des conditions différentes. Français, ne souffrez pas que nos ennemis osent abaisser vos âmes et énerver vos vertus par leurs désolantes doctrines. Non, Chaumette, non, Fouché[259], la mort n'est pas un sommeil éternel. Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime gravée par des mains sacrilèges, qui jette un crêpe funèbre sur la nature, qui décourage l'innocence opprimée et qui insulte à la mort ; gravez y plutôt celle-ci : La mort est le commencement de l'immortalité.

Certes, on peut nier l'existence de Dieu, et il est permis de ne pas croire à l'immortalité de l'âme ; mais il est impossible de ne pas admirer sans réserve cette page magnifique du discours de Robespierre, et l'on est bien forcé d'avouer que de tels accents ne seraient point sortis de la bouche d'un homme lâche et pusillanime.

Les lâches et les pusillanimes connaissent l'art des ménagements ; Robespierre, lui, dans son austère franchise, ne savait ni flatter ni dissimuler. Ceux qui vous disent que la fondation de la République est une entreprise si facile vous trompent. Et il demanda où étaient les institutions sages, le plan de régénération propres à justifier cet ambitieux langage. Ne voulait-on pas proscrire ceux qui parlaient de sagesse ? Depuis longtemps il s'était plaint qu'on eût indistinctement prodigué les persécutions, porté la terreur dans toutes les conditions, et la veille seulement le comité de Salut public, par la bouche de Barère, avait promis que dans quatre jours les injustices seraient réparées : Pourquoi, s'écria-t-il, ont-elles été commises impunément depuis quatre mois ? C'était encore à l'adresse de Barère cette phrase ironique : On vous parle beaucoup de vos victoires, avec une légèreté académique qui ferait croire qu'elles n'ont coûté à nos héros ni sang, ni travaux ; et Barère en fut piqué jusqu'au sang. Ce n'est ni par des phrases de rhéteurs ni même par des exploits guerriers que nous subjuguerons l'Europe, ajouta-t-il, mais par la sagesse de nos lois, par la majesté de nos délibérations et par la grandeur de nos caractères. A Carnot et aux bureaux de la guerre il reprocha de ne pas savoir tourner les succès de nos armes au profit de nos principes, de favoriser l'aristocratie militaire, de persécuter les généraux patriotes. — On se rappelle l'affaire du général Hoche. — Mainte fois déjà il avait manifesté ses méfiances à l'égard des hommes de guerre, et la crainte de voir un jour quelque général victorieux étrangler la liberté lui arracha ces paroles prophétiques : Au milieu de tant de passions ardentes et dans un si vaste empire, les tyrans dont je vois les armées fugitives, mais non enveloppées, mais non exterminées, se retirent pour vous laisser en proie à vos dissensions intestines, qu'ils allument eux-mêmes, et à une armée d'agents criminels que vous ne savez même pas apercevoir. LAISSEZ FLOTTER UN MOMENT LES RÊNES DE LA RÉVOLUTION, VOUS VERREZ LE DESPOTISME MILITAIRE S'EN EMPARER ET LE CHEF DES FACTIONS RENVERSER LA REPRÉSENTATION NATIONALE AVILIE. Un siècle de guerre civile et de calamités désolera notre patrie, et nous périrons pour n'avoir pas voulu saisir un moment marqué dans l'histoire des hommes pour fonder la liberté ; nous livrons notre patrie à un siècle de calamités, et les malédictions du peuple s'attacheront à notre mémoire, qui devait être chère au genre humain. Nous n'aurons même pas le mérite d'avoir entrepris de grandes choses par des motifs vertueux. On nous confondra avec les indignes mandataires du peuple qui ont déshonoré la Représentation nationale. L'immortalité s'ouvrait devant nous, nous périrons avec ignominie. Le 19 Brumaire devait être une conséquence fatale et nécessaire du 9 Thermidor ; Robespierre le prédit trop bien[260].

Il accusa aussi l'administration des finances, dont les projets lui paraissaient de nature à désoler les citoyens peu fortunés et à augmenter le nombre des mécontents ; il se plaignit qu'on eût réduit au désespoir les petits créanciers de l'État en employant la violence et la ruse pour leur faire souscrire des engagements funestes à leurs intérêts ; qu'on favorisât les riches au détriment des pauvres, et qu'on dépouillât le peuple des biens nationaux. Combien Robespierre était ici dans le vrai ! On commit une faute immense en vendant en bloc les biens nationaux, au lieu de les diviser à l'infini, sauf à les faire payer par annuités comme l'eussent voulu Maximilien et Saint-Just. Aux anciens propriétaires on en a substitué de nouveaux, plus avides et non moins hostiles, pour la plupart, à la liberté, à l'égalité, à tous les principes de la Révolution.

Des grands seigneurs un peu modernes,

Des princes un peu subalternes

Ont aujourd'hui les vieux châteaux,

a dit Chénier. Ces grands seigneurs un peu modernes, ces princes un peu subalternes ont figuré en grand nombre dans les rangs des Thermidoriens ; ils sont devenus, je le répète, les pires ennemis de la Révolution, qui, hélas ! a été trahie par tous ceux qu'elle a gorgés et repus.

En critiquant l'administration des finances, Robespierre nomma Ramel, Mallarmé, Cambon, auxquels il attribua le mécontentement répandu dans les masses par certaines mesures financières intempestives. Il était loin, du reste, d'imputer tous les abus signalés par lui à la majorité des membres des comités ; cette majorité lui paraissait seulement paralysée et trahie par des meneurs hypocrites et des traîtres dont le but était d'exciter dans la Convention de violentes discussions et d'accuser de despotisme ceux qu'ils savaient décidés à combattre avec énergie leur ligue criminelle. Et ces oppresseurs du peuple dans toutes les parties de la République poursuivaient tranquillement, comme s'ils eussent été inviolables, le cours de leurs coupables entreprises ! N'avaient-ils pas fait ériger en loi que dénoncer un représentant infidèle et corrompu, c'était conspirer contre l'Assemblée ? Un opprimé venait-il à élever la voix, ils répondaient à ses réclamations par de nouveaux outrages et souvent par l'incarcération. Cependant, continuait Maximilien les départements où ces crimes ont été commis les ignorent-ils parce que nous les oublions, et les plaintes que nous repoussons ne retentissent-elles pas avec plus de force dans les cœurs comprimés des citoyens malheureux ? Il est si facile et si doux d'être juste ! Pourquoi nous dévouer à l'opprobre des coupables en les tolérant ? Mais quoi ! les abus tolérés n'iront-ils pas en croissant ? Les coupables impunis ne voleront-ils pas de crimes en crimes ? Voulons-nous partager tant d'infamies et nous vouer au sort affreux des oppresseurs du peuple ? C'était là, à coup sûr, un langage bien propre à rasséréner les cœurs, à rassurer les gens de bien ; mais on comprend aussi de quel effroi il dut frapper les quelques misérables qui partout, sur leur passage, avaient semé la ruine et la désolation.

La péroraison de ce discours, l'un des plus beaux, le plus beau peut-être qui soit jamais sorti de la bouche d'un homme, est le digne couronnement d'une œuvre aussi imposante, aussi magistrale :

Peuple, souviens-toi que si dans la République la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l'amour de l'égalité et de la patrie, la liberté n'est qu'un vain nom. Peuple, toi que l'on craint, que l'on flatte et que l'on méprise ; toi, souverain reconnu qu'on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas, ce sont les passions des magistrats, et que le peuple a changé de chaînes et non de destinées.

Souviens-toi qu'il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte contre la vertu publique, qui a plus d'influence que toi-même sur tes propres affaires, qui te redoute et te flatte en masse, mais te proscrit en détail dans la personne de tous les bons citoyens.

Rappelle-toi que, loin de sacrifier cette poignée de fripons à ton bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons, auteurs de tous nos maux et seuls obstacles à la prospérité publique.

Sache que tout homme qui s'élèvera pour défendre ta cause et la morale publique sera accablé d'avanies et proscrit par les fripons ; sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie ; que ceux qui ne pourront être accusés d'avoir trahi seront accusés d'ambition ; que l'influence de la probité et des principes sera comparée à la force de la tyrannie et à la violence des factions ; que ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris de sédition ; et que, n'osant t'attaquer toi-même en masse, on te proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu'à ce que les ambitieux aient organisé leur tyrannie. Tel est l'empire des tyrans armés contre nous ; telle est l'influence de leur ligue avec tous les hommes corrompus, toujours portés à les servir. Ainsi donc les scélérats nous imposent la loi de trahir le peuple, à peine d'être appelés dictateurs. Souscrirons-nous à cette loi ? Non ! Défendons le peuple au risque d'en être estimés ; qu'ils courent à l'échafaud par la route du crime et nous par celle de la vertu.

 

Guider l'action du gouvernement par des lois sages, punir sévèrement tous ceux qui abuseraient des principes révolutionnaires pour vexer les bons citoyens : tel était, selon lui, le but à atteindre. Dans sa pensée, il existait une conspiration qui devait sa force à une coalition criminelle cherchant à perdre les patriotes et la patrie, intrigant au sein même de la Convention et ayant des complices dans le comité de Sûreté générale et jusque dans le comité de Salut public. Rien n'était plus vrai assurément. La conclusion de Robespierre fut que, pour remédier au mal, il fallait punir les traîtres, renouveler les bureaux du comité de Sûreté générale, épurer ce comité et le subordonner au comité de Salut public, épuré lui-même, constituer l'autorité du gouvernement sous l'autorité suprême de la Convention, centre et juge de tout, et écraser ainsi les factions du poids de l'autorité nationale pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté. Tels sont les principes, dit-il en terminant. S'il est impossible de les réclamer sans passer pour un ambitieux, j'en conclurai que les principes sont proscrits et que la tyrannie règne parmi nous, mais non que je doive me taire ; car que peut-on objecter à un homme qui a raison et qui sait mourir pour son pays ?[261]...

Il faut n'avoir jamais lu ce discours de Robespierre, digne couronnement de tous ceux qu'il avait prononcés depuis cinq ans, et où ses vues, ses tendances, sa politique, en un mot, se trouvent si nettement et si fermement formulées, pour demander où il voulait aller, et quels mystérieux desseins il couvait. Personne ne s'expliqua jamais plus clairement. La Convention lui prouva tout d'abord qu'elle l'avait parfaitement compris : Robespierre obtint un éclatant triomphe. Ce devait être le dernier. Électrisée par le magnifique discours qu'elle venait d'entendre, l'Assemblée éclata en applaudissements réitérés quand l'orateur quitta la tribune. Les conjurés, éperdus, tremblants n'osèrent troubler d'un mot ni d'un murmure ce concert d'enthousiasme[262]. Évidemment ils durent croire la partie perdue.

 

XXI

Pendant que les applaudissements retentissaient encore, Rovère, se penchant à l'oreille de Lecointre, lui conseilla de monter à la tribune et de donner lecture à l'Assemblée de ce fameux acte d'accusation concerté dès le 5 prairial, avec huit de ses collègues, contre Robespierre. C'est du moins ce qu'a depuis prétendu Lecointre[263]. Si ce maniaque avait suivi le conseil de Rovère, la conspiration eût été infailliblement écrasée, car, l'acte d'accusation incriminant au fond tous les membres des comités sans exception, les uns et les autres se fussent réunis contre l'ennemi commun, et Maximilien serait, sans aucun doute, sorti victorieux de la lutte. Telle fut l'excuse, donnée plus tard par Lecointre, de sa réserve dans cette séance du 8 thermidor[264]. Mais là ne fut point, suivant nous, le motif déterminant de sa prudence. A l'enthousiasme de la Convention, il jugea tout à fait compromise la cause des conjurés, et voulant se ménager les moyens de rentrer en grâce auprès de celui dont, après coup, il se vanta d'avoir dressé l'acte d'accusation plus de deux mois avant le 9 Thermidor, il rompit le premier le silence... pour réclamer l'impression du discours de Robespierre[265].

Bourdon (de l'Oise) s'éleva vivement contre la prise en considération de cette motion. Ce discours, objecta-t-il, pouvait contenir des erreurs comme des vérités, et il en demanda le renvoi à l'examen des deux comités. Mais, répondit Barère, qui sentait le vent souffler du côté de Maximilien, dans un pays libre la lumière ne doit pas être mise sous le boisseau. C'était à la Convention d'être juge elle-même, et il insista pour l'impression. Vint ensuite Couthon. Demander le renvoi du discours à l'examen des comités, c'était, selon ce tendre ami de Maximilien, faire outrage à la Convention nationale, bien capable de sentir et de juger par elle-même. Non-seulement il fallait imprimer ce discours, mais encore l'envoyer à toutes les communes de la République, afin que la France entière sût qu'il était ici des hommes ayant le courage de dire la vérité. Lui aussi, il dénonça les calomnies dirigées depuis quelque temps contre les plus vieux serviteurs de la Révolution ; il se fit gloire d'avoir parlé contre quelques hommes immoraux indignes de siéger dans la Convention, et il s'écria en terminant : Si je croyais avoir contribué à la perte d'un seul innocent, je m'immolerais moi-même de douleur. Ce cri sorti de la bouche d'un homme de bien acheva d'entraîner l'Assemblée. L'impression du discours, l'envoi à toutes les communes furent décrétés d'enthousiasme. On put croire à un triomphe définitif.

A ce moment le vieux Vadier parut à la tribune. D'un ton patelin, le rusé compère commença par se plaindre d'avoir entendu Robespierre traiter de farce ridicule l'affaire de Catherine Théot dont lui Vadier, on s'en souvient, avait été le rapporteur. Se sentant écouté, il prit courage et s'efforça de justifier le comité de Sûreté générale des inculpations dont il avait été l'objet. On l'avait accusé d'avoir persécuté des patriotes, et sur les huit cents affaires déjà jugées par les commissions populaires, de concert avec les deux comités, les patriotes, prétendit Vadier, s'étaient trouvés dans la proportion d'un sur quatre-vingts. Mais Robespierre ne s'était pas seulement plaint des persécutions exercées sur les patriotes ; il avait aussi reproché à quelques-uns de ses collègues d'avoir porté la Terreur dans toutes les conditions, érigé en crimes des erreurs ou des préjugés afin de trouver partout des coupables, et voilà comment, sur un si grand nombre d'accusés, les commissions populaires, de concert avec les comités, dont s'était séparé Maximilien, avaient rencontré si peu d'innocents. Du reste, il n'y eut de la part de Vadier nulle récrimination contre Robespierre.

Cambon, qui prit ensuite la parole, se montra beaucoup plus agressif. Il avait sur le cœur une accusation peut-être un peu légèrement tombée de la bouche de Maximilien. Avant d'être déshonoré, je parlerai à la France, s'écria-t-il. Et il défendit avec une extrême vivacité ses opérations financières, et surtout le dernier décret sur les rentes, auquel on reprochait d'avoir jeté la désolation parmi les petits rentiers, des nécessiteux, des vieillards pour la plupart[266]. Puis, prenant à partie Robespierre, il l'accusa de paralyser à lui tout seul la volonté de la Convention nationale. Cette inculpation contre un représentant qui, depuis six semaines, n'avait pas paru à la tribune de l'Assemblée, était à la fois déloyale et puérile ; et Robespierre répondit avec raison qu'une telle accusation lui paraissait aussi inintelligible qu'extraordinaire. Comment aurait-il été en son pouvoir de paralyser la volonté de la Convention, et surtout en fait de finances, matière dont il ne s'était jamais mêlé ? Seulement, ajouta-t-il, par des considérations générales sur les principes, j'ai cru apercevoir que les idées de Cambon en finances ne sont pas aussi favorables au succès de la Révolution qu'il le pense. Voilà mon opinion ; j'ai osé la dire ; je ne crois pas que ce soit un crime. Et tout en déclarant qu'il n'attaquait point les intentions de Cambon[267], il persista à soutenir que le décret sur les rentes avait eu pour résultat de désoler une foule de citoyens pauvres.

Quoi qu'il en soit, l'intervention de Cambon dans le débat modifia singulièrement la face des choses. Les connaissances spéciales de ce représentant, ses remarquables rapports sur les questions financières, l'achèvement du grand-livre, dont la conception lui appartenait, lui avaient attiré une juste considération et donné sur ses collègues une certaine influence. Des applaudissements venaient même d'accueillir ses paroles. C'était comme un encouragement aux conjurés. Ils sortirent de leur abattement, et Billaud-Varenne s'élança impétueusement à la tribune. A son avis, il était indispensable d'examiner très-scrupuleusement un discours dans lequel le comité était inculpé. — Ce n'est pas le comité en masse que j'attaque, objecta Robespierre ; et il demanda à l'Assemblée la permission d'expliquer sa pensée. Alors un grand nombre de membres se levant simultanément : Nous le demandons tous. Sentant la Convention ébranlée, Billaud-Varenne reprit la parole. Mais, au lieu de répondre aux nombreux griefs dont Robespierre s'était fait l'écho, il balbutia quelques explications sur le départ des canonniers ; puis, s'enveloppant tout à coup dans le manteau de Brutus, il s'écria que Robespierre avait raison, qu'il fallait arracher le masque, sur quelque visage qu'il se trouvât : S'il est vrai que nous ne jouissions pas de la liberté des opinions, j'aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir, par mon silence, le complice de ses forfaits. Après cette superbe déclaration, il réclama le renvoi du discours à l'examen des deux comités. C'était demander à la Convention de se déjuger.

A Billaud-Varenne succéda Panis, un de ces représentants mous et indécis à qui les conjurés avaient fait accroire qu'ils étaient sur la prétendue liste de proscription dressée par Maximilien. Cet ancien membre du comité de surveillance de la commune de Paris somma tout d'abord Couthon de s'expliquer sur les six membres qu'il poursuivait. Ensuite il raconta qu'un homme l'avait abordé aux Jacobins et lui avait dit : Vous êtes de la première fournée, votre tête est demandée ; la liste a été faite par Robespierre. Après quoi il invita ce dernier à s'expliquer à son égard et sur le compte de Fouché. Touchante sollicitude pour un misérable ! Quelques applaudissements ayant éclaté aux dernières paroles de Panis : Mon opinion est indépendante, répondit fièrement Robespierre ; on ne retirera jamais de moi une rétractation qui n'est pas dans mon cœur. En jetant mon bouclier, je me suis présenté à découvert à mes ennemis ; je n'ai flatté personne, je ne crains personne ; je n'ai calomnié personne. — Et Fouché ? répéta Panis, comme Orgon eût dit : Et Tartufe ?Fouché ! reprit Maximilien d'un ton méprisant, je ne veux pas m'en occuper actuellement, je n'écoute que mon devoir ; je ne veux ni l'appui ni l'amitié de personne, je ne cherche point à me faire un parti ; il n'est donc pas question de me demander que je blanchisse tel ou tel. J'ai fait mon devoir, c'est aux autres à faire le leur. Couthon expliqua comment, en demandant l'envoi du discours à toutes les communes, il avait voulu que la Convention en fît juge la République entière. Mais c'était là ce qu'à tout prix les conjurés tenaient à empêcher. Ils savaient bien qu'entre eux et Robespierre l'opinion de la France ne pouvait être un moment douteuse.

Bentabole et Charlier, deux enthousiastes de Marat, insistent pour le renvoi aux comités. Quoi ! s'écrie Maximilien, j'aurai eu le courage de venir déposer dans le sein de la Convention des vérités que je crois nécessaires au salut de la patrie, et l'on renverrait mon discours à l'examen des membres que j'accuse ! On murmure à ces paroles. Quand on se vante d'avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité, riposte Charlier ; et les applaudissements de retentir. L'apostrophe de Charlier indique suffisamment la faute capitale commise ici par Robespierre. Ce n'était pas à lui, ont prétendu quelques écrivains, de formuler son accusation ; il n'avait qu'à indiquer aux comités la faction qu'il combattait, les abus et les excès dont elle s'était rendue coupable, et il appartenait à ces comités de prendre telles mesures qu'ils auraient jugées nécessaires. C'est là, à notre avis, une grande erreur ; et telle était aussi l'opinion de Saint-Just à cet égard, puisqu'il a écrit dans son discours du 9 Thermidor : Le membre qui a parlé longtemps hier à cette tribune ne me paraît point avoir assez nettement distingué ceux qu'il inculpait. Le mystère dont Maximilien eut le tort d'envelopper son accusation servit merveilleusement les conjurés. Grâce aux insinuations perfides répandues par eux, un doute effroyable planait sur l'Assemblée. Plus d'un membre se crut menacé, auquel il n'avait jamais songé. Quelle différence s'il avait résolument nommé les cinq ou six coquins dont le châtiment eût été un hommage rendu à la morale et à. la justice ! L'immense majorité de la Convention se fût ralliée à Robespierre ; avec lui eussent définitivement triomphé, je n'en doute pas, la liberté et la République. Au lieu de cela, il persista dans ses réticences, et tout fut perdu.

Amar et Thirion insistèrent, à leur tour, pour le renvoi aux comités, en faveur desquels étaient toutes les présomptions, suivant Thirion, Montagnard aveuglé qui plus d'une fois plus tard dut regretter la légèreté avec laquelle il agit en cette circonstance. Barère, sentant chanceler la fortune de Robespierre, jugea prudent de prononcer quelques paroles équivoques qui lui permissent, à un moment donné, de se tourner contre lui. Enfin l'Assemblée, après avoir entendu Bréard en faveur des comités, rapporta son décret et, par une ironie sanglante, renvoya le discours de Robespierre à l'examen d'une partie de ceux-là mêmes- contre lesquels il était dirigé[268]. Ce n'était pas encore pour les conjurés un triomphe définitif, mais leur audace s'en accrut dans des proportions extrêmes ; ils virent qu'il ne leur serait pas impossible d'entraîner cette masse incertaine des députés du centre, dont quelques paroles de Cambon avaient si subitement modifié les idées. Jamais, depuis, l'illustre et sévère Cambon ne cessa de gémir sur l'influence fâcheuse exercée par lui dans cette séance mémorable. Proscrit sous la Restauration, après s'être tenu stoïquement à l'écart tant qu'avaient duré les splendeurs du régime impérial, il disait alors : Nous avons tué la République au 9 Thermidor, en croyant ne tuer que Robespierre ! Je servis, à mon insu, les passions de quelques scélérats ! Que n'ai-je péri, ce jour là, avec eux ! la liberté vivrait encore ![269] Combien d'autres pleurèrent en silence, avec la liberté perdue, la mémoire du Juste sacrifié, et expièrent par d'éternels remords l'irréparable faute de ne s'être point interposés entre les assassins et la victime !

 

XXII

Il était environ cinq heures quand fut levée la séance de la Convention. S'il faut en croire une tradition fort incertaine, Robespierre serait allé, dans la soirée même, se promener aux Champs-Elysées avec sa fiancée, qui, triste et rêveuse, flattait de sa main la tête du fidèle Brount. Comme Maximilien lui montrait combien le coucher du soleil était empourpré : Ah ! se serait écriée Éléonore, c'est du beau temps pour demain[270]. Mais c'est là de la pure légende. D'abord, les mœurs étaient très-sévères dans cette patriarcale famille Duplay, et Mme Duplay, si grande que fût sa confiance en Maximilien, n'eût pas permis à sa fille de sortir seule avec lui[271]. En second lieu, comment aurait-il été possible à Robespierre d'aller se promener aux Champs-Élysées à la suite de cette orageuse séance du 8, et dans cette soirée où sa destinée et celle de la République allaient être en jeu ?

Ce qu'on sait, c'est qu'en rentrant chez son hôte il ne désespérait pas encore ; il montra même une sérénité qui n'était peut-être pas dans son cœur, car il n'ignorait pas de quoi était capable la horde de fripons et de coquins déchaînée contre lui. Toutefois, il comptait sur la majorité de la Convention : La masse de l'Assemblée m'entendra, dit-il[272]. Après dîner il se hâta de se rendre aux Jacobins, où, comme on pense bien, régnait une animation extraordinaire. La salle, les corridors même étaient remplis de monde[273]. Quand parut Maximilien, des transports d'enthousiasme éclatèrent de toutes parts ; on se précipita vers lui pour le choyer et le consoler. Cependant çà et là on pouvait apercevoir quelques-uns de ses ennemis. Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois, qui depuis longtemps n'avaient pas mis les pieds au club, étaient accourus, fort inquiets de la tournure que prendraient les choses.

Que se passa-t-il dans cette séance fameuse ? Les journaux du temps n'en ayant pas donné le compte rendu, nous n'en savons absolument que ce que les vainqueurs ont bien voulu nous raconter, puisque ceux des amis de Robespierre qui y ont joué un rôle ont été immolés avec lui. Quelques récits plus ou moins travestis de certains orateurs à la tribune de la Convention, et surtout la narration de Billaud dans sa réponse aux imputations personnelles dont il fut l'objet après Thermidor, voilà les seuls documents auxquels on puisse s'en rapporter pour avoir une idée des scènes dramatiques dont la salle des Jacobins fut le théâtre dans la soirée du 8 thermidor.

Dès le début de la séance, Billaud-Varenne, Collot-d’Herbois et Robespierre demandèrent en même temps la parole. Elle fut accordée au dernier, qu'on invita à donner lecture du discours prononcé par lui dans la journée. S'il faut en croire Billaud, Maximilien commença en ces termes : Aux agitations de cette assemblée, il est aisé de s'apercevoir qu'elle n'ignore pas ce qui s'est passé ce matin dans la Convention. Les factieux craignent d'être dévoilés en présence du peuple. Mais je les remercie de s'être signalés d'une manière aussi prononcée et de m'avoir mieux fait connaître mes ennemis et ceux de ma patrie. Après quoi il lut son discours qu'accueillirent un enthousiasme sans bornes et des applaudissements prolongés. Quand il eut achevé sa lecture, il ajouta, dit la tradition : Ce discours que vous venez d'entendre est mon testament de mort. Je l'ai vu aujourd'hui, la ligue des méchants est tellement forte que je ne puis espérer de lui échapper. Je succombe sans regret ; je vous laisse ma mémoire ; elle vous sera chère et vous la défendrez. On prétend encore que comme à ce moment ses amis s'élevaient avec vivacité contre un tel découragement et s'écriaient en tumulte que l'heure d'un nouveau 31 mai avait sonné, il aurait dit : Eh bien ! séparez les méchants des hommes faibles ; délivrez la Convention des scélérats qui l'oppriment ; rendez lui le service qu'elle attend de vous comme au 31 mai et au 2 juin. Mais cela est tout à fait inadmissible. L'idée d'exercer une pression illégale sur la Représentation nationale n'entra jamais dans son esprit. Nous avons montré combien étranger il était resté aux manifestations populaires qui, au 31 mai et au 2 juin de l'année précédente, avaient précipité la chute des Girondins, et l'on a vu tout à l'heure avec quelle énergie et quelle indignation il s'était élevé deux jours auparavant contre ceux qui parlaient de recourir à un 31 mai ; bientôt on l'entendra infliger un démenti sanglant à Collot-d’Herbois, quand celui-ci l'accusera implicitement d'avoir poussé les esprits à la révolte. Si la moindre allusion à un nouveau 31 mai fût sortie de sa bouche dans cette soirée du 8 thermidor, est-ce qu'on ne se serait pas empressé le lendemain d'en faire un texte d'accusation contre lui ? Est-ce que la réponse de Billaud-Varenne, où il est rendu compte de la séance des Jacobins, n'en aurait pas contenu mention ? Non, Robespierre, disons-le à son éternel honneur, ne songea pas un seul instant à en appeler à la force. Dans l'état d'enthousiasme et d'exaspération où la lecture de son discours avait porté l'immense majorité des patriotes, il n'avait qu'un signal à donner, et c'en était fait de ses ennemis : la Convention, épurée de par la volonté populaire, se fût avec empressement ralliée à lui, et il n'eût pas succombé le lendemain, victime de son respect pour le droit et pour la légalité.

Custodiatur igitur mea vita reipublicœ. Protégez donc ma vie pour la République, aurait-il pu dire avec Cicéron[274] ; et cette exclamation eût suffi, je n'en doute pas, pour remuer tout le peuple de Paris. Il ne voulut pas la pousser. Mais que, cédant à un sentiment de mélancolie bien naturel, il se soit écrié : S'il faut succomber, eh bien ! mes amis, vous me verrez boire la ciguë avec calme, cela est certain. Non moins authentique est le cri de David : Si tu bois la ciguë, je la boirai avec toi ! Et en prononçant ces paroles d'une voix émue, le peintre immortel se jeta dans les bras de Maximilien et l'embrassa comme un frère[275]. Le lendemain, il est vrai, on ne le vit pas se ranger parmi les hommes héroïques qui demandèrent à partager le sort du Juste immolé. Averti par Barère du résultat probable de la journée[276], il s'abstint de paraître à la Convention. On l'entendit même, dans un moment de déplorable faiblesse, renier son ami et s'excuser d'une amitié qui l'honorait, en disant qu'il ne pouvait concevoir jusqu'à quel point ce malheureux l'avait trompé par ses vertus hypocrites[277]. L'artiste effrayé s'exprimait ainsi sous la menace de l'échafaud. Mais ce ne fut là qu'une faiblesse momentanée, qu'une heure d'égarement et d'oubli. Jamais le culte de Maximilien ne s'effaça de son cœur. Très-peu de temps après le 9 Thermidor, David s'exprimait en ces termes devant ses deux fils : On vous dira que Robespierre était un scélérat ; on vous le peindra sous les couleurs les plus odieuses : n'en croyez rien. Il viendra un jour où l'histoire lui rendra une éclatante justice[278]. Plus tard, pendant son exil, se trouvant un soir au théâtre de Bruxelles, il fut abordé par un Anglais qui lui demanda la permission de lui serrer la main. Le grand peintre se montra très-flatté de cette marque d'admiration, qu'il crut tout d'abord due à la notoriété dont il jouissait, à son génie d'artiste ; et, entre autres choses, il demanda à l'étranger s'il aimait les arts. — L'Anglais lui répondit : Ce n'est pas à cause de votre talent que je désire vous serrer la main, mais bien parce que vous avez été l'ami de Robespierre. — Ah ! s'écria alors David, ce sera pour celui-là comme pour Jésus-Christ, on lui élèvera des autels[279]. Jusqu'à la fin de sa vie l'illustre artiste persista dans les mêmes sentiments. Il revenait souvent sur ce sujet, comme s'il eût senti le besoin de protester contre un moment d'erreur qu'il se reprochait, a dit un de ses biographes. Peu de jours avant sa mort, l'aîné de ses fils, Jules David, l'éminent helléniste, lui dit : Eh bien ! mon père, trente ans se sont écoulés depuis le 9 Thermidor, et la mémoire de Robespierre est toujours maudite. — Je vous le répète, répondit le peintre, c'était un vertueux citoyen. Le jour de la justice n'est pas encore venu ; mais, soyez en certains, il viendra[280]. Est-il beaucoup d'hommes à qui de semblables témoignages puissent être rendus ? L'émotion ressentie par David fut partagée par toute l'assistance. Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois essayèrent en vain de se faire entendre, on refusa de les écouter. Depuis longtemps ils ne s'étaient guère montrés aux Jacobins ; leur présence au club ce soir-là parut étrange et suspecte. Conspués, poursuivis d'imprécations, ils se virent contraints de se retirer honteusement, et dès ce moment ils ne songèrent plus qu'à se venger[281].

Le silence se rétablit pour un instant à la voix de Couthon, dont la parole ardente et indignée causa une fermentation extraordinaire. Deux députés soupçonnés d'appartenir à la conjuration, Dubarran et Duval, furent ignominieusement chassés. Quelques hommes, de tête et de cœur, l'agent national Payan, Dumas, Prosper Sijas. Coffinhal, patriotes intègres qui lièrent volontairement leur destinée à celle de Maximilien, auraient voulu profiter de l'enthousiasme général pour frapper un grand coup. Ils pressèrent Robespierre d'agir, assure-t-on, de se porter sur les comités ; Robespierre demeura inflexible dans sa résolution de ne pas enfreindre la légalité. Il lui suffisait, pensait-il, de l'appui moral de la société pour résister victorieusement à ses ennemis, dernière illusion d'un cœur flétri pourtant déjà par la triste expérience de la méchanceté des hommes. Au lieu de s'entendre, de se concerter avec quelques amis pour la journée du lendemain, il se retira tranquillement chez son hôte. On se sépara aux cris de Vive la République ! Périssent les traîtres ! Mais c'étaient là des cris impuissants. Il eût fallu, malgré Robespierre, se déclarer résolument en permanence. Les Jacobins avaient sur la Convention, divisée comme elle l'était, l'avantage d'une majorité compacte et bien unie. Sans même avoir besoin de recourir à la force, ils eussent, en demeurant en séance, exercé la plus favorable influence sur une foule de membres de l'Assemblée indécis jusqu'au dernier moment ; lés événements auraient pris une tout autre tournure, et la République eût été sauvée.

 

XXIII

Tandis que Robespierre allait dormir son dernier sommeil, les conjurés, peu rassurés, se répandirent de tous côtés et déployèrent l'énergie du désespoir pour tourner contre Maximilien les esprits incertains, hésitants, ceux à qui leur conscience troublée semblait défendre de sacrifier l'intègre et austère tribun. De l'attitude de la droite dépendait le sort de la journée du lendemain, et dans la séance du 8 elle avait paru d'abord toute disposée en faveur de Robespierre. On vit alors, spectacle étrange, les Tallien, les Fouché, les Rovère, les Bourdon (de l'Oise), les André Dumont, tous ces hommes dégouttants de sang et de rapines, se jeter comme des suppliants aux genoux des membres de cette partie de la Convention dont ils étaient haïs et méprisés. Ils promirent de fermer l'ère de la Terreur, eux qui dans leurs missions avaient commis mille excès, multiplié d'une si horrible manière les actes d'oppression, et demandé même mainte et mainte fois l'arrestation de ceux dont ils sollicitaient aujourd'hui le concours. A ces républicains équivoques, à ces royalistes déguisés, ils s'efforcèrent de persuader que la protection qui leur avait été jusqu'alors accordée par Maximilien n'était que passagère, que leur tour arriverait ; et naturellement ils mirent sur le compte de Robespierre les exécutions qui s'étaient multipliées précisément depuis le jour où il avait cessé d'exercer aucune influence sur les affaires du gouvernement. Il y avait là un double mensonge auquel, pour de bonnes raisons, ni les uns ni les autres ne croyaient. A deux reprises différentes, les gens de la droite repoussèrent dédaigneusement les avances intéressées de ces bravi de l'Assemblée ; la troisième fois ils cédèrent[282]. La raison de ce brusque changement s'explique à merveille. Avec Robespierre triomphant, la Terreur pour la Terreur, cette Terreur, dont il venait de signaler et de flétrir si éloquemment les excès, prenait fin ; mais les patriotes étaient protégés, mais la justice sévère continuait d'avoir l'œil sur les ennemis du dedans et sur ceux du dehors, mais la Révolution n'était pas détournée de son cours, mais la République s'affermissait sur d'inébranlables bases. Au contraire, avec Robespierre vaincu, la Terreur pouvait également cesser, se retourner même contre les patriotes, comme cela arriva ; mais la République était frappée au cœur, et la contre-révolution certaine d'avance de sa prochaine victoire. Voilà ce qu'à la dernière heure comprirent très-bien les Boissy d'Anglas, les Palasne-Champeaux, les Durand-Maillane, et tous ceux qu'effarouchaient la rigueur et l'austérité des principes républicains[283] ; et voilà comment fut conclue l'alliance monstrueuse des réactionnaires et des révolutionnaires dans le sens du crime.

Sur les exagérés de la Montagne la bande des conjurés agit par des arguments tout opposés. On peignit Robespierre sous les couleurs d'un modéré, on lui reprocha d'avoir protégé des royalistes, on rappela avec quelle persistance il avait défendu les signataires de la protestation contre le 31 mai, et cela eut un plein succès. Il n'y eut pas, a-t-on dit avec raison, une conjuration unique contre Robespierre ; la contre-révolution y entra en se couvrant de tous les masques. C'était son rôle ; et, suivant une appréciation consciencieuse et bien vraie, les ennemis personnels de Maximilien se rendirent les auxiliaires ou plutôt les jouets de l'aristocratie et ne crurent pas payer trop cher la défaite d'un seul homme par le deuil de leur pays[284].

Pour cette nuit du 8 au 9 Thermidor, comme pour la journée du 8, nous sommes bien obligé de nous en tenir presque entièrement aux renseignements fournis par les vainqueurs, la bouche ayant été à jamais fermée aux vaincus. Rien de dramatique, du reste, comme la séance du comité de Salut public dans cette nuit suprême. Les membres présents, Carnot, Robert Lindet, Prieur (de la Côte-d'Or), Barère, Saint-Just, travaillaient silencieusement. Saint-Just rédigeait à la hâte son rapport pour le lendemain, et ne témoignait ni inquiétude ni repos[285], quand arrivèrent Billaud-Varenne, Collot-d’Herbois et certains membres du comité de Sûreté générale. A la vue de Collot-d’Herbois, dont les traits bouleversés accusaient le trouble intérieur, Saint-Just lui demanda froidement ce qu'il y avait de nouveau aux Jacobins. Sur quoi Collot-d’Herbois, hors de lui, l'aurait traité de traître, de lâche, etc. Puis Élie Lacoste, se levant furieux, se serait écrié que Robespierre, Couthon et Saint-Just étaient un triumvirat de fripons machinant contre la patrie. Que venait faire ici le sauvage rapporteur de l'affaire des chemises rouges ? Et Barère, l'héroïque Barère, d'apostropher à son tour Robespierre, Couthon et Saint-Just. A l'en croire, il les aurait appelés des pygmées insolents. Maximilien, qui la veille encore jouissait, disait-il, d'une réputation patriotique méritée par cinq années de travaux et par ses principes imperturbables d'indépendance et de liberté, est devenu tout à coup du jour au lendemain un scélérat ; le second n'est qu'un éclopé, le troisième un enfant. Robespierre et Couthon n'étaient pas là, notez bien. Oh ! le beau courage, la noble conduite, — en admettant comme vraies les assertions des membres des anciens comités, — que de se mettre à trois, à quatre contre un enfant, à qui ils ont été obligés de rendre cette justice qu'au milieu de leurs vociférations il était resté calme et n'avait témoigné aucune inquiétude !

Cet enfant, dont l'assurance et le sang-froid annonçaient une conscience pure, les glaçait d'épouvante. — Tu prépares notre acte d'accusation ? lui dit brusquement Collot-d’Herbois. — Saint-Just pâlit-il à cette interrogation, comme l'ont prétendu ses meurtriers ? C'est assez peu probable, puisqu'il leur offrit de leur donner, séance tenante, communication du discours qu'il préparait. Personne ne voulut y jeter les yeux[286]. Saint-Just se remit à l'œuvre en promettant à ses collègues, s'il faut s'en rapporter à eux, de leur lire son discours le lendemain avant de le prononcer devant la Convention. Quand il eut achevé son travail, il prit part à la conversation comme si de rien n'était, jouant, paraît-il, l'étonnement de n'être pas dans la confidence des dangers dont il entendait parler, et se plaignant de ce que tous les cœurs étaient fermés. Ce fut alors qu'il ajouta qu'il ne concevait pas cette manière prompte d'improviser la foudre à chaque instant, et que, au nom de la République, il conjura ses collègues de revenir à des idées et à des mesures plus justes. Cet aveu, que nous avons déjà relaté, venant des assassins de Robespierre, de Saint-Just et de Couthon, est bien précieux à recueillir[287]. Suivant Collot-d’Herbois et ses amis, il est vrai, Saint-Just ne s'exprimait ainsi que pour les tenir en échec, paralyser leurs mesures et refroidir leur zèle ; mais c'était si peu cela, qu'à cinq heures du matin il sortit, les laissant complètement maîtres du terrain.

On a quelquefois raconté que Lecointre était allé dans la nuit presser le comité de Salut public de faire arrêter le général de la garde nationale, le maire et l'agent national ; c'est une erreur. De son propre aveu, Lecointre s'en tint à quelques avis donnés à Lavicomterie, à la porte du comité de Sûreté générale, et à ce comité lui-même[288]. Il ne paraît pas non plus que Fréron et Cambon aient pénétré, comme on l'a dit, jusque dans l'intérieur du comité de Salut public, car la porte en était close pour tout le monde[289]. Les conjurés du comité .de Salut public pouvaient craindre, tant leur cause était mauvaise, que les autorités parisiennes ne se rangeassent du côté de Robespierre ; mais à cette heure ils ne savaient rien encore des dispositions d'Hanriot, de Payan et de Fleuriot-Lescot. S'ils mandèrent auprès d'eux le maire et l'agent national, ce fut pour sonder leurs intentions et non pas pour les tenir en charte, privée, comme l'a déclaré plus tard Billaud-Varenne[290].

Vers dix heures du matin, les comités de Sûreté générale et de Salut public, je veux dire les membres appartenant à la conjuration, se réunirent. Comme on délibérait sur la question de savoir si l'on ferait arrêter le général de la garde nationale, entra Couthon, qui prit avec chaleur la défense d'Hanriot. Une scène violente s'ensuivit entre lui et Carnot. Je savais bien que tu étais le plus méchant des hommes, dit-il à Carnot. — Et toi le plus traître, répondit celui-ci[291]. Que Carnot ait agi méchamment dans cette journée du 9 Thermidor, c'est ce que malheureusement il est impossible de contester. Quant au reproche tombé de sa bouche, c'est une de ces niaiseries calomnieuses dont, hélas ! les Thermidoriens se sont montrés si prodigues à l'égard de leurs victimes.

Il était alors midi. En cet instant se présenta un huissier de la Convention, porteur d'une lettre de Saint-Just ainsi conçue : L'injustice a fermé mon cœur, je vais l'ouvrir à la Convention[292]. Si nous devons ajouter foi au dire des membres des anciens comités, Couthon, s'emparant du billet, l'aurait déchiré, et Rühl, un des membres du comité de Sûreté générale, indigné, se serait écrié : Allons démasquer ces traîtres ou présenter nos têtes à la Convention ![293] Ah ! pauvre jouet des Fouché et des Tallien, vieux et sincère patriote, tu songeras douloureusement, mais trop tard, à cette heure d'aveuglement fatal, quand, victime à ton tour de la réaction, tu échapperas par le suicide à l'échafaud où toi-même tu contribuas à pousser les plus fermes défenseurs de la République !

 

XXIV

Ce fut, sous tous les rapports, une triste et sombre journée que celle du 9 Thermidor an II, autrement dit 27 juillet 1794. Le temps, lourd, nuageux, semblait .présager les orages qui allaient éclater. On eût dit qu'il se Reflétait dans le cœur des membres de la Convention, tant au début de la séance la plupart des physionomies étaient chargées d'anxiété[294]. Les conjurés seuls paraissaient tranquilles. Sûrs désormais des gens de la droite, lesquels, malgré leur estime pour Maximilien, s'étaient décidés à l'abandonner, sachant que, lui tombé, la République ne tarderait pas à tomber aussi[295], ils s'étaient arrêtés à un moyen sûr et commode, c'était de couper la parole à Robespierre, de l'assassiner purement et simplement ; et en effet, la séance du 9 Thermidor ne fut pas autre chose qu'un guet-apens et un assassinat. Peu d'instants avant l'ouverture de la séance, Bourdon (de l'Oise) ayant rencontré Durand-Maillane aux abords de la salle, lui prit la main en lui disant : Oh ! les braves gens que les gens du côté droit ![296] Un moment après on pouvait voir Durand-Maillane se promener avec Rovère dans la salle de la Liberté[297]. Et c'était bien là le vrai type de la faction thermidorienne : le brigandage et le meurtre alliés à la lâcheté et à l'apostasie.

Au reste, jamais cette alliance impure et monstrueuse ne fût parvenue à renverser Robespierre, si à cette époque du 9 Thermidor les membres les plus probes et les plus patriotes de la Convention ne s'étaient pas trouvés en mission auprès des armées, dans les départements et dans les ports de mer où ils avaient été envoyés à la place de la plupart des Thermidoriens, des Rovère, des Fouché, des Carrier, des Fréron, des André Dumont et des Tallien. Le triomphe de la faction tint à l'absence d'une cinquantaine de républicains irréprochables. Laporte et Reverchon étaient à Lyon, Albite et Salicetti à Nice, Laignelot à Laval, Duquesnoy à Arras, Duroy à Landau, René Levasseur à Sedan, Maure à Montargis[298], Goujon, Soubrany, ces deux futures victimes de la réaction, dans le Haut-Rhin et dans les Pyrénées-Orientales, Bô a Nantes, Maignet à Marseille, Lejeune à Besançon, Alquier et Ingrand Niort, Lecarpentier à Port-Malo, Borie dans le Gard, Jean-Bon Saint-André et Prieur (de la Marne) tous deux membres du comité de Salut public, sur les côtes de l'Océan, etc. Si ces représentants intègres et tout dévoués à l'idée républicaine se fussent trouvés à Paris, jamais, je le répète, une poignée de scélérats, ne seraient venus à bout d'abattre les plus fermes appuis de la démocratie.

Au moment où Robespierre quitta, pour n'y plus rentrer, la maison de son hôte, cette pauvre et chère maison où depuis quatre ans il avait vécu avec la simplicité du sage, entouré d'amour et de respect, Duplay ne put s'empêcher de lui parler avec beaucoup de sollicitude, et il l'engagea vivement à prendre quelques précautions contre les dangers au-devant desquels il courait. La masse de la Convention est pure ; rassure-toi ; je n'ai rien à craindre, répondit Maximilien[299]. Déplorable confiance, qui le livra sans défense à ses ennemis ! On s'attendait bien dans Paris à un effroyable orage parlementaire, mais c'était tout ; et il y avait si peu d'entente entre Robespierre et ceux dont le concours lui était assuré d'avance, que le général de la garde nationale, Hanriot, s'en était allé tranquillement déjeuner au faubourg Saint-Antoine chez un de ses parents[300].

 

XXV

Comme d'habitude, la séance du 9 Thermidor commença par la lecture de la correspondance. Cette lecture à peine achevée, Saint-Just, qui attendait au bas de la tribune, demanda la parole. Collot-d’Herbois occupait le fauteuil. Pour cette séance, nous devons prévenir le lecteur, ainsi que nous l'avons fait pour les séances de la Convention et des Jacobins de la veille, qu'il n'existe pas d'autres renseignements que ceux qu'il a plu aux vainqueurs de fournir eux-mêmes ; comme les historiens qui nous ont devancé, nous sommes réduit ici à écrire d'après des documents longuement médités et arrangés pour les besoins de leur cause par les Thermidoriens eux-mêmes[301].

Je ne suis d'aucune faction, je les combattrai toutes. Elles ne s'éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui poseront la borne de l'autorité, et feront ployer sans retour l'orgueil humain sous le joug des libertés publiques. Ces paroles ne sont assurément ni d'un triumvir ni d'un aspirant à la dictature ; c'était le début du discours de Saint-Just. On sait comment, dès les premiers mots, le jeune orateur fut interrompu par Tallien. Il fallait empêcher à tout prix la lumière de se produire ; car si Saint-Just avait pu aller jusqu'au bout, nul doute que la Convention, éclairée et cédant à la force de la vérité, n'eût écrasé la conjuration. En effet, de quoi se plaignait Saint-Just ? De ce que dans les quatre dernières décades, c'est-à-dire durant l'époque où il avait été commis le plus d'actes oppressifs et arbitraires, l'autorité du comité de Salut public avait été en réalité exercée par quelques-uns de ses membres seulement ; et ces membres étaient Billaud-Varenne, Collot-d’Herbois, Barère et Carnot. Toute délibération du comité ne portant point la signature de six de ses membres devait être, selon Saint-Just, considérée comme un acte de tyrannie. Et c'était lui et ses amis que la calomnie accusait d'aspirer à la dictature ! La conclusion de son discours consistait dans le projet de décret suivant : La Convention nationale décrète que les institutions qui seront incessamment rédigées présenteront les moyens que le gouvernement, sans rien perdre de son ressort révolutionnaire, ne puisse tendre à l'arbitraire, favoriser l'ambition et opprimer ou usurper la Convention nationale[302].

En interrompant Saint-Just, Tallien eut l'impudence de dire que, comme lui, il n'était d'aucune faction ; on entendit ce misérable déclarer qu'il n'appartenait qu'à lui-même et à la liberté, et il n'était que le jouet de ses passions, auxquelles il avait indignement sacrifié et sa dignité de représentant du peuple et les intérêts du pays. Il demanda hypocritement que le voile fût tout à fait déchiré, à l'heure même où ses complices et lui se disposaient à étrangler la vérité. La bande accueillit ses paroles par une triple salve d'applaudissements. Mais ce personnage méprisé de Robespierre, qui même avant l'ouverture de la Convention nationale avait deviné ses bas instincts, n'était pas de taille à entraîner l'Assemblée[303]. Billaud-Varenne l'interrompit violemment à son tour, et s'élança à la tribune en demandant la parole pour une motion d'ordre.

A ce moment, assure-t-on, Barère dit à son collègue : N'attaque que Robespierre, laisse là Couthon et Saint-Just[304], comme si attaquer le premier, ce n'était pas en même temps attaquer les deux autres, comme si ceux-ci n'étaient pas résolus d'avance à partager la destinée du grand citoyen dont ils partageaient tontes les convictions. Égaré par la colère, Billaud n'écoute rien. Il se plaint amèrement des menaces qui la veille au soir avaient retenti contre certains représentants au club des Jacobins, où, dit-il, on avait manifesté l'intention d'égorger la Convention nationale. C'était un mensonge odieux, mais n'importe ! il fallait bien exaspérer l'Assemblée. Du doigt, il désigne sur le sommet de la Montagne un citoyen qui s'était fait remarquer par sa véhémence au sein de la société. Arrêtez-le ! arrêtez-le ! crie-ton de toutes parts, et le malheureux est poussé dehors au milieu des plus vifs applaudissements.

A Saint-Just il reproche... quoi ? de n'avoir point soumis au comité le discours dont ce député avait commencé la lecture, et il en revient à son thème favori : le prétendu projet d'égorgement de la Convention. Le Bas, indigné, veut répondre ; on le rappelle à l'ordre ! Il insiste, on le menace de l'Abbaye[305]. Billaud reprend, et durant dix minutes se perd en des divagations calomnieuses qui pèseront éternellement sur sa mémoire. Il ose accuser Robespierre, la probité même, de s'être opposé à l'arrestation d'un secrétaire du comité de Salut public accusé d'un vol de 114.000 livres — mouvement d'indignation de la part de tous les fripons de l'Assemblée[306]. Il l'accuse d'avoir protégé Hanriot, dénoncé dans le temps par le tribunal révolutionnaire comme un complice d'Hébert ; d'avoir placé à la tête de la force armée des conspirateurs et des nobles, le général La Valette, entre autres, dont Robespierre avait, en effet, on s'en souvient peut-être, pris la défense jadis, et qui, à sa recommandation, était entré dans l'état-major de la garde nationale de Paris. Maximilien ne croyait pas qu'on dût proscrire les nobles par cela même qu'ils étaient nobles, s'ils n'avaient d'ailleurs rien commis de répréhensible contre les lois révolutionnaires ! Quel crime ! On tuera La Valette comme noble et comme protégé de Robespierre. Maximilien, prétendait Billaud, ne trouvait pas dans toute la Convention vingt représentants dignes d'être investis de missions dans les départements. Encore un moyen ingénieux de passionner l'Assemblée. Et la Convention de frémir d'horreur ! A droite, à gauche, au centre, l'hypocrisie commence de prendre des proportions colossales. Si Robespierre s'était éloigné du comité, c'était, au dire de son accusateur, parce qu'il y avait trouvé de la résistance au moment où seul il avait voulu faire rendre le décret du 22 prairial. Mensonge odieux habilement propagé. La loi de prairial, nous l'avons surabondamment prouvé, eut l'assentiment des deux comités, et si Robespierre, découragé, cessa un jour de prendre réellement part à la direction des affaires, ce fut précisément à cause de l'horrible usage qu'en dépit de sa volonté ses collègues des deux comités crurent devoir faire de cette loi.

Nous mourrons tous avec honneur, s'écrie ensuite Billaud-Varenne ; je ne crois pas qu'il y ait ici un seul représentant qui voulût exister sous un tyran. Non, non ! périssent les tyrans ! répondent ceux surtout qu'on devait voir plus tard, trente ans durant, se coucher à plat ventre devant toutes les tyrannies. Dérision ! Quel tyran que celui qui, depuis près de deux mois, s'était abstenu d'exercer la moindre influence sur les affaires du gouvernement, et à qui il n'était même pas permis d'ouvrir la bouche pour repousser d'un mot les abominables calomnies vomies contre lui par des royalistes déguisés, des bandits fieffés et quelques patriotes fourvoyés. Continuant son réquisitoire, Billaud reproche à Maximilien d'avoir fait arrêter le meilleur comité révolutionnaire de Paris, celui de la section de l'Indivisibilité. Or, nous avons raconté cette histoire plus haut. Ce comité révolutionnaire, le meilleur de Paris, avait, par des excès de tous genres, jeté l'épouvante dans la section de l'Indivisibilité ; et voilà pourquoi, d'après l'avis de Robespierre, on en avait ordonné l'arrestation[307]. Billaud-Varenne termine enfin sa diatribe par un trait tout à l'avantage de Robespierre, trait déjà cité, et dont les partisans de Danton n'ont pas assez tenu compte à Maximilien. Laissons-le parler : La première fois que je dénonçai Danton au comité, Robespierre se leva comme un furieux, en disant qu'il voyait mes intentions, que je voulais perdre les meilleurs patriotes[308]. Billaud ne soupçonnait donc guère qu'une partie des conjurés songeassent à venger Danton en proscrivant Robespierre.

Maximilien, qui jusqu'alors était resté muet, monte précipitamment à la tribune. On ne le laisse point parler. A bas le tyran ! à bas le tyran ! hurle la troupe des conjurés. Encouragé par la tournure que prenaient les choses, Tallien prend de nouveau la parole au milieu des applaudissements de ses compères. On l'entend déclarer, en vrai saltimbanque qu'il était, qu'il s'est armé d'un poignard — le poignard de Thérézia Cabarrus, selon les chroniqueurs galants — pour percer le sein du nouveau Cromwell, au cas où l'Assemblée n'aurait pas le courage de le décréter d'accusation. Ah î si Robespierre eût été Cromwell, comme Tallien se serait empressé de fléchir les genoux devant lui ! On n'a pas oublié ses lettres à Couthon et à Maximilien, témoignage immortel de la bassesse et de la lâcheté de ce plat coquin. Il cherche à ménager à la fois les exagérés de la Montagne et les timides de la droite en se défendant d'être modéré d'une part, et de l'autre en réclamant protection pour l'innocence. Il ose, lui le cynique proconsul dont le faste criminel avait indigné les patriotes de Bordeaux, accuser Robespierre d'être servi par des hommes crapuleux et perdus de débauche, et la Convention indignée ne lui ferme pas la bouche[309] ! Loin de là, elle vote, sur la proposition de cet indigne histrion, l'arrestation d'Hanriot et de son état-major, et elle se déclare en permanence jusqu'à ce que le glaive de la loi ait assuré la Révolution.

Le branle était donné. Billaud-Varenne réclame à son tour l'arrestation de Boulanger, auquel il reproche surtout d'avoir été l'ami de Danton, celle de Dumas, coupable d'avoir la veille, aux Jacobins, traité Collot-d’Herbois de conspirateur, celle de La Valette et celle du général Dufraisse, dénoncés jadis l'un et l'autre par Bourdon (de l'Oise) et défendus par Maximilien. L'Assemblée vote en aveugle et sans discussion la triple arrestation[310]. Il est impossible qu'Hanriot ne se soit pas entouré de suspects, fait observer Delmas, et il demande et obtient l'arrestation en masse des adjudants et aides de camp de ce général. Sont également décrétés d'arrestation, sans autre forme de procès, Prosper Sijas et Vilain d'Aubigny, ce dantoniste si souvent persécuté déjà par Bourdon (de l'Oise) dont la satisfaction dut être au comble. C'était du délire et du délire sanglant, car l'échafaud était au bout de ces décrets rendus contre tous ces innocents.

Robespierre s'épuise en efforts pour réclamer en leur faveur ; mais la Convention semble avoir perdu-toute notion du juste et de l'injuste. A bas le tyran, à bas le tyran ! s'écrie le chœur des conjurés. Et chaque fois que, profitant d'une minute d'apaisement, Maximilien prononce une parole : A bas le tyran, à bas le tyran ! répète comme un lugubre refrain la cohue sinistre.

Cependant Barère paraît à la tribune et prononce un discours d'une modération étonnante, à côté des scènes qui venaient de se dérouler[311]. Robespierre y est a peine nommé. Il y est dit seulement que les comités s'occuperont de réfuter avec soin les faits mis la veille à leur charge par Maximilien. En attendant, que propose Barère à l'Assemblée ? D'adresser une proclamation au peuple français, d'abolir dans la garde nationale tout grade supérieur à celui de chef de légion et de confier à tour de rôle le commandement à chaque chef de légion, enfin de charger le maire de Paris, l'agent national et le commandant de service de veiller à la sûreté de la Représentation nationale. Ainsi à cette heure on ne suppose pas encore que Fleuriot-Lescot et Payan prendront parti pour un homme contre une Assemblée tout entière ; mais cet homme représentait la République, la démocratie, et de purs et sincères patriotes comme le maire et l'agent national de la commune de Paris ne pouvaient hésiter un instant. Quant à la proclamation au peuple français, il y était surtout question du gouvernement révolutionnaire, objet de la haine des ennemis de la France et attaqué jusque dans le sein de la Convention nationale. De Robespierre pas un mot[312].

Barère avait parlé au nom de la majorité de ses collègues, et la modération de ses paroles prouve combien peu les comités à cette heure se croyaient certains de la victoire.

Mais tant de ménagements ne convenaient guère aux membres les plus compromis. Le vieux Vadier bondit comme un furieux à la tribune. Il commence par faire un crime a Maximilien d'avoir pris ouvertement la défense de Chabot, de Bazire, de Camille Desmoulins et de Danton, et de ne les avoir abandonnés qu'en s'apercevant que ses liaisons avec eux pouvaient le compromettre. Puis, après s'être vanté à son tour d'avoir le premier démasqué Danton, il se flatte de faire connaître également Robespierre, et de le convaincre de tyrannie, non par des phrases, mais par des faits[313]. Il revient encore sur l'arrestation du comité révolutionnaire de la section de l'Indivisibilité, le plus pur de Paris, on sait comment. Cet infatigable pourvoyeur de l'échafaud, qui s'entendait si bien à recommander ses victimes à son cher Fouquier-Tinville, recommence ses plaisanteries de la veille au sujet de l'affaire Catherine Théot, et, comme pris de la nostalgie du sang, il impute à crime à Maximilien d'avoir couvert de sa protection les illuminés et soustrait à la guillotine son ex-collègue dom Gerle et la malheureuse Catherine[314].

Il se plaint ensuite de l'espionnage organisé contre certains députés — les Fouché, les Bourdon (de l'Oise), les Tallien —, comme si cela avait été du fait particulier de Robespierre, et il prétend que, pour sa part, on avait attaché à ses pas le citoyen Taschereau, qui se montrait pour lui d'une complaisance rare, et qui, sachant par cœur les discours de Robespierre, les lui récitait sans cesse[315].

Ennuyé de ce bavardage, Tallien demande la parole pour ramener la discussion à son vrai point. Je saurai bien l'y ramener, s'écrie Robespierre. Mais la horde recommence ses cris sauvages et l'empêche d'articuler une parole. Tallien a libre carrière, et la seule base de l'accusation de tyrannie dirigée contre Robespierre, c'est aussi, de son propre aveu, le discours prononcé par Maximilien dans la dernière séance ; il ne trouve qu'un seul fait à articuler à sa charge, c'est toujours l'arrestation du fameux comité révolutionnaire de la section de l'Indivisibilité. Seulement, Tallien l'accuse d'avoir calomnié les comités sauveurs de la patrie ; il insinue hypocritement que les actes d'oppression particuliers dont on s'était plaint avaient eu lieu pendant le temps où Robespierre avait été chargé d'administrer le bureau de police générale momentanément établi au comité de Salut public. — Le mandat d'arrêt de Thérézia Cabarrus, la maîtresse de Tallien, était parti de ce bureau. — C'est faux, je... interrompt Maximilien ; un tonnerre de murmures couvre sa voix. Sans se déconcerter, toujours froid et calme, il arrête un moment ses yeux sur les membres les plus ardents de la Montagne, sur ceux dont il n'avait jamais suspecté les intentions, comme pour lire dans leurs pensées si en effet ils sont complices de l'abominable machination dont il se trouve victime. Les uns, saisis de remords ou de pitié, n'osent soutenir ce loyal regard et détournent la tête ; les autres, égarés par un aveuglement fatal, demeurent immobiles. Lui, dominant le tumulte, et s'adressant à tous les côtés de l'Assemblée[316] : C'est à vous, hommes purs, que je m'adresse, et non pas aux brigands. Si en ce moment une voix, une seule voix d'honnête homme, celle de Romme ou de Cambon, eût répondu à cet appel, on aurait vu, je n'en doute pas, la partie saine de la Convention se rallier à Robespierre ; mais nul ne bouge, et la bande enhardie recommence de plus belle son effroyable vacarme. Alors, cédant à un mouvement d'indignation, Robespierre s'écrie d'une voix tonnante : Pour la dernière fois, président d'assassins, je te demande la parole[317]. Accorde-la-moi, ou décrète que tu veux m'assassiner[318]. L'assassinat, telle devait être en effet la dernière raison thermidorienne.

Au milieu des vociférations de la bande, Collot-d’Herbois quitte le fauteuil, où le remplace Thuriot. A Maximilien s'épuisant en efforts pour obtenir la parole, le futur magistrat impérial répond ironiquement : Tu ne l'auras qu'à ton tour ; flétrissant à jamais sa mémoire par cette lâche complicité dans le guet-apens de Thermidor.

Comme Robespierre, brisé par cette lutte inégale, essayait encore, d'une voix qui s'éteignait, de se faire entendre : Le sang de Danton t'étouffe ! lui cria un Montagnard obscur, Garnier (de l'Aube), compatriote de l'ancien tribun des Cordeliers. A cette apostrophe inattendue, Maximilien, j'imagine, dut comprendre son immense faute d'avoir abandonné celui que tant de fois il avait couvert de sa protection. C'est donc Danton que vous voulez venger, dit-il[319], et il ajouta, — réponse écrasante ! — Lâches, pourquoi ne l'avez-vous pas défendu ?[320] C'eût été en effet dans la séance du 11 germinal que Garnier (de l'Aube) aurait dû prendre la parole ; en se dévouant alors à une amitié illustre, il se fût honoré par un acte de courage, au lieu de s'avilir par une lâcheté inutile. On aurait tort de conclure de là que la mort de Danton fut une des causes efficientes du 9 Thermidor ; les principaux amis du puissant révolutionnaire jouèrent dans cette journée un rôle tout à fait passif. Quant aux principaux auteurs du guet-apens, ils se souciaient si peu de venger cette grande victime que plus d'un mois plus tard Bourdon (de l'Oise), qui pourtant passe généralement pour dantoniste et qui se vanta un jour en pleine Convention d'avoir combiné la mort de Robespierre[321] ; traitait encore Maximilien de complice de Danton et se plaignait très-vivement qu'on eût fait sortir de prison une créature et un agent de ce dernier, le greffier Fabricius[322].

Cependant personne n'osait conclure. Tout à coup une voix inconnue : Je demande le décret d'arrestation contre Robespierre. C'était celle du montagnard Louchet, député de l'Aveyron. A cette motion l'Assemblée hésite, comme frappée de stupeur. Quelques applaudissements isolés éclatent pourtant. Aux voix, aux voix ! Ma motion est appuyée, s'écrie alors Louchet[323]. Un Montagnard non moins obscur et non moins terroriste, le représentant Lozeau, député de la Charente-Inférieure, renchérit sur cette motion, et réclame, lui, un décret d'accusation contre Robespierre ; cette nouvelle proposition est également appuyée.

A tant de lâchetés et d'infamies il fallait cependant un contraste. Voici l'heure des dévouements sublimes. Un jeune homme se lève, et réclame la parole en promenant sur cette Assemblée en démence un clair et tranquille regard. C'est Augustin Robespierre[324]. On fait silence. Je suis aussi coupable que mon frère, s'écrie-t-il ; je partage ses vertus, je veux partager son sort. Je demande aussi le décret d'accusation contre moi. Une indéfinissable émotion s'empare d'un certain nombre de membres, et sur leurs visages émus on peut lire la pitié dont ils sont saisis. Ce jeune homme, en effet, c'était un des vainqueurs de Toulon ; commissaire de la Convention, il avait délivré de l'oppression les départements de la Haute-Saône et du Doubs, il y avait fait bénir le nom de la République, et l'on pouvait encore entendre les murmures d'amour et de bénédiction soulevés sur ses pas. Ah ! certes, il avait droit aussi à la couronne du martyre. La majorité, en proie à un délire étrange, témoigne par un mouvement d'indifférence qu'elle accepte ce dévouement magnanime[325].

Robespierre a fait d'avance le sacrifice de sa vie à la République, peu lui importe de mourir ; mais il ne veut pas entraîner son frère dans sa chute, et il essaye de disputer aux assassins cette victime inutile. Vains efforts ! Sa parole se perd au milieu de l'effroyable tumulte. On sait comme est communicative l'ivresse du sang. La séance n'est plus qu'une orgie sans nom où dominent les voix de Billaud-Varenne, de Fréron et d'Élie Lacoste. Ironie sanglante ! un député journaliste, Charles Duval, rédacteur d'un des plus violents organes de la Terreur, demande si Robespierre sera longtemps le maître de la Convention[326]. Et un membre d'ajouter : Ah ! qu'un tyran est dur à abattre ! Ce membre, c'est Fréron, le bourreau de Toulon et de Marseille, l'affreux maniaque à qui un jour il prit fantaisie d'appeler Sans nom la vieille cité phocéenne, et qui demain réclamera la destruction de l'Hôtel de Ville de Paris. Le président met enfin aux voix l'arrestation des deux frères ; elle est décrétée au milieu d'applaudissements furieux et de cris sauvages. Les accusateurs de Jésus n'avaient pas témoigné une joie plus féroce au jugement de Pilate.

En ce moment la salle retentit des cris de Vive la liberté ! Vive la République ! La République ! dit amèrement Robespierre, elle est perdue, car les brigands triomphent. Ah ! sombre et terrible prophétie ! comme elle se trouvera accomplie à la lettre ! Oui, les brigands triomphent, car les vainqueurs dans cette journée fatale, ce sont les Fouché, les Tallien, les Rovère, les Dumont, les Bourdon (de l'Oise), les Fréron, les Courtois, tout ce que la démocratie, dans ses bas-fonds, contenait de plus impur. Oui, les brigands triomphent, car Robespierre et ses amis vont être assassinés traîtreusement pour avoir voulu réconcilier la Révolution avec la justice, car avec eux va, pour bien longtemps, disparaître la cause populaire, car sur leur échafaud sanglant se cimentera la monstrueuse alliance de tous les véreux de la démocratie avec tous les royalistes déguisés de l'Assemblée et tous les tartufes de modération.

Cependant Louchet reprend la parole pour déclarer qu'en votant l'arrestation des deux Robespierre, on avait entendu voter également celle de Saint-Just et de Couthon. Quand les Girondins s'étaient trouvés proscrits, lorsque Danton et ses amis avaient été livrés au tribunal révolutionnaire, nul des leurs ne s'était levé pour réclamer hautement sa part d'ostracisme. Le dévouement d'Augustin Robespierre, de ce magnanime jeune homme qui, suivant l'expression très-vraie d'un poète de nos jours,

Environnait d'amour son formidable ainé,

peut paraître tout naturel ; mais voici que tout à coup se lève à son tour un des plus jeunes membres de l'Assemblée, Philippe Le Bas, le doux et héroïque compagnon de Saint-Just. En vain quelques-uns de ses collègues le retiennent par les pans de son habit et veulent le contraindre à se rasseoir, il résiste à tous leurs efforts, et, d'une voix retentissante : Je ne veux pas partager l'opprobre de ce décret ! je demande aussi l'arrestation. Tout ce que le monde contient de séductions et de bonheurs réels, avons-nous dit autre part[327], attachait ce jeune homme à l'existence. Une femme adorée, un fils de quelques semaines à peine, quoi de plus propre à glisser dans le cœur de l'homme le désir immodéré de vivre ? S'immoler, n'est-ce pas en même temps immoler pour ainsi dire le cher petit être dont on est appelé à devenir le guide et l'appui ? Le Bas n'hésita pas un instant à sacrifier toutes ses affections à ce que sa conscience lui montra comme le devoir et l'honneur mêmes. Il n'y a point en faveur de Robespierre de plaidoirie plus saisissante que ce sacrifice sublime[328]. Un certain nombre de membres se regardent indécis, consternés ; je ne sais quelle pudeur semble les arrêter au moment de livrer cette nouvelle victime ; mais les passions mauvaises l'emportent, et Le Bas est jeté comme les autres en proie aux assassins.

Le bateleur Fréron peut maintenant insulter bravement les vaincus. Mais que dit-il ? Ce n'est plus Robespierre seul qui aspire à la dictature. A l'en croire, Maximilien devait former avec Couthon et Saint-Just un triumvirat qui eût rappelé les proscriptions sanglantes de Sylla ; et cinq ou six cadavres de Conventionnels étaient destinés à servir de degrés à Couthon pour monter au trône. Oui, je voulais arriver au trône, dit avec le sourire du mépris, l'intègre ami de Robespierre. On ne sait en vérité ce qu'on doit admirer le plus, des inepties, des mensonges, ou des contradictions de ces misérables Thermidoriens. Debout au pied de la tribune, Saint-Just, calme et dédaigneux, contemplait d'un œil stoïque le honteux spectacle offert par la Convention[329]. Après Fréron, on entend Élie Lacoste, puis Collot-d’Herbois. C'est à qui des deux mentira avec le plus d'impudence. Le dernier accuse ceux dont il est un des proscripteurs d'avoir songé à une nouvelle insurrection du 31 mai. Il en a menti, s'écrie Robespierre d'une voix forte. Et l'Assemblée de s'indigner, à la manière de Tartufe, comme si l'avant-veille le comité de Salut public n'avait point, par la bouche de Barère, hautement félicité Robespierre d'avoir flétri avec énergie toute tentative de violation de la Représentation nationale.

C'en est fait, Maximilien et son frère, Couthon, Saint-Just et Le Bas sont décrétés d'accusation. A la barre, à la barre ! s'écrient, pressés d'en finir, un certain nombre de membres parmi lesquels on remarque le représentant Clauzel[330]. Les huissiers, dit-on, osaient à peine exécuter les ordres du président tant, jusqu'alors, ils avaient été habitués à porter haut dans leur estime ces grands citoyens réduits aujourd'hui au rôle d'accusés. Les proscrits, du reste, ne songèrent pas à résister ; ils se rendirent d'eux-mêmes à la barre ; et, presque aussitôt, on vit, spectacle navrant ! sortir entre des gendarmes ces véritables fondateurs de la République. Il était alors quatre heures et demie environ.

Eux partis, Collot-d’Herbois continua tranquillement sa diatribe.

L'unique grief invoqué par lui contre Maximilien fut, — ne l'oublions pas, car l'aveu mérite assurément d'être recueilli, — son discours de la veille, c'est-à-dire la plus éclatante justification qui jamais soit tombée de la bouche d'un homme. Je me trompe : il lui reprocha encore de n'avoir pas eu assez d'amour et d'admiration pour la personne de Marat. Tout cela fort applaudi de la bande. On cria même beaucoup Vive la République ! les uns par dérision, les autres, en petit nombre ceux-là, dans l'innocence de leur cœur. Les malheureux, ils venaient de la tuer !

 

XXVI

Cette longue et fatale séance de la Convention avait duré six heures ; elle fut suspendue à cinq heures et demie pour être reprise à sept heures ; mais d'ici là de grands événements allaient se passer.

Le comité de Salut public, réduit à Barère, Billaud-Varenne, Carnot, Collot-d’Herbois, Robert Lindet et C.-A. Prieur, comptait sur le concours des autorités constituées, notamment sur la commune de Paris, le maire et l'agent national. La Convention, comme on l'a vu, avait chargé ces deux derniers de l'exécution des décrets rendus dans la journée. Mais, patriotes éclairés et intègres, auxquels, ai-je dit avec raison, on n'a jamais pu reprocher une bassesse ou une mauvaise action, Fleuriot-Lescot et Payan ne devaient pas hésiter à se déclarer contre les vainqueurs et à prendre parti pour les vaincus, qui représentaient à leurs yeux la cause de la patrie, de la liberté, de la démocratie. La commune tout entière suivit héroïquement leur exemple.

Victrix causa diis placuit, sed vicia Catoni.

L'agent national reçut à cinq heures, par l'entremise du commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, notification du décret d'arrestation des deux Robespierre, de Saint-Just, de Couthon, Le Bas et autres[331]. Précisément à la même heure, le conseil général de la commune, réuni en assemblée extraordinaire à la nouvelle des événements du jour, venait d'ouvrir sa séance sous la présidence du maire. Quatre-vingt-onze membres étaient présents. Citoyens, dit Fleuriot-Lescot, c'est ici que la patrie a été sauvée au 10 août et au 31 mai ; c'est encore ici qu'elle sera sauvée. Que tous les citoyens se réunissent donc à la commune ; que l'entrée de ses séances soit libre à tout le monde sans qu'on exige l'exhibition de cartes ; que tous les membres du conseil fassent le serment de mourir à leur poste[332]. Aussitôt, tous les membres de se lever spontanément et de prêter avec enthousiasme ce serment qu'ils auront à tenir, hélas ! avant si peu de temps. L'agent national prend ensuite la parole et peint, sous les plus sombres couleurs, les dangers courus par la liberté. Il trace un parallèle écrasant entre les proscripteurs et les proscrits : ceux-ci, qui s'étaient toujours montrés les constants amis du peuple ; ceux-là, qui ne voyaient dans la Révolution qu'un moyen de fortune et qui, par leurs actes, semblaient s'être attachés à déshonorer la République. Sans hésitation aucune, le conseil général adhère à toutes les propositions du maire et de l'agent national, et chacun de ses membres, pour revendiquer sa part de responsabilité dans les mesures prises, va courageusement signer la feuille de présence, signant ainsi son arrêt de mort[333].

Tout d'abord, deux officiers municipaux sont chargés de se rendre sur la place de Grève et d'inviter le peuple à se joindre à ses magistrats afin de sauver la patrie et la liberté. On décide ensuite l'arrestation des nommés Collot-d’Herbois, Amar, Léonard Bourdon, Dubarran, Fréron, Tallien, Panis. Carnot, Dubois-Crancé, Vadier, Javogues, Fouché, Granet et Moyse Bayle, pour délivrer la Convention de l'oppression où ils la retiennent. Une couronne civique est promise aux généreux citoyens qui arrêteront ces ennemis du peuple[334]. Puis, le maire prend le tableau des Droits de l'homme et donne lecture de l'article où il est dit que, quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple le plus saint et le plus indispensable des devoirs. Successivement on arrête : que les barrières seront fermées ; que le tocsin de la ville sera sonné et le rappel battu dans toutes les sections ; que les ordres émanant des comités de Salut public et de Sûreté générale seront considérés comme non avenus ; que toutes les autorités constituées et les commandants de la force armée des sections se rendront sur-le-champ à l'Hôtel de Ville afin de prêter serment de fidélité au peuple ; que les pièces de canon de la section des Droits de l'homme seront placées en batterie sur la place de la commune ; que toutes les sections seront convoquées sur-le-champ pour délibérer sur les dangers de la patrie et correspondront de deux heures en deux heures avec le conseil général ; qu'il sera écrit à tous les membres de la commune du 10 août de venir se joindre au conseil général pour aviser avec lui aux moyens de sauver la patrie[335] ; enfin que le commandant de la force armée dirigera le peuple contre les conspirateurs qui opprimaient les patriotes, et qu'il délivrera la Convention de l'oppression où elle était plongée[336].

Le substitut de l'agent national, Lubin, avait assisté à la séance de l'Assemblée. Il raconte les débats et les scènes dont il a été témoin, l'arrestation des deux Robespierre, de Saint-Just, de Couthon et de Le Bas. Aussitôt il est enjoint aux administrateurs de police de prescrire aux concierges des différentes maisons d'arrêt de ne recevoir aucun détenu et de ne donner aucune liberté sans un ordre exprès de l'administration de police[337]. Puis, sur la proposition du substitut de l'agent national, une députation est envoyée aux Jacobins afin de les inviter à fraterniser avec le conseil général. Cependant les moments sont précieux : il ne faut pas les perdre en discours, mais agir, disent quelques membres. Jusque-là, du reste, chaque parole avait été un acte. Le conseil arrête une mesure d'une extrême gravité en décidant que des commissaires pris dans son sein iront, accompagnés de la force armée, délivrer Robespierre et les autres prisonniers arrêtés. Enfin, en réponse à la proclamation conventionnelle, il adopte l'adresse suivante et en vote l'envoi aux quarante-huit sections : Citoyens, la patrie est plus que jamais en danger. Des scélérats dictent des lois à la Convention, qu'ils oppriment. On proscrit Robespierre, qui fit déclarer le principe consolant de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme ; Saint-Just, cet apôtre de la vertu, qui fit cesser les trahisons du Rhin et du Nord, qui, ainsi que Le Bas, fit triompher les armes de la République ; Couthon, ce citoyen vertueux qui n'a que le cœur et la tête de vivant, mais qui les a brûlants de l'ardeur du patriotisme ; Robespierre le jeune, qui présida aux victoires de l'armée d'Italie. Venait ensuite l'énumération des principaux auteurs du guet-apens thermidorien. Quels étaient-ils ? Un Amar, noble de trente mille livres de rente ; l'ex-vicomte du Barran, et des monstres de cette espèce. Collot-d’Herbois y était qualifié de partisan de Danton, et accusé d'avoir, du temps où il était comédien, volé la caisse de sa troupe. On y nommait encore Bourdon (de l'Oise), l'éternel calomniateur, et Barère, qui tour à tour avait appartenu à toutes les factions. La conclusion était celle-ci : Peuple, lève-toi ! ne perds pas le fruit du 10 août et du 31 mai ; précipitons au tombeau tous ces traîtres[338].

Le sort en est jeté ! Au coup d'État de la Convention la commune oppose l'insurrection populaire. On voit quelle énergie suprême elle déploya en ces circonstances sous l'impulsion des Fleuriot-Lescot, des Payan, des Coffinhal et des Lerebours. Si tous les amis de Robespierre eussent montré la même résolution et déployé autant d'activité, c'en était fait de la faction thermidorienne, et la République sortait triomphante et radieuse de la rude épreuve où, hélas ! elle devait être frappée à mort.

 

XXVII

La nouvelle de l'arrestation de Robespierre causa et devait causer dans Paris une sensation profonde. Tout ce que ce berceau de la Révolution contenait de patriotes sincères, de républicains honnêtes et convaincus, en fut consterné. Qu'elle ait été accueillie avec une vive satisfaction par les royalistes connus ou déguisés, cela se comprend de reste, Maximilien étant avec raison regardé, comme la pierre angulaire de l'édifice républicain. Mais fut-elle, suivant l'assertion de certains écrivains, reçue comme un signe précurseur du renversement de l'échafaud[339] ? Rien de plus contraire à la vérité. Quand la chute de Robespierre fut connue dans les prisons, il y eut d'abord parmi la plupart des détenus un sentiment d'anxiété et non pas de contentement, comme on l'a prétendu après coup. Au Luxembourg, le député Bailleul, un de ceux qu'il avait sauvés de l'échafaud, se répandit en doléances[340], et nous avons déjà parlé de l'inquiétude ressentie dans certains départements quand on y apprit les événements de Thermidor. Parmi les républicains, et même dans les rangs opposés, on se disait à mi-voix : Nos malheurs ne sont pas finis, puisqu'il nous reste encore des amis et des parents, et que MM. Robespierre sont morts[341]. Il fallut quelques jours à la réaction pour être tout à fait certaine de sa victoire et se rendre compte de tout le terrain qu'elle avait gagné à la mort de Robespierre.

On doit, en conséquence, ranger au nombre des mensonges de la réaction l'histoire fameuse de la dernière charrette, menée de force à la place du Trône au milieu des imprécations populaires. D'aucuns vont jusqu'à assurer que les gendarmes, Hanriot à leur tête, durent disperser la foule à coups de sabre[342]. Outre qu'il est difficile d'imaginer un général en chef escortant de sa personne une voiture de condamnés, Hanriot avait à cette heure bien autre chose à faire. Il avait même expédié l'ordre à toute la gendarmerie des tribunaux de se rendre sur la place de la maison commune, et les voitures contenant les condamnés furent abandonnées en route par les gendarmes d'escorte, assure un historien royaliste[343] ; si donc elles parvinrent à leur funèbre destination, ce fut parce que la foule dont les rues étaient encombrées le voulut bien. Il était plus de cinq heures quand les sinistres charrettes avaient quitté le Palais de justice[344], or, à cette heure les conjurés étaient vainqueurs à la Convention, et rien n'était plus facile aux comités, s'ils avaient été réellement animés de l'esprit de modération dont ils se sont targués depuis, d'empêcher l'exécution et de suspendre au moins pour un jour cette Terreur dont la veille Robespierre avait dénoncé les excès ; mais ils n'y songèrent pas un instant, tellement peu ils avaient l'idée de briser l'échafaud. La dernière charrette ! quelle mystification ! Ah ! bien souvent encore il portera sa proie à la guillotine, le hideux tombereau ! Seulement ce ne seront plus des ennemis de la Révolution, ce seront des patriotes coupables d'avoir trop aimé la République que plus d'une fois la réaction jettera en pâture au bourreau.

Une chose rendait incertaine la victoire des conjurés malgré la force énorme que leur donnait l'appui légal de la Convention, c'était l'amitié bien connue du général Hanriot pour Robespierre. Aussi s'était-on empressé de le décréter d'arrestation un des premiers. Si la force armée parisienne demeurait fidèle à son chef, la cause de la justice l'emportait infailliblement. Malheureusement la division se mit dès la première heure dans la garde nationale et dans l'armée de Paris, en dépit des efforts d'Hanriot. On a beaucoup récriminé contre cet infortuné général ; personne n'a été plus que lui victime de l'injustice et de la calomnie. Tous les partis semblent s'être donné le mot pour le sacrifier[345], et personne avant nous n'avait songé à fouiller un peu profondément dans la vie de cet homme pour le présenter sous son vrai jour. Il est temps d'en finir avec cette ivresse légendaire dont on l'a gratifié et qui vaut le fameux verre de sang de Mlle de Sombreuil[346]. Peut-être Hanriot manqua-t-il du coup d'œil, de la promptitude d'esprit, de la décision, en un mot des qualités d'un grand militaire, qui eussent été nécessaires dans une pareille journée, mais le dévouement ne lui fit pas un instant défaut.

A la nouvelle de l'arrestation des cinq députés il monta résolument à cheval avec ses aides de camp, prit les ordres de la commune, fit appel au patriotisme des canonniers, convoqua la première légion tout entière, et quatre cents hommes de chacune des autres légions, donna l'ordre à toute la gendarmerie de se porter à la maison commune, prescrivit à la commission des poudres et de l'Arsenal de ne rien délivrer sans l'ordre exprès du maire ou du conseil général, convoqua tous les citoyens dans leurs arrondissements respectifs en les invitant à attendre les décisions de la commune, installa une réserve de deux cents hommes à la commune pour se tenir à la disposition des magistrats du peuple, fit battre partout la générale et envoya des gendarmes fermer les barrières ; tout cela en moins d'une heure[347]. Il faut lire les ordres dictés par Hanriot ou écrits de sa main dans cette journée du 9 Thermidor, et qui ont été conservés, pour se former une idée exacte de l'énergie et de l'activité déployées par ce général[348]. Suivi de quelques aides de camp et d'une très-faible escorte, il se dirigea rapidement vers les Tuileries afin de délivrer les députés détenus au comité de Sûreté générale sous la garde de quelques gendarmes. Ayant rencontré dans les environs du Palais-Royal le député Merlin (de Thionville) dont le nom avait été prononcé à la commune comme étant celui d'un des conjurés, il se saisit de lui et le confina au poste du jardin Égalité. Jusqu'à ce moment de la journée, Merlin n'avait joué aucun rôle actif, attendant l'issue des événements pour se déclarer.

En se voyant arrêté, il protesta très-hautement, assure-t-on, de son attachement à Robespierre et de son mépris pour les conjurés[349].

La nuit venue, il tiendra un tout autre langage, mais à une heure où la cause de la commune se trouvera bien compromise.

Cependant Hanriot avait poursuivi sa course. Arrivé au comité de Sûreté générale, il y pénétra avec ses aides de camp, laissant son escorte à la porte. Ce fut un tort, il compta trop sur son influence personnelle et sur la déférence des soldats pour leur général. Robespierre et ses amis se trouvaient encore au comité. Il engagea vivement Hanriot à ne pas user de violence. Laissez-moi aller au tribunal, dit-il, je saurai bien me défendre[350]. Néanmoins Hanriot persista à vouloir emmener les prisonniers ; mais il trouva dans les hommes qui gardaient le poste du comité de Sûreté générale une résistance inattendue. Des grenadiers de la Convention, aidés d'une demi-douzaine de gendarmes de la 29e division, se jetèrent sur le général et ses aides de camp et les garrottèrent à l'aide de grosses cordes[351]. Les députés furent transférés dans la salle du secrétariat, où on leur servit à dîner, et bientôt après, entre six et sept heures, on les conduisit dans différentes prisons. Maximilien fut mené au Luxembourg, son frère à Saint-Lazare d'abord, puis à la Force, Le Bas à la Conciergerie[352], Couthon à la Bourbe, et Saint-Just aux Ecossais. Nous verrons tout à l'heure comment le premier fut refusé par le concierge de la maison du Luxembourg et comment ses amis se trouvèrent successivement délivrés.

 

XXVIII

Tandis que la commune de Paris s'efforçait d'entraîner la population parisienne à résister par la force au coup d'État de la Convention, les comités de Salut public et de Sûreté générale ne restaient pas inactifs, et aux arrêtés de la municipalité ils répondaient par des arrêtés contraires. Ainsi : défense de fermer les barrières et de convoquer les sections, ils avaient peur du peuple assemblé ; ordre d'arrêter ceux qui sonneraient le tocsin et les tambours qui battraient le rappel ; défense aux chefs de légion d'exécuter les ordres donnés par Hanriot, etc. En même temps ils lançaient des mandats d'arrestation contre le maire, Lescot-Fleuriot, contre tous les membres de l'administration de police et les citoyens qui ouvertement prenaient part à la résistance, et ils invitaient les comités de section, notamment ceux des Arcis et de l'Indivisibilité à faire cesser les rassemblements en apprenant au peuple que les représentants décrétés d'arrestation par l'Assemblée étaient les plus cruels ennemis de la liberté et de l'égalité. On verra bientôt à l'aide de quel stratagème les Thermidoriens essayèrent de justifier cette audacieuse assertion. De plus, les comités convoquaient autour de la Convention la force armée des sections de Guillaume Tell, des Gardes françaises et de la Montagne (Butte des Moulins)[353]. Cette dernière section avait dans tous les temps montré peu de penchant pour la Révolution, et l'on songea sans aucun doute à tirer parti de ses instincts réactionnaires. Enfin le commandant de l'école de Mars, le brave Labretèche, à qui la Convention avait décerné jadis une couronne civique et un sabre d'honneur, était arrêté à cause de son attachement pour Robespierre, et Carnot mandait autour de la Convention nationale les jeunes patriotes du camp des Sablons[354].

Les Jacobins de leur côté s'étaient réunis précipitamment à la nouvelle des événements ; il n'y eut de leur part ni hésitation ni faiblesse. Ils ne se ménagèrent donc pas, comme on l'a écrit fort légèrement[355], ceux du moins — et c'était le plus grand nombre qui appartenaient au parti de la sagesse et de la justice représenté par Robespierre, caries conjurés de Thermidor comptaient au sein de la grande société quelques partisans dont les rangs se grossirent, après la victoire, de cette masse d'indécis et de timorés toujours prêts à se jeter entre les bras des vainqueurs. Un républicain d'une énergie rare, le citoyen Vivier, prit le fauteuil. A peine en séance, les Jacobins reçurent du comité de Sûreté générale l'ordre de livrer le manuscrit du discours prononcé la veille par Robespierre et dont ils avaient ordonné l'impression. Refus de leur part, fondé sur une exception d'incompétence[356]. Sur-le-champ ils se déclarèrent en permanence, approuvèrent au milieu des acclamations tous les actes de la commune, au fur et à mesure qu'ils en eurent connaissance, et envoyèrent une députation au conseil général pour jurer de vaincre ou de mourir, plutôt que de subir un instant le joug des conspirateurs. Il était alors sept heures[357].

La société décida ensuite, par un mouvement spontané, qu'elle ne cesserait de correspondre avec la commune au moyen de députations et qu'elle ne se séparerait qu'après que les manœuvres des traîtres seraient complètement déjouées[358]. Elle reçut du reste, du conseil général lui-même, l'invitation expresse de ne pas abandonner le lieu de ses séances[359], et l'énorme influence des Jacobins explique suffisamment pourquoi la commune jugea utile de les laisser agir en corps dans leur local ordinaire, au lieu de les appeler à elle. Le député Brival s'étant présenté, on le pria de rendre compte de la séance de la Convention. Il le fit rapidement. Le président lui demanda alors qu'elle avait été son opinion. Il répondit qu'il avait voté pour l'arrestation des deux Robespierre, de Saint-Just.

de Couthon et de Le Bas. Aussitôt il se vit retirer sa carte de Jacobin et quitta tranquillement la salle. Mais sur une observation du représentant Chasles, et pour éviter de nouvelles divisions, la société rapporta presque immédiatement l'arrêté par lequel elle venait de rayer de la liste de ses membres le député Brival, à qui un commissaire fut chargé de rendre sa carte[360]. Comme la commune, elle déploya une infatigable énergie ; un certain nombre de ses membres se répandirent dans les assemblées sectionnaires pour les encourager à la résistance, et, du rapport de ces commissaires il résulte que jusqu'à l'heure de la catastrophe la majorité des sections penchait pour la commune. A deux heures et demie du matin, elle recevait encore une députation du conseil général, et chargeait les citoyens Duplay, l'hôte de Maximilien, Gauthier, Roskenstroch, Didier, Faro, Dumont, Accart, Lefort, Lagarde et Versenne, de reconduire cette députation et de s'unir à la commune, afin de veiller avec elle au salut de la chose publique[361]. Mais déjà tout était fini : il avait suffi de la balle d'un gendarme pour décider des destinées de la République.

Avec Robespierre finit la période glorieuse et utile des Jacobins : Maximilien tombé, ils tombèrent également, et dans leur chute ils entraînèrent les véritables principes de la démocratie, dont ils semblaient être les représentants et les défenseurs jurés. A cette grande école du patriotisme va succéder l'école des mauvaises mœurs, des débauches et de l'assassinat. Foin des doctrines sévères de la Révolution ! Arrière les ennuyeux sermonneurs, les prêcheurs de liberté et d'égalité ! Il est temps de jouir. A nous les châteaux, à nous les courtisanes, à nous les belles émigrées dont les sourires ont fléchi nos cœurs de tigres ! peuvent désormais s'écrier les sycophantes de Thermidor. Et tous de suivre à l'envi le chœur joyeux de l'orgie lestement mené par Thérézia Cabarrus devenue Mme Tallien, et par Barras, tandis que dans l'ombre, à l'écart, gémissaient, accablés de remords, les démocrates imprudents qui n'avaient pas défendu Robespierre contre les coups des assassins.

Nous avons eu en ces derniers temps, et nous avons aujourd'hui encore la douleur d'entendre insulter la mémoire des Jacobins par certains écrivains ou rhéteurs affichant cependant une tendresse sans égale pour les doctrines de la Révolution française. Je ne sais en vérité où ces étranges libéraux, ces soi-disant démocrates ont appris l'histoire de notre Révolution. Si ce n'est insigne mauvaise foi, c'est à coup sûr ignorance inouïe de leur part que d'oser nous présenter les Jacobins comme ayant peuplé les antichambres consulaires et monarchiques. Ouvrez les almanachs impériaux et royaux, vous y verrez figurer les noms de quelques anciens Jacobins, et surtout ceux d'une foule de Girondins ; mais les membres du fameux club qu'on vit revêtus du manteau de sénateur, investis de fonctions lucratives et affublés de titres de noblesse, furent précisément les alliés et les complices des Thermidoriens, les Jacobins de Fouché et d'Élie Lacoste. Quant aux vrais Jacobins, quant à ceux qui demeurèrent toujours fidèles à la pensée de Robespierre, il faut les chercher sous la terre, dans le linceul sanglant des victimes de Thermidor ; il faut les chercher sur les plages brûlantes de Sinnamari et de Cayenne, non dans les antichambres du premier consul.

Près de cent vingt périrent dans la catastrophe où sombra Maximilien ; c'était déjà une assez jolie trouée au cœur de la société. On sait comment le reste fut dispersé et décimé par des proscriptions successives, on sait comment le hideux Fouché profita d'un attentat royaliste pour débarrasser son maître de ces fiers lutteurs de la démocratie et déporter le plus grand nombre de ces anciens collègues qui un jour, à la voix de Robespierre, l'avaient comme indigne chassé de leur sein. Chaque fois que depuis Thermidor la voix de la liberté proscrite trouva en France quelques échos, ce fut dans le cœur de ces Jacobins qu'une certaine école libérale se fait un jeu de calomnier aujourd'hui. C'est de leur poussière que sont nés les plus vaillants et les plus dévoués défenseurs de la démocratie ; ce sont nos saints et nos martyrs ; ne laissons donc pas injurier impunément leur mémoire, et quand nous en parlons que ce soit avec respect et avec reconnaissance.

 

XXIX

Il ne suffisait pas, du reste, du dévouement et du patriotisme des Jacobins pour assurer dans cette journée la victoire au parti de la justice et de la démocratie, il fallait encore que la majorité des sections se prononçât résolument contre la Convention nationale. Un des premiers soins de la commune avait été de convoquer extraordinairement les assemblées sectionnaires, ce jour-là n'étant point jour de séance. Toutes répondirent avec empressement à l'appel du conseil général. Les sections comprenant la totalité de la population parisienne, il est absolument contraire à la vérité de croire, avec un historien de nos jours, à la neutralité de Paris dans cette nuit fatale[362]. Les masses furent sur pied, flottantes, irrésolues, incertaines, penchant plutôt cependant du côté de la commune ; et si, tardivement, chacun prit parti pour la Convention, ce fut grâce à l'irrésolution de Maximilien et surtout grâce au coup de pistolet du gendarme Merda.

Trois sources d'informations existent qui sembleraient devoir nous renseigner suffisamment sur le mouvement des sections dans la soirée du 9 et dans la nuit du 9 au 10 thermidor : ce sont, d'abord, les registres des procès-verbaux des assemblées sectionnaires[363] ; puis les résumés de ces procès-verbaux, insérés par Courtois à la suite de son rapport sur les événements du 9 Thermidor[364] ; enfin les rapports adressés à Barras par les divers présidents de section quelques jours après la catastrophe[365]. Mais ces trois sources d'informations sont également suspectes. De la dernière il est à peine besoin de parler ; on sent assez dans quel esprit ont dû être conçus des rapports rédigés à la demande expresse des vainqueurs quatre ou cinq jours après la victoire. C'est le cas de répéter le décevant axiome : Malheur aux vaincus !

Suivant les procès-verbaux consignés dans les registres des sections et les résumés qu'en a donnés Courtois, il semblerait que la plus grande partie des sections — assemblées générales, comités civils et comités révolutionnaires — se fussent, dès le premier moment, jetés d'enthousiasme entre les bras de la Convention, après s'être énergiquement prononcées contre le conseil général de la commune. C'est là, on peut l'affirmer, une chose complètement contraire à la vérité. Les procès-verbaux sont d'abord, on le sait, rédigés sur des feuilles volantes, puis mis au net, et couchés sur des registres par les secrétaires. Or, il me paraît hors de doute que ceux des 9 et 10 thermidor ont été profondément modifiés dans le sens des événements ; ils eussent été tout autres si la commune l'avait emporté. N'ont point tenu de procès-verbaux, ou ne les ont pas reportés sur leurs registres, les sections du Muséum (Louvre)[366], du Pont-Neuf[367], des Quinze-Vingts (faubourg Saint-Antoine)[368], de la Réunion[369], de l'Indivisibilité[370] et des Champs-Elysées[371]. De ces six sections, la première et la dernière seules ne prirent pas résolument parti pour la commune ; les autres tinrent pour elle jusqu'au dernier moment. Plus ardente encore se montra celle de l'Observatoire, qui ne craignit pas de transcrire sur ses registres l'extrait suivant de son procès-verbal[372] : La section a ouvert la séance en vertu d'une convocation extraordinaire envoyée par le conseil général de la commune. Un membre a rendu compte des évènements importants qui ont eu lieu aujourd'hui. L'assemblée, vivement affligée de ces évènements alarmants pour la liberté et de l'avis qu'elle reçoit d'un décret qui met hors la loi des hommes jusqu'ici regardés comme des patriotes zélés pour la défense du peuple, arrête qu'elle se déclare permanente et qu'elle ajourne sa séance à demain, huit heures du matin. Mais toutes les sections n'eurent pas la même fermeté.

Selon moi, voici ce qui se passa dans la plupart des sections parisiennes. Elles savaient fort bien quel était l'objet de leur convocation, puisqu'à chacune d'elles la commune avait adressé la proclamation dont nous avons cité la teneur. Au premier moment elles durent prendre parti pour le conseil général. A dix heures du soir, vingt-sept sections avaient envoyé des commissaires pour fraterniser avec lui et recevoir ses ordres[373]. Nous avons sous les yeux les pouvoirs régulièrement donnés à cet effet par quinze d'entre elles à un certain nombre de leurs membres[374], sans compter l'adhésion particulière de divers comités civil et révolutionnaire de chacune d'elles. Plusieurs, comme les sections Poissonnière, de Brutus, de Bondy, de la Montagne et autres, s'empressèrent d'annoncer à la commune qu'elles étaient debout et veillaient pour sauver la patrie[375]. Celle de la Cité, qu'on présente généralement comme s'étant montrée très-opposée à la commune, lui devint en effet fort hostile, mais après la victoire de la Convention. A cet égard nous avons un aveu très-curieux du citoyen Leblanc, lequel assure que le procès-verbal de la séance du 9 a été tronqué[376]. On y voit notamment que le commandant de la force armée de cette section, ayant reçu de l'administrateur de police Tanchoux l'ordre de prendre sous sa sauvegarde et sa responsabilité la personne de Robespierre, refusa avec indignation et dénonça le fonctionnaire rebelle[377]. Or, les choses s'étaient passées tout autrement. Cet officier, nommé Vanheck, avait au contraire très-chaudement pris la parole en faveur des cinq députés arrêtés. Racontant la séance de la Convention à laquelle il avait assisté, et où, selon lui, les vapeurs du nouveau Marais infectaient les patriotes, il s'était écrié : Toutes les formes ont été violées ; à peine un décret d'arrestation était-il proposé qu'il était mis aux voix et adopté. Nulle discussion. Les cinq députés eut demandé la parole sans l'obtenir ; ils sont maintenant à l'administration de police[378]. Invité à prendre ces représentants sous sa sauvegarde, il s'y était refusé en effet, par prudence sans doute, mais en disant qu'à ses yeux Robespierre était innocent. Il y a loin de là, on le voit, à cette indignation dont parle le procès-verbal remanié après coup. Eh bien ! pareille supercherie eut lieu, on peut en être certain, pour les procès-verbaux de presque toutes les sections.

Celle des Piques (place Vendôme), dans la circonscription de laquelle se trouvait la maison de Duplay, se réunit dès neuf heures du soir, sur la convocation de la commune, et non point vers deux heures du matin seulement, comme l'allègue mensongèrement Courtois, qui d'ailleurs est obligé de convenir qu'elle avait promis de fraterniser avec la société des Jacobins, devenue complice des rebelles[379]. Le procès-verbal de cette section, très-longuement et très-soigneusement rédigé, proteste en effet d'un dévouement sans bornes pour la Convention ; mais on sent trop qu'il a été fait après coup[380]. Là, il n'est point question de l'heure à laquelle s'ouvrit la séance ; mais des pièces que nous avons sous les yeux il résulte que dès neuf heures elle était réunie ; que Maximilien Robespierre, son ancien président, y fut l'objet des manifestations les plus chaleureuses ; que l'annonce de la mise en liberté des députés proscrits fut accueillie vers onze heures avec des démonstrations de joie ; qu'on y proposa de mettre à la disposition de la commune toute la force armée de la section, et que la nouvelle du dénouement tragique et imprévu de la séance du conseil général vint seule glacer l'enthousiasme[381].

Il en fut à peu près de même partout. Toutefois, dans nombre de sections, la proclamation des décrets de mise hors la loi dont nous allons parler bientôt commença de jeter une hésitation singulière et un découragement profond. Ajoutez à cela les stratagèmes et les calomnies dont usèrent certains membres de la Convention pour jeter le désarroi parmi les patriotes. A la section de Marat (Théâtre-Français), Léonard Bourdon vint dire que, si jusqu'alors les cendres de Marat n'avaient pas encore été portées au Panthéon, c'était par la basse jalousie de Robespierre, mais qu'elles allaient y être incessamment transférées[382]. Le député Crassous, patriote égaré qu'à moins d'un mois de là on verra lutter énergiquement contre la terrible réaction fille de Thermidor, annonça à la section de Brutus qu'on avait trouvé sur le bureau de la municipalité un cachet à fleurs de lis[383], odieux mensonge inventé par Vadier qui s'en excusa plus tard en disant que le danger de perdre la tête donnait de l'imagination[384]. Il suffit de la nouvelle du meurtre de Robespierre et de la dispersion des membres de la commune pour achever de mettre les sections en déroute. Ce fut un sauve qui peut général. Chacun d'abjurer et de se rétracter au plus vite[385]. Le grand patriote, qui peu d'instants auparavant comptait encore tant d'amis inconnus, tant de partisans, tant d'admirateurs passionnés, se trouva abandonné de tout le monde. Les sections renièrent à l'envi Maximilien ; mais en le reniant, en abandonnant à ses ennemis cet intrépide défenseur des droits du peuple, elles accomplirent un immense suicide ; la vie se retira d'elles ; à partir du 9 Thermidor — elles rentrèrent dans le néant.

 

XXX

On peut juger de quelle immense influence jouissait Robespierre : il suffit de son nom dans cette soirée du 9 Thermidor pour contrebalancer l'autorité de la Convention tout entière ; et l'on comprend maintenant les inquiétudes auxquelles fut en proie l'Assemblée quand elle rentra en séance. Le peuple se portait autour d'elle menaçant[386] ; les conjurés durent se croire perdus.

Le conseil général de la commune siégeait sans désemparer, et continuait de prendre les mesures les plus énergiques. A la nouvelle de l'arrestation d'Hanriot il nomma, pour le remplacer, le citoyen Giot, de la section du Théâtre-Français, lequel, présent à la séance, prêta sur-le-champ serment de sauver la patrie, et sortit aussitôt pour se mettre à la tête de la force armée[387]. Après avoir également reçu le serment d'une foule de commissaires de sections, le conseil arrêta, sur a proposition d'un de ses membres, la nomination d'un comité exécutif provisoire composé de neuf membres, qui furent : Payan, Coffinhal, Louvet, Lerebours, Legrand, Desboisseau, Chatelet, Arthur et Grenard. Douze citoyens, pris dans le sein du conseil général, furent aussitôt chargés de veiller à l'exécution des arrêtés du comité provisoire[388]. Il fut ordonné à toute personne de ne reconnaître d'autre autorité que celle de la commune révolutionnaire et d'arrêter tous ceux qui, abusant de la qualité de représentants du peuple, feraient des proclamations perfides, et mettraient hors la loi ses défenseurs[389].

Cependant il avait été décidé qu'on délivrerait, à main armée s'il en était besoin, Robespierre, Couthon et tous les patriotes détenus au conseil général. Ame intrépide, Coffinhal s'était chargé de cette expédition. Il partit à la tête de quelques canonniers et se porta rapidement vers les Tuileries. Mais quand il pénétra dans les salles du comité de Sûreté générale, Hanriot seul s'y trouvait. Les gendarmes, chargés de la garde du général et de ses aides de camp n'opposèrent aucune résistance. Libre de ses liens, Hanriot monta à cheval dans la cour, et fut reçu avec les plus vives démonstrations de fidélité et de dévouement par les troupes dont elle se trouvait garnie[390]. La Convention était rentrée en séance depuis une heure environ, et successivement elle avait entendu Bourdon (de l'Oise), Merlin (de Thionville), Legendre, Rovère et plusieurs autres conjurés ; chacun racontant à sa manière les divers incidents de la soirée. Billaud-Varenne déclamait a la tribune, quand Collot-d’Herbois monta tout effaré au fauteuil, en s'écriant : Voici l'instant de mourir à notre poste. Et il annonça l'envahissement du comité de Sûreté générale par une force armée. Nul doute, je le répète, qu'en cet instant les conjurés et toute la partie gangrenée de la Convention ne se crurent perdus. L'Assemblée était fort perplexe ; elle était à peine gardée, et autour d'elle s'agitait une foule hostile. Ce fut là qu'Hanriot manqua de cet esprit d'initiative, de cette précision de coup d'œil qu'il eût fallu en ces graves circonstances au général de la commune. Si, ne prenant conseil que de son inspiration personnelle, il eût résolument marché sur la Convention, c'en était fait de la conspiration thermidorienne. Mais un arrêté du comité d'exécution lui enjoignait de se rendre sur le champ au sein du conseil général[391]. il ne crut pas pouvoir se dispenser d'y obéir, et courut à toute bride vers l'Hôtel de Ville.

Quand il parut à la commune, où sa présence fut saluée des plus vives acclamations[392], Robespierre jeune y était déjà. Conduit d'abord à la maison de Saint-Lazare, où il n'avait pas été reçu parce qu'il n'y avait point de secret dans cette prison, Augustin avait été mené à la Force ; mais là s'étaient trouvés deux officiers municipaux qui l'avaient réclamé au nom du peuple et étaient accourus avec lui à la commune. Chaleureusement accueilli par le conseil général, il dépeignit, dans un discours énergique et vivement applaudi, les machinations odieuses dont ses amis et lui étaient victimes. Il eut soin du reste de mettre la Convention hors de cause, et se contenta d'imputer le décret d'accusation à quelques misérables conspirant au sein même de l'Assemblée[393]. A peine avait-il fini de parler que le maire, sentant combien il était urgent, pour l'effet moi al, de posséder Maximilien à la commune, proposa au conseil de l'envoyer chercher par une députation spécialement chargée de lui faire observer qu'il ne s'appartenait pas, mais qu'il se devait tout entier à la patrie et au peuple[394]. Fleuriot-Lescot connaissait le profond respect de Robespierre pour la Convention, son attachement à la légalité, et il n'avait pas tort, on va le voir, en s'attendant à une vive résistance de sa part.

Transféré vers sept heures à la prison du Luxembourg, sous la garde du citoyen Chanlaire, de l'huissier Filleul et du gendarme Lemoine[395], Maximilien avait été refusé par le concierge, en vertu d'une injonction des administrateurs de police de ne recevoir aucun détenu sans leur ordre. Il insista vivement pour être incarcéré. Esclave du devoir, il voulait obéir quand même au décret qui le frappait. Je saurai bien me défendre devant le tribunal, dit-il. En effet, il pouvait être assuré d'avance d'un triomphe éclatant, et il ne voulait l'emporter sur ses ennemis qu'avec les armes de la légalité.

Billaud-Varenne ne se trompait pas en écrivant ces lignes[396] : Si, dans la journée du 9 Thermidor, Robespierre, au lieu de se faire enlever pour se rendre à la commune et y arborer l'étendard de la révolte, eût obéi aux décrets de la Convention nationale, qui peut calculer ce que l'erreur, moins affaiblie par cette soumission, eût pu procurer de chances favorables à son ascendant ? La volonté de Maximilien échoua devant la résistance d'un guichetier[397].

Du Luxembourg, Robespierre avait été conduit à l'administration de police située à côté de la mairie, sur le quai des Orfèvres, dans, les bâtiments aujourd'hui démolis qu'occupait la préfecture de police. Il y fut reçu avec les transports du plus vif enthousiasme, aux cris de Vive Robespierre[398] ! Il pouvait être alors huit heures et demie. Peu après se présenta la députation chargée de l'amener au sein du conseil général. Tout d'abord Maximilien se refusa absolument à se rendre à cette invitation. Non, dit-il encore, laissez-moi paraître devant mes juges. La députation se retira déconcertée. Mais le conseil général, jugeant indispensable la présence de Robespierre à l'Hôtel de Ville, dépêcha auprès de lui une nouvelle députation aux vives instances de laquelle Robespierre céda enfin. Il la suivit à la commune, où l'accueillirent encore les plus chaleureuses acclamations[399]. Mais que d'heures perdues déjà !

En même temps que lui parurent ses chers et fidèles amis, Saint-Just et Le Bas, qu'on venait d'arracher l'un et l'autre aux prisons où les avait fait transférer le comité de Sûreté générale. Au moment où Le Bas sortait de la Conciergerie, un fiacre s'arrêtait au guichet de la prison, et deux jeunes femmes en descendaient tout éplorées. L'une était Élisabeth Duplay, l'épouse du proscrit volontaire, qui, souffrante encore, venait apporter à son mari divers effets, un matelas, une couverture ; l'autre, Henriette Le Bas, celle qui avait dû épouser Saint-Just. En voyant son mari libre, et comme emmené en triomphe par une foule ardente, Mme Le Bas éprouva tout d'abord un inexprimable sentiment de joie, courut vers lui, se jeta dans ses bras, et se dirigea avec lui du côté de l'Hôtel de Ville. Mais de noirs pressentiments assiégeaient l'âme de Philippe. Sa femme nourrissait, il voulut lui épargner de trop fortes émotions, et l'engagea vivement à retourner chez elle, en lui adressant mille recommandations au sujet de leur fils. Ne lui fais pas haïr les assassins de son père, dit-il ; inspire-lui l'amour de la patrie ; dis-lui bien que son père est mort pour elle... Adieu, mon Elisabeth, adieu ![400] Ce furent ses dernières paroles, et ce fut. un irrévocable adieu.

Quelques instants après cette scène, la barrière de l'éternité s'élevait entre le mari et la femme.

 

XXXI

La présence de Robespierre à la commune sembla redoubler l'ardeur patriotique et l'énergie du conseil général ; on y voyait le gage assuré d'une victoire prochaine, car on ne doutait pas que l'immense majorité de la population parisienne ne se ralliât à ce nom si grand et si respecté.

Le conseil général se composait de quatre-vingt-seize notables et de quarante-huit officiers municipaux formant le corps municipal, en tout cent quarante-quatre citoyens élus par les quarante-huit sections de la ville de Paris. Dans la nuit du 9 au 10 thermidor, quatre-vingt-onze membres signèrent la liste de présence, c'est-à-dire leur arrêt de mort pour la plupart. D'autres vinrent-ils ? c'est probable ; mais ils ne signèrent pas, et évitèrent ainsi la proscription sanglante qui frappa leurs malheureux collègues. Parmi les membres du conseil général figuraient un certain nombre de citoyens appartenant au haut commerce de la ville, comme Arthur, Grenard, Avril ; beaucoup de petits marchands, un notaire comme Delacour ; quelques hommes de loi, des employés, des artistes, comme Lubin, Fleuriot-Lescot, Beauvallet, Cietty, Louvet, Jault ; deux ou trois hommes de lettres, des médecins, des rentiers et plusieurs professeurs. C'étaient presque tous des patriotes d'ancienne date, dévoués aux grandes idées démocratiques représentées par Robespierre. L'extrait suivant d'une lettre d'un officier municipal de la section du Finistère, nommé Mercier, directeur de la fabrication des assignats, lettre adressée à l'agent national Payan, peut servir à nous renseigner sur les sentiments dont la plupart étaient animés : La faction désorganisatrice, sous le voile d'un patriotisme ultra-révolutionnaire, a longtemps agité et agite encore la section du Finistère. Le grand meneur est un nommé Bouland, ci-devant garde de Monsieur. Ce motionneur à la Jacques Roux, en tonnant à la tribune contre la prétendue aristocratie marchande, a maintes fois tenté d'égarer par les plus dangereuses provocations la nombreuse classe des citoyens peu éclairés de la section du Finistère. Cette cabale a attaqué avec acharnement les révolutionnaires de 89, trop purs en probité et patriotisme pour adopter les principes désorganisateurs. Leur grand moyen était de les perdre dans l'opinion publique par les plus atroces calomnies ; quelques bons citoyens ont été leurs victimes...[401] Ne sent-on pas circuler dans cette lettre le souffle de Robespierre ? Mercier, on le voit, était digne de mourir avec lui.

Il était alors environ dix heures du soir. Il n'y avait pas de temps à perdre ; c'était le moment d'agir. Au lieu de cela, Maximilien se mit à parler au sein du conseil général, à remercier la commune des efforts tentés par elle pour l'arracher des mains d'une faction qui voulait sa perte. Les paroles de Robespierre avaient excité un irrésistible enthousiasme ; on se serrait les mains, on s'embrassait comme si la République était sauvée, tant sa seule présence inspirait de confiance[402]. Déjà, avant son arrivée, un membre avait longuement retracé, avec beaucoup d'animation, le tableau des services innombrables et désintéressés que depuis cinq ans Maximilien n'avait cessé de rendre à la patrie[403]. Le conseil général n'avait donc nul besoin d'être excité ou encouragé. C'étaient le peuple et les sections en marche qu'il eût fallu haranguer. Aussi bien le conseil venait d'ordonner que la façade de la maison commune serait sur-le-champ illuminée. C'était l'heure de descendre sur la place de Grève et de parler au peuple. Un mot de Robespierre, et les sections armées et la foule innombrable qui garnissaient les abords de l'Hôtel de Ville s'ébranlaient, se ruaient sur la Convention, jetaient l'Assemblée dehors. Mais ce mot, il ne voulut pas le dire. Pressé par ses amis de donner un signal que chacun attendait avec impatience, il refusa obstinément. Beaucoup de personnes l'ont accusé ici de faiblesse, ont blâmé ses irrésolutions ; et en effet, en voyant les déplorables résultats de la victoire thermidorienne, on ne peut s'empêcher de regretter amèrement les scrupules auxquels il a obéi.

Néanmoins, il est impossible de ne pas admirer sans réserve les motifs déterminants de son inaction. De son courage, il n'y a pas à douter. Nous en avons, depuis le commencement de cette Histoire, donné, Dieu merci ! d'assez irréfragables preuves. Mais, représentant du peuple, il ne se crut pas le droit de porter la main sur la Représentation nationale. Il lui répugnait d'ailleurs de prendre devant l'histoire la responsabilité du sang versé dans une guerre civile. Certain du triomphe en donnant contre la Convention le signal du soulèvement, il aima mieux mourir que d'exercer contre elle le droit de légitime défense. On peut être fâché que Robespierre n'ait pas résolument exécuté ce que Bonaparte fera au, 19 Brumaire, parce qu'il eût agi, lui, uniquement dans l'intérêt de la liberté et de la démocratie ; mais on n'en est que plus forcé de rendre hommage à la noblesse et à la pureté de ses vues. Par ce dévouement à la religion du devoir il donna au monde un exemple trop rare pour n'être pas loué et admiré sans réserve ; cela seul suffirait à sauver sa mémoire dans l'avenir et à le mettre au rang des grands citoyens dont s'honore l'humanité.

Tandis que l'énergie du conseil général se trouvait paralysée par les répugnances de Maximilien à entrer en révolte ouverte contre la Convention, celle-ci n'hésitait pas et prenait des mesures décisives. Un tas d'hommes qui, selon la forte expression du poète,

Si tout n'est renversé ne sauraient subsister,

les Bourdon, les Barras, les Fréron, vinrent, pour encourager l'Assemblée, lui présenter sous les couleurs les plus favorables les dispositions des sections. Sur la proposition de Voulland, elle chargea Barras de diriger la force armée contre l'Hôtel de Ville, et lui adjoignit Léonard Bourdon, Bourdon (de l'Oise), Fréron, Rovère, Delmas, Ferrand et Bollet, auxquels on attribua les pouvoirs dont étaient investis les représentants du peuple près les armées. A l'exception des deux derniers, qui n'avaient joué qu'un rôle fort effacé, on ne pouvait choisir à Barras de plus dignes acolytes. Mais les conjurés ne se montraient pas satisfaits encore : il fallait pouvoir se débarrasser, sans jugement, des députés proscrits dans la matinée ; or, ils trouvèrent un merveilleux prétexte dans le fait, de la part de ces derniers, de s'être, volontairement ou non, soustraits au décret d'arrestation. Élie Lacoste commença par demander la mise hors la loi de tous les officiers municipaux qui avaient embrassé Robespierre et l'avaient traité en frère. Décrétée au milieu des applaudissements, cette mesure ne tarda pas à être étendue à Hanriot. Personne ne parlait des députés, comme si au moment de frapper ces grandes victimes on eût été arrêté par un reste de pudeur. Bientôt toutefois Voulland, s'enhardissant, fit observer que Robespierre et tous les autres s'étaient également soustraits au décret d'arrestation, et, à sa voix, l'Assemblée les mit aussi hors la loi, toujours au milieu des plus vifs applaudissements, s'il faut en croire le Moniteur[404]. Aussitôt des émissaires sont envoyés dans toutes les directions, dans les assemblées sectionnaires, sur la place de Grève, pour y proclamer le formidable décret dont on attendait le plus grand effet. En même temps Barras, Léonard Bourdon et leurs collègues courent se mettre à la tête de la force armée, qu'ils dirigent en deux colonnes, l'une par les quais, l'autre par la rue Saint-Honoré, vers l'Hôtel de Ville. A grand'peine, ils avaient pu réunir un peu plus de deux mille hommes, mais leur troupe grossit en route, et, comme toujours, après la victoire, si victoire il y eut, elle devint innombrable. Il pouvait être en ce moment un peu plus de minuit.

Cependant le conseil général continuait de délibérer. Impossible de déployer plus d'énergie et de résolution que n'en montra le comité d'exécution. Décidé à défendre jusqu'à la mort les principes pour lesquels il était debout, il avait fait apporter des armes dans la salle de ses délibérations, voisine de celle où se tenait le conseil général[405]. De plus, il venait d'inviter de nouveau, à cette heure suprême, toutes les sections à faire sonner le tocsin, battre la générale, et à réunir leurs forces sur la place de la Maison-Commune, afin de sauver la patrie[406]. Mais cela n'était pas encore suffisant à ses yeux ; il lui paraissait nécessaire, pour achever de produire un grand effet sur les masses, d'avoir la sanction d'un grand nom populaire, du nom de Robespierre, qui équivalait à un drapeau et représentait la Convention.

Parmi les commissaires faisant fonction de ministres, deux seulement, Payan, frère aîné de l'agent national, commissaire de l'instruction publique, et Lerebours, commissaire des secours publics, prirent parti pour Robespierre. Les autres, quoique tous dévoués pour la plupart aux idées de Maximilien, jugèrent prudent d'attendre le résultat des événements. Républicain enthousiaste, patriote ardent, Lerebours s'était rendu un des premiers à la commune, où, comme ou l'a vu, il avait été nommé membre du comité d'exécution. Seul il échappa au massacre des membres de ce comité[407]. C'est sur les indications écrites, sous sa dictée, par son propre fils, que nous allons retracer la scène qui va suivre[408], et pour la description de laquelle on s'est beaucoup trop fié jusqu'ici aux relations plus ou moins mensongères de l'assassin Merda ou du mouchard Dulac, grand ami de Tallien[409]. Lerebours rédigea et écrivit de sa main l'appel suivant à la section des Piques, celle de Robespierre : COMMUNE DE PARIS. Comité d'exécution. Courage, patriotes de la section des Piques, la liberté triomphe ! Déjà ceux que leur fermeté a rendus formidables aux traîtres sont en liberté ; partout le peuple se montre digne de son caractère. Le point de réunion est à la commune. ; le brave Hanriot exécutera les ordres du comité d'exécution, qui est créé pour sauver la patrie. Puis, il signa ; avec lui signèrent : Legrand, Louvet et Payan. Il s'agissait de faire signer Robespierre, assis au centre de la salle, à la table du conseil, entre le maire Fleuriot-Lescot et l'agent national Payan. Longtemps Saint-Just, son frère et les membres du comité d'exécution le supplièrent d'apposer sa signature au bas de cet appel énergique ; mais en vain. Au nom de qui ? disait Maximilien. Au nom de la Convention, répondit Saint-Just ; elle est partout où nous sommes. Il semblait à Maximilien qu'en sanctionnant de sa signature cette sorte d'appel à l'insurrection contre la Convention, il allait jouer le rôle de Cromwell, qu'il avait si souvent flétri depuis le commencement de la Révolution, et il persista dans son refus. Couthon, tardivement arrivé[410], parla d'adresser une proclamation aux armées, convint qu'on ne pouvait écrire au nom de la Convention ; mais il engagea Robespierre à le faire au nom du peuple français, ajoutant qu'il y avait encore en France des amis de l'humanité, et que la vertu finirait par triompher[411]. La longue hésitation de Maximilien perdit tout.

Pendant ce temps, les émissaires de la Convention proclamaient, à la lueur des torches, le décret de l'Assemblée. Des fenêtres de l'Hôtel de Ville on en aperçut plusieurs au coin de la rue de la Vannerie, laquelle débouchait sur la place de Grève. Ils cherchaient à ameuter le peuple contre la commune. Quelques membres du conseil général s'offrirent d'aller les arrêter, partirent et revinrent bientôt, ramenant avec eux deux de ces émissaires. Fleuriot-Lescot donna à l'assistance lecture de la proclamation saisie sur les agents de la Convention. Parmi les signatures figurant au bas de cette pièce, il remarqua celle de David. C'est une scélératesse de plus de la part des intrigants ! s'écria-t-il ; David ne l'a pas signée, car il est chez lui malade[412]. Le grand peintre, avons-nous dit déjà, avait, sur le conseil de Barère, prudemment gardé la chambre. Ce formidable décret de mise hors la loi ne laissa pas que de produire dans les rues un très-fâcheux effet. L'ardeur d'un certain nombre de membres de la commune, ne se trouvant pas soutenue par une intervention directe de Robespierre, se ralentit singulièrement. Beaucoup de citoyens, ne sachant ce qui se passait à cette heure avancée de la nuit, rentrèrent tranquillement chez eux. Il n'est pas jusqu'au temps qui ne vînt en aide aux conjurés de la Convention. Le ciel avait été triste et sombre toute la journée. Vers minuit une pluie torrentielle tomba et ne contribua pas peu à dissiper la foule. Quand, deux heures plus tard, les colonnes conventionnelles débouchèrent sur la place de Grève, elle était presque déserte. Tandis qu'une escarmouche insignifiante s'engageait sur le quai, entre la force armée dirigée par Barras, et les canonniers restés autour d'Hanriot, Léonard Bourdon, à la tête de sa troupe, put pénétrer sans obstacle dans l'Hôtel de Ville, par le grand escalier du centre, et parvenir jusqu'à la porte de la salle de l'Égalité. Il était alors un peu plus de deux heures du matin[413]. En ce moment Robespierre, vaincu par les obsessions de ses amis et songeant, un peu tard, à la gravité des circonstances, se décidait enfin à signer l'adresse à la section des Piques. Déjà il avait écrit les deux premières lettres de son nom, Ro, quand un coup de feu, parti du couloir séparant la salle du conseil général de celle du corps municipal, retentit soudainement[414]. Aussitôt on vit Robespierre s'affaisser, la plume lui échappa des mains, et sur la feuille de papier où il avait à peine tracé deux lettres on put remarquer de larges gouttes de sang qui avaient jailli d'une large blessure qu'il venait de recevoir à la joue[415].

Fleuriot-Lescot, consterné, quitta le fauteuil, et courut vers l'endroit d'où le coup était parti. Il y eut dans l'assistance un désarroi subit. On crut d'abord à un suicide. Robespierre, disait-on, s'est brûlé la cervelle[416]. L'invasion de la salle par la troupe conventionnelle ne tarda pas à mettre fin à l'incertitude.

 

XXXII

Voici ce qui était arrivé. A tout prix les Thermidoriens voulaient se débarrasser de Robespierre. C'était beaucoup d'avoir obtenu contre lui un décret d'accusation, de l'avoir fait mettre hors la loi, mais cela ne leur suffisait pas. Le peuple laisserait-il jamais mener à l'échafaud cet héroïque défenseur de ses droits ? Tant que Maximilien serait debout, les bandits avaient tout à craindre ; mieux valait en finir par un coup de couteau ou une balle. Lui mort, on était à peu près sûr de voir tomber d'elle-même la résistance de la commune. Restait à trouver l'assassin. La chose n'était pas difficile, il se rencontre toujours quelque coupe-jarret prêt à tuer un homme moyennant salaire. Or, frapper Robespierre en cette occurrence pouvait être une occasion de fortune. Il y avait justement parmi les gendarmes de la troupe conduite par Léonard Bourdon un jeune drôle du nom de Merda[417], qui ne demanda pas mieux que de saisir cette occasion. Il avait à peine vingt ans.

Ce fut, à n'en point douter, Léonard Bourdon qui arma son bras, jamais il n'eût osé prendre sur lui d'assassiner Robespierre sans l'ordre exprès d'un membre de la Convention. Intrigant méprisé, suivant la propre expression de Maximilien, complice oublié d'Hébert, Léonard Bourdon était ce député à qui Robespierre avait, on s'en souvient peut-être, reproché d'avilir la Représentation nationale par des formes indécentes. Comme Fouché, comme Tallien, comme Rovère, il haïssait dans Robespierre la vertu rigide et le patriotisme sans tache. Il fit, c'est très-probable, miroiter aux yeux du gendarme tous les avantages, toutes les faveurs dont le comblerait la Convention s'il la débarrassait de l'homme qui à cette heure encore contrebalançait son autorité. La fortune au prix du sang du Juste ? Merda n'hésita point.

Parvenu avec son gendarme à la porte de la salle où siégeait le conseil général[418], laquelle s'ouvrait à tout venant, Léonard Bourdon lui désigna du doigt Maximilien assis dans un fauteuil et se présentant de profil, la partie droite du corps tournée vers la place de Grève. Du couloir où se tenait l'assassin à la place où était la victime, il pouvait y avoir trois ou quatre mètres au plus.

Armé d'un pistolet, Merda étendit brusquement le bras et fit feu, avant que personne eût pu prévenir son mouvement[419]. Nous avons dit comment Robespierre s'affaissa en éclaboussant de son sang la feuille de papier contenant l'appel à la section des Piques. La question a été longtemps débattue de savoir si Maximilien avait été réellement assassiné, ou s'il y avait eu de sa part tentative de suicide. Le doute ne saurait être cependant un seul instant permis.

Pourquoi d'abord Robespierre aurait-il eu l'idée de recourir à ce moyen extrême quand tout paraissait sourire à sa cause, et que, tardivement, il s'était décidé à en appeler lui-même au peuple des décrets de la Convention ? Il aurait au moins fallu, pour le porter à cet acte de désespoir, que l'irruption de la horde conventionnelle eût pré cédé le coup de pistolet de Merda, et nous avons vu par un document entièrement inédit et tout à fait désintéressé — le rapport des employés au secrétariat — que c'était tout le contraire qui avait eu lieu. Le simple examen de la blessure suffit d'ailleurs pour détruire tout à fait l'hypothèse du suicide. En effet, le projectile, dirigé de haut en bas, avait déchiré la joue à un pouce environ de la commissure des lèvres, et, pénétrant de gauche à droite, il avait brisé une partie de la mâchoire inférieure[420]. Or, peut-on imaginer un homme qui, voulant se tuer, se tirerait un coup de pistolet de gauche à droite et de haut en bas ? C'est tout simplement impossible ; tandis qu'au contraire le coup s'explique tout naturellement par la position de l'assassin tirant debout sur Maximilien assis et présentant son profil gauche.

A la nouvelle du meurtre de Robespierre, les Thermidoriens éprouvèrent une joie indicible ; cependant, malgré leur cynisme et leur effronterie, ils ne tardèrent pas à comprendre eux-mêmes tout l'odieux qui rejaillirait sur eux de ce lâche assassinat, et après que le président de la Convention — c'était Charlier — eut, au milieu des applaudissements, donné l'accolade à celui qu'on présenta hautement à l'Assemblée comme le meurtrier de Maximilien, on s'efforça de faire croire à un suicide. Voilà pourquoi Barère, affectant d'oublier l'enthousiasme produit la veille par l'apparition de l'assassin, se contenta de dire dans son rapport du 10 : Robespierre aîné s'est frappé. Voila pourquoi, un an plus tard, Courtois, dans son rapport sur les événements du 9 Thermidor, assurait, sur le témoignage complaisant d'un concierge, que Merda avait manqué Robespierre et que celui-ci s'était frappé lui-même[421]. Mais les Thermidoriens ont eu beau faire, tout l'odieux de cet assassinat pèsera éternellement sur leur mémoire, et la postérité vengeresse ne séparera pas leurs noms de celui de l'assassin dont Léonard Bourdon arma le bras et qui ne fut que l'instrument de la faction[422].

A peine Merda eut-il lâché son coup de pistolet que la horde conventionnelle fit irruption dans la salle du conseil général dont les membres surpris sans défense ne purent opposer aucune résistance. Quelques-uns furent arrêtés sur-le-champ, d'autres s'échappèrent à la faveur du tumulte ; mais, trahis par la fatale liste de présence, dont se saisirent les vainqueurs, ils furent repris dès le lendemain. Saint-Just, s'oubliant lui-même, ne songeait qu'à donner des soins à Robespierre[423]. Le Bas crut blessé à mort celui à qui il avait dévoué sa vie, il ne voulut pas lui survivre. Jugeant d'ailleurs la liberté et la République perdues, il passa dans une salle voisine, dite salle de la veuve Capet, celle où siégeait le comité d'exécution ; là il s'empara d'un des pistolets apportés par l'ordre de ce comité et se fit sauter la cervelle[424]. Il se tua sur le coup ; ce fut la mort de Caton.

Moins heureux fut Robespierre jeune. Ne voulant pas tomber vivant entre les mains des assassins de son frère, il franchit une des fenêtres de l'Hôtel de Ville, demeura quelques instants sur le cordon du premier étage à contempler la Grève envahie par les troupes conventionnelles, puis il se précipita la tête la première sur les premières marches du grand escalier. On le releva mutilé et sanglant, mais respirant encore. Transporté au comité civil de la section de la Maison-Commune, où il eut la force de déclarer que son frère et lui n'avaient aucun reproche à se faire et qu'ils avaient toujours rempli leur devoir envers la Convention, il y fut traité avec beaucoup d'égards, disons-le à l'honneur des membres de ce comité, qui ne se crurent pas obligés, comme tant d'autres, d'insulter aux vaincus. Quand on vint le réclamer pour le transférer au comité de Sûreté générale, ils se récrièrent, disant qu'il ne pouvait être transporté sans risque pour ses jours, et ne le livrèrent que sur un ordre formel des représentants délégués par la Convention[425]. Couthon, sur lequel Merda avait également tiré sans l'atteindre, mais qui s'était gravement blessé à la tête en tombant dans un des escaliers de l'Hôtel de Ville, avait été mené, vers cinq heures du matin, à l'Hôtel-Dieu, où il reçut les soins du célèbre chirurgien Desault, qui le fit placer dans le lit n° 15 de la salle des opérations. Au juge de paix chargé par Léonard Bourdon de s'enquérir de son état il dit : On m'accuse d'être un conspirateur, je voudrais bien qu'on pût lire dans le fond de mon âme[426]. Le pauvre paralytique, à moitié mort, inspirait encore des craintes aux conjurés, car Barras et son collègue Delmas enjoignirent à la section de la Cité d'établir un poste à l'Hôtel-Dieu, et ils rendirent le commandant de ce poste responsable, sur sa tête, de la personne de Couthon[427]. Peu après, le juge de paix Bucquet reçut l'ordre exprès d'amener le blessé au comité de Salut public[428]. Quant à Hanriot, il ne fut arrêté que beaucoup plus tard. S'il avait manqué de cet éclair de génie qui lui eût fait saisir le moment opportun de fondre sur la Convention, de se saisir des conjurés et de délivrer la République d'une bande de coquins par lesquels elle allait être honteusement asservie, ni le dévouement ni le courage, quoi qu'on ait pu dire, ne lui avaient fait défaut. Trahi par la fortune et abandonné des siens, il lutta seul corps à corps contre les assaillants de la commune. Il venait de saisir Merlin (de Thionville) au collet[429], quand l'assassinat de Robespierre trancha tout à coup la question. Obligé de céder à la force, le malheureux général se réfugia dans une petite cour isolée de l'Hôtel de Ville, où il fut découvert dans la journée, vers une heure de l'après-midi[430]. On le trouva tout couvert de blessures qu'il avait reçues dans la lutte ou qu'il s'était faites lui-même[431], ayant peut-être tenté, comme Robespierre jeune, mais en vain également, de s'arracher la vie. Ainsi finit par une épouvantable catastrophe cette résistance de la commune, qui fut si près d'aboutir à un triomphe éclatant.

 

XXXIII

Placé sur un brancard, Robespierre fut amené à la Convention par des canonniers et quelques citoyens armés. Il était si faible, qu'on craignait à chaque instant qu'il ne passât. Aussi ceux qui le portaient par les pieds recommandaient-ils à leurs camarades de lui tenir la tête bien élevée, pour lui conserver le peu de vie qui lui restait[432]. Ni l'outrage ni l'injure ne lui furent épargnés en chemin. Insulter le géant tombé, n'était-ce pas une manière de faire sa cour aux assassins vainqueurs ? Quand Jésus eut été mis en croix, ses meurtriers lui décernèrent par dérision le titre de roi des Juifs ; les courtisans thermidoriens usèrent d'un sarcasme analogue à l'égard de Maximilien. Ne voila-t-il pas un beau roi ! s'écriaient-ils. Allusion délicate au cachet fleurdelisé qu'on prétendait avoir été trouvé sur le bureau de la commune.

Le lâche Robespierre est là, dit le président Charlier en apprenant l'arrivée du funèbre cortège. Vous ne voulez pas qu'il entre ? — Non, non, hurla le chœur des forcenés. Et Thuriot, le futur serviteur du despotisme impérial, d'enchérir là-dessus : Le cadavre d'un tyran ne peut que porter la peste ; la place qui est marquée pour lui et ses complices, c'est la place de la Révolution[433]. Ces lâches appelaient lâche celui qu'ils venaient de frapper traîtreusement, et tyran celui qui allait mourir en martyr pour la République et la liberté perdues.

Robespierre fut transporté au comité de Salut public, dans la salle d'audience précédant celle des séances du comité, et étendu sur une table[434]. On posa sous sa tête, en guise d'oreiller, une boîte de sapin où étaient renfermés des échantillons de pain de munition. Il était vêtu d'un habit bleu de ciel et d'une culotte de nankin, à peu près comme au jour de la fête de l'Être suprême, jour doublement mémorable, où tant de bénédictions étaient montées vers lui et où aussi plus d'une voix sinistre avait pu jeter dans son cœur de sombres pressentiments. On crut pendant longtemps qu'il allait expirer, tellement on le voyait immobile et livide. Il était sans chapeau, sans cravate, sa chemise entr'ouverte se trouvait teinte du sang qui s'échappait en abondance de sa mâchoire fracassée. Au bout d'une heure il ouvrit les yeux et, pour étancher le sang dont sa bouche était remplie, il se servit d'un petit sac en peau blanche, qu'un des assistants lui donna sans doute, et sur lequel on lisait ces mots : Au grand monarque, Lecourt, fourbisseur du roi et de ses troupes, rue Saint-Honoré, près de celle des Poulies, à Paris[435]. Pas une plainte ne s'échappa de sa bouche ; les mouvements spasmodiques de son visage dénotèrent seuls l'étendue de ses souffrances. Ajoutez à la douleur physique les outrages prodigués à la victime par des misérables sans conscience et sans cœur, et vous aurez une idée du long martyre héroïquement supporté par ce grand citoyen. Votre Majesté souffre, lui disait l'un ; et un autre : Eh bien, il me semble que tu as perdu la parole[436]. Certaines personnes cependant furent indignées de tant de lâcheté et se sentirent prises de compassion. Un des assistants lui donna, faute de linge, un peu de papier blanc pour remplacer le sac dont il se servait, et qui était tout imbibé de sang[437]. Un employé du comité, le voyant se soulever avec effort pour dénouer sa jarretière, s'empressa de lui prêter aide. Je vous remercie, monsieur, lui dit Robespierre d'une voix douce[438]. Mais ces témoignages d'intérêt et d'humanité étaient à l'état d'exception.

Saint-Just et Dumas se trouvaient là. Quand on les avait amenés, quelques-uns des conjurés, s'adressant aux personnes qui entouraient Robespierre, s'étaient écriés ironiquement : Retirez-vous donc, qu'ils voient leur roi dormir sur une table comme un homme[439]. A la vue de son ami étendu à demi mort, Saint-Just ne put contenir son émotion ; le gonflement de ses yeux rougis révéla l'amertume de son chagrin[440]. Impassible devant l'outrage, il se contenta d'opposer aux insulteurs le mépris et le dédain. On l'entendit seulement murmurer, en contemplant le tableau des Droits de l'homme, suspendu à la muraille : C'est pourtant moi qui ai fait cela ![441] Ses amis et lui tombaient par la plus révoltante violation de ces Droits, désormais anéantis, hélas !

Vers cinq heures du matin, les assassins, craignant que leur victime n'eût pas la force de supporter le trajet de l'échafaud, firent panser sa blessure par deux chirurgiens. Elie Lacoste leur dit : Pansez bien Robespierre, pour le mettre en état d'être puni[442]. Pendant ce pansement, qui fut long et douloureux, Maximilien ne dit pas un mot, ne proféra pas une plainte. Cependant quelques misérables continuaient de l'outrager. Quand on lui noua au-dessus du front le bandeau destiné à assujettir sa mâchoire brisée, une voix s'écria : Voilà qu'on met le diadème à Sa Majesté. Et une autre : Le voilà coiffé comme une religieuse[443]. Il regarda seulement les opérateurs et les personnes présentes avec une fermeté de regard qui indiquait la tranquillité de sa conscience et le mettait fort au-dessus des lâches dont il avait à subir les insultes[444]. On ne put surprendre chez lui un moment de défaillance. Ses meurtriers eux-mêmes, tout en le calomniant, ont été obligés d'attester son courage et sa résignation[445].

Le pansement terminé, on le recoucha sur la table, en ayant soin de remettre sous sa tête la boîte de sapin qui lui avait servi d'oreiller, en attendant, dit un des plaisants de la bande, qu'il aille faire un tour à la petite fenêtre[446]. Le comité de Salut public ne tarda pas à l'envoyer à la Conciergerie avec Couthon et l'officier municipal Gobeau, que le juge de paix Bucquet venait de ramener de l'Hôtel-Dieu. Ce magistrat fut chargé de faire toutes les réquisitions nécessaires pour que les proscrits fussent conduits sous bonne et sûre garde, tant on redoutait encore une intervention du peuple en faveur des vaincus[447]. Le comité chargea de plus les chirurgiens qui avaient pansé Maximilien de l'accompagner à la prison, et de ne le quitter qu'après l'avoir remis entre les mains des officiers de santé de service à la Conciergerie ; ce qui fut ponctuellement exécuté[448]. Il était environ dix heures et demie quand s'ouvrirent devant le grand proscrit les portes de la maison de justice du Palais[449].

Nous avons dit comment Charlotte Robespierre s'était alors présentée à la Conciergerie, demandant à voir ses frères ; comment, après s'être nommée, avoir prié, s'être traînée à genoux devant les gardiens, elle avait été repoussée durement, et s'était évanouie sur le pavé. Quelques personnes, saisies de commisération, la relevèrent et l'emmenèrent, comme on a vu plus haut, et quand elle recouvra ses sens, elle était en prison[450], tant les Thermidoriens avaient hâte de faire main basse sur quiconque était soupçonné d'attachement à la personne de leur victime.

A l'heure où Robespierre était conduit à la Conciergerie, la séance conventionnelle s'était rouverte, après une suspension de trois heures. On vit alors se produire à la barre de l'Assemblée toutes les lâchetés dont la bassesse humaine est capable. Ce fut à qui viendrait au plus vite se coucher à plat ventre devant les vainqueurs et faire œuvre de courtisan en jetant de la boue aux vaincus. Voici d'abord le directoire du département de Paris qui, la veille, avait commencé par s'aboucher avec la commune, qu'il s'était empressé d'abandonner dès que les chances avaient paru tourner du côté des conjurés de la Convention[451]. Il accourait féliciter l'Assemblée d'avoir sauvé la patrie. Quelle dérision ! Ensuite se présenta le tribunal révolutionnaire, si attaché à Maximilien, au dire de tant d'écrivains superficiels. Un de ses membres, dont le nom n'a pas été conservé, prodigua toutes sortes d'adulations à la Convention, laquelle, dit-il, s'était couverte de gloire. Tout dévoué à la Représentation nationale, le tribunal venait prendre ses ordres pour le prompt jugement des conspirateurs. Une difficulté cependant entravait sa marche, et, par la bouche de Fouquier-Tinville, il pria l'Assemblée de la lever au plus vite. Afin d'exécuter les décrets de mort, il n'y avait plus qu'à les sanctionner judiciairement ; mais pour cela la loi exigeait que l'identité des personnes fût constatée par deux officiers municipaux de la commune des prévenus ; or tous les officiers municipaux se trouvaient eux-mêmes mis hors la loi ; comment faire ? Ce scrupule de juriste sembla irriter les cannibales altérés du sang de Maximilien. Il faut, dit Thuriot, que l'échafaud soit dressé sur-le-champ, que le sol de la République soit purgé d'un monstre qui était en mesure pour se faire proclamer roi. Sur la proposition d'Élie Lacoste, l'Assemblée dispensa le tribunal de l'assistance des deux officiers municipaux, et décida que l'échafaud serait dressé sur la place de la Révolution, d'où il avait été banni depuis quelque temps[452].

Fouquier-Tinville et le tribunal révolutionnaire se le tinrent pour dit. Des ordres furent donnés en conséquence par l'accusateur public, et, tandis qu'au Palais s'accomplissait la formalité de la constatation de l'identité des victimes par le tribunal, l'instrument sinistre s'élevait à la hâte. Vers cinq heures du soir, vingt-deux victimes, premier holocauste offert à la réaction par les pourvoyeurs habituels de la guillotine, se trouvèrent prêtes pour l'échafaud. Parmi ces premiers martyrs de la démocratie et de la liberté figuraient Maximilien et Augustin Robespierre, Saint-Just, Couthon, Le Bas, les généraux La Valette et Hanriot, le maire Fleuriot-Lescot, l'agent national de la commune Payan, l'officier municipal Bernard, et un jeune homme nommé Vivier, mis hors la loi uniquement pour avoir présidé la société des Jacobins dans la nuit précédente.

Ce jour-là 10 thermidor devait avoir lieu une fête patriotique en l'honneur des jeunes Barra et Viala, dont Robespierre, on s'en souvient, avait prononcé l'éloge. Mais au lieu d'une solennité destinée à fortifier dans les cœurs l'amour de la patrie, la République allait offrir au monde le spectacle d'un immense suicide. Quand les funèbres charrettes sortirent de la cour du Palais, des imprécations retentirent dans la foule, et les outrages aux vaincus commencèrent pour ne cesser qu'avec le dernier coup de hache. On eut dans la rue comme le prélude de l'immonde comédie connue sous le nom de bal des victimes. De prétendus parents des gens immolés par la justice révolutionnaire hurlaient en chœur au passage des condamnés ; insulteurs gagés sans doute, comme ces pleureuses antiques qu'en Grèce et à Rome on louait pour assister aux funérailles des morts. Partout, sur le chemin du sanglant cortège, se montraient joyeux, ivres, enthousiastes, le ban et l'arrière-ban de la réaction, confondus avec les coryphées de la guillotine et les terroristes à tous crins. Derrière les charrettes, se démenant comme un furieux, un homme criait de tous ses poumons : A mort le tyran ! C'était Carrier[453]. Il manquait Tallien et Fouché pour compléter ce tableau cynique.

Dans les rues Saint-Denis, de la Ferronnerie et sur tout le parcours de la rue Saint-Honoré, les fenêtres étaient garnies de femmes qui, brillamment parées et décolletées jusqu'à la gorge, sous prétexte des chaleurs de juillet, s'égosillaient à vociférer : A la guillotine ! Une chose visible, c'est que le règne des filles, des prostituées de tous les mondes, des agioteurs, de tous les grands fripons, commençait. Grâces en soit rendues aux Fréron, aux Lecointre et à toute leur séquelle ! Ah ! ces femmes avaient bien raison d'applaudir et de vociférer, à l'heure où toutes les vertus civiques allaient s'abîmer dans le panier de Samson. Patience ! vingt ans plus tard on verra les mêmes mégères, aussi joyeuses, aussi richement vêtues, accoudées sur le velours aux fenêtres des boulevards, et. de leurs mains finement gantées agitant des mouchoirs de batiste, on les verra, dis-je, accueillir par des sourires et des baisers les soldats de l'invasion victorieuse.

Quand le convoi fut arrivé à la hauteur de la maison de Duplay, des femmes, si l'on peut donner ce nom à de véritables harpies, tirent, assure-t-on, arrêter les charrettes, et se mirent à danser autour, tandis que trempant un balai dans un seau rempli de sang de bœuf, un enfant aspergeait de ce sang la maison, où durant quatre ans Maximilien avait vécu adoré au milieu de sa famille adoptive. Si ce fait atroce est exact[454], il était sans portée, car à cette heure la maison de Duplay se trouvait veuve de tous ceux qui l'avaient habitée : père, mère, enfants, tout le monde avait été plongé déjà dans les cachots de la terreur thermidorienne[455]. Enfermée à Sainte-Pélagie, avec des femmes de mauvaise vie, la malheureuse Mme Duplay y fut en butte aux plus odieux traitements, et elle mourut tout à coup le surlendemain, étranglée, dit-on, par ces mégères. Son crime était d'avoir servi de mère au plus pur et au plus vertueux citoyen de son temps.

On raconte encore — est-ce vrai ? — que lorsque le convoi des martyrs fut arrivé au milieu de la rue ci-devant Royale, une femme jeune encore et vêtue avec une certaine élégance s'accrocha aux barreaux de la charrette, et vomit force imprécations contre Maximilien. J'incline à croire que c'est là de la légende thermidorienne. Robespierre se contenta de lever les épaules, avoue l'écrivain éhonté à qui nous empruntons ce détail[456]. A ces vociférations de la haine lo mépris et le dédain étaient la seule réponse possible. Qu'importaient d'ailleurs à Maximilien ces lâches et stupides anathèmes ? il savait bien que le vrai peuple n'était pas mêlé à cette écume bouillonnante soulevée autour des charrettes fatales. Le vrai peuple se tenait à l'écart, consterné. Parmi les patriotes sincères, beaucoup s'étaient laissé abuser par les mensonges des Barras et des Vadier, au sujet des emblèmes royaux trouvés, disait-on, en la possession de Robespierre, — qui ne sait avec quelle facilité les fables les plus absurdes sont, en certaines circonstances, accueillies par la foule ? — beaucoup aussi gémissaient de leur impuissance à sauver ce grand citoyen. Mais toute la force armée, si disposée la veille à se rallier à la cause de Robespierre, avait passé du côté des Thermidoriens ; une masse imposante de troupes avait été déployée, et il eût été difficile d'arracher aux assassins leur proie.

Parvenus au lieu de l'exécution, les condamnés ne démentirent pas le stoïcisme dont ils avaient fait preuve jusque-là ; ils moururent tous sans forfanterie et sans faiblesse, bravement, en gens qui défiaient l'avenir et embrassaient la mort avec la sérénité d'une conscience pure et la conviction d'avoir jusqu'au bout rempli leur devoir envers la patrie, la justice et l'humanité. Par un raffinement cruel, on avait réservé Robespierre pour le dernier. N'était-ce pas le tuer deux fois que d'achever sous ses yeux son frère Augustin, ce pur et héroïque jeune homme, qu'on attacha tout mutilé sur la planche. Un jour de plus, il mourait de ses blessures, les bêtes féroces de Thermidor n'eurent pas la patience d'attendre. Maximilien monta d'un pas ferme les degrés de l'échafaud. Quand il apparut, sanglant et livide, sur la plate-forme où se dressait la guillotine, un murmure sourd courut dans la foule. Était-ce le gémissement de la patrie en deuil ? Ah ! tu peux pleurer, pauvre et chère patrie, de longtemps tes enfants ne retrouveront un ami plus sincère et plus dévoué. Soit barbarie, soit maladresse, l'exécuteur s'y prit si brutalement en enlevant l'appareil qui couvrait la blessure de la victime qu'il lui arracha, dit-on, un cri déchirant. Un instant après, la tête de Robespierre tombait[457]. Fervent royaliste, le bourreau dut tressaillir d'aise, car il sentait bien qu'il venait d'immoler la Révolution et de décapiter la République dans la personne de son plus illustre représentant. Robespierre avait trente-cinq ans et deux mois[458].

 

XXXIV

A l'heure où cette horrible tragédie se jouait sur la place de la Révolution, la Convention nationale prenait soin de bien déterminer elle-même le sens du sanglant coup d'État. Se fiant au langage tenu par certains conjurés pour attirer à eux les gens de la droite, nombre de gens parlaient hautement d'ouvrir les portes des prisons à toutes les personnes détenues pour crime ou délit contre-révolutionnaire. Mais, afin qu'il n'y eût pas de méprise possible, Barère, qui ne craignit pas de présenter comme un mouvement royaliste la résistance de la commune, s'écria, parlant au nom des comités de Salut public et de Sûreté générale : Quelques aristocrates déguisés parlaient d'indulgence, comme si le gouvernement révolutionnaire n'avait pas repris plus d'empire par la révolution même dont il avait été l'objet, comme si la force du gouvernement révolutionnaire n'était pas centuplée, depuis que le pouvoir, remonté à sa source, avait donné une âme plus énergique et des comités mieux épurés. De l'indulgence ! il n'en est que pour l'erreur involontaire, mais les manœuvres des aristocrates sont des forfaits, et LEURS ERREURS NE SONT QUE DES CRIMES. L'Assemblée décréta l'impression du rapport de Barère et l'envoi de ce rapport à tous les départements[459]. Robespierre, lui, s'était plaint amèrement qu'on portât la terreur dans toutes les conditions, qu'on rendît la Révolution redoutable au peuple même, qu'on érigeât en crimes des préjugés incurables ou des erreurs invétérées, et l'on venait de le tuer. Toute la moralité du 9 Thermidor est là.

Vingt-deux victimes, sans compter Le Bas, ne suffisaient pas à apaiser la soif de sang dont étaient dévorés les vainqueurs : soixante-dix furent encore traînées le lendemain à l'échafaud, et douze le surlendemain, 12 thermidor. C'étaient en grande partie des membres du conseil général, dont la plupart ne connaissaient Robespierre que de nom et s'étaient rendus à la commune sur l'invitation de leurs chefs immédiats, sans même savoir de quoi il s'agissait. Cent cinq victimes auxquelles il convient de joindre Coffinhal, arrêté et guillotiné quelques jours plus tard, tel fut le bilan du 9 Thermidor et telle fut l'immense tuerie par laquelle la terreur blanche inaugura son règne. On ne vit jamais plus effroyable boucherie : ah ! certes, la Révolution avait déjà coûté bien des sacrifices à l'humanité, mais les gens qu'avait jusqu'alors condamnés le tribunal étaient, pour la plus grande partie, ou des ennemis déclarés de la Révolution, ou des fripons, ou des traîtres ; cette fois c'étaient les plus purs, les plus sincères, les plus honnêtes patriotes que venait de frapper la hache thermidorienne. Cent quatre-vingt-onze personnes furent poursuivies ; on n'épargna ni femmes ni enfants[460]. Mme de Chalabre végéta longtemps en prison. Quel était son crime ? Elle avait été l'amie de Robespierre.

Et par qui tant de braves gens, tant d'excellents citoyens, avaient-ils été immolés ou se trouvaient-ils persécutés ? Par les plus odieux et les plus méprisables des hommes, par les Fouché, les Tallien, les Fréron, les Rovère, les Courtois, mêlés, par une étrange promiscuité, à une partie de ceux qu'on est convenu d'appeler — singulière dérision — les modérés. Étonnez-vous donc que dans les prisons et les départements on ait frémi à la nouvelle de la chute de Robespierre ! La réaction seule dut s'ébattre de joie : sa cause était gagnée.

Bonaparte, très-fervent républicain alors, et dont la sûreté de coup d'œil, la haute intelligence et la perspicacité ne sauraient être révoquées en doute, regarda la révolution du 9 Thermidor comme un malheur pour la France[461].

Les flatteurs ne manquèrent pas aux vainqueurs. Comme toujours, les adresses d'adhésion affluèrent de toutes parts : prose et vers célébrèrent à l'envi le guet-apens victorieux. Ceux-là mêmes qui n'eussent pas mieux demandé que d'élever un trône a Maximilien furent les premiers à cracher contre sa mémoire. Comment, sans courir risque de l'échafaud, aurait-on pu protester ? Il est du reste à remarquer que la plupart des adresses de félicitations parlent de Robespierre comme ayant voulu attenter au gouvernement de la Terreur et se faire proclamer roi, suivant l'expression de Thuriot[462]. Mais au milieu de ce concert d'enthousiasme emprunté, de ces plates adulations murmurées aux oreilles de quelques assassins, retentit une protestation indignée que l'histoire ne doit pas oublier de mentionner.

Ce fut une protestation toute populaire ; elle se produisit d'une manière naïve et touchante par la bouche d'une pauvre femme de la campagne. Nous avons rapporté ailleurs l'exclamation de cette jeune fermière qui, à la nouvelle de la mort de Robespierre, laissa tomber a terre, de surprise et de douleur, un jeune enfant qu'elle avait dans les bras, et s'écria tout éplorée, en levant les yeux et les mains vers le ciel : O qu'os nes finit pol bounheur del paouré pople. On a tuat o quel que l'aimabo tant. — Oh ! c'en est fini pour le bonheur du pauvre peuple, on a tué celui qui l'aimait tant ![463]

Ce jour-là, on peut le dire, une simple fermière fut la conscience du pays. Comme elle comprit bien la terrible signification des événements qui venaient de se passer ! Ah ! oui, c'en est fait, et pour longtemps, du bonheur du pauvre peuple, car il n'est plus celui qui lui avait donné toute sa jeunesse, tout son génie et tout son cœur. Elle est pour jamais éteinte la grande voix qui si longtemps, dans la balance des destinées de la démocratie, pesa plus que les armées de la coalition et que les intrigues de la réaction. Les intérêts du peuple ? On aura désormais bien d'autres soucis en tête ! Assez de privations et de sacrifices ! Allons ! à la curée tous les héros de Thermidor ! Enrichissez-vous, mettez la République en coupe réglée ; volez, pillez, jouissez. Et si par hasard le peuple affamé vient un jour troubler vos orgies en vous réclamant la constitution et du pain, répondez-lui à coups d'échafauds ; vous avez pour vous le bourreau et les prétoriens. N'ayez pas peur, car il n'est plus celui qu'on appelait l'Incorruptible et qui avait fait mettre la probité à l'ordre du jour, car il est glacé pour toujours ce cœur affamé de justice qui ne battit jamais que pour la patrie et la liberté.

Certes, les idées et les doctrines dont il a été le plus infatigable propagateur et le plus fidèle interprète, ces grandes idées de liberté, d'égalité, d'indépendance, de dignité, de solidarité humaine qui forment la base même de la démocratie, et dont l'application fut à la veille de se réaliser de son vivant, ont trouvé un refuge dans une foule de cœurs généreux, mais elles ont cessé depuis lors d'être l'objectif des institutions politiques. On voit donc combien il est difficile et surtout combien il serait souverainement injuste de faire l'histoire des idées sans celle des hommes, puisque la destinée des premières est si intimement liée à la destinée de ceux-ci. Et pour en revenir à Robespierre, ce sera, à n'en point douter, l'étonnement des siècles futurs qu'on ait pu si longtemps mettre les ténèbres à la place de la lumière, le mensonge à la place de la vérité, et qu'à l'aide des artifices les plus grossiers, des calomnies les plus saugrenues, on soit parvenu à tromper ainsi les hommes sur la plus puissante individualité qu'ait produite la Révolution française, La faute en a été jusqu'ici au peu de goût d'une partie du public pour les lectures sérieuses ; on s'en est tenu à la tradition, à la légende, aux narrations superficielles ; cela dispensait d'étudier. Et puis, ajoutez la force des préjugés : on ne renonce pas aisément à des erreurs dont on a été longtemps le jouet. Plus d'un, forcé de s'avouer vaincu par la puissance de la vérité, ne vous en dit pas moins, en hochant la tête ; C'est égal, vous ne ferez pas revenir le monde sur des idées préconçues.

Aussi, en présence du triomphe persistant des préventions, de la mauvaise foi et de l'ignorance, et quand on voit ce Juste poursuivi encore des malédictions de tant de personnes abusées, on est saisi de je ne sais quel trouble, on se sent, malgré soi, défaillir ; on se demande, effaré, si l'humanité vaut la peine qu'on s'occupe d'elle, qu'on lui sacrifie ses veilles, son génie, ses vertus, ce qu'on a de meilleur en soi ; si la fraternité n'est pas un vain mot, et s'il ne vaut pas mieux, suivant l'expression d'un grand poète de nos jours :

Laisser aller le monde à son courant de boue.

Mais non, il ne faut ni douter des hommes ni se décourager de faire le bien pour quelques injustices passagères que réparera l'avenir. La postérité, je n'en doute pas, mettra Maximilien Robespierre à la place d'honneur qui lui est due parmi les martyrs de l'humanité ; et nous serons trop payé, pour notre part, de tant d'années de labeur consacrées à la recherche de la vérité, si nous avons pu contribuer à la destruction d'une iniquité criante. Ceux qui ont suivi avec nous, pas à pas, heure par heure, l'austère tribun, depuis le commencement de sa carrière, peuvent dire la pureté de sa vie, le désintéressement de ses vues, la fermeté de son caractère, la grandeur de ses conceptions, sa soif inextinguible de justice, son tendre et profond amour de l'humanité, l'honnêteté des moyens par lesquels il voulut fonder en France la liberté et la République. Supérieur à Mirabeau par la conscience, aux Girondins et aux dantonistes par les principes, est-ce à dire pour cela qu'il ne se soit pas trompé lui-même en certaines circonstances ? Certes, il serait insensé de le soutenir. Il était homme ; et, d'ailleurs, les fautes relevées par nous-même à sa charge, d'autres les eussent-ils évitées ? C'est peu probable. Sans doute, nous aurions aimé qu'échappant à la tradition girondine, il eût énergiquement défendu le principe de l'inviolabilité des membres de la Représentation nationale ; mais, outre qu'au milieu des passions déchaînées il se fût probablement épuisé en vains efforts, il faut tenir compte des temps extraordinaires où il vécut, et surtout lui savoir gré de ce qu'à l'heure de sa chute il mérita l'honneur de s'entendre reprocher comme un crime d'avoir élevé la voix en faveur de Danton et de Camille Desmoulins. Un jour, c'est notre plus chère espérance et notre intime conviction, quand les ténèbres se seront dissipées, quand les préventions se seront évanouies devant la vérité, quand l'histoire impartiale et sereine aura décidément vaincu la légende et les traditions menteuses, Robespierre restera, non-seulement comme un des fondateurs de la démocratie, dont il a donné la véritable formule dans sa Déclaration des droits de l'homme, mais, ce qui vaut mieux encore, comme un des plus grands hommes de bien qui aient paru sur la terre.

 

FIN DU TROISIÈME ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] La minute de cette lettre est aux Archives, A F II, 37.

[2] Lettre inédite en date du 9 nivôse an II (27 février 1794), de la collection Portiez (de l'Oise).

[3] Lettre en date du 15 floréal an Il (4 niai 1794), de la collection de M. Berthevin.

[4] Discours du 8 thermidor.

[5] La tête à la queue, ou Première lettre de Robespierre à ses continuateurs, p. 5 et 6.

[6] Proudhon, qui, chaque fois que le nom de Robespierre tombe de sa plume, déraisonne comme un véritable monomane, fait de Maximilien un doctrinaire de 1830 ; et il prétend que ses idées, qui étaient celles de 1791, servirent à la constitution du Directoire. Rien n'est curieux comme l'aplomb avec lequel ce négateur-universel parle des choses qu'il ignore le plus. Si, au contraire, principes s'éloignent de ceux auxquels Maximilien se sacrifia tout entier, ce sont ceux qui triomphèrent après Thermidor et que consacra, en les restreignant encore, la Révolution de 1830. Robespierre fut le premier qui, sous la Constituante, réclama l'admission de tous les citoyens aux droits politiques. S'il défendit la constitution de 1791, laquelle est, en définitive, une des meilleures que nous ayons eues, ce fut, ainsi qu'il eut soin de le dire lui-même, contre la cour et contre l'aristocratie, et non point contre la Révolution, incarnée eu quelque sorte en sa personne. On l'a entendu, fidèle à ses convictions de 1789, redemander vivement, après le 10 août, l'abolition de l'absurde et inique division des citoyens en actifs et passifs. Il appartiendra à la bourgeoisie thermidorienne de détruire l'œuvre de Robespierre, de rétablir les parias politiques, et à la bourgeoisie de 1830 de consacrer cette monstruosité. — On se ferait difficilement une idée de l'effroyable pathos qui règne dans les appréciations de Proudhon sur la Révolution française. Jamais autant d'outrecuidance n'a été mise au service de tant d'ignorance. Voyez notamment la 4c étude de l'Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, où il ressasse contre Robespierre toutes les calomnies des écrivains thermidoriens et girondins. Proudhon présente la constitution de 1793 comme appelant le peuple à se gouverner lui-même et directement. Il l'a mal lue, ou ne l'a pas comprise. Dans tous les cas, il est assez ridicule de faire de Maximilien un ennemi de cette constitution, que son esprit anime d'un bout à l'autre. Il est vrai que, pour faire pièce à Robespierre, Proudhon transforme en partisan du gouvernement direct Danton lui-même, le grand ennemi des hébertistes, et qu'il confond avec les anarchistes, les enragés et les hébertistes qui lui sont chers. Il n'a oublié qu'une chose, c'est de nous dire sur quoi s'appuyait son opinion à cet égard.

[7] Voyez le Moniteur du 6 thermidor (24 juillet 1794).

[8] Discours du 8 thermidor.

[9] Voyez cette pétition dans le Moniteur du 8 thermidor (26 juillet 1794).

[10] Séance du conseil général du 27 messidor (15 juillet). Voyez le discours de Payan dans le Moniteur du 2 thermidor.

[11] Séance du 28 messidor (16 juillet 1794), Moniteur du 29 messidor.

[12] Séance des Jacobins du 28 messidor (16 juillet 1794). Aucun journal, que je sache, n'a rendu compte de cette séance. Je n'en ai trouvé mention que dans une lettre de Garnier-Launay à Robespierre. Voyez cette lettre dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 231.

[13] Nous avons sous les yeux l'original de cette lettre de Mme Buissart, en date du 26 floréal (15 mai 1794). Supprimée par Courtois, elle a été insérée, mais d'une façon légèrement inexacte, dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 254.

[14] Voyez Papiers inédits, t. Ier, p. 253.

[15] Lettre en date du 30 messidor (18 juillet 1794). Elle porte en suscription : Au citoïen Robespierre jeune, maison du citoïen Duplay, au premier sur le devant, rue Honoré, Paris.

[16] Moniteur du 16 thermidor (3 août 1794).

[17] Voyez notamment une lettre écrite par Guffroy à ses concitoyens d'Arras le 16 thermidor (3 août 1794).

[18] Voyez cette lettre dans les Papiers inédits, t. III, p. 237.

[19] Papiers inédits, t. III, p. 254. Général de division et comte de l'Empire, le protégé de Joseph Le Bon était commandant de la 1re division militaire lors de la tentative du général Mallet pour renverser le gouvernement impérial. Le général Hullin est mort à Paris dans un âge assez avancé.

[20] Arrêté signé ; Robespierre, Barère, Collot-d’Herbois, Billaud-Varenne, G.-A. Prieur et Carnot. Archives.

[21] Lettre en date dit 26 brumaire an II (16 novembre 1793), Rapport de Saladin, p. 68.

[22] Cette lettre est également du mois de brumaire. Rapport de Saladin, p. 69.

[23] Arrêté en date du 9 nivôse an II (29 décembre 1793), Archives.

[24] Arrêté en date du 11 ventôse (1er mars 1793), Archives, A F II, 58.

[25] Cette lettre, supprimée par Courtois, et dont nous avons l'original sous les yeux, a été insérée dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 247.

[26] Papiers inédits, t. Ier, p. 250. Cette lettre porte en suscription : A la citoyenne Buissart, chez M. Robespierre, rue Saint-Honoré, à Paris. — Telle fut la terreur qui, après le 9 Thermidor, courba toutes les consciences, que les plus chers amis de Maximilien ne reculèrent pas devant une apostasie sanglante. Au bas d'une adresse de la commune d'Arras à la Convention, adresse dirigée contre Joseph Le Bon, et dans laquelle Robespierre Cromwell est assimilé à Tibère, à Néron et à Caligula, on voit figurer, non sans en être attristé, la signature de Buissart. (Voir le Moniteur du 27 thermidor an II [11 août 1794]). Ceux qu'on aurait crus les plus fermes payèrent du reste ce tribut à la lâcheté humaine. Citons, parmi tant d'autres, l'héroïque Duquesnoy lui-même, lequel, dans une lettre adressée à ses concitoyens d'Arras et de Béthune à la date du 16 fructidor (12 septembre 1794), pour se défendre d'avoir été le complice de Maximilien, jeta l'insulte aux vaincus ; acte de faiblesse que d'ailleurs il racheta amplement en prairial an III, quand il tomba sous les coups de la réaction. — Ménage-loi pour la patrie, elle a besoin d'un défenseur tel que toi, écrivait-il à Robespierre en floréal. (Lettre inédite de la collection Portiez [de l'Oise]).

[27] Séance de la Convention du 15 thermidor (2 août 1994), Moniteur du 16 thermidor.

[28] Séance de la Convention du 21 messidor (9 juillet 1794), Moniteur du 22 messidor.

[29] Ceci, tiré d'un pamphlet de Guffroy intitulé : les Secrets de Joseph le Bon et de ses complices, deuxième censure républicaine, in-8° de 474 p., an III, p. 167.

[30] Procès de Joseph Le Bon, p. 147, 148.

[31] Procès de Joseph Le Bon, p. 167.

[32] Lettre à Deschamps, en date du 17 prairial an II (5 juin 1794). Devenu plus tard membre de l'Académie française, Aignan était, pendant la Révolution, un partisan et un admirateur sincère de Robespierre. Je suis bien enchanté du retour de Saint-Just et de l'approbation que Robespierre et lui veulent bien donner à mes opérations. Le bien public, l'affermissement de la République une et indivisible, le triomphe de la vertu sur l'intrigue, tel est le but que je me propose, tel est le seul sentiment qui m'anime, écrivait-il à son cher Deschamps qui sera frappé avec Robespierre. (Papiers inédits, t. Ier, p. 162). Eh bien ! telle est la science, la bonne foi de la plupart des biographes, qu'ils font d'Aignan une victime de la tyrannie de Robespierre, tandis qu'au contraire Aignan fut poursuivi comme un ami, comme une créature de Maximilien. (Voyez notamment la Biographie universelle, à l'article AIGNAN). Chose assez singulière, cet admirateur de Robespierre eut pour successeur à l'Académie française le poète Soumet, qui fut un des plus violents calomniateurs de Robespierre, et qui mit ses calomnies en assez mauvais vers. (Voyez la Divine Epopée.)

[33] Lettre en date du 16 germinal an II (5 avril 1794), déjà citée.

[34] Ce fait a été assuré à M. Hauréau par Godefroy Cavaignac, qui le tenait de son père ; et la personne chargée de la démarche auprès de Cambacérès n'aurait été autre que Cavaignac lui-même. Pour détacher de Robespierre ce membre de la Montagne, les Thermidoriens couchèrent son nom. sur une des prétendues listes de proscrits qu'ils faisaient circuler. Après Thermidor, Cavaignac se rallia aux vainqueurs et trouva en eux un appui contre les accusations dont le poursuivit la réaction.

[35] Discours du 8 thermidor.

[36] Discours de Barère à la séance du 10 thermidor (28 juillet 1794). Voyez le Moniteur du 12.

[37] Moniteur du 12.

[38] Moniteur du 12.

[39] Réponse des membres des deux anciens comités de Salut public et de Sûreté générale aux imputations de Laurent Lecointre, note de la p. 27. Voyez p. 107.

[40] Voyez notre Histoire de Saint-Just.

[41] Discours du 8 thermidor.

[42] Pièce à la suite du rapport de Courtois, numéros XXXI et XXXII.

[43] P. 18 du rapport.

[44] L'original de cette lettre est aux Archives. Elle porte en suscription : Au citoyen Saint-Just, député à la Convention et membre du comité de Salut public.

[45] Voici l'ordre d'arrestation de Jacquotot : Paris, le 11 thermidor. Les comités de Salut public et de Sûreté générale arrêtent que le nommé Jacquotot, ci-devant homme de loi, rue Saint-Jacques, 13, sera mis sur-le-champ en état d'arrestation dans la maison de détention dite des Carmes ; la perquisition la plus exacte de ses papiers sera faite, et ceux qui paraîtront suspects seront portés au comité de Sûreté générale de la Convention nationale. Barère, Dubarran, Billaud-Varenne, Robert Lindet, Jagot, Voulland, Moïse Bayle, C.-A. Prieur, Collot-d’Herbois, Vadier. (Archives, coll. 119.)

[46] Alison, History of Europe, 1849, t. II, p. 145.

[47] Discours du 8 thermidor.

[48] Discours du 8 thermidor.

[49] Aucun historien, que je sache, n'a jusqu'à ce jour signalé cette particularité.

[50] Voyez le Moniteur du 19 fructidor an II (5 septembre 1794.)

[51] Moniteur du 29 thermidor (16 août 1794).

[52] De graves accusations de dilapidation furent dirigées contre Barras et Fréron, notamment à la séance de la Convention du 2 vendémiaire an III (Moniteur du 6 vendémiaire [27 septembre 1794]). L'active participation de ces deux représentants au coup d'État de Thermidor contribua certainement à les faire absoudre par l'Assemblée. Consultez à ce sujet les Mémoires de Barère qui ici ont un certain poids. (t. IV, p. 223.) L'auteur assez favorable d'une vie de Barras, dans la Biographie universelle (Beauchamp), assure que ce membre du Directoire recevait des pots-de-vin de 50 à 100.000 francs des fournisseurs et hommes à grandes affaires qu'il favorisait. Est-il vrai que, devenu vieux, Barras ait senti peser sur sa conscience, comme un remords, le souvenir du 9 Thermidor ? Voici ce qu'a raconté à ce sujet M. Alexandre Dumas : Barras nous reçut dans son grand fauteuil qu'il ne quittait guère plus vers les dernières années de sa vie. Il se rappelait parfaitement mon père, l'accident qui l'avait éloigné du commandement de la force armée au 13 vendémiaire, et je me souviens qu'il me répéta plusieurs fois, ce jour-là, ces paroles, que je reproduis textuellement : Jeune homme, n'oubliez pas ce que vous dit un vieux républicain : je n'ai que deux regrets, je devrais dire deux remords, et ce. seront les seuls qui seront assis à mon chevet le jour où je mourrai : J'ai le double remords d'avoir renversé Robespierre par le 9 Thermidor, et élevé Bonaparte par le 13 Vendémiaire. (Mémoires d'Alexandre Dumas [Feuilleton de la Presse du 27 août 1852].)

[53] Les signataires de cette dénonciation méritent d'être connus ; c'étaient Preuille, vice-président, Bazin et Trouvé, secrétaires de la société populaire de Maisons-Alfort. Voyez cette dénonciation, citée in extenso, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 83. — Les dénonciateurs se plaignaient surtout qu'à la date du 28 thermidor, Deschamps n'eût pas encore été frappé du glaive de la loi. Leur vœu ne tarda pas à être rempli ; le pauvre Deschamps fut guillotiné le 5 fructidor an II (22 août 1794).

[54] Rapport sur les événements du 9 Thermidor, p. 24.

[55] Voyez ces notes à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 80.

[56] Rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 31. J'ai eu entre les mains l'original de cette note, en marge de laquelle Courtois a écrit : Vérités tardives !

[57] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. XIII, p. 300 et 301.

[58] Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. XIII, p. 362, 364. C'est encore là, du reste, une amplification du récit de Courtois. Voyez son rapport sur les événements du 9 Thermidor, p. 9.

[59] Les éditeurs des Papiers inédits ont donné cette lettre comme inédite ; ils n'avaient pas lu apparemment l'Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté. Voyez Papiers inédits, t. I, p. 261.

[60] Voici cet arrêté : Du 30 juillet 1793, les comités de Salut public et de Sûreté générale arrêtent que Beffroy, député du département de l'Aisne, et Courtois, député du département de l'Aube, seront amenés sur-le-champ au comité de Salut public pour être entendus. Chargent le maire de Paris de l'exécution du présent arrêté. Robespierre, Prieur (de la Marne), Saint-Just, Laignelot, Amar, Legendre.

[61] Les dilapidations de Courtois n'en paraissent pas moins constantes. L'homme qui ne craignit pas de voler les papiers les plus précieux de Robespierre, était bien capable de spéculer sur les fourrages de la République. Sous le gouvernement de Bonaparte, il fut éliminé du Tribunal à cause de ses ripotages sur les grains. Devenu riche, il acheta en Lorraine une terre où il vécut retiré jusqu'en 1814. On raconte qu'en Belgique, où il se retira sous la Restauration, les réfugiés s'éloignaient de lui avec dégoût. Voyez à ce sujet les Mémoires de Barère, t. III, p. 253.

[62] Il y a de Courtois deux rapports qu'il faut bien se garder de confondre : le premier, sur les papiers trouvés chez Robespierre et autres, présenté à la Convention dans la séance du 16 nivôse de l'an III (5 janvier 1795), imprimé par ordre de la Convention, in-8° de 408 p. ; le second, sur les événements du 9 Thermidor, prononcé le 8 thermidor de l'an III (26 juillet 1795), et également imprimé par ordre de la Convention, in-8° de 220 p. ; ce dernier précédé d'une préface en réponse aux détracteurs de la journée du 9 Thermidor.

[63] Michaud jeune, Article COURTOIS, dans la Biographie universelle.

[64] Séance de la Convention du 20 frimaire an III (10 décembre 1794), Moniteur du 22 frimaire.

[65] En 1816, le domicile de Courtois fut envahi par les ordres du ministre de la police Decaze, et tous ceux de ses papiers qu'il n'avait point vendus ou cédés se trouvèrent saisis. Casimir Périer lui en fit rendre une partie après 1830.

[66] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 877, p. 415.

[67] Nous avons déjà cité cette lettre en extrait dans notre premier volume. Voyez-là, du reste, dans les Papiers inédits, t. I, p. 180.

[68] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 877.

[69] Moniteur du 3 ventôse an III (21 février 1795).

[70] P. 10 du rapport.

[71] P. 11.

[72] P. 11. Toutes les lettres auxquelles il est fait allusion figurent à la suite du rapport de Courtois.

[73] P. 13 du rapport.

[74] P. 23 du rapport. — Le rapporteur veut bien avouer (p. 25) que quelques hommes superficiels ont cru au courage de Robespierre. D'après Courtois, ce courage n'était que de l'insolence. Il y a toutefois là un aveu involontaire dont il faut tenir compte, surtout quand on songe que tant d'écrivains, parmi lesquels on a le regret de voir figurer M. Thiers, — je ne parle pas de Proudhon, — ont fait de Robespierre un être faible, timide, pusillanime.

[75] Rapport de Courtois, p. 54. — On a honte vraiment d'être obligé de prémunir le lecteur contre de si grossières inventions. Voici cette lettre dont les Thermidoriens ont cru avoir tiré un si beau parti, et que nous avons transcrite aux Archives sur l'original, en en respectant soigneusement l'orthographe : Sans doute vous être inquiette de ne pas avoire recu plutot des nouvelles des effet que vous m'avez fait addresser pour continuer le plan de faciliter votre retraite dans ce pays, soyez tranquille sur tout les objets que votre adresse a su me fair parvenir depuis le commencement de vos crainte personnel et non pas sans sujèt, vous savez que je ne doit vous faire de reponce que par notre courrier ordinaire comme il a été interrompu par sa dernière course, ce qui est cause de mon retard aujurd'huit, mais lorsque vous la rêcevêrez vous eniploirêz toute la vigilance que l'exige la nesesité de fuir un theâtre ou vous devez bientôt paraitre et disparaitre pour la dernière fois ; il est inutil de vous rappeller toutes les raison qui vous expose car ce dernier pas qui vient de vous mettre sur le soffa de la présidence vous raproche del'echafaut ou vous verriez cette canaille qui vous crachèrait au visage comme elle a fait à ceux que vous avez jugé l'Egalité, dit d'Orléans, vous en fournit un assez ju'and êxemple.- Ainsy, puisque vous être parvenu à vous former ycy un tresor suffisant pour exister longtems ainsy que les personnes pour qui jen naits recu de vous vous attendre avec grande impatience pour rire avec vous du rôle que vous aurez jouée dans le trouble dune nation aussy crédul qu'avide de nouveauté. 0 peuple dans ton sistême chio mérique dune Egalité qui ne sont que des mots et ces memes mots vous rendent le jouet de tout lunivers. Ce meme peuple née dans la vraix croiance d'un Dieu ses laissé persuader quil n'en nexistè point, et bien convaincu dans cette erreur, il finit par reconnaitre un être suprême pour nier un Dieu, mais aujourd'huit vous reconnoitré avec vérité que Pitt vous traduira a la guilliotine, il vien de vous en approcher tous en vous détruisant votre armée navalle si vantée depuis 8 mois ou vous deviez plante larbl'e libertas en Angleterre tous ces projets son manqué pitt l'emporte il ne vous reste plus despoire, la révolution de pologne ne vous sera daucun secours, prenez votre partis dapres nos arrangement, tout et disposé, la fumé de la contrerevolution se fait sentir jusquicy.

Je finis notre courrier parti je vous attend pour reponce.

Cette lettre, d'un fou ou d'un mystificateur, porte en suscription : Au cytoyen cytoyen Robespierre, président de la Convention national, en son hôtel, a Paris. (Archives, F 7, 4436.)

[76] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 125.

[77] Cette lettre, dont l'original est aux Archives (F 7, 4436, liasse R.), ne porte point de date. Elle figure à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XLII (a).

[78] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 126.

[79] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 126.

[80] Voyez, à cet égard, la note de Laponneraye, p. 133 des Mémoires de Charlotte Robespierre.

[81] L'original de la lettre de Charlotte Robespierre est aux Archives, où chacun peut la voir (F 7, 4436, liasse R).

[82] Voyez le rapport de Courtois, p. 25. La lettre tronquée de Charlotte figure à la suite de ce rapport, sous le numéro XLII (b). Elle a été reproduite telle quelle par les éditeurs intelligents des Papiers inédits, t. II, p. 112. Dans des Mémoires, dont quelques fragments ont été récemment publiés, un des complices de Courtois, le cynique Barras, a écrit : Courtois n'a point calomnié Robespierre en disant qu'il n'avait point d'entrailles, même pour ses parents. Les lettres que sa sœur lui a écrites sont l'expression de la douleur et du désespoir. N'ai-je pas eu raison de dire que ces Thermidoriens s'étaient entendus comme des larrons en foire. Ce passage, du reste, a son utilité ; il donne une idée du degré de confiance que méritent des Mémoires de Barras.

[83] L'abbé Proyard, Vie de Robespierre, p. 170. Nous avons plusieurs fois déjà cité ce libelle impur, fruit d'une imagination en délire, et où se trouvent condensées avec une sorte de frénésie toutes les calomnies vomies depuis Thermidor sur la mémoire de Robespierre.

[84] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 123.

[85] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 145.

[86] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 359.

[87] Rapport fait au nom de la commission chargée de l'examen des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, par L.-B. Courtois, représentant du département de l'Aube, p. 16.

[88] Rapport fait au nom de la commission chargée de l'examen des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, par L.-B. Courtois, représentant du département de l'Aube, p. 16.

[89] Les Crimes des sept membres des anciens comités, etc., par Laurent Lecointre, p. 53.

[90] Cette pièce figure à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XXVIII ; mais elle n'a pas été imprimée conforme à l'original, qu'on peut voir aux Archives, F 7, 4336, liasse R.

[91] Archives, F 7, 4437. Voici, du reste, deux arrêtés en date du 1er thermidor qui tranchent bien nettement la question : Le comité de Salut public arrête qu'il sera délivré au citoyen Guérin un mandat de deux mille 166 livres 10 sous à prendre sur les 50 millions à la disposition des membres du comité de Salut public.

Le comité de Salut public arrête que les appointements du citoyen Guérin, son agent, seront de cinq cents livres par mois, et que les dix citoyens qu'il occupe pour l'aider dans ses opérations seront payés à raison de 166 livres 13 sous. (Archives, F 7, 4437.)

[92] Voyez à cet égard une vie apologétique de Carnot, publiée en 1817 par Rioust, in-8 de 294 p., p. 145.

[93] Voyez aux Archives les rapports manuscrits de Guérin, F 7, 4436, liasse R. Ces pièces figurent à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XX VIII, p. 128 et suiv.

[94] Séance de la Convention du 30 ventôse an III (20 mars 1795), Moniteur du 3 germinal (23 mars).

[95] Séance de la Convention du 7 germinal an III (27 mars), Moniteur du 11 germinal (31 mars 1795).

[96] Séance des Jacobins du 26 thermidor an II (8 août 1794), Moniteur du 30 thermidor.

[97] Séance de la Convention du 8 vendémiaire an III (29 septembre 1794), Moniteur des 11 et 12 vendémiaire.

[98] Séance de la Convention du 12 vendémiaire an III (3 octobre 1794), Moniteur du 13 vendémiaire.

[99] Voyez ces vers dans le Moniteur du 3 frimaire an III (29 novembre 1794).

[100] Voyez notamment le Moniteur des 3 et 27 germinal an III (23 mars et 16 avril 1795), des 12 et 18 floréal an III (1er et 7 mai 1795), des 2 et 11 thermidor an III (20 et 29 juillet 1795), etc.

[101] Il faut lire dans l'Histoire de la Restauration, par M. de Vaulabelle, les infamies dont, sous la Restauration, le baron Trouvé s'est rendu complice comme préfet.

[102] Séance de la Convention du 16 floréal an III (5 mai 1795). Voyez le Moniteur du 20 floréal.

[103] Taschereau avait été mis hors la loi dans la nuit du 9 au 10 thermidor. Voyez le Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1795).

[104] Voyez le Moniteur du 13 germinal an VII (2 avril 1799).

[105] Beaucoup de personnes avaient donné à leurs enfants le nom de Robespierre, tant ce grand citoyen était en effet un monstre horrible et sanguinaire. En l'an VI il se trouva au conseil des Anciens un compatriote de Maximilien, nommé Dauchet, qui poussa le dédain de la vérité jusqu'à prétendre que c'étaient les officiers de l'état civil qui avaient contraint les parents de donner à leurs enfants ce nom odieux. Ingénieuse manière d'excuser les admirateurs du vaincu ! (Séance du conseil des Anciens du 15 prairial an VI [3 juin 1797].)

[106] Voyez cette lettre de Mazade dans le Moniteur du 12 ventôse de l'an III (3 mars 1795).

[107] Voyez cette note dans les Papiers inédits, t. I, p. 154.

[108] Nous avons dit ailleurs comment, pour le Portrait de Robespierre, Merlin n'avait fait qu'endosser une œuvre de Rœderer.

[109] Préfet sous le gouvernement consulaire, Harmand (de la Meuse) publia en 1814, sous ce titre : Anecdotes relatives à quelques personnes et à plusieurs événements remarquables de la Révolution, un libelle effrontément cynique qu'une main complaisante réédita en 1819, en y ajoutant douze anecdotes qui, prétendit-on, avaient été supprimées lors de la première édition. C'est là qu'on lit que Saint-Just s'était fait faire une culotte de la peau d'une jeune fille qu'il avait fait guillotiner. De pareilles œuvres ne s'analysent ni ne se discutent ; il suffit de les signaler, elle et leurs auteurs, au mépris de tous les honnêtes gens.

[110] Nombre de ces pamphlets sont l'œuvre de Méhée fils, lequel signa : Felhemesi, anagramme de son nom. Nous avons déjà dit autre part quel horrible coquin était ce Méhée, qui ne put jamais pardonner à Robespierre d'avoir en 1792 combattu sa candidature a la Convention nationale. Rappelons ici que, sous le nom de Méhée de la Touche, il fut un des mouchards de la police impériale, et qu'après la chute de Napoléon il tenta de se mettre au service de la Restauration.

[111] Hymne dithyrambique sur la conjuration de Robespierre et la révolution du 9 Thermidor, par Joseph Rouget de Lisle, capitaine au corps du génie, auteur du chaut marseillais, à Paris, l'au deuxième de la République une et indivisible. Le couplet suivant, qui a trait directement à Robespierre, peut donner une idée de cet hymne que, par une sorte de profanation, l'auteur mit sur l'air de la Marseillaise :

Voyez-vous ce spectre livide

Qui déchire son propre flanc ;

Encore tout touillé de sang,

De sang il est encore avide.

Voyez avec un rire affreux

Comme il désigne ses victimes,

Voyez comme il excite aux crimes

Ses satellites furieux.

Chantons la liberté, couronnons sa statue, etc.

Voilà bien le Robespierre de la légende thermido-girondine.

[112] Il n'est pas inutile, pour l'édification du lecteur, de donner un échantillon de cette rapsodie. Le théâtre représente une des salles du comité de Salut public.

LUCRÈCE (jeune Parisienne)

... Pardonnez un trouble involontaire,

Je viens vous demander la liberté d'un père

Dans l'horreur des cachots plongé depuis longtemps.

ROBESPIERRE.

(A part.) Quelle beauté ! quels traits ! Je cède à ma faiblesse.

(Haut.) Madame, demeurez. Vous, gardes, qu'on nous laisse.

(Les gardes se retirent.)

 

SCÈNE IX.

ROBESPIERRE, LUCRÈCE.

 

ROBESPIERRE.

Madame, pardonnez d'apparentes rigueurs ;

Entouré d'assassins et de conspirateurs.

Je n'ai du vous montrer qu'un visage sévère ;

Mais toujours deux beaux yeux désarment ma colère,

Prêt à sécher vos pleurs, j'éprouve en vous voyant

Tout l'intérêt qu'inspire un tendre sentiment.

Votre père n'est point sans doute irréprochable,

Mais de tous les mortels fût-il le plus coupable.

Ici je fais la loi, je punis ou j'absous.

Et son sort, en un mot, ne dépend que de vous.

LUCRÈCE.

Quoi ! vous pouvez aimer !

ROBESPIERRE.

Dieu ! si j'aime ! Ah ! madame.

Rien ne peut égaler le transport qui m'enflamme.

LUCRÈCE.

Je dois vous épargner d'inutiles discours ;

Rien de plus cher pour moi que l'auteur de mes jours ;

Mais au prix de l'honneur, s'il faut sauver son père,

C'est, et n'en doutez pas, l'honneur que je préfère.

Rappelez vos bourreaux.

ROBESPIERRE.

Tu braves ma bonté !

Eh bien, tu recevras le prix de la fierté !

Qu'on l'arrête, soldats !...

Le nom de l'auteur de cette belle œuvre nous a échappé, et c'est dommage. Il est bon que le nom d'Anitus vive à côté de celui de Socrate. Le roman moderne offre quelques équivalents d'inepties pareilles. C'est pitié ! Est-ce que c'est un métier bien honnête que d'habiller à sa fantaisie un personnage historique, de le peindre suivant ses caprices et ses passions en marchant à pieds joints sur toute espèce de vérité, et de le présenter ainsi à la masse des lecteurs crédules et superficiels ? Je le demande aux gens de bonne foi. Le roman ne devrait jamais se faire le complice du pamphlet.

[113] Vie secrète, politique et curieuse de Maximilien Robespierre, suivie de plusieurs anecdotes sur la conspiration sans pareille, par L. Duperron, avec une gravure qui représente une main tenant par les cheveux la tête de Maximilien, in-12 de 36 pages.

[114] Histoire de la conjuration de Robespierre, par Montjoie, p. 149 de l'édition in-8° de 1795 (Lausanne).

[115] Montjoie, Histoire de la conjuration de Robespierre, p. 154.

[116] Montjoie, Histoire de la conjuration de Robespierre, p. 158.

[117] Collaborateur au Journal général de France et au Journal des débats, Montjoie reçut du roi Louis XVIII une pension de trois mille francs et une place de conservateur à la Bibliothèque Mazarine. Son panégyriste n'a pu s'empêcher d'écrire : Le respect qu'on doit à la vérité oblige de convenir que Montjoie n'était qu'un écrivain médiocre ; son style est incorrect et déclamatoire, et ses ouvrages historiques ne doivent être lus qu'avec une extrême défiance. (Art. MONTJOIE, par Weiss, dans la Biographie universelle)

[118] MM. Michelet et Quinet.

[119] Voyez notamment une lettre de Cousin dans les Papiers inédits, t. III, p. 317, et à la suite du rapport de Courtois, sous le n° LXXIV. Volontaire à l'armée de la Vendée, Cousin avait avec lui deux fils au service de la République. Robespierre, paraît-il, avait déjà eu des bontés pour lui ; Cousin le prie de les continuer à un père de famille qui ne veut rentrer, ainsi que ses deux fils, dans ses foyers que lorsque les tyrans de l'Europe seront tous extirpés. Quelle belle occasion pour les Thermidoriens de flétrir un solliciteur ! Voyez p. 61 du rapport.

[120] Lettre de J.-P. Besson, de Manosque, en date du 23 prairial ; citée sous le n° I, à la suite du rapport de Courtois. Vide supra.

[121] Lettre de Hugon jeune, de Vesoul, le 11 prairial ; citée à la suite du rapport sous le n° IV. L'honnête Courtois a eu soin de supprimer le dernier membre de phrase. Nous l'avons rétabli d'après l'original conservé aux Archives, et en marge duquel on lit de la main de Courtois : Flagorneries. Voyez Archives, F 7, 4436, liasse X. — Nous avons déjà parlé des services nombreux rendus par Robespierre à un certain nombre de personnes. Voici un fait qui nous a été affirmé, et que nous publions sous toutes réserves ne pouvant en établir l'authenticité. Un jour que Maximilien se promenait dans la forêt de Montmorency avec un révolutionnaire très-ardent, il rencontra Bosc, l'ancien administrateur des postes sous Roland, dont Robespierre avait eu fort à se plaindre personnellement, et qui, réduit à se cacher, était venu chercher un asile dans les environs de Montmorency. — Mais, c'est Bosc, dit à Maximilien son compagnon de promenade, il faut le faire arrêter. — Non, dit Robespierre, qui avait parfaitement reconnu l'ami de Roland, il a été guillotiné ces jours-ci. — Et à la faveur de ce complaisant mensonge Bosc put s'éloigner tranquillement et regagner sa retraite.

[122] Lettre en date du 28 germinal, citée par extrait à la suite du rapport de Courtois sous le n" VII. L'original est aux Archives, F 7, 4436, liasse R.

[123] Lettre de Sedan en date du 19 août 1793, citée par Courtois sous le n° VIII.

[124] Lettre citée à la suite du rapport de Courtois sous le n° IX. Le dernier membre de phrase a été supprimé par Courtois.

[125] Lettre omise par Courtois, provenant de la précieuse collection Beuchot, que le savant conservateur de la bibliothèque du Louvre, M. Barbier, a bien voulu mettre à notre disposition.

[126] Lettre citée par Courtois sous le n° X. Pour l'honneur de l'humanité, nous aimons à croire qu'il n'y a qu'une ressemblance de nom entre le signataire de cette lettre, Louis-Auguste Félix. et un sieur Félix qui, après Thermidor, publia sous le titre de la Dictature renversée une lâche diatribe contre Robespierre.

[127] Lettre de Vaquier, ancien inspecteur des droits réservés, insérée par Courtois sous le n° XI et déjà citée par nous. Vide supra.

[128] Lettre du citoyen Chauvet, ancien capitaine-commandant de la compagnie des vétérans de Château-Thierry, en date du 30 prairial, déjà citée. De cette lettre très-longue d'un jeune homme de quatre-vingt-sept ans, lettre dont l'original est aux Archives, Courtois n'a cité qu'une vingtaine de lignes, n° XII.

[129] Lettre en date du 22 messidor, tronquée et altérée par Courtois, sous le n° XIII.

[130] Lettre de Dathé, ancien maire de Vermanton, en Bourgogne, et de Picard, citées sous le n° XV à la suite du rapport de Courtois.

[131] Lettre citée par Courtois sous le n° XXIV. Vide supra.

[132] Lettre en date du 15 floréal an II, citée par Courtois sous le n° XXIV.

[133] Rapport de Courtois, p. 9 et 10.

[134] Rapport de Courtois, p. 12.

[135] Discours du 8 thermidor, p. 16.

[136] Rapport de Courtois, p. 103.

[137] Nous avons déjà dit l'indigne trafic qu'a fait Courtois des innombrables lettres trouvées chez Robespierre.

[138] Lettre de Guffroy à ses concitoyens d'Arras, écrite de Paris le 29 thermidor an II (16 août 1793).

[139] Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 35.

[140] Réponse des anciens membres des deux comités aux imputations de L. Lecointre, p. 19.

[141] Mémoire de Billaud-Varenne conservé aux Archives, F 7, 4579², p. 5 du manuscrit.

[142] Mémoire de Billaud-Varenne conservé aux Archives, F 7, 4579², p. 12 et 13.

[143] Essai sur les fêtes nationales, adressé à la Convention, in-8° de 192 p., déjà cité. Membre du Sénat et comte de l'Empire, grand officier de la Légion d'honneur, pair de France de la première Restauration, pair de France de l'Empire des Cent jours, pair de France de la seconde Restauration, Boissy-d'Anglas mourut considéré et comblé d'honneurs en 1826. C'était un sage !

[144] Mémoire manuscrit de Billaud-Varenne, Archives, F, 7, 4579², p. 38 et 39.

[145] Mémoire manuscrit de Billaud-Varenne, Archives, F, 7, 4579², p. 40.

[146] Mémoire manuscrit de Billaud-Varenne, Archives, F, 7, 4579², p. 40.

[147] C'est ce qu'avait parfaitement compris M. de Lamartine. Avec Robespierre et Saint-Just, dit-il en terminant son Histoire des Girondins, finit la grande période de la Révolution. La seconde race des révolutionnaires commence. La République tombe de la tragédie dans l'intrigue, du fanatisme dans la cupidité. Au moment où tout se rapetisse, arrêtons-nous pour contempler ce qui fut si grand, t. VIII, p. 379. — L'illustre poète, pour écrire son livre, n'a pas cru devoir puiser aux sources. Il ne s'est pas condamné au rude travail de compulser pendant de longs mois tous les documents qui ont si longtemps dormi dans les cartons des Archives, sans qu'aucune main vînt les réveiller pour les prendre à témoin ; travail rude en effet, mais d'où jaillit la lumière, et grâce auquel nous apportons aujourd'hui de si précieuses révélations historiques. Toutefois, à défaut de ces recherches indispensables, M. de Lamartine semblait avoir été éclairé par une sorte d'intuition. Devant la hauteur de vues, la pureté des principes de Robespierre, il s'était incliné, et, entraîné par une irrésistible séduction, il avait laissé échapper de sa poitrine un long cri d'enthousiasme qui n'était que l'accent de la vérité triomphante. Cela suffisait pour effacer bien des erreurs de détail. Depuis, il est vrai, M. de Lamartine a fait amende honorable. Dans son Cours familier de littérature, il a brûlé ce qu'il avait adoré ; il a enfin, au nom de la réaction, anathématisé Robespierre parce qu'il a vu son ombre dans la rue en 1848. Singulière rancune d'homme d'État tombé du pouvoir ! Mais l'auteur des Girondins s'est ici complètement fourvoyé ; il a pris les ombres d'Hébert, de Varlet et de Vincent pour celle de Robespierre. Ah ! si celui-ci eût été l'homme de la rue, les assassins n'auraient pas eu si bon marché de lui, et la République n'aurait pas été ébranlée en Thermidor pour disparaître quelques années plus tard dans les plis du manteau impérial.

On ne saurait s'imaginer, du reste, avec quelle légèreté M. de Lamartine a tiré parti des renseignements qui lui ont été fournis par quelques-uns des survivants de la grande époque. Pour nous édifier sur la consciencieuse minutie de ses recherches, il nous dit bien qu'il a longuement causé avec Mme Le Bas, ce témoin naïf et passionné de la vie intime de Robespierre, cette protestation vivante et ardente contre les calomnies des historiens de la Révolution, mais de quel profit a été pour lui cette conversation ? il fait périr sur l'échafaud de Robespierre, Maurice Duplay, le père de Mme Le Bas, lequel est mort tranquillement dans son lit en 1820, vingt-six ans après le meurtre de l'illustre ami pour lequel il eût en effet volontiers sacrifié sa vie. Et M. de Lamartine croit que cette femme, Romaine transplantée dans notre monde moderne, avait eu la pensé de devenir l'épouse du jeune et beau proconsul Saint-Just, quand la Révolution serait close, oubliant que Mme Le Bas était mariée depuis un an, à l'époque du 9 Thermidor, et que son fils, le bon et savant Philippe Le Bas, âgé de deux mois alors, suça le lait maternel dans les cachots où les sauveurs de la France jetèrent tous les amis de Robespierre, quand ils ne leur firent pas expier leur amitié sur l'échafaud. M. de Lamartine ne s'est même plus souvenu de son Histoire des Girondins (Voyez Cours familier de littérature, entretiens LXXI et LXXII.)

[148] Conjuration formée dès le 5 prairial par neuf représentants du peuple, etc. Rapport et projet d'accusation par Laurent Lecointre, in-8° de 38 p., de l'imprimerie du Rougyff, p. 4.

[149] Conjuration formée dès le 5 prairial par neuf représentants du peuple, etc. Voir le titre.

[150] Mémoire de Billaud-Varenne, ubi supra, p. 69 du manuscrit.

[151] Discours du 8 thermidor, p. 19.

[152] Les signataires de cette liste sont : Vadier, Voulland, Élie Lacoste, Collot-d’Herbois, Barère, Rühl, Amar, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne. Archives, F 7, 4436, Rapport de Saladin, p. 142 et 254.

[153] Arrêté signé : Barère, Dubarran, C.-A. Prieur, Louis (du Bas-Rhin), Lavicomterie, Collot-d’Herbois, Carnot, Couthon, Robert Lindet, Saint-Just, Billaud-Varenne, Voulland, Vadier, Amar, Moyse Bayle (cité dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 393).

[154] Arrêté en date du 26 messidor, signé : Robespierre, Carnot, Collot-d’Herbois, Barère, Couthon, Billaud-Varenne, C.-A. Prieur, Robert Lindet (Archives, F 7, 4437). Vide supra.

[155] Discours du 8 thermidor, p. 10, 7 et 8.

[156] Séance du 14 thermidor an VIII (1er août 1799). Moniteur du 20 thermidor.

[157] Discours du 9 thermidor.

[158] Ces détails ont été fournis aux auteurs de l'Histoire parlementaire par Buonaroti, qui les tenait d'Ingrand lui-même. Membre du conseil des Anciens jusqu'en 1797, Ingrand entra vers cette époque dans l'administration forestière et cessa de s'occuper de politique. Proscrit en 1816, comme régicide, il se retira à Bruxelles, y vécut pauvre, souffrant stoïquement comme un vieux républicain, et revint mourir en France, après la Révolution de 1830, fidèle aux convictions de sa jeunesse.

[159] Dernières années de Billaud-Varenne, dans la Nouvelle Minerve, t. Ier, p. 351 à 358. La regrettable part prise par Billaud au 9 Thermidor ne doit pas nous empêcher de rendre justice à la fermeté et au patriotisme de ce républicain sincère. Au général Bernard, qui, jeune officier alors, s'était rendu auprès de lui à Cayenne pour lui porter sa grâce de la part de Bonaparte et de ses collègues, il répondit : Je sais par l'histoire que des consuls romains tenaient du peuple certains droits ; mais le droit de faire grâce que s'arrogent les consuls français n'ayant pas été puisé à la même source, je ne puis accepter l'amnistie qu'ils prétendent m'accorder. Un jour, ajoute le général Bernard, il m'échappa de lui dire sans aucune précaution : Quel malheur pour la Convention nationale que la loi du 22 prairial ait taché de sang les belles pages qui éternisent son énergie contre les ennemis de la République française, c'est-à-dire contre toute l'Europe armée !Jeune homme, me répondit-il avec un air sévère, quand les os des deux générations qui succéderont à la vôtre seront blanchis, alors et seulement alors, l'histoire s'emparera de cette grande question. Puis, se radoucissant, il me prit la main en me disant : Venez donc voir les quatre palmiers de la Guadeloupe, que Martin, le directeur des épiceries, est venu lui-même planter dans mon jardin.

(Billaud-Varenne à Cayenne, par le général Bernard, dans la Nouvelle Minerve, t. II, p. 288.)

La nouvelle de la rentrée des Bourbon affecta beaucoup Billaud-Varenne vieilli, et il ne put s'empêcher de se lamenter sur sa patrie si effacée, disait-il, qu'elle subissait de nouveau le joug odieux de ces Bourbon et des Girondins introduits à la Chambre des pairs par Louis XVIII.

(Dernières années de Billaud-Varenne, dans la Nouvelle Minerve, t. Ier, ubi supra.)

[160] Voyez, au sujet de la préférence de Carnot pour Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois, les Mémoires sur Carnot par son fils, t. Ier, p. 511.

[161] Discours de Saint-Just dans la séance du 9 Thermidor.

[162] Discours de Saint-Just dans la séance du 9 Thermidor.

[163] Nous lisons dans un rapport de l'agent national de Boulogne au comité de Salut public, en date du 25 messidor (13 juillet 1794), que ce fonctionnaire avait appris par des connaissances que Carnot avait failli faire manquer l'affaire de Charleroi (Pièce de la collection Beuchot). Les membres des anciens comités, dans la note 6 où il est question des discussions entre Saint-Just et Carnot, n'ont donné aucune explication à ce sujet. (Voyez leur Réponse aux imputations de Laurent Lecointre, p. 105.)

[164] Discours du 8 Thermidor.

[165] C'est ce que M. Philippe Le Bas a assuré à M. Hippolyte Carnot.

[166] Mémoires sur Carnot, par son fils, t. Ier, p. 510.

[167] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 14.

[168] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 13.

[169] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 15.

[170] Séance du 9 Thermidor. Voyez le Moniteur du 12 (30 juillet 1794).

[171] Mémoire de Billaud-Varenne. Ubi supra, p. 43 du manuscrit.

[172] Ce trait sublime : Je ne parle pas de leurs armées, est de la hauteur de Nicomède et de Corneille, a écrit Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution, t. Ier, p. 294 de l'édit. Charpentier.

[173] Discours du 8 thermidor, p. 15 et 16.

[174] Discours du 8 thermidor, p. 43.

[175] Discours de Saint-Just dans la séance du 9 thermidor.

[176] Discours de Saint-Just dans la séance du 9 Thermidor. — Nous avons dit qu'il n'existait presque point d'arrêtés portant les seules signatures de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just. En voici un pourtant du 30 messidor : Le comité de Salut public arrête que les citoyens Fijon et Bassanger, patriotes liégeois, seront mis sur-le- champ en liberté... Couthon, Robespierre, Saint-Just. Archives, F 7, 4437. Eh bien ! après Thermidor, il se trouvera des gens pour accuser Robespierre d'être l'auteur des persécutions dirigées contre certains patriotes liégeois.

[177] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de L. Lecointre, p. 16.

[178] M. Hippolyte Carnot, dans ses Mémoires sur son père, reproduit cette accusation et l'appuie du témoignage de Toulongeon, qu'il appelle un narrateur peu passionné et généralement bien informé. Selon Toulongeon, Saint-Just disait qu'il n'y avait d'autre moyen de salut public que de le remettre à une destinée particulière. Évidemment Toulongeon n'a fait que traduire ici la pensée des anciens membres des comités, dans la brochure desquels il s'est contenté de puiser ses renseignements. Une chose doit à bon droit étonner les lecteurs de M. Carnot, c'est que son père ne lui ait pas dit au juste quelle avait été la proposition de Saint-Just. (Voyez Mémoires sur Carnot par son fils, t. Ier, p. 525). Cela ne nous étonne nullement, quant à nous, parce qu'il est aussi clair que le jour que jamais proposition semblable n'est tombée de la bouche de Saint-Just.

[179] Mémoires de Barère, t. II, p. 213, 216 et 232. Voyez au surplus, à ce sujet, notre Histoire de Saint-Just.

[180] C'est M. H. Carnot qui, dans ses Mémoires sur son père, raconte ce fait comme l'ayant trouvé dans une note évidemment émanée d'un témoin oculaire qu'il ne nomme pas (t. Ier, p. 530). Comment, répéterons-nous, Carnot n'aurait-il rien dit à son fils d'une proposition aussi importante que celle de Saint-Just si jamais elle avait été faite ?

[181] Voyez cette lettre de l'Anglais Vaughan, dans les Mémoires de Barère (t. II, p. 227). Robespierre n'en eut même pas connaissance, car, d'après Barère, elle arriva et fut décachetée au comité de Salut public dans la journée du 9 Thermidor.

[182] Mémoires de Barère, t. II, p. 232. Il faudrait tout un volume pour relever les inconséquences de Barère.

[183] Discours de Saint-Just du 9 Thermidor. Saint-Just, comme on sait, ne put prononcer que les premières paroles de son discours.

[184] Mémoires de Barère. Notice historique par MM. Carnot et David (d'Angers), t. Ier, p. 118, 119. — David (d'Angers) a accompli le vœu de Barère. Qui ne connaît ses beaux médaillons de Robespierre ?

[185] Pièce anonyme trouvée dans les papiers de Robespierre, et non insérée par Courtois. Elle faisait partie de la collection Beuchot (4 p. in-4°), et a été publiée dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 360.

[186] Séance des Jacobins du 3 thermidor, Moniteur du 9 Thermidor (27 juillet 1794).

[187] Séance des Jacobins du 3 thermidor, Moniteur du 9 Thermidor (27 juillet 1794).

[188] Ce mot est rapporté par Courtois à la suite de la préface de son rapport sur les événements du 9 Thermidor, note XXXVIII, p. 39. Courtois peut être cru ici, car c'est un complice révélant une parole échappée à un complice.

[189] Rapport fait à la police par Faro, administrateur de police, sur l'entrevue qui a eu lieu entre les représentants du peuple Amar et Voulland, envoyés par le comité de Sûreté générale, et les députés détenus aux Madelonnettes. Ce rapport est de la main même de l'agent national Payan, dans les papiers duquel il a été trouvé. Payan ne fut pas dupe du faux attendrissement d'Amar et de Voulland ; il sut très-bien démêler le stratagème des membres du comité de Sûreté générale. (Voyez ce rapport à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XXXIII, p. 150.) Il a été reproduit dans les Papiers inédits, t. II, p. 367.

[190] Mémoires de Durand-Maillane, p. 199.

[191] Mémoires de Durand-Maillane, p. 199.

[192] Lettre de Durand-Maillane, citée in extenso dans notre second volume. Il n'était pas possible de voir plus long-temps tomber soixante, quatre-vingts têtes par jour sans horreur, dit Durand-Maillane dans ses Mémoires, qui sont, comme nous l'avons dit déjà, un mélange étonnant de lâcheté et de fourberie. Singulier moyen de mettre fin à cette boucherie que de s'allier avec ceux qui en étaient les auteurs contre celui qu'on savait décidé à les poursuivre pour arrêter l'effusion de sang versé par le crime.

[193] A l'égard de ces conférences chez Boissy d'Anglas, je n'ai, je dois le dire, rien trouvé de certain. Je ne les rappelle que d'après un bruit fort accrédité. Ce fut, du reste, à Boissy d'Anglas particulièrement, à Champeaux-Duplasne et à Durand-Maillane que s'adressèrent les conjurés. (Mémoires de Durand-Maillane, p. 199.)

[194] Nous empruntons ce curieux détail à Toulongeon (t. II, p. 493). Toulongeon écrivain fort sujet à caution d'ailleurs, ne donne pas le nom de l'interlocuteur de Billaud-Varenne, et c'est grand dommage.

[195] Les originaux de ces lettres sont aux Archives, F 7, 4434.

[196] Cette lettre, dont l'original est aux Archives, F 7, 4436, liasse R, figure à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro LVIII, et a été reproduite dans les Papiers inédits, t. II, p. 151.

[197] Cette autre lettre, dont l'original est également aux Archives (F 7, 4436, liasse R), est d'une orthographe qu'il nous a été impossible de conserver. On la trouve arrangée à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro LX, et dans les Papiers inédits, t. II, p. 155.

[198] Ce sont les propres expressions dont s'est servi le rédacteur du rapport de Courtois, p. 51 et 52. Serviles plagiaires de tous les pamphlets thermidoriens, les méprisables auteurs de l'Histoire de la Révolution par deux amis de la liberté n'ont fait ici que copier le rapport de Courtois, t. XIII, p. 376.

[199] Cette lettre figure à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XVI, p. 113. Courtois n'a donné que l'initiale du nom de Labenette. Nous l'avons rétabli d'après l'original de la lettre, qu'on peut voir aux Archives.

[200] Il n'existe qu'une seule lettre de Payan à Robespierre ; elle est datée du 9 messidor (2 juin 1794). Cette lettre, dont nous avons déjà parlé plus haut, est surtout relative à un rapport de Vadier sur Catherine Théot, rapport dans lequel l'agent national croit voir le fruit d'une intrigue contre-révolutionnaire. Elle est très-loin de respirer un ton d'intimité, et, contrairement aux habitudes du jour, Payan n'y tutoie pas Robespierre. (Voyez-la à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro LVI, p. 212, et dans les Papiers inédits, t. II, p. 359.)

[201] M. Thiers, dont nous avons renoncé à signaler les erreurs étranges, les inconséquences, les contradictions se renouvelant de page en page, fait offrir par Hanriot à Robespierre le déploiement de ses colonnes et une énergie plus grande qu'au 2 juin. (Histoire de la Révolution, ch. XXI.) M. Thiers, suivant son habitude du reste, n'oublie qu'une chose, c'est de nous dire d'où lui est venu ce renseignement ; nous aurions pu alors en discuter la valeur.

[202] Ordre du jour en date du 26 pluviôse (14 février 1794).

[203] Ordre du jour en date du 1er germinal (21 mars 1794).

[204] Ordre du jour en date du 14 nivôse (3 janvier 1794).

[205] Ordre du jour en date du 19 pluviôse (7 février 1794).

[206] Ordre du jour en date du 17 pluviôse an II (5 février 1794).

[207] Ordre du jour en date du 29 brumaire (19 novembre 1793).

[208] Ordre du jour en date du 21 brumaire (11 novembre 1793).

[209] Ordre du jour en date du 6 brumaire (27 octobre 1793).

[210] Ordre du jour en date du 19 brumaire (9 novembre 1793).

[211] Ordre du jour en date du 25 prairial (13 juin 1794).

[212] Ordre du jour du 4 septembre 1793.

[213] Ordre du jour en date du 21 prairial an II (9 juin 1794).

[214] Ordre du jour en date du 27 ventôse (17 mars 1794).

[215] Ordre du jour en date du 16 ventôse an II (6 mars 1794).

[216] Ordre du jour en date du 16 floréal (5 mai 1794).

[217] Ordre du jour en date du 26 prairial (14 juin 1794).

[218] Ordre du jour en date du 15 pluviôse (3 février 1794).

[219] Ordre du jour en date du 27 floréal (16 mai 1794).

[220] Ordre du jour en date du 22 messidor (10 juillet 1794).

[221] Ordre du jour en date du 3 thermidor (21 juillet 1794). Les ordres du jour du général Hanriot se trouvent en minutes aux Archives, où nous les avons relevés. Un certain nombre ont été publiés à l'époque dans le Moniteur et les journaux du temps.

[222] Discours du 9 Thermidor.

[223] Vous avez confié le gouvernement à douze personnes, il s'est trouvé en effet, le dernier mois, entre les mains de deux ou trois. (Saint-Just, discours du 9 Thermidor.)

[224] Discours du 9 Thermidor.

[225] Discours du 9 Thermidor.

[226] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 7. Ces membres font allusion ici au juré Vilate et au juge Naulin, arrêtés l'un et l'autre quelque temps avant le 9 Thermidor sur la dénonciation de Billaud-Varenne. C'est sur ta dénonciation, mon cher Billaud, que le comité de Sûreté générale m'a fait mettre en arrestation. Elle porte que je suis complice de Naulin, je n'ai jamais parlé à Naulin. (Lettre de Vilate à Billaud-Varenne. De la Force, le 17 thermidor.) Archives, F 7, 4579 3. — Créature de Barère, le juré Vilate se conduisit après Thermidor avec une lâcheté qui, ainsi que nous l'avons dit déjà, ne l'empêcha pas d'être guillotiné par la réaction. Quant à Naulin, impliqué dans le procès de Fouquier-Tinville, il fut acquitté sur le témoignage des personnes les plus honorables, qui se plurent à rendre hommage à l'esprit de justice et aux sentiments d'humanité qu'il avait toujours apportés dans l'exercice de ses fonctions.

[227] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 89. M. Michelet trouve moyen de surenchérir sur les allégations inadmissibles des membres des deux anciens comités. Il raconte que le soir du 5 thermidor, le comité, non sans étonnement, vit arriver Robespierre. Et que voulait-il ? se demande l'éminent écrivain ; les tromper ? gagner du temps jusqu'au retour de Saint-Just ? Il ne le croit pas, et c'est bien heureux ; mais s'il avait étudié avant d'écrire, il se serait aperçu que Robespierre n'avait pas à gagner du temps jusqu'au retour de Saint-Just, puisque ce représentant était de retour depuis le 10 messidor, c'est-à-dire depuis plus de trois semaines, et que dans son dernier discours il a raconté lui-même avec des détails qu'on ne trouve nulle part ailleurs cette séance du 5 thermidor, où il joua un rôle si important. (Voyez l'Histoire de la Révolution, par M. Michelet, t. VII, p. 428.)

[228] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 7 et 61. Barère n'a pas été plus explicite dans ses Observations sur le rapport de Saladin.

[229] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 89.

[230] Discours du 9 Thermidor.

[231] Discours du 9 Thermidor.

[232] Les Crimes de sept membres des anciens comités, etc., ou Dénonciation formelle à la Convention nationale, par Laurent Lecointre, p. 194.

[233] Discours du 9 Thermidor.

[234] Séance des Jacobins du 3 thermidor (21 juillet 1794). Les Thermidoriens n'eurent garde d'oublier Sijas. Mis hors la loi dans la matinée du 10 thermidor, ce républicain rigide et convaincu fut exécuté dans la journée du lendemain.

[235] Séance des Jacobins du 6 thermidor (24 juillet 1794).

[236] L'influence des jeunes gens de l'école de Mars sur le résultat de la journée du 9 Thermidor a été exagérée par beaucoup d'écrivains. Entraînés par Brival et Bentabole, que la Convention avait adjoints à Pessard en remplacement de Le Bas, ils vinrent, il est vrai, se mettre aux ordres de l'Assemblée ; mais ils n'eurent sur les événements aucune action déterminante.

[237] Arrêté signé : Robespierre, Carnot, Couthon, Billaud-Varenne, Barère, Collot-d’Herbois, C.-A. Prieur, J.-B. Saint-André, Robert Lindet et Saint-Just.

[238] Journal de la Montagne du 10 thermidor (28 juillet 1794).

[239] Senar, comme on sait, avait fini par être arrêté sur les plaintes réitérées de Couthon.

[240] Le compte rendu de la séance du 6 thermidor aux Jacobins ne figure pas au Moniteur. Il faut le lire dans le Journal de la Montagne du 10 thermidor (28 juillet 1794), où il est très-incomplet. La date seule, du reste, suffit pour expliquer les lacunes et les inexactitudes.

[241] On chercherait vainement dans les journaux du temps trace des paroles de Robespierre. Le compte-rendu très-incomplet de la séance du 6 thermidor aux Jacobins n'existe que dans le Journal de la Montagne. Mais les paroles de Robespierre nous ont été conservées dans le discours prononcé par Barère à la Convention le 7 thermidor, et c'est là un document irrécusable. (Voyez le Moniteur du 8 thermidor [26 juillet 1794].)

[242] Impossible de travestir plus déplorablement que ne l'a fait M. Michelet le sens de cette pétition. Elle accusait les indulgents, dit-il, t. VII, p. 435. Les indulgents ! c'est-à-dire ceux qui déclaraient la guerre aux citoyens paisibles, érigeaient en crimes ou des préjugés incurables ou des choses indifférentes pour trouver partout des coupables et rendre la Révolution redoutable au peuple même. Voila les singuliers indulgents qu'accusaient Robespierre et la pétition jacobine.

[243] Voyez à ce sujet le discours de Barère dans la séance du 7 thermidor (25 juillet 1794).

[244] Cette adresse de la société des Jacobins se trouve dans le Moniteur du 8 thermidor (26 juillet), et dans le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 673.

[245] Note de Robespierre sur quelques députés, à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro LI, et dans les Papiers inédits, t. II, p. 17. — C'était ce Dubois-Crancé qui avait baptisé Éléonore Duplay, la fiancée de Maximilien, du nom de Cornélie Copeau, allusion à la profession de Duplay. Le bout de l'oreille passait toujours, comme on voit, chez ce ci-devant gentilhomme à qui Robespierre avait également reproché d'avoir fait jadis valoir de faux titres pour usurper la noblesse. (Papiers inédits, ubi supra.)

[246] Voyez le discours de Dubois-Crancé dans le Moniteur du 8 thermidor (26 juillet 1794).

[247] Discours de Barère dans la séance du 2 thermidor (20 juillet 1794). Plus tard, Barère ne manqua pas de se vanter d'avoir dénoncé Robespierre avec tout le zèle compatible avec la prudence que doivent avoir des membres du gouvernement, etc. Réponse aux imputations de Laurent Lecointre, p. 8.

[248] Voyez le Moniteur du 8 thermidor (26 juillet 1794).

[249] Renseignement fourni par Godefroy Cavaignac à M. Hauréau.

[250] Déclaration de Tallien dans la séance du 22 thermidor an III (9 août 1795). Moniteur du 27 thermidor (14 août).

[251] Voyez à ce sujet le Ier livre de cette Histoire.

[252] Je ne trouve aucun renseignement à cet égard dans le manuscrit de Mme Le Bas.

[253] Manuscrit de Mme Le Bas.

[254] Ce discours, a écrit Charles Nodier, est surtout vraiment monumental, vraiment digne de l'histoire, en ce point qu'il révèle d'une manière éclatante les projets d'amnistie et les théories libérales et humaines qui devaient faire la base du gouvernement, sous l'influence modératrice de Robespierre, si la Terreur n'avait triomphé le 9 Thermidor. (Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 292, édit. Charpentier.)

[255] Renseignements fournis par M. le docteur Duplay, fils de Duplay à la jambe de bois.

[256] Histoire de la Convention nationale, par Léonard Gallois, t. VII, p. 206.

[257] Nous prévenons le lecteur que nous analysons ce discours d'après le manuscrit de Robespierre, manuscrit dans la possession duquel, quelque temps après le 9 Thermidor, la famille Duplay parvint à rentrer. Les passages que nous mettons en italique ont été supprimés ou dénaturés dans l'édition donnée par la commission thermidorienne.

[258] On trouve dans les Mémoires de Charlotte Robespierre quelques vers qui semblent être la paraphrase de cette idée.

Le seul tourment du juste à son heure dernière,

Et le seul dont alors je serai déchiré,

C'est de voir en mourant la pâle et sombre envie

Distiller sur mon nom l'opprobre et l'infamie,

De mourir pour le peuple et d'en être abhorré.

Charlotte attribue ces vers à son frère. (Voyez ses Mémoires, p. 121.) Je serais fort tenté de croire qu'ils sont apocryphes.

[259] Ces mots Non, Fouché, ne se trouvent point à cette place dans l'édition imprimée par ordre de la Convention, où ce passage a été reproduit deux fois avec quelques variantes.

[260] Le coup d'État connu sous le nom de 18 Brumaire n'a eu lieu en réalité que le 19.

[261] Ce discours a été imprimé sur des brouillons trouvés chez Robespierre, brouillons couverts de ratures et de renvois, ce qui explique les répétitions qui s'y rencontrent. L'impression en fut votée, sur la demande de Bréard, dans la séance du 30 thermidor (17 août 1794). On s'expliquerait difficilement comment les Thermidoriens ont eu l'imprudence d'ordonner l'impression des discours de Robespierre et de Saint-Just, où leur atroce conduite est mise en pleine lumière et leur système de terreur voué à la malédiction du monde, si l'on ne savait que tout d'abord le grand grief qu'ils firent valoir contre les victimes du 9 Thermidor fut d'avoir voulu arrêter le cours majestueux, terrible de la Révolution. Ce discours de Robespierre a eu à l'époque deux éditions in-8°, l'une de 44 p., de l'Imprimerie nationale, l'autre de 49 p. Il a été reproduit dans ses Œuvres éditées par Laponneraye, t. III ; dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 406 à 449 ; dans le Choix de rapports, opinions et discours, t. XIV, p. 266 à 309, et dans les Mémoires de René Levasseur, t. III, p. 285 à 352.

[262] Ceci est constaté par tous les journaux qui rendirent compte de la séance du 8 avant la chute de Robespierre. Voyez entre autres le Journal de la Montagne du 9 thermidor, où il est dit : Ce discours est fort applaudi. Quant au Moniteur, comme il ne publia son compte rendu de la séance du 8 que le lendemain de la victoire des conjurés, ce n'est pas dans ses colonnes qu'il faut chercher la vérité.

[263] Les Crimes des sept membres des anciens comités, ou Dénonciation formelle à la Convention nationale, par Laurent Lecointre, p. 79.

[264] Les Crimes des sept membres des anciens comités, ou Dénonciation formelle à la Convention nationale, par Laurent Lecointre, p. 79.

[265] Nous racontons cette séance du 8 thermidor d'après le Moniteur, parce que c'est encore là qu'elle se trouve reproduite avec le plus de détails ; mais le compte rendu donné par ce journal étant postérieur à la journée du 9, le lecteur ne doit pas perdre de vue que notre récit est entièrement basé sur une version rédigée par les pires ennemis de Maximilien.

[266] M. Michelet, qui est bien forcé d'avouer avec nous que la République a été engloutie dans le guet-apens de Thermidor, mais dont la déplorable partialité contre Robespierre ne se dément pas jusqu'au dénouement, a travesti de la façon la plus ridicule et la plus odieuse ce qu'il appelle le discours accusateur de Robespierre, à qui il ne peut pardonner son attaque contre Cambon. (Voyez t. VII, liv. XXI, ch. III.) Mais les opérations de Cambon ne parurent pas funestes à Robespierre seulement, puisque après Thermidor elles furent à diverses reprises l'objet des plus sérieuses critiques, et qu'a cause d'elles leur auteur se trouva gravement inculpé. M. Michelet a-t-il oublié ce passage de la Dénonciation de Lecointre : Cambon disait à haute voix, en présence du public et de notre collègue Garnier (de l'Aube) : Voulez-vous faire face à vos affaires ? guillotinez. Voulez-vous payer les dépenses immenses de vos quatorze armées ? guillotinez. Voulez-vous payer les estropiés, les mutilés, tous ceux qui sont en droit de vous demander ? guillotinez. Voulez-vous amortir les dettes incalculables que vous avez ? guillotinez, guillotinez, et puis guillotinez. (P. 195.) — Assurément je n'attache pas grande importance aux accusations de Lecointre ; mais on voit que les reproches de Maximilien à Cambon sont bien pâles à côté de ceux que le grand financier de la Révolution eut à subir de la part des hommes auxquels il eut le tort de s'allier. Avant de se montrer si injuste, si passionné, si cruel, si ingrat envers Robespierre, M. Michelet aurait bien dû se rappeler que son héros, Cambon, manifesta tout le reste de sa vie l'amer regret d'avoir moralement coopéré au crime de Thermidor.

[267] Manifeste reculade ; a écrit M. Michelet ; il l'avait appelé fripon, et maintenant il déclarait ne point attaquer ses intentions. (T. VII, p. 446.) Si M. Michelet avait étudié avec un peu plus de soin les matériaux de l'histoire de la Révolution, il n'aurait point, à la légère, écrit cette phrase qui manque de vérité et de justice. On sait en effet que le discours prononcé par Robespierre n'était pas tout à fait conforme au discours imprimé, comme cela se trouve constaté par les discussions dont la Convention fut le théâtre dans la séance du 18 fructidor (4 septembre 1794). En ce qui concerne Cambon, il évita d'employer le mot de fripon ; autrement Cambon n'aurait pas dit lui-même, en parlant de la phrase où il était fait allusion à son système de finances : S'il eût été prononcé, Robespierre n'aurait pu dire, comme il le fit, qu'il n'inculpait point les intentions de Cambon. Voyez le Moniteur du 20 fructidor an II (6 septembre 1794).

[268] Voyez, pour cette séance du 8 thermidor, le Moniteur du 11 (29 juillet 1794). Avons-nous besoin de dire que le compte rendu de cette feuille, fait après coup, eût été tout autre si Robespierre l'avait emporté ?

[269] Paroles rapportées à M. Laurent (de l'Ardèche) par un ami de Cambon. (Voyez la Réfutation de l'Histoire de France de l'abbé Montgaillard, XIe lettre, p. 332.) J'ai connu un vieillard à qui Cambon avait exprimé les mêmes sentiments.

[270] C'est M. Alphonse Esquiros qui raconte cette anecdote dans son Histoire des Montagnards. Mais, trompé par ses souvenirs, M. Esquiros a évidemment fait confusion ici. Nous avons du reste sous les yeux une lettre écrite par Mme Le Bas au rédacteur de l'ancienne Revue de Paris, à propos d'un article dans lequel M. Esquiros avait retracé la vie intime de Maximilien d'après une conversation avec Mme Le Bas, et où la vénérable veuve du Conventionnel se plaint de quelques inexactitudes commises par cet estimable et consciencieux écrivain.

[271] Mme Le Bas ne dit mot dans son Manuscrit de cette prétendue promenade du 8, tandis qu'elle raconte complaisamment les promenades habituelles de Maximilien aux Champs-Élysées avec toute la famille Duplay.

[272] Ces paroles sont extraites de l'ouvrage de Toulongeon, t. II, p. 502. Elles peuvent être crues, parce qu'elles sont conformes à celles qu'a rapportées Buonaroti comme ayant été dites à Duplay dans la matinée du 9 ; mais on n'en saurait dire autant des deux membres de phrase qui les précèdent dans Toulongeon : Je n'attends plus rien de la Montagne ; ils veulent se défaire de moi comme d'un tyran. Comment Robespierre aurait-il douté de toute la Montagne ?

[273] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 36.

[274] XIIe Philippique.

[275] Voyez à cet égard la déclaration de Goupilleau (de Fontenay) dans la séance du 13 thermidor au soir (31 juillet 1794). David nia avoir embrassé Robespierre ; mais il avoua qu'il lui avait dit en effet : Si tu bois la ciguë, je la boirai avec toi. (Voyez le Moniteur du 15 thermidor de l'an II [2 août 1794].) Un jour, un an après le 9 Thermidor, le député Lemoine vint présenter à la Convention un sabre, dont on n'avait pas entendu parler jusque-là, et qu'il prétendit avoir été fait pour Robespierre, sur les dessins de David. Ce sabre était de même forme que les sabres des élèves du camp de Sablons, dont, prétendit Lemoine, Robespierre avait eu le projet de se former une garde prétorienne. Ces stupides déclamations du temps n'ont pas besoin de commentaires. (Voir le Moniteur du 14 thermidor an III [1er août 1795].)

[276] Mémoires de Barère.

[277] Séance du 12 thermidor (30 juillet 1794), Moniteur du 15.

[278] Biographie de David, dans le Dictionnaire encyclopédique de Philippe Le Bas.

[279] David a souvent raconté lui-même cette anecdote à l'un de ses élèves les plus aimés, M. de Lafontaine, mort au mois de décembre 1860, à l'âge de quatre-vingt-sept ans ; elle m'a été transmise par M. Campardon, archiviste aux Archives de l'empire, et, si je ne me trompe, proche parent de M. de Lafontaine.

[280] Biographie de David, Dictionnaire encyclopédique de Philippe Le Bas.

[281] Nous avons dit les regrets, les remords de Billaud-Varenne d'avoir agi de colère. Quelques instants avant cette scène, Collot-d’Herbois s'était, dit-on, jeté aux genoux de Robespierre et l'avait conjuré de se réconcilier avec les comités. Mais c'est la une assertion qui ne repose sur aucune donnée certaine.

[282] Voyez l'Histoire de la Convention, par Durand-Maillane, p. 199.

[283] Buonaroti a prétendu, d'après les révélations de quelques-uns des prescripteurs de Robespierre, que les idées sociales exprimées en diverses occasions par ce dernier n'avaient pas peu contribué à grossir le nombre de ses ennemis. Voyez sa Notice sur Maximilien Robespierre.

[284] Choix de rapports, opinions et discours, t. XIV, p. 264. Paris, 1829.

[285] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, note 7, p. 105.

[286] Quelques écrivains ont raconté que Collot-d’Herbois s'était porté sur Saint-Just à des violences matérielles. Il n'en est pas fait mention dans la narration des membres des anciens comités.

[287] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, note 7, p. 107.

[288] Les Crimes des sept membres des anciens comités, p. 185.

[289] Déclaration de Fréron et de Cambon dans la séance du 13 fructidor an II (Moniteur des 15 et 16 fructidor (1er et 2 septembre 1794).

[290] Séance du 13 fructidor an II, ubi supra.

[291] Réponse aux imputations de Laurent Lecointre, note 7, p. 108.

[292] Réponse aux imputations de Laurent Lecointre, note 7, p. 108. Il y a une petite variante au sujet de cette lettre dans la déclaration faite par Barère à la Convention le 13 fructidor. D'après Barère, le billet de Saint-Just était ainsi conçu : Vous avez flétri mon cœur.

[293] Réponse aux imputations de Laurent Lecointre, note 7, p. 108.

[294] Voyez à ce sujet le compte rendu de la séance du 9 thermidor an III dans le Moniteur du 14 thermidor an III (1er août 1795).

[295] La droite, dit avec raison M. Michelet, finit par comprendre que si elle aidait la Montagne à ruiner ce qui, dans la Montagne était la pierre de l'angle, l'édifice croulerait. (T. VII, p. 459.) Voilà qui est bien assurément, et tout à fait conforme à la vérité ; mais par quelle inconséquence M. Michelet a-t-il pu écrire un peu plus haut : La droite pensait (aussi bien que l'Europe), qu'après tout il était homme d'ordre, nullement ennemi des prêtres, donc un homme de l'ancien régime. (P. 451.) Comment Robespierre pouvait-il être à la fois l'homme de l'ancien régime et la pierre de l'angle de l'édifice républicain ? Il faudrait des volumes pour relever toutes les erreurs, les inconséquences et les contradictions de M. Michelet.

[296] Mémoires de Durand-Maillane, p. 199, ubi supra.

[297] Mémoires de Durand-Maillane, p. 199, ubi supra.

[298] Je te porte dans mon cœur avec la même énergie que je t'ai porté dans mes bras pour combattre les scélérats qui déchiraient naguère le sein de notre chère patrie, écrivait Maure à Couthon, à la date du 28 messidor. (Lettre inédite, de la collection Portiez [de l'Oise].)

[299] Détails transmis à MM. Buchez et Roux par Buonaroti, qui les tenait de Duplay lui-même. (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 3.)

[300] Nous empruntons ce détail à Léonard Gallois qui parait avoir été fort bien informé. (Voyez son Histoire de la Convention t. VII, p. 251.)

[301] Il y a deux relations quasi officielles de la séance du 9 Thermidor, celle du Moniteur et le projet de .procès-verbal de Charles Duval, imprimé par ordre de la Convention. Charles Duval était de la conjuration. On peut juger par là si son procès-verbal est bien digne de foi ! Nous ne parlons pas de la version donnée par le Journal des débats et des décrets de la Convention, c'est presque absolument la même que celle du Moniteur.

[302] Voyez, pour plus de détails sur le discours de Saint-Just, notre Histoire de Saint-Just, t. II, liv. V, ch. VII, édition Méline et Cans.

[303] On sait ce qu'il advint de Tallien. Nous avons dit plus haut comment, près avoir été l'un des coryphées de la réaction thermidorienne, il suivit le général Bonaparte en Égypte, où il demeura assez longtemps, chargé de l'administration des domaines. Tout le monde connait l'histoire de ses disgrâces conjugales. Sous la Restauration, il obtint une pension de deux mille francs sur la cassette royale, qui, dit avec raison un biographe de Tallien, devait bien ce secours à l'auteur de la révolution du 9 Thermidor. Tallien était bien digne d'être célébré par Courtois. (Voyez les louanges que lui a décernées ce député dans son rapport sur les événements du 9 Thermidor (p. 39). A coquin, coquin et demi.

[304] Courtois, dans son second rapport (p. 39), donne en note ce détail comme le tenant du représentant Espert, député de l'Ariège à la Convention.

[305] Procès-verbal de Charles Duval, p. 5, et Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[306] Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[307] Voyez plus haut l'affaire du comité révolutionnaire de la section de l'Indivisibilité.

[308] Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[309] Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794). Charles Duval se contente de dire dans son procès-verbal que Tallien compara Robespierre à Catilina, et ceux dont il s'était entouré à Verrès (p. 9.) — La veille même du 9 Thermidor, un de ces Montagnards imprudents qui laissèrent si lâchement sacrifier les plus purs républicains, le représentant Chazaud, député de la Charente, écrivait à Couthon : Un collègue de trois ans, qui te chérit et qui t'aime, et qui se glorifie de ne s'être pas écarté une minute du sentier que tes talents, ton courage et tes vertus ont tracé dans la carrière politique, désirerait épancher dans ton âme une amertume cruelle. Lettre inédite en date du 8 thermidor (de la collection Portiez (de l'Oise).

[310] Projet de procès-verbal de Charles Duval (p. 9). Plus heureux que La Valette, cet autre protégé de Robespierre, le général Dufraisse échappa à l'échafaud, et put encore servir glorieusement la France.

[311] On a dit que Barère était arrivé à la Convention avec deux discours dans sa poche. Barère n'avait pas besoin de cela. Merveilleux improvisateur, il était également prêt à parler pour ou contre, selon l'événement. La manière dont il s'exprima prouve du reste qu'il était loin de s'attendre, au commencement de cette séance, à une issue fatale pour le collègue dont l'avant-veille encore il avait, à la face de la République, célébré le patriotisme.

[312] Voyez cette proclamation dans le Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[313] Procès-verbal de Charles Duval, p. 15.

[314] Procès-verbal de Charles Duval, p. 16, et Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[315] Moniteur du 11 thermidor.

[316] Et non pas à la droite seulement, comme le prétend M. Michelet, t. VII, p. 465. La masse de la Convention est pure, elle m'entendra, avait-il dit à Duplay au moment de partir. Il ne pouvait s'attendre à être abandonné de tout ce qui restait de membres de la Montagne à la Convention. Voyez, au surplus, le compte rendu de cette séance dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 33.

[317] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 33. — Le Moniteur s'est bien gardé de reproduire cette exclamation. Il se contente de dire que Robespierre apostrophe le président et l'Assemblée dans les termes les plus injurieux. (Moniteur du 11 thermidor.) — Le Mercure universel, numéro du 10 thermidor, rapporte ainsi l'exclamation de Robespierre : Vous n'accordez la parole qu'à mes assassins. — M. Michelet, qui chevauche de fantaisie en fantaisie, nous montre Robespierre menaçant du poing le président. Si, en effet, Maximilien se fût laissé aller à cet emportement de geste, les Thermidoriens n'eussent pas manqué de constater le fait dans leur compte rendu, et ils n'en ont rien dit. M. Michelet écrit trop d'après son inépuisable imagination.

[318] Ces derniers mots ne se trouvent pas dans le compte rendu thermidorien. Nous les empruntons à la narration très-détaillée que nous a laissée Levasseur (de la Sarthe) des événements de Thermidor. (Mémoires, t. III, p. 146.) Levasseur, il est vrai, était en mission alors, mais il a écrit d'après des renseignements précis, et sa version a le mérite d'être plus désintéressée que celle des assassins de Robespierre.

[319] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 33.

[320] Mémoires de Levasseur, t. III, p. 147.

[321] Séance du 12 vendémiaire an III (30 octobre 1794). Voyez le Moniteur du 14 vendémiaire.

[322] Séance du 13 fructidor an II (30 août 1794). Voyez le Moniteur du 16 fructidor (2 septembre).

[323] Un des plus violents terroristes de l'Assemblée, Louchet, demanda après Thermidor le maintien de la Terreur, qu'il crut consolider en abattant Robespierre. Digne protégé de Barère et de Fouché, le républicain Louchet devint par la suite receveur général du département de la Somme, emploi assez lucratif, comme on sait, et qu'il occupa jusqu'en 1814. Il mourut, dit-on, du chagrin de l'avoir perdu, laissant une fortune considérable. Le pauvre homme !

[324] Robespierre jeune était alors âgé de 31 ans, étant né le 21 janvier 1763.

[325] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 34.

[326] Il est assez remarquable que dans son projet de procès-verbal Charles Duval n'a pas osé donner place à son exclamation dérisoire. Charles Duval rédigeait le Républicain, journal des hommes libres, qu'on appela le Journal des tigres. M. Michelet, qui calomnie sans mauvaises intentions, béatement comme son confrère M. Edgar Quinet, mais qui ne calomnie pas moins, dit de Charles Duval : Violent journaliste, supprimé par Robespierre. Où M. Michelet a-t-il pris cela ? Commencé le 2 novembre 1792, le Journal des hommes libres se continua sans interruption jusqu'au 28 germinal de l'an VI (15 avril 1798), pour paraître ensuite sous diverses dénominations jusqu'au 27 fructidor an VIII. Après le coup d'État de Brumaire, Charles Duval ne manqua pas d'offrir ses services au général Bonaparte, et fut casé comme chef de bureau dans l'administration des Droits réunis.

[327] Voyez notre Histoire de Saint-Just.

[328] M. Barthélémy a écrit dans les Douze Journées de la Révolution, p. 290.

Il a donc des vertus, qu'on puisse consentir

À se faire avec lui volontaire martyr ?

Et M. Barthélémy qui a, paraît-il, lu et médité cent volumes sur Robespierre, déclare n'avoir jamais pu comprendre ni son pouvoir, ni sa popularité, ni son influence sur les masses. Ce n'était vraiment pas la peine de composer un poème en douze chants sur la Révolution, pour avoir si mauvaise opinion des hommes de cette époque. Comme la plupart des libéraux de la Restauration, M. Barthélémy appartenait à l'école thermido-girondine, et ce sont les livres et les journaux de cette école qu'il a lus et médités.

[329] C'est ce que Charles Duval a, dans son procès-verbal, appelé avoir l'air d'un traître, p. 21.

[330] Député de l'Ariège à la Convention, Clauzel, après avoir affiché longtemps un républicanisme assez fervent, accueillit avec transport le coup d'État de Brumaire. Devenu membre du Corps législatif consulaire, il ne cessa de donner au pouvoir nouveau des gages de dévouement et de zèle. (Biographie universelle.)

[331] Dépêche signée d'Herman et de Lannes, son adjoint. (Pièce de la collection Beuchot.) Immolés bientôt après comme robespierristes par la réaction thermidorienne, Herman et Lannes ne prirent nullement fait et cause pour Robespierre, dans la journée du 9 Thermidor.

[332] Renseignements donnés par les employés au secrétariat sur ce qui s'est passé à la commune dans la nuit du 9 au 10 thermidor. (Pièce de la collection Beuchot.)

[333] Renseignements donnés par les employés au secrétariat sur ce qui s'est passé à la commune dans la nuit du 9 au 10 thermidor. (Pièce de la collection Beuchot.)

[334] Arrêté, signé Payan, Archives, F 7, 4579.

[335] Renseignements donnés par les employés au secrétariat, ubi supra. Voyez aussi le procès-verbal de la séance du 9 Thermidor à la commune, dans l'Histoire parlementaire. t. XXXIV, p. 45 et suiv.

[336] Arrêté de la main de Lerebours, signé : Lerebours, Payan, Bernard, Louvet, Arthur, Coffinhal, Chatelet, Legrand.

[337] Voici le modèle de la prescription adressée aux concierges des différentes maisons d'arrêt : Commune de Paris, département de police. Nous t'enjoignons, citoyen, sous ta responsabilité, de porter la plus grande attention à ce qu'aucune lettre ni, autres papiers ne puissent entrer ni sortir de la maison dont la garde t'est confiée, et ce, jusqu'à nouvel ordre. Tu mettras de côté, avec soin, toutes les lettres que les détenus te remettront.

Il t'est personnellement défendu de recevoir aucun détenu ni de donner aucune liberté que par les ordres de l'administration de police. Les administrateurs de police : Henry, Lelièvre, Quenet, Faro, Wichterich. (Pièce de la collection Beuchot.) L'ordre dont nous donnons ici la copie textuelle est précisément celui qui fut adressé au concierge de la maison du Luxembourg, où se trouva envoyé Robespierre.

[338] Cette adresse est signée : Lescot-Fleuriot, maire ; Blin, secrétaire-greffier adjoint, et J. Fleury, secrétaire-greffier. Il existe aux Archives quarante-six copies de cette proclamation. (F 7, 32.)

[339] C'est ce que ne manque pas d'affirmer M. Michelet avec son aplomb ordinaire. Et il ajoute : Tellement il avait réussi, dans tout cet affreux mois de thermidor, à identifier son nom avec celui de la Terreur. (t. VII, p. 472.) Est-il possible de se tromper plus grossièrement ? Une chose reconnue de tous, au contraire, c'est que dans cet affreux mois de thermidor, Robespierre n'eut aucune action sur le gouvernement révolutionnaire, et l'on n'a pas manqué d'établir une comparaison, toute en sa faveur, entre les exécutions qui précédèrent sa retraite et celles qui la suivirent. (Voir le rapport de Saladin.) Que pour trouver partout des alliés, les Thermidoriens l'aient présenté aux uns comme le promoteur de la Terreur, aux autres comme un antiterroriste, cela est vrai ; mais finalement ils le tuèrent pour avoir voulu, suivant leur propre expression, arrêter le cours terrible, majestueux de la Révolution, et il ne put venir à l'esprit de personne, au premier moment, que Robespierre mort, morte était la Terreur.

[340] Ceci attesté par un franc royaliste détenu lui-même au Luxembourg, et qui a passé sa vie à calomnier la Révolution et ses défenseurs. Voyez Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution, par C. A. B. Beaulieu, t. V, p. 367. Beaulieu ajoute que, depuis, pour effacer l'idée que ses doléances avaient pu donner de lui, Bailleul se jeta à corps perdu dans le parti thermidorien. Personne n'ignore en effet avec quel cynisme Bailleul, dans ses Esquisses, a diffamé et calomnié celui qu'il avait appelé son sauveur.

[341] Nous avons déjà cité plus haut ces paroles rapportées par Charles Nodier, lequel ajoute : Et cette crainte n'était pas sans motifs, car le parti de Robespierre venait d'être immolé par le parti de la Terreur. (Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 305, éd. Charpentier.)

[342] M. Michelet ne manque pas de nous montrer Hanriot sabrant la foule, et assurant une dernière malédiction à son parti (t. VII, p. 473). M. Michelet n'hésite jamais à marier les fables les plus invraisemblables à l'histoire. C'est un moyen d'être pittoresque.

[343] Toulongeon, t. II, p. 512.

[344] Lettre de Dumesnil, commandant la gendarmerie des tribunaux, a la Convention, en date du 12 thermidor (30 juillet 1794). Voyez cette lettre sous le numéro XXXI, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 182.

[345] M. Michelet en fait un ivrogne et un bravache (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 467). Voilà qui est bientôt dit ; mais où cet historien a-t-il puisé ses renseignements ? Evidemment dans les écrits calomnieux émanés du parti thermido-girondin. Quelle étrange idée M. Michelet s'est-il donc faite des hommes de la Révolution, de croire qu'ils avaient investi du commandement général de l'armée parisienne un ivrogne et un bravache ? Voilà, il faut l'avouer, une histoire singulièrement républicaine.

[346] J'ai lu avec la plus scrupuleuse attention toutes les pièces officielles et officieuses sur le 9 Thermidor, les procès-verbaux et rapports des sections, les rapports des gendarmes, officiers et autres fonctionnaires ou simples citoyens ; il est beaucoup question d'Hanriot, nulle part de sa prétendue ivresse. Les auteurs de l'Histoire parlementaire, tout en reconnaissant son extrême sobriété, ont écrit, sur des renseignements donnés par des gens qui l'ont connu, qu'Hanriot ayant voulu boire un petit verre d'eau-de-vie pour s'exciter, cela avait suffi pour l'enivrer. (Voyez t. XXXIV, p. 41). On nous permettra de nous étonner que des écrivains aussi sérieux que les auteurs de l'Histoire parlementaire aient accepté, un peu légèrement, des renseignements dont ils n'indiquent pas la source. L'ivresse d'Hanriot n'est qu'une invention royaliste destinée à jeter le ridicule et le mépris sur ce sincère patriote qui, durant quatorze mois, eut l'honneur de commander la force armée parisienne. On doit même être surpris que les Thermidoriens n'y aient pas songé tout d'abord, eux qui ont poussé la calomnie à l'égard d'Hanriot jusqu'à en faire un domestique chassé pour infidélité par ses maîtres. (Voyez Courtois, Rapport sur les événements du 9 Thermidor, p. 60.) Ces coquins n'ont reculé devant rien. Près d'un an après le 9 Thermidor, un huissier de la Convention, nommé Courvol, écrivit à Courtois pour lui dire qu'ayant été chargé d'aller porter au maire et à l'agent national l'ordre qui les mandait à la Convention, il avait été apostrophé par Hanriot, au moment où il demandait un reçu. On n'en donne pas dans un moment comme celui-ci, aurait dit le général qui, après l'avoir fait arrêter d'abord, l'avait ensuite renvoyé en lui disant : N'oublie pas de dire à Robespierre qu'il soit ferme. (Nota qu'il était déjà ivre), ajoute l'huissier Courvol. (Pièce XXXV, n° 2, à la suite du rapport sur les événements de Thermidor.) Or, l'année précédente, alors qu'on n'avait pas encore inventé l'ivresse d'Hanriot, le 9 Thermidor, à cinq heures après midi, le même huissier Courvol faisait la déclaration suivante : En portant deux décrets de la Convention nationale, l'un au maire de Paris, et l'autre à l'agent national, un aide de camp m'entendant demander un reçu au maire, — il ne s'agit pas d'Hanriot, comme on voit — me répond en me serrant la main : Va, mon camarade, dans un jour comme celui-ci on ne donne pas de reçu ; dis hardiment à la Convention qu'elle soit tranquille, que nous saurons bien la maintenir, et dis à Robespierre qu'il soit tranquille et qu'il n'ait pas peur. Tu m'entends bien ! Va, mon camarade, va ! (Pièce XIX, à la suite du Rapport de Courtois sur les événements de Thermidor, p. 114.) Cet imbécile de Courtois, qui a cité les deux pièces, s'est imaginé qu'on ne relèverait pas un jour la contradiction.

[347] On ne saurait, à cet égard, mieux rendre justice à Hanriot que Courtois ne l'a fait involontairement, et pour le décrier bien entendu, dans son rapport sur les événements du 9 Thermidor (p. 60 et suiv.)

[348] Voyez les ordres divers insérés par Courtois dans son rapport sur les événements de Thermidor, sous les numéros VII¹, VII², VIII, IX, X, XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXVI et XXVII, et qui se trouvent en originaux et en copies, soit aux Archives, soit dans la collection Beuchot.

[349] C'est ce qu'a raconté Léonard Gallois, comme le tenant d'une personne témoin de l'arrestation de Merlin (de Thionville). La conduite équivoque de ce député dans la journée du 9 Thermidor rend d'ailleurs ce fait fort vraisemblable. Voyez Histoire de la Convention, par Léonard Gallois, t. VII, p. 267.

[350] Léonard Gallois, Histoire de la Convention, t. VII, p. 268.

[351] Nous empruntons notre récit à la déposition fort désintéressée d'un des aides de camp du général Hanriot, nommé Ulrick, déposition faite le 10 thermidor à la section des Gravilliers. (Voyez pièce XXVI, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 126.) Il y a sur l'arrestation du général Hanriot une autre version d'après laquelle il aurait été arrêté rue Saint-Honoré, par des gendarmes de sa propre escorte, sur la simple invitation de Courtois qui, d'une fenêtre d'un restaurant où il dînait, leur aurait crié de la manière la plus énergique, d'arrêter ce conspirateur. Cette version, adoptée par la plupart des historiens, est tout à fait inadmissible. D'abord elle est de Courtois (voyez p. 65 de son rapport) ; ensuite elle est formellement contredite par le récit que Merlin (de Thionville) fit de l'arrestation d'Hanriot à la séance du soir (procès-verbal de Charles Duval, p. 27), et par un des collègues de Courtois, cité par Courtois lui-même, par le député Robin, qui déclare que Courtois courut au Palais-Égalité pour inviter la force armée à marcher sur Hanriot (note de la p. 66 dans le second rapport de Courtois). La version résultant de la déposition d'Ulrick est la seule qui soit conforme à la vérité des faits. (Voyez aussi cette déposition dans les Papiers inédits, t. III, p. 307.) Voici d'ailleurs une déclaration enfouie jusqu'à ce jour dans les cartons des Archives et qui ajoute encore plus de poids à la version que nous avons adoptée, c'est celle du citoyen Jeannelle, brigadier de gendarmerie, commandant le poste du comité de Sûreté générale, où avaient été consignés les cinq députés décrétés d'arrestation : Vers cinq heures, Hanriot avec ses aides de camp, sabre en main, viennent pour les réclamer, forçant postes et consignes, redemandant Robespierre. Un autre député est entré dans notre salle, a monté sur la table, a ordonné de mettre la pointe de nos sabres sur le corps d'Hanriot et de lui attacher les pieds et les mains. Ce qui fut fait avec exactitude, ainsi qu'à ses aides de camp. Archives, F 7, 32.

[352] D'après le récit de Courtois, Le Bas a été conduit à la Conciergerie (p. 67). Il aurait été mené à la Force suivant Mme Le Bas.

[353] Nous avons relevé aux Archives les différents arrêtés des comités de Salut public et de Sûreté générale. Les signatures qui y figurent le plus fréquemment sont celles d'Amar, de Dubarran, Barère, Voulland, Vadier, Élie Lacoste, Carnot, C.-A. Prieur, Jagot, Louis (du Bas-Rhin), Rühl et Billaud-Varenne. On y voit aussi celle de David ; mais c'est encore là une supercherie thermidorienne.

[354] Archives, A F, II, 57.

[355] M. Michelet, t. VII, p. 485. Aucun journal du temps n'a reproduit la séance des Jacobins du 9 Thermidor, et les procès-verbaux de la société n'existent probablement plus. Mais ce qu'en a cité Courtois dans son rapport sur les événements de Thermidor et ce qu'on peut en voir par le procès-verbal de la commune démontre suffisamment l'ardeur avec laquelle la majorité de la société embrassa la cause de Robespierre.

[356] Extrait du procès-verbal de la séance des Jacobins, cité par Courtois dans son rapport sur les événements du 9 Thermidor, p. 57.

[357] Extrait du procès-verbal de la séance des Jacobins, cité par Courtois dans son rapport sur les événements du 9 Thermidor, p. 58.

[358] Extrait du procès-verbal de la séance des Jacobins, cité par Courtois dans son rapport sur les événements du 9 Thermidor, p. 58.

[359] Lettre signée Lescot-Fleuriot, Arthur, Legrand, Payan, Chatelet, Grenard, Coffinhal et Gibert, et citée en note dans le second rapport de Courtois, p. 51.

[360] Extrait du procès-verbal de la séance des Jacobins, cité en note dans le second rapport de Courtois, p. 59. Voyez du reste l'explication donnée par Brival lui-même à la Convention dans la séance du soir. Le Thermidorien Brival est ce député qui, après Thermidor, s'étonnait qu'on eût épargné les restes de la race impure des Capet. (Séance de la Convention.)

[361] Arrêté signé Vivier, président, et Cazalès, secrétaire. Pièce XXI, à la suite du second rapport de Courtois, p. 123. Pour avoir ignoré tout cela, M. Michelet a tracé de la séance des Jacobins dans la journée du 9 Thermidor le tableau le plus faux qu'on puisse imaginer.

[362] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 488.

[363] Ces registres des procès-verbaux des sections existent aux Archives de la préfecture de police, où nous les avons consultés avec le plus grand soin. Malheureusement ils ne sont pas complets ; il en manque seize qui ont été ou détruits ou égarés. Ce sont les registres des sections des Tuileries, de la République, de la Montagne (Butte-des-Moulins), du Contrat social, de Bonne-Nouvelle, des Amis de la Patrie, Poissonnière, Popincourt, de la Maison-Commune, de la Fraternité, des Invalides, de la Fontaine-Grenelle, de la Croix-Rouge, Beaurepaire, du Panthéon français et des Sans-Culottes. (Archives de la préfecture de police.)

[364] Voyez ces résumés plus ou moins exacts à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, de la p. 126 à la p. 182.

[365] Archives, F 7, 1432.

[366] Suivant Courtois, cette section ne se serait réunie qu'après la victoire remportée sur les traîtres. Voyez pièces à l'appui de son rapport sur les événements du 9 Thermidor, p. 146.

[367] D'après Courtois, cette section, dans l'enceinte de laquelle se trouvaient la mairie et l'administration de police, n'aurait pas voulu se réunir en assemblée générale, et elle se serait conduite de manière à mériter les éloges. On comprend tout l'intérêt qu'avait Courtois à présenter l'ensemble des sections comme s'étant montré hostile à la commune. Voyez p. 153.

[368] Pour ce qui concerne cette section, Courtois paraît avoir écrit sa rédaction d'après des rapports verbaux. (Voyez p. 173.) A cette section appartenait le général Rossignol, lequel, malgré son attachement pour Robespierre, qui l'avait si souvent défendu, trouva grâce devant les Thermidoriens. Le général Rossignol, dit Courtois, s'est montré à la section des Quinze-Vingts, et n'a pris aucune part à ce qui peut avoir été dit de favorable pour la commune. (P. 174).

[369] Le commandant de la force armée de cette section avait prêté serment à la commune, mais Courtois ne croit pas qu'il se soit éloigné de la voie de l'honneur (p. 145). Livré néanmoins au tribunal révolutionnaire, ce commandant eut la chance d'être acquitté.

[370] Courtois paraît avoir eu entre les mains la minute du procès-verbal de la séance de cette section, qui, dit-il, flotta longtemps dans l'incertitude sur le parti qu'elle prendrait (p. 142).

[371] La section des Champs-Élysées, dit Courtois, a cru plus utile de défendre de ses armes la Convention. (P. 141).

[372] Archives de la préfecture de police.

[373] C'est ce qui résulte du procès-verbal même de la section de Mutius Scævola. (Archives de la préfecture de police.)

[374] Pouvoirs émanés des sections de la Fraternité, de l'Observatoire, du Faubourg du Nord, de Mutius Scævola, du Finistère, de la Croix-Rouge, Popincourt, Marat, du Panthéon français, des Sans-Culottes, des Amis de la Patrie, de Montreuil, des Quinze-Vingts, du Faubourg-Montmartre, des Gardes-Françaises. (Pièce de la collection Beuchot.)

[375] Rapports adressés à Barras. (Archives, F 7, 1432.)

[376] Rapports adressés à Barras. (Archives, F 7, 1432.)

[377] Registre des procès-verbaux des séances de la section de la Cité. (Archives de la préfecture de police.)

[378] Rapport à Barras. (Archives, F 7, 1432.)

[379] Pièces à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 159.

[380] Voyez le procès-verbal de la séance de la section des Piques. (Archives de la préfecture de police.)

[381] Archives, F 7, 1432.

[382] Pièces à la suite du rapport de Courtois, p. 136.

[383] Archives, F 7, 1432.

[384] Aveu de Vadier à Cambon. Voyez à ce sujet une note des auteurs de l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 59.

[385] Voici un spécimen du genre : Je soussigné, proteste contre tout ce qui s'est passé hier a la commune de Paris, et que lorsque j'ai vu que ce que l'on proposait était contraire aux principes, je me suis retiré. Ce 10 thermidor, Talbot. (Pièce annexée au procès-verbal de la section du Temple (Archives de la préfecture de police.) Le malheureux Talbot n'en fut pas moins livré à l'exécuteur.

[386] Déclaration de l'officier municipal Bernard au conseil général de la commune. (Pièce de la collection Beuchot.)

[387] Voyez le procès-verbal de la séance du conseil général dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 50.

[388] Furent désignés : les citoyens Lacour, de Brutus ; Mercier, du Finistère ; Leleu, des Invalides ; Miché, des Quinze-Vingts ; d'Azard, des Gardes-Françaises ; Cochois, de Bonne-Nouvelle ; Aubert, de Poissonnière ; Barel, du Faubourg-du-Nord ; Gibert, de la même section ; Jault, de Bonne-Nouvelle ; Simon, de Marat ; et Gency, du Finistère ; arrêté signé : Fleuriot-Lescot, et Blin, cité par Courtois à la suite de son rapport sur les événements du 9 Thermidor p. 111.

[389] Pièce de la collection Beuchot, citée par Courtois dans son rapport sur les événements du 9 Thermidor, p. 159.

[390] Voyez, au sujet de lç délivrance d'Hanriot, une déclaration du citoyen Viton, du 25 thermidor, en tenant compte nécessairement des circonstances dans lesquelles elle a été faite. (Pièce XXXI, il la suite du rapport de Courtois, p. 186.)

[391] Arrêté signé : Louvet, Payan, Legrand et Lerebours. (Pièce de la collection Beuchot.)

[392] Procès-verbal de la séance du conseil général, dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 53.

[393] Procès-verbal de la séance de la commune (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 52). A l'appui de cette partie du procès-verbal, voyez la déclaration de Robespierre jeune au comité civil de la section de la Maison-Commune, lorsqu'il y fut transporté à la suite de sa chute. A répondu que quand il a été dans le sein de la commune, il a parlé pour la Convention en disant qu'elle était disposée à sauver la patrie, mais qu'elle avait été trompée par quelques conspirateurs ; qu'il fallait veiller à sa conservation. (Pièce XXXVIII à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 205.)

[394] Procès-verbal de la séance de la commune, ubi supra.

[395] Pièce XIX à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 113.

[396] Mémoire de Billaud-Varenne, p. 46 du manuscrit. (Archives, ubi supra.)

[397] Quelques historiens, notamment MM. Villiaumé et Tissot, ont vu dans ce refus du concierge de la maison du Luxembourg une ruse machiavélique des comités. A les en croire, les comités auraient intimé à tous les directeurs de prison l'ordre de faciliter l'évasion des députés décrétés d'accusation, afin d'avoir contre ceux-ci la ressource commode et expéditive d'un décret de mise hors la loi. Les conjurés de Thermidor étaient bien capables d'une pareille fourberie ; mais cette opinion, appuyée sur les souvenirs plus ou moins certains de quelques survivants de la Révolution, ne saurait tenir devant les ordres si précis des administrateurs de police qui étaient tout dévoués à Robespierre, et qui périrent avec lui.

[398] Déclaration de Louise Picard, pièce XXXII, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 194.

[399] Renseignements donnés par les employés au secrétariat sur ce qui s'est passé à la commune. (Pièce de la collection Beuchot.)

[400] Manuscrit de Mme Le Bas. D'après ce manuscrit, ce serait à la Force que Le Bas aurait été conduit ; mais Mme Le Bas a dû confondre cette prison avec la Conciergerie. Comme tous les membres de sa malheureuse famille, Mme Le Bas fut jetée en prison avec son enfant à la mamelle par les héros de Thermidor, qui la laissèrent végéter durant quelques mois, d'abord à la prison Talarue, puis à Saint-Lazare, dont le nom seul était pour elle un objet d'épouvante. Toutefois elle se résigna. Je souffrais pour mon bien-aimé mari, cette pensée me soutenait. On lui avait offert la liberté, une pension même, si elle voulait changer de nom ; elle s'y refusa avec indignation. Je n'aurais jamais quitté ce nom si cher à mon cœur, et que je me fais gloire de porter. Femme héroïque de l'héroïque martyr qui ne voulut point partager l'opprobre de la victoire thermidorienne, elle se montra, jusqu'à son dernier jour, fière de la mort de son mari : Il a su mourir pour sa patrie, il ne devait mourir qu'avec les martyrs de la liberté. Il m'a laissée veuve et mère à vingt et un ans et demi ; je bénis le Ciel de me l'avoir ôté ce jour-là, il ne m'en est que plus cher. On m'a traînée de prison en prison avec mon jeune fils de cinq semaines ; il n'est pas de souffrances que ne m'aient fait endurer ces monstres, croyant m'intimider. Je leur ai fait voir le contraire ; plus ils m'en faisaient, plus j'étais heureuse de souffrir pour eux. Comme eux, j'aime la liberté ; le sang qui coule dans mes veines à soixante-dix-neuf ans est le sang de républicains. (Manuscrit de Mme Le Bas.) Et en parlant de ces morts si regrettés elle ne manque pas d'ajouter : Comme vous eussiez été heureux de connaître ces hommes vertueux sous tous les rapports !

[401] Pièce de la collection Beuchot.

[402] Voyez à ce sujet un extrait du procès-verbal de la section de l'Arsenal, cité sous le numéro XXXIV, p. 196, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor.

[403] Rapport de Degesne, lieutenant de la gendarmerie des tribunaux. (Pièces à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, n° XIX, 9e pièce, p. 119.) Si Robespierre l'eût emporté, ce rapport eût été tout autre, comme bien on pense. On en peut dire autant de celui du commandant Dumesnil, inséré sous le n° XXXI, p. 182, à la suite du rapport. Degesne et Dumesnil se vantent très-fort d'avoir embrassé chaudement le parti de la Convention dès la première heure, mais nous avons sous les yeux une pièce qui affaiblit singulièrement leurs allégations ; c'est une lettre du nommé Haurie, garçon de bureau du tribunal révolutionnaire, où il est dit : Le 9 thermidor, des officiers de la gendarmerie des tribunaux sont venus dans la chambre du conseil du tribunal révolutionnaire promettre de servir Robespierre... Les noms de ces officiers sont : DUMESNIL, Samson, Aduet, DEGESNE, Fribourg, Dubunc et Chardin. Il est à remarquer que Dumesnil et Degesne ont été incarcérés par les rebelles. Le commandant de la gendarmerie à cheval est venu leur assurer que tout son corps était pour Robespierre. (Archives, F. 7, 4437.)

[404] Voyez le Moniteur du 12 thermidor (30 juillet 1794). Malgré le décret du matin, par lequel avait été supprimé le grade de commandant général de la garde nationale, la Convention avait mis à la tête de l'armée parisienne un chef de légion nommé Esnard. Mais cet officier avait été arrêté à la commune par ordre du maire et de l'agent national près desquels il s'était rendu aussitôt pour leur donner communication de ses pouvoirs.

[405] Commune de Paris. Le 9 thermidor... le général Hanriot fera passer au comité d'exécution des fusils, des pistolets et des munitions pour douze membres. Signé : Arthur, Legrand, Louvet, Grenard, Coffinhal. (Pièce de la collection Beuchot.)

[406] Il est ordonné aux sections, pour sauver la chose publique, de faire sonner le tocsin et de faire battre la générale dans toute la commune de Paris, et de réunir leurs forces dans la place de la Maison-Commune, où elles recevront les ordres du général Hanriot, qui vient d'être remis en liberté, avec tous les députés patriotes, par le peuple souverain. Signé : Arthur, Legrand, Grenard, Desboisseau et Louvet. (Pièce de la collection Beuchot.)

[407] Parvenu à s'échapper dans le tumulte, Lerebours alla se réfugier dans un égout des Champs-Élysées, près du pont Royal, où il se tint caché pendant vingt-quatre heures, à cent pas de l'échafaud qui l'attendait. Ayant pu, le lendemain, sortir de Paris, il se rendit d'abord en Suisse, puis en Allemagne, et rentra en France sous le Directoire. Il est mort, il n'y a pas longtemps, à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Devenu vieux, il essaya de décliner toute participation active de sa part à la résistance de la commune. Il disait, il qui voulait l'entendre, que le 9 Thermidor il s'était trouvé par hasard, sans savoir pourquoi, à l'Hôtel de Ville, où on lui avait fait signer un ordre à la section des Piques. Et cet ordre est tout entier de sa main. (Voyez à ce sujet le Journal, par M. Alp. Karr, numéro du 17 octobre 1848). Mais ce raisonnement d'un vieillard craintif indignait à bon droit le propre fils de Lerebours. Mon père, a-t-il écrit dans une note que nous avons sous les yeux, aurait dû se glorifier d'avoir participé à la résistance de la commune.

[408] Pierre-Victor Lerebours, plus connu sous le nom de Pierre-Victor, est mort il y a deux ans, fidèle au culte que son père, dans sa jeunesse, avait professé pour Robespierre. Auteur de la tragédie des Scandinaves et de divers opuscules, il brilla un instant au théâtre où, dans les rôles tragiques, il se fit applaudir à côté de Talma. Nous tenons de lui-même les notes d'après lesquelles il nous a été permis de tracer un tableau exact de la scène sanglante qui mit fin à la résistance de la commune.

[409] C'est ce qu'assure M. Michelet, t. VII, p. 480. Voyez le récit de Dulac, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, n° XXXIX, p. 107. Ce Dulac a tout vu, tout conduit, tout dirigé. Il a joué, à proprement parler, le rôle de la mouche du Coche. Somme toute, son rapport, adressé à Courtois un an après les événements n'est qu'un placet déguisé, une forme nouvelle de mendicité.

[410] Couthon ne sortit que vers une heure du matin de la prison de Port-Libre, autrement dit la Bourbe, où il avait été transféré. (Déclaration de Petit, concierge de la prison de Port-Libre, pièce XXXV, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor, p. 108.) Un officier municipal était venu le chercher et lui avait remis un billet ainsi conçu : Couthon, tous les patriotes sont proscrits, le peuple entier est levé ; ce serait le trahir que de ne pas te rendre à la maison commune, où nous sommes. Ce billet, signé Robespierre et Saint-Just, fut trouvé sur lui au moment de son arrestation.

[411] Déclaration de Jérôme Muron et Jean-Pierre Javoir, gendarmes près les tribunaux. Ils avaient accompagné l'officier municipal qui était allé chercher Couthon et étaient entrés avec lui à l'Hôtel de Ville dans la salle du conseil général. (Archives, F. 7, 32.)

[412] Renseignements donnés par les employés au secrétariat, sur ce qui s'est passé à la commune dans la nuit du 9 au 10 thermidor. (Pièce de la collection Beuchot.) Dans une note placée à la suite de son rapport sur les événements du 9 Thermidor (n° 37, p. 56), Courtois prétend que ce fut Payan qui donna lecture du décret mettant hors la loi les membres du conseil général et autres, et qu'il ajouta au texte du décret ces mots perfides : et le peuple qui est dans les tribunes, espérant par là augmenter l'exaspération contre la Convention. Mais cette note, en désaccord avec les pièces authentiques où nous avons puisé nos renseignements, ne repose sur aucune donnée certaine, et Courtois, par lui-même, ne mérite aucune espèce de confiance.

[413] Voir le procès-verbal de la séance de la commune dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 56.

[414] Renseignements donnés par les employés au secrétariat, ubi supra.

[415] Note fournie par M. Lerebours fils. J'ai vu chez M. Philippe de Saint-Albin, cette pièce toute maculée encore du sang de Robespierre. Rien d'émouvant comme la vue de cette pièce, qui suffit, à elle seule, à donner la clef du drame qui s'est passé. Saisie par Barras sur la table du conseil général, elle passa plus tard, avec les papiers de l'ex-Directeur, entre les mains de l'ancien ami de Danton, Rousselin de Saint-Albin.

[416] Renseignements fournis par les employés au secrétariat sur ce qui s'est passé à la commune dans la nuit du 9 au 10 thermidor. (Pièce de la collection Beuchot.) Entre ce récit et celui que j'ai donné dans mon Histoire de Saint-Just, il existe une légère différence ; cela tient à ce que, à l'époque où j'ai écrit la vie de Saint-Just, je n'avais ni les renseignements donnés par les employés au secrétariat ni les notes de M. Lerebours fils.

[417] Tel était son véritable nom, que par euphémisme il changea en celui de Méda. Il avait un frère qui mourut chef de bataillon et qui garda toujours son nom patronymique, sous lequel fut liquidée la pension de sa veuve. (Renseignements fournis par le ministère de la guerre.)

[418] Ce brave gendarme ne m'a pas quitté, avoua Léonard Bourdon quelques instants après, en présentant l'assassin à la Convention nationale. (Voyez le Moniteur du 12 thermidor (30 juillet 1794).

[419] De l'assassinat commis par lui Merda a laissé une relation où, sauf le coup de pistolet, tout est faux. Beaucoup d'écrivains se sont laissé prendre à cette relation si grossièrement mensongère ; mais nous ne comprenons pas comment M. Michelet a pu baser son récit tout entier sur une œuvre qui n'est, d'un bout à l'autre, qu'un tissu d'inexactitudes, d'invraisemblances et d'inepties. (Voyez Histoire de la Révolution, t. VII, liv. XXI, ch. IX.) Merda prétend qu'il s'élança sur Robespierre et qu'il lui présenta la pointe de son sabre sur le cœur, en lui disant : Rends-toi, traître ! etc. Comment les amis dévoués qui entouraient Maximilien eussent-ils laissé pénétrer jusqu'à lui ce polisson de dix-neuf ans. Dans son récit, publié longtemps après les événements, Merda raconte qu'ayant fouillé Robespierre, il trouva sur lui pour plus de dix mille francs de bonnes valeurs. On voit qu'on ne pouvait mentir plus bêtement ni avec plus d'impudence que le lâche et misérable assassin. Sa relation a été précieusement recueillie et publiée par MM. Barrière et Berville dans leur collection des Mémoires relatifs à la Révolution française.

[420] Rapport des officiers de santé sur les pansements des blessures de Robespierre aîné. (Pièce XXXVII, p. 202, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor.)

[421] Rapport de Courtois sur les événements, p. 70. Rien de curieux et de bête à la fois comme la déclaration du concierge Bochard : Sur les deux heures du matin, dit-il, un gendarme m'a appelé et m'a dit qu'il venait d'entendre un coup de pistolet dans la salle de l'Égalité. J'ai entré, j'ai vu Le Bas étendu par terre, et de suite Robespierre l'aîné s'est tiré un coup de pistolet dont la balle, en le manquant, a passé à trois lignes de moi ; j'ai failli être tué. (Pièce XXVI, p. 23). à la suite du rapport. Ainsi il a vu Robespierre SE MANQUER et la balle passer à trois lignes de lui. Ce prétendu témoignage ne mérite même pas la discussion. Et voila pourtant les autorités thermidoriennes !

[422] Merda, ce brave gendarme au dire de Léonard Bourdon, ne cessa de battre monnaie avec le meurtre de Robespierre. Nommé sous-lieutenant au 5e régiment de chasseurs, dès le 25 thermidor, pour avoir fait feu sur les traîtres Couthon et Robespierre (Moniteur du 28 thermidor [15 août 1794]), il ne tarda pas à se plaindre de l'ingratitude des Thermidoriens. On lui avait donné, dit-il deux ans après, la place la plus inférieure de l'armée. Un jour même, paraît-il, fatigués de ses obsessions, Collot-d’Herbois et Barère lui avaient déclaré, furieux, qu'on ne devait rien a un assassin. (Lettre de Merda au Directoire en date du 20 germinal de l'an IV, de la collection de M. de Girardot, citée par M. L. Blanc, t. XI, p. 270.) Grâce à la protection de son ancien complice Barras, il finit par obtenir de l'avancement. Devenu, sous l'Empire, colonel et baron, il fut tué à la bataille de la Moskowa.

[423] Extrait des Mémoires de Barras cité dans le 1er numéro de la Revue du XIXe siècle. Disons encore que le peu qui a paru des Mémoires de ce complice des assassins de Robespierre ne donne pas une idée bien haute de leur valeur historique.

[424] Rapport de Raymond, fonctionnaire public, et de Colmet, commissaire de police de la section des Lombards, assistés du citoyen Rousselle, membre du comité révolutionnaire de la section de la Cité, en l'absence du citoyen juge de paix. (Pièce de la collection Beuchot.) Le corps de Le Bas fut levé à sept heures du matin, et porté immédiatement au cimetière de Saint-Paul, section de l'Arsenal. (Ibid.) MM. Michelet et de Lamartine ont donc commis une grave erreur en prétendant que le cadavre de Le Bas avait été mené à la Convention pêle-mêle avec les blessés.

[425] Procès-verbal du comité civil de la maison-commune, cité sous le numéro XXXVIII, p. 203, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor.

[426] Procès-verbal de Jean-Antoine Bucquet, juge de paix de la section de la Cité. (Pièce inédite de la collection Beuchot.) La fameuse légende de Couthon gisant sur le parapet du quai Pelletier et que des hommes du peuple voulaient jeter à la rivière, est une pure invention de Fréron. (Voyez p. 72 du rapport de Courtois sur les événements du 9 Thermidor.)

[427] La section de la Cité fera établir un poste à l'Hôtel-Dieu, où l'on a porté Couthon, représentant du peuple, mis en état d'arrestation par décret de la Convention nationale. Le commandant du poste répondra sur sa tête de la personne de Couthon. Signé : Barras, J.-B. Delmas, représentants du peuple. (Pièce inédite de la collection Beuchot.)

[428] Procès-verbal du juge de paix Bucquet (Pièce inédite de la collection Beuchot).

[429] Extrait des Mémoires de Barras. Revue du XIXe siècle, n° 1.

[430] Déclaration de Dumesnil, commandant la gendarmerie des tribunaux, pièce XXXI, p. 182 à la suite du rapport de Courtois sur les événements de Thermidor.

[431] Procès-verbal de l'arrestation d'Hanriot par Guynaud et Chandellier, agents du comité de Sûreté, Bonnard, secrétaire agent ; Lesueur, id., Martin, agent principal, et Michel. (Pièce XL, p. 214, à la suite du rapport de Courtois.) Tous les historiens ont raconté, d'après Barère et Dumesnil, qu'Hanriot avait été jeté par Coffinhal d'une fenêtre du troisième étage dans un égout de l'Hôtel de Ville. Mais c'est là bien évidemment une fable thermidorienne. C'est une déclaration faite hier au tribunal révolutionnaire, dit Barère dans la séance du 11 thermidor. Une déclaration de qui ? Ni Dumesnil ni Barère ne méritent la moindre confiance. Si en effet Hanriot eût été précipité d'une fenêtre du troisième étage, il est à croire que les agents du comité de Sûreté générale chargés d'opérer son arrestation en eussent su quelque chose, et ils n'en ont rien dit dans leur rapport ; il est à présumer surtout que les Thermidoriens n'auraient pas eu à le faire transporter à la Conciergerie et de là à l'échafaud.

[432] Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction, du 9 au 10 thermidor. Paris, in-8° de 7 p. De l'impr. de Pain, passage Honoré. Cette brochure, sans nom d'auteur, paraît rédigée avec une certaine impartialité, c'est-à-dire qu'on n'y rencontre pas les calomnies ineptes et grossières dont toutes les brochures thermidoriennes du temps sont remplies. C'est pourquoi nous avons cru devoir y puiser quelques renseignements.

[433] Moniteur du 12 thermidor (30 juillet 1794).

[434] Cette table se trouve aujourd'hui aux Archives.

[435] Les Thermidoriens, qui ont voulu faire croire au suicide, se sont imaginé avoir trouvé là un appui à leur thèse. Courtois, après avoir montré dans son rapport sur les événements du 9 Thermidor le gendarme Merda manquant Robespierre, représente celui-ci tenant dans ses mains le sac de son pistolet, qui rappelait à ses yeux, par l'adresse du marchand qui l'avait vendu, et dont l'enseigne était Au Grand Monarque, le terme qu'avait choisi son ambition (p. 73). Honnête Courtois ! — Sur le revers de ce sac on pouvait lire le nom du propriétaire, M. Archier. Il est fort probable que c'est un citoyen de ce nom, peut-être l'ancien député des Bouches-du-Rhône à la Législative, qui, ému de pitié, aura, à défaut de linge, donné ce sac à la victime.

[436] Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction, du 9 au 10 thermidor (ubi supra). — Voyez aussi, au sujet des mauvais traitements infligés au géant tombé, les notes relatives à Maximilien Robespierre lorsqu'il fut apporté au comité de Salut public, pièce XLI, p. 215, à la suite du rapport de Courtois.

[437] Notes relatives à Maximilien Robespierre, ubi supra.

[438] Nous empruntons ce trait à M. Michelet, à qui il fut raconté par le général Petiet, lequel le tenait de l'employé remercié par Robespierre. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 514.)

[439] Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction.

[440] Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction.

[441] Notes relatives à Maximilien Robespierre, ubi supra.

[442] Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction.

[443] Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction.

[444] Rapport des officiers de santé Vergez et Martigues (pièce XXXVI, à la suite du rapport de Courtois), et Notes relatives à Maximilien, ubi supra.

[445] Notes relatives à Maximilien Robespierre, ubi supra.

[446] Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction.

[447] Le comité de Salut public arrête que sur-le-champ Robespierre, Couthon et Goubault seront transférés à la Conciergerie, sous bonne et sûre garde. Le citoyen J.-A. Bucquet, juge de paix de la section de la Cité, est chargé de l'exécution du présent arrêté, et de faire toutes les réquisitions nécessaires à ce sujet. Le 10 thermidor, B. Barère, Billaud-Varenne. (Pièce de la collection Beuchot.)

[448] Rapport des officiers de santé, ubi supra. — M. Michelet s'est donc trompé quand il a écrit, sur nous ne savons quel renseignement, que les comités firent faire à Robespierre l'inutile et dure promenade d'aller à l'Hôtel-Dieu. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 517.)

[449] Reçu à la Conciergerie le nomé Robespierre aîné, Couthon, Goubeau, amené prisonnié par le citoyen Bucquet, juge de paix de la section de la Cité, le 10 thermidor de l'an IIe de la République une et indivisible. V. Richard fils. (Pièce de la collection Beuchot.)

[450] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 145.

[451] Vers sept heures le directoire s'adressa en ces termes à la commune : Les administrateurs du département au conseil général de la commune. Citoyens, nous désirons connaître les mesures que la commune a prises pour la tranquillité publique, nous vous prions de nous en informer. Trois heures plus tard, il écrivait au président de la Convention : Citoyen, le département, empressé de faire exécuter les décrets rendus par la Convention nationale, me charge de vous inviter à lui en envoyer sur-le-champ une expédition. (Pièce de la collection Beuchot.)

[452] Moniteur du 12 thermidor (30 juillet 1794).

[453] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 96.

[454] Ce lait est allumé par Nougaret et par les auteurs de l'Histoire de la Révolution par deux amis de la liberté, double autorité également contestable. On aurait peine a croire a une aussi horrible chose si l'on ne savait que les hommes de Thermidor étaient capables de tout.

[455] Lettre de Mme Le Bas au directeur de la Revue de Paris, année 1844.

[456] Desessarts, auteur d'un pamphlet cynique intitulé : La Vie, les Crimes et le Supplice de Robespierre et de ses principaux complices, p. 156 de la 1re édition.

[457] Ce grand homme n'était plus, a écrit M. Michelet, t. VII, p. 520. Les quelques pages consacrées par M. Michelet à la fin de Robespierre sont vraiment d'une beauté poignante, mais c'est en même temps la plus amère critique qui puisse être faite de son livre. Pour nous, après avoir signalé les contradictions, les erreurs accumulées dans une œuvre qui a contribué à égarer beaucoup d'esprits, nous ne pouvons que nous féliciter de voir l'illustre écrivain aboutir à une conclusion qui est la nôtre.

[458] Robespierre et ses compagnons d'infortune furent enterrés derrière le parc de Monceau, dans un terrain où il y eut longtemps un bal public. Après la Révolution de 1830, de généreux citoyens firent faire des fouilles dans cet endroit pour retrouver les restes du grand martyr de Thermidor, mais ces recherches sont restées infructueuses. Depuis, en défonçant ce terrain pour le passage du boulevard Malesherbes, on a découvert les ossements des victimes de cette époque, auxquelles la démocratie doit bien un tombeau.

[459] Moniteur du 12 thermidor (30 juillet 1794).

[460] Voyez Liste des noms et domiciles des individus convaincus ou prévenus d'avoir pris part à la conjuration de l'infâme Robespierre, signée Guffroy, Espers, Courtois et Calés. In-8°.

[461] Voyez, à ce sujet, les Mémoires du duc de Raguse. Il m'a dit à moi-même ces propres paroles, ajoute Marmont : Si Robespierre fût resté au pouvoir, il aurait modifié sa marche ; il eût rétabli l'ordre et le règne des lois. On serait arrivé à ce résultat sans secousses, parce qu'on y serait venu parle pouvoir ; on y prétend marcher par une révolution, et cette révolution en amènera beaucoup d'autres. La prédiction s'est vérifiée : les massacres du Midi, exécutés immédiatement, au chant du Réveil du Peuple, l'hymne de cette époque, étaient aussi odieux, aussi atroces, aussi affreux que tout ce qui les avait devancés. (P. 56)

[462] Voyez, pour les adresses d'adhésion et de félicitations, les procès verbaux de la Convention de thermidor et fructidor an II.

[463] Voyez notre Histoire de Saint-Just, p. 617 de la 1re édition. Ce fait a été rapporté par un témoin auriculaire, l'illustre Lafomiguière, à M. Philippe Le Bas, de qui nous le tenons nous-même.