HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME DEUXIÈME — LES GIRONDINS

 

LIVRE HUITIÈME. — JUIN 1792 - SEPTEMBRE 1792.

 

 

Effet produit par le renvoi des ministres. — Séance du 13 juin aux Jacobins. — Les Feuillants au pouvoir. — Entente de La Fayette avec la cour. — Les gardes nationaux du Gros-Caillou et La Fayette. — Réponse de Robespierre. — Lettre de La Fayette à l'Assemblée nationale. — Sensation produite aux Jacobins. — Violente improvisation. — Robespierre, citoyen français, à La Fayette, général d'armée. — Manifestation du 20 juin. — Robespierre y est complètement étranger. — Nouvelle philippique de Robespierre contre La Fayette. — Le général à la barre de l'Assemblée. — Effet de sa présence à Paris. — De la manière dont on fait la guerre. — Parallèle entre La Fayette et Léopold. — Attitude des Girondins. — Violente sortie de leur part contre le général. — Paroles de paix. — Brissot et Robespierre aux Jacobins. — Fureurs des journaux de la Gironde contre La Fayette. — Le baiser Lamourette. — Manœuvres de la réaction. — Observations de Robespierre au club des Jacobins. — Discours de Vergniaud et de Brissot. — La patrie en danger. — Adresse aux fédérés. — Marta chassé des Jacobins. — La fédération de 1792. — Conseils de Robespierre aux fédérés. — Pétition des fédérés à l'Assemblée nationale. — Hésitation de l'Assemblée. — Lettre de Robespierre à Couthon. — Ses observations sur l'ajournement prononcé par l'Assemblée. — Il propose de sauver la liberté par la constitution. — Les volontaires de 1792. — Étrange tactique des Girondins. — Manifeste du duc de Brunswick. — Bizarre proposition de Carra. — Séance du 29 juillet aux Jacobins. — Singulière conduite d'Isnard et de Brissot. — Les Marseillais à Paris. — Rixe aux Champs-Elysées. — Hommage à la ville de Marseille. — Barbaroux chez Robespierre. — Le précis très-exact de Carra. — Prolégomènes du 10 août. — Chute de la royauté. — Part qu'y eut Robespierre. — La commune du 10 août. — Le nouveau directoire du département. — Mauvaise foi du Patriote français. - Le tribunal du 17 août. — Robespierre en refuse la présidence. — La Fayette et l'armée. — Grave mesure prise par l'Assemblée nationale. — Une supercherie historique. — Madame Roland tente de rapprocher la Gironde et Robespierre. — Les Assemblées primaires. — Mesures suprêmes. — Rupture définitive. — Séance du 1er septembre à la commune. — Les massacres de septembre. — Noires calomnies. — Opérations de l'Assemblée électorale. — Élections des députés à la Convention nationale.

 

I

Les Girondins considérèrent comme un malheur public le renvoi de Roland, de Clavière et de Servan. Instrument de la disgrâce de leurs amis, Dumouriez, dont ils avaient tant célébré les talents et le patriotisme, devint pour eux le plus vil des intrigants, fut, de leur part, l'objet d'apostrophes pleines de dépit et de colère[1], et, sous leur influence, l'Assemblée nationale déclara que les ministres, qui avaient été impôts par eux à la cour, emportaient les regrets de la nation[2]. C'était le 13 juin. Le soir, la tribune des Jacobins retentit de paroles menaçantes ; on entendit comme un appel à l'insurrection populaire.

Robespierre était présent. Dire son opinion dans cette circonstance grave lui parut une obligation. Également opposé aux ennemis de la Révolution qui conspiraient le renversement des sociétés patriotiques, et aux intrigants qui prétendaient les transformer en instruments de leur ambition et de leur intérêt personnel, lui aussi croyait la patrie en danger, non pas, il est vrai, parce que quelques ministres jacobins étaient chassés du pouvoir, mais parce que, menacée au dehors, elle était en même temps tourmentée par des discordes intestines, parce que la liberté individuelle n'était pas respectée, parce que le gouvernement exécutait mal les lois, parce qu'enfin tous les principes de la liberté publique étaient attaqués. Ce danger, il l'avait signalé dès longtemps ; et, à coup sûr, il ne dut pas être agréable aux hommes de la Gironde quand il s'étonna, avec quelque raison cependant, qu'on s'en aperçût seulement du jour où survenait un changement dans le ministère, et où se trouvaient brisées les espérances ambitieuses des amis de quelques-uns des ministres. Le salut public n'était attaché, selon lui, à la tête d'aucun ministre ; il l'était au maintien des principes, à la sagesse des lois, à l'incorruptibilité des représentants du peuple, à la puissance de la nation elle-même. Toutefois, il n'en rendait pas moins justice au patriotisme des ministres congédiés ; mais plusieurs membres, mécontents, sans doute, de la parcimonie de ses éloges, se récrièrent. Je demande, dit Santerre, qu'à chaque séance M Robespierre soit tenu de parler au moins trois fois pour chasser tous les Feuillants. — S'il doit être ici uniquement question des ministres, reprit l'orateur, je quitte la tribune ; si l'on s'attache, au contraire, à la chose publique, je garde la parole. — Courage, Robespierre ! lui crièrent aussitôt plusieurs voix[3]. — L'Assemblée nationale, continua-t-il, était toujours assez puissante pour forcer la cour à marcher dans les voies de la constitution ; il en avait la preuve dans la fermeté montrée le matin par elle en apprenant le renvoi des ministres patriotes. Seulement ce grand zèle et cette énergie, il les voudrait voir se déployer, non à propos d'un changement de ministère et d'une question de personnes, mais dans toutes les délibérations concernant l'intérêt général. Peu importait le plus ou moins dd patriotisme des ministres, du moment où l'Assemblée nationale était dévouée à la Révolution, à la liberté. Il y avait, à son avis, plus d'avantage pour les représentants du peuple à surveiller les ministres qu'à les nommer ; on était certain ainsi de ne point s'endormir dans une sécurité souvent trompeuse.

D'ailleurs pouvait-on répondre des personnes ? Dumouriez n'était-il pas honni aujourd'hui par les mêmes feuilles qui, peu de mois auparavant, exaltaient son patriotisme ? Puis, autre danger, n'avait-on pas vu l'amour des places succéder, dans le cœur de beaucoup de patriotes, à celui de la patrie, et la société des Amis de la Constitution se diviser en deux partis : les partisans des ministres et ceux de la constitution ? Le meilleur moyen de ne point faillir était donc de ne pas attacher le sort de la Révolution à la disgrâce ou à la fortune de tel ou tel agent du pouvoir ; de ne pas s'enflammer tantôt pour celui-ci, tantôt pour celui-là, mais de s'appuyer constamment sur les principes. La patrie seule, disait-il, mérite l'attention des citoyens. L'oubli des injures personnelles entre tous les amis de la Révolution lui paraissait également un point essentiel à la défense de la cause populaire ; et, s'adressant à ses adversaires, il les conviait chaleureusement à une réconciliation patriotique. Je déclare que, s'ils veulent se réunir sincèrement à moi pour soutenir les principes, alors, comme M. Merlin et tous les bons citoyens, j'ensevelirai dans l'oubli le système de la plus affreuse diffamation qui ait jamais été inventé. Seulement la paix deviendrait impossible, poursuivait-il, si, marchant sur les traces de La Fayette, les personnes auxquelles il avait fait allusion s'obstinaient à le dénoncer comme un membre du comité autrichien.

Il repoussa ensuite, de toutes ses forces, cet appel au soulèvement populaire, qui sera pourtant entendu, comme on le verra tout à l'heure. Ennemi des insurrections partielles, bonnes, disait-il, à énerver l'esprit public, à compromettre la liberté, il demandait qu'on ne mît le peuple français en mouvement que pour des motifs dignes de lui, pour réprimer des attentats directs contre la liberté, non pour de simples questions de personnes. Il semblait indiquer d'avance la distinction capitale existant entre la manifestation du 20 juin et l'insurrection du 10 août. Pour le moment, le mieux était, selon lui, de s'en fier à l'Assemblée nationale, de se rallier autour de la constitution. On avait parlé de refondre cette dernière, de transformer l'Assemblée législative en constituante : mais renverser l'acte constitutionnel dans un pareil moment, c'était, il le craignait, allumer la guerre civile ; c'était courir à l'anarchie, au despotisme militaire. L'armée aux mains des Feuillants occupait toujours sa pensée ; et La Fayette, par une démarche imprudente, ne tardera pas à justifier ses pressentiments. Quelle perspective que celle d'une Assemblée délibérant au milieu des baïonnettes et sanctionnant la volonté d'un dictateur militaire ! Après avoir été l'espérance et l'admiration de l'Europe, disait Robespierre en terminant, nous en serons la honte et le désespoir. Nous n'aurons plus le même roi, mais nous aurons mille tyrans ; vous aurez tout au plus un gouvernement aristocratique, acheté au prix des plus grands désastres et du plus pur sang français. Voilà le but de ces intrigues qui nous agitent depuis si longtemps ! Pour moi, voué à la haine de toutes les factions que j'ai combattues, voué à la vengeance de la cour, à celle de tous les hypocrites amis de la liberté, étranger à tous les partis, je viens ici prendre acte solennellement de ma constance à repousser tous les systèmes désastreux et toutes les manœuvres coupables, et j'atteste ma patrie et l'univers que je n'aurai point contribué aux maux que je vois prêts à fondre sur elle[4].

Maximilien quitta la tribune au milieu des applaudissements. Cependant un certain nombre de membres de la société étaient d'avis de pousser le peuple à une démonstration sérieuse contre le gouvernement. Danton s'engagea à porter la terreur dans une cour perverse. Ses moyens, il les proposa le lendemain : c'était d'abord de rejeter sur la classe riche la plus grande partie des impositions ; ensuite de forcer Louis XVI, par une loi, à répudier sa femme et à la renvoyer en Autriche dont l'intérêt était tout à fait en opposition avec celui de la France. Le girondin Réal demandait la suspension du roi, comme en juin 1791, et voulait que l'on confiât aux ministres l'exercice du pouvoir. Opposé aux mesures anti-constitutionnelles, le député Chabot reprochait cependant à. Robespierre de s'être montré trop indulgent envers l'Assemblée nationale en engageant le peuple à se jeter dans ses bras et à lui confier ses destinées. Rappelant alors quelques-uns des décrets contre-révolutionnaires arrachés par l'esprit feuillant à l'Assemblée dont il était membre, il semblait désespérer de cette Montagne sainte dans laquelle Robespierre montrait au peuple son salut[5] ; on commençait de désigner ainsi le côté gauche où siégeaient alors avec Chabot, Merlin et Bazire, les Guadet, les Vergniaud et la plupart des hommes de la Gironde. Mais en combattant toute idée d'insurrection partielle destinée à la satisfaction de quelques amours-propres froissés, Robespierre n'entendait nullement enchaîner les mains du peuple pour le cas où le gouvernement déclarerait ouvertement la guerre à la Révolution. Ce jour-là, nous l'entendrons pousser le cri d'alarme ; et, le premier, il demandera, non pas la transformation de l'Assemblée législative en Assemblée constituante, mais la convocation d'une Convention nationale, inaccessible aux législateurs actuels et à ceux de la première Constituante, voulant des hommes nouveaux à une situation toute nouvelle.

 

II

Tout en contribuant à la chute des Girondins, Dumouriez était bien décidé à résister, dans une certaine mesure, au torrent contre-révolutionnaire auquel la cour semblait trop disposée à se laisser entraîner. Il engagea donc vivement le roi à sanctionner le dernier décret rendu contre les prêtres et celui concernant les fédérés. Ayant, sur le refus de Louis XVI, offert sa démission, il fut pris au mot et expulsé lui-même du ministère, quatre jours seulement après le renvoi de ses anciens collègues. En remplacement des ministres dits patriotes, dont deux, Lacoste et Duranton, restèrent en place, en passant, l'un à la marine, l'autre aux finances, furent appelés : Terrier de Monciel à l'intérieur, Chambonas aux affaires étrangères, Lajard au département de la guerre, et Dejoly à la justice. Les Feuillants triomphaient, malheureusement pour le roi lui-même qui crut renforcer son autorité en s'appuyant sur eux, car ils étaient destinés à préparer les funérailles de la monarchie.

Il y avait là de toute évidence un plan concerté avec La Fayette, dont l'intervention illégale dans les affaires publiques n'était dès lors un mystère pour personne. Déjà, dans une correspondance récente avec le précédent ministre de l'intérieur, il avait pris des airs d'autorité peu propres à diminuer les soupçons que son imprudente conduite avait fait naître dans le cœur des amis sincères de la Révolution. En parlant des troupes placées sous ses ordres, il disait : Mes soldats, mon armée, je compte sur elle autant qu'elle compte sur moi. Et il témoignait de son respect pour les lois, lui qui ne devait le commandement dont il était investi qu'à la violation d'un décret de l'Assemblée constituante, et qui, tout à l'heure, allait pousser la témérité jusqu'à parler en maître, pour ainsi dire, aux représentants du pays[6] ! Mais sa taille n'était pas à la hauteur des rôles de Cromwell et de Monck. Trop de patriotes d'ailleurs lui barraient le chemin ; plus tard, quand le général Bonaparte s'empara des destinées de la France, tous les grands hommes de la Révolution avaient disparu ; sans cela, malgré tout son génie, il n'eût jamais réussi dans sa téméraire entreprise.

Cependant La Fayette alors paraissait tout-puissant : il était à la tête de l'armée la plus considérable ; et, tandis que les ennemis déclarés ou cachés de la Révolution tournaient vers lui des regards pleins d'espérance, les Girondins eux-mêmes se reposaient sur lui avec confiance. N'avaient-ils pas fait un crime à Robespierre d'avoir, dès long temps, deviné et dénoncé les projets et les intrigues du général ? A la veille même du jour où sa prévoyance allait recevoir une si éclatante justification, les journaux girondins publiaient une lettre de La Fayette, dans laquelle celui-ci, après s'être plaint d'avoir été calomnié aux Jacobins, rangeait Robespierre au nombre des adversaires de la liberté, et semblait le confondre avec les ennemis extérieurs. Voici à quelle occasion. On se souvient peut-être que, vers la fin du mois d'avril, Robespierre avait reçu une lettre, au nom du bataillon du Gros-Caillou, où on lui reprochait amèrement de révoquer en doute les vertus civiques de La Fayette, et où on le sommait, sous peine de passer pour un calomniateur, de produire devant les tribunaux les preuves de ses dénonciations. Cette lettre était signée : Hollier, commandant, et Giraud, se qualifiant fusilier, secrétaire du conseil de discipline. L'un et l'autre, sans mandat spécial, avaient écrit au nom du bataillon auquel ils appartenaient, bataillon dont le civisme ardent était trop connu pour qu'on pût le supposer capable d'avoir pris part à une démarche servile, et dans tous les cas illégale, puisque la constitution interdisait aux corps armés de délibérer. Il n'était donc point permis à un bataillon de garde nationale de se déclarer le champion de tel individu contre tel autre, un pareil acte étant une infraction à la loi.

La Fayette était une puissance alors, avons-nous dit, non pas simplement morale, mais une puissance appuyée de quatre-vingt mille soldats, qu'on pouvait supposer aveuglément dévoués à leur chef, à la manière dont celui-ci en parlait. Or, comme il devait être fort avantageux d'être des amis du général, Hollier et Giraud, pour lui témoigner leur zèle, imaginèrent de lui adresser la lettre écrite par eux a Robespierre, et d'y joindre une lettre d'envoi dans laquelle ils renchérirent sur les flagorneries dont la première était pleine. La réponse du général parut une bonne fortune à certaines feuilles girondines. La Chronique de Pans l'inséra intégralement, comme elle avait inséré, peu de semaines auparavant, la lettre du commandant Hollier et du fusilier Giraud. Cette réponse était entièrement écrite sous l'inspiration girondine, car en confondant son adversaire avec les ennemis extérieurs, La Fayette songeait évidemment aux puériles assertions de Condorcet et de Brissot relatives au comité autrichien[7]. Admirable manière de vous justifier, riposta Robespierre, en prenant alors directement à partie le général, admirable manière de vous justifier, que de mettre sur la même ligne le roi de Hongrie, le roi de Prusse et un de vos anciens collègues, aujourd'hui simple citoyen par sa volonté, à qui vos pareils n'ont jamais reproché qu'un trop grand amour pour le bien public, et une antipathie invincible pour toutes les factions ![8] Robespierre s'étonnait surtout, et non sans motif, de voir un chef d'armée, ayant sans cesse à la bouche le nom de la constitution, prendre au sérieux une prétendue délibération du bataillon du Gros-Caillou, non-seulement contraire aux principes de la liberté civile, et au sentiment de la probité, de l'honneur, qui ne permettait p3s de menacer un individu de la vengeance d'une corporation armée, mais condamnée par la loi elle-même. La réponse de Robespierre, extrêmement longue, ne s'occupait qu'en manière d'exorde et incidemment de cette correspondance entre La Fayette et quelques-uns de ses courtisans, elle portait presque tout entière sur une autre lettre récemment adressée par le général à l'Assemblée législative, et dont la lecture causait alors dans le pays une indéfinissable émotion.

L'Assemblée en avait eu connaissance dans sa séance du 18 juin, au moment même où, par un mot du roi, elle venait d'apprendre la composition du nouveau ministère. La Fayette y faisait une longue apologie de sa conduite, et une censure amère de celle des hommes qui, dans la carrière de la Révolution, ne s'étaient point attachés à ses pas. Ce ne fut sans doute pas une médiocre surprise pour beaucoup de personnes que d'entendre ce député de la noblesse qui n'avait pas été des premiers à se rallier aux représentants des communes, après la séance du Jeu de Paume, se vanter d'avoir, en quelque sorte, fondé la liberté française, et présenté un projet de déclaration des droits, dédaigné à cause de son insuffisance, comme le lui rappela très-bien Robespierre. Mais ce qui eût dû profondément blesser une Assemblée jalouse de sa dignité, c'était le ton d'autorité régnant d'un bout à l'autre de cette lettre, et mal dissimulé sous les formes d'un respect banal. Le général y parlait en maître, donnait des ordres, établissait hypocritement un parallèle entre les aristocrates et les patriotes ardents, tout à l'avantage des premiers, et, en signe de son grand amour pour la constitution, réclamait impérieusement la suppression des sociétés populaires, formellement reconnues par elle. Puis, comme pour donner plus de poids à ses observations, il ne manquait pas de dire : Ce n'est pas sans doute au milieu de ma brave armée que les sentiments timides sont permis. Paroles de menace, où perçait trop visiblement l'intention de peser sur la décision du Corps législatif, et qu'il n'eût assurément pas écrites, s'il n'avait point compté d'avance sur le concours d'un certain nombre de membres de l'Assemblée. A cet égard il ne s'était pas tout à fait trompé. En effet, l'Assemblée législative, au sein de laquelle dominait l'élément feuillant, malgré quelques décrets terribles que lui avait arrachés l'éloquence des Girondins, commença par applaudir vivement cette lettre et par en voter l'impression. Elle allait même, sur la motion de plusieurs de ses membres, en décréter l'envoi aux départements, quand Guadet demanda la parole. De la lecture attentive de cette lettre, il résultait que La Fayette était parfaitement au courant des intrigues sous lesquelles avait succombé le ministère girondin. Il savait aussi fort bien que Dumouriez lui-même devait être sacrifié, lorsqu'à la date du 16 juin, c'est-à-dire la veille du jour où la démission de ce ministre était acceptée, il traitait d'équivoque et de scandaleuse sa présence dans le conseil du roi[9]. Voilà ce que Guadet fit clairement ressortir. Ou la lettre n'était pas du général, ou bien il était complice. Lorsque Cromwell tenait un pareil langage, s'écria-t-il d'une voix émue d'indignation, la liberté était perdue en Angleterre. Un revirement subit s'opéra sous l'influence de cette parole entraînante, et l'Assemblée renvoya devant la commission des Douze, récemment organisée, la lettre de l'imprudent général. Par cette lettre, suivant l'expression de Robespierre, La Fayette venait de lever l'étendard de la révolte contre l'Assemblée nationale et contre le peuple français[10].

 

III

L'indignation se manifesta bien plus vivement au dehors ; le soir il y eut aux Jacobins une explosion formidable. De quelle excuse couvrir la conduite d'un général qui, chargé de veiller sur les frontières du pays, avait les yeux sans cesse tournés vers Paris, s'essayait au rôle de dictateur, et prétendait imposer des lois aux représentants du pays au lieu de s'occuper uniquement de repousser l'ennemi en marche ? Toutes les fractions du parti révolutionnaire se montrèrent unanimes pour flétrir cet excès d'audace. Condorcet, Danton, Brissot, Robespierre, Réal, Camille Desmoulins, La Source, tous furent d'accord cette fois. Pas une voix ne s'éleva pour tenter d'atténuer les torts de La Fayette. Dans son exaspération, Merlin (de Thionville) voulait qu'il fut permis et même ordonné à tout citoyen de lui courir sus. Danton et Fabre d'Églantine décidèrent la société à inviter par affiches toutes les sections de la capitale a s'assembler[11]. Réal alla plus loin : tout préoccupé sans doute de la chute des ministres ses protecteurs, il demanda un soulèvement général, et témoigna le regret que l'Assemblée constituante, en posant les bases des droits de l'homme, n'eût pas également organisé un plan d'insurrection[12].

Quant à Robespierre, non moins énergique, il n'inclinait pas autant vers les partis extrêmes. S'élevant de nouveau contre les insurrections partielles entreprises dans l'intérêt de quelques individus, et dont l'insuccès serait de nature à compromettre le sort de la Révolution, il insistait pour qu'on se tint encore sur le terrain de la constitution, laquelle offrait d'ailleurs les moyens de punir un général rebelle qui avait osé parler le langage de Léopold. Moins qu'un autre il devait être étonné de l'attitude prise par La Fayette, dont il avait, on le sait de reste, deviné depuis longtemps et dénoncé les projets. Au moment de tracer une nouvelle esquisse de la conduite politique de ce général, et de le montrer complice de tous les attentats commis contre la liberté, il supplia la société de n'imputer à aucune animosité personnelle les mouvements de vivacité qui pourraient lui échapper ; mais il était permis de s'indigner quand un chef d'armée, à la tête de quatre-vingt mille hommes, semblait dire aux représentants de la nation : Tremblez, car je compte sur l'appui de mes soldats. Comme à ces mots quelques murmures s'élevaient : Ce n'est pas pour moi que je crains, reprit-il, rien n'est capable de m'effrayer, et j'attends les poignards de La Fayette. Mais il s'était mépris sur le sens de l'interruption. Ces murmures étaient excités par l'indignation. — Tout ce que dit M. Robespierre est encore au-dessous des termes mêmes de la lettre, s'écria un membre de l'Assemblée nationale qui invoqua le témoignage de Sillery, présent comme lui à la séance. — Pour oser tenir un pareil langage au Corps législatif, il allait, pensait Robespierre, avoir de grands projets. Trouvant entre la conduite de Cromwell et celle de La Fayette une certaine analogie, il voyait en celui-ci un nouveau Protecteur, et lui prêtait le dessein de s'élever sur les débris de la liberté, en employant le concours de l'Assemblée législative, comme jadis Cromwell avait fait servir le parlement d'Angleterre de vil instrument à ses vues.

Robespierre s'exagérait-il ici l'ambition du général ? cela est possible. Cependant, ne l'oublions pas, La Fayette était alors à' la tête d'une armée nombreuse, et, au ton dont il s'était exprimé, il n'était pas téméraire de lui supposer l'intention de remplir le rôle de Protecteur, ou tout au moins de Maire du palais. En vain lui contestait-on les talents nécessaires pour la réussite d'une entreprise contre la constitution : S'il faut du génie pour fonder la liberté, disait avec raison Robespierre, il ne faut que des talents médiocres et vils pour la détruire[13]. C'était donc, selon lui, à l'Assemblée nationale elle-même, responsable envers le peuple, à sauvegarder en même temps son autorité et la constitution, à punir l'audacieux qui n'avait pas craint de lui tenir un pareil langage ; sinon elle courait risque d'être écrasée. Quelques signes de dénégation ayant éclaté à ces derniers mots : Lorsque les amis de la liberté parlèrent à leurs collègues, dans le parlement, des desseins de Cromwell, reprit-il, il se trouva une foule de membres qui prétendirent que les projets de Cromwell ne pouvaient jamais être bien dangereux. Ils dirent que foute l'Angleterre se lèverait s'il osait menacer la liberté. Je ne viendrai donc pas vous dire que vingt-cinq millions d'hommes sont prêts à s'opposer à La Fayette ; que ce serait une folie à lui que de penser à les dominer. Je ne vous rebattrai pas de ces lieux communs, propres à plonger un peuple dans une fatale sécurité, je sais bien que la nation entière se lèvera (Oui, oui) ; mais ne laissez pas grandir votre ennemi. Énumérant toutes les manœuvres que savait mettre en usage un chef habile et astucieux, il montrait le général égarant ses soldats et une foule de citoyens en travestissant les faits, en inondant son camp d'odieux libelles contre les amis du peuple et de la liberté. Il importait donc qu'un décret d'accusation fut rendu immédiatement par l'Assemblée nationale, parce qu'un chef de faction qui gagnait du temps gagnait souvent la victoire, disait-il avec beaucoup de profondeur. Voyant encore le salut de la nation attaché à cette Assemblée nationale, il invitait les bons citoyens à veiller à ce que les partisans du général ne pussent exciter dans Paris des mouvements qu'on ne manquerait pas d'imputer au peuple. La seule insurrection qui convint présentement, c'était l'union de tous les patriotes. Point de soulèvement ; la majesté du peuple outragée devait être vengée, mais au nom de la loi uniquement[14]. Des applaudissements réitérés accueillirent l'ardente philippique de Robespierre ; cependant son discours ne put empêcher la manifestation du 20 juin, sorte d'insurrection avortée, sur laquelle nous allons nous expliquer tout à l'heure.

Un décret d'accusation, telle était aussi la conclusion formidable de la longue lettre de Robespierre à La Fayette, dont nous avons déjà parlé plus haut, et qui remplit presque tout un numéro du Défenseur de la Constitution. Dans cette réponse à la lettre adressée par le général à ses courtisans du bataillon du Gros-Caillou, Robespierre passa de nouveau en revue la vie politique de son antagoniste ; il jugea sa conduite avec une logique impitoyable et un surcroît d'amertume suffisamment expliqué par lès procédés de La Fayette. Remontant de nouveau au début de sa carrière, il le suivit jusqu'aux circonstances actuelles, sans oublier aucun des griefs que les véritables amis de la liberté auront éternellement à invoquer contre le héros de la bourgeoisie feuillantine. Loi martiale ; couronne civique décernée à Bouillé ; anathèmes de l'Assemblée constituante contre les Marseillais ; introduction de l'aristocratie dans l'état-major de la garde nationale ; désarmement et renvoi des gardes-françaises ; massacres du Champ-de-Mars ; attentats contre la liberté de la presse et contre la liberté individuelle, telle était la série d'actes contre-révolutionnaires auxquels s'était associé ce chef d'armée devenu l'idole des accapareurs, des financiers, des agioteurs, de tous les bourgeois orgueilleux et égoïstes. Il était donc tout naturel que les aristocrates absolus eussent cherché à se rapprocher d'un homme qui voulait, suivant sa propre expression, faire reculer la Révolution, et dont les desseins ne semblaient pas supérieurs aux moyens d'action à sa disposition. Aussi l'avait-on vu s'efforcer, avec les Lameth, les Duport et autres, de décréditer la liberté par le nom de licence, la raison et la vérité par le reproche d'exagération et de folie, le patriotisme par celui de turbulence et de sédition. Chef avoué de tous ceux qui aimaient la liberté pour eux-mêmes seulement, et qui, voyant abaisser avec plaisir tout ce qui jadis était au-dessus d'eux, ne pouvaient souffrir que le peuple s'élevât de l'oppression à la dignité d'homme, il traitait volontiers, dans son langage, les purs patriotes de jacobites, de républicains. On l'avait entendu invoquer la loi quand il s'était agi de persécuter le patriotisme, et il n'hésitait pas à en demander la violation pour détruire les sociétés populaires, gardiennes vigilantes de cette liberté reniée par lui.

Aujourd'hui, au lieu de se consacrer tout entier à la tâche glorieuse de repousser l'étranger, de réparer nos premiers revers, il venait, oubliant les Autrichiens et tandis que les ennemis réunissaient de nouvelles forces, déclarer la guerre aux patriotes français, à l'exemple de Léopold. En présence d'un acte séditieux, conséquence impardonnable de la faute qu'on avait commise en confiant la défense du pays à l'un des chefs de la faction des Feuillants, à l'un des plus dangereux ennemis de la liberté, il n'était pour l'Assemblée législative qu'une alternative, disait Robespierre : déployer contre La Fayette une énergie digne de son attentat, ou descendre au dernier degré de la faiblesse et de l'avilissement[15].

Écrite dans la précipitation du premier mouvement, cette lettre n'allait pas tarder à être suivie d'une seconde, où sera discutée phrase à phrase la lettre du général à l'Assemblée, et dont nous donnerons également une rapide analyse ; mais, au préalable, il convient de nous arrêter quelques instants sur un événement que Robespierre avait improuvé d'avance ; nous voulons parler de la fameuse manifestation du 20 juin.

 

IV

Le lendemain du jour où la lettre de La Fayette était arrivée comme un défi jeté à la Révolution, l'Assemblée nationale apprit avec indignation, par une lettre du ministre de la justice, que les décrets relatifs à la déportation des prêtres perturbateurs et à la formation du camp de vingt mille hommes sous Paris, étaient frappés du veto royal. Cette mesure coïncidait d'une manière fâcheuse avec les déclamations du directoire du département et de La Fayette contre les sociétés populaires, déclamations qui semblaient. un écho du manifeste de l'Autriche contre la Révolution française ; elle acheva d'irriter le peuple, travaillé depuis huit jours déjà par les meneurs girondins, impatients de faire repentir la cour du renvoi des ministres patriotes. On ne pouvait d'ailleurs choisir une meilleure date pour déterminer un mouvement populaire. Vingt juin ! c'était le troisième anniversaire du serment du Jeu de Paume, et pareil jour était bien propre à exciter l'enthousiasme et les colères des citoyens.

Que la population parisienne fût toute disposée à se lever afin de donner une leçon à la cour, et même, au besoin, de renverser un trône sur lequel on désespérait désormais d'asseoir la liberté, cela est hors de doute. Les faubourgs s'agitèrent, remués par des hommes ardents, et il y eut dans la maison du brasseur Santerre des conciliabules où fut décidée la manifestation. Plusieurs historiens ont imaginé, très-légèrement, d'y faire figurer Robespierre, sur la foi d'un certain Lareynie, soldat volontaire du bataillon de l'île Saint-Louis, lequel, en déposant dans l'enquête ouverte au sujet des événements du 20 juin, déclara que des témoins lui avaient assuré avoir vu Robespierre, avec Pétion, Manuel et Sillery chez le brasseur patriote[16]. Mais quand même, ce qui est fort douteux, Robespierre aurait assisté à une conférence tenue chez Santerre, rien n'indique qu'il se soit montré partisan de la manifestation projetée, à laquelle il fut entièrement opposé, comme tout concourt à le démontrer. Au contraire, la participation des Girondins à cette journée du 20 juin est évidente, et elle s'explique admirablement. Un mouvement populaire pouvait leur rendre le ministère, ou tout au moins les venger ; ils s'attachèrent donc à donner à ce mouvement une direction de nature à contenter leur ambition et leurs rancunes.

Ils avaient essayé de circonvenir Chabot[17], et, durant huit jours, leurs émissaires avaient parcouru les faubourgs. Tandis que la démocratie tenait ses assises chez le brasseur Santerre, la Gironde tenailles siennes dans le salon, de madame Roland, où s'étaient rassemblés Guadet, Brissot et leurs amis. Rappel des ministres, telle était, à leurs yeux, la signification du mouvement, et tel fut le mot d'ordre donné par eux[18]. Voilà bien pourquoi Robespierre refusa de prêter les mains à une manifestation dont une coterie prétendait tirer parti. Voilà pourquoi, averti par Chabot, il s'était élevé, aux Jacobins, contre une insurrection partielle dont les conséquences lui paraissaient pouvoir être dangereuses pour la liberté. Il craignait qu'on ne fournît au gouvernement le prétexte de calomnier la cause du peuple. Nous verrons, en effet, quel admirable parti la cour aurait pu tirer de cette insurrection avortée, si elle n'en avait pas, comme à plaisir, compromis le bénéfice par ses fautes. Robespierre prévoyait bien que, dans l'état de crise où l'on se trouvait, une insurrection éclaterait d'un moment à l'autre ; mais il la voulait formidable, décisive, de nature à amener le triomphe complet de la Révolution, dût le trône voler en éclats, et non pas seulement propre à satisfaire quelques vanités, froissées, et a permettre à quelques ambitieux de reprendre possession du pouvoir. Ayant rencontré Chabot dans la journée du 19, il l'engagea fortement a se rendre au faubourg Saint-Antoine pour éclairer les habitants sur, le but de la démarche à laquelle on les conviait. Chabot courut au faubourg, harangua le peuple dans l'église des Quinze-Vingts ; mais il était trop tard : sa harangue n'eut aucun succès. On disait de toutes parts : Nous sommes suivis, de Pétion ; Pétion le veut, Pétion est avec nous[19].

La popularité du maire de Paris aida à merveille les Girondins. Nous avons dit déjà comment, après avoir suivi si longtemps la même ligne politique que Robespierre et avoir bravement combattu avec lui, il en était venu, involontairement peut-être, subissant lui aussi l'ascendant du pouvoir, dont une petite portion était entre ses mains, à pencher du côté des hommes en possession de ce pouvoir. Il n'était pas d'avances, du reste, qu'on ne lui eut faites ; et, tandis que les journaux de Brissot et de Condorcet poursuivaient Robespierre de leurs calomnies, de leurs invectives, ils prônaient outre mesure le maire de Paris, grandissaient sa réputation, espérant bien s'en servir et par elle contre-balancer celle de leur redoutable adversaire.

A l'époque de la formation du ministère girondin, Robespierre, peu édifié sur la loyauté des intentions de la cour, avait demandé au maire de Paris, son ami, si cette nouvelle combinaison ministérielle ne lui était pas suspecte. Oh ! si vous saviez ce que je sais ! Si vous saviez qui les a désignés ! avait répondu Pétion avec un air de satisfaction remarquable. Robespierre, le devinant, lui avait dit en riant de sa bonne foi : C'est vous peut-être ?Hem ! hem ! s'était contenté de répondre le maire en se frottant les mains. — Or voici ce qui s'était passé. Quelques jours avant la nomination des ministres de son choix, Brissot, voulant avoir l'air de témoigner à son compatriote Pétion beaucoup de condescendance, était allé le voir à la mairie et lui avait dit : Qui nommerons-nous ministres ? Roland, Clavière. Ils sont bons, les voulez-vous ?Parbleu, oui. Roland, Clavière !... Oh ! mais savez-vous que cela serait délicieux ! Qu'on les nomme, s'était empressé de répondre Pétion ; — et il était resté convaincu, au dire de Robespierre, que le ministère était son ouvrage[20]. C'est pourquoi il se montra tout disposé à favoriser, par son inaction au moins, un mouvement destiné à provoquer le rappel des ministres ; et, quand un peu plus tard, on lui reprocha le peu d'efforts qu'il avait tentés pour le comprimer, il répondit en se félicitant de ce qu'aucune blessure n'avait été reçue au milieu de cette grande fermentation, et fit, de cet heureux résultat, un titre de gloire à la municipalité[21].

On connaît les incidents variés de la fameuse journée du 20 juin : la plantation du mai sur la terrasse des Feuillants ; le défilé du peuple au milieu de l'Assemblée nationale ; l'envahissement du château ; la longue humiliation de la famille royale : tout cela, nous n'avons pas à le raconter ici. L'imposante manifestation fut loin d'avoir le caractère sombre et farouche que lui ont prêté les écrivains de la réaction ; rarement, au contraire, on vit une telle masse de population en armes se ruer sans causer plus de trouble et de ravage. Le peuple s'était contenté de demander, sous une forme qui n'était plus, il est vrai, celle du respect auquel depuis tant de siècles la monarchie était habituée, l'exécution loyale de la constitution et la sanction des décrets ; puis, la nuit venue, il s'était retiré paisiblement aux cris mille fois répétés de : Vive la Nation !  Les Girondins crurent avoir atteint leur but. Le soir même, aux Jacobins, un de leurs orateurs se vanta d'avoir dit au roi : Le peuple veut que vous rappeliez des ministres qui ont sa confiance[22] ; et, le lendemain, Brissot publiait dans son journal ces lignes significatives : Le peuple devait une réponse à la lettre de M. La Fayette, il l'a faite aujourd'hui. Ce général accusait l'insignifiance du ministère patriote qu'on vient de renvoyer. Le peuple, qui ne se laisse pas diriger par l'intrigue, est venu demander lui-même justice de ce renvoi, que sous le despotisme on ne se serait pas permis impunément[23]. Mais les Girondins se trouvèrent complètement déçus ; ils n'obtinrent rien de ce qu'ils espéraient. La cour ne fit aucune concession, et, comme le redoutait Robespierre, ce mouvement faillit devenir fatal à la liberté. On vit, en effet, redoubler l'audace de tous les ennemis de la Révolution ; et en cette occasion, les partisans absolus de l'ancien régime donnèrent la main aux Feuillants, considérant le rétablissement du despotisme comme une conséquence inévitable de la journée du 20, dont les journaux royalistes publièrent une relation mensongère, dans le but d'irriter contre la Révolution tous les esprits tièdes et incertains.

Le roi lui-même, dans une proclamation, donna à entendre que sa vie avait été menacée, que les organisateurs du mouvement avaient obéi à une pensée de meurtre et de pillage. Le directoire du département de Paris, s'enfonçant de plus en plus dans les voies de la réaction, jugea qu'il y avait lieu de poursuivre juridiquement les fauteurs de la journée du 20 et les magistrats qui ne l'avaient pas empêchée ; il alla jusqu'à prononcer la suspension de Pétion et de Manuel.

Robespierre, avons-nous dit, n'avait pas approuvé la manifestation, prévoyant bien, avec sa perspicacité ordinaire, quel en serait le fâcheux dénouement. Toutefois, dans les circonstances critiques où l'on se trouvait, et voyant la cour chercher à tourner cet événement contre la liberté, il se garda bien de blâmer hautement ce qu'il appelait la procession armée du 20 juin. Il essaya, au contraire, de la justifier, sacrifiant son opinion personnelle au désir de servir la cause populaire ; et, un peu plus tard, il put dire à Pétion, sans crainte d'être démenti, en rappelant le souvenir d'un mouvement auquel il s'était opposé pour sa part : Personne plus que moi ne vous a défendu alors d'une manière plus publique et plus loyale contre toutes les tracasseries qu'il vous attirait[24].

 

V

Tandis que les partisans de la cour songeaient à tirer profit du mouvement populaire soulevé, en partie, par les rancunes de la Gironde, Robespierre continuait dans son journal la guerre contre le général assez téméraire pour avoir jeté un audacieux défi à la Révolution. Non content d'avoir parlé en maître à l'Assemblée nationale, La Fayette avait écrit au roi pour l'encourager dans sa résolution généreuse de défendre les principes constitutionnels. Or on savait trop ce que cela voulait dire dans la bouche des meneurs feuillants. Ces lettres à l'Assemblée et au roi inspirèrent à Robespierre une deuxième philippique dans laquelle, prenant le général corps a corps, pour ainsi dire, il discuta chacune de ses phrases, la constitution à la main. Sommes-nous déjà arrivés, s'écriait-il en commençant, au temps où les chefs d'armée peuvent interposer leur influence ou leur autorité dans nos affaires politiques, agir en modérateurs des pouvoirs constitués, en arbitres de la destinée du peuple ? En était-ce donc fait déjà de la liberté, si, renouvelant, avec plus d'autorité, l'usage des remontrances p3rlementaires, un général se permettait de critiquer les actes législatifs, d'adresser une sorte de mercuriale à la représentation nationale, et s'occupait, selon ses intérêts, à créer, à chasser, à louer ou à diffamer des ministres, aux ordres desquels pourtant la loi lui imposait le devoir rigoureux d'obéir ? Séyait-il bien à La Fayette de traiter d'équivoque et de scandaleuse l'existence d'un de ces ministres à l'élévation desquels il avait travaillé, lui qui, après avoir flatté tous les partis, se mettait audacieusement au-dessus des lois ? Il reprochait à l'Assemblée de n'avoir pas assez respecté la prérogative royale, les droits des citoyens, la liberté religieuse, c'est-à-dire qu'il attaquait par là les décrets rendus contre les émigrés et les prêtres réfractaires.

De quel droit s'arrogeait-il ainsi la mission de régenter les représentants du peuple, donnant aux uns le titre de factieux, décernant aux autres un brevet de patriotisme et de sagesse ? Pourquoi ne pas le nommer tout de suite le législateur unique du peuple français ? Vous intriguez, vous intriguez, vous intriguez ! lui disait Robespierre. Vous êtes digne de faire une révolution dans une cour, il est vrai ; mais arrêter la révolution du monde, cette œuvre est au-dessus de vos forces. Montrant la France menacée au dehors et agitée au dedans, La Fayette, dans sa lettre, avait fortement engagé la nation à résister aux rois coalisés contre elle, sous peine d'être la plus vile nation de l'univers, comme si le pays avait un instant douté de son propre courage et de sa propre puissance. Mais cette coalition des rois, cette agitation intérieure n'étaient-elles pas dues aux mêmes causes ? N'étaient-ce pas les mêmes hommes implacables qui poussaient l'étranger à déchirer le sein de la France en lui cherchant des alliés au dedans, en faisant appel à toutes les mauvaises passions, en soulevant contre la Révolution tous les intérêts froissés, toutes les convoitises, toutes les ambitions ? Voilà les traîtres, disait Robespierre, les factieux qu'aurait dû dénoncer La Fayette ; loin de là, le général semblait les prendre sous sa protection, car son langage ressemblait fort à celui de la cour d'Autriche.

Et que signifiait cette affectation de dire : Mes soldats, ma brave armée ? Était-ce un procédé d'intimidation ? Ah ! si les soldats français étaient disposés à le suivre avec empressement pour vaincre les Autrichiens, ils ne le seconderaient jamais dans ses desseins contre la représentation nationale protégée par le peuple d'où sortaient ces soldats au nom desquels il prétendait parler. L'événement prouva, un peu plus tard, à quel point Robespierre avait raison. La Fayette s'en prenait surtout à ce qu'il appelait la faction jacobite, désignant ainsi la société des Amis de la Constitution à laquelle il avait appartenu ; et, dans cette même épître où il enjoignait à l'Assemblée nationale de maintenir scrupuleusement les principes constitutionnels, il l'invitait à décréter la destruction des sociétés patriotiques, oubliant que l'existence de ces sociétés était l'exercice d'un droit formellement reconnu par la constitution. Il avait sans cesse dans la bouche ces mots de liberté et de constitution ; mais ce langage était un jargon insignifiant ou insidieux dicté par l'intérêt personnel, puisque La Fayette semblait ne reconnaître dans la constitution que tout ce qui pouvait servir la tyrannie. Il reprochait aux sociétés patriotiques la publicité de leurs séances, comme si ce n'était pas là au contraire une garantie de sécurité, comme si l'on pouvait conspirer contre les intérêts généraux sous l'œil même du public.

Ah ! lui disait avec raison Robespierre, en faisant allusion aux comités mystérieux où s'élaboraient les lettres de la nature de celle que le général avait adressée à l'Assemblée législative, oseriez-vous prendre le peuple pour confident de vos sentiments et de vos pensées ? Sans doute des intrigants avaient pu se faufiler au sein des sociétés patriotiques, et Robespierre ne prétendait pas que jamais idée absurde n'y eût été émise ; mais chez un peuple dont l'éducation avait été celle du despotisme, était-il possible d'exiger que toutes les assemblées de citoyens fussent composées de Socrates et de Catons ? Et comment, à Paris, séjour de toutes les intrigues, empêcher la cour ou ses partisans d'y introduire des émissaires chargés de semer le trouble et la discorde, d'énoncer de ces propositions ridicules qui servent de prétexte à calomnier le patriotisme ? Personne, je l'avoue, continuait Robespierre, n'est blessé plus que moi de ces difformités ; personne n'est moins porté, par goût, à fréquenter les nombreuses assemblées. Mais qu'en général l'amour du bien public y domine ; que la grande majorité soit pure, également ennemie du désordre et de la tyrannie ; qu'elle applaudisse avec transport à toutes les maximes honnêtes, à tous les projets utiles ; qu'elle repousse avec indignation toutes les manœuvres coupables ; que, depuis le commencement de la Révolution, les sociétés patriotiques aient été l'écueil de toutes les conspirations tramées contre le peuple, les plus fermes appuis de la liberté et de la tranquillité publique, ce sont des vérités qui ne furent jamais contestées que par l'extravagance aristocratique ou par la perfidie ambitieuse. Eh ! s'il en était autrement, si les ennemis cachés ou déclarés de la patrie pouvaient régner au milieu d'elles, loin de les poursuivre, ils les protégeraient, et toutes les calomnies absurdes dont elles sont l'objet se changeraient en un concert de louanges. Était-il loyal d'attribuer à tous les bons citoyens les erreurs de quelques individus ? N'était-ce point là le fait d'un ennemi de la patrie ?

On reproche aux sociétés patriotiques d'avoir fomenté tous les désordres, poursuivait Robespierre. Étaient-ce elles qui avaient déchaîné les prêtres séditieux, les émigrés armés contre la patrie, les conspirateurs, les fripons et les traîtres ? On leur reproche d'être une secte à part dans l'État, d'usurper les pouvoirs du peuple, de tyranniser l'opinion : banale et éternelle accusation de tous les fonctionnaires, de tous les partisans du despotisme contre les citoyens investis de la confiance populaire. Mais que dire des généraux qui parlaient en maîtres à l'Assemblée nationale ? Là, s'était écrié emphatiquement La Fayette, sans doute en souvenir de la couronne civique décernée, sur sa motion, à son cousin Bouillé, là, les assassins de Desilles reçoivent des triomphes. Non, répondait Robespierre, réfutant une calomnie encore ressassée de nos jours, mais là, les assassins des soldats de Châteauvieux et de tant d'autres défenseurs de la patrie ont été appréciés. Là on a pensé que l'humanité et la reconnaissance publique devaient expier, par des hommages rendus à l'innocence et au patriotisme opprimés, les crimes du despotisme, de l'aristocratie, les crimes de Bouillé et les vôtres. Là on sait que ce que vous appelez l'assassinat de Desilles est un événement fortuit, étranger aux soldats immolés par la rage liberticide des ennemis du peuple, qui ne peut être imputé qu'aux chefs perfides qui venaient les massacrer de sang-froid, une calomnie inventée pour faire oublier l'assassinat plus réel de tant de victimes intéressantes. Non pas à vos yeux, ni à ceux de vos pareils, mais à ceux des hommes justes et sensibles. Vous, on vous permet de gémir sur les héros de l'aristocratie, laissez-nous pleurer sur les héros de l'infortune et du civisme. Il continuait ainsi à discuter avec une logique inflexible chacune des phrases de la lettre de La Fayette, et, après avoir insisté sur la singulière conformité existant entre le langage de ce dernier et celui de Léopold, d'où l'on pouvait conclure, à n'en plus douter, que le manifeste impérial avait été fabriqué dans le cabinet des Tuileries, il engageait le général à dissiper l'armée autrichienne au lieu d'attaquer les patriotes et de s'essayer au rôle de dictateur avant d'avoir vaincu. Puis, s'adressant aux membres de l'Assemblée nationale, il leur demandait s'ils voulaient devenir les jouets de l'ambition ou du despotisme en faisant imprimer la lettre d'un factieux, ou rester les représentants de la nation française. En vain craignait-on de se priver d'un général ; mille autres, à la place de celui-ci, auraient déjà vaincu, non pour la cour, mais pour la patrie et la liberté. L'Assemblée n'avait qu'un mot à prononcer, sûre de voir aussitôt accourir le peuple autour d'elle. Avertissez solennellement la nation, lui disait Robespierre ; et, comme pour provoquer le décret fameux qui bientôt allait développer dans tous les cœurs l'enthousiasme de la liberté et porter le patriotisme à un degré d'exaltation auquel aucun peuple n'avait atteint jusque-là, il ajoutait : Annoncez aux départements que la liberté, que l'Assemblée nationale est en danger, appelez à vous les François, et la liberté, la patrie est sauvée ; votre existence même est à ce prix.

Il n'eût pas voulu, à la place de Louis XVI, de l'humiliant patronage d'un officier se croyant assez puissant pour devenir l'arbitre de la Révolution. Celui qui est assez fort pour me protéger, aurait-il dit au général, le serait bientôt assez pour me nuire. J'aime mieux dépendre de mon devoir et des lois que de celui que j'ai compté au nombre de mes courtisans. Mais au moment où Robespierre achevait de tracer ces réflexions, La Fayette, accumulant faute sur faute, arrivait inopinément à Paris et se présentait à la barre de l'Assemblée. Qu'il ait cédé à un mouvement chevaleresque en quittant son armée, à la nouvelle des événements du 20 juin, pour venir au secours de la royauté menacée, on ne peut le nier ; mais c'était une souveraine imprudence. En croyant renforcer le trône du poids de son nom et de son autorité, il allait contribuer à précipiter sa chute ; et quand il parlait d'un ton de menace à l'Assemblée nationale, la main appuyée sur la garde de son épée, il donnait à Robespierre le droit de demander si le peuple français avait abattu le despotisme de la cour pour subir celui du sieur La Fayette[25].

 

VI

En arrivant à Paris, La Fayette, se rendit chez La Rochefoucauld, président du directoire du département, lequel était, comme on sait, presque entièrement composé de Feuillants — Talleyrand, Beaumetz qui servait à la fois d'aide de camp et de secrétaire au général —. Après avoir concerté avec ses amis du directoire les meilleures mesures à prendre pour tirer parti, dans l'intérêt de la cour, de la manifestation du 20 juin, La Fayette alla se présenter à l'Assemblée[26]. C'était le 28 juin. Admis à la barre, il y prononça une courte allocution, d'une jactance un peu ridicule, par laquelle il invitait l'Assemblée nationale à détruire la société des Amis de la Constitution, et à ordonner que les auteurs du mouvement du 20 juin fussent poursuivis comme criminels de lèse-nation. Nul doute qu'il ne rangeât, dans sa pensée, Robespierre au nombre de ces factieux dont il réclamait si impérieusement la punition. Cependant l'opposition de Robespierre à la manifestation du 20 juin était trop connue pour qu'il fût possible de le rendre responsable de faits blâmés d'avance par lui, et il n'était pas homme à dissimuler son opinion. Je puis m'expliquer librement sur ce rassemblement, dit-il lui-même dans un nouvel article sur la tactique du général La Fayette, j'ai assez prouvé mon opposition à cette démarche par des faits aussi publics que multiples. Je l'ai regardée comme impolitique et sujette à de graves inconvénients. Or l'événement venait précisément lui donner raison, justifier ses craintes. En effet, ce mouvement, sans aucun profit pour la cause de la Révolution, fournit à ses ennemis un prétexte de l'attaquer avec violence, et La Fayette ne manqua pas de l'invoquer pour expliquer sa présence à Paris. En voyant tous les adversaires de la liberté se faire de cette journée du 20 juin un argument contre tous les patriotes, Robespierre prit en main la cause de ceux dont il n'avait pas approuvé le zèle inconsidéré, et il s'attacha à démontrer que l'extravagance aristocratique avait pu seule concevoir l'idée d'incriminer cette manifestation comme une insurrection populaire, comme un attentat contre la liberté et contre les droits de la nation.

La démarche insolite de La Fayette, sa présence à la barre de l'Assemblée, son attitude hautaine, sa prétention mal justifiée de parler au nom de l'armée, auraient dû, ce semble, exciter parmi les représentants du peuple une explosion unanime de murmures et de colères : il n'en fut rien ; les honneurs de la séance furent accordés au général, et il traversa la salle au milieu des applaudissements réitérés d'une partie de l'Assemblée. Alors Guadet, d'un ton ironique : Au moment où la présence de M. La Fayette à Paris m'a été annoncée, une idée bien consolante est venue s'offrir à moi : ainsi, me disais-je, nous n'avons plus d'ennemis extérieurs, les Autrichiens sont vaincus. Mais quelle illusion ! la situation était toujours la même ; comment donc La Fayette se trouvait-il à Paris ? De quel droit ? Quels motifs l'amenaient ? poursuivait l'ardent Girondin. Pour quitter son poste, était-il au moins muni d'un congé du ministre ? Il fallait interroger ce dernier afin de savoir s'il avait autorisé le général à abandonner son armée, et charger la commission extraordinaire des Douze de présenter le lendemain un rapport sur le danger de permettre à des chefs de corps l'exercice du droit de pétition. Mais, nous l'avons dit, l'esprit feuillant animait au fond la majorité de l'Assemblée ; elle écarta la motion de Guadet, et décréta une enquête sur les causes des menées perturbatrices dénoncées par La Fayette[27]. Par ce vote impopulaire, elle se déconsidéra dans l'esprit de la nation, prouva qu'il n'y avait pas à compter sur elle pour arracher à la réaction, déjà sûre de son triomphe, les destinées de la Révolution, et perdit en un instant le bénéfice de l'appui que lui avait récemment prêté Robespierre, qui tout à l'heure encore, en soutenant une dernière lutte afin de consolider la constitution dans le sens révolutionnaire, avait présenté l'Assemblée nationale comme l'ancre de salut de l'État.

Et de fait, était-il quelque chose de plus étrange, de plus alarmant que de voir un général, chargé de la défense/du territoire, correspondre de son camp avec les intrigants qui, à Paris, circonvenaient la cour, et au lieu de se consacrer tout entier à la réparation de revers dont la France avait été douloureusement émue, quitter brusquement son armée, dans l'intention d'influencer par sa présence l'Assemblée nationale et de lui dicter des lois ? En quel pays, chez quel peuple une pareille conduite serait-elle tolérée ? Que deviendrait la liberté d'une nation, s'il était permis à des généraux de parler en maîtres à ses représentants ? Quand de telles choses ne sont pas immédiatement et sévèrement réprimées, un peuple est bien près de tomber dans la pire de toutes les servitudes. Et quel moment choisissait La Fayette pour venir à Paris afficher des airs de dictateur ? Celui où, par suite d'ordres perfides, nos troupes abandonnaient précipitamment les villes de la Belgique qu'elles avaient occupées, et se repliaient sur Lille, livrant à la fureur des Autrichiens une population coupable d'attachement à la France ; où, sur les bords du Rhin, nos places laissées sans défense, malgré les réclamations des patriotes, se trouvaient ouvertes à l'armée prussienne ; où, à l'intérieur, la trahison tendait les bras à l'émigration. Voilà ce que ne manqua pas de rappeler Robespierre, en émettant quelques réflexions sur la manière dont on faisait la guerre. Il y avait, selon lui, deux sortes de guerre : celle de la liberté et celle du despotisme. Depuis l'ouverture des hostilités, la seconde seule avait été pratiquée. On consumait les forces de la nation dans de petite combats insignifiants, au lieu de tomber comme la fondre sur l'ennemi et d'envahir résolument son territoire. Pendant ce temps, les factions s'agitaient au dedans ; les aristocrates de l'intérieur correspondaient avec ceux du dehors ; les conspirations se développaient, et le patriotisme proscrit était à la veille de disparaître devant le despotisme militaire.

Quelle différence avec la guerre de la liberté ! continuait Robespierre. Plus de trahisons, plus de défiances alors, parce que le peuple a mis sous ses pieds tous ses oppresseurs. La nation tout entière se lève et marche sous les ordres de chefs choisis par elle parmi les plus zélés défenseurs de la cause populaire. Poursuivant un but sublime, elle est invincible dans ses attaques soudaines et irrésistibles : les tyrans pâlissent bientôt sur leurs trônes ébranlés, et ne tardent pas à désarmer sa colère en demandant la cessation d'hostilités qu'ils ont eux-mêmes provoquées. Mais cette guerre de la liberté, si bien décrite, nous n'en serons témoins que le jour où la royauté aura disparu du sol français ; où, véritablement en possession d'elle-même, la France pourra, d'un vol plus libre, s'élancer vers ses destinées glorieuses. En attendant, sûrs de la victoire, tous les ennemis de la Révolution accusaient le peuple de stupidité ; et, le jugeant indigne de là liberté, suivant leur langage ordinaire, les tyrans l'engageaient à renoncer à cette chimère. Non, répondait Robespierre, ce n'est pas le peuple qui est stupide, c'est vous, qui êtes également perfides et cruels ; et si le peuple français n'avait pas assez de vertu pour se sauver lui-même, j'oserais encore me reposer de son salut sur l'excès de vos crimes ; si mes concitoyens étaient assez lâches ou assez imbéciles pour fermer l'oreille à la voix de l'honneur et de la vérité, je m'adresserais aux hommes libres de toutes les nations. Par quelle inconséquence, ajoutait-il, avait-on confié à des nobles le soin de défendre la cause de l'égalité ? Aujourd'hui l'on recueillait les fruits de cette confiance aveugle, car on voyait les patriciens en foule déserter leurs postes et passer à l'ennemi pour combattre contre nous. Toutefois la cause de la liberté était impérissable à ses yeux, et l'heure de son triomphe, il la croyait moins éloignée que peut-être ne le supposaient ses furieux adversaires. Peuples, s'écriait-il en s'adressant à toutes les nations, dans un langage que nous ne saurions nous dispenser de mettre sous les yeux du lecteur, ne haïssez point la liberté ! ne détestez que ses oppresseurs, et que leurs forfaits mêmes vous apprennent à la chérir davantage. C'est sa beauté divine qui a excité la rage des monstres qui osent la souiller. Jamais les tyrans ne commirent des crimes aussi lâches, parce que jamais peuple ne fit un si noble effort pour affranchir l'humanité de leur joug odieux ; il était arrêté que cette période de l'existence des sociétés devait à la fois enfanter et la morale la plus pure et les plus abominables forfaits. L'univers est encore dans les douleurs de l'enfantement-de la liberté. Tous les vices qui opprimaient les nations ont rugi aux premiers symptômes qui présageaient sa naissance, et ils se liguent tous pour l'étouffer dans son berceau. On avait fait des lois excellentes, c'étaient les seules qui ne fussent pas exécutées. Avec quelle dérision les hypocrites, les intrigants osaient parler de la sainteté des lois ! Inexorables pour les faibles opprimés ou le patriotisme égaré, ils étaient pleins d'indulgence et de tendresse pour les grands conspirateurs et les coupables puissants. Observateurs des lois qui consacraient les derniers vestiges de l'ancienne servitude, ils foulaient aux pieds celles qui devaient régénérer les mœurs et fonder la liberté. Factieux enfin, on les entendait sans cesse déclamer contre les factions. Mais la liberté finirait par triompher de tous ses ennemis, Robespierre le promettait à ses concitoyens, il le jurait par les forfaits de la tyrannie, par la Déclaration des droits de l'homme solennellement proclamée et insolemment violée, par les calamités de vingt siècles qu'on avait à expier, par les aïeux à venger, par la postérité à affranchir[28].

Etrange méthode de faire la guerre, qui obligeait un général à plus se servir de chevaux de poste que de chevaux de bataille, continuait l'inexorable journaliste, en revenant à La Fayette dans un nouvel article. Etait-il au château des Tuileries, à Paris, à la campagne, ou s'était-il décidé à retourner à Maubeuge ? Autant de questions peu faciles à résoudre. Ainsi le but de la guerre, ce n'était pas de chasser les Autrichiens de la Belgique, d'affranchir Bruxelles, de réprimer les factieux de Coblentz et de défendre les frontières ; non, c'était de réduire Paris, de dompter les patriotes de l'Assemblée nationale et de la capitale. Le véritable quartier général n'était pas au camp retranché devant Maubeuge, mais dans le palais des Tuileries ; et le roi de Prusse, le roi de Hongrie semblaient moins à craindre pour la France que la municipalité parisienne et les sociétés des Amis de la Constitution.

Or nous savons aujourd'hui, par les documents les plus certains, qu'après avoir vainement essayé de soulever une partie de la garde nationale pour accomplir une espèce de coup d'Etat, La Fayette, de retour dans son camp, avait organisé un véritable complot militaire ayant pour but de transporter la cour à Compiègne, afin de lui rendre toute sa liberté d'action. Dans le cas où il n'eût pas été possible au roi de sortir de Paris, l'armée aurait immédiatement marché sur la capitale[29].

La conduite de La Fayette paraissait sans doute aux royalistes digne de tout éloge, elle était envisagée par eux comme un acte de dévouement ; mais au point de vue révolutionnaire, c'était une trahison, dans toute la force du terme. Etait-il possible de ne pas s'étonner de la conformité de langage existant entre le manifeste de Léopold, qui avait tant indigné les esprits, et la lettre du général ? Ah ! disait-on, il avait pu sans inquiétude abandonner son armée, puisque les Autrichiens étaient ses véritables alliés, et poursuivaient le même but. En regard du manifeste impérial, Robespierre plaça les principaux passages de la lettre de Lafayette. Rien de plus accablant que ce parallèle. Quelle conformité de vues et de langage, s'écriait Maximilien, entre les ennemis du dedans et ceux du dehors ! Est-ce notre liberté que M. La Fayette veut attaquer ? Point du tout ; il veut rétablir V ordre et la tranquillité ; il veut anéantir la tyrannie des sociétés patriotiques, et faire respecter l'autorité royale. Pourquoi les monarques autrichiens nous ont-ils menacés ? Pourquoi nous font-ils la guerre ? Est-ce pour renverser notre constitution et pour nous donner des fers ? Non, c'est pour notre bien ; c'est pour protéger l'autorité constitutionnelle du roi, et la nation elle-même contre ces mêmes factieux, contre ces clubs que M. La Fayette vous dénonce, avec eux, comme les auteurs de tous les désordres. Détruisez les clubs, réprimez les factieux ; respectez et perfectionnez la constitution selon les vues de M. La Fayette et des princes autrichiens, et vous aurez la paix. Et vous voulez que M. La Fayette fasse la guerre aux Autrichiens ! Et pour quel motif ? Avons-nous de meilleurs amis, des précepteurs plus sages que les rois de Bohême et de Hongrie ? La Fayette dira-t-il qu'ils attentent à notre indépendance ? Mais quand on est d'accord au fond, peut-on être si scrupuleux sur les formes ? Eh ! lui-même ne s'est-il pas élevé au-dessus de toutes les lois ? Ne donne-t-il pas des ordres au nom de l'armée ? Ne foule-t-il pas aux pieds l'indépendance de l'Assemblée nationale, la liberté du peuple et la constitution ? Le manifeste de Léopold avait été précisément le motif de la déclaration de guerre ; comment donc supporter plus longtemps, à la tête d'une armée destinée à agir contre l'Autriche, un général dont la conduite envers la Révolution était de tous points semblable à celle des rois de Prusse et de Hongrie, et qui était mille fois plus coupable, puisqu'il paraissait tout disposé à tourner contre cette Révolution l'épée dont il était armé pour la soutenir ? N'était-il pas aujourd'hui l'âme de ce parti de la cour et de l'aristocratie par lequel les patriotes étaient présentés comme une faction qu'on appelait tantôt républicaine, tantôt jacobite, à laquelle on imputait tous les maux dont la cour et l'aristocratie étaient les seules causes ? Ainsi comme la noblesse, comme les prêtres séditieux, comme les puissances étrangères, il prétendait accabler le peuple, et, tout en protestant hypocritement de son amour pour la constitution, il ne demandait rien moins que son anéantissement. C'était donc le plus dangereux des ennemis de la nation française, puisque, chargé de la défendre, il ne s'occupait qu'à la diviser et à comploter contre sa liberté. C'était le plus coupable de tous les traîtres, disait Robespierre en terminant, et il devait être exemplairement puni, si les représentants du peuple n'étaient pas les plus lâches des hommes[30].

 

VII

Un jour, bien longtemps après les années orageuses dont nous écrivons l'histoire émouvante, il fut donné au général La Fayette de voir sortir des barricades de 1830 cette constitution abâtardie qu'il rêvait en cette année 1792, et pour laquelle, de connivence avec ses amis les Feuillants, il ne craignit pas de conspirer la ruine de l'édifice si laborieusement élevé par l'Assemblée constituante. Eh bien ! quand il eut vu à l'œuvre cette royauté qu'il avait appelée, dit-on, la meilleure des républiques, et qui n'était en réalité ni la monarchie ni la république ; quand il eut vu fonctionner ce système de gouvernement qu'au temps de sa jeunesse il avait si souvent entendu flétrir par Robespierre, cette oligarchie bourgeoise où le génie, le talent, la vertu n'étaient comptés pour rien dans l'État, il se sentit pris d'un amer dégoût, et passa, pour n'en plus sortir, dans le camp de l'opposition radicale. Ah ! noble et généreux esprit qui éprouvâtes un tel désenchantement en présence de cette royauté après laquelle vous aviez tant soupiré jadis, vous qui, sur le soir de votre vie, avez compris enfin qu'à votre pays il fallait des institutions purement démocratiques, n'avez-vous pas éprouvé un long remords d'avoir combattu avec tant d'obstination ces glorieux patriotes de 1792, dont la vie fut un dévouement absolu à la démocratie ? Et une voix secrète ne vous reprocha-t-elle pas d'avoir, par vos manœuvres impolitiques et inconstitutionnelles, contribué à pousser la Révolution dans la voie des répressions sanglantes et implacables ?

Tandis qu'avec sa vigilance accoutumée Robespierre dénonçait les menées et les intrigues feuillantines, et, soldat d'avant-garde, défendait courageusement la liberté menacée, que faisaient les Girondins, anciens alliés de La Fayette ? Nous les avons vus longtemps se porter les garants du patriotisme du général ; et quand enfin ses tendances contrerévolutionnaires se furent manifestées trop clairement pour qu'on pût douter de ses intentions perfides, nous avons entendu Brissot, répondant à Robespierre, traiter son ancien client comme un homme sans conséquence, incapable de jamais tenter la moindre démonstration contre les lois constitutionnelles. Or, aujourd'hui il recevait un démenti formel. Le premier mouvement chez lui et chez ses amis fut une sorte de stupéfaction. Le journaliste Robert, avec qui nos lecteurs ont déjà fait connaissance, crut devoir, le 24 juin, aux Jacobins, témoigner sa surprise de ce que Brissot et Condorcet n'étaient pas encore venus s'expliquer sur le compte du général[31]. Cependant le 18 juin, à l'Assemblée nationale, Guadet, on l'a vu, avait été l'un des premiers à prendre parti contre lui, et, dès le surlendemain, un de ses anciens panégyristes, l'abbé Fauchet, donnait lecture à la société des Jacobins d'une lettre adressée en son propre nom à toutes les sociétés populaires et à tous les citoyens de son diocèse, lettre dans laquelle il développait avec la plus vive énergie sa nouvelle façon de penser au sujet de La Fayette, et qui était un résumé de tout ce qu'on avait pu dire de plus fort contre le général. Chénier demanda l'impression de cette lettre, et son envoi aux quatre-vingt-trois départements[32].

Bientôt il n'y eut plus qu'une voix contre La Fayette dans le parti de la Gironde, voix menaçante et terrible, car ainsi qu'il arrive toujours, le général se trouva en quelque sorte plus maltraité par ses anciens défenseurs que par ceux qui, depuis longtemps étudiant sa marche, l'avaient prudemment dénoncé à l'opinion. Le 25 juin, Sillery-Genlis prononça à la tribune des Jacobins un discours d'une excessive violence contre l'auteur des massacres du 17 juillet. Intimement lié avec le duc d'Orléans, Sillery pouvait paraître servir les rancunes de son ami, dont La Fayette avait été le constant adversaire ; mais le 28, ce fut Brissot lui-même qui prit la parole. Indigné de la démarche faite, dans la matinée, par le général en personne auprès de l'Assemblée, il reconnaissait enfin la vérité des accusations lancées par Robespierre contre ce chef d'armée, rendant ainsi un tardif hommage à la perspicacité de son adversaire. La Fayette avait levé le masque, disait-il, et sans doute l'Assemblée nationale aurait le courage de châtier son insolence. Dans tous les cas il prenait l'engagement de prouver à la tribune de l'Assemblée que ce général était coupable de haute trahison. A l'en croire, La Fayette était le chef d'un parti ; et le but de ce parti était de l'ériger en modérateur de l'Assemblée législative, de reconstituer, sinon la noblesse, au moins quelque chose qui y ressemblât, qui rétablît l'aristocratie des riches et des propriétaires. C'était bien là, en effet, le but constamment poursuivi par les Feuillants. On était loin du temps où l'optimiste Brissot faisait un crime à Robespierre de ses défiances, hélas ! trop justifiées aujourd'hui, comme un aveugle eut reproché à son voisin clairvoyant d'affirmer la lumière, inaccessible à ses yeux. En terminant son discours, au milieu d'universels applaudissements, le chef de la Gironde eut sans doute conscience de ses torts envers Robespierre, dont à présent il était, pour ainsi dire, l'écho ; et, pris de remords, il conjurait la société d'oublier toutes les haines, déclarant, quant à lui, que du plus profond de son cœur il jetait un voile sur le passé[33]. Cette déclaration était-elle sincère ? La conduite ultérieure de Brissot nous donne bien le droit d'en douter. Ce noble appel à la concorde, plusieurs fois déjà Robespierre l'avait adressé en vain ; cette fois encore il ne resta pas sourd à ces paroles de paix.

Et cependant, peu de jours auparavant, on avait vu se produire, au sein même de la société des Amis de la Constitution, un des effets déplorables des calomnies girondines dirigées contre lui. Dans une lettre venue de Bordeaux, où l'on assimilait la conduite de Robespierre donnant sa démission de ses fonctions d'accusateur public, à celle de Rochambeau abandonnant son commandement en présence de l'ennemi, on exigeait qu'il lui fût demandé compte de cette démission. Comment ne pas reconnaître dans cette lettre insidieuse l'esprit du comité de correspondance où dominaient les créatures de la Gironde ? La société, jugeant que cette lettre calomnieuse avait été écrite dans le but de jeter le trouble dans son sein, avait dédaigneusement refusé de l'entendre tout entière[34]. Ce n'en était pas moins là pour Robespierre un nouvel indice de l'acharnement de ses adversaires. Toutefois, mettant les intérêts de la patrie au-dessus des rancunes privées, il ne crut pas devoir repousser la proposition pacifique de Brissot, et, montant à la tribune après lui, il prononça ces belles paroles : Quand le danger que court la liberté est certain, quand l'ennemi de la liberté est bien connu, il est superflu de parler d'union, car ce sentiment est dans tous les cœurs. Quant à moi, j'ai éprouvé qu'il était dans le mien au plaisir que m'a fait le discours prononcé ce matin à l'Assemblée nationale par M. Guadet, et à celui que je viens d'éprouver en entendant M. Brissot. D'unanimes acclamations accueillirent ces généreuses paroles, parties d'un cœur bien franc[35]. Mais, hélas ! ce traité de paix, dont l'exécution eût sans doute assuré le triomphe définitif de la Révolution, ne devait pas tarder à être déchiré, et l'on verra encore par qui. Ah ! combien coupables, répéterons-nous, les violateurs du pacte saint, ceux qui ne surent pas étouffer sous l'amour du bien public et de la patrie menacée les rivalités de parti et les jalousies dont ils étaient dévorés !

Robespierre reprit ensuite à son tour l'acte d'accusation de La Fayette. En abandonnant son armée pour paraître à la barre de l'Assemblée, après avoir insulté par écrit à la souveraineté nationale, en se montrant inopinément, comme si sa seule présence eût suffi pour terrasser le patriotisme et la liberté, en insinuant que ceux qu'il affectait d'appeler ses soldats, sa brave armée, marcheraient à sa voix contre la capitale, le général avait mis le comble à ses forfaits. Pour l'écraser, il suffisait du poids de la constitution : un décret d'accusation rendu par l'Assemblée nationale, en le livrant à la vengeance des lois, l'enlèverait aux conspirateurs dont il était l'appui, l'unique espérance ; toute autre mesure que le décret d'accusation semblait donc inefficace à Robespierre. En vain redoutait-on quelque tentative de la part de l'armée commandée par La Fayette ; à la voix des représentants du peuple, affirmait l'orateur, les soldats seraient les premiers exécuteurs de la loi ; il en avait pour garant leur patriotisme et le respect dont la constitution était entourée dans toutes les parties de l'empire. La pusillanimité seule de l'Assemblée nationale serait à craindre, mais il avait confiance en la majorité ; et, se reposant sur elle, il engageait encore ses concitoyens à se garder de toute insurrection partielle : c'était par la légalité qu'il fallait vaincre La Fayette et réprimer les complots dont la cessation amènerait l'établissement définitif de la liberté. La Fayette est un traître, un conspirateur, s'écria ensuite La Source ; La Fayette est un scélérat, voilà mon opinion[36].

Au moment où ces rudes paroles sortaient de la bouche d'un des membres influents de la Gironde, le général se disposait à retourner vers son armée, un peu confus sans doute du résultat de sa démarche, démarche imprudente autant que coupable, on peut le dire ; car, loin de servir la cause royale, elle contribua, d'une part, à pousser le gouvernement de Louis XVI dans le chemin de réaction qui devait le conduire à sa chute ; de l'autre, à aigrir les patriotes, à les porter aux partis extrêmes. Le jour même où La Fayette quitta Paris, il fut brûlé en effigie au Palais-Royal, et le journal de Brissot considéra comme une exécution civique ce simulacre d'auto-dafé. En même temps cette feuille insérait un article intitulé La Fayette, tiré des Révolutions de Paris ; c'était une longue, amère et violente censure de la conduite du général depuis le commencement de la Révolution, et l'on put s'étonner de le trouver reproduit dans un journal qui, durant si longtemps, s'était montré très-prodigue d'éloges pour l'ancien commandant en chef de la garde nationale[37].

Avant de partir, La Fayette adressa à l'Assemblée législative une seconde lettre, dans laquelle il exprimait le regret de ne pouvoir apprendre à ses troupes qu'on eût déjà statué sur sa pétition. C'était d'une maladresse insigne ; de nombreux murmures de réprobation accueillirent la lecture de cette nouvelle lettre, mais ce fut tout ; et Isnard, avec son impétuosité naturelle, se plaignit en quelque sorte que l'Assemblée n'eût pas envoyé de sa barre à Orléans ce soldat factieux[38]. Déplorable fut l'effet produit au dehors. Les plus sincères amis du général, dans le parti de la Gironde, rompirent tout à fait avec lui. Condorcet lui-même jugea impossible de le soutenir plus longtemps, et la Chronique de Paris, muette depuis dix jours sur le compte de La Fayette, se décida enfin à l'attaquer avec fureur, et publia ces lignes : M. La Fayette a paru s'étonner de ce qu'à sa voix les sociétés populaires osaient encore subsister, et de ce que l'Assemblée nationale n'en avait pas encore prononcé la dissolution. Que diront donc les honnêtes gens du royaume et l'état-major de son armée, dont il s'est déclaré l'organe ? Celui qui a voulu imiter Cromwell sera-t-il jugé digne d'en être tout au plus le valet de chambre ? Les murmures, pour ne pas dire les huées qui ont accompagné cette lettre dont, pour cette fois, M. de La Fayette semble s'être fait le rédacteur, l'ont déjà mis à la juste place qu'il doit avoir, et l'opinion publique fera facilement le reste[39]. Et le lendemain, dans un article intitulé : Question à faire aux honnêtes gens, la même feuille se demandait, comme si elle se fût inspirée des derniers numéros du journal de Robespierre, quel était celui du roi de Hongrie ou du général La Fayette, qui attaquait ou défendait la constitution quand tous deux se montraient également ennemis des sociétés populaires[40] ?

De son côté, Brissot, dans le Patriote français, ne demeurait pas en reste. A la nouvelle de l'évacuation du Brabant par nos troupes, il n'hésitait pas à écrire qu'il faudrait que l'Assemblée nationale fût bien faible si les traîtres qui avaient conseillé la retraite ne payaient pas de leurs têtes cette trahison[41]. Quelques jours après, comme le bruit courait que La Fayette était sur le point de revenir à Paris, il s'écriait : Tant mieux, il sera plus près d'Orléans. Enfin, empruntant au Moniteur lui-même une appréciation très-malveillante dirigée contre le général, la feuille de Brissot rappelait que Mirabeau avait pronostiqué qu'incapable d'être le valet de chambre de Cromwell, La Fayette finirait par être celui du général Monck ; elle alla jusqu'à le traiter de Gilles César, nom sous lequel, paraît-il, le désignaient les plaisants de la cour[42]. Nous voici loin, bien loin du temps où, prenant le général sous leur égide, Brissot et Condorcet ne pardonnaient pas à Robespierre de le dénoncer aux Jacobins, de suivre d'un œil attentif sa marche tortueuse, de deviner ses desseins perfides. Quel pas franchi en quelques jours ! A présent on les voyait, comme pour racheter leur long aveuglement, animés de fureurs qui contrastaient fort avec leur quiétude passée ; mais de tout cela il résultait, pour les observateurs sérieux, qu'en attaquant Robespierre avec tant de violence et en le poursuivant de si noires calomnies, ils avaient cédé aux moins nobles passions, celles de la haine et de l'envie ; et la comparaison entre sa conduite et la leur n'était pas à leur avantage. Eux-mêmes aujourd'hui ne se trouvaient-ils pas forcés de donner raison à leur adversaire ? C'était leur condamnation.

 

VIII

La tentative avortée de La Fayette n'empêcha pas ses amis de continuer leurs manœuvres contre-révolutionnaires, et, à défaut de l'Assemblée nationale, le directoire du département de Paris résolut d'agir seul contre les fauteurs de la journée du 20 juin. Le 6 juillet, il prit une mesure infiniment grave et grosse de tempêtes, celle de la suspension provisoire et du renvoi du maire de Paris et du procureur de la commune devant les tribunaux. Cet arrêté, signé de La Rochefoucauld, fut connu le lendemain ; il excita le plus vif mécontentement et détruisit entièrement le bon effet qu'avait produit une petite scène de réconciliation dont l'Assemblée nationale avait été le théâtre dans la matinée, sorte de répétition des paroles échangées peu de jours auparavant aux Jacobins entre Brissot et Robespierre. Sur la proposition de Lamourette, évêque de Lyon, d'ensevelir toutes les haines dans un embrassement fraternel, et d'exécrer à la fois la République et le système des deux Chambres, on avait vu, suivant l'expression du Patriote français, la Montagne se précipiter dans la Plaine, Jaucourt et Merlin, Dumas et Bazire, et une foule d'autres, abjurer leurs défiances réciproques, et le feuillant Pastoret se jeter dans les bras de Condorcet, que trois jours auparavant il avait publiquement accusé d'outrager, tous les matins, la raison, la justice et la vérité[43]. La suspension du maire de Paris et du procureur de la commune gâta tout. Le soir, quand les membres du directoire se rendirent à l'Assemblée nationale avec les corps municipaux et judiciaires, le peuple se mit à crier sur leur passage : Rendez-nous Pétion ; à bas le directoire ! La Rochefoucauld à Orléans[44] ! La scène fraternelle dont l'abbé Lamourette avait été l'instigateur passa pour avoir été concertée entre la cour et lui, et cette réconciliation, qu'un journal populaire appela la réconciliation normande, fut qualifiée par le peuple de baiser Lamourette et de baiser de Judas[45].

Robespierre, nous l'avons dit assez, n'avait pas approuvé le mouvement du 20 juin ; mais en voyant un directoire contre-révolutionnaire s'en servir comme d'un prétexte pour persécuter les patriotes et suspendre de leurs fonctions le maire et le procureur de la commune, il prit hautement dans son journal la défense des magistrats municipaux, dont le grand tort, aux yeux des membres du directoire, était de n'avoir point proclamé la loi martiale contre le peuple de Paris, cette loi de sang inventée pour assassiner solennellement à coups de fusil ou de canon une multitude de citoyens sans défense, et que sous l'Assemblée constituante, Robespierre avait combattue, mais en vain, avec tant d'acharnement. C'était un étrange contraste dans l'ordre social, disait-il avec raison, que de voir, sous l'ère de la liberté naissante, des magistrats issus du suffrage populaire se montrer altérés du sang du peuple, décerner des couronnes civiques à ceux qui l'avaient répandu, et lancer des anathèmes contre ceux qui pouvaient se montrer fiers de l'avoir épargné. Voilà donc les honnêtes gens, s'écriait-il en terminant ; et après avoir reproché aux membres du directoire de ne pas revêtir de leurs signatures les arrêtés émanés d'eux, afin sans doute de pouvoir au besoin en décliner la responsabilité, il ajoutait : Voilà les religieux adorateurs des lois ! les apôtres ardents de l'ordre et de la paix ! Voilà les calomniateurs éternels du peuple et les détracteurs infatigables de tous les bons citoyens ![46]

Tout concourait à porter au comble l'irritation des esprits. L'évacuation de la Belgique, les insurrections organisées à l'intérieur par la noblesse et les prêtres réfractaires, la suspension du maire de Paris et du procureur de la commune, les adresses contre-révolutionnaires de quelques directoires de département comme ceux de Rouen et d'Amiens, adresses qui prouvaient l'entente de ces corps administratifs avec le directoire de Paris, la persistance du roi à opposer son veto à des décrets populaires, l'imprudente démarche de La Fayette, avaient semé dans l'air des inquiétudes que la moindre alarme un peu chaude pouvait changer en colères terribles. En vain les orateurs dévoués au gouvernement essayaient de ramener une confiance trop fortement ébranlée, les événements leur donnaient un démenti sanglant. Tout en s'enveloppant encore des formes constitutionnelles, les révolutionnaires ardents commençaient à comprendre qu'un jour ou l'autre le peuple serait réduit à se sauver lui-même. Comment, en effet, pouvait-on compter sur la cour ? Là toutes les espérances étaient tournées vers la Prusse et vers l'Autriche ; pour les défenseurs du trône, la patrie était à Coblentz. De l'aveu d'une femme dont les révélations ne sauraient être suspectes, puisque ses Mémoires sont un monument d'amour élevé à la famille royale, Marie-Antoinette, indiquant la date où serait entrepris le siège de Lille, et le jour où les Prussiens seraient à Verdun, avait l'assurance qu'avant un mois la Révolution serait terrassée, et la royauté remise sur l'ancien pied[47].

Cette confiance de la cour avait nécessairement sa contre-partie dans le trouble dont était saisie la population. Si d'une part, une adresse couverte de près de huit mille signatures obtenues à grand'peine demandait la punition des auteurs de la journée du 20 juin, d'autre part, des députations des sections de Paris réclamaient avec énergie le châtiment de La Fayette, le licenciement de l'état-major de la garde nationale parisienne où dominait l'esprit aristocratique, et des mesures propres à assurer le salut de la liberté. Dans la séance du 3 juillet, à l'Assemblée législative, la France entière, on peut le dire, s'était exprimée par la bouche de Vergniaud ; il fut l'écho magnifique des sentiments qui agitaient la patrie. Dans quelle mémoire française n'est-il pas resté, cet admirable discours où éclata dans toute sa force le génie de l'éloquence ? Le côté droit, entraîné, ne put s'empêcher de mêler ses applaudissements à ceux de la majorité. Vergniaud demandait, en substance, un prompt rapport sur la conduite du général La Fayette, que la patrie fût déclarée en danger, et que les ministres fussent rendus responsables des troubles ayant la religion pour prétexte[48]. Le surlendemain on entendit, dans le même sens, l'évêque de Bourges. C'était Anastase Torné, qui, au moment des élections à l'Assemblée législative, écrivait, on s'en souvient sans doute, à Robespierre, dont il était l'admirateur passionné, qu'il s'estimerait trop heureux s'il pouvait mériter le surnom de petit Robespierre. Le patriote prélat termina son discours en proposant à ses collègues de faire solennellement à la nation la déclaration suivante : Citoyens, la patrie est en danger. Cette déclaration, elle sera décrétée tout à l'heure ; d'un commun élan la France entière se lèvera indignée et radieuse de cet enthousiasme que la mère-patrie excite toujours dans le cœur de ses enfants.

Plus âpre, plus incisif, sinon-aussi éloquent que son ami Vergniaud, se montra Brissot quand le 9 il prit la parole pour soutenir la même thèse. Chose singulière ! cet homme avait, pendant près de six mois, reproché aigrement à Robespierre ses défiances à l'égard du pouvoir exécutif, et aujourd'hui, comme Vergniaud et Condorcet d'ailleurs l'avaient fait récemment, il répétait à la tribune tout ce que Robespierre n'avait cessé de dire. Seulement, et cela ne pouvait manquer d'être remarqué, ce qui, chez celui-ci, était le résultat de l'observation patiente et tout à fait désintéressée au point de vue personnel, semblait plutôt provenir, chez celui-là, de l'irritation qu'il avait ressentie du renvoi des ministres dont l'élévation avait été son ouvrage. Le véritable ennemi maintenant n'était plus à Coblentz, comme il le soutenait peu de mois auparavant, mais bien à la cour des Tuileries. C'était là, disait-il à présent, qu'il fallait frapper d'un seul coup tous les traîtres. Cette cour, il la peignait comme le point où aboutissaient tous les fils de la conspiration, où se tramaient toutes les manœuvres, d'où partaient toutes les impulsions. Comment changer une cour qui, depuis quatre ans, ne respire que vengeance et discorde ? s'écriait-il ; vous qui croyez à ce miracle d'un jour, osez répondre à la nation, sur votre tête, osez lui répondre que, dans cette cour, on veut sincèrement la constitution, qu'on aime le peuple, qu'on déteste la ligue des rois, osez répondre, et sachez que l'échafaud est là tout prêt. Il concluait à l'examen de la conduite du roi et à la punition sévère de La Fayette[49]. Ce discours de Brissot était certainement rempli de vérités frappantes ; mais tant d'emportement de la part d'un orateur qui avait si bien prêché la confiance quand ses amis étaient au pouvoir, ne cachait-il pas des vues un peu intéressées ? Un certain nombre de patriotes le craignaient. Dans tous les cas, la consistance du caractère étant un des grands moyens d'influence sur l'opinion, le patriotisme de Brissot était loin d'être apprécié à l'égal de celui de Robespierre, qui du reste, on l'a vu, n'avait pas hésité un instant à ensevelir dans l'oubli les calomnies sanglantes que sa prévoyance lui avait attirées de la part des Girondins.

 

IX

Pour lui, en considérant la marche et le système du gouvernement, en examinant la conduite des fonctionnaire élus par le peuple, il avait cru la liberté perdue ; toutefois il s'était rassuré en jetant ensuite les yeux sur le peuple et sur l'armée. On avait à soutenir deux guerres, l'une intérieure, l'autre extérieure, dit-il aux Jacobins, le' soir même du jour où Brissot s'était si énergiquement prononcé au sein de l'Assemblée législative ; il était facile, selon lui, de terminer l'une et l'autre sans effusion de sang. A l'égard de la première, il avait autrefois adopté un avis opposé à celui de citoyens estimables, ajoutait-il, donnant ainsi une preuve de plus de son désir d'étouffer les divisions funestes nées des discussions sur la guerre étrangère ; maintenant qu'elle était commencée, il croyait aussi qu'elle pourrait tourner à l'avantage de la liberté. Cependant, il ne pouvait s'empêcher de faire remarquer que jusqu'ici l'expérience avait été malheureusement favorable à l'opinion qu'il avait exprimée jadis, contrairement à celle des partisans de la guerre, à savoir qu'on n'était pas encore en état d'entrer en campagne avec toutes les chances de succès.

Il était loin d'ailleurs de se prévaloir d'un résultat fâcheux. A présent qu'un général, contre lequel il avait pris soin depuis si longtemps d'éveiller les défiances du peuple, s'était démasqué lui-même, on terminerait promptement la guerre extérieure au profit du peuple français et de tous les peuples qui aspiraient à la liberté. Seulement, si la patrie se trouvait en danger, la faute en était aux conspirateurs du dedans, toujours impunis, quand les patriotes étaient sans cesse persécutés et écrasés ; il y avait donc, selon lui, nécessité de lancer un décret d'accusation contre le général dont la trahison était aujourd'hui avérée ; car, poursuivait Robespierre, si personne ne défend les droits de la nation, les principes éternels de l'humanité et de la justice, il faudra bien que le peuple se lève. C'était déjà un pressentiment du 10 août. Toutefois, 'avant de conseiller l'emploi des mesures extraordinaires, il engageait ses concitoyens à s'en tenir à celles qu'indiquait le sens commun. Il fallait d'abord remplacer les généraux perfides par des chefs patriotes. Était-il si difficile d'en trouver parmi les officiers et les soldats ? Du milieu de ces volontaires héroïques devaient sortir, il n'en doutait pas, d'incomparables généraux. Il ne lui semblait même pas impossible de rencontrer des officiers pleins de patriotisme parmi les patriciens, et malgré sa répugnance à recommander quelqu'un, il n'hésitait pas à déclarer que Biron, par sa conduite depuis le commencement de la guerre, avait mérité la confiance[50]. Prédestiné à une fin tragique, l'ancien duc de Lauzun aura néanmoins la gloire de commander en chef les armées de la République.

Le surlendemain 11 juillet, l'Assemblée nationale, adoptant la formule proposée par l'évêque de Bourges dans la séance du 5, décréta cette simple et solennelle déclaration : Citoyens, la patrie est en danger ! A ces paroles, colportées de commune en commune, toute la France frissonna comme électrisée. Irrésistible fut l'élan, et nous allons assister à l'un de ces magnifiques spectacles qui se rencontrent une fois dans l'histoire des peuples. C'est qu'en effet ce n'était point une vaine formule que ces mots : La patrie est en danger ! c'était une exhortation à la nation entière de déployer toute l'énergie dont elle était capable pour écarter le péril, disait Robespierre. Le soir même, aux Jacobins, il conjura ses concitoyens de laisser de côté tous les intérêts personnels pour s'occuper du seul intérêt public. Les dangers que proclamait aujourd'hui l'Assemblée nationale, il les avait dès longtemps prévus et dénoncés. En prenant cette grave mesure, les représentants du peuple avaient eu pour but, selon lui, de réveiller de sa léthargie le pays endormi sur le bord de l'abîme. Car il importait peu de décréter de bonnes lois si le pouvoir exécutif s'opposait à leur exécution, s'il les entravait par des veto perfides, si des armées patriotes, arrêtées dans leur marche victorieuse, combattaient inutilement, si des administrateurs vendus conspiraient avec la cour pour tuer la constitution par la constitution.

Trente-trois directoires de département venaient, par des adresses contre-révolutionnaires, de protester de leur dévouement à la cour. Dans des circonstances aussi critiques, s'écriait Maximilien, les moyens ordinaires ne suffisent pas ; Français, sauvez-vous vous-mêmes. Nous verrons en diverses occasions, notamment aux jours des grandes crises, Robespierre se servir de cette expression, et nous prions le lecteur de ne pas l'oublier. Tel était d'ailleurs, suivant lui, le sens de la proclamation de l'Assemblée. Autrement, pensait-il, la déclaration de la patrie en danger serait une pure trahison, si montrant à la nation les périls auxquels était exposé le pays, l'Assemblée lui ôtait la faculté de prendre les mesures propres à le sauver. Le danger de la patrie ne venait, d'après les ennemis de la Révolution, ni de ces prêtres soufflant partout le feu de la guerre civile, ni de ces nobles ne reculant devant aucun moyen pour recouvrer leurs privilèges ; ils le, voyaient dans les sociétés populaires dont la mission était de surveiller les fonctionnaires publics, dans le peuple qui ne voulait pas être mené comme un troupeau,, et dans ceux de ses magistrats qui avaient refusé de vendre leur conscience et leur talent. Mais, aux yeux des patriotes et de tous ceux qui envisageaient avant tout le bien général de l'humanité, ce danger existait parce que des administrateurs, à peine sortis des assemblées où ils avaient flatté le peuple afin d'obtenir des places, étaient assez vils pour conspirer contre la liberté avec une cour incorrigible ; il existait parce qu'un général, désertant son armée, osait tenir aux représentants du peuple un langage impérieux. Que la cause de ces périls fût extirpée au plus vite, qu'un décret d'accusation fût rendu contre le général La Fayette, et bientôt la guerre serait terminée, le Brabant libre ; tous les petits princes d'Allemagne descendraient de leurs trônes ; et la liberté fermement établie sur les bords du Rhin et de l'Escaut formerait une barrière impénétrable d'hommes libres autour de nos frontières.

Il n'y avait pas de temps à perdre, pensait Robespierre, car, si dans un mois l'état de choses n'était pas entièrement changé, il ne faudrait pas dire la nation est en danger, il faudrait dire : la nation est perdue. J'ai toujours été l'apôtre de la constitution, continuait-il, le défenseur des lois ; mais la première des lois est celle sur laquelle repose la constitution : l'égalité, la liberté. Il faut donc la constitution, mais il la faut tout entière, religieusement observée pour le salut du peuple, sans quoi le mot constitution ne devient plus qu'un mot de ralliement pour les factieux qui voudraient s'en emparer pour combattre la liberté[51].

Ainsi se trouvait prévu le grand bouleversement du mois suivant ; car il était à croire que la cour persévérerait dans la voie des résistances, et Robespierre ne va pas tarder à reconnaître l'impossibilité de conserver une monarchie avec le maintien de laquelle l'établissement définitif des principes révolutionnaires devenait décidément impossible. Déjà, du reste, la déchéance du roi commençait à apparaître à beaucoup de citoyens comme une mesure indispensable au salut du pays ; un journal populaire réclama même hautement l'expulsion de Louis XVI, ou du moins sa suspension pendant le cours de la guerre[52]. Encore quelques jours, et la formidable question se trouvera nettement posée devant l'Assemblée nationale.

 

X

A cette époque arrivaient en grand nombre les députés nommés par les départements pour assister au troisième anniversaire de la prise de la Bastille ; c'étaient les fédérés, choisis parmi les citoyens les plus énergiques et dont le patriotisme se trouvait encore exalté par la proclamation de l'Assemblée. Robespierre avait rédigé à leur intention une adresse toute brûlante du feu dont son âme était embrasée. Il en donna lecture aux Jacobins dans la soirée du 11, immédiatement après avoir apprécié la portée du décret rendu dans la journée. Salut aux défenseurs de la liberté, commençait-il par dire, salut aux généreux Marseillais qui ont donné le signal de la sainte fédération qui les réunit, salut aux Français des quatre-vingt-trois départements, dignes émules de leur courage et de leur civisme, salut à la patrie puissante, invincible, qui rassemble autour d'elle l'élite de ses innombrables enfants armés pour sa défense. Il avait bien compris le parti qu'on pouvait tirer d'une telle force en faveur de la Révolution, et tout de suite il songea à les attacher par des liens étroits à cette cause sacrée. Vous n'êtes point venus assister à une vaine cérémonie, leur disait-il en substance ; vous n'êtes point venus pour répéter de froides et inutiles formules de serment. Accourus à la voix de la patrie en danger, vous voyez les tyrans du dehors rassembler contre nous des armées nouvelles, et ceux du dedans nous trahir. Puis, après avoir rappelé l'évacuation de la Belgique, l'incendie des faubourgs de Courtrai par une créature du général La Fayette, par ce Jarry, encore impuni, qui, au lieu de la liberté promise, avait laissé aux Brabançons le désespoir et la misère, il montrait les ennemis de la liberté d'accord avec les despotes étrangers, les fonctionnaires nommés depuis la Révolution surpassant en perfidie et en mépris pour les hommes ceux de l'ancien régime ; il montrait la plus belle révolution dégénérant chaque jour en un honteux système de machiavélisme et d'hypocrisie où les lois étaient devenues, entre les mains du pouvoir exécutif, un moyen de protéger les puissants, d'opprimer les faibles et de trafiquer de tous les droits de l'humanité, où tous les vices calomniaient toutes les vertus, et où, sous prétexte d'ordre public, on changeait le règne de la liberté en une longue et cruelle proscription.

Tant d'attentats avaient enfin réveillé la nation, mais le despotisme tremblant n'allait pas manquer sans doute de couvrir d'un grossier masque de patriotisme son visage hideux ; aussi Robespierre mettait-il soigneusement la bonne foi des fédérés en garde contre les prévenances à l'aide desquelles l'aristocratie et l'incivisme s'efforceraient infailliblement de les circonvenir. Que l'honneur d'accueillir la vertu, leur disait-il, soit réservé à la vertu seule. Fuyez les perfides caresses, les tables opulentes où l'on boit dans des coupes d'or le poison du modérantisme et l'oubli des devoirs les plus saints. Combien de gens, en effet, sur des gages trompeurs, étaient disposés à recouvrer la sérénité de l'espérance et à s'épargner la peine de lutter contre les ennemis de la patrie ! Aux fédérés d'apprendre aux âmes faibles et pusillanimes quelle devait être l'attitude des hommes libres en face des oppresseurs du peuple, de déjouer les entreprises perfides, de repousser les avances de la tyrannie, de sauver l'État, d'assurer enfin le maintien de la constitution, non point de celle qui confiait au roi un pouvoir exorbitant, d'immenses trésors, protégeait les grands scélérats et assassinait le peuple dans les formes ; mais de celle qui garantissait la souveraineté et les droits de la nation, et protégeait la liberté et le patriotisme. Ainsi revenait toujours dans la bouche et sous la plume de Robespierre cette distinction capitale, à laquelle n'ont pas assez pris garde la plupart des auteurs qui ont écrit sur la Révolution. Jusqu'à la chute de la monarchie, il se montra constitutionnel dans le sens révolutionnaire le plus avancé, c'est-à-dire qu'à ses yeux la constitution était encore le rempart des droits et des libertés qu'au sein de l'Assemblée constituante il était parvenu à dérober à la rage des réacteurs : c'était la garantie de la Révolution contre les partisans de l'ancien régime.

En invitant les députés venus des départements à se rendre au Champ de la Fédération, il les engageait à ne prêter serment qu'à la patrie entre les mains du roi immortel de la nature, qui avait fait l'homme pour la liberté. Ce lieu même, cet autel où l'année précédente, à pareille époque, le sang de tant de citoyens innocents avait été répandu, avait besoin d'être purifié. Du reste, le souvenir de la patrie ensanglantée lui paraissait propre à inspirer de grandes pensées. Ne sortez point de cette enceinte, disait-il à la fin de son adresse aux fédérés, sans avoir décidé dans vos cœurs le salut de la France et de l'espèce humaine. Citoyens, la patrie est en danger, la patrie est trahie ; on combat pour la liberté du monde ; les destinées de la génération présente et des races futures sont entre vos mains ; voilà la règle de vos devoirs, voilà la mesure de votre sagesse et de votre courage. D'immenses acclamations accueillirent la lecture de cette adresse qui répondait si bien au sentiment général. La société en vota l'impression, l'affichage, la distribution à ses membres, à ceux de l'Assemblée nationale, aux citoyens des tribunes, et l'envoi à toutes les sociétés affiliées[53].

Sous l'émotion de cette lecture, un membre nommé de Noirterre monta à la tribune pour déclarer qu'il adoptait sur le général La Fayette les sentiments de Robespierre, et qu'étant appelé à commander un bataillon de volontaires, il ne conduirait pas aux frontières les troupes confiées à ses soins tant qu'un tel général serait à la tête des armées. Ceci se passait le 11 ; le lendemain, dans une séance extraordinaire, se produisit un autre incident. Un journaliste du nom de Marta, appartenant à la société, semblait s'attacher, dans le journal du soir dont il était rédacteur, à présenter sous un jour absolument faux les opinions émises a la tribune des Jacobins. Ainsi, en rendant compte de l'adresse aux fédérés, il la défigura au point de la donner à ses lecteurs comme une invitation spéciale aux Marseillais de ne pas quitter le Champ-de-Mars sans avoir vengé les victimes qui, l'année précédente, y avaient été immolées. Robespierre se plaignit vivement d'un tel procédé ; il y vit l'intention perfide de dénaturer les principes de la société par une calomnie dangereuse, et il proposa à ses collègues de punir ce rédacteur en le rayant sur-le-champ de la liste des membres de la société. Marta essaya de se justifier en accusant les protes de l'imprimerie d'avoir tronqué ses manuscrits. Cette mauvaise excuse ne pouvait avoir de succès ; le présentateur de Marta, Taschereau, lui reprocha de s'être, à diverses reprises, rendu suspect d'incivisme, et la société, en votant son expulsion, engagea tous les journalistes patriotes à donner aux motifs de cette mesure rigoureuse le plus de publicité possible[54].

La journée suivante parut d'un bon augure aux amis de la Révolution : l'Assemblée nationale, faisant droit aux nombreuses réclamations des citoyens de Paris, leva enfin, sur le rapport du député Muraire, la suspension prononcée contre le maire de Paris par le directoire du département et confirmée par le roi. C'était là un grave échec pour le pouvoir exécutif ; on put croire alors l'Assemblée toute disposée à se montrer sévère à l'égard des fonctionnaires traîtres à la Révolution ; mais, profondément agitée par des courants contraires, elle semblait prendre à tâche de se déjuger du jour au lendemain, et il suffira de quelques-uns de ses actes entachés de l'esprit de réaction pour pousser le peuple à sauver, malgré elle et sans elle, la Révolution menacée.

Dans ces derniers temps Robespierre, considérant encore l'Assemblée comme l'ancre de salut de la chose publique, n'avait cessé de recommander au pays de se fier à elle ; aussi se montra-t-il fort contrarié de ce qu'elle eût tant tardé à rendre le décret réparateur qui levait la suspension du maire, et surtout de ce qu'en dévoilant publiquement l'injustice des administrateurs du département, elle ne les eût pas châtiés en même temps et n'eût pas vengé le peuple injurié dans la personne de son premier magistrat. Laisser impunis le directoire de Paris et La Fayette, c'était, dit-il au club, leur fournir les moyens de machiner de nouvelles conspirations ; peut-être, pensait-il, en éclaterait-il dès le lendemain[55]. Anthoine, son ancien collègue à l'Assemblée constituante et son ami, vint ensuite parler d'un complot formé contre les fédérés, et dont l'exécution, confiée à un régiment suisse, devait avoir lieu dans la nuit. Ainsi se propageaient les bruits les plus alarmants : La Fayette, prétendait-on, était revenu à Paris ; Narbonne et Beaumetz y avaient été vus ; la présence de ces hommes au sein de. la capitale, en ce moment critique, paraissait singulièrement suspecte à Robespierre. Voulait-on profiter de la fête de la fédération pour fomenter quelque tumulte, et, sous prétexte de rétablir l'ordre, proclamer la loi martiale, massacrer les citoyens, comme l'année dernière on s'était servi du meurtre de deux individus, immolés au Gros-Caillou, pour excuser la tuerie dont le Champ-de-Mars avait été le théâtre ? Il le craignait, croyant La Fayette et ses amis parfaitement capables de méditer quelque crime qu'ils pussent ensuite imputer aux amis de la liberté. Assurément il allait beaucoup trop loin quand il accusait en quelque sorte le général d'avoir commandé l'assassinat du boulanger François afin d'arracher a l'Assemblée constituante le vote de la loi martiale, et autorisé le meurtre des deux victimes du Gros-Caillou pour avoir un motif de réprimer violemment les pétitionnaires du Champ-de-Mars ; c'est le propre des passions politiques de tomber toujours dans quelque exagération. Mais de leur côté, ne l'oublions pas, les partisans de la cour, La Fayette et tous ses amis, n'avaient rien négligé pour donner à croire aux esprits faibles que les personnes coupables du meurtre des deux individus trouvés sous les marches de l'autel de la patrie étaient les mêmes que celles accourues, paisiblement et sans armes, pour signer la pétition déposée sur ce même autel, et qui, le soir, avaient été impitoyablement fusillées. C'était aux fédérés, disait Robespierre en terminant, à assurer la punition d'un traître qui menaçait la tranquillité de la France, et à sauver la liberté. Se levant après lui, Danton proposa à la société d'inviter les fédérés à ne pas se séparer avant que la nation eût statué sur le sort du pouvoir exécutif[56]. Comme déjà l'on sent chanceler sur sa base le trône huit -fois séculaire des Capétiens !

 

XI

Elle eut lieu au milieu des plus vives anxiétés, cette troisième fête de la fédération ; cependant, et contre l'espérance des royalistes peut-être, elle ne fut l'occasion d'aucun trouble. La présence de toutes les autorités constituées, l'énorme affluence des spectateurs venus de tous les points de la France, le calme majestueux du peuple, auraient pi faire croire à une trêve, à un apaisement général ; mais la sérénité du ciel qui favorisa l'imposante cérémonie n'était point dans les cœurs : depuis trois ans la situation était bien changée. Tandis que les fédérés de 1790 s'étaient réunis au sein de la paix pour jurer le maintien de la constitution ébauchée, ceux de 1792 se rassemblaient pour soutenir la constitution chancelante, écrivait Robespierre, et défendre la liberté menacée. En 1790, un général, à présent convaincu de parjure et de perfidie envers la Révolution, avait été l'objet d'une extravagante adulation ; les fédérés d'aujourd'hui étaient des hommes libres, appelés par le danger de la patrie, à laquelle seule désormais s'adressaient leurs serments et leurs hommages. La fédération de 1790 avait été le triomphe de la bourgeoisie ; celle de 1792 annonça l'avènement de la démocratie, dont l'enfantement, hélas ! devait être si pénible et si douloureux. Les piques mêlées aux fusils, les uniformes confondus avec les vêtements grossiers des artisans et des laboureurs indiquaient suffisamment que le génie de l'Égalité présidait à cette fête. Ce qui fut pour l'aristocratie un sujet d'abattement et de crainte remplit d'allégresse l'âme des patriotes, et dans la réunion de tant de citoyens courageux, Robespierre se plut à voir le suprême espoir de la patrie au milieu des périls imminents dont elle était environnée.

En rendant compte de cette fête nationale, il engagea les fédérés à se conduire avec autant de prudence que d'énergie, jugeant la cour capable de mettre tout en œuvre pour provoquer leur impatience et les porter, à des partis extrêmes et précipités. Ainsi, il les invitait tout particulièrement à ménager l'opinion des personnes faibles ou égarées ; et, par la suite, nous le verrons toujours maintenir une distinction profonde entre ces gens là et les coupables, indulgent aux premiers, inflexible envers les seconds. Pour sauver la liberté, il fallait d'abord, selon lui, s'armer la constitution même, procéder par des mesures sages, progressives, afin de rallier les esprits timides et ignorants et d'imposer silence à la calomnie. Il ne désespérait pas encore de l'Assemblée nationale, à laquelle la constitution offrait tous les moyens légaux de punir une cour conspiratrice, des généraux perfides et de destituer des directoires contrerévolutionnaires. Citoyens fédérés, disait-il, ne combattez nos ennemis communs qu'avec le glaive des lois. Présentez légalement à l'Assemblée législative le vœu du peuple de vos départements et les alarmes de la patrie en péril. Développez avec énergie toutes les atteintes portées jusqu'ici à la constitution, tous les crimes commis contre la liberté par ses ennemis hypocrites et par ses ennemis déclarés. Dénoncez à vos concitoyens les trahisons et les traîtres ; développez à leurs yeux le fatal tissu de ces abominables intrigues qui, depuis si longtemps, livrent la nation à ses anciens oppresseurs et à des tyrans nouveaux ; de ces intrigues dont Paris est le centre, et que l'on soupçonne à peine dans nos départements. Constatez d'abord que ceux à qui les rênes du gouvernement ont été confiées ne veulent point absolument sauver l'État, ni maintenir la constitution, afin que la nation éclairée sur l'étendue et sur les véritables causes de ses dangers, puisse pourvoir elle-même à son propre salut, et que la première invasion des ennemis extérieurs soit le signal qui l'avertisse de se lever tout entière. La seule présence de ces fédérés, leur union avec les patriotes de la capitale suffiraient sans doute, il le pensait, à rendre impuissants les satellites du despotisme, à ranimer l'esprit public, à abaisser l'audace de l'aristocratie. Des mesures plus promptes, plus vigoureuses en apparence, légitimées par les droits du peuple, conseillées par l'indignation et l'impatience, étaient réprouvées par la saine politique. Sans doute, poursuivait-il, un peuple lâchement trahi peut avoir des droits bien étendus, mais ce n'est pas la vengeance qu'il faut chercher, c'est le salut public.

Sachant bien qu'un des artifices familiers au despotisme était de chercher à exciter des mouvements inutiles et mal combinés qui dégénérassent en crise mortelle pour la liberté, il engageait le peuple à se méfier surtout de ces émissaires aux gages des ennemis de la Révolution, qu'on voyait se mêler aux meilleurs citoyens dans le but d'emporter hors des règles de la sagesse le patriotisme ardent et inexpérimenté. C'était un art bien connu des tyrans, disait-il, en rappelant une juste observation de Jean-Jacques Rousseau, d'envoyer dans'les assemblées populaires des agents ayant mission de proférer des discours insensés et de commettre des actes criminels, qu'on imputait ensuite à l'assemblée entière, pour flétrir les démarches les plus honorables en elles-mêmes et présenter le peuple comme un ramas de brigands séditieux. Combien vraies ces réflexions ! et que de fois encore, dans le cours de la Révolution, nous entendrons Robespierre réagir contre des exagérations dues autant à la perfidie et à la trahison qu'aux égarements du patriotisme. Il faut lire d'un bout à l'autre ces observations où la prudence et la sagacité s'alliaient à la plus rare énergie, pour être convaincu que la Révolution serait arrivée sans encombre au port si toujours elle avait été dirigée par d'aussi sages conseils. Ni précipitation téméraire, ni zèle indiscret, telle était sa conclusion. On devait, disait-il, laisser quelque temps encore les contre-révolutionnaires s'enlacer dans leurs propres intrigues, et attendre, pour agir, leurs attentats prochains contre la liberté. Le calme et la réflexion, joints à la fermeté et au courage, assuraient alors le salut de la patrie et le bonheur des hommes[57].

Le dénouement allait être plus rapide que peut-être ne le pensait Robespierre. A moins d'un mois de là, en effet, le trône s'écroulait avec fracas. Cette fédération de 1792 fut la dernière fête de la monarchie ; et le maire de Paris, Pedon, rendu à ses administrés par un décret de la veille, en fut le héros. Louis XVI y assista comme à l'agonie de la royauté. Pas un cri d'amour ne salua sa présence ; au morne silence du peuple, avant-coureur d'une chute prochaine, il comprit la gravité de la situation, comme on put le voir à la tristesse répandue sur ses traits. En vain ses partisans comptaient, pour défendre sa couronne, sur la garde imposante rangée autour de lui devant l'École militaire, et dont l'aspect menaçant ne contribua pas peu à irriter la population, les temps étaient bien changés : le salut des trônes reposait désormais, non plus sur la puissance des baïonnettes, mais sur l'opinion publique.

 

XII

La fière attitude des fédérés, la chaleur de leur patriotisme, la sincérité de leur enthousiasme révolutionnaire, les désignaient par avance comme d'intrépides soldats tout prêts à verser leur sang pour la cause de la liberté. On regrettait donc généralement qu'un décret de l'Assemblée nationale les obligeât de se rendre au camp de Châlons après qu'ils auraient assisté à la fête commémorative de la prise de la Bastille. Le surlendemain de la Fédération, Robespierre monta à la tribune des Jacobins pour développer les motifs qui rendaient indispensable, selon lui, nécessaire même au salut de l'Etat et de la liberté française, le séjour des fédérés dans la capitale jusqu'à ce que la patrie eût cessé d'être en danger. Au moment où la cour, disposée à en finir avec la Révolution, faisait appel au dévouement de tous ses partisans, il était bien naturel que, de son côté, la Révolution recrutât des défenseurs. Seulement, afin de conserver les fédérés, il fallait leur rendre possible le séjour de Paris. C'était aux bons citoyens, continuait Robespierre, à les traiter en frères, en amis, en libérateurs, à partager avec eux leur logement et leur table. Quant aux fédérés, il les engageait à écrire à leurs concitoyens, à leur peindre les dangers réels de la patrie, à les inviter à se joindre à eux[58]. Lui-même, nous le verrons, leur servira tout à l'heure de secrétaire. Ainsi donc, si quelqu'un était constamment sur la brèche, prêtant le flanc aux coups de la réaction, c'était lui, toujours lui, et il eût été la première et la plus grande victime de la contre-révolution victorieuse. Les écrivains qui ont suspecté son courage ont tout simplement commis une puérilité.

L'année précédente, à la suite des événements du Champ-de-Mars, on avait agité la question de le poursuivre devant les tribunaux ; cette année encore, on essaya de s'en débarrasser par un procès ; le ministre de la justice le dénonça à l'accusateur public pour son adresse aux fédérés. Son successeur dans ces hautes fonctions recula sans doute, il faut le croire, devant une mesure qui eût achevé d'exaspérer le peuple ; la plainte resta sans effet. La société-des Amis de la constitution apprit cette nouvelle dans sa séance du 16 juillet : ce soir-là elle choisit Robespierre pour vice-président, comme pour protester contre la dénonciation ministérielle[59].

Le lendemain 17 juillet, douloureux anniversaire pour les patriotes, les fédérés se présentèrent à la barre de l'Assemblée nationale, porteurs d'une pétition rédigée par Maximilien. C'était un résumé énergique des griefs dont chaque jour la tribune et la presse retentissaient contre le pouvoir exécutif et ses agents. En déclarant la patrie en danger, l'Assemblée avait sans doute appelé tous les citoyens à concourir au salut du pays par leur courage et leurs lumières ; lors donc que des hommes d'un patriotisme éprouvé venaient lui proposer des moyens de conjurer le péril, Ils accomplissaient un devoir et exerçaient un droit formellement reconnu par la constitution. Ils avaient raison quand ils disaient : Sans la trahison de nos ennemis intérieurs, les autres ne seraient point à craindre. Ils avaient raison encore lorsqu'ils ajoutaient : Si la nation ne peut être sauvée par ses représentants, il faut qu'elle le soit par elle-même. Ils concluaient, en résumé, à la mise en accusation de La Fayette et de ses complices, au licenciement de l'état-major de l'armée, à la destitution et à la punition des directoires coalisés avec la cour contre la liberté. Quant à la personne du roi, sans s'expliquer bien nettement à son égard, ils priaient l'Assemblée de faire du pouvoir exécutif ce qu'exigeaient le salut de l'État et la constitution, dans le cas où la nation viendrait à être trahie par lui[60]. Applaudie par les uns, improuvée par les autres, cette pétition n'amena aucun résultat parlementaire : après quelques débats insignifiants, l'Assemblée passa à l'ordre du jour. Le 19, ayant à s'occuper de la demande de mise en état d'accusation du général La Fayette, formée par quelques-uns de ses membres, elle ajourna la question au jour suivant[61]. C'était jeter une sorte de défi à l'opinion publique, et cela au moment où, des frontières, arrivaient coup sur coup les nouvelles les plus inquiétantes ; où la présence du vieux Luckner à Paris, en laissant La Fayette maître de la direction des deux armées, irritait les défiances ; où enfin deux cent mille Autrichiens et Prussiens ; renforcés de plus de vingt mille émigrés, s'avançaient, n'ayant à combattre, pour percer nos frontières, que quatre-vingt mille soldats, pleins d'enthousiasme et de courage, il est vrai, mais mal armés et commandés par des officiers dont la plupart étaient hostiles à la Révolution.

Le 20 juillet, Robespierre écrivait à l'un de ses plus chers amis cette lettre dont l'importance n'échappera à aucun de nos lecteurs :

Mon ami, j'attends avec inquiétude des nouvelles de votre santé. Nous touchons ici aux plus grands évènements. L'Assemblée a hier absous La Fayette ; le peuple indigné a poursuivi quelques députés au sortir de la séance. Aujourd'hui est le jour indiqué par un décret pour la discussion de la déchéance de Louis XVI. On croit que cette affaire sera encore retardée par quelque incident. Cependant la fermentation est au comble, et tout semble présager pour cette nuit même la plus grande commotion à Paris. Nous sommes arrivés au dénouement du drame constitutionnel. La Révolution va reprendre un cours plus rapide, si elle ne s'abîme dans le despotisme militaire et dictatorial.

Dans la situation où nous sommes, il est impossible aux amis de la liberté de prévoir et de diriger les évènements. La destinée de la France semble l'abandonner à l'intrigue et au hasard. Ce qui peut nous rassurer, c'est la force de l'esprit public à Paris et dans nombre de départements, c'est la justice de notre cause. Les sections de Paris montrent une énergie et une sagesse dignes de servir de modèle au reste de l'État. Vous nous manquez. Puissiez-vous être bientôt rendu à votre patrie, et nous attendons avec une égale impatience votre retour et votre guérison. — Le 20 juillet 1792[62].

 

Cet ami, c'était Couthon. Nous aurons plus d'une fois à nous occuper de ce frère de cœur de Robespierre, de cet homme bon, doux et affable entre tous, qu'une réaction menteuse a poursuivi des mêmes calomnies dirigées contre la mémoire de l'ami illustre dont il partagea les travaux et la mort. Né à Orcet, en Auvergne, en 1756, Couthon exerçait la profession d'avocat à Clermont à l'époque où éclata la Révolution. Partisan enthousiaste des nouveaux principes, il avait été nommé par ses concitoyens président du tribunal de Clermont, lors de la réorganisation du pouvoir judiciaire. Élu député à l'Assemblée législative par le collège électoral du Puy-de-Dôme, il était venu à Paris vers la fin de la Constituante, avec sa femme et son jeune fils, et tout de suite s'était lié intimement avec Robespierre, vers lequel l'entraînait une étroite conformité de sentiments et d'opinions. Hôte assidu de la maison Duplay, fréquentée par les plus purs et les plus vertueux patriotes, il fut à l'Assemblée législative et à la Convention un des plus ardents défenseurs des principes révolutionnaires. Doué d'une éloquence persuasive, il prit souvent la parole au sein de l'Assemblée nationale, et y soutint énergiquement les doctrines démocratiques dont Robespierre était au dehors l'infatigable propagateur. Mais d'une complexion délicate, perclus des deux jambes, il se trouva contraint de quitter Paris le lendemain de la fête de la Fédération, à laquelle il avait assisté en chaise à porteurs, et d'aller demander aux bains des Boues de Saint-Amand, dans le Nord, le rétablissement d'une santé sérieusement compromise par les fatigues de luttes quotidiennes. Les Boues étaient dans le voisinage du camp de Maulde, où commandait Dumouriez. Couthon se lia avec ce général, dont le patriotisme alors ne paraissait nullement suspect, et plusieurs fois il conféra avec lui sur les meilleurs moyens de défendre la patrie envahie[63]. Il était aux Boues de Saint-Amand quand lui parvint la lettre de son ami. Cette lettre produisit sur son esprit une impression profonde ; et bientôt, suppléant par l'énergie de son âme à la faiblesse de sa constitution physique, il accourra offrir à sa patrie un cœur et un cerveau intacts.

Le décret évasif de l'Assemblée nationale au sujet de La Fayette fut une nouvelle cause d'irritation. On avait prétexté la nécessité de rechercher, avant de rien décider, s'il était vrai, comme dix personnes en avaient témoigné, que Luckner eût reçu de Bureaux de Puzy, de la part du général, le conseil de marcher sur Paris. Mais pendant ce temps La Fayette restait à la tête de l'armée, maître de tramer impunément la proscription des patriotes et la ruine de la liberté. Robespierre aurait préféré entendre l'Assemblée prononcer une absolution formelle, vers laquelle, du reste, la décision actuelle lui paraissait un acheminement. Ainsi donc les représentants d'un grand peuple, les successeurs de ceux qui avaient prêté le serment du Jeu de Paume, les gardiens de la Déclaration des droits de l'homme, semblaient approuver la conduite d'un citoyen qui, désertant son poste, était venu parler en dictateur à l'Assemblée, lui tracer sa ligne de conduite. Et ils ne s'étaient pas levés indignés quand un des panégyristes de La Fayette, le député Dumolard, renchérissant sur lés outrages prodigués aux patriotes par le général, avait traité de lèpre honteuse du corps social tous ceux qui incriminaient la conduite de ce chef d'armée ! De telles exagérations autorisaient bien Robespierre à écrire de son côté : Tous les suppôts de l'ancien régime, tous les fripons du nouveau que l'intrigue a élevés aux emplois publics, tout ce qu'il y a en France d'égoïstes et d'hommes lâches et corrompus, est ligué contre le peuple pour le replonger dans le néant et réduire l'espèce humaine à la condition d'un vil troupeau, pour partager la puissance et la fortune publique avec la cour et les chefs de parti.

L'évêque de Bourges, Torné, en répondant à Dumolard, avait cité l'anecdote suivante, que le célèbre Franklin racontait souvent avec complaisance. Un jour, Washington s'étant présenté devant le congrès pour l'entretenir des affaires de l'État : Remontez sur votre cheval de bataille, lui dit le président du congrès, c'est à nous à régler l'intérieur. Washington, avait ajouté l'évêque, n'avait pas la pensée cependant de semer dans son pays des germes de guerre civile. On aurait donc dû, selon Torné, répondre au général La Fayette : Vous ne rejoindrez plus l'armée : allez expier vos intrigues criminelles dans les prisons d'Orléans[64]. Et en effet, nous le répétons, c'en serait fait de la liberté civile, s'il était loisible à un général d'abandonner ses troupes pour venir imposer des conditions aux représentants du pays. Sans nier ce que la démarche de La Fayette put avoir de chevaleresque, je prétends qu'aucun peuple, sous peine de tomber bientôt dans le despotisme militaire, ne saurait laisser impunie une telle conduite. Qu'elle ait eu l'approbation de tout le parti Feuillant, de ces hommes qui, après avoir adopté la Révolution avec transport, s'en étaient dégoûtés du moment où elle n'avait plus servi exclusivement leurs intérêts, et qui n'étaient pas loin à présent de tendre la main aux émigrés, cela est naturel. Quels étaient maintenant à leurs yeux les bons citoyens ? C'étaient, suivant la juste remarque de Robespierre, les écrivains qui, chaque jour, outrageaient pour de l'argent les défenseurs de la liberté et s'efforçaient de prouver au monde que le peuple français était composé de bandits et de factieux ; c'étaient ces administrateurs et ces juges qui, voyant toujours le crime là où était la pauvreté, n'apercevaient le patriotisme et l'innocence que là où régnaient la richesse et l'aristocratie. Certes, ils étaient d'habiles politiques, ces prétendus amis de la liberté : après avoir fait dépendre de la propriété d'une terre ou. d'un château la qualité de citoyen, ils avaient proscrit les soldats patriotes et confié à des officiers de l'ancien régime la défense de la Révolution. Quels régénérateurs de la nation ! s'écriait Robespierre. Libre à eux d'unir dans des chants de victoire les noms de Frédéric, de François et de La Fayette, de se préparer à danser sur les cendres de la patrie ; mais c'était au peuple français, disait-il en finissant, à leur ravir ce triomphe et à faire rentrer dans la poussière tous les tyrans et tous les traîtres[65].

En même temps il rédigeait pour les fédérés réunis à Paris une adresse aux Français des quatre-vingt-trois départements. C'est dans la capitale, y était-il dit, que se trament tous les complots, toutes les intrigues contre-révolutionnaires, que se préparent l'invasion du territoire, les horreurs de la guerre civile et de la guerre étrangère ; c'était donc là que devaient vaincre ou mourir les envoyés de la France. Le triomphe était certain, si leurs frères des départements se levaient tous ensemble et juraient comme eux d'anéantir les derniers vestiges de l'aristocratie et du despotisme, de ne plus souffrir à la tête des armées et de l'administration ceux contre lesquels avait été faite la Révolution, et qui la trahissaient en feignant de la servir. Il était bien facile de reconnaître dans cette adresse la main de Robespierre, à cette seule phrase par exemple : Pour nous, nous ne sommes d'aucun parti, tous ne servons aucune faction ; vous le savez, frères et amis, notre volonté, c'est la volonté générale. Notre ambition est d'être libres, notre cri de ralliement est la Déclaration des droits, nos chefs de parti sont nos bons législateurs, notre centre de réunion est l'assemblée générale des représentants de la nation. Résolus à ne plus revoir leurs départements ou à y revenir libres, les fédérés, pour le cas où ils viendraient à succomber, léguaient leur vengeance à leurs concitoyens, sûrs que la liberté renaîtrait de leurs cendres[66].

Jusqu'au dernier moment Robespierre essaya de combattre la contrerévolution par la constitution elle-même, laquelle offrait, à son avis, aux représentants du peuple, ses défenseurs naturels, tous les moyens de punir une cour conspiratrice et ses perfides conseillers. Maximilien était, en effet, l'homme de la légalité ; son attachement pour elle se révélait jusque dans les plus petits détails. Ainsi, depuis quelques jours, le jardin des Tuileries ayant été fermé au public, et un fédéré ayant dénoncé le fait à la tribune des Jacobins comme un nouvel attentat de la cour, Robespierre proposa à la société de passer à l'ordre du jour, attendu qu'on n'avait aucune espèce de police à exercer dans le château des Tuileries, et il en revient à sa thèse favorite : soutenir les droits du peuple et sauver la liberté par la constitution. Opposons-la, disait-il, en rappelant d'énergiques paroles prononcées dans la journée au sein du Corps législatif, par Delaunay (d'Angers), opposons la à ceux qui ne l'embrassent que pour l'étouffer dans leurs embrassements. Et de fait, si l'Assemblée nationale eût montré plus d'énergie, son énergie des premiers jours, si, en frappant La Fayette d'un décret d'accusation, elle eût témoigné de sa ferme résolution de ne pas transiger sur les principes.. et d'arrêter le gouvernement dans les voies de la contre-révolution où il s'engageait de plus en plus, peut-être eût-elle prévenu la catastrophe du mois prochain et évité cette effusion de sang où Robespierre craignait que la liberté ne se noyât. C'est pourquoi il demandait d'abord à la constitution seule le salut et le triomphe de la Révolution. Former l'esprit public, obtenir l'expression du vœu général en consultant la nation, éviter toutes les mesures partielles, engager les patriotes à se rassembler dans Paris et à courir aux frontières pour combattre à la fois les ennemis de l'intérieur et ceux de l'extérieur, à attendre du temps et des fautes de la cour le succès que devait obtenir à la fin le parti delà raison, de la philosophie, de l'humanité, tels étaient les moyens indiqués par lui à l'Assemblée nationale, dans la séance des Jacobins, du vendredi 20 juillet. Et pourtant, comme si une voix secrète l'eût averti qu'il n'y avait rien à espérer de la mollesse et de l'indécision de cette Assemblée, qu'aucune initiative franchement révolutionnaire ne viendrait d'elle désormais, il s'écriait : Si vous ne voulez pas sauver le peuple, déclarez le donc, afin qu'il se sauve lui-même[67]. C'est ce qu'à moins d'un mois de là le peuple français fera en quelques heures, comme s'il se fût tenu pour averti par cette parole puissante.

 

XIII

Un spectacle inouï dans les fastes des nations allait encore accroître l'enthousiasme populaire. Le dimanche 22 juillet, se fit par la municipalité parisienne la proclamation officielle de la patrie en danger, et, immédiatement après, commencèrent les enrôlements volontaires. Ce fut certainement une des plus imposantes et des plus solennelles journées de la Révolution. Au bruit des salves d'artillerie se répétant d'heure en heure, au son d'une musique appropriée à la circonstance, et dont les notes plaintives semblaient un lugubre appel, les officiers municipaux divisés en deux bandes, parcoururent la ville à cheval ; au milieu d'eux, portée par un garde national, flottait comme un labarum une grande bannière tricolore où se lisaient ces paroles sacramentelles : CITOYENS, LA PATRIE EST EN DANGER ! La bannière elle-même était flanquée de quatre guidons sur chacun desquels était écrit un de ces mots significatifs : Liberté, Egalité, Publicité, Responsabilité. Des amphithéâtres avaient été dressés sur les principales places publiques pour recevoir les enrôlements. La jeunesse électrisée s'y précipita en foule. Plaisirs, intérêts, tendres affections, tout disparaissait dans les cœurs devant la grande image de la patrie menacée ; chacun s'empressait de venir offrir son sang, sa vie. C'était à qui se ferait inscrire le premier. Sous une tente couverte de feuilles de chêne, chargée de couronnes civiques, et que supportaient des piques surmontées du bonnet de la liberté, se tenait, devant une table posée sur deux tambours, le magistrat du peuple en écharpe, chargé de recevoir les inscriptions, et c'était à peine s'il pouvait suffire à l'enregistrement des noms se pressant sous sa plume. 0 jours d'angoisses et d'espérances, vous vivrez éternellement dans la mémoire du peuple, aussi longtemps que la France rayonnera sous le soleil des cieux ! Et vous aussi, Volontaires de 92, jeunes hommes qui, à la voix de la mère commune, quittiez d'un tel cœur vos familles, le doux foyer natal, vos fiancées, vos épouses même ! Du pauvre réduit de l'ouvrier, de l'humble chaumière du paysan allaient sortir des héros immortels, et ceux qui, après avoir mené à la victoire les armées de la Révolution, devaient s'ensevelir, purs et sans tache, dans les drapeaux de la République comme dans un linceul sacré, et ceux qui plus tard, oublieux, hélas ! de ces beaux jours de jeunesse, d'enthousiasme et de désintéressement, devaient, chamarrés de croix et de cordons, affublés de titres surannés, non plus défendre la patrie attaquée, mais, à la voix d'un maître, ensanglanter le monde, pour le malheur de l'humanité et sans profit pour la France ! Mais alors tous semblaient animés des mêmes sentiments :, ils partaient, le sac sur le dos, vêtus encore des habits de leur profession, bien mal vêtus souvent ! glorieux sans-culottes, ils s'en allaient criant : Vive la nation ! emplissant les airs de chants patriotiques, et la patrie leur jetait cet adieu héroïque : Vous êtes les premiers nés de la Révolution, vivez pour elle, ou mourez avec elle ![68]

Combien insensés alors ceux qui cherchaient à faire reculer, ou seulement à arrêter la Révolution dans sa marche. Or, à cette époque, tandis que Robespierre ne cessait de pousser l'Assemblée nationale à s'armer de la constitution même pour punir une cour et un général perfides, à quoi songeaient les principaux membres du parti de la Gironde ? à reconquérir le ministère. Aussi leur haine contre Robespierre, un moment apaisée, redoubla-t-elle, quand ils lurent dans l'adresse des fédérés aux Français, rédigée par lui : qu'on ne s'en laisserait pas imposer par ceux qui voyaient le salut de l'Etat dans un simple changement de ministère[69]. En prenant cela pour une allusion à leurs projets ambitieux, ils se sentaient devinés. Leur convoitise du pouvoir ne saurait être révoquée en doute ; les preuves abondent. Ces preuves, nous ne les demandons ni aux Mémoires de Dumouriez, ni à ceux de Bertrand de Molleville, parfaitement d'accord cependant sur ce point[70], ni à la déposition de Chabot qui, devant le tribunal révolutionnaire, déclara que, le lendemain de la journée du 20 juin, ayant rencontré Brissot sur la terrasse des Feuillants, celui-ci, en causant avec lui, se montra très-satisfait des résultats de cette journée, et ajouta que Roland, Clavière et Servan allaient rentrer au ministère[71], non, ces preuves nous les demandons aux Girondins eux-mêmes. Qu'une fois en possession du pouvoir, ils eussent tenté de remettre la Révolution à flot, d'imprimer au gouvernement une marche sincèrement libérale, je n'en doute pas ; mais il n'en est pas moins vrai qu'à leur patriotisme se mêlèrent des considérations d'intérêt personnel auxquelles demeurèrent toujours étrangers les hommes comme Robespierre, et que, pour avoir encore entre les mains la libre disposition des faveurs et des grâces, Brissot se montra parfaitement décidé à des concessions peu conciliables avec la cause de la Révolution, au moment où le trône était le point de ralliement de tous les ennemis de la liberté.

Trompés dans leur attente après la journée du 20 juin, ils avaient déployé contre la cour et contre La Fayette une excessive âpreté de langage, et s'étaient associés à Robespierre pour demander à l'Assemblée nationale de décréter d'accusation le téméraire général. Tout à coup, à l'heure même où le roi manifesta l'intention de modifier son ministère, on les vit se radoucir comme par enchantement, et le peintre Boze, le même qui, l'année précédente, avait exposé au Salon un beau portrait au pastel de Robespierre, devint leur intermédiaire auprès de Louis XVI. Dans une lettre adressée à l'artiste, mais évidemment écrite pour le roi, à qui du reste elle fut ponctuellement remise, Guadet, Vergniaud et Gensonné indiquaient divers moyens de salut pour la royauté, laquelle était, en définitive, le principal obstacle au triomphe de la Révolution. On conseillait bien au roi de sanctionner les décrets réclamés par l'opinion publique, de retirer des mains du général La Fayette le commandement de l'armée, mais on s'étonnait tout d'abord qu'il ne choisît pas ses ministres parmi les hommes les plus prononcés en faveur de la Révolution. Ces hommes, aux yeux des trois signataires de la lettre, c'étaient les Girondins eux-mêmes. Un ministère bien patriote, ajoutait-on, serait donc un des grands moyens que le roi peut employer pour rappeler la confiance[72]. Il n'y avait pas à s'y méprendre, la Gironde subordonnait le salut du pays au rappel de ses créatures, Roland, Clavière et Servan, au ministère. Que la royauté consentît à let subir pour conseillers, telle était la signification de cette lettre qui, trouvée plus tard chez le roi, devait devenir une arme terrible contre les Girondins.

Leur conduite au sein de l'Assemblée législative devint tout à fait conforme à l'esprit qui avait dicté cette lettre, et une nouvelle déception les rejettera seule dans une opposition violente contre la cour. Au reste, le but auquel ils tendaient était si visible qu'un journal feuillant publia ces lignes, sous la signature d'André Chénier : On prétend, mais ce n'est pas possible, que le ministère va être de nouveau abandonné à Roland, Clavière et Servan. Ah ! sire, voudriez-vous gâter le 20 juin ![73] Ainsi, pour les contre-révolutionnaires, pour les Feuillants, c'était gâter le 20 juin que de remettre le ministère aux mains des Girondins. Ils avaient espéré, en effet, que de cet événement la cour aurait pu tirer parti pour supprimer les sociétés populaires et ressaisir un pouvoir à peu près absolu ; aux yeux des Girondins, au contraire, la journée du 20 juin était nulle, et la Révolution compromise si le ministère ne leur était pas rendu. Les uns et les autres devaient être trompés dans leur attente, et le 20 juin fut assez heureusement baptisé par l'administrateur de police Sergent du nom de journée des dupes. Mais en prétendant, d'une part, servir de sauvegarde à la royauté, et, de l'autre, se maintenir à la tête des patriotes, les Girondins jouèrent un double jeu dont leur popularité, déjà fort ébranlée, reçut un coup mortel. A la proposition faite par Duhem à l'Assemblée nationale, dans la séance du 24 juillet, d'examiner la question de la déchéance dont Robespierre avait parlé dans sa lettre à Couthon, et que, la veille au soir, Choudieu avait mise en avant comme le plus efficace remède aux maux actuels, Vergniaud opposa le danger de se laisser entraîner par des mouvements désordonnés ou subjuguer par de vaines terreurs, et a sa voix l'Assemblée passa à l'ordre du jour[74].

Le lendemain 25 juillet, Brissot monta à la tribune. Son journal, après avoir récemment fulminé contre la cour, converti maintenant, promettait à ses lecteurs quelques réflexions sur les pièges qu'on dressait au peuple en le portant à des mouvements exagérés. Brissot prit la parole pour développer cette thèse en quelque sorte, et prononça un discours tout à fait royaliste. Sous prétexte d'appuyer un projet de décret de Gensonné, tendant à investir les municipalités du pouvoir d'arrêter les citoyens prévenus de complot contre la sûreté de l'État et la constitution, il s'attacha à foudroyer la faction des républicains, et à démontrer, en s'appuyant de l'exemple de Charles Ier, — chose assez singulière de la part d'un futur régicide, — que le meilleur moyen d'éterniser la royauté était de tuer les rois. Si cette doctrine lui était inspirée par le sentiment de l'humanité, sentiment toujours respectable, il se mettait étrangement en contradiction avec lui-même lorsque immédiatement après il ajoutait : S'il existe des hommes qui travaillent à établir à présent la république sur les débris de la constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux comme sur les amis actifs des deux chambres et sur les contre-révolutionnaires de Coblentz[75]. Cette violente sortie de Brissot contre les républicains, — et par là il entendait Robespierre principalement, — eut beaucoup de succès parmi les royalistes, et lui valut pour cette fois les éloges du Journal de Paris.

Le jour suivant, 26 juillet, Guadet vint, au nom de la commission extraordinaire spécialement chargée des mesures propres à sauver l'État, lire une adresse au roi, dans laquelle, complétant la pensée de ses amis et indiquant officiellement à 'quel prix la royauté pouvait compter sur l'appui de la Gironde, il disait, entre autres choses, après avoir reproché au monarque de composer uniquement sa cour des ennemis connus de l'égalité et de la constitution, de toutes les familles des rebelles de Coblentz : Que le nom de vos ministres, que la vue des hommes qui vous entourent appellent la confiance publique. A ce prix, le roi pouvait encore, selon les Girondins, conjurer les périls qui menaçaient la monarchie et sauver sa couronne. Brissot parut ensuite, et parla de nouveau dans le sens de son discours de la veille. Il conclut en demandant à l'Assemblée de voter la rédaction d'une adresse destinée à prémunir le peuple contre les opinions exagérées et les mesures inconstitutionnelles[76]. Les acclamations avec lesquelles la grande majorité de l'Assemblée, y compris la droite, accueillit les paroles de Guadet et de Brissot, devaient nécessairement exciter les défiances et les murmures des patriotes, et Brissot lui-même comprit bien le danger de certains applaudissements, car il s'empressa de déclarer, dans son journal, que, lorsque s'agiterait la question de la déchéance, il prouverait que le roi était dans ce cas[77]. Mais alors pourquoi donc avait-il si vivement stigmatisé ceux qui réclamaient la suspension du roi et la convocation des assemblées primaires et signalé ces mesures comme très-dangereuses pour la liberté ?

Quand la royauté se fut écroulée sous les coups du peuple, Brissot et ses amis revendiquèrent hautement l'initiative de ce renversement et la gloire d'avoir posé la première pierre de l'édifice républicain. On voit maintenant ce qu'il y a à rabattre de leurs prétentions, et combien sont dans le faux tous les écrivains qui, sur la foi de mémoires particuliers, d'assertions mensongères et intéressées, les ont présentés comme les véritables fondateurs de la République. Oui, quand il leur faudra renoncer à l'espérance de voir Louis XVI leur confier le soin de diriger la Révolution, ils se rejetteront, et cela bien prochainement, dans l'opposition la plus hostile ; mais, à la date du 25 juillet, ils vouent les républicains au glaive de la loi : les républicains, c'est-à-dire, dans leur pensée, Robespierre et ceux qui suivaient sa ligne de conduite. Point de déchéance, point de suspension, à la condition toutefois que le roi reprit des ministres de leur choix. Quelques-uns d'entre eux contestaient même à la nation le droit de modifier la constitution[78].

Quelle était, au contraire, en ce même moment, l'attitude de Robespierre ? Il est très-important de la rappeler, de la mettre en regard de celle des Girondins, afin de bien apprécier les divisions nouvelles qui vont éclater entre eux, et auxquelles on peut assigner comme point de départ véritable le dernier discours de Brissot. Robespierre, lui aussi, était opposé à l'émeute, aux mouvements partiels, mais il ne voyait pas le salut de l'État dans le maintien d'une cour conspiratrice et dans un changement de ministère au profit de quelques députés patriotes. Loin de là, tout en se tenant sur le terrain de la légalité, il conjurait l'Assemblée nationale, pour éviter les commotions sanglantes, de prendre elle-même, la constitution à la main, l'initiative des mesures de répression contre la cour et les généraux perfides, lui déclarant, bien catégoriquement, comme on l'a vu, que, faute par elle d'user des moyens légaux mis à sa déposition par l'acte constitutionnel, le peuple se lèverait d'un élan unanime et sauverait le pays, sans la participation de ses représentants. Or, c'est précisément ce qui va avoir lieu ; car nous touchons de bien près à l'heure suprême de la monarchie.

 

XIV

Tandis qu'au milieu de la crise présente les Girondins songeaient à remonter au pouvoir, croyant qu'il leur serait facile, une fois en possession du ministère, de conjurer le péril et de lancer à leur gré ou de retenir la foudre, le mouvement révolutionnaire s'accentuait de plus en plus, et tout contribuait, il faut le dire, à lai imprimer une impulsion plus rapide. Le château des Tuileries, assurait-on, se remplissait d'armes, servait de repaire à une armée de conspirateurs décidés à massacrer les patriotes ; mille rumeurs alarmantes jetaient partout les soupçons et la défiance. Chaque jour arrivaient à Paris les nouvelles les plus inquiétantes, non-seulement des frontières, mais aussi des départements, où, dans le Midi et dans l'Ouest principalement, prêtres réfractaires et nobles, en mettant à profit l'aversion des populations rurales pour le service militaire, commençaient à fomenter la guerre civile. Les sections de Paris se déclarèrent en permanence, et un arrêté de la municipalité, signé de Pétion et de Royer, les autorisa à établir, sous la surveillance immédiate et la direction du pro- cureur de la commune, un bureau de correspondance destiné à devenir un des foyers les plus ardents de l'insurrection prochaine[79]. L'insurrection ! elle apparaissait dès lors comme imminente aux esprits clairvoyants, et les journaux populaires discutaient hautement la nécessité de suspendre les fonctions exécutives dans les mains de Louis XVI[80].

Tout à coup, le 28 juillet, on répand à profusion dans Paris un manifeste ayant pour titre : Déclaration du duc de Brunswick aux habitants de la France. Ce manifeste insensé, tout le monde le connaît. Aujourd'hui encore, en le lisant, quel cœur français ne palpite d'indignation ? Sous prétexte d'assurer le bonheur de la France, et tout en prétendant n'avoir aucunement l'intention de s'immiscer dans ses affaires intérieures, le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche sommaient l'armée, les gardes nationales, le pays de revenir à leur ancienne fidélité et de se soumettre sur-le-champ au roi, leur légitime souverain, sous peine, pour tous citoyens pris les armes à la main et convaincus d'avoir combattu contre les troupes alliées, d'être punis comme rebelles et perturbateurs du repos public. En revanche, les bonnes grâces et les faveurs étaient réservées aux traîtres, à ceux qui s'empresseraient d'ouvrir aux soldats étrangers les portes de leurs villes. A ces émules de Judas et de Perrinet Leclerc, on promettait sûreté pour leurs personnes, leurs biens, leurs effets. Quant aux habitants coupables de patriotisme, ils devaient être traités suivant toute la rigueur du droit de la guerre, et leurs maisons démolies ou brûlées. La ville de Paris se trouvait l'objet de sévérités toutes particulières. Étaient rendus personnellement responsables sur leurs têtes, pour être jugés militairement, sans espoir de pardon, tous les membres de l'Assemblée nationale, du département, des districts, de la municipalité et de la garde nationale, les juges de paix eux-mêmes. Que si le château des Tuileries venait à être insulté ou forcé, et s'il n'était pas pourvu immédiatement à la sûreté, à la conservation et à la liberté du roi, de la reine et de la famille royale, les princes alliés s'engageaient à en tirer une vengeance exemplaire en livrant la ville de Paris à une exécution militaire, à une subversion totale, et les révoltés au supplice[81]. Tant d'impudence ne pouvait que porter au comble l'irritation générale. S'il était un Français capable de rester calme en lisant ce libelle, dit le Moniteur, écho cette fois des plus ardents patriotes, qu'il se range parmi cette poignée d'hommes que nos anciens ministres et l'étranger, d'après eux, ont appelée la partie saine de la nation ; il est indigne de tenir ses serments et de combattre pour la liberté publique[82].

Ce ne fut un doute pour personne que ce' manifeste eût été concerté avec la cour des Tuileries. Le roi eut beau le désavouer quelques jours après, on traita Louis XVI d'imposteur en pleine Assemblée législative[83], et les Révolutions de Paris témoignèrent hautement leur étonnement de ce que ce manifeste, daté du 25 juillet, eût pu, dès le 28, être colporté dans Paris. Si la déclaration du duc de Brunswick ne sortait pas du cabinet des Tuileries, elle résumait parfaitement les idées des aveugles partisans de la cour ; tous, ils l'eussent signée sans hésitation, et nous savons aujourd'hui, avec certitude, que l'émissaire secret de Louis XVI auprès des puissances coalisées, Mallet du Pan, conseillait aux princes de faire précéder l'entrée de leurs troupes par la publication d'un manifeste comminatoire[84]. Ah ! comme ils connaissaient mal le grand cœur de la France, ceux qui s'imaginaient pouvoir agir sur elle par la crainte, et se croyaient assez forts pour dompter le flot révolutionnaire, semblables à des enfants qui tenteraient d'arrêter par des cris impuissants la marée montante l Mais ce défi insultant allait amener des résultats que n'avaient pas prévus ses auteurs ; et c'est à ceux qui l'ont inspiré dans un moment de délire que revient de droit la responsabilité des mesures terribles auxquelles va recourir la France éperdue.

A l'heure même où se publiait à Coblentz la déclaration des cours de Vienne et de Berlin, le Girondin Carra, par une singulière et malheureuse coïncidence, traçait du duc de Brunswick le portrait le plus flatteur. Selon lui, il ne manquait à ce général des armées alliées qu'une couronne pour être le véritable restaurateur de la liberté en Europe[85]. C'était assez ouvertement le désigner au choix du peuple comme le successeur de Louis XVI. Si La Fayette enviait le rôle de Monck, le journaliste Carra semblait aspirer à remplir celui de Warwick, le faiseur de rois. N'avait-il pas, quelques mois auparavant, en pleine séance des Jacobins, parlé de mettre le duc d'York sur le trône de France ? Mais aujourd'hui le moment était bien mal choisi, et le candidat plus mal encore. Quel était le but de Carra ? Voulait-il, en effet, essayer de fonder en France une dynastie prussienne, par reconnaissance envers le roi de Prusse dont il avait reçu jadis quelques présents, ou bien était-ce une simple menace pour forcer Louis XVI à reprendre un ministère des mains de la Gironde ? Toujours est-il qu'il se montra l'un des plus actifs partisans de la déchéance. C'était un ami déclaré de Brissot. Il n'y aura donc pas à s'étonner si, quelques semaines après, ayant de nouveau à lutter contre les attaques des Girondins et à repousser leurs calomnies, Robespierre accuse Brissot et ceux de son parti de travailler en faveur du duc de Brunswick ou du duc d'York. On voit sur quoi reposaient ses soupçons.

Ainsi voilà qui est bien constaté : à l'heure critique où nous sommes, les Girondins songent à recouvrer le pouvoir ; régner sous le nom de Louis XVI, tel est le but auquel ils tendent par tous les moyens dont ils disposent. Un peu plus tard, ils ramasseront bien le ministère dans le sang du 10 août ; mais maintenant ils craignent de compromettre dans les chances d'une insurrection un succès sur lequel ils comptent.

Ainsi recommencent-ils contre ceux qu'étonne à bon droit leur conduite ambiguë une guerre à outrance que, cette fois, nulle trêve ne viendra suspendre. Et comment Robespierre ne serait-il pas tombé dans une stupéfaction profonde ? Quoi ! en présence du danger de la patrie il avait solennellement abjuré toute inimitié personnelle ! Quoi ! après l'avoir publiquement convié à une réconciliation, Brissot s'était fait, au sein de l'Assemblée législative, l'écho retentissant de ses accusations, hélas ! trop fondées contre la cour ; comme Robespierre, il en était venu à se persuader que Coblentz était aux Tuileries ; qu'avant de combattre l'ennemi du dehors, il fallait réduire celui du dedans, et voilà que, devant lui et devant ses amis, cette cour perfide trouve grâce tout à coup, et qu'il voue au glaive de la loi ceux qu'il appelle des républicains ! Que s'est-il donc passé, et quel est le mystère de cette nouvelle évolution ? Ah ! c'est que, comme on l'a vu, le fantôme du pouvoir est revenu tenter l'ambition de la Gironde ; et Brissot n'a pas oublié que, durant trois mois, il a été le directeur tout-puissant du ministère désigné par lui.

Une telle versatilité indigna naturellement Robespierre ; et comment pouvait-il en être-autrement ? Depuis l'aurore de la Révolution, n'était-il pas resté immuable dans ses principes, indifférent à toutes les questions d'intérêt personnel ? Hélas ! n'était-il pas destiné à la gloire de succomber sans jamais avoir varié ? Il s'était déjà montré fort surpris de voir l'Assemblée législative séparer la cause du procureur de la commune de celle du maire de Paris. Les Girondins, pour achever de gagner entièrement Petion, ne cessaient de lui faire les plus chaleureuses avances. Cette conduite parut louche à Robespierre ; il y vit une injure au peuple de Paris, et le dit formellement, le 22 juillet, aux Jacobins, tout en louant de nouveau le courage et l'énergie du premier magistrat de la ville[86]. Trois jours après, sentant combien il était important, en ces heures décisives, d'encourager la résistance à l'arbitraire, il reprenait la parole pour faire accorder un diplôme d'affilié à un riche propriétaire des environs de Compiègne, en témoignage de la fermeté qu'avait déployée ce citoyen en présence d'une agression dont il avait été l'objet de la part de quelques officiers contre-révolutionnaires d'un régiment de passage dans sa commune[87].

Cependant on attendait avec une certaine impatience qu'il se prononçât sur les circonstances actuelles, qu'il donnât son avis sur le meilleur remède à apporter à la crise. Jusqu'à présent il s'était reposé sur les représentants de la nation du soin de punir, sans sortir des termes de la constitution, une cour conspiratrice ; mais la situation s'était singulièrement aggravée ; la déclaration du duc de Brunswick était connue dans tout Paris, et l'Assemblée nationale restait inactive. Le jour était-il donc arrivé où, comme Robespierre le lui avait prédit, le peuple se passerait d'elle pour sauver l'État ? Pendant que, d'une part, les Girondins paraissaient décidés à soutenir la monarchie à la condition de rester les maîtres du gouvernement, et que, d'autre part, d'ardents patriotes conspiraient dans des conciliabules secrets ure insurrection devenue imminente, Robespierre se recueillait ; il examinait plus attentivement la question de la déchéance ou de la suspension du roi, s'interrogeait sur ce qui viendrait ensuite, et cherchait les moyens d'empêcher la nation de tomber dans une anarchie d'où pourrait surgir un nouveau despotisme, après la chute de la royauté. Le 29 juillet, il vint aux Jacobins armé d'un discours profondément médité.

 Suivons-le à cette séance importante ; et, après l'avoir écouté, nous aurons à nous demander dans quelle mesure il influa sur cette mémorable journée du 10 août, dont nous entendons déjà retentir le tocsin, et qui, de l'aveu de tous les historiens favorables à la Révolution, était nécessaire pour le salut de la France.

 

XV

La séance débuta d'une façon assez orageuse par la faute du député girondin La Source, qui, après voir rendu compte de la comparution de Bureaux de Puzy à la barre de l'Assemblée nationale, fit contre le fédérés une sortie inattendue. On leur avait persuadé à tort, selon lui, que le danger était à Paris et non aux frontières ; il fallait, au contraire, les inviter à partir au plus vite. Ainsi la Gironde redoutait aujourd'hui la présence de ces hommes énergiques, attirés cependant par un décret rendu sur la motion d'un de ses membres. Elle craignait que les fédérés ne se portassent à quelque entreprise contre la royauté, contre cette cour de laquelle elle attendait le pouvoir, et cherchait à se débarrasser de ces hôtes importuns, sans se demander s'il était bien prudent de les envoyer, à cette heure, grossir l'armée d'un général que tout récemment elle avait elle-même voulu décréter d'accusation. Anthoine, l'ex-constituant, le maire de Metz, un des plus dévoués amis de Robespierre, avec lequel il demeurait en ce moment chez Duplay, répondit vertement à La Source, défendit avec feu les fédérés contre des insinuations malveillantes, et s'attacha à prouver que l'Assemblée nationale avait besoin des départements pour accomplir les grandes mesures nécessitées par les événements, et dont il ne fallait pas laisser l'initiative aux seules sections de Paris. Passant ensuite aux questions à l'ordre du jour, il parla de la déchéance comme du vœu presque unanime de la nation, non pas uniquement de la déchéance de Louis XVI, mais de celle de toute la famille royale, condition indispensable, à ses yeux, pour l'établissement de la liberté. La déchéance prononcée, il demandait la convocation des assemblées primaires et l'admission de tous les citoyens dans les comices[88]. Or c'était là précisément la pensée de Robespierre, pensée dont sans doute, aux heures du soir, dans la maison de Duplay, il avait longuement entretenu son ami.

Après un discours de Legendre, où le boucher patriote s'efforça de démontrer la nécessité d'une insurrection générale, Robespierre prit la parole. Les grands maux appellent les grands remèdes. Les palliatifs ne font que les rendre incurables ; les maux de la France sont extrêmes, commença-t-il par dire. Ce début n'était pas d'un homme disposé à proposer une médecine expectante dont l'effet naturel eût été de laisser mourir le malade, comme un historien l'en accuse si légèrement[89]. Personne, au contraire, ne proposa au peuple français de remède plus radical ; personne surtout ne comprit mieux qu'il ne s'agissait pas seulement de détruire, mais qu'il fallait encore songer à reconstruire.

Allant jusqu'à la racine du mal dont, selon lui, l'Assemblée nationale avait eu les torts de dissimuler les causes en proclamant les dangers de la patrie, il ne croyait pas, comme tant d'autres, que le salut de l'État fût seulement attaché à la déchéance ou à la suspension du roi. C'était là un de ces palliatifs insuffisants dont il avait parlé. Le mal, il le voyait à la fois et dans un pouvoir exécutif résolu à perdre la Révolution, et dans une législature qui ne pouvait ou ne voulait pas la sauver. Assez longtemps il avait engagé l'Assemblée nationale à s'armer de la constitution contre la cour, parce que, maîtresse de la force populaire et environnée de l'opinion publique, elle possédait en réalité une puissance supérieure à celle du roi, malgré sa liste civile et tons les moyens de corruption dont il disposait. Elle avait entre ses mains le bonheur de la France, disait-il ; mais, en fermant l'oreille aux plus sages conseils, et par des temporisations fatales, elle avait permis à la crise d'arriver au dernier degré. Il faut donc, s'écria-t-il, que l'État soit sauvé, de quelque manière que ce soit ; il n'y a d'INCONSTITUTIONNEL QUE CE QUI TEND À SA RUINE. On voit avec quelle négligence ont lu ce discours capital les écrivains qui ont accusé de timidité les avis de Robespierre. Et combien il était dans le vrai quand, après avoir déclaré qu'on n'aurait rien fait si l'on se contentait de changer le chef du pouvoir exécutif, il ajoutait : Il n'y a qu'un peuple esclave dont les destinées soient attachées à un individu ou à une famille ; la liberté et le bonheur public dépendent de la nature du gouvernement et du résultat des institutions politiques. Le fléau le plus redoutable, à ses yeux, c'était cette tourbe d'intrigants dont un roi était entouré, et qui, sous son nom, abusaient du pouvoir exécutif et des trésors de la nation. Dépouillé de la confiance publique, poursuivait-il, Louis XVI n'est plus rien par lui-même, et la royauté est devenue la proie de tous les ambitieux qui s'en partagent les dépouilles. Cela allait droit, non-seulement aux Feuillants, mais aux Girondins justement soupçonnés d'intrigues pour ressaisir le ministère. Se rappelant l'espèce de tyrannie sous laquelle le pays avait été courbé lors de la suspension provisoire du roi, après la fuite de Varennes, Robespierre ne voyait qu'une mesure insuffisante dans la déchéance ou dans une nouvelle suspension, si l'intrigue et l'ambition devaient encore tenir les rênes du gouvernement, si l'étendue du pouvoir exécutif demeurait toujours la même. Qu'importe que le fantôme appelé roi ait disparu, si le despotisme reste ? C'est ici le lieu de faire remarquer avec quelle insistance cet homme, qu'on accusera d'aspirer à la dictature parce qu'on ne saura trop de quoi l'accuser, essaya toujours de prémunir ses concitoyens contre toute espèce de dictature personnelle ou collective. Toujours il restera fidèle au dogme de la souveraineté nationale non déléguée, et il périra pour n'avoir pas voulu, une fois dans sa vie, se rendre coupable d'un acte dictatorial.

Autre question : après la chute du trône, le pouvoir exécutif serait-il exercé par le Corps législatif ? Je ne vois, disait Maximilien, dans cette confusion de tous les pouvoirs, que le plus insupportable de tous les despotismes. Que le despotisme ait une seule tête ou qu'il en ait sept cents, c'est toujours le despotisme. Je ne connais rien d'aussi effrayant que l'idée d'un pouvoir illimité, remis à une assemblée nombreuse qui est au-dessus des lois ; fût-elle une assemblée de sages ! Il s'agit ici, ceci est bien à remarquer, du Corps législatif, et non pas d'une assemblée constituante comme la Convention, dont la mission sera de créer à la fois et le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. La suspension ou la déchéance, à laquelle il donnait de beaucoup la préférence, parce qu'elle ne pouvait être un jeu concerté entre la cour et les intrigants de l'Assemblée nationale, lui paraissait donc devoir être combinée avec d'autres mesures plus décisives. D'ailleurs, n'avait-on pas à prévoir les orages politiques qu'exciterait nécessairement cette modification profonde dans la forme du gouvernement ? A quelles mains confierait-on le soin de diriger le navire de l'État ? L'Assemblée nationale n'avait-elle pas avoué sa propre impuissance et appelé la nation elle-même à son secours, en déclarant la patrie en danger ? Une assemblée où se heurtaient des passions rivales n'était pas propre à éteindre la guerre civile dans le pays ; elle ne possédait pas ce grand caractère, cet ensemble et cette union indispensables en des moments aussi difficiles. N'y avait-il pas à s'en prendre à ceux qui, en prêchant la confiance tantôt dans le pouvoir exécutif, tantôt dans les généraux perfides à qui l'on avait remis l'épée de la Révolution, avaient endormi le peuple et conduit la nation au bord du précipice où elle était près de tomber ?

La question se réduisait, selon Robespierre, à des points très-simples : ou le chef du pouvoir exécutif avait été fidèle à la nation, et il fallait le conserver ; ou bien il l'avait trahie, et il y avait lieu de le destituer. Que si l'Assemblée nationale, ce dernier cas admis, refusait de prononcer la déchéance, elle devenait par cela même complice des attentats de la royauté, et il était urgent alors de régénérer à la fois et le pouvoir exécutif et la législature. D'ailleurs, en souffrant que La Fayette et ses complices demeurassent impunis, cette Assemblée avait, en quelque sorte, livré la patrie au despotisme militaire et manqué à sa mission de la sauver ; il fallait donc confier ce soin à de nouveaux représentants ; la convocation d'une Convention nationale semblait à Robespierre absolument nécessaire. En vain contre ce moyen suprême présentait-on des objections de plus d'un genre ; des inconvénients plus ou moins réels ne pouvaient balancer la nécessité évidente de l'employer. Mais, disait-on, les aristocrates aussi désirent une Convention, les Autrichiens et les Prussiens maîtriseront les assemblées primaires. Objection d'intrigants qui repoussent le vœu du peuple français pour soutenir un édifice prêt les à écraser eux-mêmes en s'écroulant. De la part des aristocrates, c'était désespoir, erreur ou stratagème pour rendre suspecte une mesure salutaire. Quant à la Prusse, à l'Autriche et à l'émigration, pouvait-on croire un seul instant qu'elles n'aimassent pas mieux avoir affaire à une cour perfide, à des mandataires faibles ou corrompus qu'à une Convention sortie des entrailles mêmes du peuple, et digne des circonstances formidables qui l'auraient créée ? — Est-ce que tout cela, est-ce que tous ces raisonnements de Robespierre ne vont pas recevoir de l'avenir une consécration éclatante ?

On se rappelle avec quelle persistance, avec quelle louable obstination, avec quelle énergie, du temps de la Constituante, il avait, à vingt reprises différentes, combattu la division absurde de la nation en citoyens actifs et citoyens passifs, servum pecus. Aujourd'hui encore, il y a des gens faisant profession d'aimer la Révolution, et qui n'hésitent pas à condamner le suffrage universel. Tristes libéraux, tristes démocrates que ceux qui prétendent fonder la liberté sur le régime des inégalités politiques, et oseraient prendre la responsabilité de partager de nouveau le pays en catégories distinctes. Robespierre ne manqua pas de saisir l'occasion de réclamer la destruction d'un privilège inique. Pouvait-on choisir un moment plus favorable pour intéresser tous les citoyens à la conservation et à la gloire de la patrie que celui où elle courait les plus grands dangers ? C'était là le cas de rendre le droit de cité à tous ceux qu'en avait injustement dépouillés la première législature, s'écriait Robespierre. Expiez donc ce crime de lèse-nation et de lèse-humanité, en effarant ces distinctions injurieuses, qui mesurent les vertus et les droits de l'homme sur la quotité des impositions. Que tous les Français domiciliés dans l'arrondissement de chaque assemblée primaire depuis un temps assez considérable pour déterminer le domicile, tel que celui d'un an, soient admis à y voter ; que tous les citoyens soient éligibles à tous les emplois publics, aux termes des articles les plus sacrés de la constitution même, sans autre privilège que celui des vertus et des talents. Par cette seule disposition, vous soutenez, vous ranimez le patriotisme et l'énergie du peuple ; vous multipliez à l'infini les ressources de la patrie ; vous anéantissez l'influence de l'aristocratie et de l'intrigue, et vous préparez une véritable Convention nationale, la seule légitime, la seule complète que la France aura jamais vue.

Les Français assemblés, continuait Robespierre, avaient charge d'assurer pour toujours la liberté, le bonheur de leur pays et.de l'univers ; car jamais dans son cœur il ne séparait l'humanité, le monde, de la patrie où il avait commencé de vivre. Comme, en définitive, la constitution actuelle était une des meilleures qui fussent sorties de la main des hommes, la réforme de certains articles, de certaines lois contraires à la Déclaration des droits, lui semblait suffisante pour arriver au résultat désiré. Enlever d'une part au pouvoir exécutif des prérogatives trop étendues, et diminuer dans une large mesure les moyens de corruption dont on l'avait doté ; de l'autre, subordonner la puissance législative à la nation, de façon que jamais les mandataires du peuple ne se missent au-dessus du souverain, telles étaient, selon lui, les modifications principales à apporter au système constitutionnel. Ici encore on peut admirer le soin avec lequel il veut' qu'on s'attache à préserver la nation d3 la tyrannie de ses représentants mêmes. Sachant, par l'étude et p : :r l'expérience de trois ans de révolution, combien les hommes, en général, mettent leur intérêt personnel au-dessus de l'intérêt public quand ils peuvent le faire impunément, il voulait qu'à certaines époques déterminées et assez rapprochées, le peuple pût examiner dans ses comices la conduite de ses mandataires, ou tout au moins révoquer, suivant des règles établies, ceux qui auraient abusé de sa confiance. Il voulait surtout qu'aucune puissance ne pût se permettre d'interdire à la nation d'exprimer ses vœux sur tout ce qui intéressait le bonheur public. Une des conséquences immédiates de ces principes était le renouvellement de tous les directoires, tribunaux, fonctionnaires publics secrètement ligués avec la cour et soupirant après le retour du despotisme. Robespierre ne se trompait pas en attribuant la crise présente au mauvais vouloir de la plupart des délégués du peuple, a leur alliance avec les ennemis de la révolution. Ne l'oublions pas. cette Révolution, si débonnaire à l'origine, avait, par une rare imprudence, placé à la tête de presque toutes les administrations, des tribunaux et de tous les états-majors, des hommes attachés à l'ancien régime par leurs intérêts, par leurs familles, et dont la conversion de fraîche date aux idées du jour ne devait pas être de longue durée.

A la voix toute-puissante de la nation, on verrait, il n'en doutait pas, s'évanouir l'audace des généraux perfides, et l'armée, dégagée des chaînes qui l'attachaient à la noblesse comme un corps vivant à un cadavre, unie au peuple, s'élancer, sous des chefs patriotes, à la conquête de la liberté. Il ne se dissimulait pas d'ailleurs les difficultés de tous genres avec lesquelles serait aux prises une nation tourmentée par la guerre étrangère, menacée par la guerre civile et placée par conséquent entre les mesures qu'exigeait sa sûreté extérieure et celles que lui prescrivait le maintien de sa liberté. Quel peuple s'était jamais trouvé dans une situation semblable à celle du peuple français ? Il avait fait une révolution ; et un gouvernement, mélange monstrueux de l'ancien et du nouveau régime, cherchait à le punir de cette révolution même, et se servait contre lui de toutes les armes de l'intrigue, de la corruption et de l'autorité dont il était dépositaire. La nation française voyait sa cause désertée, comme si le crime et la tyrannie pouvaient seuls trouver des appuis sur la terre ; mais loin de désespérer, Robespierre s'écriait : Ainsi abandonnés, que dis-je ? proscrits par le gouvernement nouveau, il faut que nous trouvions toutes nos ressources dans nous-mêmes. Il faut que nous nous élevions à tous les prodiges que l'amour de la liberté peut enfanter. A notre sort est attaché celui de toutes les nations ; et nous avons à lutter contre toutes les puissances physiques et morales qui les ont opprimées jusqu'à ce moment ; nous avons à lutter contre les traitres nombreux et redoutables qui vivent au milieu de nous, et contre nous-mêmes. Il faut que le peuple français soutienne le poids du monde, et qu'il dompte, en même temps, tous les monstres qui le désolent. Il faut qu'il soit parmi les peuples ce qu'Hercule fut parmi les héros. Oui, je l'ai déjà dit dans plusieurs circonstances, et je le répète encore en ce moment, il ne nous reste qu'une alternative, ou de périr et d'ensevelir avec nous la liberté du genre humain, ou de déployer de grandes vertus et de nous résoudre à de grands sacrifices. Était-il possible de parler à un peuple un langage plus digne, plus ferme, plus viril et plus à la hauteur de la situation formidable où l'on était arrivé ?

L'Assemblée constituante s'était honorée jadis lorsqu'à la voix de Robespierre elle avait fermé à ses membres l'accès du ministère et des places dont le pouvoir exécutif disposait, et décrété leur non-rééligibilité à la prochaine législature. Cette disposition, bien exécutée, eût, suivant Maximilien, épargné à la France bien des maux et bien des crimes. Il regrettait que certains membres de l'Assemblée actuelle eussent éludé la première de ces lois en portant leurs créatures au ministère et en sacrifiant à un vil intérêt les mesures et les principes capables de sauver l'État. Cette allusion à la conduite de Brissot et à celle de ses amis ranima dans le cœur des Girondins une haine mal étouffée et de plus vives colères. Ils se sentirent d'autant plus froissés qu'à cette heure même ils subordonnaient les destinées de la France à la satisfaction de leur ambition[90]. Terribles seront leurs fureurs. Mais Robespierre avait trop de droiture et d'inflexibilité pour calculer les ressentiments amers et les calomnies nouvelles auxquels l'exposait la divulgation d'une vérité importante à ses yeux. Il termina donc l'imposant discours dont nous venons de rendre compte, en renouvelant, pour ainsi dire, la proposition faite par lui, l'année précédente, au sein de l'Assemblée constituante : il invita l'Assemblée actuelle à s'honorer comme sa devancière en excluant ses membres de la prochaine Convention nationale, et à laisser à d'autres le soin de bâtir le temple de la liberté. Par ce grand exemple de désintéressement, elle eût repoussé bien loin ces soupçons d'intrigues et de faction que ses ennemis s'étaient efforcés de propager contre elle, sans, pour cela, priver la patrie du zèle et du dévouement de ses membres, car ils pourraient la servir encore comme simples citoyens ou dans les emplois dont la plupart d'entre eux étaient actuellement revêtus. Mais les Girondins se montrèrent sourds à cette invitation ; s'ils aimaient la patrie, ils aimaient aussi le pouvoir, le crédit dont sont environnés les mandataires du peuple ; et peu d'entre eux pouvaient dire comme Robespierre en descendant de la tribune : Que nous faut-il de plus que le bonheur et la liberté de notre pays ?

Ce discours, écouté avec un religieux silence, produisit un immense effet ; la société en vota unanimement l'impression. Impossible de se montrer plus net, plus affirmatif, de proposer des mesures plus radicales. En résumé, que demandait Robespierre ? la déchéance d'abord ; puis, afin que le pays ne tombât point dans l'anarchie, la convocation des assemblées primaires et l'élection d'une Convention nationale par le suffrage universel. Quant aux moyens, il est aisé de voir qu'il a perdu l'espérance qu'on pût les subordonner aux formes légales. Il faut que l'État soit sauvé, coûte que coûte, tel est son thème. Il n'y a d'inconstitutionnel que ce qui tend à sa ruine[91]. Non, Robespierre ne figura pas au cabaret du Soleil-d'Or avec les principaux moteurs d'insurrection qui bientôt allaient entraîner les masses populaires à l'assaut des Tuileries ; mais il fit mieux, il mena les idées au combat, et, gardien jaloux des principes décrétés en 1789, il chercha, avant tout, à empêcher la Révolution d'aboutir à la dictature ou à l'anarchie.

 

XVI

Le discours de Robespierre causa aux Girondins une irritation profonde. Par une conduite assez semblable à celle des Feuillants, ils venaient de fonder, en dehors de la société des Jacobins, où ils se sentaient décidément impuissants à dominer, le club de la Réunion. Dans la soirée du 30 juillet, on vint leur rendre compte du discours prononcé la veille par Robespierre à la tribune de la société des Amis de la Constitution, discours qui dérangeait singulièrement leurs calculs. Aussitôt l'impétueux Isnard, prenant la parole, s'engagea, par une sorte de serment, à dénoncer non-seulement Robespierre mais encore Anthoine qui avait exposé les mêmes doctrines, et à faire tout ce qui dépendrait de lui pour les envoyer devant la cour d'Orléans. Brissot monta ensuite à la tribune, renchérit sur ces engagements et ces menaces. Était-il possible de se laisser entraîner plus loin par des haines personnelles, et n'y avait-il pas quelque chose de criminel à comploter, à pareille heure, de traduire devant la haute cour d'Orléans deux citoyens d'un patriotisme si éprouvé ? Le député Dubois de Bellegarde assistait à cette séance ; il se leva indigné, protesta hautement, déchira sa carte d'entrée, et sortit en déclarant qu'il ne remettrait plus les pieds dans cette société[92].

Ces faits, révélés le surlendemain, 1er août, au club des Jacobins par Desfieux et par Merlin (de Thionville), y causèrent la plus vive sensation. Merlin affirma tenir de Monteau (du Gers) et de Ruamps que les rôles avaient été distribués pour faire mettre en état d'accusation Robespierre et Anthoine, et qu'Isnard et Brissot s'étaient chargés de demander le décret d'accusation à l'Assemblée nationale, en se fondant sur ce que ces deux citoyens avaient, par leurs discours, provoqué à la déchéance du roi, mesure dont Merlin se déclara aussi le partisan. Un troisième membre attesta la vérité de ces faits, et, accusant Brissot de trahison, il réclama la radiation de son nom sur les registres de la société.

Robespierre présidait. Intéressé personnellement dans la discussion, et sentant qu'il ne pouvait lui-même mettre aux voix cette proposition, il quitta le fauteuil où il fut remplacé par le premier secrétaire. Anthoine, irrité, s'éleva avec une violence extrême contre Brissot. Il lui reprocha, en prenant la France entière pour témoin, d'avoir fait déclarer la guerre avant qu'on fût prêt à la soutenir ; d'avoir constamment persécuté les patriotes et détaché Vergniaud de leur parti ; de tromper le peuple enfin en cherchant à lui persuader que tous les dangers de la patrie s'évanouiraient subitement si l'on rappelait au ministère Roland, Clavière et Servan, et il appuya la motion de le rayer de la liste des Jacobins. Aux ridicules menaces d'Isnard et de Brissot, Robespierre aima mieux opposer le dédain le plus absolu ; il réclama l'ordre du jour, puis proposa à la société de nouvelles mesures propres, selon lui, à sauver le pays. Insistant sur la nécessité de la convocation d'une Convention nationale, il demanda cette fois très-nettement, très-catégoriquement que les membres de cette Convention fussent nommés directement par les assemblées primaires, et qu'ils ne pussent être choisis ni parmi les membres de l'Assemblée constituante, ni parmi ceux de la seconde législature. Dans son précédent discours, il avait invité les députés actuels à donner un grand exemple de désintéressement en s'interdisant l'accès de la prochaine Convention ; aujourd'hui il étendait cette exclusion aux membres de la première Assemblée, se fermant à lui-même les portes de la nouvelle Constituante. Il était difficile de pousser plus loin le renoncement, et, en vérité, devant la persistance de certaines accusations d'ambition dirigées contre Robespierre, on ne peut s'empêcher de sourire. Partisan des courtes législatures, il aurait voulu que la session de la Convention ne se prolongeât pas au delà d'un an ; car il trouvait dans le fréquent renouvellement des assemblées l'avantage de préserver les mandataires du peuple de la tentation d'abuser de leur pouvoir[93].

Il avait à peine cessé de parler qu'une députation de la section Mauconseil venait communiquer une pétition qu'elle se proposait de présenter à l'Assemblée nationale pour demander la déchéance de Louis XVI, promettant d'avance de s'ensevelir sous les ruines de la liberté plutôt que de souscrire au despotisme des rois. Toutes les sections de Paris, moins une, s'étaient prononcées dans le même sens[94]. Le terrain, comme on voit, devenait de plus en plus brûlant. L'avant-veille était arrivé un puissant renfort pour la Révolution : le bataillon des Marseillais avait fait son entrée à Paris. Quelle ne dut pas être l'émotion populaire quand on entendit ces hommes à l'allure martiale, au visage bronzé par le soleil du midi, entonner un chant de guerre inconnu ; quand surtout éclata cette strophe qui peignait si bien, en quelques vers, la situation présente :

Que veut cette horde d'esclaves,

De traîtres, de rois conjurés ?

Pour qui ces ignobles entraves,

Ces fers dès longtemps préparés ?

Français, pour nous, ah ! quel outrage !

Quel transport il doit exciter !

C'est nous qu'on ose méditer

De rendre à l'antique esclavage !

Aux armes, citoyens, formez vos bataillons,

Marchons, qu'un sang impur abreuve nos sillons !

A ces paroles, cadencées dans des notes tantôt suaves et mélancoliques comme le chant d'une mère, tantôt terribles et retentissantes comme le clairon sonnant la charge, quel cœur pouvait demeurer indifférent ? Le peuple sentit s'accroître sa fièvre de patriotisme, et, en souvenir de ceux qui les premiers avaient fait retentir l'hymne sacré à ses oreilles charmées, il l'appela la MARSEILLAISE[95].

Cela seul aurait suffi à rendre les fédérés de Marseille chers au peuple de Paris : ses bruyantes marques de sympathie compensèrent largement les calomnies dont les feuilles royalistes et les libelles payés par la liste civile poursuivaient ces intrépides soldats de la Révolution. Une circonstance toute fortuite accrut encore leur popularité. Le soir de leur arrivée, ils se trouvaient aux Champs-Elysées, où un banquet civique leur avait été offert. Non loin d'eux étaient attablés des grenadiers du bataillon des Filles-Saint-Thomas, composé en majeure partie de Feuillants, d'hommes dévoués à la cour. Les convives royalistes se répandirent en propos insolents et en blasphèmes contre la nation ; à quoi la foule répondit par des huées et des cris d'indignation. Les grenadiers s'étant jetés, le sabre à la main, sur les spectateurs désarmés, ceux-ci appelèrent les fédérés à leur aide, et une rixe s'ensuivit, dans laquelle plusieurs hommes du bataillon des Filles-Saint-Thomas furent blessés. L'émotion causée par cette lutte gagna bien vite les divers quartiers de Paris ; la cour prit l'alarme, et l'agitation fut si vive aux Jacobins que Robespierre, qui présidait, crut devoir se couvrir et suspendre la séance[96].

Cette collision sanglante, il accusa la cour et les Feuillants de l'avoir provoquée afin d'effrayer la bourgeoisie timide et d'avoir un prétexte de désarmer les Marseillais. Tout lui semblait présager une grande conspiration royaliste que le séjour des fédérés à Paris empêchait seul d'éclater. En voyant les défenseurs de la liberté indignement trahis ou abandonnés, les partisans du despotisme comblés de. libéralités et payés avec magnificence, en présence de la guerre déclarée au peuple, non-seulement par les souverains de l'Autriche et de l'Allemagne mais par les généraux, par la cour, par les directoires, les tribunaux, les juges de paix de Paris, par tous ceux que ce peuple avait tirés du néant, il ne comprenait plus qu'un moyen de salut, c'était de s'élever au plus haut degré d'énergie, de s'embraser du feu qui échauffait les fédérés de Marseille. Alors s'adressant à la cité phocéenne, dont les intrépides enfants venaient s'unir à ceux de la capitale pour livrer au despotisme un dernier combat, il lui rendait ce public hommage : Marseille, tu peux élever une tête orgueilleuse entre toutes les cités qui ont fait la gloire du monde. Rome à demi libre donna des fers aux nations ; Sparte conquit et conserva la liberté pour elle et pour la petite contrée qui l'environnait ; Marseille, attachée aux destinées d'un grand État, luttant depuis plusieurs années contre toute la puissance des tyrans perfides qui l'oppriment, contre l'inertie d'une multitude innombrable d'esclaves malveillants, semble entraîner, presque en dépit d'elle-même, la France entière à la liberté[97]. La popularité dont Robespierre jouissait parmi les Marseillais était déjà d'ancienne date ; on n'a pas perdu le souvenir de certaine adresse aux Jacobins dans laquelle son nom était porté aux nues[98]. Des liens plus intimes s'établirent encore entre eux ; et pourtant, qui le croirait ? du milieu d'eux devait sortir un de ses plus acharnés calomniateurs.

 

XVII

Il y avait alors à Paris un jeune Marseillais, dont le courage et la beauté ont été suffisamment vantés, et qui longtemps a passé pour l'objet des préférences platoniques de madame Roland. Il s'appelait Barbaroux. Ce fut lui, s'il faut l'en croire, qui appela de Marseille six cents de ses concitoyens[99]. C'était un partisan décidé de la déchéance et de l'insurrection ; si donc il était l'ami de M. et de madame Roland, et s'il formait avec eux, comme il le dit, le projet de fonder, au pis aller, une république dans le Midi, il ne pouvait être alors l'homme de Brissot, puisque celui-ci appelait sur les républicains le glaive de la loi. A cette époque, tout nous porte à le croire, il était un des plus chauds et des plus sincères admirateurs de Robespierre. Un peu plus tard, il est vrai, cédant à la puissance de l'intrigue, entraîné peut-être par les beaux yeux de madame Roland, il passera dans le camp de la Gironde, comme tant d'autres que n'avaient pas manqué pas de circonvenir les Girondins.

Nous avons sous les yeux une lettre précieuse de Guiter, député des Pyrénées-Orientales, un des Girondins arrachés à l'échafaud par Robespierre. De la prison de la Force, il explique à son sauveur comment, après avoir été longtemps son admirateur enthousiaste, il en était venu à grossir le nombre de ses adversaires, de ses détracteurs : Ce sont les journaux corrompus qui, vers la fin de la session de l'Assemblée législative, t'ont présenté aux yeux de toute la France comme un ambitieux qui voulait s'élever sur les débris de la liberté, qui ne voulait pas de constitution. Plein de ces funestes préventions, j'arrivai à Paris. L'intrigue qui m'avait déjà rempli de préventions m'attendait aux portes de cette cité. Simple et confiant, j'en ai été la victime ; autant je t'avais estimé, autant je t'ai haï ; autant je t'avais cru un ami du peuple, autant je t'ai cru son ennemi...[100] Il ne fallut rien moins que la noble conduite de Robespierre à l'égard des signataires de la protestation contre le 31 mai pour dessiller les yeux de Guiter et de bien d'autres de ses collègues.

Donc, nous le répétons, à l'heure présente, Barbaroux, sans aucun doute, était de cœur et d'âme avec Robespierre. Plus tard, proscrit et errant, il travestit, dans des Mémoires écrits d'une plume trempée dans le fiel, ses premiers rapports avec lui ; mais ces Mémoires, pleins de mensonges et de calomnies, ne sauraient avoir aucune valeur historique[101]. Barbaroux y raconte que, peu de jours avant l'insurrection du 10 août, un abbé couvert de guenilles, et qu'il donne comme un ami de Robespierre, vint le prier de passer à la mairie où l'attendaient Fréron et Panis[102]. Ce suprême dédain pour les guenilles peut paraitre choquant dans la bouche du républicain Barbaroux, mais passons. Il se rendit à la mairie. C'était Panis lui-même qui l'avait fait prier d'y venir, voulant l'inviter à user de son ascendant sur les Marseillais pour les amener de la caserne de la Chaussée-d'Antin à celle des Cordeliers, où les patriotes les auraient sous la main[103]. Barbaroux convient de ce fait, mais il ajoute qu'ensuite on lui tint des discours mystérieux dans lesquels il crut démêler l'intention de donner un dictateur à la France, sur quoi il se serait récrié avec horreur.

Jusqu'ici Robespierre n'a aucun rôle : son nom n'est même pas prononcé dans cette première entrevue. Mais Barbaroux, — toujours d'après son propre récit, — est convié à une nouvelle conférence chez l'hôte même de Duplay[104]. Il y va, accompagné de Baille et de Rebecqui. Sous la plume fantaisiste du conteur marseillais, la modeste pièce qui servait à Robespierre de chambre à coucher et de cabinet de travail, se transforme en un joli boudoir où son image était répétée sous toutes les formes et par tous les arts. Barbaroux nous le représente peint sur la muraille de droite, gravé sur celle de gauche ; il nous montre son buste dans le fond, son bas-relief vis-à-vis, et, épars sur les tables, une demi-douzaine de Robespierre en petites gravures[105]. Un écrivain de nos jours a trouvé moyen d'exagérer encore cette description ridicule ; le joli boudoir devient une vraie chapelle, où, sur les murs, sur les meubles, se trouve reproduite l'image d'un seul et unique dieu, Robespierre, toujours Robespierre. Suit une énumération à peu près textuellement copiée dans les Mémoires de Barbaroux, et après laquelle notre auteur conclut que, de quelque côté que se tournât Robespierre, il ne pouvait éviter de voir son image[106]. Non, Robespierre n'avait pas à ce point le culte de sa personne ; nous dirons ailleurs ce qu'était sa petite chambre, pieusement et simplement ornée par des mains amies ; mais il n'était pas défendu sans doute à ses hôtes d'avoir son image reproduite par le pinceau, par le burin et le ciseau. Ce fut vraisemblablement dans le salon de Duplay que fut reçu Barbaroux. Là il put voir le grand portrait en pied de Robespierre peint par Gérard, détruit en 1815, et dont nous avons déjà parlé ; il put voir, près de la cheminée, le médaillon modelé par Collet en septembre 1791, que, jusqu'à sa mort, Eléonore Duplay garda comme une relique sacrée, et, sur les meubles, des statuettes et des gravures du temps. Qu'à une année de là, écrivant de mémoire, et voulant ridiculiser l'homme qu'il avait poursuivi de ses calomnies, il ait établi une confusion volontaire, cela, malheureusement, est assez dans l'ordre des choses de ce monde ; mais n'est-il pas regrettable que des écrivains sérieux, et d'un si grand talent, acceptent, comme paroles d'Évangile en quelque sorte, des fadaises sorties de la plume d'un ennemi ?

Arrivons maintenant à cette fameuse entrevue, destinée à devenir le texte de l'absurde accusation que, par la bouche de Barbaroux et de Rebecqui, les Girondins intenteront contre Robespierre dès les premières séances de la Convention nationale. Après avoir parlé de la Révolution, et s'être beaucoup vanté de l'avoir accélérée, Robespierre, toujours d'après Barbaroux, soutint qu'elle s'arrêterait si quelque homme extrêmement populaire ne s'en déclarait le chef et ne lui imprimait un nouveau mouvement[107]. Sur quoi Rebecqui se serait fièrement écrié : Je ne veux pas plus d'un dictateur que d'un roi. En sortant, continue Barbaroux, Panis nous serra la main. Vous avez mal saisi la chose, nous dit-il, il ne s'agissait que d'une autorité momentanée, et Robespierre est bien l'homme qui conviendrait pour être à la tête du peuple[108]. Autant de lignes, autant de mensonges. L'assertion prêtée à Robespierre sur la nécessité d'investir un homme populaire d'une sorte de pouvoir suprême est démentie par tous ses actes, par toutes ses paroles. Son immense discours du 27 juillet, aux Jacobins, ne roule-t-il pas tout entier sur les périls de la tyrannie, sur les précautions à prendre afin qu'une fois le trône renversé, un despotisme ne vienne pas succéder à un autre ? Qui donc insista davantage pour que le peuple conservât la plénitude de sa souveraineté, pour qu'en aucun cas ses mandataires ne pussent se rendre indépendants de lui, et exercer la dictature en son nom ? En vérité, il faut avoir oublié toutes ces choses, dites en face de tout un peuple et conservées par la presse, pour ajouter foi un moment aux mensonges de Barbaroux ! Est-ce que, par hasard, dans l'intimité, Robespierre aurait tenu un autre langage, lui, l'homme à la rude franchise, aux convictions d'airain ? Il en était incapable. Et quand, le 20 juillet, s'épanchant dans le sein d'un de ses plus fidèles amis, d'un de ses plus chers confidents, il écrivait à Couthon cette lettre que nous avons citée tout entière, ne manifestait-il pas surtout la crainte que la Révolution ne s'abîmât dans quelque despotisme dictatorial ? Voilà donc, de ce côté, Barbaroux bien et dûment convaincu d'imposture.

Reste le propos attribué à Panis. Eh bien ! le 25 septembre 1792, en pleine Convention, Barbaroux reçut, sans le relever, le plus sanglant démenti ; et ces paroles de Panis : Je ne sais ce que je dois admirer le plus ou de la lâcheté, ou de l'invraisemblance, ou de la fausseté de sa délation[109], ne lui arrachèrent pas un mot de réponse. Mais Panis alla plus loin. La participation très-active prise par lui aux événements du mois d'août l'avait mis en rapport avec les chefs des Marseillais, il les adjura de déclarer si jamais il leur avait parlé soit de dictature, soit de Robespierre ; et certes, dit-il, si j'avais conçu le projet qu'on nous attribue, ce n'est pas à Barbaroux seul que j'en aurais parlé[110]. Aucun des chefs marseillais n'appuya la dénonciation du député girondin, et, sur ce point encore, il demeure convaincu de mensonge.

Ce fut, du reste, une nouvelle tactique de la part de Brissot et de ses amis d'accuser Robespierre de chercher à usurper le pouvoir national. Les Girondins, on s'en souvient, avaient essayé de le dépopulariser en le dénonçant comme membre du comité autrichien, en prétendant qu'il avait assisté à des conférences chez la princesse de Lamballe ; mais ces grossières inventions n'avaient pas tenu devant le dédain public. C'est pourquoi, changeant de batterie, ils l'accuseront, devant une nation jalouse de cette liberté à la conquête de laquelle il avait tant contribué, d'aspirer à la dictature, et nous verrons avec quel art infernal ils travailleront à propager cette nouvelle calomnie. Rapprochement singulier ! quand les Thermidoriens voudront tuer Robespierre, ils l'accuseront aussi de royalisme, de tendances dictatoriales, et nous montrerons à quels procédés indignes, ils seront obligés de recourir, comme les Girondins, pour propager ces idées dans les masses et briser une popularité qui avait résisté à tant d'assauts.

 

XVIII

Cependant, de minute en minute, la situation empirait ; l'impatience populaire s'accroissait des résistances que semblait apporter le Corps législatif à donner satisfaction à l'opinion publique. Le 3 août, Pétion, à la tête d'une députation de la commune, paraissait à la barre de l'Assemblée, et demandait, au nom du peuple, la déchéance du roi. Sans tenir compte de ce vœu, l'Assemblée annulait, le lendemain, la délibération par laquelle la section Mauconseil s'était déclarée déliée du serment d'obéissance. Mais, presque en même temps, se présentait une députation de la section des Gravilliers chargée de réclamer la mise en état d'accusation de Louis XVI. Les inquiétudes, les colères, les méfiances étaient encore' augmentées par les provocations incessantes des feuilles royalistes qui, autant que les feuilles patriotiques, semblaient avoir hâte d'en finir, celles-ci par l'insurrection, celles-là par un coup d'État. De Pange et André Chénier, dans le Journal de Paris, calomniaient à qui mieux mieux. Le premier prétendait que Robespierre avait confié à ses amis combien il lui serait doux de faire assassiner La Fayette, et il dénonçait comme des malfaiteurs les soldats renvoyés de leurs corps depuis le commencement de la Révolution par des officiers de l'ancien régime. A la suite de cette diatribe était inséré le manifeste du duc de Brunswick, contre lequel, en revanche, le journal royaliste ne trouvait pas une parole d'indignation. Tout présageait un dénouement prochain. La cour ne restait pas inactive et préparait de redoutables moyens de défense. Tandis que le château se remplissait d'amis dévoués, les fidèles bataillons suisses quittaient leur caserne de Courbevoie pour venir s'installer aux Tuileries.

Les partisans de l'insurrection, de leur côté, ne dissimulaient pas leurs projets : on délibérait au grand jour, en présence de la nation, suivant la propre expression de Robespierre[111]. Dans la journée du 4 août, le directoire insurrectionnel des fédérés tint séance au Cadran-Bleu, sur le boulevard, chez le restaurateur Bancelin. Parmi les assistants, on remarquait Simon (de Strasbourg), Westermann, Santerre, Anthoine et Camille Desmoulins. Le soir, sur les huit heures, s'il faut en croire une relation de Carra, une nouvelle conférence eut lieu dans la propre demeure de Robespierre, chez son ami l'ex-constituant Anthoine, à qui les Duplay avaient offert l'hospitalité durant son séjour à Paris. D'après le Girondin Carra, madame Duplay, effrayée de ce conciliabule, se serait présentée vers les onze heures dans la chambre de son hôte, et lui aurait demandé s'il voulait faire égorger Robespierre ; à quoi Anthoine aurait répondu : Si quelqu'un doit être égorgé, ce sera nous sans doute. Il ne s'agit pas de Robespierre, il n'a qu'à se cacher[112]. L'effroi d'une femme en de telles circonstances n'avait rien que de bien ordinaire ; pourtant madame Duplay était une personne d'une énergie peu commune : son admiration pour Robespierre tenait en partie à l'inébranlable fermeté de celui-ci ; donc, pour plusieurs raisons, nous n'ajoutons aucune foi au récit malveillant de Carra. D'abord il est fort peu probable que, dans la maison dont il était l'hôte, Anthoine se soit exprimé d'une façon aussi désobligeante pour l'ami dont il partageait tous les sentiments et toutes les opinions ; ensuite, s'il y avait danger pour Robespierre, ce n'était pas lorsqu'il émettait un avis dans une conférence secrète à laquelle assistaient un petit nombre de personnes, mais bien lorsqu'il réclamait si hautement, à la tribune des Jacobins, la déchéance de la famille royale et la convocation immédiate d'une Convention directement nommée par tous les citoyens. Maintenant, ajoutons que lorsque le Girondin Carra, journaliste d'une réputation fort équivoque, écrivit, après coup, son Précis historique et très-exact sur les causes et les auteurs de l'insurrection du 10 août, précis dans lequel il se donne naturellement le beau rôle, la scission était devenue irréparable entre Robespierre et la Gironde, et que les écrivains de ce parti ne négligeaient aucune occasion de jeter quelque défaveur sur l'homme à la perte duquel les Girondins s'acharnaient avec une obstination sans exemple.

Si Robespierre ne figura point parmi les meneurs des faubourgs, il n'en demeura pas moins constamment sur la brèche pendant les jours qui précédèrent la grande insurrection du 10, tantôt aux Jacobins, tantôt à sa section — celle de la place Vendôme —, et l'on n'ignore pas combien furent suivies, à cette époque, les assemblées sectionnaires devenues permanentes[113]. Les préparatifs militaires dont le château des Tuileries était le théâtre avaient fait croire à de nouveaux projets de fuite de la part du roi ; les Suisses qui bivouaquaient dans les cours étaient là, disait-on, pour protéger son départ. On estimait à près de quatre mille le nombre de ces soldats étrangers. Mais le régiment suisse au grand complet était de deux mille quatre cents hommes tout au plus ; ce que ne manqua pas de rappeler Réal, aux Jacobins, et il en tira la conséquence qu'on avait revêtu d'uniformes suisses douze à treize cents soldats de l'ancienne garde du roi, restée stationnaire à l'École militaire, malgré son licenciement[114]. A cette même séance (c'était le dimanche 5 août), Robespierre prit la parole : Toutes ces mesures, dit-il, annoncent une conspiration prochaine, contre laquelle il faut employer autant d'énergie que de prudence. La fuite du roi, nous le savons aujourd'hui, avait été longtemps agitée dans le conseil de la couronne, et La Fayette avait proposé un plan assez bien combiné. Or, l'intérêt que les ennemis plus ou moins déguisés de la Révolution trouvaient à posséder Louis XVI au milieu d'eux, au sein de l'armée dont ils avaient le commandement, explique suffisamment pourquoi cette fuite paraissait dangereuse aux patriotes. Selon Robespierre, la présence de la personne du roi importait, sinon au salut public, du moins à la conservation de beaucoup d'individus. Ne doutant nullement d'ailleurs des projets de départ, il terminait par ces mots un discours dont le journal de la société ne nous a conservé qu'un résumé fort incomplet. Je conclus donc à ce que, deux choses étant indispensablement nécessaires, l'une d'empêcher que le roi ne parte, l'autre de veiller à ce qu'il ne lui arrive aucun mal, ni à aucun individu de sa famille, il est du devoir de tout bon citoyen, de tout vrai patriote, de toutes les autorités constituées de veiller, et de surveiller le château (2)[115].

Trois jours après (le 8), un député de la Somme, Saladin, dénonça au club l'incivisme de son département. Le bruit courait alors qu'il avait été question, pour mettre l'Assemblée nationale à l'abri de toute pression et de toute insulte, de la transférer à Rouen ou à Amiens. Le roi était même impatiemment attendu dans cette dernière ville, disait Saladin. Robespierre monta à la tribune pour démontrer qu'il était bien difficile de réaliser ce projet de translation. Si la proposition en était faite, dit-il, si les Maurys de l'Assemblée législative venaient se plaindre de mauvais traitements, ce serait sans doute afin de détourner l'Assemblée de la grande question à l'ordre du jour. Pour lui, il engageait les patriotes à ne pas être dupes de cette manœuvre, à repousser toute discussion ayant pour objet de prétendues insultes faites à des députés, comme à l'Assemblée constituante on passait à l'ordre du jour sur les plaintes des Maurys, et à aborder enfin avec courage la question capitale de la déchéance du roi[116]. Au reste, cette question venait de faire un grand pas par le vote de l'Assemblée législative qui, dans la journée, avait, à une forte majorité, innocenté La Fayette. L'heure approchait où la nation allait prendre le parti de se sauver par elle-même ; mais en même temps approchait le moment redoutable des vengeances populaires. Se fondant sur ce que des listes de proscription contre les patriotes circulaient à la cour et jusque dans les camps étrangers, Goupilleau (de Fontenay), aux Jacobins. revendiqua pour le peuple le droit de former, lui aussi, des listes de proscription contre ses ennemis ; et pour éviter toute confusion, pour bien fixer l'opinion publique sur le compte de chaque individu, il demanda et obtint l'impression et la publication de la liste des députés qui avaient voté pour ou contre La Fayette. La séance fut levée à onze heures du soir ; ce fut la dernière avant l'insurrection ; il n'y en eut point le jeudi 9 août, et quand les Jacobins se réunirent le 10, la royauté avait disparu.

Lorsque Robespierre s'écriait qu'il fallait que l'État fût sauvé par quelque moyen que ce fût, il envisageait, cela est bien évident, l'insurrection comme un moyen possible, inévitable même ; mais il ne s'agissait plus alors à ses yeux d'un mouvement partiel, il comprenait par là le soulèvement du peuple tout entier. S'il n'eût pas sur les événements une influence particulière, il contribua certainement i les précipiter ; les Girondins, au contraire, louvoyèrent jusqu'au dernier moment, mirent tout en œuvre pour gagner du temps, et retinrent le plus possible la royauté sur le bord de l'abîme, espérant toujours être appelés à la diriger. Ce fut peut-être à leur instigation lue, le 7 août, Pétion, depuis longtemps circonvenu par eux, se rendit inopinément chez Robespierre. C'était la première fois que celui-ci recevait cet honneur, bien qu'il fût étroitement lié depuis le commencement de la Révolution avec le maire de Paris, et que rien encore ne pût lui faire présager qu'il en serait bientôt si complètement abandonné. Très-surpris de cette visite, il l'attribua naturellement à quelque grand motif. Durant une heure, Pétion l'entretint des dangers de l'insurrection ; il fallait, selon le maire de Paris, laisser à l'Assemblée nationale le soin de discuter avec toute la lenteur possible la question de la déchéance, et différer, jusqu'à ce qu'elle se fût prononcée, la résistance à l'oppression. On voit comme tout cela est bien conforme à la conduite des Girondins menaçant du glaive de la loi les républicains, et faisant annuler la délibération insurrectionnelle de la section Mauconseil. Les membres du directoire des fédérés se rendaient habituellement aux Jacobins, Pétion le savait ; il pressa vivement son ami de prêcher au sein de la société le système dilatoire dont il était l'interprète[117]. Cette visite et cette conversation expliquent parfaitement l'attitude de Pétion pendant les événements du 10 août. Autant il avait montré de bonne volonté pour la journée du 20 juin, autant il parut peu favorable à la grande insurrection du mois d'août, faisant voir par là combien il se trouvait sous l'influence de Brissot. Telle était encore la confiance de Robespierre en Pétion, et tels étaient aussi les sentiments d'amitié que réveilla dans son cœur cette visite inattendue d'un vieil ami, qu'il se laissa jusqu'à un certain point persuader. Le lendemain 8 août, en montant à la tribune des Jacobins pour engager la société à aborder avec courage la question de la déchéance, il ne prononça aucune parole de nature à hâter l'insurrection, et lui-même très-probablement ne la croyait pas si prochaine. Mais il n'est donné à personne de conjurer les tempêtes ; Robespierre eût en vain usé toute son éloquence pour retarder d'une minute la chute de la royauté.

 

XIX

Dans la nuit du 9 au 10 août 1792, les sections de Paris, sur la proposition de celle des Quinze-Vingts, nommèrent chacune trois commissaires pour remplacer l'ancienne municipalité dont l'énergie et la fermeté ne semblaient pas à la hauteur des circonstances. Le nombre des commissaires fut dès le surlendemain porté à six par section ; ce qui donna pour le conseil général de la commune un chiffre de deux cent quatre-vingt-huit membres. Ces commissaires furent armés de pleins pouvoirs à l'effet de sauver la patrie, pleins pouvoirs ratifies depuis par l'Assemblée nationale. A l'heure où commençait cette grave opération, une circulaire signée de Pétion invitait tous les citoyens au calme, à l'inaction, et les engageait à attendre que l'Assemblée eût paisiblement, lentement statué sur la question de la déchéance[118]. Mais, — vains efforts pour enchaîner l'ouragan ! — déjà dans les quartiers populeux toutes les cloches étaient en branle, et, silencieusement, par cette belle nuit d'été, les bandes insurrectionnelles se rendaient au lugubre appel du tocsin.

Les commissaires nommés se transportèrent tout de suite à l'Hôtel-de-Ville. Ils furent introduits dans la salle des délibérations où siégeait l'ancien conseil qui ne se retira que dans la matinée, sans difficulté d'ailleurs, devant les nouveaux venus[119] parmi lesquels on comptait Rossignol, Billaud-Varenne, Audoin, Louvet, Réal, Hébert, Léonard Bourdon, etc. Cette nouvelle municipalité fut la commune du 10 août. Elle était bien loin, du reste, d'être au complet ; vingt-huit sections seulement ayant terminé dans cette nuit leurs opérations électorales. Marie-Joseph Chénier, le frère du royaliste auteur des Iambes, et Robespierre ne furent nommés que le 11, le premier par la section de la Bibliothèque, le second par celle de la place Vendôme[120]. Quelle fut, dans cette nuit mémorable, la part d'action personnelle de Robespierre ? Il est impossible de le dire. Toute action individuelle disparut dans le grand mouvement général ; mais il ne resta pas inactif, on peut l'affirmer, car, quelle que fût la notoriété de son nom, la section de la place Vendôme, à laquelle il appartenait, ne l'aurait pas choisi pour son représentant à la commune, s'il se fut effacé dans un pareil moment.

Nous n'avons pas à retracer ici les événements qui signalèrent la matinée du 10 août, ils sont connus de tous nos lecteurs. On sait comment les Tuileries furent emportées de vive force, après que Louis XVI et sa famille les eurent abandonnées, avant le commencement de l'action, pour se réfugier au sein de l'Assemblée législative. Les royalistes combattirent avec un grand courage, et nul doute qu'un moment ils ne se crurent certains du succès. La mort du commandant, général Mandat diminua singulièrement la confiance des défenseurs du château en jetant le désarroi dans les rangs de quelques bataillons de la garde nationale sur lesquels ils comptaient. Mandat avait été tué par un inconnu au moment où, en vertu d'un arrêté de la commune, on le transférait à l'Abbaye pour avoir donné l'ordre par écrit au commandant du bataillon de l'Hôtel-de-Ville de dissiper, en l'attaquant par derrière, la colonne d'attroupement qui se porterait vers les Tuileries. Toutefois, on savait les Suisses et les gardes du roi doués d'une bravoure et d'une fidélité à toute épreuve. Abrités derrière de bonnes murailles, ils pouvaient rendre dix coups pour un ; la foule des assaillants, nullement aguerrie au feu, lâcherait pied aux premières décharges de mousqueterie, on l'espérait du moins. Une fois l'insurrection vaincue, ne verrait-on pôs se ranger autour du trône les timides, les timorés, cette masse incertaine et flottante toujours prête à se donner au plus fort ? On n'aurait plus, après cela, qu'à tendre la main à La Fayette, et c'en serait fait de la Révolution ! L'héroïsme des insurgés déjoua tous ces calculs. A l'exaspération populaire, on put mesurer la vigueur de la résistance, et les pertes des vaincus furent certainement de beaucoup inférieures en nombre à celles des vainqueurs[121].

Comme on a niaisement accusé Robespierre de s'être caché le 17 juillet 1791, après les massacres du Champ-de-Mars, quand, au vu et au su de tout le monde, il était resté presque seul aux Jacobins, défiant la réaction victorieuse alors qu'une foule de patriotes étaient ou arrêtés ou en fuite, on n'a pas manqué non plus de lui reprocher de s'être éclipsé pendant la journée du 10 août. Et ce mensonge n'a pas été seulement mis en avant par des écrivains royalistes, comme l'avocat Maton de la Varenne, qui, épargné dans les massacres de Septembre, a remercié la Révolution, en vomissant contre elle les plus ineptes calomnies[122], mais par des écrivains qui se flattent bien hautement d'appartenir à l'opinion, républicaine. Citerai-je mon illustre confrère M. Michelet, qui, dans son style hyperbolique, et usant d'une tactique empruntée aux Girondins en confondant Marat et Robespierre, les fait sortir tous deux de leurs trous le 11 pour siéger à la commune[123] ? Nous allons voir ce qu'il faut penser d'une telle assertion. Robespierre, cela est vrai, ne figura pas à la tête des fédérés marseillais ou bretons à l'attaque du château, ni parmi les rudes assaillants venus des faubourgs, ni dans les rangs de la garde nationale, pas plus que Danton, Camille Desmoulins et une foule d'autres notabilités révolutionnaires, sans compter les Girondins qui profitèrent de la victoire du peuple. Mais est-on fondé à dire pour cela qu'il se cacha ? Est-ce que même il se montra aussi réservé que son calomniateur Barbaroux, lequel ne fait nulle difficulté d'avouer que des motifs de prudence l'avaient déterminé à ne pas se mettre à la tête de ses compatriotes, et qui se contentait de recevoir, pendant l'action, des renseignements qu'on devait, suivant sa recommandation, lui envoyer de quart d'heure en quart d'heure[124] ? Non, les hommes de la trempe de Robespierre ne se cachent pas. En temps de révolution, il le savait bien, lui, la proscription et la mort sont trop souvent le partage des défenseurs de la liberté, et, d'avance, il était prêt au sacrifice.

Quand la bataille fut terminée (elle avait duré un peu moins de deux heures), l'Assemblée législative s'empara de tous les pouvoirs. Au moment on le roi était venu chercher un refuge dans son sein, Vergniaud, qui la présidait, avait accueilli le monarque en ces termes Vous pouvez, sire, compter sur la fermeté de l'Assemblée nationale ; ses membres ont juré de mourir en soutenant les droits du peuple et les autorités constituées. On voit combien peu le renversement de la royauté était dans les idées de la Gironde. La monarchie se trouvant brisée de fait par la défaite de ses partisans, Vergniaud, la douleur dans l'âme, proposa à ses collègues de décréter, entre autres mesures, la suspension provisoire de Louis XVI, la nomination d'un gouverneur au prince royal et la formation d'une Convention nationale. Robespierre, tout en louant l'Assemblée de s'être élevée quelquefois à la hauteur de ses devoirs[125], ne trouva pas dans plusieurs de ses décrets toute la sagesse, toute l'énergie qu'eussent exigées les circonstances. Selon lui, il aurait fallu décréter tout de suite la déchéance du roi, afin de prévenir des lenteurs dangereuses et certaines questions d'où pouvaient naître des éléments de discorde civile. Mais il semblait que les Girondins, maîtres de l'Assemblée par la désertion de tous les députés attachés à la cour, voulussent laisser une porte ouverte au retour de la royauté. Brissot n'avait-il pas dit, dans son discours du 26 juillet, que les hommes attachaient au mot de roi une vertu magique qui préservait leurs propriétés ? Toujours est-il qu'après s'être, jusqu'au dernier moment, montrés tout à fait opposés à l'insurrection, ils commencèrent par recueillir les fruits de la victoire du peuple. Sur la proposition d'Isnard, les portefeuilles de l'intérieur, des finances et de la guerre furent rendus à Roland, à Clavière et à Servan. Monge, appelé au ministère de la marine, et Le Brun à celui des affaires étrangères, étaient encore deux créatures de la Gironde. Danton seul, nommé ministre de la justice, représenta au pouvoir l'insurrection triomphante.

Tandis que ces choses se passaient au sein de l'Assemblée législative, et que, de tous côtés, les ambitieux, les intrigants s'agitaient pour avoir une part des lambeaux de la royauté, les Jacobins s'étaient réunis dans leur salle, plus tôt que de coutume, sous la présidence d'Anthoine. La société se trouva peu nombreuse, beaucoup de ses membres ayant été, en ces graves conjonctures, retenus par leurs fonctions. Quant à Robespierre, qu'un historien accuse si injustement d'avoir veillé le mouvement, de s'être tenu prêt à en profiter[126], il parut à la tribune, et les paroles qu'il y prononça donnent la mesure de son désintéressement. Songea-t-il à lui un seul instant ? Chercha-t-il à tirer parti de son immense popularité dans un intérêt personnel ? Le vit-on, 'comme tant d'autres, convoiter les dépouilles de la monarchie ? Il parle, et son unique préoccupation est d'assurer à la nation les bénéfices d'une victoire dont l'honneur, suivant lui, ne revenait pas seulement au peuple de Paris, mais au peuple français tout entier. A ce peuple il recommande formellement de mettre désormais ses mandataires dans l'impossibilité absolue de nuire à sa liberté : il l'engage à demander la convocation immédiate d'une Convention nationale, la mise en état d'accusation de La Fayette, et surtout à ne pas déposer les armes avant le triomphe définitif de la liberté. En même temps il invite les fédérés à écrire à leurs concitoyens le récit des grands événements du jour, et la nouvelle commune à envoyer des commissaires dans les quatre-vingt-trois départements pour y peindre sous son vrai jour la situation actuelle. Puis, songeant aux patriotes poursuivis dans ces derniers temps par des directoires et des juges dévoués à un gouvernement conspirateur, détenus en vertu d'ordres arbitraires, il conseille à la société de s'occuper sans retard des moyens légaux de rendre la liberté à ces victimes du despotisme[127].

En même temps, il glorifiait dans des pages énergiques cette Révolution du 10 août, qu'il mettait bien au-dessus de celle de 1789. Alors le peuple, aidé de ceux qu'on appelait grands, s'était levé tumultueusement pour affranchir le pays de l'ancien despotisme plutôt que pour conquérir la liberté ; aujourd'hui, seul pour ainsi dire, livré à lui-même, sans chefs et sans point de ralliement, il avait pris les armes afin de venger les lois fondamentales de sa liberté violée, de faire rentrer dans le devoir tous les citoyens qui conspiraient contre lui, et d'affirmer un fois de plus les principes proclamés trois ans auparavant par ses premiers représentants. Cette nouvelle révolution paraissait à Robespierre la plus belle qui eût honoré l'humanité, la seule dont l'objet fût de fonder enfin les sociétés politiques sur les principes immortels de l'égalité, de la justice et de la raison. Tous les trônes, pensait-il, allaient recevoir la secousse du choc qui venait de briser celui de Louis XVI. La liberté du monde lui semblait devoir être à ia fois l'ouvrage et la récompense de ce peuple magnanime. Français, s'écriait-il en exhortant ses concitoyens à une fermeté inébranlable, et en leur présentant comme un crime contre l'humanité la clémence qui laisserait impunis les tyrans altérés du sang des hommes, Français, n'oubliez pas que vous tenez dans vos mains le dépôt des destinées de l'univers. Ne vous endormez pas au sein de la victoire ; adoptez la maxime d'un grand homme qui croyait n'avoir rien fait tant qu'il lui restait quelque chose à faire. N'oubliez pas que vous avez à combattre la ligue des despotes et à confondre les complots des ennemis les plus dangereux que vous nourrissez dans votre sein. Une gloire immortelle vous attend, mais vous serez obligés de l'acheter par de grands travaux. Restez debout, et veillez. Il ne vous reste plus désormais qu'à choisir entre le plus odieux de tous les esclavages ou une liberté parfaite ; entre les plus cruelles proscriptions et le bonheur le plus pur dont un peuple puisse jouir. Il faut que les rois ou les Français succombent. Telle est la situation où vous place cette lutte glorieuse que vous avez jusqu'ici soutenue contre la royauté. Et comme pour confondre d'avance les détracteurs et les envieux qui devaient l'accuser d'aspirer à la dictature, il ajoutait : Mais, quels que soient vos délégués, gardez-vous de les laisser maîtres absolus de votre destinée, surveillez-les, jugez-les, et réservez-vous dans tous les temps des moyens réguliers et pacifiques d'arrêter les usurpations des hommes publics sur les droits et sur la souveraineté du peuple[128].

Comme il arrive invariablement après toute victoire remportée par le peuple, il ne manqua pas de gens pour s'attribuer le mérite de celle du 10 août, et ceux-là en profitèrent tout d'abord qui n'y avaient pas eu la moindre part, Danton excepté. Beaucoup, après le combat, se posèrent en héros ; plus modeste se montra Robespierre. Nous le voyons faire remonter au peuple seul tout l'honneur de la victoire ; il se contenta d'être l'historiographe des événements[129] ; et, quelques mois plus tard, en rappelant à son ancien ami Pétion, par lequel il venait d'être abandonné, les péripéties de cette journée fameuse, il lui disait : Je ne paraîtrai pas suspect, car j'ai été presque aussi étranger que vous aux glorieux évènements de notre dernière Révolution ; il ne nous reste à tous deux que le plaisir de savoir qu'à cette mémorable époque la patrie a eu beaucoup de défenseurs plus utiles que nous[130]. Et pourtant qui, plus que lui, avait contribué au succès, prêché l'abnégation, soufflé aux masses une indomptable énergie, cherché à asseoir sur les débris du trône le droit, la justice, la liberté ? Ses concitoyens le considérèrent donc avec raison comme un des vainqueurs de cette journée, et le secrétaire greffier de la commune, Coulombeau, exprimait bien le sentiment populaire, lorsqu'en lui adressant, par ordre du conseil général, la médaille commémorative frappée en souvenir de la chute de la royauté, il lui écrivait : Citoyen, je m'empresse de vous envoyer la médaille des hommes du 10 août, et je me félicite d'avoir à rendre cet hommage à l'incorruptible Robespierre[131].

 

XX

Lorsque après de longues hésitations, et après avoir tenté vainement de sauvegarder par les voies légales sa liberté menacée, une nation en est venue à ce parti extrême de changer violemment la forme de son gouvernement, elle est tenue, sous peine de voir lui échapper bientôt les fruits de ses efforts et de sa victoire, de pourvoir elle-même aux exigences du moment, et de ne pas abandonner l'exercice du pouvoir à des mains qui n'avaient pas su garder de toute atteinte les libertés publiques. Ce fut ce que comprirent admirablement nos pères en 1792 quand ils nommèrent le nouveau conseil général qui fut cette fameuse commune du 10 août, tant calomniée par les plumes royalistes et par certains écrivains réputés démocrates. Les sections de Paris sentirent très-bien qu'elles ne pouvaient laisser la direction de la révolution nouvelle à des administrateurs dont un certain nombre étaient attachés au parti de la cour, contre lequel s'était faite cette Révolution.

De tous les gouvernements issus d'une insurrection populaire, la commune du 10 août fut incontestablement le plus légitime, plus légitime que celui qu'en 1830 organisèrent, en fraude du droit national, quelques députés et quelques journalistes sans mandat, plus légitime que le gouvernement provisoire de 18i8. Lorsqu'en cette dernière année le peuple de Paris eut détruit la royauté de Juillet, il ne vint à personne l'idée de permettre à la chambre des députés de continuer l'exercice de son mandat, lequel avait été logiquement brisé en même temps que la charte en vertu de laquelle cette chambre avait été nommée. Les révolutionnaires de 1792 montrèrent plus de condescendance pour l'Assemblée législative, seulement ils ne pouvaient oublier qu'elle venait d'innocenter La Fayette, qu'elle avait éludé la question de la déchéance, et qu'en réalité elle était en grande partie feuillantine ; ils firent donc sagement, en lui maintenant l'exercice du pouvoir exécutif, d'établir à côté d'elle une sorte de gouvernement destiné à lui servir de contre-poids, un corps énergique, enthousiaste, sorti des entrailles mêmes de la Révolution, et décidé cette fois à ne pas la laisser compromettre. L'Assemblée nationale comprit bien elle-même que, pour regagner la faveur populaire dont elle avait joui au début de sa session, elle devait s'élever à la hauteur des circonstances. Dès le 11, se rendant à un vœu bien souvent exprimé par Robespierre, elle effaça cette inique et impolitique distinction de citoyens actifs et de citoyens passifs, établie par l'Assemblée constituante, et Robespierre ne manqua pas de lui en rendre un public hommage[132]. Il regretta toutefois que, sacrifiant les principes à la routine, elle n'eût pas supprimé l'intermédiaire inutile et dangereux de ces collèges électoraux sortis du sein des assemblées primaires, et assuré au peuple la faculté de choisir lui-même ses représentants[133]. Ce qu'il voulait, nous l'avons déjà dit, c'était le suffrage universel, dans toute sa plénitude, c'est-à-dire le mode d'élection le plus simple, le plus rationnel et le plus juste.

Nommé, comme on l'a vu, député au conseil général de la commune par la section de la place Vendôme, Robespierre se rendit sans retard à son poste. Les commissaires élus les premiers avaient commencé par faire enlever de la maison commune les bustes de Louis XVI, de Bailly et de La Fayette précieusement conservés par l'ancienne municipalité. C'était le 10. Dans la soirée, la nouvelle commune vota l'établissement d'un tribunal destiné à juger tous ceux qui avaient conspiré la ruine de la Révolution et préparé le massacre du peuple. Cette mesure, provoquée par la commune dans le but de prévenir les excès auxquels on savait trop disposée à se livrer une population irritée, si les coupables n'étaient pas déférés à la justice, l'Assemblée nationale aussi la crut indispensable. Dans la matinée du lendemain, elle décréta la formation d'une cour martiale chargée de juger tous les Suisses, sans désemparer, et dont les membres devaient être nommés par le commandant général provisoire de la garde nationale[134]. Les écrivains hostiles à la Révolution ont soigneusement mis en relief toutes les dispositions sévères prises par cette commune du 10 août, et exigées par la situation, mais ils se sont bien gardés de révéler les actes qui la recommandent à notre reconnaissance, ses efforts pour apaiser la fermentation, sa prodigieuse activité pour mettre le pays en état de défense et pousser aux frontières les volontaires dont elle pressait l'enrôlement. Nous avons sous les yeux les registres mêmes des procès-verbaux de la commune, et si dans les milliers d'arrêtés rendus par elle, il en est quelques-uns qu'on peut regretter au point de vue de la modération, combien sont marqués au cachet du patriotisme et de l'humanité ! Sans doute elle paraît impitoyable cette proclamation dans laquelle on lit : Peuple, suspens ta vengeance, tous les coupables vont périr sur l'échafaud. Mais l'impression d'épouvante s'efface tout de suite, si l'on vous dit que cette proclamation, rédigée à l'heure où l'Assemblée nationale créait une cour martiale, fut faite uniquement afin d'empêcher le peuple de se jeter sur les Suisses et de les égorger. Sans doute on regrette l'arrêté en vertu duquel furent confisquées les presses d'un certain nombre de feuilles royalistes ; mais il faut se rappeler les excès commis contre les journalistes patriotes après la journée du 17 juillet 1791, et se dire que, si le parti de la cour eût été victorieux, la plupart des écrivains royalistes, dont les exagérations étaient au moins égales à celles d'Hébert et de Marat, eussent poussé le gouvernement à user des dernières rigueurs envers les vaincus, et applaudi aux vengeances les plus sanguinaires. N avons-nous pas vu, il n'y a pas si longtemps, les gens modérés se jeter comme des Vandales sur les presses d'un journal démocratique ?

La commune du 10 août, on peut l'affirmer hardiment, se montra toujours animée des plus pures, des meilleures intentions. Ayant appris qu'une multitude égarée se portait sur le Louvre, où demeuraient alors plusieurs artistes, entre autres le grand David, elle lançait immédiatement une proclamation où il était dit : Les logements habités par les artistes, récompense des talents et des Services qu'ils ont rendus à la patrie, n'ont aucune communication avec la galerie suspecte d'où les ennemis du peuple ont fait feu sur lui. La commune de Paris regarde comme un devoir de préserver le peuple d'une telle erreur et de manifester l'estime qu'elle porte à ces citoyens[135]. Un autre jour, un de ses membres lui ayant annoncé que deux femmes se trouvaient détenues dans les prisons de la Force sans qu'il y eût contre elles aucune preuve de délit, elle chargeait les conseillers Roussel et Darnaudri d'aller tout de suite s'assurer des faits, de mettre ces deux femmes en liberté si elles n'étaient coupables, et de leur faire donner tous les secours nécessaires[136]. Quelle férocité ! Et comme en temps ordinaire on a soin de prendre de telles précautions !

Robespierre parut à la commune dès le 12. Il se montra assez assidu aux séances du conseil général jusqu'au 26 du mois d'août, époque à laquelle, choisi comme président par l'assemblée primaire de sa section, puis appelé par les électeurs de Paris à siéger au sein de l'assemblée électorale chargée de nommer les députés à la Convention nationale, il ne vint plus au conseil général qu'à des intervalles assez éloignés. Nous allons le suivre jour par jour, heure par heure pour ainsi dire, les documents originaux sous les yeux, et nos lecteurs sauront de la façon la plus précise dans quelle mesure il s'associa aux travaux du conseil général de la commune, depuis le 11 août, jour où il fut nommé commissaire par la section de la place Vendôme, jusqu'à l'ouverture des séances de la Convention.

 

XXI

Le premier acte de Robespierre au sein du conseil général de la commune fut de rendre compte (séance du 12 août) d'un décret voté dans la matinée par l'Assemblée législative et portant réorganisation du directoire du département de Paris. On n'a pas oublié ce qu'était l'ancien directoire : composé de membres dévoués à la cour, et dont la plupart s'étaient démis de leurs fonctions peu de jours avant les événements du 10 août, il avait été souvent en lutte avec l'ancienne municipalité, et la suspension de Pétion et de Manuel avait achevé de le perdre dans l'esprit du peuple. L'Assemblée législative avait donc décidé, sur le rapport de Guyton-Morveau, que chacune des sections de Paris nommerait un de ses membres pour remplir provisoirement les fonctions d'administrateur du département ; mais elle avait laissé la porte ouverte à un nouvel antagonisme entre le directoire et la commune, en ne modifiant pas les fonctions du directoire et en lui laissant par conséquent sur le conseil général une prépondérance dont ses anciens membres s'étaient constamment prévalus.

Robespierre vit là un danger. Une récente expérience lui avait appris combien était périlleuse pour la bonne administration de la ville de Paris, et aussi pour la liberté, la rivalité existant forcément, pour ainsi dire, entre deux corps administratifs qui se jalousaient nécessairement i l'un l'autre. En conséquence, il proposa à ses collègues de solliciter de l'Assemblée nationale le rapport de son décret. Le conseil général, entrant sans discussion dans ses vues, arrêta immédiatement qu'une députation serait envoyée à l'Assemblée pour la prier de revenir sur sa décision.

Chargé de porter la parole, Robespierre tint à l'Assemblée nationale un langage ferme, mais plein de convenance, et nullement irrespectueux, comme le lui reprocha un peu plus tard, en termes si peu mesurés, le girondin Louvet dans la ridicule accusation dont il le poursuivit. Entre le peuple et vous, il ne saurait exister d'intermédiaire désormais, disait Robespierre. Nommés par le peuple avec des pouvoirs illimités afin de veiller à sa sûreté, d'assurer le triomphe de la Révolution et de la liberté, les membres du conseil général verraient avec peine s'élever à côté d'eux une nouvelle autorité rivale, qui, comme sa devancière, ne ferait peut-être qu'embarrasser la marche de la commune et rendrait aux ennemis de la liberté de coupables espérances. — Craignez-vous, ajoutait-il, de vous reposer sur la sagesse du peuple, qui veille pour le salut de la patrie qui ne peut être sauvée que par lui ? C'est en établissant des autorités contradictoires qu'on a perdu la liberté ; ce n'est que par l'union, la communication directe des représentants avec le peuple qu'on pourra la maintenir. Daignez nous rassurer contre les dangers d'une mesure qui détruirait ce que le peuple a fait ; daignez nous conserver les moyens de sauver la liberté. C'est ainsi que vous partagerez la gloire des héros conjurés pour le bonheur de l'humanité ; c'est ainsi que, près de finir votre carrière, vous emporterez avec vous les bénédictions d'un peuple libre. Il terminait en conjurant l'Assemblée de prendre en considération l'arrêté du conseil général et de ne pas donner de remplaçant à l'ancien directoire du département[137]. De vifs applaudissements accueillirent ses paroles. Thuriot appuya la pétition de la commune, Lacroix également ; celui-ci demanda seulement qu'on laissât subsister la section du directoire chargée de la partie des contributions. Cette proposition fut adoptée sur-le-champ.

Cela, paraît-il, ne fut nullement du goût des meneurs de la Gironde. Le ministre Roland motiva sur le premier décret la lettre de convocation pour la nomination des membres provisoires du directoire, sans indiquer la modification arrêtée le soir même ; cette circonstance amena, quelques jours plus tard, le 22 août, le conseil général à décider qu'une nouvelle députation serait envoyée à l'Assemblée afin de réclamer la conversion du nouveau directoire en pure et simple commission de contributions, comme cela avait été convenu en principe. Ce nouveau titre, déterminant clairement les attributions du directoire, devait, dans la pensée de la commune, prévenir désormais tout conflit d'autorité, si dangereux dans les circonstances présentes. Ceci, du reste, d'accord avec les membres nommés pour remplacer l'ancien directoire, lesquels, étant venus, ce jour-là même, jurer fidélité au sein du conseil général, avaient déclaré ne vouloir d'autre titre que celui de commission administrative, et s'étaient offerts à accompagner à la barre de l'Assemblée nationale les délégués de la commune.

Cette fois encore, comme cela était bien naturel, Robespierre parla au nom de ses collègues. Il se borna à raconter ce qui s'était passé au sein du conseil général et termina ses très-courtes observations en priant l'Assemblée de consacrer par un décret ce grand acte de fraternité et d'union[138]. Hérault-Séchelles présidait. Il adressa aux pétitionnaires une allocution toute fraternelle, exprima une opinion entièrement favorable à leur demande, et les invita aux honneurs de la séance. Mais en ce moment un député s'éleva très-vivement contre la pétition dont Robespierre était l'organe, et ce député c'était Lacroix, le même qui, peu de jours auparavant, avait proposé à l'Assemblée de laisser subsister de l'ancien directoire la section chargée des contributions[139]. Or la commune ne demandait pas autre chose.

Que s'était-il donc passé depuis ? Lacroix était ici l'interprète des Girondins. Évidemment les hommes de ce parti, redoutant l'influence que la suppression du directoire allait donner à cette commune au sein de laquelle siégeait un homme à qui ils avaient voué une haine mortelle, formèrent le complot d'arracher à l'Assemblée le rapport de son décret, et ils arrivèrent à leur but[140]. Plus tard, Lacroix, dans le dessein d'appuyer l'accusation présentée par Louvet, prétendit qu'alors Robespierre avait menacé l'Assemblée d'un nouveau tocsin ; mais il reçut un démenti formel, auquel il ne répondit pas. Loin de là, Maximilien avait blâmé hautement un de ses collègues à qui un mouvement d'humeur avait arraché en effet quelque propos de ce genre, et plusieurs anciens membres de l'Assemblée législative, devenus députés à la Convention nationale, attestèrent la vérité de ce fait[141].

Robespierre ne s'était pas trompé sur le sens et sur la portée de ce brusque changement ; il avait bien senti d'où le coup était parti. Étant retourné à la commune pour y rendre compte de sa mission, il parla de l'Assemblée législative dans les termes les plus convenables, mais ne se priva point de s'exprimer avec sa franchise accoutumée sur quelques-uns des membres de la commission des Vingt-et-un, où dominaient les amis de Brissot, qui, au lieu de chercher à rapprocher l'Assemblée et la commune et de ménager entre elles une bonne entente, si nécessaire au salut du pays, ne songeaient qu'à jeter dans ces deux corps des ferments de discorde et de désunion[142].

Dans l'intervalle de ces deux démarches auprès de l'Assemblée législative, Robespierre s'était présenté à sa barre, non plus cette fois au nom de la commune, mais à la tête d'une députation de citoyens envoyée par la section de la place Vendôme. C'était le 14 août. La statue équestre de Louis XIV sur la place Vendôme ayant été renversée par le peuple, les membres de la section eurent l'idée d'élever à l'endroit où était la statue du despote un monument en l'honneur des citoyens morts en combattant pour la liberté. Dès le 11, ils avaient prié Robespierre de vouloir bien exprimer, dans une adresse à l'Assemblée nationale, le vœu de la section dont il était membre, et le 13, ils avaient adopté par acclamation la pétition qu'à la prière de ses concitoyens Robespierre avait rédigée[143]. De nombreux applaudissements accueillirent à l'Assemblée l'arrivée des commissaires de la section de la place Vendôme[144]. Dans une courte harangue, Robespierre s'attacha à établir que la mort la plus méritante était celle qu'on recevait en défendant la cause de la liberté. Jusqu'ici cependant on n'avait rien fait afin d'honorer la mémoire des citoyens qui avaient péri pour affranchir le pays. Les héros populaires du 10 août étaient-ils inférieurs à ceux de Rome et d'Athènes ? Et Marseille, Paris et Brest avaient-ils quelque chose à envier à Sparte ? Trop d'honneurs sacrilèges avaient été jusqu'à ce jour prodigués aux traîtres et aux assassins du peuple ; c'était le moment de faire pour les défenseurs des droits de l'humanité ce que les tyrans étaient si empressés de faire pour eux et pour leurs complices. Députés du peuple, ajoutait Robespierre, hâtez-vous de consacrer par des hommages solennels la gloire des martyrs de la liberté et d'encourager les vertus dont nous avons besoin[145]. De nouvelles acclamations accueillirent ces paroles ; les pétitionnaires obtinrent les honneurs de la séance et traversèrent la salle au milieu des applaudissements. La pétition fut renvoyée au comité d'instruction publique, et je ne sache pas qu'il y ait été jamais donné suite : la place Vendôme resta veuve de la pyramide promise aux mânes des victimes du 10 août. Un monument se dresse bien, fier et menaçant le ciel, sur cette place élégante et correcte, mais ce n'est pas un souvenir de la liberté !

 

XXII

On était au 15 août, et le tribunal destiné à juger tous les complices de la cour n'était pas encore formé ; il était à craindre que de plus longs délais n'irritassent l'impatience populaire. La cour martiale, décrétée par l'Assemblée législative sur la proposition de Lacroix, était appelée à prononcer sur le sort des Suisses ; mais était-à juste de s'en prendre seulement à ces instruments passifs du despotisme, à ces esclaves de la discipline militaire, et l'impunité serait-elle réservée aux véritables coupables ? Renverrait-on ceux-ci devant le tribunal criminel du département ? Mais pour juger des crimes et des délits sortant de la catégorie des crimes et des délits communs, il fallait, pensait-on, un tribunal extraordinaire, statuant en dernier ressort. Ce fut l'avis du conseil général de la commune. Dans la séance du 15, il chargea six de ses membres : Robespierre, Véron, Michel, Blet, Moulin et Gaudichon, d'aller transmettre à l'Assemblée nationale son opinion à cet égard.

Les commissaires de la commune se présentèrent à l'Assemblée dans la soirée au moment où l'un de ses membres venait de proposer l'incarcération, jusqu'à la fin de la guerre, de toutes les personnes convaincues d'incivisme. C'était ce que plus tard Robespierre appela faire la guerre aux opinions, lesquelles lui semblèrent toujours devoir être à l'abri de toutes recherches, du moment où elles ne se traduisaient point par des actes hostiles a la Révolution. Chargé de prendre la parole au nom de ses collègues de la commune, il s'efforça de démontrer l'insuffisance du décret rendu le 11, applicable seulement à une certaine catégorie d'individus, et où il n'était question que des crimes commis dans la journée du 10. Or, disait l'orateur de la commune, les plus coupables parmi les conspirateurs n'ont point paru dans cette journée : l'impunité leur serait donc assurée ? Ces hommes qui se sont couverts du masque du patriotisme pour tuer le patriotisme ; ces hommes qui affectaient le langage des lois pour renverser toutes les lois, ce La Fayette, qui n'était peut-être pas à Paris, mais qui pouvait y être, ils échapperaient donc à la justice nationale ? Ces paroles furent couvertes d'applaudissements ; et cependant, peu de jours auparavant, le général avait été scandaleusement innocenté par l'Assemblée. Aujourd'hui, il est vrai, elle n'était plus guère composée que de membres ayant voté les conclusions du rapport de Brissot contre La Fayette. Environnée de la confiance du peuple, l'Assemblée, disait encore Robespierre, se devait à elle-même de ne pas rendre de lois contraires au vœu unanime, et il terminait en la priant de décréter que les coupables seraient jugés souverainement et en dernier ressort par des commissaires pris dans chaque section. Après avoir accueilli par de nouveaux applaudissements la fin de ce discours, l'Assemblée accorda aux pétitionnaires les honneurs de la séance, décréta, en principe, l'établissement d'un tribunal populaire, et, pour le mode d'exécution, chargea la commission des Vingt-et-un de faire, séance tenante, un rapport[146].

Rapporteur de cette commission, Brissot, trouvant contraire aux principes l'établissement d'un tribunal extraordinaire, proposa à l'Assemblée de laisser au tribunal criminel du département le soin de la répression des crimes du 10 août, d'instituer seulement un nouveau jury, et d'ordonner à cet effet aux quarante-huit sections de Paris de nommer chacune quatre jurés. L'Assemblée adopta ces conclusions assez peu logiques cependant ; car pourquoi tant de méfiance à l'égard de l'ancien jury, et tant de confiance à l'égard des juges chargés d'appliquer la loi ? En vain Brissot se retrancha-t-il hypocritement derrière les principes, il fallait être conséquent alors, et ne rien modifier. Mais il lui suffisait qu'une mesure quelconque eût été proposée par l'organe de Robespierre pour qu'il crût devoir la combattre. Le lendemain, dans son propre journal, il se flatta d'avoir aisément prouve l'inadmissibilité de la pétition présentée par Robespierre, laquelle, selon le Patriote français, ne représentait nullement le vœu de la commune. Celle-ci, au dire de la feuille girondine, s'était contentée de demander que le recours au tribunal de cassation ne pût avoir lieu[147]. Or, c'était une allégation purement mensongère. Dès le 14 août, le conseil général avait chargé Robespierre, Audoin et Tallien de rédiger une adresse à l'Assemblée nationale pour la prier de déterminer un mode de décret sur la cour martiale[148], et le lendemain elle avait jugé utile de solliciter aussi la suppression de tout recours en cassation. Robespierre avait été l'interprète de ce double vœu. Du reste, la commune donna elle-même au Patriote français un démenti sanglant. Peu satisfaite du décret rendu sur le rapport de Brissot, ne comprenant pas bien pourquoi l'Assemblée, en changeant complètement l'ancien jury, avait conservé le personnel des juges, et se fondant d'ailleurs sur ce que le tribunal criminel du département ne jouissait pas de la confiance du peuple, elle délégua, dans sa séance du 16, cinq de ses membres, Truchon, Dervieux, Lullier, Pepin et Bourdon, pour prier l'Assemblée nationale de fixer le mode le plus prompt de remplacer ce tribunal[149]. Cette fois, Robespierre ne faisait point partie de la députation. Les nouveaux commissaires se présentèrent, le lendemain 17, à la barre ; l'Assemblée se rendit à leurs observations, et, séance tenante, revenant sur son décret de l'avant-veille, elle décida, sur la proposition de Hérault-Séchelles, qu'un corps électoral, composé d'un électeur par chaque section de Paris, nommerait sur-le-champ un tribunal criminel spécial, destiné à juger les crimes relatifs à la journée du 10 août[150].

Dès le soir même, les électeurs, désignés aussitôt par les sections de Paris, se réunirent dans une des salles de l'Hôtel-de-Ville, afin de procéder à la formation de ce tribunal. Le premier nom sorti de l'urne fut celui de Robespierre, qui se trouvait ainsi de droit président de la nouvelle cour[151]. Les électeurs nommèrent ensuite pour, juges Osselin, Mathieu, Pepin-Desgrouettes, Lavaux, Dubail et Coffinhal, ce dernier à la place de Truchon, non acceptant[152], et pour accusateurs publics Lullier et Réal. Quatre greffiers, sept jurés, qui furent Leroy, Blandin, Botot, Lohier, Loiseau, Perdrix et Caillières de l'Étang, et huit suppléants, complétèrent l'organisation de ce tribunal extraordinaire.

Par des motifs dont tout le monde appréciera la délicatesse, Robespierre refusa d'accepter les hautes fonctions auxquelles il venait d'être appelé, et où il eut été en quelque sorte juge et partie. Comme une coterie d'envieux et d'intrigants ne pouvait laisser passer aucun de ses actes sans le travestir et l'incriminer, on ne manqua pas de jeter des nuages sur son refus, et de propager contre lui des insinuations malveillantes. Il crut alors devoir informer lui-même le public de ses motifs : J'ai combattu, depuis l'origine de la Révolution, écrivit-il, la plus grande partie des criminels de lèse-nation. J'ai dénoncé la plupart d'entre eux ; j'ai prédit tous leurs attentats, lorsqu'on croyait encore à leur civisme ; je ne pouvais être le juge de ceux dont j'ai été l'adversaire, et j'ai dû me souvenir que s'ils étaient les ennemis de la patrie, ils s'étaient aussi déclarés les miens. Cette maxime, bonne dans toutes les circonstances, est surtout applicable à celle-ci ; la justice du peuple doit porter un caractère digne de lui, il faut qu'elle soit imposante autant que prompte et terrible. L'exercice de ces nouvelles fonctions était incompatible avec celles de représentant de la commune qui m'avaient été confiées : il fallait opter ; je suis resté au poste où j'étais ; convaincu que c'était là où je devais actuellement servir la patrie[153]. Ainsi donc, à des fonctions importantes et lucratives, Robespierre préféra son simple titre de membre du conseil général de la commune, où il ne figura d'ailleurs dans aucune espèce de commission. On essaya cependant de l'attacher par certains liens au ministère, devenu pouvoir exécutif provisoire, et il fut appelé à siéger au sein du conseil de justice établi près le ministère de la justice, mais il déclina également cet honneur, en invoquant une partie des raisons qui l'avaient déterminé à refuser les fonctions de président du tribunal du 17 août[154]. Cet ambitieux ne voulant d'aucune place, les Girondins, dont les créatures occupaient à présent les plus hautes positions dans l'État, l'accuseront bientôt d'aspirer au pouvoir suprême. Quels logiciens !

 

XXIII

Jusqu'au jour où, nommé membre de l'assemblée électorale chargée d'élire les députés à la Convention nationale pour le département de Paris, il cessa presque complètement d'aller à la commune, Robespierre suivit assez régulièrement, avons-nous dit, les délibérations du conseil général. Mais, comme il le déclara un jour à la Convention sans rencontrer de contradicteur, il ne se mêla jamais, en aucune manière, de la moindre opération particulière[155]. Il ne présida pas un seul instant, comme plusieurs écrivains l'ont avancé par erreur, la formidable commune, et n'eut pas la moindre relation avec le fameux comité de surveillance. En certaines occasions seulement, assez rares d'ailleurs, il fut la parole et la plume du conseil général.

A cette époque régnait dans Paris -un agiotage effréné. C'est, hélas ! un des plus tristes spectacles, dans nos troubles publics, que de voir tant de gens chercher à faire des malheurs de la patrie des instruments de fortune. Déjà commençaient à s'exercer sur une vaste échelle ces accaparements, source de souffrances pour la population, et qui nécessiteront plus tard, au milieu des plus graves complications, plus d'une loi fatale à la liberté du commerce. La commune, comme frappée d'avance du prochain danger, chargea Robespierre et Lavaux de se concerter avec le maire sur les moyens les plus propres à détruire l'agiotage et les accaparements[156]. Mais il ne fut guère possible à ces commissaires de résoudre cette question avec le maire de Paris. Pétion, tout abasourdi encore de la Révolution du 10 août, que, de concert avec ses amis de la Gironde, il avait essayé d'ajourner indéfiniment, assistait rarement, dans le principe, aux séances de la nouvelle commune, préférant, comme le lui reprocha un jour Robespierre, tenir conseil soit chez lui, soit au comité des Vingt et un, pour comploter le rétablissement de l'ancienne municipalité. Celle-ci en effet, entièrement à sa dévotion, eût assuré aux Girondins, maîtres de l'Assemblée nationale, et qui gouvernaient le maire de Paris, une domination sans bornes.

Pétion était venu pour la première fois à la commune, depuis l'insurrection, trois jours seulement après la prise des Tuileries, et, parlant pour ainsi dire au nom de ses amis de la commission des Vingt et un, il avait annoncé que l'Assemblée législative voulait légaliser la Révolution, confirmer toutes les opérations de la commune du 10 août, et rappeler la municipalité évincée[157] : comme si, après la dernière révolution, l'Assemblée législative avait qualité pour cela ; comme si les nouveaux conseillers municipaux n'avaient pas reçu des sections de Paris pleins pouvoirs pour sauver la patrie. La proposition du maire n'était guère de nature à être favorablement accueillie. Pétion se retira fort mécontent du peu de succès de sa démarche ; et de quelques jours il ne reparut plus. Le 17 août, le conseil général se vit obligé de prier Robespierre, dont on connaissait la vieille amitié pour le maire de Paris, d'aller en personne chez lui, et de l'inviter à se rendre au sein de la commune afin de prendre, de concert avec elle, les mesures les plus propres à assurer la tranquillité publique[158]. Le conseil général, tant calomnié, cherchait, par tous les moyens en son pouvoir, non-seulement à préserver la patrie des entreprises de l'émigration et des puissances coalisées, mais à rétablir dans Paris l'ordre matériel, à donner la sécurité aux citoyens. Que si, dans ces circonstances tout à fait exceptionnelles, la commune fut dans la nécessité de recourir à des mesures extraordinaires, elle suivit à cet égard l'exemple de l'Assemblée législative ; en beaucoup de cas même, elle se contenta d'exécuter les décrets de cette dernière : c'est ce dont on se convaincra tout à l'heure.

Cependant une certaine inquiétude s'était emparée des esprits : quelle conduite allait tenir l'armée ? Des nouvelles peu rassurantes vinrent coup sur coup jeter dans Paris de nouveaux ferments d'irritation. On apprit que, par un ordre du jour en date du 13 août, La Fayette avait engagé ses troupes à se joindre à lui afin de rétablir la constitution, et qu'à son instigation le directoire du département des Ardennes avait protesté contre les événements du 10 août et mis en état d'arrestation les députés Kersaint, Péraldy et Antonelle, commissaires de l'Assemblée nationale près l'armée de la Moselle. Dans la soirée du 17, Robespierre se montra aux Jacobins, où, depuis la journée du 10, on ne l'avait pas entendu. Justement on venait de dénoncer l'arrêté séditieux des administrateurs des Ardennes. Montant alors à la tribune, il blâma vivement l'Assemblée législative de n'avoir pas encore statué sur le sort de La Fayette, quand elle n'avait pas craint de frapper le roi. Si un directoire égaré avait osé se montrer aussi violemment séditieux, n'était-ce point parce qu'il comptait sur ce général et sur son armée ? Et si La Fayette lui-même poussait l'audace jusqu'à marcher sur Paris, n'était-ce point parce qu'il espérait bien qu'à son approche la majorité de l'Assemblée, dont il connaissait les sentiments, se joindrait à lui ? Cette majorité, il est vrai, se tenait présentement à l'écart ; mais tout le côté droit, tous les députés qui avaient voté pour La Fayette, et même certains membres qui ne siégeaient pas à droite lui paraissaient attendre avec impatience la venue du général, afin de prendre, appuyés de son épée, l'initiative de la réaction. Voilà, dit-il en terminant, les dangers auxquels on est encore exposé, et l'orage qu'il y a à conjurer[159]. Baumier proposa ensuite à la société de demander formellement à l'Assemblée nationale, par voie de pétition, qu'elle déclarât La Fayette traître à la patrie.

L'Assemblée, du reste, n'avait pas besoin d'être poussée, pour rentrer dans la voie des rigueurs, auxquelles, dès les premiers mois de sa session, nous l'avons vue se résoudre. Elle y fut ramenée par la force même des choses. Dès le 15 août, elle avait, sur la proposition de Merlin (de Thionville), décrété que Louis XVI, les femmes et les enfants des émigrés, serviraient d'otages à la nation ; et, dans la même séance, elle avait mis en état d'accusation les anciens ministres Duportail, Duport du Tertre, Tarbé, Montmorin, Bertrand de Molleville, ainsi que Barnave et Alexandre Lameth, fortement compromis l'un.et l'autre par les pièces trouvées au château des Tuileries. La cour, s'écria Cambon, croyait que le jour des vengeances était arrivé pour elle, ces jours doivent être au contraire ceux de la justice du peuple[160]. Le 17, l'Assemblée décrétait d'accusation et renvoyait devant le tribunal criminel le directoire du département de la Somme, qui avait refusé de transcrire sur ses registres les décrets rendus depuis le 10, elle chargeait trois nouveaux commissaires, Isnard, Quinette et Gaudin, de se rendre dans le département des Ardennes, et le lendemain, après avoir voté l'arrestation des administrateurs de ce département, elle rappelait La Fayette, et confiait à Dumouriez le commandement de son armée. Le général essaya en vain d'ébranler ses bataillons, de les entraîner vers Paris ; fidèles à la Révolution, les soldats demeurèrent sourds à la voix de leur chef. A ses exhortations impuissantes, ils répondirent par les cris mille fois répétés de : VIVE LA NATION, VIVE LA LIBERTÉ, VIVE L'ÉGALITÉ ! Sentant la contre-révolution vaincue, La Fayette se décida à échapper par la fuite à une condamnation certaine, et dans la nuit du 19 août, il quitta précipitamment son armée, accompagné de quelques-uns de ses officiers. On sait comment, arrêté aux avant-postes autrichiens, il fut jeté dans les cachots d'Olmutz, et préservé peut-être, par la prison, du déshonneur de tirer l'épée contre la France. Dans la journée même de son triste départ, il était enfin décrété d'accusation par l'Assemblée nationale[161].

La nouvelle du blocus de Longwy par les Prussiens n'était guère de nature à calmer l'irritation des esprits ; la fureur fut au comble quand, le 26, on connut la reddition de cette ville, reddition à laquelle la trahison n'avait pas été étrangère. Le même jour, l'Assemblée venait de voter contre les prêtres insermentés un terrible décret, en vertu duquel tous les ecclésiastiques qui, dans le délai de quinze jours, n'auraient point prêté le serment prescrit par les lois du 26 décembre 1790 et du 17 avril 1791, et n'auraient pas évacué le territoire français ce délai passé, seraient transportés à la Guyane[162]. Dans la séance du soir, saisie d'un sombre enthousiasme, elle décrétait : que tout citoyen armé d'un fusil serait tenu de partir ou de le remettre ; que tout citoyen, qui dans une ville assiégée parlerait de se rendre, serait puni de mort[163]. Le 28, elle autorisait les municipalités à opérer des visites domiciliaires et à désarmer tous les gens suspects, pour donner leurs armes aux défenseurs de la patrie. Ce jour-là, Couthon, revenu des Boues de Saint-Amand, avait repris sa place au sein du Corps législatif, dont les chaleureux applaudissements avaient salué son retour[164]. Le 31 août, connaissant les honteux détails de la reddition de Longwy, l'Assemblée nationale, sur le rapport présenté par Guadet au nom de la commission des Vingt et un, décidait qu'aussitôt que cette ville serait rentrée au pouvoir de la nation française, toutes les maisons, sauf les édifices nationaux, seraient démolies et rasées, et que ses habitants étaient, dès à présent, privés pour dix années des droits de citoyens français. Les représentants du peuple, on le voit, n'attendaient pas la Convention nationale pour se montrer inflexibles et opposer des cœurs d'airain à la mauvaise fortune.

Le langage commence à revêtir, même dans les bouches les plus modérées, un caractère d'une excessive violence. L'avant-veille, le 29, on avait entendu Lamourette, l'évêque au baiser fameux, prononcer de terribles paroles contre la famille royale transférée depuis peu au Temple. Je n'aime point la cohabitation de Louis XVI avec sa famille. Soyez bien certains, messieurs, qu'on aura déjà trouvé le moyen de ménager des communications entre le Temple et Coblentz, entre Marie-Antoinette et les restes méprisables de sa ci-devant cour, qui ont échappé, le 10 de ce mois, à la justice du peuple. Eh ! n'est-ce pas assez, messieurs, que cette femme atroce et sanguinaire, que cette femme bourreau, qui médite jusqu'au fond de la retraite qu'elle habite les moyens de se baigner dans notre sang ; n'est-ce pas assez que cette femme respire encore, sans que vous la laissiez jouir de la liberté d'exhaler sa rage au sein de la nature et de se renouer au dehors à tout ce qui nous trahit ?[165] C'était un évêque qui s'exprimait ainsi !

On voit combien ridicules ou de mauvaise foi sont les écrivains qui s'ingénient à rejeter sur Robespierre la responsabilité des violences de la Révolution. Lui aussi sans doute paya son tribut à des exagérations de langage dues à l'exagération même du péril, et auxquelles, en ces temps étranges et formidables, personne n'échappa ; mais ce qu'il poursuivait avec tant d'ardeur, c'était la réalisation d'un gouvernement fondé sur le droit, sur la liberté, sur l'égalité ; et jamais, nous allons le prouver jusqu'à l'évidence, il ne conseilla au peuple des actes que la justice ait à déplorer et dont l'humanité ait à gémir.

 

XXIV

Ce fut au milieu de tant de préoccupations et d'inquiétudes que les assemblées primaires de Paris se réunirent afin de former le corps électoral chargé d'élire les députés à la Convention nationale. Elles tinrent leur première séance le 26 août 1792. Leurs opérations se prolongèrent assez avant dans le mois suivant ; aussi verrons-nous le corps électoral commencer à procéder aux élections avant d'être au complet. Elles nommèrent à peu près un millier d'électeurs[166], au nombre desquels nous voyons figurer Louis-Philippe d'Orléans, David, Réal, le peintre Cietty, une des futures victimes de Thermidor, Royer, qui fut depuis Royer-Collard, et Coffinhal, nommés tous deux par la même section — celle de la Fraternité —, l'horloger Breguet, Manuel, Pons de Verdun, Hanriot, Danton, Camille Desmoulins, et tant d'autres que la Révolution, comptera pour victimes ou qui la trahiront. La section de la place Vendôme, dont le nom allait bientôt être changé en celui de section des Piques, et à laquelle, avons-nous dit déjà, appartenait Robespierre, avait à nommer seize électeurs. Ce fut le 27 seulement qu'elle se constitua en assemblée primaire, et à l'unanimité des suffrages elle élut Maximilien pour son président. Ses opérations se trouvèrent complètement terminées le 31 août, après avoir duré chaque jour, depuis le 28, de quatre heures à onze heures du soir. Elle tint même séance pendant toute la nuit du 29 au 30, en raison des circonstances extraordinaires. Robespierre, souffrant, dut se faire remplacer pour cette nuit, mais le lendemain 30 il reprit ses fonctions[167]. Dès le 28, il avait été nommé premier électeur à l'unanimité des suffrages, moins un[168]. Duplay, son hôte, et Laignelot, son futur collègue à la Convention, furent également députés par la même section à l'assemblée électorale du département de Paris[169]. Les élections se faisaient alors par appel nominal, et à haute voix ; les hommes de cette époque ne redoutaient pas de rendre leurs suffrages publics. Robespierre, on l'a vu, avait demandé la suppression de l'inique division des citoyens en actifs et passifs, et la nomination directe des députés à la Convention par les assemblées primaires ; l'Assemblée législative, en se rendant au premier de ces vœux, avait repoussé le second et maintenu le suffrage à deux degrés. Pour remédier à ce mode vicieux, plusieurs sections, celles de la place Vendôme et des Halles, entre autres, déclarèrent formellement qu'elles se réservaient le droit d'accepter ou de refuser les députés choisis par l'assemblée électorale[170]. Conformément à cette déclaration, ratifiée par toutes les assemblées primaires, le conseil général de la commune décida, dans la séance du 28 août, que les députés choisis par les électeurs de Paris seraient individuellement soumis à la sanction de toutes les sections et de toutes les municipalités du département[171].

La veille avait eu lieu la fête des Morts[172]. Cette cérémonie funèbre en l'honneur de toutes les victimes populaires immolées par la réaction depuis le commencement de la Révolution, jointe à l'invasion du territoire, à la nouvelle de la prise de Longwy, produisit sur les esprits je ne sais quelle impression terrible, et ouvrit dans les cœurs de sombres abîmes. Tout allait concourir à pousser les choses au point où les nations aveuglées croient devoir demander leur salut aux moyens les plus exécrables. Le 28 août, dans la soirée, tous les ministres se rendirent au sein de l'Assemblée législative. Danton monta à la tribune. Ses paroles, empreintes d'une grandeur sauvage, qui ne les a encore présentes à la pensée ? ... C'est par une convulsion que nous avons renversé le despotisme, ce n'est que par une grande convulsion nationale que nous ferons rétrograder les despotes... On a fermé les portes de la capitale, on a eu raison : il était important de se saisir des traîtres ; mais y en eût-il trente mille à arrêter, il faut qu'ils soient arrêtés demain... Nous vous demandons que vous nous autorisiez à faire faire des visites domiciliaires... L'Assemblée vota toutes les mesures demandées par le ministre de la justice. Dès le lendemain, le conseil général de la commune chargeait six de ses membres, Chaumette, Huguenin, Félix, Sigaud, Truchon et Guiraut, de se concerter afin d'effectuer l'arrestation des mauvais citoyens qui se cachaient depuis le 10, et toute la nuit du 29 au 30 fut employée aux visites domiciliaires. D'autres ont raconté les émotions de cette nuit lugubre ; passons ; j'ai hâte de revenir à mon sujet. Trois mille personnes environ furent arrêtées ; mais, le lendemain même, les sections chargées par la commune de statuer sur le sort des prisonniers[173], en relâchèrent la plus grande partie.

L'Assemblée nationale s'était donc mise parfaitement au diapason de la commune révolutionnaire du 10 août. C'était elle, et non la commune, qui avait eu l'idée de déporter à la Guyane les prêtres réfractaires, et ceux de nos lecteurs qui voudront se donner la peine de lire l'arrêté pris par le conseil général pour l'exécution du décret concernant les ecclésiastiques verront qu'il est loin de renchérir sur les mesures sévères ordonnées par le Corps législatif[174]. De la part de l'Assemblée, il y eut jalousie, voilà tout. La Gironde y dominait, et elle ne pouvait pardonner au conseil général, où son influence était nulle, d'exercer une autorité qu'il tenait pourtant du libre suffrage des sections parisiennes. Nous allons montrer de quel prétexte insignifiant elle se servit pour essayer de briser la commune.

Brissot avait pour rédacteur principal de sa feuille un écrivain nommé Girey-Dupré, dont il a été déjà question. C'était l'homme spécialement chargé de démolir Robespierre, et il possédait au suprême degré le génie de la calomnie. Le 28 août, il écrivit dans le Patriote français que la commune avait résolu de faire des visites domiciliaires pour forcer les citoyens à donner leurs fusils ou à marcher aux frontières. Il y avait là un grossier mensonge, puisque l'arrêté de la commune fut pris le lendemain seulement, et en exécution du décret de l'Assemblée rendu dans la soirée du 28. Le conseil général vit dans cette imposture l'intention de jeter l'alarme au sein de la population tout entière, et par un arrêté, signé de son président Huguenin et du secrétaire-adjoint Méhée, elle somma l'éditeur du Patriote français de venir à sa barre donner des explications[175]. Le journaliste, sûr de l'appui de la Gironde, refusa d'obéir à l'invitation de la commune et porta plainte devant l'Assemblée législative au sujet du mandat de comparution décerné contre lui. Il ne s'était pas trompé ; ses amis prirent chaudement sa cause en main, heureux de trouver ce prétexte contre la commune de Paris. Sur un rapport de Vergniaud, l'Assemblée cassa l'arrêté du conseil général comme attentatoire à la liberté individuelle et à la liberté de la presse, et à son tour elle manda à sa barre le président et le secrétaire de la commune. Le conseil général, dont l'immense crime, aux yeux des Girondins, était de ne pas leur être dévoué, fut l'objet d'une véritable explosion, et contre ce pouvoir issu de la révolution du 10 août, l'Assemblée, qui s'était opposée autant que possible à cette révolution, résolut de tenter une sorte de coup d'État, oubliant qu'elle-même, ou plutôt une fraction d'elle-même n'existait plus que par la tolérance du peuple. Gensonné, Grangeneuve, Guadet tonnèrent contre la municipalité : docile à leur voix, l'Assemblée législative adopta sans discussion un décret de la commission des Vingt et un qui convoquait les sections de Paris à l'effet de nommer dans les vingt-quatre heures de nouveaux conseillers municipaux, et enjoignait aux élus des 9, 10 et 11 août d'avoir à se démettre immédiatement de leurs fonctions. Par une contradiction au moins étrange, l'Assemblée déclarait en même temps que ce conseil général, dont elle prononçait si brutalement la dissolution, avait bien mérité de la patrie[176]. Ce décret était à la fois inutile, maladroit et dangereux. Il était d'abord à peu près certain que les sections renommeraient exactement les mêmes conseillers ; pourquoi alors porter inutilement le trouble dans le pouvoir municipal ?

Ceci se passait le 30 août, à la fin de la séance du matin ; il pouvait être environ quatre heures. La connaissance du décret de l'Assemblée parvint dans la soirée même à la commune. Précisément ce jour-là, dans sa séance du matin, le conseil général avait chargé Robespierre de la rédaction d'une adresse destinée à rendre compte aux quarante-huit sections de Paris de la conduite de la commune depuis le 10 août dernier. En présence du décret de l'Assemblée, il déclara solennellement persister dans son arrêté du matin, relatif à l'adresse dont la rédaction avait été confiée à Robespierre, pensant qu'il était plus que jamais utile de soumettre ses actes au jugement des quarante-huit sections qui l'avaient élu[177]. Puis, il ajourna l'exécution de son arrêté concernant le rédacteur du Patriote français jusqu'au moment où son président se serait expliqué à la barre de l'Assemblée nationale[178].

Pendant que ceci se passait au sein de la commune, Robespierre présidait tranquillement sa section, réunie à cette heure en assemblée primaire. — On voit avec quelle précision mathématique nous procédons. — Là, comme à la commune, on vint tout à coup annoncer qu'un décret de suspension du conseil général provisoire venait d'être rendu par l'Assemblée législative. Aussitôt, interrompant l'ordre de ses travaux, l'assemblée sectionnaire ouvrit la discussion sur cet objet imprévu. Elle arrêta qu'elle maintenait les commissaires nommés par elle le 10 et le 11 du présent mois, avec tous les pouvoirs qu'elle leur avait confiés pour sauver la patrie, et chargea plusieurs commissaires d'aller inviter les autres sections à suivre son exemple[179]. Toutes les sections de Paris se montrèrent animées des mêmes dispositions. Devant leur résistance, parfaitement légale, parfaitement naturelle dans les conjonctures présentes, force fut bien à l'Assemblée législative de revenir sur son fâcheux décret. Nous allons maintenant parler avec quelques détails des explications fournies par le conseil général lui-même, parce que ces explications ont été tout récemment, à l'égard de Robespierre, l'occasion d'une supercherie historique tout à fait dans le goût thermidorien, et qu'il est de notre devoir de déférer à l'opinion publique.

 

XXV

Nous voulons bien admettre qu'on ait contre Robespierre toutes les préventions imaginables ; de longues années se passeront encore avant qu'une foule de gens consentent à ouvrir les yeux à la lumière et à se rendre à l'évidence des faits ; tel est l'empire des préjugés. Nous comprenons encore jusqu'à un certain point qu'on ne choisisse dans ses discours que les passages les plus virulents, qu'on en torture le sens, qu'on leur prête une signification manifestement contraire à l'esprit qui les a dictés ; mais que dire d'un écrivain qui, voulant à toute force rejeter sur Robespierre une partie de la responsabilité des massacres de Septembre, ne recule pas devant une supercherie indigne et ne craint pas de lui imputer la rédaction d'une adresse à laquelle il est resté complètement étranger ? Voilà pourtant ce dont s'est rendu coupable l'auteur d'un livre intitulé Histoire de la Terreur, actuellement en cours de publication, sorte d'histoire de la Révolution à l'usage de la bourgeoisie repue et satisfaite, de cette portion de la bourgeoisie qui sacrifierait à son ambition et à ses intérêts les destinées de tout un peuple ; qui, heureuse de la chute de l'ancienne aristocratie, a tâché d'accaparer à son profit l'héritage de la vieille noblesse, et crie tout de suite au meurtre et au pillage dès qu'on revendique pour tout le monde les droits sacrés de l'homme[180].

Dans la séance du 30 août au matin, le conseil général avait, comme on vient de le voir, confié à Robespierre la rédaction d'une adresse aux quarante-huit sections de Paris[181], vraisemblablement en son absence, car il est à peu près avéré que, du 27 août au 1er septembre, président de l'assemblée primaire de la section de la place Vendôme, il ne parut pas à la commune. Avant l'époque où ces événements sont arrivés — les événements de Septembre, — dit-il lui-même, j'avais cessé de fréquenter le conseil général de la commune... j'étais habituellement chez moi ou dans les lieux où mes fonctions publiques m'appelaient[182]. Dans tous les cas, à ce moment, le conseil général ne se trouvait pas encore inculpé devant l'Assemblée législative ; l'adresse dont la rédaction avait été confiée à Robespierre ne pouvait donc avoir aucunement en vue le décret de l'Assemblée contre la commune, décret rendu beaucoup plus tard dans la journée.

L'auteur du livre auquel nous venons de faire allusion commence par dire très-clairement que cette adresse était destinée à l'Assemblée nationale[183]. Première erreur, si erreur il y a ; elle était uniquement destinée aux quarante-huit sections de Paris ; nous appelons là-dessus toute l'attention de nos lecteurs. De cette adresse confiée à la plume de Robespierre, il ne sera plus question au sein du conseil général que le surlendemain, c'est-à-dire le 1er septembre. Or, par une tactique dont on aura l'explication tout à l'heure, on nous montre, dans cette Histoire de la Terreur, Robespierre lisant à la commune, le 31 août, au milieu d'applaudissements unanimes, son adresse rédigée pendant la nuit[184]. L'auteur cependant, nous le supposons, a eu sous les yeux comme nous les avons nous-même en ce moment, les registres des procès-verbaux du conseil général de la commune ; il lui était donc facile de s'assurer que Robespierre ne figura en aucune espèce de façon dans cette séance du 31 août, et que son nom n'y fut même pas prononcé, comme il sera très-aisé à tous nos lecteurs de s'en rendre compte par leurs yeux[185]. Y aurait-il eu de la part de cet écrivain une inconcevable étourderie, ou bien s'en serait-il rapporté à un secrétaire maladroit ? Dans l'un et l'autre cas, il n'y a point d'excuse, quand on attribue faussement à un homme la paternité d'une œuvre dont on tire des inductions exorbitantes et sur laquelle on s'étaye pour rejeter sur sa mémoire la responsabilité des faits les plus graves. Tandis qu'en effet, au sein de la commune on donnait lecture d'une adresse dont nous allons nous occuper, que faisait Robespierre ? Comme les jours précédents, il se disposait à présider l'assemblée primaire de sa section, ainsi que l'auteur de l'Histoire de la Terreur aurait pu s'en convaincre s'il avait consulté avec quelque attention le registre des délibérations et arrêtés de la section de la place Vendôme[186] ; tout concourt donc à démontrer que Robespierre ne parut pas au conseil général le 31 août.

Et maintenant, que se passa-t-il donc à la commune, dans la séance du 31 août ? Au début de cette séance, Huguenin, qui présidait, lut le décret, connu déjà depuis la veille au soir, par lequel l'Assemblée nationale mandait à sa barre le président et le secrétaire greffier du conseil général au sujet du mandat décerné contre le rédacteur du Patriote français. Aussitôt grand émoi dans l'assemblée. On ne veut pas laisser sans réponse les inculpations dont la commune a été l'objet devant le Corps législatif, et immédiatement il est décidé qu'une nombreuse députation se rendra à la barre de l'Assemblée nationale, et que Tallien sera dans cette circonstance l'interprète du conseil général. Mais ici laissons parler le procès-verbal même de la commune, beaucoup plus éloquent, avec ses incorrections, que ne saurait l'être aucune plume d'historien :

On discute la mesure d'une députation à l'Assemblée nationale ; il est arrêté qu'elle sera de quarante-huit membres, un par section ; que M. le maire se mettra à la tête ; que M. Tallien portera la parole. On présente quelques vues propres à servir de base à l'orateur, entre autres les pleins pouvoirs donnés aux commissaires par les sections pour sauver la patrie, pleins pouvoirs connus et approuvés de l'Assemblée nationale.

Sur l'inculpation que le conseil général rivalise l'Assemblée nationale, on observe qu'il n'a point été pris d'arrêté important qui n'ait été précédé ou suivi d'un décret ; qu'il a été reconnu et proclamé représentant du peuple par l'Assemblée nationale elle-même ; que plusieurs fois différends de ses membres se sont rendus au conseil ; que l'Assemblée nationale a formellement reconnu les pleins pouvoirs du conseil en approuvant les mesures vigoureuses qu'il a prises lorsqu'il a cassé le département, l'ancienne municipalité, nommé un commandant général provisoire, anéanti le comité central, les juges et les officiers de paix, renouvelé les comités de section, etc. ;

Que le pouvoir exécutif a reconnu de même les pleins pouvoirs du conseil en se rendant dans son sein, et en se concertant sur plusieurs mesures d'administration, toutes de la plus grande importance.

Enfin l'assemblée n'a pu se défendre d'un sentiment douloureux en voyant son président et son secrétaire mandés à la barre pour avoir prononcé sur un simple fait de police et de sûreté générale relativement à un journaliste évidemment malintentionné, et non moins criminel que ceux dont on a réprimé l'audace.

M. Tallien se retire pour RÉDIGER L'ADRESSE A L'ASSEMBLÉE NATIONALE[187].

 

Tallien n'avait donc plus qu'à couvrir de son style ampoulé le canevas qu'on venait de lui fournir. A peine avait-il quitté la salle des délibérations afin de se mettre sans retard à l'œuvre, que survint le maire, qui, président de droit du conseil général, remplaça Huguenin au fauteuil. Pétion, flottant, indécis, hésitant entre son aveugle dévouement à la Gironde et son devoir de premier magistrat du peuple, paraissait peu au sein de cette commune si détestée de ses amis. Ce fut l'objet d'une assez longue discussion entre lui et le procureur de la commune, Manuel. Tallien avait eu le temps de rédiger son adresse ; il pouvait être un peu moins de deux heures quand il reparut. Est-ce que par hasard cet ambitieux de vingt-cinq ans, ayant soif de popularité, grand faiseur de phrases, cherchant par tous les moyens à se produire, se serait reposé sur un autre du soin d'écrire l'adresse dont la rédaction lui avait été confiée, aurait laissé échapper cette occasion de haranguer l'Assemblé nationale, et de se mettre ainsi en lumière au moment où allaient s'ouvrir les séances du corps électoral dont il se disposait à solliciter les suffrages ? Il faudrait, pour s'imaginer cela, bien mal connaître le personnage, et rien d'ailleurs n'autorise une pareille supposition. Son œuvre fut vivement goûtée, paraît-il. Mais ici laissons encore la parole au procès-verbal : M. Tallien fait lecture de son adresse à l'Assemblée nationale. La vérité de ses tableaux, l'énergie de ses expressions inspirent le plus vif intérêt. La lecture en est interrompue par des applaudissements répétés, et le conseil général en a arrêté l'impression ainsi que l'adresse aux quatre-vingt-trois départements et aux quarante-huit sections[188]. A-t-il fallu assez de bonne volonté à un écrivain pour mettre ici Robespierre à la place de Tallien[189] !

Aussitôt la députation de la commune, ayant le maire à sa tête, se rendit à l'Assemblée nationale, où Pétion exposa en quelques mots la nature de la démarche du conseil général. L'auteur de l'Histoire de la Terreur, oubliant ou ignorant que Tallien avait été spécialement chargé de porter la parole, se plaît à supposer qu'un reste de pudeur empêcha le maire de lire lui-même l'adresse de la commune. Au milieu d'un profond silence le secrétaire-greffier, Tallien, donna lecture de l'adresse rapidement rédigée par lui peu d'instants auparavant.

Tout homme un peu familiarisé avec les écrits et les discours de Robespierre se serait bien gardé de lui attribuer la rédaction de cette adresse, quand même le véritable auteur n'en aurait pas été si clairement désigné, si parfaitement connu. Rien ne ressemble moins au style de Maximilien que le style de ce morceau déclamatoire, reflet du reste assez fidèle des passions de l'époque. Les Tuileries souillées par la présence du digne descendant de Louis XI et de la rivale des Médicis. Si Louis XVI et sa famille respirent encore, ils ne doivent ce bienfait qu'à la générosité du peuple et au respect qu'il porte à l'asile que ces scélérats fugitifs ont choisi. Ceci est du Tallien tout pur, mais nullement du Robespierre. Autre chose encore devait montrer péremptoirement à l'auteur du livre que nous avons le regret d'être obligé de discuter si rigoureusement, à quel point Robespierre était étranger à la rédaction de cette adresse. Le conseil général de la commune, en réponse à une accusation d'avoir désorganisé l'administration, avait, par un arrêté de la veille, rappelé à leurs fonctions les anciens administrateurs composant le corps municipal. Tallien, dans le but évident de montrer la commune cédant au vœu d'une partie des membres de l'Assemblée nationale, ne manqua pas de rappeler ce récent arrêté.

Or, cet arrêté, Robespierre le combattra précisément au sein du conseil général dans la séance du lendemain, et demandera formellement l'expulsion d'administrateurs ayant, selon lui, démérité de la patrie, comme on le verra tout à l'heure[190]. Il se serait donc bien gardé de l'invoquer comme une sorte de palladium de la commune.

Mais l'auteur de l'Histoire de la Terreur, voulant à tout prix rejeter sur Robespierre une part de la responsabilité des massacres de Septembre, avait nécessairement à chercher per fas et nefas un point d'appui à sa thèse, et il a cru le trouver dans un coin de cette adresse. En effet, énumérant diverses mesures prises par la commune, Tallien y disait : Nous avons fait arrêter des prêtres perturbateurs, nous les avons fait enfermer conformément à votre décret, et sous peu de jours le sol de la liberté sera purgé de leur présence. Ces paroles ont paru affreusement prophétiques ou horriblement équivoques à quelques historiens[191] ; ils ont oublié ou n'ont pas voulu se rappeler que l'Assemblée avait elle-même, cinq jours auparavant, décrété la déportation de tous prêtres insermentés qui, dans le délai de quinze jours, n'auraient pas vidé le territoire français. Tallien avait-il dès lors prémédité pour sa part les massacres dont Paris allait être bientôt le théâtre ? c'est ce que je ne crois nullement, si peu d'estime et de sympathie que j'aie pour la mémoire de cet homme sans conscience et sans conviction, et ce dont je n'ai pas d'ailleurs à m'occuper. Toujours est-il qu'il est impossible à tout homme de bonne foi, à moins d'avoir l'intelligence couverte du plus épais bandeau, de voir dans cette adresse le moindre indice des prochains massacres. Est-ce qu'avant de parler des prêtres à déporter, Tallien ne venait pas de dire : Nous nous sommes assurés des personnes des contre-révolutionnaires ; nous les avons enfermés dans les prisons qu'ils nous destinaient si leurs complots affreux eussent réussi ; mais nous l'avons fait avec ménagement, et ils ont tous été remis entre les mains des tribunaux qui, sans doute, vengeront les insultes réitérées faites à la souveraineté nationale. On voit combien peu ceci ressemble à une préméditation d'immolations sommaires. Mais, non content de détourner une phrase de son sens naturel et logique, l'auteur de l'Histoire de la Terreur, cédant à la haine la plus aveugle, en est venu, par une indigne supercherie ou par la plus impardonnable des erreurs, à imputer à Robespierre cette adresse à laquelle il est si complètement étranger. Cette menace, dit l'auteur de l'Histoire de la Terreur, en faisant allusion à la phrase relative aux prêtres perturbateurs, ROBESPIERRE L'AVAIT INSÉRÉE DE SA MAIN, dans l'adresse dont Tallien avait été chargé de donner lecture[192]. Supercherie ou erreur, c'est là une chose infiniment grave qu'il était de notre devoir de signaler à l'attention des honnêtes gens de tous les partis et de déférer au tribunal de l'opinion publique. En vérité, quand on voit les choses les plus claires et les plus simples si odieusement travesties par des hommes qui revendiquent le monopole de la modération, on se demande si le monde n'est pas décidément le domaine prédestiné des intrigants, et si au lieu de se débattre dans un cercle d'iniquités, il ne vaudrait pas mieux fuir dans un désert la société des hommes.

En frappant le conseil général d'un décret de dissolution, l'Assemblée nationale avait en même temps déclaré, on s'en souvient, qu'il avait bien mérité de la patrie. Manuel, après Tallien, prit la parole pour faire remarquer cette contradiction au moins étrange et demander le rapport du décret. Le président, c'était Lacroix, répondit à Manuel que l'autorité de la commune provisoire devait cesser, une fois passée la crise extraordinaire et nécessaire d'où elle était née. On pouvait objecter à cela que le pouvoir de l'Assemblée était au moins aussi illégal, puisque la constitution d'où elle était sortie n'existait plus, et qu'une grande partie de ses membres avaient cessé d'y paraître, jugeant leur mandat brisé. Mais si les représentants de la commune de Paris étaient décidés à rester à leur poste pour assurer le triomphe de la révolution du 10 août, les Girondins n'étaient pas hommes à se dessaisir du pouvoir. Lacroix, Girondin alors, promit cependant aux pétitionnaires qu'on examinerait la demande du conseil général, et les invita aux honneurs de la séance. Le soir comparurent à la barre le président et le secrétaire adjoint de la commune, Huguenin et Méhée. Ils n'eurent pas de peine à prouver combien avait été exagérée l'affaire du rédacteur du Patriote français. L'Assemblée législative la renvoya à la commission des Vingt et un, laquelle était présidée par Brissot, le propriétaire même du journal incriminé par la commune, et entièrement composée de ses amis[193].

 

XXVI

Les Girondins, ou du moins les principaux d'entre eux, Brissot, Guadet, Vergniaud, s'étaient, nous l'avons démontré de reste, opposes par tous les moyens en leur pouvoir à l'insurrection du 10 août, dont ils avaient cependant recueilli immédiatement tous les bénéfices. Ils se trouvaient en possession du ministère, maîtres de l'Assemblée ; cela ne leur suffisait pas. Jaloux de l'influence de cette vaillante commune de Paris, composée d'hommes sur lesquels ils n'avaient aucune prise, ils eussent voulu voir revenir l'ancienne municipalité entièrement dévouée à leur ami Pétion. Leur conduite envers cette commune amènera, entre eux et Robespierre, un déchirement suprême. Néanmoins, vers cette époque, madame Roland tenta de les rapprocher. Sa vive admiration pour Maximilien n'avait pas encore disparu ; et malgré les odieuses calomnies dont ses amis poursuivaient, depuis huit mois, l'homme avec lequel elle s'était entretenue jadis en termes si affectueux, elle persistait à lui croire un ardent amour pour la liberté, un entier dévouement au bien public. Elle alla donc le voir, parce que, suivant ses propres expressions, il lui semblait important de rapprocher ceux qui, n'ayant qu'un même but, devaient se concilier dans la manière de l'atteindre[194]. Mais pour cela, il aurait fallu, comme elle le dit encore elle-même, avoir affaire à des hommes non pas seulement aux intentions droites, mais entièrement dépouillés de toute vue personnelle, de toute ambition cachée. Or, qui donc avait, avec tant d'ardeur, convoité le pouvoir ? Qui donc, pour le saisir, avait essayé de retenir sur le bord de l'abîme la royauté chancelante ? Qui donc enfin l'avait ramassé dans le sang du 10 août ? Étaient-ce les Girondins ou Robespierre ? Voilà certainement ce à quoi ne songeait guère la femme du ministre de l'intérieur, lorsque, dans une intention dont assurément on ne peut nier la délicatesse, elle quitta le somptueux hôtel où était installé son mari pour aller causer quelques instants avec l'hôte austère du menuisier Duplay.

Leur conversation, que fut-elle ? Nécessairement elle roula sur les dissensions existant entre Robespierre et les amis de l'illustre femme. Madame Roland trouva Maximilien plein de préventions contre les Girondins qui, pour la seconde fois, venaient de confier à son mari le portefeuille de l'intérieur. Elle gémit, dit-elle, de ces préventions. Qu'elle inclinât vers ceux à qui Roland devait son élévation, cela était assez naturel ; mais une autre raison lui fit épouser définitivement la querelle de la Gironde, dont elle devint l'âme : ce fut sa passion violente pour un des principaux personnages de ce parti[195], pour Buzot, lequel, après avoir longtemps suivi la ligne de Robespierre, passa tout à coup avec Pétion dans le camp opposé. Si Buzot était resté fidèle à une vieille amitié, madame Roland, c'est du moins ma conviction, ne se serait pas aussi facilement détachée de celui qu'en ce mois d'août 1792 elle jugeait encore digne de son estime, et à qui, au mois de septembre de l'année précédente, elle avait témoigné un attachement qu'elle ne vouait, écrivait-elle, qu'à ceux qui plaçaient au-dessus de tout la gloire d'être juste et le bonheur d'être sensible[196].

Robespierre, touché de sa démarche, lui promit, paraît-il, d'aller chez elle, de lui communiquer ses raisons, ses griefs. Il ne vint pas. Madame Roland lui écrivit pour se plaindre et lui reprocher de soulever l'opinion publique contre ceux qui ne voyaient pas comme lui. J'ignore qui vous regardez comme vos ennemis mortels, je ne les connais pas, et certainement je ne les reçois pas chez moi en confiance, car je ne vois à ce titre que des citoyens dont l'intégrité m'est démontrée, et qui n'ont d'ennemis que ceux du salut de la France[197]. Mais ces ennemis acharnés, qu'elle disait ne pas connaître, c'étaient ses propres amis à elle, ceux qui dans leurs journaux avaient osé imprimer que Robespierre était vendu à Coblentz, qu'il était membre du comité autrichien, qu'il avait assisté à des conférences tenues chez la princesse de Lamballe, ceux dont les discours déclarés solennellement calomnieux par la société des Amis de la Constitution avaient circulé dans toute la France sous le couvert même du ministre son mari. En vérité, après cela, il y avait quelque naïveté à s'étonner des préventions de Robespierre. L'attitude de plus en plus hostile des hommes de la Gironde contre la commune de Paris empêcha sans doute Robespierre de se rendre à l'invitation de la femme du ministre de l'intérieur, et madame Roland devint bientôt aussi son irréconciliable adversaire.

On était alors plongé dans les plus sombres préoccupations : la prise de Longwy avait contristé, courroucé toutes les âmes ; l'ennemi était devant Verdun, et, si cette dernière ville succombait, il pouvait être à Paris sous deux jours. Le moment ne parut donc peut-être pas bien choisi à Robespierre pour aller causer avec une femme, aimable et charmante sans doute, mais incapable de remédier en rien à la situation. Or, ce n'était pas l'heure de perdre 'e temps en conversations inutiles. Si grand paraissait le péril aux Girondins qu'ils songèrent sérieusement à abandonner la capitale, et que l'un d'eux, Kersaint, en arrivant de Sedan, disait dans le propre salon du ministre des affaires étrangères que Brunswick serait à Paris dans quinze jours[198]. Le projet échoua par la résistance de Danton ; mais, comme on l'a su par Vergniaud lui-même, la commission des Vingt et un était en proie aux plus vives alarmes[199]. En revanche, les royalistes attendaient, pleins d'espoir, le triomphe de l'ennemi, écoutant déjà s'ils n'entendaient point gronder le canon des Prussiens et des Autrichiens. L'acquittement, par le tribunal criminel du 17 août, de quelques aristocrates connus, acheva d'exaspérer le peuple, qu'une sorte de fatalité sembla préparer aux exécrables scènes dont nous aurons bientôt à dire quelques mots.

 

XXVII

Telle était la gravité de la situation, quand, le 1er septembre, Robespierre vint lire à la commune l'adresse aux quarante-huit sections de Paris, dont la rédaction lui avait été confiée l'avant-veine, 30 août, dans la séance du matin. Un des premiers actes du conseil général dans cette journée du 1er septembre, avait été d'ordonner qu'à compter de ce jour les barrières seraient ouvertes à toute espèce de voitures et que toute personne pourrait circuler sans passe-porc dans l'étendue du département, considérant la gêne du commerce, est-il dit dans l'arrêté, et que le terme de quarante-huit heures, fixé par le décret de l'Assemblée nationale, était expiré de la veille[200]. Voilà donc une première preuve manifeste que le conseil général de la commune ne songeait nullement à plonger Paris dans la terreur.

Il était cinq heures du soir environ lorsque Robespierre prit la parole. L'assemblée primaire de sa section avait terminé ses opérations depuis la veille au soir, à onze heures[201], mais il n'en était pas de même partout. Avant de donner lecture de son adresse, il engagea fortement les membres du conseil général à ne pas manquer de se rendre le soir dans les assemblées primaires des sections, afin de hâter les opérations électorales ; puis, après avoir proposé au conseil de convertir en administration municipale le corps municipal, il combattit très-vivement, dans quelques-unes de ses parties, l'arrêté du 30, par lequel étaient rappelés les anciens administrateurs, arrêté dont la veille Tallien s'était prévalu auprès de l'Assemblée nationale comme d'une concession de la commune. Mais Robespierre n'était pas l'homme des expédients et des compromis contraires aux principes. Parmi ces anciens administrateurs, il en était, comme Leroux et Borie, qui avaient signé des procès-verbaux contre la municipalité, et qui, au 10 août, dans la cour des Tuileries, avaient fait aux Suisses et à la garde nationale les réquisitions légales afin qu'ils repoussassent la force par la force[202]. Réclamer leur expulsion était donc la chose la plus logique et la plus naturelle du monde. Selon Robespierre, ceux-là seuls devaient être chargés des fonctions administratives de la commune, et reconnus en cette qualité, que le conseil général et les sections jugeraient dignes encore de la confiance publique. Il fallait donc soumettre à un scrutin épuratoire les membres de l'ancien corps municipal et en présenter dès le lendemain la liste aux sections de Paris, de façon qu'elles décidassent elles-mêmes quels étaient les administrateurs qui pourraient être conservés.

Robespierre énuméra ensuite, dans un discours éloquent, lisons-nous dans le procès-verbal de la séance[203], car nous ne l'avons pas sous les yeux, toutes les manœuvres employées pour enlever au conseil général la confiance publique et exposa tout ce que le conseil avait fait pour se rendre digne de cette confiance. Ce discours, c'était l'adresse même aux quarante-huit sections de la ville de Paris, adresse dont l'avant-veille, on s'en souvient, le conseil général lui avait confié la rédaction, et dans laquelle il rappela tous les services rendus par la commune du 10 août à la cause de la Révolution.

La conclusion du discours de Robespierre surprit étrangement sans doute l'assemblée nombreuse au milieu de laquelle il s'exprimait. En présence des inculpations dont le conseil général était l'objet et du décret de dissolution dont il avait été frappé l'avant-veille au soir par l'Assemblée législative, Maximilien crut devoir engager ses collègues à se démettre, séance tenante, de leurs fonctions, à prendre le peuple lui-même pour juge de leur conduite, et à se retremper dans de nouvelles élections. Car il n'y a pas d'autre signification possible à donner aux dernières paroles que lui prête le procès-verbal : Dans ces circonstances difficiles, il ne se présente à mon esprit aucun moyen de sauver le peuple, si ce n'est de lui remettre le pouvoir que le conseil général a reçu de lui. Or, on ne l'a peut-être pas oublié, c'était là une formule habituelle à Robespierre. Il s'était servi d'expressions à peu près identiques lorsque, peu de temps avant les événements du mois d'août, aux Jacobins, il avait proposé à ses concitoyens d'en appeler au peuple, de convoquer les assemblées primaires dans le cas où l'Assemblée législative serait décidément jugée incapable de sauver la patrie ; nous avons même eu soin d'attirer là-dessus l'attention de nos lecteurs. Eh bien ! qui le croirait ? certains écrivains, fort embarrassés pour apercevoir la main de Robespierre dans les massacres du lendemain, massacres auxquels il était si loin de songer, ont cru trouver dans cette phrase si simple et si claire un indice de sa complicité. Et, ce qui est singulièrement triste, ce ne sont pas seulement des écrivains comme cet auteur d'une Histoire de la Terreur dont nous avons relevé déjà l'une des petites erreurs, et qui appliquent à l'histoire de la Révolution les procédés du père Loriquet, mais des hommes d'un talent hors ligne et jouissant d'une grande réputation de droiture et de civisme ! Comment ne pas être sincèrement affligé de voir M. Michelet, par exemple, donner asile dans son livre à la plus odieuse calomnie, de l'entendre déclarer que, si Robespierre ne fit rien en actes, il fit beaucoup en paroles, et que, une fois l'affaire lancée, il fit le plongeon et ne parut plus[204] ? Nous prouverons tout à l'heure combien ce langage est faux, injuste et, tranchons le mot, ridicule. Mais n'est-il pas étrange qu'un auteur, qui s'est vanté hautement d'avoir écrit une histoire vraiment républicaine, reçoive en cette circonstance, d'un écrivain ultra-royaliste, une leçon de modération et d'équité ? Voici comment un contemporain, Beaulieu, sous les yeux duquel tous les faits se sont passés, qui par conséquent a pu juger par lui-même et qui d'ailleurs a poursuivi d'assez d'invectives la mémoire de Robespierre pour n'être pas suspect de la moindre partialité en sa faveur, s'est expliqué au sujet de sa motion du 1er septembre à la commune : Si elle eût été adoptée, les massacres n'eussent certainement pas eu lieu ; on ne peut donc pas l'accuser d'en avoir été l'auteur, puisqu'au contraire il proposa un moyen de les prévenir[205]. En faut-il davantage pour réduire à néant toutes les suppositions hasardées ?

En proposant à ses collègues de se démettre immédiatement de leurs fonctions pour laisser le peuple libre de se choisir d'autres représentants, Robespierre obéissait à son sentiment ordinaire de désintéressement ; mais tous les membres du conseil n'étaient pas comme lui dégagés de tout intérêt personnel. Un certain nombre d'entre eux d'ailleurs pensaient, avec quelque raison peut-être, qu'il y aurait péril à désorganiser la commune au milieu d'aussi critiques conjonctures. Ce fut l'avis de Manuel, le procureur de la commune. Il prit la parole après Robespierre, donna de justes éloges aux principes développés par le précédent orateur ; seulement il rappela le serment prononcé par les commissaires des sections de ne point abandonner leur poste tant que la patrie serait en danger, et conclut à ce que le conseil général continuât de remplir ses fonctions. Cette proposition fut à l'instant adoptée. Toutefois, le conseil n'en vota pas moins l'impression du discours et de l'adresse de Robespierre aux frais de la commune, et elle chargea deux de ses membres, Bernard et de Lépine, de hâter et de surveiller chez l'imprimeur Duplain l'impression de ce discours et de cette adresse[206]. Il était tard, très tard, plus d'une heure du matin,  quand le conseil général se sépara. Paris s'était couché ce jour-là en proie à une sorte de stupeur, et au milieu d'inexprimables angoisses. On avait appris dans la soirée l'investissement de Verdun ; les sanglantes menaces des puissances coalisées étaient présentes à tous les esprits ; deux jours encore, et elles pouvaient se réaliser. Une sorte de vertige s'empara de toutes les têtes. Nous sommes à la veille des plus terribles journées de la Révolution.

 

XXVIII

De ces affreuses journées de Septembre, nous n'aurions nullement à nous occuper, tant Robespierre y fut complètement étranger, si un certain nombre d'écrivains royalistes et même quelques historiens libéraux, avec un aveuglement difficile à expliquer, ne s'étaient ingéniés à rejeter sur lui une part de la responsabilité de ces événements. Que les royalistes cherchent à flétrir la Révolution dans son plus intègre représentant, que, pour atteindre leur but, ils ne reculent pas devant des moyens peu honnêtes, cela se comprend jusqu'à un certain point, l'esprit de parti égare tellement les hommes ! Mais il y a de quoi confondre l'imagination quand on voit des écrivains réputés démocrates joindre leurs accusations à celles des contre-révolutionnaires, et entasser hypothèse sur hypothèse, suppositions sur suppositions pour essayer de couvrir du sang de Septembre un homme qui n'apprit ce qui se passait dans les prisons que par le bruit public, et cela plus tard que la plus grande partie de ses concitoyens[207].

Tous les écrivains ennemis de la Révolution ont vu dans les massacres de Septembre un plan concerté, le résultat d'une froide et atroce préméditation ; et pour mieux concentrer leurs accusations calomnieuses, ils ont, — quelques-uns du moins, — complètement innocenté la population parisienne. Or, c'est là un système tout à fait inadmissible.

Comment admettre, en effet, que soixante mille hommes de garde nationale eussent permis à quelques centaines d'égorgeurs de massacrer dans les prisons, s'ils n'avaient pas eux-mêmes été complices, moralement au moins, de ces exécutions ? On sait combien furent vaines les réquisitions du commandant général Santerre. La population, la garde nationale, assistèrent impassibles, l'arme au bras pour ainsi dire, aux scènes d'horreur qui 3e déroulaient sous leurs yeux[208].

Est-ce que, dans de pareilles occasions, laisser faire ce n'est pas être complice ? Ces massacres, cela est certain, ont été le produit d'une épouvantable explosion populaire. Qu'ils aient paru, à quelques hommes, d'une affreuse mais indispensable nécessité, je le crois sans peine ; mais jamais ils n'eussent été commis si la conscience publique, prise de vertige, n'y eut pas souscrit elle-même. Quant au conseil général de la commune, auquel on a voulu les imputer, il tenta au contraire, pour les arrêter, plus d'efforts que n'en fit l'Assemblée législative. Robespierre d'ailleurs, on le sait de reste maintenant, parut à peine à la commune durant les jours qui précédèrent et suivirent les exécutions, retenu qu'il était soit à l'assemblée primaire de sa section dont les opérations se terminèrent le 31 août à onze heures du soir, soit à l'assemblée électorale dont les séances s'ouvrirent dans la matinée du 2 septembre. Le comité de surveillance est-il davantage responsable de ces massacres ? Ses rapports constants avec les prisons, placées dans ses attributions, permettraient de le supposer ; cependant aucune des pièces sur lesquelles se sont appuyés les écrivains royalistes pour établir sa préméditation ne m'a paru concluante, et je dirai avec Pétion : Ces assassinats furent-ils commandés, furent-ils dirigés par quelques hommes ? J'ai eu des listes sous les yeux ; j'ai reçu des rapports ; j'ai recueilli quelques faits ; si j'avais à prononcer comme juge, je ne pourrais pas dire : Voilà le coupable[209].

Du reste, le comité de surveillance, sorte de pouvoir exécutif, n'avait, en réalité, aucun rapport avec le conseil général, pouvoir législatif de la commune ; il siégeait dans un local séparé, non pas à l'Hôtel-de-Ville, mais à la mairie. Autorisé par le conseil général à se recruter de quelques membres supplémentaires, son grand tort fut de s'adjoindre, dans la matinée du 2 septembre, le sombre journaliste qui avait érigé le meurtre en système politique. Panis, membre de ce comité de surveillance, et qui y avait introduit Marat, fut vivement attaqué pour ce fait, le 18 septembre suivant, au sein du conseil général. Panis se défendit en alléguant que Marat était un homme extraordinaire, qu'il n'avait jamais eu d'influence particulière dans le comité, et que jamais son avis n'y avait prévalu sur celui des autres membres. Or, l'éloignement de Robespierre pour la personne de Marat est chose parfaitement connue ; ce fut un des grands griefs des Thermidoriens contre lui. On n'a oublié ni leur attitude respective dans l'unique entrevue qu'ils aient eue ensemble ni ce que répondit Marat à Robespierre quand celui-ci lui reprocha de revenir éternellement dans ses écrits sur certaines propositions absurdes et violentes qui RÉVOLTAIENT LES AMIS DE LA LIBERTÉ autant que les partisans de l'aristocratie[210]. Marat ne trouvait à Maximilien ni les vues ni l'audace d'un homme d'État. Tout récemment encore ne l'avait-il pas accusé de feuillantisme pour n'avoir pas déclaré assez hautement qu'il fallait déchirer la constitution ? Ces deux hommes étaient donc les antipodes l'un de l'autre[211]. Eh bien ! nous verrons bientôt les Girondins essayer, par les plus perfides manœuvres, d'établir entre ces deux noms une sorte de solidarité. Et pourtant, si du sang de Septembre quelqu'un pouvait être particulièrement coupable devant l'histoire, ce seraient eux, comme on va en juger. Robespierre, d'ailleurs, ne chercha jamais à rejeter sur personne la responsabilité d'événements qu'il attribua à Un moment de délire et d'ivresse de la nation, et il était certainement dans le vrai quand il disait : Ce fut un mouvement populaire, et non, comme on l'a ridiculement supposé, la sédition partielle de quelques scélérats payés pour assassiner leurs semblables ; et s'il n'en eût pas été ainsi, comment le peuple ne l'aurait-il pas empêché ? Comment la garde nationale, comment les fédérés n'auraient-ils fait aucun mouvement pour s'y opposer ?[212] L'exaspération populaire, hélas ! n'avait pas besoin d'être excitée. Mais que diraient donc les historiens qui se mettent martel en tête pour attribuer à quelques paroles de Robespierre un sens qu'elles n'ont jamais eu, si le 2 septembre il avait dit, comme La Source : Il faut battre la générale dans l'opinion publique ; si, comme Vergniaud, il s'était écrié : Il n'est plus temps de discourir, il faut piocher la fosse de nos ennemis, ou chaque pas qu'ils font en avant pioche la nôtre ?[213] Et pourtant, qui oserait accuser sérieusement de complicité dans les massacres ces deux membres de l'Assemblée législative ?

 

XXIX

Et maintenant, transportons-nous à la commune au moment où Manuel, dans la matinée du 2 septembre, annonça officiellement l'investissement de Verdun. Or, à l'heure même où Manuel parlait, cette ville était à la veille d'être livrée aux Prussiens par la plus infâme des trahisons. Il faut être entièrement aveuglé par l'esprit de parti pour ne pas admirer l'attitude et l'énergie de la commune à cette grave nouvelle. Dans une proclamation brûlante de patriotisme, elle invita tous les citoyens en état de porter les armes à se réunir au Champ-de-Mars sous les drapeaux. Qu'une armée de soixante mille hommes se forme sans délai, s'écriait-elle, et marchons aussitôt à l'ennemi, ou pour succomber sous ses coups, ou pour l'exterminer sous les nôtres. En même temps, elle nommait un comité militaire permanent, composé de huit de ses membres, arrêtait qu'à l'instant même le canon d'alarme serait tiré, le tocsin sonné, la générale battue, et chargeait deux commissaires de se rendre sur-le-champ à l'Assemblée législative pour la prévenir des mesures prises par le conseil général[214].

L'Assemblée applaudit vivement à ces vigoureuses mesures ; tous dissentiments entre elle et la commune semblèrent s'effacer en présence du danger suprême de la patrie, et le président — c'était Lacroix —, s'adressant aux députés de la commune, prononça ces propres paroles : Les représentants de la nation, prêts à mourir avec vous, rendent justice à votre patriotisme ; ils vous remercient au nom de la France entière, et vous invitent à la séance. Puis, après avoir eu connaissance d'une lettre de Roland annonçant la découverte d'une conspiration royaliste dans le Morbihan, et avoir entendu la grande voix de Danton sonnant la charge, elle décrétait que tous ceux qui refuseraient de servir personnellement ou de remettre leurs armes, que tous ceux qui entraveraient, de quelque manière que ce fût, les ordres donnés et les mesures prises par le pouvoir exécutif, seraient déclarés infâmes, traîtres à la patrie, et punis de mort[215]. Mais avant de marcher contre l'ennemi du dehors, fallait-il laisser femmes et enfants exposés aux coups de l'ennemi du dedans ? Telle fut la question agitée dans un certain nombre de sections. Ce fut alors que dans Paris, saisi de vertige, on entendit ce cri sinistre : Courons aux prisons ! et que commença un des plus épouvantables massacres dont l'humanité ait à gémir.

Toutes les mesures prises par la commune de Paris et par l'Assemblée nationale étaient assurément d'une indispensable nécessité, mais elles n'étaient guère de nature à diminuer l'exaspération populaire. Or, à ces mesures, qu'il approuva, je n'en doute pas, Robespierre ne prit aucune espèce de part directe ou indirecte, même comme membre du conseil général de la commune ; bien mieux, il ne les connut que fort tard dans la soirée, puisqu'il siégea depuis neuf heures du matin jusqu'à une heure de l'après-midi à l'assemblée électorale, où nous le retrouverons tout à l'heure, assemblée dont les opérations avaient précisément commencé ce jour-là, et puisqu'il fut chargé par elle de remplir, à l'issue de la séance, une mission auprès de la société des Jacobins.

La séance du conseil général, suspendue à une heure et demie, fut reprise à quatre heures. Elle était rouverte depuis quelques instants à peine, sous la présidence d'Huguenin, quand un officier de la garde nationale vint annoncer que plusieurs prisonniers que l'on conduisait à la Conciergerie avaient été tués, et que la foule commençait à envahir les prisons. La commune nomma d'abord six commissaires pour protéger toutes les personnes détenues pour cause civile, puis elle chargea deux de ses membres, Caron et Nouet, de se transporter à l'Abbaye et de veiller à la conservation des prisonniers[216]. Quelques instants après, un des commissaires accourt, et rend compte de ce qui se passe dans cette dernière prison : Les citoyens enrôlés, dit-il, craignant de laisser la ville aux malveillants, ne veulent point partir que tous les scélérats du 10 août ne soient exterminés. Aussitôt il est arrêté par le conseil général que quatre commissaires se rendront sur-le-champ à l'Assemblée nationale pour lui demander quelle mesure on pourrait prendre afin de garantir les prisonniers. Que fit l'Assemblée ? Elle chargea, sur la demande de Bazire, six de ses membres du soin de parler au peuple, de rétablir le calme, mais ne témoigna aucune indignation, et surtout ne parut pas se soucier beaucoup du sort des prisonniers[217].

Il était tard, très-tard, lorsqu'après s'être acquitté de la mission dont l'assemblée électorale l'avait chargé, Robespierre parut au sein du conseil général. Billaud-Varenne venait d'y dénoncer une conspiration en faveur du duc de Brunswick, qu'un parti puissant, disait-il, voulait porter au trône des Français. Robespierre, prenant la parole après lui, peignit la douleur profonde qu'il éprouvait de l'état actuel de la France, et il approuva la dénonciation faite par son collègue d'une conspiration en faveur du duc de Brunswick. Qui désigna-t-il comme les principaux instigateurs de ce mouvement ? Le procès-verbal de la commune est complètement muet à cet égard. Mais deux noms, trois peut-être, tombèrent de sa bouche, ceux de Carra et de Brissot ; et lorsque, dans la séance du 25 septembre à la Convention, Vergniaud reprocha à Robespierre, contre lequel, dit-il, il n'avait jamais prononcé que des paroles d'estime, de l'avoir impliqué lui, Brissot, Guadet, La Source, etc., dans le complot dénoncé à la commune dans la nuit du 2 au 3 septembre, Robespierre se leva et dit avec l'énergie de la vérité : Cela est faux. A quoi Vergniaud répondit : Je me féliciterai d'une dénégation qui me prouvera que Robespierre aussi a pu être calomnié. Personne ne releva le démenti de Maximilien[218] ; et de la réponse de Robespierre à Louvet, il résulte qu'en effet il ne nomma que deux ou trois personnes, déjà dénoncées par plusieurs de ses collègues comme ne cessant de déc.ler le conseil général de la commune[219].

Or, par qui ce conseil général, qui s'épuisait en efforts pour sauver la patrie, était-il attaqué chaque jour et sous toutes les formes ? par les feuilles girondines, par le Patriote français. Qui donc, au sein de l'Assemblée nationale, avait demandé et obtenu sa dissolution ? n'était-ce pas cette commission des Vingt et un, présidée par Brissot, lequel, si peu de temps avant le 10 août, avait menacé les républicains du glaive de la loi ? Il n'y a donc nullement à s'étonner, en se plaçant, comme on doit le faire, au point de vue des passions de l'époque, si Robespierre prononça d'âpres et sévères paroles contre deux ou trois hommes acharnés à le calomnier et qui ne cessaient de décrie la commune.

Mais est-ce que cette accusation reproduite par Robespierre était dénuée de tout fondement ? Est-ce que le bruit d'une conspiration en faveur du duc de Brunswick ne circulait pas dans tout Paris avant que Robespierre en parlât, après d'autres, au sein du conseil général ? Est-ce qu'il n'est pas avéré que ce généralissime des troupes coalisées avait en France un parti puissant ? Est-ce que récemment un des principaux organes de la Gironde, les Annales patriotiques du Girondin Carra, n'avait pas effrontément entonné les louanges de Brunswick, la veille du jour où allait paraître l'insolent manifeste signé de lui ? Est-ce qu'enfin Carra ne l'avait pas proposé pour roi d'une manière assez significative ? Est-ce que de cette proposition, les Constitutionnels ne s'étaient pas fait déjà une arme contre les Girondins[220] ?

L'accusation reposait donc sur quelque base ; et si Robespierre y ajouta foi en ce qui concernait deux ou trois membres de la Gironde, ce fut évidemment parce qu'il ne comprenait pas comment des hommes pouvaient déployer tant d'acharnement contre lui, dont la conscience était si pure, s'ils n'étaient les instruments de quelque faction étrangère. Quelques jours après cette séance de la nuit du 2 au 3 septembre, se trouvant chez Pétion, avec lequel il n'avait pas encore rompu, et le maire de Paris l'ayant invité à lui dire franchement ce qu'il avait sur le cœur : Eh bien ! répondit-il, je crois que Brissot est à Brunswick[221]. Pétion, étroitement lié déjà avec le parti de la Gironde, engagea vivement Robespierre à bannir d'injustes défiances. Mais ces défiances, qui les avait provoquées ? Qui donc avait pris l'initiative des calomnies ? Et quelles calomnies ! Transformer Robespierre, aux yeux du pays, en agent du comité autrichien, le présenter comme fréquentant des conciliabules tenus chez la princesse de Lamballe ! n'était-ce pas le comble de la démence ! Brissot n'allait-il pas jusqu'à le désigner comme un stipendié du duc d'Orléans[222] ! Que dans une lettre insérée au Moniteur, le député girondin se soit vanté d'être l'éternel ennemi des rois, oubliant bien vite que si peu de temps avant le 10 août, il avait proposé contre ceux qu'il appelait les républicains, c'est-à-dire contre Robespierre, les mesures les plus violentes, qu'il ait crié bien fort à la calomnie, que même il ait trouvé un appui momentané dans Rühl, le futur et rude montagnard, je le comprends à merveille[223] ; mais lui, le matin même du 2 septembre, dans son journal répandu à profusion, n'avait-il pas, par la plume d'un calomniateur gagé, de Girey-Dupré, accusé hautement Robespierre, en l'accolant perfidement à Marat, de faire tous ses efforts pour amortir le zèle guerrier des citoyens et les empêcher de voler au secours de leurs frères d'armes ?[224] Ah ! quand on descend à de pareilles manœuvres, quand on emploie de tels procédés, quand on se livre à de si déloyales attaques, on n'a pas le droit de se plaindre des représailles, et de s'étonner d'être frappé soi-même de l'arme empoisonnée dont on s'est si traîtreusement servi[225]. Et ici sur quoi s'appuyait cette inconcevable calomnie ? N'était-ce pas uniquement le fruit d'une imagination égarée par le délire de la haine ? Oh ! sans doute, Robespierre avait été trop bon prophète lorsque avec tant de patriotisme et de bon sens il s'était opposé à la guerre offensive. Sans doute les premiers revers de nos armes, principale cause de l'état affreux de crise où l'on se trouvait, donnaient pleinement raison à sa prévoyance, à sa perspicacité ; mais depuis que, cédant à la pression des Girondins, le. gouvernement avait déclaré la guerre, Robespierre n'avait-il pas contribué de tous ses efforts à stimuler l'ardeur.de ses concitoyens pour les pousser à la frontière ? Et la proclamation de la patrie en danger, n'en avait-il pas le premier émis l'idée dans son journal ?

Mais de ce que Robespierre, comme plusieurs de ses collègues, avait dénoncé une conspiration en faveur du duc de Brunswick et la persécution tramée contre la commune par des hommes qui semblaient s'attacher à calomnier les défenseurs de la liberté et à diviser les citoyens au moment où les patriotes auraient dû réunir tous leurs efforts contre les ennemis du dedans et du dehors, quelques-uns de ses adversaires ne manquèrent pas d'inférer alors, comme l'ont fait depuis certains écrivains, qu'il avait voulu compromettre la sûreté de ces hommes. Ils ont établi un rapprochement perfide entre l'accusation tombée de sa bouche et des événements que, suivant ses propres expressions, il avait connus plus tard que tout le monde et qu'il ne lui était pas plus donné de prévoir que les circonstances subites et extraordinaires qui les avaient amenés[226]. J'ai déjà répondu à cette infamie, dit-il lui-même à la Convention, en rappelant que j'avais cessé d'aller à la commune avant ces événements... Quelle est donc cette affreuse doctrine que dénoncer un homme et le tuer, c'est la même chose. Dans quelle république vivons-nous, si le magistrat qui, dans une assemblée municipale, s'explique librement sur les auteurs d'une trame dangereuse, n'est plus regardé que comme un provocateur au meurtre ? Le peuple, dans la journée même du 10 août, s'était fait une loi de respecter les membres les plus décriés du Corps législatif ; il a vu paisiblement Louis XVI et sa famille traverser Paris, de l'Assemblée au Temple, et tout Paris sait que personne n'avait prêché ce principe de conduite plus souvent ni avec plus de zèle que moi, soit avant, soit depuis la Révolution du 10 août. Citoyens, si jamais, à l'exemple des Lacédémoniens, nous élevons un temple à la peur, je suis d'avis qu'on choisisse les ministres de son culte parmi ceux-là mêmes qui nous entretiennent sans cesse de leur courage et de leurs dangers[227]. Mais poursuivons ; car du sang de Septembre dont quelques écrivains ont voulu tacher sa mémoire, en violant effrontément toute vérité historique, nous tenons à le justifier pleinement, afin de ne pas laisser subsister l'ombre d'un doute.

Robespierre venait de cesser de parler au sein du conseil général quand le procureur de la commune, Manuel, parut et rendit compte du douloureux spectacle dont il avait été témoin à l'Abbaye. Ni les efforts des commissaires de l'Assemblée nationale, ni les siens, ni ceux de ses collègues de la commune n'avaient pu arracher les prisonniers à la mort. En ce moment, le conseil général, délibérait sur l'affaire de l'ambassadrice de Suède, madame de Staël, arrêtée dans la soirée par les sectionnaires de son quartier, au moment où elle se disposait à partir. Elle était soupçonnée d'emmener Narbonne avec elle[228]. Disculpée par cette atroce commune, elle reçut l'autorisation de sortir librement de France, et fut confiée aux soins de Manuel.

Le conseil général chargea ensuite de nouveaux commissaires de se transporter dans toutes les prisons pour tâcher de calmer les esprits, et pour éclairer les citoyens sur leurs véritables intérêts[229]. En même temps, il autorisa le commandant général à diriger autour du Temple et des prisons de nombreux détachements. On a vu déjà combien vaines furent les réquisitions de Santerre[230]. Dans la matinée du 3, le premier soin du conseil général fut d'envoyer des commissaires au palais Bourbon à l'effet de protéger les Suisses qui s'y trouvaient, et de défendre leurs jours par tous les moyens possibles. Une députation de la section des Quinze-Vingts étant venue au même moment demander la mort des conspirateurs et l'arrestation des femmes et enfants d'émigrés avant le départ des citoyens pour l'armée, il s'empressa de passer à l'ordre du jour. Les historiens qui se sont efforcés, sans fournir du reste la moindre pièce sérieuse à l'appui de leur thèse, de rejeter sur le conseil général de la commune la responsabilité des événements de Septembre, se sont bien gardas de citer les délibérations d'où résulte la preuve irrécusable de ses efforts pour arrêter les massacres, efforts au moins égaux, sinon supérieurs à ceux tentés par l'Assemblée législative et par le pouvoir exécutif. Mais Robespierre, défendant avec raison le conseil général de la commune, a pu dire sans rencontrer de contradicteur : Il est certain, aux yeux de tout homme impartial, que loin de provoquer les événements du 2 Septembre, il a fait tout ce. qui était en son pouvoir pour les empêcher[231].

Dans cette matinée du 3 septembre, on apprit à la commune que l'asile de la famille royale était sérieusement menacé. Aussitôt le conseil général confia à Deltroy, à Manuel et à Robespierre la mission de se rendre au Temple, d'y assurer la tranquillité publique[232]. De son côté, sur une lettre écrite du Temple même, l'Assemblée nationale adjoignit aux commissaires de la commune six de ses membres, Lacroix, Bazire, Choudieu, Thuriot, Dusaulx et Chabot[233]. Robespierre était-il présent à la délibération du conseil général quand il fut désigné, avec Manuel et Deltroy, pour aller préserver de toute atteinte la prison donnée à la famille royale ? C'est au moins fort douteux, car toute la journée du 3, il la passa au sein de l'assemblée électorale, depuis dix heures du matin jusqu'à deux heures et demie de l'après-midi, comme nous l'établirons dans un instant de la façon la plus nette et la plus précise[234]. Si donc, comme cela est probable, il s'acquitta de la mission dont, présent ou non, l'avait chargé le conseil général, ce fut seulement à l'issue de la séance de l'assemblée électorale, vers trois heures. La duchesse d'Angoulême, dans son récit de la captivité de la famille royale au Temple, n'a pas oublié de mentionner la visite de Manuel dans cette journée du 3 septembre. Elle ne dit rien des autres commissaires de la commune ou de l'Assemblée. Quoi qu'il en soit, le Temple fut mis à l'abri des fureurs populaires ; il suffit d'un simple ruban tricolore pour en défendre l'entrée. Ce jour-là et les jours suivants, comme on peut s'.en convaincre par les procès-verbaux de ses séances, le conseil général de la commune s'efforça encore de calmer l'effervescence, d'arrêter l'effusion du sang, mais sans succès, car la colère du peuple n'est pas plus aisée à enchaîner que les orages du ciel.

 

XXX

S'il était possible de comprendre un instant ces atroces immolations d'hommes, les massacres de Septembre paraîtraient à coup sûr moins affreux que beaucoup d'autres qui les ont précédés ou suivis. Il est certain que les victimes eussent de grand cœur sacrifié tous les défenseurs de la Révolution ; il est certain qu'une sorte de justice présida à cette boucherie ; qu'on distingua entre les innocents, les égarés et les coupables ; il est certain encore que le peuple épargna avec joie, reconduisit même en triomphe les prisonniers dont l'innocence fut reconnue : cependant ces massacres n'en sont pas moins odieux, et nous devons les maudire pour le mal qu'ils ont causé à la liberté.

Quand le premier moment de vertige fut passé, quand la conscience revint à la population, elle contempla avec épouvante l'œuvre terrible qu'elle avait laissé faire ; mais sur le moment, disons-le parce que cela est vrai, il s'en faut de beaucoup que ces massacres aient été envisagés aussi sévèrement que depuis, et avec l'horreur qu'ils nous inspirent justement aujourd'hui. Hier... fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile ; je sais que le peuple, terrible dans sa vengeance, y porte encore une sorte de justice, écrivait le ministre Roland à l'Assemblée nationale[235]. Et Gorsas, un des plus ardents Girondins, de s'écrier : Il n'y a pas à jeter un voile sur ces événements ; et il les qualifia de JUSTICE NÉCESSAIRE[236]. Un peu plus tard, dix jours après, Roland n'écrivit-il pas encore, en s'adressant cette fois à toute la population de Paris : J'ai bien jugé ce que la patience longue et trompée du peuple, et ce que la justice avoient dû produire ; je n'ai point inconsidérément blâmé un terrible et premier mouvement, j'ai cru qu'il fallait éviter sa continuité[237]. De son côté, Pétion a écrit : Je pense que ces crimes n'eussent pas eu un aussi libre cours, qu'ils eussent été arrêtés si tous ceux qui avoient en main les pouvoirs et la force les eussent vus avec horreur[238]. Or, entre quelles mains était le pouvoir exécutif ? entre les mains des Girondins, dont l'influence était contrebalancée seulement par celle de Danton ; et ce fut bien pour cela qu'un jour, du haut de la tribune de la Convention, Saint-Just leur reprocha si rudement de ne pas s'être jetés entre les assassins et les victimes[239]. On a prétendu, il est vrai, que l'action de Roland avait été paralysée par un mandat d'arrêt, décerné contre lui par le comité de surveillance ; mais ce mandat, lancé le 4 seulement, Roland n'en eut même pas connaissance sur le moment ; le conseil général de la commune ne le ratifia point, et lorsque Danton, furieux, vint à la mairie pour le faire annuler, il était accompagné de qui ?... de Robespierre, chez lequel il avait couru aussitôt, certain de le trouver tout disposé à lui prêter son concours en cette grave circonstance[240].

On a reproché à Maximilien de n'avoir pas employé, pour arrêter les massacres, toute l'autorité morale dont il disposait. D'abord cette autorité morale était singulièrement battue en brèche à cette époque par les calomnies girondines ; ensuite il n'apprit les événements que fort tard, quand déjà la plus grande partie du mal était faite ; enfin, lorsqu'il lui aurait -été humainement possible de se transporter de prison en prison, est-ce que ses paroles, ses exhortations eussent eu plus de pouvoir sur l'esprit d'un peuple en délire que celles des commissaires de l'Assemblée législative ou de la commune[241] ? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il déplora ces massacres, si coupables que fussent à ses yeux les victimes. Plaignons même les victimes coupables, réservées à la vengeance des lois, qui sont tombées sous le glaive de la justice populaire, s'écria-t-il un jour[242]. Un des survivants de cette, terrible époque, le docteur Souberbielle, a raconté à un historien digne de foi que jamais Robespierre ne lui avait parlé des journées de Septembre qu'avec horreur[243]. Maintenant, s'il faut en croire Charlotte Robespierre, Pétion étant venu voir son frère Maximilien quelque temps après ces journées, et la conversation ayant roulé sur les derniers événements, Robespierre aurait vivement reproché au maire de Paris de n'avoir pas suffisamment interposé son autorité pour empêcher les excès. A quoi Pétion, piqué, aurait répondu sèchement : Tout ce que je puis vous dire, c'est qu'aucune puissance humaine ne pouvait les empêcher. Puis il se serait retiré. Charlotte, arrivée depuis peu de jours à Paris avec son frère Augustin, était présente à l'entrevue, et elle attribue à la scène dont elle fut témoin la rupture qui eut lieu entre son frère et Pétion[244]. Ce témoignage de la sœur de Robespierre pourrait être récusé s'il ne se trouvait pas singulièrement concorder avec d'autres faits. Dans la journée du 5 septembre, Pétion avait à dîner chez lui plusieurs députés, parmi lesquels Brissot, Gensonné et Duhem. Vers la fin du repas, une quinzaine d'égorgeurs pénétrèrent dans la salle, venant demander au maire des ordres au sujet de quatre-vingts prisonniers qui restaient encore à la Force. Pétion leur donna à, boire, et les congédia en leur disant de faire tout pour le mieux[245]. De son côté, Brissot fut très-explicitement, accusé, à différentes reprises, d'avoir témoigné, en présence de Danton, le regret qu'on eût épargné Morande, son mortel ennemi. Et, rapprochement singulier ! quelques jours plus tard, le conseil général de la commune, après avoir entendu un long rapport sur la conduite du journaliste Morande, ordonna sa mise en liberté immédiate, convaincu que son arrestation avait été l'effet d'une vengeance particulière[246]. Y a-t-il à s'étonner maintenant de l'acharnement déployé par Brissot contre la commune de Paris ?

Est-ce que jamais un fait précis a été articulé contre Robespierre, indiquant de près ou de loin sa participation aux journées de Septembre ? Lorsque, dans son accusation contre lui, Louvet eut à parler de ces événements, il généralisa de la manière la plus vague, et se garda bien d'en faire remonter la responsabilité à l'homme contre lequel il dirigeait la plus inconcevable des diatribes. Que lui eût coûté cependant une calomnie de plus ou de moins ? Mais il sentait bien la nécessité de se montrer très-circonspect sur ce point[247]. Un des plus impitoyables ennemis de Robespierre, et aussi l'un des hommes les plus vils qui soient sortis des bas-fonds de la Révolution, Méhée de la Touche, à cette époque secrétaire adjoint de la commune de Paris, écrivit, après le 9 Thermidor à la glorification duquel il s'empressa d'employer sa plume, une relation des journées de Septembre. Eh bien ! il n'est pas venu à l'idée de ce pamphlétaire, qui sous le nom de Félhemesi (Méhée fils) a publié les plus immondes libelles contre les victimes de Thermidor, de demander compte à Robespierre du sang de Septembre[248]. Un autre ennemi acharné de Maximilien, Roch Marcandier, homme taré d'ailleurs, a, dans une brochure empreinte de la plus violente exagération, tracé, à sa façon, l'historique des journées de Septembre. Parmi les ordonnateurs des massacres, il cite, sans preuves, Danton, Camille Desmoulins, Panis, Fabre d'Églantine et quelques autres, mais il se garde bien de faire planer l'ombre d'un soupçon sur Robespierre qu'il appelle cependant l'infâme à tout bout de champ[249].

On est donc douloureusement étonné de voir certains écrivains, par le plus outrageux mépris de la vérité, prendre à tâche de rejeter sur lui une part de responsabilité de massacres auxquels il fut si manifestement étranger. Aujourd'hui, du fond de la tombe, comme autrefois du haut de la tribune de la Convention, Robespierre peut répondre : Ceux qui ont dit que j'avais eu la moindre part à ces événements sont des hommes ou excessivement crédules ou excessivement pervers. Quant à l'homme qui, comptant sur le succès de la diffamation dont il avait d'avance arrangé tout le plan, a cru pouvoir écrire impunément que je les avais dirigés, je me contenterais de l'abandonner au remords, si le remords ne supposait pas une âme[250].

 

XXXI

Dans la matinée même du jour où commencèrent dans Paris les terribles exécutions populaires, le dimanche 2 septembre 1792, s'ouvrirent, dans la salle de l'Évêché, les opérations de l'assemblée électorale chargée de nommer les députés de Paris à la Convention, assemblée à laquelle, comme on l'a vu plus haut, Robespierre avait été député par la section de la place Vendôme, et dont les travaux le tinrent assidûment occupé jusqu'au 19 septembre.

On procéda à la vérification des pouvoirs des députés électeurs, sous la présidence du doyen d'âge, Pierre Desplanches, électeur du canton de Charenton. La salle de l'Évêché se trouvant trop étroite pour que le public pût être admis aux séances du corps électoral, un électeur proposa à ses collègues d'envoyer une députation aux Jacobins afin de leur demander la cession de leur emplacement pendant la durée des opérations électorales, lesquelles, devant avoir lieu chaque jour depuis dix heures du matin jusqu'à cinq heures du soir au plus tard, n'étaient pas un obstacle à la tenue des séances du club. Cette proposition fut aussitôt adoptée ; on décida même que tous les électeurs se rendraient ensemble aux Jacobins. L'assemblée chargea Robespierre et Collot-d'Herbois de porter la parole en son nom, et rendez-vous fut pris pour cinq heures précises dans le jardin de l'ancien couvent.

Le lendemain, 3 septembre, Robespierre rendit compte de l'accueil fraternel des Jacobins, et de leur empressement à mettre leur local à la disposition du corps électoral. L'assemblée vota des remercîments aux Jacobins, et continua la vérification des pouvoirs des électeurs. Elle entendit ensuite un long discours de Collot-d'Herbois sur les qualités nécessaires aux futurs députés à la Convention nationale. L'assemblée électorale était composée d'éléments fort divers, mais les partisans de la dernière révolution, celle du 10 août, s'y trouvaient en grande majorité. Conformément à un vœu formellement exprimé par les assemblées primaires, et appuyé par Robespierre, elle exclut de son sein ceux de ses membres qui auraient été affiliés à quelque club contre-révolutionnaire, On réclama la même mesure contre les signataires de la protestation relative au 20 juin. Comme une foule de signatures avaient été surprises, pour ainsi dire, à la bonne foi des citoyens inexpérimentés, Robespierre demanda une exception en faveur de ceux qui, ayant signé la pétition, ne l'auraient point colportée. Mais sa proposition, énergiquement combattue par quelques membres, fut repoussée après de vifs débats.

Il fut lui-même l'objet d'une inculpation, venue, prétendit un électeur, d'un valet de chambre du ci-devant roi. Diverses motions furent faites aussitôt touchant la nécessité de prendre des précautions afin d'éclairer le peuple sur les pièges qu'on lui tendait en environnant de soupçons les meilleurs citoyens. C'était la veille, on s'en souvient, que le journal de Brissot avait accusé Robespierre de faire tous ses efforts pour paralyser le courage des citoyens. Maximilien monta à la tribune : il déclara qu'il braverait tranquillement le fer des ennemis du bien public, et qu'il emporterait au tombeau, avec la satisfaction d'avoir bien servi la patrie, l'assurance que la France conserverait sa liberté. L'assemblée se sépara après l'avoir entendu, et s'ajourna au lendemain matin ; il était alors deux heures et demie[251].

Le 4, les électeurs se réunirent à dix heures du matin dans le local des Jacobins, et tout d'abord procédèrent à l'organisation définitive de leur bureau. Par acclamation et à l'unanimité, ils choisirent Collot d'Herbois pour président, et Robespierre pour vice-président. Ce dernier n'occupa, du reste, qu'une seule fois le fauteuil, à la séance du 6, où fut élu Collot-d'Herbois, qui sans doute jugea convenable de ne pas présider durant son élection. Parmi les secrétaires, nous voyons figurer Duclozeau, Carra, Santerre, Marat, Rousseau, représentant des nuances diverses d'opinion. Cependant Marat était absent ce jour-là, car il parut pour la première fois au sein du corps électoral le 6 septembre seulement, et il monta à la tribune pour exprimer à l'assemblée son regret de n'avoir pu se rendre plus tôt au milieu d'elle afin d'y remplir ses fonctions d'électeur et de secrétaire[252]. L'assemblée électorale, pour se conformer à un vœu généralement exprimé, décida que tous ses choix seraient soumis à la ratification des assemblées primaires, par lesquelles ils furent en effet examinés et ratifiés.

Le 5, commencèrent les élections. On avait retardé jusque-là parce que les assemblées primaires n'avaient pas encore toutes terminé leurs opérations. Quelques membres, trouvant l'assemblée électorale trop peu nombreuse, proposaient d'attendre encore ; mais on passa outre. Il y eut dans ces élections quelque chose de solennel qui manque à celles dont nous sommes témoins. Nos pères n'avaient pas notre pusillanimité : ils ne craignaient pas de livrer leurs votes à la publicité. Chaque électeur, à l'appel de son nom, s'approchait du bureau, et désignait à haute et intelligible voix le candidat de son choix. En tête de presque toutes les listes se trouvait le nom de Robespierre[253]. Il fut élu le premier, l'emportant de beaucoup sur Pétion qu'on lui avait opposé[254]. On ne l'accusera certainement pas d'avoir rien fait pour capter les suffrages, et ce ne fut point sa faute s'il fut appelé à siéger au sein de la Convention, puisqu'il avait formellement engagé le Corps législatif à exclure de la nouvelle Constituante tous les membres des deux premières assemblées. Mais l'Assemblée législative n'eut pas le désintéressement de sa devancière, et elle demeura sourde au conseil de Robespierre. La nomination de celui-ci fut, le soir même, annoncée en ces termes à la société des Jacobins, au milieu des applaudissements : Le brave Robespierre a réuni tous les suffrages. Ce commencement de nomination doit nous être d'un augure favorable pour le choix que va continuer de faire le corps électoral[255]. A peu près vers le même temps, il était également nommé le premier par l'assemblée électorale du Pas-de-Calais[256].

Il est aisé de comprendre à combien de compétitions ardentes donnèrent lieu ces élections à la Convention nationale, et nous savons quelles rancunes implacables engendrent les ambitions déçues. A partir de la huitième séance, c'est-à-dire le 9 septembre, on résolut, au sein de l'assemblée électorale, de discuter les candidats offerts aux suffrages des électeurs. Robespierre prit la parole, comme beaucoup d'autres, mais il ne désigna nommément personne, pas même son frère Augustin, que par considération pour lui cependant, sans nul doute, les électeurs de Paris envoyèrent à la Convention. Plus tard les Girondins, par la bouche de Louvet, attribuèrent à son influence l'élection de Marat, comme si la profonde ligne de démarcation existant entre les idées de ces deux patriotes n'avait pas été connue de tout Paris, comme si Marat avait eu besoin d'une recommandation quelconque pour être nommé secrétaire de l'assemblée électorale[257]. Voici en quels termes Robespierre répondit à cet égard : Voulez-vous savoir la véritable cause qui a réuni les suffrages en faveur de Marat en particulier ? C'est que, dans cette crise où la chaleur du patriotisme était montée au plus haut degré, et où tout Paris était menacé par l'armée des tyrans qui s'avançait, on était moins frappé de certaines idées extravagantes qu'on lui reprochait que des attentats de tous les perfides ennemis qu'il avait dénoncés et de la présence des maux qu'il avait prédits[258]. En ce temps-là le conseil général de la commune était porté aux nues dans la Sentinelle par Louvet lui-même, qui depuis. C'était alors le temps des élections, comme le dit très-bien Robespierre[259]. Or Louvet, candidat à la Convention nationale, avait obtenu en tout et pour tout, au sein de l'assemblée électorale. une voix ! Ne serait-ce point là le secret de ses rancunes immortelles. Sa nomination par le collège électoral du Loiret ne suffit pas à guérir la blessure que son amour-propre avait reçue de son échec à Paris.

Comme on supposait à Robespierre une grande influence sur l'assemblée électorale, beaucoup de candidats sollicitèrent son appui. Le futur général de l'armée révolutionnaire, le poète Ronsin, alors commissaire du pouvoir exécutif, lui écrivit pour réclamer son suffrage, en se recommandant de Danton[260]. Mais l'auteur d'Aretaphile ne fut pas nommé, et peut-être en garda-t-il contre Robespierre un dépit violent. Un autre candidat évincé, Méhée fils, s'en prit de son échec à Maximilien, très-criminel assurément de n'avoir pas appuyé sa candidature auprès des électeurs, et il fit afficher contre lui, sur tous les murs de Paris, un placard injurieux dans lequel il prit la qualification de secrétaire adjoint du conseil général, et où, entre autres griefs, il reprochait à Robespierre de ne plus venir siéger à la commune[261].

Ainsi, tandis que les Girondins se disposaient à l'accuser, comme d'un crime, d'avoir en quelque sorte présidé aux délibérations du conseil général, Méhée le dénonçait comme ayant déserté le poste où l'avaient appelé ses concitoyens. Est-ce que son véritable poste en ce moment n'était pas à l'assemblée électorale ? Tant que durèrent les opérations de ce corps, il cessa d'assister aux séances des Jacobins, et depuis le 2 septembre jusqu'à l'ouverture de la Convention, nous ne le voyons figurer qu'une seule fois au conseil général de la commune. Il y parut le 18 septembre, et se plaignit d'avoir été odieusement calomnié dans une affiche signée d'un membre de la commune, faisant allusion au placard de Méhée. Ce jour-là, il fut chargé de rédiger une adresse destinée cette fois aux quatre-vingt-trois départements, à qui le conseil général voulait aussi expliquer hautement sa conduite. On lui adjoignit Tallien pour ce travail, mais il refusa la collaboration du jeune secrétaire de la commune, preuve manifeste du peu de cas que dès lors il faisait de ce personnage. A la place de Tallien, le conseil général désigna Thomas, le même qui, le lendemain, fut nommé député à la Convention[262].

Quelques jours après, Méhée fils était vivement inculpé au sein du conseil général pour avoir calomnié Robespierre. Il se contenta d'alléguer pour sa défense la liberté des opinions. Et, attendu que les opinions étaient libres, la commune passa à l'ordre du jour. Elle improuva seulement la conduite du citoyen Méhée, parce qu'il avait pris dans son affiche la qualité de secrétaire adjoint de la commune, laquelle devait être exclusivement réservée aux actes émanés du conseil général, et non employée dans une œuvre où l'auteur énonçait son opinion individuelle[263].

Le lendemain du jour où Robespierre parlait pour la dernière fois comme membre du conseil général de la commune, l'assemblée électorale terminait ses opérations en appelant à siéger à la Convention Louis-Philippe d'Orléans, tout récemment baptisé du nom d'Égalité.

C'était le 19 septembre. Le corps électoral avait mis dix-huit jours à élire les vingt-quatre députés envoyés par le département de Paris à la nouvelle Constituante[264]. De ces vingt-quatre députés, h&s ! les plus illustres ne verront pas La fin de la Convention, et périront tragiquement, entraînant dans leur chute les destinées de la République.

Nous allons en effet entrer dans la région des tempêtes, assister à de terribles scènes, mais aussi à l'un des spectacles les plus grandioses qu'il ait été donné aux hommes de contempler.

 

 

 



[1] Voyez le Patriote français, numéro 1038.

[2] Moniteur du 15 juin 1792.

[3] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 213.

[4] Voyez pour ce discours les numéros 212 et 213 du Journal des débats et de la correspondance, etc., et le numéro 5 du Défenseur de la Constitution (p. 233 à 242), où il est reproduit avec de notables différences. Mais ce que ne donne pas la feuille de Robespierre, c'est la physionomie des débats que nous avons dû emprunter au Journal des débats de la Société. Ce cinquième numéro du Défenseur de la Constitution contient, outre les articles sur le camp de vingt mille hommes, sur le respect dû aux autorités constituées, précédemment analysés, et ce discours aux Jacobins, une lettre de Strasbourg au sujet des menées contre-révolutionnaires dans ce pays ; une lettre par laquelle le général de la Harpe, glorieusement tué depuis, près de Crémone, sous le Directoire, et alors lieutenant-colonel, dénonçait au général Wimpfen le déplorable état de l'armée du Rhin ; la courte et sèche réponse de Wimpfen ; une adresse des volontaires de Seine-et-Oise au ministre de la guerre, et enfin une lettre de Laurent Lecointre à Condorcet.

[5] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 214.

[6] Voyez la correspondance entre La Fayette et Roland, citée dans l'Histoire parlementaire de la Révolution, t. XV, p. 102 à 111.

[7] Voyez dans la Chronique de Paris, du 14 juin 1792, la lettre de La Fayette.

[8] Réponse de M. Robespierre, citoyen français, à M. La Fayette, général d'armée. (Défenseur de la Constitution, numéro 6.)

[9] Cette lettre, dont le Moniteur du 19 juin ne donne qu'un extrait, se trouve in extenso dans l'Histoire parlementaire de la Révolution, t. XV, p. 69.

[10] Défenseur de la Constitution, numéro 6, p. 264.

[11] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 217.

[12] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 218.

[13] Défenseur de la Constitution, numéro 6, p. 265.

[14] Voyez cette importante improvisation de Robespierre dans le numéro 216 du Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution.

[15] Défenseur de la Constitution, numéro 6, p. 257 à 296. Ce numéro contient en outre deux lettres, l'une datée de Trêves, l'autre de Metz, toutes deux concernant les menées contre-révolutionnaires.

[16] Voyez dans le t. XV de l'Histoire parlementaire (p. 116) la déposition de Lareynie. C'est sur cette pièce que, quarante ans après l'événement, l'ancien procureur général syndic Rœderer, dans sa Chronique de cinquante jours, a écrit sa relation de la journée du 20 juin.

[17] Ce fut du moine ce que Chabot affirma en déposant dans le procès des Girondins. Voyez sa déposition, Histoire parlementaire, t. XXX, p. 28 et suiv.

[18] C'est ce que Sergent, alors administrateur de police, affirme dans une notice insérée dans la 2e série de la Revue rétrospective. Cela d'ailleurs se trouve pleinement confirmé par une appréciation du Patriote français sur la journée du 20. (Voyez, le numéro du 20 juin.)

[19] Voyez la déposition de Chabot, ubi supra, et la réponse die Robespierre à Jérôme Pétion, dans le numéro 7 des Lettres de Robespierre à ses commettants, p. 315.

[20] Réponse à Jérôme Pétion. Voyez le numéro 7 des Lettres de Robespierre à ses commettants.

[21] Voyez le Mémoire justificatif de Pétion, dans l'Histoire parlementaire de la Révolution, t. XV, p. 170.

[22] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 218.

[23] Voyez le Patriote français, numéro 1046. Ce qui n'a pas empêché Brissot de prétendre, dans ses Mémoires, par la plus étonnante contradiction, que le mouvement du 20 juin avait été un coup monté par la cour (t. IV, p. 201). Quel degré de confiance à accorder à ce chef de la Gironde ! Voilà l'homme dont madame Roland a tracé un portrait si flatteur. Voyez notamment, dans ses Mémoires, les Derniers écrits, t. II, p. 237 de l'éd. Barrière et Berville.

[24] Voyez la réponse à Jérôme Pétion, dans le numéro 7 des Lettres de Robespierre Ii ses commettants. On sait de reste maintenant pour quels motifs pleins de sens Robespierre se montra opposé à la manifestation du 20 juin. Soigné, coiffé, poudré, il n'eût point compromis dans ces bagarres, ni même dans la rude société de l'émeute, l'économie de sa personne, dit M. Michelet (Hist. de la Révolution, t. III, p. 465). Voilà encore une de ces fantaisies contre lesquelles on ne saurait trop protester. Non, Robespierre n'avait pas cru devoir s'associer à un mouvement qui ne tendait qu'il satisfaire d'ambitieuses convoitises. En fait d'insurrection, il n'en voulait qu'une sérieuse, propre à en finir avec la contre-révolution, à assurer le triomphe de la liberté. Et dans les terribles journées qui précéderont et suivront le 10 août, nous verrons s'il hésitera à compromettre l'économie de sa personne.

[25] Voyez cette seconde lettre de Robespierre à La Fayette dans le numéro 8 du Défenseur de la Constitution, p. 305 à 369. Ce numéro contient, en outre, une adresse de la société des Amis de la Constitution de Strasbourg à celle de Paris, et un extrait d'une lettre de Lille au sujet de Lukner.

[26] Détails fournis par Toulongeon, qui, ami particulier de La Fayette, a dû être bien informé.

[27] Voyez le Moniteur du 29 juin 1792.

[28] Réflexions sur la manière dont on fait la guerre, dans le numéro 8 du Défenseur de la Constitution, p. 375 à 388.

[29] Voyez dans le t. XVII de l'Histoire parlementaire la lettre de Lally-Tollendal, en date du 9 juillet, et celle de La Fayette en date du 8 juillet 1792, p. 243 à 246.

[30] Voyez dans le numéro 8 du Défenseur de la Constitution cet article intitulé : Sur la tactique du général La Fayette, p. 386 à 405. Outre cet article et des réflexions sur la manière dont se faisait la guerre, ce numéro contient un discours prononcé par Robespierre au club des Jacobins, au mois de mars précédent, à propos du manifeste de Léopold, discours dont nous avons rendu compte, et une lettre écrite de Courtrai en date du 29 juin.

[31] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 220.

[32] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 218.

[33] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 222.

[34] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 210, séance du 17 juin.

[35] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 222. Ubi supra.

[36] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 222.

[37] Patriote français, numéro 1059.

[38] Moniteur du 1er juillet 1782.

[39] Chronique de Paris, du 1er juillet 1792.

[40] Chronique de Paris, numéro du 2 juillet.

[41] Patriote français, numéro 1056.

[42] Patriote français, numéros 1060 et 1062.

[43] Voyez la lettre de Pastoret dans le Journal de Paris, du mercredi 4 juillet 1792.

[44] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 228.

[45] Révolutions de Paris, numéro 157, p. 56.

[46] Voyez le Défenseur de la Constitution, numéro 9, p. 431 à 433.

[47] Voyez les Mémoires de madame Campan, t. II.

[48] Voyez ce magnifique discours de Vergniaud dans le t. XV de l'Histoire parlementaire, p. 268. Le Moniteur du 4 juillet n'en donne qu'une partie.

[49] Voyez ce discours de Brissot, reproduit en grande partie par le Moniteur du 10 juillet 1792, et le Patriote français, numéro 1067.

[50] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 229.

[51] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 230. C'est par erreur que les auteurs de l'Histoire parlementaire, trompés par une fausse indication du Journal des débats de la Société, assignent à ce discours la date du 10 juillet (t. XV, p. 364). Ce fut le mercredi 11 que Robespierre le prononça aux Jacobins, le jour même où l'Assemblée déclara la patrie en danger.

[52] Révolutions de Paris, article intitulé : La patrie en danger, numéro 157.

[53] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 230. L'adresse de Robespierre ne s'y trouve point. Elle parut sous ce titre : Aux fédérés, par des citoyens amis de la Constitution (in-8° de 4 p.). Robespierre l'inséra dans le numéro 9 du Défenseur de la Constitution. Outre cette adresse et des observations sur la suspension du maire, dont nous avons parlé plus haut, ce numéro contient un long discours de Collot-d'Herbois sur la conduite de La Fayette, et une correspondance assez étendue relative à la situation des frontières.

[54] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 231..

[55] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 231.

[56] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 232.

[57] Voyez cet article intitulé : Sur la fédération de 1792, dans le numéro 10 du Défenseur de la Constitution, p. 480 à 491.

[58] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 233.

[59] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 233.

[60] Voyez cette pétition des fédérés dans le numéro 10 du Défenseur de la Constitution. Elle se trouve avec quelques variantes dans le Moniteur du 19 juillet ; mais on doit préférer le texte donné par Robespierre, puisque la rédaction est de lui. Le Moniteur fait dire aux fédérés : Pères de la patrie, suspendez provisoirement le pouvoir exécutif dans la personne du roi. Or cette phrase ne se trouve pas dans la version du Défenseur. Si elle a été réellement prononcée, elle n'est sans doute pas de Robespierre, au texte duquel nous avons dû nous en rapporter.

[61] Voyez le Moniteur du 21 juillet 1792.

[62] Nous avons entre les mains deux copies de cette lettre qui, l'une et l'autre, portent la date du 20 juillet. La Fayette ne fut en réalité absous par l'Assemblée que le mercredi 8 août ; mais la décision du 15 juillet put très-bien paraître à Robespierre une absolution anticipée. La lettre que nous reproduisons est une de celles qu'eurent grand soin de ne pas publier les Thermidoriens et qui peu à peu reviennent au jour pour éclairer l'histoire d'une lumière nouvelle.

[63] Mémoires de Dumouriez, t. II, p. 371. Comme tous les Mémoires publiés sous la Restauration, par les éditeurs Barrière et Berville, ces Mémoires-de Dumouriez sont accompagnés de notes qui sont un écho de toutes les calomnies en cours à cette époque contre les victimes de Thermidor, et dont la naïveté fait sourire aujourd'hui quiconque a la moindre notion des choses de la Révolution française.

[64] Voyez le Moniteur du 23 juillet 1792.

[65] Voyez dans le numéro 10 du Défenseur Je la Constitution l'article intitulé : Décret sur la rébellion de La Fayette, p. 492 à 502. Cet article a été reproduit in extenso dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 83.

[66] Voyez cette adresse dans le numéro 10 du Défenseur de la Constitution. Outre cette adresse des fédérés, leur pétition à l'Assemblée nationale, les articles de Robespierre sur la fédération de 1792 et le décret relatif à la rébellion de La Fayette, ce numéro contient des lettres concernant la situation des frontières et un résumé de la séance du 15 juillet à l'Assemblée nationale.

[67] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 235.

[68] Voir pour plus de détails le numéro 159 des Révolutions de Paris.

[69] Adresse des fédérés aux Français des quatre-vingt-trois départements. Ubi supra, p. 336.

[70] Mémoires de Dumouriez, t. II, p. 151, Mémoires de Bertrand de Molleville, ch. XXVI.

[71] Voyez la déposition de Chabot dans le t. XXX de l'Histoire parlementaire.

[72] Voyez cette lettre des Girondins dans le t. II des Mémoires de Dumouriez, aux éclaircissements historiques, note E, p. 422.

[73] Journal de Paris, numéro 203 de l'année 1792.

[74] Moniteur du 25 juillet 1792.

[75] Voyez dans le Moniteur du 27 juillet le discours de Brissot, dont l'impression fut décrétée à une très-grande majorité.

[76] Moniteur du 28 juillet 1792.

[77] Patriote français, numéro 1072. Dans ce même numéro on lit cet extrait d'une adresse d'Angers : La Fayette est un chef d'intrigues ; il a attenté à la souveraineté du peuple, violé la constitution, outragé des ministres vertueux, exposé l'armée calomnié les soldats. Eh bien ! frappez !

[78] Séance du 25 juillet. Présidence de Laffon Ladébat. Voir le Moniteur du 27.

[79] Voyez le texte de cet arrêté dans le t. XVI de l'Histoire parlementaire, p. 251.

[80] Voyez, entre autres, un long article des Révolutions de Paris, numéro 159, p. 142.

[81] On peut lire le manifeste du duc de Brunswick, in extenso, dans le Moniteur du 3 août 1792, et dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 276 et suiv.

[82] Moniteur du 3 août 1792.

[83] Révolutions de Paris, numéro 159, p. 194.

[84] Voyez les Mémoires et correspondances de Mallet du Pan, t. Ier.

[85] Annales patriotiques, numéro du 21 juillet 1792, article signé Carra, et intitulé : Quelques petites observations sur les intentions des Prussiens dans la guerre actuelle. Ces mêmes hommes, écrivait alors le rédacteur des Révolutions de Paris, en faisant allusion à Brissot et à ses amis, parlent d'opinions exagérées, ont des frayeurs de guerre civile ; un autre propose de mettre la couronne de France sur la tête du duc de Brunswick, numéro 159, p. 142. L'article de Carra devint un terrible argument contre lui, lors du procès des Girondins.

[86] Journal des débats et de la correspondance, numéro 236.

[87] Journal des débats et de la correspondance, numéro 237.

[88] Journal des débats de la correspondance et de la société, numéro 240.

[89] Michelet, Histoire de la Révolution, t. III, p. 523.

[90] L'extrait suivant d'une lettre fie Brissot à madame Roland peut donner une idée du ton que prenait ce chef de la Gironde avec les ministres nommés par son influence. ... Je serai libre samedi et aux ordres de madame Roland. Je lui envoie pour son mari et pour Lanthenas une liste de patriotes a placer ; car il doit toujours avoir une pareille liste sous les yeux... Tout aux amis... (Papiers trouvés chez Roland. Voyez Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 99). Brival, dans son rapport à la Convention sur les papiers trouvés chez Roland, n'a pas manqué d'insister sur cette lettre (p. 12 du rapport) : Camille Desmoulins a donné cette lettre comme ayant été adressée au ministre Roland personnellement ; mais c'est là un fait de la légèreté de Camille. (Voyez Histoire des Brissotins, p. 36).

[91] Cet immense discours est résumé en douze lignes par le Journal des débats et de la correspondance, numéro 210. Il parut dans le numéro 11 du Défenseur de la Constitution, p. 518 à 548. On le trouve dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 220.

Il est curieux maintenant de voir comment il a été apprécié par M. Michelet. Robespierre, selon le célèbre historien, ne savait rien dire autre chose sinon qu'il fallait convoquer des assemblées primaires qui éliraient des électeurs, et ceux-ci éliraient une Convention, pour que, cette assemblée légalement autorisée, on pût réformer la constitution. D'abord il est tout à fait inexact de dire que Robespierre voulait le suffrage à deux degrés. D'un passage que nous avons cité il résulte, au contraire, qu'il aurait voulu voir la Convention sortir du suffrage universel, et le 1er août il demanda, formellement cette fois, que les membres de la Convention fussent nommés directement par les assemblées primaires ; ce ne fut certes pas sa faute si l'Assemblée législative en décida autrement. Ensuite M. Michelet omet complètement de dire que Robespierre demandait préalablement la déchéance et le salut de l'État, par quelque moyen que ce fût. Au reste, les événements, ceci est à remarquer, suivirent à peu près la marche indiquée par Robespierre. Mais avec la façon de procéder de M. Michelet, on arrive facilement à conclure que une médecine tellement expectante eût eu l'effet naturel de laisser mourir le malade. (Histoire de la Révolution, t. 3, p. 523). Quant à la conduite de la Gironde en ces graves circonstances, M. Michelet l'enveloppe d'un silence prudent. Elle hésita, dit-il négligemment (p. 537) ; mais il se garde bien d'exposer les motifs réels, sérieux qui la firent hésiter, et surtout de parler de l'incroyable sortie de Brissot contre les républicains. En revanche il s'extasie sur Danton, et le loue fort d'avoir, aux Cordeliers, appelé les citoyens actifs aussi bien que passifs à défendre la constitution. Robespierre, lui, détruisait toute espèce de distinction ; c'était mieux. Mais M. Michelet n'en dit mot. Ô Muse sévère de l'histoire, est-ce là ta justice ? est-ce là ton impartialité ?

[92] Voyez le numéro 242 du Journal des débats et de la correspondance de la Société. Séance du 1er août où ces faits furent attestés par Desfieux, Merlin (de Thionville), et un troisième membre qui n'est pas nommé. Voyez aussi la déposition de Chabot dans le procès des Girondins. (Histoire parlementaire, t. XXX, p. 43.)

[93] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 242.

[94] Voyez les Annales patriotiques du 28 juillet 1792.

[95] La Chronique de Paris du 29 août 1792 la donne tout entière, accompagnée de cette note : Les paroles sont de M. Rougez, capitaine du génie à Huningue. L'air a été composé par Allemand pour l'armée de Biron. Ce sont les fédérés qui l'ont apporté de Marseille, où il était fort à la mode.

[96] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 241.

[97] Défenseur de la Constitution, numéro 11, article intitulé : Sur l'arrivée des Marseillais à Paris. Outre cet article et le discours prononcé le 29 aux Jacobins, ce numéro contient un certain nombre de lettres et de rapports sur la situation extérieure.

[98] Voyez le premier volume de cette histoire.

[99] Mémoires de Barbaroux, p. 40.

[100] Cette lettre fait partie de la collection Portiez (de l'Oise), laquelle renferme une foule de lettres adressées à Robespierre, lettres inédites pour la plupart, et dont nous possédons des copies textuelles dues à l'obligeance de M. Dugast-Matiffeux, de Nantes. Ces lettres proviennent de la saisie des papiers de Robespierre. Les Thermidoriens se sont bien gardés de les publier, parce qu'elles réduisaient à néant une partie de leurs calomnies, et mettaient à nu leurs mensonges, et que d'ailleurs ils espéraient rendre les hommes qui les avaient écrites complices de leurs odieuses machinations. La publicité que nous donnerons à ces lettres est une conquête historique. Amant passionné de la vérité, nous devons au conventionnel Portiez quelque reconnaissance de n'avoir point anéanti les précieux documents qu'il s'était appropriés.

[101] Un jour, sous la Constituante, Barbaroux, ayant lu dans le journal de Camille Desmoulins une lettre où se trouvait l'éloge d'un de ses concitoyens avec lequel il était en rivalité, écrivit aussitôt de Marseille, où il occupait les fonctions de secrétaire général de l'armée, une réponse que Camille, pour de bonnes raisons sans doute, ne voulut pas insérer. J'ai su depuis, écrit Barbaroux (p. 9 de ses Mémoires), que Camille Desmoulins trafiquait de ces insertions, et qu'il avait rejeté ma lettre parce que je n'y avais pas joint une somme de 200 livres. Impossible de calomnier plus lestement les gens. Voilà le ton général de ces Mémoires.

[102] Barbaroux ne dit nullement que ce fut de la part de Robespierre (p. 62), et M. Michelet s'est trompé en le disant (t. III, p. 547). M. Louis Blanc a commis, du reste, la même erreur (t. VII, p. 29) ; seulement il est loin de croire, comme son éminent confrère, à la sincérité du récit du narrateur marseillais.

[103] Déclaration de Panis à la Convention. Séance du 25 septembre. Voyez le Moniteur du 27 septembre 1792.

[104] M. Michelet, qui suit pas à pas Barbaroux sans avertir le lecteur des sources douteuses et équivoques où il a puisé ses renseignements, trouve moyen de renchérir sur cet écrit d'un mortel ennemi. Robespierre, qu'il suppose jaloux de l'influence de Danton, fit prier, dit-il, Barbaroux et Rebecqui de passer chez lui (t. III, p. 547), Barbaroux s'était contenté d'écrire : On m'invita le lendemain à une autre conférence chez Robespierre. Mémoires, p. 63.

[105] Mémoires de Barbaroux, p. 63.

[106] Michelet, Histoire de la Révolution, t. III, p. 547. M. Alexandre Dumas, dans son agréable roman de la Comtesse de Charny, a tracé de la chambre de Robespierre une peinture toute semblable, en sorte que si l'on ignorait que l'un et l'autre ont puisé dans les Mémoires de Barbaroux, on pourrait croire que l'historien a copié le romancier. Mais, du moins, le roman a-t-il des licences sévèrement interdites à l'histoire. M. de Lamartine, avec bien plus de mesure, s'est aussi inspiré du récit de Barbaroux (Histoire des Girondins, t. III, p. 92).

[107] Dans son accusation devant la Convention, Barbaroux n'osa point prêter ce langage à Robespierre, mais dans ses Mémoires il pouvait mentir en toute sécurité. Voyez le Moniteur du 27 septembre 1792.

[108] Mémoires de Barbaroux, p. 64.

[109] Le Moniteur, rédigé alors dans un sens tout girondin, a eu soin de passer sous silence ces mots que prononça Panis avant de demander à Barbaroux où étaient ses preuves et ses témoins. Voyez Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 1, p 47.

[110] Voyez le Moniteur du 27 septembre 1792.

[111] Défenseur de la Constitution, numéro 12, p. 571.

[112] Voyez le récit de Carra cité dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 270.

[113] Arrêté de la municipalité signé Pétion et Royer. Voyez à cet égard la Chronique de Paris du 5 août 1792.

[114] Journal des débats et de la correspondance de la Société, numéro 244.

[115] Journal des débats et de la correspondance de la Société, numéro 244. M. Michelet a donc été bien mal renseigné lorsqu'il a écrit : Robespierre ne dit rien le soir aux Jacobins, et très-probablement il s'abstint d'y aller, pour n'exprimer nulle opinion sur les mesures immédiates qu'il convenait de prendre. Il laissa passer le jour, ordinairement décisif dans les révolutions de Paris, le dimanche 5 août. Il se tut le 3, il se tut le 4, et ne recouvra la parole qu'après que ce jour fut passé, le 6 août (Hist.de la Révolution, t. III, p. 535). Trois erreurs en moins de six lignes ! On vient de voir comment Robespierre ne dit rien le soir du dimanche 5 août, aux Jacobins, et comment très-probablement il s'abstint d'y aller. Il s'était tu le 3 il est vrai ; la séance avait été d'une très-médiocre importance, comme on peut s'en rendre compte (numéro 243 du Journal des débats, etc.). S'il avait été muet le 4, c'était par l'excellente raison que ce jour-là il n'y avait pas eu de séance aux Jacobins. En effet les séances n'avaient lieu que tous les deux jours, le dimanche en plus. Comment cela a-t-il échappé à M. Michelet ? Enfin l'éminent historien se trompe encore en rendant la parole à Robespierre le lundi 6 août ; la séance ce jour-là fut remplie presque tout entière par un immense discours de Réal ; mais Robespierre reparut à la tribune le mercredi 8 août, comme ou peut s'en convaincre, c'est-à-dire à la dernière séance des Jacobins avant l'insurrection.

[116] Journal des débats et de la correspondance, etc., numéro 246.

[117] Voyez pour tous ces détails la Réponse de Maximilien Robespierre à Jérôme Pétion, dans les Lettres de Maximilien Robespierre à ses commettants (numéro 7).

[118] Voyez dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 402, cette circulaire de Pétion, parfaitement concordante avec le langage que l'avant-veille il avait tenu à Robespierre.

[119] On n'a jamais pu obtenir de Royer-Collard, qui tenait la plume comme greffier, la restitution du procès-verbal de cette séance. Voyez à ce sujet une lettre de son successeur Coulombeau, eu date du 24 janvier 1793, lettre dont la minute est aux Archives de la Ville, et qui a été reproduite dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, i>. 409.

[120] Voyez la liste complète des membres de la commune du 10 août, dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 410-422.

[121] Jusqu'à ce jour on avait estimé de six à sept cents le nombre des morts parmi les défenseurs des Tuileries, et de quinze cents à cinq mille celui des morts et blessés parmi les assaillants. M. le baron Poisson, dans son livre sur la garde nationale et l'armée, évalue à trois mille cinq cents le chiffre des victimes du côté du peuple. Un Feuillant de nos jours, auteur d'une Histoire de la Terreur dont nous aurons à nous occuper tout à l'heure, acceptant sans discuter le chiffre de six à sept cents pour les Suisses, fixe à QUARANTE celui des citoyens de Paris tués pendant le combat. Impossible d'aller plus loin dans l'absurde, et le ridicule de ce chiffre n'est égalé que par le ridicule des calculs pris par cet auteur pour base de son évaluation (Hist. de la Terreur, t. II, p. 493).

[122] Histoire particulière des évènements qui ont opéré la chute du trône, par Maton de la Varenne, p. 228.

[123] Histoire de la Révolution, par Michelet, t. IV, p. 61. M. Michelet sait parfaitement que Marat ne fut pas un des commissaires députés à la commune, et que si plus tard il fut illégalement introduit dans le sein du comité de surveillance, ce fut sans la participation du conseil général. Pourquoi donc ces équivoques ? Est-ce que c'est lit de la loyauté historique ? Il a dû savoir également que Robespierre parla longtemps aux Jacobins dans la journée même du 10 août, pourquoi donc n'en dit-il rien ? Ah ! c'est qu'il lui devenait difficile de faire sortir Robespierre de son trou le 11. M. Michelet, nous avons regret de le dire, ne procède pas seulement par hypothèses et suppositions, mais aussi par omissions. Tout ce qui est de nature à le gêner dans son système de thèse historique, il le supprime sans plus de façon.

[124] Mémoires de Barbaroux, p. 66. Ce qui n'empêche pas ce héros de la Gironde d'écrire négligemment (p. 82) que Robespierre s'était caché le 10. Voilà donc les autorités de M. Michelet et des écrivains qui ont adopté son système ; Maton de la Varenne et Barbaroux !!

[125] Défenseur de la Constitution, numéro 12, p. 576.

[126] Michelet, Histoire de la Révolution, t. III, p. 547.

[127] Journal des débats et de la correspondance, etc., numéro 247.

[128] Voyez dans le Défenseur de la Constitution, numéro 12, l'article sur les événements du 10 août 1792, de la p. 567 à la p. 583.

[129] Récit des événements du 10 août par Robespierre. Défenseur de la Constitution, numéro 12, p. 583 à 592.

[130] Réponse à Jérôme Pétion. Lettres de Maximilien Robespierre à ses commettants, numéro 7.

[131] L'original de cette lettre d'envoi a plusieurs fois figuré dans les ventes d'autographes. Elle a été reproduite dans les Papiers inédits, etc. t. II, p. 179.

[132] Défenseur de la Constitution, numéro 12, p. 576.

[133] Défenseur de la Constitution, numéro 12, p. 579.

[134] Voyez le Moniteur du 13 août 1792.

[135] Séance du 14 août. Procès-verbaux du conseil général. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[136] Séance du 23 août. Ubi supra.

[137] Voyez le Moniteur du 14 août 1792. Robespierre n'y est pas désigné comme l'orateur de la députation du conseil général, mais il est nommé dans le Courrier des quatre-vingt-trois départements (numéro du 14 août) et dans les Annales patriotiques (numéro du 14 également), qui sont d'accord sur la bonne réception faite par l'Assemblée à la pétition de la commune. L'arrêté de la commune, dont la minute est de la main de Robespierre figure sous le numéro XLIX à la suite du rapport de Courtois.

[138] L'arrêté de la commune, dont la minute est toute de la main de Robespierre, a été reproduit dans le tome II des Papiers inédits, p. 71, et inséré sous le n° XLIX, à la suite du rapport de Courtois. L'honnête rédacteur de ce rapport, par ignorance ou par mauvaise foi, a assigné à cet arrêté une date voisine de celle du 9 Thermidor : Il parait, dit-il, que la commune vous devait, citoyens, présenter une pétition tendant à la suppression du département, etc., et il en tire la conséquence du dévouement réciproque des municipaux et du tyran. Voyez p. 35 du rapport. Ces thermidoriens ne savaient même pas l'histoire contemporaine, s'ils ne la falsifiaient à dessein.

[139] Voyez dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 114, le compte-rendu de cet incident. Voyez aussi, dans les Lettres de Robespierre à ses commettants, n° 4, sa réponse à Louvet.

[140] Il suffit de lire dans le Patriote français les quelques lignes pleines de fiel dirigées contre Robespierre et la commune pour être convaincu de ce complot (Voyez le numéro 1110). Rien n'égale la mauvaise foi de cette feuille. Les autres journaux girondins, qui avaient applaudi à la première démarche de la commune, restèrent muets cette fois.

[141] Réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettants, n° 4, p. 180.

[142] Le procès-verbal de la commune ne dit mot de la réponse de Robespierre, mais lui-même en rend compte dans sa réponse à Louvet. p. 180. Lettres de M. Robespierre à ses commettants, n° 4.

[143] Registre des arrêtés et délibérations de la section de la place Vendôme (Archives le la Préfecture de police).

[144] Courrier des quatre-vingt-trois départements, numéro du jeudi 16 août 1792.

[145] Le Moniteur du 17 août résume en peu de lignes la harangue de Robespierre, mais on la trouve complète dans le numéro 12 du Défenseur de la Constitution.

Outre ce discours, un article d'appréciation sur les événements du mois d'août, et d'intéressants détails sur ces événements, ce numéro contient une reproduction de diverses pièces trouvées aux Tuileries, plusieurs lettres, l'interrogatoire de M. de Lalain, employé au bureau de la guerre, et le procès-verbal de la déclaration d'un-sergent des grenadiers, nommé Lecomte, de service aux Tuileries dans la nuit du 9 au 10 août. C'est le dernier numéro du Défenseur de la Constitution. Robespierre le fit suivre de cet avis à ses souscripteurs :

Les circonstances actuelles et l'approche de la Convention nationale semblent nous avertir que le titre de Défenseur de la Constitution ne convient plus h cet ouvrage : quoique nous ayons déclaré, dès l'origine, que ce n'étaient point ses défauts que nous voulions défendre, mais ses principes ; quoique notre but n'ait jamais été de la défendre contre le vœu du peuple, qui pouvait et qui devait la perfectionner, mais contre la cour et contre tous les ennemis de la liberté qui voulaient la détruire ou la détériorer. Nous continuerons désormais cet ouvrage sous un titre plus analogue aux conjonctures où nous sommes.

[146] Moniteur du 17 août 1792, au supplément, numéro 230 (bis).

[147] Patriote français, numéro 1103.

[148] Extrait du registre des délibérations du conseil général de la commune. Séance du 14 août. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[149] Extrait du registre des délibérations du conseil général de la commune. Séance du 16 août.

[150] Voyez le Moniteur du 19 août 1792. Ce journal prête à l'orateur Je la commune un langage d'une extrême violence. Le Patriote français, peu suspect de partialité envers la commune, donne, au contraire, de ce discours un résumé plein de convenance et de modération. Ni l'un ni l'autre ne nomment le membre qui porta la parole. Ils le désignent ainsi, l'un : Un représentant provisoire de la commune ; l'autre : Un magistrat du peuple. Voyez le Patriote français, numéro 1105.

Nous faisons cette observation parce que, grâce à la déplorable légèreté avec laquelle a été trop souvent écrite l'histoire de la Révolution française, on a quelquefois attribué les paroles rapportées par le Moniteur à Robespierre qui, comme on l'a vu, ne faisait même pas partie de la députation de la commune.

[151] Archives, B. A. 13 (38). Voyez aussi la Chronique de Paris du 20 août 1792 et le Patriote français, numéro 1104.

[152] Archives. Ubi supra.

[153] Cette lettre de Robespierre parut dans le Moniteur du 28 août 1792, dans le Courrier des quatre-vingt-trois départements du 24 août, et dans le Patriote français, numéro 1110, lesquels la publièrent sans réflexions. La Chronique de Paris annonça en ces termes le refus de Robespierre : M. Robespierre n'est point membre du tribunal destiné à juger les conspirateurs. C'est par erreur que nous l'avions annoncé. Il a refusé parce qu'ayant combattu depuis l'origine de la Révolution les criminels de lèse-nation, et ayant dénoncé la plupart d'entre eux, il n'a pas cru pouvoir être juge de ceux dont il a été l'adversaire. (Numéro du 25 août 1792.)

[154] Voyez sur ce second refus la lettre de Robespierre au Courrier des quatre-vingt-trois départements. (Numéro du 24 août.)

[155] Réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettants, n° 4, p. 160.

[156] Registre des délibérations du conseil général de la commune. (Séance du 15 août.) Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[157] Réponse à Jérôme Pétion. Lettres de Maximilien Robespierre à ses commettants, n° 7, p. 298.

[158] Registre des délibérations du conseil général de la commune. Ubi supra. (Séance du 17 août.)

[159] Journal des débuts et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 250.

[160] Voyez le Moniteur du 17 août 1792, au supplément, numéro 230 (bis).

[161] Tant de personnes jugent encore le La Fayette de 1791 et de 1792 sur le La Fayette de 1830, que nous croyons devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs ce décret de l'Assemblée, rendu sur un rapport de La Source, et qui prouve surabondamment combien fondées étaient les dénonciations de Robespierre contre ce général :

L'Assemblée nationale, considérant que le général La Fayette a employé les manœuvres les plus odieuses pour égarer l'armée dont le commandement lui avait été confié ; considérant qu'il a cherché à la mettre en état de révolte, en la portant à méconnaître l'autorité des représentants de la nation, et à tourner contre la patrie les armes mêmes des soldats de la patrie ; considérant qu'il est prévenu du crime de rébellion contre la loi, de conjuration contre la liberté et de trahison envers la nation, décrète ce qui suit :

Article premier. — Il y a lieu à accusation contre Motier La Fayette, ci-devant général de l'armée du Nord ;

Art. 2. — Le pouvoir exécutif est expressément chargé de mettre promptement à exécution le présent décret ;

L'Assemblée nationale enjoint à toutes les autorités constituées et à tous les citoyens et soldats de s'assurer dudit Motier La Fayette par tous les moyens possibles ;

Art. 3. — L'Assemblée nationale défend à l'armée du Nord de reconnaître ledit Motier La Fayette, et de lui porter aucune obéissance ; défend pareillement aux corps administratifs, municipalités, et à tous fonctionnaires publics, de lui prêter aucune assistance et d'obéir à aucune de ses réquisitions, ainsi qu'à tous dépositaires publics de rien payer pour ladite armée que sur les ordres du général Dumouriez, nommé pour remplacer ledit La Fayette, et ce, sous peine d'être déclarés complices de rébellion. (Moniteur du 21 août), au supplément, numéro 234 (bis).

[162] Voyez le Moniteur du 28 août 1792.

[163] Voyez le Moniteur du 29 août 1792.

[164] Moniteur du 30 août 1792. Voir en quels termes s'exprimait à ce sujet Gondorcet dans la Chronique de Paris : M. Couthon, en revenant occuper dans l'Assemblée un poste qu'il a toujours rempli avec honneur, et dont l'état de sa santé l'avait forcé de s'absenter pendant quelque temps, a rendu compte des dispositions favorables qui règnent dans l'armée et dans le département du Nord. (Numéro du 29 août 1792.)

[165] Voyez le Moniteur du 31 août 1792. (Séance du 29 au matin.)

[166] Le chiffre exact est 992, tant pour les sections de Paris que pour les cantons ruraux ; mais ce nombre diminua sensiblement par suite d'exclusions prononcées contre divers électeurs.

[167] M. Robespierre ayant représenté que sa santé ne lui permettait pas de passer la nuit à présider les personnes qui demeureraient la nuit dans cette assemblée, a demandé qu'on nommât par intérim un autre président à sa place pour, en son absence, présider cette nuit seulement et le représenter. Vidaud et Seigneur furent en effet nommés président et vice-président pour cette nuit. (Registre des délibérations et arrêtés de la section de la place Vendôme. Archives de la Préfecture de police, f° 54.)

[168] L'assemblée a arrêté que nul membre, citoyen de la section, ne sera proposé qu'il ne soit discuté et scruté ; et que celui scruté sera nommé à haute voix par appel nominal. Il est résulté de ce mode de nomination ainsi déterminé que M. Robespierre, président de l'assemblée, a été nommé premier électeur de la section, à la pluralité unanime des suffrages de l'assemblée, à l'exception d'une voix. (Registre des délibérations, etc. Ubi supra.)

[169] Extrait des procès-verbaux des assemblées primaires. Archives. B. IV. 14.

[170] Extrait des procès-verbaux des assemblées primaires. Archives. B. IV. 14.

[171] Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[172] Voyez dans les Révolutions de Paris (numéro 164) la description de cette fête funéraire.

[173] Extrait des procès-verbaux de la commune de Paris. Archives de la Ville. V. 22, Carton O. 7. O.

[174] Voyez cet arrêté reproduit in extenso dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 199.

[175] C'est ce que M. Michelet, qui s'est montré d'une si criante injustice pour la commune du 10 août, appelle poursuivre Girey-Dupré pour un article de journal (Histoire de la Révolution, t. IV, p. 101). Encore eût-il été juste d'expliquer au moins le fait à ses lecteurs. — Par la grâce de la Gironde, Girey-Dupré était sous-chef à la Bibliothèque nationale.

[176] Voyez pour cette séance du 30 août le Moniteur du 31 août 1792 et celui du 1er septembre.

[177] Voici comment s'exprime le procès-verbal : Le procureur de la commune demande que les nouveaux administrateurs ne soient que les adjoints des anciens ; il demande deux séances du corps municipal et trois du bureau par semaine, afin de faire marcher l'administration ; le conseil persiste dans son arrêté du matin, relatif à une adresse dont M. Robespierre est rédacteur. D'où il résulte que c'était surtout cette question des seize administrateurs, qui sous le titre de bureau municipal fonctionnaient à côté du maire, qu'elle donnait à traiter à Robespierre. En effet, pour complaire à l'Assemblée législative, elle était revenue sur un arrêté par lequel elle avait dissous l'ancien bureau municipal, et nous entendrons précisément Robespierre, dans son discours du surlendemain 1er septembre, s'élever en partie contre cette décision.

[178] Voyez les registres des procès-verbaux du conseil général, pour la journée du 30. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[179] Registre des délibérations de la section de la place Vendôme. Archives de la préfecture de police.

[180] Histoire de la Terreur, par M. Mortimer Ternaux. Quand nous disons que ce livre est une histoire de la Révolution à l'usage de la bourgeoisie repue et satisfaite, nous ne parlons, bien entendu, que de cette fraction égoïste qui, se considérant en quelque sorte comme l'héritière directe de l'ancienne noblesse, avait confisqué à son profit les droits de la nation, et dont le coup de foudre de février 1848 a excité les colères implacables contre les défenseurs morts ou vivants de la démocratie et de la souveraineté populaire. C'est au contraire la gloire de la bourgeoisie française, à laquelle appartenait Robespierre, de s'être toujours identifiée avec le peuple, et de n'avoir point voulu laisser s'élever une autre aristocratie sur les ruines de la noblesse et du clergé, de ne reconnaître enfin d'autre supériorité sociale que celle du mérite, des vertus et du talent.

[181] Il est arrêté qu'il sera rédigé une adresse pour être envoyée aux quarante-huit sections. M. Robespierre est nommé rédacteur. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[182] Réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettants, n° 4, p. 166.

[183] Histoire de la Terreur, par M. Mortimer Ternaux, t. III, p. 167.

[184] Ibld., t. III, p. 169.

[185] Les registres des procès-verbaux du conseil général de la commune sont aux Archives de la ville. Avenue Victoria. Voyez le V. 22. Carton O. 7. O.

[186] Archives de la Préfecture de police.

[187] Registres des procès-verbaux du conseil général de la commune. V. 22. Carton O. 7. O. Archives de la Ville.

[188] Procès-verbaux du conseil général de la commune. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[189] Histoire de la Terreur, t. III, p. 169. Dans les notes placées à la fin de ce troisième volume (p. 468), M. Mortimer Ternaux reproduit dix lignes du procès-verbal de la séance du 30 août au soir, séance ou, comme on l'a vu, le conseil déclara persister dans son arrêté du matin, relatif à l'adresse aux sections dont Robespierre avait été nommé rédacteur. Cette adresse, on le sait de reste maintenant, n'avait rien de commun avec celle de Tallien. M. Mortimer Ternaux, pour la présenter à ses lecteurs comme étant celle qui fut lue à l'Assemblée nationale, omet tout simplement de citer tout ce qui, dans la séance du 31 août, concernait Tallien et son adresse. Autrement, on le conçoit, il n'y avait plus de confusion possible.

[190] Et c'est ce dont M. Mortimer Ternaux ne manquera pas de lui faire un crime. Comment ne s'est-il pas aperçu d'une contradiction aussi choquante ?

[191] Comme M. Michelet, par exemple. Voyez son Histoire de la Révolution, t. III, p. 104.

[192] Histoire de la Terreur, par M. Mortimer Ternaux, t. III, p. 175. Avec de pareils procédés il est aisé, on le conçoit, à cet écrivain modéré, de prodiguer à Robespierre les épithètes d'odieux, de cauteleux, d'astucieux, qui tombent à chaque instant de sa plume comme d'un vase d'amertume. Avouons aussi qu'il est bien venu à reprendre ce qu'il appelle les erreurs de M. Louis Blanc (Voyez, t. III, p. 291).

[193] Voyez le Moniteur du 2 septembre 1792.

[194] Lettre de madame Roland à Robespierre, en date du 25 août 1792 au soir. Voyez cette lettre dans le tome 1er des Papiers inédits trouves chez Robespierre, etc., p. 305.

[195] Les lettres, récemment publiées, de madame Roland à Buzot, ne laissent aucun doute sur l'amour passionné qu'elle éprouva pour ce membre distingué du parti de la Gironde.

[196] Voyez dans les Mémoires de Charlotte Robespierre (p. 77 et suivantes), cette lettre dont nous avons donné quelques extraits dans notre précédent volume. M. Faugère l'a reproduite dans sa nouvelle édition des Mémoires de madame Roland.

[197] Lettre de madame Roland, en date du 25 août 1792. Ubi supra.

[198] Déposition de Fabre d'Églantine dans le procès des Girondins. Histoire parlementaire, t. XXX, p. 84.

[199] Déclaration de Vergniaud dans le procès des Girondins. Histoire parlementaire, t. XXX, p. 85.

[200] Procès-verbaux du conseil général de la commune. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[201] Registre des délibérations et arrêtés de la section de la place Vendôme. Archives de la Préfecture de police.

[202] Il en fallait beaucoup moins pour exciter contre eux la colère de Robespierre et de ses amis, s'écrie l'auteur de l'Histoire de la Terreur (t. III, p. 206). Que ces administrateurs aient bien mérité de la royauté et des royalistes, cela se comprend à merveille. Mais avoir l'air de s'étonner que la commune du 10 août ait cru devoir expulser de son sein d'anciens administrateurs convaincus d'avoir sommé les troupes de tirer sur le peuple, cela est en vérité par trop naïf !

[203] Procès-verbaux du conseil général de la commune. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[204] Histoire de la Révolution, par M. Michelet (t. 4, p. 125). Et savez-vous pourquoi selon M. Michelet, en ces heures décisives où il s'agissait de savoir si la France allait périr ou non, Robespierre dépassa les plus violents ? C'était sans doute dans la crainte de laisser grandir Danton, pendant que lui diminuait (p. 111). Est-il possible de rapetisser ainsi de tels hommes ! Mais la motion de Robespierre à la commune ne rend-elle pas cette supposition tout à fait absurde ? Si cette motion eût été acceptée, Robespierre n'était plus rien, pas même simple commissaire près la commune,-poste qui lui donnait un deux cent quatre-vingt-huitième d'autorité, — et Danton restait ministre.

[205] Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution de France, par C. Beaulieu. Paris, an IX, t. IV, p. 146. Beaulieu a rédigé, en collaboration avec Michaud jeune, l'article Robespierre dans la première édition dé la Biographie universelle.

[206] Voyez le procès-verbal de la séance du 1er septembre à la commune. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O. Ce discours de Robespierre publié sous ce titre : Adresse des représentants de la commune de Paris à leurs concitoyens (in-8° de 15 pages), est devenu rarissime. Il ne nous a pas été possible de nous en procurer un exemplaire ; la Bibliothèque impériale elle-même ne le possède pas. Nous avons donc dû nous contenter du résumé très-succinct fourni par le procès-verbal de la commune. M. Mortimer Ternaux, qui a le génie inventif, présente Robespierre comme ayant ce jour-là dénoncé une conspiration en faveur du duc de Brunswick, ce qu'il ne fit que le lendemain, et il lui prête des paroles qu'il a trouvées dans un pamphlet de Louvet, c'est-à-dire d'un des plus cyniques menteurs que l'imagination puisse concevoir, dans un pamphlet dont la Convention, de dégoût, refusa d'entendre la lecture, paroles par lesquelles se trouvent accusés en masse tous les membres de la Gironde. C'est encore là une erreur historique importante à dévoiler. Robespierre désigna en effet nommément, dans la nuit du 2 au 3 septembre, deux membres de la Gironde, et cela par des raisons très-faciles à comprendre comme on verra, et non pas la Gironde en masse. L'auteur de l'Histoire de la Terreur a-t-il cru que ces supercheries passeraient inaperçues ? Mais ce qu'il y a de bizarre, c'est qu'ayant, j'imagine, le procès-verbal de la commune sous les yeux, il écrit : Les deux cent quatre-vingt-huit adoptent avec enthousiasme les conclusions de Manuel et de Robespierre (t. III, p. 206). Ce qui, à l'égard de ce dernier, est précisément le contraire de la vérité.

[207] Réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettants, n° 4, p. 116.

[208] Dans la séance du 29 octobre 1792, aux Jacobins, Chabot, qui s'était joint aux commissaires désignés par l'Assemblée législative pour calmer l'effervescence populaire, affirma qu'il avait passé sous une voûte d'acier de dix mille sabres, et que depuis a cour des Moines jusqu'à la prison de l'Abbaye, on était obligé de se serrer pour aire passage aux envoyés de la Convention. Il invoqua le témoignage de ses collègues Bazire ; Calon, et autres qui l'accompagnaient, et personne ne le contredit (Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 293).

[209] Discours de Pétion sur l'accusation intentée à Robespierre, p. 14.

[210] Ce sont les propres expressions de Robespierre. Voyez la réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 4 et le numéro 648 de l'Ami du peuple.

[211] Ce qui n'empêche pas M. Michelet, voulant par la plus étonnante des aberrations rendre Robespierre solidaire de ce que Marat put faire en septembre, d'écrire que Panis diminua son éloignement naturel pour Marat (t. IV, p. 124). Selon toute apparence, a-t-il soin d'ajouter. Et pourquoi selon toute apparence ? M. Michelet est tout à fait dans l'erreur quand il présente Panis comme un servile disciple de Robespierre, et quand, emporté par sa rage de fantaisie, il-nous le montre allant chaque matin rue Saint-Honoré, à la porte de son directeur, demander ce qu'il devait penser, faire et dire (p. 124). Aucun témoignage, et M. Michelet se garde bien d'en invoquer de sérieux, ne saurait ici prévaloir contre les faits. Panis aimait et estimait Robespierre, cela n'est pas douteux ; mais son dieu, son idole, c'était Danton. Les deux familles étaient étroitement liées, et nous verrons plus tard Panis, le cœur ulcéré de la mort de Danton, figurer parmi les ennemis de Robespierre. Puisque M. Michelet, dans l'intérêt de sa thèse, a cru devoir rappeler qu'un jour, selon Barbaroux, Panis aurait dit qu'il fallait un dictateur, un homme comme Robespierre ; encore aurait-il dû rappeler aussi, dans l'intérêt de la vérité, le démenti sanglant qu'en pleine Convention reçut, sans le relever, ce député de Marseille. C'est triste à dire, mais rien n'est embrouillé, rien n'est faux, rien n'est perfide comme les pages confuses où l'éminent écrivain essaie de donner un rôle à Robespierre dans le lugubre drame de Septembre. En vérité, j'aime autant les Mémoires publiés sous le nom de Weber, frère de lait de la reine. Au moins celui-ci n'y va pas par quatre chemins, et il nous dépeint Robespierre excitant le peuple à massacrer tous les prisonniers (t. II, p. 252). Voilà ce que sous la Restauration MM. Barrière et Berville publiaient comme des Mémoires sur la Révolution.

[212] Réponse à Louvet. Quatrième lettre de M. Robespierre à ses commettants, p. 170.

[213] Voyez le compte rendu de la séance du 2 septembre au matin, à l'Assemblée nationale, dans le Moniteur du 4 septembre 1792. Admirez l'empire des préventions ! M. Michelet trouve ces paroles simplement hardies (t. IV, p. 135), tandis que, comme nous l'avons fait remarquer, il attribue un sens sinistre aux paroles de Robespierre prononcées la veille : Il faut remettre le pouvoir au peuple, paroles dont le sens est si clair et si naturel.

[214] Procès-verbaux de la commune. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[215] Voyez le Moniteur du 4 septembre 1792.

[216] Ce sont les propres expressions du procès-verbal. Voyez Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[217] Moniteur du 4 septembre 1792. Voici la singulière façon dont le journal de Brissot explique l'inertie de l'Assemblée : Des commissaires de la commune annoncent qu'un grand nombre d'hommes armés et sans armes se portent aux prisons. La commune demande que l'Assemblée vienne à son secours. Que pouvait faire l'Assemblée nationale.si la commune avait épuisé tousses moyens ? et si elle ne les avait pas épuisés, que venait-elle demander à l'Assemblée nationale ? (Numéro 1121.)

[218] Voyez cette séance du 25 septembre à la Convention, dans le Journal des débats et décrets, numéro 7, p. 91. Le Moniteur, en attribuant à Sergent le démenti de Robespierre, commet une erreur manifeste, sur laquelle nous nous expliquerons en détail dans le livre suivant ; ce qui n'empêche pas M. Michelet (t. IV, p. 318) de prétendre que Robespierre accepta l'accusation et garda la tache, comme si son démenti n'avait pas été assez net, comme si, dans sa réponse à Louvet, Robespierre ne s'était pas expliqué devant la France et l'Histoire. M. Michelet, qui en général accorde tant de confiance aux paroles de Sergent, ne le cite pas cette fois. Sergent, sous sa plume, est devenu quelqu'un démentant Vergniaud. Mais si Robespierre avait, en dehors de Brissot, désigné d'autres députés de la Gironde, est-ce que Rühl n'en aurait rien dit, lui qui se plaignit le lendemain même que Robespierre eût calomnié Brissot ? (Moniteur du 6 septembre.) Comment M. Michelet ne s'est-il pas rappelé cela ?

[219] Quatrième lettre de M. Robespierre à ses commettants, p. 181.

[220] Voyez à cet égard les Mémoires de Ferrières, t. III, p. 126.

[221] Discours de Pétion sur l'accusation intentée contre Robespierre, p. 16.

[222] Voyez les Mémoires de Brissot, t. IV, p. 193.

[223] Voyez le Moniteur du jeudi 6 septembre 1792, et celui du lendemain 7, où se, trouve la lettre de Brissot.

[224] Patriote français, numéro 1119 (du 2 septembre 1792.) Voici la phrase textuelle : Malgré, les efforts des Robespierre et des Marat pour amortir le zèle guerrier des citoyens et à empêcher de voler au secours de leurs frères d'armes, Paris ne se déshonorera pas par un lâche égoïsme. Quatre cent cinquante jeunes gens de la section des Quatre-Nations, enrôlés pour les compagnies franches, défilent dans l'Assemblée nationale et prêtent le serment. Notre ardeur est telle, disent-ils, qu'elle ne peut s'éteindre que dans le sang des ennemis. La section des Quatre-Nations, c'était celle de l'Abbaye.

[225] Il est plaisant, après cela, d'entendre M. Michelet se lamenter sur les calomnies de Robespierre. Il est vrai qu'avec l'impartialité qui lui est propre, il enveloppe d'un silence prudent toutes les calomnies, tous les mensonges, toutes les diffamations des Girondins. Voyez son Histoire de la Révolution, t. IV, p. 119.

[226] Voyez sa réponse à Louvet. Quatrième lettre de Robespierre à ses commettants.

[227] Quatrième lettre de Robespierre à ses commettants, p. 181.

[228] Il n'est si petites choses au sujet desquelles on n'ait été induit en erreur sur le compte de Robespierre. Madame de Staël en fait le président de la commune dans le récit des circonstances qui ont accompagné son départ. J'arrivai donc enfin à cette commune présidée par Robespierre, et je respirai, parce que j'échappais à la populace. Quel protecteur cependant que Robespierre !... Considérations sur la Révolution française, t. II, p. 73 de la 2e édition.

[229] Ce sont les expressions mêmes du procès-verbal. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O.

[230] Voyez dans le Moniteur du 7 septembre 1792 la lettre de Santerre au ministre Roland sur l'inutilité de ses efforts.

[231] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 1, p. 167. M. Michelet, qui se vante de marcher seul dans ces sombres régions de Septembre (t. IV, p. 127), — hélas ! bien souvent à côté de la vérité ! — imagine, nous ne savons sur quel commérage, que dans la nuit du 2 au 3 septembre Robespierre se cacha, quitta la maison des Duplay et se réfugia chez son fervent disciple Saint-Just (p. 166). On se demande comment un historien sérieux a pu accepter si légèrement de pareilles anecdotes. Et pourquoi Robespierre se serait-il ruche, en sortant à près de deux heures du matin de la séance du conseil général ? Et puis il y a un malheur, c'est qu'à cette époque Saint-Just n'était pas à Paris. Nous avons démontré autre part, par PIÈCE AUTHENTIQUE, qu'au moment des événements de Septembre, Saint-Just était tranquillement à Soissons, siégeant au sein de l'assemblée électorale du département de l'Aisne. (Y. notre Histoire de Saint-Just, éd. Meline et Cans, t. I, p. 117). M. Michelet a-t-il emprunté cette erreur à M. de Lamartine, chez qui nous l'avons relevée jadis ? C'est possible. Mais au moins l'illustre poète ne s'est fait l'écho d'aucune calomnie, et il est bien plus dans la vérité historique quand il représente Robespierre comme gémissant sur les massacres. (Histoire des Girondins, t. III, p. 332 et suivantes.)

[232] Procès-verbaux du conseil général de la commune de Paris. Archives de la Ville. V. 22.

[233] Moniteur du 5 septembre 1792.

[234] On lit dans l'Histoire de la Terreur, par M. Mortimer Ternaux (t. III) : Parmi les trois commissaires envoyés le 3 septembre au Temple par le conseil général de là commune était Robespierre, preuve évidente qu'il siégeait à la commune pendant qu'on égorgeait dans les prisons, et qu'il prit part aux délibérations par lesquelles les massacres étaient implicitement approuvés. C'est cependant ce que nient impudemment tous les écrivains qui veulent écarter de cette idole de la démagogie tout ce qui pourrait impliquer de sa part la moindre complicité dans les journées de Septembre. Quelle force de logique ! Si ce véridique auteur avait pris la peine d'examiner un peu sérieusement les procès-verbaux de l'assemblée électorale, il aurait vu que Robespierre siégea sans désemparer dans cette assemblée depuis le 2 septembre jusqu'à la fin des opérations, c'est-à-dire jusqu'au 19, et il se serait convaincu que très-probablement Robespierre ne parut au conseil général que dans la soirée du 2 septembre. Comment n'a-t-il pas lu le pamphlet de Méhée de La Touche, dans lequel ce secrétaire adjoint de la commune fait précisément un crime à Robespierre de ne pas assister aux délibérations du conseil général ? C'est pourtant un libelle d'une violence extrême contre Robespierre.

Ah ! les impudents, ce sont ceux qui, égarés par l'esprit de parti, violent effrontément les plus simples vérités historiques ; qui attribuent à Robespierre la rédaction d'une adresse à laquelle il fut tout à fait étranger ; qui enfin font approuver implicitement les massacres de Septembre par le conseil général de la commune, lequel, ainsi que nous l'avons démontré, fit pour arrêter ces massacres tout autant et plus que l'Assemblée nationale.

[235] Moniteur du 5 septembre 1792.

[236] Courrier des quatre-vingt-trois départements. Numéros des 5 et 6 septembre 1792.

[237] Moniteur du 13 septembre 1792.

[238] Discours de Pétion sur l'accusation intentée contre Robespierre, p. 14.

[239] Voyez notre Histoire de Saint-Just (éd. Meline et Cans, t. I, p. 257 et 258), et le Moniteur du 18 juillet 1793.

[240] Discours de Pétion sur l'accusation intentée contre Robespierre, p. 15. Voyez aussi le journal les Révolutions de Paris, numéro 173, p. 239. Les écrivains qui, comme M. Michelet, M. Mortimer Ternaux, se sont acharnés à décrier Robespierre, ont prétendu que les ministres restèrent brisés du discours de Robespierre relatif à la conspiration en faveur du duc de Brunswick, et la preuve qu'ils en donnent, c'est qu'une section, celle de l'Ile-Saint-Louis, envoya une députation à l'Assemblée nationale pour savoir si en effet le pouvoir exécutif avait perdu la confiance de la Nation. A cette assertion si légèrement produite, il n'y a qu'une réponse à faire : il était six heures du soir quand le 2 septembre se présenta à l'Assemblée la députation de la section de l'Île-Saint-Louis ; il en était au moins dix quand Robespierre commença à parler au sein du conseil général. (Voyez le Moniteur du 4 septembre, et le procès-verbal du conseil général pour la séance du soir à la commune). Voyez aussi à ce sujet la discussion lumineuse à laquelle s'est livré M. Louis Blanc à la suite de son chapitre : Souviens-toi de la Saint-Barthélemy, t. VII, p. 196 et suivantes.

[241] D'après un récit fort suspect, Robespierre se trouvant avec Pétion au ministère de la justice dans la soirée du 3 septembre, un individu du nom de Mandar, assez médiocre littérateur, leur aurait proposé de les accompagner le lendemain à l'Assemblée, se faisant fort d'obtenir d'elle la création d'un dictateur pour arrêter les massacres. Robespierre ayant répondu : Garde-t'en bien, Brissot serait dictateur, Robespierre, aurait répliqué Mandar, ce n'est pas la patrie que tu aimes, c'est Brissot que tu détestes. — Et Robespierre reprenant : Je déteste la dictature et je déteste Brissot. Ce récit nous est tout à fait suspect, disons-nous, parce qu'il est tiré de cette fameuse Histoire impartiale et générale été tous les crimes et erreurs de la Révolution, publiée par Prudhomme, lequel entreprenait des publications révolutionnaires ou contre-révolutionnaires, selon que le vent soufflait de la révolution ou de la contre-révolution. Prudhomme raconte le fait comme le tenant de Mandar, personnage assez peu digne de confiance. Il en résulterait, dans tous les cas, une preuve de plus de l'invincible éloignement de Robespierre pour toute espèce de dictature. Toutefois nous n'avons pas cru devoir accorder à ce témoignage l'importance historique que M. L. Blanc lui a donnée dans sa belle Histoire de la Révolution, t. VII. p. 190.

[242] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 4, p. 172.

[243] Voyez l'Histoire de la Révolution, par M. L. Blanc, qui a recueilli ce fait de lu bouche même de Souberbielle, t. VII. p. 192.

[244] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 75.

[245] Déposition de Duhem dans le procès des Girondins. Voyez ce procès dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 106.

[246] Procès-verbaux de la commune (séance du 20 septembre 1792). Archives de la Ville. V.

[247] On n'a peut-être pas oublié qu'un jour le doux auteur de Faublas avait parlé de la nécessité possible d'une formidable exécution populaire. Or voici ce que nous lisons dans l'Histoire de la Révolution, par Beaulieu. On se rappelle le journal-affiche, la Sentinelle, rédigé par M. Louvet, et dont le ministre Roland faisait les frais ; eh bien ! j'ai vu, dans la matinée du 3, aux coins de plusieurs rues, divers-exemplaires de cette affiche, où l'on approuvait assez formellement les massacres (Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution en France, par C.-F. Beaulieu, t. IV, p. 133). Ce témoignage d'un écrivain ultra-royaliste n'aurait aucune espèce de portée à nos yeux, si le girondin Louvet n'eût pas été, en quelque sorte, l'alter ego du girondin Gorsas, qui, comme on l'a vu, approuvait en termes assez formels les massacres dans sa feuille, que le ministre Roland faisait également passer, sous son couvert, dans tous les départements.

[248] La vérité toute entière sur les vrais auteurs de la journée du 2 Septembre. Voyez cette brochure reproduite in extenso dans l'Histoire parlementaire, t. XVIII, p. 156 à 180.

[249] Histoire des hommes de proie, ou les crimes du comité de surveillance, par Roch Marcandier. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVIII p. 181 à 215.

[250] Réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettants (numéro 4).

[251] Procès-verbaux de l'assemblée électorale (septembre 1792). Archives de la Ville. V. 69. Carton 21.

[252] Procès-verbaux de l'assemblée électorale (septembre 1793). Archives de la Ville, V. 69, Carton 21.

[253] Voyez les Révolutions de Paris, numéro 164, p. 384.

[254] Procès-verbaux de l'assemblée électorale. Archives de la Ville. V. 69. Carton O. 22. O. Cinq cent vingt-cinq électeurs étaient présents ce jour-là. Voici comment se répartirent les suffrages : Robespierre 338, avec 75 voix au dessus de la majorité absolue ; Pétion, 136 ; Collot-d'Herbois, 27 ; Danton, 13 ; Brissot, 4 ; Réal, Carra, Pons de Verdun, Billaud-Varenne, Hérault-Séchelles et Rouland, chacun une voix. L'assemblée électorale était loin d'être au complet alors ; c'est ce qui explique comment, bien qu'élu le premier, ce qui alors était un grand honneur, Robespierre eut moins de voix que la plupart de ceux qui furent nommés après lui.

[255] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, numéro 260.

[256] V. le Patriote français du 10 septembre, numéro 1127. Après Robespierre, furent élus à Arras. Carnot aîné, Duquesnoy, Le Bas et Thomas Payne.

[257] M. Michelet ne manque pas d'avancer, sans examiner si son assertion est vraie, que Robespierre recommanda Marat aux assemblées électorales (t. IV, p. 125). Or quelle est l'autorité de M. Michelet ? Sans doute Louvet. Mais l'auteur de Faublas se garde bien d'être aussi affirmatif. Il reproche à Robespierre d'avoir produit Marat, non pas nominativement, et Dieu sait quel degré de confiance l'histoire doit accorder à Louvet. (Voyez son Accusation contre Robespierre, p. 12, à la note). Répéterons-nous qu'un des principaux chefs d'accusation des Thermidoriens contre Robespierre fut qu'il n'avait pas compris Marat ?

[258] Réponse à Louvet. Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 4, p. 151.

[259] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 4, p. 172.

[260] Voyez la lettre de Ronsin dans le t. Ier des Papiers inédits, p. 215.

[261] Voyez les Annales patriotiques du 17 septembre 1792. Le journal de Carra donne quelques extraits de ce libelle, en les faisant toutefois précéder de ces lignes : Un personnage qu'on avait surnommé l'Incorruptible, et qui jusqu'ici paraissait étranger à toute vue d'ambition, semble vouloir s'ériger en chef de parti ou plutôt de cabale. C'est du moins le reproche qu'on lui fait dans un écrit adressé aux quarante-huit sections, signé Méhée fils, secrétaire-greffier de la municipalité.

[262] Procès-verbaux de la commune de Paris. Archives de la Ville. V. 22. Carton O. 7. O. Voyez aussi la Chronique de Paris du 21 septembre 1792.

[263] Archives de la Ville. Ubi supra.

[264] Voici dans quel ordre furent élus les vingt-quatre députés de Paris : Le 5 septembre, Robespierre ; le 6, Danton et Collot-d'Herbois ; le 7, Manuel et Billaud-Varenne ; le 8, Camille Desmoulins ; le 9, Marat et Lavicomterie ; le 10, Legendre et Raffron du Trouillet ; le 12, Panis, Sergent et Robert ; le 13, Dusaulx ; le 14, Fréron ; le 15, Beauvais ; le 16, Fabre d'Églantine ; le 17, Osselin, Robespierre jeune et David ; le 18, Boucher Saint-Sauveur ; le 19, Laignelot, Thomas et Philippe Egalité. (Archives de la Ville. V. 69. Carton O. 22. O., et Archives de l'Empire, B. A. 15. Carton 34 bis.)