HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME TROISIÈME — LA MONTAGNE

 

LIVRE TREIZIÈME. — FRIMAIRE AN II (DÉCEMBRE 1793). — GERMINAL AN II (MARS 1794).

 

 

Corrupteurs et corrompus. — Affaire Chabot. — Le numéro 3 du Vieux Cordelier. — Les femmes des détenus à la Convention. — Robespierre demande un comité de justice. — Le comité de clémence de Camille Desmoulins. — Dangers du système de Camille. — Camille et l'imprimeur Nicolas. — Philippeaux attaqué aux Jacobins. — Modération de Robespierre. — Rapport sur les principes du gouvernement révolutionnaire. — Les étrangers. — Les généraux Marcé et Quétineau. — Circulaire aux départements. — La trinité dictatoriale. — Les suspects de Barère. — Le comité de justice rejeté. — Les honneurs du Panthéon décernés au jeune Barra. — Oraison funèbre de Fabre (de l'Hérault). — Maximilien suspect de modérantisme. — Le numéro 5 du Vieux Cordelier. — Le ministre Bouchotte. — Exclusion des Jacobins de Milscent et de Legrand. — Discours à propos d'une pétition en faveur dé Ronsin. — Les indulgents et les exagérés. — Nouvelle défense de d'Aubigny. — Sur l'arrestation de Vincent et de Ronsin. — Séance du 16 nivôse aux Jacobins. — Manœuvres contre le comité de Salut public. — Indignation de Choudieu. — Grande bataille aux Jacobins. — Robespierre essaye de la conciliation. — Il défend Goupilleau et Lachevardière. — Réponse à Bentabole — Sa proposition de discuter les crimes du gouvernement anglais. — Camille Desmoulins sur la sellette. — Défense habile de Camille par Robespierre. — Brûler n'est pas répondre. — Réplique irritée de Robespierre. — Lecture des numéros de Camille. — Robespierre essaye d'en détourner l'attention des Jacobins. — Violente sortie contre Fabre d'Églantine. — Camille rayé de la liste des Jacobins. — Efforts de Robespierre pour obtenir l'annulation de cette mesure. — Camille réintégré. — Arrestation de Fabre d'Églantine. — Rapport de Robespierre sur la faction de Fabre d'Églantine. — Sa modération à l'égard de Danton. — Hautain défi aux tyrans. — Anniversaire du 21 janvier. — L'acte d'accusation de tous les rois. — Inquiétudes sur la santé de Robespierre. — Arrestation du beau-père de Desmoulins. — A propos de Ronsin et de Vincent. — Discussion sur les crimes du gouvernement anglais. — Robespierre et Jean-Bon Saint-André. — Le numéro 7 du Vieux Cordelier. — Rapport sur les principes de morale à appliquer à l'administration de la République. — Brichet et Saintex expulsés des Jacobins. — Efforts de Robespierre contre la Terreur. — Lutte contre les représentants en mission. — Lettres de Julien à Robespierre. — Rappel de Carrier. — Fréron et Barras à Marseille. — Ville sans nom. — Les envoyés de Marseille aux Jacobins. — Lutte de Maignet contre Fréron. — Barras et Fréron invités à revenir à Paris. — Nouvelle mission de Robespierre jeune. — Séjour à Vesoul. — Mise en liberté d'une foule de détenus. — Naïve exclamation d'un petit enfant. — Lutte entre Bernard (de Saintes) et Augustin Robespierre. — Le citoyen Viennot-Vaublanc. — Une séance de la société populaire à Besançon. Triomphe d'Augustin. — Admirable lettre de lui à son frère. — Maladie de Maximilien. — Ravages de l'hébertisme dans les départements. — Le sans-culotte Hébert — Tentative d'insurrection. — Propositions de Vincent et de Ronsin à Souberbielle. — Arrestation des hébertistes. — Réapparition de Robespierre. — Les agents de l'étranger. — Robespierre entre les exagérés et les indulgents. — Il défend Boulanger. — Le général Hanriot et Bonaparte. — Efforts des indulgents contre la commune de Paris. — Bourdon (de l'Oise) et Héron. — Une réponse à Tallien. — Sombres prophéties. — Attaque contre Léonard Bourdon. — Les pétitions des huit mille et des vingt mille. — L'exécution des hébertistes.

 

I

Un des titres d'honneur de la Convention nationale aux yeux de la postérité, c'est assurément son extrême honnêteté, son antipathie profonde, invincible, pour les corrompus et pour les corrupteurs. Non que tous ses membres fussent purs, tant s'en faut ; plus d'un, hélas ! a laissé des preuves de son indignité ; mais, en l'an II, en ce temps sombre et héroïque, l'esprit public était à la vertu : malheur à qui, dans l'Assemblée, prêtait au soupçon de vénalité !

Ce n'était d'ailleurs un mystère pour personne que tous les ennemis de la République, désespérant de la vaincre par les armes, cherchassent à triompher d'elle par les moyens les plus bas et les plus honteux. Vous avez décrété la République, écrivait, vers cette époque, Robespierre, nulle trêve n'était possible entre vous et la tyrannie. Vous rappellerai-je les moyens odieux et multipliés qu'elle employait pour perdre toute la portion de la représentation nationale qui ne voulait être ni sa dupe ni sa complice ?... Les fondateurs de la République ne peuvent trouver de repos que dans le tombeau. Les tyrans coalisés vivent encore, et tant qu'ils vivront, ils conspireront contre l'existence du peuple français ; ils verseront sur nous tous les maux dont la corruption des cœurs est la source inépuisable[1]. L'Assemblée ne voulut pas que le soupçon pût atteindre quelqu'un de ses membres, et elle se montra d'un rigorisme quelquefois exagéré. Elle afficha une austérité qui, pour n'être chez plusieurs qu'une pure hypocrisie, ajouta à son influence une incomparable grandeur morale. Il n'eût pas été permis alors à un député de trafiquer impunément dans les entreprises relevant de l'État ou de figurer dans les compagnies financières. Dès le mois de septembre 1793, la Convention renvoyait devant le tribunal révolutionnaire Nicolas Perrin, ancien maire de Troyes, représentant de l'Aube, dénoncé comme ayant reçu une commission pour la fourniture des toiles. Ce député avait en vain tenté de se justifier ; interrompu dans sa défense, il avait été décrété d'accusation à la demande d'Osselin et de Danton, son compatriote, et, peu de temps après, condamné par le tribunal révolutionnaire à douze années de fers et à six heures d'exposition publique.

Un tel exemple était de nature à faire réfléchir les coureurs d'affaires. Un peu plus tard, Philippeaux, renouvelant une proposition précédemment adoptée, demandait à la Convention d'astreindre chacun de ses membres et tous les magistrats du peuple à rendre compte de la fortune qu'ils possédaient avant la Révolution, et, s'ils l'avaient augmentée depuis, d'indiquer par quels moyens, sous peine d'être déclarés traîtres à la patrie. Bazire s'éleva vivement .contre la motion de Philippeaux, laquelle fut écartée par l'ordre du jour, et Chabot se plaignit amèrement des calomnies dirigées contre les patriotes. L'un et l'autre semblaient pressentir qu'une question d'argent les menait à leur perte. Ceci se passait le 20 brumaire (10 octobre 1793). Huit jours après, Bazire, Chabot, Delaunay (d'Angers), et Julien (de Toulouse), étaient décrétés d'accusation[2].

Il faut dire un mot de cette sombre et sale affaire, à cause du rôle, fort indirect d'ailleurs, que Robespierre fut appelé à jouer dans la répression. Un certain nombre de gens de finances, les uns Français, comme Benoît (d'Angers), compatriote et ami du représentant Delaunay, les autres étrangers, comme Emmanuel et Junius Frey, dont la sœur avait épousé récemment Chabot, imaginèrent de pratiquer un vaste système de corruption sur les membres de la Convention nationale, dans l'espérance d'obtenir, au sujet des compagnies financières, objet de leurs spéculations et de leurs trafics, des décrets favorables à leurs desseins. Ils s'abouchèrent avec le baron de Batz, ce conspirateur émérite dont on trouve la main dans toutes les machinations ourdies contre la République, et qui, grâce certainement à des relations avec certains personnages influents, eut l'art de se dérober au châtiment auquel n'échappèrent point la plupart de ses complices. Delaunay (d'Angers), et Julien (de Toulouse), gens sans conscience aucune, prirent part à cet horrible complot financier. Le premier fit miroiter aux yeux de Chabot les avantages énormes qu'offrirait une spéculation bien entendue sur les effets des compagnies financières. On provoquerait une dépréciation factice des valeurs pour acheter en baisse, puis on s'empresserait de les relever afin de vendre avec de gros bénéfices. Le prix des complaisances qu'on attendait de Chabot ne devait pas être moindre de cent cinquante mille livres[3].

Chabot, ce semble, se laissa éblouir. Déjà, sous prétexte de dot, il avait, en se mariant, touché des frères de sa femme, les banquiers Frey, la somme de deux cent mille livres. L'appétit des richesses lui était venu, il entra dans le complot. S'il faut s'en rapporter à ses déclarations, ce n'était que par pur patriotisme qu'il aurait consenti à donner la main à ces sordides conspirateurs. Pour sauver ma patrie, écrivait-il à Danton (le 8 frimaire), je me liai avec eux ; je fis jaser ce Benoît qui, sous le nom de craintes, nie dévoilait son désir caché de perdre la Convention et de faire la contre-révolution. Je fus convaincu, surtout lorsqu'ils me dirent de corrompre Fabre avec cent mille livres en assignats qu'ils me remirent pour lui. Je fus content de la manière loyale de Fabre, et il doit l'être de la mienne. Persuadé que Fabre était gagné à eux, ils me dirent qu'il fallait à nous deux nous charger des finances et faire tomber Cambon ; que c'était le désir de Robespierre. Ils m'ajoutèrent : Au surplus, ne variez pas, ou vous êtes perdu. Danton a été des nôtres, il nous a quittés, et vous voyez comme nous le poursuivons. Il en est de même de Lacroix, etc. Ils m'ajoutèrent que successivement la Convention serait perdue, qu'on allait envoyer à la guillotine les soixante-treize, puis tous les appelants, puis Danton, Lacroix, Legendre, Barère, Thuriot, et qu'on finirait par Robespierre et Billaud-Varenne...[4] Fabre d'Églantine avait, à diverses reprises, très-violemment attaqué la Compagnie des Indes. On comprend dès lors tout l'intérêt qu'on avait à acheter son silence. Chabot fut chargé de conclure le marché avec lui, et reçut à cet effet une somme de cent mille livres. De son récit, fort embrouillé du reste, il résulte que Fabre se récria avec indignation à la première ouverture. Chabot garda les cent mille livres en laissant croire à ses complices qu'il les avait remises à son collègue. Si indirecte qu'ait été la participation de Fabre d'Églantine à cette triste affaire, elle n'en eut pas moins pour lui des conséquences déplorables, et nous verrons tout à l'heure par quelle voie fatale il fut, lui aussi, précipité à l'échafaud.

Les allées et venues mystérieuses de Chabot, son mariage avec la sœur des banquiers Frey, mariage étrange, n'avaient pas été sans éveiller certains soupçons. Bazire eut l'imprudence de se laisser mener par Chabot dans la société des artisans du complot financier. Ils allèrent ensemble à un dîner donné par Julien (de Toulouse) à la campagne, dîner auquel assistaient le baron de Batz, La Harpe, Delaunay (d'Angers) et quelques femmes, et où il fut fort question des moyens de corruption sur lesquels reposait le complot. Violemment pris à partie aux Jacobins, Chabot se crut découvert, il eut peur, et un matin il alla tout conter à Robespierre. Je viens te réveiller, lui dit-il, mais c'est pour sauver la patrie ; je tiens le fil de la conspiration la plus dangereuse qui ait été tramée contre la liberté. — Eh bien, il faut la dévoiler. — Mais pour cela il faut que je continue de fréquenter les conjurés ; car j'ai été admis dans leur société. Ils m'ont conduit, par degrés, à des propositions ; ils m'ont tenté par l'appât de partager le fruit de leur brigandage ; le jour est pris où ils doivent se réunir ; je dois m'y trouver aussi. Si l'on veut, je ferai prendre en flagrant délit les conspirateurs. — On ne saurait rendre un plus grand service à la patrie, reprit Robespierre ; mais où sont les preuves de ce complot ? Chabot montra alors les cent mille livres en assignats destinées à corrompre Fabre d'Églantine. Je vais, ajouta-t-il, les déposer au comité de Sûreté générale, et dénoncer les traîtres[5]. Robespierre approuva vivement sa résolution. Chabot ayant manifesté quelques craintes pour sa propre sûreté, Robespierre le rassura en lui disant que la pureté de ses intentions et l'avis dont on lui serait redevable seraient ses garanties. Cependant Chabot n'était pas sans inquiétude, car il savait une partie des membres du comité de Sûreté générale assez intimement liés avec Delaunay[6]. Toutefois, il se rendit au siège du comité, donna quelques explications verbales, rentra chez lui pour rédiger sa dénonciation par écrit, puis retourna au comité, accompagné de Bazire, qui, de son côté, fournit, quelques notes explicatives sur le complot dénoncé par son collègue.

Cette dénonciation inattendue émut singulièrement les comités de Sûreté générale et.de Salut public. On se demanda tout d'abord si les dénonciateurs n'étaient pas coupables eux-mêmes, et, dans le doute, on les fit arrêter par mesure de précaution. Transféré à la maison d'arrêt du Luxembourg, Chabot, désespéré, écrivit à Danton quatre lettres consécutives, par lesquelles il le sollicitait d'être son défenseur et celui de Bazire. Il ne paraît pas que cet appel ait été entendu. Danton d'ailleurs eût été impuissant. Ce fut encore dans Robespierre que Chabot et Bazire rencontrèrent le plus d'indulgence. Maximilien ne pouvait oublier les services rendus par Chabot à la cause de la Révolution ; il avait toutes les peines du monde à le croire coupable, il le supposa victime de machinations étrangères. Voici comment il s'expliqua sur son compte dans le projet de rapport dont la rédaction lui avait été confiée : Je n'ai pas besoin, dit-il après avoir raconté comment on était parvenu à circonvenir François Chabot, je n'ai pas besoin de peindre la joie que ce triomphe remporté sur la conduite d'un patriote tel que Chabot dut répandre dans les cavernes des brigands autrichiens. L'Autriche crut dès ce moment tenir entre ses mains l'honneur de la Convention nationale. Le monstre qui avait trompé Chabot osa se vanter alors que les représentants les plus purs n'échapperaient pas aux filets qui étaient tendus autour d'eux. Dès ce moment, cette victime de la perfidie fut l'objet de l'attention de toutes les sociétés populaires ; le patriotisme inquiet et ardent se réunit pour l'accabler. Je n'ai pas besoin de dire que cet événement fut présenté sous les couleurs les plus défavorables à Chabot, et chargé de toutes les circonstances que la malveillance et l'intrigue pouvaient inventer. On a raisonné diversement sur la dot de 200.000 livres donnée par Frey à la femme de Chabot. Les uns ont adopté les interprétations les plus favorables aux vues de l'aristocratie ; les autres ont préféré celles qui flattaient le plus le vœu des patriotes ; mais ce sont les premières qui ont dû naturellement prévaloir dans le public ; il faut nécessairement que la malignité et l'aristocratie prennent chacune sa part. Malheur à l'homme qui a longtemps défendu la cause du peuple ! S'il commet ou une faute, ou une erreur, ou une indiscrétion, il est perdu ; car le patriotisme sévère et soupçonneux et la vengeance des ennemis du peuple se réunissent contre lui... Il faut qu'il porte à la fois la peine et de sa faiblesse actuelle et de ses services passés.

On voit avec quels ménagements Robespierre parlait d'un collègue dont il avait jadis apprécié le patriotisme et dont la conduite lui paraissait alors plus légère que criminelle. Et cependant qui plus que Maximilien avait le droit d'être exigeant en fait d'honnêteté ? Mais c'est le propre de la vertu sincère de ne pas se montrer farouche à l'excès, et l'on a dû remarquer déjà.la distinction que Robespierre s'attacha toujours à établir entre l'erreur et le crime. Son rapport, trop favorable, n'eut pas l'approbation de ses collègues des comités de Sûreté générale et de Salut public, il faut le croire, puisqu'il ne fut pas adopté par eux. L'indulgence dont il avait paru animé à l'égard de Chabot et de Bazire n'empêchera pas ces deux députés de porter leurs têtes sur l'échafaud, ce qui prouve une fois de plus en passant, et contrairement à une opinion trop accréditée, combien peu son influence était dominante au sein des comités[7].

 

II

Vers cette époque parut le troisième numéro du Vieux Cordelier, c'est-à-dire au lendemain même du jour où, aux Jacobins, Robespierre avait pris si chaleureusement la défense de Camille Desmoulins, en l'engageant toutefois à se montrer moins versatile. Qui ne connaît cet immortel chef-d'œuvre, cette étrange apologie de la Révolution, si semblable à la plus amère des satires, apologie dont tous les royalistes s'emparèrent aussitôt pour la tourner, comme une arme empoisonnée, contre la République ? Si l'on ne peut s'empêcher d'admirer le courage et le talent de l'imprudent écrivain, on doit aussi blâmer son erreur ; car, aux applaudissements que les contrerévolutionnaires de toutes les nuances prodiguèrent à ce fameux numéro 3, Camille dut connaître qu'il s'était trompé.

Il avait si bien compris le parti que la malignité ne manquerait pas de tirer de ses citations, qu'il avait eu soin de protester d'avance contre les rapprochements qu'on chercherait à établir entre le temps présent et les époques calamiteuses dont il retraçait l'affligeant tableau. Si Camille eut l'intention pure et simple de présenter à ses concitoyens, à l'aide d'une allégorie, l'image du régime révolutionnaire auquel ils étaient momentanément soumis, on ne peut nier qu'il n'ait singulièrement chargé ses couleurs, si sombre et si soupçonneux que fût ce régime. Mais telle n'a pas été la pensée de l'ardent pamphlétaire ; il voulut surtout, et il faut l'en croire quand il le dit, montrer la différence existant entre la terreur monarchique passée de temps immémorial à l'état chronique, et la terreur transitoire inévitablement amenée par le combat à mort que se livraient au milieu de nous la République et la royauté. Maintenant, que plus d'une allusion perçante soit volontairement tombée de sa plume, c'est ce dont il est impossible de douter. Il songeait évidemment à son ami le général Dillon en écrivant : S'était-on acquis de la réputation à la guerre, on n'en était que plus dangereux par son talent. Et sans doute il pensait à Robespierre harcelé par les Girondins, lorsqu'il disait : C'était un crime d'avoir une grande place ou d'en donner sa démission, mais le plus grand, de tous les crimes était d'être incorruptible. Sa nomenclature des suspects rappelle non pas, comme on le croit généralement, la loi des suspects de Merlin (de Douai), mais bien les tables dressées par Anaxagoras Chaumette, où un geste, une erreur, un préjugé, une superstition, étaient érigés en crimes d'État. Toutefois le retour de cette terreur de l'ancien despotisme impérial ne paraissait possible à Desmoulins qu'au cas où la royauté, c'est-à-dire la réaction, triompherait. Laissez venir le 9 Thermidor, et la prédiction de Camille s'accomplira.

A côté de sorties extrêmement vives contre ces énergumènes déjà flétris par Maximilien, devenus patriotes outrés par ordre de Pitt et de Coblentz, et qui, selon Camille, s'épuisaient en efforts pour réfuter le manifeste sublime de Robespierre[8], il y a dans ce numéro 3 plus d'une page entièrement à la gloire de la République, et où éclate le génie révolutionnaire de l'auteur de la France libre. On y trouve même sur le tribunal révolutionnaire une appréciation pleine de justesse et dont devraient se souvenir peut-être ceux qui écrivent plus ou moins sérieusement l'histoire de ce tribunal sanglant. En somme, trois écueils étaient éloquemment signalés par Camille Desmoulins comme périlleux pour la République : d'abord, l'exagération des faux révolutionnaires ; en second lieu, le modérantisme en deuil qui, à l'aide d'une armée de femmes, faisait le siège des comités ; enfin, ce que l'ingénieux écrivain appelait la conspiration des dindons, c'est-à-dire de ces patriotes de la troisième ou quatrième réquisition, qui, avec les intentions les meilleures, s'en allaient déclamant sans cesse contre les vétérans de la Révolution. Sur ces trois points Camille était parfaitement d'accord avec son cher camarade de collège. Mais comment le léger écrivain ne s'aperçut-il pas qu'en portant aux nues la lettre récemment publiée par Philippeaux sur la Vendée, lettre où quelques vérités bonnes à dire se trouvaient noyées dans un torrent de récriminations injustes contre le comité de Salut public ; il traçait lui-même l'éloge d'un homme appartenant à ce qu'il appelait si plaisamment la conspiration des dindons ?

Quoi qu'il en soit, ceux qui battirent des mains à l'apparition de ce troisième numéro, ceux qui, pour l'acheter, se précipitèrent en foule dans la boutique du libraire Desenne, n'étaient point les amis sincères de la Révolution. Comme les applaudissements ont cela de fatal qu'ils montent à la tête, à l'instar d'un vin généreux, et qu'involontairement, pour ainsi dire, on est disposé à des concessions parfois étranges envers qui les a prodigués, Camille se trouva comme grisé. Sans s'en douter peut-être, l'ancien procureur général de la lanterne mit au service de la réaction cette plume acérée dont les royalistes avaient reçu de si cruelles blessures, et qui maintenant semblait remplir pour eux l'office de la lance d'Achille.

 

III

Cinq jours après celui où Camille Desmoulins se plaignait de voir le modérantisme assiéger le comité de Sûreté générale par une armée de femmes et d'avoir été lui-même saisi : au collet au moment où, par hasard, il .entrait dans la salle de ce comité[9], une foule de citoyennes se présentaient à la barre de la Convention pour réclamer la liberté des prisonniers injustement détenus. Déjà ces femmes étaient venues une huitaine de jours auparavant, et l'Assemblée avait ordonné à son comité de Sûreté générale de lui faire sous trois jours un rapport sur cette demande. Le rapport n'ayant pas été déposé dans le délai prescrit, elles revenaient, afin de prier la Convention de statuer sans plus tarder sur leur pétition[10].

Le président — c'était Voulland — chercha à expliquer en quelques paroles aux pétitionnaires pourquoi l'on avait dû prendre contre des personnes suspectes certaines mesures de précaution qu'il ne fallait pas confondre avec une pénalité. Puis Robespierre, non pas comme membre du comité de Salut public, mais en son nom personnel, prit la parole à son tour. Il saisit cette occasion de déclarer avec une grande modération, mais de la façon la plus nette, que la Révolution ne désarmerait pas devant les provocations incessantes et les menaces indirectes dont elle était l'objet. Seulement il tint à établir qu'elle subordonnerait toujours son action à celle de la justice, seule déesse devant laquelle il s'inclinât. Il commença par reprocher aux pétitionnaires d'avoir cédé aux suggestions de l'aristocratie en se rendant tumultueusement en corps à la Convention, et en ayant l'air de croire à l'innocence de tous les détenus. Sans doute, pensait-il, les mesures révolutionnaires nécessitées par les circonstances avaient pu frapper quelques innocents, et parmi les femmes admises à la barre de l'Assemblée il en était d'intimement convaincues de l'innocence de leurs maris ou de leurs parents ; mais du moins auraient-elles dû séparer avec soin leur cause de celle des ennemis de la Révolution. Et d'une voix attendrie : Des femmes ! ce nom rappelle des idées chères et sacrées. Des épouses ! ce nom rappelle des sentiments bien doux à des représentants qui fondent la liberté sur toutes les vertus. Mais ne sont-elles pas aussi des citoyennes, et ce titre ne leur impose-t-il pas des devoirs supérieurs à ceux de leur qualité privée ? Femmes patriotes, elles auraient dû, selon lui, afin de ne point paraître mises en avant par l'aristocratie, se contenter de s'adresser modestement et en particulier aux législateurs spécialement chargés d'examiner les causes des détentions, sûres de trouver dans chacun d'eux un défenseur du patriotisme opprimé.

Robespierre, en s'élevant avec force contre les exagérations de ceux qui, suivant son expression, avaient transformé la liberté en Bacchante, avait fourni lui-même un semblant de point d'appui aux réclamations de l'aristocratie ; il ne se le dissimulait pas. Aussi ne manqua-t-il pas de formuler son opinion de la façon la plus explicite.

Depuis que nous nous sommes élevés contre les excès d'un patriotisme emprunté, dit-il, on a cru que nous voulions déchoir de la hauteur révolutionnaire où nous étions placés. Tous les ennemis de la liberté nous ont pris au mot, ils ont cru que le moment du modérantisme était arrivé ; ils se sont trompés. Il faut, je le répète, que la Convention nationale protège le patriotisme opprimé, et certes elle l'a fait autant qu'elle l'a pu ; jamais un innocent n'a en vain réclamé sa justice, et elle ne se départira pas de cette règle ; mais chacun doit bien se pénétrer de cette idée qu'elle conservera non-seulement l'énergie qui l'a animée jusqu'à ce jour, mais encore qu'elle poursuivra sans relâche tous les ennemis de la liberté et de l'égalité.

Pour faire droit à la pétition dont un grand nombre de femmes s'étaient faites l'organe auprès de la Convention, et pour éviter désormais toute confusion entre le véritable patriote et le contrerévolutionnaire, il y avait, à son avis, une mesure très-importante à prendre, mais infiniment délicate en même temps : c'était d'investir les comités de Salut public et de Sûreté générale du droit de nommer des commissaires chargés de rechercher les moyens de mettre en liberté les citoyens injustement incarcérés. Ces commissaires devaient soumettre le résultat de leurs recherches aux comités, lesquels statueraient définitivement sur la mise en liberté des personnes détenues sans motifs suffisants. Seulement, disait-il, il fallait prendre garde que les citoyens chargés de l'exécution de cette mesure n'oubliassent leurs devoirs et leur mission austère à la voix d'intrigants ou de jolies solliciteuses. Qui ne sait combien de fois la cause sacrée de la justice s'est trouvée compromise par l'influence de deux beaux yeux ! Pour éviter les dangers des sollicitations, les noms des commissaires demeuraient secrets pour le public[11].

La Convention avait interrompu, à diverses reprises, par ses applaudissements, l'éloquente improvisation de Robespierre[12], elle vota également sa proposition au milieu des acclamations, a l'unanimité et sans discussion. Ainsi fut institué, à la voix de Maximilien, le comité de Justice, qui eût pu produire un si grand bien s'il eût fonctionné comme l'aurait voulu son auteur.

Le jour même où était décrété ce comité de Justice, Camille Desmoulins écrivait sous l'impression du décret salutaire le quatrième numéro de son Vieux Cordelier. Camille niait avec raison que la liberté fût une chemise sale ou des haillons, une actrice de l'Opéra, la Candeille ou la Maillard, promenées avec un bonnet rouge ; non, la liberté, c'était le bonheur, c'était la raison, c'était l'égalité, c'était la justice, c'était la Déclaration des droits, c'était en un mot la constitution, et en cela il n'était que l'écho de paroles dites et redites par Robespierre. Mais il allait beaucoup plus loin que son ami, en demandant implicitement l'ouverture des maisons de détention, tout en avouant, par une contradiction assez singulière, qu'il serait dangereux et impolitique de relâcher les détenus[13]. Ô mon cher Robespierre, s'écriait-il, c'est à toi que j'adresse ici la parole, car j'ai vu le moment où Pitt n'avait plus que toi à vaincre, où sans toi le navire Argo périssait, la République entrait dans le chaos, et la société des Jacobins et la Montagne devenaient une tour de Rabel. Ô mon vieux camarade de collège, toi dont la postérité redira les discours éloquents, souviens-toi que l'amour est plus fort, plus durable que la crainte ; que l'admiration et la religion naquirent des bienfaits ; que les actes de clémence sont l'échelle du mensonge, comme nous disait Tertullien, par lesquels les membres du comité de Salut public se sont élevés jusqu'au ciel, et qu'on n'y monta jamais sur des marches ensanglantées. Déjà tu viens de t'approcher beaucoup de cette idée, dans la mesure que tu as fait décréter aujourd'hui, dans la séance du décadi 30 frimaire. Il est vrai que c'est plutôt un comité de Justice qui a été proposé. Cependant, pourquoi la clémence serait-elle devenue un crime dans la République ?[14] Ce que demandait en effet Camille, c'était un comité de Clémence.

On sent tout de suite la différence capitale existant entre cette proposition et celle de Maximilien. La première tendait à désarmer la Révolution, la seconde lui laissait les moyens de se défendre sans sortir des bornes de la justice. Ici l'équité stricte, là la fantaisie pure. Sans doute la motion de Camille était touchante, et l'humanité y applaudit ; mais, comme l'a justement remarqué le grand historien de la Révolution française, l'imprudent écrivain avait le tort de réclamer pour le régime de la liberté militante ce qui ne convenait qu'au régime de la liberté victorieuse[15]. Quelle illusion, en effet, que d'imaginer que parce que la Révolution désarmerait, la réaction en ferait autant. A entendre Camille, on eût pu croire que la République n'avait plus pour ennemis que des vieillards, des femmes ou des cacochymes. Mais la Vendée n'était-elle pas toujours en feu ? Nos frontières n'étaient-elles pas assaillies du nord au midi ? Enfin, à l'intérieur, les machinations royalistes n'étaient-elles point sans cesse renaissantes ? Du reste, Camille lui-même se contredisait de page en page. Si, exagérant le nombre des détenus, il demande ici qu'on ouvre les prisons aux deux cent mille suspects, il ajoute là, en note, que son sentiment n'est point qu'on ouvre à deux battants les portes des maisons de suspicion, mais seulement un guichet, et qu'après interrogatoire on élargisse les détenus dans le cas seulement où leur élargissement ne serait point un danger pour la République. C'était rentrer dans l'idée de Robespierre.

Il fallait toute la légèreté de Camille pour ne pas comprendre l'excellent parti que les royalistes allaient tirer de ses écrits, dont une des conséquences les plus fâcheuses fut de donner aux exagérés une force toute nouvelle. Se tenant à l'écart, pour ainsi dire, depuis le jour où Robespierre leur avait opposé une attitude si énergique, ils reparurent plus exigeants, crièrent à la désertion de Camille et demandèrent ce qu'aurait dit de plus un aristocrate. L'arrivée de Collot-d’Herbois, du géant, comme ils disaient, leur sembla un puissant renfort ; ils se crurent en état de tout oser. Entre les ultrarévolutionnaires et ceux qu'on appela les indulgents, —mot qui doit s'entendre dans un sens tout relatif, — une lutte effroyable va s'ouvrir, une lutte à mort, dans laquelle les premiers tomberont vaincus, mais non sans avoir porté à leurs adversaires des coups terribles auxquels ceux-ci ne tarderont pas à succomber à leur tour.

 

IV

On comprend quelles furent en ces circonstances les angoisses de Robespierre, qui voyait compromise, par l'imprudence de son ami, la politique ferme et sage à la fois dont il avait fait la règle de sa conduite. Devait-il soutenir Camille dans sa maladroite entreprise ? Devait-il heurter, lui aussi, contre l'écueil du modérantisme où fatalement, et quoi qu'il en pensât lui-même, allait échouer l'auteur du Vieux Cordelier[16] ? Il ne le pouvait sans faillir à son caractère et sans donner un démenti sanglant à toute sa conduite passée. Mais se réfugia-t-il dans la Terreur, comme on l'a dit fort légèrement[17] ? En aucune façon. Il fut tout simplement conséquent avec lui-même, et s'attacha à se tenir entre les deux coalitions rivales, dont l'une tendait au modérantisme et l'autre aux excès patriotiquement contre-révolutionnaires[18]. C'est d'ailleurs ce que nous allons démontrer de la manière la plus péremptoire.

Dans la séance même où Robespierre obtenait de la Convention nationale l'établissement d'un comité de Justice, paraissait à la barre une députation du club des Cordeliers. D'un ton altier et le chapeau sur la tête, l'orateur demanda d'abord un prompt rapport sur l'affaire de Ronsin et de Vincent, récemment arrêtés à la suite de la publication de la cinquième lettre du député Philippeaux, puis la mise en accusation des complices de la faction brissotine, c'est-à-dire des soixante-treize Girondins déjà sauvés deux fois par Robespierre, et dont le parti hébertiste ne se lassait pas de réclamer la mort. Nous avons dit l'aversion de Maximilien pour le débraillé révolutionnaire. Un jour, dans le courant d'octobre, les sociétés populaires avaient sollicité de la Convention un décret portant qu'à l'avenir tous les citoyens seraient tenus de se tutoyer sous peine d'être déclarés suspects, et cette absurde pétition avait été appuyée par Philippeaux[19], aujourd'hui le dénonciateur obstiné des généraux hébertistes. Mais il paraissait aussi ridicule à Robespierre de contraindre un citoyen de parler à un indifférent dans les mêmes termes qu'à la personne la plus chère et à l'ami le plus intime, qu'il lui semblait indécent de la part de pétitionnaires de venir parler le chapeau sur la tête aux représentants du peuple français. Les hommes se doivent entre eux certaines considérations et certain respect ; il y avait là, selon lui, une obligation de politesse à laquelle républiques et monarchies étaient également tenues.

Couthon se plaignit le premier de l'avilissement qu'on avait l'air de vouloir répandre sur l'Assemblée en lui parlant le chapeau sur la tête. Défenseur des soixante-treize Girondins contre lesquels était particulièrement dirigée la pétition, Robespierre pouvait se sentir atteint personnellement en quelque sorte. Cependant il se garda bien d'attribuer à une mauvaise intention de la part des pétitionnaires l'abus dont s'était plaint Couthon. Cet abus venait, suivant lui, de la mauvaise application d'un principe véritable[20]. Sans doute, dit-il, tous les citoyens sont égaux entre eux, mais il n'est pas vrai qu'un seul homme soit l'égal d'une portion quelconque de citoyens. Un individu qui parle dans une assemblée doit respecter en elle la société générale dont il est membre. Quelque chose excusait peut-être l'attitude des pétitionnaires, c'était l'habitude prise par certains membres de l'Assemblée de parler couverts, ce qui était contraire au règlement. Maximilien s'éleva énergiquement contre cette habitude irrévérencieuse. Que nos collègues donnent l'exemple du respect que l'on doit au peuple, tout le monde le suivra. Le représentant Granet ayant réclamé la question préalable en invoquant l'exemple des quakers, lesquels avaient pu se présenter le chapeau sur la tête devant l'Assemblée législative : C'est là, répondit Robespierre, une exception qui confirme la règle, les quakers ayant eu de tout temps l'habitude de se parler couverts. Rappelée par lui au maintien de sa dignité personnelle, la Convention interdit aux pétitionnaires de paraître devant elle le chapeau sur la tête, et elle décida que dorénavant chacun de ses membres serait tenu de se découvrir en prenant la parole[21].

La pétition, lue après cet incident, passa à peu près inaperçue et ne produisit aucun effet. On voit si, dans cette occasion, Maximilien fut avec les exagérés. Il ne s'était prononcé ouvertement jusqu'ici ni pour ni contre Ronsin, dont les actes ne lui étaient pas bien connus encore, et il avait à cet égard imité la sage circonspection de Danton, ce dont un journal du temps lui fit indirectement compliment[22]. L'arrestation de Ronsin, comme celle de Vincent, déclara-t-il lui-même aux Jacobins, n'était pas l'ouvrage d'un homme, mais le résultat d'un examen attentif dans les deux comités ; il dit cela à la décharge de Philippeaux, violemment inculpé par les hébertistes. Transportons-nous donc aux Jacobins, et examinons impartialement si, dans les scènes orageuses amenées par les derniers numéros du Vieux Cordelier et les lettres de Philippeaux, Robespierre prit davantage parti pour les terroristes, dont il usa sa vie à combattre les excès.

 

V

Comme on devait s'y attendre, les premiers numéros du Vieux Cordelier et les pamphlets de Philippeaux, si admirés de Camille, soulevèrent de violents orages. Camille frise la guillotine, s'écria aux Jacobins, dans la séance du 1er nivôse (21 décembre 1793), l'imprimeur Nicolas. Juré au tribunal révolutionnaire, patriote enthousiaste, admirateur sincère et dévoué de Robespierre, dont il devait partager le sort, Nicolas mettait plus d'emportement dans ses paroles que dans ses actes. A Fouquier-Tinville et à Dumas qui lui, reprochaient d'avoir acquitté un ci-devant noble, un conseiller au ci-devant parlement de Paris, — c'était à propos de Fréteau, lors de sa première comparution devant le tribunal révolutionnaire, — il répondit : Fréteau n'a pas été convaincu, je n'ai pu l'atteindre[23]. Camille lui-même rendait pleine justice d'ailleurs au farouche patriote. Tout en le criblant : de ses traits les plus mordants, dans le cinquième numéro de son journal, il le félicitait d'avoir veillé sur les jours de Robespierre à une époque où celui-ci courait les plus grands dangers. Comme tous les patriotes aiment Robespierre ; comme dans le fond Nicolas est un patriote, nous l'avons nommé juré du tribunal révolutionnaire. Vous, Nicolas, qui avez aux Jacobins l'influence d'un compagnon, d'un ami de Robespierre, vous qui savez que mes intentions ne sont pas contre-révolutionnaires, comment avez-vous cru les propos que l'on tient dans certains bureaux ? Comment les avez-vous crus plutôt que les discours de Robespierre, qui m'a suivi presque depuis l'enfance, et qui, quelques jours auparavant, m'avait rendu ce témoignage, que j'oppose à la calomnie : qu'il ne connaissait pas de meilleur républicain que moi ; que je l'étais par instinct, par sentiment plutôt que par choix, et qu'il m'était même impossible d'être autre chose. Citez-moi quelqu'un dont on ait fait un plus bel éloge. Cependant les tape-dur ont cru Nicolas plutôt que Robespierre[24]. Seulement Camille Desmoulins  oubliait de dire une chose, c'est que, dans l'intervalle de la séance où Robespierre s'était exprimé sur son compte en termes si flatteurs à celle où l'imprimeur Nicolas s'était permis cette regrettable apostrophe, les numéros 3 et 4 du Vieux Cordelier avaient paru, et que la colère des patriotes s'était précisément allumée à la lecture de ces deux numéros.

Le même jour, Hébert se déchaînait avec la dernière violence contre Camille, Philippeaux, Bourdon (de l'Oise), — Bourdon le rouge, disait-il, — et contre Fabre d'Églantine. Déjà depuis quelque temps il avait commencé dans son journal une guerre à outrance contre Camille et ses amis : Un bourriquet à longues oreilles qui n'eut jamais ni bouche ni éperon fait feu des quatre pieds depuis quelques jours. Après avoir plaidé la cause du muscadin Dillon et soutenu que sans la protection des talons rouges la République ne pouvait se sauver, il devient aujourd'hui le champion de tous les j... f... qui sifflent la linotte...[25] En s'en prenant à des hommes qui injustement et à tout propos attaquaient l'administration de la guerre et ne cessaient de décrier le comité de Salut public, Hébert espérait bien s'attirer les bonnes grâces des membres les plus influents de la Convention. Il conjura Robespierre et Danton, les deux colonnes de la Révolution, de ne pas se laisser circonvenir par des pygmées qui voulaient s'élever à l'ombre de leur patriotisme[26]. Mais Robespierre, guidé par sa conscience entre les exagérations du Père Duchesne et celles du Vieux Cordelier, n'était pas plus disposé à sacrifier ses convictions aux cajoleries d'Hébert qu'aux éloges sincèrement enthousiastes de Camille Desmoulins.

Plus sérieuse fut l'attaque dirigée le surlendemain par Levasseur (de la Sarthe) contre son compatriote Philippeaux. Collot-d’Herbois, tout récemment arrivé de Lyon, venait de faire entendre des plaintes amères contre ceux qui voulaient modérer le mouvement révolutionnaire, et il avait jeté dans les âmes de sombres émotions en dépeignant le suicide d'un citoyen lyonnais, d'un ami de Chalier, de Gaillard, qui s'était tué de désespoir, croyant la République trahie, quand Levasseur prit la parole. Je demande, s'écria-t-il, à arracher le masque dont se couvre Philippeaux. Du bavardage, des déclamations, voilà en quoi, selon lui, consistait le patriotisme de ce député. Il lui reprocha d'avoir menti dans ses lettres, de l'avoir engagé à voter pour l'appel au peuple, d'avoir traité Ronsin et Rossignol de scélérats, d'avoir enfin déclaré que les Jacobins n'étaient composés que de fripons. Philippeaux nia ce propos insolent et persista dans ses accusations contre les, généraux de la Vendée, coupables tous, à ses yeux, de négligence, d'ignorance ou de trahison. Mais Levasseur jouissait d'une réputation de patriotisme et d'intégrité qui ajoutait à ses paroles un poids énorme ; l'assemblée, vivement émue, paraissait peu disposée à entendre la justification de Philippeaux[27].

Danton se leva alors. Il ne savait rien de cette affaire ; désirant se former une conviction, il pria la Société d'écouter attentivement, et ajouta : Je n'ai aucune opinion formée sur Philippeaux ni sur d'autres ; je lui ai dit à lui-même : Il faut que tu prouves ton accusation ou que tu portes ta tête sur un échafaud[28]. Or il se trouva que la plupart des faits si légèrement avancés par Philippeaux furent victorieusement démentis. Robespierre prit aussi la parole, et si quelqu'un essaya d'adoucir la discussion, ce fut certainement lui. Il commença par engager Philippeaux à faire le sacrifice de son opinion dans le cas où il aurait cédé à des suggestions d'amour-propre ou obéi à des passions particulières ; mais s'il avait été mû par une plus noble passion, par l'amour de la patrie et de la liberté, Maximilien comprenait qu'il attaquât le gouvernement lui-même et des hommes calomniés, abhorrés par les puissances étrangères, sauf à ceux-ci à répondre. La société, dit-il, doit entendre un homme qui, j'aime à le croire, n'a eu que de bonnes intentions. Si perfides que fussent les assertions de Philippeaux, lequel accusait le comité de Salut public d'avoir, par entêtement, sacrifié trente mille hommes dans la Vendée, Robespierre ne pensait point que son collègue eût été animé de pensées contre-révolutionnaires. Il fallait l'entendre, et juger entre lui et le comité ; par conséquent la discussion devait être calme et tranquille. Les agitations dont on était tourmenté, il les attribua aux menées des puissances étrangères qui avaient placé la République entre ces deux écueils si souvent signalés par lui : le modérantisme et l'exagération. Soyez-en persuadés, ajouta-t-il, la tactique de nos ennemis, et elle est sûre, c'est de nous diviser ; on veut que, luttant corps à corps, nous nous déchirions de nos propres mains. Aux impatients qui se plaignaient de l'arrestation de Ronsin et de Vincent, il rappelait l'exemple de Marat se rendant au tribunal révolutionnaire et en revenant triomphant. Chabot lui-même n'avait-il pas été arrêté malgré les incontestables services rendus par lui à la chose publique ? Ces diverses arrestations n'étaient point l'ouvrage d'un homme, elles avaient été longuement délibérées au sein des comités de Salut public et de Sûreté générale, eut soin de dire Robespierre. Ici Maximilien venait généreusement au secours de Philippeaux, sur qui un certain parti rejetait la responsabilité de ces arrestations. Et certes, à moins de la plus aveugle prévention, on ne peut s'empêcher de rendre justice à la tolérance, à la modération dont il fit preuve en cette occasion.

Tout en protestant de son intention de n'avoir point voulu diviser les patriotes, et en déclarant qu'il avait dans son cœur les principes professés par Robespierre, Philippeaux insista sur des accusations nées de simples rivalités et nullement concluantes. Il laissa parfaitement voir que son irritation venait du peu de créance qu'il avait rencontré, dit-il, dans le comité de Salut public. De là sa résolution d'imprimer son rapport, mais seulement à un nombre d'exemplaires suffisant pour en offrir à tous ses collègues de la Convention. Sur ce point il reçut un démenti sanglant de Levasseur ; et lui de répondre que l'animosité de Levasseur venait de ce qu'il lui avait fait perdre cinq cents livres de rente en obtenant le rapport d'un décret voté d'enthousiasme sur la résiliation des baux. Point de personnalités ! cria-t-on de toutes parts. Pour terminer, Danton proposa à la Société de nommer une commission de cinq membres chargée d'entendre les accusés et les accusateurs. Philippeaux croit-il, dans son âme et conscience, qu'il y ait eu trahison dans la guerre de la Vendée ? demanda Couthon. Oui, répondit Philippeaux. Couthon alors appuya la proposition de Danton, et la commission fut à l'instant nommée au milieu des plus vifs applaudissements.

Robespierre prononça encore quelques paroles pour se plaindre des insinuations perfides dirigées contre la Convention, dont on affaiblissait ainsi l'autorité morale. Ces plaintes étaient à la fois à l'adresse des indulgents et des exagérés. Si jamais, dit-il, une portion du peuple, égarée par quelques hommes, voulait faire la loi à la Convention, aujourd'hui que nous ne sommes ni brissotins ni aristocrates, nous saurions montrer le courage devrais républicains, et, bien loin de fuir comme les conspirateurs, nous attendrions la mort sur nos chaises curules. Citoyens, comptez sur la justice de l'Assemblée, qui la rendra toujours aux patriotes[29]. Les acclamations avec lesquelles la Société accueillit ces paroles de Robespierre prouvèrent que la masse des Jacobins n'était ni pour, le -modérantisme ni pour l'exagération. Un membre ayant ensuite" demandé que Fabre d'Églantine, Bourdon (de l'Oise) et Camille Desmoulins fussent entendus et jugés sans désemparer, on passa à l'ordre du jour, comme si l'on eût voulu étouffer tout nouveau sujet de discorde. Mais exagérés et modérés, également violents, étaient animés de fureurs trop ardentes les uns contre les autres, et nous allons voir Robespierre échouer dans toutes ses tentatives de conciliation.

 

VI

Rien ne saurait mieux donner une idée de la politique à la fois énergique et modérée suivie par Maximilien que le rapport sur les principes du gouvernement révolutionnaire qu'au lendemain de la prise de Toulon il vint, au nom du comité de Salut public, prononcer à la tribune de la Convention nationale (séance du 5 nivôse an II - 25 décembre 1793).

Les succès endorment les âmes faibles, dit-il en débutant, ils aiguillonnent les âmes fortes. Laissons l'Europe et l'histoire vanter les miracles de Toulon, et préparons de nouveaux triomphes à la liberté. La Convention, ayant reconnu l'impossibilité absolue de faire fonctionner la constitution-au milieu des troubles qui enveloppaient le berceau de la République, avait, on le sait, décrété que le gouvernement serait révolutionnaire jusqu'à la paix. C'est ce gouvernement transitoire, rendu indispensable, quoi qu'en pensent certains publicistes, par les exigences de la guerre civile et de la guerre étrangère, qu'une foule de gens, ignorants ou de mauvaise foi, confondent avec le gouvernement rêvé par les patriotes de ce temps extraordinaire. C'était pourtant, comme l'expliqua fort bien Robespierre, le seul moyen de faire triompher les principes sur lesquels reposait la constitution républicaine.

Qu'était-ce donc que ce gouvernement révolutionnaire ? Ici, laissons parler Maximilien :

La théorie du gouvernement révolutionnaire est aussi neuve que la Révolution qui l'a amené. Il ne faut point la chercher dans les livres des écrivains politiques qui n'ont point prévu cette Révolution, ni dans les lois des tyrans qui, contents d'abuser de leur puissance, s'occupent peu d'en rechercher la légitimité. Aussi ce mot n'est-il pour l'aristocratie qu'un sujet de terreur ou un sujet de calomnie, pour les tyrans qu'un scandale, pour bien des gens qu'une énigme ; il faut l'expliquer à tous pour rallier au moins les bons citoyens aux principes de l'intérêt public.

La fonction du gouvernement est de diriger les forces morales et physiques de la nation vers le but de son institution.

Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de là fonder.

La Révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis, la constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible.

Le gouvernement révolutionnaire a besoin d'une activité extraordinaire, précisément parce qu'il est en guerre. Il est soumis à des règles moins uniformes et moins rigoureuses, parce que les circonstances où il se trouve sont, orageuses et mobiles, et surtout parce qu'il est forcé de déployer sans cesse des ressources nouvelles et rapides pour des dangers nouveaux et pressants.

Le gouvernement constitutionnel s'occupe principalement de la liberté civile, et le gouvernement révolutionnaire de la liberté publique. Sous le régime constitutionnel, il suffit presque de protéger les individus contre l'abus de la puissance publique ; sous le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de se défendre contre toutes les factions qui l'attaquent. Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale, il ne doit aux ennemis du peuple que la mort.

 

Aux ennemis du peuple, c'est-à-dire aux contre-révolutionnaires armés, car un peu plus loin, expliquant sa pensée, Robespierre s'élevait avec une extrême vivacité contre ceux qui traitaient de contre-révolutionnaire la protection accordée aux innocents ou à ceux qui n'étaient qu'égarés.

Ceux-là étaient des sophistes à ses yeux, qui, prétendant soumettre au même régime la paix et la guerre, la santé et la maladie, traitaient d'arbitraire et de tyrannique le gouvernement révolutionnaire né des nécessités du moment. Mais ce gouvernement était-il dispensé pour cela de puiser ses règles dans la justice et dans l'ordre public ? Nullement. Écoutez, écoutez Robespierre : Il n'a rien de commun avec l'anarchie ni avec le désordre ; son but, au contraire, est de les réprimer pour amener et pour affermir le règne des lois ; il n'a rien de commun avec l'arbitraire. Ce ne sont point les passions particulières qui doivent le diriger, mais l'intérêt public. Il doit se rapprocher des règles ordinaires dans tous les cas où elles peuvent être rigoureusement appliquées sans compromettre la liberté publique. La mesure de sa force doit être l'audace ou la perfidie des conspirateurs ; plus il est terrible aux méchants, plus il doit être favorable aux bons ; plus les circonstances lui imposent de rigueurs nécessaires, plus il doit s'abstenir des mesures qui gênent inutilement la liberté et qui blessent les intérêts privés sans aucun avantage pour lui. Il doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l'excès, le modérantisme, qui est à la modération ce que l'impuissance est à la chasteté, et l'excès, qui ressemble à l'énergie comme l'hydropisie à la santé. Admirable définition ! Croit-on maintenant que la Révolution eût donné lieu à tant de récriminations et que la Terreur eût causé tant de ravages si tous les membres des comités de Salut public et de Sûreté générale, si tous les proconsuls conventionnels, si toutes les autorités constituées se fussent inspirés des sages conseils de Robespierre ?

Il savait bien que les deux extrêmes aboutissaient au même point et que le but était également manqué, soit que l'on fût en deçà ou au delà. Le prédicateur intempestif de la République une et universelle lui paraissait bien proche parent de l'apôtre du fédéralisme[30]. Il s'agissait ici de Cloots. Ce que lui reprochait Robespierre, c'était non pas de prêcher la république universelle, comme on l'a quelquefois prétendu, mais de le faire intempestivement, au risque de jeter le désarroi parmi les citoyens, d'augmenter encore le nombre des ennemis de la République, et d'apporter dans son sein de nouveaux germes de division au moment où elle avait besoin de toute sa force de cohésion. De combien de gens elle avait à se défier ! et combien vraies, hélas ! ces paroles : Le fanatique couvert de scapulaires et le fanatique qui prêche l'athéisme ont entre eux beaucoup de rapports. Les barons démocrates sont les frères des marquis de Coblentz, et quelquefois les bonnets rouges sont plus voisins des talons rouges qu'on ne pourrait le penser. Ici Maximilien recommandait au gouvernement une extrême circonspection ; car, disait-il avec raison, tous les ennemis de la liberté veillaient pour tourner contre lui non-seulement ses fautes, mais même ses mesures les plus sages. Frappe-t-il sur ce qu'on appelle exagération, ils cherchent à relever le modérantisme et l'aristocratie. S'il poursuit ces deux monstres, ils prêchent de tout leur pouvoir l'exagération. Il est dangereux de leur laisser les moyens d'égarer le zèle des bons citoyens ; il est plus dangereux encore de décourager et de persécuter les bons citoyens qu'ils ont trompés. Que de précautions pour empêcher la Terreur de s'égarer et de frapper non pas seulement les innocents, mais ceux qui avaient failli par faiblesse en obéissant à d'anciens préjugés ou en cédant à des suggestions coupables ! Pour ceux-là, Robespierre réclamait l'indulgence.

Et telle sera la ligne de conduite que jusqu'à sa mort il indiquera à tous, mais en vain. Maintenant, en réprimant l'exagération, fallait-il s'exposer à tuer le patriotisme ? Non, disait-il ; car de même qu'il existait des lâches et des modérés de bonne foi, de même, parmi les hommes simples, il pouvait se rencontrer des patriotes de bonne foi emportés quelquefois trop loin par un sentiment louable. Si donc il y avait à choisir entre un excès de ferveur patriotique et le marasme du modérantisme, il n'y avait pas à balancer, et en cela Robespierre se trouvait complètement d'accord avec Danton et Camille Desmoulins[31]. En effet, ajoutait-il, si l'on regardait comme criminels tous ceux qui, dans le mouvement révolutionnaire, auraient dépassé la ligne exacte tracée par la prudence, on envelopperait dans une proscription commune avec les mauvais citoyens tous les amis naturels de la liberté, vos propres amis et tous les appuis de la République. Les émissaires adroits de la tyrannie, après les avoir trompés, deviendraient eux-mêmes leurs accusateurs et peut-être leurs juges. Comme tout cela se trouvera malheureusement vérifié après Thermidor !

Robespierre redoutait par-dessus tout, en révolution, les fripons et les ambitieux. Quelle âme honnête n'applaudira à ces belles paroles : En indiquant les devoirs du gouvernement révolutionnaire, nous avons marqué ses écueils. Plus son pouvoir est grand, plus son action est libre et rapide, plus elle doit être dirigée par la bonne foi. Le jour où ce pouvoir tombera dans des mains impures et perfides, la liberté sera perdue ; son nom deviendra le prétexte et l'excuse de la contre-révolution même ; son énergie sera celle d'un poison violent. Malheur à nous si nous ouvrons nos âmes aux perfides insinuations de nos ennemis, qui ne peuvent nous vaincre qu'en nous divisant ! Malheur à nous si nous brisons le faisceau au lieu de le resserrer, si les intérêts privés, si la vanité offensée se font entendre à la place de la patrie et de la vérité !... Si parmi nous les fonctions de l'administration révolutionnaire ne sont plus des devoirs pénibles, mais des objets d'ambition, la République est déjà perdue. Il engageait ensuite ses concitoyens à se mettre en garde contre les scélérats habiles vomis sur la France par les cours étrangères et qui conspiraient au sein même des administrations, des assemblées sectionnaires et des sociétés patriotiques, assassinant les défenseurs de la liberté sous le masque du patriotisme, et essayant d'allumer la guerre civile en prêchant toutes les folies et tous les excès. N'était-on pas environné des émissaires et des espions de l'étranger ? Eh bien ! les grands coupables, comme le baron de Batz par exemple, semblaient inaccessibles au glaive des lois, qui s'abaissait sans pitié sur une foule de malheureux obscurs. Ce n'est point dans le cœur des patriotes ou des malheureux qu'il faut porter la terreur, disait Robespierre, c'est dans les repaires des brigands étrangers, où l'on partage les dépouilles et où l'on boit le sang du peuple français. Cette phrase indiquait les conclusions du rapport. Parla bouche de Robespierre, le comité de Salut public réclamait une meilleure organisation du tribunal révolutionnaire pour atteindre plus sûrement les grands coupables, et le prompt jugement des étrangers et des généraux prévenus de conspiration. Parmi ces derniers figuraient Biron et l'infortuné Houchard, dénoncé par Levasseur[32]. En outre, comme suivant l'expression de Robespierre ce n'était point assez d'épouvanter les ennemis de la patrie, mais qu'il fallait encore secourir ses défenseurs, le comité proposa à la Convention d'augmenter d'un tiers les secours et récompenses accordés par les précédents décrets aux défenseurs de la patrie, à leurs veuves ou à leurs enfants.

La Convention adopta d'enthousiasme les diverses propositions du comité de Salut public. Quant au rapport de Robespierre, qu'elle avait fréquemment interrompu par les plus vifs applaudissements, elle en décréta, à l'unanimité, l'impression et l'envoi aux départements et aux armées. Tiré à un nombre considérable d'exemplaires, répandu dans toutes les parties de la République, il y causa une profonde sensation[33]. Marchons de front, et la liberté est pour jamais assurée, écrivait en même temps le comité aux membres de la Convention à qui l'on avait confié le soin d'organiser dans les départements le gouvernement révolutionnaire. Chargés de la même mission, des mêmes intérêts, pénétrés des mêmes intentions, votre marche doit être uniforme, également rapide. Laissons aux tyrans cette politique tortueuse, incertaine, qui médite dans l'ombre et dans la peur. La nôtre est d'agir[34].

Cependant le discours de Robespierre ne satisfit pas complètement le comité de Salut public. Maximilien avait négligé, malgré la recommandation de ses collègues, de demander le rapport du décret en vertu duquel les étrangers avaient été admis à la représentation nationale. Barère releva assez vivement cette omission, et Bentabole proposa sur-le-champ à l'Assemblée d'exclure les étrangers de toute fonction publique pendant la durée de la guerre, ce qui fut adopté. Cependant Robespierre ayant fait remarquer, comme cela lui était déjà arrivé dans une occasion semblable, qu'il y avait en France des Belges, des Liégeois, qui exerçaient avec honneur des fonctions publiques, et qu'il serait peut-être injuste de les déplacer, la Convention décida, sur sa motion, que le comité de Salut public lui présenterait un rapport sur les exceptions dont était susceptible le décret d'exclusion rendu par elle[35]. Bien loin, du reste, de soulever la moindre objection contre les mesures sévères réclamées par son comité, elle y ajouta quelquefois. Ainsi, le lendemain du jour où elle avait entendu le rapport sur les principes du gouvernement révolutionnaire, Goupilleau, qui n'était pas un ami de Maximilien, s'exprima en ces termes : Robespierre a prononcé hier un discours qui renferme de grandes et éternelles vérités. Nous y avons tous applaudi... Seulement, ajoutait l'orateur, on avait été surpris de ne point trouver dans le nombre des coupables désignés par le comité Marcé et Quétineau, l'un protégé de Carra, l'autre camarade de Dumouriez ; et, à la voix de Goupilleau, les deux généraux furent, séance tenante, renvoyés devant le tribunal révolutionnaire. Opposez donc maintenant l'apathie et l'indifférence de la Convention au zèle trop ardent du comité de Salut public !

 

VII

Presque à la même heure où Robespierre éclairait le monde sur les principes du gouvernement révolutionnaire, le comité de Salut public adressait aux directoires de départements une circulaire explicative des lois nouvelles et indiquant très-nettement à ces autorités la sphère d'action dans laquelle elles devaient se mouvoir. Porter un œil investigateur sur tous les moyens d'amélioration ; tracer au commerce des routes nouvelles, lui donner un caractère national en y imprimant de la grandeur ; fertiliser le sol, en augmenter les produits, et faciliter les débouchés ; ajouter aux présents de la nature les bienfaits de l'industrie, doubler en quelque sorte cette dernière, et augmenter ainsi la somme du bonheur ; faire sortir du travail les mœurs et l'extirpation de la mendicité, cette sorte de dénonciation vivante contre les gouvernements, être .en un mot les ouvriers de la prospérité publique, telle était la masse des devoirs imposés à ces directoires, dont l'administration tracassière et peu sympathique en général au nouvel ordre de choses avait rendu si pénibles les commencements de la République.

Venaient ensuite des considérations où se révélait toute la pensée de Robespierre. Le peuple, était-il dit dans cette circulaire, veut enfin que la nouvelle création sociale sorte en un clin d'œil du chaos... Et comme si le rédacteur eût pressenti que les autorités départementales, avec l'esprit d'envahissement des administrations, auraient toujours une tendance à sortir du cercle de leurs attributions, il ajoutait : Votre sphère est déterminée, parcourez-la religieusement ; hors de là un abîme est ouvert où tombent ceux qui reculent ou qui se précipitent[36]. C'était les mettre en garde contre l'exagération des uns et le modérantisme trompeur des autres.

Mais pour que les sages prescriptions de Robespierre fussent ponctuellement suivies, pour que les lois révolutionnaires fussent exécutées comme il l'entendait, c'est-à-dire conformément aux règles 4e la justice et de l'équité, de façon qu'on ne frappât que les véritables coupables, en épargnant les gens faibles ou égarés par de perfides suggestions, il lui aurait fallu un pouvoir efficace dont il ne disposa jamais. Comme nous l'avons déjà dit, son influence morale était immense dans le pays et au sein de la Convention, mais d'autorité sur ses collègues du comité de Salut public, il n'en avait point, et son opinion personnelle ne fut nullement prépondérante au milieu d'eux. Encore moins sa parole avait-elle d'écho dans le cœur des Tallien, des Fouché, des Baudot, des Carrier, de tous ces terroristes à outrance, de ces énergumènes de l'hébertisme, de ces révolutionnaires dans le sens du crime, suivant l'énergique expression de Saint-Just, et contre lesquels-, obéissant au cri de sa conscience, Maximilien va bientôt s'élever avec un courage que trahira la fortune, mais auquel l'impartiale postérité rendra, un éternel hommage.

Si après Thermidor quelques-uns de ses anciens collègues ont essayé de rejeter sur lui la responsabilité de toutes les mesures de rigueur ordonnées par le comité de Salut public, ç'a été par la plus insigne des lâchetés. Nous n'aurons besoin, à cet égard, que de signaler leurs contradictions pour les convaincre d'imposture. Quand Robespierre, à diverses reprises, disputa à l'échafaud les soixante-treize Girondins qu'il parvint à arracher à la mort parce qu'un certain nombre d'entre eux, comme les Mercier, les Daunou, les La Revellière et quelques autres, avaient laissé au sein de l'Assemblée de puissantes amitiés, ni Carnot ni Barère, qui se sont très-fort vantés d'avoir désapprouvé le 31 mai, ne joignirent leurs voix à la sienne, rappelons-le ; et les actes les plus sévères du comité portent leurs signatures, à l'exclusion de celle de Robespierre. Le principal grief invoqué contre celui-ci dans la journée du 10 thermidor ne fut-il pas d'avoir voulu arrêter le cours TERRIBLE de la Révolution ? La vérité est que son immense popularité portait ombrage à la plupart de ses collègues du comité de Salut public, et surtout du comité de Sûreté générale, où, à l'exception de trois ou quatre membres, il ne comptait guère que des envieux, c'est-à-dire des ennemis. Plus nous approcherons du dénouement, plus nous le verrons en butte aux résistances du comité auquel il appartenait. Le jour où il fut convaincu de son impuissance à arrêter le débordement d'iniquités dont il était témoin, il abandonna volontairement, et par une souveraine imprudence, sa part d'autorité légale.

Présenter Robespierre comme investi d'une sorte de dictature qu'il aurait exercée avec l'assistance de Couthon et de Saint-Just, sans, la participation de ses autres collègues, est donc l'idée la plus saugrenue qui ait pu entrer dans la cervelle d'un historien sérieux. Qu'une foule de gens ignorants et peu soucieux de s'instruire acceptent sans examen cette trinité dictatoriale passée à l'état de légende, que de prétendus historiens sans grande conscience s'épuisent en efforts pour soutenir envers et contre tous un si manifeste mensonge et ne reculent pas devant la violation des plus simples vérités, cela se conçoit jusqu'à un certain point ; mais que des écrivains graves et de bonne foi aient méconnu à ce point la réalité des choses, qu'ils aient contribué pour leur part à accréditer une invention thermidorienne démentie par tous les faits[37], c'est à n'y rien comprendre. On se fait des idées absolument fausses de l'intérieur du comité de Salut public, dit l'un d'eux. On se figure que les grandes mesures y étaient délibérées ; rien n'est moins exact[38]. — Rien n'est plus exact au contraire ; et c'est M. Michelet qui s'est forgé de l'intérieur du comité des idées absolument fausses. Toutes les mesures y étaient discutées, et très-bien. Il n'y a, pour s'en convaincre, qu'à jeter les yeux sur les registres de ses arrêtés et délibérations ; on n'y trouve point, il est vrai, de procès-verbaux des débats, mais cela s'explique par l'immensité de la besogne dont était surchargé ce petit groupe d'hommes délibérant sans président et sans secrétaire. On se contentait de transcrire sur le registre les minutes des arrêtés et délibérations soumis à la discussion, et que, suivant une pratique dès longtemps adoptée sur la demande de Robespierre, ceux-là seuls signaient qui les avaient approuvés. Ce fut ainsi que dans la séance du 14 brumaire (24 novembre 1794) fut proposé par Carnot et discuté le plan d'attaque de la ville de Toulon. Et, à propos d'un décret présenté par Barère au nom du comité de Salut public, décret dont nous allons avoir à nous occuper tout à l'heure, Robespierre eut bien soin de dire que s'il avait pu assister à la séance du comité dans laquelle avait été discuté ce décret, il n'aurait pas attendu qu'il fût soumis à la Convention pour le combattre[39]. Tous les jours les membres du comité se réunissaient pour délibérer en commun ; les noms des membres présents étaient soigneusement consignés au registre. Nous avons pu connaître de cette manière, avec la plus rigoureuse certitude, les présences de Robespierre au comité de Salut public depuis le 26 juillet 1793, jour où il y entra, jusqu'au 8 thermidor, jour où il y parut pour la dernière fois.

Il n'était besoin que de trois signatures pour valider les actes du comité, d'où l'on a inféré que la trinité dictatoriale, Robespierre, Couthon, Saint-Just, se suffisait à elle-même[40]. Mais d'abord il n'est guère d'arrêtés ou de projets de décrets un peu importants dont la minute ne soit revêtue que de trois signatures. Ensuite, sur les quelques milliers d'actes qui existent, il n'en est qu'un très-petit nombre sur lesquels on ne trouve que les signatures de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just ; et encore n'ont-ils aucune importance. Saint-Just, d'ailleurs, fut en mission une grande partie du temps. Les signatures que l'on rencontre le plus souvent, réduites à ce nombre de trois, sont celles de Billaud-Varenne, de Barère et de Carnot. Quant à excuser certains membres en disant, avec une charmante naïveté : ils signaient, le plus souvent, sans lire ce que leur envoyait la haute trinité dictatoriale[41], c'est du pur enfantillage. S'ils signaient sans lire, ce que je ne crois nullement, ils en étaient plus coupables, et ils n'échappent point à la responsabilité. Robespierre, lui, signa toujours en connaissance de cause, je l'affirme hardiment ; et si, alors qu'il était présent aux séances du comité, il ne mit point sa signature au bas de certains actes sur lesquels nous aurons à appeler l'attention de nos lecteurs, c'est qu'il les réprouva.

Chose du reste bien remarquable, ce sont précisément ceux qu'après coup et sur des rapports dont la fausseté saute aux yeux, on a accusés de tendances dictatoriales, qui ont eu à se plaindre, et qui se sont plaints en effet, de la dictature exercée par quelques-uns de leurs collègues. Quoi de plus significatif que ces paroles du dernier discours de Saint-Just : Quand je revins pour la dernière fois de l'armée, je ne reconnus plus quelques visages ; les membres du gouvernement étaient épars sur les frontières et dans les bureaux ; les délibérations étaient livrées à deux ou trois hommes avec le même pouvoir et la même influence que le comité même, qui se trouvait presque entièrement dispersé, soit par des missions, soit par la maladie, soit par les procès intentés aux autres pour les éloigner. Le gouvernement, à mes yeux, a été véritablement envahi par deux ou trois hommes. C'est pendant cette solitude qu'ils me semblent avoir conçu l'idée très-dangereuse d'innover dans le gouvernement et de s'attirer beaucoup d'influence[42]. Mais on s'en est trop souvent tenu aux déclarations des vainqueurs, et aujourd'hui encore, bien que la lumière soit faite, et amplement, sur les ténèbres dont on avait essayé d'envelopper les causes de la catastrophe du 9 Thermidor, bien que les protestations des vaincus aient trouvé d'éloquents interprètes, nous voyons, non sans tristesse, des écrivains soi-disant dévoués à la démocratie renouveler aujourd'hui, contre les victimes des Fouché et des Tallien, des accusations ridicules qui ne tiennent pas devant un examen impartial et consciencieux.

 

VIII

L'exemple suivant montrera combien peu d'action directe Robespierre avait sur la marche du gouvernement. On a vu plus haut comment, à propos d'une pétition de femmes pour l'élargissement des détenus, il avait fait décréter par la Convention nationale la formation d'un comité de Justice, c'est-à-dire d'une commission choisie dans le sein de l'Assemblée à l'effet de s'enquérir des causes des arrestations et de proposer sans retard au comité la mise en liberté des personnes dont l'incarcération n'aurait point paru justifiée. C'était là une mesure à laquelle on avait applaudi de toutes parts.

Or, le 6 nivôse an II (26 décembre 1793), Barère vint, au nom des comités de Salut public et de Sûreté générale, demander le rapport de ce décret, lequel, en conférant à une commission étrangère au comité de Sûreté générale l'examen des arrestations, avait éveillé la jalousie de ce comité, centre naturel des mesures de police, disait Barère, et auquel il était dangereux, prétendait-il, d'enlever la haute main sur les personnes incarcérées.

Barère commença par donner des suspects une définition effrayante et se rapprochant singulièrement des fameuses catégories sanctionnées au mois d'octobre précédent par la commune, sur la proposition de Chaumette. La naissance, des préjugés orgueilleux, des habitudes aristocratiques, des professions inutiles ou dangereuses, la parenté, certaines qualités comme celles de prêtre insermenté et d'ancien magistrat, étaient autant de causes de suspicion. Suspects l'homme de cour, le noble, le prêtre, l'homme de loi ; suspects le banquier, l'étranger, l'agioteur ; suspects l'homme plaintif de tout ce qui se fait en révolution, l'homme affligé de nos succès. Oh ! la belle loi, poursuivait Barère, que celle qui eût déclaré suspects tous ceux qui, à la nouvelle de la prise de Toulon, n'ont pas senti battre leurs cœurs pour la patrie et n'ont pas eu une joie prononcée. Que n'a-t-on pu pénétrer ce jour-là dans les salons dorés, dans ce que la vanité appelle des hôtels, dans les clubs aristocratiques, dans les cafés inciviques, dans les groupes salariés, dans les confidences des complices du despotisme ! C'est là que les comités de surveillance eussent frappé sans erreur et incarcéré sans remords[43]. Barère, comme on voit, n'y allait pas de main morte. Il semblait, en vérité, qu'il eût voulu prendre à tâche de vérifier les sombres peintures des suspects de Tibère tracées par Camille Desmoulins, que, sans le nommer, il frappa d'une énergique réprobation ; ce qui fit dire à l'auteur du Vieux Cordelier : La postérité jugera entre les suspects de Barère et les suspects de Tacite[44].

A la place du décret réparateur rendu le 30 frimaire (20 décembre 1793) sur la proposition de Robespierre, le rapporteur en présenta un nouveau qui laissait au comité de Sûreté générale, auquel on adjoignait quatre membres étrangers, le soin de statuer sur le sort des suspects. Or, n'était-ce pas le constituer à la fois juge et partie, puisque les arrestations étaient surtout de sa compétence ? Cette seule raison suffit, sans aucun doute, pour engager Robespierre à repousser une mesure qu'il aurait énergiquement combattue au sein même des comités de Sûreté générale et de Salut public, — il le déclara formellement, — s'il avait assisté à la séance où elle fut résolue après une longue discussion. Investir le comité de Sûreté générale de la mission de justice dont une commission spéciale devait être chargée, d'après la proposition de Robespierre, c'était rendre complètement illusoire une mesure équitable et salutaire, car le comité était notoirement hostile à la politique de modération suivie par Maximilien. Celui-ci le sentait bien ; mais, ne pouvant donner une pareille raison à la Convention nationale pour l'engager à repousser un projet de décret dont l'esprit était absolument contraire à l'esprit du décret qu'elle avait adopté sur sa demande, — ce sont ses propres paroles, — il objecta qu'occuper le comité de Sûreté générale des réclamations sans nombre qui afflueraient de tous les points du pays, ce serait porter préjudice à la chose publique. La mesure indiquée par lui était plus simple, ajoutait-il, et n'avait pas l'inconvénient de distraire le comité de ses importantes fonctions. Enfin le nouveau projet ouvrait une porte à l'aristocratie, qui ne manquerait pas d'assaillir les membres du comité de sollicitations dont l'effet était trop souvent d'appeler sur de vrais coupables l'indulgence refusée à des citoyens moins compromis, mais auxquels ne s'intéressaient pas de jolies solliciteuses. Il adjura donc l'Assemblée de s'en tenir à son premier décret.

Barère insista de son côté, la mesure soutenue par lui étant le vœu des deux comités réunis : preuve manifeste du peu d'influence qu'avait Robespierre sur ses collègues des comités, puisqu'ils tenaient si peu compte d'un décret antiterroriste rendu sur sa motion. Au reste, si claire était aux partisans de la Terreur aveugle et sans pitié la pensée de Maximilien, que Billaud-Varenne vint, la voix pleine de colère, déclarer que ce serait abuser la France entière que de maintenir un décret inexécutable. Il blâma vivement la Convention de n'avoir point passé à l'ordre du jour sur la pétition des contre-révolutionnaires qui s'étaient présentés à la barre, ce qu'elle aurait fait, dit-il, si elle eût conservé :,on énergie et sa fermeté. Billaud-Varenne, on le voit, tenait à affirmer d'une façon bien nette la réprobation dont il frappait la politique modératrice de son collègue, car si l'Assemblée avait donné une marque d'intérêt aux femmes éplorées dont elle avait entendu la pétition, c'était à la voix de Robespierre. Mais, selon Billaud, il fallait atteindre sans distinction tous les aristocrates, rapporter en conséquence le premier décret et s'en tenir à l'impression du rapport de Barère, où se trouvaient dressées avec tant de luxe toutes les catégories de personnes désignées aux soupçons de la Révolution. Ce fut précisément ce qu'adopta l'Assemblée, qui, plongeant avec Billaud-Varenne et Barère dans la Terreur, rapporta son premier décret, passa à l'ordre du jour sur le second, et, comme le lui avait demandé Billaud, ordonna l'impression, l'insertion au Bulletin et l'envoi du rapport de Barère à tous les comités révolutionnaires[45].

Ainsi se trouva rejeté le comité de Justice dont l'existence eût, à n'en pas douter, amené les plus heureux résultats ; ainsi s'évanouit ce rayon d'espérance que, avec plus d'autorité que Camille Desmoulins, Robespierre avait fait luire aux yeux des patriotes détenus. Grâce à Billaud-Varenne, à Barère et à leurs pareils, on va pouvoir écrire sur la porte des prisons le vers du Dante :

Lasciate ogni speranza voi ch' intrate,

et plus d'une fois nous entendrons Robespierre gémir sur des maux qu'il lui aura été impossible de prévenir, et sur des plaintes auxquelles il n'aura pu faire droit.

 

IX

Autant Maximilien voulait qu'on apportât de justice et d'équité dans la répression des crimes contre-révolutionnaires, sans se départir pour cela d'une sévérité toujours nécessaire, à son avis, au milieu des circonstances critiques où l'on se trouvait, autant il tenait à ce qu'on encourageât, par des récompenses dignes d'une grande nation, les actions d'éclat et les exemples de patriotisme.

Dans la séance du 8 nivôse an II (28 décembre 1793), comme on venait de lire des lettres de Prieur (de la Marne) et de Francastel annonçant les succès de l'armée républicaine en Vendée, il prit tout à coup la parole pour prononcer l'éloge d'un enfant de treize ans, du jeune Barra, mort héroïquement sur le champ de bataille, et dont la belle conduite lui paraissait digne d'occuper un moment l'attention de l'Assemblée. Né à Palaiseau, dans le département de Seine-et-Oise, Barra s'était arraché tout jeune des bras de sa mère pour aller combattre en Vendée, dans les rangs des bleus, parmi lesquels il s'était enrôlé comme tambour. Un jour, en battant la charge, l'héroïque enfant s'était avancé seul jusqu'aux avant-postes de l'ennemi. Environné en un instant par une bande nombreuse de paysans, il continue intrépidement de battre la charge. Touchés de tant de jeunesse, de courage et de sang-froid, les Vendéens hésitent à frapper cet enfant. Crie vive le roi, ou tu es mort, lui dit-on de toutes parts. — Barra répond en battant plus fort la charge. — Allons ! vive le roi. — Vive la République ! s'écrie ce héros de treize ans, et aussitôt il tombe frappé de vingt balles.

Voilà l'acte d'héroïsme que Robespierre, dans son langage énergique, dépeignit à ses collègues de la Convention, en les invitant à faire connaître à tous les Français et à tous les peuples ce trait de magnanimité afin qu'on désespérât de soumettre une nation qui comptait des héros dans un âge si tendre. Il termina en réclamant pour Barra les honneurs du Panthéon. Il voulait que le corps du jeune martyr fût transporté avec une pompe toute particulière. Je demande, dit-il, que le génie des arts s'empare de mon idée et s'attache à l'exprimer avec toute la dignité qui lui convient ; que David soit spécialement chargé de prêter ses talents à l'embellissement de cette fête[46]. La Convention s'associa, dans un élan d'enthousiasme unanime, à la pensée de Robespierre, dont elle adopta les propositions au milieu des plus vifs applaudissements. David prit l'engagement de répondre à l'appel de son ami, et remercia la nature de lui avoir donné quelques talents pour célébrer la gloire des héros de la République. Il traça le plan de la fête consacrée aux mânes de l'enfant martyr. Mais, ô ironie de la destinée ! le jour même où devait avoir lieu cette cérémonie touchante (10 thermidor), tombait martyr aussi de la plus sainte des causes le grand citoyen à la voix duquel elle avait été décrétée[47] !

Dans cette séance du 8 nivôse, on donna à l'Assemblée lecture d'une lettre du député Boisset, écrite de Montpellier, et annonçant qu'on ne savait ce qu'était devenu Fabre (de l'Hérault), en mission près les armées du Midi. Quinze jours après, Robespierre prononçait à la tribune de la Convention l'oraison funèbre du glorieux représentant dont le corps mutilé avait été retrouvé à côté d'une batterie qu'il avait défendue le dernier. La Convention, dit-il, a perdu un de ses plus dignes membres et le peuple un de ses plus zélés défenseurs. Son âme pure brûla constamment du saint amour de la patrie. Son courage intrépide balança longtemps l'influence de la trahison qui, aux Pyrénées-Orientales, semblait combattre pour la cause des tyrans ; il rallia plusieurs fois les soldats de la République ; il les conduisit à la victoire ; mais un enchaînement de perfidies, les plus lâches que la justice du peuple français ait eu à punir, rendit inutile ce généreux dévouement. Fabre voulut opposer des prodiges d'héroïsme à des excès de lâcheté et de scélératesse ; abandonné des indignes chefs de l'armée, il soutint seul, avec quelques braves, tout l'effort de l'ennemi ; accablé par le nombre, il tomba percé de mille coups. D'autres députés, nommerons-nous Saint-Just, Lebas, Robespierre jeune et tant d'autres ? n'hésitèrent pas à se mettre à la tête de nos soldats pour les lancer contre l'ennemi ; mais Fabre (de l'Hérault) était le premier qui avait eu l'honneur de mourir les armes à la main pour la République. Robespierre ne manqua pas de le constater, et rappelant les honneurs récemment décrétés pour l'enfant martyr, honneurs que jadis l'intrigue seule demandait à l'intrigue, que l'orgueil donnait à l'orgueil, il réclama la même récompense pour le représentant mort au champ d'honneur. Vous avez mis l'opprobre et l'échafaud dans les familles des rois ; vous avez mis la gloire et la pompe triomphale dans les familles indigentes ; vous avez consolé par le triomphe de son fils une mère pauvre et vertueuse. Avec quelle généreuse ardeur la jeunesse française va s'élancer vers ses hautes destinées ! Il est digne de vos principes d'honorer aussi la mémoire du généreux représentant que la patrie regrette. Docile à cette voix qui semblait être celle de la République reconnaissante, la Convention décerna à Fabre les honneurs du Panthéon ; elle décréta en même temps que le rapport de Robespierre serait envoyé à toutes les armées et particulièrement à celle des Pyrénées-Orientales[48].

 

X

C'étaient là pour Maximilien d'heureuses diversions aux luttes navrantes qui se poursuivaient entre la faction dite des indulgents et celle des exagérés, luttes où il essaya vainement de jouer le rôle de modérateur. Peu s'en fallut même que, pour avoir récemment défendu Camille Desmoulins et s'être porté garant de son républicanisme, il ne se trouvât compromis avec les premiers. Que vois-je ? s'écria Camille dans son numéro 5 du Vieux Cordelier, après avoir morigéné d'importance Barère, devenu tout à coup, suivant l'expression de l'incisif écrivain, un passe Robespierre, je parle de moi, et déjà dans les groupes c'est Robespierre même qu'on ose soupçonner de modérantisme. Oh ! la belle chose que de n'avoir point de principes, que de savoir prendre le vent, et qu'on est heureux d'être une girouette ![49] Mais Camille lui-même n'avait-il pas quelque peu changé ? N'était-il pas devenu tout à coup aussi indulgent aux ennemis de la liberté qu'il leur avait été terrible autrefois, comme cela lui fut, non sans raison, reproché par le rédacteur de la feuille du libraire Panckoucke[50] ? Que de verve et de grâce, que de pages étincelantes dans ce numéro 5 ; mais aussi que d'imprudentes attaques contre des ennemis puissants ; que de traits aigus qui, en pénétrant dans le cœur, devaient y déposer des haines mortelles ! Je ne parle point de quelques agressions injustes et de certaines appréciations erronées.

Camille dit bien qu'avant lui Robespierre avait déjà reconnu et signalé le danger de l'exagération[51] ; mais pourquoi n'avoir pas agi avec la prudence de son ami ? Pourquoi n'avoir pas, à son exemple, indiqué les périls où les exagérés entraînaient la République, et évité avec soin de réveiller les espérances des contre-révolutionnaires en méritant de leur part des ovations qui devaient avoir pour lui de si funestes conséquences ? Puis, admirez la contradiction : Camille, devenant modéré à l'égard des ennemis de la Révolution, prêchait la fureur contre les révolutionnaires ardents. Violemment attaqué par Hébert en des termes trop familiers au fameux marchand de fourneaux, traité de viédase à mener à la guillotine, de bourriquet à longues oreilles, il avait certainement le droit de se défendre, et d'administrer une volée de bois vert à cet histrion de la démocratie. Il était bien, pour l'honneur de la Révolution, de marquer d'un fer rouge ce journaliste éhonté qui parlait au peuple français en argot de bagne, de flétrir la feuille ordurière qui semblait écrite d'une plume trempée dans le sang et dans la boue. C'était là, d'ailleurs, de la libre discussion, et mieux valait la critique de l'amer pamphlétaire que celle du bourreau. Or, on eût aimé à voir Camille Desmoulins envelopper dans son rude anathème contre le Père Duchesne Rougyff ou le Frank en vedette, cette autre feuille immonde et de moins bonne foi peut-être ; mais elle avait pour rédacteur son ami Guffroy, dont l'exagération trouva grâce à ses yeux. Il est donc permis de conclure assez raisonnablement que la croisade entreprise par lui contre les ultra-révolutionnaires était autant une affaire de personne qu'une affaire de principe. On pourrait s'étonner à bon droit du ton méprisant avec lequel l'irascible journaliste reprochait à Hébert d'avoir autrefois vendu des contremarques à la porte d'un théâtre ou fait des saignées à douze sous ; ce suprême dédain du républicain Camille pour des professions subalternes fait involontairement songer à ses liaisons intimes avec des aristocrates connus, comme Dillon, et l'on éprouve quelque peine à penser que les véritables sentiments de l'égalité n'étaient pas complètement dans son cœur. On regrette surtout ses attaques si pleines d'acrimonie contre le ministre de la guerre Bouchotte, dont le grand tort, à ses yeux, était d'avoir pris un très-grand nombre d'abonnements à la feuille d'Hébert. Je réprouve, pour ma part, ces abonnements officiels ; mais les faveurs ministérielles ne s'étendaient pas seulement, comme le déclara Bouchotte, sur le journal d'Hébert ; toutes les feuilles franchement révolutionnaires y avaient part, et l'on ne doit pas oublier qu'à tort ou à raison beaucoup de généraux réclamaient pour leurs troupes l'envoi du Père Duchesne.

Patriote sincère et désintéressé, Bouchotte, avons-nous dit, était particulièrement estimé de Robespierre. En prenant possession du ministère de la guerre, il y avait nécessairement admis les citoyens qui lui avaient été le plus chaudement recommandés par l'opinion publique. Voilà comment Ronsin et Vincent s'étaient trouvés appelés à des positions très-importantes. Quant à lui, vivant fort à l'écart, renfermé tout le jour dans son cabinet, il voyait une garantie de son choix dans l'opinion des sans-culottes sur ces deux citoyens[52]. Du reste, il était loin de partager leurs idées exagérées, mais il ne se croyait pas le droit de gouverner leurs consciences. Il y a des patriotes ardents à la guerre, écrivait-il à Maximilien au commencement de frimaire, cela n'est pas étonnant ; je les ai recherchés par la raison qu'il en manquait. On aurait voulu que je commandasse à leurs opinions, je ne le dois pas ; qu'elles soient justes ou non, c'est au public à les juger[53]. Nul doute que les attaques peu mesurées de Camille contre un ministre d'un patriotisme à toute épreuve n'aient profondément affligé Robespierre.

Quand on étudie de bonne foi et sans parti pris, dans les documents sérieux et authentiques du temps, la conduite de Robespierre au milieu des dissensions soulevées par les indulgents et les ultra-révolutionnaires, on est tout stupéfait de l'étrange sans-façon avec lequel la plupart des écrivains ont dénaturé son rôle. Ni exagération dans un sens, ni exagération dans un autre, tel était son système. S'il faisait rayer de la liste des Jacobins le créole Milscent, qui avait prostitué sa plume à divers partis[54] ; s'il appuyait une demande d'exclusion dirigée contre un nommé Legrand, signataire d'un arrêté pris jadis par la section des Invalides en faveur de La Fayette[55], il ne craignait pas, au risque d'appeler sur sa tête des inimitiés sans nombre, de s'élever avec force contre cette foule de sociétés populaires qui pullulaient depuis le 31 mai, sociétés composées en général d'oisifs, de malveillants, et qui, après avoir servi les projets de la réaction dans l'Ouest et dans le Midi, venaient aujourd'hui, sentant la contre-révolution vaincue, réclamer, en se couvrant du masque d'un patriotisme exagéré, leur affiliation aux Jacobins[56].

Tandis que tous les ennemis de la Révolution battaient des mains aux querelles sanglantes des hébertistes et des modérés, se doutant bien qu'il sortirait de là quelque chose de favorable à la faction des royalistes, Robespierre, plein de tristesse et d'anxiété, essayait de rapprocher les deux partis. Si la réconciliation n'eut pas lieu, ce ne fut assurément pas sa faute. On ne comprend vraiment pas comment Camille Desmoulins put rester sourd à la voix de celui qui, de son propre aveu, en le remettant au pas, avait dans son discours sur les principes du gouvernement révolutionnaire, jeté l'ancre lui-même aux maximes fondamentales de notre Révolution[57]. Rien ne prouve mieux, à notre sens, l'ardent désir qu'avait Robespierre d'amener ces patriotes égarés à se donner la main, que le discours prononcé par lui à la séance des Jacobins du 6 nivôse an II (26 décembre 1793) à l'occasion d'une violente pétition du faubourg Saint-Antoine en faveur de Ronsin.

Le grand faubourg avait été inondé des libelles de Philippeaux et d'une apologie du général Tuncq, l'adversaire de Rossignol, l'ami et le compagnon de table de Bourdon (de l'Oise). La pétition en faveur du général Ronsin était le pendant et la contre-partie de ces écrits. Robespierre vit là une double intrigue ayant pour but d'égarer le patriotisme sans défiance. Il attribua à d'adroits politiques les inimitiés nées entre des hommes qui auraient dû, selon lui, agir ensemble d'une manière amicale. Nous l'entendrons tout à l'heure se déclarer bien hautement contre ces adroits politiques, mais pour le moment il croyait encore à la possibilité d'étouffer sans éclat les altercations particulières dont s'occupait la société des Jacobins, alors qu'à Londres, à Vienne et à Berlin on se la représentait peut-être comme occupée uniquement à préparer des triomphes à nos soldats vainqueurs de la tyrannie sous les murs de Toulon. On se disposait, en effet, à fêter magnifiquement la glorieuse prise de cette ville. Les papiers publics, dit Robespierre, vont apprendre à l'Europe que les grands succès qui devraient vous enivrer ont fait si peu d'impression sur vous que vous n'avez fait que continuer les vils débats des séances précédentes. Quelle joie pour Pitt, et comme il se réjouirait en apprenant que s'il était quelque part un endroit où nos victoires n'avaient produit aucun effet, c'était dans la société des Jacobins !

Il s'en faut bien que je sois un modéré, un Feuillant, comme on le débite dans les cafés, continuait Maximilien ; mais voilà mes sentiments, et puisque mon âme est tout entière absorbée dans les grands événements qui se passent, je ne puis m'empêcher de dire que cette séance fera un grand plaisir à M. Pitt. Arrivant ensuite à l'affaire de Ronsin, il rappela qu'un décret de la Convention venait d'ordonner un prompt rapport sur la dénonciation qui avait motivé l'arrestation de ce général. Donc la pétition colportée en sa faveur, pétition injurieuse pour la Convention dont l'unique souci était de connaître la vérité, pouvait bien être l'œuvre des agents de nos ennemis. Certains patriotes se regardaient mutuellement comme des conspirateurs, comme des contre-révolutionnaires, à la seule instigation de quelques coquins cherchant par tous les moyens à exciter leurs défiances communes ; il, en était parfaitement convaincu. De là ces accusations précipitées, ces pétitions imprudentes, ces querelles où l'on prenait le ton de la menace. Dans ce système, suivi par les puissances étrangères, ajoutait Robespierre, on veut faire croire à l'Europe que la représentation nationale n'est pas respectée, que pas un patriote n'est en sûreté, et que tous sont exposés aux mêmes dangers que les contre-révolutionnaires. Qu'est-ce qu'il nous importe de faire, à nous patriotes et républicains ? C'est d'aller au .but que nous nous sommes proposé, c'est d'écraser les factions, les étrangers, les modérés, mais non de perdre des patriotes, et bien moins de nous égarer dans les routes où les passions les ont jetés. Pour cela il faut éloigner l'aigreur et les passions, en écoutant les réflexions de chacun ; il faut que ceux qui les feront en agissent de même. N'oublions pas les grands principes qui ont toujours germé dans nos cœurs : l'amour de la patrie, l'enthousiasme des grandes mesures, le respect de la représentation nationale[58]... Ce discours fut accueilli avec un prodigieux enthousiasme. Était-il possible de se montrer plus sage, plus calme, plus véritablement modéré ? On voit comment, au lieu de chercher à attiser les querelles, ainsi qu'on l'en a quelquefois si niaisement accusé, il s'efforçait au contraire de les étouffer, et en quels termes élevés, au nom de la patrie éplorée, il faisait appel à la conciliation. Mais, égarés par des passions furieuses, indulgents et exagérés restèrent sourds à la voix qui les conviait à la concorde, et leur acharnement réciproque contraindra bientôt Maximilien à se séparer avec éclat des uns et des autres.

 

XI

On ne saurait mieux définir l'esprit des deux partis rivaux que ne l'a fait Robespierre dans son projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine, l'un cherchant à abuser de son crédit au sein de la Convention pour lui surprendre des mesures oppressives contre ses adversaires, l'autre, de son influence dans les sociétés populaires. Tout leur patriotisme consistait actuellement à s'attaquer avec fureur. Ils sacrifiaient sans y prendre garde la République à leurs intérêts particuliers. Ce patriotisme, comme le disait avec raison Maximilien, n'avait rien de commun avec la vertu publique, et ressemblait à la haine, à la vengeance, à l'intrigue et à l'ambition[59].

Demandons à Camille Desmoulins lui-même comment il entendait la liberté de discussion à l'égard d'Hébert. Parce que le Père Duchesne, dans son ignoble langage, l'a traité de viédase à mener a la guillotine, de bourriquet à longues oreilles, il prétend que toute la représentation nationale se trouve attaquée dans sa personne. C'est du moins l'opinion de Danton, dont il cite ces paroles au moins étranges : Je ne serais pas embarrassé de prouver que, sur ce seul numéro, Hébert a mérité la mort[60]. Ainsi, de par Danton, à l'échafaud Hébert, pour avoir injurié l'auteur du Vieux Cordelier ! Non moins violent contre ses adversaires était l'homme dont Camille célébrait les pamphlets avec tant d'enthousiasme. C'est dans les bureaux de la guerre que réside la source de tous les abus qui infestent nos armées, s'était écrié Philippeaux en pleine Convention ; et tant qu'on n'aura pas traîné à l'échafaud les chefs et les bureaucrates, vous ne les verrez pas cesser[61]. Donc à l'échafaud Rossignol, Bouchotte, et même une partie des membres du comité de Salut public[62].

Le tort et le malheur de Camille Desmoulins furent de s'être entouré d'individus comme Fabre d'Églantine, Philippeaux, Bourdon (de l'Oise), dont toutes les attaques contre le ministère et contre le comité de Salut public n'avaient d'autre but que de servir des rancunes particulières. N'était-ce point en obéissant à ce honteux mobile que, dans la séance du 12 nivôse (1er janvier 1794), Bourdon (de l'Oise) avait sollicité et obtenu le renvoi d'un adjoint du ministre de la guerre, de d'Aubigny, devant le tribunal révolutionnaire ? Or ce d'Aubigny, dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs, était son ennemi personnel. Au mois de septembre précédent, Bourdon avait fait rendre un décret contre lui, et l'on n'a peut-être pas oublié qu'absous par le tribunal criminel, d'Aubigny avait eu l'insigne honneur d'être loué à la tribune de la Convention par Saint-Just et par Robespierre. Le motif invoqué contre lui dans la séance du 12 nivôse était que de mauvaises fournitures ayant été livrées aux armées, il s'en trouvait responsable comme chargé de surveiller l'équipement des troupes de la République. Mais c'était là un pur prétexte. La veille avait paru une brochure de d'Aubigny, contenant une défense raisonnée de Bouchotte et des bureaux de la guerre, et où Bourdon (de l'Oise) était vivement pris à partie[63]. Telle était la cause véritable de l'acharnement de ce dernier contre l'adjoint du ministre de la guerre, que l'Assemblée n'avait pas hésité à frapper sur une simple parole de Bourdon.

D'Aubigny était un ami de Danton et de Camille Desmoulins, mais ni l'un ni l'autre n'ouvrirent la bouche pour le défendre ; c'en était fait de lui peut-être, quand Robespierre s'élança à la tribune. S'étonnant de la facilité avec laquelle on avait renvoyé devant le tribunal révolutionnaire un homme dont le nom rappelait des services signalés rendus à la patrie, il parla des ennemis particuliers qui déjà s'étaient déchaînés contre ce patriote lors de sa nomination comme adjoint de Bouchotte. Il n'en fallait pas davantage pour édifier la Convention sur le mobile auquel avait obéi l'accusateur. Maximilien signala fortement le danger de frapper, sur une simple dénonciation et sans examen, un agent du gouvernement, au risque de paralyser le gouvernement lui-même, et, faisant allusion aux dénonciations dont l'Assemblée retentissait fréquemment, il prononça ces paroles : Depuis quelque temps des nuages se sont élevés sur la Convention ; les inquiétudes y planent sans cesse. Je ne prétends pas prendre ici la défense d'aucun intrigant ; mais je dis qu'il ne faut pas, sans un mûr examen, frapper une masse quelconque de citoyens, car dans cette masse se trouvent des patriotes qu'il ne faut pas vexer. Il pria donc instamment l'Assemblée de rapporter son décret et d'ordonner en même temps au comité de Salut public de lui présenter sous peu un rapport détaillé sur les mesures partielles prises jusqu'à ce jour et sur l'état actuel du gouvernement. La Convention, éclairée, vota, après une courte discussion et à la confusion de Bourdon (de l'Oise), la double proposition de Robespierre[64]. Nous avons déjà dit comment, après Thermidor, Vilain d'Aubigny, sans doute pour témoigner sa reconnaissance à Maximilien, fit chorus avec les plus lâches détracteurs de la mémoire de celui qui, à deux reprises différentes, était si généreusement venu à son secours. Mais n'est-ce point trop souvent le sort des bienfaiteurs d'être payés en ingratitude !

On sentait dans tous les actes de Bourdon (de l'Oise) la préoccupation de l'intérêt personnel. Ainsi, lorsque dans la séance du 27 frimaire (17 décembre 1793), son ami Fabre d'Églantine avait pris la parole pour demander l'arrestation de Ronsin, il était venu à son tour réclamer celle de Vincent, coupable. de l'avoir dénoncé à la société des Cordeliers[65]. Et Vincent et Ronsin avaient été décrétés d'accusation comme prévenus, chose assez curieuse ! de crimes contre-révolutionnaires. En effet, à la demande de Fabre, un membre avait paru à la tribune pour déclarer que, sur la fin d'un dîner auquel il assistait avec Vincent, celui-ci s'était écrié : Nous forcerons bien la Convention à organiser le gouvernement aux termes de la constitution ; aussi bien sommes-nous las d'être les valets du comité de Salut public. Or c'était précisément l'idée déjà mise en avant par le Père Duchesne[66] ; d'où certains écrivains ont inféré, dans un accès de fantaisie, qu'Hébert, Vincent et Ronsin étaient de véritables saints, épris de l'égalité, et qui prêchaient la mise en activité de la constitution pour sortir au plus vite de la Terreur. La vérité est que c'étaient des impatients très-disposés, comme on le verra, à ne reculer devant aucun moyen pour satisfaire leur ambition.

C'étaient aussi des impatients d'une autre espèce, et non moins dangereux, ce Fabre d'Églantine, ce Bourdon (de l'Oise) et ce Philippeaux, qui dénonçaient à la fois, comme un foyer de contre-révolution, la commune de Paris, l'armée révolutionnaire, le conseil exécutif, le ministre de la guerre, l'assemblée électorale et le comité de Salut public[67]. Fabre d'Églantine était doué d'un esprit d'intrigue poussé à un suprême degré. Danton disait de lui : Sa tête est un vaste imbroglio. Il semblait l'oracle et l'inspirateur d'un parti dont Camille Desmoulins, égaré par une impulsion étrangère, était la plume[68]. Nous allons voir ces deux factions se détruire l'une par l'autre, en entraînant malheureusement dans leur chute des patriotes dont la perte causera à la Révolution un irréparable dommage.

 

XII

On aurait pu croire que le scandale amené par le libelle de Philippeaux, dont les accusations dénuées de preuves et les calomnies avaient révolté tous les gens sensés, aurait engagé son auteur à s'arrêter dans la voie périlleuse où il s'était imprudemment lancé. Mais encouragé par les Fabre et les Bourdon, enivré par les éloges de Camille Desmoulins, qui, avec sa légèreté accoutumée, l'avait, dans son Vieux Cordelier, porté aux nues[69], Philippeaux continua de plus belle à calomnier l'armée et les généraux de la Vendée, le ministre de la guerre et le comité de Salut public, sans s'inquiéter des divisions semées par ses diatribes dans le camp des patriotes et des dangers auxquels ces divisions exposaient la chose publique.

Rapporteur d'une commission nommée aux Jacobins pour examiner les charges produites contre Philippeaux, Camille et autres, Collot-d’Herbois parut le 16 nivôse (5 janvier 1794) à la tribune de la société. Après avoir montré l'injustice et l'inanité des accusations contenues dans le libelle du premier, il conclut à son exclusion. A l'égard de Camille Desmoulins, il fut, on doit le reconnaître, d'une grande modération ; il se borna à proposer la censure de ses derniers numéros, en opposant au rédacteur du Vieux Cordelier l'auteur si franchement révolutionnaire de la France libre et des Révolutions de France et de Brabant. Collot-d’Herbois n'avait peut-être pas encore lu, il est vrai, le cinquième numéro du Vieux Cordelier, lequel venait à peine de paraître.

Hébert, qui se trouvait écorché tout vif dans ce numéro, s'élança furieux à la tribune. Justice ! justice ! s'écria-t-il. De dénoncés, les accusés sont devenus dénonciateurs. Il jura de ne pas sortir de l'enceinte des Jacobins avant qu'on lui eût rendu une justice éclatante, et il se plaignit amèrement d'avoir été traité de brigand, de spoliateur de la fortune publique. Alors Camille Desmoulins, agitant un morceau de papier qu'il tenait à la main : En voici la preuve. C'était un extrait des registres de la trésorerie nationale, constatant qu'il avait été payé en deux fois par Bouchotte à Hébert une somme de 183.000 livres pour six cent mille numéros du Père Duchesne, lesquels, suivant Camille, ne devaient coûter que 17.000 livres. Je suis heureux d'être accusé en face, s'écria Hébert, je vais répondre. En ce moment se leva un jeune homme que depuis longtemps on n'avait pas entendu aux Jacobins : c'était Robespierre jeune. Absent depuis cinq mois, il ne put s'empêcher de témoigner sa douloureuse surprise du changement opéré au sein de la société depuis son départ. On s'y occupait uniquement jadis des grands intérêts de la patrie, et maintenant il la voyait toute troublée par de misérables querelles d'individus. Eh ! que nous importe, dit Augustin Robespierre, qu'Hébert ait volé en distribuant des contremarques à la porte des Variétés ! A ces mots, accueillis par des rires, Hébert, qui était resté à la tribune, s'écrie en frappant du pied et en levant les yeux au ciel : Veut-on m'assassiner aujourd'hui ! Robespierre jeune, durant le cours de sa mission, avait été témoin des effets déplorables produits dans les départements par les menées hébertistes, et il reprocha violemment à l'auteur du Père Duchesne les agitations inutilement provoquées par le mouvement antireligieux. La société n'avait pas, à son sens, à s'occuper des disputes de deux journalistes ; c'était au Père Duchesne à répondre au Vieux Cordelier ; mais, quant à présent, Hébert devait se borner à s'expliquer sur les faits relatifs à la lettre de Philippeaux.

Sans le vouloir, Augustin Robespierre avait jeté de l'huile sur le feu, et de violents murmures grondaient dans l'assemblée, quand Maximilien prit à son tour la parole pour essayer de ramener le calme. Il commença par excuser son frère, en disant qu'il était facile de s'apercevoir à son langage que depuis longtemps il était absent de la société. Sans doute, ajouta-t-il, il a rendu de très-grands services à Toulon, mais il n'a pas assez envisagé combien il était dangereux d'alimenter encore de petites passions qui se heurtent avec tant de violence. Il fallait s'en tenir à la question telle qu'elle avait été posée par Collot-d’Herbois. On pouvait assurément s'affliger de voir la société perdre en petites discussions un temps précieux pour la chose publique, mais dans la polémique imprudemment soulevée par quelques personnes, il y avait en jeu des patriotes opprimés ; or, continuait Maximilien, le devoir des républicains est non-seulement de n'opprimer personne, mais de voler à la défense de ceux qu'on opprime. Un nuage épais lui semblait répandu sur la discussion actuelle, et il voyait des torts de part et d'autre. On a mauvaise grâce à se plaindre de la calomnie quand on a calomnié soi-même. On ne doit pas se plaindre des injustices quand on juge les autres avec légèreté, précipitation et fureur ; que chacun interroge sa conscience, et il pourra convenir de ses torts. Pour lui, il n'accusait personne, attendant la lumière pour se décider ; et s'il s'était tu jusqu'à ce jour, c'était parce qu'il ne s'était pas cru suffisamment éclairé sur cette affaire. Sachant combien les petites passions égarent et font souvent voir l'évidence là où elle n'est point, il doutait fort que les pièces montrées par Camille à la tribune fussent bien démonstratives. Le but de la Révolution, disait-il encore, est le triomphe de l'innocence. Or, le moyen de la défendre, était selon lui, non pas de la séparer de la cause publique, mais de la voir dans cette cause même. Il rappela que déjà il avait voulu étouffer les discussions particulières. Dans des entretiens privés et dans des conversations amicales, chacun eût sans doute reconnu son erreur, prouvé qu'il n'avait pas de mauvaises intentions ; mais point, les pamphlets avaient été prodigués, et l'intrigue avait amené les choses au point où elles étaient. Il concluait, du reste, comme son frère, en demandant qu'on passât sans plus tarder à la discussion du libelle de Philippeaux, afin que les faits fussent au plus vite rétablis, les intrigants confondus et les patriotes satisfaits[70].

Danton vint ensuite, et de sa plus grosse voix se borna à appuyer les observations de Maximilien. Certes, à l'entendre, on n'eût pu soupçonner, qu'à quelque temps de là il allait être poursuivi avec un acharnement sans exemple par Billaud-Varenne comme le plus dangereux des indulgents, tant il prenait soin de couvrir sous des violences de langage la modération de ses conseils. Subordonnons, disait-il sagement, nos haines particulières à l'intérêt général, et n'accordons aux aristocrates que la priorité du poignard. Après lui, Philippeaux monta à la tribune pour s'expliquer, mais il fut interrompu dès ses premières paroles. La société, tout agitée encore, paraissait peu disposée à l'écouter. Comme la situation de Philippeaux était celle d'un accusé, et qu'il était de la plus simple justice de lui prêter une attention sérieuse, Robespierre, désespérant de voir le calme se rétablir, proposa à la société d'ajourner la discussion, et, sur sa demande, il fut arrêté que Philippeaux serait entendu à la prochaine séance[71].

Le surlendemain, 18 nivôse (7 janvier 1794), les adversaires du comité de Salut public portèrent la question à la tribune même de la Convention nationale. Bourdon (de l'Oise) commença par lire un discours révolutionnaire à toute outrance, et composé, dit-on, par Fabre d'Églantine[72]. Rempli d'éloges pour le peuple, pour la révolution du 10 août et celle du 31 mai, pour la Convention et le comité de Salut public lui-même, ce discours était dirigé contre le pouvoir exécutif, et particulièrement contre le ministre de la guerre, vivement pris à partie à cause des libéralités dont il avait comblé le Père Duchesne. On y concluait, en somme, à une organisation nouvelle du gouvernement, et à ce que désormais le pouvoir exécutif ne pût tirer aucuns fonds du trésor public sans un décret préalable. Sous les couleurs les plus patriotiques, ce discours tendait tout simplement à paralyser tous les moyens d'action du gouvernement. Danton cependant appuya les paroles de Bourdon, mais avec de singulières restrictions. Ainsi il demanda qu'en décrétant le principe, la Convention chargeât son comité de Salut public de lui présenter un rapport sur les propositions de Bourdon, et qu'elle subordonnât tout à fait le pouvoir exécutif provisoire au comité de Salut public, lequel dirigerait seul à l'avenir l'action du gouvernement. C'était demander la conservation définitive de la dictature du comité.

La Convention vota dans ce sens[73]. Il était interdit pour l'avenir à tout ministre de puiser dans le trésor public sans un décret formel rendu sur le rapport du comité. Or, il pouvait se présenter des cas d'urgence où le moindre retard mettrait la République en péril, où l'on n'aurait même pas le temps d'aller d'un pavillon, à l'autre dans le château des Tuileries, comme l'a écrit un historien[74]. Là était précisément le danger de la mesure si précipitamment décrétée par la Convention nationale. Au dire de Robespierre, elle suffit pour arrêter le service d'une manière si évidente que de toutes parts s'élevèrent des réclamations, et le service des armées serait venu à manquer si le comité de Salut public n'avait point pris le parti de violer le décret[75].

A peine la Convention avait-elle voté sous l'impression des paroles de Bourdon (de l'Oise) que Philippeaux monta à la tribune, et, une heure durant, rabâcha ses dénonciations contre Rossignol et le ministre de la guerre. Jamais accusation ne fut plus vide, plus obscure, plus amèrement calomnieuse. L'intègre et honnête Choudieu n'y put tenir. Commissaire de la Convention près les armées de la Vendée, il avait été témoin des choses dont avait parlé son collègue. Il reprocha très-énergiquement à Philippeaux d'être l'instrument d'une faction qui cherchait à diviser les patriotes, déclara qu'il n'y avait pas un mot devrai dans tout ce que venait de dire ce député, et s'engagea à prouver que s'il n'était pas un fou, il était le plus grand des imposteurs. Philippeaux, ajouta-t-il, a menti à sa conscience en accusant Rossignol de lâcheté ; et Choudieu prétendit que si Philippeaux agissait ainsi, c'était dans la crainte d'être accusé lui-même pour avoir provoqué des mesures désastreuses.

Merlin (de Thionville) prit ensuite la parole, non pour dénoncer Rossignol à son tour, mais pour entonner les louanges de Westermann, récemment destitué par le comité de Salut public, et dont Lecointre (de Versailles) et Philippeaux célébrèrent à l'envi les hauts faits. D'après un décret de la Convention, tout général destitué devait être mis en état d'arrestation ; les Merlin (de Thionville), les Bourdon (de l'Oise), les Lecointre et autres eurent assez d'influence sur l'Assemblée pour faire fléchir la loi en faveur de Westermann. Il fut décidé que ce général jouirait de sa liberté jusqu'à ce qu'un rapport sur son compte eût été présenté par le comité de Salut public[76]. La raison de sa destitution est simple, s'était écrié Philippeaux, il a battu les rebelles de la Vendée. On comprend ce qu'il y avait là d'injuste et d'injurieux à la fois pour le comité de Salut public. Robespierre se souvint de ces paroles dans son projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Il reprocha à Westermann d'être venu sans congé à Paris pour cabaler contre le gouvernement avec les Philippeaux, les Fabre, les Bourdon, les Merlin, et à ceux-ci d'avoir absous pour quelques succès partiels dans la Vendée, succès exagérés avec une impudence rare, un général destitué par le comité de Salut public comme un intrigant dangereux ; d'avoir tenté de le couronner, comme un nouveau Dumouriez, par les mains de la Convention nationale, et de n'avoir point rougi de faire pour ce fanfaron ridicule ce que l'Assemblée n'avait pas fait, depuis le règne des principes, pour les généraux qui avaient vaincu à Toulon, sur les bords du Rhin et de la Moselle, et dans la Vendée[77].

Ces attaques sourdes et indirectes contre le comité de Salut public n'étaient pas de nature à rendre bien paisible la séance des Jacobins. Quittons la Convention pour le fameux club. Certains députés allaient être discutés dans cette soirée, on le savait ; Robespierre parlerait vraisemblablement ; aussi l'affluence était-elle énorme : car les jours où il devait prendre la parole, la foule accourait, et dans la salle et dans les tribunes on avait peine à trouver de la place[78].

 

XIII

Dès le début de la séance, Maximilien conjura ses collègues de laisser de côté toutes les petites intrigues pour s'occuper uniquement des grands objets de salut public. Puis, après avoir défendu un citoyen du nom de Boulanger, faussement accusé d'avoir provoqué le peuple à la dissolution de la Convention nationale[79], il développa longuement le danger du système de calomnies imaginé par de nouveaux brissotins et dont le but trop évident était de perdre les patriotes les uns par les autres. Mais, s'écria-t-il dans un de ces élans d'enthousiasme patriotique où l'on ne peut s'empêcher de croire au triomphe des vérités éternelles, quelles que soient les trames qu'ils ourdissent, la liberté est fondée à jamais. — Oui ! oui ! répondirent d'une voix unanime les membres de la société et les citoyens des tribunes ; et tous, se levant spontanément, agitèrent leurs chapeaux en l'air. — Ce mouvement magnanime qui s'est échappé de vos cœurs généreux, reprit Robespierre, est le gage assuré de votre bonheur, de votre liberté. Faisant ensuite allusion aux hommes nouveaux, à ces patriotes d'hier qui tentaient l'escalade de la Montagne pour en expulser les vétérans de la Révolution, il se plaignit des persécutions subies par de vrais patriotes, persécutions auxquelles lui et ses collègues du comité de Salut public étaient impuissants à les soustraire ; car, disait-il avec raison, il est parmi nous des fripons qui mettent tant qu'ils peuvent des obstacles au bien que nous voudrions faire, et qui y réussissent quelquefois. Néanmoins il avait confiance dans le triomphe de la Révolution : éphémères étaient les succès des intrigants, pensait-il ; la République finirait par surmonter tous les obstacles, et chaque patriote viendrait se ranger sous ses drapeaux. Hélas ! trompeuses espérances ! Les intrigants ont toujours été les plus forts dans le monde, la chute de Robespierre attestera une fois de plus cette vérité peu consolante.

Après avoir engagé la société à n'accorder ses suffrages qu'à des citoyens qui en fussent dignes, Maximilien termina son discours en invitant les représentants ses collègues à se montrer en toute circonstance dignes de la cause du grand peuple qui se glorifiait dans leurs personnes. L'énergie et la modération de ses paroles avaient produit un immense effet sur l'assistance, et quand il descendit de la tribune, ce fut au milieu d'acclamations frénétiques. Cependant l'ordre du jour appelait la suite de la discussion sur l'affaire Philippeaux. Par trois fois, et avec une sorte de solennité, ce député fut invité à monter à la tribune. Il ne répondit point à ce triple appel. Un membre demanda alors que si cet homme, qui n'avait paru dans la société que pour en troubler les séances, venait à se présenter de nouveau, on lui refusât la parole. Puis on appela successivement et à trois reprises différentes Bourdon (de l'Oise), Fabre d'Églantine et Camille Desmoulins.

Personne n'ayant répondu à ce nouvel appel, Robespierre reprit la parole pour déclarer que la société n'avait point à chasser Philippeaux de son sein, puisqu'il n'était pas membre des Jacobins et que jamais d'ailleurs il n'avait professé les sentiments des amis de l'égalité et de la liberté. C'était désormais à l'opinion publique de juger ceux qui, après avoir provoqué la lutte, désertaient actuellement le combat. Enfin, dans l'intention bien évidente de détourner la société de ces regrettables dissensions où les intérêts individuels passaient avant les grands intérêts de la patrie, il lui proposa de mettre à l'ordre du jour la proposition suivante : Les crimes du gouvernement anglais et les vices de la constitution britannique. Si l'on veut, dit-il, établir un parallèle entre deux nations dont l'une a déjà reconquis ses droits et sa liberté, dont l'autre gémit encore sous le joug des tyrans, il n'y a qu'à examiner d'un côté le génie révolutionnaire qui a sauvé la chose publique, qu'à voir nos triomphes en Alsace, la prise de Toulon, tous les miracles enfantés par la liberté, sans compter ceux qu'elle enfantera encore, et qu'à considérer, de l'autre, la stupeur dans laquelle a été plongé le gouvernement britannique à l'annonce de nos succès. Certes, un pareil thème était bien fait pour solliciter l'attention des esprits et pour les distraire des pugilats dont on leur offrait depuis quelques jours le spectacle écœurant ; mais l'attention était ailleurs, et pour le moment la proposition de Robespierre ne trouva point d'écho[80].

Alors parut à la tribune Goupilleau (de Fontenay), qui, bien que n'étant pas en cause, voulut justifier sa conduite en Vendée, sans pour cela jeter le soupçon sur le patriotisme de Rossignol, dont lui aussi avait été le persécuteur. Un membre l'accusa d'être le complice de Bourdon (de l'Oise). Un autre, Lachevardière, lui reprocha des fautes graves, et trouva la Convention coupable d'avoir envoyé à Fontenay même, pour y combattre les rebelles, Goupilleau (de Fontenay). A ces mots une véritable tempête éclate. Lachevardière s'élance à la tribune pour expliquer sa pensée. Sa voix est étouffée sous les cris ; on prétend qu'il a insulté la Convention, et plusieurs membres réclament la parole pour venger l'honneur de l'Assemblée. Bientôt le tumulte est à son comble, et le président — c'était Jay Sainte-Foy — est obligé de se couvrir.

Qui donc, dans cette circonstance, donna une preuve de modération et essaya de ramener le calme ? Ce fut Robespierre. Il chercha à excuser à la fois Goupilleau, un de ses ennemis déclarés, et Lachevardière. Comment ne pas admirer sa fermeté et sa franchise ? On profite, dit-il, de la moindre circonstance pour perpétuer le trouble et empêcher la société de jouir du calme dont elle a tant besoin. S'il échappe à quelqu'un une expression impropre. — Et Bentabole de s'écrier avec fureur : Une insulte à la Convention ! — Sans s'arrêter à l'interruption, Robespierre crut pouvoir affirmer que ni Goupilleau ni Lachevardière n'avaient eu l'intention d'offenser les principes auxquels tous les patriotes sentaient la nécessité de se rallier. Le tort du premier avait été de revenir sur une question dont la société était rebattue. Quant au second, il y avait, dit-il, trop de chaleur sans doute dans son propos, mais plus d'inexactitude et d'impropriété dans l'expression que d'envie d'avilir la Convention. — Il l'a avilie, reprit Bentabole d'une voix plus rude. — Cette fois Robespierre crut devoir une réponse à l'interrupteur, et sous ses paroles il fut facile de deviner son amer regret d'être si mal compris dans son désir d'étouffer des récriminations inutiles et dangereuses. La Convention, dit-il, n'est pas aussi aisée à dégrader qu'on semble le craindre. Son honneur est un peu lié à celui de chacun de ses membres. Le mien sans doute doit y être compromis : eh bien, je déclare que je ne vois point que la Convention soit avilie, et celui qui se plaît à la voir continuellement dégradée, qui manifeste à chaque instant cette crainte, celui-là n'a respect ni de lui-même, ni de la Convention, ni du peuple[81]. La Convention ne tient que d'elle l'honneur dont elle est couverte ; elle n'a au-dessus d'elle que le peuple français. Quant à ceux qui désireraient peut-être que la Convention fût dégradée, qu'ils voient ici le présage de leur ruine ; qu'ils entendent l'oracle de leur mort certaine, ils seront tous exterminés. Ces paroles n'étaient pas assurément d'un homme qui eût envie de porter jamais la main sur la représentation nationale, et nous verrons Robespierre fidèle jusqu'à sa dernière heure au respect dont il ne cessa d'entourer l'immortelle Assemblée.

La société tout entière, comme si l'émotion indignée de l'orateur eût passé dans le cœur de chacun de ses membres, se leva d'un mouvement spontané, et par quatre fois elle proclama la ruine des traîtres et le triomphe du peuple français[82].

Robespierre reprit ensuite la parole, et après avoir montré combien les factions, même appuyées par l'étranger, étaient impuissantes en comparaison de la République servie par le génie de la liberté et l'énergie de la Convention, il revint à ses conseils de modération : Représentants du peuple, soyez calmes ; ne vous levez pas avec vivacité lorsqu'un propos mal entendu s'échappe de la bouche d'un patriote ; conservez votre tranquillité, compagne immortelle de la force et de la vertu. La Convention ne juge jamais qu'avec connaissance de cause ; que ses membres en fassent de même. Faisant alors appel à tous les citoyens qui jusqu'à présent avaient intrépidement défendu la cause de la liberté, il les conjura de se rallier avec lui aux principes et de ne suivre en toutes choses que les règles de la justice. Puis, toujours préoccupé de l'idée de bannir du sein de la société les débats où s'agitaient en pure perte des rivalités envieuses, il proposa de nouveau à ses collègues du club de discuter les crimes du gouvernement anglais et les vices de la constitution britannique, et d'écarter toute autre question. Cette fois sa motion fut adoptée au milieu des plus vives acclamations[83] ; plus d'un patriote lui sut gré de ses efforts pour étouffer au sein de la société des Jacobins des querelles individuelles si funestes à la chose publique.

Les applaudissements retentissaient encore quand on annonça l'arrivée de Camille. A peine l'auteur du Vieux Cordelier était-il à la tribune qu'un membre le somma de rendre compte de ses liaisons avec Philippeaux, et de dire sur quoi il fondait son estime et son admiration pour ce grand homme. L'embarras de Camille, ses réponses évasives n'indiquèrent que trop le trouble de son âme. Il confessa qu'il avait cru de bonne foi au libelle de Philippeaux, et pour quelle raison ? — l'aveu est naïf, — parce que tous les faits qui s'y trouvaient relatés étaient bien liés entre eux et se développaient sans art et sans effort. A coup sûr, il eût été plus sage de sa part d'aller aux renseignements avant d'accepter sans contrôle les plaintes chimériques d'un député mécontent. Depuis, ajouta-t-il, d'excellents patriotes lui avaient donné l'assurance que l'ouvrage de Philippeaux était un roman où il mentait à sa conscience et au public. Je vous avoue, s'écria Camille, que je ne sais plus où j'en suis, qui croire, quel parti prendre. En vérité, j'y perds la tête. Un membre invita alors Desmoulins à s'expliquer sur les numéros du Vieux Cordelier.

Camille, troublé, incertain, semblait hésiter. Il avait devant lui une assemblée malveillante. Les patriotes sincères, exaspérés par la joie qu'avaient témoignée les aristocrates à la lecture de ses numéros, ceux qu'il avait atteints de ses sarcasmes, se tenaient là irrités, furieux, peu disposés à l'indulgence. Et si l'on considère l'état des esprits, on conviendra que la défense de l'illustre pamphlétaire n'était pas sans difficulté. Ses amis gardaient le silence, regardant sans doute la chose comme impossible. Tout à coup on vit Robespierre se diriger vers la tribune ; pour la quatrième fois il allait prendre la parole dans cette séance. Rien de plus habile, selon nous, et de plus généreux au fond que la manière dont il parla en faveur de Camille[84].

Lui-même, s'écria-t-il tout d'abord, avait été singulièrement ému des libelles de Philippeaux, mais il avouait qu'en entendant un patriote comme Choudieu affirmer qu'il n'y avait pas un mot de vrai dans les dénonciations de ce député, il ne savait plus où il en était. Comment ne pas s'étonner de voir Camille Desmoulins donner si légèrement sa confiance à un tel homme et le soutenir dans son journal ? Là était la faute, la grande imprudence ; en effet, depuis les libelles impurs sortis du cabinet de Roland, jamais feuille n'avait autant que le Vieux Cordelier fait les délices des ennemis de la République. Et en disant cela Robespierre se montrait parfaitement désintéressé, il faut bien lui rendre cette justice, car si dans son journal Camille mordait jusqu'au sang quelques personnages célèbres et puissants, s'il causait à certaines individualités orgueilleuses des blessures mortelles, il avait toujours parlé avec la plus sincère admiration de son cher Maximilien. Donc, si Robespierre venait à son tour critiquer aujourd'hui l'œuvre satirique de son ami, c'était uniquement parce qu'il la jugeait dangereuse pour la chose publique et capable de rendre une lueur d'espérance à tous les aristocrates du pays. Mais, ajoutait-il, Desmoulins n'est pas digne de la sévérité que quelques personnes ont provoquée contre lui ; il est contraire à la liberté de paraître avoir besoin de le punir comme les grands coupables[85].

Après avoir rappelé que quelque temps auparavant il avait pris la défense de Camille, tout en se permettant sur son caractère des réflexions autorisées par l'amitié, il semblait regretter d'être obligé maintenant de tenir un langage bien différent, parce que, gonflé de certains éloges perfides et du prodigieux débit de ses numéros, Desmoulins avait persisté dans son erreur en continuant de favoriser la malignité publique. Il s'était épris d'une telle passion pour Philippeaux, continuait Robespierre, qu'il ne faisait point un pas sans demander à tous ceux qu'il rencontrait : Avez-vous lu Philippeaux ? La Fontaine, qui avait quelque chose de la naïveté de Desmoulins, disait dans son enthousiasme à tous ceux qu'il rencontrait : Avez-vous lu Baruch ? Et les personnes qui ne le connaissaient pas disaient : Qu'est-ce que Baruch ? De même lorsque Desmoulins prenait au collet tous ceux qu'il rencontrait et qu'il leur demandait avec un air empressé s'ils avaient lu Philippeaux, ces personnes étonnées demandaient : Qu'est-ce que Philippeaux ?... Desmoulins, tout plein de l'antiquité, a confondu les Philippiques avec les Philippotiques ; il n'a pas réfléchi qu'il y avait une grande différence entre les auteurs et les sujets. Démosthène et Cicéron avaient choisi pour objet de leurs satires les tyrans et leurs scélératesses ; Philippeaux a cru devoir faire tomber ses diatribes sur les patriotes. Cicéron et Démosthène ont-ils jamais fait l'éloge des complices de Catilina et de Philippe ? Tunck aurait-il été célébré par Cicéron[86] ? D'unanimes applaudissements et de nombreux éclats de rire accueillirent ces paroles ironiques. Puis, comme pour tempérer ce qu'il pouvait y avoir d'acerbe dans ses remontrances, Robespierre parla ensuite de Camille comme d'un étourdi à qui la liberté devait pardonner. Ses écrits sont condamnables sans doute, dit-il, mais pourtant il faut bien distinguer sa personne de ses ouvrages. Camille est un bon enfant gâté qui avait d'heureuses dispositions et qui a été égaré par de mauvaises compagnies. Robespierre songeait ici à Fabre d'Églantine, à l'influence pernicieuse duquel il attribuait le singulier changement qui s'était produit dans les opinions de Desmoulins, dont les écrits faisaient actuellement la douleur des patriotes et la joie des aristocrates. Tout en sévissant contre le journal, dit Maximilien en terminant, nous devons conserver l'auteur au milieu de nous. Il demanda seulement que pour l'exemple les numéros de Camille fussent brûlés par la société[87].

Il ne faut point oublier que Desmoulins venait d'écrire dans son numéro 5 : Provisoirement, les patriotes vont être contents de moi... je suis prêt à brûler mon numéro 3, et déjà j'ai défendu à Desenne de le réimprimer, au moins sans le cartonner[88]. Robespierre ne faisait donc que formuler ici en proposition une offre émanée de Camille lui-même, et dans laquelle il voyait un moyen très-sûr de soustraire l'imprudent journaliste à la rage de ses ennemis. On coupait court ainsi à toutes récriminations. Mais Camille ne voulut pas comprendre ; un bon mot lui étant venu à la bouche, il tint à le lancer. Robespierre, dit-il, a bien voulu me faire des reproches avec le langage de l'amitié, je suis disposé à répondre sur le même ton à toutes ses propositions. Et, comme s'il eût parlé par antiphrase, il se dépêcha d'ajouter : Robespierre a dit qu'il fallait brûler tous mes numéros, je lui répondrai avec Rousseau que brûler n'est pas répondre[89]. Atteint en pleine poitrine par ce trait assez sanglant, Robespierre ne put s'empêcher de céder à un mouvement d'irritation. Eh bien ! s'écria-t-il, je retire ma motion ; que les numéros de Camille ne soient pas brûlés, mais qu'on y réponde. Puis, après s'être demandé si la citation empruntée à Rousseau était bien applicable dans la circonstance, il prononça ces paroles sévères : L'homme qui tient aussi fortement à des écrits perfides est peut-être plus qu'égaré. S'il eût été de bonne foi, s'il eût écrit dans la simplicité de son cœur, il n'aurait pas osé soutenir plus longtemps des ouvrages proscrits par les patriotes et recherchés par les contre-révolutionnaires.

Camille interrompit ici Robespierre pour dire qu'il n'y avait point que des aristocrates qui lussent sa feuille. Or Maximilien n'avait prétendu rien de tel. Aristocrates et patriotes avaient lu les numéros du Vieux Cordelier, les uns avec une joie indicible, les autres avec douleur. Voilà ce qu'avait dit avec raison Robespierre. Tu me condamnes ici, ajouta Camille ; mais n'ai-je pas été chez toi ? ne t'ai-je pas lu mes numéros en te conjurant, au nom de l'amitié, de vouloir bien m'aider de tes avis et me tracer le chemin que je devais suivre ? A quoi Robespierre riposta sur-le-champ : Tu ne m'as pas montré tous tes numéros ; je n'en ai vu qu'un ou deux. Comme je n'épouse aucune querelle, je n'ai pas voulu lire les autres : on aurait dit que je te les avais dictés[90]. Camille ne répliqua point. Or les deux premiers numéros du Vieux Cordelier ne contenaient rien de répréhensible au point de vue de la politique révolutionnaire. Cependant il était déjà permis de pressentir les tendances réactionnaires auxquelles, cédant à des applaudissements et peut-être à des suggestions perfides, devait se laisser aller l'auteur. Robespierre approuva-t-il ces deux premiers numéros ? Rien n'autorise à le supposer ; Camille ne le dit point, et il y a tout lieu au contraire de croire qu'ils n'eurent point l'approbation de Maximilien, puisque celui-ci refusa de jeter les yeux sur les épreuves des numéros suivants. Voilà qui est bien clair, bien positif, bien irréfragable ; cela n'a pas empêché nombre d'écrivains de prétendre, dans le but évident de nous présenter Robespierre comme ayant abandonné Camille après l'avoir en quelque sorte encouragé, qu'il avait approuvé et même corrigé de sa main les numéros du Vieux Cordelier. Ah ! que la vérité a de peine à se faire jour dans l'histoire !

Camille Desmoulins, ajouta Robespierre, a voulu se dédommager du blâme des patriotes par les adulations des aristocrates et par les caresses de beaucoup de faux patriotes, sous lesquelles il n'aperçoit pas l'intention de le perdre. A quelqu'un qui blâmait ses écrits, il dit pour toute réponse : Savez-vous que j'en ai vendu cinquante mille exemplaires ? Maximilien termina en demandant — ce que d'abord il aurait voulu éviter à tout prix — la lecture des numéros de Camille. S'il se trouve des individus qui défendent ses principes, ils seront écoutés, mais il se trouvera des patriotes pour leur répondre[91]. Un secrétaire commença sur-le-champ la lecture du numéro 4 du Vieux Cordelier, lecture interrompue à diverses reprises par les marques de la plus vive improbation. Robespierre s'y attendait bien. A sa prière, la société remit au lendemain la lecture du numéro 3 et celle du numéro 5, où Camille prétendait se justifier. Mais quand Maximilien s'aperçut de l'impression défavorable causée sur les esprits par le journal de son ami, il songea tout de suite à demander qu'on cessât cette lecture. Seul au milieu de l'exaspération générale il osera parler en faveur de Desmoulins, et seul il aura le courage de lui tendre encore une fois la main.

 

XIV

Le lendemain 19 nivôse (8 janvier 1794), au début de la séance, le procureur syndic du département, Lulier, dénonça un écrit dirigé contre Robespierre, les Montagnards et les meilleurs Jacobins, puis Momoro lut le troisième numéro du Vieux Cordelier. Cette lecture fut écoutée au milieu d'un silence glacial qui parut à Camille une défaveur très-peu sensible, d'où il conclut qu'une absolution générale eût été la conséquence de la lecture de son cinquième numéro[92]. Mais Hébert n'était certainement pas de cet avis, car il insista très-fort pour que ce numéro 5 fût lu également, conformément à l'arrêté de la société. Il est particulièrement dirigé contre moi, dit-il ; ce n'est pas que je m'en croie atteint, cet homme est tellement couvert de boue qu'il ne peut plus atteindre un véritable patriote ; mais le poison est toujours du poison...[93]

On allait passer à la lecture de ce numéro, quand Robespierre, craignant, je le suppose, qu'elle n'amenât un surcroît d'orage sur la tête de Camille Desmoulins, prit vivement la parole pour s'y opposer. A quoi bon ? dit-il. N'était-on pas suffisamment édifié sur un ouvrage où le langage des royalistes s'unissait à celui des Jacobins, où, à côté des maximes les plus fausses et les plus dangereuses, se rencontraient les adages les plus vrais et les plus patriotiques ? Tantôt louant Camille pour les coups terribles portés par lui aux ennemis de la Révolution, tantôt le rudoyant à cause des sarcasmes dont il avait poursuivi les meilleurs patriotes, Robespierre laissait parfaitement entrevoir son désir ardent de parer le coup réservé à l'auteur des Révolutions de France et de Brabant. Il le présenta comme un composé bizarre de vérités et de mensonges, de politique et d'absurdités, de vues saines et de projets chimériques. Mais qu'importait à la chose publique que Camille fût ou non chassé de la société des Jacobins ? L'important était de connaître la vérité et d'assurer le triomphe de la liberté. Uniquement dévoué à la cause du pays, n'épousant la querelle de personne, Robespierre donna également tort à Hébert, lui reprocha de s'occuper beaucoup trop de lui-même et de ne pas assez penser à l'intérêt national.

Bientôt, laissant là le Père Duchêne et le Vieux Cordelier, il s'attacha à détourner l'attention de la société et à la porter sur les menées du parti de l'étranger, aux intrigues duquel il attribua tous les maux, toutes les exagérations qui compromettaient le salut commun. Des écrivains à vue courte, des historiens nullement renseignés, et probablement tenant peu à l'être, ont beaucoup plaisanté à propos de ce parti de l'étranger ; nous prouverons plus tard, par des documents irréfragables, que les affirmations de Robespierre n'étaient point des visions chimériques. Non, il ne se trompait pas en dénonçant Pitt et Cobourg comme les principaux moteurs de nos discordes ; en montrant du doigt certains ambitieux qui, parce qu'ils avaient occupé des places sous l'ancien régime, se croyaient assez forts pour peser sur la destinée des empires ; en s'élevant enfin avec une énergie suprême contre cette phalange de contre-révolutionnaires masqués qui, à certains moments, venaient exiger de la Convention au delà de ce que le salut public prescrivait, et, à certains autres, la sommaient insolemment de détendre sans précaution le ressort révolutionnaire. Assurément, des gens de la meilleure foi du monde se trouvèrent engagés soit dans la faction des indulgents, soit dans celle des hébertistes ; mais il faut avoir bien mal étudié l'histoire de ces temps formidables pour nier un seul instant que les ennemis de la Révolution aient employé contre elle, avec trop de succès hélas ! tantôt l'hypocrisie de la modération, tantôt l'hypocrisie de l'exagération.

Robespierre démasqua sans pitié les intrigants qui ne voyaient dans la Révolution qu'un moyen de fortune, et qui, pour satisfaire leur ambition ou leur soif de richesses, n'hésitaient pas à susciter au pays tous les embarras imaginables. Tel s'en allait se plaindre à des membres de la Convention qu'on eût enfermé des patriotes, à l'arrestation desquels il avait lui-même contribué ; tel autre reprochait à l'Assemblée d'aller trop loin, de tourner l'énergie nationale contre les prêtres et contre les dévotes, au lieu de la déployer contre les tyrans, et c'était celui-là même qui avait intrigué pour diriger contre les malheureuses dévotes la foudre destinée aux tyrans. On n'osait pas encore s'en prendre au comité de Salut public, objet de la convoitise des meneurs, mais on assiégeait les bureaux de la guerre, signalés partout comme un foyer de contre-révolution. Les mêmes hommes qui proposaient à la Convention des mesures tendant à désarmer la Révolution accusaient l'Assemblée de n'être point à sa véritable hauteur ; et tandis qu'on l'accablait de motions entachées de modérantisme, auxquelles ne pouvaient répondre les patriotes dispersés par leurs occupations, on faisait en même temps colporter dans les groupes des pétitions perfides et des calomnies. C'était là en effet une peinture très-exacte de la situation. Maximilien compara les manœuvres actuelles à celles mises jadis en pratique par les Girondins qui eux aussi étaient parvenus à persuader à une foule de gens faibles et crédules que leurs ennemis étaient dans la commune de Paris, dans le corps électoral et dans les sections. Voilà, dit-il, le système qui est encore suivi aujourd'hui.

Au moment où il disait ces mots, un homme se leva et descendit de sa place comme si, se sentant personnellement désigné, il eût voulu se retirer. Cet homme, c'était Fabre d'Églantine. Ancien secrétaire de Danton au ministère de la justice, Fabre avait longtemps montré une ardeur révolutionnaire excessive. On ne pouvait oublier sa déposition violente dans le procès des Girondins : il avait été jusqu'à les accuser d'avoir été complices du vol commis au Garde Meuble. Aussi s'étonnait-on du singulier revirement survenu tout à coup dans sa conduite, revirement coïncidant, il faut bien le dire, avec une amélioration au moins étrange dans sa position de fortune[94]. Il était de ceux dont Robespierre avait parlé tout à l'heure, et qui, n'ayant pas le courage d'attaquer en face le comité de Salut public, essayaient de l'atteindre en dirigeant leurs coups contre le ministre de la guerre, que son patriotisme indiscutable avait rendu cher à Maximilien. Personnellement Robespierre n'avait point à se plaindre de Fabre d'Églantine ; il le crut un intrigant dangereux, voilà tout. Comment ne pas être un peu surpris d'ailleurs de l'animosité déployée par Fabre contre Vincent et contre Ronsin, décrétés l'un et l'autre d'arrestation sur sa demande, alors qu'il se disposait à publier un éloge enthousiaste de Marat ? A tort ou à raison, on lui reprochait d'être l'auteur des discours patriotiquement contre-révolutionnaires de Bourdon (de l'Oise)[95]. Il était aux yeux de Maximilien l'homme de la République connaissant le mieux le ressort qu'il fallait toucher pour imprimer tel mouvement aux différentes machines politiques dont l'intrigue pouvait disposer, consommé dans l'art de faire concourir à l'exécution de son plan la force et la faiblesse, l'activité et la paresse, l'apathie et l'inquiétude, le courage et la peur, le vice et la vertu[96]. Ce qu'il lui reprochait par-dessus tout, c'était d'avoir endoctriné Desmoulins et de l'avoir lancé dans la voie déplorable où se trouvait présentement l'auteur de la France libre. En l'apercevant il ne put réprimer un mouvement d'impatience et de colère. Si Fabre a son thème tout prêt, dit-il, le mien n'est pas encore fini, je le prie d'attendre. Il conjura alors ses concitoyens de se rallier autour de la Convention et d'imposer silence aux intrigants de toute espèce. Déjà, selon lui, la victoire appartenait aux vrais Montagnards ; il n'y avait plus que quelques serpents à écraser. Ils le seront ! s'écria-t-on de toutes les parties de la salle au milieu des applaudissements.

Puis Robespierre invita de nouveau la société à ne pas discuter les numéros du Vieux Cordelier, dont l'auteur, à ses yeux, était loin d'être un chef de parti. Poussant droit ensuite à Fabre d'Églantine, il termina en demandant que cet homme qu'on ne voyait jamais qu'une lorgnette à la main, et qui savait si bien exposer des intrigues au théâtre, voulût bien s'expliquer ici sur les questions agitées en ce moment[97].

Fabre monta aussitôt à la tribune, mais il était fort troublé et ne put donner aucune réponse positive. Il affirma seulement sur l'honneur qu'il n'avait pas influencé d'une virgule les numéros du Vieux Cordelier, en convenant toutefois d'avoir fait intercaler son nom entre les noms de Danton et de Paré, désignés par Camille comme anciens présidents du district des Cordeliers[98]. Quant à Philippeaux et à Bourdon (de l'Oise) avec lesquels il se trouvait en si parfait accord pour battre en brèche le comité de Salut public, il ne les connaissait, déclara-t-il, que pour les avoir vus en public, et jamais il ne les avait fréquentés particulièrement. Comme il en était là de ses explications, une voix s'écria : A la guillotine ! A cette exclamation sauvage, Robespierre se leva indigné, et il proposa à la société de chasser de son sein celui qui l'avait poussée. Cette motion fut à l'instant même adoptée et exécutée. Fabre continua de parler pendant quelque temps, mais la plupart des membres, peu satisfaits de ses réponses évasives, se retirèrent peu à peu sans rien décider au sujet de Camille. Il était près de minuit quand on leva la séance[99].

 

XV

L'opiniâtreté avec laquelle Robespierre s'était opposé à la mesure d'ostracisme dont on avait voulu frapper Desmoulins n'avait pas été sans exaspérer les amis d'Hébert[100] et tous les exagérés qu'il avait en même temps stigmatisés. On ne manqua pas de répandre les commentaires les plus malveillants sur l'indulgence dont un membre du comité de Salut public avait couvert l'auteur du Vieux Cordelier. On alla jusqu'à prétendre le lendemain, dans les groupes et dans les cafés, que sa proposition de discuter les crimes du gouvernement anglais cachait l'intention bien évidente de soustraire à la vindicte de la société un journaliste coupable. Les ennemis de Camille réunirent tous leurs efforts, et à la séance du 21 nivôse (10 janvier 1794), ils parvinrent à obtenir son exclusion de la société. Ainsi se trouvait rayé de la liste des Jacobins ce vétéran de la Révolution, ce premier soldat des premiers combats. La grande popularité de Robespierre avait été impuissante à le couvrir de son ombre.

Au moment où sa radiation venait d'être prononcée, un membre proposa à la société d'appliquer la même mesure à Bourdon (de l'Oise). Plus heureux que Camille, Bourdon trouva dans l'ingénieur Dufourny de Villiers un défenseur empressé. La question, prétendit ce dernier, était mûre pour Desmoulins condamné par ses écrits, elle ne l'était pas suffisamment pour Bourdon (de l'Oise). Robespierre vit là l'occasion de faire revenir peut-être la société sur la décision sévère qu'elle avait prise à l'égard de Camille, il ne la laissa point échapper. Il s'étonna que Dufourny, si exact, si sévère à l'égard de l'un, se montrât si indulgent pour l'autre, ainsi que pour Philippeaux. Quelques écrits contre-révolutionnaires étaient sortis de la plume de Camille, mais en revanche, que de pages tracées par lui en faveur de la Révolution ! Il avait dans le temps puissamment servi la cause de la liberté ; par où Philippeaux avait-il jamais bien mérité de la patrie ? Le premier ne tenait nullement aux aristocrates, tandis que le second avait un parti puissant parmi eux. Sans doute, sous le rapport du talent, Camille pouvait paraître plus dangereux que Philippeaux, qui en était tout à fait dépourvu, mais celui-ci n'avait été qu'un mauvais soldat du girondinisme, et s'il avait passé à la Montagne, c'était à l'heure où il l'avait vue victorieuse.

Cela dit, Robespierre rappela que le véritable ordre du jour de cette séance était la discussion sur les crimes du gouvernement anglais et les vices de la constitution britannique, discussion dont Pitt frémirait à coup sûr. Comment l'avait-on oublié, et pourquoi avait-on ramené le débat sur Camille Desmoulins ? Il ne prêtait point à Dufourny l'intention d'avoir voulu défendre un homme taré dans l'opinion publique ; seulement il était, quant à lui, tellement las de ces luttes personnelles renouvelées chaque jour qu'il lui était impossible de ne pas les flétrir en passant.

A ce moment, un membre, quelque ami de Philippeaux ou de Bourdon (de l'Oise), laissa tomber le mot de dictateur. Alors Robespierre, relevant vivement l'expression : Quiconque aujourd'hui est un ambitieux, est en même temps un insensé. Dictateur ! aurait-il pu répondre, et je n'ai même pas eu le pouvoir de vous empêcher de prononcer la radiation de Camille. On renouvelait contre lui cette vieille et banale accusation empruntée à Louvet. Parce que j'ai exercé dans le comité de Salut public un douzième d'autorité, on m'appelle dictateur, dit-il : ma dictature est celle de Lepeletier, de Marat. Interrompu ici par les applaudissements de l'assemblée, il reprit bien vite : Vous m'avez mal entendu ; je ne veux pas dire que je ressemble à tel ou tel ; je ne suis ni Marat ni Lepeletier, j'ai la même dictature qu'eux, c'est-à-dire les poignards des tyrans. De nouveaux applaudissements éclatèrent, plus vifs cette fois. Se sentant encouragé, Robespierre conjura la société de laisser là toutes les querelles particulières, de s'occuper des moyens de salut public au lieu de songer à l'expulsion d'un journaliste, et il invita les Jacobins à passer séance tenante à la discussion des vices du gouvernement anglais.

Appuyée par Collot-d’Herbois et même par Dufourny, sa proposition fut sur-le-champ mise aux voix ; l'épreuve ayant paru douteuse, quelques membres en profitèrent pour réclamer avec insistance la radiation de Bourdon (de l'Oise). Oubliant ses griefs contre ce dernier, dans lequel il vit toujours un intrigant de la pire espèce, Robespierre le couvrit également de sa protection pour ne pas avoir l'air de parler uniquement en faveur de Desmoulins. Comme certains patriotes lui faisaient un crime de s'intéresser à l'auteur du Vieux Cordelier, il rappela la franchise avec laquelle il s'était expliqué sur son compte. Après quoi s'attaquant directement à ceux qui s'acharnaient à réclamer la radiation de Camille et celle de Bourdon, il flétrit la conduite des faux patriotes dont une animosité personnelle dirigeait seule les actions. Pour lui, s'il n'y avait pas dans la société une masse pure de citoyens désintéressés, et dans la Convention un excellent esprit public, il resterait enseveli au fond de sa maison, résolu à y attendre la fin des combats que le peuple était obligé de livrer aux innombrables ennemis qui voulaient le sacrifier à leur ambition. Il faut, sans clabauderies et sans prévention, discuter les intrigues, et non un intrigant en particulier, poursuivit-il. Je dis qu'en chassant Desmoulins, on fait grâce à un autre individu, et qu'on épargne d'autres intrigants. Je demande qu'on s'occupe des moyens d'exterminer à jamais les intrigues qui nous agitent au dedans, et qui tendent toutes à empêcher l'affermissement de la liberté. Il faut les discuter dans leurs agents, dans leur esprit, voilà ce que plusieurs personnes n'osent pas faire, et ce qu'ils veulent écarter en vous parlant de Camille Desmoulins.

Ce n'était pas le compte des ennemis de ce dernier. Camille est déjà chassé, répondit Dufourny, ce n'est pas de lui qu'il s'agit. Mais Robespierre était tenace, il revint à la charge. Certes il ne suspectait par le patriotisme de Dufourny, il n'accusait point ce membre de tremper dans les intrigues auxquelles il avait fait allusion ; mais s'ensuivait-il que ces intrigues ne dussent pas être dévoilées et publiquement discutées ? S'il s'opposait à la radiation isolée de Desmoulins, c'était parce qu'à son avis l'intérêt public ne consistait point en ce qu'un individu se vengeât d'un autre, en ce qu'une coterie triomphât d'une coterie, mais bien en ce que toutes les intrigues fussent impartialement mises à jour. Il pria donc la société de regarder comme non avenu son arrêté relatif à Camille Desmoulins, de ne point s'occuper désormais des querelles particulières, et de mettre définitivement à l'ordre du jour les crimes du gouvernement britannique.

Quelques membres voulurent prendre la parole pour répondre, mais l'assemblée se trouvait en proie à une émotion extraordinaire, l'agitation qui régnait dans la salle empêcha les opposants de parler ; cette fois Robespierre avait vaincu. La société rapporta l'arrêté qui chassait Camille de son sein, et décida qu'elle commencerait dans la séance du 25 nivôse la discussion des crimes du gouvernement anglais[101].

On voit ce qu'il fallut souvent d'efforts et de persistance à Robespierre pour obtenir les choses les plus justes du monde, et combien sont dans le faux ceux qui vont soutenant que la Convention et la société des Jacobins votaient aveuglément sur un geste de sa main ou une parole de sa bouche. La conduite de Maximilien en cette circonstance fut généralement approuvée dans les journaux du temps. La Feuille du Salut public, journal de Rousselin et de Garat, donna son opinion en ces termes : On ne peut s'empêcher de rappeler que déjà les vendéens et les piteux s'attendaient à moissonner largement dans une querelle par laquelle ils espéraient distraire de la chose publique à la faveur du pour et du contre ; c'est dans ce moment que Robespierre leur ferma irrévocablement la bouche par le véritable ordre du jour : la discussion du gouvernement anglais. La justice du peuple marchant à la voix de Robespierre étouffa alors ces débats qui eussent été interminables[102]. Voici comment, de son côté, Camille Desmoulins témoigna sa reconnaissance à Maximilien, dont suivant sa propre expression l'oraison n'avait pas duré moins d'une heure et demie : Je me réjouis que l'heureuse diversion sur les crimes du gouvernement anglais ait terminé tous nos combats ; c'est un des plus grands services qu'aura rendus à la patrie celui qui a ouvert cette discussion, à laquelle je compte payer aussi mon contingent[103].

Ah ! si les sages conseils de Robespierre eussent été suivis, si à sa voix l'apaisement se fût fait dans tous les cœurs, si l'intérêt général l'eût emporté sur les passions particulières, si Hébert et Camille eussent étouffé des haines sanglantes et consenti à cesser le combat à mort qu'ils se livraient, les choses auraient fort probablement pris une tout autre face, et nous n'aurions point à enregistrer dans ces pages la fin malheureuse des hébertistes et celle des dantonistes, si fatales l'une et l'autre à plus d'un titre.

 

XVI

Trois jours après la séance des Jacobins où il avait été si vivement pris à partie par Robespierre, Fabre d'Églantine fut arrêté dans son appartement de la rue de la Ville-l'Évêque et conduit à la prison du Luxembourg. Ce fut un coup de foudre pour ses amis, pour Camille Desmoulins, Danton, Philippeaux et Bourdon (de l'Oise). Involontairement sans doute, ils songèrent tout d'abord à la formidable sortie de Maximilien contre lui ; pourtant elle n'était pour rien dans son arrestation. L'immortel auteur de Philinte, comme Camille appelle Fabre d'Églantine[104], avait été arrêté par ordre du comité de Sûreté générale, sous la prévention d'avoir falsifié un décret de la Convention nationale[105]. Robespierre était donc complètement étranger à cette mesure. L'affaire qui y avait donné lieu se rattachait directement à celle de Chabot, de Bazire, de Julien (de Toulouse) et de Delaunay, dont nous avons parlé au commencement de ce livre. Elle est trop en dehors de notre sujet et nous demanderait trop de place pour qu'il nous soit possible de nous y arrêter longtemps. Disons seulement qu'en proposant à la Convention, dans la séance du 24 nivôse (13 janvier 1794), de sanctionner l'arrêté pris par le comité de Sûreté générale, Amar présenta Fabre d'Églantine comme ayant été guidé par des intentions criminelles ; ce qui parut si évident à quelques membres, que Charlier réclama, au lieu d'un simple décret d'arrestation, un décret d'accusation[106].

Danton ayant pris la parole, non point pour défendre son ami si fortement compromis, mais pour demander qu'il fût au moins permis aux accusés de fournir leurs explications à la barre même de l'Assemblée, s'attira de la part de Billaud-Varenne une réponse d'une excessive dureté : Malheur, dit ce dernier d'un ton sinistre, à celui qui a siégé à côté de Fabre d'Églantine et qui est encore sa dupe. Il traita Fabre de scélérat consommé, et lui reprocha de n'avoir usé de la liberté, depuis l'arrestation de ses complices, que pour tramer une nouvelle conspiration. Mais, ajoutait Billaud, un prompt rapport allait être présenté à la Convention nationale afin de la mettre à même de se débarrasser au plus vite des coquins qui ne paraissaient servir la République que pour mieux la trahir. Et ces paroles de Billaud furent couvertes d'applaudissements[107].

Le rapport auquel il venait d'être fait allusion était — cela me paraît de toute évidence — celui de Robespierre sur la faction Fabre d'Églantine, et qui demeura à l'état de projet. Ce rapport, dont nous avons déjà cité plusieurs passages, a une grande importance en ce qu'il précise bien nettement la pensée de Robespierre. On en connaît généralement le début ; il est bon néanmoins de le remettre sous les yeux de nos lecteurs : Deux coalitions rivales luttent depuis quelque temps avec scandale. L'une tend au modérantisme, et l'autre aux excès patriotiquement contre-révolutionnaires. L'une déclare la guerre à tous les patriotes énergiques, prêche l'indulgence pour les conspirateurs ; l'autre calomnie sourdement les défenseurs de la liberté, veut accabler en détail tout patriote qui s'est une fois égaré, en même temps qu'elle ferme les yeux sur les trames criminelles de nos plus dangereux ennemis. Toutes deux étalent le patriotisme le plus brûlant quand il s'agit d'attaquer leurs adversaires, toutes deux font preuve d'une profonde indifférence lorsqu'il est question de défendre les intérêts de la patrie et de la vérité ; toutes deux cherchent à sacrifier la République à leur intérêt particulier. L'une cherche à abuser de son crédit ou de sa présence dans la Convention nationale ; l'autre, de son influence dans les sociétés populaires. L'une veut surprendre à la Convention des décrets dangereux ou des mesures oppressives contre ses adversaires ; l'autre fait entendre des cris douloureux dans les assemblées publiques. L'une cherche à alarmer la Convention, l'autre à inquiéter le peuple ; et le résultat de cette lutte indécente, si l'on n'y prend garde, serait de mettre la Convention nationale en opposition avec le peuple, et de fournir aux ennemis de la République l'occasion qu'ils attendent d'exécuter quelque sinistre dessein ; car les agents des cours étrangères sont là qui soufflent le feu, qui font concourir à leur but funeste l'orgueil, l'ignorance, les préjugés des deux partis... Ainsi se trouvaient parfaitement définies les deux factions. L'une comprenait Fabre, Dubois-Crancé, Merlin (de Thionville), Philippeaux, Bourdon (de l'Oise), Montaut, qui, par un touchant accord avec le Père Duchesne, ne cessait de réclamer les têtes des soixante-treize, Lacroix, Camille Desmoulins égaré par une impulsion étrangère, tous s'acharnant à battre en brèche le gouvernement, dont les principes connus, disait Robespierre, étaient de réprimer les excès du faux patriotisme, sans détendre le ressort des lois vigoureuses nécessaires pour comprimer les ennemis de la liberté ; l'autre avait pour meneurs Hébert, Momoro, Brichet, Vincent, Ronsin et leurs amis.

Aux uns Maximilien reprochait, avec quelque fondement, de prêcher une doctrine lâche et pusillanime, quand les ennemis de la liberté poussaient de toutes leurs forces à un excès contraire ; aux autres, avec non moins de raison, d'oublier les trônes pour renverser les autels, de confondre la cause du culte avec celle du despotisme, de vouloir forcer le peuple à voir dans la Révolution, non le triomphe de la vertu, mais celui de l'athéisme, non la source de son bonheur, mais la destruction de toutes les idées morales et religieuses, d'ériger enfin en crime d'État le fait d'aller à la messe. Comment ne pas rendre hommage aux efforts généreux de Robespierre pour sauvegarder la liberté de conscience ! Nous verrons tout à l'heure son frère, docile à ses inspirations, lutter avec une suprême énergie contre les hébertistes des départements et faire mettre en liberté des milliers de paysans et de dévotes dont tout le crime avait consisté à entendre la messe.

Le grand crime de Fabre d'Églantine aux yeux de Robespierre était d'organiser un véritable système de contre-révolution dans le but secret de relever le trône[108]. Il ne pouvait oublier sans doute qu'au mois d'avril précédent Biroteau avait accusé ce même Fabre d'avoir proposé au comité de Défense générale de substituer un roi à la République comme l'unique moyen de salut pour la France, et que Fabre n'avait pas répondu un mot à une accusation si formelle[109]. La conduite louche et tortueuse de Fabre depuis cette époque l'avait peut-être confirmé dans l'opinion que cette accusation était vraie. Maintenant, le crut-il coupable d'avoir falsifié un décret de la Convention ? Cela n'est pas probable, puisqu'il n'en dit mot ni dans son projet de rapport ni dans les notes fournies par lui à Saint-Just pour le procès des dantonistes. Toutefois la réputation de Fabre sous le rapport de la probité était on ne peut plus mauvaise. Devant le tribunal révolutionnaire Chaumette affirma qu'il avait été exclu de la commune pour avoir, étant secrétaire, reproduit d'une manière infidèle les débats du conseil général[110]. Robespierre n'en avait pas meilleure opinion, et dans ses notes il déclare que Danton lui-même lui avoua les escroqueries et les vols de Fabre dans la fameuse affaire des souliers achetés par celui-ci lorsqu'il était secrétaire du ministère de la justice, et revendus pour son compte à l'armée[111]. Etait-ce là une pure invention ? De la part d'un homme tel que Maximilien, ce n'est guère à présumer.

Quoi qu'il en soit, ce fut surtout au point de vue de ses erreurs et de ses fautes politiques que Robespierre le jugea dans son projet de rapport. Il lui reprocha d'avoir égaré Camille qui s'inclinait devant l'auteur du nouveau calendrier comme devant un génie de premier ordre ; il le traita enfin comme le chef d'une des deux coteries si bien dépeintes par sa plume, coteries dont les menées en sens contraire lui paraissaient également funestes, et qui lui faisaient dire à ses collègues de la Convention : Vous semblez placés aujourd'hui entre deux factions : l'une prêche la fureur et l'autre la clémence ; l'une conseille la faiblesse et l'autre la folie ; l'une veut miner le temple de la liberté, l'autre veut le renverser d'un seul coup ; l'une veut faire de la liberté une Bacchante et l'autre une prostituée ; l'une veut vous transporter dans la zone torride et l'autre dans la zone glaciale : mais remarquez bien qu'aucune d'elles ne veut avoir rien à démêler avec le courage, avec la grandeur d'âme, avec la raison, avec la justice[112]. Robespierre ne penchait donc pas plus du côté des exagérés que du côté des indulgents, et il donnait une grande preuve de sa sagesse politique en suivant la route tracée par la raison entre les deux coteries.

Maintenant, quelles étaient les conclusions de son rapport ? Il est assurément fort difficile de le dire d'une façon précise puisqu'on ne les a pas, soit que ce projet n'ait pas été achevé, soit que la fin ait été supprimée par les Thermidoriens[113]. Il est permis toutefois de les supposer fort modérées, et ce fut là, sans nul doute, ce qui empêcha les comités de Salut public et de Sûreté générale d'adopter le projet de leur collègue. On trouvera cette supposition toute naturelle si l'on se reporte au langage plein de fureur des Amar, des Voulland et des Billaud-Varenne. Nous avons cité tout à l'heure les paroles terribles et menaçantes de ce dernier contre Danton. Or, dans son projet de rapport Robespierre n'avait même point prononcé le nom de ce vieil athlète de la Révolution ; à peine y avait-il fait allusion, et encore en des termes où se devinait suffisamment un reste de véritable intérêt pour Danton. Par lui (Fabre d'Églantine), le patriote indolent et fier, amoureux à la fois du repos et de la célébrité, était enchaîné dans une lâche inaction ou égaré dans les dédales d'une politique fausse et pusillanime[114]. En comparant la modération de ce langage à la violente sortie de Billaud, on ne doit pas s'étonner du mécontentement de celui-ci à la lecture du rapport de son collègue.

Un jour, dans une séance du comité de Salut public, Billaud-Varenne proposa à l'improviste à ses collègues de mettre Danton en état d'arrestation. A cette proposition inattendue, Robespierre se leva comme un furieux, suivant la propre expression de Billaud, et s'écria qu'on voulait perdre les meilleurs patriotes[115]. Ce fut vraisemblablement aussi vers cette époque qu'eut lieu cette scène si caractéristique. Nous verrons bientôt comment Maximilien fut, à force d'obsessions, amené à croire lui-même à la culpabilité de Danton. Mais cette exclamation si énergique et qui partait si bien du cœur, comment se fait-il que les aveugles partisans de Danton ne se la rappellent jamais et qu'ils persistent à voir dans Robespierre le principal instrument de la perte de leur idole ? L'absolue prévention en faveur de l'un ne doit point dispenser de la nécessité d'être juste envers l'autre.

 

XVII

Deux mois plus tard, dans la séance du 26 ventôse (16 mars 1794), Amar donnait à la Convention lecture de son rapport sur cette triste affaire du décret falsifié, où se trouvaient impliqués cinq membres de la Convention nationale. Le rapporteur du comité de Sûreté générale présenta Fabre, Delaunay (d'Angers), julien (de Toulouse) et Chabot comme les auteurs d'une conspiration ayant pour but d'avilir, de diviser et de dissoudre la représentation nationale, et il conclut à leur renvoi devant le tribunal révolutionnaire. Bazire leur était adjoint comme complice. On se rappelle comment cette sale affaire de corruption, assez embrouillée encore aujourd'hui, et dans laquelle fut impliqué Fabre d Églantine, avait été dénoncée au comité de Sûreté générale par Chabot et par Bazire, qui, fortement compromis l'un et l'autre, ne recueillirent même pas le bénéfice de leur dénonciation.

L'œuvre du rapporteur manquait de sanction morale, en ce sens qu'elle ne contenait pas une réprobation assez énergique des faits honteux déroulés devant la Convention, et qu'elle ne marquait pas suffisamment l'horreur de l'Assemblée pour de pareils crimes. Billaud-Varenne, le premier, signala cette lacune. Il fallait, dit-il, accuser les coupables d'avoir voulu avilir la représentation nationale en violant les principes de l'honneur et de la probité. Robespierre prit ensuite la parole. En oubliant de dénoncer à l'univers le système de diffamation inventé par les ennemis de la liberté, le rapporteur avait, à son avis, omis la chose la plus essentielle. La main de l'étranger n'était-elle pas évidente dans ces tripotages dont se rendaient complices un certain nombre de membres de la Convention ? Malheur à qui se laissait tenter ! Comment ! Pitt pouvait se vanter avec dédain qu'il y eût des voleurs parmi les Montagnards ! Ah ! comment ne pas comprendre et ne pas partager l'indignation de Robespierre au spectacle de ces honteux trafics ? Comment surtout ne pas applaudir sans restriction à ce défi hautain jeté par lui à tous les despotes, magnifique protestation de la probité républicaine contre les vices de la monarchie : J'appelle les tyrans de la terre à se mesurer avec les représentants du peuple français ; j'appelle à ce rapprochement un homme dont le nom a trop souvent souillé cette enceinte et que je m'abstiendrai de nommer ; j'y appelle aussi ce parlement d'Angleterre associé aux crimes liberticides du ministre que je viens de vous indiquer, et qui a, dans ce moment, avec tous nos ennemis, les yeux ouverts sur la France pour voir quels seront les résultats du système affreux que l'on dirige contre nous. Savez-vous quelle différence il y a entre eux et les représentants du peuple français ? C'est que cet illustre parlement est entièrement corrompu, et que nous comptons dans la Convention nationale quelques individus atteints de corruption ; c'est qu'à la face de la nation britannique les membres du parlement se vantent du trafic de leur opinion et la donnent au plus offrant, et que, parmi nous, quand nous découvrons un traître ou un homme corrompu, nous l'envoyons à l'échafaud. A cette voix qui semblait celle de la France indignée, les plus vifs transports éclatèrent dans toute la salle.

Cette affaire même, aux yeux de Maximilien, était un nouveau titre de gloire pour la Convention nationale, puisque, par un contraste remarquable, la probité de ses membres ressortait de la corruption de quelques individus. Elle attestait en même temps la dignité d'une assemblée à l'existence de laquelle était attachée la destinée des peuples et qui soutenait avec un tel courage les efforts réunis de tous les tyrans pour l'accabler. Chacune des paroles de l'orateur retentissait dans le cœur des membres de la Convention comme la voix de la conscience publique, et d'instant en instant il était interrompu par les applaudissements. Dans quel pays, ajouta-t-il, a-t-on vu encore celui qui était investi de la puissance souveraine tourner contre lui-même le glaive de la loi ? Dans quel pays a-t-on vu encore un sénat puissant chercher dans son sein ceux qui auraient trahi la cause commune et les envoyer sous le glaive de la loi ? Qui donc encore a donné ce spectacle au monde ? Vous, citoyens... Et les applaudissements de redoubler. Voilà, citoyens, la réponse que je fais en votre nom à tous les tyrans de la terre ; voilà celle que vous ferez aux manifestes de nos ennemis, à ces hommes couverts de crimes qui oseraient chercher la destruction de la Convention nationale dans l'avilissement de quelques hommes pervers. Et, au milieu d'acclamations nouvelles, l'Assemblée décida, sur la demande de l'orateur, que le rapport d'Amar ne serait point livré à l'impression avant d'avoir été revu[116]. Ce qu'il y avait de grandeur dans l'éloquente improvisation de Robespierre n'échappera à coup sûr à personne. Les gens tarés de l'Assemblée, les corrompus de la droite ou de la gauche, ceux enfouis dans les bas-fonds du Marais, purent éprouver une secrète terreur à ces accents d'une probité inflexible, maudire le stoïcien rigide ; mais le pays tout entier salua de ses acclamations cette vive protestation de la vertu contre le vice, et les applaudissements réitérés de la Convention se répercutèrent d'échos en échos d'un bout de là France à l'autre.

 

XVIII

A l'heure où la Convention donnait au. monde un grand spectacle en portant la main sur quelques-uns de ses propres membres accusés de faux et de corruption, on était à la veille d'un anniversaire qui peut nous apparaître sombre et sanglant à nous, mais qui pour les patriotes du temps avait cette triple signification : liberté, délivrance, affermissement de la République.

Le 2 pluviôse de l'an II (21 janvier 1794), parut à la barre de la Convention nationale une députation de la société des Jacobins. Il y avait juste un an qu'à pareil jour la tête de Louis XVI était tombée sur l'échafaud. L'orateur de la députation invita la Convention à décréter que tous les ans cet anniversaire serait solennellement célébré comme le premier pas vers le bonheur pour l'humanité tout entière. Converti aussitôt en motion par un membre de l'Assemblée, ce vœu fut à l'instant sanctionné, et à l'unanimité l'on décida que chaque année, à pareille époque, une fête civique aurait lieu dans toute l'étendue de la République. Couthon prit ensuite la parole. A sa voix la Convention en masse poussa le cri célèbre : Mort aux tyrans, paix aux chaumières ! et répéta le serment, déjà plusieurs fois prononcé par elle, de vivre libre ou de mourir. Comme la commune de Paris et la société des Jacobins devaient se rendre en corps sur la place de la Révolution afin de célébrer au pied de l'arbre de la liberté cette journée regardée comme glorieuse alors, Couthon engagea ses collègues à envoyer une députation de douze membres choisis sur les bancs de la Montagne ; mais cette proposition parut insuffisante. Tous ! tous ! s'écria-t-on ; et à la demande de Billaud-Varenne, la Convention en masse se joignit à la commune et aux Jacobins.

On sait comment, arrivée sur la place de la Révolution, l'Assemblée se trouva face à face avec la guillotine, et recula d'épouvante en voyant quatre condamnés à mort monter à l'échafaud. Bourdon (de l'Oise) prit texte de là pour présenter comme une atrocité préméditée cette coïncidence toute fortuite. Qui pouvait prévoir en effet la démarche inopinée de la Convention ? La sensiblerie de Bourdon (de l'Oise) était donc purement de l'hypocrisie.

Si l'Assemblée pouvait être accusée de cannibalisme, ce n'était point parce que le hasard l'avait rendue spectatrice de l'exécution de quatre condamnés, mais bien parce qu'elle avait cru nécessaires les lois terribles en vertu desquelles ces condamnés avaient été frappés de mort. N'était-ce pas Bourdon qui, en pleine Convention, s'était écrié : Est-on fâché que la Terreur soit à l'ordre du jour ?[117] Quel homme humain que ce Bourdon, terroriste à outrance dans le sens ultra-révolutionnaire avant Thermidor, et terroriste à outrance dans le sens contre-révolutionnaire après Thermidor ; personnage équivoque, sans principes et sans foi, accusant à tort et à travers le ministre de la guerre ; lui faisant un crime tantôt des obstacles insurmontables apportés par d'autres à l'arrivée des secours destinés aux prisonniers de Mayence, tantôt de s'être justifié sur ce point[118] ; et, suivant l'expression méprisante de Robespierre, s'en prenant encore à ce même ministre tantôt de ce que lui, Bourdon, s'était querellé dans une taverne avec un de ses commis, tantôt de ce qu'il avait mal dîné[119]. Son indignation en cette circonstance était donc puérile ; ce qui chez d'autres aurait pu être une révolte de la conscience ne fut chez lui que le désir d'imputer une action noire aux agents d'un pouvoir auquel il avait voué une haine implacable.

Dans la soirée du 2 pluviôse Couthon proposa à la société des Jacobins de charger quatre commissaires du soin de rédiger l'acte d'accusation de tous les rois et de le soumettre ensuite au tribunal de l'opinion publique de tous les pays, afin, dit-il, qu'aucun roi ne pût trouver désormais de ciel pour l'éclairer ni de terre pour le porter. La société accueillit cette proposition par des applaudissements sans nombre, et l'ayant adoptée, elle choisit pour commissaires rédacteurs Robespierre, Couthon, Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois et Lachevardière[120].

L'acte d'accusation de tous les rois ! Robespierre n'avait cessé de le dresser depuis le commencement de la Révolution, et jusqu'à sa mort il ne manquera jamais l'occasion de faire entendre contre eux de terribles vérités. Pour nous qui, placés à une grande distance des événements, n'avons pas souffert des abus de l'ancien régime, nous ne comprenons peut-être pas assez l'exaspération de nos pères contre les tyrans couronnés. Mais le déplorable état où la France s'était trouvée un moment réduite, nos frontières entamées sur tous les points, nos villes livrées à l'ennemi, la guerre civile, la disette, nos finances ruinées, la Terreur même, l'affreuse Terreur, à laquelle on s'était vu obligé d'avoir recours comme à un moyen de défense désespéré, tout cela n'était-il pas l'œuvre des rois et de l'aristocratie ? N'était-ce pas hier que sur un signe du maître les peuples se ruaient les uns contre les autres et s'entr'égorgeaient pour le plus grand plaisir de quelque favori ou de quelque favorite ? N'était-ce pas hier que, pour ne point partager complètement les idées religieuses du roi très-chrétien, des milliers de Français périssaient par le feu, par le fer, poursuivis dans les Cévennes comme des bêtes fauves ? N'était-ce pas hier que, dans son intendance du Languedoc, Lamoignon de Basville faisait périr en quelques années plus de dix mille protestants ? C'était là une terreur séculaire, bien autrement odieuse que cette terreur révolutionnaire, rapide comme la foudre, et qui, opposant oppression à oppression, n'eut d'autre but que de débarrasser la France de ses ennemis et de fonder dans le pays le règne de la liberté et de l'égalité. En confiant à Robespierre et à quelques autres le soin de rédiger l'acte d'accusation de tous les rois, la société des Jacobins ne fit que leur demander le développement logique de cette parole de l'abbé Grégoire : L'histoire des rois est le martyrologe des nations[121].

 

XIX

Robespierre n'assistait pas à cette séance des Jacobins, car quelques jours après, plusieurs citoyens témoignèrent hautement de l'inquiétude sur sa santé parce que depuis un certain temps on ne l'avait pas vu au club ; mais un membre de la société rassura les patriotes alarmés en leur disant qu'il continuait à jouir d'une bonne santé[122]. Peut-être Maximilien occupait-il alors ses soirées à travailler à son grand rapport sur les principes de morale politique qui devaient guider la Convention nationale dans l'administration intérieure de la République, dont ses collègues du comité lui avaient confié la rédaction, rapport dans lequel nous le verrons affirmer plus que jamais sa répulsion pour les exagérations des ultra-révolutionnaires, tout en blâmant avec sévérité l'attitude étrange de ceux qu'on avait baptisés du nom d'indulgents, et qui néanmoins ne poursuivaient actuellement qu'un but : celui d'envoyer leurs adversaires... à l'échafaud.

Entre les, deux factions c'était donc une guerre à mort, une lutte fratricide. Les amis d'Hébert et de Ronsin, voulant jouer un bon tour à Camille, imaginèrent d'arrêter son beau-père, le citoyen Duplessis, devenu lui-même un révolutionnaire fougueux, et très-courroucé contre son gendre depuis que celui-ci malmenait si fort les ultras. Mais comme il n'était point permis à une autorité étrangère à la Convention de porter la main sur un représentant du peuple, on résolut de frapper l'auteur du Vieux Cordelier dans la personne de son beau-père. Ce fut le comité révolutionnaire de la section de Mutius Scævola (la section de Vincent) qui se chargea d'être l'instrument de cette petite vengeance hébertiste. On connaît la narration piquante qu'a tracée Camille de l'arrestation du père de sa femme, dans le numéro 6 de son Vieux Cordelier[123]. Il avait commencé par porter plainte devant la Convention nationale et s'était trouvé vivement soutenu par son ami Bourdon (de l'Oise). C'était Camille lui-même qu'on avait voulu attaquer, avait fait observer Bourdon, et, s'étonnant que le comité de Sûreté générale n'eût pas encore mis fin à cette oppression, il avait demandé que ce comité fût tenu de présenter sous trois jours un rapport sur cette affaire.

Vadier défendit le comité de Sûreté générale. Chose assez étrange, ce fut Danton qui s'éleva contre la motion de Bourdon, comme contraire à l'égalité. Une révolution, dit-il avec un grand bon sens, ne peut se faire géométriquement. Les comités révolutionnaires avaient été établis sur sa proposition ; il le rappela avec une sorte d'orgueil, et conjura ses collègues de les maintenir dans toute leur force pour ne point donner dans le modérantisme et prêter des armes aux ennemis de la Révolution. Sans doute il fallait rendre justice à toutes les victimes de mesures et arrestations arbitraires, mais à la condition de ne point nuire à l'action du tribunal révolutionnaire. On voit comme Danton s'étudiait encore à éviter l'écueil contre lequel Camille Desmoulins et Philippeaux s'étaient heurtés par trop de légèreté. Ses paroles furent accueillies par les plus vifs applaudissements, et, sur sa demande, la Convention renvoya l'affaire à l'examen du comité de Sûreté générale[124]. C'est donc à tort qu'un certain nombre d'écrivains ont appliqué dès cette époque la dénomination de dantonistes aux adversaires acharnés du gouvernement et du comité de Salut public, comme Fabre d'Églantine, Bourdon (de l'Oise) et Philippeaux, ou aux furieux ennemis d'Hébert et de l'hébertisme, comme Camille Desmoulins.

Encouragés en quelque sorte par une voix partie des rangs de leurs adversaires, les hébertistes songèrent à presser la délivrance de Ronsin et de Vincent, arrêtés comme on sait sur les dénonciations et les instances de Fabre d'Églantine et de Bourdon (de l'Oise). Un des leurs, un autre Bourdon, destiné lui aussi à jouer un rôle sanglant dans la catastrophe du 9 Thermidor, Léonard Bourdon, vint dans la séance du 9 pluviôse (28 janvier 1794), engager les Jacobins à intercéder auprès de la Convention en faveur du général de l'armée révolutionnaire et de l'adjoint du ministre de la guerre.

Quelle était au juste l'opinion de Robespierre sur ces deux personnages ? Un jour, on s'en souvient peut-être, après la révolution du 10 août, Ronsin lui avait écrit pour le prier d'appuyer sa candidature auprès de l'assemblée électorale dont les opérations allaient commencer. Maximilien ne paraît pas s'être beaucoup intéressé alors au futur général en chef de l'armée révolutionnaire. Peut-être déjà avait-il remarqué en lui des tendances à ces exagérations presque aussi funestes à ses yeux que les manœuvres de la contre-révolution, et qui souvent venaient de la même source. Du reste, sur Ronsin et sur Vincent il n'était pas bien fixé encore. Qui croire au milieu de tant de dénonciations se croisant en sens inverse, dénonciations faites trop souvent à la légère, et auxquelles ne devait pas mettre fin le décret sévère par lequel la Convention punit de mort tout individu convaincu de faux témoignage sur une accusation capitale[125] ? Sur Vincent il avait des renseignements de nature à l'influencer très-favorablement, car ces renseignements, il les tenait d'un homme en qui il avait une entière confiance, d'un des adjoints du ministre Bouchotte, de ce d'Aubigny que tout récemment il avait soustrait à la vengeance de Bourdon (de l'Oise). Quelques jours auparavant, il avait reçu de d'Aubigny le billet suivant : Je t'envoie les placards de Vincent, contenant sa vie et sa profession de foi ; lis-les attentivement, tu verras comme ils l'ont calomnié ! Rends-lui justice, il la mérite. — Adieu, je t'embrasse de toute mon âme[126]. Mais d'autre part Ronsin et Vincent avaient des défenseurs infiniment suspects à Robespierre. Celui-ci crut donc devoir engager ses concitoyens à garder la neutralité, dans l'intérêt même des prévenus. Le comité de Sûreté générale, dit-il aux Jacobins, paraît être convaincu qu'il n'y a aucune preuve valable contre le patriotisme de Ronsin et de Vincent ; c'est à cause de cela qu'il faut laisser agir le comité afin que l'innocence de ces deux citoyens soit proclamée par l'autorité publique, et non par une autorité particulière. Il n'y a rien de pire pour l'innocence opprimée que de fournir aux intrigants le prétexte de dire qu'on leur a forcé la main, et que les individus qui auraient, obtenu la liberté étaient des factieux, puisqu'ils voulaient opposer une force à la volonté nationale. La société, applaudissant aux judicieuses observations de Robespierre, écarta par l'ordre du jour la proposition de Léonard Bourdon[127].

Quelques jours plus tard, le 14 pluviôse (2 février 1794), Voulland, au nom du comité de Sûreté/générale, ayant proposé à la Convention nationale de décréter la mise en liberté de Ronsin et de Vincent, on entendit Philippeaux et Bourdon (de l'Oise) protester de la façon la plus énergique. Or, en cette circonstance, qui vint au secours des détenus ? fut-ce Robespierre ? Non ; ce fut Danton, dont les amis poursuivaient avec tant d'acharnement le commandant de l'armée révolutionnaire et l'adjoint du ministre Bouchotte. Tout en convenant du caractère violent et impétueux de Vincent et d'Hébert, il les défendit résolument, et reprocha à Philippeaux de s'abandonner à des préventions individuelles, de commettre des erreurs où les malveillants pourraient voir un plan de contre-révolution. Danton pressentait-il ici le sort réservé à Philippeaux ? Entreprenait-il la défense de deux ultra-révolutionnaires afin d'être plus à l'aise pour prendre celle de Fabre d'Églantine ? Cela est possible, et il ne parut pas s'en cacher. Toujours est-il qu'il témoigna aux deux victimes de Fabre et de Bourdon le plus touchant intérêt, et ce fut certainement grâce à lui qu'au milieu des applaudissements, la Convention décréta la mise en liberté de Ronsin et de Vincent[128].

Eh bien ! malgré cela, un historien de nos jours n'a pas craint de nous présenter Robespierre comme donnant un certificat d'innocence aux hébertistes. parce qu'il avait besoin d'eux[129] ! Quelle confusion ! quelle aberration ! Et pourquoi Robespierre aurait-il eu besoin des hébertistes ? Et pourquoi n'aurait-il pas cru à l'innocence de certains d'entre eux, accusés par des hommes comme Philippeaux et Bourdon (de l'Oise) ? Est-ce qu'à cette époque ils s'étaient mis en révolte contre la Convention ? Est-ce qu'ils avaient agité le drapeau de l'insurrection ? On verra bien tout à l'heure si Robespierre était un homme capable de transiger avec sa conscience, et de sacrifier à de bas calculs la probité politique.

 

XX

Cependant, aux Jacobins, les regrettables discussions personnelles avaient fait place aux débats sur les crimes du gouvernement anglais et les vices de la constitution britannique. Un certain nombre d'orateurs avaient parlé déjà, lorsque dans la. séance du 9 pluviôse (28 janvier 1794) Robespierre prit la parole à son tour pour dire un mot sur la question. Selon lui, cette question avait été mal traitée jusque-là, parce que la plupart des orateurs, au lieu de discuter devant toute l'Europe, eu présence du peuple anglais et en Je prenant en quelque sorte à témoin, les crimes de Pitt, avaient jeté l'anathème à toute la nation britannique au lieu de chercher à l'éclairer, comme si elle eût été responsable des actes de son gouvernement.

On avait oublié la calomnie, les préjugés et les passions, cette triple barrière morale élevée par les tyrans entre tous les peuples et la République, et par une imprudence pareille à celles qu'avaient commises en France un certain nombre de patriotes, on risquait de faire rétrograder l'opinion publique en la devançant. Le peuple anglais, prétendait Maximilien, était encore de deux siècles en arrière de nous sous le rapport de la moralité et des lumières, parce que la politique de ceux qui le gouvernaient avait toujours été d'intercepter la vérité à ses yeux et de l'armer contre le peuple français. Opprimé et ruiné, il arriverait, lui aussi, par la force de l'exemple, à faire une révolution. Quant à Pitt, ce ministre imbécile d'un roi fou, il serait renversé. Celui-là était digne des petites-maisons, pensait Robespierre, qui s'imaginait qu'avec des vaisseaux ce ministre allait bientôt affamer la France et lui dicter des lois ; l'orateur s'étonnait qu'il y eût au XVIIIe siècle un homme assez dépourvu de bon sens pour penser à de pareilles folies. On sait combien il fallut de folies d'un autre genre pour que ces paroles de Robespierre reçussent, vingt ans plus tard, un démenti sanglant. En terminant, et toujours fidèle à son système de tolérance religieuse, il engagea ses concitoyens à ne mêler ni les évêques ni la question religieuse à une pareille discussion, puis il proposa à la société de n'ordonner désormais l'impression d'un discours qu'après un mûr examen ; ce qui fut arrêté au milieu des applaudissements[130].

Le surlendemain (11 pluviôse), Robespierre monta de nouveau à la tribune pour traiter la question et répondre en même temps à divers orateurs qui cette fois lui avaient paru témoigner un peu trop de sympathie pour le peuple anglais. Peut-être lui-même, dans la fièvre du patriotisme et dans l'ardeur de l'improvisation, tomba-t-il dans un excès contraire et oublia-t-il un peu ses recommandations de l'avant-veille. Il consentait bien à distinguer le peuple anglais de son gouvernement, mais à la condition qu'il le punît de ses attentats contre la liberté ; jusque-là il ne pouvait s'empêcher de le regarder comme complice des crimes de ce gouvernement perfide. Assurez votre liberté avant de vous occuper de celle des autres ! s'écriait-il. Je n'aime pas les Anglais, moi, parce que ce mot me rappelle l'idée d'un peuple insolent osant faire la guerre au peuple généreux qui a reconquis sa liberté. Je n'aime pas les Anglais, parce qu'ils ont osé entrer, dans Toulon pour y proclamer un roi. Je n'aime pas les Anglais, parce que leur gouvernement, perfidement machiavélique envers le peuple même qui le souffre, a osé dire et proclamer qu'il ne fallait garder aucune foi, aucune règle d'honneur avec les Français dans cette guerre, parce qu'une partie du peuple, les matelots, les soldats, a soutenu par les armes cette odieuse proclamation. En qualité de Français, de représentant du peuple, je déclare que je hais le peuple anglais. Il faut se rappeler l'exaspération dans laquelle les manœuvres de l'Angleterre contre la République avaient jeté la plupart des patriotes pour se rendre bien compte des acclamations par lesquelles furent accueillies ces paroles de Robespierre.

Cependant, il eut soin de faire une restriction : il déclara que comme homme il s'intéressait à la nation anglaise ; seulement, jusqu'à ce qu'elle eût anéanti son gouvernement, il lui vouait une haine implacable, parce qu'il y avait à ses yeux quelque chose de plus méprisable encore qu'un tyran, c'étaient des esclaves. Pitt était corrompu, mais ceux qu'il employait l'étaient bien davantage. C'était là une de ces vérités dont on ne tient pas assez compte en général ; les tyrans disparaissent, balayés par les révolutions, et les vils instruments dont ils se sont servis ne sont pas toujours assez brisés-pour ne pas nuire. à la liberté renaissante. On parlait beaucoup, continuait Robespierre, du parti de l'opposition les prochains débats du parlement donneraient la mesure, de sa force et de son autorité. Dans le cas où les communes voleraient une adresse de remercîments, il n'y aurait plus qu'à mépriser le peuple anglais, auquel la France, au contraire, était toute disposée à rendre son estime et son amitié s'il avait le courage de s'affranchir. En. attendant, il conseillait aux républicains français de perfectionner leur marine, de serrer de toutes parts leurs forces, et d'achever paisiblement une révolution si heureusement commencée.

Ce discours avait été interrompu par de fréquents applaudissements. De nouvelles acclamations retentirent quand Robespierre quitta la tribune. Lorsque l'enthousiasme se fut un peu calmé, Jean-Bon Saint-André, ayant cru voir dans le discours de son collègue une allusion à quelques mots prononcés par lui, reprit la parole pour déclarer que jamais il n'avait eu l'idée d'affaiblir la haine légitime des Français contre le peuple anglais, et qu'à Brest, d'où il arrivait, il avait tenu un langage identique à celui de Robespierre. Mais il s'était mépris sur le sens des paroles de ce dernier, car Maximilien répondit aussitôt en ces termes : J'aurais manqué mon but si j'avais offensé dans l'énoncé de mon opinion celui qui a travaillé avec nous à opérer le bien de la République. S'il pouvait y avoir dans mes expressions quelque chose qui pût aliéner les esprits, je serais le premier à l'éloigner de mon discours. A quoi Saint-André répliqua : Unis de sentiments et de principes, nous avons combattu, Robespierre et moi, pour la liberté, et nous combattrons encore ; nous avons voué une haine éternelle aux tyrans, et notre tête tombera ou ils seront exterminés[131]. La tête du glorieux commissaire près les flottes de la République ne tomba point, heureusement. Jean-Bon Saint-André, il est vrai, ne se trouvait pas à Paris le 9 thermidor. Qui sait ? peut-être eût-il péri aussi ; peut-être eût-il empêché cette néfaste journée. Quoi qu'il en soit, il ne renia jamais celui qui, sur sa proposition, avait été nommé membre du comité de Salut public. Lorsqu'au plus fort de la réaction thermidorienne, il déclara qu'il n'avait point participé à la plupart des opérations du comité, il dit la vérité, puisqu'il avait été presque toujours en mission ; mais, du moins, il n'essaya pas de rejeter lâchement sur les vaincus toute la responsabilité des faits accomplis.

La vive sortie de Robespierre contre le peuple et le gouvernement anglais lui attira de la part de Camille Desmoulins d'assez étranges critiques, — critiques qui d'ailleurs ne virent pas le jour à cette époque et qui demeurèrent provisoirement enfouies dans le manuscrit de l'auteur. C'est donc bien maladroitement qu'on leur a quelquefois attribué l'abandon de Camille par son vieux camarade[132]. Dans les six premiers numéros de son journal, Desmoulins n'avait eu pour Robespierre que des éloges et des paroles d'admiration, le citant à tout propos comme une autorité infaillible, voulant et demandant, comme lui, qu'on frappât les chefs de complots, mais qu'on établît une distinction fondamentale entre le crime et l'erreur. Bien mieux, dans son numéro 6, ne le félicitait-il pas d'avoir parlé durant une heure et demie pour l'empêcher d'être rayé, lui Camille, de là liste des Jacobins[133] ? Enfin, en terminant ce dernier numéro ne regardait-il pas l'heureuse diversion sur les crimes du gouvernement anglais, imaginée pour mettre fin aux déplorables querelles particulières dont la société des Jacobins était devenue le théâtre, comme un des plus grands services rendus à la patrie par celui qui avait ouvert cette discussion[134] ? Or, — singulière bizarrerie du caractère de Camille, — le voilà qui s'éprend tout à coup d'une belle passion pour la fière nation anglaise, qui reproche à Robespierre d'avoir pris aux. Jacobins, sans s'en apercevoir, le rôle de Brissot, de nationaliser la guerre, de s'être chargé de l'apostolat de Cloots, d'avoir enfin oublié les grandes vérités qu'il proclamait jadis quand il présentait la guerre comme l'éternelle ressource du despotisme, et tout cela pour rendre à Maximilien le ridicule que celui-ci, prétendait-il, avait, depuis quelques temps, versé sur lui à pleines mains[135].

Il y avait ici, de la part de Camille, de l'ingratitude d'une part, et, de l'autre, une étrange absence de mémoire. Lorsqu'avec tant de raison, vers la fin de l'année 1791, Robespierre combattit dans sa longue et glorieuse campagne contre les Girondins l'idée d'une guerre offensive, et surtout le projet de municipaliser l'Europe, sur quoi s'appuya-t-il principalement ? Sur ce que l'armée était alors aux ordres de généraux hostiles à la Révolution, tout dévoués à la monarchie. Et il avait eu soin de prévoir le cas où, nos soldats étant commandés par des chefs patriotes, la France pourrait, avec la certitude de la victoire, soutenir le choc de tous les ennemis de l'extérieur. Les temps étaient bien changés depuis le jour où les Rochambeau, les La Fayette, les Biron et les Dillon étaient à la tête des armées de la Révolution. La guerre d'ailleurs étant un fait accompli, il était tout naturel que le comité de Salut public la poussât le plus activement possible, et que Robespierre dénonçât au monde les attentats de cette Angleterre dont l'or alimentait les ressources de nos ennemis et dont la conduite ténébreuse et les basses intrigues à l'égard de la France républicaine soulèvent encore aujourd'hui tous les cœurs vraiment français. Et, du reste, la Convention ne recueillait-elle pas déjà les fruits de son indomptable énergie ? Nos armes n'étaient-elles pas victorieuses sur tous les points, à l'Est, au Nord, au Midi, dans la Vendée ? Eh bien ! admirez l'inconséquence du pauvre Camille : c'est à l'heure où surgissent à l'improviste tant de jeunes et glorieux généraux sortis des rangs populaires qu'il plaisante agréablement les commis et les pères d'actrices devenus officiers, et qu'il leur oppose Turenne et Villars, alléguant que la guerre est un art où l'on ne se perfectionne qu'à la longue[136] ; c'est à l'heure où déjà les noms des Hoche, des Marceau, des Kléber, des Bonaparte, des Jourdan et de tant d'autres commencent d'attirer l'attention, que le bon Camille regrette de ne point voir à la tête des troupes républicaines des généraux comme Dillon[137]. Et dites maintenant que cette appréciation, déjà citée, de l'auteur du Vieux Cordelier par Robespierre n'est pas d'une vérité frappante : Ici il rehausse le courage du patriotisme, là il alimente l'espoir de l'aristocratie. Desmoulins tient tantôt un langage qu'on applaudirait à la tribune des Jacobins ; tantôt une phrase commence par une hérésie politique. A l'aide de sa massue redoutable, il porte le coup le plus terrible à nos ennemis ; à l'aide du sarcasme le plus piquant, il déchire les meilleurs patriotes. Desmoulins est un composé bizarre de vérités et de mensonges, de politique et d'absurdités, de vues saines et de projets chimériques et particuliers[138]. Quand Robespierre s'exprimait ainsi, il était seul, ne l'oublions pas, à défendre Camille contre des ennemis acharnés ; et si en le couvrant de sa protection, si en cherchant à le justifier, il laissa tomber quelques paroles critiques, était-ce bien à l'auteur du Vieux Cordelier de s'en plaindre, lui qui avec tant de profusion avait semé le ridicule sur les meilleurs patriotes, sur les plus ardents défenseurs de la République[139] ? Nous ne tarderons pas à donner une nouvelle preuve des inconséquences et de la versatilité de Camille.

 

XXI

Un certain nombre d'historiens de la Révolution française se sont demandé ce que voulait Robespierre. Ils en ont fait un sphinx, un révolutionnaire taillant et frappant à tort et à travers, sans but bien défini, sans savoir au juste où il allait. Ces historiens, s'ils n'ont pas écrit de parti pris et en cédant à des préventions injustifiables, ont à coup sûr négligé d'étudier sérieusement les hommes et les choses dont ils ont eu la prétention de raconter l'histoire. Ce que voulait Robespierre, nous l'avons dit vingt fois ; ceux qui nous ont lu attentivement ont pu se rendre compte de la netteté de ses vues et de la fermeté de ses principes., Sous la monarchie comme sous la République, il ne varia point, et le combattant des grandes années de lutte mourra fidèle en 1794, avons-nous dit déjà, au théoricien pacifique de 1789.

Jamais peut-être il n'affirma aussi hautement sa politique, jamais il ne montra mieux le but final où tendait et où devait s'arrêter la Révolution que dans le magnifique rapport dont il vint, au nom du comité de Salut public, donner lecture a la Convention nationale dans la séance du 17 pluviôse an II (5 février 1794). C'était le pendant, le corollaire pour ainsi dire, du discours qu'il avait prononcé trois mois auparavant sur les principes de la politique extérieure de la République ; il s'agissait aujourd'hui de développer les principes de la politique intérieure. Il fallait, commençait par dire Robespierre, marquer nettement le terme où l'on voulait arriver, se rendre compte des obstacles qui en éloignaient encore et des moyens nécessaires pour l'atteindre ; cela à la face du monde et sans craindre de divulguer son secret. Un roi, ajoutait-il, un sénat orgueilleux, un César, un Cromwell, doivent avant tout couvrir leurs projets d'un voile religieux, transiger avec tous les vices, caresser tous les partis, écraser celui des gens de bien, opprimer ou tromper le peuple, pour arriver au but de leur perfide ambition. Mais la République ne craignait pas de mettre l'univers dans la confidence de ses secrets politiques, sûre de rallier tous les amis de la liberté à la voix du bon sens et de l'intérêt général, et confiante d'ailleurs dans un ordre de choses où la raison publique était la garantie de la liberté.

Cela dit, Robespierre proclamait bien haut le but glorieux de la Révolution. Qui ne connaît ce passage célèbre de son rapport :

Quel est le but où nous tendons ? La jouissance paisible de la liberté et de l'égalité ; le règne de cette justice éternelle dont les lois ont été gravées non sur le marbre et sur la pierre, mais dans les cœurs de tous les hommes, même dans celui de l'esclave qui les oublie et du tyran qui les nie.

Nous voulons un ordre de choses où toutes les passions basses et cruelles soient enchaînées, toutes les passions bienfaisantes et généreuses éveillées par les lois ; où l'ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie ; où les distinctions ne naissent que de l'égalité même ; où les citoyens soient soumis au magistrat, le magistrat au peuple, et le peuple à la justice ; où la patrie assure le bien-être de chaque individu, et où chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie ; où toutes les âmes s'agrandissent par la communication continuelle des sentiments républicains et par le besoin de mériter l'estime d'un grand peuple ; où les arts soient les décorations de la liberté qui les ennoblit ; le commerce, la source de la richesse publique, et non pas seulement de l'opulence monstrueuse de quelques maisons.

Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l'égoïsme, la probité à l'honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l'empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l'insolence, la grandeur d'âme à la vanité, l'amour de la gloire à l'amour de l'argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l'intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l'éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l'homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c'est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.

Nous voulons, en un mot, remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l'humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la Providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l'effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l'ornement de l'univers, et qu'en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions au moins voir briller l'aurore de la félicité universelle. Voilà notre ambition, voilà notre but.

 

Que ce séduisant programme soit difficile à réaliser, que les passions humaines y forment un-invincible obstacle, cela est possible ; mais si un peuple en approche jamais, ce sera le jour où ses institutions reposeront sur la double base de la liberté et de l'égalité. Le gouvernement démocratique seul, poursuivait Robespierre, pouvait accomplir ces prodiges, et il définissait ainsi la démocratie : Un État où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu'il peut très-bien faire, et par des délégués tout ce qu'il ne peut faire lui-même. Le principe fondamental du gouvernement républicain était à ses yeux la vertu, et par là il entendait l'amour de la patrie et de ses lois. Il n'y avait, selon lui, que la démocratie où l'État fût véritablement la patrie de tous et pût compter autant de défenseurs intéressés à sa cause qu'il renfermait de citoyens. Aussi engageait-il la Convention nationale à rapporter toutes ses opérations au maintien de l'égalité et au développement de la vertu, à adopter tout ce qui était capable d'exciter l'amour de la patrie, de purifier les mœurs, d'élever les âmes, de diriger les passions du cœur humain vers l'intérêt général, à rejeter au contraire tout ce qui était de nature à les concentrer dans l'abjection du moi personnel. Il ne s'agissait point, du reste, de jeter la République française dans le moule de celle de Sparte : Nous ne voulons, disait-il, lui donner ni l'austérité ni la corruption des cloîtres.

Mais l'heure n'avait pas sonné encore où il était permis de faire fonctionner d'une façon régulière le gouvernement de la démocratie, car, au milieu de la guerre civile et de la guerre étrangère, la constitution eût à chaque instant couru le risque de se briser au choc des factions contraires qui désolaient le pays. C'était pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, pour terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie et traverser heureusement les orages de la Révolution, que la Convention, avait organisé le gouvernement révolutionnaire, dont le ressort était à la fois, disait le rapporteur du comité de Salut public, la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur était funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu se trouvait impuissante. Mais ce qui pour d'autres était la terreur dans sa plus sauvage expression, ne devait être autre chose, à' son avis, que la' justice prompte, sévère, inflexible, une émanation même de la vertu, et n'avait rien de semblable à cette terreur séculaire et hypocrite des gouvernements absolus, toujours suspendue sur la tête de l'innocent ; c'était, en un mot, le despotisme momentané de la liberté contre la tyrannie. Que la tyrannie règne un seul jour, ajoutait Robespierre, le lendemain il ne restera plus un patriote. Jusqu'à quand la fureur des despotes sera-t-elle appelée justice, et la justice du peuple barbarie ou rébellion ? Comme on est tendre pour les oppresseurs et inexorable pour les opprimés ! Rien de plus naturel : quiconque ne hait point le crime ne peut aimer la vertu. Il faut cependant que l'un ou l'autre succombe. Indulgence pour les royalistes, s'écrient certaines gens ; grâce pour les scélérats ! Non. Grâce pour l'innocence, grâce pour les faibles, grâce pour les malheureux, grâce pour l'humanité ! Combien de gens voyons-nous, en effet, qui poussent des clameurs féroces au souvenir des sévérités de la Révolution, et que ne paraissent point émouvoir les longues et gratuites iniquités de la monarchie ! Et quand Robespierre prononçait ici le mot de royalistes, il entendait évidemment les conspirateurs armés, car jamais, il ne fit la guerre aux opinions, même hostiles, qui ne se traduisaient point par des actes ; nous l'entendrons bientôt dénoncer ces terroristes à outrance qui érigeaient en crimes de simples erreurs ou des préjugés invétérés.

Malheur, disait-il, à quiconque oserait diriger vers le peuple la terreur réservée à ses ennemis ! Malheur à celui qui, confondant les erreurs inévitables du civisme avec les erreurs calculées de la perfidie ou avec les attentats des conspirateurs, abandonne l'intrigant dangereux pour poursuivre le citoyen paisible ! Périsse le scélérat qui ose abuser du nom sacré de la liberté ou des armes redoutables qu'elle lui a confiées, pour porter le deuil ou la mort dans le cœur des patriotes !... N'existât-il dans toute la République qu'un seul homme vertueux persécuté par les ennemis de la liberté, le devoir du gouvernement serait de le rechercher avec inquiétude et de le venger avec éclat. Ce n'était point une raison d'ailleurs pour se relâcher d'une sévérité exigée par les circonstances, surtout en présence de deux factions rivales dont les efforts en sens inverse pouvaient aboutir au même résultat, à savoir : la destruction de la République.

Robespierre avait en vue les indulgents et les exagérés, à qui ce rapport était destiné, sans nul doute, à servir de solennel avertissement. Nous retrouvons ici exprimées presque dans les mêmes termes des idées déjà développées dans le projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine[140]. Les ennemis intérieurs du peuple français se sont divisés en deux factions ; l'une pousse à la faiblesse, l'autre aux excès. L'une veut changer la liberté en Bacchante, l'autre en prostituée. Dans la dénomination de modérés appliquée aux uns, il y avait, selon Robespierre, beaucoup plus d'esprit que de justesse ; et combien était vraie cette appréciation, car ces prétendus modérés, qui voulaient ouvrir les prisons à tous les suspects, n'allaient avoir de cesse qu'ils n'eussent envoyé à la mort les meneurs de l'hébertisme.

Maximilien frappait d'ailleurs d'une réprobation égale les ultrarévolutionnaires ; il trouvait entre ceux-ci et ceux-là une analogie singulière, les uns et les autres tombant, suivant les circonstances, dans une modération d'apparat ou dans le délire du patriotisme. Le faux révolutionnaire, disait-il, s'oppose aux mesures énergiques et les exagère quand il n'a pu les empêcher ; sévère pour l'innocence, mais indulgent pour le crime ; accusant même les coupables qui ne sont point assez riches pour acheter son silence ni assez importants pour mériter son zèle, mais se gardant bien de jamais se compromettre au point de défendre la vertu calomniée ; découvrant quelquefois des complots découverts, arrachant le masque à des traîtres démasqués et même décapités, mais prônant les traîtres vivants et encore accrédités ; toujours empressé à caresser l'opinion du moment et non moins attentif à ne jamais l'éclairer, et surtout à ne jamais la heurter ; toujours prêt à adopter les mesures hardies, pourvu qu'elles aient beaucoup d'inconvénients ; calomniant celles qui ne présentent que des avantages ou bien y ajoutant tous les amendements qui peuvent les rendre nuisibles ; disant la vérité avec économie et tout autant qu'il faut pour acquérir le droit de mentir impunément ; distillant le bien goutte à goutte et le mal par torrents ; plein de feu pour les grandes résolutions qui ne signifient rien, plus qu'indifférent pour celles qui peuvent honorer la cause du peuple et sauver la patrie ; donnant beaucoup aux formes du patriotisme ; très-attaché, comme les dévots dont il se déclare l'ennemi, aux pratiques extérieures, il aimerait mieux user cent bonnets rouges que de faire une bonne action. A cette peinture si frappante purent se reconnaître les Bourdon (de l'Oise), les Maribon-Montaut, les Hébert, les Fouché, les Guffroy, les Baudot, ceux qui ne cessaient de réclamer les têtes des soixante-treize, qui voulaient envoyer à l'échafaud les signataires des pétitions des huit mille et des vingt mille, et ceux qui, d'un bout de la France à l'autre, mettaient les consciences sur un lit de Procuste, plaçaient les ministres du culte entre l'échafaud et l'apostasie[141], et remplaçaient les vieilles pratiques de la religion catholique par des mascarades mille fois plus ridicules.

C'était des révolutionnaires de cette trempe que Robespierre disait : Faut-il agir, ils pérorent. Faut-il délibérer, ils veulent commencer par agir. Les temps sont-ils paisibles, ils s'opposeront à tout changement utile. Sont-ils orageux, ils parleront de tout réformer pour bouleverser tout. Voulez-vous contenir les séditieux, ils vous rappellent la clémence de César. Voulez-vous arracher les patriotes à la persécution, ils vous proposent pour modèle la fermeté de Brutus. Ils découvrent qu'un tel a été noble lorsqu'il sert la République ; ils ne s'en souviennent plus dès qu'il la trahit. La paix est-elle utile, ils vous étalent les palmes de la victoire. La guerre est-elle nécessaire, ils vantent les douceurs de la paix. Faut-il défendre le territoire, ils veulent aller châtier les tyrans au delà des monts et des mers. Faut-il reprendre nos forteresses, ils veulent prendre d'assaut les églises et escalader le ciel. Ils oublient les Autrichiens pour faire la guerre aux dévotes. Vous ne pourriez jamais vous imaginer certains excès commis par des contre-révolutionnaires hypocrites pour flétrir la cause de la Révolution. Croiriez-vous que, dans les pays où la superstition a exercé le plus d'empire, non contents de surcharger l'es opérations relatives au culte de toutes les formes qui pouvaient les rendre odieuses, on a répandu la terreur parmi le peuple en semant le bruit qu'on allait tuer tous les enfants au-dessous de dix ans et tous les vieillards au-dessus de soixante-dix ans ? que ce bruit a été répandu dans la ci-devant Bretagne et dans les départements du Rhin et de la Moselle ? C'est un des crimes imputés au ci-devant accusateur public du tribunal criminel de Strasbourg[142]. Les folies tyranniques de cet homme rendent vraisemblable tout ce que l'on raconte de Caligula et d'Héliogabale ; mais on ne peut y ajouter foi, même à la vue des preuves. Il poussait le délire jusqu'à mettre les femmes en réquisition pour son usage ; on assure même qu'il a employé cette méthode pour se marier. D'où est sorti tout à coup cet essaim d'étrangers, de prêtres, de nobles, d'intrigants de toute espèce, qui au même instant s'est répandu sur la surface de la République pour exécuter au nom de la philosophie un plan de contre-révolution qui n'a pu être arrêté que par la force de la raison publique ? Exécrable conception, digne du génie des cours étrangères liguées contre la liberté et de la corruption de tous les ennemis intérieurs de la République[143]. Dans ses mains perfides, tous les remèdes à nos maux deviennent des poisons ; tout ce que vous pouvez faire, tout ce que, vous pouvez dire, ils le tourneront contre vous, même les vérités que nous venons de développer.

A ce langage si ferme et si clair, inspiré par la raison et le bon sens, par le patriotisme le mieux entendu, comment toute la France n'aurait-elle pas applaudi ? Comment toutes les âmes honnêtes n'auraient-elles pas approuvé le remède proposé par Maximilien aux maux dont il avait. tracé la sombre peinture, et qui n'était autre chose que le développement de ce ressort général de la République : la vertu ? Comment enfin n'aurait-on pas cru au désintéressement si sincère du rapporteur du comité de Salut public, et à sa haine profonde de la tyrannie, en lisant ce passage de son discours : La démocratie périt par deux excès : l'aristocratie de ceux qui gouvernent, ou le mépris du peuple pour les autorités qu'il a lui-même établies, mépris qui fait que chaque coterie, que chaque individu attire à lui la puissance publique, et ramène le peuple, par l'excès du désordre, à l'anéantissement, ou au pouvoir d'un seul. Ainsi la préoccupation constante de ce prétendu dictateur était que la République ne vînt à s'abîmer dans une dictature personnelle. Au reste, son rapport était loin de témoigner du découragement, et sa péroraison était un véritable sursum corda. Complètement dévoué à la Convention, que par un étrange excès de confiance il croyait attachée tout entière à la République, il la montrait comme le palladium de la liberté, comme le sanctuaire de la vérité ; et, pour le salut commun, il suffisait, pensait-il, d'appeler, au nom de la patrie, des conseils de l'amour-propre ou de la faiblesse des individus à la vertu et à la gloire de la Convention nationale.

Cet immense rapport était destiné à servir de règle de conduite à toutes les autorités révolutionnaires ; on peut affirmer que, si chacun en eût strictement suivi les prescriptions, bien des maux et d'inutiles rigueurs eussent été évités. Mais, hélas ! la sagesse, la prudence et la sagacité de Robespierre étaient loin d'être partagées, même par des patriotes de très-bonne foi. L'Assemblée eut beau décréter que le rapport de son comité de Salut public serait imprimé, envoyé à toutes les autorités constituées, aux sociétés populaires, aux armées, et traduit dans toutes les langues[144], le terrorisme aveugle et peu soucieux de la justice, dénoncé par Maximilien, n'en continua pas moins ses ravages ; et Robespierre ne va pas tarder à entrer résolument en lutte contre les promoteurs de ce terrorisme.

 

XXII

Dès le surlendemain, nous trouvons Maximilien aux prises, aux Jacobins, avec un de ces énergumènes dont il venait de dire : Ils aimeraient mieux user cent bonnets rouges que de faire une bonne action. Nos lecteurs n'ont peut-être pas tout à fait perdu le souvenir d'un individu du nom de Brichet. Un jour, il avait demandé que tous les adhérents des Bourbon fussent mis à mort par un seul jugement[145] ; un autre jour, on l'avait entendu s'écrier : Le fermier du lieu est-il riche ? Sur l'affirmative on peut le guillotiner[146]. Ces atroces paroles, on doit se les rappeler ; Robespierre indigné n'avait pas manqué dans le temps de relever vertement le citoyen Brichet.

Dans la séance du 19 pluviôse, cet énergumène monta à la tribune .pour rappeler à la société que tout récemment il lui avait proposé de présenter une pétition à la Convention, afin d'engager l'Assemblée à livrer au -tribunal révolutionnaire, dans la décade prochaine, tous les restes de la faction brissotine, c'est-à-dire les soixante-treize Girondins déjà plusieurs fois sauvés par Maximilien, et à chasser tous les crapauds du Marais. Il se plaignit que sa double proposition n'eût pas été discutée, car elle était d'une très-grande importance à ses yeux ; il la considérait comme étant de nature à donner à nos victoires la célérité de l'éclair ; en conséquence, il invita la société à charger des commissaires d'aller, dès le lendemain, porter à la barre de la Convention l'horrible pétition dont il était l'auteur.

Personne ne disait mot, quand Robespierre monta précipitamment les degrés de la tribune. Il venait combattre résolument, dit-il, une proposition extraordinairement populaire peut-être, révolutionnaire au dixième degré, mais extrêmement dangereuse par son exagération même. Il ne cacha pas le dégoût que lui inspiraient ces patriotes nouveaux qui, sous prétexte de défendre la liberté, la compromettaient sans cesse par des mesures outrées. Regrettant beaucoup de n'avoir pas vu, dans les moments critiques, Brichet donner ses soins aux patriotes opprimés, et s'étonnant de lui voir prendre un rôle tel qu'auprès de lui les meilleurs et les plus anciens défenseurs de la liberté pourraient paraître des Feuillants, il ajouta : Son opinion est très-belle ; il vous parle de punir les traîtres et de les envoyer en masse à la guillotine. Sans doute, poursuivait Robespierre, on pourrait applaudir au zèle du préopinant si la Convention gémissait sous l'oppression comme au temps de Brissot, ou si elle était composée de contre-révolutionnaires ; mais, depuis la chute de la faction girondine, le Marais ne s'était-il pas ligué franchement avec la Montagne pour prendre les rigoureuses mesures auxquelles était dû le salut de la patrie ? Oui, il y avait une faction nouvelle, comme le disait Brichet, ou monsieur Brichet, suivant l'expression dédaigneuse de Robespierre, c'était celle de quelques misérables qui recevaient de grosses sommes pour faire des motions insensées ; et les véritables traîtres étaient peut-être les auteurs de pareilles motions. Un renseignement fourni sur ce Brichet ne contribua pas peu à le perdre dans l'esprit de la société. Au dire de Maximilien, il aurait été autrefois un des affidés de la maison Polignac. Chose assurément bien remarquable, dans les rangs des fauteurs de la faction ultra-révolutionnaire figuraient avec d'anciens nobles une foule de serviteurs et d'intendants d'émigrés, qu'on pouvait à bon droit soupçonner de porter le peuple aux excès pour rendre la Révolution intolérable au pays. Ce n'étaient pas là les ennemis les moins dangereux de la République, et personne ne fut étonné d'entendre Robespierre réclamer l'exclusion de Brichet.

Ce dernier trouva un défenseur dans un individu nommé Saintex, lequel se plaignit du despotisme d'opinion exercé sur la société. Singulier despotisme, avons-nous dit déjà, que celui qui consiste à dominer une assemblée par la seule puissance de la raison et de l'éloquence. Tous les ennemis de la liberté, répliqua vivement Robespierre, parlent contre le despotisme d'opinion, parce qu'ils préfèrent le despotisme de la force. Pour lui, prêt à donner sa tête pour sauver son pays, il ne laisserait pas fléchir dans son cœur la ferme résolution d'appliquer tous ses soins à l'affermissement de la liberté. Il accusa Saintex d'être lui-même un intrigant et lui reprocha d'avoir appartenu à la faction brissotine. Or, aujourd'hui, cet ancien partisan de Miranda était une des colonnes de l'hébertisme ; tout récemment il était parvenu à faire arrêter que le Père Duchesne serait envoyé a toutes les sociétés patriotiques, comme une nourriture fortifiante et révolutionnaire. Patriotes de la plus dangereuse espèce, s'ils n'étaient des agents de l'aristocratie, Brichet et Saintex furent tous deux chassés de la société des Jacobins, et leur exclusion doit être considérée comme une victoire de Robespierre sur le terrorisme[147].

 

XXIII

Quand nous voyons, aujourd'hui encore, des écrivains soi-disant sérieux oser soutenir, sur la foi de Mémoires pleins de mensonges intéressés, que Robespierre fut l'apôtre du terrorisme et qu'il érigea la Terreur en système, nous nous demandons comment il est possible d'en imposer de si grossière façon à l'histoire et d'avoir si peu de souci de la vérité.

Quoi ! Robespierre érigea la Terreur en système, et jusqu'à la loi de prairial, sur laquelle d'ailleurs nous aurons à nous expliquer dans le livre suivant, il ne participa en rien, absolument en rien, à aucune des lois de la Terreur ! Bien mieux, il usa sa vie à combattre les excès de ce régime sanglant, décrété. par les circonstances, car, nous l'avons dit déjà, et d'autres l'ont dit avant nous, la Terreur ne fut, à proprement parler, de l'invention de personne. En germe dans presque toutes les lois de l'Assemblée législative, elle sortit tout armée des entrailles mêmes de la situation et fut imposée à la France... par la France elle-même. Or sont-ce les hypocrites qu'on a vus s'efforcer d'en rejeter la responsabilité sur les vaincus de Thermidor, sont-ce les Boissy d'Anglas, les Durand-Maillane. les Sieyès, qui ont pris, par trois. et quatre fois, la défense des débris de la Gironde et ont empêché les soixante-treize d'être menés en fête à l'échafaud ? Sont-ce eux qui se sont opposés à la proscription en masse des signataires des pétitions des huit mille et des vingt mille, et dont la voix intrépide s'est élevée avec tant de force contre les motions insensées de quelques forcenés ? On ne saurait donc trop protester contre les livres de parti pris où l'on se contente d'affirmer dogmatiquement et sans preuves, où, sous une forme plus ou moins séduisante, hommes et choses sont dénaturés à plaisir et présentés sous le jour le plus faux. Nous ne comprenons point, quant à nous4 qu'on avance un fait ayant quelque gravité sans apporter aussitôt à l'appui une preuve certaine et authentique.

Veut-on, par exemple, être parfaitement renseigné sur le système de Robespierre et sa volonté bien formelle de contenir la Terreur dans les bornes de la justice, de cette justice sévère, indispensable pour réprimer Les attentats avoués contre la République ? On n'a qu'à étudier sa conduite à l'égard des proconsuls envoyés dans les départements. Ce qui l'honore le plus, a écrit un historien qui l'a décrié sans pitié, c'est sa lutte contre les représentants en mission, et ce qui l'a perdu, a ajouté cet écrivain, c'est la guerre qu'il leur a faite[148]. Comment, en effet, un Carrier, un Rovère, comment un Fouché, dont l'atroce figure était moins atroce encore que l'âme, comment un Tallien, ce ventre tout à la gueule et aux filles, suivant l'expression triviale mais bien vraie de M. Michelet[149], comment enfin cette bande de coquins et d'intrigants qui forma le noyau du parti thermidorien, pouvaient-ils ne pas conspirer la mort de celui dont la parole les marquait comme un fer rouge ? Aussi les Thermidoriens ne le laisseront-ils pas juger, ils l'assassineront.

Carrier avait été envoyé en mission dans le département de la Loire-Inférieure par un arrêté du comité de Salut public en date du 29 septembre 1793. Plus tard, lors de l'envoi de commissaires extraordinaires dans les départements pour l'établissement du gouvernement révolutionnaire, il fut confirmé dans ses fonctions, et revêtu de pouvoirs illimités, conformément à un décret de la Convention nationale (9 nivôse). Par une coïncidence assez singulière, Robespierre ne parut au comité de Salut public ni le 29 septembre ni le 9 nivôse[150] ; les deux arrêtés concernant la nomination de Carrier ne portent donc point sa signature[151]. Carrier, il faut le reconnaître, se trouvait dans une des contrées où l'esprit de contre-révolution soufflait avec le plus de violence ; il avait à soutenir tout le choc de la Vendée, et les atrocités commises par les défenseurs du principe monarchique pourraient seules excuser jusqu'à un certain point les représailles dont il crut devoir user[152]. Mais ses noyades en masse, sœurs jumelles des fusillades de Fouché et de Collot-d’Herbois, ne sauraient en aucun cas se justifier, et l'on comprend que. la nouvelle de ces horribles exécutions ait soulevé le cœur de Maximilien, qui ne voulait ni que la liberté fût transformée en Bacchante, ni que la vengeance nationale s'exerçât indistinctement sur les véritables coupables et sur ceux qui n'étaient qu'égarés. Carrier d'ailleurs s'était bien gardé d'abord de présenter ces noyades comme la conséquence d'un plan prémédité ; il les avait attribuées à un simple accident. Lisez ces lignes curieuses : Un événement d'un autre genre — il venait de parler de l'abjuration de l'évêque de Nantes, Minée — semble avoir voulu diminuer le nombre des prêtres : quatre-vingt-dix de ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires étaient enfermés dans un bateau sur la Loire ; j'apprends à l'instant, et la nouvelle en est très-sûre, qu'ils ont tous péri dans la rivière[153]. Il n'osait pas avouer son forfait.

Ces lignes avaient été lues à la Convention dans la séance du 8 frimaire (28 novembre 1793). Or, depuis cette époque, les façons d'agir du farouche proconsul ne s'étaient pas adoucies, au contraire. Carrier était une espèce de Lamoignon de Basville. Il fallut, pour éveiller l'attention du comité de Salut public, qu'un jeune ami de Robespierre, nommé Jullien, arrivât sur les lieux. Ce jeune homme était le fils de Marc-Antoine Jullien, député de la Drôme à la Convention, et très-attaché à Maximilien, qui, charmé du patriotisme, des aptitudes et de la sagesse précoce du fils, le fit charger par le comité de Salut public d'une mission de confiance dans les départements du littoral de la Manche et de l'Océan. Cette mission de Jullien avait principalement pour objet de rendre compte de l'esprit public au comité, et de le renseigner sur la manière dont ses agents remplissaient leurs devoirs. Il existe une certaine quantité de lettres de Jullien à Robespierre ; elles témoignent toutes de la foi entière de ce jeune homme en son protecteur et de l'admiration profonde qu'il ressentait pour lui. On y reconnaît bien un disciple de Maximilien. Partout je prêche aux sociétés populaires le ralliement autour de la Convention, écrivait-il de Saint-Malo, le 1er octobre 1793. Partout je répète : Exécution stricte de tous les décrets, obéissance inviolable aux lois, confiance entière dans la représentation nationale. Je recommande un juste milieu entre cette désespération décourageante, indigne d'hommes libres qui ont juré de sauver la patrie, qui ne doivent jamais douter de son salut, et cette sécurité perfide, cette confiance léthargique, dont l'effet serait d'endormir le peuple qui doit toujours veiller au milieu des dangers publics[154]. Arrivé à Nantes, le jeune envoyé du comité de Salut public fut tout de suite scandalisé de la conduite de Carrier ; il se permit quelques remontrances qui furent fort mal accueillies, comme on le pense bien. Menacé par le commissaire de la Convention, il dut quitter précipitamment la ville afin d'échapper à sa vengeance[155].

Il se rendit à Lorient, où à la date du 13 nivôse (2 janvier 1794) il écrivit à Robespierre : Je t'envoie ainsi qu'à Barère les quatre pièces les plus importantes relatives à la conduite de Carrier, qui après avoir donné sa confiance à des hommes patriotiquement contre-révolutionnaires qui ont pillé, tué et brûlé, et que Tréhouart avait fait arrêter, les a déclarés inviolables. Une pareille conduite est révoltante. Les actes les plus tyranniques se commettent. J'ai reçu ta lettre, mon bon ami ; je continuerai de justifier la confiance des patriotes[156]... D'Angers, où il alla ensuite, Jullien mandait le -15 pluviôse à Robespierre : J'ai vu Nantes ; il faut sauver cette ville... Carrier, qui se fait dire malade et à la campagne lorsqu'il est bien portant et dans Nantes, vit loin des affaires, au sein des plaisirs, entouré de femmes et d'épauletiers flagorneurs qui lui forment un sérail et une cour... Carrier fait incarcérer les patriotes qui se plaignent avec raison de sa conduite. L'esprit public est étouffé, la liberté n'existe plus... Rappelez Carrier, envoyez à Nantes un représentant montagnard, ferme, laborieux et populaire. Et quand je t'écris, c'est comme si je pouvais converser avec toi. Il n'y a pas un instant à perdre. Il faut sauver Nantes, éteindre la Vendée, réprimer les élans despotiques de Carrier. Adieu, mon bon ami. Et le même jour il écrivait à son père : Au reçu de ma lettre, mon cher papa, vole, je t'en prie, chez Robespierre... Il faut rappeler Carrier qui tue la liberté... Qu'on n'attende pas un jour... Lis à Robespierre cette lettre, et lis aussi toi-même celle que je lui écris[157]... Le lendemain, il se trouvait à Tours, se rendant à La Rochelle ; nouvelle lettre à Robespierre : Je t'ai promis quelques détails, mon bon ami, sur Carrier et sur Nantes ; je ferai connaître au comité le mal que j'ai vu. Carrier est invisible pour les corps constitués, les membres du club et tous les patriotes. On sait qu'il est dans un sérail, entouré d'insolentes sultanes et d'épauletiers. Il a mis la terreur à l'ordre du jour contre les patriotes eux-mêmes. Il a payé par des places les bassesses de quelques courtisans, et il a rebuté les républicains, rejeté leurs avis, comprimé les élans du patriotisme. Il a, par un acte inouï, fermé pendant trois jours les séances d'une société montagnarde. On assure qu'il a fait prendre indistinctement, puis conduire dans des bateaux et submerger dans la Loire tous ceux qui remplissaient les prisons de Nantes. Il m'a dit à moi-même qu'on ne révolutionnait que par de semblables moyens, et il a traité d'imbécile Prieur (de la Marne) qui ne savait qu'enfermer les suspects. Ne perdons point de temps ; sauvons un port important, rendons une masse de citoyens nombreuse au bonheur et à la liberté[158].

A la lecture de cette lettre et des pièces probantes que lui avaient remises en mains propres un certains nombre de patriotes nantais envoyés par Jullien, Robespierre ressentit une indignation violente. Sans perdre de temps, il proposa au comité de Salut public le rappel de Carrier. La dernière lettre de Jullien était du 10 pluviôse (4 février 1794) ; elle avait dû arriver à Paris le 19 ; dès le 20 pluviôse, le comité de Salut public adressait à l'un de ses membres alors en mission dans les départements de l'Ouest, Prieur (de la Marne), une lettre où nous lisons : Rends toi à Nantes pour y établir le gouvernement révolutionnaire et pour surveiller les mouvements dont on menace encore dans la Vendée. Ces mouvements correspondent à Nantes, ville modérantisée et pleine d'aristocrates, marchands, feuillants et royalistes. C'est une ville à surveiller, à électriser, et non à accabler par une autorité sans mesure et par des formes violentes. Carrier a été peut-être mal entouré : les intrigants sont le fléau des représentants. Carrier a eu des formes dures ; il a employé des moyens qui ne font pas aimer l'autorité nationale. Nous écrivons dans le moment à Carrier, qui va partir pour une autre destination. (3)[159]. Et en effet, le même jour, on écrivait à Carrier le billet suivant, où sa disgrâce se trouvait dissimulée sous une forme qui pouvait jusqu'à un certain point en adoucir l'amertume : Citoyen représentant, tu as désiré être rappelé ; tes travaux multipliés dans une ville peu patriote et voisine de la Vendée méritent que tu te reposes quelques instants, et tous tes collègues te reverront avec plaisir dans le sein de la Convention nationale. Ta santé a été altérée par des occupations constantes. L'intention du comité est de te donner une autre mission, et il est nécessaire que tu viennes en conférer avec lui. Salut et fraternité[160]. Carrier obéit, mais il revint à Paris plein de ressentiment contre l'auteur de son rappel. Nous allons le voir prendre une part active à l'échauffourée hébertiste. Si, grâce sans doute à son ami Collot-d’Herbois, il échappa au sort de ceux que sa parole et son exemple avaient encouragés, il n'en garda pas moins à Robespierre une rancune profonde. Au 9 Thermidor nous le retrouverons au premier rang parmi les insulteurs du grand patriote abattu. Il était naturel que celui qui avait voulu substituer la justice à la Terreur aveugle et brutale eût pour adversaire acharné l'un des coryphées de la Terreur.

 

XXIV

Tandis qu'affichant les mœurs d'un satrape, Carrier semait la désolation autour de lui et semblait prendre à tâche d'inspirer à tous les partis l'horreur du régime républicain, deux autres Thermidoriens épouvantaient le Midi par des fureurs sans bornes et jetaient la consternation dans tous les cœurs. Qui n'a nommé Fréron et Barras ? ces deux natures foncièrement dépravées, hommes de plaisirs et de débauches, sans conscience et sans convictions, terrorisant aujourd'hui pour le compte de la Révolution, demain pour celui de l'aristocratie ; Fréron, le maître chéri et le héros de cette jeunesse dorée qu'il excitera à courir sus aux républicains ; Barras, le corrompu par excellence, dont le salon deviendra l'asile aimé et le centre de tout ce qu'il y avait de plus cynique et de plus impur.

Qu'après le départ de Robespierre jeune, la répression se soit montrée impitoyable à Toulon, cela se comprend encore. Cette ville avait commis un de ces crimes flétris à juste titre par tous les peuples de la terre[161]. Mais que Barras et Fréron aient eu l'idée de traiter Marseille comme ils avaient traité Toulon, cela ne se comprend pas, et ce fut cependant ce qui eut lieu. Marseille avait bien pactisé un moment avec l'insurrection girondine ; seulement l'élément patriote y était toujours resté puissant, et le girondin Rebecqui, qui y avait prêché la révolte, s'était de désespoir précipité dans la mer, quand il avait vu les royalistes s'emparer du mouvement pour le diriger contre la République. Marseille, d'ailleurs, n'avait pas tardé à rentrer dans le devoir ; et puis, n'avait-elle pas rendu d'immenses services à la cause de la Révolution ? Son nom n'était-il pas déjà glorieusement inscrit dans les fastes de la jeune République ? De tout cela Barras et Fréron n'eurent aucun souci, et ils n'hésitèrent pas à traiter la vieille cité phocéenne en ville conquise.

L'un et l'autre représentèrent l'hébertisme à Marseille, comme Javogue et Fouché à Lyon, comme Carrier à Nantes, comme Tallien à Bordeaux, comme Baudot dans l'Est. A l'heure où son ami Camille Desmoulins dénonçait au monde les orgies ultra-révolutionnaires, Fréron faisait la guerre aux dévotes et escaladait les clochers. Dès les premiers jours de brumaire, nous les voyons, Barras et lui, démanteler les églises[162]. Qui sait si les dépouilles des monuments consacrés au culte ne servirent pas à l'acquisition de Grosbois[163] ? Arrivés à Marseille, ces deux députés, interprétant dans un sens tout à fait exagéré un arrêté du comité de Salut public qui enjoignait aux représentants du peuple de punir sévèrement les chefs de la faction royaliste et fédéraliste et d'empêcher l'aristocratie d'usurper l'autorité nationale sous le voile des sociétés populaires[164], se conduisirent en vrais forcenés. Jaloux des exploits de Javogue et de Fouché à Lyon, ils mirent en réquisition des démolisseurs, et l'œuvre de destruction commença. Bientôt une idée triomphante surgit dans la cervelle de Fréron. Un décret de la Convention avait, comme on sait, débaptisé Lyon et Toulon : l'un était devenu Commune-Affranchie, l'autre Port de la Montagne. Pourquoi ne pas supprimer aussi le nom de Marseille ? Aussitôt pensé, aussitôt fait. Du reste Fréron et son digne collègue Barras ne se mirent pas en grands frais d'imagination : de leur propre autorité, Marseille, la cité patriotique, si souvent célébrée par Robespierre à cause de son amour pour la Révolution, fut appelée Sans-Nom, et désormais tous leurs arrêtés relatèrent cette bizarre et lugubre dénomination.

Heureusement pour Marseille, il y avait alors dans le département des Bouches-du-Rhône un représentant fidèle à la politique de Robespierre, et que révoltèrent les folies de ses collègues. Il se nommait Maignet. Une fois dans sa vie, ce député se crut obligé à une grande sévérité, et nous dirons en quelles circonstances. Les patriotes marseillais trouvèrent en lui un appui dévoué, un défenseur éloquent. Eux-mêmes du reste envoyèrent des députés à Paris pour y plaider leur cause. Admis aux Jacobins dans la séance du 8 pluviôse (6 février 1794), ces députés, par la bouche de Loys, racontèrent les maux sans nombre infligés à leur pays par d'aveugles missionnaires des vengeances nationales. Les lieux d'assemblée de section avaient été détruits, comme si les maisons où s'étaient tenues les réunions sectionnaires avaient été complices de la contrerévolution. Malgré le décret qui ordonnait la conservation des monuments des arts dans les villes rebelles, la maison commune de Marseille, superbe bâtiment digne de passer à la postérité, disait l'orateur, avait été renversé. Là se reconnaît bien la main de Fréron, de ce saltimbanque révolutionnaire qui au lendemain de Thermidor demanda que l'Hôtel de Ville de Paris, ce chef-d'œuvre de la Renaissance, fût rasé parce qu'il avait été souillé par la présence des tyrans. Robespierre répondit à Loys. Ne sachant au juste lui-même alors qui avait tort des réclamants ou des représentants dont la conduite excitait de si vives plaintes, il engagea la société à ne prendre parti ni pour les uns ni pour les autres avant d'avoir été complètement renseignée. Toutefois il promit justice aux Marseillais opprimés ; car, ajouta-t-il, si la Convention et le gouvernement étaient décidés à proscrire les têtes coupables, ils entendaient surtout rendre justice à l'innocence. Il termina en invitant les députés de Marseille à attendre avec confiance le résultat de la discussion et les éclaircissements que le comité de Salut public allait se procurer[165]. De son côté Maignet se faisait auprès du comité de Salut public l'interprète des doléances de la population marseillaise, et les lettres qu'il lui adressa témoignent bien de son esprit de sagesse et de modération. La situation de Marseille mérite de fixer toute votre attention, citoyens collègues, lisons-nous dans une de ses lettres. L'état de dégradation où l'on a réduit les patriotes de cette commune en les confondant avec les contre-révolutionnaires fournit aux malveillants un grand moyen de produire des mouvements qu'il importe d'arrêter... Il est urgent d'effacer enfin cette ligne de démarcation, que l'on n'a pas assez mûrie avant de la tirer, qui existe entre les patriotes de Marseille et ceux des autres communes de la République. Prononcez, citoyens, que Marseille conservera son nom, et vous rendrez la vie à tous les patriotes... Tant que vous laisserez cette commune sans nom, tant que vous annoncerez à la République entière qu'elle n'est pas même digne d'occuper une place dans la nomenclature républicaine, ne vous attendez qu'à voir le trouble et la confusion dans ses murs. Rendez-la à l'honneur et vous pouvez tout attendre de ce sentiment[166]...

Mais déjà le comité de Salut public s'était mis en devoir de réprimer l'excès de zèle de ses commissaires. Dans une lettre adressée à Barras et à Fréron, nous lisons ce passage bien caractéristique : Marseille appelle de votre part un grand exemple sans doute... mais il est peut-être des considérations que l'étude des mœurs, la science des localités commandent. Marseille conserve encore des patriotes qui portent avec orgueil un nom que l'histoire a souvent consacré par ses éloges ; plusieurs même aimeraient mieux périr que d'y renoncer. Que sa conservation soit le prix des républicains qui n'ont pas démenti leur antique gloire... C'est de notre part un trait de politique qui leur rappellera sans cesse des crimes à venger, mais en même temps un nom célèbre à maintenir dans tout son éclat. Pourquoi traiter Marseille comme Toulon, livré aux infâmes Anglais par un vœu unanime des habitants ?[167]... En résumé le comité invitait les représentants Barras et Fréron à modifier l'arrêté par lequel ils avaient privé Marseille de son nom, et il leur donnait parfaitement à entendre qu'on les verrait avec plaisir mettre fin à leur mission. Un peu plus tard, le 1er ventôse (19 février 1794), s'adressant à Maignet, il s'exprimait ainsi : Ce n'est qu'après avoir pesé dans sa sagesse ce qu'il devait à la justice et à la dignité nationale, citoyen collègue, que le comité de Salut public s'est déterminé à présenter à nos collègues Barras et Fréron les modifications que nécessite leur arrêté sur Marseille. Sans doute Marseille devait offrir un grand exemple... mais cet exemple devait être d'autant plus imposant qu'il devait en même temps présenter le caractère d'une impartiale justice. Si cette justice éternelle demandait vengeance pour la souveraineté nationale méconnue... elle réclamait aussi pour d'éclatans services rendus à la cause de la liberté... La Convention nationale a bien senti qu'autant que la justice peut-être, la politique exigeait de réformer une partie de l'arrêté du 17 nivôse. Le comité applaudit avec plaisir à la conduite que tu as tenue dans les circonstances où tu t'es trouvé placé ; elle lui a paru porter avec elle le caractère de sagesse qui ne doit jamais abandonner un représentant du peuple. Le comité de Salut public supposait que Barras et Fréron étaient déjà en route pour revenir ; en terminant, il priait Maignet de vouloir bien, dans le cas où il en serait autrement, leur communiquer simplement cette lettre[168]. Compromis par leurs exactions et leur odieuse conduite durant le cours de leur mission dans le Midi, Barras et Fréron durent naturellement, une fois de retour à Paris, se ranger avec les Carrier, les Fouché, les Tallien et autres, au nombre des plus violents ennemis de Robespierre. Plus tard, quand on verra les assassins de Thermidor, Fréron par exemple, après avoir injurié et calomnié leur victime sous toutes les formes, s'en prendre à Maignet, le dénoncer comme un complice de Maximilien, on n'aura point à s'étonner.

Et maintenant, à la conduite de ces missionnaires de destruction et de mort, Érostrates de la Révolution, opposons celle des amis et des confidents de Robespierre, celle surtout de son jeune frère Augustin, dont l'âme semblait une émanation de la sienne, et nous finirons par faire pénétrer dans tous les esprits impartiaux cette incontestable vérité, à savoir que Maximilien Robespierre fut, de tous les hommes de la Révolution, celui qui sut allier au plus haut degré, sans jamais rien concéder au parti réactionnaire, la modération et la sagesse à ce qu'il fallait d'énergie et de rigueur pour le triomphe de l'idée républicaine.

 

XXV

Nous avons raconté autre part les mémorables missions de Saint-Just et de Le Bas dans les départements du Rhin, de la Moselle et du Nord ; nous renvoyons de nouveau le lecteur au livre où nous les avons retracées[169]. Mais il importe de nous arrêter sur celles d'Augustin, missions dont nous avons déjà esquissé quelques traits.

Revenu à Paris après la prise de Toulon, c'est-à-dire au commencement de nivôse, Robespierre jeune en repartit au bout de quelques semaines et fut de nouveau envoyé dans le département des Alpes-Maritimes. Seulement il fut convenu qu'il se rendrait en passant dans les départements de la Haute-Saône, du Doubs et du Jura, afin de donner au comité de Salut public des renseignements certains sur la situation morale de ces pays, dont les habitants assaillaient la Convention de plaintes incessantes. Il y avait en effet dans le département de la Haute-Saône un représentant nommé Bernard (de Saintes) qui usait de procédés semblables à ceux de Carrier et de Fouché, aux noyades et aux mitraillades près, et qui faisait enfermer par centaines de malheureux paysans coupables d'avoir assisté à la messe ou entendu les vêpres. L'apparition de Robespierre jeune dans ce département fut saluée comme celle d'un messie, d'un sauveur : preuve bien éclatante que ce grand nom de Robespierre, loin d'être regardé comme synonyme de Terreur par les contemporains, — ainsi que l'a écrit récemment, avec une légèreté coupable et sur le témoignage intéressé du conventionnel Baudot, l'auteur d'un véritable pamphlet contre les vaincus de Thermidor[170], — signifiait sinon clémence, du moins justice, ce qui vaut mieux.

Aux premières dépêches de son envoyé de confiance, le comité de Salut public se hâta de l'investir des mêmes pouvoirs que les autres représentants déjà en mission dans les départements qu'il ne devait visiter qu'en courant pour ainsi dire[171]. Augustin alla d'abord à Vesoul, où il descendit chez un ancien procureur nommé Humbert, frère de cet Humbert dont Maximilien avait été le condisciple, et chez lequel il avait logé pendant près de deux ans, lors du transfèrement de l'Assemblée nationale à Paris. Humbert, de Vesoul, n'était pas, paraît-il, très-attaché aux principes de la Révolution ; mais son frère s'y était dévoué dès le premier jour ; aussi, par la protection de son ancien hôte sans doute, avait-il été pourvu d'une importante fonction au ministère des affaires étrangères.

Le soir même du jour de son arrivée Augustin Robespierre monta à la tribune de la société populaire ; il y prêcha les maximes républicaines les plus pures, et déclara que les départements étaient trompés en général sur la nature du gouvernement révolutionnaire, lequel n'avait pour objet que le bien de tous. Il parla même d'indulgence, de conciliation ; et, afin que ses paroles n'eussent pas l'air de vains mots, de promesses stériles, il élargissait le lendemain près de huit cents personnes détenues dans les prisons de la ville. Ce fut dans Vesoul une fête, une joie indicible. Tous les fronts se déridèrent, on parcourut les rues aux cris mille fois répétés de vive Robespierre ; des jeunes filles vêtues de blancs, des mères et des épouses consolées se rendirent, comme en procession, à la maison modeste où était logé le proconsul, et la décorèrent de rubans et de fleurs[172]. Un représentant honnête et patriote, mais un peu farouche, le député Duroy, qui se trouvait alors à Vesoul, ne put voir sans inquiétude la facilité avec laquelle Augustin ouvrait les prisons. Il écrivit même à ce sujet à Robespierre aîné : J'ai remarqué avec douleur que ton frère n'était plus le même. Je lui ai dit en particulier ma façon de penser. Je lui ai tenu le langage de l'amitié, de la franchise et du civisme. J'ai vu qu'il ne me comprenait pas. Je l'ai laissé à Vesoul, et me suis rendu dans le département de la Haute-Marne, parce que mes principes ne s'accordent pas avec ceux qu'il manifeste actuellement[173]... Maximilien, comme on pense, se garda bien de donner un démenti à son frère, lequel ne faisait que mettre en pratique les théories de son aîné sur la tolérance religieuse.

Nous avons sous les yeux une foule d'arrêtés de mise en liberté portant la signature d'Augustin ; ils dénotent tous l'esprit de justice et de bon sens de ce jeune homme. En voici quelques échantillons : Sur la plainte de Marie Poncelin, considérant que l'exposante, infirme, paraît n'être arrêtée que pour opinion religieuse, que cette opinion est isolée de la Révolution tant qu'elle ne trouble pas l'ordre public... arrête qu'elle sera mise en liberté. Mise en liberté de la citoyenne Delisle, mère de cinq enfants et sur le point d'accoucher, considérant, dit l'arrêté, que l'état où elle se trouve à des droits à l'humanité. Elle avait été arrêtée pour fréquentation de gens suspects et propos inciviques. Ici ce sont de pauvres paysans détenus pour avoir chargé des voitures de blé sans acquit-à-caution : en liberté ; là c'est un cultivateur incarcéré parce que son nom ne figure point sur le tableau civique de la commune : en liberté, considérant que les motifs de cette arrestation sont injustes et intolérants, que ce serait nuire à l'intérêt public que de ne pas rendre à l'agriculture un cultivateur. En liberté Charlotte Dard, de Faverney, parce qu'elle a pu être égarée en écoutant les personnes au service desquelles elle se trouvait. En liberté Martine Camus, femme du maire de Faverney, arrêtée pour propos inciviques, et la citoyenne Rivenat, détenue comme suspecte, sans motifs sérieux. Voici maintenant une fournée de plus de cent personnes appartenant à toutes les classes de la société. Les unes — moitié à peu près, — étaient définitivement mises en liberté, les autres, sur lesquelles planaient d'assez graves soupçons, se trouvaient simplement confinées dans leurs demeures, considérant, dit l'arrêté, que parmi les citoyens et citoyennes ci-après nommés... les uns n'ont été privés de la liberté que pour soupçon de faute légère ou pour opinions religieuses qui n'ont jamais troublé l'ordre public... que les autres sont ou des vieillards ou dans un état de maladie tel qu'en les mettant en réclusion dans leur domicile la sûreté publique est garantie et le but de la loi rempli... considérant que le gouvernement révolutionnaire n'est point oppressif, qu'il n'a pour objet que de contenir la malveillance, et nullement d'atteindre ceux qui n'ont eu aucune influence dangereuse[174]...

Nous pourrions multiplier ces citations à l'infini. Voici les citoyennes Coucy, mère et fille, détenues comme femme et fille de noble : en liberté, attendu qu'elles n'ont jamais fait paraître de sentiments anticiviques[175]. En liberté la femme Thévenot, femme du citoyen Planty, aide de camp du général Mequillet à l'armée du Rhin, attendu qu'il paraît injuste de retenir en arrestation une citoyenne dont le mari et le fils se sont consacrés à la défense de la République[176]. Puis c'est une foule de cultivateurs relâchés, attendu que ce serait nuire à l'intérêt public en ne les rendant pas aux travaux de la campagne[177]. Ceux-ci avaient été arrêtés pour opinion religieuse et parce qu'ils n'aimaient point les prêtres constitutionnels ; cette opinion, dit Robespierre jeune, doit être isolée de la Révolution ; ceux-là étaient détenus comme suspects sans indication de cause, et c'était, suivant Augustin, par trop de latitude donnée à la mesure* de sûreté générale prise par la Convention, et le plus souvent par suite de haines et de vengeances particulières[178]. Aux citoyens Cournet et Leclerc, incarcérés pour propos inciviques et dont le travail nourrissait leurs parents dans l'indigence, il donne pour prison. le territoire de la commune[179]. Partout où il passe il rend à la liberté, c'est-à-dire à la vie, des centaines de citoyens et de citoyennes détenus simplement pour opinions religieuses, tant l'hébertisme avait causé de ravages. Dans un de ses arrêtés sur cet objet, Augustin ne manque pas de noter que depuis la proclamation de la liberté des cultes, beaucoup de personnes attachées à la religion faisaient volontiers tous les sacrifices nécessaires au bien de la République[180].

Tel des arrêtés de Robespierre jeune est touchant jusqu'au sublime. Un jour il arrive dans une petite commune nommée Ménoux, du district de Gray. En reconnaissant un commissaire de la Convention à sa ceinture et à son panache tricolores, un petit enfant s'élance vers lui et s'écrie : Ah ! voilà que l'on vient nous rendre justice ! Touché de cette exclamation, Augustin s'informe : quatorze personnes de la commune ont été emmenées en prison à Vesoul. Aussitôt il réunit les habitants sur la place publique, se fait instruire des motifs de l'arrestation de leurs concitoyens, et, apprenant qu'elle n'avait d'autre cause que de simples opinions religieuses, il rend un arrêté par lequel, considérant que tel des détenus accusés de fanatisme a son fils qui combat les fanatiques dans la Vendée. ; qu'ils sont presque tous pères de famille et cultivateurs, faisant droit à l'exclamation d'un jeune enfant qui, apercevant le représentant du peuple, s'est écrié : Ah ! voilà que l'on vient nous rendre justice ! il ordonne la mise en liberté des détenus[181]. Qui donc aurait le droit de maudire la Révolution française si tous les proconsuls de la Convention avaient apporté dans leurs missions autant de sagesse, d'énergie et de modération que le frère de Robespierre ?

Une telle conduite était bien de nature à indigner un représentant de la trempe de Bernard (de Saintes), et une lutte ne pouvait manquer d'éclater entre lui et Augustin ; elle éclata. Tout frère de Robespierre qu'il était, Augustin n'était pas sûr de triompher ; il avait affaire à forte partie, car son frère comptait déjà plus d'un envieux dans le comité de Salut public, et Bernard se trouvait avoir pour lui la grande majorité des membres du comité de Sûreté générale. Suspect à des patriotes comme Duroy, dénoncé par Bernard, Augustin prit le parti d'adresser au comité de Salut public un précis de ses opérations. On lui avait surtout fait un crime d'avoir mis en liberté, à Vesoul, vingt-deux personnes arrêtées en vertu des ordres des députés Bernard et Bassal, pour n'avoir point paru approuver les journées des 31 mai et 2 juin ; seulement l'arrestation, basée sur des opinions erronées, mais démenties presque aussitôt, avait été le résultat d'une sollicitude mal entendue, au dire de Robespierre jeune, car elle avait jeté le pays dans une violente perturbation. A peine ces vingt-deux citoyens avaient-ils été élargis, que toutes difficultés avaient été aplanies et que tout le monde s'était montré disposé à exécuter avec enthousiasme les lois de la Convention. J'ai cru devoir, ajoutait Augustin, soutenir cette disposition par tous les actes de justice que la morale et la politique m'autorisaient à faire, savoir : de rendre la liberté à une multitude de cultivateurs et d'artisans dont les enfants sont aux frontières et qui étaient détenus pour leurs opinions religieuses. A Gray comme à Vesoul, j'ai rendu à l'agriculture tous les bras paralysés par des messes et des prêtres[182]. De Gray, Robespierre jeune se rendit à Besançon, où l'avaient précédé les calomnies de Bernard.

Transportons-nous avec lui dans la vieille église des Capucins, où se tenaient les séances de la société populaire de l'antique cité franc-comtoise. Le principal moyen de Bernard (de Saintes) pour décrier son collègue était le discrédit dans lequel était tombé l'ancien procureur Humbert à cause de ses opinions peu favorables à la Révolution. Il l'avait dépeint comme le protecteur des aristocrates, comme ayant l'intention d'obtenir de la Convention, par l'entremise de son frère, un décret pour opprimer les patriotes[183]. Le rédacteur d'un journal hébertiste du département du Doubs et un royaliste déguisé, resté en France pour mieux servir son parti sous le masque de la démagogie, propagèrent habilement ces calomnies. Ce royaliste, passé ultra-révolutionnaire après avoir siégé sur les bancs de la droite à l'Assemblée législative où l'avait envoyé le département de Seine-et-Marne, connu jadis sous le nom de comte de Vaublanc, était devenu le citoyen Viennot-Vaublanc, et il présidait la société populaire de Besançon. C'était bien là un de ces talons rouges plus voisins qu'on ne pensait des bonnets rouges, suivant la judicieuse remarque de Maximilien Robespierre[184].

Une prévention fâcheuse régnait donc contre Augustin quand il monta les degrés de la tribune, non loin de laquelle se tenait Bernard (de Saintes), immobile, mais bien reconnaissable aux rayons de feu qui sortaient de ses yeux enfoncés et qui lui donnaient quelque chose de la physionomie d'un oiseau de proie[185]. Robespierre jeune se contenta d'opposer sa conduite aux attaques dont il avait été l'objet ; la franchise de ses explications ne tarda pas à lui gagner tous les cœurs. Au reproche d'avoir favorisé l'aristocratie il répondit que, par une extension cruelle des lois, on avait multiplié à tort le nombre des suspects, et que c'était là une manœuvre de l'aristocratie, qui, à l'abri d'une fausse ferveur patriotique, cherchait à rendre la Révolution odieuse à l'univers. Il finit par conquérir complètement son auditoire, et lorsqu'il descendit de la tribune ce fut au milieu des applaudissements les plus sympathiques.

Ce n'était point là le compte du citoyen Viennot-Vaublanc, qui prit la parole après Augustin, et, sans réfuter aucune des parties de son discours, se borna à des généralités insignifiantes. Mais où il se montra d'une insigne perfidie, s'il n'obéit à ces vieilles habitudes d'hommes de cour, courtisans sous le bonnet rouge comme sous la livrée royaliste, ce fut quand, lui vantant la hauteur des destinées réservées à sa famille, il lui dit que la position élevée à laquelle il avait droit de prétendre lui faisait une nécessité de dédaigner toute inculpation. N'y avait-il pas beaucoup d'habileté dans ces paroles au moins étranges, et n'étaient-elles pas bien propres à renforcer l'accusation lancée contre Augustin par Bernard (de Saintes) ? Robespierre jeune y vit une perfidie, et il remonta précipitamment à la tribune pour répondre. L'indignation lui inspira un remarquable mouvement d'éloquence. Il déclara que sa destinée était remplie puisqu'il avait eu le bonheur de servir la cause de la liberté, et que dans la prophétie tombée de la bouche du précédent orateur il n'acceptait que l'augure de mourir pour sa patrie. Quant aux inculpations calomnieuses répandues contre lui, s'il avait pris la peine de les réfuter, c'était parce qu'il ne suffisait pas, selon lui, à un représentant du peuple d'être sans tache, il devait encore paraître tel[186]. Cette courte et fière réplique accrut encore l'enthousiasme de l'assemblée pour Robespierre jeune ; il sortit au milieu d'unanimes et bruyantes acclamations. Au lieu d'un échec, ses ennemis, sans s'en douter, lui avaient préparé un triomphe.

Augustin continua d'agir dans le département du Doubs comme il avait fait dans celui de la Haute-Saône, et il mit en liberté tous les détenus dont l'arrestation était due à de simples opinions religieuses, ou — ce qui arrivait trop souvent — à la malveillance et à des haines particulières. Malheureusement pour les habitants du Doubs, sa présence dans ce département fut de trop courte durée ; mais elle était nécessaire ailleurs. Quand il fut au moment de partir, la cour de l'auberge où se trouvait sa voiture se remplit de monde. C'étaient des femmes, des parents éplorés qui venaient l'accabler de réclamations en faveur des détenus. Dénoncé lui-même pour ses bienfaits, Augustin Robespierre ne voulut point quitter ces pauvres affligés sans leur laisser une parole d'espérance. Il leur promit de porter leurs plaintes à la Convention, et de dévoiler devant elle les injustes et horribles rigueurs de certains proconsuls. Je reviendrai ici avec le rameau d'or, ou je mourrai pour vous, leur dit-il, s'il faut en croire un témoin auriculaire[187]. Il mourra en effet avec son frère pour avoir voulu réprimer les atrocités commises par quelques scélérats que, par la plus sanglante des ironies, on appellera les sauveurs de la France. La voiture d'Augustin partit, suivie des cris de douleur de tous les opprimés, qui sentaient bien qu'ils perdaient en lui un appui et un sauveur[188].

En arrivant à Lyon, Robespierre jeune écrivit à son frère une lettre dont certains passages nous ont déjà servi pour peindre sa lutte contre Bernard, cet être petit et immoral, et dans laquelle nous lisons ces lignes si vraies et de tout point admirables : Rien n'est plus facile que de conserver une réputation révolutionnaire aux dépens de l'innocence. Les hommes médiocres trouvent dans ce moyen le voile qui couvre toutes leurs noirceurs ; mais l'homme probe sauve l'innocence aux dépens de sa réputation. Je n'ai amassé de réputation que pour faire le bien, et je veux la dépenser en défendant l'innocence. Ne crains point que je me laisse affaiblir par des considérations particulières ou par des sentiments étrangers au bien public. Le salut de mon pays, voilà mon guide ; la morale publique, voilà mon moyen. C'est cette morale que j'ai nourrie, échauffée et fait naître dans toutes les âmes. On crie sincèrement : Vive la Montagne ! dans les pays que j'ai parcourus. Sois sûr que j'ai fait adorer la Montagne, et qu'il est des contrées qui ne font encore que la craindre, qui ne la connaissent pas, et auxquelles il ne manque qu'un représentant digne de sa mission, qui élève le peuple au lieu de le démoraliser. Il existe un système d'amener le peuple à niveler tout ; si on n'y prend garde, tout se désorganisera[189]. Cette lettre ne fait-elle pas suffisamment comprendre ces mots adressés à Maximilien : Ton digne frère s'est immortalisé par sa 'générosité et sa clémence : tu sens tout le prix de ces vertus ?[190] Ne justifie-t-elle pas bien le prénom de Bon que portait Augustin Robespierre, et n'y reconnaît-on pas les sentiments maintes fois exprimés déjà par Maximilien à la tribune des Jacobins ou de la Convention ? Les deux frères avaient une pensée commune, et ils mourront de la même mort comme ils avaient vécu de la même vie.

 

XXVI

Quand Maximilien reçut la lettre de son frère, il était malade, et assez gravement. Déjà, vers la fin du' mois précédent, il avait été contraint de garder la chambre, épuisé par l'immensité de ses travaux. Du 16 au 26 pluviôse (4-14 février 1794), il n'avait point paru au comité de Salut public. Une ou deux fois seulement il s'était rendu au club des Jacobins, une fois notamment pour défendre contre les violentes attaques du citoyen Brichet les députés du centre, comme on l'a vu plus haut.

Il était venu une fois aussi à la Convention, tout juste à propos pour empêcher Amand Couëdic, ancien conseiller au parlement de Rennes, d'être livré au tribunal révolutionnaire. Descendant du célèbre Couëdic qui dans la guerre d'Amérique avait fait sauter une frégate plutôt que de la livrer aux Anglais, ce magistrat de l'ancien régime, que son esprit vraiment libéral avait dès l'origine de la Révolution rendu cher à Maximilien, s'était trouvé dénoncé à l'administration de police pour être allé à Londres en 1792, et il avait été renvoyé par un arrêté de cette administration devant le redoutable tribunal. Déjà, de longs mois auparavant, Robespierre avait parlé en sa faveur, on s'en souvient peut-être ; cette fois encore il lui servit d'avocat, et ce fut surtout grâce à lui qu'Amand Couëdic ne devint pas une victime de la loi contre les émigrés[191].

Du 27 au 30 pluviôse (15-18 février 1794) il reprit ses fonctions au comité de Salut public[192], mais le 1er ventôse (19 février) force lui fut de cesser tout travail, et il dut prendre le lit[193]. Quand un souverain tombe malade, une tristesse de commande s'épand dans le pays, des prières publiques sont ordonnées, les courtisans en foule vont inscrire leurs noms au palais du prince ; combien différente est l'émotion produite par la maladie d'un grand citoyen ! Là, tout est vrai, tout est spontané. Une émotion unanime se produisit dans la ville quand on sut la santé de Robespierre assez profondément altérée. Nombre de sections chargèrent des commissaires d'aller prendre de ses nouvelles. Ce fut une véritable procession a la maison Duplay[194]. Croit-on que si Robespierre avait été l'être acrimonieux, le dictateur sanglant qu'a tenté de nous peindre la légende, sa maladie lui eût attiré de la part de ses concitoyens tant de marques de bienveillance et d'intérêt ? Prenez n'importe quel Thermidorien, voire même quel Girondin, il pourra bien mourir sans que l'opinion s'en émeuve. Danton lui-même avait été très-dangereusement malade, on s'en était peu ou point soucié. Pourquoi donc au contraire tant d'inquiétude sur la santé de Robespierre, si ce n'est qu'aux yeux des masses il représentait bien la sagesse et l'idéal républicain ? Tes principes sont ceux de la nature, ton langage celui de l'humanité ; tu rends les hommes à leur dignité... Ton génie et ta sage politique sauvent la liberté ; tu apprends aux Français, par les vertus de ton cœur et l'empire de ta raison, à vaincre ou mourir pour la liberté... Ménage ta santé pour notre bonheur[195]. Tel était alors le sentiment public à l'égard de Robespierre. Rien de plus honorable pour sa mémoire que les alarmes causées par le dérangement de sa santé ; et si Couthon, qui tomba malade vers le même temps, souleva aussi les inquiétudes de ses concitoyens, ce fut surtout parce qu'aux yeux de tous il professait les principes et les sentiments de son ami[196].

La maladie de Robespierre dura en tout un grand mois. Du 1er au 23 ventôse (19 février, 13 mars 1794) on ne le vit ni au comité de Salut public, ni à la Convention, ni au club des Jacobins. Eh bien, la Terreur ralentit-elle un moment son action ? Au contraire : elle sembla redoubler d'activité en l'absence de Robespierre, et c'est une chose bien remarquable que son maximum de violence coïncida avec la maladie de Maximilien et son abandon volontaire de sa part de pouvoir, durant quatre décades avant sa mort. Ce qu'il y a de certain, c'est que sa retraite forcée parut une bonne fortune aux ultrarévolutionnaires, c'est que le mouvement hébertiste commença à Paris aussitôt qu'on le sut malade, c'est qu'enfin ce mouvement fut dirigé contre sa sage et habile politique, et, comme on le va voir, contre lui-même.

 

XXVII

Nous avons déjà eu l'occasion de nous élever énergiquement contre l'intolérance des tolérants, contre la rage des modérés. L'intolérance des tolérants, ce fut la politique ultra-révolutionnaire et hébertiste ; la rage des modérés, ce fut la politique contre-révolutionnaire, girondine et royaliste. En vain, pour ramener à la Révolution la masse encore nombreuse des personnes attachées à la religion catholique, Robespierre avait-il fait décréter la liberté absolue des cultes comme devant dominer la politique révolutionnaire[197] ; en vain le comité de Salut public avait-il interdit à l'Opéra une mascarade intitulée le Tombeau des imposteurs, œuvre inepte de Léonard Bourdon, afin, dit l'arrêté, de déconcerter les manœuvres des contre-révolutionnaires, pratiquées pour troubler la tranquillité publique en provoquant les querelles religieuses[198], la violente pression exercée sur les consciences par les prêtres de l'incrédulité, suspendue un moment à Paris, se poursuivait de plus belle dans les départements. Dans certains endroits, les commissaires de la Convention exigeaient des prêtres assermentés qu'ils signassent une formule de serment par laquelle ils déclaraient abdiquer leur ministère, reconnaître comme fausseté, illusion et imposture tout prétendu caractère et toutes fonctions de prêtrise, et juraient, en face des magistrats du peuple, de ne jamais se prévaloir des abus du métier sacerdotal auquel ils renonçaient[199]. En moins de trois décades, deux cent soixante-trois ecclésiastiques signèrent cette formule de serment dans les départements de l'Ain et du Mont-Blanc, de crainte d'être enfermés comme suspects[200]. Écoutons maintenant un ennemi prononcé de Robespierre et de Couthon ; tandis que Robespierre jeune mettait en liberté des milliers de citoyens, lui se félicitait d'en incarcérer le plus grand nombre possible : Quant à moi, je fais arrêter quantité de personnes, écrivait-il à son ami Collot-d'Herbois. Qu'il est consolant pour l'humanité de voir l'esprit philosophique faire des progrès rapides dans les chaumières et dans les campagnes. La commune de Saint-Albin a chassé son curé, fait de son église une société populaire, brisé les statues des charlatans de Rome. L'auteur de ces lignes était Javogues[201], à qui, en pleine séance de la Convention, Couthon reprocha d'avoir déployé dans ses missions la cruauté d'un Néron[202].

Était-ce là un bon moyen d'étouffer promptement les préjugés populaires et les superstitions religieuses, encore si vivaces à cette époque ? et l'esprit philosophique a-t-il quelque chose à voir dans ces persécutions d'un autre âge si fortement réprouvées par Robespierre ? Ne sait-on pas au contraire que l'exaltation religieuse grandit en face des supplices et tombe naturellement devant l'indifférence publique. Laissez faire au temps, ne se lassait pas de dire Maximilien, qui, en fait de religion, était d'une tolérance absolue et se contentait, pour sa part, de croire en Dieu et à l'immortalité de l'âme. Il apprenait avec un véritable désespoir les troubles occasionnés par les attentats contre les consciences, troubles qu'il eût été si facile et si sage d'éviter. Je t'envoie, mon cher collègue, lui écrivait Mallarmé, commissaire dans les départements de la Meuse et de la Moselle, copie d'une lettre écrite par l'agent national du district de Gondrecourt, relative au culte. Elle m'a été dénoncée par plusieurs communes, et tu verras sans doute combien cette lettre est ultra-révolutionnaire, combien elle tend à renverser la liberté du culte et à annuler les sages décrets de la Convention que tu as provoqués. Je te dirai qu'il ne faudrait pas beaucoup d'agents nationaux semblables pour que tous les départements soient en trouble[203]. Ce que Robespierre et le comité de Salut public, sous son inspiration évidente, tentèrent d'efforts pour conjurer le péril, pour faire entendre partout la voix de la raison, pour s'opposer enfin à ce débordement d'iniquités et d'exagérations auxquelles se laissaient aller des représentants quelquefois égarés, et dans tous les cas plus zélés que sages, est à peine croyable.

Nous avons, Dieu merci, produit jusqu'ici assez de pièces, de discours, de lettres émanant de Robespierre, pour que l'opinion soit bien fixée sur l'esprit de tolérance et de sagesse avec lequel il envisagea toujours la question religieuse. Toutefois citons encore, afin qu'à cet égard la lumière se fasse éclatante. A la date du 8 pluviôse (27 janvier 1794) le comité écrivait à Prost, représentant du peuple, en mission à Dôle dans le Jura, en l'invitant à revenir : Tu dois, avant de partir, rappeler aux magistrats, à la société populaire, leurs devoirs. Qu'ils se souviennent, qu'ils n'oublient jamais ce qu'ils doivent au peuple. Des scélérats prennent occasion du culte pour l'égarer ; que les magistrats publics frappent les imposteurs contre-révolutionnaires, mais qu'ils éclairent le peuple. Magistrats de son choix, ils ont sa confiance, cette tâche ne leur sera pas difficile. Qu'ils parlent le langage de la raison, jamais celui de la violence ; elle fait des martyrs, la raison seule fait des prosélytes ; elle attend son triomphe, mais ne précipite rien, ce serait l'éloigner. La tyrannie seule veut commander aux consciences ; la vertu, le patriotisme, les éclairent[204]. Au député Lefiot, qui, de Bourges, s'était plaint des superstitions religieuses où était plongée la commune d'Argent, le comité disait : Il est affligeant pour la philosophie d'avoir à gémir encore sur de pareilles absurdités. Toutefois, il est des préjugés contre lesquels la politique aujourd'hui commande quelque circonspection. Le superstitieux est semblable à l'homme plongé longtemps dans une nuit profonde : trop de clarté l'éblouit et ne l'éclairé pas. Un demi-jour d'abord lui est nécessaire, bientôt il soutiendra l'éclat du soleil[205]. Enfin, le comité de Salut public écrivait le 12 nivôse (1er janvier 1794) à Lequinio, qui, dans les départements de la Vendée, des Deux-Sèvres et de la Charente-Inférieure, avait rendu des arrêtés excessivement sévères contre les ministres du culte catholique : Par son décret du 18 frimaire, citoyen collègue, la Convention nationale interdit à toute autorité constituée des mesures coercitives contre la liberté des cultes. Ce décret porte, article 1er : Toutes violences et mesures contraires à la liberté des cultes sont défendues. Le comité de Salut public n'a pas reconnu le même esprit dans les dispositions que tu lui as communiquées. Tu aurais dû pressentir que moins que toute autre les opinions religieuses cèdent à la force. Ton expérience aurait dû te rappeler qu'en matière de culte la persécution ne tend qu'à donner au fanatisme une énergie plus terrible... Le Calvaire conduisit le Christ au Capitole. Les tyrans et les prêtres font cause commune ; c'est par le martyre qu'ils espèrent opérer la contre-révolution ; c'est en faisant fermer les temples qu'ils espèrent recruter les camps de la Vendée. La politique aujourd'hui doit marcher avec la force ; la raison purgera la terre des pieuses absurdités qui la dégradent encore. Faisons exécuter les lois ; frappons les traîtres qui voudraient les rendre vaines ; laissons aux âmes faibles, mais d'ailleurs paisibles, la liberté d'adorer l'Être suprême à leur manière, jusqu'au moment où l'instruction les aura rendues à la vérité. Si nous marchons avec prudence, le règne des prêtres est passé pour ne plus renaître ; celui de la liberté commence pour ne plus finir. Que la loi, que la République triomphante écrase ses ennemis intérieurs par la force de la raison ; le jour a lui, la philosophie est là, on fera justice du reste[206]. Personne, à coup sûr, ne saurait nier les sentiments de sagesse et de grandeur dont sont empreintes ces diverses lettres, où Maximilien Robespierre se révèle tout entier, on peut le dire, car son esprit y respire d'un bout à l'autre.

Les historiens superficiels n'ont point pris assez garde à ces efforts multipliés de Robespierre et du comité de Salut public pour maintenir la Révolution dans les limites du bon sens et de la justice. En vain Maximilien et ses collègues se résoudront-ils à frapper l'hébertisme à Paris afin de faire un exemple et de réprimer l'ardeur insensée des ultra-révolutionnaires, les persécutions religieuses n'en iront pas moins leur train dans les départements. Il faudra arriver jusqu'au jour où Robespierre, parvenu à l'apogée de son influence morale, obtiendra de la Convention nationale la proclamation de la reconnaissance de l'Être suprême et une nouvelle consécration de la liberté des cultes, pour que les consciences puissent se rassurer,, et les âmes respirer en paix, pour un moment du moins.

 

XXVIII

L'hébertisme a trouvé ses chantres, ses historiens et ses défenseurs. On a eu soin, il est vrai, de voiler d'un silence prudent son côté odieux et repoussant. Qu'il y ait, parmi les sombres numéros du Père Duchesne, de rares éclairs par ci, par là ; que de temps à autre, — bien rarement, — déposant, pour une minute, les grelots de sa folie sanglante, Hébert ait fait entendre au peuple le langage de la raison et du bon sens, je ne le conteste pas ; je l'ai moi-même reconnu. Toutefois je ne lui en sais pas beaucoup de gré, parce que c'était presque toujours lorsque, averti par quelque parole tombée de la bouche de Robespierre, de Danton, ou d'autres membres influents de la Convention, il sentait qu'il avait été trop loin. Dans ces moments-là, il écrivait : Bons citoyens, mettez toute votre confiance dans ceux qui ont détruit la tyrannie. Ne seraient-ils pas les premières victimes si la contre-révolution arrivait ? Souvenez-vous, au surplus, de ce mot de Robespierre, qu'il soit à jamais gravé dans votre mémoire : S'il était possible que le comité de Salut public trahît le peuple, je le dénoncerais. Vingt fois ce comité a sauvé la République, il la sauvera encore[207]. Mais bientôt on voyait reparaître le naturel, c'est-à-dire le parti pris de pousser la Révolution à tous les excès.

Nous avons, je pense, donné jusqu'ici assez d'échantillons de ces pages, écrites d'une plume trempée dans le sang et dans la boue, pour que nos lecteurs sachent à quoi s'en tenir sur le compte du journaliste qui a donné son nom à l'hébertisme, à cette secte délirante qu'une certaine école procédant de Proudhon ne craint pas de nous donner aujourd'hui comme ayant représenté l'idée parisienne. Ah ! pauvre Paris, est-il possible de te ravaler à ce point ! Quoi ! berceau sacré de la Révolution, éternel foyer de la liberté, ville de l'intelligence et du progrès, Rome des idées nouvelles, tu aurais soufflé l'inspiration à l'écrivain cynique à qui le mot clémence faisait, suivant l'expression de Camille Desmoulins, l'effet du fouet des Furies[208], et dont les souverains de l'Europe inséraient les pages dégoûtantes dans leurs gazettes, afin d'avilir la République et de faire croire à leurs sujets que la France était couverte des ténèbres de la barbarie[209] ? Non ; on ne saurait trop protester contre une allégation si erronée et si ridicule.

Si encore il était possible de croire à la bonne foi d'Hébert, si ses cris de fureur eussent été poussés dans le délire du patriotisme, si sa férocité feinte eût été le produit d'une conviction sauvage, passe encore ; mais il n'y avait rien de tel. Hébert était au fond, nous assure-t-on, le plus doux et le plus paisible des hommes. Je ne dirai pas, avec l'accusation, qu'il était soudoyé par Pitt ; seulement il battait monnaie avec ses pages sanguinaires ; c'était uniquement pour gagner de l'argent qu'il ne cessait d'écrire : Exterminons sans pitié ; qu'il ne croyait qu'à la vertu de la sainte guillotine ; qu'enfin, comme son confrère Rougyff, il insultait les victimes jusque sur l'échafaud. Pour chauffer mes fourneaux, on sent bien qu'il me faut de la braise, f..... ! écrivait-il cyniquement[210]. Subventionné, un peu imprudemment peut-être, par le ministre de la guerre, qui ne lisait guère son journal, il inondait de ses feuilles dissolvantes les armées, les sociétés populaires et les communes. Il était telle auberge où l'on en trouvait aux commodités quatre cents exemplaires non coupés[211]. Ne croyez pas au moins qu'Hébert tînt en dehors de son journal le langage ordurier qu'il y parlait au peuple. Oh ! non ; tant s'en faut ! C'était, nous disent ses panégyristes, un homme bien élevé, raffiné, aux mains fines et blanches, c'est-à-dire ne croyant pas un mot de ses grossières élucubrations, et estimant, comme la Macette de notre illustre Regnier,

Que l'argent a bon goût de quelque endroit qu'il vienne.

Et c'est là précisément ce qui me le rend odieux.

Ah ! je comprends Marat. Celui-ci vivait de la vie du peuple ; il avait souffert ses maux ; ce qu'il écrivait, il le pensait. Dans ses regrettables appels à la violence, il respectait encore ses lecteurs et ne trempait pas sa plume dans la fange. Il fait horreur peut-être, on ne peut le mépriser. Mais Hébert ! Quel cœur ne se soulève de dégoût à la lecture de ses horribles pages, qui semaient partout l'effroi, le désespoir, la consternation ! Quant à lui, qui se réjouissait sans doute d'être une terreur à lui tout seul, comme certain démocrate de notre temps[212], il se complaisait le soir, après avoir, la plume à la main, terrifié les gens tout le jour, à de fins soupers en agréable compagnie, chez le banquier hollandais de Kock, dont la maison de Passy était le centre de réunion de la plupart des meneurs hébertistes.

Toute la conscience du pays était donc à bon droit révoltée contre l'hébertisme ; c'était un murmure d'indignation générale. On a eu tort assurément de tuer quelques-uns des chefs de ce parti, parce qu'en frappant trop violemment les ultra-révolutionnaires, on courait risque d'affaiblir l'énergie du patriotisme ; mais comment ne pas comprendre jusqu'à un certain point l'exaspération des gens qui voulaient sérieusement fonder le régime républicain, quand on lit dans Burke, par exemple : La situation de la France est fort simple, on n'y trouve que deux espèces d'individus : des bourreaux et des victimes. Les premiers ont entre leurs mains toute l'autorité de l'État, la force armée, les revenus publics. Ils ont fait abjurer Dieu par les prêtres et par le peuple ; ils ont tâché d'extirper des cœurs et des esprits tous les principes de la morale, et tous les sentiments de la nature. Leur objet est d'en faire des sauvages féroces et incapables de supporter un système fondé sur l'ordre et la vertu[213]. On voit la tactique des étrangers pour déshonorer la Révolution : c'était d'attribuer au comité de Salut public, à la Convention, à la République tout entière, les folies d'un certain nombre d'énergumènes.

Robespierre n'était pas un modéré, tant s'en faut, comme allaient le lui reprocher les hébertistes, et il faut lui en savoir gré, car il n'y a pires terroristes que les modérés. Nous les avons vus à l'œuvre après le 9 Thermidor et depuis. C'était un homme d'ordre, parce qu'il savait que sans ordre il n'y a ni liberté ni sécurité possibles pour les citoyens ; parce que, à la différence des farceurs révolutionnaires qui faisaient de la Révolution une mascarade, et, selon son expression, transformaient la liberté en Bacchante, il voulait doter son pays d'institutions républicaines à l'abri desquelles tous les Français pussent vivre dans la concorde et dans la paix. Mais comment espérer fonder quelque chose de durable avec cette tyrannie de la rue imposée par Hébert ? Lorsque dans un pays en révolution, au lieu de s'adresser aux sentiments élevés et généreux, on fait appel aux passions mauvaises, qui bouillonnent à la surface comme une écume impure, il arrive infailliblement ceci, c'est que cette masse de citoyens incertaine et flottante dont se compose la majorité d'une nation, et qui se fût accommodée parfaitement du régime de la liberté, s'épouvante d'une licence effrénée, se lasse trop vite, et du despotisme de la boue se réfugie aveuglément dans le despotisme de la pourpre.

 

XXIX

On a eu tort de tuer les hébertistes, avons-nous dit. Il ne faudrait pas croire cependant qu'on se contenta de frapper en eux des opinions exagérées ; ce fut une véritable tentative d'insurrection qu'on eut à réprimer. Maltraité, à diverses reprises par Robespierre, d'abord pour avoir prêché l'intolérance antireligieuse, ensuite pour avoir insidieusement attaqué Danton, dont Maximilien s'était alors constitué le défenseur au sein du comité de Salut public comme à la tribune des Jacobins, Hébert s'était singulièrement radouci depuis quelque temps. Mais la mise en liberté de Vincent et de Ronsin, considérée par les exagérés comme une victoire importante, l'arrivée de Carrier, et surtout la maladie de Robespierre, rendirent au Père Duchesne toute son assurance et toute sa fureur. Il n'y aura point d'amnistie, et à votre tour vous jouerez à la main chaude, f..... ! avait écrit Hébert en s'adressant aux dantonistes[214]. Or, à cette heure, ce n'était plus seulement Desmoulins et Danton qu'on menaçait, c'était aussi Maximilien.

N'ayant pu entamer les Jacobins, où dominait la politique si ferme et si sage de Robespierre, les ultra-révolutionnaires, firent du club des Cordeliers leur quartier général. Dès le 24 pluviôse (12 février 1794), l'imprimeur Momoro, un des grands-prêtres du culte de la déesse Raison, avait vivement pris à partie Maximilien, parce que la veille Vincent avait été rejeté des Jacobins, malgré un rapport favorable du citoyen Delcloche, lequel s'était laissé influencer par Momoro[215]. Robespierre n'était pour rien dans cette affaire ; Momoro ne s'en prit pas moins à lui, ayant sans doute sur le cœur ses sorties indignées contre les fanatiques de l'irréligion. Sans le nommer, il le désigna assez clairement : Tous ces hommes usés en république, ces jambes cassées en révolution, nous traitent, d'exagérés parce que nous sommes patriotes et qu'ils ne veulent plus l'être[216]... Après lui, Vincent parla de démasquer des intrigants dont on sera étonné. Enfin Hébert encouragé frappa en même temps sur ceux qui réclamaient un comité de clémence et sur ceux qui, avides de pouvoir, mais toujours insatiables, avaient inventé et répétaient pompeusement dans de grands discours le mot d'ultra-révolutionnaire pour détruire les amis du peuple qui surveillaient leurs complots[217]. Tout cela aux applaudissements de l'assemblée. L'allusion était assez transparente, il n'y avait pas à s'y tromper. Les enragés préparaient un grand coup. Depuis la sortie du sieur Vincent, écrivait à Maximilien un juré au tribunal révolutionnaire, les Cordeliers sont menés par eux, et vous connaissez les propos qu'ils ont l'horreur de tenir, tant à votre sujet que sur les autres membres des Jacobins et les représentants du peuple[218]. La proposition fut faite, aux Cordeliers, de porter à cent mille hommes l'effectif de l'armée révolutionnaire[219], dont Ronsin était le chef, et sur laquelle les exagérés comptaient comme sur une force entièrement dévouée à leur cause.

Le comité de Salut public, averti des sourdes menées des ultrarévolutionnaires, résolut, avant de frapper l'hébertisme, de lui donner encore un avertissement. Le 8 ventôse (26 février 1794), Saint-Just, récemment arrivé de l'armée, monta à la tribune de la Convention nationale. Dans un discours d'une sombre énergie et d'une étonnante grandeur, où, conformément aux idées de Robespierre, il proposait de substituer à la Terreur, — cette arme à deux tranchants saisie par les uns pour venger le peuple, par les autres pour servir la tyrannie, — la justice qui pesait les crimes dans sa main avant de rendre ses arrêts, le jeune rapporteur du comité donnait îi entendre aux hébertistes que l'Assemblée et le gouvernement avaient les yeux fixés sur eux[220].

Les exagérés ne se trompèrent pas sur le sens des paroles de Saint-Just. Mais ils se croyaient forts, et ne voulant pas laisser à Robespierre le temps de se rétablir, — car c'était lui surtout dont ils redoutaient la vigilance et la perspicacité[221], — ils se décidèrent à brusquer les choses. Le 14 ventôse (4 mars 1794) la séance des Cordeliers fut ouverte avec une sorte d'appareil lugubre. On couvrit d'un crêpe noir le tableau de la Déclaration des droits de l'homme, et l'on décida qu'il resterait ainsi voilé jusqu'à ce que le peuple eût recouvré ses droits. Puis Vincent, après avoir inculpé Lulier, le procureur général syndic du département, et Dufourny, comme s'étant donné le mot pour établir un système de modérantisme, fit un amalgame de tous les adversaires de l'hébertisme et déclara la liberté perdue si l'on ne déployait toute la terreur qu'inspirait la guillotine aux ennemis du peuple. Carrier se leva alors, Carrier qui ne pouvait pardonner son rappel à Robespierre. On voudrait, dit-il, je le vois, je le sens, faire rétrograder la Révolution... Les monstres ! ils voudraient bien briser les échafauds ; mais, citoyens, ne l'oublions jamais, ceux-là ne veulent point de guillotine qui sentent qu'ils sont dignes de la guillotine. On avait proposé de fonder, sous le patronage du club, et sous le nom de l'Ami du peuple, un journal faisant suite à celui de Marat. Sans doute, ajoutait Carrier, l'idée était excellente ; mais cela ne suffisait pas. L'insurrection, une sainte insurrection ! voilà, s'écriait-il, ce que vous devez opposer aux scélérats. Et cet appel à la révolte contre la Convention nationale, contre le comité de Salut public, était accueilli par de frénétiques applaudissements.

Après Carrier parut Hébert. Le rédacteur du Père Duchesne renchérit encore sur les paroles du proconsul farouche qui avait mis Nantes au régime des noyades ; il s'emporta contre les sauveurs des complices de Brissot, c'est-à-dire des soixante-treize. C'était un coup direct à l'adresse de Robespierre, qu'il se garda d'ailleurs de nommer. Il avait honte, on le sent bien, de présenter comme un contre-révolutionnaire le citoyen qui depuis cinq ans n'avait pas cessé de se dévouer, corps et âme, à la Révolution ; et soit intimidation, soit crainte de commettre un blasphème, il n'osa laisser tomber de sa bouche ce grand nom si respecté alors. Seulement il procéda par insinuation : après avoir parlé contre les voleurs, il s'éleva contre les ambitieux qui depuis deux mois avaient fermé la bouche aux patriotes dans les sociétés populaires. Puis, comme enhardi par les encouragements de Momoro, de Vincent et de quelques autres, il désigna aussi clairement que possible Maximilien aux vengeances des exagérés. Pour vous montrer que ce Camille Desmoulins n'est pas seulement un être vendu à Pitt et à Cobourg, mais encore un instrument dans la main de ceux qui veulent le mouvoir uniquement pour s'en servir, rappelez-vous qu'il fut chassé, rayé par les patriotes, et qu'un homme, égaré sans doute... autrement je ne saurais comment le qualifier, se trouva là fort à propos pour le faire réintégrer, malgré la volonté du peuple, qui s'était bien exprimée sur ce traître. Ainsi l'on faisait un crime à Robespierre d'avoir couvert de sa protection l'auteur du Vieux Cordelier. Hébert termina sa harangue en répétant le cri de Carrier : L'insurrection ; oui, l'insurrection[222] ! Cette séance décida du sort des hébertistes.

Ils ne négligèrent rien cependant pour la réussite de la conspiration. Le 16 ventôse (6 mars) ils se rendirent au conseil général de la commune, et déclarèrent qu'ils resteraient debout jusqu'à l'extermination complète des ennemis du peuple[223] ; mais l'accueil des officiers municipaux ne répondit pas à leur attente, et l'indifférence de la population dut leur prouver combien peu le sentiment public était pour eux. Néanmoins ils ne renoncèrent pas à leurs noirs projets. Le plan qu'il s'agissait de mettre à exécution avait été conçu, s'il faut en croire un des témoins du procès d'Hébert, dans la prison même où avait été enfermés Vincent et Ronsin[224]. Dans le nombre des victimes marquées d'avance, Robespierre était confondu avec Bourdon (de l'Oise) et Fabre d'Églantine[225]. Ronsin le désignait hautement comme un traître ; il lui reprochait d'avoir donné tête baissée dans divers complots ; d'avoir, avant la Révolution, traité la France de républicomane, assurant qu'il en existait des preuves écrites suffisantes pour le faire guillotiner. Avant peu, prétendait-il, les prisons seraient ouvertes, mais non pour tous les prisonniers ; les uns devaient être élargis, les autres massacrés sans pitié[226]. Un des plus violents conjurés, Ancar, employé au magasin des poudres et salpêtres, allait partout disant de Robespierre que le patriotisme de ce représentant était bien usé[227] ; c'était le même qui, dans un café de la rue de Thionville, prétendait qu'avant trois semaines il y aurait plus de quatre-vingt mille têtes à bas[228].

Tous ces faits, empruntés à des dépositions de témoins à charge dans le procès des hébertistes, pourraient peut-être paraître suspects d'exagération, si nous n'avions pas sous les yeux une déclaration toute confidentielle, faite longtemps après coup, et qui y ajoute un singulier caractère d'authenticité. Nous avons parlé déjà du chirurgien Souberbielle, mort en 1846 à l'âge de quatre-vingt-dix ans, et qui, jusque dans les derniers temps de sa vie, à conservé la lucidité de son esprit et la plénitude de ses facultés. Il avait, nous l'avons dit, gardé pour Robespierre, dans l'intimité duquel il avait vécu, un enthousiasme sans bornes, un culte absolu. Sa mémoire était admirable ; il ne tarissait pas quand on le mettait sur le chapitre de la Révolution, et surtout lorsqu'il était question de celui qu'il vénérait comme un martyr. M. Louis Blanc et M. de Lamartine lui ont été redevables de renseignements précieux ; il en est un pourtant qu'ils ont négligé ou ignoré, et qui, pour l'affaire des hébertistes, est d'une extrême importance. Souberbielle était, comme on sait, juré au tribunal révolutionnaire, où il avait la réputation d'une très-grande rigidité. Un jour, pendant la maladie de Robespierre, en sortant d'une séance de la Convention, il fut accosté dans le jardin des Tuileries par Vincent et par Ronsin, qui le conduisirent dans un café de la rue de Richelieu, sous prétexte de lui faire une communication pressante. On monta à l'entresol, on demanda une bouteille de bière, puis Ronsin et Vincent dévoilèrent devant Souberbielle un vaste plan d'extermination des ennemis de la République. Il s'agissait d'abord d'organiser dans chacun des districts du pays une compagnie de l'armée révolutionnaire et de la munir de deux pièces de canon. Après quoi, l'on eût dressé de nouvelles listes de suspects, qu'on eût aussitôt renfermés dans les prisons des districts. Ensuite, à un jour fixé et sur un ordre secrètement donné par Ronsin, les compagnies révolutionnaires se fussent répandues dans les prisons et y eussent égorgé tous les détenus, sans distinction d'âge ou de sexe. Vincent et Ronsin prièrent Souberbielle d'appuyer de toute son influence l'idée qu'ils venaient de lui exposer, quand le moment serait venu de la mettre à exécution. Mais, quoique assez exalté lui-même, le docteur fut indigné à cette pensée d'une nouvelle Saint-Barthélemy, et son silence apprit sans doute à Vincent et à Ronsin combien peu il approuvait leurs sanguinaires machinations.

Le soir même il se rendit chez Robespierre, qui était mieux, et qu'il trouva levé. Il le mit en quelques mots au courant des ouvertures qu'on lui avait faites. Rien, paraît-il, ne saurait peindre l'indignation que cette confidence souleva dans le cœur de Maximilien. Dans les propositions de Vincent et de Ronsin il vit une des variantes des fureurs et des menées de la faction ultra-révolutionnaire contre la Convention nationale et le gouvernement de la République. En proie à une agitation extrême, furieux comme un lion déchaîné (ce sont les propres expressions de Souberbielle), il parcourait sa chambre dans tous les sens et laissait tomber de sa bouche ces paroles entrecoupées : Les révolutions ont des aspects horribles !... Toujours du sang !... N'en a-t-on pas assez répandu déjà !... Faut-il donc que la République se dévore elle-même !...[229] Quelques jours après cette conversation, les hébertistes étaient arrêtés.

 

XXX

L'impression produite par la séance du 14 aux Cordeliers avait été loin, comme nous l'avons dit, d'être favorable aux exagérés. Dès le 16 ventôse (6 mars 1794) Barère obtenait de la Convention un décret par lequel elle chargeait l'accusateur public près le tribunal révolutionnaire d'informer sans délai contre les auteurs de pamphlets manuscrits distribués depuis quelques jours dans les halles, et enjoignait au comité de Salut public de lui présenter incessamment un rapport sur les moyens de protéger le gouvernement et le peuple contre les intrigues des conspirateurs[230]. Le soir même, aux Jacobins, Collot-d’Herbois abandonna solennellement les ultrarévolutionnaires, et le juré Renaudin s'écria : Ils veulent des insurrections ! eh bien ! qu'ils se montrent, et nous verrons qui d'eux ou de nous triomphera[231]. Les meneurs, un peu interdits, essayèrent de se rétracter. Carrier prétendit que, dans sa pensée, il avait été simplement question d'une insurrection conditionnelle. Le lendemain, aux Cordeliers, Hébert tenta d'expliquer son appel à la révolte, en disant que, par insurrection, il avait entendu une union plus intime des vrais montagnards de la Convention avec les Jacobins et les patriotes, pour obtenir justice de tous les traîtres impunis[232]. Mais il était trop tard.

Le 23 ventôse (13 mars 1794) Saint-Just montait à la tribune de la Convention, et y prononçait son rapport sur la conjuration ourdie par les factions de l'étranger afin de détruire le gouvernement républicain par la corruption. On connaît les conclusions de ce rapport célèbre[233]. Était puni de mort quiconque se rendait coupable de résistance au gouvernement révolutionnaire, dont 'la Convention nationale était le centre, et tentait de l'avilir, de le détruire ou de l'entraver par quelque moyen que ce fût. Des mesures sont déjà prises pour s'assurer des coupables, avait dit Saint-Just ; ils sont cernés. En effet, dans la nuit qui suivit la séance de la Convention, les principaux chefs du parti hébertiste, Vincent, Ronsin, Momoro, Hébert, Ducroquet, étaient arrêtés et conduits à la Conciergerie.

Robespierre avait-il rendu compte de sa conversation avec Souberbielle à ceux de ses collègues qui venaient le voir pour s'informer de sa santé et causer avec lui des affaires publiques ? A l'égard de Saint-Just, cela n'est pas douteux : nombre de passages du discours de son jeune et dévoué ami attestent cette confidence : Il est temps de faire la guerre à la corruption effrénée. On commet des atrocités pour en accuser le peuple et la Révolution. Billaud-Varenne, récemment de retour d'une mission dans le Nord et dans le Pas-de-Calais, avait dû être également instruit par lui, car, le jour même de l'arrestation des hébertistes, il disait aux Jacobins : Ces hommes atroces méditaient de faire égorger les patriotes ; une partie de' l'armée révolutionnaire était consignée à cet effet[234]. Il n'y a donc aucun doute à conserver sur les projets de la faction hébertiste.

Cependant, ce jour-là 24 ventôse (14 mars 1794), Robespierre, après une absence de près d'un mois, avait reparu au milieu de la Convention nationale et repris ses fonctions de membre du comité de Salut public. Il était là quand une députation de la section Bonne-Nouvelle vint demander à l'Assemblée de sévir contre l'aristocratie mercantile et d'exclure par un décret tous les marchands des fonctions publiques. C'était ridicule. Robespierre étouffa cette pétition en appelant l'attention de ses collègues sur la conjuration nouvellement découverte. Que tous les bons citoyens, que tous ceux qui portent dans leurs cœurs le germe du patriotisme, s'écria-t-il, prouvent qu'ils aiment la liberté en se réunissant à nous pour la sauver. — Oui, oui, répéta-t-on de toutes parts au milieu des plus vifs applaudissements, nous serons unis, nous sauverons le peuple. — Toutes les factions, reprit Robespierre, doivent périr du même coup. Ici de nouvelles acclamations retentirent. Mais, comme s'il eût craint d'avoir été mal compris, Maximilien ajouta que les ennemis des factions ne pouvaient être reconnus qu'à la sagesse de leurs conseils, et à la justesse des mesures nécessaires à la répression des conspirateurs et des traîtres. Il dépeignit alors l'horrible conjuration que le comité de Salut public, averti à temps, venait d'étouffer au moment où elle allait faire explosion. On avait recruté dans Paris une armée d'émigrés, de déserteurs et d'étrangers pour pousser le peuple à la révolte et égorger une partie des députés. L'immixtion de l'étranger dans toutes ces manœuvres séditieuses résultait pour lui de ce que longtemps à l'avance on avait annoncé dans les cours étrangères le moment marqué pour l'exécution des projets de Vincent, de Ronsin et de leurs complices. On avait en effet intercepté des lettres, dont l'une, adressée à certaine Excellence, contenait l'exposé de la trame ourdie pour renverser la Convention et bouleverser la République au profit de quelques ambitieux. Preuve, comme l'avait fort bien dit Saint-Just, que, si la conjuration comprenait des patriotes de bonne foi, mais égarés, elle comptait aussi des scélérats vendus à l'étranger et à l'émigration. Robespierre termina en adjurant de nouveau les bons citoyens de se joindre à la représentation nationale pour sauver la patrie, et de combattre énergiquement dans leurs sections les orateurs mercenaires, les agents de l'étranger, qui ne manqueraient pas d'y semer des divisions[235].

Certains écrivains ont agréablement plaisanté la Convention nationale et le comité de Salut public sur ces fameuses conspirations de l'étranger. Eh bien ! qu'on lise les Mémoires et la correspondance de Mallet-Dupan, publiés il n'y a pas très-longtemps, et l'on verra, par les aveux suffisamment explicites de cet intrigant, dénoncé par Barère dans cette même séance du 24 ventôse pour ses manœuvres criminelles, si la Convention et le comité avaient tellement tort d'attribuer à des suggestions étrangères les innombrables intrigues auxquelles fut en proie la République française. Ainsi l'on savait par une lettre de l'agent de France en Suisse que les émigrés annonçaient hautement qu'avant un mois il y aurait un massacre à Paris et que la Convention serait dissoute[236]. On était également instruit à l'étranger des efforts tentés pour perdre dans l'esprit des patriotes ce Robespierre dont la popularité paraissait aux ultrarévolutionnaires le plus formidable obstacle au succès de leur entreprise. On ne peut plus se faire illusion ; il y a deux partis dont les efforts tendent à déchirer la France, lisait-on dans l'une des lettres auxquelles Maximilien avait fait allusion tout à l'heure. Le comité de Salut public veut conserver son autorité ; il jouit d'une grande confiance ; les Jacobins, guidés par Robespierre, l'entourent et le soutiennent ; il s'applique a faire marcher régulièrement le gouvernement révolutionnaire par l'affermissement des lois et de la morale. D'un autre côté viennent Hébert et Vincent... ces deux hommes ne sont que des prête-noms... Et dans l'autre : Les deux partis dont je vous ai parlé se forment, se mesurent ; bientôt ils seront aux prises. On tente de dépopulariser Robespierre ; de tous les hommes, c'est celui dont la réputation est la plus difficile à détruire. Voilà, disait Couthon, rétabli lui aussi depuis peu, des lettres écrites à des étrangers par des étrangers jouant ici le patriotisme ; l'espèce d'estime dont ils semblaient environner un patriote aimé de tous, ajoutait-il, n'empêchait pas qu'on ne devinât leurs secrets desseins[237]. Les émigrés, les royalistes conspirant à l'intérieur, les puissances coalisées, regardaient non sans raison Robespierre comme la pierre angulaire de la Révolution ; nous raconterons bientôt tous leurs efforts pour semer à leur tour le soupçon contre lui dans le cœur de tous les patriotes. Or, on se demande comment les paroles de Couthon n'ont pas été un avertissement suffisant aux quelques démocrates assez aveugles pour se mêler à la troupe des détracteurs du grand démocrate. Si l'on attachait tant de prix à dépopulariser Robespierre, c'est qu'on savait bien qu'il était une des plus solides colonnes de la République, et que, cette colonne brisée, on aurait facilement raison de la Révolution. Hélas ! on ne s'en apercevra que trop après Thermidor.

 

XXXI

La défaite des hébertistes causa à la faction dite des indulgents, comme aux contre-révolutionnaires, une joie infinie. Depuis longtemps, lisons-nous dans un journal dévoué à Danton, ces êtres avilis préparaient la chute de la République par l'avilissement qu'ils cherchaient à jeter sur le peuple et sur ses représentants. Ils avaient senti que le patriotisme ne serait plus qu'un mot du moment où ils pourraient traiter Robespierre de modéré et être applaudis. Ils risquèrent enfin l'épithète, et furent démasqués par le peuple, qui connaît ses vrais amis[238]. Cette flatterie à l'adresse de Maximilien ne produisit pas l'effet attendu sans doute. Robespierre comprit bien tout de suite le but et la tactique de ceux qui virent dans la chute des exagérés, non une victoire du bon sens, un triomphe pour la République, mais la satisfaction de leurs rancunes et de leurs haines. Il va s'attacher à suivre, sans s'écarter d'un pas, la route tracée par la raison entre les deux écueils si souvent signalés par lui, l'écueil de l'exagération et celui du modérantisme. Les fauteurs de ce dernier parti, comme s'ils se fussent donné le mot avec les partisans de la contre-révolution, tentèrent d'envelopper dans la ruine de l'hébertisme les fonctionnaires publics qui leur déplaisaient, les autorités constituées qui n'étaient point à leur dévotion, et quelques patriotes, trop ardents, peut-être, mais d'un patriotisme à toute épreuve. Seulement là, ils rencontrèrent Maximilien, et vinrent se briser contre lui.

Le soir même du 24 ventôse (14 mars 1794), aux Jacobins, il prenait la défense de Boulanger, à qui tout récemment déjà il avait prêté l'appui de sa parole. Boulanger était ce citoyen qui, aux Cordeliers, s'était écrié en s'adressant à Hébert : Parle, Père Duchesne, nous serons, nous, les Père Duchesne qui frapperont. Vivement interpellé à cause de cette phrase compromettante, il avait balbutié une assez faible justification, quand Robespierre prit la parole pour faire sentir le danger qu'il y avait à incriminer certaines expressions dont on forçait le sens à dessein, et à accoler de véritables patriotes à des intrigants et à des traîtres. Quand un homme se montre partisan de la sédition, dit-il, je ne balance pas à le condamner ; mais quand un homme a toujours agi avec courage et désintéressement, j'exige des preuves convaincantes pour croire qu'il est un traître. Or, depuis le commencement de la Révolution, Boulanger avait constamment tenu le langage et la conduite d'un citoyen passionné pour la liberté ; par tous ses actes il avait prouvé son désir de la voir triompher. Le plus grand de tous les dangers, ajoutait Robespierre, serait d'impliquer les patriotes dans la cause des conspirateurs. Ici, trahi par ses forces, il dut renoncer à la parole ; mais Boulanger était sauvé !... du moins jusqu'en Thermidor[239].

Un autre patriote, le général Hanriot, commandant de la garde nationale parisienne, fut arraché aussi à la rage des modérés par Robespierre, à la charge de qui ce fait n'a pas manqué d'être relevé par les Thermidoriens. Encore un dont tous les actes ont été dénaturés, dont le rôle a été odieusement travesti, dont l'histoire en un mot a été écrite par des vainqueurs sans conscience et sans foi. Tous les partis l'ont également sacrifié, les uns par passion, les autres par légèreté. J'en éprouve pour lui une pitié d'autant plus forte, un intérêt d'autant plus vif. Je ne puis admettre qu'on abandonne aussi facilement un citoyen dont le dévouement à la Révolution a été absolu, et qui a versé son sang pour la plus honorable des causes. Celui qui sut mériter l'estime de Robespierre n'était pas un citoyen sans valeur, et surtout sans honnêteté. Non, Hanriot n'est pas l'homme de la légende, l'homme que les écrivains de la réaction, peu soucieux de la vérité, ont représenté gesticulant et caracolant, le sabre à la main, autour des charrettes lugubres emportant les condamnés vers l'échafaud. Je citerai de lui des traits qui dénotent un véritable ami de l'humanité. Durant le rude hiver de 1794, où l'ordre fut si difficile à maintenir dans les rues de Paris, sa conduite fut admirable, tout à fait conforme à ces paroles qu'il prononça un jour au sein du conseil général de la commune : Je déploie rarement la force, parce que je sais que ce n'est pas avec les armes meurtrières que l'on doit traiter des républicains, mais bien avec celles de la raison et de la justice[240]. Le jour de la justice doit luire pour tout le monde, et nous ferons connaître aussi quel fut ce martyr de la calomnie.

On lit dans les Mémoires de Lucien Bonaparte que la place de Hanriot fut offerte à Napoléon. Par qui ? Par Robespierre sans nul doute, d'après la narration du très-peu véridique écrivain qui occupa le siège de la présidence du Corps législatif à l'époque du 18 brumaire. Lucien habitait alors avec sa famille une petite campagne dans le Midi, non loin du corps d'armée où Napoléon servait comme général d'artillerie. Un jour que ce dernier s'était rendu au milieu des siens, il leur confia la soi-disant proposition qu'on lui avait faite. Je dois donner ma réponse ce soir ; Robespierre jeune est honnête, mais son frère ne badine pas. Il faudrait le servir. Je sais combien je lui serais utile en remplaçant son imbécile commandant de Paris ; mais c'est ce que je ne veux pas ; il n'est pas temps[241]. Tel est le récit de Lucien Bonaparte. C'est là, on le sent bien une scène arrangée après coup. Est-il vrai, comme le prétend Lucien, qu'Augustin Robespierre ait sollicité vainement le jeune officier ? Je ne le crois en aucune espèce de façon. A cette époque d'ailleurs c'était Napoléon qui sollicitait ; et il était loin, bien loin d'avoir encore l'importance que la plupart de ses biographes lui ont prêtée. Qu'après la prise de Toulon, il ait dû à la protection d'Augustin, — avec lequel il s'était lié assez étroitement comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, d'être nommé chef de brigade d'artillerie, cela est très-probable. Il n'est pas douteux non plus que Robespierre jeune n'ait conçu de lui l'opinion la plus avantageuse, témoin la lettre, curieuse à plus d'un titre, qu'il écrivait à son frère à la date du 16 germinal (5 avril 1794), lettre inédite dont nous extrayons le passage suivant : J'ajoute aux nom des patriotes que je t'ai nommés le citoyen Galmiche juge à Vesoul, homme probe et de talent, le citoyen Morin, accusateur public du tribunal militaire, le citoyen Buonaparte, général chef de l'artillerie, d'un mérite transcendant. Ce dernier est Corse, il ne m'offre que la garantie d'un homme de cette nation qui a résisté aux caresses de Paoli, dont les propriétés ont été ravagées par le traître[242]... Si Augustin avait la plus haute idée des talents du jeune Bonaparte, sa confiance en lui, on le voit, n'était pas exempte de réserve ; et je doute fort, d'après les termes mêmes de cette lettre toute confidentielle, qu'il ait jamais songé à lui pour une position aussi délicate et aussi importante alors que celle de commandant en chef de la garde nationale parisienne. Si l'offre avait été faite, comment n'en aurait-il pas été question dans cette lettre, et comment surtout Napoléon n'en aurait-il pas dit un mot dans ses confidences de Sainte-Hélène ? Et d'ailleurs Bonaparte, ambitieux comme il l'était, aurait-il refusé des mains du comité de Salut public, ou de Robespierre dont aucun nuage encore ne voilait la popularité, une place qu'il ne dédaigna pas d'accepter plus tard des mains de Barras ? Cela n'est pas croyable. Ajoutons qu'il semblait si attaché aux Robespierre qu'il fut destitué après Thermidor à cause de cet attachement même et de l'intérêt qu'avaient paru lui porter les deux frères[243]. Nous avons dû prémunir le lecteur contre une de ces mille historiettes à l'aide desquelles on est parvenu à fausser l'opinion publique. L'histoire ne se doit point faire à. coup d'anecdotes plus ou moins hasardées. Si en effet le comité de Salut public avait eu l'intention bien arrêtée d'ôter au général Hanriot le commandement de l'armée parisienne, il aurait, sans aucun doute, songé, pour le remplacer, à quelque nom plus retentissant alors que celui de Bonaparte, et n'eût point confié le salut de la République à l'homme qui plus tard devait la tuer de ses mains.

 

XXXII

Peu s'en fallut que la commune de Paris tout entière ne fût enveloppée elle-même dans le désastre des hébertistes, tant les modérés étaient ménagers de sang ! Dans la séance de la Convention du 28 ventôse (18 mars 1794), un des dogues du parti, Bourdon (de l'Oise), se jeta avec rage sur la municipalité parisienne. Quel était son crime ? Elle n'avait pas mis assez d'empressement à venir féliciter l'Assemblée de sa victoire. Et, à la demande de Bourdon, la Convention chargea ses comités de Salut public et de Sûreté générale de procéder dans le plus court délai à l'examen de la conduite et à l'épuration des autorités constituées de Paris[244]. Dès la veille cependant le comité de Salut public avait nommé comme second substitut de l'agent national le citoyen Legrand, en remplacement d'Hébert, et Vincent Cellier agent national en place de Chaumette, arrêté comme soupçonné de complicité dans l'affaire de son substitut[245]. Mais cette première épuration ne suffisait pas à Bourdon (de l'Oise). Quand le lendemain une députation de la commune se présenta à la barre, ayant Pache à sa tête, il s'opposa violemment à son admission, prétextant qu'au milieu des mesures terribles prises pour déjouer les complots et écraser les conspirateurs, l'Assemblée manquerait son coup si elle recevait la municipalité. Ces paroles furent accueillies par de sourds murmures, la commune fut admise, et l'officier municipal Lubin, une des futures victimes de Thermidor, lut, en son nom, une adresse de félicitations. Le président — c'était le vieux Rühl — se plaignit, dans sa réponse, du peu d'empressement de la municipalité, et en terminant il exprima le vœu de voir la commune de Paris, qui avait eu si longtemps à sa tête les Bailly, les Pétion et les Manuel, ne renfermer plus désormais dans Son sein que des Publicolas et des Brutus. A quoi le maire répondit, au nom de ses collègues, en jurant, au milieu des applaudissements, qu'ils seraient tous de dignes imitateurs de Brutus et de Publicola.

Tout paraissait terminé, quand certains membres réclamèrent l'insertion de la réponse du président au Bulletin. Danton, dont le rôle était bien effacé depuis quelque temps, se leva pour protester. Fallait-il frapper d'une réprobation collective l'administration municipale parce que quelques-uns de ses membres pouvaient être coupables, et infliger à la commune la douleur de croire qu'elle avait été censurée avec aigreur ? Tel n'était point l'avis de Danton. Mais le président se méprit sur le sens des paroles de son collègue, et, se levant de son siège : Je vais répondre à la tribune ; viens mon cher collègue, occupe toi-même le fauteuil. Alors Danton : Tu l'occupes dignement. Ma pensée est pure, si mes expressions l'ont mal rendue. Vois en moi un frère qui a exprimé librement son opinion. A ces mots Rühl descendit du fauteuil et se jeta tout ému dans les bras de son collègue. Cette scène d'effusion excita dans l'Assemblée le plus vif enthousiasme[246]. Ce fut le dernier éclair de la popularité de Danton. Également lié avec ce dernier et avec Robespierre, qui déjà l'avait défendu de sa parole contre une accusation de Chabot, et qui vraisemblablement le couvrit encore de sa protection en cette circonstance, Pache échappa aux fureurs de Bourdon. S'il fut arrêté en floréal, on garda du moins pour lui de grands ménagements, et quand, après Thermidor, la persécution s'étendra sur lui, ce sera surtout l'amitié de Robespierre qu'il expiera.

L'attitude équivoque de Danton vers cette époque donna sans doute beaucoup à penser à Maximilien. Il n'agissait guère, parlait peu, faisait le mort en quelque sorte ; mais ses amis, les Lacroix, les Delmas, les Tallien, les Merlin (de Thionville), auxquels il faut joindre les Bourdon (de l'Oise), les Maribon-Montaut, etc., ne cessaient de harceler le pouvoir exécutif et le comité de Salut public. Lui, pensait-on, restait dans la coulisse, attendant le moment favorable pour frapper à son tour, et profiter peut-être, dans un intérêt personnel, d'une déroute du ministère. Si parfois :il apparaissait sur la scène, c'était pour appuyer quelque proposition insidieuse, comme dans la séance du 29 ventôse (19 mars 1794), où Bourdon (de l'Oise) s'étant encore livré à une attaque furieuse contre Bouchotte, il soutint indirectement l'accusation, tout en faisant appel à l'union, à la vigilance, et en s'écriant encore de sa forte voix qu'il fallait que la liberté bouillonnât jusqu'à ce que l'écume fût sortie. Et quel était cette fois le reproche adressé par les Bourdon, les Merlin et autres au ministre de la guerre ? D'avoir fait venir à Meaux, à Paris, à Saint-Germain-en-Laye et dans les environs un grand nombre de prisonniers autrichiens. Ces prisonniers, il fallait bien les loger quelque part. L'Assemblée n'en décida pas moins que Bouchotte serait tenu de rendre compte de sa conduite au comité de Salut public dans les vingt-quatre heures.

Encouragé par ce succès, Bourdon s'en prit le lendemain à l'un des agents les plus actifs du comité de Sûreté générale, au citoyen Héron, qui déjà avait été attaqué avec une extrême violence par un républicain douteux, le député Pressavin, devenu après Thermidor un des plus fougueux réactionnaires[247]. Tallien venait de dénoncer à la Convention une foule d'arrestations de patriotes opérées à Versailles à l'instigation d'anciens valets de la cour et d'aristocrates, complices, prétendait-il, de la faction d'Hébert, quand Bourdon (de l'Oise) accusa Héron d'en être l'auteur, et sur-le-champ il obtint de l'Assemblée un décret d'arrestation contre cet agent, dont le véritable crime, aux yeux des dantonistes, était d'avoir présidé à l'arrestation de Fabre d'Églantine. Mais ce grief, il eût été difficile de l'invoquer.

Héron était-il bien l'homme que nous a dépeint la réaction, l'effroi des familles, se souillant de cruautés et de rapines, ne sortant jamais qu'armé d'un couteau de chasse, de pistolets brillant à sa ceinture et d'espingoles portatives sortant de ses poches[248] ? Nullement. C'était un agent de police, voilà tout, et, partant, très-porté sans doute à faire du zèle exagéré. Il avait pour répondants Vadier et Moyse Bayle, deux ennemis jurés de Robespierre. Le portrait qu'en a tracé son collègue Senar, autre espion du comité, un des plus lâches coquins qui se puissent rencontrer dans les bas-fonds de la police, est donc de la fantaisie pure. C'est également Senar, ou plutôt, je suis bien tenté de le croire, ce sont les arrangeurs des prétendus Mémoires de Senar, qui ont fait de ce Héron le bouledogue de Robespierre[249]. Or Robespierre — cela est reconnu, avéré — n'eut jamais aucun rapport avec Héron[250]. Mais cet agent était, paraît-il, d'une grande utilité au comité de Sûreté générale, lequel avait pleine confiance en lui. Des membres de ce comité vinrent se plaindre auprès de leurs collègues du comité de Salut public du décret surpris à la Convention en leur absence. Ils présentèrent Héron comme un patriote pur, à qui l'on était redevable de la découverte de plusieurs grands conspirateurs, et dont on avait demandé l'arrestation à cause de sa vigueur à exécuter les décrets de l'Assemblée et les arrêtés du comité de Sûreté générale. Voilà ce que Couthon s'empressa d'aller exposer à la Convention nationale, mais en ayant soin de déclarer que, pour lui, il ne connaissait point Héron, qu'il ne l'avait jamais vu[251]. Moyse Bayle prit ensuite la parole pour invoquer en faveur de Héron, un des héros du dix août, le témoignage du député Crassous, en mission dans le département de Seine-et-Oise, sur la manière dont cet agent s'était conduit à Versailles. Puis Robespierre parla.

De Héron il ne dit pas grand'chose, sinon que les faits allégués contre lui avaient été démentis par des témoignages imposants. Le décret surpris à la Convention était grave et important à ses yeux, non point à cause de l'arrestation d'un agent du comité de Sûreté générale, auquel, en définitive, il s'intéressait médiocrement, mais parce que ce décret révélait admirablement la tactique de certains hommes disposés à calomnier les meilleurs patriotes, à exterminer tous ceux qui refuseraient de se ranger sous leur bannière, et à obtenir de l'Assemblée, en surprenant sa bonne foi, des mesures désastreuses. On sentit bien dans ses paroles l'inquiétude dont il était obsédé. Il commença par dire que si les comités avaient promis au peuple, au nom de la Convention, de frapper tous les conspirateurs, ils ne souffriraient pas que le glaive de la tyrannie effleurât un seul patriote. — Cela accueilli par les plus vifs applaudissements : — Robespierre avait bien prévu que tous les royalistes déguisés et la faction des indulgents essaieraient d'envelopper dans le procès des ultra-révolutionnaires les patriotes dont ils redoutaient la pureté et l'énergie. Comme les conspirateurs s'étaient cachés sous le masque du patriotisme, dit-il, on croyait facile de ranger dans la classe de ces faux patriotes et de perdre ainsi les sincères amis de la liberté. A l'appui de ces paroles il cita un exemple saisissant. La veille, un membre même de la Convention, un de ces modérés à la façon de Bourdon (de l'Oise), avait fait irruption au comité de Salut public et, avec une fureur impossible à rendre, — ce sont les propres expressions de Robespierre, — il avait demandé trois têtes. A cette déclaration, l'Assemblée tout entière fut saisie d'un frémissement d'indignation.

Quel était ce membre ? Robespierre voulut bien ne pas le nommer, mais il le désigna clairement comme appartenant à une faction qui voyait une espèce de triomphe pour elle dans la chute du parti des hébertistes. Eh quoi ! était-ce pour servir les projets de quelques ambitieux que les vrais patriotes avaient combattu la folie armée du glaive du patriotisme ? Non ! s'écria l'orateur ; le comité était décidé à combattre toutes les factions et à ne point se reposer avant d'avoir affermi la République. Interrompu par les applaudissements, il reprit en ces termes : Si l'influence de l'amour de la patrie, si les droits du peuple français ne triomphaient pas en ce moment de toutes les factions, vous manqueriez la plus belle occasion que la Providence vous ait présentée pour consolider la liberté. La faction qui survivrait rallierait tous ceux de l'autre qui auraient échappé au glaive de la loi. Pressés comme vous entre deux crimes, je ne sais si nous serons étouffés ; mais si cela arrive, si la vertu de la Convention n'est pas assez forte pour triompher de ses ennemis, ce qui sera le plus heureux pour nous c'est de mourir, c'est d'être enfin délivrés du spectacle trop long et trop douloureux de la bassesse et du crime qui ont passé depuis trois ans sur la scène de la Révolution, et qui se sont efforcés de ternir l'éclat des vertus républicaines. Mais si la Convention est demain et après-demain ce qu'elle est depuis quelques mois, si elle est décidée à faire triompher le peuple, la justice et la raison. — Oui, oui ! s'écria-ton de toutes parts, au milieu d'applaudissements frénétiques. — Si telle est la disposition constante de la Convention, si elle veut atteindre la palme de la gloire qui lui est offerte, si nous voulons tous, au sortir de notre mission, goûter le bonheur des âmes sensibles, qui consiste dans la jouissance du bien qu'on a fait, à voir un grand peuple s'élever à ses hautes destinées et jouir du bonheur que nous lui avons préparé ; si la Convention, exempte de prévention et de faiblesse, veut terrasser d'un bras vigoureux une faction après avoir écrasé l'autre, la patrie est sauvée. Les acclamations nouvelles dont fut saluée la fin de cette improvisation foudroyante prouvèrent que la Convention nationale n'était nullement disposée, quant à présent, à accepter le joug des intrigants. Bourdon (de l'Oise) garda assez honteusement le silence, et le décret qu'il avait surpris à l'Assemblée quelques heures auparavant fut rapporté[252].

Le lendemain, aux Jacobins, Maximilien peignit la situation sous des couleurs beaucoup plus sombres encore. Déjà, dans une précédente séance, il s'était plaint qu'on voulût envelopper les meilleurs patriotes dans les mesures rigoureuses. Et pourtant, avait-il hautement déclaré, le comité de Salut public était décidé à user d'indulgence envers ceux dont le patriotisme n'avait été qu'égaré ; seuls, les hommes corrompus, au langage versatile, et qui s'étaient glissés par des chemins ténébreux pour atteindre plus sûrement la liberté au cœur, n'avaient point de grâce à espérer[253]. Il avait tenu ce langage à propos d'une démarche des Cordeliers, lesquels informaient les Jacobins qu'ils étaient à leur poste, veillant pour démasquer aussi les intrigants et les traîtres. Mais comme c'était au club des Cordeliers que s'était en partie tramée la conjuration d'Hébert, les Jacobins décidèrent, sur la proposition de Maximilien, qu'ils ne correspondraient plus avec eux avant leur complète régénération. Au reste, c'était une société déjà morte ; dès cette époque son rôle est fini, et, notons-le en passant, ce furent ses premiers et ses plus illustres membres, les Camille Desmoulins, les Danton, qui lui portèrent les plus terribles coups.

Revenons à la séance du 1er germinal (21 mars 1794). Tallien venait de donner lecture d'un discours excessivement révolutionnaire, dans lequel il s'était étendu sur la nécessité de combattre non-seulement les restes de la faction hébertiste, mais aussi les aristocrates, les modérés et les Feuillants, dont la joie présente devait, selon l'orateur, inquiéter tous les patriotes. Cela n'était que trop vrai, et ce fut une des conséquences du coup violent porté aux ultra-révolutionnaires. La contre-révolution tressaillit d'aise à la nouvelle de leur arrestation ; partout, dans les prisons, dans les salons, où l'on avait tant applaudi aux numéros du Vieux Cordelier, on crut à l'aurore d'un régime nouveau, à la cessation des rigueurs contre les ennemis de la République, a la défaite de la Révolution. Plusieurs membres demandèrent l'impression du discours de Tallien. Mais Robespierre s'y opposa vivement ; car il n'avait jamais eu la moindre confiance dans le patriotisme de cet ancien secrétaire de la commune de Paris, récemment revenu de Bordeaux, où on l'accusait de s'être souillé de sang et de rapines, et d'avoir trafiqué des arrestations et des mises en liberté, sous l'influence d'une sorte d'aventurière dont il était devenu l'amant. Publier hautement la joie de l'aristocratie paraissait à Maximilien une souveraine imprudence. Sans vouloir-affaiblir l'indignation publique à l'égard de cette faction des modérés, vieille comme la Révolution et chère à l'étranger comme celle des exagérés, parce que l'une et l'autre tendaient à la ruine de la République, il taxa d'hypocrisie la joie témoignée par les aristocrates, lesquels pouvaient bien profiter des circonstances actuelles pour calomnier le patriotisme, mais devaient savoir, selon lui, que la Convention et le comité de Salut public avaient l'œil ouvert sur toutes les factions criminelles, et qu'aucune d'elles ne serait épargnée. Hypocrisie ou non, le fait était bien réel ; il faudra, hélas ! un sacrifice éternellement regrettable pour ôter à l'aristocratie toute illusion. Quand Robespierre eut cessé de parler, Tallien remonta à la tribune. Avec la bassesse qui caractérise les gens de son espèce, il se rétracta humblement, et on l'entendit, non sans étonnement, demander lui-même la question préalable sur la demande d'impression de son discours, ce qui fut du reste adopté à l'unanimité[254].

Peu après, comme on venait de donner lecture d'une lettre d'Albite, alors en mission dans les départements de l'Ain et du Mont-Blanc, lettre écrite d'un style farouche, suivant les habitudes de l'époque, et où ce représentant se félicitait du résultat des mesures révolutionnaires dans les pays où il exerçait son proconsulat, Robespierre reprit la parole pour définir exactement la situation actuelle. Placée entre les muscadins, les aristocrates, d'une part, et les hommes perfides prêts à égorger les patriotes sous le masque d'un patriotisme extravagant de l'autre, la République était exposée à un double danger, également menacée dans son existence si l'une des deux factions venait à triompher. Toutes deux, en effet, comptaient au milieu d'elles des émissaires de l'étranger, à qui elles étaient chères au même titre, puisque l'une et l'autre semblaient s'acharner contre les citoyens qui, depuis l'origine de la Révolution, n'avaient cessé de combattre les tyrans et les traîtres. Tous ces scélérats ligués avec l'étranger, continuait Maximilien, comptent pour rien la République ; ce n'est pour eux qu'un objet de rapines. Le peuple n'est à leurs yeux qu'un vil troupeau qu'ils croient fait pour attacher à leur char et les traîner à l'opulence et à la fortune. A chaque révolution le peuple triomphe, parce qu'il est de bout et qu'alors ils se cachent ; mais à peine est-il rentré dans ses foyers que les factieux reparaissent, et aussitôt le peuple est replongé dans le même état de détresse d'où il était sorti. Hélas ! les événements n'ont jamais démenti ces paroles tristes et vraies ! S'animant par degrés, l'orateur montra, comme si l'avenir s'ouvrait devant ses yeux, la destinée fatale réservée à notre pays si les successeurs de Brissot n'étaient pas réprimés, si toutes les factions n'étaient pas combattues et brisées sans retard : Attendez-vous aux plus grands malheurs. Vous verrez les fripons s'introduire dans les armées, certains fonctionnaires publics se liguer avec eux. La paix d'aujourd'hui ne sera que passagère, les armées seront battues, les femmes et les enfants égorgés. — Un mouvement d'horreur se fit ici dans l'assemblée. Mais, défiant qui que ce fût de démentir ces vérités terribles : Oui, reprit l'orateur, les armées seront battues Si la dernière faction n'est pas anéantie demain. La République sera déchirée par lambeaux, Paris sera affamé ; vous tomberez vous-mêmes sous les coups de vos ennemis, et vous laisserez votre postérité sous le joug de la tyrannie. Ah ! sombre prophétie, comme Thermidor se chargera de te réaliser ! N'était-ce point la Terreur blanche tout armée qui apparaissait alors à la pensée de l'orateur, cette terreur sinistre et honteuse dont on ne parle pas assez, et qui, sans avoir à invoquer la loi suprême du salut de la patrie, a immolé dix fois plus de victimes que n'en a tué la grande Terreur révolutionnaire ? N'étaient-ce point les compagnies de Jésus, Trestaillon, les hautes cours, les commissions militaires, les cours prévôtales, qu'il entrevoyait dès lors, toutes ces juridictions arbitraires, composées d'hommes choisis, et qui furent mille fois moins justes, moins impartiales, mille fois plus impitoyables — le mot est exact — que le sanglant tribunal révolutionnaire de 1793 ?

Il serait difficile de donner une idée des transports causés par le discours désordonné de Robespierre, dont l'âme était tout émue des agitations de la patrie. L'image de cette patrie en deuil, la perspective du pays déchiré parles factions, la crainte de voir la République devenir la proie de l'étranger, de la contre-révolution, cette République qui avait coûté déjà tant de sacrifices, tant d'efforts et tant de sang, tout cela bouleversait les esprits. Les applaudissements prodigués aux paroles de Robespierre équivalurent, de la part des membres de la société, à un serment de sauver la République ou de s'ensevelir sous ses décombres. Ce serment, les vrais jacobins ne manquèrent pas de le tenir. Un moment l'âme du premier Brutus sembla s'être répandue dans l'assemblée. On entendit Legendre déclarer que les bons citoyens ne devaient avoir égard ni aux liens du sang, ni à ceux de l'amitié, quand il s'agissait de frapper les factieux désignés par le comité de Salut public, s'engageant, quant à lui, à livrer au glaive de la justice les personnes auxquelles il était le plus attaché, si elles lui étaient signalées comme des traîtres[255]. L'heure n'était pas loin où le stoïcisme du boucher patriote allait être mis à une terrible épreuve.

 

XXXIII

Une chose essentiellement importante à constater, c'est l'attitude prise par Robespierre en ces graves circonstances, attitude conforme d'ailleurs a sa conduite constante depuis le commencement de la Révolution et qui témoigne à la fois de son désintéressement et de sa haute sagesse. Il n'appartenait à aucune faction, à aucune coterie ; il était du parti de sa conscience, avons-nous dit quelque part dans cet ouvrage. Dieu merci, les avances ne lui avaient manqué ni du côté des hébertistes ni du côté des dantonistes. Il avait repoussé celles des premiers par dégoût, celles des seconds par raison. Si au début du Vieux Cordelier il avait paru d'accord avec ceux-ci pour arrêter les extravagances des ultra-révolutionnaires, il n'avait pas tardé à s'en séparer avec éclat du moment où il les avait vus dépasser eux-mêmes le but et servir, involontairement ou non, d'avant-garde à la contre-révolution. Nous avons raconté ses efforts pour les empêcher de se fourvoyer complètement ; ce ne fut qu'en les voyant décidés à rester sourds à tous ses avertissements qu'il se résolut à les combattre.

Mais en même temps qu'il s'élevait avec énergie contre la modération captieuse de ces singuliers indulgents qui, se prenant tout à coup de compassion pour les victimes plus ou moins coupables des rigueurs révolutionnaires, poursuivaient sans merci ni pitié leurs adversaires personnels, et de toutes leurs forces les poussaient à l'échafaud, il donnait, lui, l'exemple de la véritable modération. Nous avons parlé tout à l'heure d'une certaine pétition de la section Bonne-Nouvelle, tendant à envelopper dans la catégorie des suspects tous les marchands et négociants en général, et nous avons montré comment Robespierre s'était empressé de détourner l'attention de la Convention de cette pétition insidieuse. Peu après, le lendemain même, l'instituteur Léonard Bourdon, autre Thermidorien, vint soumettre aux Jacobins une proposition à peu de chose près aussi ridicule : il s'agissait de passer au scrutin de la société tous les fonctionnaires publics comme s'ils en étaient membres. A divers titres, le patriotisme de Léonard Bourdon était, aux yeux de Maximilien, fort sujet à caution. Ce maître de pension, dévoué aux idées matérialistes, avait joué un rôle important dans la déprêtrisation forcée, à laquelle avaient été contraints un grand nombre de ministres du culte, et dans les mascarades qui avaient si gratuitement créé tout d'un coup des milliers d'ennemis à la Révolution. C'était un des plus ardents parmi les sectaires de l'intolérance antireligieuse. Robespierre lui reprochait d'avoir puissamment contribué à propager la doctrine d'Hébert, et d'avoir été à la Convention un des premiers à avilir l'Assemblée par des formes indécentes, comme d'y parler le chapeau sur la tête ou d'y siéger avec un costume ridicule. Il est trop facile en vérité, répéterons-nous, de faire de la popularité à ce prix, aux dépens de sa dignité personnelle. S'il faut en croire Maximilien, rien n'égalait la bassesse des intrigues mises en œuvre par l'instituteur Léonard pour augmenter le nombre de ses pensionnaires et s'emparer de l'éducation des élèves de la patrie[256].

Robespierre flétrit la motion de Bourdon comme une de ces propositions perfides, déguisées sous une fausse apparence de patriotisme, et il l'assimila à la pétition présentée la veille à la Convention nationale. La section Bonne-Nouvelle avait été, selon lui, victime de l'intrigue et égarée par quelques scélérats, en prétendant, comme Hébert l'avait soutenu peu de temps auparavant, que tout commerce était un despotisme, et qu'il ne pouvait y avoir de liberté là où il y avait du commerce. On ne peut imaginer jusqu'où allait la folie de certains énergumènes. De ce que l'on voit trop souvent les marchands et les négociants placer leurs intérêts particuliers avant l'intérêt général, — et c'est un peu comme cela partout, — ils en concluaient que le commerce était un crime. Il serait donc impossible d'approvisionner Paris et les grandes communes, disait Robespierre. Si le marchand est nécessairement un mauvais citoyen, il est évident que personne ne peut plus vendre ; ainsi, cet échange mutuel qui fait vivre les membres de la société est anéanti, et par conséquent la société est dissoute... Maximilien n'était pas bien sûr que Léonard Bourdon ne fût pas au nombre de ces conjurés qui, profanant le patriotisme par un abus criminel de son langage et de ses principes, mettaient en avant les propositions les plus propres à susciter un mécontentement général et à empêcher la liberté de pouvoir jamais s'asseoir sur des bases inébranlables. Sans vouloir s'étendre davantage sur l'individu, il demanda et fit adopter la question préalable[257]. Léonard Bourdon se vengera en dirigeant, dans la nuit du 9 au 10 thermidor, le bras de l'assassin qui fracassa d'un coup de pistolet la mâchoire de Robespierre.

Un peu plus tard, toujours aux Jacobins, dans la séance du 29 ventôse (19 mars 1794), Maximilien donnait une nouvelle preuve de son esprit d'équité et de modération en défendant hautement et très-généreusement les signataires des pétitions royalistes des huit mille et des vingt mille, provoquées l'une par le rassemblement des fédérés, l'autre parla manifestation girondine du 20 juin 1792. Certains révolutionnaires exaltés, parmi lesquels il faut ranger Anaxagoras Chaumette, récemment arrêté comme complice d'Hébert, ne cessaient de faire entendre de terribles menaces contre ces malheureux signataires, appartenant pour la plupart aux classes moyennes, à la petite bourgeoisie, et rangés, on le pense bien, dans la catégorie de ces suspects du procureur de la commune dont on n'a pas oublié l'effrayante nomenclature. On ne parlait de rien de moins que de les livrer à l'échafaud avec les soixante-treize. En couvrant ces derniers de sa protection, en s'opposant à leur mise en accusation comme à une rigueur inutile, en les sauvant de la mort en un mot, Robespierre, qui avait beaucoup plus de sensibilité que ne se l'imaginent même quelques-uns de ses apologistes, avait obéi non pas seulement à un sentiment de justice, mais aussi à un mouvement de son cœur. Nul doute que sans lui ces membres du côté droit de la Convention, parmi lesquels se trouvaient les Daunou, les Saladin, les Mercier, les Olivier Gérente, n'eussent payé de leurs têtes une protestation courageuse ; ils ont eux-mêmes parfaitement reconnu qu'ils lui devaient la vie, et ils lui en ont témoigné leur gratitude dans des lettres dont nous avons révélé l'existence et cité des extraits. Mais le danger passé, adieu la reconnaissance ! Les détracteurs de l'immortel tribun, au nombre desquels on a la douleur de compter quelques-uns des députés sauvés par lui, les gens en qui l'esprit de parti étouffe tout sentiment d'impartialité, les écrivains qui ferment les yeux à l'évidence, qui s'obstinent à ne point avouer que Robespierre ne sortit jamais sciemment des bornes de la raison et de la justice, qui se plaisent à dénaturer tous ses actes, prétendent qu'en protégeant de son influence ces alliés delà Gironde, il avait pour but de se ménager l'appui du côté droit ; c'est ce qu'a écrit le maniaque Sébastien Mercier, de la même plume dont il avait assuré Maximilien de sa profonde gratitude[258]. On est véritablement navré de ce que le cœur humain renferme de lâchetés.

Mais ces huit mille, ces vingt mille malheureux signataires recherchés par les pourvoyeurs de la guillotine, s'il les couvrit de sa protection, ce ne fut assurément ni par calcul ni par tactique parlementaire. Or, comme il était difficile de donner le change sur cet acte si honorable, les écrivains hostiles à Robespierre ont trouvé plus commode de n'en pas parler. Et certes on ne dira pas qu'un certain acharnement ne fut pas apporté contre ces pétitionnaires, dont les signatures, pour la plupart au moins, avaient été surprises par des agents de contre-révolution. La liste en ayant été égarée, les recherches les plus minutieuses furent prescrites par la commune.

L'honneur de la découverte revint à la section des Gravilliers. La minute s'était retrouvée au secrétariat de la section de la Fontaine de Grenelle. Un membre de la commune s'empressa d'annoncer cette bonne nouvelle au conseil général, et sur-le-champ on vota l'impression de cette liste ; des commissaires furent même nommés pour la collationner sur la minute[259], tant on attachait d'importance à connaître exactement les noms et les adresses des signataires. Un des officiers municipaux qui avaient été chargés de rechercher cette liste, demanda la parole aux Jacobins dans la séance du 29 ventôse (19 mars 1794), pour entretenir la société de cet objet. Ce n'était pas la première fois qu'on cherchait à attirer l'attention de la société sur les pétitions des huit mille et des vingt mille. Robespierre présenta sur-le-champ une motion d'ordre. Il se plaignit qu'on vînt toujours parler de ces pétitions quand on se trouvait dans des circonstances difficiles. C'était là, selon lui, un des manèges de Chaumette dans les moments d'orage, comme si le procureur de la commune eût voulu rejeter sur les signataires la responsabilité des désordres qui se préparaient, et profiter de l'occasion pour les désigner aux vengeances révolutionnaires ; c'était là une de ces mesures insidieuses propres à mécontenter inutilement la population, à jeter l'effroi et la désolation au cœur des familles. Il adjura la société de laisser de côté cet objet particulier, et de donner toute son attention aux dangers actuels, à la conjuration de l'étranger. Sa motion fut adoptée[260]. Désormais il ne sera plus question de ces pétitions fameuses des huit mille et des vingt mille dont les signataires, tirés par Robespierre d'un assez mauvais pas, ne défendront pas la mémoire de celui qui en cette circonstance épineuse leur prêta un secours si utile et si désintéressé.

Le 1er germinal (21 mars 1794), premier jour du printemps, commença le procès des hébertistes. Il n'entre pas dans le cadre de cet ouvrage de nous en occuper. Disons seulement que, comme la plupart des procès politiques, il fut une parodie de la justice, comme le sera bientôt celui des dantonistes eux-mêmes qui, si près de leur fin, triomphaient orgueilleusement et cruellement aujourd'hui. Avec Hébert, Ronsin, Vincent, Momoro et autres furent confondus des hommes dont les uns, comme de Kock le Hollandais et Cloots le Prussien, se rapprochaient d'eux par certaines exagérations, par leur intolérance antireligieuse, dont les autres, comme Proly, Pereyra et Dubuisson, paraissaient appartenir à une tout autre faction. A l'exception de quelques intrigants peu dignes d'intérêt, la plupart des accusés avaient rendu à la Révolution des services que leurs erreurs ne pouvaient effacer, et au souvenir desquels on eût dû peut-être se relâcher de la rigueur des principes.

Le procès dura quatre jours à peine ; il était achevé dans la matinée du 4 germinal. Tous les accusés furent condamnés à l'exception du médecin Laboureau, acquitté non point, comme on l'a dit, parce qu'il avait servi de mouchard, mais bien parce qu'il ne fut produit contre lui aucune espèce de charge quelconque[261]. A la nouvelle de ce résultat funèbre, tout ce que Paris comptait de modérés, d'aristocrates, de contre-révolutionnaires plus ou moins déguisés, ne put contenir sa joie. Ce fut une ivresse insensée. La ville était comme en fête. Le Rougyff, journal de cet exécrable Guffroy, plus odieux encore qu'Hébert, contenait précisément ce jour-là une complainte d'un nommé Dussault sur le procès d'Hébert :

Ciel ! il était si patriote,

Il faisait des discours si beaux !

Pourquoi siffle-t-il la linotte,

Le fameux marchand de fourneaux[262] ?

On s'en allait par les rues, inondées d'une foule immense, répétant cette complainte où l'insulte était si lâchement prodiguée aux condamnés. Deux jours après, Guffroy écrivait en cinq mots l'oraison funèbre des hébertistes : Haro donc ! drelin et crack...[263] Un ami de Rougyff, Camille Desmoulins., le tendre Camille, comme disent ses apologistes maladroits, Camille, qui pouvait à bon droit revendiquer une si bonne part de coopération dans la défaite d'Hébert, célébra sa victoire de la façon la plus indécente, s'il faut en croire le libraire Prudhomme. Ayant dans la journée rencontré sur le pont Neuf l'ancien éditeur des Révolutions de Paris en sortant de la mairie où il était allé s'assurer que l'exécution aurait lieu le jour même, il lui parla d'un bon tour dont il avait eu l'idée pour animer le peuple contre les condamnés[264]. Ce bon tour, c'était de faire porter devant les charrettes les fourneaux du Père Duchesne. Quelle excellente plaisanterie ! Il y avait certes dans cette gaminerie quelque chose de révoltant ; et malheureusement, le caractère léger de Camille n'est peut-être pas de nature à démentir ici l'allégation du très-peu véridique Prudhomme.

L'exécution eut lieu vers cinq heures sur la place de la Révolution, où la foule se pressait impatiente et joyeuse. Le bourreau lui-même était aux anges, c'était le royaliste Samson. Par un raffinement inouï de bassesse et de cruauté, il suspendit trois fois sur la tête d'Hébert le couperet sanglant avant de le laisser tomber, et cela aux applaudissements d'une multitude dont la joie s'épanchait en railleries et en quolibets de toute nature. Quelle ne dut pas être l'anxiété de Robespierre à la nouvelle de cette explosion d'allégresse ! Mais que dis-je ? cette anxiété, ne l'avait-il pas exprimée aux Jacobins dans la séance du 1er germinal, lorsque dans son réquisitoire contre la faction opposée à celle d'Hébert il avait parlé de ces patriotes lyonnais, de ces amis de Chalier et de Gaillard, qui en présence de l'attitude insultante et victorieuse des contre-révolutionnaires semblaient prêts à invoquer le remède de Caton[265] ? L'enthousiasme immodéré de tous les ennemis de la Révolution rendit certainement les patriotes plus inflexibles envers les indulgents. Ce ne fut pas un des moindres malheurs du supplice des hébertistes que d'avoir, par une dure logique, amené celui des dantonistes. Le parti qui nous envoie à la mort y marchera à son tour, et ce ne sera pas long, s'était écrié Ronsin[266]. Les dantonistes allaient payer cher leur joie cruelle. En effet, en croyant fêter leur triomphe, ils saluaient d'avance leurs propres funérailles.

 

 

 



[1] Rapport sur l'affaire Chabot, lequel, comme on sait, ne fut pas prononcé.

[2] Julien (de Toulouse) se déroba par la fuite au décret lancé contre lui. Après Thermidor, il réclama contre les mesures dont il avait été l'objet, en attribuant ses malheurs à sa haine pour Robespierre. Calomnier, diffamer Robespierre, était alors pour les contre-révolutionnaires, pour les concussionnaires, pour les criminels de tous genres, le moyen le plus sûr d'impunité. La Convention cassa le décret rendu jadis contre Julien.

[3] Lettre de Chabot à Danton, du secret du Luxembourg, le 12 frimaire. Archives, F 7, 4436.

[4] Lettre de Chabot à Danton, du secret du Luxembourg, le 8 frimaire. Archives, F 7, 4436.

[5] Projet de rapport sur l'affaire de Chabot. Papiers inédits, t. II, p. 51.

[6] Lettre à Danton, en date du 12 frimaire.

[7] On lit dans un pamphlet contre Robespierre : Robespierre refusa d'abord et obstinément de signer le mandat d'arrêt contre Delaunay (d'Angers), Bazire et Chabot. Barère le lui arracha malgré sa frayeur. (La tête à la queue, ou première lettre de Robespierre à ses continuateurs.)

[8] Voici en quels termes Camille s'explique dans une note au sujet du fameux manifeste contre les rois coalisés : C'est avec de tels écrits qu'on vengerait l'honneur de la République, et qu'on débaucherait leurs peuples et leurs armées aux despotes, bientôt réduits à la garde des nobles et des prêtres, leurs satellites naturels, si les ultrarévolutionnaires et les bonnets rouges de Brissot et de Dumouriez ne gâtaient une si belle cause, et ne fournissaient malheureusement à Pitt des faits pour répondre à ces belles paroles de Robespierre.

[9] Le Vieux Cordelier, numéro 3.

[10] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 458, séance du 30 frimaire (20 décembre 1793).

[11] De cette proposition si sage et si prévoyante, M. Michelet conclut que les mystérieux inquisiteurs de clémence seraient choisis sous l'influence de Robespierre. Énorme accroissement à son influence, dit-il ; seul, il allait tenir la clé des prisons. (T. VII, p. 29.) Quelle aberration d'un esprit prévenu !

[12] Voyez, pour ce discours de Robespierre, le Moniteur du 1er nivôse (21 décembre 1793) et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 458, combinés.

[13] Le Vieux Cordelier, numéro 4.

[14] Le Vieux Cordelier, n° 4.

[15] Louis Blanc, Histoire de la Révolution, t. X, p. 230.

[16] Camille, qui avait pris la plume sous prétexte qu'on n'avait plus de périodiste aussi libre que les chroniqueurs anglais (numéro 1 du Vieux Cordelier), trouva dans le rédacteur des Révolutions de Paris un contradicteur digne de lui. Concluons, Camille. Ce n'est point ici le cas d'approfondir et de balancer les avantages et les inconvénients de l'entière liberté de la presse. Tout a été dit et redit sur cette matière, et aucun de ceux qui l'ont traitée n'a pu s'empêcher de reconnaître que les avantages l'emportaient de beaucoup sur les inconvénients. Robespierre, pour sa part, en a poussé la preuve assez loin. Camille a donc mauvaise grâce d'appuyer sur le peu de liberté dont jouissent la pensée et la presse en France, en comparaison de l'Angleterre. La Convention en masse n'y a jamais porté atteinte ; au contraire, elle en a réprimé les délits, et les lettres de Philippeaux prouvent qu'on peut tout imprimer, excepté pourtant ce qui tendrait au rétablissement de la royauté, et ce qui contrarierait l'unité et l'indivisibilité de la République. (Révolutions de Paris, numéro 219.)

[17] M. Michelet. Robespierre se sauva à gauche, chercha sa sûreté dans les rangs des exagérés, ses ennemis, se confondit avec eux. A cette affirmation si précise quelle preuve apporte l'historien ? Robespierre, dit-il, renia, attaqua Camille Desmoulins, DU MOINS LE FIT ATTAQUER aux Jacobins par un rustre à lui. Et ou M. Michelet a-t-il pris que Nicolas ait reçu commission de Robespierre pour attaquer Desmoulins ? C'est ce qu'il aurait bien dû nous dire. Toujours le même système : Si ce n'est toi, c'est donc ton frère ; (Voyez l'Histoire de la Révolution, t. VII, liv. XV, tout le ch. 2.)

[18] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. (Papiers inédits, t. II, p. 21.)

[19] Moniteur du 12 brumaire (2 novembre 1793). Sur les tu et les vous, voyez un curieux article des Révolutions de Paris, numéro 216.

[20] Robespierre avait mille fois raison, et les Révolutions de Paris, en lui donnant tort, ne s'aperçurent pas qu'elles confondaient le fond avec la forme. (Voyez le numéro 219, p. 359.) La grossièreté des manières n'a rien à voir avec la véritable égalité.

[21] Voyez le Moniteur du 2 nivôse (22 décembre 1793), et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 458.

[22] Révolutions de Paris, numéro 219, p. 359.

[23] Déposition de Duchâteau, ex-secrétaire du parquet de Fouquier et huissier au tribunal révolutionnaire réorganisé, dans le procès de Fouquier-Tinville. (Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 445.) Ce témoignage en faveur d'un ami de Robespierre est d'autant plus désintéressé que Nicolas avait péri dans la catastrophe du 9 Thermidor. — Il existe à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro LIX, une lettre de Nicolas à Robespierre, en date du 23 frimaire, et commençant par ces mots : Robespierre, mon service au tribunal m'empêche de vous conduire moi-même les membres du comité du département ; ils ont rendu d'importants services à la chose publique ; ils sont encore très-utiles. — Ce comité venait d'être cassé, et ses membres désiraient présenter leurs réclamations à Robespierre. — Ils s'en rapporteront entièrement à vous, ajoutait Nicolas. Ce n'est point parce que j'y suis encore que je m'y intéresse, mais seulement pour la chose publique. Or, de cette lettre le rédacteur du rapport de Courtois, d'après une, indication de ce dernier, a inféré que Robespierre avait l'habitude de se faire escorter ; qu'une partie de l'escorte, se séparant de lui allait ouvrir les portes avec empressement et attendait ce traître, qui se présentait toujours avec une grande importance (p. 52 du rapport). Et des écrivains ont été dupes de pareilles inepties ! En marge de l'original de la lettre de Nicolas on lit en effet ces mots, de la main de Courtois : Nécessaire ; preuve qu'il avait des gardes habituels. (Voyez Archives, F. 7, 4436.)

[24] Le Vieux Cordelier, numéro 5. Il est à remarquer que Nicolas ne siégea pas dans le procès de Danton.

[25] Voyez le Père Duchesne, numéro 328.

[26] Voyez, dans le Moniteur du 4 nivôse (24 décembre 1793), la séance des Jacobins du 1er nivôse.

[27] Séance du 3 nivôse (23 décembre) aux Jacobins, Moniteur du 6. — M. Michelet, chez qui il semble passé en vérité à l'état de manie de présenter quelques-uns des principaux révolutionnaires comme autant de pantins que Robespierre aurait fait agir à l'aide d'une ficelle, ne craint pas d'écrire que Robespierre fut trop heureux de trouver un autre gibier, de tourner la meute contre Philippeaux. Il avait amené avec lui un dogme docile et furieux, Levasseur, etc. (t. VII, p. 37). Est-il permis de travestir ainsi l'histoire ? Si quelqu'un, en cette circonstance, se montra modéré à l'égard de Philippeaux, ce fut assurément Robespierre.

[28] Moniteur du 6 nivôse, ubi supra. Danton essaya d'adoucir, se contente d'écrire négligemment M. Michelet (p. 37).

[29] Moniteur du 6 nivôse (26 décembre 1793), ubi supra. Voilà ce que M. Michelet appelle : rentrer dans la Terreur. Robespierre, pour sa sûreté, rentra donc dans la Terreur. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 37.)

[30] Le Moniteur commit dans la version qu'il donna du rapport de Robespierre une singulière coquille : au lieu d'universelle, il mit indivisible, ce qui attira à son rédacteur la lettre suivante : Citoyen, parmi le petit nombre d'inexactitudes que présente dans le Moniteur du 7 nivôse la copie du rapport fait au nom du comité de Salut public sur les principes du gouvernement révolutionnaire, il en est une très-grave. Elle est dans cette phrase : Rien ne ressemble plus à l'apôtre du fédéralisme que le prédicateur intempestif de la République une et indivisible. Vous avez substitué les mots soulignés à ceux-ci : République une et universelle. Il est étrange que, par une faute d'impression, le Moniteur fasse prêcher le fédéralisme au comité de Salut public et à la Convention, qui a adopté son rapport. Vous êtes prié d'insérer cette note dans votre premier numéro.

ROBESPIERRE, B. BARÈRE.

Paris, le 9 ventôse.

Cette lettre, dont la minute est aux Archives, A. F. n, 66, parut dans le Moniteur du 10 nivôse (30 décembre 1793), signée de Robespierre, de Collot-d’Herbois et de Barère.

[31] Dans ce duel entre la liberté et la servitude, et dans la cruelle alternative d'une défaite mille fois plus sanglante que notre victoire, outrer la Révolution avait donc moins de péril et valait mieux encore que de rester en deçà. (Vieux Cordelier, numéro 3, p. 45 de l'édition Matton.) Le vaisseau de la République vogue, comme j'ai dit, entre deux écueils, le modérantisme et l'exagération. J'ai dit avec Danton qu'outrer la Révolution avait moins de péril et valait mieux encore que de rester en deçà ; que dans la route que tenait le vaisseau, il fallait encore plutôt s'approcher du rocher de l'exagération que du banc de sable du modérantisme. (Vieux Cordelier, numéro 5, p. 78.)

[32] Deux têtes de généraux dans un tel moment, dit M. Michelet, on n'en voyait pas l'à-propos (t. VII, p. 38). Il est vraiment fâcheux que l'illustre historien n'ait pas pris la peine de tourner un feuillet du Moniteur ou de consulter le numéro 464 du Journal des débats et des décrets, il y aurait vu que la Convention trouva son comité de Salut public encore trop réservé, puisqu'a la demande de Goupilleau (de Montaigu), elle renvoya, comme on va le voir, les généraux Marcé et Quétineau devant le tribunal révolutionnaire.

[33] Le rapport de Robespierre fut inséré dans le Moniteur du 7 nivôse (27 décembre 1793) et dans plusieurs journaux du temps, notamment dans le numéro 220 des Révolutions de Paris, où il se trouve suivi d'observations commençant ainsi : Ce rapport, assurément, ne laisse rien à désirer et ferme la bouche à bien du monde. L'établissement du gouvernement révolutionnaire avait besoin peut-être de cette exposition de principes, faite toute à la fois pour convaincre par leur lucidité et pour persuader par l'éloquence du rapporteur. Ce rapport sur les principes du gouvernement révolutionnaire a été reproduit dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 458 et suiv., dans les Œuvres éditées par Laponneraye, t. III, p. 511 et suiv. Il a paru en brochure in-8° de 18 pages (De l'Impr. nation.) Il y eu eut à l'époque plusieurs autres éditions dans les départements, notamment à Lyon (de l'Impr. républicaine, in-8° de 16 pages), et à Orléans. (L. P. Couret, in-4° de 15 pages).

[34] Lettre signée : Billaud-Varenne, Robespierre, Barère, C.-A. Prieur, Robert Lindet, Collot-d’Herbois, J.-Bon Saint-André, et Carnot.

[35] Moniteur du 7 nivôse, ubi supra.

[36] Voyez cette circulaire du comité de Salut public dans l'Histoire parlementaire, t. XXI, p. 16. Elle est signée de Robespierre, Billaud-Varenne, Carnot, C.-A. Prieur, Barère, Robert Lindet et Couthon.

[37] Comme MM. Michelet et Quinet par exemple. Impossible de s'être plus fourvoyé que M. Michelet dans tout le premier chapitre de son septième volume. Quant au livre de M. Quinet, tant vanté par des gens fort peu au courant des choses de la Révolution, il n'existe pas, historiquement parlant.

[38] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 10.

[39] Séance du 6 nivôse (26 décembre 1793) à la Convention. Voyez le Moniteur du 8.

[40] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 11.

[41] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 13.

[42] Voyez le dernier discours de Saint-Just dans le t. XXXIV, de l'Histoire parlementaire, p. 6.

[43] Voyez le rapport de Barère dans le Moniteur du 8 nivôse (28 décembre 1793).

[44] Le Vieux Cordelier, numéro 5.

[45] Voyez le Moniteur du 8 nivôse (28 décembre 1793) et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 464.

[46] Voyez le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 466.

[47] Indéfiniment ajournée, cette cérémonie n'eut jamais lieu. Un autre David a réalisé en marbre ce que Louis David avait en quelque sorte promis d'exécuter par le pinceau et ce qu'il n'a fait qu'ébaucher. Qui ne connaît l'admirable statue de David (d'Angers) représentant Barra expirant ? Précédemment, le jeune martyr avait été chanté en vers par Andrieux.

[48] Séance du 23 nivôse (12 janvier 1794). Voyez le Moniteur des 24 et 25 nivôse.

[49] Voyez le Vieux Cordelier, numéro 5.

[50] Voyez le Moniteur du 8 nivôse (28 décembre 1793).

[51] Voyez le Vieux Cordelier, numéro 5.

[52] Lettre à Robespierre en date du 5 prairial. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 333.

[53] Lettre à Robespierre en date du 4 frimaire. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 323.

[54] Séance des Jacobins du 8 nivôse (28 décembre 1793), Moniteur du 13 nivôse.

[55] Séance des Jacobins du 6 nivôse (26 décembre 1793), Moniteur du 11 nivôse.

[56] Séance des Jacobins du 6 nivôse (26 décembre 1793), Moniteur du 11 nivôse.

[57] Le Vieux Cordelier, numéro 5.

[58] Séance des Jacobins du 6 nivôse (26 décembre 1793). Voyez le Moniteur du 11 nivôse.

[59] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 22.

[60] Le Vieux Cordelier, numéro 5, p. 120, de l'édition Matton.

[61] Séance du 20 frimaire (10 décembre 1793). Voyez le Républicain français, numéro du 22 frimaire.

[62] Plusieurs députés affirmèrent à Robespierre que sans la prise de Toulon, qui paralysa les meneurs, on aurait demandé et peut-être obtenu la mise en état d'accusation des principaux membres du comité (Rapport sur la faction Fabre d'Églantine, Papiers inédits, t. II, p. 28.)

[63] Voyez le projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 40.

[64] Voyez le Moniteur du 14 nivôse (3 janvier 1794).

[65] Voyez le compte rendu de ces débats dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 368, 369.

[66] Ce dont Camille ne manqua pas de faire un crime a Hébert. Voyez le Vieux Cordelier, numéro 5, p. 106, de l'édition Matton.

[67] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 41.

[68] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 26.

[69] Voyez le Vieux Cordelier, numéro 3, p. 51.

[70] Moniteur du 19 nivôse (8 janvier 1794).

[71] Moniteur du 19 nivôse (8 janvier 1794).

[72] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 44.

[73] Moniteur du 19 nivôse (8 janvier 1794).

[74] Michelet. Histoire de la Révolution, t. VII, p. 42

[75] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 45. M. Michelet a écrit que Carnot, Lindet, Prieur, Saint-André, qui seuls dépensaient et qui seuls étaient atteints par le décret, ne se plaignirent pas. Qu'en sait-il ? Est-ce que, dans son projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine, Robespierre n'était pas l'organe de tout le comité ? Robespierre seul se plaignit, ajoute M. Michelet. Cela prouve au moins que ses plaintes étaient bien désintéressées. Il écrivit que tout le mouvement des armées était arrêté, chose matériellement fausse. M. Michelet aurait bien dû nous donner ses preuves ; et, dans tous les cas, si le mouvement des armées ne fut point arrêté, ce fut précisément, comme le dit très-bien Robespierre dans son rapport sur la faction Fabre d'Églantine, parce que le comité prit le parti de violer le décret de la Convention. (Voyez l'Histoire de la Révolution, par Michelet, t. VII, p. 42.)

[76] Moniteur du 19 nivôse (8 janvier 1794).

[77] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 42.

[78] Manuscrit de Mme Le Bas.

[79] C'est par erreur que M. Léonard Gallois, dans ses notes du Moniteur réimprimé, a écrit que Boulanger n'en avait pas moins été immolé avec les hébertistes. Boulanger ne périt qu'en Thermidor.

[80] Voyez le Moniteur du 21 nivôse (10 janvier 1794).

[81] Bentabole n'oublia point cette rude franchise de Robespierre, et nous le verrons figurer parmi les plus ardents Thermidoriens.

[82] Voyez le Moniteur du 21 nivôse (10 janvier 1794).

[83] Voyez le Moniteur du 21 nivôse (10 janvier 1794).

[84] Pour avoir une idée complète de cette séance, il ne suffit pas de consulter le Moniteur, il faut aussi avoir recours au Journal de la Montagne, où les paroles de Robespierre paraissent avoir été rendues avec plus de fidélité.

[85] Journal de la Montagne des 21 et 22 nivôse (10 et 11 janvier 1794).

[86] Journal de la Montagne, numéros des 21 et 22 nivôse, ubi supra. Nous avons ici préféré la version du Journal de la Montagne à celle du Moniteur. Robespierre comme on voit, n'était pas si ennemi du rire que veut bien le dire M. Michelet (t. VII, liv. XV, ch. 3) ; on se souvient de ses vives épîtres à Pétion ; seulement il n'aimait pas qu'on mît les rieurs du côté de l'aristocratie. Est-ce à nous, démocrates, de l'en blâmer ?

[87] Journal de la Montagne, ubi supra, et Moniteur du 21 nivôse, (10 janvier 1794) combinés. — M. Michelet, qui a passé soigneusement sous silence toute la première partie de cette importante séance, si honorable pour Robespierre, et qui, dans son chapitre intitulé la Conspiration de la Comédie, se livre, avec cet esprit de fantaisie si contraire au véritable esprit historique, aux appréciations les plus saugrenues sur Robespierre, compare cette scène à celle de Galilée avec l'Inquisition. Il n'y a point de comparaison plus fausse. Robespierre ouvrait ici une porte de salut à Camille, bien loin de chercher à le perdre. M. Michelet, qui s'embarrasse assez peu de la vérité historique, n'a pas craint d'écrire que Robespierre voulait la radiation de Camille et qu'il l'obtint, quand ce fut, au contraire, grâce à la fermeté de Maximilien que Camille fut maintenu sur les listes de la société. (Voyez l'Histoire de la Révolution par Michelet, t. VII, p. 50 et 51.)

[88] Voyez le Vieux Cordelier, numéro 5, p. 98 de l'édition Matton.

[89] Journal de la Montagne du 22 nivôse (11 janvier 1794), numéro 59.

[90] L'observation de Camille, déjà citée plus haut, ne se trouve pas dans le Journal de la Montagne ; nous l'empruntons au Moniteur (numéro du 21 nivôse), et nous y insistons parce qu'elle a donné lieu, de la part d'une foule d'écrivains, aux appréciations les plus erronées. M Villiaumé, dans sa rapide et consciencieuse Histoire de la Révolution, a bâti, à propos de cette réponse de Camille à Robespierre, une singulière hypothèse. Il imagine que Robespierre, Danton et Desmoulins se concertèrent pour diminuer les rigueurs. Il fut convenu, dit-il, que Camille reprendrait la plume pour démasquer les hébertistes. Robespierre, ajoute-t-il, lut les épreuves des premiers numéros du Vieux Cordelier, qu'IL APPROUVA (t. III, p. 135 de l'édition Lacroix). On voit comme tout cela est contraire à la réalité et contredit par les explications mêmes de Desmoulins et de Robespierre. M. Marc Dufraisse, dans son étude sur Camille Desmoulins, étude dont nous avons signalé plus haut les regrettables erreurs, va plus loin : Robespierre propose de brûler les numéros du Vieux Cordelier, et il LES AVAIT CORRIGÉS DE SA MAIN. Et M. Marc Dufraisse d'ajouter, au sujet de la réponse de Camille : Encore un trait d'esprit que ce malheureux payera cher ! oubliant, comme le fait très-bien remarquer M. Louis Blanc, qu'après ce trait d'esprit Robespierre vint encore une fois au secours de Camille.

[91] Journal de la Montagne du 22 nivôse (11 janvier 1794), numéro 59.

[92] Le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 152 de l'édition Matton.

[93] Journal de la Montagne du 21 nivôse (10 janvier 1794), numéro 58.

[94] Voyez à ce sujet un certain nombre de pièces très-importantes, dans les Papiers inédits, t. III, p. 346 et suiv., pièces supprimées par Courtois.

[95] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 45.

[96] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 45.

[97] Voyez pour cette séance le Moniteur du 23 nivôse (12 janvier 1794) et le Journal de la Montagne du 22 nivôse, numéro 59.

[98] Journal de la Montagne, ubi supra. Voici en quels termes, de son côté, Camille protesta contre l'imputation : Ceux qui, par un reste de bienveillance pour moi et ce vieil intérêt qu'ils conservent au procureur général de la lanterne, expliquent ce qu'ils appellent mon apostasie en prétendant que j'ai été influencé et en mettant les iniquités de mes numéros 3 et 4 sur le dos de Fabre d'Églantine et Philippeaux, qui ont bien assez de leur responsabilité personnelle, je les remercie de ce que cette excuse a d'obligeant ; mais ceux-là montrent bien qu'ils ne connaissent point l'indépendance indomptée de ma plume, qui n'appartient qu'à la République, et peut-être un peu à mon imagination et à ses écarts, si l'on veut, mais non à l'ascendant et à l'influence de qui que ce soit. — (Le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 146, de l'édit. Matton.)

[99] Moniteur et Journal de la Montagne, ubi supra.

[100] Ce qui n'empêche pas M. Michelet de nous présenter Robespierre comme se jetant dans les bras de Collot, d'Hébert et de Ronsin. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 49.)

[101] Moniteur du 25 nivôse (14 janvier 1794) et Journal de la Montagne du même jour. — Savez-vous comment M. Michelet rend compte de cette laborieuse séance ? Trois lignes lui suffisent, et quelles lignes ! Aux premiers mots qu'il prononça (Robespierre), une voix s'écria : Dictateur ! La société refusa de rayer Bourdon (de l'Oise) et rapporta la radiation de Desmoulins. (T. VII, p. 53.) Ainsi, de la rédaction de M. Michelet il semble résulter que Robespierre réclama la radiation de Bourdon, et qu'il s'opposa au rapport de l'arrêté qui excluait Desmoulins. Et comme si l'historien eût craint que le lecteur ne se méprit sur le sens de son texte énigmatique, il a eu soin d'ajouter : A ces échecs manifestes, à cet éloignement visible de l'opinion. Invoquez donc après cela l'autorité de M. Michelet !

[102] La Feuille du Salut public du 16 pluviôse, numéro 216.

[103] Le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 150 et 154 de l'éd. Matton. — M. Michelet, dans sa déplorable partialité et son incroyable légèreté, imagine que ce fut pour gagner du temps que Robespierre, voyant que le procès contre les représentants était loin d'être mûr encore, établit une espèce de concours sur les vices du gouvernement anglais (t. VII, p. 143). Quel singulier historien que M. Michelet !

[104] Le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 133 de l'édition Matton.

[105] M. Michelet avance (t. VII, p. 55) qu'en septembre le comité de Sûreté générale avait été renouvelé d'après une liste composée par Robespierre. Voilà une assertion bien grave et qui demandait à être appuyée d'une preuve certaine et authentique. Le Moniteur ne dit rien de semblable. M. Michelet se contente d'affirmer, ajoutant, comme pour donner plus de poids à son affirmation, que le renouvellement de ce comité eut lieu le 26, lendemain du triomphe de Robespierre à la Convention. Or ce ne fut pas le 26, comme le dit par erreur M. Michelet, mais bien le 14 septembre, c'est-à-dire douze jours auparavant, que fut renouvelé le comité de Sûreté générale. Ajoutons qu'à l'exception de David et de Le Bas, presque tous les membres de ce comité étaient hostiles à Robespierre, et que la plupart d'entre eux devinrent ses ennemis les plus acharnés.

[106] Sur cette question de faux, Fabre d'Églantine a trouvé d'éloquents défenseurs dans MM. Louis Blanc et Michelet, aux livres desquels nous ne pouvons que renvoyer nos lecteurs.

[107] Moniteur du 26 nivôse (15 janvier 1794), séance du 24.

[108] Notes pour le rapport de Saint-Just sur les dantonistes, p. 21.

[109] Voyez à ce sujet le Moniteur du 3 avril 1793.

[110] Procès de Chaumette et autres, dans l'Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 284.

[111] Notes pour le procès des dantonistes. A l'égard de cette affaire des souliers, voyez les pièces supprimées par Courtois et rétablies dans les Papiers inédits, t. III, p. 346 et suivantes.

[112] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, p. 48, t. III. Cette pièce figure sous le numéro LVI à la suite du rapport de Courtois.

[113] L'original de ce projet de rapport, de la main de Robespierre, est aux Archives, A. R., F. 7, 4436.

[114] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 46.

[115] Paroles de Billaud-Varenne dans la séance du 9 thermidor. Voyez le Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[116] Dans son aveugle prévention contre Robespierre, M. Michelet se livre ici à des appréciations d'une subtilité digne du casuiste le plus retors. Il commence par dire que tout ce qu'Amar fit pour Fabre, qu'on le forçait d'accuser, ce fut de le montrer comme un filou, non comme un criminel d'État, — ce qui n'est nullement exact ; — de sorte que la chose n'allant qu'aux tribunaux ordinaires, Fabre pouvait par le bagne éviter la guillotine. M. Michelet est-il bien sûr que la falsification d'un décret de la Convention — l'accusation étant admise — eût conduit simplement l'accusé aux tribunaux ordinaires ? Mais voici qui est plus grave : Robespierre, dit-il, ne le permit pas, il remit la chose au point d'un crime d'État. Il n'y a pas un mot de vrai dans tout cela, et Robespierre ne songea nullement à établir cette distinction. Il protesta en termes magnifiques contre cette parole de Pitt : Il y a des voleurs parmi les Montagnards ; et il est impossible à tout cœur honnête de ne point s'associer à sa protestation. Et quant à ces mots : Où a-t-on vu celui qui est investi de la puissance souveraine tourner contre lui-même le glaive delà loi ? Où a-t-on vu un sénat puissant chercher les traîtres dans son sein ? n'est-ce pas le plus bel hommage rendu.au principe de la justice et de l'égalité ? M. Michelet, qui s'est bien gardé de rappeler le hautain défi de Robespierre aux tyrans de la terre, part de là pour écrire : Encouragement délicat pour décider l'Assemblée à trouver bon qu'on la saignât, qu'on lui coupât bras et jambes. Parlait-il sérieusement ? Quoi qu'il en soit, de telles paroles sont justement ce qui l'a fait le plus mortellement haïr. Des voleurs et des corrompus, c'est évident. (Voyez l'Histoire de la Révolution, t. VII, p. 164.) Assurément nous croyons M. Michelet plein de bonne foi ; mais n'y a-t-il pas de sa part une sorte de démence à jeter ainsi une ombre sur les choses les plus claires, à travestir avec le plus échange sans façon le rôle des personnages qu'il n'affectionne pas, et enfin à faire à Robespierre un crime de ce .qui, au contraire, doit être sa recommandation auprès de tous les cœurs droits et de toutes les âmes loyales ?

[117] Voyez le Moniteur du 22 brumaire (12 novembre 1793), séance du 20 brumaire.

[118] Voyez le Moniteur du 11 pluviôse. (24 janvier 1794, séance du 9 pluviôse, et le projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine, Papiers inédits, t. II, p. 40.

[119] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 40.

[120] Moniteur du 6 pluviôse (24 janvier 1794).

[121] L'abbé Grégoire à la Convention, séance du 21 septembre 1792. Voyez le Moniteur du 22.

[122] Voyez le Journal de Perlet du 9 pluviôse (28 janvier 1794), numéro 492, et le Moniteur du même jour.

[123] Voyez le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 138 de l'édition Matton.

[124] Moniteur du 6 pluviôse (24 janvier 1794), séance du 5 pluviôse.

[125] Séance du 4 pluviôse (22 janvier 1794), Moniteur du 6 pluviôse.

[126] Lettre en date du 13 nivôse (2 janvier 1794). L'original de cette lettre, non insérée par Courtois, est aux Archives, F7. 4436, liasse R. Nous pouvons signaler ici une des nombreuses coquineries de Courtois. Peu après l'arrestation de Vincent, d'Aubigny avait reçu d'un de ses amis, nommé Gateau, excellent patriote, très-protégé de Saint-Just, quoique un peu de la trempe de Vincent, et employé pour le moment à Strasbourg dans les subsistances militaires, une lettre où Gateau se plaignait en termes fort vifs de cette arrestation : C'est, disait-il, sur la motion de MM. Fabre d'Églantine et Bourdon (de l'Oise) ; c'est le premier échelon pour en venir à l'estimable Bouchotte et à tous les patriotes un peu vigoureux qui sont assez clairvoyants pour ne pas croire, à la vertu de quelques hommes qui veulent forcer au respect pour leur immoralité même, parce qu'ils peuvent manier à leur gré ou plutôt à celui de leurs lâches et dégoûtantes passions la hache révolutionnaire. Du diable si personne m'empêche de rire de pitié et d'indignation quand je verrai tous les Bourdon de la Convention, les Fabre d'Églantine, les Thuriot, etc., prôner la morale et la vertu, et prêcher l'abnégation de soi-même. Ô sainte liberté ! chère République ! à quelles mains es-tu quelquefois abandonnée !... Oh ! oh ! si Vincent avait pu devenir contre-révolutionnaire, je ne croirais plus, non jamais, à la vertu d'aucun des humains... Strasbourg, 2 nivôse.

Courtois n'a pas inséré cette lettre à la suite de son rapport, mais, en parlant de Gateau, il a écrit : Il avait pour cachet une guillotine dont l'empreinte est encore sur la cire qui scellait une de ses lettres. (P. 22, en note.)

Or, c'est là qu'est la coquinerie. Ce cachet n'était nullement celui de Gateau. On sait combien la République se montra sévère pour les fripons, et surtout pour ceux qui volaient en fournissant l'équipement et la nourriture du soldat. Aussi l'administration des vivres avait-elle adopté pour cachet une guillotine avec ces mots eu exergue : Subsistances militaires ; au bas, sur un écusson, on lisait : GUERRE AUX FRIPONS. On comprend que cette devise ait produit un assez mauvais effet sur Courtois, qui avait eu maille à partir avec le comité de Salut public au sujet de rapines dont il était accusé. Tel était le cachet appliqué sur la lettre de Gateau, et qu'on peut voir aux Archives, F7 4436, liasse R).

[127] Séance des Jacobins du 9 pluviôse an II. Voyez le Moniteur du 13 pluviôse (1er février 1794).

[128] Voyez le Moniteur du 16 pluviôse (4 février 1794).

[129] Histoire de la Révolution, par Michelet. — M. Michelet a employé ici un procédé étrange, pour ne pas dire plus ; jugez-en : Au lieu de ces paroles que nous avons citées d'après le Moniteur : Le comité de Sûreté générale paraît être convaincu qu'il n'y a aucune preuve valable contre le patriotisme de Vincent et de Ronsin. M. Michelet fait dire à Robespierre : Le comité sait qu'il n'existe rien à leur charge, etc. Du récit de M. Michelet il résulte pour le lecteur que Robespierre se porta fort de l'innocence de Vincent et de Ronsin, ce qui est absolument contraire à la vérité. M. Michelet, bien entendu, suivant sa coutume de supprimer tout ce qui gêne son système historique, ne dit mol du discours de Danton. On a dit de l'illustre écrivain que ce n'était pas un historien, mais un voyant en histoire. Hélas !

[130] Moniteur du 13 pluviôse (1er février 1794).

[131] Moniteur du 16 pluviôse (4 février 1794) et Journal de la Montagne du 14 pluviôse (numéro 81).

[132] Ce ne fut qu'en 1836 que ces critiques furent révélées dans une édition du Vieux Cordelier publiée par M. Matton, possesseur des manuscrits de Camille. Le nouvel éditeur eut grand tort, selon nous, de ne point donner le journal de Camille conformément à l'édition princeps, qui seule peut nous édifier sur l'effet produit à l'époque par l'apparition des numéros du Vieux Cordelier. Il aurait dû se contenter d'imprimer, en note, le texte du manuscrit, car, quoi qu'il en pense, les changements et modifications apportés dans le texte livré au public par Desenne ont été, c'est plus que probable, opérés par l'auteur lui-même.

[133] Voyez Le Vieux Cordelier, numéro 6, édition Matton, p. 150.

[134] Le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 154.

[135] Le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 204.

[136] Le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 177, 178.

[137] Le Vieux Cordelier, numéro 6, p. 175.

[138] Séance des Jacobins du 17 nivôse (8 janvier 1794), Moniteur du 23 nivôse (ubi supra).

[139] Avertissons encore une fois nos lecteurs que toutes les critiques du numéro 7, où si injustement Camille prend à partie Robespierre, n'existent pas dans l'édition princeps du Vieux Cordelier. On pourrait croire le contraire en lisant, par exemple, M. Michelet qui écrit : Personne jusqu'en 1836 n'a pu deviner pourquoi Desmoulins est mort. M. Michelet, après avoir cité les critiques de Desmoulins contre Robespierre, comme si elles figuraient dans le texte primitif, dit bien ensuite que Desenne recula d'horreur, demanda la suppression de tout passage contre Robespierre ; que Camille se débattit, disputa, — tout cela sans preuves, naturellement. Mais, a-t-il soin d'ajouter, ses ennemis en surprirent-ils quelques pages ? C'est probable. — C'est probable vaut son pesant d'or. — (Voyez Histoire de la Révolution, t. VII, p. 141, 145.) Ce qui est certain, et non probable, c'est que le numéro 7 du Vieux Cordelier ne fut pour rien dans l'arrestation de Camille, puisque celui-ci fut arrêté avant la publication de ce numéro, ce qu'omet de dire M. Michelet ; ce qui est certain encore, c'est que Desenne, qui ne fut même pas inquiété, se garda bien de faire confidence des passages dont il avait demandé la suppression à l'auteur.

[140] Preuve évidente que le projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine était antérieur de quelques semaines.

[141] Il semble que ce soient là les révolutionnaires particulièrement chers à M. Quinet, comme l'hébertiste Baudot, par exemple.

[142] Voyez au sujet d'Euloge Schneider notre Histoire de Saint-Just, t. II, édit. Méline et Cans. La justice nous oblige de dire que dans une lettre à Robespierre Euloge Schneider proteste hautement contre les exagérations qui lui sont imputées. Voyez cette lettre dans des Notes sur la vie de Schneider, publiées à Strasbourg, en 1862, par M. F. Cheitz, p. 142. L'authenticité de cette lettre m'inspire quelque doute, parce qu'il me semble que les Thermidoriens l'auraient publiée s'ils en avaient trouvé l'original dans les papiers de Robespierre, qui conservait avec le plus grand soin toutes les lettres qu'on lui adressait. Il serait possible qu'elle eût été interceptée par Fouquier-Tinville, mais alors on devrait la retrouver dans le dossier du farouche accusateur public.

J'ai supposé un moment que cette lettre était l'œuvre des amis de Schneider, lesquels la firent imprimer et circuler à Strasbourg. Ce qui me confirmerait dans cette supposition, ce sont les calomnies ineptes que les partisans de Schneider ont répandues après Thermidor sur la mémoire de Saint-Just, afin d'affaiblir la réprobation dont était marquée celle de leur ami, calomnies qui ôtent nécessairement tout caractère de véracité à leurs déclarations. Croirait-on, par exemple, qu'ils n'ont pas craint d'affirmer qu'Euloge Schneider s'était attiré l'animadversion de Saint-Just en s'opposant à un plan infernal d'une noyade de six mille Strasbourgeois ! Voyez à ce sujet les Notes ci-dessus mentionnées, p. 165, 166.

[143] C'est précisément au moment où Robespierre flétrit en termes si éloquents les sauvages partisans de l'hébertisme que M. Michelet a la naïveté de le présenter comme innocentant les hébertistes (t. VII, p. 70). M. Michelet, il est vrai, a à peine mentionné ce rapport, qui pourtant tient une si grande place dans la Révolution, puisqu'il est, si je puis ainsi parler, le catéchisme du gouvernement révolutionnaire.

[144] Voyez le Moniteur du 19 pluviôse (7 février 1794). Le rapport imprimé par ordre de la Convention forme une brochure in-8° de 31 p. (de l'Imp. nat.). D'autres éditions de ce rapport furent publiées dans les départements. Il en existe une avec une traduction allemande en regard qui m'a été signalée par Quérard. Ce rapport a été également traduit en anglais et publié, à l'époque, à Philadelphie. Presque tous les journaux du temps le citèrent en entier ou par extraits. Nous allons parcourir ensemble l'intéressant rapport de Robespierre en attendant que chaque Français en fasse son journal, lisons-nous dans le Franck en vedette du 28 pluviôse, numéro 75. Or, le rédacteur de cette feuille odieuse, le futur Thermidorien Guffroy, faisait évidemment contre fortune bon cœur, car il sentait bien qu'il était du nombre de ces faux révolutionnaires dépeints avec tant de vérité par Robespierre. — On trouve ce rapport dans l'Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 268, et dans les Œuvres éditées par Laponneraye, l. III.

[145] Journal de la Montagne du 5 octobre 1793, numéro 125.

[146] Journal de la Montagne du 25 vendémiaire, numéro 136. Vide supra.

[147] Voyez le Moniteur du 24 pluviôse (12 janvier 1794).

[148] Histoire de la Révolution, par M. Michelet, t. VII, p. 120.

[149] Histoire de la Révolution, par M. Michelet, t. VII, p. 122.

[150] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, ubi supra.

[151] Les signataires du premier arrêté sont : Barère, Hérault-Séchelles, Prieur (de la Marne), Carnot, Billaud-Varenne, C.-A. Prieur. Archives, ubi supra. Ont signé le second : Billaud-Varenne, Barère, Collot-d'Herbois, Carnot. Archives, A F. II, 37.

[152] Il existe encore à Paris (avril 1866) un vieillard âgé de plus de quatre-vingt-quatorze ans, nommé M. Bouquet du Perray. On m'avait assuré que ce vieillard avait très-intimement connu Robespierre, qu'il possédait des notes précieuses et qu'il pourrait me fournir des renseignements utiles. J'allai le voir. Je trouvai un homme ayant conservé, malgré son grand âge, une étonnante vigueur d'esprit. Seulement je fus trompé dans mon attente, il n'avait connu Robespierre qu'indirectement ; il se rappelait la distinction de ses manières, son extrême politesse, son affabilité, voilà tout. Ah ! me dit-il, j'ai bien ri souvent, depuis soixante ans, de la façon dont on a écrit l'histoire de la Révolution. Comme beaucoup de jeunes gens de l'époque, M. Bouquet du Perray avait répondu au premier appel de la patrie en danger. Devenu quoique très-jeune, chef d'état-major du général Leveneur, il avait été en rapport avec beaucoup de personnages considérables du temps. — Et Carrier ? lui dis-je. — Carrier, me répondit-il, je l'ai beaucoup connu. On ne lui a peut-être pas tenu assez compte des difficultés avec lesquelles il s'est trouvé aux prises. Personne ne peut s'imaginer l'exaspération où nous plongeaient les traitements sauvages infligés aux nôtres par les Vendéens. J'avais pour secrétaire un jeune homme de dix-neuf ans, nommé Bernard de Laumur. Un jour qu'on l'avait envoyé porter un ordre à un chef de brigade, il fut emporté par son cheval et tomba dans un avant-poste vendéen. On le jeta tout vivant dans un four brûlant, où nous avons trouvé son corps calciné.

[153] Lettre à la Convention nationale, lue dans la séance du 8 frimaire (28 novembre 1793). Voyez le Moniteur du 10 frimaire (30 novembre 1793), et le Journal de la Montagne du 9 frimaire.

[154] Papiers inédits, etc., t. III, p. 20. Les lettres de Jullien à Robespierre se trouvent à la suite du rapport de Courtois, p. 333 et suiv., et dans les Papiers inédits, de la p. 3 à la p. 55.

[155] Pour terminer sur ce qui concerne Carrier, tu apprendras avec surprise qu'il a maltraité Jullien, notre agent, dont tu connais la douceur et l'énergie républicaine. Jullien a dû sortir avec des précautions qu'un agent du comité ne devait pas être obligé le prendre. Lettre du comité de Salut public à Prieur (de la Marne), en date du 20 pluviôse (8 février 1794). Archives, A F. II, 37.

[156] Papiers inédits, t. III. p. 51.

[157] Lettres en date du 15 pluviôse (3 février 1794). Papiers inédits, t. III, p. 51 et 52.

[158] Lettre en date du 16 pluviôse (4 février 1794). Papiers inédits, t. III, p. 44.

[159] Archives, A F. II, 37, registre 176.

[160] Archives, A F. II, 37.

[161] Nous avons sous les yeux un livre publié en 1825, sous ce titre : Mémoires pour servir à l'histoire de la ville de Toulon en 1793, rédigés par M. L. Pons, professeur de rhétorique au collège de Toulon. — Paris, de l'imp. de C S. Touvé, in-8° de 394 pages, avec un portrait de Louis XVII. C'est une éclatante glorification de la trahison. Rien ne saurait mieux faire comprendre les sévérités dont la ville de Toulon a été l'objet. On y lit cet extrait d'un jugement qui condamne à être lacérée une adresse des prétendus représentants du peuple français Oui, vils et féroces jacobins, Toulon a proclamé Louis XVII roi des Français, et, pour faciliter les moyens de rétablir ce jeune monarque sur le trône de ses pères, Toulon a appelé dans ses murs les escadres et les troupes des puissances coalisées... (P. 316, note AA.)

[162] Arrêté en date du 5 brumaire (26 octobre 1793). Archives, A F. 11, 90.

[163] Magnifique résidence de Barras, devenue depuis la propriété du prince de Wagram. Les accusations de dilapidation n'ont pas épargné Fréron et Barras. Voyez notamment la sortie de Ruamps contre eux dans la séance de la Convention du 2 vendémiaire an III (Moniteur du 6 vendémiaire an III, 27 septembre 1794).

[164] Arrêté en date du 14 frimaire (4 décembre 1793), signé de Robespierre, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne, Barère, Carnot, Robert Lindet. Archives, A F. II, 58. — S'il faut en croire le député Clauzel, Ricord était porteur d'une lettre signée : Carnot, Prieur (de la Côte-d'Or), Billaud-Varenne, Collot-d’Herbois et Barère, adressée à Fréron et à Barras, et portant qu'ils avaient été des modérés de n'avoir pas réduit Toulon en cendres. (Extrait d'une dénonciation contre les membres des deux comités, en date du 6 nivôse an Ill, — 26 décembre 1794.) Archives. F. 7, 4435.

[165] Voyez le Moniteur du 23 pluviôse (11 février 1794).

[166] L'original de cette lettre est aux Archives, F. 7, 4435.

[167] La copie de cette lettre que nous avons trouvée aux Archives ne porte ni date ni signature. Elle est évidemment antérieure de quelques jours au 1er ventôse (19 février 1794). Archives, F. 7, 37.

[168] Archives, F. 7, 37.

[169] Voyez notre Histoire de Saint-Just.

[170] M. Edgar Quinet, la Révolution (Lacroix et Verbœkoven, 1866).

[171] Le comité de Salut public, d'après les informations communiquées par le citoyen Robespierre jeune, représentant du peuple, sur la situation des départements de Haute-Saône, Doubs et Jura, dans lesquels il s'est transporté pour faire parvenir au comité des renseignements que les circonstances rendaient nécessaires, arrête que le citoyen Robespierre jeune, pendant son séjour dans lesdits départements de Haute-Saône, Doubs et Jura, sera revêtu des mêmes pouvoirs que les autres représentants du peuple qui en ont reçu pour ces départements, et que, de concert avec eux, il est autorisé à prendre toutes les mesures de salut public qu'il jugera nécessaires, devant ensuite se rendre à sa première destination dans le département des Alpes-Maritimes.

Paris, le 6 pluviôse, l'an second de la République une et indivisible. Collot-d'Herbois, Barère, J.-B. Saint-André, Robespierre, Billaud-Varenne. — En marge est écrit : Remis au citoyen Robespierre l'aîné. (Archives, A F. 11, 59.)

[172] Souvenirs de la Révolution, par Charles Nodier, édit. Charpentier ; article intitulé : les Députés en mission, t. Ier, p. 297. On verra tout à l'heure combien de poids a ici le témoignage de Charles Nodier.

[173] Lette inédite de Duroy à Robespierre aîné, datée de Chaumont, le 25 pluviôse an II. Non insérée par Courtois, elle faisait partie de la collection Portiez (de l'Oise). Resté fidèle à la mémoire de Robespierre, Duroy fut aussi un des martyrs de la démocratie. Il périt, comme on sait, à la suite des journées de prairial.

[174] Vesoul, arrêté en date du 18 pluviôse (6 février 1794).

[175] Vesoul, arrêté du 24 pluviôse (12 février 1794).

[176] Vesoul, arrêté du 24 pluviôse (12 février 1794).

[177] Vesoul, arrêtés des 18 et 24 pluviôse (6 et 12 février 1794).

[178] Gray. Arrêtés en date des 26 et 27 pluviôse (14 et 15 février 1794).

[179] Gray. Arrêté en date du 27 pluviôse.

[180] Gray. Arrêté en date du 27 pluviôse.

[181] Vesoul. Arrêté en date du 16 pluviôse (4 février 1794). — Tous ces arrêtés de Robespierre jeune, extraits des minutes déposées au secrétariat des districts de Vesoul, Gray, etc., se trouvent aux Archives, A F., II, 138. Avons-nous besoin de dire que ces documents, comme tant d'autres que nous avons invoqués, apparaissent pour la première fois dans l'histoire, qu'ils contribuent à éclairer d'une lueur si vive ?

[182] Récit des opérations faites par Robespierre jeune dans le département de la Haute-Saône. Cette pièce capitale, qui faisait partie de la collection Portiez (de l'Oise), a été — bien entendu — supprimée par Courtois et ses honnêtes acolytes.

[183] Lettre d'Augustin Robespierre à son frère. Commune-Affranchie, 3 ventôse. (Voyez Papiers inédits, t. II, p. 76.)

[184] Le président de la société populaire était un de ces hommes élevés de caractère, élevés de talent, inaccessibles à tout reproche, qu'on s'étonnait quelquefois de voir mêlés au mouvement passionné de l'époque, mais dont l'impénétrable secret ne doit pas être discuté. Souvenirs de la Révolution, par Charles Nodier, t. I, p. 300, éd. Charpentier. Qui ne sait le rôle important qu'a joué M. de Vaublanc dans la tragi-comédie dont le dénouement a été la rentrée des Bourbon en France ?

[185] Souvenirs de la Révolution, ubi supra.

[186] Nous extrayons ces détails du précis des opérations faites par Robespierre jeune dans le département de la Haute-Saône, précis dont nous avons parlé plus haut Voici maintenant comment, de son côté, Charles Nodier a raconté cette scène : Le président... interrompit Robespierre... au nom de sa propre gloire et de l'illustration d'une famille appelée à de si hautes destinées. Cette phrase, échappée a une mauvaise habitude de cour ou à un faux calcul de convenance, suggéra à Robespierre jeune un mouvement remarquable. Il s'éleva contre cette illustration et ces destinées promises à une famille. Il s'indigna contre le penchant de certains hommes à rétablir dans l'opinion les privilèges qu'on venait d'arracher à la noblesse ; il indiqua cette tendance comme un des plus grands obstacles qu'on pût opposer à la liberté. Il ajouta que si son frère avait rendu quelques services à la cause de la patrie, son frère en avait reçu le prix dans la confiance et l'amour du peuple, et qu'il n'avait, lui, rien à réclamer. Ces acceptions de nom, continua-t-il, sont une des calamités de l'ancien régime ! Nous en sommes heureusement délivrés, et tu présidés cette société, toi qui es d'une famille d'aristocrates et qui es le frère d'un traître ! Si le nom de mon frère me donnait ici un privilège, le nom du tien t'enverrait à la mort (p. 303). On voit le rapport qui existe entre cette narration et le précis qui a servi à la nôtre. Or, Nodier n'avait pu avoir connaissance de ce précis qui, enseveli jusqu'ici dans une collection particulière, se trouve pour la première fois révélé au public. N'oublions pas qu'au moment où Charles Nodier écrivait ces lignes, M. de Vaublanc vivait encore, et qu'on était en pleine réaction royaliste. L'article de Nodier parut pour la première fois en 1829 dans la Revue de Paris, numéro 1.

[187] Charles Nodier affirme avoir entendu ces paroles. Il avait alors une douzaine d'années. Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 304.

[188] Comme on le redoutait, le départ d'Augustin Robespierre fut suivi d'une réaction ultra-révolutionnaire. Nous lisons dans une lettre de l'agent national du district de Vesoul, Boizot, à Madame de La Saudraye, femme de l'académicien La Saudraye, laquelle, à tort ou à raison, passait pour la maîtresse d'Augustin : Peut-être qu'à l'instant où vous lirez ma lettre, je serai dans les fers... Le vertueux Robespierre est informé de nos alarmes. Je lui ai écrit, il y a quelques jours. Sa grande âme ne saurait voir l'injustice et l'oppression sans indignation. Il est notre père, notre ami, notre guide. Vous pouvez beaucoup pour nous. La considération que vous ont méritée vos vertus peut nous être bien utile. Veuillez faire quelques démarches pour nous délivrer de la tyrannie qui nous oppresse. Vesoul, 1er germinal an II. Cette lettre fut trouvée dans les papiers de Robespierre, à qui elle avait été communiquée, et Courtois s'est bien gardé de l'insérer à la suite de son rapport. (Voyez Catalogues Charavay, novembre 1862, n° 403.)

[189] Voyez cette lettre dans les Papiers inédits, etc., t. II, p. 76. Elle figure sous le numéro LXXXIX, à la suite du rapport de Courtois. On ne s'explique pas comment les Thermidoriens, si attentifs à supprimer tout ce qui pouvait être à l'honneur de Robespierre, ont pu laisser passer cette lettre. A la fin de cette lettre, en post-scriptum, Augustin annonce a son frère l'envoi du précis de ses opérations au comité de Salut public.

[190] Lettre de J. P. Besson à Robespierre, en date du 23 prairial. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 116. Elle figure sous le numéro 1er, à la suite du rapport de Courtois. — Un homme peu suspect de tendresse pour la Révolution, le maréchal Marmont, a écrit de Robespierre jeune : Dans le temps des massacres on lui dut beaucoup ; il était simple, et même raisonnable d'opinion, au moins par comparaison avec les folies de l'époque, et blâmait hautement tous les actes atroces dont les récits nous étaient faits. (Mémoires du duc de Raguse, t. Ier, p. 54.)

[191] Séance du 22 pluviôse (10 février 1794), Moniteur du 23 pluviôse.

[192] Voyez les registres des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, ubi supra.

[193] Robespierre faisait le malade, dit M. Michelet (t. VII, p. 131). Il est vrai que, quelques pages plus loin (p. 147), notre l'historien veut bien avouer que Robespierre tomba malade le 15 février et resta chez lui jusqu'au 13 mars, — ce qui n'est pas tout à fait exact. Dur moment, ajoute-t-il, où il eut sans doute sa suprême tentation. Qu'est-ce que cela veut dire ? En revanche, c'est maintenant Couthon qui, selon M. Michelet, se dit malade aussi.

[194] On trouve, à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro V, les arrêtés de diverses sociétés populaires de section par lesquels un certain nombre de commissaires sont chargés d'aller prendre des nouvelles de Robespierre. Le rapporteur cite ces arrêtés comme une preuve de la tyrannie de Robespierre. C'est superbe ! Ils ont été reproduits dans les Papiers inédits, etc., t. II, p. 120 à 123.

[195] Lettre de J. P. Besson a Robespierre, ubi supra.

[196] Voici en quels termes la société populaire de la section de l'Unité avait libellé son arrêté : L'assemblée générale de ladite société, sur la motion d'un membre qui annonce que les citoyens Robespierre et Couthon sont malades, a arrêté qu'elle nomme commissaires pour s'informer de la santé de ces deux représentants les citoyens Genty, Louisa, Minet et Lucas, et qu'ils se transporteront au domicile de ces deux représentants à cet effet, et rendront compte à la société de l'état de leur santé, qui doit être chère à tous les bons républicains. Pour extrait conforme, signé Darroux, président ; Chambre, secrétaire. (Papiers inédits, etc., t. II, p. 121.)

[197] Une idée grotesque au possible est assurément celle de M. Edgar Quinet, dans son livre intitulé la Révolution, dont nous avons déjà signalé les erreurs et les contradictions. Que dire des inconséquences ! M. Quinet se plaint, sans beaucoup de réflexion, de la dictature exercée, au point de vue politique, par le comité de Salut public ; il en est encore à la trinité dictatoriale de Robespierre, de Saint-Just et de Couthon, vieille rengaine que les esprits sérieux et érudits laissent aux pères Loriquets de la Révolution, et il reproche à ce même comité de n'avoir point fait, coûte que coûte, table rase de l'ancienne religion pour en édifier une nouvelle. Ô intolérance des tolérants ! ô rage des modérés ! ô éternelles contradictions des gens à système ! ô mystification ! ô démence ! On sent, du reste, que M. Quinet n'a jamais étudié aux sources. Le rapport de Courtois, les déclamations et les pamphlets de la Gironde, et surtout, surtout les Mémoires inédits de l'hébertiste Baudot, voilà les autorités sur lesquelles l'auteur d'Ahasverus a écrit ses deux regrettables volumes. Nous avons fait bonne justice du rapport de Courtois et des pamphlets girondins. Mais les Mémoires de Baudot, quelle autorité ! ! Rien de curieux comme les lamentations sur la Terreur de Robespierre poussées par ce terroriste devenu vieux et se faisant ermite, lamentations un peu naïvement acceptées comme parole d'Évangile par M. Quinet, à qui l'ombre de Baudot a servi d'Égérie. Il sied bien, en vérité, au terroriste Baudot de venir après coup rejeter sur Robespierre la responsabilité de cette Terreur, à l'établissement de laquelle Robespierre ne contribua en rien, qu'il ne voulut pas ériger en système, quoi qu'en dise M. Quinet à la remorque de M. Mortimer Ternaux, et dont il usa sa vie à combattre les excès. Il sied bien au terroriste Baudot de parler de son aversion pour la Terreur de Robespierre, lui qui, vantant aux Jacobins les services rendus à Bordeaux par la commission populaire qu'il y avait établie, s'écriait d'un air si convaincu, le 13 brumaire (3 novembre 1793) : Tout s'y fait militairement, et le gouvernement ne va qu'à coups de sabre et de guillotine. C'est la dernière ressource qu'on a trouvée contre les aristocrates de ce pays-là. Ils tremblent, ils fuient, ils se cachent ; tous leurs efforts seront vains, tous éprouveront le sort réservé aux traîtres. Étant à Bordeaux, il apprend que Gabriel de Cussy, un des députés proscrits à la suite du 31 mai, est dans les prisons de la ville sous le nom de Morand ; aussitôt il se met en quête. Mais laissons-le raconter lui-même cet exploit : Je m'y rendis tout de suite et les visitai toutes. A la troisième, je rencontre un homme à qui je dis : Vous êtes Cussy ?Non, me répondit-il, je me nomme Morand. — Si cela est, dis-je, vous êtes Morand, qui étiez Cussy, membre du comité des assignats à la Convention. Ayez la bonté de me suivre à la commission populaire qui demain sans doute ne vous fera faire qu'un saut à la guillotine. Effectivement, le lendemain il fut guillotiné. Et Baudot de se lamenter de n'avoir pu mettre la main sur les restes de la Gironde, qu'à Saint-Émilion il n'a manqués que d'une demi-heure. Il se félicite encore de ce que deux autres députés doivent être à la guillotine à l'heure où il parle. Puis, annonçant aux Jacobins qu'il est envoyé en mission à Strasbourg, il avertit la société qu'il ne changera pas d'ardeur révolutionnaire en changeant de climat. Je ferai dans le Nord ce que j'ai fait dans le Midi : je les rendrai patriotes, ou ils mourront. (Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 528.)

M. Edgar Quinet ignore-t-il que les dissensions qui éclatèrent entre Saint-Just et Baudot dans le Bas-Rhin vinrent surtout de ce que Baudot voulait appliquer à ce département le régime de l'hébertisme ! C'est en faisant allusion à Baudot et à certains proconsuls du même tempérament que Saint-Just écrivait à Robespierre : La confiance n'a plus de prix quand on la partage avec des hommes corrompus ; alors on fait son devoir par le seul amour de la patrie, et ce sentiment est plus pur. Je t'embrasse, mon ami. (Voyez notre Histoire de Saint-Just, liv. III, ch. IV.) Baudot, qui demanda un jour que tous les châteaux fussent détruits dans toute l'étendue de la République, afin que les sans-culottes se servissent des matériaux pour se bâtir des maisons (séance du 13 brumaire à la Convention), était bien homme à provoquer la mort en masse de tous les détenus et suspects, comme cela lui fut reproché plus tard en pleine Convention. Telle était sa folie révolutionnaire qu'un jour, dans le Bas-Rhin, ennuyé des pétitions dont il était assailli, il prit un arrêté par lequel il rangea dans la catégorie des suspects les citoyens qui, dans une pétition, excéderaient le nombre de dix lignes (Voir le Moniteur du 12 frimaire an V). Baudot était donc de ceux dont Robespierre disait : Ils ont essayé de dépraver la morale publique et d'éteindre les sentiments généreux dont se compose l'amour de la liberté et de la patrie, en bannissant de la République le bon sens, la vertu et la Divinité. C'était peut-être un républicain convaincu ; mais on voit combien il est mal venu à rejeter sur des morts à qui il n'a pas été permis de laisser des Mémoires d'outre-tombe, la responsabilité de celte Terreur qu'il a jugée utile dans sa bonne foi farouche, et dont il a été un des plus ardents séides. Une affectation particulière à se décharger de toute responsabilité dans les actes de la Terreur et à la mettre sur le compte de ceux qui périrent pour avoir voulu l'arrêter ; à chaque instant des articulations monstrueusement mensongères, des anecdotes ridicules sur l'un et sur l'autre, sur Saint-Just en particulier, voilà les Mémoires de Baudot, et voilà la plus sérieuse, et l'on peut dire la seule autorité de M. Quinet.

[198] Arrêté en date du 2 nivôse (22 décembre 1793) ; registres des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, 435 aa 72.

[199] Formule de serment à laquelle doivent se conformer les prêtres des départements du Mont-Blanc et de l'Ain, sous peine d'être renfermés. Archives, A F., II, 83.

[200] Archives, A F., II, 83.

[201] Javogues à son ami Collot-d'Herbois (de Ville-Affranchie). Archives, A F. II, 58.

[202] Séance de la Convention du 20 pluviôse (8 février 1794). Moniteur du 22 pluviôse.

[203] Cette lettre, supprimée par Courtois, faisait partie de la collection Portiez (de l'Oise). Elle ne porte point de date, mais elle est vraisemblablement de nivôse ou de pluviôse.

[204] Archives. Correspondance du comité de Salut public avec les députés en mission. A F. II, 37.

[205] Archives, A F. II, 37. Cette lettre, ou plutôt ce brouillon de lettre, n'est point daté.

[206] Les représentants du peuple composant le comité de Salut public au citoyen Lequinio, représentant du peuple à Saintes. Archives, ubi supra. Les minutes de ces lettres ne portent point de signatures. Plusieurs m'ont paru être de l'écriture de Saint-Just. Les copies signées sont restées entre les mains des destinataires. — Lequinio avait rendu d'incontestables services à la Révolution ; on n'oubliera pas son discours sur l'instruction publique et sur les fêtes nationales. Mais il eut le tort de se laisser entraîner par le courant hébertiste. C'était lui qui, de son propre mouvement, donnait des pensions aux prêtres qui se déprêtrisaient, encourageant ainsi une lâche apostasie (Monteur du 16 brumaire [6 novembre 1793]). C'était lui qui se vantait d'avoir fait dîner à sa table le bourreau Ance, proclamé par lui le guillotineur de Rochefort. (Voyez le Moniteur du 24 brumaire [14 novembre 1793.]) Revenu à Paris avec, des idées plus calmes, on l'entendit faire un pompeux éloge du rapport de Robespierre sur les fêtes décadaires ; mais au lendemain de Thermidor, faisant cause commune avec les terroristes vainqueurs, il jetait aussi la pierre au lion abattu et l'accusait — c'est à n'y pas croire ! — d'avoir voulu empêcher l'instruction.

[207] Le Père Duchesne, numéro 324.

[208] Le Vieux Cordelier, numéro 5, édit. Matton, p. 103.

[209] Le Vieux Cordelier, numéro 5, p. 112, de l'édit. Matton.

[210] Le Père Duchesne, numéro 330.

[211] Lettre de Gravier à Robespierre, non insérée par Courtois. Papiers inédits, t. II, p. 194.

[212] Le mot est de Proudhon.

[213] Œuvres posthumes de Burke sur la Révolution française. Londres, 1799 in-8°, p. 180.

[214] Le Père Duchesne, numéro 331.

[215] Séance du 13 pluviôse (11 février 1794) aux Jacobins. (Moniteur du 28.) Voyez aussi à ce sujet une lettre de Concedieu, administrateur du département, à Robespierre, dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 302.

[216] Moniteur du 28 pluviôse (16 février 1794).

[217] Moniteur du 28 pluviôse (16 février 1794).

[218] Lettre de Gravier a Robespierre (ubi supra). Papiers inédits, t. II, p. 194.

[219] Lettre de Gravier a Robespierre (ubi supra). Papiers inédits, t. II, p. 194.

[220] Voyez notre Histoire de Saint-Just, édit. Méline et Cans, t. II, p. 111.

[221] Lettre de Gravier à Robespierre (ubi supra). Papiers inédits, t. II, p. 194.

[222] Voyez le compte rendu de cette séance des Cordeliers dans le Moniteur du 17 ventôse (7 mars 1794).

[223] Registres du conseil général de la commune. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXI, p. 331.

[224] Déposition de Dufourny dans le procès d'Hébert.

[225] Déposition de Dufourny dans le procès d'Hébert.

[226] Déposition de Lavaux et de Jobert dans le procès des hébertistes.

[227] Procès des hébertistes. Déposition de Loyer, juré au tribunal.

[228] Procès des hébertistes. Déposition d'un témoin non nommé.

[229] Nous devons à l'obligeance de M. P. Duplan, ancien représentant du peuple à l'Assemblée constituante, la communication de ces détails pleins d'intérêt. M. P. Duplan les tenait de la bouche même de Souberbielle, avec lequel il s'était trouvé en relations suivies. A propos de l'Histoire des Girondins de M de Lamartine, il a consigné ses souvenirs dans un article en date du 26 septembre 1847, et qui a été inséré dans le Journal du Loiret du 29 décembre de la même année. Dans sa Réfutation de l'Histoire de France de l'abbé de Montgaillard, M. Laurent (de l'Ardèche) parle aussi des ouvertures faites par Ronsin à un juré, qu'il ne nomme pas, pour l'extermination en grand de tous les ennemis de la Révolution. (Voyez p. 312.)

[230] Voyez le Moniteur du 17 ventôse (7 mars 1794).

[231] Moniteur du 17 ventôse (7 mars 1794).

[232] Séance des Cordeliers du 17 ventôse (7 mars 1794). Voyez le Moniteur du 21 ventôse.

[233] Voyez notre Histoire de Saint-Just, édit. Méline et Cans, t. II, p. 147. La Convention crut devoir répandre à profusion dans le pays le rapport de Saint-Just, et elle le fit tirer au chiffre énorme de 200.000 exemplaires. (Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives.) Arrêté signé : Barère, Carnot, C.-A. Prieur, Collot-d’Herbois, Robespierre, Billaud-Varenne, Saint-Just et Robert Lindet. Il est du 24 ventôse, jour de la réapparition de Robespierre au comité de Salut public.

[234] Séance des Jacobins du 24 ventôse (14 mars 1794). Voyez le Moniteur du 28 ventôse.

[235] Moniteur du 26 ventôse (16 mars 1794).

[236] Moniteur du 26 ventôse (16 mars 1794). Déclaration de Couthon à la Convention nationale.

[237] Voyez le Moniteur du 26 ventôse (16 mars 1794).

[238] La Feuille du Salut public (journal du jeune Rousselin). Voyez le numéro 260, du 30 ventôse (20 mars 1794).

[239] Moniteur du 28 ventôse (18 mars 1794).

[240] Voyez le Journal de la Montagne du 20 frimaire an II.

[241] Mémoires de Lucien Bonaparte. — Dans ces Mémoires, dont un seul volume a paru, Lucien Bonaparte a consacré à la Révolution française quelques chapitres qui dénotent de sa part la plus étonnante ignorance de cette époque et de ces temps d'où est sortie la grandeur de sa famille. Il exprime sur Robespierre une opinion toute contraire à celle qu'à diverses reprises a manifestée Napoléon. Mais il suffit de citer un exemple de la façon dont Lucien traite l'histoire pour démontrer combien doit être nulle, aux yeux de tous les gens qui réfléchissent, la valeur de ses appréciations. Il écrit, en parlant de Robespierre : Il osa immoler l'honneur de son sexe, l'ange qui portait sur la terre le nom d'Élisabeth ! (p. 55.) C'est là une de ces niaiseries qu'il fallait laisser aux Montjoie et autres écrivains de cette farine. Nous avons prouvé que, loin de vouloir la mort d'Élisabeth, Robespierre avait essayé de l'arracher aux enragés, auxquels il la disputa en vain.

[242] Lettre inédite, faisant partie de la collection Portiez (de l'Oise). Une copie m'en a été communiquée par M. A. Sencier, neveu de ce représentait. Cette lettre, de Robespierre jeune est d'une extrême importance. Elle commence par ces mots : Je reçois ta lettre à l'instant de l'expédition d'Oneille. Plus loin, Augustin dit à son frère : Écris-moi aussitôt ma lettre reçue, instruis-moi des évènements. Il y avait donc entre les deux frères une correspondance active, et Napoléon n'en imposait pas à ses confidents quand il leur disait qu'il avait vu à Toulon des lettres de Robespierre à son frère où Maximilien s'expliquait avec beaucoup de véhémence et d'indignation sur la manière dont certains membres de la Convention pratiquaient le gouvernement révolutionnaire. M. Michelet saura désormais qu'il a eu tort de supposer, suivant sa déplorable manie, que ces lettres pouvaient être fabriquées. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 353.)

Il y a dans la lettre de Robespierre jeune un passage vraiment furieux et qui prouve combien étaient répandus les soupçons contre Danton et Delacroix : J'ai toujours soupçonné, dit Augustin à son frère, les deux gros D. et D. de la Convention d'être les premiers conjurés. Rappelle-toi leur conduite dans toutes les crises qui ont précédé depuis Dumouriez jusqu'à ce jour ; leur silence dans la crise actuelle, et les motions puériles d'ajournement, de renvoi, d'amendement de l'un, par lesquelles il veut faire connaitre qu'il est las. L'autre jette son feu sur Francfort et veut la faire livrer aux flammes, parce que cette ville réclame la remise d'une contribution, occasion bien éclatante pour faire briller son amour pour la République française. A cette date du 16 germinal, Augustin ignorait encore l'arrestation et le procès des dantonistes.

On sent maintenant l'intérêt puissant que les Thermidoriens ont eu à supprimer d'abord la lettre dont nous venons de citer quelques extraits, et à détruire complètement les lettres accusatrices de Maximilien à son frère.

[243] S'il faut en croire Charlotte Robespierre, Napoléon aurait eu l'idée de marcher contre la Convention à la nouvelle des événements du 9 Thermidor, et en aurait fait la proposition formelle aux représentants qui se trouvaient à l'armée d'Italie. (Mémoires de Charlotte, p. 127.) On assure même qu'il existait un certain nombre de lettres de Napoléon à Robespierre, et que ces lettres ont été rendues au premier par Courtois. Voyez ce que disent à cet égard les auteurs de l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 168.

[244] Voyez le Moniteur du 29 ventôse (19 mars 1794).

[245] Arrêté signé : Billaud-Varenne, Barère, Collot-d’Herbois, Carnot, Saint-Just, C.-A. Prieur. (Archives, F 7. 4435.)

[246] Moniteur du 1er germinal an II (21 mars 1794).

[247] On lit dans le projet de rapport de Robespierre sur la faction Fabre d'Églantine : Pressavin veut immoler Héron, patriote connu qui est défendu par Vadier. (Papiers inédits, t. II, p. 39.)

[248] Mémoires de Senar, p. 112.

[249] M. Michelet adoucit l'expression, et il appelle Héron l'agent secret de Robespierre (t. VII, p. 175). Il est vrai que, par une de ces contradictions qui lui sont familières, il reconnaît, dix lignes plus bas, que Robespierre ne vit jamais Héron. Mais M. Michelet ne s'embarrasse pas pour si peu. C'étaient, dit-il, de petites filles qui souvent portaient les lettres et les paquets cachetés chez Mme de Chalabre, laquelle les remettait à Maximilien. Quelle puissance divinatoire ! Et M. Michelet n'a pas reculé devant ce tissu d'absurdités !

Répétons ici ce que nous avons déjà dit autre part, à savoir que le manuscrit des Mémoires de Senar, livré à l'impression une trentaine d'années après la mort de l'auteur, a été vendu à l'éditeur par un autre misérable, nommé Dossonville, également espion du comité de Sûreté générale. J'ai sous les yeux un arrêté du comité de Sûreté, eu date du 18 pluviôse (6 février 1794), conférant à Dossonville ses pouvoirs d'agent du comité. Il est signé : Élie Lacoste, Louis (du Bas-Rhin), Moyse Bayle, Amar, Dubarran, Vadier, Lavicomterie et Jagot, tous, à l'exception de Lavicomterie, implacables ennemis de Robespierre. (Archives, F 7. 45792.) Dossonville, après avoir prêté son ministère infamant à la Terreur révolutionnaire, se mit plus tard au service de la Terreur blanche.

[250] Ce qui n'a pas empêché MM. Barrière et Berville, dans les Papiers inédits, de mettre, sur la foi de Senar, au-dessous du nom de Héron, agent de Robespierre ; et le lecteur superficiel ferme le livre, persuadé qu'en effet Héron était un agent de Robespierre. Certes on ne peut pas douter de la bonne foi d'hommes comme MM. Barrière et Berville, mais on est véritablement stupéfait de leur naïveté et de leur ignorance en matière d'histoire de la Révolution.

[251] Séance du 20 ventôse an II (20 mars 1794). Voyez le Moniteur du 1er germinal (21 mars).

[252] Voyez le Moniteur du 1er germinal (21 mars 1794). — De ce que l'arrestation de Héron fut révoquée, M. Michelet conclut hardiment que la Convention replaça la police armée dans les mains de Robespierre (t. VII, p. 175). Or, comme on l'a vu, Robespierre n'avait aucune espèce de relations avec Héron, lequel était l'agent de confiance du comité de Sûreté générale, dont la plupart des membres étaient fort hostiles à Maximilien. Quel logicien que M. Michelet !

[253] Séance des Jacobins du 28 ventôse an II (18 mars 1794). Moniteur du 2 germinal (22 mars 1794).

[254] Voyez le Moniteur du 5 germinal (25 mars 1794).

[255] Voyez le Moniteur du 5 germinal an II (25 mars 1794), et le Journal de la Montagne du 4 germinal, numéro 131. Nous avons adopté ici la version du Moniteur.

[256] Notes de Robespierre sur différents députés à la Convention, insérées sous le numéro LI à la suite du rapport de Courtois. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 21.

[257] Séance du 26 ventôse (16 mars 1794) aux Jacobins. Voyez le Moniteur du 30 ventôse.

[258] Voyez le Nouveau Tableau de Paris.

[259] Séance du Conseil général de la Commune du 2 pluviôse (21 janv. 1794). Moniteur du 5 pluviôse.

[260] Voyez le Moniteur du 4 germinal (24 mars 1794).

[261] La note trouvée dans les papiers de Robespierre, et où Laboureau rend compte de ce qu'il a vu et entendu depuis sa détention, est évidemment postérieure au procès, puisqu'il y déclare n'avoir vu pour la première fois une partie des accusés qu'au tribunal. S'il avait été englobé dans l'affaire uniquement pour donner au comité de Salut public des renseignements sur les communications qu'auraient pu se faire les accusés entre eux, on aurait au moins pris la précaution de le mettre en rapport avec chacun d'eux. (Voyez cette note dans l'Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 54.)

[262] Rougyff, ou le Frank en vedette, numéro 89, du 4 germinal (24 mars 1794).

[263] Rougyff, ou le Frank en vedette, numéro 90, du 6 germinal (26 mars 1794).

[264] Prud'homme. Voyez son Histoire générale et impartiale des crimes et erreurs.

[265] Moniteur du 5 germinal (25 mars 1794).

[266] Note de Laboureau (ubi supra).