HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME PREMIER — LA CONSTITUANTE

 

LIVRE CINQUIÈME. — AVRIL 1791 — SEPTEMBRE 1791.

 

 

Opinion de Robespierre sur le droit de tester. — Discussion sur l'organisation du ministère. — Exclusion prononcée contre les membres de l'Assemblée nationale et des législatures suivantes. — De la prescription des crimes et délits des ministres. — De la répartition de leurs fonctions. — De leur traitement. — Les pensions ministérielles. — De l'initiative des ministres. — Virulente sortie de Robespierre contre les ministres et le comité diplomatique. — Nouveaux efforts en faveur d'Avignon. — Sur les félicitations à présenter au roi. — Discussion sur l'organisation des gardes nationales. — Du droit de pétition et d'affiche. — Affaires coloniales ; les hommes de couleur et les esclaves. — Robespierre s'oppose à la réélection des membres de l'Assemblée nationale et à celles des députés d'une législature à l'autre. — Fixation du lieu des assemblées primaires. — Encore les citoyens actifs et passifs. — Robespierre demande l'abolition de la peine de mort. — L'abbé Raynal. —Discours en faveur de la liberté illimitée de la presse. - Défense de l'imprimeur du Moniteur. — Sur la nécessité de licencier les officiers de l'armée. — Incompatibilités législatives. — Robespierre est nommé accusateur public près le tribunal criminel de Paris. — Lettre à ses électeurs de Versailles. — Lettre à son ami Buissart. — Les chasseurs de Hainaut à Brie-Comte-Robert. — Circulaire électorale. — Fuite de la famille royale. — Madame Roland et le Genevois Étienne Dumont. — La séance des Jacobins du 21 juin. — Robespierre demande des couronnes civiques pour ceux qui ont arrêté le roi. — Il s'élève contre les mesures proposées pour son retour. — Son avis concernant l'interrogatoire du roi et -de la reine. — Le gouverneur du Dauphin. — Les républicains en 1791. — Robespierre propose l'ajournement de la discussion sur l'inviolabilité royale. — Remarquable discours de lui sur cette question ; il n'y a point de complices là où il n'y a pas de coupable. — Il demande la mise en accusation de MONSIEUR. — Dernier discours sur la fuite du roi. — Curieux incident aux Jacobins. — La pétition Laclos. — Opinion de Robespierre. — Massacres au Champ de Mars. — Robespierre rue de Saintonge. - Madame de Chalabre. — L'évêque de Bourges. — Changement dans la vie de Robespierre. — Les erreurs de madame Roland. — Maurice Duplay. — Scission des Feuillants et des Jacobins. — Adresse à l'Assemblée nationale et aux Sociétés affiliées. — Victoire des Jacobins. — Le boucher Legendre. — Adresse de Maximilien Robespierre aux Français. — Impression qu'elle produit. — De la délégation des pouvoirs. — Discours sur la nécessité de révoquer les décrets du marc d'argent, etc. — Encore la liberté de la presse. — De la condition des membres de la famille royale. — Robespierre et les Lameth. — De l'acceptation de la constitution. — Dernière lutte contre Barnave. — De l'inviolabilité des assemblées électorales. — Défense des sociétés populaires. — Fin de la Constituante. — Triomphe de Robespierre.

 

I

On a dit à tort que, Mirabeau mort, Robespierre grandit tout à coup ; que, au lendemain du regrettable événement, il prit un ton nouveau, plus audacieux, comme si l'espace rendu libre lui eût permis de s'étendre, de se développer plus à l'aise ; Mirabeau mort, Robespierre resta exactement ce qu'il était auparavant, comme ont pu s'en convaincre ceux qui Font suivi de près depuis l'ouverture des états généraux, et comme en jugeront les lecteurs attentifs de cette histoire. Son immense popularité, consacrée depuis longtemps, l'emportait déjà sur celle de l'incomparable orateur, parce que le talent et le patriotisme se rehaussaient en lui d'une probité politique dont on commençait à soupçonner l'absence chez Mirabeau, et qu'il faut au génie, afin de s'imposer aux masses autrement que par la force, l'honnêteté pour sanction.

En quelles circonstances, du vivant de Mirabeau, Robespierre avait-il manqué d'initiative et d'audace ? Quelles questions intéressant la liberté l'avaient trouvé indifférent ? Toujours sur la brèche, ne s'était-il pas montré le plus intrépide soldat de la Révolution ? Sans doute, vers la fin de la Constituante, la situation devint en quelque sorte plus pressante ; des complications inattendues surgirent ; de nouvelles questions se présentèrent, et la révision de l'acte constitutionnel amena Robespierre à s'expliquer plus nettement sur certains points qu'il avait déjà traités avec une rare vigueur ; mais la présence de Mirabeau n'eût rien changé à l'état des choses. Peut-être, entraîné par la logique des événements, guidé par son instinct révolutionnaire, l'illustre orateur eût-il fini par se séparer tout à fait d'une cour que ses aveugles partisans et tous les fauteurs de complots réactionnaires conduisaient fatalement aux abîmes ; il eût alors marché de concert avec Robespierre. Dans le cas contraire, et à chaque pas qu'il aurait fait dans le sens de la contrerévolution, il l'aurait vu se dresser devant lui comme un obstacle ; et, battu plusieurs fois déjà dans les diverses occasions où il était entré en lutte avec lui, il se serait exposé à de nouvelles et irréparables défaites.

Mort, il eut encore la gloire de tenir l'Assemblée attentive par un de ses discours, et du fond de la tombe, si je puis ainsi parler, il prit part à une discussion dans laquelle il eut Robespierre pour approbateur et pour appui. Il s'agissait du droit de tester. Dans la prévision d'un prochain débat à ce sujet, Mirabeau tenait prêt un immense discours où se trouvaient coordonnées toutes ses idées sur cette matière. Se sentant mourir au moment où celte question, dont il s'était beaucoup préoccupé et qu'il avait traitée avec un soin tout particulier, était à l'ordre du jour de l'Assemblée, il avait fait demander son ami l'évêque d'Autun, Talleyrand-Périgord, et l'avait prié de donner en son nom à ses collègues lecture de son dernier discours. Cette œuvre suprême était encore un hommage rendu à la Révolution, qui avait détruit les monstrueuses inégalités existant jadis dans les successions ; elle fut écoutée avec un religieux silence interrompu par de fréquents applaudissements. Mirabeau, en effet, avait émis une opinion conforme au sentiment général de l'Assemblée en réclamant la plus stricte égalité dans les partages, en demandant la proscription des majorats et des fidéicommis, et que les donations entre-vifs, institutions contractuelles et dispositions testamentaires sans charge de rapport, fussent réduites au dixième de la masse des biens composant un patrimoine.

Les éternels défenseurs des abus de l'ancien régime, Foucauld et Cazalès, s'élevèrent vivement contre une opinion subversive des lois qui réglaient jadis l'état des familles françaises, et combattirent avec une ardeur digne d'une meilleure cause les vues du glorieux défunt[1]. Robespierre se chargea de les défendre. Toute institution tendant à augmenter l'inégalité des fortunes, disait-il avec raison, est mauvaise et contraire au bonheur social. Le but du législateur devait donc être de prévenir autant que possible cette inégalité, source de tous les maux, par laquelle l'homme avilit l'homme et fait de son semblable l'instrument de son orgueil, le jouet de ses passions ou le complice de ses crimes. Que voyait-on dans les pays où les grandes fortunes étaient entre les mains d'un petit nombre d'individus ? la vertu méprisée et les richesses seules en honneur. En vain la nature et la raison indiquent-elles que les hommes sont nés tous égaux, les lois deviennent entre les mains des riches un moyen d'opprimer les pauvres ; et si par hasard quelques penseurs élèvent la voix au nom de la justice éternelle, ils sont regardés comme des insensés, bien heureux encore quand on ne les traite pas en séditieux. Législateurs, s'écriait-il, vous n'avez rien fait pour la liberté si vos lois ne tendent à diminuer par des moyens doux et efficaces l'extrême inégalité des fortunes. Or le meilleur moyen d'atteindre ce but était, suivant lui, d'établir l'égalité des partages en matière de succession et d'empêcher les citoyens d'éluder ou d'anéantir la loi par un effet de leur propre volonté. Il était nécessaire d'ailleurs de protéger l'homme contre l'intrigue, la fraude, les captations dont il pouvait être victime dans les derniers moments de sa vie, si la faculté de tester lui était laissée pleine et entière. Et puis n'avait-on pas à prendre les précautions les plus minutieuses contre le préjugé funeste en vertu duquel tous les biens d'une famille étaient dévolus à l'aîné au détriment des autres enfants, préjugé dont les racines étaient encore vivaces sous les débris de la féodalité ? N'était-il pas à craindre que les partisans des anciens abus ne cherchassent à éluder les dispositions bienfaisantes de la loi en y substituant leur volonté particulière, et ne relevassent ainsi indirectement le droit d'aînesse aboli ? Il fallait donc empêcher un individu de déranger suivant son caprice l'ordre établi par le législateur, prévenir par de sages limites posées à la volonté des mourants de criantes iniquités et des procès pleins de scandales.

Quelle institution que celle qui permet à un père d'immoler des enfants à un autre enfant ! Voyez, disait Robespierre, la cruelle opulence d'un frère insultant à l'indigence de son frère ; les tourments de l'envie, les fureurs de la vengeance remplacer les doux sentiments de la nature et les charmes de la paix domestique. Cependant ce sont ces familles particulières qui composent la grande famille de l'État ; ce sont les mœurs privées qui sont la. base des mœurs publiques ; voilà donc la félicité générale empoisonnée dans sa source, voilà la liberté sapée dans ses premiers fondements. En vain aux immenses inconvénients de l'inégalité des partages opposait-on la nécessité de maintenir intacte la puissance paternelle ; en vain invoquait-on l'exemple des lois romaines ! A Rome, l'autorité du père de famille était celle d'un maître sur ses esclaves : elle allait jusqu'au droit de vie et de mort ; qui oserait aujourd'hui réclamer ce pouvoir atroce ! Le devoir du législateur est de conserver à la puissance paternelle tout ce que la nature a mis en elle de bon et de juste, non ce que le despotisme et des systèmes exagérés y ont ajouté.

Sans prétendre enlever à l'homme la faculté de tester, Robespierre voulait qu'elle demeurât enfermée dans les limites de la loi ; qu'on ne pût en aucun cas violer le principe salutaire de l'égalité des partages en matière de succession proclamé par l'Assemblée nationale. En conséquence il demandait, d'accord avec Mirabeau, que les substitutions fussent abolies et qu'il fut interdit aux pères de famille d'avantager par des dispositions testamentaires quelques-uns de ses héritiers au détriment des autres[2]. Cela était juste et bien. Mais Robespierre voulait également restreindre, en ligne collatérale, la faculté de tester ; c'était aller trop loin, selon nous. Si la nature même oblige en quelque sorte le père de famille à maintenir égale la balance entre ses propres enfants, il n'en est pas de même à l'égard des collatéraux, dont quelques-uns méritent souvent plus d'affection, et auxquels on peut en certains cas préférer même des étrangers. N'arrive-t-il pas en effet que certaines personnes qui ne nous touchent par aucun lien du sang ont plus droit à nos sympathies, à notre tendresse, à notre, reconnaissance que d'autres auxquelles, par le fait du hasard, nous rattache un degré plus ou moins éloigné de parenté ? Pourquoi donc interdirait-on à un homme sans enfant de disposer de ses biens en faveur de ses amis, de ces parents du cœur qui forment quelquefois la véritable famille ? Mais en désirant qu'on restreignît généralement la faculté de tester, Robespierre songeait surtout à achever la ruine de la féodalité, laquelle n'était pas tellement abattue qu'on ne la supposât capable d'user de tous les moyens pour se reconstituer, et à provoquer la division des grandes fortunes, qu'il considérait, non à tort, comme un obstacle à la prospérité, au bonheur des sociétés humaines. Du reste, ni le discours de Mirabeau ni celui de Robespierre, malgré la faveur avec laquelle ils furent accueil- j lis, ne déterminèrent l'Assemblée à se décider tout à fait dans leur sens. En ajournant la question elle parut se ranger à l'avis de ceux qui pensaient qu'une latitude beaucoup plus grande devait être accordée aux testateurs. Mais, en ce qui concerne l'égalité des partages entre enfants, l'opinion de Robespierre a été ratifiée, sinon par la loi, au moins par la plupart des pères de famille ; et, sauf en des circonstances exceptionnelles, bien peu trouvent dans leurs cœurs le courage de profiter du bénéfice que leur accorde la loi, d'avantager, dans une certaine mesure, un ou plusieurs de leurs' enfants au détriment des autres.

 

II

Plus nous approchons du terme des travaux de l'Assemblée constituante, plus semble se prodiguer l'infatigable lutteur. Beaucoup de ceux qui, au début, combattaient avec lui, se sont arrêtés en chemin, les uns par lassitude, les autres satisfaits d'avoir affaibli la royauté dans leur intérêt, et édifié sur les ruines de la noblesse le règne de la bourgeoisie ; mais Robespierre, nous l'avons dit, ne voulait pas laisser confisquer la Révolution au profit d'une caste. On l'entendra, jetant Le défi aux déserteurs de la cause populaire, revendiquer pour tous le droit, la justice, la liberté ; et le jour où le triomphe de la réaction paraîtra assuré, on le verra, plus âpre, plus ardent, puisant dans sa conscience des forces nouvelles, s'acharner à défendre, à compléter les conquêtes de la Révolution.

Dès le commencement d'avril il se multiplie en quelque sorte. A chaque instant il occupe la tribune ; le 2, c'est pour demander, après un rapport d'Alquier au sujet des troubles de Nîmes, des précautions afin que l'innocent ne soit pas confondu avec le coupable[3] ; le 5, pour soutenir la doctrine de l'égalité en matière de successions ; le même jour, dans la soirée, pour invoquer la question préalable sur une motion de Barnave, avec lequel commencent ses longs démêlés à propos des colonies[4] ; le 6, pour s'élever contre la précipitation mise par le comité de constitution à soumettre aux délibérations de l'Assemblée son projet de loi concernant l'organisation du ministère.

Arrêtons-nous un moment sur cette dernière discussion, destinée à soulever quelques orages. Desmeuniers venait de donner lecture du premier article, ainsi conçu : Au roi seul appartiennent le choix et la révocation des ministres. Robespierre se plaignit vivement de l'esprit expéditif qui depuis quelque temps présidait aux travaux de l'Assemblée. Était-il permis de lui présenter à l'improviste les projets les plus importants ? Quelques membres ayant protesté contre les paroles de l'orateur, et même crié : A l'ordre ! Robespierre, sans s'émouvoir : Je ne m'effraye pas de cette manière d'étouffer la voix de ceux qui veulent dire la vérité. Oui, poursuivit-il, allant au-devant d'une objection prévue, il faut accélérer nos travaux, mais non pas en discutant précipitamment des décrets de nature à renverser la liberté, à anéantir les principes constitutionnels établis par les décrets précédents. Il n'y a qu'un seul parti à prendre, c'est la question préalable sur le premier article[5]. Charles Lameth et Pétion appuyèrent avec force l'avis de leur collègue. M. Robespierre avait raison, écrivit Brissot dans son journal[6] ; l'Assemblée en jugea ainsi en ajournant la discussion sur les premiers articles du projet et en décidant qu'on s'occuperait d'abord du titre relatif à la responsabilité ministérielle, sur lequel les débats s'ouvrirent immédiatement. Vers la fin de la séance, Cazalès, par bravade, réclama pour le roi le droit de dissoudre le Corps législatif. Le Chapelier se chargea de combattre une .pareille proposition. Elle n'avait aucune chance d'être prise au sérieux ; mais elle amena Prieur à demander à son tour à l'Assemblée de décréter que le Corps législatif pourrait, quand il le croirait convenable, déclarer au roi que les ministres avaient perdu la confiance de la nation. Pourrait n'est pas le mot, disait Robespierre, car il s'agit d'un droit pour le peuple et d'un devoir pour ses représentants. Toutefois, l'Assemblée trouva suffisante la rédaction présentée par Prieur, dont elle adopta la motion comme la meilleure réponse au semblant de défi imprudemment jeté dans la discussion par Cazalès[7].

L'ambition d'un certain nombre de membres importants de l'Assemblée nationale n'était un mystère pour personne. Robespierre résolut de la déjouer, espérant peut-être rattacher ces collègues à la cause populaire en rendant inutiles pour eux les concessions qu'il les voyait disposés à faire au pouvoir exécutif, dont ils cherchaient visiblement à s'attirer les faveurs. Il usa pour cela d'un moyen qu'avait déjà employé l'Assemblée à l'égard de Mirabeau en décrétant qu'il ne serait permis à aucun de ses membres de cumuler son mandat de député avec les fonctions de ministre.

Le lendemain (7 avril), au moment où l'on allait reprendre la discussion commencée la veille sur l'organisation du ministère, il demanda tout à coup la parole pour une motion d'ordre. Un silence profond se fit dans l'Assemblée surprise. J'ai, dit-il, à vous soumettre une proposition qui ne peut être adoptée que dans ce moment. Un philosophe dont vous honorez les principes disait que, pour inspirer du respect et de la confiance, le législateur devait s'isoler de son œuvre ; c'est l'application de cette maxime que je veux vous proposer, et je fais la motion qu'aucun membre de cette Assemblée ne puisse être porté au ministère pendant les quatre années qui suivront la session, ni recevoir aucuns dons, pensions, places, traitements ou commissions du pouvoir exécutif pendant le même délai. De vifs applaudissements accueillirent ces paroles. On s'attendait peut-être à quelques réclamations de la part des députés contre lesquels Robespierre avait cru bon de prendre une telle précaution, il n'en fut rien ; aucun ne souleva d'objection. Au contraire, plusieurs renchérirent sur la proposition de leur collègue. Bouche proposa d'étendre cette exclusion aux membres du tribunal de cassation et du haut jury, et de leur interdire également de recevoir du pouvoir exécutif, pendant le même laps de temps, aucuns emplois, places, dons, gratifications, pensions, traitements et commissions d aucuns genres. D'André demanda, lui, que tous les membres de l'Assemblée prissent l'engagement de s'abstenir rigoureusement de toute espèce de sollicitations pour leurs parents et leurs amis. Beaumetz lui-même, enthousiasmé, s'écria : Empressons-nous d'adopter les propositions de MM. Robespierre et Bouche[8]. Ainsi, suivant la remarque du journal de Brissot, la motion de Robespierre fut, par un concert bien rare entre les indépendants, les Jacobins et 1789, appuyée par Rœderer, Beaumetz, Charles Lameth, Prieur, Buzot, Barnave et Le Chapelier[9].

L'Assemblée nationale, en veine de désintéressement, vota par acclamation les diverses motions, et un éclat nouveau rejaillit sur le député à qui en appartenait l'initiative[10]. Les patriotes, dit le Courrier de Provence survivant à son illustre directeur, doivent compter comme une de leurs grandes victoires le décret rendu sur la motion de M. Robespierre. On était à cinq jours seulement de la mort de Mirabeau. Attribuer à l'absence du glorieux défunt la prodigieuse influence exercée par Robespierre sur ses collègues en cette occasion, et dans plusieurs autres séances dont nous parlerons bientôt, c'est manquer tout à fait de réflexion, c'est avoir mal étudié la logique et l'enchaînement des événements. Robespierre fut d'ailleurs loin d'être aussi heureux en beaucoup d'autres circonstances ; mais il arrive qu'à certaines heures la vérité finit par s'imposer comme d'elle-même, et depuis assez longtemps il était en possession de la faveur publique pour être en droit d'obtenir le triomphe de quelques-unes de ses idées au sein de l'Assemblée nationale.

 

III

Il prit à la discussion sur les ministères la part la plus active, parce qu'à -ses yeux cette question intéressait au plus haut point la liberté elle-même, et que, selon leur bonne ou mauvaise organisation, fonctionnerait plus ou moins bien la constitution. Son opinion sur cette matière fut d'ailleurs rarement admise par l'Assemblée. Ainsi, le 8, le comité ayant proposé de fixer à trois ans pour le ministre de la marine et des colonies, et à deux ans pour les autres ministres le délai de la prescription en matière criminelle, il demanda pourquoi les crimes et délits des ministres seraient prescrits plus tôt que ceux des autres citoyens, quand, en raison des fonctions dont ils étaient investis, leurs fautes pouvaient être beaucoup plus funestes à la société. Sans s'arrêter à cette observation, assez juste cependant, l'Assemblée adopta le délai proposé par son comité de constitution[11].

Le lendemain, il s'agissait de savoir qui serait chargé du soin de la répartition des attributions entre les divers ministères. Suivant Robespierre, ce soin appartenait tout naturellement au pouvoir exécutif. Les fonctions ministérielles n'étaient-elles pas fixées d'avance en quelque sorte par les précédents décrets sur toutes les parties de la constitution relatives au pouvoir exécutif ? A quoi bon alors le comité venait-il présenter une suite d'articles vagues concernant les fonctions des différents ministres ? Prétendait-il donc élever un pouvoir distinct à côté de l'autorité royale ? N'était-ce pas même porter atteinte à ces principes monarchiques qu'on opposait toujours avec emphase à ceux de la liberté ? Les ministres étant les agents directs du roi, c'était à lui seul à délimiter leurs fonctions ; autrement il était à craindre de les voir s'arroger une autorité illégale, interpréter eux-mêmes les lois, usurper le pouvoir législatif. Par exemple, le ministre de la justice n'avilirait-il pas les magistrats par de prétendus avertissements nécessaires, sous le prétexte de les rappeler à la décence et à la règle de leurs fonctions ? Et le ministre de l'intérieur, investi d'un pouvoir immense, ne tendrait-il pas à altérer sans cesse les principes constitutionnels en pesant de toute son influence sur les assemblées primaires, sur les corps administratifs ? De quelles craintes ne devaient pas être assaillis les vrais amis de la liberté quand le comité osait proposer d'armer les ministres du droit exorbitant de faire arrêter arbitrairement les citoyens, renouvelant en quelque sorte les lettres de cachet sous le nom de mandats d'arrêt ? Et cela sous un prétexte digne du Sénat de Rome sous Tibère, dans le cas où le ministre jugerait la personne du roi compromise, en sorte que, suivant le caprice ministériel, de simples paroles concernant l'individu royal courraient risque d'être érigées en crime de lèse-majesté ! Telle était, en résumé, la vive critique faite par Robespierre du projet du comité, de ce projet où la contre-révolution éclatait à chaque ligne, et qu'il paraissait à l'orateur non-seulement dangereux de décréter, mais même d'examiner, tant ses termes vagues étaient susceptibles d'interprétations et d'extensions arbitraires. Il demanda donc en terminant que l'Assemblée, laissant au roi le soin de répartir lui-même les. attributions ministérielles, se bornât à fixer le nombre des ministres, et s'en référât, quant à la délimitation de leurs fonctions, à ses précédents décrets sur cette matière, de peur que des paraphrases et des commentaires ne tuassent l'esprit même de ces décrets et n'étouffassent les principes de la constitution[12].

En abandonnant au pouvoir exécutif seul le soin de répartir les diverses attributions ministérielles, Robespierre voulait évidemment éviter qu' une part de la responsabilité inhérente aux fonctions des agents du pouvoir exécutif ne rejaillît indirectement sur le Corps législatif ; mais était-ce une raison suffisante pour s'opposer à la délimitation bien nette, par l'Assemblée nationale, des fonctions spéciales des divers ministres, afin qu'on fût bien d'accord sur ce que chacun d'entre eux aurait à faire ou à ne pas faire, nous ne le croyons pas ; et, selon nous, l'Assemblée eut raison de garder pour elle, sur la proposition de Barnave, le droit de statuer sur le nombre, la division et la démarcation des départements ministériels.

Le dimanche 10, tentant un nouvel effort pour arracher la victoire au comité, il essaya, d'accord avec Buzot, d'obtenir la préférence en faveur d'un contre-projet du député Anson, lequel fournissait moins aux ministres les moyens d'échapper toujours à la responsabilité de la loi[13]. Le 11, il essaya encore, mais en vain, d'empêcher l'adoption de l'article qui donnait au ministre de la justice la haute main sur tous les magistrats, et lui permettait de censurer les juges des tribunaux de districts et criminels, les juges de paix et de commerce. Il voyait là le renouvellement de ces mercuriales de l'ancien régime, trop souvent adressées par des magistrats ayant tous les vices à des juges qui avaient toutes les vertus. C'était, suivant lui, grandement exposer la liberté que de mettre un seul homme au-dessus de tous les tribunaux d'un royaume ; que de livrer les magistrats issus du suffrage du peuple à l'arbitraire de la cour et des ministres. S'il y avait de la part des juges prévarication réelle, la répression était dans la loi, et c'était à l'accusateur public à poursuivre sur les plaintes des parties[14]. Une petite satisfaction lui fut cependant accordée : il avait dit que les magistrats populaires étaient aussi bons juges de la décence et de la dignité de leurs fonctions que le ministre, et l'on supprima de l'article du projet de loi la phrase qui attribuait à cet agent du pouvoir exécutif le droit de rappeler les membres des tribunaux à la décence et à la dignité de leurs fonctions.

Le même jour, après avoir présenté encore quelques observations sur le ministère des affaires étrangères, il s'éleva vivement, et combien il avait raison cette fois ! contre les traitements énormes proposés en faveur des ministres, 150.000 liv. à celui des affaires étrangères et 100.000 aux autres. C'est une question encore débattue de savoir s'il y a avantage à combler de gros traitements les hauts fonctionnaires de l'État. Oui, disent les uns, parce que les ministres ont besoin d'une grande représentation, parce que l'argent qu'ils reçoivent, rendu au commerce par leurs dépenses en quelque sorte obligatoires, retourne au pays pour ainsi dire ; parce qu'enfin c'est leur ôter l'idée de s'enrichir à l'aide de prévarications. Mauvaises raisons. La dignité d'un peuple n'est nullement intéressée à ce que ses fonctionnaires se mettent en frais de représentation et fassent étalage d'un luxe considérable ; puis, pour quelques ministres prodigues, beaucoup thésaurisent et se gardent bien de rendre leurs traitements à la circulation. Il vaut mieux d'ailleurs laisser aux contribuables le plus d'argent possible, tout le monde y gagnera. L'exemple ne sert de rien en pareille matière ; l'Amérique est le pays où l'on dépense le plus, et c'est celui où les hauts fonctionnaires sont le moins rétribués. Quant aux prévarications, les ministres s'en préservent par leur honnêteté naturelle, jamais parles gros traitements qu'on leur alloue, ceci est élémentaire.

Cette exagération du traitement demandé pour les ministres était, selon Robespierre, tout à fait opposée aux principes d'économie que l'Assemblée était tenue d'apporter dans la gérance des finances de la nation ; de plus, elle était dangereuse en raison de la corruption engendrée d'ordinaire par les richesses. Sans doute il fallait payer honorablement les principaux fonctionnaires d'un pays ; mais il n'était pas de positions qui ne fussent convenablement rétribuées par un salaire de 50.000 liv. ; il proposait donc ce chiffre comme très-convenable pour le traitement des ministres[15]. Sa motion fut fort applaudie, et, de plus, énergiquement appuyée par Lanjuinais. On pouvait donc croire que l'Assemblée nationale, soucieuse des intérêts de ses commettants, s'empresserait de l'adopter ; le contraire eut lieu. Le projet du comité passa, et les ambitieux de portefeuilles, en dehors de l'Assemblée, purent s'endormir avec la perspective d'une situation dorée.

 

IV

Le comité de constitution, encouragé sans doute par les bonnes dispositions de l'Assemblée nationale, vint le surlendemain, par la bouche de Desmeuniers, son rapporteur, lui demander d'accorder aux ministres renvoyés ou démissionnaires une pension de 2.000 livres par chaque année de service, en fixant à 12.000 livres le maximum du chiffre de cette pension ; mais cette fois, combattu encore par Robespierre, il éprouva un échec complet. Comment, disait Maximilien, quand une foule de fonctionnaires, après de longs services rendus, n'ont droit à aucune espèce de pension s'ils n'ont passé au moins trente ans de leur existence dans l'administration, on ose vous en réclamer une pour des ministres qui, après avoir touché 100.000 livres de traitement par année, se démettront volontairement ou seront renvoyés de leurs fonctions ! Ne voulant pas consacrer un tel système de privilèges, il concluait à la question préalable. Desmeuniers balbutia en vain quelques raisons timides à l'appui de sa proposition : c'était un article bien indifférent en lui-même, peu de ministres auraient l'occasion d'en profiter. L'Assemblée se montra insensible, et, comme l'avait demandé Robespierre, repoussa par la question préalable le projet du comité[16].

Laisser à l'État, par conséquent aux ministres, le moins d'initiative possible, de façon à empêcher le gouvernement de confisquer, à un moment donné, les libertés publiques, était une des préoccupations constantes de Robespierre. Il savait bien que le pouvoir exécutif, essentiellement envahisseur de sa nature, chercherait par tous les moyens à sortir du cercle dans lequel l'enfermait la constitution, et à empiéter sur les attributions des autres pouvoirs. C'est pourquoi, lorsque Desmeuniers, appuyé par d'André, proposa à l'Assemblée d'autoriser les ministres à exercer une sorte de contrôle excessif sur les corps administratifs, et à mettre d'eux-mêmes la gendarmerie en mouvement, il se leva encore pour s'opposer de toutes ses forces à cette extension de pouvoir sollicitée en faveur des ministres. C'était, selon lui, aux seuls corps administratifs à diriger la gendarmerie nationale ; les agents du gouvernement ne devaient avoir sur elle aucune influence directe ou indirecte. L'Assemblée indécise prononça l'ajournement de la question[17].

Ce court débat donna lieu, de la part de Beaumetz, à une curieuse accusation contre Robespierre ; il lui reprocha de vouloir détruire l'unité monarchique au profit d'un système fédératif. Une pareille accusation dirigée contre l'adversaire le plus redoutable des aveugles partisans de ce fédéralisme qui eût amené l'abaissement et peut-être le démembrement de la France, contre le membre de l'Assemblée dont les discours se distinguaient le plus par le sentiment unitaire et une passion nationale poussée au suprême degré, prouve au moins combien peu étaient sérieuses les raisons qu'on avait à lui opposer. Sans doute Robespierre était l'ennemi de cette excessive centralisation administrative, grâce à laquelle la vie semble s'être paralysée dans les communes ; sans doute, en pleine Convention, on l'entendra se plaindre éloquemment de cette manie que, de tout temps, on a eue en France de s'en rapporter pour toutes choses à l'État, comme s'il devait être le pourvoyeur général du pays, et-revendiquer pour les individus, pour les familles, la plus grande somme de liberté possible ; mais la centralisation politique, cette unité française qui plus tard permit à la République d'affronter victorieusement toute l'Europe coalisée, il s'en montra toujours le défenseur énergique. Il ne daigna même pas répondre à son collègue Beaumetz ; mais Buzot se chargea de ce soin et protesta hautement contre des observations où perçait trop visiblement l'intention d'inculper les meilleurs patriotes.

La conduite des ministres était, du reste, peu propre à leur attirer la confiance de l'Assemblée nationale. On admirait combien peu semblaient les préoccuper les intrigues et les machinations qui déjà, dans la plupart des cours de l'Europe, s'ourdissaient contre la France révolutionnaire. Dans la séance du 19 avril, un des secrétaires ayant donné lecture d'une longue adresse par laquelle les habitants de Porentruy informaient l'Assemblée constituante d'une concentration de troupes autrichiennes sur leur territoire, un député d'un département voisin de cette ville, Reubell, prit la parole pour se plaindre de ce qu'une nouvelle si grave, au lieu de venir directement du ministère, fût annoncée par des alliés et des voisins. Il accusa le comité diplomatique de ne pas surveiller d'assez près le ministre des affaires étrangères, qui dormait sans doute, dit-il. Le comité dort aussi, s'écria Bouche.

Les comités de l'Assemblée nationale, dont Robespierre ne fit jamais partie, s'enveloppaient assez volontiers de mystère, s'érigeaient en quelque sorte en oligarchies ; rarement ils daignaient faire part des communications ministérielles, et cette conduite, avec raison, déplaisait à un bon nombre de députés. Un des membres du comité diplomatique, d'André, trouvant une connexité fâcheuse entre les plaintes sorties de la bouche de Reubell et les alarmes semées depuis plusieurs jours dans Paris au sujet des affaires étrangères par quelques journaux populaires, entreprit de défendre à la fois et le ministre et le comité, lequel avait récemment, prétendait-il, présenté un rapport exact et détaillé sur la situation politique de l'Europe. C'était, suivant lui, aux officiers généraux à surveiller les mouvements des troupes ennemies sur les frontières, et si l'Assemblée croyait avoir à se plaindre, elle devait s'en prendre au comité militaire. Ce que d'André ne disait pas, c'est qu'autrefois, au moindre bruit d'alarmes, aux premiers indices d'hostilité de la part d'un souverain étranger, les ministres s'empressaient d'exercer la surveillance la plus scrupuleuse, et de mettre les frontières en état de défense ; tandis qu'aujourd'hui, au milieu des intrigues publiquement ourdies entre les émigrés et les cours de Berlin et de Vienne, en présence de nombreux rassemblements de troupes autrichiennes à nos portes, on les voyait s'endormir avec complaisance dans une sécurité profonde.

Voilà ce que ne manqua pas de rappeler Robespierre en s'élançant à la tribune pour répondre à d'André. Les ministres sont inactifs, dit-il, et cependant, depuis plus de six mois, il n'est pas permis de douter de l'intelligence des ennemis de l'extérieur avec ceux du dedans.

 Incriminant alors les membres du comité diplomatique, ces commissaires chargés de surveiller les ministres, et qui, infidèles à leurs devoirs, gardaient le silence, ou trompaient l'Assemblée, il poursuivait en ces termes : Et c'est une nation étrangère qui nous avertit des dangers que nous courons ! Et quand un député des départements menacés, connu par son patriotisme, demande que le comité diplomatique instruise l'Assemblée et lui propose des mesures pour la sûreté du pays, ce comité suppose des intentions perfides ! Il vient froidement, par l'organe d'un de ses membres, discuter une question de compétence, comme s'il n'était pas indifférent à quel comité cette affaire fût renvoyée ! Il discute le patriotisme des ministres ; il prétend qu'on devrait inculper plutôt celui de la guerre que celui des affaires étrangères ; comme si les représentants de la nation ne devaient pas surveiller avec la même activité tous les ministres sans exception ! Interrompu par les applaudissements de la gauche : Je parle ici, reprit-il, avec une franchise qui pourra paraître dure. Non, non ! lui crient plusieurs voix. Mais ce n'est pas le moment de nous ménager réciproquement ; c'est le moment de nous dire mutuellement la vérité ; c'est le moment pour l'Assemblée de savoir que chacun de ses membres doit se regarder comme chargé personnellement des intérêts de la nation. C'est le moment de sortir de la tutelle des comités et de ne pas prolonger les dangers publics par une funeste sécurité. Puis, reprochant sévèrement au comité diplomatique de n'avoir point confié à l'Assemblée nationale des secrets importants dont son devoir était de lui donner communication, il l'accusait d'avoir entretenu l'inquiétude générale en ne dénonçant pas tout de suite ces rassemblements ennemis, causes d'alarmes continuelles dans le royaume ; de n'avoir jamais proposé aucune mesure capable d'en imposer à ces puissances étrangères qui épiaient un moment favorable pour écraser la Révolution ; enfin de n'avoir jamais averti l'Assemblée de la négligence des ministres. Quelle avait été sa conduite relativement à l'affaire d'Avignon ? N'était-il pas coupable d'avoir dissimulé des faits dont la connaissance aurait infailliblement obligé l'Assemblée à prendre plus vite une décision au sujet de cette malheureuse ville ? Et pour avoir négligé de se prononcer plus tôt, on était exposé, par la faute de ce comité diplomatique, à voir éclater d'un moment à l'autre une guerre civile désastreuse, non-seulement entre les citoyens d'Avignon et ceux du Comtat, mais encore entre les départements voisins, dont les uns semblaient prêts à prendre le parti des Avignonnais et des patriotes du Comtat, les autres, celui des aristocrates de ce pays. Après avoir ainsi pressé ses accusations trop justifiées contre le comité diplomatique, Robespierre lui reprocha encore d'avoir retardé jusqu'ici le rapport qui seul pouvait rendre la tranquillité à cette province désolée par de sanglantes discordes. Sans son mystérieux langage, sans les frayeurs non motivées que ce comité était parvenu à jeter, quelques mois auparavant, au sein de l'Assemblée, au moment où elle paraissait toute disposée à voter la réunion d'Avignon à la France, on n'aurait pas ajourné cette question et entraîné ainsi la prolongation des malheurs de cette ville. Il n'y avait donc pas à s'arrêter aux déclamations du comité diplomatique, quand il était convaincu de chercher à obscurcir aux yeux de l'Assemblée nationale les vérités les plus évidentes.

A cette foudroyante apostrophe, d'André parut d'abord comme interdit. Tout en demandant faiblement à répondre, il préférait encore se taire, si, disait-il, l'Assemblée les regardait comme justifiés, ses collègues et lui. Mais on lui cria : Parlez ; et il lui fallut bien s'exécuter. Selon lui, le préopinant, dans la chaleur de son patriotisme, avait oublié toutes les mesures de défense proposées par les comités militaire et diplomatique. Quant au rapport sur l'affaire d'Avignon, on allait le présenter incessamment ; le retard dont on se plaignait tenait à ce que les circonstances trop délicates n'avaient pas permis au comité de s'en occuper plus tôt. Singulière excuse lorsque peut-être, sans ce retard, des flots de sang n'eussent pas été répandus ! Enfin, continuait d'André, si l'Assemblée jugeait convenable de renvoyer au comité diplomatique l'adresse des habitants de Porentruy pour qu'un rapport fut présenté promptement, il ne s'y opposait pas, et demandait pardon, en terminant, d'avoir donné lieu à cette discussion.

La clôture ayant été prononcée après quelques paroles de Noailles à l'appui de la véhémente improvisation de Robespierre, Pétion pria l'Assemblée d'enjoindre expressément au comité diplomatique d'avoir à surveiller les mouvements extérieurs. Quelques membres réclamèrent aussitôt la question préalable. Si cette proposition, à laquelle est essentiellement liée la tranquillité publique, est rejetée, s'écria vivement Robespierre, je demande que le comité diplomatique soit cassé. Menou défendit, à son tour, le comité dont il était membre comme d'André, mais en incriminant avec une excessive violence le ministre, et en rejetant tout sur son compte. Vous aurez toujours un mauvais comité diplomatique, dit-il à ses collègues, tant que vous aurez un Montmorin pour ministre des affaires étrangères. Paroles accueillies par les murmures de la droite et les applaudissements de la gauche. L'agitation menaçant de se prolonger, l'Assemblée y coupa court en décrétant le renvoi de l'affaire de Porentruy au comité diplomatique, et en le chargeant de présenter un rapport sous deux jours. C'était en définitive un blâme indirect au ministre et au comité ; Robespierre avait atteint son but[18].

 

V

On se rappelle l'éclatant succès obtenu au mois de novembre précédent par son discours sur la nécessité de réunir Avignon à la France, discours dont nous avons rendu compte dans notre dernier livre. Après cela le vote de l'Assemblée ne paraissait pas douteux ; cependant, entraînée par des raisons captieuses, elle s'était prononcée pour l'ajournement. Plus de quatre mois s'étaient écoulés depuis cette époque, des torrents de sang avaient été versés dans l'intervalle ; et l'on n'entendait parler de rien, quand Robespierre, comme on vient de le voir, profita de la discussion amenée par l'adresse des habitants de Porentruy pour réclamer avec son énergie habituelle le troisième rapport sur cette interminable affaire d'Avignon. D'André, au nom du comité, avait promis qu'il serait très-prochainement déposé.

Le surlendemain (21 avril), Latour-Maubourg ayant dépeint sous les plus sombres couleurs la situation de cette ville et réclamé à son tour la présentation du rapport, Menou, rapporteur du comité diplomatique, s'excusa en disant qu'il n'avait pu encore réunir à la bibliothèque du roi toutes les pièces nécessaires pour rédiger l'historique d'Avignon et mettre ses collègues en état de se prononcer. C'était puéril, il faut l'avouer ; pendant ce temps on s'égorgeait dans le Midi, faute d'une décision de la part de l'Assemblée. Robespierre revint alors à la charge, plus pressant que jamais. Il rappela en quelques paroles émues tous ces patriotes immolés à Avignon et dans le Comtat, et dont plusieurs maires, celui d'Arles entre autres, avaient juré de venger le meurtre. N'était-il pas urgent d'arrêter l'effusion du sang, de prévenir une effroyable guerre civile ? Qu'attendait-on pour se prononcer ? N'était-on pas suffisamment édifié par la pétition du peuple avignonnais, par les rapports antérieurs de Tronchet et de Pétion ? Enfin tous les moyens tirés du droit positif et du droit des gens ne venaient-ils pas à l'appui de la nécessité de la réunion immédiate ? Tels étaient, en résumé, les arguments de nouveau invoqués par Robespierre. Et ne pouvant se défendre d'un sentiment d'amertume en présence de la funeste incurie du comité diplomatique, il ajoutait : Est-il possible, d'après cela, que l'on diffère sous prétexte de rechercher dans la bibliothèque du roi l'historique d'Avignon ? Est-il quelqu'un qui ne sache, sans fouiller une bibliothèque, tout ce qu'il faut savoir sur les rapports des Avignonnais avec la France ? Est-il quelqu'un qui ne connaisse les pétitions des communes du pays appuyées par les départements voisins ? A-t-on oublié que les députés de la ci-devant Provence étaient chargés de solliciter la réunion du Comtat ? Il réclamait donc impérieusement la présentation immédiate du rapport, ajoutant qu'au reste l'Assemblée en savait assez pour se décider séance tenante. Bouche et Latour-Maubourg appuyèrent de toutes leurs forces les paroles de leur collègue, et l'Assemblée, en se séparant, mit la lecture du rapport sur l'affaire d'Avignon à l'ordre du jour de la séance du mardi prochain[19].

Au jour indiqué, le rapporteur du comité diplomatique ne parut pas ; son rapport n'était pas terminé. Il en informa l'Assemblée par une lettre, promettant d'être prêt pour le jeudi. On pouvait regarder cela comme une sorte d'engagement d'honneur ; l'ajournement fut prononcé. Mais le jeudi suivant, 28 avril, nouvelle lettre de Menou, réclamant un nouveau délai. Cette fois l'Assemblée se fâcha. Se moquait-on ? Des murmures d'impatience éclatèrent. M. Menou, disait-on, ne calcule pas combien de sang peut faire verser chaque jour de retard. Martineau proposa même d'envoyer chez lui prendre ses notes, afin que lecture en fût donnée dans cette séance par un de ses collègues. Cette mesure venait d'être adoptée quand une troisième lettre de Menou, annonçant la présentation certaine du rapport pour le samedi, calma un peu l'Assemblée ; on résolut d'attendre encore.

Cependant la discussion n'en fut pas moins engagée immédiatement, par suite d'une proposition inattendue. Clermont-Lodève, député d'Arles, demanda l'envoi immédiat à Avignon de troupes chargées d'y rétablir la tranquillité au nom du roi jusqu'au jour où l'on aurait reconnu solennellement que les droits du Saint-Siège étaient inattaquables, et fit beaucoup valoir toute la reconnaissance du pape pour ce bon office. Robespierre s'empressa de relever le gant jeté aux partisans de la réunion, à ceux qui soutenaient que les Avignonnais avaient parfaitement le droit de se soustraire a une domination étrangère, injustifiable, et de se donner à la France, leur patrie naturelle. Or, disait-il, adopter la motion du député d'Arles, ce serait nier ce droit primordial de tous les peuples de disposer d'eux-mêmes. Le but évident de l'auteur de la proposition était, suivant lui, d'empêcher l'Assemblée de reconnaître la souveraineté du peuple avignonnais ; ces troupes, dont on demandait avec tant de sollicitude l'envoi sous prétexte de le protéger, on espérait bien les faire servir à opérer la contre-révolution dans le Comtat, et l'on se serait bien gardé de réclamer une telle mesure -s'il se fût agi, par exemple, de soutenir à Avignon les amis de la France et les principes de la liberté. D'ailleurs, l'envoi de troupes ne ressemblerait-il pas à une prise de possession par la conquête ? Or, si les Avignonnais devaient être un jour incorporés au peuple français, il fallait qu'il fût bien entendu, aux yeux du monde, que c'était de leur propre volonté. Robespierre engageait donc l'Assemblée à passer simplement à l'ordre du jour sur la proposition de Clermont-Lodève. Quant à Menou, dont la conduite était au moins inexplicable, il n'y -avait pas à lui accorder un plus long délai, et dans tous les cas on pouvait très-bien, dès à présent, reprendre la discussion sur la pétition du peuple avignonnais, sauf à entendre la lecture du rapport avant de statuer définitivement. Après Robespierre plusieurs députés, Legrand, Prieur et Pétion, parlèrent dans le même sens ; Crillon jeune soutint la motion de Clermont-Lodève, sur laquelle l'Assemblée passa à l'ordre du jour. Toutefois, par condescendance pour le comité diplomatique, elle consentit encore à remettre au lendemain la discussion sur l'affaire d'Avignon[20].

Enfin, le samedi 30 avril, Menou vint lire ce rapport si longtemps, si impatiemment attendu. Après un historique très-étendu de l'affaire et l'exposé des circonstances au milieu desquelles les Avignonnais avaient réclamé la réunion de leur pays à la France, le rapporteur concluait à l'incorporation, sous réserve de traiter avec la cour de Rome au sujet des indemnités à lui accorder. Les débats commencèrent immédiatement. On peut juger de leur vivacité par les noms des orateurs de la droite qui y prirent part ; en effet, nommer l'abbé Maury, Cazalès, Malouet, c'est dire combien la discussion fut ardente, passionnée. Elle dura quatre jours pleins. Entendu le premier, Maury conclut à ce que l'Assemblée mît la ville d'Avignon et le Comtat-Venaissin sous la protection de la France, et ajournât la discussion quant au reste. Toujours des délais, des compromis funestes, des retards inutiles quand le sang continuait de couler, quand une résolution vigoureuse et définitive était seule capable d'en arrêter l'effusion. Ce fut ce que ne manqua pas de faire valoir Charles Lameth, auquel succéda Clermont-Tonnerre, qui appuya, à peu de chose près, les conclusions de l'abbé Maury. Vint ensuite l'infatigable Robespierre. Il conjura ses collègues de ne pas retarder par une vaine discussion la solution d'une question à laquelle était intéressée la vie de tant de milliers de citoyens. Rien de noble, de ferme et de touchant à la fois comme son langage. Après avoir rappelé les horreurs dont le récit avait attristé l'Assemblée : Je déclare, dit-il, que si M. Clermont a voulu exciter notre commisération pour les victimes des deux partis, elle ne peut leur être refusée, puisque ce sont des hommes malheureux dans tous les partis. A ces mots des applaudissements éclatèrent de toutes parts. Traçant ensuite le tableau des factions qui divisaient ce malheureux pays, il montra d'un côté les partisans de l'ancien régime s'obstinant à laisser leur patrie sous le joug d'un gouvernement protecteur de tous les abus, et, de l'autre, les amis de la Révolution réclamant à grands cris la réunion de leur ville à la France. Pas de mesures provisoires, disait l'orateur, car c'étaient les plus funestes de toutes. De deux choses l'une : ou l'Assemblée considérait le Comtat comme une province tout à fait étrangère, et alors elle n'avait aucunement le droit de s'immiscer dans ses affaires en y envoyant des troupes ; ou la pétition du peuple avignonnais était juste, et dans ce cas on était tenu de rejeter toutes propositions d'ajournement, de se prononcer tout de suite sur le fond de l'affaire. De nouveaux applaudissements accueillirent ces paroles ; l'Assemblée écarta la proposition de l'abbé Maury ce jour-là, et remit au lendemain la continuation des débats[21]. Tout semblait présager un succès.

La discussion recommença le lundi seulement (2 mai). Robespierre prit de nouveau la parole pour répondre à de longues observations de Malouet, et aussi à une assertion de l'abbé Maury, lequel avait déposé sur le bureau un procès-verbal constatant que les habitants du Comtat avaient voté le renouvellement de leur serment de fidélité au pape. Il ne fut pas difficile à Robespierre de prouver que le procès-verbal dont il venait d'être question, résultat d'une délibération des anciennes communautés du Comtat, contenait l'expression des vœux d'officiers municipaux dévoués au Saint-Siège, non l'opinion des communes ; qu'il était d'ailleurs d'une date déjà ancienne, tandis que la pétition du peuple avignonnais, plus certaine et plus légale, était du mois de mai 1790. Dans le Comtat comme en France, ajoutait-il, la noblesse et le clergé se sont coalisés pour combattre les intérêts populaires. L'aristocratie a été vaincue. Mais la cause du peuple avignonnais est la nôtre ; les mêmes intérêts, les mêmes passions sont en jeu ; de là vient l'acharnement avec lequel les ennemis de la Révolution s'opposent à ses justes réclamations. Les citoyens d'Avignon et du Comtat, dont on a disposé jadis sans leur consentement, sont toujours restés Français ; il n'y a donc rien à innover ; ils vous demandent simplement de consacrer un droit existant antérieurement. Et, poursuivait Robespierre, si les peuples ne sont pas des troupeaux, ils peuvent changer la forme de leur gouvernement. Suivant M. Malouet, le vœu des Avignonnais n'a pas été libre ; il aurait été énoncé au milieu de troubles et de désordres : qu'il apprenne donc aux peuples à se ressaisir de leurs droits et à manifester leur volonté sans insurrection. Ces paroles, vraies surtout à une époque où il n'y avait guère d'autre moyen pour les peuples d'échapper aux dures étreintes du despotisme, excitèrent les applaudissements de la gauche. Reprenant un à un, sous une forme nouvelle, les arguments déjà présentés par lui dans ses précédents discours, Robespierre revint sur la nécessité de consolider la Révolution française en ramenant la tranquillité dans toutes les parties du royaume. Or différer de prononcer sur la réunion, c'était entretenir au milieu des départements du Midi un foyer d'anarchie et de guerre civile, conserver aux ennemis de la Révolution un centre de résistance. Il engageait donc l'Assemblée à repousser tous les moyens dilatoires et à voter immédiatement la réunion[22].

La séance du mardi tout entière, depuis dix heures du matin jusqu'à neuf heures du soir, fut encore consacrée à l'affaire d'Avignon. Pétion parla de nouveau très-énergiquement dans le sens des conclusions de son collègue et de son ami. Après lui, l'abbé Maury reparut à la tribune, et prononça un interminable discours auquel répondirent Charles Lameth, Barnave et Camus. Cependant l'Assemblée se sépara encore sans rien décider. Le lendemain, la discussion recommença. C'était le 4 mai. Il y avait tout juste deux ans qu'à pareil jour les états-généraux s'étaient réunis à Versailles. Certes, l'occasion était belle pour voter un décret populaire, on ne pouvait guère mieux fêter un tel anniversaire que par un éclatant hommage rendu aux vrais principes démocratiques. Robespierre tenta de nouveaux efforts, se souvenant de ses promesses aux officiers municipaux d'Avignon. En défendant les Avignonnais, leur avait-il écrit, c'est la liberté, c'est ma patrie, c'est moi-même que j'ai défendu. Vous serez Français, vous l'êtes, puisque vous le voulez et que le peuple français le veut[23]... Mais, efforts inutiles ! un esprit de réaction inattendu semblait s'être emparé de l'Assemblée, des mauvaises dispositions de laquelle on put juger aux murmures qui accueillirent la nouvelle apparition de Robespierre à la tribune. Ce fut à peine si l'on consentit à l'entendre. Il s'attacha cependant à combattre encore toutes les motions tendant à l'envoi pur et simple de troupes, soutenant avec raison qu'on n'avait aucunement ce droit si l'on persistait à considérer le Comtat et la ville d'Avignon comme pays étranger. La seule chose à faire, répéta-t-il, c'était, comme le demandait le comité lui-même, de les déclarer l'un et l'autre partie intégrante du territoire français. Latour-Maubourg et Buzot se joignirent à lui pour essayer d'entraîner l'Assemblée, mais, vaine tentative ! ce jour était destiné au triomphe de l'abbé Maury. Quatre cent quatre-vingt-sept voix contre trois cent seize décidèrent le maintien de ce malheureux pays sous le joug de la cour de Rome[24].

La victoire du parti clérical et royaliste ne fut pas, il est vrai, de très-longue durée. La cause de la justice et du droit finit par l'emporter, et les efforts de Robespierre se trouvèrent tardivement couronnés de succès ; mais que de malheurs eût prévenus l'Assemblée par une résolution plus prompte ; que de haines, de passions, de rancunes elle eût amorties dont l'explosion devait être effroyable ! Ce ne fut que dans un des derniers jours de sa session (14 septembre) que, au bruit des applaudissements des tribunes et d'une partie des députés de la prochaine législature présents à la séance, elle proclama solennellement la réunion d'Avignon et du Comtat-Venaissin à la France. Conquête importante sur l'esprit de réaction, très-vivace à cette époque, et à laquelle Robespierre contribua, comme on l'a pu voir, pour une si grosse part.

 

VI

Durant le cours de ces débats, d'autres discussions eurent lieu auxquelles il se mêla non moins activement. Quand, par exemple, dans la séance du samedi soir 23 avril, on eut donné lecture d'une lettre écrite au nom du roi par le ministre des affaires étrangères à tous les ambassadeurs près les diverses cours de l'Europe, lettre où afin de détruire des bruits mal fondés, le ministre annonçait à ses agents que Sa Majesté avait accepté librement la nouvelle forme du gouvernement français, qu'elle s'estimait parfaitement heureuse du présent état de choses, qu'enfin elle était sincèrement attachée à la constitution et aux principes de la Révolution, il y eut des transports d'enthousiasme, et l'on entendit les cris cent fois répétés de Vive le Roi ! Les sentiments exprimés dans cette lettre étaient-ils bien sincères ? Hélas ! à quelques semaines de là le roi lui-même allait se charger de leur donner un démenti éclatant. Mais personne alors ne songea à révoquer en doute la parole royale, tant l'homme aime à se repaître d'illusions, tant il se sent disposé à croire au serment, au bien, à la vertu.

Plusieurs membres tenaient à donner immédiatement à Louis XVI une marque publique de leur gratitude. Alexandre Lameth émit la proposition qu'une députation allât le remercier d'avoir, en quelque sorte, appris à l'univers son attachement à la constitution. Biauzat, dans son exaltation, voulait que l'Assemblée tout entière se rendît en corps auprès de lui. Robespierre, toujours sévère comme les principes et la raison, dit un journal du temps[25], s'efforça de calmer cette effervescence. Sans doute il était bon de rendre hommage au roi, mais l'Assemblée se devait à elle-même de ne pas compromettre sa dignité en se déplaçant tout entière. De vifs murmures, mêlés de quelques applaudissements, ayant accueilli ces paroles, Robespierre assura qu'il n'avait nullement l'intention de combattre la proposition de Lameth, il demandait une simple modification. Ce n'était pas sans doute de ce moment seulement que l'Assemblée avait foi dans le patriotisme du roi, et elle devait le croire attaché aux principes constitutionnels depuis le commencement de la Révolution. Il fallait donc, non le remercier, mais le féliciter du parfait accord de ses sentiments avec ceux de la nation. Cette fois on n'entendit que des applaudissements. L'Assemblée, convaincue, chargea une députation d'aller immédiatement porter au roi ses félicitations dans les termes mêmes proposés par Robespierre[26]. La majorité du côté droit, déconcertée, refusa de prendre part à la délibération ; vaine protestation des impuissants partisans du passé !

Mais le grand succès de Robespierre à la tribune de l'Assemblée nationale, dans ce mois d'avril 1791, fut son discours sur l'organisation des gardes nationales ; succès sans résultat, il est vrai, puisque l'Assemblée, malgré les applaudissements prodigués par elle à l'orateur, resta sourde à ses avis et n'admit pas ses conclusions. On est émerveillé quand on étudie aujourd'hui de sang-froid cet important discours, si peu connu de notre génération, de voir quelle admirable intuition politique, quelle science d'observation, quelle parfaite connaissance des hommes possédait cet éminent esprit ; avec quelle force de raisonnement il défendait l'égalité proscrite du plan des comités, et comme il rappelait fièrement la cause de la liberté oubliée par eux. Égalité, liberté ! il les voulait toutes deux, non pas hypocritement, comme ceux qu'on appelait les constitutionnels, mais dans leur entière et loyale expression, l'une se complétant par l'autre, afin que la Révolution bénie par quelques-uns, par ceux à qui elle profitait, ne fût pas exposée à être maudite par le plus grand nombre.

Rien de moins populaire, en effet, que le projet d'organisation de la garde nationale, dont Rabaut Saint-Étienne, au nom du comité de constitution, avait longuement présenté le rapport. Son moindre tort était de consacrer la division du pays en deux classes bien distinctes ; les citoyens actifs seuls étaient admis dans les rangs de la garde nationale. Ainsi, d'une part, des citoyens ; de l'autre, des ilotes. Il semblait qu'on eut pris à tâche d'armer les riches contre les pauvres laissés sans armes et de mettre la garde nationale à la disposition du pouvoir exécutif.

Le discours de Robespierre, ou plutôt son mémoire, comme le désigne plus justement Brissot dans son journal[27], était déjà connu, célèbre, lorsque, dans les séances des 27 et 28 avril, il en donna lecture à ses collègues de l'Assemblée nationale. Dès la fin de l'année précédente, ce discours avait paru en brochure, et l'on n'a pas oublié sans doute le retentissement profond que, peu de temps après, vers le mois de février, il eut dans toute la France. Robespierre, avant de le lire, le fit précéder de quelques observations en réponse à une proposition de Rabaut, qui demandait qu'on ouvrît seulement le débat sur la partie du plan relatif à la formation des listes. Pouvait-on le circonscrire dans des bornes aussi resserrées ? N'était-il pas nécessaire d'entamer une discussion générale, afin qu'on pût relever à la fois les imperfections répandues dans toute l'économie du système, et liées entre elles par des rapports intimes ? Cet avis ayant obtenu l'assentiment de l'Assemblée, Robespierre commença.

On chercherait en vain dans le Moniteur un compte rendu exact, l'analyse complète de cet immense discours, lequel ne remplit pas moins de soixante-dix-huit pages d'impression ; mais on y trouve, dans une certaine mesure, la physionomie de la séance, les interruptions, les interpellations adressées à l'orateur et les vives ripostes de Robespierre, qui, interrompant la lecture de son manuscrit, eut des inspirations d'un rare bonheur.

De la bonne organisation des gardes nationales dépendaient, à ses yeux, le sort de la liberté, la stabilité de la constitution. Quels étaient, avant tout, l'objet précis de leur institution, la place qu'elles devaient tenir, leur fonction dans l'économie politique ? En vain chercherait-on des exemples analogues chez les peuples anciens et modernes, cette idée de la garde nationale était essentiellement neuve, appartenait en propre à la Révolution. Là, tous les citoyens, nés soldats, s'arment pour défendre la patrie menacée et rentrent ensuite dans leurs foyers, où ils ne sont plus que simples citoyens ; ici, des armées permanentes sont alternativement employées par les princes pour combattre leurs ennemis étrangers et enchaîner leurs sujets. Les circonstances extérieures ont dû forcer l'Assemblée nationale à conserver sur pied une armée nombreuse ; mais comme contre-poids à cette force dangereuse pour la liberté d'une nation, comme remède à ce mal jugé nécessaire, on avait appelé les gardes nationales, ou plutôt, disait Robespierre, au premier cri de la liberté naissante, tous les Français ont pris les armes et se sont rangés en bataille autour de son berceau ; et vous, convaincus qu'il ne suffisait pas de créer la liberté, mais qu'il fallait la conserver, vous avez mis dès lors au rang de vos premiers devoirs le soin de consolider par des lois sages cette salutaire institution que les premiers efforts du patriotisme avaient fondée. Ainsi donc la garde nationale bien organisée devient la garantie naturelle de la liberté, car une armée nombreuse, docile à la voix du prince, façonnée à l'obéissance passive, sera nécessairement l'arbitre d'un peuple sans armes ; et partout où une telle puissance existera sans contre-poids, le peuple ne sera pas libre, en dépit de toutes les lois constitutionnelles du monde.

Or ce contre-poids nécessaire, cette sauvegarde, il les trouvait dans l'institution des gardes nationales. Elles auront 'donc,' disait-il, le double devoir d'empêcher le pouvoir exécutif de tourner contre la liberté les forces immenses dont il dispose et de ne pas opprimer, de leur côté, ce pouvoir exécutif qui, tant qu'il se renferme dans les bornes que la constitution lui prescrit, est lui-même une portion des droits de la nation. On ne pouvait assurément mieux motiver le respect dû au gouvernement d'un peuple libre. Maintenant, à quelles condit.ons les gardes nationales rempliraient-elles leur mission salutaire ? Il fallait, en premier lieu, qu'elles fussent constituées tout autrement que les troupes de ligne et qu'elles échappassent tout à fait à l'influence du prince, sous peine d'être aussi des auxiliaires du despotisme au lieu de servir de rempart à la liberté. De là la nécessité de ne pas abandonner au gouvernement la nomination des officiers des gardes nationales ; de ne pas-permettre qu'ils fussent choisis parmi les officiers des troupes de ligne ; et, comme il est de la nature des choses que tout corps cherche à s'isoler de la volonté générale et à la dominer, d'empêcher soigneusement les gardes nationales d'adopter un esprit particulier ressemblant à un esprit de corps : Songez, ajoutait-il, combien l'esprit de despotisme et de domination est naturel aux militaires de tous les pays ; avec quelle facilité ils séparent la qualité de citoyen de celle de soldat et mettent celle-ci au-dessus de l'autre. Redoutez surtout ce funeste penchant chez une nation dont les préjugés ont attaché longtemps une considération presque exclusive à la profession des armes, puisque les peuples les plus graves n'ont pu s'en défendre. Voyez les citoyens romains commandés par César : si dans un mécontentement réciproque il cherche à les humilier, au lieu du nom de soldats il leur donne celui de citoyens, quirites ; et à ce mot ils rougissent et s'indignent. En conséquence on devait s'appliquer à confondre dans les gardes nationales la qualité de soldat avec celle de citoyen ; ne pas créer au milieu d'elles des troupes dites d'élite, des corps privilégiés essentiellement contraires à leur principe ; réduire le nombre des officiers à la stricte mesure nécessaire ; les nommer pour un temps très-court, et surtout leur défendre formellement de porter, en dehors de l'exercice de leurs fonctions, les marques distinctives de leurs grades. Il fallait aussi leur défendre de recevoir du pouvoir exécutif aucunes décorations. Il ne saurait appartenir au roi de récompenser ou de punir les gardes nationales. Ces distinctions extérieures, qui poursuivent partout les hommes en place, appâts faciles à la disposition des tyrans, bonnes à enfanter l'esprit d'orgueil et de vanité, a humilier le peuple, lui paraissaient incompatibles avec le caractère d'hommes libres, et surtout convenir moins qu'à personne aux chefs de soldats citoyens. Défenseurs de la liberté, s'écriait-il, vous ne regretterez pas ces hochets dont les monarques payent le dévouement aveugle de leurs courtisans. Le courage, les vertus des hommes libres, la cause sacrée pour laquelle vous êtes armés, voilà votre gloire, voilà vos ornements. A ces fières paroles, la salle retentit d'acclamations. Mais Robespierre n'était pas encore arrivé au point capital de son discours ; son éloquence parut grandir quand il revendiqua pour tous les citoyens domiciliés le droit de faire partie de la garde nationale.

C'était là toucher au cœur même du projet du comité. S'inspirant en effet de cette fatale idée de l'Assemblée nationale d'avoir divisé là nation en citoyens actifs et en citoyens passifs, il avait éliminé des cadres la majeure partie du peuple. Or les gardes nationales étant la nation armée pour protéger ses droits an besoin, elles étaient viciées dans leur principe même du moment où l'admission dans leurs rangs dépendait du payement d'une certaine contribution. Dépouiller une portion quelconque des citoyens du droit de s'armer, pour en investir une autre, c'était violer à la fois l'égalité, base du nouveau pacte social, et les lois les plus sacrées de la nature. Voilà ce que Robespierre démontra avec une invincible force de raisonnement. On avait bien pu s'imaginer d'abord qu'il était possible de priver de leurs droits politiques tant de millions de Français trop pauvres pour acquitter une certaine quantité d'impositions ; mais l'Assemblée ne se séparerait point, pensait-il, sans avoir réparé une si criante injustice ; aussi bien, nous le verrons bientôt s'épuiser encore en efforts désespérés pour obtenir l'abrogation du décret du marc d'argent. En dépouillant ainsi de leurs droits une partie des citoyens, avait-on oublié que tous, sans distinction de fortune, avaient concouru à l'élection des députés à l'Assemblée nationale ? Et pour confier à un petit nombre d'entre eux seulement le soin de défendre les lois et la constitution, on trouvait donc la chétive propriété, le modique salaire de l'homme pauvre et laborieux moins respectables que les vastes domaines et les fastueuses jouissances du riche !

De deux choses l'une, ou les lois et la constitution étaient faites dans l'intérêt général, et dans ce cas elles devaient être confiées à la garde de tous les citoyens, ou elles étaient établies pour l'avantage d'une certaine classe d'hommes, et alors c'étaient des lois mauvaises. Mais cette dernière supposition serait trop révoltante ; il importait donc de reconnaître comme principe fondamental de l'institution des gardes nationales que tout citoyen domicilié en était membre de droit. C'est en vain, continuait-il, qu'à ces droits inviolables on voudrait opposer de prétendus inconvénients et de chimériques terreurs. Non, non, l'ordre social ne peut être fondé sur la violation des droits imprescriptibles de l'homme. L'humanité, la justice, la morale, voilà la politique, voilà la sagesse des législateurs : tout le reste n'est que préjugé, ignorance, intrigue, mauvaise foi. Partisans de ces funestes systèmes, cessez de calomnier le peuple et de blasphémer contre votre souverain, en le représentant sans cesse comme indigne de jouir de ses droits, méchant, barbare, corrompu ; c'est vous qui êtes injustes et corrompus. Le peuple est bon, patient, généreux ; notre Révolution, les crimes de ses ennemis l'attestent ; mille traits récents, qui ne sont chez lui que naturels, en déposent. Le peuple ne demande que tranquillité, justice, que le droit de vivre : les hommes puissants, les riches sont affamés de distinctions, de trésors, de voluptés. L'intérêt, le vœu du peuple est celui de la nature, de l'humanité, c'est l'intérêt général ; l'intérêt, le vœu des riches, des hommes puissants est celui de l'ambition, de l'orgueil, de la cupidité, des fantaisies les plus extravagantes, des passions les plus funestes au bonheur de la société. Les abus qui l'ont désolée furent toujours leur ouvrage ; ils furent toujours les fléaux du peuple. Aussi qui a fait notre glorieuse Révolution ? Sont-ce les riches, sont-ce les hommes puissants ? Le peuple seul pouvait la désirer et la faire ; le peuple seul peut la soutenir par la même raison.

Par peuple, s'écria en ce moment un député nommé Lucas, j'entends tous les citoyens. — Et moi aussi, reprit Robespierre ; j'entends par peuple la généralité des individus dont se compose la société ; mais si je me suis un moment servi de cette expression dans un sens moins étendu, c'est que je croyais avoir besoin de parler le langage de ceux que j'avais à combattre[28]. Pourquoi diviser la nation en deux classes, dont l'une semblera armée pour combattre l'autre comme un ramas d'esclaves toujours prêts à se mutiner. D'une part, les oppresseurs, les tyrans, les sangsues publiques ; de l'autre, le peuple. Eh ! quel prix attachera-t-il à la liberté s'il n'en ressent pas les bienfaits ? Veut-on, à force d'injustices, le forcer à trahir sa propre cause ? Ah ! cessez, continua Robespierre, cessez de vouloir accuser ceux qui ne cesseront jamais de réclamer les droits de l'humanité. Qui êtes-vous, pour dire à la raison et à la liberté : Vous irez jusque-là ; vous arrêterez vos progrès au point où ils ne s'accorderaient plus avec les calculs de notre ambition ou de notre intérêt personnel ? Pensez-vous que l'univers sera assez aveugle pour préférer à ces lois éternelles de la justice qui l'appellent au bonheur ces déplorables subtilités d'un esprit étroit et dépravé, qui n'ont produit jusqu'ici que la puissance, les crimes de quelques tyrans et les malheurs des nations ? C'est en vain que vous prétendez diriger par les petits manèges du charlatanisme et des intrigues de cour une Révolution dont vous n'êtes pas dignes ; vous serez entraînés comme de faibles insectes dans son cours irrésistible ; vos succès seront passagers comme le mensonge, et votre honte immortelle comme la vérité.

Robespierre était fatigué, plusieurs membres proposèrent de renvoyer au lendemain la suite de son discours. Rabaut, à qui les applaudissements prodigués à son collègue donnaient à songer que son projet courait grand risque d'être rejeté, parut à la tribune, loua fort les idées qu'on venait d'exposer, et comme pour faire bénéficier le plan du comité de l'approbation très-vive dont le discours dé Robespierre avait été l'objet, il osa dire que, sauf l'admission des citoyens inactifs, pour laquelle il inclinait personnellement, le comité et lui étaient en définitive entièrement de l'avis du préopinant. Mais, le lendemain 28, Robespierre dut lui prouver de nouveau par quels abîmes ils étaient séparés. Après avoir énuméré les dangers qu'il y aurait à laisser au pouvoir exécutif la moindre action sur les gardes nationales, il reprocha au comité de n'avoir pas une seule fois, dans son projet, prononcé le mot de liberté, dont cette institution était précisément destinée à être la sauvegarde. Dissiper les émeutes populaires, les attroupements séditieux, réprimer les désordres et le brigandage, telle paraissait avoir été l'unique préoccupation du comité ; mais de la nécessité de tenir constamment la tyrannie en échec, de prévenir son retour, il ne s'était nullement préoccupé. Contre le peuple seul il semblait avoir pris ses précautions, comme si c'était une horde de factieux à dompter ou d'esclaves à enchaîner. Tout cela dit avec cette clarté qui était un des mérites de Robespierre, avec calme, appuyé des raisonnements les plus vigoureux, et relevé par la. plus éloquente diction. Eh ! quel autre esprit règne aujourd'hui ? s'écria-t-il ; que voit-on partout, si ce n'est une injuste défiance, de superbes préjugés contre ceux que l'on appelle encore le peuple ? Qui est-ce qui aime l'égalité ? Qui est-ce qui respecte la dignité de l'homme dans son semblable ? Ses conclusions, on les connaît. Invoquant, en terminant, le glorieux souvenir du 14 juillet, de cette prise de la Bastille à laquelle avaient concouru tant d'hommes mis par les décrets de l'Assemblée en dehors du droit commun et privés des bienfaits de cette liberté conquise par eux, il persistait à réclamer comme un droit primordial l'admission de tous les citoyens dans les rangs de la garde nationale[29]. Obtenir cela eût été à ses yeux un triomphe important, un acheminement vers l'abrogation de l'odieux décret du marc d'argent.

Tous les journaux populaires de l'époque s'accordent pour rendre témoignage de l'enthousiasme avec lequel l'Assemblée nationale accueillit ce discours capital, ce véritable traité sur la matière[30]. Elle ne put s'empêcher d'applaudir à ces grandes idées de justice, de droit, d'équité, si noblement exprimées. Pétion, Noailles lui-même appuyèrent la proposition de Robespierre ; mais Barnave, Duport, tous les grands agitateurs des premiers jours gardèrent le silence. Était-ce par jalousie contre un collègue dont la popularité effaçait la leur, ou bien, saisis tout à coup de méfiance à l'égard de ce peuple dont jadis ils s'étaient aussi proclamés les défenseurs, entendaient-ils le tenir à l'écart de la vie politique ? Peut-être obéirent-ils à ce double sentiment. D'André, désormais leur fidèle allié, essaya en quelques mots de réfuter Robespierre, et, s'il n'y parvint pas, il fut du moins assez heureux pour indisposer l'Assemblée contre son collègue. En effet, quand, afin de retenir la victoire qu'il voyait prête à lui échapper, le tenace tribun reparut pour la troisième fois à la tribune, de violents murmures éclatèrent. En vain tenta-t-il de lutter contre les cris, en vain, indigné, lança-t-il d'une voix hautaine cette phrase à la majorité : Toute violence qui tend à étouffer ma voix est destructive de la liberté, qu'accueillirent cependant quelques applaudissements, il ne put tenir contre le tumulte et quitta la tribune, se sentant vaincu[31]. L'Assemblée exclut donc des rangs de la garde nationale les citoyens passifs, creusant ainsi de plus en plus la ligne de démarcation qu'entre la bourgeoisie proprement dite et le peuple elle avait si imprudemment établie.

 

VII

Le comité de constitution semblait prendre à tâche de courir au-devant de l'impopularité en présentant une foule de décrets empreints d'un esprit essentiellement contraire à celui des principes contenus dans la déclaration des droits. Le directoire du département de Paris, dont les membres appartenaient à la haute bourgeoisie de la ville, imagina, pour frapper la puissance des clubs, de demander à l'Assemblée nationale une loi restrictive du droit de pétition et du droit d'affiche, deux des principaux moyens d'action des sociétés populaires.

Dans la séance du 9 mai, Le Chapelier vint, au nom du comité de constitution, présenter un projet de loi très-dur. Voulait-il atteindre indirectement Robespierre, dont ses collègues et lui jalousaient fort l'influence aux Jacobins ? On peut le supposer ; mais il obéissait surtout à ce déplorable esprit de réaction qui commençait d'animer une partie des membres de la gauche même de l'Assemblée nationale. Ils avaient peur du peuple et songeaient à le museler, ne s'apercevant pas combien leur défiance injuste était faite pour le jeter hors des voies de la modération, le pousser aux partis extrêmes.

Non-seulement le comité proposait à l'Assemblée de réserver à l'autorité publique exclusivement le droit d'affiche, d'interdire à toute réunion et association de citoyens d'exercer en nom collectif le droit de pétition, mais encore de déclarer que ce dernier droit appartiendrait seulement aux citoyens actifs. C'était odieux. Tout cela enveloppé de précautions oratoires, de phrases hypocrites, où le rapporteur louait beaucoup la liberté et l'égalité, tout en détruisant l'une et l'autre. Un journal, qui pourtant n'était pas hostile à la monarchie, lui.lança brutalement à la face l'accusation d'astuce[32].

Robespierre ne pouvait rester muet. Il s'élança à la tribune, et d'une voix singulièrement émue il rappela que ce droit de pétition était le droit imprescriptible de tout être intelligent et sensible, de tout homme en société ; que même les despotes n'avaient jamais songé à le contester à ceux qu'ils nommaient leurs sujets, que Frédéric Il recevait les plaintes de tous les citoyens. Il ne serait donc permis d'adresser aux législateurs d'un peuple libre ni observations, ni demandes, ni prières ? Et comme une voix lui reprochait d'exciter le peuple : Non, répondit-il vivement, ce n'est point pour exciter les citoyens à la révolte que je parle à cette tribune, c'est pour défendre les droits des citoyens ; et si quelqu'un voulait m'accuser, je voudrais qu'il mît toutes ses actions en parallèle avec les miennes, et je ne craindrais pas le parallèle. Dans ces paroles se révélait l'homme d'ordre par excellence. Personne ne releva le défi. Alors, avec une sorte d'attendrissement auquel l'Assemblée ne demeura pas insensible, il ajouta en parlant de tous les Français : Je défendrai surtout les plus pauvres. Plus un homme est faible et malheureux, plus il a besoin du droit de pétition. Et c'est parce qu'il est faible et malheureux que vous le lui ôteriez ! Dieu accueille les demandes non-seulement des plus malheureux des hommes, mais des plus coupables. Passant ensuite à la proposition d'interdire l'exercice collectif de ce droit, il s'éleva plus énergiquement encore contre ces abus d'autorité dans lesquels on cherchait à entraîner l'Assemblée. Comment ! il serait défendu à toutes les sociétés patriotiques, comme celle des Amis de la Constitution, de rédiger et de présenter au Corps législatif des adresses capables peut-être d'éclairer le législateur ? Demandant alors à tout homme de bonne foi s'il n'y avait pas dans le projet du comité comme un dessein préconçu d'attenter à la liberté et de troubler l'ordre public par des lois oppressives, il réclamait l'ajournement de la question jusqu'après l'impression du rapport[33]. Cette demande ayant été repoussée, la discussion recommença le lendemain.

Grégoire développa, sous une autre forme, les considérations présentées la veille par Robespierre, qui lui-même reprit la parole pour répondre à Beaumetz. Cet ardent ami de l'humanité, dit le Courrier de Provence, revint à la charge avec une force nouvelle. Robespierre, en effet, tenta d'incroyables efforts pour arrêter l'Assemblée dans sa marche rétrograde. Ses paroles, sévères et touchantes à la fois, retentissaient comme un écho des vérités éternelles. Elles devaient nécessairement irriter quelques membres. Impatienté des interruptions de Martineau, l'orateur somma le président d'empêcher qu'on ne l'insultât lorsqu'il défendait les droits les plus sacrés des citoyens. D'André, qui présidait, ayant demandé s'il ne faisait pas tous ses efforts. Non, lui cria brusquement une voix de la gauche. — Que la personne qui a dit non se nomme et prouve. — Laborde se levant : J'ai dit non, parce que je m'aperçois que vous ne mettez pas le même soin à obtenir du silence pour M. Robespierre que vous en mettiez lorsque MM. Beaumetz et Le Chapelier ont parlé. Robespierre continua après cet incident et s'attacha de nouveau à prouver que le droit de pétition devait être moins que tout autre refusé à la classe des citoyens les plus pauvres. Plus on est faible, plus on a besoin de l'autorité protectrice des mandataires du peuple. Ainsi, loin de diminuer l'exercice de cette faculté pour l'homme indigent en y mettant des entraves, il faudrait le faciliter. Interrompu de nouveau par les membres qu'offusquait un tel discours, il reprit avec plus d'énergie encore. L'honneur de l'Assemblée était intéressé, suivant lui, à ce que les droits de l'homme fussent franchement et formellement mis en pratique, et elle ne pouvait se dispenser d'accorder à tout citoyen, sans distinction, le droit de pétition.

S'il ne parvint pas à le conserver aux sociétés populaires, il eut du moins le mérite d'empêcher ses collègues de commettre une injustice criante. Le rapporteur lui-même n'osa pas soutenir l'interdiction proposée par le comité contre les citoyens non actifs, et les sept premiers articles du projet se trouvèrent remplacés par un article unique reconnaissant a tous les citoyens le droit de pétition[34]. Le droit d'affiche, revendiqué pour l'administration seule par le comité, fut également accordé à tous les citoyens, sauf à l'exercer individuellement et à signer. C'était une double victoire, due en majeure partie à Robespierre, car presque seul il avait supporté tout le poids de la lutte et combattu avec un acharnement rare ; victoire importante, si l'on considère les injustifiables méfiances dont était animée à l'égard du peuple l'Assemblée nationale, qui, de gaieté de cœur, avait pour ainsi dire, suivant l'expression de Grégoire, recréé les ordres par la division du peuple français en citoyens actifs et en citoyens non actifs.

On vit dans cette occasion, chose assez rare pour être signalée, l'abbé Maury défendre l'opinion de Robespierre, cette opinion conforme à tous les principes de la justice, à toutes les saines notions politiques. Rien ne prouve mieux, suivant nous, combien peu l'illustre tribun se laissait diriger par l'esprit de parti, puisqu'un des membres les plus fougueux de la droite venait lui prêter son appui, sentant de quelle utilité pouvait être à sa propre cause ce droit de pétition et d'affiche que Robespierre revendiquait pour tout le monde.

Il fut moins heureux en combattant l'article 3 du projet du comité, lequel faisait dépendre en quelque sorte du bon plaisir des municipalités la réunion des assemblées communales et sectionnaires. Les formes despotiques proposées par le comité lui semblaient bonnes à fomenter le désordre et l'anarchie ; et Buzot, se levant ensuite pour soutenir les mêmes idées, disait avec raison que plus on comprime la liberté, plus on s'expose aux dangers de l'anarchie. Voulait-on laisser aux communes l'insurrection pour unique recours si on leur contestait le droit de se réunir afin de présenter des pétitions ? L'article du comité mis aux voix fut littéralement adopté. Mais au dehors, tandis que l'Assemblée nationale voyait insensiblement se retirer d'elle des cœurs qu'elle avait enthousiasmés jadis, et le sentiment général s'accentuer plus fortement dans le sens de la Révolution, la popularité de Robespierre grandissait, grandissait toujours.

 

VIII

Un des plus incontestables mérites de la Révolution française, avons-nous dit déjà, c'est de n'avoir pas été locale ; c'est de ne s'être pas circonscrite dans des limites étroites, tracées par le compas ; c'est d'avoir provoqué l'affranchissement, non pas seulement d'un peuple, mais du genre humain tout entier ; c'est d'avoir porté l'espérance et la consolation partout où l'on était opprimé. D'échos en échos, par delà les mers, s'étaient répercutés ses principes immortels. Par delà les mers aussi, sur ces terres de douleurs où des centaines de mille de créatures humaines vivaient réduites à l'état de bêtes de somme, le nom de Robespierre était parvenu comme un symbole de délivrance et d'égalité, et plus d'un, les regards tournés vers la France, attendait de lui ce double bienfait.

Déjà, dès le mois de février, deux délégués de la Guyane s'étaient adressés à lui, et dans un chaleureux appel à son patriotisme, à son humanité, l'avaient prié de vouloir bien se charger de la défense des droits et des intérêts de leurs commettants[35]. On l'a pu voir dans plusieurs circonstances lutter énergiquement contre les mesures contre-révolutionnaires du comité colonial.

Deux questions préoccupaient singulièrement les colonies et tous ceux qu'y rattachait un intérêt quelconque : celle des hommes de couleur et celle des esclaves. Accorderait-on aux premiers comme aux blancs, du moment où ils rempliraient les conditions légales, la jouissance des droits politiques ? Affranchirait-on les seconds ? Tel était le redoutable problème posé devant l'Assemblée constituante. Si l'on ne consultait que la justice, le bon droit et l'humanité, la solution n'était pas douteuse ; mais il y avait en jeu de puissants intérêts auprès desquels la question de droit parut secondaire à beaucoup de députés ; et les planteurs, les propriétaires d'esclaves trouvèrent au sein même de l'Assemblée des avocats dont le moins passionné ne fut pas Barnave. Des écrivains à leurs gages entreprirent contre les amis des noirs, contre Grégoire, contre Brissot, qui dans son journal malmenait rudement les propriétaires d'esclaves, Charles Lameth tout le premier, une guerre acharnée. Déjà portée à l'Assemblée constituante, la question y avait été pour ainsi dire éludée. Cependant il avait été décrété, au mois de mars de l'année précédente, qu'il serait créé, dans toutes les colonies où il n'en existait pas déjà, des assemblées coloniales composées de toutes personnes âgées de vingt-cinq ans, propriétaires d'immeubles ou domiciliées depuis deux ans au moins dans la colonie et payant une contribution, et que, au moyen de ces assemblées, les colonies émettraient leurs vœux sur la législation coloniale et sur l'état des personnes. On devait bien s'attendre à ce que ces vœux n'iraient pas jusqu'à réclamer l'abolition de l'esclavage ; mais au moins le décret de l'Assemblée constituante consacrait-il, par son silence même, l'égalité des droits politiques entre les hommes de couleur libres et les blancs. Néanmoins de ce silence les colons arguèrent le contraire, et à Saint-Domingue, par exemple, l'assemblée de Saint-Marc se mit en véritable état de rébellion. De là d'irréparables malheurs, d'affreuses vengeances, des scènes d'horreur sans nom. On sait les soulèvements des mulâtres et des nègres, les massacres à la lueur des incendies, les terribles représailles des colons, le barbare supplice d'Ogé et de ses compagnons.

Les choses étaient dans cet état lorsque, dans la séance du 7 mai, le député Delàtre, à la suite d'un long rapport, proposa à l'Assemblée nationale un projet de décret en vertu duquel aucune loi sur l'état des personnes et le régime intérieur des colonies ne pourrait être faite que sur la demande formelle des assemblées coloniales, et qui remettait à une assemblée générale de toutes les colonies le soin de rédiger des lois pour l'amélioration du sort des hommes de couleur et des nègres libres. Des esclaves, pas un mot. Singulier remède apporté aux maux dont souffraient nos colonies, que de charger de la guérison les principaux auteurs de ces maux ! Les débats, commencés le jour même, puis remis au 11, s'ouvrirent par une éloquente protestation de Grégoire, à laquelle le créole Moreau de Saint-Méri osa répondre par ces mots : Si vous voulez de la déclaration des droits quant à nous, il n'y a plus de colonies[36]. Comme lui, Malouet et Barnave appuyèrent de toutes leurs forces le projet du comité. De la part du premier il n'y avait rien d'étonnant ; on était trop habitué à l'entendre soutenir les plus criants abus, les plus odieux et les plus injustes préjugés ; mais de la part du second cela parut une défection ; sa popularité en reçut une atteinte mortelle. Lanjuinais combattit Barnave avec une grande énergie ; il conclut, comme Grégoire, à ce que les hommes de couleur fussent admis comme les autres Français à l'exercice du droit de citoyens actifs.

La discussion durait depuis trois jours quand Robespierre parut à la tribune, succédant au vieux Goupil de Préfeln qui avait défendu le projet du comité. Il était impatient de parler, dit une feuille du temps, et l'on était impatient de l'entendre[37]. Il ne s'agissait pas de savoir, commença-t-il par dire, si l'on accorderait les droits politiques aux gens de couleur, mais bien si on les leur conserverait, puisqu'ils en jouissaient autrefois en vertu des décrets de l'Assemblée, lesquels attribuaient la qualité de citoyen actif à tout homme payant une contribution de trois journées de travail sans aucune distinction de couleur. Accueillies par de chaleureux applaudissements, les premières paroles de l'orateur excitèrent les murmures de l'abbé Maury, qui se fit rappeler à l'ordre.

Immobile dans les principes éternels, écrivit Brissot, Robespierre somma fièrement ses collègues de ne pas se rendre à des injonctions menaçantes[38]. Comment ! pour engager l'Assemblée à céder aux iniques prétentions des colons qui voulaient exclusivement jouir des droits de cité, on osait la, menacer des suites de leur mécontentement ! Je demande s'il est bien de la dignité des législateurs de faire des transactions de cette espèce avec l'intérêt, l'avarice, l'orgueil d'une classe de citoyens ? (On applaudit.) Je demande s'il est politique de se déterminer par les menaces d'un parti pour trafiquer des droits des hommes, de la justice et de l'humanité ? D'ailleurs, poursuivait-il, n'était-il pas facile de retourner l'argument, et ne pouvait-on prévoir à quels périls seraient exposées nos colonies par le ressentiment de citoyens injustement privés de leurs droits et disposés sans doute à mettre autant de courage à les défendre que leurs adversaires opposaient d'obstination à vouloir les en dépouiller ? Mais, objectait le parti des blancs, accorder aux hommes de couleur l'exercice des droits politiques, c'était diminuer le respect des esclaves pour leurs maîtres. Objection absurde ! Car les mulâtres aussi étaient propriétaires d'esclaves, et les traiter en quelque sorte de la même manière, c'était rendre leur cause presque commune. Et comment le comité éludait-il la question, n'osant la trancher en principe ? Il proposait une sorte de congrès colonial appelé à prononcer sur le sort des hommes de couleur, et composé de colons blancs ! Quelle dérision ! C'est, dit-il, comme si, lorsqu'il s'est agi en France de savoir si le tiers état aurait une représentation égale en nombre à celle de la noblesse et du clergé, on eût établi un congrès composé de ces deux ordres seulement pour donner au gouvernement son avis sur les droits des communes. Une partie des tribunes et de l'Assemblée couvrirent d'applaudissements cette comparaison si juste.

Barnave, avec une bonne foi douteuse ou une naïveté bien grande, avait prétendu que la décision du congrès colonial serait favorable aux mulâtres ; et pourtant, en terminant son discours, il avait cru devoir avertir l'Assemblée qu'elle courait le risque de perdre les colonies si elle statuait sur l'état politique des hommes de couleur. Robespierre, le prenant à partie, avait beau jeu contre lui. Il le poussa vivement, le mit en opposition avec lui-même, l'enserra dans ses contradictions, tout cela aux applaudissements de l'Assemblée. Non, lorsqu'on a la justice de son côté, on ne déraisonne pas d'une manière aussi contradictoire ; lorsqu'on a quelque respect pour le Corps législatif, on ne croit pas le séduire par des menaces .ou des raisons aussi ridicules. De nouvelles acclamations retentirent à ces mots. Espérant influencer l'Assemblée, Barnave avait présenté l'Angleterre comme prête à fondre sur nos colonies, dans le cas où l'on ne donnerait pas gain de cause aux blancs. Mais Robespierre prouva sans peine que les Anglais pouvaient tout aussi bien profiter du mécontentement des mulâtres. Si dans l'un et l'autre parti à prendre il y avait des inconvénients, il fallait au moins préférer le parti de la justice et de l'humanité ; c'était encore le plus sûr, le plus utile ; et ce n'était pas aux Français à donner l'exemple scandaleux d'une politique à la fois contraire à la morale et à la sagesse. Il conjurait donc l'Assemblée de repousser par la question préalable le projet du comité, sous peine de perdre le beau caractère de protectrice des droits de l'humanité[39].

Ce discours eut un succès prodigieux ; et cependant l'Assemblée constituante, après une première épreuve douteuse, n'en décida pas moins qu'il y avait lieu de délibérer sur le projet du comité. Cette décision irrita profondément le journaliste Brissot, défenseur énergique des hommes de couleur et des noirs[40]. Toutefois la partie n'était pas perdue encore.

Le lendemain, la discussion reprit plus vive, plus ardente. L'abbé Maury parla longuement ; il est superflu d'indiquer dans quel sens : il suffit de dire que lorsqu'il descendit de la tribune plusieurs membres de la droite coururent l'embrasser. Robespierre, la veille, avait laissé tout à fait de côté la question de l'esclavage. Elle n'était d'ailleurs pas en jeu, quand un amendement de Moreau de Saint-Méri vint lui fournir l'occasion d'en parler indirectement. Le projet du comité portait que toute loi sur les personnes ne pourrait être faite que sur la demande expresse des assemblées coloniales. Un membre, nommé Lucas, ayant proposé qu'à ces mots sur l'état des personnes on ajoutât non libres, Moreau de Saint-Méri se récria ; il ne fallait pas dire, selon lui, des personnes 4dn libres, mais des esclaves. Au reste, mulâtres et esclaves étaient enveloppés par lui dans le même anathème. Robespierre demanda aussitôt la parole. Que votre décret, dit-il vivement d'une voix indignée, n'attaque pas au moins d'une manière trop révoltante les principes et l'honneur de l'Assemblée. Des explosions de murmures mêlés d'applaudissements l'interrompirent ; quand le calme se fut rétabli : Oui, dès le moment où dans un de vos décrets vous aurez prononcé le mot esclave, vous aurez prononcé votre propre déshonneur. Arrêté presque à chaque phrase par les mêmes, murmures et les mêmes applaudissements, il n'en continua pas moins à protester avec une suprême énergie contre ces ennemis de la liberté et de la constitution qui demandaient à l'Assemblée de démentir tous ses principes. N'y avait-il pas un piège sous cette proposition insidieuse, et ne voulait-on pas se réserver le moyen d'attaquer tous les décrets libérateurs ! Car, disait-il à ses collègues, que répondrez-vous lorsqu'on vous dira : Vous nous alléguez sans cesse les droits de l'homme, et vous y avez si peu cru vous-même que vous avez décrété constitutionnellement l'esclavage ? A cette vigoureuse apostrophe, les murmures redoublèrent.

Impatienté, l'auteur de l'amendement, Lucas, demanda si les colons prenaient part à la délibération, s'étonnant qu'on se permît d'interrompre ainsi un orateur dont les sentiments devaient être dans le cœur de tous les citoyens. Mais Robespierre n'était pas homme à se laisser intimider. Ce n'était pas à l'Assemblée, suivant lui, à renverser de ses propres mains les bases de la liberté. Périssent les colonies !... s'écria-t-il. Ici une nouvelle explosion de murmures. Reprenant d'une voix plus forte : Oui, périssent les colonies, s'il doit vous en coûter votre honneur, votre gloire, votre liberté ! Je le répète : Périssent les colonies, si les colons veulent par les menaces nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts. Je déclare au nom de l'Assemblée (se reprenant) au nom de ceux des membres de cette Assemblée qui ne veulent pas renverser la constitution, je déclare, au nom de la nation qui veut être libre, que nous ne sacrifierons pas aux députés des colonies, qui n'ont pas défendu leurs commettants comme M. Monneron ; je déclare, dis-je, que nous ne leur sacrifierons ni la nation, ni les colonies, ni l'humanité tout entière[41]. Puis, après avoir de nouveau soutenu avec une égale énergie les droits des hommes de couleur, il demanda, comme la veille, la question préalable sur le projet du comité.

Cette chaleureuse improvisation produisit au dehors un immense effet. Parmi les feuilles qui louèrent à l'envi l'orateur dont la bouche avait si éloquemment flétri l'esclavage, citons celle de l'abbé Fauchet : Quelle liberté, lorsque quelques-uns peuvent dire à plusieurs : Nous ne voulons pas que vous soyez membres actifs dans le corps social, soyez passifs ! C'est une liberté à la J.-P. Maury. Robespierre, dans cette séance, a développé l'âme des Français. Combien il était grand au milieu de ces préjugistes et de ces vendeurs d'hommes qui ont parlé avant et après lui ![42] Ces lignes de la Bouche de fer résument bien l'impression que laissèrent dans le public les deux discours de Robespierre.

Ce jour-là, l'Assemblée adopta le premier article du projet du comité en y ajoutant les mots non libres, proposés par Lucas, ce qui détruisait en définitive toute l'économie du projet de loi du comité, puisque ainsi les esclaves seulement se trouvaient à la merci du congrès colonial. Barnave se sentit vaincu ; mais, loin d'abandonner la partie, il proposa à l'Assemblée de substituer à l'article deuxième du comité un article décidant, comme l'ancien article premier, qu'il ne serait statué sur J'état politique des hommes de couleur et nègres libres que sur la demande formelle des assemblées coloniales. C'était remettre en question un procès déjà jugé. L'Assemblée consentit à rouvrir le débat. Le 15, Barnave reprit la parole pour soutenir son déplorable système. Robespierre lui répondit avec une vivacité extrême. On avait sacrifié les esclaves, du moins devait-on consacrer solennellement les droits de toutes les personnes libres, de quelque couleur qu'elles fussent. Quant à moi, dit-il en terminant, je sens que je suis ici pour défendre les droits des hommes, je ne puis consentir à aucun amendement, et je demande que le principe soit adopté dans son entier.

Il descendit de la tribune au milieu des applaudissements réitérés de la gauche et des tribunes. Cette longue discussion se termina par l'adoption d'un article proposé par Reubell, et portant qae l'Assemblée ne délibérerait jamais, sans le vœu préalable et spontané des colonies, sur l'état des gens de couleur nés de pères et mères non libres ; mais que ceux nés de pères et mères libres seraient admis dans toutes les assemblées provinciales et coloniales, s'ils avaient d'ailleurs les qualités requises pour l'exercice des droits de citoyen[43]. Quant à l'esclavage, pas un mot. Pour extirper cette institution honteuse, si justement flétrie par Robespierre, et que ne sauraient justifier tous les sophismes du monde, il faudra arriver jusqu'à nous. A la Révolution de 1848 sera réservée la gloire d'en prononcer l'abolition définitive.

La victoire remportée par Robespierre sur Barnave n'en fut pas moins très-réelle, décisive ; c'était le triomphe du droit, de la justice et de l'humanité sur les préjugés et l'arbitraire. Il y eut dans cette discussion quelque chose de singulier : tandis que, déserteur de la cause de la liberté, Barnave s'unissait aux Malouet et aux d'Eprémesnil, on voyait se ranger du côté de Robespierre des hommes qui d'ordinaire ne soutenaient guère ses opinions, les Duport, les Regnault, les La Fayette et autres membres du club de 89 ; mais alors qu'il luttait, lui, au nom des principes éternels, et sans se préoccuper de l'opinion, ils combattaient, eux, s'il faut s'en rapporter à Camille Desmoulins, par esprit de parti et pour dépopulariser Lameth et Barnave[44].

 

IX

Nous cheminons lentement, pour plus de sûreté, explorant en détail ce vaste champ de la Révolution, ne voulant rien laisser dans l'ombre, rien abandonner au hasard de ce qui concerne l'homme extraordinaire dont nous écrivons l'histoire. Plus nous avançons, plus nous le voyons se multiplier ; à l'Assemblée nationale, comme aux Jacobins, il est toujours sur la brèche, prêt à traiter toutes les questions, si diverses de sujets qu'elles soient. On a peine à comprendre qu'un seul homme ait pu suffire à un tel labeur. Peu sympathique à cette partie bourgeoise de l'Assemblée qui, le mot d'égalité sur les lèvres, refusait au peuple l'exercice des droits politiques, il parvient cependant à s'imposer à elle, surtout dans ces grandes discussions du mois de mai, tant l'honnêteté, une conscience droite, d'inébranlables convictions et la vérité enfin ont, à certaines heures, d'irrésistibles puissances. Chez lui, pas de ces grandes phrases pompeuses et redondantes, pas de cette éloquence théâtrale un peu superficielle que nous aurons bientôt l'occasion d'admirer chez les orateurs de la Gironde ; tout est sobre, serré, pressant ; il va droit au but, ce qui du reste n'exclut ni l'ampleur des idées, larges chez lui comme cette humanité qu'il défend, ni la magnificence du langage. Il n'était pas jusqu'à l'austère simplicité de Robespierre, venant à pied de sa rue de Saintonge et dînant à trente sous, qui ne contribuât à augmenter son crédit auprès de ses collègues. Et Camille écrivait[45] : Au milieu des dangers qui nous environnent, à quel gouvernail s'attacher plutôt qu'à celui de la vertu, qui seule relève les empires sur le penchant de leur ruine ? A tort ou à raison, supposant des vues intéressées aux Constitutionnels, aux Duport, aux Lameth, aux Barnave, aux Thouret, à tous les meneurs de la haute bourgeoisie ; les soupçonnant de considérer la Révolution comme leur propre chose et de vouloir en conserver éternellement la direction, Robespierre résolut d'apporter d'insurmontables entraves à leurs projets ambitieux ; luttant hier contre Barnave, aujourd'hui contre Thouret et Duport.

Le lendemain du jour où fut rendu le décret sur les colonies, se discuta une question autour de laquelle s'agitèrent bien des amours-propres, bien des convoitises, bien des espérances, celle de la rééligibilité des membres de l'Assemblée actuelle au prochain Corps législatif, sur l'organisation duquel l'ordre du jour appelait précisément le débat. Thouret, au nom du comité de constitution, venait de présenter son rapport sur cette matière, et après avoir proposé à l'Assemblée de discuter d'abord les articles 6 et 7 du projet de décret, lesquels portaient que les représentants du peuple pourraient être réélus d'une législature à l'autre, il se disposait à développer les motifs qui avaient décidé le comité à admettre le principe de la rééligibilité, quand Robespierre demanda la parole pour une motion d'ordre. Cette question est délicate, dit-il au milieu d'un silence solennel ; nous ne pouvons la discuter avec dignité, et surtout avec impartialité, qu'autant que nous serons dépouillés de tout intérêt personnel. Il faut que, pour l'examiner de sang-froid, nous nous placions dans la classe des citoyens privés. Je demande donc qu'à l'instant il soit décrété, sans rien préjuger pour les autres législatures, que les membres de celle-ci ne pourront être réélus[46]. Diverses furent les impressions à cette motion inattendue, mais l'enthousiasme avec lequel elle fut généralement reçue indiqua clairement l'opinion de la majorité ; tout le côté gauche et une partie de la droite se levèrent comme d'un commun accord et demandèrent à grands cris à aller immédiatement aux voix[47].

Qu'en s'associant à une mesure proposée par un membre de l'extrême gauche les députés de la droite aient cédé à des préoccupations personnelles ; que, certains de n'être pas réélus, ils aient tenu à partager avec tous leurs anciens collègues l'ennui de rentrer dans la vie privée, après deux ans d'une existence agitée, mais glorieuse ; qu'enfin ils aient agi ainsi dans l'espérance de pousser la Révolution dans un gouffre et de la voir s'y abîmer, comme les en accuse un des leurs[48], tout cela est possible ; mais l'accusation dirigée contre Robespierre, par quelques personnes, d'avoir en cette circonstance cédé à des vues intéressées, ne nous semble même pas valoir la peine d'être réfutée. En effet, n'avait-il pas la certitude d'être réélu un des premiers ? Il lui restait la tribune des Jacobins, dit-on. Sans doute il était sûr de conserver une grande autorité morale ; mais, en sacrifiant son titre de législateur, il perdait toute influence sur la marche du gouvernement ; et ne sent-on pas combien sa position diminuait d'importance à ne pas être relevée par une consécration populaire ? Mais si rares sont les inspirations dégagées de tout intérêt personnel qu'on répugne même à les admettre chez l'homme qui a donné le plus de preuves du désintéressement et de la probité politiques. On verra par quelles considérations pleines de grandeur et de noblesse il répondit aux arguments étroits et mesquins des interprètes du comité de constitution. Il a plus craint, dit Camille[49], pour la chose publique, de la réélection des Chapelier, des Desmeuniers, des d'André, des Beaumetz, etc., qu'il n'a espéré de la sienne. Voilà le vrai patriote !

Thouret parvint à se faire entendre et combattit longuement la motion proposée. Elle était, selon lui, attentatoire aux droits du peuple, déjà limités par l'obligation où il était de choisir ses députés dans le ressort de chaque département. Singulière et tardive préoccupation de la part d'un comité qui avait provoqué la division des citoyens en actifs et non actifs. Il fallait ensuite prendre garde, disait-il, de laisser altérer la constitution ; enfin, la réélection était en quelque sorte le prix d'honneur d'un bon député, sa véritable noblesse. Combattue par Prugnon, l'opinion du comité fut fortement appuyée par Merlin (de Douai), un des futurs auteurs de la loi des suspects. Quant à ce dernier, il est vrai, il craignait surtout que la cour ne profitât de la marche faible et incertaine d'une législature composée d'hommes nouveaux, inexpérimentés, pour essayer quelque bouleversement. Après un incident soulevé par la lecture d'une lettre des députés de Saint-Domingue, de la Martinique et de la Guadeloupe, lettre par laquelle ils annonçaient leur dessein de renoncer à suivre les séances de l'Assemblée nationale, afin de n'avoir pas l'air de souscrire au décret rendu la veille sur les colonies, Robespierre, ayant reproduit sa motion, monta à la tribune pour la soutenir.

Les plus grands législateurs de l'antiquité, dit-il en débutant, après avoir donné une constitution à leur pays, se firent une loi de rentrer dans la foule des simples citoyens et de se dérober même quelquefois à l'empressement de la reconnaissance publique ; ils pensaient que le respect des lois nouvelles dépendait beaucoup de celui qu'inspirait la personne des législateurs, et que le respect qu'imprime le législateur est attaché en grande partie à l'idée de son caractère et de son désintéressement. Du moins faut-il convenir que ceux qui fixent les destinées des nations et des races futures doivent être absolument isolés de leur propre ouvrage ; qu'ils doivent être comme la nation entière et comme la postérité. Il ne suffit pas même qu'ils soient exempts de toute vue personnelle et de toute ambition, il faut encore qu'ils ne puissent pas même en être soupçonnés. Pour moi, je l'avoue, je n'ai pas besoin de chercher dans des raisonnements bien subtils la solution de la question qui vous occupe ; je la trouve dans les premiers principes de la droiture et dans ma conscience. Sans doute, poursuivait-il, c'est une louable ambition que celle d'aspirer à l'honneur d'être membre du Corps législatif, et pour sa part, il déclarait franchement n'y être pas insensible ; mais, dans les circonstances actuelles, les membres de l'Assemblée n'étaient-ils pas obligés en quelque sorte d'agir comme ces juges dont le devoir est de se récuser dans une cause à laquelle ils tiennent par quelque affection ou quelque intérêt ? Puis quelle autorité imposante ne gagnerait pas la constitution à ce sacrifice volontaire des plus grands honneurs auxquels un citoyen pût prétendre ! Il rappela aussi cette maxime d'un ancien, digne d'être éternellement méditée : En fait de politique, rien n'est juste que ce qui est honnête, rien n'est utile que ce qui est juste. Maxime dont rien ne pouvait mieux, suivant lui, prouver les avantages que sa proposition. On avait paru redouter, dans une législature d'où seraient exclus les membres de l'Assemblée constituante, l'absence de législateurs expérimentés ; on appréhendait de voir la constitution péricliter dans des mains inhabiles à la diriger : ces craintes lui paraissaient tout à fait chimériques. Comment ! une nation de vingt-cinq millions d'hommes ne trouverait pas dans son sein sept cent cinquante citoyens capables de recevoir et de conserver le dépôt sacré de ses droits quand, à une époque où elle ignorait ses droits mêmes, où l'esprit public n'était pas éveillé, elle avait envoyé aux états généraux les hommes à qui elle devait sa régénération ! A plus forte raison était-elle à même de choisir, aujourd'hui qu'elle avait les leçons de l'expérience et qu'une foule de citoyens s'étaient livrés depuis deux ans à l'étude de nos lois et de la constitution nouvelle. Peut-être même, en dehors du milieu où ils vivaient, eux législateurs, était-on mieux placé pour apprécier l'œuvre faite, juger ses résultats ; et s'élevant à des considérations de l'ordre le plus élevé, il ajoutait : Je pense d'ailleurs que les principes de cette constitution sont gravés dans le cœur de tous les hommes et dans l'esprit de la majorité des Français ; que ce n'est point de la tète de tels ou tels orateurs qu'elle est sortie, mais du sein même de l'opinion publique, qui nous avait précédés et qui nous a soutenus. C'est à elle, c'est à la volonté de la nation qu'il faut confier sa durée et sa perfection, et non à l'influence de quelques-uns de ceux qui la représentent en ce moment.

Si donc la constitution était en partie l'ouvrage de la nation, il ne fallait pas se méfier d'avance des représentants qu'elle élirait pour la sauvegarder et la compléter. Mais, disaient encore les partisans de la réélection, n'était-il pas nécessaire de laisser à un certain nombre de membres de l'Assemblée actuelle le soin de diriger la législature suivante, de l'éclairer de leurs lumières, de leur expérience ? Voyons comment répondit à un pareil argument cet homme sur qui pèse depuis si longtemps l'accusation de dictature, accusation, du reste, dont nous promettons de faire bonne justice : Quant aux prétendus guides qu'une assemblée pourrait transmettre à celles qui la suivent, je ne crois pas du tout à leur utilité. Ce n'est point dans l'ascendant des orateurs qu'il faut placer l'espoir du bien public, mais dans les lumières et dans le civisme de la masse des assemblées représentatives ; l'influence de l'opinion publique et de l'intérêt général diminue en proportion de celle que prennent les orateurs ; et quand ceux-ci parviennent à maîtriser les délibérations, il n'y a plus d'assemblée, il n'y a plus qu'un fantôme de représentation. Alors se réalise le mot de Thémistocle, lorsque, montrant son fils enfant, il disait : Voilà celui qui gouverne la Grèce ; ce marmot gouverne sa mère, sa mère me gouverne ; je gouverne les Athéniens, et les Athéniens gouvernent la Grèce. Ainsi une nation de vingt-cinq millions d'hommes serait gouvernée par l'assemblée représentative et par un petit nombre d'orateurs adroits : et par qui ces orateurs seraient-ils gouvernés quelquefois ?. Je n'ose le dire ; mais vous pourrez facilement le deviner. Je n'aime point cette science nouvelle qu'on appelle la tactique des grandes assemblées, elle ressemble trop à l'intrigue ; et la vérité, la raison doivent seules régner dans les assemblées législatives. Je n'aime pas que des hommes habiles puissent, en dominant une assemblée par ces moyens, préparer, assurer leur empire sur une autre et perpétuer ainsi un système de coalition qui est le fléau de la liberté.

Quant à ces restrictions des droits du peuple dont on avait parlé, on était mal venu à s'en plaindre, alors qu'on en avait introduit dans la constitution de si contraires à l'égalité. Et pouvait-on présenter comme une atteinte à la liberté des précautions destinées à sauvegarder la liberté même ? Tous les peuples n'avaient-ils pas adopté cet usage de proscrire la réélection dans certaines magistratures pour écarter les ambitieux et les intrigants ? Il ne s'agissait pas ici d'une loi dictée par un souverain à ses sujets : c'était la nation elle-même s'imposant des décrets par l'organe de ses représentants, et l'on ne pouvait les considérer comme illégitimes du moment où ils étaient justes et conformes aux droits de tous. Après s'être attaché à prouver combien il était utile de prévenir toute erreur, toute surprise dans les élections ; après avoir montré quel grand exemple de désintéressement donnerait au monde une assemblée qui depuis deux ans supportait des travaux dont l'immensité semblait être au-dessus des forces humaines, il terminait en disant : Quand la nature et la raison nous commandent à tous le repos, bien plus encore pour l'intérêt public que pour le nôtre, l'ambition, ni même le zèle n'ont pas le droit de les démentir. Athlètes victorieux, mais fatigués, laissons la carrière à des successeurs frais et vigoureux qui s'empresseront de marcher sur nos traces, sous les yeux de la nation attentive, et que nos regards seuls empêcheraient de trahir leur gloire et la patrie. Pour nous, hors de l'Assemblée législative, nous servirons mieux notre pays qu'en restant dans son sein ; répandus dans toutes les parties de cet empire, nous éclairerons ceux de nos concitoyens qui ont besoin de lumières ; nous propagerons partout l'esprit public, l'amour de la paix, des lois et de la liberté !... Rien n'élève l'âme des peuples, rien ne forme les mœurs publiques comme les vertus des législateurs ; donnez à vos concitoyens ce grand exemple d'amour pour l'égalité, d'attachement exclusif au bonheur de la patrie ; donnez-le à vos successeurs, à tous ceux qui sont destinés à influer sur le sort des nations. Que les Français comparent le commencement de votre mission avec la manière dont vous l'aurez terminée, et qu'ils doutent quelle est celle de ces deux époques où vous vous serez montrés plus dignes de leur confiance. Je ne connais point de meilleur moyen d'imprimer à votre ouvrage le sceau de la stabilité, qu'en l'environnant du respect et de la confiance publique. Et comme, pour l'honneur de l'assemblée même, il lui semblait que sa motion ne devait pas être décrétée avec trop de lenteur, il engagea ses collègues à se prononcer immédiatement sur cette importante question.

L'effet de ce discours fut prodigieux, irrésistible. Fréquemment interrompu par des applaudissements réitérés pendant qu'il le prononçait, Robespierre, en descendant de la tribune, fut l'objet d'une véritable ovation. Les acclamations redoublèrent plus bruyantes, plus enthousiastes. Je demande l'impression de ce discours sublime, s'écria le député royaliste Tuault. Depuis les grands triomphes de Mirabeau, on n'avait pas eu l'idée d'un pareil succès. J'ai vu, écrivit Camille Desmoulins[50], ceux qui avoient affecté jusqu'ici de ne reconnaître à Robespierre que des vertus convenir, ce jour-là, de son éloquence. Et Barère de son côté[51] : Il n'appartenait qu'à un patriote pur, ferme et désintéressé comme M. Robespierre, de défendre et de faire adopter une pareille motion. Elle fut en effet décrétée à la presque unanimité[52]. En vain Le Chapelier s'était élancé à la tribune, en vain Beaumetz, avec une sorte de rage, avait demandé à présenter des observations contradictoires, s'était écrié qu'un pareil décret serait le tombeau de la constitution ; l'Assemblée ne voulut rien entendre, devinant bien à quel mobile obéissaient les opposants. Une partie d'ailleurs, la droite principalement, cédait elle-même, comme on l'a vu, à des inspirations qui n'étaient pas dépouillées de tout intérêt personnel, et Maximilien, pour la réussite de ce que Camille appelle un coup de maître de son cher Robespierre[53], pour vaincre l'amour-propre des membres du comité de constitution, comme le dit encore fort bien Camille, compta sans doute sur l'amour-propre des membres dont la non-réélection eût été certaine. Toutefois, il y eut dans l'Assemblée un tel enthousiasme, une telle unanimité, qu'il est impossible de croire qu'elle ait cédé tout entière à des vues intéressées. Non, elle se laissa entraîner à un grand acte de renoncement, de magnanimité, de grandeur d'âme, auquel la convia Robespierre, et elle s'honora en s'y associant.

Tandis que, presque à l'unanimité encore, elle décrétait l'impression de ce discours[54], les Constitutionnels vaincus rongeaient leur frein en silence, méditant une revanche ; et dans l'âme rancunière de Duport s'envenimaient contre Robespierre des sentiments de haine dont nous ne tarderons pas à voir se produire les effets.

 

X

Le lendemain même se présenta une occasion. On discutait la question de savoir si les membres d'une législature pourraient être réélus, sans interruption, à la législature suivante. Duport, qui la veille était resté muet, s'élança à la tribune, disant qu'il venait défendre son pays menacé d'anarchie. Certains hommes s'arrogent ainsi, dans leur immense orgueil, le monopole de la défense du pays, s'imaginant plus ou moins sérieusement que tout est perdu s'ils ne sont plus là pour diriger les affaires, et traitant volontiers de factieux et d'anarchistes tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Ridicule prétention d'ambitieux, contre laquelle protestent toutes les leçons de l'histoire.

Duport occupa longtemps la tribune, et dans son discours, presque entièrement à l'adresse de Robespierre, il laissa trop visiblement percer l'amer ressentiment de son amour-propre froissé, comme si le décret rendu la veille lui eût été personnel et l'eût atteint en pleine poitrine. Suivant lui, il fallait se garder de l'exagération des principes ; établir un gouvernement ferme et stable ; la Révolution était faite. Parole d'égoïste. Sans doute, pour cet ancien parlementaire, satisfait d'avoir abattu la noblesse par laquelle cependant il avait été envoyé aux états généraux, amoindri la royauté, et sur leur puissance détruite élevé la prépondérance de la haute bourgeoisie, à laquelle il appartenait plutôt qu'à la noblesse, la Révolution était faite. Mais l'était-elle en réalité, quand tous les vaincus de l'ancien régime se coalisaient, prêts à pactiser avec l'étranger, pour monter à l'assaut des nouveaux principes ? L'était-elle, quand aux privilégiés de la naissance on avait substitué ceux de la fortune, lorsque tant de milliers de citoyens français, réduits à l'état de parias, se trouvaient frappés d'exhérédation politique ? Et y avait-il lieu de s'étonner si toutes ces victimes de l'aristocratie bourgeoise tournaient avec reconnaissance leurs regards vers Robespierre, vers l'homme qui ne cessait de plaider si chaleureusement leur cause, c'est-à-dire celle de la justice ?

Buzot et Larévellière-Lepaux avaient soutenu contre Duport l'opinion de Robespierre ; mais, pris en quelque sorte à partie, celui-ci rentra dans la lice, et le mercredi 18 il reparut à la tribune. Il suivit Duport pas à pas et ne laissa sans réponse aucun de ses arguments, aucune de ses attaques. Dans cette affaire, comme dans toutes les autres questions de principe et de grand intérêt national, dit le Courrier de Provence[55], M. Robespierre s'est exprimé avec autant d'énergie que de patriotisme. Il a combattu, l'une après l'autre, toutes les raisons, toutes les objections de ses adversaires avec la supériorité que donnent toujours une âme droite et une conscience pure.

Duport, en terminant son discours, avait essayé de mettre Robespierre en contradiction avec lui-même, en l'accusant de vouloir dépouiller le peuple d'une partie de cette souveraineté que Maximilien avait avec tant d'insistance et inutilement -revendiquée pour lui lors de la discussion relative au marc d'argent. Mais pour détruire cette accusation ridicule, Robespierre n'eut qu'à rappeler que, en combattant le décret du marc d'argent qui enlevait au peuple un. de ses droits les plus précieux, celui de choisir le candidat le plus vertueux et le plus distingué, en dehors de toute condition de fortune, il avait eu principalement pour but de favoriser le mérite et de paralyser l'intrigue. Puis il s'étonna à bon droit que, après avoir montré si peu d'empressement à défendre les principes de la liberté et de l'égalité alors qu'ils étaient attaqués, on montrât tout à coup pour eux tant de zèle au moment où il s'agissait d'assurer à des représentants une réélection éternelle. Signalant les tendances de la plupart des hommes investis d'une part d'autorité à augmenter leur pouvoir, et évoquant le souvenir de ces magistratures jadis électives, devenues perpétuelles par l'abus et ensuite héréditaires, il disait : Il faut que les législateurs se trouvent dans la situation.qui confond le plus leur intérêt et leur vœu personnel avec ceux du peuple ; or pour cela il est nécessaire que souvent ils redeviennent peuple eux-mêmes. En vain redoutait-on de voir s'affaiblir l'autorité du Corps législatif ; c'était une appréhension tout à fait illusoire, puisque sa permanence était assurée par la constitution, et qu'il n'était pas permis au roi de le dissoudre. On semblait croire que des députés rééligibles étaient à l'abri des séductions du gouvernement depuis qu'il leur était interdit d'accepter aucuns dons, places ou faveurs ; mais n'était-il pas possible d'exercer la séduction par des moyens indirects ? Ces députés n'avaient-ils pas des parents, des amis ? Ne sentait-on pas ensuite combien les représentants du peuple seraient moins détournés de leur mission, lorsqu'ils n'auraient pas à se préoccuper de leur réélection ; combien leur caractère gagnerait en dignité quand ils se trouveraient préservés des intrigues, des jalousies qu'amènent toujours les compétitions et les rivalités ? Des députés nommés pour deux ans n'étaient bons qu'à médire des ministres et à s'occuper des affaires de leurs-, départements, avait-on prétendu avec un certain air de dédain. Quant à médire des ministres, répondit Robespierre, cela prouverait déjà qu'ils ne leur seraient point asservis ; mais, ajoutait-il, je suis persuadé que nous emploierons notre temps à quelque chose de mieux qu'à médire des ministres sans nécessité, et à parler des affaires de nos départements ; et je suis convaincu, au surplus, que le décret de lundi, quoi qu'on puisse dire, n'a pas affaibli l'estime de la nation pour ses représentants actuels.

Comme Thouret dans les précédents débats, Duport avait soulevé une objection peu digne de lui, en paraissant douter qu'on trouvât aisément dans une nation comme la France assez d'hommes capables pour composer une nouvelle législature. Robespierre avait déjà répondu à cet argument ; il avait montré combien il était injurieux pour ce pays où vivaient tant d'hommes distingués dans tous les genres. Que si des citoyens fuyaient la législature, parce qu'ils n'y seraient pas attirés par l'appât d'une réélection, tant mieux, car le génie de l'intrigue seul les eût poussés dans une carrière que le seul génie de l'humanité devrait ouvrir. D'ailleurs, ne pourrait-on, au bout de deux ans, se représenter aux suffrages des électeurs, après un repos indispensable même à l'homme le plus éclairé ? Et, s'adressant plus particulièrement à Duport et aux membres du comité de constitution, il disait : Les partisans les plus zélés de la réélection peuvent se rassurer, s'ils se croient absolument nécessaires au salut public ; dans deux ans, ils pourront être les ornements et les oracles de la magistrature. Pour moi, un fait particulier me rassure, c'est que les mêmes personnes qui nous ont dit : Tout est perdu si on ne réélit pas, disaient aussi, le jour du décret qui nous interdit l'entrée du ministère : Tout est perdu, la liberté du peuple est violée, la constitution est détruite ; je me rassure, dis-je, parce que je crois que la France peut subsister, quoique quelques-uns d'entre nous ne soient ni législateurs ni ministres. Je ne crois pas que l'ordre social soit désorganisé, comme on l'a dit, précisément parce que l'incorruptibilité des représentants du peuple sera garantie par des lois sages. Puis, après avoir fait allusion à une longue mercuriale prononcée par Duport contre l'Assemblée nationale, à ces anathèmes lancés du haut de la tribune contre toute doctrine qui n'était point celle du professeur ; après s'être efforcé de prouver combien étaient imaginaires ces dangers dont on avait paru si affecté afin - d'effrayer l'Assemblée elle-même, il terminait en ces termes : Au reste, le remède contre les dangers, de quelque part qu'ils viennent, c'est votre prévoyance, c'est votre sagesse, votre fermeté. Dans tous les cas, nous saurons consommer, s'il le faut, le sacrifice que nous avons plus d'une fois offert à la patrie. Nous passerons ; les cabales des ennemis passeront : les bonnes lois, le peuple, la liberté resteront. Prévoyant bien que quelque moyen terme serait proposé, il combattit d'avance toute espèce de compromis et conclut à ce que l'Assemblée se prononçât d'une façon absolue pour la non-réélection des membres d'une législature à l'autre.

Ce discours, comme celui de l'avant-veille, avait été fréquemment interrompu parles plus vifs applaudissements, mais il ne fut pas couronné d'un succès aussi complet[56]. En effet la discussion finit, le lendemain, par une sorte de mezzo termine imaginé par Barère. Il fut décidé, sur sa proposition, que les membres d'une législature seraient rééligibles à la suivante, mais qu'ils ne pourraient l'être de nouveau qu'après un intervalle de deux années. Cette solution fut d'ailleurs loin de satisfaire les membres du comité de constitution, qui avaient en vain essayé de la faire repousser par la question préalable.

 

XI

Les luttes étaient fréquentes entre Robespierre et le comité de constitution, et, comme on vient de le voir, la victoire ne restait pas toujours à ce dernier. Quelquefois le rapporteur de ce comité fuyait la discussion, comme il arriva à Desmeuniers à l'occasion du projet de loi sur la convocation de la première législature soumis à l'Assemblée dans la séance du 27 mai. D'après ce projet, les directoires de district étaient autorisés à déterminer eux-mêmes, suivant les circonstances, le lieu où se réuniraient les assemblées primaires. Robespierre combattit très-vivement cette disposition, contraire, selon lui, à la liberté électorale, à cette liberté indispensable à la bonne composition d'une assemblée de laquelle allait dépendre le sort de la constitution et de l'État. Ne sentait-on pas combien pourrait influer sur les élections cette latitude laissée à des directoires de district, peut-être ennemis de la Révolution, de transférer les assemblées primaires où bon leur semblerait ? Il fallait donc de toute nécessité en fixer le lieu. La justesse de ces observations parut telle que Desmeuniers n'osa pas soutenir l'article du comité, et l'Assemblée décida que les assemblées primaires se tiendraient au chef-lieu de canton[57].

Robespierre ne pouvait laisser passer une question relative à l'exercice des droits politiques sans revenir sur le fatal décret qui avait divisé la nation en citoyens actifs et en citoyens inactifs. Dans la séance du lendemain, il s'écria que c'était le moment de réformer le décret du marc d'argent, et de déclarer tout Français citoyen actif et éligible. Mais l'Assemblée resta sourde à ce cri de justice, et la proposition de Robespierre, vainement appuyée par le député Lavigne, se trouva étouffée sous les murmures[58]. Nous l'entendrons bientôt la reproduire sans plus de succès, lors des débats occasionnés par la révision de la constitution ; le souffle réactionnaire dont semblait animée l'Assemblée sera bien plus violent encore à cette époque.

Il ne put empêcher non plus, le 30, l'Assemblée Constituante d'adopter, sur la motion de Duport, l'établissement d'adjoints ou substituts près les tribunaux criminels. En vain allégua-t-il que c'était contraire au décret déjà rendu, par lequel, afin d'éviter un double emploi, et aussi par raison d'économie, on avait décidé que les commissaires du roi près les tribunaux civils procéderaient également devant les tribunaux criminels ; l'Assemblée, se déjugeant en quelque sorte, donna cette fois gain de cause à Duport[59].

 

XII

Un jour pourtant ces deux éternels adversaires, séparés désormais sur les grandes questions sociales et politiques, l'un se rattachant, de plus ou moins loin, à ce despotisme et à ces privilèges à la destruction desquels il avait pourtant contribué, l'autre allant logiquement vers la démocratie pure, et voulant la Révolution pour tous, se rencontrèrent dans une pensée commune, dans une sainte et noble pensée.

On se souvient sans doute que, au commencement de sa carrière, étant juge au tribunal de l'évêque d'Arras, — il y a déjà bien longtemps, tellement les idées ont marché depuis, — Robespierre, obligé de condamner à mort un accusé, avait immédiatement donné sa démission, tant la peine de mort lui inspirait d'horreur. Je sais bien, disait-il, que c'est un scélérat, mais faire mourir un homme[60] ! Devenu législateur, il ne pouvait manquer de chercher à effacer de nos lois une peine inutile à ses yeux, et digne des temps barbares. Dans un mémoire resté célèbre, il avait victorieusement attaqué l'inique préjugé en vertu duquel la honte attachée aux peines infamantes rejaillissait sur toute la famille d'un criminel, et il avait eu la joie de voir l'Assemblée nationale sanctionner son œuvre en proscrivant ce détestable préjugé. La peine de mort, suivant lui, n'avait pas plus de raison d'être, et déjà, dans son mémoire, il avait tenté d'en démontrer l'inutilité.

Devait-on maintenir cette peine dans le nouveau Code pénal ? Telle était la question soumise, le 30 mai 1791, aux délibérations de l'Assemblée. Non, s'écriait Robespierre. C'était la première fois qu'une voix s'élevait si hautement en France pour réclamer l'abolition de la peine de mort. Effacez du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur constitution nouvelles. Il fallait prouver que la peine de mort est essentiellement injuste ; qu'elle n'est pas la plus réprimante des peines ; qu'enfin, au lieu de prévenir les crimes, elle y dispose plutôt. Il le fit, et d'une manière admirable, selon nous.

Certes je suis loin de m'apitoyer, pour ma part, sur le sort d'un misérable assassin, et j'aime mieux réserver ma pitié à sa victime ; mais puis-je approuver la société de venir le tuer en grand appareil, au milieu d'une foule indifférente et moqueuse ? Je ne vois là qu'assassinat contre assassinat, et je ne saurais admettre une peine dont l'efficacité n'est nullement démontrée. Comme le disait Robespierre, un condamné est à l'égard de la société dans la situation d'un ennemi vaincu et impuissant. Tue-t-on un ennemi vaincu ? Mais, s'écrient, épouvantés, les partisans de la peine de mort, qui nous garantira des assassins ? Quand la torture fut abolie, beaucoup de criminalistes prétendirent que le nombre des criminels irait croissant du jour où ils n'auraient plus sous les yeux la perspective de ces abominables traitements réservés aux accusés. Le contraire eut lieu ; c'est qu'en effet les lois douces font les mœurs douces. Quel but veut atteindre le législateur ? poursuivait Robespierre ; celui de mettre le coupable dans l'impossibilité de nuire. Était-il besoin de l'égorger pour cela ? N'avait-on pas d'autres peines autrement efficaces, et ayant au moins le mérite de ne pas émousser le sentiment moral chez le peuple, comme un précepteur maladroit abrutit et dégrade l'âme de ses élèves par l'usage de châtiments cruels ? Après avoir montré les crimes plus rares dans les pays heureux où la peine de mort n'existait pas, comme jadis dans plusieurs des républiques de la Grèce, tandis qu'ils se multipliaient là où les supplices étaient prodigués, il arrivait à un argument resté jusqu'ici sans réponse : Écoutez la voix de la justice et de la raison : elle vous crie que les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme condamné par d'autres hommes sujets à l'erreur. Eussiez-vous imaginé l'ordre judiciaire le plus parfait, eussiez-vous trouvé les juges les plus intègres et les plus éclairés, il restera toujours quelque place à l'erreur ou à la prévention. Pourquoi vous interdire les moyens de les réparer ? Pourquoi vous condamner à l'impuissance de tendre une main secourable à l'innocence opprimée ? Qu'importent ces stériles regrets, ces réparations illusoires que vous accordez à une ombre vaine, à une cendre insensible ? Elles sont les tristes témoignages de la barbare témérité de vos lois pénales. Ravir à l'homme la possibilité d'expier son forfait par son repentir ou par des actes de vertu, lui fermer impitoyablement tout retour à la vertu, à l'estime de soi-même, se hâter de le faire descendre, pour ainsi dire, dans le tombeau, encore tout couvert de la tache de son crime, est à mes yeux le plus horrible raffinement de la cruauté. La colère et la vengeance devaient être, suivant lui, bannies de la loi ; et quand elle Versait le sang humain, pouvant l'épargner, lorsqu'elle offrait, comme à plaisir, aux regards du peuple d'horribles scènes de carnage, elle altérait dans le cœur des citoyens les notions du juste et de l'injuste.

Un écrivain de beaucoup d'esprit a écrit : Abolissons la peine de mort, mais que messieurs les assassins commencent. Cette jolie phrase a eu un grand succès dans le monde ; force gens, après avoir dit cela, ont cru avoir tout dit. Et pourtant, quel pauvre et triste argument pour le maintien d'une peine immorale ! C'est à la société plus forte, plus éclairée, plus clémente, à faire passer elle-même dans les cœurs le respect que l'homme doit à son semblable. Autrement, disait Robespierre en terminant : L'HOMME N'EST PLUS POUR L'HOMME UN OBJET SI SACRÉ... l'idée du meurtre inspire bien moins d'effroi lorsque la loi même en donne l'exemple et le spectacle ; l'horreur du crime diminue lorsqu'elle ne le punit plus que par un autre crime. Gardez-vous bien de confondre l'efficacité des peines avec l'excès de la sévérité ; l'un est absolument opposé à l'autre. Tout seconde les lois modérées ; tout conspire contre les lois cruelles... La rigueur des lois pénales lui paraissait être en raison de la liberté d'un pays ; et l'humanité était offensée, là surtout où la dignité de l'homme était méconnue, là où un maître commandait à des esclaves. Mais à un pays libre et régénéré il fallait des lois plus douces ; il concluait donc à l'abolition de la peine de mort en toute matière[61]. Soixante-dix ans se sont écoulés depuis cette époque, et je ne sache pas qu'on ait fait entendre, depuis, beaucoup d'arguments plus solides, de raisons plus décisives en faveur de la suppression de cette peine que nous ne sommes point encore parvenus à effacer de nos codes.

Les comités de constitution et de jurisprudence criminelle avaient bien aussi conclu à l'abolition de la peine de mort, mais non sans restriction ; ils la maintenaient en un point, et, chose singulière, en matière politique. Le lendemain Pétion et Duport vinrent joindre leurs voix à celle de Robespierre, et, à l'appui de leur opinion commune, ils apportèrent des raisonnements dont on ne saurait méconnaître ni la noblesse ni la profondeur. Mais tant de paroles éloquentes et généreuses ne parvinrent pas à convertir ceux que Robespierre appelait si justement les partisans de l'antique et barbare routine ; la peine de mort fut conservée. Plusieurs journaux populaires applaudirent à la touchante initiative de Robespierre[62] ; seul, Marat trouva à le blâmer, tout en rendant justice à un sentiment qui, disait-il, faisait honneur à sa sensibilité, mais était sujet à des inconvénients trop graves pour être adopté[63]. Cela seul suffit à montrer quels abîmes séparaient ces deux hommes. La peine de mort, dont l'abolition eût été l'honneur de la Révolution, resta donc inscrite dans nos codes. Qui sait si, en adoptant la motion de Robespierre, l'Assemblée nationale n'eût pas épargné à la France les flots de sang qui ont rougi le pavé de nos places publiques ?

 

XIII

Le dernier jour de ce mois de mai, si glorieux et si laborieux à la fois pour Robespierre, fut encore marqué pour lui par un éclatant triomphe. Voici à quelle occasion. Une ancienne victime des persécutions du despotisme, l'abbé Raynal, banni par un arrêt du parlement pour son Histoire philosophique des deux Indes, était récemment revenue à Paris. Entouré aussitôt par des évêques, de ci-devant nobles, par les partisans de ces vieux abus dont il avait été lui-même l'amer censeur, indemnisé des pertes auxquelles l'avaient entrainé les condamnations prononcées autrefois contre lui, l'abbé se mit en tête de dresser l'acte d'accusation de la Révolution française, et de l'envoyer sous forme de lettre au président de l'Assemblée nationale, s'imaginant, par cette sorte de trait de folie, ramener l'opinion publique au fétichisme de la royauté.

Duport venait d'achever son discours contre la peine de mort, quand Bureaux de Pusy, qui présidait, annonça qu'un homme, également connu pour son éloquence et sa philosophie, l'abbé Raynal, lui avait fait l'honneur de passer chez lui dans la matinée, et lui avait remis une adresse en le priant de la communiquer à l'Assemblée. Celle-ci consentit à entendre ce morceau. Lecture en fut donnée par un des secrétaires. C'était une censure amère des travaux de l'Assemblée constituante, un pamphlet contre la Révolution, une longue diatribe d'un bout à l'autre. L'auteur osait pourtant se présenter comme un vieil ami de la liberté ; et, en rappelant qu'il avait donné des leçons aux rois, il engageait sérieusement l'Assemblée à révoquer ses décrets constitutionnels, à rétablir le pouvoir exécutif dans sa force première. Quelques murmures d'impatience avaient à peine interrompu la lecture de ce libelle, auquel l'Assemblée prêta une attention méprisante comme à l'œuvre d'un maniaque.

Le président, s'il faut en croire un écrivain royaliste[64], s'était un peu trop complaisamment prêté à la petite comédie dont l'abbé Raynal, à près de quatre-vingts ans, avait bien voulu faire les frais. Comme il avait eu connaissance de l'adresse, quelques membres crurent qu'il s'était moqué de l'Assemblée en lui proposant d'en écouter la lecture. Rœderer l'interpella rudement, demanda la parole contre lui. Mais, aux yeux de Robespierre, la chose ne valait pas la peine d'être prise au sérieux.

Il monta précipitamment à la tribune. La lettre de l'abbé Raynal avait simplement excité dans son cœur une compassion pleine de dédain. Il commença par dire que jamais l'Assemblée ne lui avait paru si fort au-dessus de ses détracteurs qu'au moment où il l'avait vue écouter avec tant de tranquillité la véhémente censure de sa conduite et de la Révolution. Une triple salve d'applaudissements salua ce début de l'orateur. Robespierre continua, toujours sur un ton d'excessive modération ; mais, tout en rappelant que cet homme célèbre, accusé jadis de pécher par excès d'exagération, avait publié des vérités utiles à la liberté, il ne put s'empêcher de témoigner d'amers regrets de le voir rompre un long silence précisément à l'heure où tous les ennemis de la Révolution se coalisaient pour l'arrêter dans son cours. De nouvelles acclamations accueillirent ces paroles. L'Assemblée était dans des dispositions telles qu'un mot pouvait l'amener à user de rigueur envers l'abbé. Mais Robespierre ne songeait nullement à provoquer une mesure rigoureuse. Je suis bien éloigné de vouloir diriger la sévérité, je ne dis pas de l'Assemblée, mais de l'opinion publique sur un homme qui conserve un grand nom. Je trouve pour lui une excuse suffisante dans une circonstance qu'il vous a rappelée, je veux dire son grand âge. On applaudit de nouveau. Faisant alors allusion à ceux à l'instigation de qui avait évidemment agi le vieillard, et auxquels pour sa part il pardonnait volontiers également, à ces hommes du passé qui autrefois accusaient l'abbé Raynal de licence, et le choisissaient aujourd'hui pour leur apôtre, leur héros ; il admirait combien la constitution était favorable au peuple et funeste à la tyrannie, puisqu'on ne reculait pas, pour la détruire, devant des moyens si extraordinaires ; puisqu'on dénonçait à l'univers comme des crimes ce trouble, ces tiraillements passagers, crise naturelle de l'enfantement de la liberté, et sans laquelle le despotisme et la servitude seraient incurables.

Il n'y avait donc pas à se livrer à d'inutiles alarmes. C'est en ce moment, dit-il, où par une démarche extraordinaire on vous annonce clairement quelles sont les intentions manifestes, quel est l'acharnement des ennemis de l'Assemblée et de la Révolution, c'est en ce moment que je ne crains pas de renouveler en votre nom le serment de suivre toujours les principes sacrés qui ont été la base de votre constitution ; de ne jamais nous écarter de ces principes par une voie oblique et tendant indirectement au despotisme, ce qui serait le seul moyen de ne laisser à nos successeurs et à la nation que troubles et anarchie. Et sans vouloir s'occuper davantage de la lettre de l'abbé Raynal, il proposa à l'Assemblée de passer à l'ordre du jour. Il n'était certes pas possible de répondre par un langage plus ferme et plus digne à d'insultantes provocations. La majorité de l'Assemblée, au grand déplaisir du côté droit, prouva toute sa satisfaction à Robespierre, en le couvrant d'applaudissements plus chaleureux encore lorsqu'il descendit de la tribune ; et, comme il l'avait demandé, elle passa dédaigneusement à l'ordre du jour[65].

 

XIV

Jusqu'ici nous avons peu parlé des Jacobins. L'histoire de cette société célèbre est, en effet, assez difficile à pénétrer pour les deux premières années de son existence, aucun organe de publicité n'ayant rendu un compte exact et suivi de ses séances. Le Journal des Amis de la Constitution, rédigé par Choderlos de Laclos, un des intimes du duc d'Orléans, est loin de répondre à son titre ; on n'y trouve aucune physionomie vraie des débats, c'est plutôt une feuille de correspondance avec les sociétés affiliées. Au 1er juin va paraître un nouveau journal, celui des Débats de la Société des Amis de la Constitution, où nous puiserons de précieux renseignements au sujet des discussions auxquelles donnera lieu, dans le courant du mois de juillet, la fuite de la famille royale ; mais les premiers numéros sont encore bien obscurs.

Nous savons par quelques feuilles populaires, celle de Camille Desmoulins principalement, et même par certains journaux contre-révolutionnaires, comme les Actes des Apôtres, par exemple, de quelle prodigieuse influence jouissait Robespierre au sein de la société ; que son entrée y était saluée par les plus vifs applaudissements ; que, plusieurs fois déjà il avait été appelé à l'honneur de la présider ; mais les -innombrables discours que jusqu'en juin il y prononça n'ont pas été recueillis. Quelques-uns seulement ont été mentionnés çà et là, et sauvés ainsi de l'oubli. Cependant il en est un capital dont il donna lecture dans la séance du 11 mai, et qui, livré à l'impression, a été heureusement conservé pour l'histoire. C'est son discours sur la liberté de la presse.

Déjà, plus d'une fois, nous l'avons entendu, à la tribune de l'Assemblée nationale, élever la voix en faveur de cette liberté sans laquelle toutes les autres libertés ne peuvent guère exister chez un peuple qu'à l'état précaire, et défendre les écrivains dénoncés par les meneurs du côté droit. Certes, de toutes nos libertés perdues, celle de la presse n'est pas la moins regrettée des hommes d'intelligence, des véritables patriotes : eh bien ! qu'ils relisent aujourd'hui l'admirable discours dont nous allons entreprendre l'analyse, et ils s'affligeront profondément avec moi de ce que des écrivains, décorés du nom de libéraux, et confondant d'ailleurs le rude athlète de la Convention, obligé de lutter pour le salut de la France contre les ennemis du dehors et ceux du dedans ; le confondant, dis-je, avec le législateur doux et profond, aient lancé contre Robespierre des invectives qu'eussent signées les pamphlétaires et les libellistes du parti royaliste.

Aux yeux de l'immortel tribun, la faculté de communiquer ses pensées, qui est à la fois le lien, l'âme, l'instrument de la société, ne peut s'exercer utilement que par la liberté de la presse, identique avec celle de la parole et, comme elle, nécessaire au développement, aux progrès, au bonheur de l'humanité. Si presque partout, chez tous les peuples, elle a été comprimée, c'est parce qu'elle est le plus redoutable fléau du despotisme, lequel a puisé sa force dans l'ignorance commune. L'ambition, au contraire, rencontre d'insurmontables obstacles là où l'innocence opprimée a le droit de faire entendre sa voix, là où l'opinion publique et la volonté générale présentent à la tyrannie une digue infranchissable. Aussi a-t-on vu de tout temps les despotes se liguer contre la liberté de parler et d'écrire ; les uns la proscrivant au nom du ciel, les autres au nom du principe monarchique.

L'exemple des États-Unis d'Amérique, de ce peuple si jeune et si grand déjà, chez lequel le droit de communiquer ses pensées ne pouvait être gêné ni limité en aucune manière, répondait d'avance au reproche d'exagération dont on ne manquerait pas de poursuivre son opinion ; car, suivant lui, la liberté de la presse devait être entière et indéfinie, sinon elle n'existait pas. Deux moyens de la modifier existaient : l'un, de l'assujettir à certaines formalités restrictives ; l'autre, d'en réprimer l'abus par des lois pénales. Ainsi restreindrait-on le droit de posséder des presses ? et d'un bienfait qui devrait être commun à tous ferait-on le patrimoine de quelques-uns ? Permettrait-on aux uns de parler plus ou moins librement de politique et des événements publics, aux autres de s'occuper purement d'objets de littérature ? Telles étaient les mesures de précaution à l'aide desquelles la liberté d'écrire avait été refrénée jusqu'ici par le despotisme, qui, sous prétexte de rendre les hommes sages et paisibles, en faisait des instruments passifs ou de vils automates.

En second lieu, quelles étaient les peines à établir contre les abus possibles. La liberté d'écrire s'exerçait nécessairement sur deux objets, les choses et les personnes. La morale, la législation, la politique, la religion étaient du domaine du premier ; or pouvait-on punir un homme pour avoir manifesté son opinion sur toutes ces questions ? L'humanité ne comporte-t-elle pas une prodigieuse diversité d'esprits et de caractères ? Où sera l'erreur, où sera la vérité ? En effet, disait très-bien Robespierre, la liberté de publier son opinion ne peut être autre chose que la liberté de publier toutes les opinions contraires. Il faut que vous trouviez le moyen de faire que la liberté sorte d'abord toute pure et toute nue de chaque tête humaine. Elle ne peut sortir que du combat de toutes les idées vraies ou fausses, absurdes ou raisonnables. C'est dans ce mélange que la raison commune, la faculté donnée à l'homme de discerner le bien et le mal, s'exerce à adopter les unes, à rejeter les autres. Voulez-vous ôter à vos semblables l'usage de cette faculté pour y substituer votre autorité particulière ? Mais quelle main tracera la ligne, de démarcation qui sépare l'erreur de la vérité ? Si ceux qui font les lois ou ceux qui les appliquent étaient des êtres d'une intelligence supérieure à l'intelligence humaine, ils pourraient exercer cet empire sur les pensées ; mais s'ils ne sont que des hommes, s'il est absurde que la raison d'un homme soit, pour ainsi dire, souveraine de la raison de tous les autres hommes, toute loi pénale contre la manifestation des opinions est une absurdité. Il est facile, poursuivait-il, d'atteindre des actes criminels parce qu'il y a un corps de délit, un fait clairement défini et constaté ; mais une opinion, un écrit, où trouver le critérium de sa criminalité ? C'est un écrit incendiaire, dangereux, dit-on ; mais ce sont là des termes vagues, incertains. Suivant le temps, suivant le lieu, et même les impressions personnelles du juge, le délit existe ou n'existe pas. Ce qui sera crime ici deviendra vertu plus loin. Tel, regardé comme un extravagant par un despote, sera admiré comme un citoyen vertueux par les hommes libres. Le même écrivain trouvera, suivant la différence des temps et des lieux, des éloges ou des persécutions, des statues ou un échafaud. Les hommes de génie qui ont révélé au monde les plus grandes vérités avaient en général devancé l'opinion de leur siècle ; aussi les montrait-il, poursuivis par l'ignorance et les préjugés, presque constamment en butte à l'ingratitude de leurs contemporains et tardivement récompensés par les hommages de la postérité. Galilée expia son génie dans les cachots de l'inquisition ; Descartes mourut sur une terre étrangère, et l'éloquent philosophe de Genève, ce Rousseau, à qui, au nom de la patrie, l'Assemblée nationale venait de décerner une statue, n'avait-il pas été atteint par la persécution ? Mais tandis qu'on poursuivait comme perturbateurs de l'ordre public les meilleurs amis de l'humanité, on prodiguait les caresses, les encouragements, les pensions, à ces écrivains courtisans vils professeurs de mensonge et de servitude, dont les doctrines funestes altéraient les principes de la morale, et dépravaient l'esprit public. La presse libre, continuait-il, est la gardienne de la liberté ; la presse gênée en est le fléau. Ce sont ces entraves qui produisent ou une timidité servile ou une audace extrême. Ce n'est que sous les auspices de la liberté que la raison s'exprime avec le courage et le calme qui la caractérisent. Pourquoi prendre tant de soin pour troubler l'ordre que la nature établissait d'elle-même ?... Ne voyez-vous pas que, par le cours nécessaire des choses, le temps amène la proscription de l'erreur et le triomphe de la vérité ? Laissez aux opinions bonnes ou mauvaises un essor également libre, puisque les premières seulement sont destinées à rester. Avez-vous plus de confiance dans l'autorité, dans la vertu de quelques hommes intéressés à arrêter la marche de l'esprit humain que dans la nature même ?... L'opinion publique, voilà le seul juge compétent des opinions privées, le seul censeur légitime des écrits. Si elle les approuve, de quel droit, vous homme en place, pouvez-vous les condamner ? Si elle les condamne, quelle nécessité pour vous de les poursuivre ? Si, après les avoir improuvées, elle doit, éclairée par le temps et par la réflexion, les adopter tôt ou tard, pourquoi vous opposez-vous aux progrès des lumières ? Comment osez-vous arrêter ce commerce de la pensée que chaque homme a le droit d'entretenir avec tous les esprits, avec le genre humain tout entier ? Pourquoi enfin substituer à cet empire de l'opinion publique, doux, salutaire et naturel, celui de l'autorité, nécessairement odieux et tyrannique ?

A ces principes éternels on objectait la raison d'État, la soumission aux lois. Mais, sans troubler aucunement l'ordre public, sans enfreindre l'obéissance due aux lois existantes, n'était-ce pas le droit de tout citoyen d'appeler l'attention du législateur sur des lois imparfaites, d'en demander la réforme, de prouver qu'elles étaient contraires à l'intérêt général ? N'était-ce pas là le meilleur usage, le plus digne que l'homme pût faire de sa raison ? Robespierre assimilait à cet égard la grande société politique aux sociétés particulières, où chaque associé a le droit d'engager ses coassociés à modifier, pour la prospérité de l'entreprise, les conventions premières. Avant la Révolution même, n'avait-on pas le droit d'écrire et de disserter sur les lois. On parle toujours d'appels à la révolte, et c'est un beau prétexte pour arriver à l'anéantissement de la presse ; mais s'imagine-t-on que des écrits remuent si facilement les citoyens et Les portent tout à coup à briser un état de choses appuyé par la force publique, cimenté par l'habitude ? Ce sont des préjugés répandus par le despotisme. Les écrits n'agissent sur les peuples que par l'action lente et progressive du temps et de la raison ; toutes les déclamations contre ce qu'on appelle les écrits incendiaires cachent toujours le dessein secret d'opprimer une nation dont le premier besoin est d'être éclairée sur ses droits, sur ses intérêts. Il fallait donc renoncer à tout acte de rigueur contre les écrivains, et maintenir, comme la plus solide base du bonheur social, la liberté illimitée d'écrire sur toutes choses.

Envisageant ensuite la liberté de la presse par rapport aux personnes, il distinguait entre les personnes publiques et les personnes privées. Quant aux premières, la question ne lui paraissait pas douteuse. En effet, un des plus grands avantages, Le but essentiel de cette liberté, n'était-il pas de contenir l'ambition, Le despotisme des gens en place, des dépositaires de l'autorité ? Si, sous prétexte de calomnie, on leur laisse le droit de poursuivre légèrement un écrivain qui aura blâmé leur conduite, ce frein salutaire de la liberté de la presse deviendra absolument nul ; car qui osera s'exposer aux vengeances des hommes puissants ? Attendra-t-on pour dénoncer Catilina qu'on ait des preuves juridiques de sa culpabilité ? Devant quel tribunal luttera-t-on contre Tibère ? Si l'on incrimine les dénonciations contre tel ou tel fonctionnaire, ne sent-on pas combien il sera difficile de déjouer les complots liberticides ? Ceux qui gouvernent ont trop les moyens d'envelopper de mystères leurs projets ambitieux ; et si, pour les mettre en cause devant l'opinion publique, des preuves juridiques sont absolument exigées, ne courra-t-on pas risque de voir leurs machinations exécutées avant qu'on ait pu les prévenir ? Dans tout État libre, disait-il, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier au moindre bruit, à la moindre apparence de danger qui la menace. Tous les peuples qui l'ont connue n'ont-ils pas craint pour elle jusqu'à l'ascendant même de la vertu ? Chose singulière, on eût dit qu'il prévoyait par là le reproche qu'au lendemain de Thermidor devait lui adresser Barère.

Que si, poursuivait-il, d'excellents citoyens, comme Aristide, n'étaient pas à l'abri de l'injustice et de la calomnie, ils trouvaient, dans la satisfaction d'une conscience pure, de suffisantes consolations, sachant que des persécutions passagères rehausseraient encore leur gloire, et seraient un témoignage plus éclatant de leur vertu. Quels personnages, au contraire, entendait-on sans cesse réclamer contre la licence des écrits ? ceux dont la réputation éphémère, fondée sur des succès de charlatanisme ne pouvait supporter le choc de la moindre contradiction, et qui craignaient sans cesse qu'une voix libre ne vint révéler leurs transactions honteuses et leurs petites intrigues. Caton, cent fois dénoncé, dédaigna toujours de poursuivre ses accusateurs ; mais les décemvirs de Rome édictèrent des lois terribles contre les libelles. C'est sous l'empire du despotisme qu'un écrit calomnieux est principalement dangereux, parce qu'il n'est pas toujours aisé d'y répondre, surtout quand il est favorable à la cause de la tyrannie ; mais, sous le régime de la liberté, la réputation d'un bon citoyen ne saurait être facilement ternie, l'opinion publique étant à même de juger en toute connaissance de cause. Pour lui alors certains éloges pourraient sembler un opprobre, tandis que certains pamphlets seraient de véritables titres de gloire. La liberté de la presse n'inspirait de terreur qu'à ces gens usurpateurs d'un crédit et d'une considération de mauvais aloi, forcés de s'avouer intérieurement combien leur était nécessaire l'ignorance publique.

Caton n'avait jamais poursuivi ses calomniateurs, venait-il de dire. N'y avait-il pas dans ces quelques mots une allusion directe à lui-même ? En effet, de tous les défenseurs du peuple, de tous les glorieux combattants de la Révolution, en était-il un que l'envie eût maltraité avec autant d'acharnement, sur qui la calomnie se fût exercée avec plus de fureur et de mauvaise foi ? N'était-il pas chaque jour dévoué aux vengeances de la réaction dans les écrits cyniquement diffamatoires des Peltier, des Rivarol, des Royou, des Mallet du Pan et de tant d'autres stipendiés de l'aristocratie, dans ces feuilles monarchiques dont quelques-unes dépassaient de bien loin en exagérations le terrible journal de Marat ? Eh bien ! avait-il un seul instant songé à poursuivre ses calomniateurs ? les avait-il dénoncés à la tribune, traduits à la barre de l'Assemblée nationale, comme avaient fait les Malouet et les Maury ? Loin de là, il combattit toujours toute mesure compressive de la liberté de la presse, lui, l'objet de la rage de tous les folliculaires royalistes. Et dans le discours dont nous nous occupons, comment s'exprimait-il au sujet de ces personnalités odieuses dont il était victime chaque jour, et que, suivant lui, le mépris public seul devait atteindre ? Écoutez, écoutez, vous tous qui, persistant à ne voir en lui que l'homme héroïque de la Convention et du Comité de salut public, c'est-à-dire le soldat sur le champ de bataille, semblez ignorer qu'il a été le plus intrépide de ceux qui ont tenté de fonder la liberté en France. Conjurant ses collègues de ne pas déshonorer leur. ouvrage en mettant des entraves à la libre communication de la pensée, il leur disait : Que tous les libelles répandus autour de vous ne soient pas pour vous une raison de sacrifier aux circonstances du moment les principes sur lesquels doit reposer la liberté des nations. Songez qu'une loi sur la presse ne réparerait pas le mal, et vous enlèverait le remède. Laissez passer ce torrent fangeux, dont il ne restera bientôt plus aucune trace, pourvu que vous conserviez cette source immense et éternelle de lumière, qui doit répandre sur le monde politique et moral la chaleur, la force, le bonheur et la vie. N'avez-vous pas déjà remarqué que la plupart des dénonciations qui vous ont été faites étaient dirigées, non contre ces écrits sacrilèges où les droits de l'humanité sont attaqués, où la majesté du peuple est outragée, au nom des despotes, par des esclaves lâchement audacieux, mais centre ceux que l'on accuse de défendre la cause de la liberté avec un zèle exagéré et irrespectueux envers les despotes ? N'avez-vous pas remarqué qu'elles vous ont été faites par des hommes qui réclament amèrement contre des calomnies que la voix publique a mises au rang des vérités, et qui se taisent sur les blasphèmes séditieux que leurs partisans ne cessent de vomir contre la nation et ses représentants ? Que tous mes concitoyens m'accusent et me punissent comme traître à la patrie, si jamais je vous dénonce aucun libelle sans en excepter ceux où, couvrant mon nom des plus infâmes calomnies, les ennemis de la Révolution me désignent à la fureur des factions comme l'une des victimes qu'elle doit frapper. Eh ! que nous importent ces méprisables écrits ? Ou bien la nation française approuvera les efforts que nous avons faits pour assurer la liberté, ou elle les condamnera. Dans le premier cas, les attaques de nos ennemis ne seront que ridicules ; dans le second cas, nous aurons à expier le crime d'avoir pensé que les Français étaient dignes d'êtres libres, et, pour mon compte, je me résigne volontiers à cette destinée.

Et ce n'était pas seulement l'intérêt de son pays qui lui dictait ces paroles. La Révolution, à ses yeux, avait un caractère universel ; ce n'était pas uniquement pour le temps présent, pour les habitants de la France qu'il fallait faire des lois, c'était pour les siècles, pour le monde entier ; ainsi, dans la Déclaration des droits, l'homme passait avant le citoyen. Ah ! ne l'oublions jamais cet ardent amour de notre Révolution pour l'humanité ! Sans la liberté indéfinie de la presse, disait Robespierre, point de liberté. Toutefois, en considérant la presse par rapport aux personnes privées, il admettait une restriction ; et, tout en préférant, pour sa part, laisser au tribunal de l'opinion publique le soin de réprimer également les calomnies ordinaires, il permettait aux citoyens de poursuivre devant les magistrats la répression de cette sorte de délit. Ses conclusions, formulées en projet de décret, portaient que tout citoyen aurait le droit de publier ses pensées par quelque moyen que ce fût, et que la liberté de la presse ne pourrait être gênée ni limitée en aucune manière ; que des peines sévères frapperaient quiconque y attenterait ; enfin que les particuliers calomniés auraient le droit de poursuivre devant les magistrats la réparation des calomnies dont ils auraient été l'objet de la part de la presse[66].

Ce discours, dont certainement personne ne contestera ni l'élévation ni la noblesse, avait été composé pour être prononcé à la tribune de l'Assemblée nationale ; il ne le fut pas, faute d'occasion sans doute. Cependant, à propos d'une loi proposée contre les écrits par les Constitutionnels, nous entendrons bientôt Robespierre en reproduire les principales idées. Il obtint, comme on pense, un éclatant succès, non-seulement aux Jacobins, mais aussi au Cercle social, où Fauchet, le nouvel évêque du Calvados, le rédacteur de la Bouche de fer, en lui lui-même la plus grande partie[67]. Peu s'en fallut que ce discours ne fût entièrement perdu pour l'histoire. En effet, dans la soirée du 12 mai, Robespierre, sortant de chez le docteur Lanthenas, son ami alors et son futur collègue à la Convention, ou de chez les Roland, qui logeaient dans le même hôtel, rue Guénégaud, près du quai Conti, et à qui sans doute il était venu lire son discours dans l'intimité, prit un fiacre sur Je quai des Augustins pour retourner chez lui, rue de Saintonge. Fort distrait, comme nous l'avons dit au commencement de cette histoire, il oublia son manuscrit dans la voiture. Heureusement pour lui et pour nous, il lui fut fidèlement rapporté par un bon citoyen[68].

Il ne devait pas tarder à requérir au sein de l'Assemblée l'application des principes qu'il avait développés dans son discours, et cela à propos du Moniteur lui-même, dénoncé par le ministre des affaires étrangères. Dans la séance du 1er juin, une lettre de M. de Montmorin signalait à l'attention de l'Assemblée nationale une correspondance d'Allemagne insérée dans le numéro 151 du Moniteur, et dans laquelle on prêtait au roi le projet d'évasion le plus absurde, disait le ministre. Or on était à vingt jours de la fuite de Louis XVI, ceci est à retenir. Le ministre semblait indiquer à l'Assemblée sa ligne de conduite, en déclarant que, s'il avait été personnellement désigné par le journal, il n'hésiterait pas à traduire l'imprimeur devant les tribunaux. La lecture delà lettre du ministre à peine achevée, plusieurs voix de la droite demandèrent violemment que le rédacteur du Moniteur fût tout de suite chassé de la tribune qu'il occupait dans la salle ; d'autres, qu'il fût enjoint par l'Assemblée elle même à l'accusateur public de poursuivre l'imprimeur afin de le forcer à nommer l'auteur de l'article. La feuille du libraire Panckoucke était loin, à cette époque, d'être favorable à Robespierre, quoiqu'elle commençât à mettre un peu plus de soin dans le compte rendu de ses discours ; mais Robespierre plaçait la question des principes au-dessus de celle des personnes, et, comme il avait défendu jadis son ami Camille Desmoulins, attaqué par Malouet, il se fit l'avocat d'office de l'imprimeur de la Gazette nationale[69]. D'abord, dit-il, ce n'était pas à l'Assemblée constituante à se charger des vengeances ministérielles. Ensuite que savait-on si l'assertion de M. Montmorin était plus exacte que celle du correspondant anonyme ? — A trois semaines de là l'événement vint prouver combien Robespierre avait raison de douter. — Enfin les hommes en place n'appartenaient-ils pas à l'opinion ? N'y avait-il pas une différence à établir entre eux et les simples particuliers ? Après avoir rapidement exposé les considérations par lui émises à cet égard dans le discours dont nous avons rendu compte, il demanda la question préalable sur toutes les motions proposées et les qualifia de serviles. L'Assemblée, en définitive, lui donna raison, en passant à l'ordre du jour, au grand scandale des Montlosier et des Praslin[70].

 

XV

Mais retournons aux Jacobins, où se trouve à l'ordre du jour une question importante, celle du licenciement des officiers de l'armée, dont l'opinion publique, à Paris et dans les départements, se préoccupait fort depuis quelques mois. Anthoine y prononça le 2 juin un discours énergique dans lequel il dénonça le cadre des officiers comme un perpétuel foyer d'aristocratie qu'il était impossible de laisser subsister. Nommé rapporteur d'une commission chargée par le club d'examiner la question, Rœderer parla longtemps, plusieurs jours après, sur les moyens de désaristocratiser l'armée, et conclut à une réorganisation complète. C'était le 8 juin. Le même jour Robespierre prit aussi la parole.

Il ne venait pas proposer des mesures sur un licenciement dont la nécessité lui paraissait démontrée, ni approfondir les inconvénients qui en résulteraient, selon quelques personnes ; il voulait simplement épancher au sein de la société les sentiments dont son âme était pénétrée à l'aspect des dangers de la patrie. Après avoir tracé un assez sombre tableau de l'armée, rappelé la catastrophe de Nancy due aux intrigues des officiers, les supplices odieux dont s'étaient rassasiés dans cette malheureuse ville les ennemis de la liberté ; après avoir montré dans quelques régiments certains officiers ne craignant pas d'arborer la cocarde blanche, il se demandait comment on pouvait douter de cette nécessité du licenciement des officiers de l'armée. Quant à lui, en voyant le gouvernement confier à des hommes notoirement hostiles à la Révolution la garde de nos places principales et la défense de, nos frontières, il ne pouvait hésiter ; et, avec une franchise, dont il avouait lui-même la rudesse, il qualifiait de traître quiconque était opposé au licenciement.

A ces mots, un membre, saisi de transport, interrompit l'orateur et demanda, aux applaudissements de l'Assemblée, que ces derniers mots fussent inscrits en gros caractères aux quatre coins de la salle.

Robespierre, reprenant, s'attacha à dissiper les craintes propagées par les personnes intéressées. Loin de produire le moindre trouble, le licenciement ramènerait, au contraire, l'ordre absent depuis si longtemps de notre armée par suite de l'antagonisme fatal existant entre l'officier et le soldat. L'effet disparaîtrait avec la cause ; les troupes s'empresseraient d'obéir à des officiers patriotes, dignes de leur confiance, et les liens de la discipline se resserreraient au lieu de se détendre. Pourquoi dans la nation régénérée conserver un dernier vestige de l'ancien régime détruit ? Pourquoi attacher des cadavres à des corps vivants ? Tous les partisans du despotisme, tous les ennemis de la Révolution, on pouvait en être certain, réclameraient, en invoquant l'amour de la paix, le maintien des officiers actuels, sûrs de rencontrer en la plupart d'entre eux des complices de leurs perfides desseins. Aussi fallait-il se méfier de ces hommes qui, ne voyant dans la Révolution qu'un moyen de fortune, se retournaient volontiers vers l'ancien régime quand leur ambition se trouvait déçue ; de ces hommes dont la feinte modération recélait trop souvent d'affreux projets de vengeance. En terminant, il engageait ses concitoyens à se mettre en garde contre leur bonne foi et leur facilité ; car, à ses yeux, la constitution nouvelle avait surtout pour ennemis la faiblesse des honnêtes gens et la duplicité des malveillants[71]. Après lui parut à la tribune des Jacobins un homme porteur d'un nom illustre, du Couëdic, qui essaya de le réfuter, tout en applaudissant à son civisme. La lutte devait être plus vive, plus acharnée à l'Assemblée nationale, où la question ?e présenta le surlendemain.

Peu s'en était fallu que Robespierre ne fût appelé lui-même à diriger ces débats orageux. En effet, lors du dernier renouvellement de la présidence de l'Assemblée, le 6 juin, il s'était trouvé candidat, avec Dauchy, agronome distingué. Son concurrent avait été élu. M. Robespierre, qui depuis longtemps mérite l'honneur du fauteuil, écrivait le lendemain Brissot dans son journal, doit se consoler en pensant que c'est ici un hommage rendu à l'agriculture[72].

Ce projet de licencier l'armée pour la réorganiser complètement sur les bases mêmes de la constitution n'était pas nouveau ; il avait occupé le vaste génie de Mirabeau, dont la grande voix, appuyant celle de Robespierre, eût indubitablement jeté dans la discussion un prodigieux éclat. Chargé au nom des comités de constitution, militaire, diplomatique, des rapports et des recherches, de présenter à l'Assemblée un rapport sur les meilleurs moyens de ramener l'ordre au milieu de l'armée, et d'assurer ainsi la tranquillité publique, Bureaux de Pusy ne trouva rien de mieux à proposer, dans la séance du 10, que le cantonnement des troupes et l'application de peines sévères contre quiconque troublerait la discipline militaire. Quant aux officiers, dont l'incivisme et la malveillance pour les nouveaux principes étaient trop connus, ses précautions se bornaient à exiger d'eux un engagement par écrit, un engagement d'honneur d'obéir à la constitution et de la respecter. Dumouriez avait déjà émis une proposition semblable, en dehors de l'Assemblée, et Rœderer, avec raison, l'avait combattue comme purement illusoire. A ceux qui croiraient devoir refuser le serment prescrit, on se contentait de retrancher les trois quarts de leurs appointements, en les mettant en disponibilité.

Comme à Rœderer, ces mesures parurent à Robespierre tout à fait inefficaces. Il monta à la tribune immédiatement après le rapporteur, et débuta par quelques considérations générales sur l'organisation de l'armée. Comment, lorsque toutes les fonctions publiques avaient été reconstituées suivant les principes de la liberté et de l'égalité, avait-on laissé subsister jusqu'ici cette aristocratie militaire, élevant encore son front audacieux et menaçant au milieu des ruines de toutes les aristocraties ? Puis, présentant les armées nombreuses et permanentes comme un danger perpétuel pour la liberté, il disait : Ignorez-vous que tous les peuples qui l'ont connue ont réprouvé cette institution, ou ne l'ont envisagée qu'avec effroi ? Combien de précautions ne devez-vous donc pas prendre pour préserver d'une influence dangereuse la liberté ! Vous savez que c'est par elles que les gouvernements ont partout subjugué les nations ; vous connaissez l'esprit des cours ; vous ne croyez point aux conversions miraculeuses de ces hommes dont le cœur est dépravé et endurci par l'habitude du pouvoir absolu, et vous soumettez l'armée à des chefs attachés naturellement au régime que la Révolution a détruit ! Qu'attendez-vous donc de ces chefs ? S'ils sont sans autorité, sans ascendant, ils ne peuvent exercer leurs fonctions ; s'ils en ont, à quoi voulez-vous qu'ils - l'emploient, si ce n'est à faire triompher leurs principes et leur parti ? Sans doute il est une partie des officiers de l'armée sincèrement attachés à la cause de la Révolution, animés des plus purs sentiments du civisme, de la liberté ; j'en connais moi-même de ce caractère, même dans des grades distingués ; mais pouvons-nous fermer l'oreille aux plaintes innombrables des citoyens, des administrateurs même, qui vous prouvent qu'une partie très-nombreuse de ce corps professe des opinions opposées ? Que dis-je ? jetez un regard sur le passé, et tremblez pour l'avenir. Voyez avec quelle obstination ils ont servi, dès le commencement de la Révolution, le projet favori de la cour, d'attacher l'armée à ses intérêts particuliers ; voyez-les semant la division et le trouble, armant dans quelques lieux les soldats contre les citoyens, et les citoyens contre les soldats, interdisant à ceux-ci toute communication avec les citoyens... tantôt dissolvant des corps entiers dont le civisme déconcertait les projets des conspirateurs... N'avait-on pas vu, poursuivait-il, les officiers chasser les soldats suspects d'un patriotisme un peu ardent, et les renvoyer dans leurs foyers avec des cartouches infamantes ? C'étaient en général les meilleurs soldats, les plus anciens, les plus éprouvés. Et à quel moment s'en débarrassait-on ? Précisément à l'heure où les armées étrangères semblaient nous menacer, où se formaient trop visiblement contre notre Révolution une ligue des despotes de l'Europe. Or n'était-il pas absurde de laisser l'armée française entre les mains d'hommes disposés à défendre la cause du monarque contre celle du peuple ? Avec quelle patience les soldats n'avaient-ils pas supporté les plus révoltantes injustices ? Et cependant on exigeait d'eux la plus aveugle soumission, le plus entier respect pour des officiers qui, chaque jour, violaient publiquement et outrageaient la constitution et les lois. Voulait-on forcer les soldats à opter brusquement entre l'obéissance passive à la discipline et l'amour de la patrie ? Non ; il fallait concilier ces deux intérêts, et faire en sorte, par une réorganisation bien entendue, que l'armée put respecter à la fois ses officiers et les lois de son pays.

Toute cette première partie du discours de Robespierre était écrite. Les plus grands orateurs de nos premières assemblées ne traitaient pas autrement les sujets auxquels ils attachaient beaucoup d'importance, réservant l'improvisation pour les répliques et les incidents, qui, fréquemment renouvelés, leur offraient du reste l'occasion d'exercer leur facilité oratoire. Ainsi en usait Mirabeau ; ses discours les plus considérables étaient rédigés par écrit d'un bout à l'autre. Il n'est pas donné à tout le monde d'improviser sur tel ou tel sujet ; c'est un don naturel, qu'on peut d'ailleurs acquérir à force de travail, mais qui a toujours ses dangers. Certains sujets exigent de longues méditations, veulent être traités avec un recueillement tout particulier ; et s'exposer, en les abordant en public, aux défaillances de la mémoire ou aux périls de l'improvisation, n'est pas chose prudente. Je comprends donc très-bien que les orateurs de l'Assemblée constituante et de la Convention aient eu la précaution, dans les circonstances graves, d'écrire leurs discours. Cela ne les empêchait pas d'être en même temps d'admirables improvisateurs, comme Mirabeau et Robespierre. Quelques personnes ont- avancé le contraire relativement au dernier ; elles ont commis une grosse erreur pour ne s'être pas donné la peine d'examiner avec quelque soin les innombrables discussions auxquelles il prit part. Maintes fois, comme il est bien facile de s'en rendre compte, il eut à parler à l'improviste sur les sujets les plus imprévus : il s'en tira toujours avec infiniment de talent et de bonheur, témoin le magnifique discours que lui inspira la lettre de l'abbé Raynal à l'Assemblée constituante.

Ainsi, dans la séance du 10 juin, lorsqu'il fut arrivé à la fin de son discours écrit, il continua de parler[73], releva une à une les principales dispositions du projet des comités qu'il n'avait pu prévoir, et les combattit toutes successivement. Livré à l'inspiration du moment, et sous l'impression des attaques dirigées par le rapporteur contre les soldats et les sous-officiers, il devint plus vif, plus véhément, plus agressif. Quels moyens proposait-on au lieu de l'indispensable mesure du licenciement des officiers ? D'abord de punir sévèrement les soldats accusés d'indiscipline. Inexorables aux faibles, aux innocents opprimés, les comités se montraient doux et complaisants pour les oppresseurs, oubliant la promesse faite depuis deux ans par l'Assemblée aux soldats de réprimer les désordres sans distinction de grades. Or l'impunité semblait assurée aux officiers. Qu'exigeait-on d'eux maintenant pour toute garantie ? Un nouveau serment, une nouvelle promesse de ne point conspirer contre la nation. Eh quoi ! s'écriait-il, n'êtes-vous pas encore las de prodiguer les serments ? Et à propos de ces serments politiques si vivement critiqués par Robespierre, je ne puis m'empêcher de rappeler que la Révolution de 1848 en avait sagement prononcé l'abolition. Est-ce par des serments ou par des lois, poursuivait-il, que vous voulez gouverner la France et affermir la liberté ? Les serments, inutiles pour les bons citoyens, n'enchaînent pas les mauvais. S'ils effrayent quelques hommes de bonne foi, les conspirateurs et les traîtres s'y prêtent avec facilité et rient de la crédulité de ceux qui se reposent du salut de l'État sur de pareils garants. Les citoyens, les militaires n'ont-ils pas déjà prêté le serment civique ? Ceux qui ont pu le violer en respecteront-ils un second ? Et si ce second peut ajouter à la force du premier, il faudra leur en demander un troisième... le tout pour corroborer leur patriotisme et donner des preuves plus éclatantes de votre sagesse. Mais, dit-on, ce n'est pas un nouveau serment qu'on propose, c'est un engagement d'honneur. Ainsi vous connaissez donc un engagement plus sacré que la religion du serment ? Quel est donc cet honneur qui s'allie avec le parjure ? qui ne suppose ni amour de la patrie, ni respect pour l'humanité, ni fidélité aux devoirs les plus sacrés du citoyen ? Il est donc une vertu secrète, un talisman attaché à la parole d'honneur d'une classe de citoyens ? L'honneur est le patriotisme particulier du corps des officiers, les actes de patriotisme, les serments sont faits pour les autres ; mais ceux-là, il suffira qu'ils promettent sur leur honneur. Et c'est vous qui consacrerez ces absurdes préjugés et ces insolentes prétentions ; c'est vous qui établirez en principe que chez les Français, chez des hommes libres, l'honneur féodal peut remplacer la morale et la vertu !... Comme à ces derniers mots une voix de la droite Lui criait qu'il ne connaissait pas l'honneur : Oui, répliqua-t-il vivement en jetant un regard méprisant vers le côté d'où était partie l'interruption, je me fais gloire de ne pas connaître un honneur qui permet d'être l'ennemi de la liberté et de sa patrie[74]. Arrivant à la disposition par laquelle les comités accordaient aux officiers démissionnaires pour refus de. serment un quart de leur traitement, il ne pouvait s'empêcher d'admirer cette munificence d'une nation distribuant des récompenses et des pensions à des citoyens qui ne voulaient point promettre de ne pas conspirer contre elle. Enfin, comme digne couronnement de son œuvre, le comité proposait de cantonner les soldats, c'est-à-dire de les séparer des citoyens, afin de pouvoir plus facilement séduire les uns, dégoûter les autres, et en faire les dociles satellites de la cour et des intrigants ambitieux. Une seule chose étonnait Robespierre, c'était l'audace incroyable avec laquelle on avait espéré faire sanctionner un pareil projet par l'Assemblée constituante. Aussi demanda-t-il qu'il fût rejeté avec indignation et que le licenciement des officiers fût prononcé avant tout[75].

Il y avait quelque courage à Robespierre à s'exprimer avec cette rude franchise, car un assez grand nombre de membres de l'Assemblée, principalement parmi ceux de la droite, c'est-à-dire parmi les anciens privilégiés, appartenaient à l'armée. Cazalès s'élança, plein de rage, à la tribune, traita de lâches calomnies les assertions si vraies et si justes du précédent orateur, et alla jusqu'à menacer en quelque sorte l'Assemblée nationale des vengeances de l'armée, si elle ne repoussait pas à l'unanimité la proposition du licenciement. Aucun de ceux qui, aux Jacobins, avaient énergiquement soutenu l'opinion de Robespierre ne vint à son appui dans l'Assemblée. Un membre seulement répondit à Cazalès qu'on voyait des officiers français auprès de Condé  et qu'on n'y voyait pas de soldats. Le lendemain la discussion fut reprise ; même silence des membres de la gauche. Seul, Robespierre tenta d'inutiles efforts en faveur de sa motion. Comme on réclamait contre elle la question préalable, il demanda vivement la parole pour une question d'ordre, mais l'Assemblée refusa de l'entendre. Debout au milieu de ses collègues assis, et muets, pour ainsi dire, devant la menace indécente faite la veille par Cazalès, Robespierre, dit un témoin oculaire, promena longtemps ses regards à droite et à gauche, comme s'il eût voulu, par sa seule attitude, reprocher à ses collègues leur pusillanimité et leur faiblesse[76].

Le projet des comités fut adopté, après que l'Assemblée eut repoussé par la question préalable la proposition du licenciement. Ainsi, comme l'avait dit Robespierre au début de son discours, au milieu de toutes les aristocraties détruites restait seule l'aristocratie militaire. Combien il fallait que vous fussiez dans le cœur du peuple, ô Révolution immortelle, pour résister à de tels décrets qui remettaient vos destinées entre les mains de vos ennemis ! Ah ! s'écria le journal de Mirabeau, comme si l'ombre de son glorieux fondateur eût plané sur lui, le vertueux Robespierre est le seul qui ait eu le courage d'élever la voix contre ce projet de décret. Mais avec quelle force de raisonnement n'a-t-il pas démontré la nécessité du licenciement ! Avec quelle force de principes n'a-t-il pas pulvérisé le projet des comités ! Avec quelle force de style n'a-t-il pas fait le triste tableau des troubles qui agitent l'armée et dévoilé les longues iniquités des chefs ![77] Mais l'Assemblée nationale marchait à grands pas vers la réaction.

 

XVI

Robespierre avait été plus heureux la veille, dans la discussion concernant les incompatibilités législatives, en appuyant un amendement de Regnault, tendant à faire prononcer l'incompatibilité des fonctions municipales, administratives et judiciaires avec les fonctions législatives, non-seulement pendant chaque session, comme le proposait le comité de constitution, mais pendant la durée de la législature. Il était absurde, selon lui, qu'un même homme pût cumuler le mandat de législateur et l'autorité du fonctionnaire public, puisqu'il se trouverait inviolable comme législateur et responsable comme fonctionnaire. L'Assemblée, applaudissant à ces paroles, déclara les fonctions municipales, administratives et judiciaires incompatibles avec celles de la législature[78].

Le 10 juin, le jour même où il réclamait en vain le licenciement des officiers de l'armée, Robespierre recevait des électeurs du département de Paris un éclatant témoignage d'estime et d'affection. Ce jour-là, en effet, les citoyens composant l'assemblée électorale du département de Paris se réunissaient à huit heures du matin, sous la présidence de Lacépède, à l'archevêché, et nommaient Robespierre, à une majorité considérable, accusateur public près le tribunal criminel du département de Paris[79]. D'André, qui avait obtenu quatre-vingt-dix-neuf voix, fut ensuite nommé substitut de l'accusateur public par quatre-vingt-sept voix seulement. Il refusa cette place, sans doute par dépit de se trouver le subordonné de son collègue. Le 13, une lettre de Pastoret, procureur syndic du département, annonça à l'Assemblée électorale l'acceptation de Robespierre, et en même temps le refus de Duport, qui, le 9, avait été nommé président du même tribunal[80].

Voici en quels termes, de son côté, Robespierre notifiait lui-même à ses électeurs son acceptation : Messieurs, M. le procureur général syndic vient de m'annoncer officiellement le choix que vous avez fait de moi pour remplir les fonctions d'accusateur public au tribunal criminel du département de Paris. Je me fais un devoir d'accepter cette place importante et pénible. Je n'envisage point sans effroi la grandeur des obligations qu'elle m'impose ; mais j'ose espérer que l'amour de la patrie et le désir de justifier les suffrages glorieux qui me l'ont déférée me donneront les forces nécessaires pour en porter le poids[81]. Cette lettre était datée du 11 juin ; Lacépède en donna lecture à l'assemblée électorale dans la séance du 13.

Duport avait sur le cœur les échecs successifs que, sur une foule de questions, Robespierre lui avait fait subir, et il en gardait à son collègue une rancune mortelle. il mit tout en œuvre, il paraît, afin d'empêcher son élection. La veille, au milieu de la nuit, il avait envoyé un message à un électeur pour le supplier d'employer tout son crédit à s'opposer à ce choix, menaçant de donner sa démission de président si le corps électoral lui adjoignait Robespierre comme accusateur public[82]. A la vue de cette lettre, écrivit Camille Desmoulins indigné, holà ! quoi ! me suis-je dit, est-ce bien là ce Duport qui disait à Mirabeau, à la séance du 28 février aux Jacobins : Qu'il soit un honnête homme, je cours l'embrasser. Méprisable hypocrite ! tu repousses de ton tribunal Robespierre, c'est-à-dire la probité même, et n'ayant pu réussir à l'écarter, tu désertes le poste où te plaçait la confiance ou plutôt l'erreur de tes concitoyens ! Voilà comme tu cours embrasser l'homme de bien ![83]... En effet, les électeurs n'ayant pas tenu compte des manœuvres de Duport, il tint parole, et, comme nous l'avons dit, donna immédiatement sa démission.

Ce refus causa dans le parti populaire une impression extrêmement fâcheuse pour lui. On le soupçonna généralement de n'avoir pu pardonner à son incorruptible collègue d'avoir fait écarter, pour quatre ans, des places du ministère les membres de la législature, reculé ainsi le terme où son ambition eût eu chance d'être contentée, et achevé de lui enfoncer un poignard dans le cœur en l'empêchant d'être réélu à la prochaine Assemblée. Avec moins de véhémence que Camille, et moins d'indignation, Brissot blâma aussi Duport et lui reprocha, non sans quelque amertume, de n'avoir pas sacrifié sa vanité aux grands intérêts d8 la liberté. Je le vois, dit-il, on ne cherche que l'égoïsme[84]. Quoi qu'il en soit, et à quelque sentiment qu'ait obéi Duport, amour-propre froissé, ambition déçue, rancune personnelle, cette rancune si transparente dans son discours sur la réélection, sa conduite en cette circonstance ne fut pas celle d'un bon citoyen[85].

Robespierre, on s'en souvient, avait été nommé, quelques mois auparavant, juge au tribunal de Versailles. Il envisageait cette position, nullement fatigante, appropriée d'ailleurs à ses goûts paisibles et studieux, comme une halte, comme une retraite après ces deux années d'agitation et de fièvre. A Versailles il espérait trouver le repos nécessaire après les vives luttes auxquelles il avait été mêlé, se retremper pour les prochains combats. Le vote de l'assemblée électorale de Paris vint tout à coup changer sa résolution ; il crut qu'il ne pouvait se dispenser d'opter pour un poste nécessairement environné d'écueils, et où il y aurait de nouveaux services à rendre à la cause de la liberté. Ce ne fut pas sans de profonds regrets qu'il renonça à la place où l'avait appelé la confiance de ses concitoyens de Versailles. Des circonstances impérieuses, puisées dans l'intérêt public, écrivait-il au procureur syndic du département de Seine-et-Oise, en lui annonçant sa nomination d'accusateur public près le tribunal criminel de Paris, m'ont forcé à accepter cette pénible et importante fonction ; mais le sacrifice auquel elles me condamnent ne fait que redoubler les sentiments de reconnaissance et d'attachement que j'ai voués pour ma vie aux citoyens de la ville et du district de Versailles. Il terminait en le priant d'annoncer à ses électeurs qu'il s'efforcerait de justifier leur confiance en servant la cause commune dans un poste plus difficile et plus périlleux.

En même temps il écrivait à la société des Amis de la Constitution de Versailles, dont il venait de recevoir une lettre pleine de choses touchantes et de protestations de la plus ardente amitié. Dans sa réponse il exposait les motifs qui l'avaient, déterminé à accepter, malgré lui pour ainsi dire, ce poste d'accusateur public. Il m'imposait de toutes les charges la plus contraire à mon goût et à mon caractère ; il m'engageait dans un tourbillon d'affaires délicates, épineuses, immenses, au moment où j'aspirais après la fin de tant de travaux et d'agitations. Son désir eût été de se reposer dans l'étude des grandes vérités de législation et de politique convenant à un peuple libre ; son ambition de les défendre et de les faire triompher un jour au sein des assemblées législatives. Aussi avait-il longtemps hésité ; mais ses amis lui ayant représenté que c'était lui qui, dans ses discours, avait prouvé combien la puissance des nouveaux magistrats criminels pouvait être fatale à la liberté, à la constitution, si elle était exercée par des hommes faibles et suspects, il s'était déterminé à accepter comme un fardeau redoutable, comme l'occasion d'un pénible sacrifice, une place qu'il aurait refusée comme une récompense et comme un honneur. Ses amis de Versailles ne le blâmeraient pas, et comprendraient ses motifs ; c'était son espérance. Il leur promettait d'ailleurs d'aller prochainement les entretenir plus en détail au sein même de leur société, aux séances de laquelle il se proposait d'assister quand ses occupations lui en laisseraient le loisir. Soyez, disait-il en terminant, soyez les interprètes de mes regrets et de ma douleur auprès de vos concitoyens, auprès des habitans de la contrée, qui m'avait honoré de sa confiance. Dites-leur que cette seule qualité sera toujours à mes yeux un titre sacré ; dites-leur que, pour aimer ardemment la patrie, je n'en suis pas moins attaché à leur bonheur particulier, et que je leur offre à tous en général et à chacun en particulier mon zèle, ma voix, toutes mes ressources et ma vie même[86].

Et qu'on ne s'imagine pas que ces regrets si délicatement exprimés, cette peinture de ses hésitations, de l'anxiété de son âme, soient de simples banalités d'usage, de ces phrases qu'exigent la politesse et l'urbanité ; non, c'était l'expression vraie, sincère, de ses sentiments intimes. Nous en avons la preuve dans une autre-lettre complètement inédite, lettre adressée à ce cher confident d'Arras qui, dans les commencements de l'Assemblée constituante, alors que Robespierre avait un peu plus de loisir, recevait de lui ces longues et intéressantes lettres qu'on a bien voulu nous confier, et auxquelles nous avons fait de nombreux emprunts. Depuis, la correspondance est devenue rare, car les occupations se sont multipliées, ont pris tous les instants. Cependant Robespierre ne peut laisser ignorer à son ami la faveur dont il vient d'être l'objet de la part de la population de Paris, il lui écrit donc ; mais ce ne sont plus de ces faciles et abondantes causeries, où il raconte en quelque façon l'histoire de l'Assemblée ; à peine a-t-il le temps de tracer à la hâte quelques lignes qui, du reste, n'en ont pas moins une importance capitale. Or, dans cette lettre toute personnelle, qui n'a pas été rédigée pour être discutée et commentée par toute une société politique, dans cette lettre où le cœur se fond tout entier, on va voir comment il s'exprime au sujet des habitants de Versailles, et si elle n'est pas une sanction évidente de celle dont nous avons donné plus haut l'analyse et quelques extraits : Mon cher et joyeux ami, écrit-il, à la date du 12 juin, à son ami Buissart, je suis trop convaincu de votre attachement pour moi pour ne point vous parler d'un événement qui m'intéresse. Les électeurs de Paris viennent de me nommer accusateur public du département, à mon insu, et malgré les cabales. Quelque honorable que soit un pareil choix, je n'envisage qu'avec frayeur les travaux pénibles auxquels cette place importante va me condamner dans un temps où le repos m'était nécessaire, après de si longues agitations. D'ailleurs, je regrette mes chers citoyens de Versailles qui m'ont donné les preuves les plus touchantes de leur attachement, et à. qui cet événement causera beaucoup de peine. Mais je suis appelé à une destinée orageuse ; il faut en suivre le cours jusqu'à ce que j'aie fait le dernier sacrifice que je pourrai offrir à ma patrie. Je suis toujours accablé. Je ne puis m'entretenir avec vous, ni aussi souvent, ni aussi longtemps que je le désire. Il ne me reste, mon cher ami, que le tems de vous embrasser de toute mon âme...

En citant cette lettre bien remarquable, nous ne pouvons nous empêcher de faire observer qu'elle ne contient aucun reproche blessant pour Duport, qui cependant n'avait pas craint de descendre jusqu'à de basses intrigues pour mettre obstacle à la nomination de son collègue, élu sans avoir eu même la pensée de solliciter les suffrages populaires. Une simple allusion : J'ai été nommé malgré les cabales. Or, ceci est à noter de la part d'un homme si injustement accusé d'avoir été haineux, vindicatif et envieux. On permet tout à ses ennemis, nous le verrons plus tard ; on lui fait un crime à lui de se défendre parfois avec quelque amertume. Quelle belle occasion pourtant d'épancher son ressentiment dans l'âme d'un ami dévoué ! Mais non, de plus hautes pensées l'occupent. Et puis, en songeant à cette nuée d'ennemis puissants que lui ont suscités son âpre amour de la justice et son dévouement à la cause populaire, il ne peut se défendre d'un secret pressentiment. Il est appelé, il le sent bien, à une destinée orageuse ; mais il en suivra le cours jusqu'à ce qu'il ail fait à sa patrie le dernier sacrifice qu'il puisse lui offrir. Il était digne, en effet, de se dévouer ainsi d'avance, l'homme qui, contrairement à des accusations dont nous n'aurons pas de peine à démontrer la fausseté, donna en toute occasion les preuves d'un courage civil indomptable.

 

XVII

Les Constitutionnels, comme Duport et d'André, les membres du côté droit, n'apprirent pas sans déplaisir et sans colère l'élection de Robespierre à l'importante place d'accusateur public près le tribunal criminel du département de Paris. Ils ne manquèrent pas de saisir la première occasion de laisser percer leur dépit et leur ressentiment. Dans la séance du 18 juin au soir, Merlin était venu rendre compte de troubles survenus dans la ville de Cambrai. Les gens appelés autrefois comme il faut, avait-il dit, irrités de la composition patriotique de la municipalité de cette ville, avaient suscité une émeute au théâtre, et un citoyen de Cambrai était tombé, le crâne ouvert, sous les coups de l'aristocratie ; Merlin demandait donc que le tribunal de Valenciennes fût invité à informer sur ce crime. L'Assemblée renvoya l'affaire au comité des rapports, en le chargeant d'en rendre compte incessamment.

Robespierre réclama aussitôt la même mesure à l'égard d'attentats commis à Brie-Comte-Robert contre la liberté civile par les chasseurs de Hainaut, sur la réquisition même de la municipalité. Une centaine de citoyens de Brie, ayant à leur tête un officier municipal et le procureur de la commune, étaient venus lui dénoncer les faits et le prier de les porter à la connaissance de l'Assemblée. Les plus horribles vexations avaient été exercées contre des citoyens : on avait vu tout récemment, au milieu de la nuit, des soldats envahir, en brisant les portes, le domicile de citoyens accusés par la municipalité d'avoir occasionné quelques désordres dans la ville ; des hommes et des femmes avaient été brutalement arrachés de leurs lits, garrottés, mutilés, jetés en prison. Ainsi, à quelques distances de la capitale, disait-il, et dans un moment où l'on parlait tant de justice et de liberté, il existait une ville livrée au despotisme militaire.

Regnault (de Saint-Jean d'Angély), invoquant les nécessités de la tranquillité publique, combattit le renvoi au comité des rapports ; et un député de la droite, Murinais, demanda si déjà M. Robespierre faisait l'apprentissage de son métier d'accusateur public. C'est comme membre de l'Assemblée, répondit Robespierre, que je lui soumets des plaintes signées de plusieurs centaines de citoyens ; et la malveillance même dont je suis l'objet vous oblige à ne pas prononcer légèrement en faveur des oppresseurs contre les opprimés, dont tout le monde n'aurait pas osé entreprendre la défense. Au reste, ajouta-t-il dédaigneusement, les yeux tournés vers la droite : Je méprise ce système d'oppression, et les inculpations continuelles qu'on cherche à répandre contre ma conduite et mes principes. J'en appelle au tribunal de l'opinion publique ; il jugera entre mes détracteurs et moi. Il ne demandait rien autre chose d'ailleurs, sinon qu'on prît la peine de vérifier les faits. Se rendant à ces justes observations, l'Assemblée renvoya l'affaire à l'examen du comité des rapports[87].

Cette affaire fit quelque bruit au dehors. Peu de temps après, un des citoyens incarcérés étant mort dans le cachot où il avait été jeté, Robespierre adressa à ce sujet une nouvelle plainte au comité des rapports. On alla aux informations près de la municipalité de Brie-Comte-Robert, qui naturellement donna les meilleurs renseignements sur l'état des prisons et la manière dont les citoyens y étaient traités. Hélas ! je ne me sens guère disposé, pour ma part, à ajouter foi aux explications d'une municipalité fortement soupçonnée d'opinions contre-révolutionnaires. On sait avec quel sans-gêne inhumain sont trop souvent traités les détenus politiques. N'en avons-nous pas vu, de nos jours, de terribles exemples ? Or que devait-ce être sous un régime se ressentant encore des rigueurs de cette ancienne législation criminelle qui faisait si bon marché de la vie des hommes ? Quoi qu'il en fût, un témoignage sinistre s'élevait contre la municipalité de Brie-Comte-Robert. Malgré cela, Muguet n'en vint pas moins un peu plus tard, le 6 août, demander en sa faveur un bill d'indemnité. Robespierre s'y opposa vainement. Sans doute, si les chasseurs de Hainaut s'étaient contentés d'exécuter des décrets de prise de corps, ils ne seraient point coupables ; mais on les accusait d'avoir arraché de leurs demeures et traîné en prison des citoyens contre lesquels il n'y avait pas de décret. La procédure seule pouvait amener la découverte de la vérité : il fallait se garder de la préjuger. En dépit de ces sages observations, l'Assemblée refusa d'improuver la conduite de la municipalité de Brie-Comte-Robert et celle des chasseurs de Hainaut, après quelques paroles de Barnave qui, devenu à son tour un des chefs du parti réactionnaire, se retournait pour ainsi dire contre son passé[88].

 

XVIII

A cette époque du mois de juin 1791, on s'inquiétait beaucoup des prochaines élections à l'Assemblée législative ; c'était la préoccupation de toute la France. Des nouveaux législateurs, en effet, allait dépendre le sort de la Révolution, et Paris, gardien jaloux de la liberté française, songeait à en assurer la conservation par le choix de candidats franchement libéraux.

La société des Jacobins résolut d'adresser à toutes les assemblées primaires une circulaire, une instruction concernant les scrutins qui allaient s'ouvrir. Le comité de correspondance de la société jugea à propos de confier à Robespierre la rédaction de cette circulaire. Robespierre reçut la lettre par laquelle on le priait de vouloir bien se charger de cette besogne dans la journée du 19, au moment où il revenait de l'Assemblée nationale, dont la séance peu importante avait été levée vers deux heures et demie. C'était un dimanche. Comme il avait un petit voyage à faire le lendemain, il se mit tout de suite à l'œuvre, ne voulant pas retarder l'envoi de cette instruction aux assemblées primaires, et le soir même il se trouva en mesure de donner lecture de son travail. Il commença par s'excuser de la précipitation qu'il avait été contraint d'apporter à la rédaction de cette circulaire, mais, dit-il, obligé de faire un petit voyage demain soir, il m'eût été impossible de vous la lire demain. Cette instruction courte, très-nette et singulièrement énergique, fut accueillie par les plus bruyants applaudissements.

Robespierre engageait d'abord les électeurs à se rendre exactement aux assemblées primaires, insistant sur la nécessité de bien choisir les électeurs qui, à leur tour, seraient chargés de nommer les députés du pays. La réunion des talents et de la vertu est certainement désirable, leur disait-il, mais les premiers sont moins indispensables que la seconde, laquelle peut, à la rigueur, se passer de talents, tandis que les talents sans vertu deviennent parfois un fléau. Quand on aime la justice et la vérité on aime ses semblables, et l'on est prêt à défendre leurs droits. Rejetez quiconque s'est montré vil et impitoyable, quiconque a été vu rampant aux pieds d'un ministre, car on peut changer de manières, mais le cœur reste le même. C'est aux hommes d'un caractère ferme et prompt, toujours disposés à s'émouvoir au récit des malheurs des autres et à se consacrer à la défense des opprimés, qu'il faut confier le soin de soutenir la cause popu aire contre ces ennemis perfides sans cesse enclins à se couvrir du voile de l'ordre et de la paix. Ils appellent ordre tout système qui convient à leurs arrangements ; ils décorent du nom de paix la tranquillité des cadavres et le silence des tombeaux. Robespierre désignait par là tous ces faux modérés si impitoyables dans leurs vengeances. Ce sont ceux-là, disait-il en terminant, qui assiègent les assemblées primaires pour obtenir du peuple qu'ils flattent le droit de l'opprimer constitutionnellement. Évitez leurs pièges, et la patrie est sauvée. S'ils viennent à vous tromper, il ne vous reste plus qu'à réaliser la devise qui nous rallie sous les drapeaux de la liberté : Vivre libre ou mourir.

Il ne faut pas oublier qu'à l'époque où, avec un tel enthousiasme, se prononçaient et s'écoutaient de telles paroles, on sortait à peine d'une léthargie politique quatorze fois séculaire, et l'on ne se souciait pas de reprendre sitôt des chaînes si glorieusement brisées. On demandait l'impression immédiate de cette circulaire et son envoi à toutes les assemblées électorales, quand une observation très-juste de Rœderer amena un petit incident. Robespierre, préoccupé de l'idée que l'obligation de se rendre aux assemblées primaires occasionnerait un sacrifice de temps assez lourd pour certains électeurs, avait parlé d'indemnités fondées, à son sens, sur la raison, la justice et l'intérêt public. C'était une erreur, suivant nous ; il faut qu'aucun motif d'intérêt particulier n'entre en ligne de compte avec l'accomplissement des devoirs politiques ; c'est aux législateurs à les rendre le moins onéreux possible aux électeurs. Robespierre, au reste, s'était inspiré en cela d'une motion faite quelques jours auparavant, au sein même de l'Assemblée constituante, et à laquelle le rapporteur du comité de constitution, Desmeuniers, avait paru favorable. Mais Rœderer objecta que rien n'avait été décidé encore à cet égard, et Robespierre modifia sa phrase. Cet incident vidé, on vota l'impression de la circulaire au nombre de trois mille exemplaires, et son envoi à toutes les sociétés affiliées et aux -quarante-huit sections de Paris[89].

 

XIX

Vraisemblablement Robespierre fut absent de Paris pendant la journée du 20, comme il en avait, la veille, prévenu les Jacobins. Peut-être était-il allé rendre aux Amis de la Constitution de Versailles la visite promise dans la lettre qu'il leur avait adressée quelques jours auparavant. Quoi qu'il en soit, il était de retour déjà lorsque, dans la matinée du lendemain, se répandit tout à coup, instantanément, d'un bout de Paris à l'autre, cette nouvelle étrange, pleine d'alarmes, grosse de tempêtes : Le roi est en fuite. Personne n'ignore comment, dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, Louis XVI, Marie-Antoinette, le petit dauphin et sa sœur, madame Élisabeth et madame de Tourzel, trompant la surveillance des nombreuses sentinelles dont se trouvaient inondées les Tuileries, parvinrent à quitter Paris, se dirigeant par la route de Châlons, vers Montmédy, où les attendait Bouillé.

L'annonce de ce départ circulait depuis quelques jours déjà dans la capitale ; plusieurs journaux en avaient parlé comme d'un événement prochain et définitivement convenu ; la municipalité, le commandant de la garde nationale avaient reçu de secrets avertissements ; mais on se demandait jusqu'à quel point ces bruits étaient fondés, et l'on se contenta, bien en pure perte, il est vrai, d'un redoublement de surveillance. Un journaliste eut même l'infamie d'attribuer à la reine et d'insérer dans sa feuille une lettre ignoble adressée au prince de Condé, lettre dans laquelle Marie-Antoinette, annonçant le départ prochain de la famille royale, appelait l'Assemblée constituante l'Assemblée des cochons, et traitait les Parisiens de crapauds et de grenouilles. On y lisait aussi que La Fayette et Bailly, complices de sa fuite, tâcheraient également de s'échapper de leur côté[90]. Ce journaliste, c'était Fréron. Il prétendait tenir cette lettre d'une dame Deflandre, laquelle l'aurait reçue de madame de Rochechouart. Fréron promena cette femme de sections en sections ; il la conduisit même à l'Assemblée, où son ami Camille Desmoulins la présenta à Buzot et à Robespierre, qui, surpris au premier moment et ne soupçonnant pas la fraude, se disposaient à prendre à partie La Fayette et Bailly ; mais un peu de réflexion les convainquit bientôt qu'ils parleraient d'après un faux témoignage, et ils se turent[91].

Qu'une stupeur mêlée de colère ait saisi l'âme des Parisiens à la nouvelle du départ de la famille royale, cela se conçoit à merveille. Nul ne pouvait en deviner les conséquences ; pour beaucoup l'avenir se présentait sous les plus sombres présages : c'était l'invasion peut-être, la guerre civile, la patrie en sang. Mais à quoi bon écrire ces lignes lâches et cruelles qu'on lut dans l'Orateur du Peuple : Elle est partie cette reine scélérate qui réunit la lubricité de Messaline à la soif du sang qui dévorait Médicis ! Femme exécrable, furie de la France, etc. Nous ne saurions assez dire quel dégoût nous inspirent de pareilles exagérations. Ah ! quels qu'aient été les torts de Marie-Antoinette envers la France, jamais une parole amère ne tombera de nos lèvres, ne s'échappera de notre plume contre une femme sacrée à nos yeux par le malheur. L'auteur de ces dégoûtantes injures, c'était Fréron. Eh bien ! l'homme assez lâche pour jeter ainsi l'insulte à une grande infortune est le même qui plus tard conspirera la perte de Robespierre, et inventera, propagera les calomnies odieuses sur lesquelles tant de gens jugent encore la victime de Thermidor.

Tandis que dans Paris ému reparaissaient les piques du 14 juillet, qu'une foule immense courait précipitamment aux Tuileries, avide de connaître sur les lieux mêmes les détails de l'évasion, de visiter l'intérieur de ce palais abandonné par son royal hôte, et dont elle allait apprendre le chemin, l'Assemblée nationale ouvrait sa séance à neuf heures du matin[92]. Au milieu d'un profond et solennel silence, elle reçut la nouvelle officielle de la fuite du roi et de sa famille, enlevés cette nuit, dit le président, par les ennemis de la chose publique. Nous n'avons pas à rendre compte ici de la discussion très-digne, très-calme à laquelle cet événement donna lieu ; il nous suffira d'en indiquer les résultats. L'Assemblée, prenant résolument en mains le pouvoir exécutif, commença par mander tous les ministres à sa barre pour leur donner ses ordres et par décréter l'envoi immédiat, dans tous les départements, de courriers chargés d'enjoindre à tous fonctionnaires, gardes nationales et troupes de lignes, d'arrêter ou faire arrêter toutes personnes sortant du royaume. Puis elle adopta une proclamation invitant les citoyens de Paris à se tenir à sa disposition pour maintenir l'ordre public et défendre la patrie ; autorisa les ministres à assister à ses séances, à se réunir en conseil, à mettre ses décrets à exécution sans qu'il fut besoin de sanction ni d'acceptation[93], et chargea son comité militaire de veiller à la sûreté intérieure.

Elle entendit ensuite la lecture du mémoire laissé par Louis XVI, d'où il résultait que le roi et la reine abandonnaient Paris pour se mettre en sûreté, parce que l'autorité royale était détruite, parce qu'ils n'avaient pas trouvé au château des Tuileries toutes les commodités auxquelles ils étaient habitués dans leurs autres demeures, parce qu'enfin, depuis le mois d'octobre 1789, ils étaient privés de toute liberté, et comme prisonniers dans leurs propres États. D'après ce mémoire, il était clair comme le jour que le roi, désertant un poste d'honneur, s'était enfui spontanément, de sa propre volonté, sans céder à des suggestions étrangères. Or prétendre, comme persistait à le faire l'Assemblée constituante, que la famille royale avait été victime d'un enlèvement, c'était un mensonge grossier sous lequel on pouvait déjà pressentir d'indignes calculs. Les Constitutionnels, pour qui le roi était un rouage nécessaire de leur système de gouvernement, imaginèrent ainsi d'innocenter tout à fait Louis XVI, sauf à faire retomber, contrairement aux vraies notions de la justice, toute la responsabilité de l'évasion sur les agents qui y avaient prêté la main. Ce subterfuge ne convenait nullement à Robespierre. L'énergie de l'Assemblée ne lui parut pas à la hauteur des circonstances. Je ne puis que m'étonner, s'écria-t-il, de ce que l'on propose des mesures assez molles ; je crois que celles adoptées sont également faibles ; mais il faut connaître plus particulièrement les circonstances, et en attendant il faut veiller sur les traîtres et sur le salut de la chose publique[94]. Assurément ce ne sont point là les paroles d'un homme à qui la situation aurait inspiré quelque appréhension personnelle. Il était alors trois heures et demie. Sur la demande de Le Chapelier, l'Assemblée suspendit pour une heure ses délibérations.

 

XX

Quelle impression ressentit Robespierre de la fuite du roi, et quelle fut son attitude en ces graves et critiques conjonctures ? Il est important d'insister là-dessus, parce que les assertions les plus fausses ont été admises et ont eu cours. Un célèbre historien de nos jours, qui a suivi pas à pas, aveuglément, des Mémoires que nous allons discuter, le présente à diverses reprises comme effrayé, exprimant librement son rêve de terreur. On ne comprend pas en vérité comment, quand tous les faits protestent du contraire, un grand esprit a pu, dans sa sincérité, commettre une semblable méprise[95]. Mais si Robespierre avait eu peur, s'il avait, comme on l'a dit, redouté pour son compte personnel une Saint-Barthélemy de patriotes, il aurait commencé par ne dire mot, par faire le mort, et ainsi il n'aurait eu rien à craindre. Loin de là, dès le premier jour, dès la première heure, il lutte presque seul contre l'Assemblée nationale qui hypocritement innocentait déjà le roi au détriment de ses serviteurs ; et nous allons le voir dans la soirée prendre aux Jacobins une attitude si ferme, si énergique, se désigner si franchement aux coups de la réaction, que certainement sa tète serait tombée la première si Louis XVI était rentré vainqueur dans sa capitale.

Il y avait alors à Paris une femme jeune encore, d'une figure gracieuse quoique virile, d'un esprit charmant, et dont l'enthousiasme pour la Révolution française était sans bornes, nous voulons parler de madame Roland. Arrivée dans le courant du mois de février 1791, après une absence de cinq ans, elle était allée s'installer avec son mari dans ce petit hôtel Britannique de la rue Guénégaud, où demeurait un de leurs amis, le médecin Lanthenas, qui les mit en rapport avec Robespierre. Dans sa patriotique ardeur, madame Roland suivit assidûment les séances de l'Assemblée nationale, et se sentit naturellement - entraînée vers les défenseurs constants de la liberté. Immense était alors son admiration pour Robespierre, et à cette admiration se joignait une amitié qu'on aurait pu croire inaltérable. J'ai eu foi, lui écrivait-elle vers la fin du mois de septembre de cette année, quand, de retour dans son habitation de la Platière, elle se prenait à jeter un regard mélancolique sur l'œuvre de réaction accomplie par l'Assemblée nationale dans les derniers mois de sa session, j'ai eu foi à l'intérêt avec lequel vous recevriez des nouvelles de deux êtres dont l'âme est faite pour vous sentir, et qui aiment à vous exprimer une estime qu'ils accordent à peu de personnes, un attachement qu'ils n'ont voué qu'à ceux qui placent au-dessus de tout la gloire d'être juste et le bonheur d'être sensible[96]. Par quel miracle ce grand attachement se transforma-t-il tout à coup, près d'une année plus tard, en un tout autre sentiment ? Robespierre modifia-t-il les principes qui lui avaient valu l'affectueuse admiration de madame Roland ? Nullement. Mais le cœur de la femme reçut des atteintes profondes, et nous aurons à expliquer comment, entraînée par une passion que nous n'avons d'ailleurs pas à juger, elle passa dans le camp des ennemis de Robespierre.

Pendant son séjour à Paris, elle avait reçu chez elle les personnages les plus influents du parti populaire. Buzot, Pétion, Brissot étaient les hôtes fidèles de son salon. Casanier de sa nature, Robespierre assistait aussi, mais moins souvent, à ces réunions, où, comme on pense, la politique était la grande affaire. Cependant il venait quelquefois, paraît-il, demander sans façon à dîner à la future héroïne du parti de la Gironde, laquelle professait alors pour lui un véritable culte ; car, ce qu'on ne saurait contester, ce dont on a pu se rendre compte déjà, ce que nous démontrerons mieux encore tout à l'heure, c'est que, en cette année 1791, madame Roland était son admiratrice passionnée. Et cependant, d'après les Mémoires écrits par elle durant l'époque de sa détention, il semblerait qu'elle eût eu dès lors pour lui une très-médiocre estime ; il y a là une contradiction par trop grossière. Aussi avons-nous pensé un moment que ces Mémoires n'étaient pas entièrement son œuvre et qu'ils avaient été arrangés au goût de la réaction girondine, très-puissante au moment de leur publication (1795). Le nom seul de l'éditeur — M. Bosc —, dont les appréciations sur la Révolution ont de singulières affinités avec les notices historiques de madame Roland, nous était à bon droit suspect. Autrement il nous fallait accuser madame Roland de mensonge ; or il nous répugnait trop de croire qu'une femme, dont le caractère élevé nous inspire tant de respect et de sympathie, eût pu se laisser aigrir par le malheur et égarer par la haine au point d'offenser si grièvement la vérité et de calomnier, de travestir par une rancune étroite ses premiers sentiments. Il y a d'ailleurs dans ses Mémoires des contradictions tellement choquantes, de telles calomnies contre quelques-uns des hommes de notre Révolution, qu'avaient tout intérêt à noircir les réacteurs de 1795, qu'il nous semblait difficile de les imputer à la femme distinguée dont le souvenir nous est cher. Il n'a fallu rien moins que l'examen approfondi du manuscrit lui-même pour dissiper tous nos doutes ; et en feuilletant ces pages rapides, écrites par une main pressée, nous étions tout attristé de rencontrer parmi tant de choses attendrissantes et pleines de charmes des phrases dictées par une haine aveugle, et de sentir tant de fiel et d'amertume sous la trace brûlante des larmes.

Ce Robespierre, à qui madame Roland portait tant d'estime et d'attachement, est devenu dans ses Mémoires l'homme au rire amer, l'orateur au-dessous du médiocre[97] ; on devine que le souffle de Guadet et de Louvet a passé là. Ah ! comment a-t-elle pu tracer ces appréciations haineuses, la même main qui, en septembre 1791, écrivait à Robespierre : Lors même que je n'aurais suivi le cours de la Révolution et la marche du Corps législatif que dans les papiers publics, j'aurais distingué le petit nombre d'hommes courageux, toujours fidèles aux principes, et parmi ces hommes mêmes celui dont l'énergie n'a cessé d'opposer la plus grande résistance aux prétentions, aux manœuvres du despotisme et de l'intrigue : j'aurais voué à ces élus l'attachement et la reconnaissance des amis de l'humanité pour ses généreux défenseurs. Puissions-nous, en appréciant les vices que les préjugés et les ambitieux ont fait introduire dans notre constitution, sentir toujours davantage que tout ce qui s'écarte de la plus parfaite égalité, de la plus grande liberté, tend nécessairement à dégrader l'espèce, la corrompt et l'éloigné du bonheur ! Vous avez beaucoup fait, Monsieur, pour démontrer et répandre ces principes ; il est beau, il est consolant de pouvoir se rendre ce témoignage à un âge où tant d'autres ne savent point encore quelle carrière leur est réservée ; il vous en reste une grande à parcourir pour que toutes les parties répondent au commencement, et vous êtes sur un théâtre où votre courage ne manquera pas d'exercice[98]. Si dans les tristesses de la prison madame Roland s'est laissée aller à écrire les Mémoires signés de son nom, on voit aussi comment elle se réfute par elle-même.

Dans l'après-midi du 21 juin, elle vit Robespierre et Brissot chez Pétion. Ce dernier demeurait au faubourg Saint-Honoré ; il est possible que, dans l'intervalle de la suspension à la reprise de la séance, vers quatre heures, Pétion ait amené chez lui son collègue et son ami bien cher alors, et que madame Roland soit venue précisément à ce moment. Elle fut frappée, dit-elle, de la terreur dont Robespierre parut pénétré, comme s'il eût été infiniment lâché du départ de la famille royale[99]. Eh bien ! voici comment, le soir même, Robespierre s'exprimait aux Jacobins : Ce n'est pas à moi que la fuite du premier fonctionnaire public devait paraître un événement désastreux. Ce jour pouvait être le plus beau de la Révolution ; il peut le devenir encore, et le gain de quarante millions d'entretien que coûtait l'individu royal serait le moindre des bienfaits de cette journée. Il n'y a pas de meilleure réponse.

Un autre faiseur de Mémoires, le Genevois Dumont, grand prôneur de Robespierre alors, et qui, au temps de la réaction, jeta, comme tant d'autres, sa part de boue à la mémoire du vaincu, va plus loin encore. Longtemps après les événements, il osa écrire que Robespierre fut si épouvanté à la fuite du roi, qu'il se tint caché pendant deux jours et projeta même de se sauver à Marseille[100]. Il n'y a qu'un malheur, c'est qu'il oublie de nous dire quels sont les jours pendant lesquels se serait caché Maximilien. Le 20 au soir, on s'en souvient, Robespierre, en effet, fit une courte absence, comme il l'avait annoncé lui-même à la tribune des Jacobins ; mais alors, qui songeait à l'évasion du roi ? Et le lendemain matin, dès l'heure où fut connu l'événement, ne le voyons-nous pas à son poste, au milieu de ses collègues, et rester, sans désemparer, sur la brèche ? En vérité, nous demandons pardon au lecteur de réfuter de pareilles puérilités ; mais comme tout a été exploité contre ce grand calomnié, force nous est de ne rien laisser dans l'ombre, de mettre toutes choses en lumière.

Dans les courts instants que Robespierre passa chez Pétion, on agita, s'il faut s'en rapporter à madame Roland, la question de la déchéance. Brissot et Pétion, nous dit-on, se montrèrent fort satisfaits du départ du roi ; c'était, selon eux, le moment favorable pour changer la constitution et diriger les esprits vers la République. Or est-il vrai qu'à ces mots, Robespierre, ricanant et mangeant ses ongles, aurait demandé ce qu'était une république[101] ? Il est bien permis d'en douter lorsque nous voyons madame Roland lui écrire, quelques semaines après, au sujet des patriotes de Villefranche : Ils aiment la Révolution parce qu'elle a détruit ce qui était au-dessus d'eux, mais ils ne connaissent rien à la théorie d'un gouvernement libre, et ne se doutent pas de ce sentiment sublime et délicieux qui ne nous fait voir que des frères dans nos semblables, et qui confond la bienveillance universelle avec l'ardent amour de cette liberté, seule capable d'assurer le bonheur du genre humain. Aussi tous ces hommes-la se hérissent-ils au nom de république, et un roi leur paraît une chose essentielle à leur existence[102]. Il serait assez étrange qu'elle se fut adressée en ces termes à Robespierre, si en effet, comme elle le prétend dans ses Mémoires, il avait demandé en ricanant et en mangeant ses ongles ce qu'était une république ?

Au reste, nous aurons à nous expliquer dans un instant sur ce mot république, qu'au lendemain de sa proclamation, tout le monde revendiqua un peu comme l'ayant prononcé le premier. Seulement il conviendra de distinguer entre ceux qui ont toujours voulu la chose avec toutes ses conséquences et ceux qui se contentaient volontiers du mot, comme si la république était un pur objet d'art.

 

XXI

A cinq heures l'Assemblée nationale rouvrit sa séance et rendit encore quelques décrets dont le plus important fut celui concernant la mise en activité de la garde nationale dans tout le royaume. Mais là ne fut pas le grand intérêt de la soirée ; il faut aller aux Jacobins. Robespierre y courut vers dix heures.

La foule se pressait, inquiète, haletante, avide d'émotions. Lorsqu'entra Camille Desmoulins, qui, seul de tous les journalistes de l'époque, nous a laissé le récit complet de cette séance et en a retracé la physionomie, Robespierre était à la tribune. Il avait commencé par déclarer, on l'a vu, que, à ses yeux, la fuite du roi était loin d'être un événement désastreux. Seulement il fallait prendre d'autres mesures que celles adoptées dans la journée par l'Assemblée nationale. Et quel moment le premier fonctionnaire du royaume avait-il choisi pour déserter son poste ? celui où toutes les ambitions déçues se coalisaient pour influencer les prochains comices ; où l'application du malencontreux décret du marc d'argent allait peut-être armer les citoyens les uns contre les autres ; où les émigrés complotaient avec leurs complices de l'intérieur la ruine de la constitution ; où tous les tyrans couronnés paraissaient vouloir s'unir pour envahir et affamer le pays. Mais ce ne sont point ces circonstances qui m'effrayent, s'écriait-il ; et, avec un accent prophétique : Que toute l'Europe se ligue contre nous, et l'Europe sera vaincue. Ce qui l'épouvantait, non pour lui, mais pour la chose publique, pour cette liberté à laquelle il s'était d'avance offert en sacrifice, c'était d'entendre tout le monde parler le même langage, aussi bien les ennemis de la Révolution que ses plus ardents partisans. N'y avait-il pas là-dessous quelque piège caché ? Était-il possible que le roi se fût déterminé à s'enfuir sans un plan prémédité, sans laisser au sein même du royaume des appuis capables d'assurer sa rentrée triomphale ? Comme si déjà il eût prévu le futur manifeste de Brunswick, il montrait le roi apparaissant sur nos frontières, escorté de tous les émigrés, de l'empereur d'Autriche, du roi de Suède, de tous les tyrans coalisés, se proclamant, dans un manifeste paternel, le plus ferme soutien de la liberté, promettant l'amnistie tout en dénonçant comme factieux les vrais amis de la Révolution, et, à travers nos départements en proie à la guerre civile, donnant la main à ses complices de l'intérieur.

Comment ne pas croire à l'existence de ces complices, quand on voyait l'Assemblée nationale, par un làche et grossier mensonge, appeler un enlèvement la fuite du roi, alors que le roi lui-même avait pris soin de lui expliquer dans un long mémoire tous les prétendus griefs qui l'avaient déterminé à quitter le royaume ? Étaient-ils patriotes tous ces ministres à qui l'on venait de confier le pouvoir exécutif sous la surveillance des comités de l'Assemblée, dont la plupart, comme le comité militaire, par exemple, étaient composés de membres notoirement hostiles à la Révolution ? Et, rappelant dans quelle circonstance il avait récemment défendu l'imprimeur du Moniteur dénoncé comme calomniateur par Montmorin pour avoir inséré une correspondance dans laquelle étaient dévoilés les projets de fuite du roi, il se demandait s'il était prudent d'abandonner les relations extérieures à un pareil ministre, qui, quinze jours auparavant, protestait au nom du roi contre des allégations justifiées aujourd'hui, et se portait caution que Louis XVI adorait la constitution ? Mais on voulait à tout prix conserver au monarque sa qualité de roi. La droite et une partie de la gauche se coalisaient, et, pour renforcer la coalition, on allait venir, il le savait, proposer aux Jacobins de se réunir à leurs ennemis les plus connus, à ceux qui sans cesse les désignaient comme des factieux, comme des anarchistes. Ces nouveaux alliés, c'étaient les ministres, les membres du club de 89, le maire de Paris, le général de la garde nationale. Comment pourrions-nous échapper ? poursuivait-il ; Antoine commande les légions qui vont venger César ! et c'est Octave qui commande les légions de la République. On nous parle de réunion, de nécessité de se serrer autour des mêmes hommes. Mais quand Antoine fut venu camper à côté de Lepidus et parla aussi de se réunir, il n'y eut bientôt plus que le camp d'Antoine, et il ne resta plus à Brutus et à Cassius qu'à se donner la mort.

Ces vérités qu'il venait de faire entendre, elles n'auraient point été écoutées au sein de l'Assemblée nationale, et il ne se dissimulait pas que, sans un miracle de la Providence, attentive à veiller sur les libertés de la France, elles ne sauveraient pas la patrie ; mais il avait voulu, du moins, les déposer dans le procès-verbal de la société comme un monument de sa prévoyance, afin qu'un jour on n'eût pas à lui reprocher de n'avoir pas à temps poussé le cri d'alarme. Cette dénonciation, utile à la chose publique, était dangereuse pour lui, il ne l'ignorait pas ; car, en accusant un si grand nombre de ses collègues d'être contre-révolutionnaires, les uns par ignorance, les autres par ressentiment, par orgueil blessé, d'autres par terreur, confiance trop aveugle ou corruption, il savait bien qu'il soulevait contre lui tous les amours-propres, qu'il aiguisait mille poignards et se dévouait à toutes les haines ; mais, disait-il, en terminant, si dans les commencements de la Révolution, et lorsque j'étais à peine aperçu dans l'Assemblée nationale, si lorsque je n'étais vu que de ma conscience, j'ai fait le sacrifice de ma vie à la vérité, à la liberté, à la patrie, aujourd'hui, que les suffrages de mes concitoyens, qu'une bienveillance universelle, que trop d'indulgence, de reconnaissance, d'attachement, m'ont bien payé de ce sacrifice, je recevrai presque comme un bienfait une mort qui m'empêchera d'être témoin des maux que je vois inévitables...

Tel fut à peu près le sens des paroles de Robespierre, d'après Camille Desmoulins, qui vraisemblablement les a résumées avec une scrupuleuse fidélité. Mais ce que ne put rendre l'éminent publiciste, il l'avoue lui-même, ce fut l'abandon, l'accent de patriotisme et d'indignation avec lesquels elles furent prononcées. Toute l'assistance émue écoutait, dit-il, avec cette attention religieuse qu'on prête aux dernières paroles d'un mourant. Quand Robespierre parla de sa certitude de payer de sa tête les vérités qu'il venait de dire, Camille, les larmes aux yeux, s'écria : Nous mourrons tous avec toi. Et telle fut, ajoute-t-il, l'impression que son éloquence naturelle et la force de son discours produisirent sur l'assemblée, que plus de huit cents personnes se levèrent toutes à la fois, et, entraînées par un mouvement involontaire, firent un serment de se rallier autour de Robespierre, et offrirent un tableau admirable par le feu de leurs paroles, l'action de leurs mains, de leurs chapeaux, de tout leur visage, et par l'inattendu de cette inspiration soudaine[103]. En ce moment même parurent les ministres, le maire de Paris, le général La Fayette, et tous les membres du club de 89, à point nommé pour être témoins du triomphe de Robespierre. Alors, et comme pour jeter une teinte lugubre sur ce tableau d'enthousiasme, tombèrent, comme un glas funèbre, de la bouche de Danton, ces paroles foudroyantes, suivies d'un long réquisitoire contre La Fayette : Si les traîtres se présentent dans cette assemblée, je prends l'engagement formel de porter ma tête sur un échafaud, ou de prouver que la leur doit tomber aux pieds de la Nation qu'ils ont trahie[104]. Ah ! sombre pronostic de terreur, pourquoi n'es-tu pas resté une menace inutile et sonore, comme ces vaines paroles que jetaient aux vents les augures d'autrefois !

 

XXII

La crainte générale était que Louis XVI n'amenât les armées étrangères sur le sol français et ne reculât devant aucun moyen pour recouvrer l'autorité absolue. Cette crainte était en même temps celle des Constitutionnels qui voulaient garder l'ombre de la monarchie et celle des révolutionnaires plus énergiques auxquels la déchéance ne répugnait pas, mais qu'effrayait à juste titre la perspective de l'invasion et d'une affreuse guerre civile. Les ultra-royalistes seuls étaient radieux, n'attendant que d'un cataclysme universel la résurrection de cet ancien régime, objet de leurs regrets éternels.

Ces appréhensions ne devaient pas être de longue durée. En effet, dans la journée du 22, se répandit tout à coup la nouvelle de l'arrestation de la famille royale à Varennes. Dès le lendemain Robespierre appela la reconnaissance publique sur le porteur de cette nouvelle, le chirurgien Mougins qui, ayant le premier reconnu Louis XVI, disait-on, avait, en compagnie de deux gardes nationaux, forcé la voiture de s'arrêter ; il demanda pour eux des couronnes civiques[105]. L'Assemblée renvoya cette proposition au comité de constitution. Dans la matinée, trois de ses membres, Pétion, Latour-Maubourg et Barnave, avaient été chargés par elle d'aller au-devant de la famille royale et de la ramener à Paris.

On avait décrété, la veille, qu'une adresse, en réponse au mémoire laissé par le roi, serait envoyée à tous les départements. Inopinément Thouret, au nom du comité de constitution, après avoir rappelé le grand crime commis dans la nuit du 21 juin, avait proposé à l'Assemblée, d'abord, de déclarer traîtres tous ceux qui avaient conseillé, aidé et exécuté l'enlèvement ; ensuite, d'ordonner l'emploi de la force contre tous ceux qui oseraient porter atteinte au respect dû à la majesté royale et leur arrestation. On voit par là quel esprit dirigeait ce comité. Que ne ferait-il pas, s'écriait un journal du temps[106], si Robespierre n'était là pour opposer la digue de son patriotisme au débordement des principes détestables de ce comité ? Thouret espérait bien emporter la délibération ; mais Robespierre se leva indigné : Vous ne voulez donc, dit-il, vous attacher qu'à punir les perfides conseillers du roi ? C'est une mesure plus vaste qu'exige la stricte justice. Il y eut ici dans l'Assemblée un mouvement de surprise, comme une espèce d'effroi[107]. Maintenant, poursuivit Robespierre, devez-vous ainsi supposer des intentions coupables contre le roi ? Pourquoi donc ces précautions insultantes à l'égard du peuple ? A-t-il excité des désordres ? Sa conduite, au contraire, n'a-t-elle pas été sage et imposante ? Craignez, en voulant trop prévenir les troubles, de faire naître vous-même le danger. Laissez à ce peuple le mérite de sa dignité ; reposez-vous sur sa sagesse et ses propres intérêts. On devait, suivant lui, repousser absolument la seconde partie du décret proposé, et ajourner la première[108] ; l'Assemblée ajourna.

En même temps, et comme il fallait au moins un semblant de sanction pénale à ce que Thouret avait appelé un grand crime, on s'occupait d'informer contre les auteurs du prétendu enlèvement ; car les Constitutionnels voulaient à toute force détourner de la personne royale la responsabilité d'une fuite qui, dans les circonstances présentes surtout, avait le caractère d'une trahison, d'un véritable crime d'Etat. Le jour même où rentrait dans Paris le monarque humilié (25 juin), l'Assemblée décrétait la mise en état d'arrestation de toutes les personnes qui avaient accompagné la famille royale, et se contentait de placer le roi, la reine et le dauphin sous la surveillance d'une garde particulière.

Le lendemain Duport vint, au nom des comités de constitution et de législation criminelle, proposer à l'Assemblée nationale de confier aux juges du tribunal de l'arrondissement des Tuileries le soin d'interroger toutes les personnes arrêtées en vertu du décret de la veille, et de charger trois commissaires choisis dans son sein de recueillir les déclarations du roi et de la reine. La première partie de cette proposition fut adoptée sans beaucoup d'opposition ; mais Robespierre critiqua vivement la seconde, et demanda son rejet. Elle n'était, selon lui, ni sage, ni conforme aux principes. Aux juges chargés de l'information appartenait également le droit de recevoir les déclarations du roi et de la reine ; là était le vrai principe. En vain objectait-on la nécessité de sauvegarder la dignité royale ; était-on dégradé pour être tenu de rendre compte à la justice, en se conformant à la loi ? Citoyens eux-mêmes, le roi et la reine devaient, comme les autres personnes mêlées aux circonstances de leur fuite, être interrogés par le tribunal de l'arrondissement des Tuileries ; et le roi, coupable en ce moment devant la nation, était tenu, comme premier fonctionnaire public, de donner l'exemple de la soumission à la loi[109]. Ces paroles, quoique fort applaudies et énergiquement appuyées par Bouchotte et Buzot, n'entraînèrent pas l'Assemblée. Dominée par les Constitutionnels, elle adopta, dans son entier, le projet de décret du comité, et désigna, comme commissaires chargés d'interroger le roi et la reine, Thouret, d'André et Duport. Mais l'interrogatoire serait-il constaté ? en garderait-on au moins la trace ? Dans les dispositions où l'on savait le comité, dont les commissaires nommés étaient membres, on pouvait craindre le contraire. Robespierre demanda que les déclarations fussent reçues par écrit, signées du roi, de la reine et des commissaires, ce qui fut immédiatement décrété[110].

Les Constitutionnels, dans l'espérance de former le dauphin aux institutions nouvelles, eurent l'idée de lui donner une éducation toute nationale ; et, sur leur motion, le jour même où l'Assemblée crut devoir le placer lui aussi sous la surveillance d'une garde particulière, elle résolut de choisir elle-même un gouverneur à l'héritier présomptif de la couronne. Le 2 juillet, un des secrétaires fit connaître la liste des personnes qui avaient obtenu des suffrages. Elles étaient au nombre de plus de quatre-vingts, appartenant, la plupart, à des opinions peu favorables à la Révolution. Bouillé lui-même figurait sur cette liste. Aux Jacobins on s'indignait fort des candidatures désignées par les salons au choix de l'Assemblée. Un membre très-attaché à la famille d'Orléans, le citoyen Danjou, réclama, à la séance du 27 juin, des patriotes de la trempe de Pétion et de Robespierre, tout en demandant un conseil de régence présidé par celui que les droits de sa naissance appelaient à de telles fonctions[111]. C'était assez significatif. Cette idée, de confier à Robespierre le soin d'élever le dauphin dans les principes de la Révolution, avait aussi germé dans la tête de Marat. Les noms sortis de l'urne avaient exaspéré l'Ami du peuple, et il avait, dans des pages pleines de colère, tracé de sa plume acerbe les portraits peu flattés des divers personnages parmi lesquels devait être choisi le gouverneur du dauphin. Il ne suffisait pas, selon lui, d'avoir de la probité et des lumières, il fallait un véritable homme d'État. Montesquieu eût été, à ses yeux, l'homme le plus capable de remplir cette importante fonction ; mais, vu les préjugés du moment, pensait-il, il n'aurait peut-être pas eu une voix. De qui donc faire choix ? s'écriait-il. Du seul homme qui puisse le suppléer par la pureté de son cœur, l'amour de l'humanité et les vues politiques. de Robespierre[112]. Mais eût-il accepté, et consenti à se charger de l'éducation d'un prince, lui qui semblait avoir reçu mission de faire celle d'un grand peuple ?

 

XXIII

Tandis que l'Assemblée nationale confinait Louis XVI prisonnier au fond de son château, tout en couvrant sa captivité d'une sorte de manteau doré, et en dirigeant de sombres menaces contre quiconque attenterait à l'autorité ou à la dignité royale, les questions les plus menaçantes s'agitaient au dehors et remuaient profondément les esprits.

En voyant le chef héréditaire du pouvoir exécutif déserter son poste, sans se soucier du trouble dans lequel il allait plonger peut-être le pays dont l'administration lui était confiée, beaucoup de personnes distinguées s'étaient posé cette question : Est-il nécessaire de conserver à la tête de l'État un personnage inamovible, d'entretien coûteux, et dont la présence n'était nullement indispensable à la marche des affaires ? Le mot de République fut prononcé. Ce n'était pas la première fois. Déjà, plus de deux mois auparavant, le journal les Révolutions de Paris avait essayé de démontrer les avantages du gouvernement républicain sur le gouvernement monarchique[113] ; la fuite de Louis XVI fut une occasion toute naturelle de raviver le débat. Cependant l'idée républicaine était loin d'être populaire alors ; et quand pour la première fois, aux Jacobins, un homme dont le nom reviendra plus d'une fois sous notre plume, Billaud-Varennes, posa publiquement la question, des murmures improbateurs étouffèrent sa voix.

Il y avait dans ce mot, mal défini encore, un vague dont s'effrayaient certains esprits pratiques. Bonneville, dans la Bouche de fer, arborait bien en principe le drapeau de la République, mais il ne suffisait pas, suivant lui, de dire république, car l'aristocratique Venise avait été une république. Brissot aussi penchait pour ce mode de gouvernement ; mais on ne pouvait s'empêcher de se rappeler que, dans les premiers mois de l'année 1790, — il n'y avait pas si longtemps, — il avait attaqué la permanence des districts et défendu ce fameux conseil des Trois-Cents, dont il avait été membre, et qui par ses tendances arbitraires avait contristé au début de la Révolution tous les amis de la liberté. Mais il s'était plié à l'opinion publique, et la devançait même à présent, au moins par les mots ; il contribuait à la fondation du journal le Républicain, dont quelques numéros parurent alors, et prononçait à la tribune des Jacobins un discours dans lequel il demandait à la fois et la déchéance et le jugement de Louis XVI. L'année prochaine, en revanche, nous l'entendrons, à l'Assemblée législative, menacer les véritables républicains du glaive de la loi.

Robespierre ne se prononça pas tout d'abord, et plus d'une fois on lui a reproché d'avoir tardivement abandonné ses opinions royalistes. C'est là, à coup sûr, une simple querelle de mots, ou bien ceux qui lui ont adressé ce reproche n'ont jamais pris la peine d'étudier de près l'histoire de l'Assemblée constituante. Si, en effet, les opinions qu'il y a énoncées en toutes choses ne constituent pas le républicanisme le plus pur, le plus radical, tel que nous le comprenons aujourd'hui, il faut renoncer à s'entendre, et déclarer que la langue française est inintelligible. Qui donc, dans l'Assemblée ou ailleurs, avait défendu avec autant de courage et d'acharnement la cause de l'égalité et de la liberté ? Était-ce à Brissot ou au marquis de Condorcet que depuis deux ans les royalistes jetaient comme une injure l'épithète de républicain ? Que répondait alors Robespierre à ceux qui l'accusaient de vouloir introduire dans la constitution le gouvernement de la République ? Je ne suis pas épouvanté des mots de roi, de monarchie ; la liberté n'a rien à craindre pourvu que la loi règne, et non pas les hommes[114]. N'est-ce pas là le rêve ardent de tous les esprits sincèrement dévoués à la liberté ?

Que disait, en cette année 1791, Camille, à qui l'on a fait à tort l'honneur de l'initiative républicaine : Si les chefs de 89, pour isoler Barnave, s'étaient d'abord serrés autour de Robespierre dans l'affaire des colonies, ils n'ont pas tardé à se repentir d'avoir accrédité le système de celui-ci, qui est mieux conçu qu'ils ne veulent le faire croire, dont toutes les parties se tiennent, et qui nous mène, non pas à la république, mot insignifiant dont se servait François Ier, qui disait la ,dans ses ordonnances, aussi bien que Charlemagne dans ses Capitulaires, mot auquel personne de nous ne tient, mais à la liberté à laquelle nous marchons tous, et vers laquelle, tout vu et considéré, nous venons de faire un grand pas, à mon avis, par les décrets sur la non-rééligibilité. Et plus loin : Par république, j'entends un État libre avec un roi ou un stathouder, ou un gouverneur général ou un empereur, le nom n'y fait rien[115]. On voit à quel point le pétulant auteur des Révolutions de France se trouvait à cet égard en conformité d'opinion avec Robespierre. Ajoutons qu'une double considération empêchait encore ce dernier de se prononcer bien nettement, et cela est fort compréhensible : c'était avant tout l'homme des formes légales. Membre de l'Assemblée constituante ou de la Convention nationale, après le 21 juin comme au 9 Thermidor, il ne voulut jamais donner l'exemple de la violation de la loi. Que l'Assemblée prononçât la déchéance, proclamât elle-même la république, il se serait incliné avec bonheur, et il fit tout pour l'entraîner dans cette voie. Mais abandonner à la place publique le soin de décider du sort de la-France, laisser à la merci des factions cette liberté si laborieusement conquise, lui paraissait la plus dangereuse, sinon la pire des choses. Il savait trop bien que les royalistes poussaient eux-mêmes aux extrêmes, se doutant que les agitations populaires ramèneraient à la monarchie tous les gens timorés. Il voulait donc, lui, la liberté avec l'ordre, sans lequel elle est exposée sans cesse à sombrer. Qu'on m'accuse, si l'on veut, de républicanisme, disait-il le 14 juillet à la tribune de l'Assemblée constituante, je déclare que j'abhorre toute espèce de gouvernement où les factieux règnent. A coup sûr ce n'est point là le langage d'un flatteur de la multitude.

Pour beaucoup d'individus, avait-il dit la veille aux Jacobins, où l'on avait traité la question de l'inviolabilité pendante à l'Assemblée constituante, les mots république et monarchie étaient entièrement vides de sens. Si l'Assemblée nationale avait hésité jusqu'ici à aborder cette question de la responsabilité royale, c'était grâce à l'accusation de républicanisme dirigée contre les amis de la liberté. Mais ce mot république, à ses yeux, ne signifiait aucune forme particulière de gouvernement ; il appartenait à tout gouvernement d'hommes libres ayant une patrie. On pouvait être libre avec une monarchie comme avec un sénat. La constitution actuelle de la France était-elle autre chose qu'une république avec un roi ? Elle n'était, à ses yeux, ni monarchie ni république, elle était à la fois l'une et l'autre. Aussi pouvait-il dire : On m'a accusé au sein de l'Assemblée d'être républicain, on m'a fait trop d'honneur, je ne le suis pas. Si l'on m'eût accusé d'être monarchiste, on m'eût déshonoré, je ne le suis pas non plus. Il est fort clair que Robespierre inclinait dès lors vers la république ; mais, membre d'une assemblée souveraine, il ne voulait pas prendre devant le pays la responsabilité d'entraîner ses concitoyens dans des voies illégales, et prévoyait trop bien que ses collègues, les membres des comités principalement, s'empresseraient de saisir l'occasion de raffermir, même par la force, le principe de l'autorité royale considérablement ébranlé ! Maintenant, pour bien apprécier la portée et le vrai sens des paroles de Robespierre, en admettant leur parfaite exactitude, il aurait fallu connaître les développements qu'il donna à sa pensée. Par malheur, l'unique journal dans lequel nous ayons pu puiser ces renseignements se contente de dire, après avoir cité son exorde, qu'il exposa des sentiments dignes de son patriotisme et relevés par l'éloquence qui lui était particulière[116].

Il était tard, la séance allait être levée, quand un jeune homme, nommé Sigaud, fils d'un médecin distingué, entra et donna lecture d'une lettre rédigée au Palais-Royal au nom de trois cents personnes, lettre dans laquelle, après avoir voté des remercîments à Robespierre et à Pétion pour le courage qu'ils ne cessaient de déployer en défendant la cause du peuple, les signataires disaient : On vous menace des poignards, de la mort ; ne craignez rien, leurs poignards ne pourront pénétrer jusqu'à vous qu'à travers le rempart de nos corps ; nos bras, nos cœurs, nos vies, tout est à vous. L'enthousiasme des signataires se communiqua à toute la salle frémissante. Un évêque constitutionnel, membre de l'Assemblée constituante, monta à la tribune pour déclarer que lui aussi combattrait de tout son pouvoir l'opinion des comités, et le jeune délégué du Palais-Royal se jeta tout ému dans ses bras. Scènes touchantes que peuvent railler les sceptiques de notre époque, mais qui prouvent avec quelle ardeur, quelle sincérité cette génération de 1789 avait la passion de la liberté !

 

XXIV

Dans la matinée même, Muguet de Nanthou, au nom des divers comités réunis, avait lu, à l'Assemblée nationale, un long rapport où tous les faits de l'événement du 21 juin étaient indignement travestis. Toujours le même système : le roi avait cédé à la contrainte ; d'ailleurs son voyage n'était pas une fuite ; il lui était permis de s'éloigner de vingt lieues au moins de la capitale ; enfin son inviolabilité était inscrite dans la constitution. Mais avait-on pu prévoir le cas où il se mettrait lui-même hors des termes de cette constitution ? Le rapporteur avait conclu à la mise de Louis XVI et des siens hors de cause ; et, par compensation, réservant ses sévérités pour les coupables subalternes, il avait proposé de renvoyer devant la cour d'Orléans les Bouille, les Fersen et autres complices de la fuite.

On se rappelle avec quelle indignation Robespierre avait, quelques jours auparavant, demandé l'ajournement d'un projet analogue présenté par Le Chapelier, et qui, innocentant le roi, livrait à la vindicte des lois les conseillers du monarque. Cette fois encore il ne put s'empêcher de protester. Quelques membres ayant demandé l'impression du rapport de Muguet et l'ajournement de la discussion jusqu'après l'impression, d'André s'opposa à tout ajournement, prétendant que, dans l'intervalle, des factieux et des ignorants tenteraient de renverser la constitution. J'ignore, répondit gravement Robespierre, à quel titre on caractérise de factieux ceux qui demandent de discuter solennellement l'importante question qui vous est soumise. Je demande, moi, l'ajournement, de peur que de factieux courtisans ne renversent la constitution en substituant au calme et à la sagesse la surprise et la précipitation, qui sont les armes les plus terribles dans les mains de l'intrigue[117]. De nombreux applaudissements, venant des tribunes et des membres du côté gauche de la salle, accueillirent ces paroles ; mais lancée dans les voies de la réaction, où cherchaient à la diriger désormais les Lameth, les Duport, les Barnave, l'Assemblée repoussa toute proposition d'ajournement. Séance tenante, la discussion commença, et Pétion combattit vivement les conclusions du comité.

Le lendemain 14, le débat continua. A Larochefoucauld-Liancourt et à Prugnon, défendant l'inviolabilité royale, et appuyant la demande de mise en accusation de pauvres serviteurs dévoués, dont plusieurs avaient agi sans pouvoir apprécier la portée de l'acte auquel ils s'étaient associés, Robespierre succéda, et il leur répondit par un de ces discours qui méritent de prendre place dans la mémoire de tous les hommes aux yeux desquels la justice et l'équité passent avant toute autre considération. Messieurs, dit-il en débutant, je ne veux pas répondre à certain reproche de républicanisme qu'on voudrait attacher à la cause de la justice et de la vérité ; je ne veux pas non plus provoquer une décision sévère contre un individu ; mais je viens combattre des opinions dures et cruelles, pour y substituer des mesures douces et salutaires à la cause publique ; je viens surtout défendre les principes sacrés de la liberté, non pas contre de vaines calomnies, qui sont des hommages, mais contre une doctrine machiavélique dont les progrès semblent la menacer d'une entière subversion. Je n'examinerai donc pas s'il est vrai que la fuite de Louis XVI soit le crime de Bouillé, de quelques aides de camp, de quelques gardes du corps et de la gouvernante du fils du roi ; je n'examinerai pas si le roi a fui volontairement de lui-même, ou si, de l'extrémité des frontières, un citoyen l'a enlevé par la force de ses conseils ; je n'examinerai point si les peuples en sont encore aujourd'hui au point de croire qu'on enlève les rois comme les femmes. Je n'examinerai pas non plus si, comme l'a pensé M. le rapporteur, le départ du roi n'était qu'un voyage sans sujet, une absence indifférente, ou s'il faut le lier à tous les événements qui ont précédé ; s'il était la suite ou le complément des conspirations impunies, et, par conséquent, toujours renaissantes, contre la liberté publique ; je n'examinerai pas même si la déclaration signée de la main du roi en explique le motif, ou si cet acte est la preuve de l'attachement sincère à la Révolution que Louis XVI avait professé plusieurs fois d'une manière si énergique. Je veux examiner la conduite du roi, et parler de lui comme je parlerais d'un roi de la Chine ; je veux examiner avant tout quelles sont les bornes du principe de l'inviolabilité.

Il se demandait ensuite si l'inviolabilité prescrite par la constitution pouvait couvrir un crime ordinaire. Sans doute le roi était inviolable, mais dans toutes les choses auxquelles était liée la responsabilité ministérielle, c'est-à-dire dans toutes les questions de gouvernement et d'administration ; cette inviolabilité pouvait-elle être invoquée quand il s'agissait d'un acte entièrement personnel ? Que si, par exemple, le roi venait à commettre un crime particulier, s'il outrageait la femme ou la fille d'un citoyen, lui dirait-on : Sire, nous vous avons tout permis, autorisant par cela même le citoyen outragé à se venger de ses propres mains, et substituant à l'action calme et salutaire de la loi la justice privée de chaque individu. Or ce n'était pas seulement un particulier qu'avait offensé le roi, c'était tout un peuple exposé par lui aux horreurs de la guerre civile et étrangère. Il était inviolable, disait-on, mais le peuple aussi l'était ; sacrifierait-on l'inviolabilité des peuples à celle des rois ? s'écriait Robespierre aux applaudissements d'une fraction de la gauche. On invoquait la loi pour autoriser la violation de toutes les lois ! Quel exemple donné aux citoyens, aux magistrats ! Était-ce là le moyen d'attirer le respect sur les institutions du pays ? Que voulait-on ? Rétablir le roi coupable dans toute sa puissance ! c'est-à-dire exposer la liberté à un danger perpétuel ; car pouvait-on douter qu'il n'employât à faire triompher ses passions personnelles l'autorité immense dont il disposait ? Ou bien quelques intrigants n'avaient-ils pas l'intention de laisser flotter entre ses mains débiles les rênes du gouvernement, afin de régner sous son nom ? Et ici l'orateur avait évidemment en vue les Duport, les Lameth, les Barnave, tous ceux enfin qui, tenant à conserver un fantôme de roi, confisquaient l'autorité royale, non au profit du peuple tout entier, mais dans l'intérêt de la haute bourgeoisie déjà ralliée à une partie des hommes de la droite. Les gouvernements faibles dans ce sens étaient, aux yeux de Robespierre, les plus dangereux pour la liberté, en ce qu'ils devenaient une sorte d'oligarchie toujours disposée à étouffer la liberté et à violer les droits du peuple[118]. Ce fut alors qu'il prononça ces paroles déjà citées : Qu'on m'accuse si l'on veut de républicanisme, je déclare que j'abhorre toute espèce de gouvernement où les factieux règnent. Il ne suffisait pas, suivant lui, de secouer le joug d'un despote, il fallait encore prévenir le retour de toute tyrannie, et ne pas imiter cette Angleterre s'affranchissant de la domination d'un roi, pour retomber sous celle plus avilissante d'un Cromwell. Il fallait surtout donner au peuple l'exemple du respect pour la liberté.

L'Assemblée nationale, à la demande des comités, venait de suspendre les opérations électorales pour la nomination des députés au prochain Corps législatif. Robespierre blâma énergiquement cette mesure prise au moment où l'opinion publique semblait disposée à porter ses choix sur les candidats les plus dévoués à la Révolution. La nation ne pouvait voir sans inquiétude ces délais éternels de nature à favoriser la corruption et l'intrigue, et cela précisément à la sollicitation d'hommes qui prétendaient mettre leur ambition sous le couvert de l'inviolabilité royale. Aux mesures que vous ont proposées les comités, disait-il en terminant, il faut substituer des mesures générales, évidemment puisées dans l'intérêt de la paix et de la liberté ! Ces mesures proposées, il faut vous en dire un mot : elles ne peuvent que vous déshonorer ; et si j'étais réduit à voir sacrifier aujourd'hui les premiers principes de la liberté, je demanderais au moins la permission de me déclarer l'avocat de tous les accusés ; je voudrais être le défenseur des trois gardes du corps, de la gouvernante du dauphin, de M. Bouillé lui-même. Dans les principes de vos comités, le roi n'est pas coupable, il n'y a pas de délit ! Mais partout où il n'y a pas de délit, il n'y a pas de complices. Messieurs, si épargner un coupable est une faiblesse, immoler un coupable faible au coupable puissant est une lâche injustice. Vous ne pensez pas que le peuple français soit assez vil pour se repaître du spectacle du supplice de quelques victimes subalternes ; vous ne pensez pas qu'il voie sans douleur ses représentants suivre encore la marche ordinaire des esclaves, qui cherchent toujours à sacrifier le faible au fort, à tromper et à abuser le peuple pour prolonger impunément l'injustice et la tyrannie ! De nombreux applaudissements l'arrêtèrent un moment a ces mots. Selon lui, et n'était-ce pas la justice qui parlait par sa bouche ? on devait ou prononcer sur tous les coupables ou les absoudre tous. En conséquence, il proposa à ses collègues de lever le décret suspensif de l'élection des représentants appelés à leur succéder ; de décider que l'on consulterait la nation pour statuer sur le sort du roi, enfin de repousser par la question préalable les conclusions du comité. Et si, par impossible, les principes au nom desquels il avait parlé venaient à être méconnus, il demandait au moins qu'une assemblée française ne se souillât point par une marque de partialité contre les complices prétendus d'un crime sur lequel on voulait jeter un voile[119]. De vifs applaudissements accueillirent encore ces dernières paroles ; mais, malgré cette éloquence dans le goût du grand génie de l'antiquité, dit un journal de l'époque[120], malgré les efforts de Grégoire, et ceux de Buzot, qui, allant plus loin que Robespierre, opinait pour le jugement immédiat du roi, l'Assemblée constituante, adoptant l'avis de ses comités, mit en réalité Louis XVI hors de cause, et livra à la vindicte des lois ceux qui avaient favorisé son évasion, déclarant ainsi, à la face de Dieu, et par le plus étrange renversement de toute justice, qu'il y avait des complices là où il n'y avait pas de coupable.

Le décret était en partie rendu, quand six délégués d'une masse de citoyens réunis au Champ de Mars pour adresser à l'Assemblée nationale une pétition sur cette grande affaire prièrent, par un billet, Robespierre de négocier leur admission à la barre. Il sortit alors avec Pétion, afin de leur parler. Les délégués lui montrèrent la pétition ; il la trouva simple, courte, rédigée daris les termes les plus respectueux et exprimant le vœu formé par lui-même : que la nation fût consultée ; mais il leur dit qu'elle était inutile, parce que la décision de l'Assemblée était prise. A la suite d'un certificat demandé par les commissaires pour attester qu'ils avaient fidèlement rempli leur mission, Robespierre et Pétion ajoutèrent les recommandations les plus conciliantes, les plus pacifiques, et sans nul doute la conduite sage et modérée du peuple fut due à leurs conseils[121].

La discussion relative à l'inviolabilité royale se prolongea jusqu'au 15. Robespierre, qui, à la fin de la dernière séance, s'était opposé à ce que la constitution fut présentée au roi pour le moment, parce que ç'eût été préjuger la question de sa mise en jugement[122], voyant l'Assemblée décidée à adopter le projet de décret des comités, tenta d'y faire comprendre Monsieur, frère du roi, fortement soupçonné d'avoir rédigé le mémoire de Louis XVI, et beaucoup plus coupable à ses yeux que toutes les personnes incriminées par les comités. Cette proposition inattendue causa quelque agitation. Comme on lui demandait des preuves : Si j'en avais, répondit-il, il n'y aurait pas à délibérer s'il y a lieu de le mettre en accusation. Mais, poursuivait-il, dédaignant les murmures dont retentissait une partie de la salle, qui ose soutenir que les indices ne sont pas aussi forts contre Monsieur que contre madame de Tourzel, par exemple, dont le dévouement à la famille royale a été incriminé ?

Puis, rappelant le souvenir de Favras, immolé à ce même homme qui, plus heureux que le roi, était parvenu à s'enfuir, il engageait encore ses collègues à ne pas sacrifier les faibles aux conspirateurs puissants. Quant à lui, en présence des inconséquences contenues dans le décret, il se croyait obligé de protester au nom de la nation. Quelques éclats de rire indécents furent aussitôt réprimés par les applaudissements de la gauche et des tribunes ; et tandis que l'Assemblée repoussait la motion de Robespierre, Monsieur, depuis Louis XVIII, s'occupait de recruter à l'étranger ces alliés à la suite de qui un jour il put rentrer dans ce noble pays de France, contre lequel il passa une partie de son existence à conspirer. A moins d'un mois de là, il arrêtait avec le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche la convention de Pillnitz.

 

XXV

La décision de l'Assemblée constituante, à laquelle on était loin de s'attendre, indigna tout le peuple de Paris ; il est donc aisé de comprendre quelle faveur s'attacha aux orateurs qui l'avaient combattue, et combien grandit encore la popularité de Robespierre.

Dans la soirée du 14, parlant aux Jacobins sur la question dont l'Assemblée avait été occupée toute la journée, il se livra à une petite critique de quelques-uns des discours prononcés à ce sujet. Pétion, son ami, et Prugnon, lui paraissaient avoir tour à tour dépassé les justes bornes ; celui-ci trouvant le monarque impeccable et inviolable en toutes choses, celui-là pensant qu'il pouvait être appelé en justice pour les plus légères causes. La responsabilité, il fallait la réserver pour les crimes sérieux, tels que celui du 21 juin. A cette objection supposée : Voudriez-vous donner à l'Europe une seconde représentation de la cruelle tragédie dont Cromwell fut le premier acteur ? il répondait : La seule question est un crime, la réponse en serait un autre. Ah ! certes, il aurait frémi si on lui eût dit qu'à moins de deux ans de là Louis XVI, convaincu de trahison envers la France, subirait le sort de Charles Ier. Puis il ajoutait ces mots bien remarquables dans la bouche d'un homme dont la conduite en ces circonstances a paru à quelques personnes manquer de décision : Il n'est plus possible qu'un roi qui s'est déshonoré par un parjure, de tous les crimes le plus antipathique à l'humeur française... se montre encore sur le trône... Sans doute le peuple, comme l'avait dit M. Prugnon, pouvait être par sentiment attaché à la monarchie, depuis qu'elle était devenue constitutionnelle ; quelques-uns même tenaient par intérêt au système arbitraire ; mais, poursuivait-il, comme répondant à des menaces indirectes, cette monarchie n'existerait bientôt plus, si un massacre national devait en être le prix. On était alors, chose étrange, à trois jours à peine des tueries du Champ de Mars. C'était aux monarques, ajoutait Robespierre, à faire aimer et respecter la monarchie. Les Romains ne s'étaient pas lassés des Tarquins, mais ceux-ci, ayant cessé d'être justes, se firent chasser plutôt qu'on ne les chassa[123].

Ce jour-là même 14 juillet, date impérissable ! deuxième anniversaire de la prisé de la Bastille, il avait été, paraît-il, un des commissaires nommés par l'Assemblée nationale pour assister à la fête de la fédération. Était-ce un hommage rendu au plus ardent défenseur de la liberté, ou, comme le crut Marat, avait-on voulu se débarrasser de lui au moment où l'on s'occupait de statuer sur le sort du roi[124] ? Dans tous les cas on n'aurait pas réussi, puisque ce fut dans cette journée que Robespierre prononça l'admirable discours dont nous avons tracé une rapide analyse.

La scène suivante, très-curieuse comme indice de l'opinion, et dont la salle des Jacobins fut, le lendemain, le théâtre, offre une idée exacte de l'immense considération dont il jouissait alors. Dès l'ouverture de la séance, un membre dénonce un citoyen pour avoir tenu le matin, dans une maison particulière, des propos grossièrement injurieux sur la personne de Robespierre. Aussitôt des cris d'indignation éclatent de toutes parts. Le citoyen dénoncé essaye de se justifier, nie une partie de l'accusation, et la société décide de passer à l'ordre du jour. Mais le soulèvement était général contre le diffamateur, il est violemment expulsé de la salle. En vain Laclos, qui présidait, essaye d'apaiser le tumulte ; en vain il se couvre ; la proposition de nommer des commissaires pour informer sur cette affaire parvient seule à ramener le calme. Le président venait de les désigner quand parut Robespierre, dont l'aspect fut salué par de frénétiques acclamations. Informé de ce qui venait de se passer, il monta tout de suite à la tribune, et, en termes parfaitement dignes, témoigna ses regrets de ne pas être arrivé assez à temps pour s'opposer à la mesure prise, à cause de lui, contre un citoyen auquel on ne pouvait reprocher aucun délit, puisqu'il n'avait fait qu'exprimer sa façon de penser au sujet d'un individu. Il pria donc la société de passer à l'ordre du jour sur la nomination des commissaires, et de n'inscrire aucun détail de cette affaire dans son procès-verbal[125]. On ne pouvait mieux dire. Robespierre était d'ailleurs conséquent avec lui-même ; partisan de la liberté illimitée de la presse, jamais une dénonciation n'était tombée de sa bouche contre les folliculaires royalistes dont, chaque jour, il subissait les calomnies et les grossièretés, et il ne voulait pas que sa personne servît de prétexte à une violation de la liberté de la parole.

Cet incident vidé, on s'occupa de la grande question du moment, du vote de la journée. L'exaspération était au comble. Robespierre reprit la parole, et expliqua qu'en définitive, bien que l'intention évidente de l'Assemblée eût été de mettre Louis XVI hors de cause, on n'avait rien statué à cet égard ; qu'en conséquence la question demeurait entière. Alors parut à la tribune un homme bien connu pour ses relations avec le duc d'Orléans, Choderlos de Laclos, l'auteur un peu cynique des Liaisons dangereuses. Il venait proposer d'adresser à l'Assemblée nationale une pétition exprimant le vœu du peuple, et signée de tous les bons citoyens, des femmes et même des enfants. Combattue par Biauzat, cette proposition fut énergiquement soutenue par Danton, après lequel, pour la troisième fois dans cette séance, Robespierre parla encore. Sans doute dit-il en commençant sa longue improvisation, ce serait une consolation de trouver un moyen légal, constitutionnel, d'exprimer le vœu delà nation entière. — Ainsi, dès les premiers mots, on reconnaît l'homme de la légalité. — Sans doute, continua-t-il, l'Assemblée avait eu l'intention d'innocenter le roi, mais son décret n'ayant pas le sens clair et précis de la loi, la nation était en droit de lui dire : Expliquez-vous. Il y a des complices, prétendez-vous, mais alors il y a aussi un coupable, car il ne saurait y avoir de complices sans coupable. Eh bien ! ce coupable, montrez-le-nous, ou dites franchement que vous l'exceptez. Puis, en supposant que son inviolabilité le mette en toutes choses à l'abri des peines prononcées par la loi, pourquoi lui rendre le dépôt du pouvoir exécutif ? De ce que Louis ne puisse pas être puni comme les autres citoyens, s'ensuit-il que la France n'ait pas le droit de retirer les rênes de l'empire des mains de ce mandataire infidèle ? Le peuple, en faveur de qui était faite la constitution, aurait donc à cet égard moins de droits que le roi ? Ceux qui nous traitent de factieux aujourd'hui, parce que nous soutenons toujours les vrais principes, n'étaient-ils pas de notre avis quelques mois auparavant ? N'était-ce pas dans cette même tribune, disait Robespierre évoquant le souvenir de la fameuse séance du 28 février, qu'ils accusaient Mirabeau de chercher à substituer dans la constitution le despotisme de l'aristocratie à la liberté ? Or ces craintes que MM. Duport et Alexandre Lameth manifestaient alors contre Mirabeau, pourquoi ne les concevrions-nous pas contre eux-mêmes, lorsque nous savons qu'il existe un projet de révision à la faveur duquel ils espèrent altérer profondément la constitution. Quant à la pétition proposée par Laclos, elle lui paraissait devoir être, sinon rejetée, du moins modifiée ; il fallait surtout se garder d'y faire figurer les femmes et les mineurs. Pour sa part, déclarait-il franchement, il eût préféré voir la société instruire, par une adresse, toutes les sociétés affiliées de la situation grave où l'on était, et les initier aux mesures fermes qui seraient adoptées[126].

On était en train de délibérer quand près de quatre mille personnes se précipitèrent dans la salle. En effet l'émotion produite par le décret de l'Assemblée n'avait pas été moins vive au dehors, dans les rues, qu'au sein du club. Pendant la journée, des bandes nombreuses s'étaient promenées autour de l'Assemblée, demandant à grands cris la déchéance du roi. On entendit même, s'il faut en croire un écrivain royaliste, quelques voix proposer de placer Robespierre sur le trône[127]. Le soir presque tous les théâtres fermèrent, comme si un grand deuil eût plané sur la nation. En envahissant la salle des Jacobins le peuple venait annoncer qu'il entendait aller, dès le lendemain, jurer, au Champ de Mars, sur l'autel de la patrie, qu'il ne reconnaissait plus Louis XVI. Entraînés par ce renfort, les Jacobins adoptèrent la motion de Laclos ; et, sourds aux conseils de prudence donnés par Robespierre, ils chargèrent Brissot de rédiger cette pétition fameuse, de funèbre mémoire, tendant à la déchéance du roi. Aussi Robespierre put-il écrire un peu plus tard, sans crainte d'être démenti : Qui proposa cette motion ? Est-ce moi, à qui on l'a imputée ? Ce fut un homme dont on sait qu'en général je ne partage pas les opinions. Qui la combattit ? moi[128]... Quand on se sépara, il était minuit.

 

XXVI

Les Constitutionnels ne s'apercevaient pas sans inquiétude du mécontentement excité dans la population par leur décret. Dans la journée du 16, voyant l'Assemblée en proie à une sorte de terreur, ils firent voter coup sur coup, dans l'éventualité de quelques désordres, une foule de mesures répressives. On entendit même un député obscur, nommé Boery, demander que, si quel que membre de l'Assemblée s'était rendu coupable, le glaive de la loi s'appesantît sur lui. C'était un modéré. Alors parut piteusement à la tribune un autre député qui, précédemment, avait, dans un discours rempli d'exagération, combattu, lui aussi, le décret de l'inviolabilité du roi. Pris de frayeur, il venait se désavouer, déclarer qu'il détestait le système républicain, qu'il était prêt à exposer sa vie pour défendre les décrets. L'Assemblée applaudit à cette lâcheté ! Ce député, c'était Vadier, un des futurs héros de Thermidor[129].

Que les Duport, les Lameth, les Barnave, les d'André, alliés maintenant des Regnault, des Duquesnoy, des Malouet même, dont ils avaient paru jadis les irréconciliables ennemis, aient préparé de leurs mains le sanglant événement du lendemain, nous n'en croyons rien ; mais qu'ils désirassent une émeute pour avoir l'occasion de recouvrer par la force leur prestige éteint, leur autorité ébranlée, cela n'est pas douteux. En même temps Bailly prenait contre les factieux, les aristocrates et autres ennemis du bien public, un arrêté dont on ordonna l'impression, l'affichage et la proclamation à son de trompe. Tout avait été prévu, et l'on se tenait prêt à réprimer énergiquement la moindre velléité de manifestation antiroyaliste.

La fermentation était au comble. Afin d'ôter tout prétexte aux ennemis de la liberté de sévir contre les sociétés populaires, Robespierre engagea les Jacobins à envoyer des commissaires au Champ de Mars pour retirer la pétition offerte sur l'autel de la patrie à la signature des citoyens ; cette pétition qu'il avait combattue tout d'abord, parce que, comme il le dit lui-même, un funeste pressentiment, des indices trop certains l'avertissaient qu'on cherchait depuis longtemps l'occasion de persécuter la société et d'exécuter quelque sinistre projet contre les citoyens rassemblés[130]. Son avis fut adopté, et les Amis de la Constitution déclarèrent que, fidèles à leur titre, ils désavouaient toutes les productions fausses ou dénaturées répandues comme émanant d'elle.

Tout en exhortant ses collègues du club à ne pas donner prise aux accusations qu'on ne manquerait pas de susciter contre eux, Robespierre n'en déploya pas moins dans la soirée du 16 une énergie extraordinaire. L'intrépide Robespierre seul avait protesté à la tribune contre l'infâme décret ; il était aux Jacobins ; l'Assemblée nationale est toute où est Robespierre, s'écrie Camille dans son enthousiasme pour son ami[131]. Dès sept heures il occupait la tribune de la Société. Demandons une autre législation, dit-il, mais obéissons à la loi[132]... J'y obéirai pour ma part, mais je vous dois la vérité... terrible. Alors, et se désignant d'avance et sans peur aux coups de la réaction, il traça un sombre tableau de ces comités au sein desquels s'étaient coalisés tous les ci-devants privilégiés de l'Assemblée nationale. Il montra leurs desseins perfides, leurs projets contre-révolutionnaires se décelant dans tous leurs actes. C'était aux citoyens à déjouer ces trames en ne permettant pas que la division se mît entre eux, en s'unissant ; aux gardes nationales qu'on voulait égarer. Quant à lui, on le trouverait toujours ferme, inébranlable sur les principes, indifférent aux attentats préparés contre sa personne. On croyait, dit le journal de l'abbé Fauchet, auquel nous empruntons ces détails, on croyait entendre l'infortuné Rawleigh dire à ses bourreaux : Frappez : quand le cœur est droit, qu'importe où va la tète ? Il s'agit ici de la liberté de toute la, nation, ajoutait Robespierre ; c'est la cause de l'humanité tout entière, c'est le triomphe de la vérité persécutée depuis des milliers de siècles. Encore un peu de courage, et tout sera consommé. Les députés des communes se rappelleront la sainteté de leur mission !... Les peuples rentreront dans leurs droits imprescriptibles, les tyrans seront confondus ; leurs infâmes calomnies n'auront que des succès passagers. Nous avons la vérité et la justice, nous sommes invincibles.

Telle fut, résumée en quelques lignes, l'éloquente improvisation de Robespierre à la tribune des Jacobins, la veille d'une des plus néfastes journées de la Révolution française[133].

Le lendemain, — c'était un dimanche, — une foule de citoyens ayant persisté, en dehors des Jacobins, dans le dessein de présenter à l'Assemblée nationale une pétition-pour demander la déchéance de Louis XVI, retournèrent au Champ de Mars afin de s'occuper de cet objet. Tout le monde sait sous quels sombres auspices s'ouvrit ce jour fatal. Deux hommes, attirés par une curiosité obscène, avaient imaginé de se cacher sous les planches des gradins de l'autel de la patrie. Découverts par l'effet du hasard, arrêtés et conduits au poste du Gros-Caillou, ils venaient d'être mis en liberté après leurs explications. Mais le bruit s'était répandu qu'ils étaient les agents d'un noir complot, et qu'ils avaient été apostés sous l'autel de la patrie pour le miner et faire sauter les signataires de la nouvelle pétition. On n'ignore pas avec quelle déplorable facilité se propagent et sont acceptées les nouvelles les plus absurdes. A peine libres, ils avaient été saisis et impitoyablement massacrés. Personne ne flétrit plus vivement et plus sincèrement que Robespierre cette violence criminelle d'autant plus odieuse, dit-il, que des circonstances extraordinaires faisaient naître dans l'esprit des fidèles amis de la liberté de sinistres soupçons sur la nature des causes qui avaient dirigé le bras des meurtriers[134]. Il n'y avait, dans tous les cas, aucune espèce de rapport entre ce fait et la pétition et les pétitionnaires. Cependant les meneurs de la réaction dans l'Assemblée tirèrent un merveilleux parti de ce douloureux incident. Un membre annonça, avec une rare impudence, que deux honnêtes citoyens venaient d'être victimes de leur zèle au moment où, au Champ de la Fédération, ils exhortaient le peuple assemblé à se conformer à la loi. En vain le curé Dillon affirma que le fait ne s'était pas passé ainsi, Regnault (de Saint-Jean d'Angély), un des coryphées de ce parti de la réaction, eut l'effronterie d'insister et demanda, aux applaudissements d'une-partie de l'Assemblée, l'application de la loi martiale pour le cas où le désordre continuerait, de cette loi si vivement combattue, on s'en souvient, par Robespierre. Il demanda en outre que toute personne qui, par écrits, soit individuels, soit collectifs, exciterait le peuple à résister aux autorités constituées fussent poursuivies comme criminelles de lèse-nation. C'était bien encore d'un modéré[135]. L'attente de Regnault ne fut que trop bien remplie.

Nous n'avons pas à raconter dans tous leurs détails les déplorables événements qui signalèrent la fin de la journée du 17 juillet. Débarrassés des voiles dont les intéressés et les écrivains de la réaction avaient essayé de les couvrir, ils sont aujourd'hui parfaitement connus. On sait comment, tandis qu'au Champ de Mars une multitude de citoyens, sans armes, exerçaient un droit sacré, dans toutes les conditions prescrites par la loi, en apposant leur signature au bas de la pétition incontestablement légale déposée sur l'autel de la patrie, la loi martiale était proclamée et le drapeau rouge arboré aux fenêtres de l'hôtel de ville ; comment Bailly parut lui-même au Champ de Mars, à la tête d'une colonne de gardes nationaux furieux, assumant sur sa personne la responsabilité terrible du sanglant épisode dont cette vaste plaine allait être le théâtre ; comment enfin, vers huit heures du soir, quelques pierres ayant été jetées des glacis sur la garde nationale, une effroyable détonation retentit, avant que les sommations légales eussent été faites, et comment le Champ de Mars fut en un instant jonché de cadavres d'enfants, de femmes et de citoyens inoffensifs. Le premier de ces deux faits, a écrit Robespierre, peut seul expliquer le second, ou il faudrait fuir la société des hommes. C'était, à ses yeux, un malentendu funeste, aussi ne voulait-il faire le procès à personne. Donnons des larmes aux citoyens qui ont péri, écrivait-il encore, donnons des larmes aux citoyens même qui, de bonne foi, ont pu être les instruments de leur mort. Cherchons du moins un sujet de consolation dans un si grand désastre. Espérons qu'instruits par ce funeste exemple les citoyens armés ou non armés se hâteront de se jurer une paix fraternelle, une concorde inaltérable sur les tombeaux qui viennent de s'ouvrir[136]. Il se trouvait aux Jacobins quand arriva l'événement. Les commissaires furent, sur sa demande, envoyés dans les divers quartiers de Paris afin de prendre des renseignements sur ce qui se passait. En ce moment de grands cris retentirent au dehors, des cris de menaces dirigés contre les Jacobins. C'était la garde nationale qui, en revenant du Champ de Mars, après ce bel exploit, invectivait les Jacobins contre lesquels on cherchait à l'exciter ; et pourtant ils avaient donné la preuve de leurs dispositions conciliantes en retirant la pétition de déchéance dont Laclos avait été le promoteur.

Une scission profonde s'était dès lors opérée au sein de la société : le club des Jacobins avait été en effet déserté, la veille, par la plupart des membres de l'Assemblée nationale qui en faisaient partie, les Constitutionnels en tête. Les dissidents s'étaient immédiatement installés dans un nouveau local ; c'était aussi un couvent de moines, situé presque vis-à-vis des Jacobins, à côté du Manège où siégeait l'Assemblée constituante, et dont les anciens hôtes appelés Feuillants donnèrent leur nom aux nouveaux ; nous en parlerons tout à l'heure. Buzot, Rœderer, Pétion et quelques autres demeurèrent avec Robespierre fidèles à l'ancienne société. Au moment où tous les esprits étaient préoccupés de la scène sanglante du Champ de Mars, Robespierre prononça un discours qui n'a pas été recueilli, et dans lequel, après avoir exposé et réfuté toutes les calomnies dont la société était l'objet, il proposa les moyens de rétablir la paix. Quant à la désertion de la plupart des membres de l'Assemblée constituante, les Jacobins en prirent aisément leur parti, et Camille Desmoulins put, à la fin de cette séance, s'écrier, sans rencontrer de contradicteurs : Certainement là où sont MM. Robespierre et Pétion il n'y a pas de scission avec l'Assemblée nationale[137].

 

XXVII

Le soir du 17 juillet 1791, un grand changement s'opéra dans l'existence de Robespierre. Nous avons dit quelle vie retirée et studieuse il menait dans son petit garni de la rue de Saintonge ; dînant à trente sous allant rarement au spectacle[138], qu'il aimait pourtant, il se rendait plus rarement encore aux nombreuses invitations qu'on lui adressait, comme à tous les hommes fameux. Il avait conservé d'excellents rapports avec les chanoines du chapitre de Paris, dont avait été membre un de ses parents, l'abbé Laroche, qui, on s'en souvient peut-être, lui avait servi de correspondant au collège de Louis-le-Grand, et quelquefois il allait dîner avec eux[139]. Dans l'origine de l'Assemblée constituante, il avait assisté peu souvent aux réunions de Necker, auxquelles il était convié comme député aux états généraux[140] ; mais dès qu'entre les hommes de la cour et les partisans des libertés publiques toute entente fut devenue impossible, il se garda bien de reparaître dans les salons ministériels. Un de ses camarades de collège, Duport-Dutertre, venait de temps à autre, de la rue Bailleul où il demeurait, lui rendre visite au Marais ; Robespierre cessa de le voir quand cet ancien condisciple eut remplacé au ministère de la justice, dans les derniers jours de l'année 1790, l'archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé.

Nous avons dit, au commencement de cette histoire, qu'il exerçait sur les femmes un grand empire, et nous en verrons, chemin faisant, plus d'une preuve. Parmi les personnes distinguées avec lesquelles il était en relation et en correspondance suivies, il faut citer, outre madame Roland, alors son admiratrice passionnée, une dame appartenant à un monde dont il n'avait guère les sympathies, madame de Chalabre, femme d'une assez grande naissance et d'une fortune considérable. Les lettres de cette dame, qui nous ont été conservées, sont toutes animées du souffle antique de la liberté. Ce n'est pas une républicaine à la façon de Charlotte Corday, agitée des passions vengeresses de Némésis ; c'est une Spartiate, dont l'amour de la liberté et de l'égalité a embrasé le cœur. Dès le mois de février 1791 son patriotisme lui a valu les éloges de Robespierre, elle en est toute fière. Elle lui écrit pour lui dire combien elle est heureuse de la conformité de leurs sentiments, combien elle serait charmée de le compter dans le petit nombre des amis qui fréquentaient son salon. Si tous vos moments n'étaient pas consacrés au salut de notre chère patrie, je désirerais bien en causer avec vous, mais je crains de lui voler un temps si précieux. S'il était possible de concilier ce désir, vous me feriez beaucoup d'honneur et de plaisir. Ce désir fut concilié, et Robespierre, à des intervalles assez éloignés, il est vrai, devint l'hôte de la maison. Quelques jours plus tard elle ne peut s'empêcher de lui témoigner toute son indignation au sujet du décret qui laissait au pouvoir exécutif la-nomination des administrateurs du trésor. Ciel ! s'écrie-t-elle, ô quelle iniquité, quelle dégradation de l'espèce humaine ! et c'est l'or, ce vil métal, qui rend les hommes stupides et féroces ! Quel mépris des richesses ne doivent pas avoir les vrais patriotes !... Trois députés seulement, et vous êtes de ce nombre, toujours au chemin de l'honneur ont combattu l'infâme décret. Que vont dire les provinces ? Après une vive peinture des maux que doit, suivant elle, entraîner la détermination de l'Assemblée, elle le prie d'accepter un petit dîner, et de la prévenir au moins deux jours à. l'avance, afin qu'elle puisse avertir M. et madame Bitaubé, qui, dit-elle, seront charmés de se rencontrer avec vous[141]. Quelques patriotes purs, des écrivains recommandables, telles étaient les personnes dont se composait la société de madame de Chalabre. Bitaubé, c'était le célèbre traducteur d'Homère ; les rapports qu'il eut, à cette époque, avec l'illustre ami de madame de Chalabre, ne l'empêchèrent pas d'être incarcéré sous la Terreur, comme tant d'autres que l'amitié de Robespierre fut, ainsi qu'on le verra plus tard, impuissante à sauver de la proscription.

La soirée du 17 juillet, avons-nous dit, amena un grand changement dans la vie du député d'Arras. Je ne connais pas d'effroi comparable à celui de Robespierre dans ces circonstances, a écrit madame Roland dans ses Mémoires[142]. Voilà encore une de ces phrases ridicules dictées par la haine, par l'esprit de parti, et démenties par tous les faits[143]. Immédiatement après le massacre du Champ de Mars, une véritable terreur s'abattit sur la capitale ; des mandats d'arrêt furent lancés contre les patriotes les plus connus ; Danton, Camille Desmoulins, Fréron, le boucher Legendre s'y dérobèrent par la fuite. L'auteur des Révolutions de France déposa sa plume, laissant comme une sorte de testament un dernier numéro où, à chaque ligne, son patriotisme se répand en traits indignés, et où sa parole stridente retentit, formidable et mélancolique, comme le glas de la liberté. La réaction furieuse, hors d'elle-même, avait, s'il faut en croire Camille, conjuré la destruction du parti populaire. Or, s'il était un patriote qui semblât désigné d'avance à ses coups, c'était assurément Maximilien Robespierre. Sa popularité était alors à son comble. Dans une brochure du temps, que nous avons sous les yeux, et où les principaux députés de l'Assemblée nationale sont taxés d'après l'estime publique, il est coté : sans prix[144]. L'ex-capucin Chabot se vantait aux Jacobins. d'avoir baptisé un enfant auquel les parents avaient donné le nom de Robespierre, si cher aux patriotes purs et désintéressés[145] ; et, un peu plus tard l'évêque de Bourges, Pierre-Anastase Tomé, prédicateur distingué, ancien aumônier du roi Stanislas, écrivant à Robespierre au sujet des élections à la prochaine législature, à laquelle il allait être envoyé par le département du Cher, lui disait : Combien je serais heureux si je pouvais mériter le glorieux surnom de PETIT ROBESPIERRE ![146] Et ce n'était pas seulement au sein de cette population de Paris, qui se méprend rarement sur ses véritables amis, que l'enthousiasme pour lui allait jusqu'à l'idolâtrie, l'élan était le même sur tous les points du pays, et, dans une foule d'adresses des sociétés de départements affiliées à la société des Amis de la Constitution de Paris, son nom revient sans cesse comme un symbole de patriotisme, d'égalité et de liberté[147]. De tous les défenseurs de la Révolution il était donc le plus en vue. On agita, paraît-il, fortement la question de lui intenter un procès, bien qu'il fût notoire qu'il avait été opposé à la manifestation du Champ de Mars. Quelques chefs du parti victorieux, tâtant l'opinion, laissaient entendre qu'il faudrait peut-être en arriver là. Toutefois on recula devant les conséquences probables d'une pareille mesure. Une dénonciation contre lui fut ensevelie, dit-il lui-même, dans les ténèbres du comité des recherches[148]. Ses amis tremblèrent pour lui, mais lui, comme l'homme impassible d'Horace, resta calme devant la tempête. D'autres avaient fui, redoutant les vengeances de la réaction victorieuse ; il demeura stoïquement à son poste, continuant à combattre pour la liberté, et nous allons le voir porter seul tout le poids de la lutte des Jacobins contre les Feuillants. Déjà, du reste, avant l'événement du Champ de Mars, des menaces avaient été publiquement proférées contre lui par des ennemis de la Révolution. Sa tête avait été mise à prix, disait-on, et au club des Cordeliers il fut arrêté que des commissaires seraient nommés pour s'attacher à ses pas, et le garantir, aux dépens de leur vie, des dangers dont il était menacé[149]. Témoignage bien frappant de l'intérêt qui s'attachait à cet homme.

Madame Roland a écrit, dans ses Mémoires, que dans la soirée du 17, vers onze heures, véritablement inquiète sur son compte, elle s'était rendue chez lui au fond du Marais, accompagnée de son mari, dans l'intention de lui offrir un asile[150]. Mais, ajoute-t-elle, il avait déjà quitté son domicile. Ceci est tout à fait inexact. Robespierre n'était pas rentré, car à cette heure il était au club des Jacobins, cherchant à calmer l'effervescence, et déjà proposant des moyens pour ramener la concorde et rétablir la paix[151] ! Du reste, l'assertion de madame Roland est elle vraie ? Nous en doutons fort, et voici pourquoi : dans un autre passage de ses Mémoires l'illustre femme raconte que, à onze heures du soir, revenant des Jacobins, elle reçut chez elle la visite de M. et de madame Robert, qui venaient lui demander un asile. C'est précisément l'heure à laquelle elle prétend être allée avec son mari rue de Saintonge pour offrir l'hospitalité à Robespierre, qu'elle croyait menacé. Il y a là déjà une contradiction par trop choquante. Mais ce n'est pas tout ; poursuivons : Je vous sais bon gré, dit-elle à madame Robert — mademoiselle de Kéralio —, d'avoir songé à moi dans une aussi triste circonstance, mais vous serez mal cachés ici. Cette maison est fréquentée, et l'hôte est fort partisan de La Fayette[152]. Comment alors pouvait-elle avoir eu l'idée de proposer à Robespierre sa demeure pour asile ? Ainsi, à la même heure, madame Roland se met en scène en deux endroits différents, et se fait jouer à elle-même deux rôles complètement opposés. De si grossières contradictions nous donnent le droit de dire que ses Mémoires, tout en conservant d'ailleurs tout le mérite d'une œuvre littéraire pleine de charmes, ne sauraient avoir aucune valeur historique.

Or, voici ce qui se passa à l'issue de la séance des Jacobins. Il y avait parmi les membres du club un entrepreneur en menuiserie nommé Maurice Duplay. C'était alors un homme d'une cinquantaine d'années. Né à Saint-Didier-la-Seauve, dans la Haute-Loire, il était venu de bonne heure à Paris, avait été protégé par madame Geoffrin, et, en quarante ans de travail, était parvenu à amasser une fortune de 15.000 livres de rente en maisons, somme considérable pour l'époque[153]. S'il avait embrassé avec ardeur les principes de la Révolution, ce n'était donc pas comme tant d'autres dans l'espoir de s'enrichir au milieu des convulsions politiques de son pays ; il n'avait qu'à y perdre une partie de cette fortune si laborieusement gagnée, mais il était de ces hommes de forte trempe qui placent avant toutes les considérations d'intérêt personnel et privé celles du droit, de l'équité, de la justice éternelle.

En face de la rue Saint-Florentin et de l'Assomption se trouvait alors un immense enclos, borné au midi-par les maisons-donnant sur la rue Saint-Honoré, à l'ouest par la rue Royale et quelques hôtels donnant sur cette rue, qu'on appelait encore à cette époque le Rempart, au nord par le boulevard de la Madeleine, portant aussi le nom de Rempart, et à l'est par les maisons en bordure sur la rue de Luxembourg ; c'était le couvent des religieuses de la Conception. Les bâtiments du monastère, formant un carré assez régulier, occupaient une partie de l'emplacement traversé aujourd'hui par la rue Duphot qui, sur son passage, a également renversé l'église du couvent, à laquelle on arrivait par une sorte de cour d'honneur ayant accès sur la rue Saint-Honoré. Des vingt-trois maisons s'ouvrant sur cette dernière rue, depuis la rue de Luxembourg -jusqu'au Rempart, dix appartenaient à la congrégation voisine[154]. Parmi ces dix maisons, presque vis-à-vis de la rue Saint-Florentin, on en voyait une assez importante, portant alors le numéro 366. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque on numérotait par quartier ; lorsque, dans les premières années de l'empire, on adopta le système beaucoup plus rationnel du numérotage par rues, elle prit le numéro 398, qu'elle conserve encore au moment où nous écrivons.

Dans la cour de cette maison étaient des ateliers de menuiserie, et, au fond, un petit bâtiment formant pignon sur la cour ; c'était là que demeurait Maurice Duplay, à quelques pas du club des Jacobins ;.il était principal locataire des religieuses de la Conception moyennant la somme de 1.800 livres en principal et 244 livres de pot-de-vin[155]. De toute cette maison, dont nous donnerons autre part la description complète, on chercherait vainement un vestige aujourd'hui, il n'en reste plus une pierre. En prairial an IV, lors de la vente des biens du couvent, elle fut achetée moyennant 32.888 livres par Maurice Duplay. Quelques années après, en messidor an IX, Auzat, gendre de Duplay, cessionnaire, pour moitié, des droits de son beau-père, vendit sa part à un bijoutier nommé Jacques Rouilly, qui, pendant la Révolution, occupait une des boutiques sur le devant, et entre les mains duquel la maison passa tout entière en 1810. L'année suivante, quand, sur l'emplacement de l'ancien couvent, on perça les rues Richepanse et Duphot, le nouveau propriétaire démolit les hangars de la cour et le pavillon du fond occupé par la famille Duplay pour y élever les constructions qui existent aujourd'hui et rapetissent singulièrement la cour, et, un peu plus tard, en 1816, à la place de la maison basse du devant qu'habitèrent Charlotte et Augustin Robespierre, il fit bâtir sur les dessins de l'architecte Dufaud la maison, assez peu monumentale du reste, qu'on voit maintenant[156].

Admirateur passionné de Robespierre, Duplay eut les mêmes craintes que madame Roland, et, à l'issue de la séance des Jacobins, il le pria d'accepter pour la nuit un asile dans sa demeure. Maximilien, touché, accepta l'offre, et se laissa conduire au sein de la famille du menuisier, de cette famille qui désormais allait être la sienne. Elle se composait de Maurice Duplay, de sa femme, d'un fils ayant alors une douzaine d'années et de quatre filles, dont l'une, la seconde, était déjà mariée à un avocat d'Issoire, en Auvergne, nommé Auzat. Madame Duplay accueillit Robespierre comme un fils ; elle l'aimait déjà avant de le connaître, car elle partageait tous les sentiments de son mari ; les filles le reçurent comme un frère. Nous dirons plus tard quelle fut sa vie au milieu de cette famille de mœurs patriarcales, vie heureuse où il se reposait des agitations du dehors. Quand, le lendemain, il voulut prendre congé de ses hôtes pour retourner rue de Saintonge, la mère et les filles le conjurèrent de rester. On avait à lui donner une petite chambre isolée où il travaillerait à son aise, sans avoir à se préoccuper des besoins de l'existence matérielle, on y pourvoirait pour lui ; et puis il serait à deux pas de l'Assemblée nationale, du club des Jacobins, où chaque jour il était obligé de se rendre. Robespierre savait peu résister à une prière, il céda à de si affectueuses instances, à la condition toutefois de payer pension, et s'installa, comme dans la sienne propre, au milieu de cette famille qu'il devait associer à sa gloire et à ses malheurs[157].

On voit comme Robespierre se déroba en effet à la vue et aux recherches de ses ennemis. Au lieu de se confiner au fond du Marais, dans sa rue de Saintonge, si déserte, si-abandonnée, et où, plus sûrement que partout ailleurs, il eût pu trouver un abri, il vient se loger rue Saint-Honoré, à l'heure où retentissaient encore les vociférations de la garde nationale, dans un quartier aristocratique assez peu favorable à la Révolution, à deux pas de l'Assemblée où siégeaient ses plus acharnés adversaires, non loin du château des Tuileries, où veillaient des troupes dont les Constitutionnels, par La Fayette, avaient la disposition ; et, pour toute garde dans la maison dont il était devenu l'hôte, il avait qui ? un patriote sincère, une femme dévouée et trois jeunes filles, garde invincible à coup sûr, si ses moyens eussent été à la hauteur de son affection[158].

 

XXVIII

Cependant l'inquiétude était vive aux Jacobins : la désertion de la plus grande partie des membres appartenant à l'Assemblée nationale, l'organisation d'un club rival dans le couvent des Feuillants, n'étaient pas sans causer certaines appréhensions, et les craintes ne diminuèrent point, quand, le 18 juillet, Feydel vint réclamer le local et a correspondance des Jacobins au nom des Feuillants, qui se prétendaient les fondateurs de la société. Robespierre, en cette circonstance, montra une habileté consommée ; il rendit cœur aux plus effrayés, et si sa conduite fut empreinte d'une extrême modération, il mit dans sa prudence une dignité à laquelle il est impossible de ne pas rendre hommage.

Au lieu de solliciter humblement les Feuillants d'opérer une fusion, comme le conseillaient quelques membres, il proposa l'envoi à l'Assemblée nationale d'une adresse où seraient nettement expliqués la conduite et les sentiments des Jacobins. Cette adresse, il l'avait d'avance rédigée, et il en donna lecture aussitôt. Ceux qui ont prétendu qu'elle respirait une étonnante humilité[159] l'ont certainement bien mal lue, car, dans la situation présente, on ne pouvait faire entendre un plus noble, un plus fier langage. C'était en définitive un appel à la conciliation et à la paix en des termes dont l'urbanité n'excluait pas l'énergie. Les Jacobins, y était-il dit, ont toujours eu pour règle l'obéissance aux lois ; s'ils aspirent à la perfection de ces lois, c'est par des moyens conformes à la constitution. Le décret du 15, relatif à la fuite du roi, ne décidant rien quant à la réintégration de Louis XVI dans ses fonctions, ils étaient parfaitement dans leur droit en rédigeant une pétition sur cet objet et en invitant tous les citoyens à formuler leurs vœux. Ils ont pensé que, dans des conjonctures si importantes, un rassemblement de citoyens paisibles, sans armes, réunis par le plus pur sentiment de patriotisme — après avoir rempli la formalité de prévenir la municipalité — pour vous adresser une pétition légitime en soi, n'avait rien qui pût mériter la censure des bons citoyens ni la vôtre : voilà tout leur crime. Jusque-là nous ne voyons rien de bien humble. Puis, après avoir rappelé qu'aussitôt le décret du 16 connu, les conditions se trouvant changées, la pétition avait été retirée, Robespierre ajoutait : Nous ne sommes point des factieux ; c'est en vain que l'on voudrait lier l'idée du crime à l'amour de la liberté, la plus pure et La plus sublime de toutes les vertus ; et certes, on ne nous a point encore accusés de ne point aimer la liberté. L'excès même de cette vertu trouverait aisément un remède dans son principe, il trouverait sans doute plus facilement grâce à vos yeux que la stupide indifférence des esclaves ou la perfide douceur des ennemis de la constitution ; il est un excès contraire, beaucoup moins rare et beaucoup plus funeste. Si une émotion passagère s'était produite, si les citoyens avaient donné quelques signes d'inquiétude et de douleur, était-ce une raison pour s'alarmer. Ah ! disait-il, vous auriez lieu de vous effrayer davantage si vous n'aperceviez dans les Français que cette funeste léthargie qui est le sceau dont le ciel a marqué les peuples destinés à l'esclavage ; elle vous offrirait le présage certain de la ruine de votre propre ouvrage et de notre commune servitude.

Il parlait, il est vrai, du respect de ce peuple français pour une Assemblée dont la nation avait secondé les généreux efforts contre le despotisme, et sur laquelle elle comptait encore pour obtenir dans tout son épanouissement, le premier de tous les biens, la liberté ! mais il n'avait garde de faire l'éloge de ces comités dont, avec raison, il avait attaqué récemment les tendances contre-révolutionnaires ; et, en rappelant à l'Assemblée la sagesse, la vigilance, la fermeté qu'elle avait déployées dans les premiers temps, il témoignait l'espérance de la voir finir comme elle avait commencé. Pressentant les derniers combats qu'il aurait à livrer au sein de cette Assemblée constituante contre l'esprit de réaction, il disait en terminant : Si vous touchez à vos propres décrets, comme le présage le projet de révision que vous avez annoncé, loin d'ajouter aux prérogatives du dépositaire du pouvoir exécutif, loin de conserver des distinctions injurieuses à l'humanité, s'il était quelques dispositions contraires à vos propres principes, et qui eussent été surprises à votre sagesse par les circonstances, ce sont celles-là que vous effacerez de votre code. Vous remettrez entre les mains de vos successeurs, que vous êtes résolus à appeler bientôt, une constitution pure, conforme aux droits imprescriptibles de l'homme que vous avez solennellement reconnus ; et vous rentrerez dans le sein de vos concitoyens, dignes de vous-mêmes et dignes du peuple français. Puis, défiant en quelque sorte tous ceux dont le système était de dépeindre la raison, la liberté et la vertu, sous les couleurs du vice, de la licence, de l'anarchie, il résumait ainsi la pensée des Jacobins : Respect pour l'Assemblée des représentants de la nation, fidélité à la constitution, dévouement sans bornes à la patrie et à la liberté ![160]

Cette adresse fut adoptée à l'unanimité ; on en vota l'impression à un grand nombre d'exemplaires, et l'envoi aux membres de l'Assemblée nationale, à toutes les sociétés affiliées, aux quarante-huit sections et aux bataillons de la capitale[161]. Puis on rejeta d'un commun accord l'étrange réclamation présentée par Feydel au commencement de la séance.

Quelques jours après (le 24) nouveau message des Feuillants. Robespierre prit aussitôt la parole. S'il était resté, avec quelques membres de l'Assemblée nationale, au sein de la société des Jacobins, c'était parce que, suivant lui, les patriotes devaient se serrer de plus près là où ils étaient attaqués. Combattant l'avis de ceux qui penchaient pour la réunion aux Feuillants, il montra combien un tel parti serait funeste à l'intérêt public et consacrerait les reproches injustes allégués comme prétexte de la scission. Il proposa donc à la société de déclarer, avant de prendre connaissance du message, qu'elle avait été et serait toujours la société des Amis de la Constitution. Cette motion fut adoptée avec enthousiasme[162].

Les Feuillants consentaient à admettre les Jacobins dans leur sein, moyennant acquiescement aux conditions arrêtées par la société scissionnaire. Or, parmi ces conditions, il en était une qui portait en elle un germe de mort, c'était celle en vertu de laquelle les seuls citoyens actifs étaient admis aux Feuillants. Là se reconnaissait bien l'esprit des Duport, des d'André et de la plupart des membres du comité de constitution ; c'était en quelque sorte un défi jeté à Robespierre, qui tant de fois s'était éloquemment élevé contre cet inique partage de la nation en citoyens actifs et citoyens inactifs. Au reste, cette profonde atteinte portée à l'égalité, aux principes de la Révolution, n'était pas de nature à disposer favorablement les esprits en faveur des Feuillants. Ceux-ci, que par une assez juste ironie on appelait les amis de la contre-révolution[163], avaient envoyé des lettres circulaires aux quatre-vingt-trois départements. Robespierre proposa aux Jacobins d'agir de même, et d'expédier une adresse à toutes les sociétés affiliées, afin de leur rendre compte des faits et des motifs de la scission. Cet avis ayant été adopté, il fut chargé de rédiger lui-même une adresse dont il donna lecture dans la séance du 1er août. C'était d'abord une narration succincte, mais exacte et complète, des faits antérieurs à l'événement du Champ de Mars. Puis venait un touchant appel à la concorde et à l'oubli. Et après avoir tracé le tableau des réactions dont avait été suivi le massacre : Heureux et mille fois heureux, disait-il, le citoyen paisible qui vit loin du théâtre où règnent les factions ! Heureux celui qui ne soupçonne pas les vils ressorts de l'intrigue ! Nous avons vu la liberté de la presse attaquée ; les citoyens arrêtés, forcés à fuir ; les sociétés populaires et les clubs menacés d'une prochaine destruction ; nous avons cru un instant à la résurrection du despotisme et à la mort de la liberté ; il nous a fallu tout le courage que donne le suffrage d'une conscience pure pour ne pas succomber à notre douleur. Il expliquait ensuite comment des citoyens égarés avaient cru devoir s'éloigner des Jacobins, les présenter comme des factieux, et rappelait les tentatives infructueuses de conciliation faites auprès des Feuillants pour les engager à rentrer dans Je sein de la société mère. Ils nous ont envoyé leurs règlements, poursuivait-il, nous les-aurions acceptés avec joie, s'ils n'avaient pas exclu tous ceux qui ne sont pas citoyens actifs ou fils de citoyens actifs. Pénétrés d'un patriotisme indépendant d'aucune vue particulière, nous n'avons pas voulu nous engager à rejeter les plus fermes appuis de la constitution, la classe la plus honorable de l'humanité, parce qu'elle avait le malheur de ne pouvoir payer une certaine somme d'impôt. Au reste, la majorité du club des Feuillants, disait-il encore, n'était pas hostile ; quelques individus seulement conspiraient contre la liberté et la constitution, mais la plupart des membres scissionnaires restaient aux Feuillants afin de combattre l'influence fâcheuse des véritables factieux. C'était là, on le voit, une porte ouverte à tous ceux qui voudraient revenir aux Jacobins. La lecture de cette adresse avait été, à diverses reprises, interrompue par de bruyants applaudissements[164].

Robespierre avait parlé d'épuration de la société. En effet, dès le 25 juillet, un comité composé de douze membres, parmi lesquels six des députés restés fidèles aux Jacobins, Coroller, Grégoire, Prieur, Pétion, l'abbé Royer et Robespierre, avait été chargé, dans le but de reconstituer la société, de présenter une liste d'où seraient exclues toutes les personnes dont l'hostilité aux principes de la Révolution était notoire. Déjà, à cette époque, un grand nombre des sociétés affiliées des départements s'étaient, malgré les intrigues des Feuillants, ralliées entièrement aux Jacobins. Le mouvement se prononça de plus en plus dans ce sens. Là où se trouvaient Robespierre et Pétion était l'Assemblée nationale, disaient, comme Camille Desmoulins[165], beaucoup de personnes. Le vertueux Robespierre vous reste, s'était écrié à son tour Bonneville, dans une adresse lue aux Jacobins au nom du Cercle social ; laissez partir de votre sein tous ces intrigants que tant de fois nous avons dénoncés à l'opinion publique[166]. Quatre ou cinq sociétés au plus, dans les départements, correspondaient exclusivement avec les Feuillants, dont la plupart des membres se débandèrent bientôt et rentrèrent dans le giron de la société mère.

En même temps plusieurs des victimes de la réaction victorieuse s'adressaient à Robespierre, le priant d'intervenir pour elles auprès de l'Assemblée nationale. Parmi les fugitifs du 17 se trouvait un homme appelé à une renommée bruyante, le boucher Legendre. Il écrivait alors : Une reconnaissance immortelle s'épanche vers Robespierre, toutes les fois qu'on pense à un homme de bien[167]. Ce Legendre, dont nous aurons à raconter les violences, devait être un des plus acharnés proscripteurs de Thermidor.

D'autres dénonçaient à Robespierre les arrestations arbitraires opérées à la suite des scènes du 17 avec une déplorable légèreté, comme s'il avait le pouvoir de remédier à tous les abus[168]. Et telle paraissait déjà être son influence aux yeux des étrangers, qu'un vonkiste du nom de Van-Miest, chassé de Belgique dans les derniers événements dont ce pays avait été le théâtre, lui écrivait de Londres, vers la fin de juin de cette année, pour lui offrir ses services, s'imaginant que les destinées de la Révolution dépendaient entièrement de lui[169].

 

XXIX

Robespierre était l'âme des résistances opposées à cet esprit de réaction dont s'inspiraient les Constitutionnels, Barnave en tête ; et c'était bien parce qu'il était le représentant le plus vrai, le défenseur le plus énergique des principes proclamés au début par l'Assemblée nationale, que la France tournait les yeux vers lui comme vers une sorte d'ancre de salut des libertés publiques. D'après cela, il est aisé de comprendre quelles sourdes colères grondaient dans le cœur de ces Constitutionnels, qui faisaient cause commune pour ainsi dire, à cette heure, avec les Malouet, les Duquesnoy, les Regnault et autres, dont quelques mois auparavant ils étaient les plus acharnés adversaires.

Leur exaspération contre Robespierre se traduisait de toutes les façons ; toutes armes leur étaient bonnes ; livres, brochures, journaux répandaient sur son nom la calomnie à pleins bords, sans parvenir à ébranler sa popularité. On tenta même de lui interdire la tribune. Dans la séance du 23 juillet, Salles, ayant, au nom des comités réunis, reproduit une proposition tendant à l'organisation d'un tribunal spécial pour juger les crimes et délits commis au Champ de Mars, Lanjuinais signala le projet des comités comme destructif de la liberté ; après lui, Robespierre voulut défendre à son tour les principes de la constitution menacés. Mais quand on l'aperçut à la tribune, des cris perçants Aux voix ! aux voix ! se firent entendre. C'était un parti pris de la part de quelques membres du club de 1789 de lui fermer la bouche. A quelque temps de là nous le verrons prendre une éclatante revanche. Toutefois la majorité pure de l'Assemblée ne se laissa pas entraîner ; elle repoussa le projet des comités[170].

Entre ses détracteurs et lui, Robespierre résolut de prendre le pays pour juge, et, dans les premiers jours du mois d'août, il publia une longue lettre adressée au peuple-français, lettre dont nous avons déjà cité quelques extraits. On me force à défendre à la fois mon honneur et ma patrie, disait-il en commençant, je remplirai cette double tâche. Je remercie mes calomniateurs de me l'avoir imposée. Une faction puissante dans l'État, et qui se flattait de dominer l'Assemblée nationale, s'acharnait contre lui ; mais ce n'était pas sa personne qu'on attaquait, c'étaient ses principes et la cause du peuple. Nation souveraine, s'écriait-il, nation digne d'être heureuse et libre, c'est à vous qu'il appartient de juger vos représentants, c'est devant vous que je veux défendre ma cause et la vôtre ; c'est à votre tribunal que j'appelle mes adversaires. En réponse aux accusations de ses ennemis, il offrait ses actes, ses paroles, sa vie entière. Les seuls principes qu'il eût jamais soutenus, c'étaient ceux de la déclaration des droits proclamés par l'Assemblée nationale. Or cette déclaration n'était pas, à ses yeux, une vaine théorie, mais l'ensemble des maximes de justice universelle applicables à tous les peuples. J'ai vu que le moment de fonder sur elles le bonheur de notre patrie était arrivé, et que, s'il nous échappait, la France et l'humanité entière retombaient pour la durée des siècles dans tous les maux et dans tous les vices qui avoient presque partout dégradé l'espèce humaine ; et j'ai juré de mourir plutôt que de cesser un seul instant de les défendre. La morale d'un peuple libre ne pouvait être, selon lui, celle des despotes ; c'est pourquoi il avait repoussé toutes les transactions avec la raison et la vérité, n'appuyant' que les lois puisées aux sources de la justice éternelle, conformes à l'intérêt général, et de nature à assurer la régénération et la félicité du peuple. Il avait craint surtout, et combattu de toutes ses forces, ces ambitieux qui, par toutes sortes de manœuvres et d'intrigues, essayaient de diriger la Révolution vers un but particulier, et sous le masque du civisme, ne tendaient à rien moins qu'à ramener le despotisme ancien, et forceraient bientôt le peuple à reprendre ses chaînes ou à acheter, au prix du sang, la liberté conquise par la seule force de la raison.

Il rappelait alors avec quelle persistance il s'était efforcé de mettre les décrets de l'Assemblée d'accord avec l'égalité 'des droits et la souveraineté nationale ; comment, attaché surtout à la cause des malheureux, il avait réclamé pour tous les Français domiciliés, n'étant ni infâmes ni criminels, la jouissance de tous les droits du citoyen, l'admissibilité à tous les emplois, le droit de pétition, celui de faire partie de la garde nationale. Étaient-ce là des opinions criminelles ou insensées ? quel homme, ayant quelque droiture de cœur ou d'esprit, oserait le prétendre ? Quant à l'accusation de les avoir soutenues pour soulever le peuple, il y répondait par le plus souverain mépris. Le peuple, il l'avait toujours vu modéré, généreux, raisonnable et magnanime dans les grandes circonstances. N'était-ce pas insensé de le rendre solidaire des actes de violence commis par quelques individus dans les temps de troubles ; aussi, en l'entendant calomnier sans cesse par des gens intéressés à le dépouiller et à l'enchaîner, croyait-il à bon droit la liberté en danger ; car, disait-il, il n'en est point sans l'égalité des droits. Partout où l'égalité des droits n'existe pas entre tous les citoyens, elle n'existe plus en aucune manière, et bientôt l'état social ne présente plus qu'une chaîne d'aristocraties qui pèsent les unes sur les autres, où l'homme orgueilleux et vil se fait gloire de ramper aux pieds d'un supérieur pour dominer sur ceux qu'il croit voir au-dessous de lui. On ne lui reprocherait pas, continuait-il, d'avoir sacrifié ses principes au plaisir d'être applaudi dans l'Assemblée nationale ; mais si parfois il avait fait entendre de dures vérités à ses collègues, c'était parce que l'indépendance absolue des représentants de la nation à l'égard du peuple lui paraissait un monstre dans l'ordre moral et politique.

Répondant au reproche dont il avait été souvent l'objet, de chercher à renverser la royauté pour y substituer la république, il déclarait hautement n'avoir point partagé, quanta lui, l'effroi inspiré à toutes les nations libres par le titre de roi. Il ne redoutait même pas l'hérédité des fonctions royales dans une famille, à la condition toutefois que la majesté du peuple ne fût jamais abaissée devant son délégué, et que le monarque n'eût entre les mains ni assez de forces ni assez de trésors pour opprimer la liberté. Telles étaient ses opinions sur cette matière, et il ajoutait, non sans quelque fierté : Elles peuvent n'être que des erreurs, mais à coup sûr ce ne sont point celles des esclaves ni des tyrans. On ne l'en poursuivait pas moins des noms de républicain et de factieux. Si, au nom de la constitution, il s'opposait à quelque motion ministérielle ; s'il essayait d'empêcher les corps administratifs de devenir des instruments aveugles de la cour ; s'il soutenait qu'il était impossible d'accorder à un ministre le droit d'ordonner l'arrestation arbitraire des citoyens sous le vague prétexte de la sûreté de l'État factieux. Si, dans la discussion du projet de loi sur la police correctionnelle, il trouvait exorbitante la peine de deux ans de prison proposée par le comité de constitution contre tout citoyen convaincu d'avoir mal parlé du roi, de sa femme, de sa sœur ou de son fils ; s'il défendait la liberté individuelle, la liberté illimitée de la presse, le droit de pétition. factieux et républicain. Factieux encore s'il témoignait quelque inquiétude sur la résolution prise par l'Assemblée nationale de remettre entre les mains de la cour le trésor public. Factieux et républicain, s'il se refusait à croire aux vertus des créatures ministérielles et à leur ardent amour pour la liberté[171]. Et par qui était-il poursuivi de tant d'invectives ? Par les partisans les plus connus du pouvoir ministériel, par des hommes qui, naguère divisés entre eux, s'accusaient réciproquement, à la face de l'univers, d'être des factieux et des ennemis de la liberté ; qui dans ce temps-là même, sachant très-bien que des factieux ne se dévouent pas, pour la défense des droits de l'humanité, à la haine de tous les hommes puissants et aux fureurs de tous les partis, avoient rendu hautement témoignage à la pureté de notre zèle et à l'ardeur sincère de notre amour pour la patrie. Il désignait ainsi les Lameth, les Barnave et les Duport, si hostiles, au mois de février précédent, au parti La Fayette-Le Chapelier, et qui ne pouvaient lui pardonner de leur avoir fermé l'accès du ministère, de toutes les places à la disposition du pouvoir exécutif, aussi bien que de les avoir privés de la faculté d'être réélus à la prochaine législature. Duport n'avait-il pas exhalé à la tribune tout son fiel, tout son ressentiment contre le décret et ceux qui l'avaient provoqué ? et ne voyait-on pas ces anciens membres du côté gauche de l'Assemblée s'allier avec la minorité de la noblesse, sans doute dans le but d'altérer la constitution ? On saura bientôt combien étaient fondées ces craintes de Robespierre.

Arrivant à la fuite du roi, il montrait ses adversaires lui imputant à crime d'avoir, dans cette affaire, préféré à l'inviolabilité absolue des rois les grands principes de liberté en vertu desquels s'abaissent devant la loi toutes les têtes coupables, demandé que le vœu de la nation fût consulté, et l'accusant presque de rébellion. On lui faisait encore un crime de la faveur populaire, de ces stériles bénédictions du peuple, auxquelles d'autres préfèrent des avantages plus certains, de ces bénédictions achetées au prix des haines et des vengeances de tous les ennemis puissants de l'humanité. Il n'avait pourtant, on le savait, ni prôneurs gagés, ni intrigues, ni parti, ni trésors. Voilà ce que, trois ans après, sans crainte d'être démenti, il put répéter, la veille du 9 Thermidor. Ah ! poursuivait-il, il y a encore une méchanceté profonde à diriger contre un homme un genre d'accusation qui le force à se justifier de choses qui lui sont avantageuses, et à irriter ainsi la haine et l'envie des malveillants ; mais pourquoi ne serais-je pas aussi hardi à me justifier que mes ennemis à me calomnier ? Je prends le ciel à témoin que les preuves de la sensibilité de mes concitoyens n'ont fait que rendre plus cruel pour moi le sentiment des maux que je voyais près de fondre sur eux ; mais sans me piquer de cette fausse modestie qui n'est souvent que l'orgueil des esclaves, je dirai encore que, si c'est un crime d'être estimé du peuple, les citoyens des campagnes et le peuple des villes des quatre-vingt-trois départements sont mes complices ; j'opposerai aux absurdes calomnies de mes accusateurs, non le suffrage de ce peuple qu'ils osent mépriser, mais le suffrage très-imprévu pour moi de plusieurs assemblées électorales, composées, non de citoyens passifs, mais de citoyens actifs, éligibles même, et de plus favorisés de la fortune ; car le caractère de tous les vrais patriotes et de tous les honnêtes gens de toutes les conditions, c'est d'aimer le peuple, et non de haïr et d'outrager ses défenseurs.

Il avait toujours honoré le caractère des représentants de la nation, et parlé avec respect de l'Assemblée en général ; mais pour cela il ne s'était pas interdit le droit de demander, par exemple, le renouvellement de ces comités devenus éternels, et dont le système semblait être de tuer l'esprit public et d'anéantir la constitution. Il voulait obéir aux lois, mais sans cesser d'éclairer ses concitoyens, selon ses faibles lumières, sur les grands intérêts de la société et de l'humanité. Des ambitieux seuls pouvaient tenir à imposer silence à l'opinion ; mais, selon lui, le législateur devait s'attacher avant tout au triomphe de la vérité, -de la raison et de la liberté. Je crois, ajoutait-il, qu'il ne peut ni haïr, ni se venger, qu'il ne peut pas même être offensé. Le salut public ne reposait pas, à ses yeux, sur l'anéantissement de la liberté, sur le renversement des principes fondamentaux de la constitution, mais sur l'union des bons citoyens contre tous les ennemis de la patrie. Je ne crois pas, disait-il encore, que ce soient la vérité, la justice, le courage qui perdent la liberté et les nations, mais l'intrigue, la faiblesse, la sotte crédulité, la corruption, l'oubli des principes et le mépris de l'humanité.

Après avoir, en historien fidèle, tracé l'émouvant tableau des scènes du Champ de Mars, des faits qui les avaient précédées et suivies, et conjuré ses concitoyens de consoler, par une paix à jamais durable, l'humanité consternée de la perte de tant de Français, de ces femmes et de ces enfants dont le sang versé avait rougi des lieux où', l'année précédente, le spectacle du plus pur patriotisme, de l'union la plus touchante avait réjoui tous les cœurs, il racontait par quelles manœuvres les récents partisans de la cour avaient tenté de ternir la réputation des meilleurs patriotes ; comment la société des Amis de la Constitution avait été couverte d'une défaveur momentanée, comment les ] membres du club de 1789, après s'être réunis à elle, le jour même de la fuite du roi, s'en étaient séparés avec éclat pour se retirer aux Feuillants, entraînant avec eux un certain nombre de députés trompés par leurs artifices et leurs calomnies. Pour lui, qui cependant s'était défié de la pétition de Laclos, il avait, ainsi que plusieurs de ses collègues, considéré comme un devoir de défendre contre ses ennemis une société animée de l'amour du bien public. Nous avons cru, disait-il noblement, que le temps de la persécution était celui où nous devions lui rester plus fermement attachés.

Il rappelait ensuite les démarches inutilement tentées dans un but de conciliation par les Jacobins auprès des Feuillants, les dédains affectés de ceux-ci, et l'abandon mérité dont ils étaient l'objet au moment où il écrivait ; il rappelait les arrestations arbitraires et multipliées, l'insistance avec laquelle Barnave avait provoqué les mesures les plus sévères contre les coupables de ce qu'il traitait de sédition ; la proposition d'organiser un tribunal, prévôtal à l'effet d'expédier en dernier ressort toutes les personnes impliquées dans les derniers événements ; la façon indécente, brutale, avec laquelle on l'avait empêché de combattre cet odieux projet de décret, heureusement repoussé par la sagesse de l'Assemblée, et les menaces de procès dirigées contre lui. Eh quoi ! s'écriait-il, serait-il vrai qu'il y eût entre le mois de juillet 1789 et le moment où j'écris un intervalle si immense que les ennemis de la nation eussent pu se livrer à l'espoir de traiter ses défenseurs en criminels ? Eh ! pourquoi ces derniers n'auraient-ils pas mérité de boire la ciguë ? Nous manquerait-il des Critias et des Anitus ? Le philosophe athénien avait-il plus que nous offensé les grands, les pontifes, les sophistes, tous les charlatans politiques ? N'avons-nous pas aussi mai parlé des faux dieux, et cherché à introduire dans Athènes le culte de la vertu, de la justice el de l'égalité ? Ce n'est point de conspirer contre la patrie qui est un crime aujourd'hui, c'est de la chérir avec trop d'ardeur ; et puisque ceux qui ont tramé sa ruine, ceux qui ont porté les armes contre elle, puisqu'enfin tous ceux qui ont constamment juré fidélité à la tyrannie contre la nation et l'humanité sont traités favorablement, il faut bien que les vrais coupables soient ceux qui ont défendu constamment l'autorité souveraine de la nation et les droits inaliénables de l'humanité. Avec de l'or, des libelles, des intrigues et des baïonnettes, que ne peut on pas entreprendre ! Toutes ces armes sont entre les mains de nos ennemis ; et nous, hommes simples, faibles, isolés, nous n'avons pour nous que la justice de notre cause, notre courage, et le vœu des honnêtes gens. Ces motifs de tous les maux présents, il les voyait, non dans les vaines menaces des aristocrates, non dans l'énergie des bons citoyens, ni même dans la fougue de tel ou tel écrivain patriote, non dans les complots de prétendus brigands, non dans les perfidies de la cour, les mouvements des puissances étrangères, ou la grandeur des charges de l'État, mais dans la politique artificieuse des partisans de la cour, dans la cupidité et l'incivisme des fonctionnaires publics, dans les entraves mises à la liberté de la presse, dans les tracasseries suscitées à tous les amis de la Révolution, dans le plan préconçu de rendre la classe laborieuse appelée peuple suspecte aux autres citoyens, dans le concert existant entre l'ennemi du dehors et celui du dedans, et dans la licence effrénée d'un agiotage impudent, qui, du sein même des nouvelles richesses nationales, faisait naître la détresse publique. Pour remédier à tant de maux, il comptait sur la prochaine législature, si les cabales des factions et de la cour ne l'emportaient dans les élections sur l'intérêt public. Il formait le vœu que des ambitieux ne reculassent pas encore la fondation de l'Assemblée nouvelle, et terminait en ces termes : Qu'elle arrive avec des sentiments et des principes dignes de sa mission ; qu'elle renferme dans son sein seulement dix hommes d'un grand caractère, qui sentent tout ce que leur destinée a d'heureux et de sublime, fermement déterminés à sauver la liberté ou à périr avec elle, et la liberté est sauvée[172].

Cette longue adresse aux Français, où la vie politique de Robespierre jusqu'à ce jour était si nettement et si franchement expliquée, eut un succès prodigieux. Bons Parisiens, et vous, Français des quatre-vingt-deux autres départements, disait le journal le plus populaire du temps, lisez l'épître éloquente et vérace de M. Robespierre, lisez-la dans la chaire de vos églises, dans la tribune de vos assemblées, sur le seuil de la maison commune de vos municipalités ; et si vous êtes hors de la bonne voie, elle vous y fera rentrer[173]. Une autre feuille s'exprimait en ces termes : Quand on voit tant de philosophie et de calme dans celui qui se trouve ainsi l'objet de la calomnie, on doit en conclure pour la bonté de la cause qu'il défend[174]. A Nantes, la société des Amis de la Constitution, transportée à la lecture de cette adresse, en vota l'impression à deux mille exemplaires[175]. Immortel défenseur des droits du peuple, écrivait à Robespierre, le 26 août, l'évêque de Bourges, j'ai lu avec enthousiasme votre lettre adressée aux Français[176]. Enfin madame Roland, retournant vers la mi-septembre dans les propriétés de son mari, à la Platière, semait, dans les endroits où elle passait, des exemplaires de cette vigoureuse adresse, comme un excellent texte aux méditations de quelques personnes[177]. En butte aux calomnies des Constitutionnels et de tous les écrivains payés de la cour, Robespierre venait de faire sa confession publique ; et si intime était le rapport entre ses actes et ses paroles qu'il fut impossible de le mettre en contradiction avec lui-même. Cette adresse le grandit encore aux yeux de ses concitoyens ; mais elle eut un autre avantage : elle contribua singulièrement à rabattre l'orgueil de ces Constitutionnels qui, depuis le fatal événement du Champ de Mars, se croyaient maîtres des destinées de la France.

 

XXX

Cependant l'Assemblée nationale touchait au terme de ses travaux. Épuisée par deux ans de luttes incessantes, elle avait bien droit au repos, à ce repos forcé auquel une motion de Robespierre avait condamné tous ses membres. Rien ne prouvait mieux sa lassitude que la dispersion des députés, dont la moitié à peine assistaient maintenant aux séances.

Tous les articles de la constitution avaient été discutés et votés ; restait à les coordonner, et, des diverses parties éparses, à composer un tout homogène : ce fut à quoi tendit le travail de la révision. Nous avons entendu Robespierre exprimer la crainte que les Constitutionnels ne portassent la main sur leur propre ouvrage et ne profitassent de cette révision pour altérer la constitution, la modifier dans un sens tout favorable à la cour ; ses appréhensions se trouvèrent pleinement justifiées. Y eut-il, comme cela parait assez clairement résulter d'une lettre de M. de Gouvernet à Bouillé, entente réelle entre un certain nombre de membres du côté droit et Le Chapelier, Barnave et leurs amis ? cela semble assez probable, à en juger par l'attitude de ces anciens membres de la gauche dans les débats auxquels la révision donna lieu. Barnave était bien changé depuis le retour de Varennes !

Le 5 août, anniversaire du jour où, deux ans auparavant, l'Assemblée avait posé les bases de l'édifice terminé, Thouret donna lecture du projet du comité ; le 8, la discussion commença. Malouet et Duval d'Eprémesnil ayant violemment attaqué, au point de vue royaliste, l'œuvre constitutionnelle, Robespierre se leva pour leur répondre ; mais l'Assemblée, dédaignant d'impuissantes attaques, décida qu'on suivrait dans la discussion l'ordre indiqué par les comités de constitution et de révision[178].

La constitution française est représentative, disaient les comités ; les représentants du peuple sont le Corps législatif et le roi. Cette rédaction fut, de la part de Rœderer et de Robespierre, l'objet d'une longue et vive critique. On se rappelle quelle tempête avait, un jour, soulevée celui-ci en soutenant que le roi n'était pas le représentant, mais bien le commis, le premier fonctionnaire de la nation. Cette fois encore, sans plus de succès, il soutint la même opinion. La souveraineté, suivant lui, était inaliénable de son essence, et il était indispensable d'affirmer cette doctrine. La nation investissait le roi des fonctions de la puissance exécutive, et elle confiait un mandat au Corps législatif ; mais elle ne déléguait pas sa souveraineté, comme cela semblait résulter du projet du comité ; autrement on tomberait dans un despotisme odieux. Le mot inaliénable, omis dans l'article du comité, fut ajouté sur la demande de Robespierre ; mais quant à l'amendement présenté par lui et par Rœderer, et consistant dans la suppression du mot représentant appliqué à la personne du roi, l'Assemblée adopta la question préalable[179].

Funestes devaient être, selon Brissot, les conséquences de cette qualification accordée au roi[180] ; car il pouvait arriver que le chef de l'État, se sentant armé du même pouvoir que le Corps législatif, tentât de le supplanter tout à fait. Mais combien plus fatale était cette inique division du peuple français en citoyens actifs et citoyens passifs ! On n'a pas oublié avec quelle persistance, avec quelle ténacité, Robespierre n'avait cessé d'attaquer les décrets de l'Assemblée qui attachaient l'exercice des droits du citoyen à la contribution du marc d'argent, ou d'un nombre déterminé de journées de travail ; mais chaque fois qu'il avait essayé de démontrer la nécessité de les révoquer, des clameurs avaient étouffé sa voix. Désespérant d'être écouté de ses collègues, il en avait appelé à ses concitoyens,-et dès le mois d'avril de cette année, il avait, dans une longue brochure, développé ses idées sur ce sujet. Invoquant comme point de départ la déclaration des droits, d'après laquelle tous les hommes étaient égaux, et présentant la loi comme devant être l'expression de la volonté générale, il se demandait où était cette égalité, quand une partie seulement des citoyens jouissaient de la faculté d'élire et d'être élus, et comment la loi pouvait être l'expression de la volonté générale quand le plus grand nombre de ceux pour qui elle était faite ne concouraient en aucune manière à sa formation ? Il nous est impossible de donner une analyse complète de ce magnifique discours, et nous le regrettons, tant il étincelle de beautés de premier ordre. En vain invoquait-on le bien accompli, les progrès réalisés : on n'avait rien fait, prétendait Robespierre, tant qu'il restait quelque chose à faire. Il ne voulait pas qu'on fût autorisé à dire des membres de l'Assemblée constituante : Ils pouvaient rendre les hommes heureux et libres, mais ils ne l'ont, pas voulu, ils n'en étaient pas dignes. C'étaient assurément de belles paroles, celles par lesquelles il répondait aux gens qui, confondant l'intérêt particulier avec l'intérêt général, voulaient restreindre aux seuls propriétaires la qualité de citoyen. Mais, dites-vous, le peuple ! des gens qui n'ont rien à perdre, pourront donc, comme nous, exercer tous les droits des citoyens ? Des gens qui n'ont rien à perdre ! que ce langage de l'orgueil en délire est injuste et faux aux yeux de la vérité ! Ces gens dont vous parlez sont apparemment des hommes qui vivent, qui subsistent au sein de la société, sans aucun moyen de vivre et de subsister. Car s'ils sont pourvus de ces moyens-là, ils ont, ce me semble, quelque chose à perdre ou à conserver. Oui, les grossiers habits qui me couvrent, l'humble réduit où j'achète le droit de me retirer et de vivre en paix ; le modique salaire avec lequel je nourris ma femme, mes enfants ; tout cela, je l'avoue, ce ne sont point des terres, des châteaux, des équipages ; tout cela s'appelle rien peut-être pour le luxe et pour l'opulence, mais c'est quelque chose pour l'humanité ; c'est une propriété sacrée, aussi sacrée sans doute que les brillants domaines de la richesse.

Que dis-je ! ma liberté, ma vie, le droit d'obtenir sûreté ou vengeance pour moi et pour ceux qui me sont chers, le droit de repousser l'oppression, celui d'exercer librement toutes les facultés de mon esprit et de mon cœur ; tous ces biens si doux, les premiers de ceux que la nature a départis à l'homme, ne sont-ils pas confiés, comme les vôtres, à la garde des lois ? Et vous dites que je n'ai point d'intérêt à ces lois ; et vous voulez me dépouiller de la part que je dois avoir, comme vous, dans l'administration de la chose publique, et cela par la seule raison que vous êtes plus riches que moi !... Et quel péril n'y avait-il pas à créer un pareil antagonisme entre les pauvres et les riches ? On objectait les dangers de la corruption ; ne trouvait-on pas la vertu aussi bien dans les classes les moins aisées que parmi les plus opulentes ? Puis venait un parallèle entre les gens de rien, qui étaient des hommes de mérite, et les gens comme il faut, qui étaient souvent les plus vils, les plus corrompus de tous les hommes. En prenant la richesse pour mesure des droits des citoyens, on réduisait à l'état d'ilotes les neuf dixièmes de la nation, assimilés véritablement à ces individus notés d'infamie par les tribunaux et à la peine de qui la loi ajoutait celle de la privation des droits civiques. Que de grands hommes, faute de pouvoir payer un marc d'argent de contribution, n'auraient pas été éligibles ! Ainsi le génie et la vertu étaient ravalés en quelque sorte par le législateur au-dessous de l'opulence et du crime. Le despotisme lui-même, en convoquant les états généraux, avait imposé aux citoyens des conditions moins dures. Il était donc urgent de revenir sur ces décrets monstrueux ; de réparer une erreur funeste, sans s'arrêter à la prétendue irrévocabilité des décisions législatives, maxime bonne pour les tyrans, et de décider que désormais tous les Français nés et domiciliés en France jouiraient, sans aucune espèce de condition de cens, de la plénitude et de l'égalité des droits du citoyen[181].

Ce discours est une théorie complète du suffrage universel ; et sur ce vaste projet si digne d'occuper les méditations du philosophe, on n'a jamais mieux dit. Que les libéraux qui, mécontents de la façon dont fonctionne aujourd'hui ce suffrage universel, en attaquent le principe même, relisent attentivement ce magnifique traité, et ils seront convaincus, je le crois, qu'en matière de liberté, il n'y a point deux poids et deux mesures, qu'il n'y a point pour les nations deux manières d'être libres, et que là où une partie du peuple jouit de droits refusés à l'autre la liberté n'est qu'une fiction et un leurre.

Il est aisé de se rendre compte de l'enthousiasme avec lequel ce discours fut accueilli par tous les déshérités politiques, par cette masse de citoyens qui s'en allaient se demandant les uns aux autres : A quoi donc nous sert la Révolution ? Lu dans la séance du 20 avril au club des Cordeliers, il y excita les plus vifs transports. La société en vota l'impression à ses frais, afin de le répandre comme le meilleur manuel du citoyen ; et, dans une sorte de manifeste, elle recommanda à toutes les autres sociétés patriotiques de faire lire dans leurs séances cette production d'un esprit juste et d'une âme pure, et à se bien pénétrer des principes qu'elle contenait, engageant en même temps les pères de famille à les inculquer à leurs enfants[182]. Pour Dieu ! Robespierre, fais révoquer cet abominable décret du. marc d'argent, lui criait d'autre part la société des Indigents Amis de la Constitution, dans une adresse où l'enthousiasme pour lui allait jusqu'à l'idolâtrie[183].

Tant de réclamations ne furent pas sans impressionner les comités de constitution et de révision. Dans la séance du 11 août, Thouret proposa, en leur nom, à l'Assemblée, de révoquer le décret du marc d'argent ; mais en souscrivant à la suppression de cette condition d'éligibilité, et comme s'ils eussent craint de trop accorder, les comités demandaient qu'à l'avenir ceux-là seuls eussent la qualité d'électeurs qui payeraient une contribution égale à la valeur de quarante journées de travail. C'était tomber de Charybde en Scylla. En effet, le peuple était-il vraiment libre de choisir tes représentants quand il n'avait pas le droit de choisir ses intermédiaires ? Voilà ce que ne manqua pas de faire observer Robespierre. A une condition mauvaise, les comités substituaient une condition plus mauvaise et plus onéreuse encore. Reprenant un à un la plupart des arguments de son discours sur le marc d'argent, il fut tour à tour amer, incisif et touchant. Que nous importe, s'écriait-il impétueusement, aux applaudissements de l'extrême gauche et des tribunes, que nous importe qu'il n'y ait plus de noblesse féodale, si vous y substituez une distinction plus réelle, à laquelle vous attachez un droit politique ? Et que m'importe à moi qu'il n'y ait plus d'armoiries, s'il faut que je voie naître une nouvelle classe d'hommes à laquelle je serai exclusivement obligé de donner ma confiance ? N'y avait-il pas là une contradiction de nature à entacher la bonne foi et la loyauté de l'Assemblée ? Puis montrant dans l'indépendance et la probité particulières la garantie de la sincérité des votes, et sans se préoccuper des murmures soulevés par sa rude franchise, il se demandait où était la garantie d'Aristide lorsqu'il subjugua les suffrages de la Grèce entière ? — Ce grand homme, dit-il, qui, après avoir administré les deniers publics de son pays, ne laissa pas de quoi se faire enterrer, n'aurait pas trouvé entrée dans vos assemblées électorales. D'après les principes de vos comités, nous devrions rougir d'avoir élevé une statue à J.-J. Rousseau, parce qu'il ne payait pas le marc d'argent. Apprenez à reconnaître la dignité d'homme dans tout être qui n'est pas noté d'infamie. Il n'est pas vrai qu'il faille être riche pour tenir à son pays ; la loi est faite pour protéger les plus faibles ; n'est-ce pas injuste qu'on leur ôte toute influence dans sa confection ? Sa conclusion, applaudie par un assez grand nombre de ses collègues, on la connaît : il rejetait et le marc d'argent et les nouvelles conditions proposées par les comités : à tout citoyen né et domicilié en France, et non frappé d'une peine infamante appartenait, selon lui, le droit d'élire et d'être élu[184].

La discussion fut excessivement animée. A Robespierre succédèrent Beaumetz et Barnave, dont les rancunes s'exhalèrent en paroles acerbes et pleines d'amertume. Ils parlèrent longtemps en faveur du projet, des comités, sans pouvoir entraîner l'Assemblée ce jour-là ; elle était comme en suspens sous l'impression des paroles de Robespierre ; mais, un peu plus tard, elle décréta que la qualité d'électeur dépendrait d'une certaine quantité de revenus, variant suivant les localités. L'Assemblée législative après le 10 août, effaça ces inégalités injurieuses, et la Convention inscrivit le suffrage universel dans la constitution de 1793 ; mais, comme nous l'avons dit ailleurs, il a fallu arriver jusqu'à nos jours pour la consécration du grand principe de justice dont Robespierre fut le champion éloquent et infatigable.

 

XXXI

Chaque jour c'était un combat à livrer contre les idées rétrogrades dont s'étaient inspirés les membres du comité de révision. Ainsi, ils proposaient à l'Assemblée de donner entrée aux ministres au sein du Corps législatif et de leur permettre de parler sur tous les objets en discussion. C'était là, suivant Robespierre, une infraction grave au principe de la séparation des pouvoirs, un empiétement du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif. Et quels inconvénients n'en résulterait-il pas ! Les ministres n'avaient-ils pas entre les mains, en dehors des ressources de l'éloquence, mille moyens de corruption et d'intrigues, des places à donner, des faveurs à répandre, pour entraîner les délibérations et attenter à la liberté publique ? Il opinait donc pour la question préalable sur cette proposition. Ses paroles, vivement appuyées par Lanjuinais et Pétion, avaient paru impressionner l'Assemblée, et l'on croyait au rejet de l'article, quand, vers la fin de la séance, il passa subrepticement pour ainsi dire, légèrement amendé par Charles Lameth[185].

Attribuant à une surprise le vote de l'Assemblée, Robespierre engagea le soir, aux Jacobins, ses collègues de la gauche à se trouver présents le lendemain à la lecture du procès-verbal, afin de réclamer le rapport de cet article[186] ; mais il ne paraît pas que son appel ait été entendu ; le droit des ministres d'assister aux séances du Corps législatif et d'y prendre la parole demeura consacré par la constitution. Ces résistances de Robespierre aux modifications contre-révolutionnaires proposées par les comités n'étaient pas, on le pense bien, sans amener de violentes récriminations de la part des Constitutionnels. Je vais vous dépopulariser, lui cria un jour Le Chapelier hors de lui[187]. Mais sa popularité était trop enracinée dans le cœur de la nation pour être facilement ébranlée ; et, lui vivant, elle ne devait pas subir d'atteinte. Si parmi ses collègues sa voix était quelquefois impuissante, comme lorsque, dans la séance du 19 août, il demandait compte aux ministres du mauvais état des frontières de l'Est et du Nord, ou lorsqu'un peu plus tard il s'opposait en vain à ce qu'une garde particulière fut donnée au roi, dont la personne, suivant lui, devait rester confiée au patriotisme et à la vigilance des gardes nationales[188], elle franchissait l'enceinte de l'Assemblée et rencontrait au dehors, d'un bout de la France à l'autre, de longs échos d'approbation.

Comment sa parole eut-elle laissé les esprits indifférents dans un pays à qui la liberté récente était d'autant plus chère qu'il avait connu, non par ouï-dire, mais par expérience, toutes les tristesses, toutes les amertumes du despotisme, quand par exemple il venait défendre la liberté de la presse contre les mesures restrictives proposées par les comités ? Dans la séance du 22 août, Thouret ayant soumis à l'Assemblée nationale une loi de répression destinée surtout à protéger les fonctionnaires publics, Robespierre ouvrit le premier la bouche pour attaquer le projet présenté, tout en convenant que l'heure n'était peut-être pas très-favorable pour exposer ses idées complètes sur la liberté de la presse, à cause des abus qui, dans un moment de révolution, en étaient résultés. La liberté de la presse ! Il avait, plus d'une fois déjà, pris la parole en sa faveur à la tribune de l'Assemblée, et l'on connaissait de reste ses idées à cet égard, puisqu'il avait récemment publié sur ce sujet un discours dont le retentissement avait été immense. Il la voulait illimitée ou à peu près, la croyant capable d'amener beaucoup de bien sans pouvoir produire grand mal. On devait se garder, sous prétexte de réprimer les abus, d'anéantir la liberté, disait-il. Ne suffisait-il pas d'avoir prononcé des peines contre les fauteurs de séditions ? Allait-on maintenant opposer l'intérêt des fonctionnaires publics à celui de la patrie ? Caton, cité soixante fois en justice, s'écria-t-il encore, ne fit jamais entendre la moindre plainte, mais les décemvirs firent des lois contre les libelles, parce qu'ils craignaient qu'on ne dévoilât leurs complots. Il fallait donc se borner à poursuivre les écrits provoquant formellement à la désobéissance à la loi, et laisser entièrement libres toutes les opinions ayant pour objet l'intérêt général, afin de ne pas empêcher les écrivains de dénoncer les manœuvres de certains fonctionnaires par .la crainte d'être traduits comme calomniateurs devant les tribunaux. Ce discours fut fort applaudi, il paraît ; et ce jour-là rien ne fut décidé relativement aux fonctionnaires publics[189]. Le soir, aux Jacobins, où quelquefois il lui arrivait de rendre compte des séances de l'Assemblée[190], Robespierre discuta une seconde fois la question. Dans la matinée, songeant à lui sans doute, sur qui les journaux de la réaction avaient à l'envi épuisé toutes les calomnies imaginables, il avait engagé ses collègues à oublier, avant de se prononcer, les petites blessures que la presse pouvait leur avoir faites, de peur que la mémoire ne troublât leur impartialité de juges[191]. Aux Jacobins il disait encore : L'homme vertueux qui s'est dévoué pour la patrie est calomnié, mais aussi la liberté de la presse reste entière, et sans elle point de liberté[192].

La discussion fut reprise, le lendemain, à l'Assemblée nationale, et Robespierre tenta de nouveaux efforts pour sauver cette liberté de la presse qui lui était si chère. La rédaction de l'article des comités était d'une élasticité bien dangereuse : le simple soupçon contre la droiture des intentions des fonctionnaires publics y était érigé en crime. Un membre de la droite, Larochefoucauld, en proposa une autre, en vertu de laquelle tout citoyen avait le droit d'imprimer et de publier son opinion sur tous les actes des fonctionnaires publics ; la calomnie sur leur vie privée pouvait seule être l'objet de poursuites. Robespierre se rallia à ce projet et le défendit avec sa vigueur ordinaire. A Regnault (de Saint-Jean d'Angély), le sommant d'indiquer la corporation dont il était le chef, parce qu'il s'était servi de cette expression nous, il répondait : Quand je dis nous, je parle de ceux que la question intéresse, c'est-à-dire de la généralité des citoyens ; ce sont les droits de la nation que je réclame contre un article qui me paraît les attaquer. Il continua, interrompu souvent, tantôt par des murmures, tantôt par des applaudissements que les Constitutionnels tout-puissants alors ne pouvaient cependant empêcher. Poursuivrait-on un citoyen, demandait-il, si, surprenant un ministre en flagrant délit de négligence dans l'exécution des lois relatives à la défense du royaume, il l'accusait hautement devant le pays ? Celui-là eût sans doute passé pour un calomniateur qui, avant la fuite du roi, eût ^énoncé Bouillé comme nourrissant des projets perfides ; et cependant y avait-il un doute aujourd'hui sur la trahison de ce général dont le faux patriotisme avait été, après l'affaire de Nancy, l'objet d'un tel engouement ? Mais Larochefoucauld et Robespierre eurent beau dire, l'article du comité passa, légèrement amendé par Salles, et la liberté de la presse fut, en partie, sacrifiée à la dignité des fonctionnaires publics[193].

 

XXXII

Le surlendemain surgissait une autre question, celle de la condition des membres de la famille royale dans la constitution nouvelle. Les comités proposaient à l'Assemblée nationale de leur interdire les droits de citoyens actifs, en maintenant pour eux le titre de prince, contrairement aux décrets qui avaient supprimé tous titres de noblesse ; c'était, en définitive, leur enlever des droits auxquels la plupart d'entre eux tenaient assez peu, pour leur laisser une distinction à laquelle ils attachaient beaucoup d'importance. Cependant le duc d'Orléans déclara que, pour sa part, si cette proposition était adoptée, il déposerait sur le bureau du président sa renonciation formelle à ses droits de membre de la dynastie régnante, afin de conserver ceux de citoyen français.

Robespierre demanda, lui, quelle importance il y avait à chercher un titre pour les parents du roi : à l'héritier présomptif de la couronne appartenait celui de prince royal, mais les autres membres de la famille étaient tout simplement les parents du roi. Il ne comprenait pas qu'on pût s'arrêter à de pareilles puérilités. Il y avait donc, d'après les comités, un titre supérieur à celui de citoyen ? L'éclat du trône n'était pas, à ses yeux, dans ces distinctions frivoles dans la conservation des préjugés et des hochets de famille, il était dans le pouvoir légal et constitutionnel. L'Europe, disait-il, sera étonnée d'apprendre qu'à cette époque de sa carrière l'une des délibérations de l'Assemblée à laquelle on ait attaché le plus d'importance a eu pour objet de donner aux parents du roi le titre de princes. Était-ce le moyen d'étouffer les germes de noblesse et de féodalité non encore éteints, que de violer l'égalité des droits et de former dans l'État une caste particulière dont une foule de partisans s'occuperaient de caresser la vanité ? Comment ! s'écriait-il après avoir cherché des exemples en faveur de son opinion dans les pays les plus aristocratiques et énuméré longuement tous les dangers de cette restauration d'une noblesse en France, comment les comités ont-ils osé vous proposer une telle Ici ? Comme à ces mots quelques murmures éclataient, il témoigna aussitôt son étonnement de voir l'Assemblée écouter toujours en silence ces membres des comités, dont les principes actuels étaient si différents de ceux qu'ils avaient professés autrefois, tandis qu'on se permettait d'interrompre sans cesse un membre dont l'attachement à la liberté et aux principes de la constitution n'avait pas varié. Ce reproche était vrai, exprimé d'ailleurs avec une dignité parfaite, on ne put s'empêcher d'applaudir[194].

Suivant Lanjuinais, il s'agissait de savoir si l'on rétablirait la noblesse ou non. Ceci se passait le 26 août. Ce jour-là l'Assemblée décida que les membres de la famille royale ne seraient éligibles à aucune des fonctions dont le peuple avait la nomination. Le lendemain, Desmeuniers, au nom des comités, soumit à la délibération l'article par lequel les membres de la famille royale étaient autorisés à porter le titre de prince. Quelques minutes se passèrent dans le silence ; l'Assemblée semblait indécise au moment de violer elle-même un des principes proclamés par elle. Robespierre se décida à reprendre la parole. De deux choses l'une, dit-il ; ou les titres étaient une chose absolument indifférente, pourquoi alors ne pas les rétablir tous ? ou bien on y attachait quelque importance, comme cela résultait du décret portant suppression de toutes les distinctions honorifiques ; et alors il fallait respecter le principe, de crainte qu'une première violation n'amenât beaucoup d'autres abus. Il termina par ce trait qui, paraît-il, excita dans l'Assemblée un rire général : Si j'entends dire : M. le prince de Condé, M. le prince de Conti, je consens volontiers à entendre dire : M. le duc de Montmorency, M. le prince de Broglie ; rien ne me répugne plus, et je ne m'opposerai pas à ce qu'on dise : M. le comte de Lameth[195]. On sait à quelle résolution assez bizarre s'arrêta l'Assemblée : elle décida que le nom des membres de la famille royale, d'après l'énoncé de l'acte de naissance, serait tout simplement suivi de la dénomination de prince français, sans qu'on pût y joindre aucun nom de terre, croyant éloigner ainsi tout souvenir féodal.

Depuis longtemps déjà était brisée l'amitié qui unissait Robespierre aux Lameth — trois mois peut-être, mais alors les mois étaient des années —. On était loin de l'époque où Charles Lameth, souffrant des suites de sa blessure, recevait, deux fois par jour, la visite de son collègue. On n'ignore pas les causes de cette division : l'un, lutteur fatigué, s'arrêtait en chemin, songeant déjà à remonter vers le passé ; l'autre, immuable, inflexible, poursuivait seul la route âpre et sévère de la justice et du droit, qu'ensemble ils avaient parcourue au début.

La récente épigramme de Robespierre avait rempli d'amertume l'âme de Charles Lameth. Deux jours plus tard celui-ci, de concert avec son frère, fit contre le premier une violente sortie à propos de quelques troubles qui avaient éclaté dans le régiment de Beauce, en garnison à Arras. Ils ne craignirent pas de rejeter sur lui la responsabilité des désordres de l'armée. Aux yeux d'Alexandre Lameth, les trois cents soldats enfermés comme factieux dans la citadelle d'Arras étaient trois cents brigands, et cela parce que, M. de Rochambeau leur ayant interdit de porter sur leurs habits les couleurs patriotiques, ils s'étaient livrés à certains actes d'insubordination. Robespierre eut toutes les peines du monde à obtenir le silence, pour se disculper d'abord, puis pour combattre un projet de décret excessivement sévère, présenté par Chabroud, à l'effet de réprimer toutes les infractions à la discipline militaire. Les armes du raisonnement sont préférables à celles de la calomnie, dit-il en commençant ; il ne faut donc pas se prononcer sur des bruits vagues, accrédités à dessein pour répandre la terreur, mais sur des faits avérés. Or les faits allégués étaient faux, selon lui, ou du moins entachés de beaucoup d'exagération. A ces mots, un député nommé Roussillon l'accusa d'entretenir une correspondance avec l'armée. A cette inculpation, qui n'est qu'une assertion ridicule ou une calomnie atroce, je ne réponds pas, reprit dédaigneusement Robespierre. Était-il juste de s'en rapporter aveuglément aux officiers, dont les frères Lameth étaient les interprètes, et de ne pas interroger au moins les soldats ? Ceux de la garnison d'Arras avaient manqué de respect à leurs chefs ? Mais quels ordres leur avait-on donnés ? l'ordre de renoncer à se parer des couleurs nationales. Du reste, il n'y avait pas eu sédition de leur part, puisque eux-mêmes avaient dénoncé les ennemis de la constitution qui, profitant de leur mécontentement, s'étaient efforcés d'en faire les instruments de leur projet. Ce n'était donc pas, disait Robespierre en terminant, le cas de présenter une loi peu propre à concilier les choses ; et il demanda, mais-en vain, la question préalable sur le projet de décret de Chabroud, que l'Assemblée adopta après une courte discussion, et sans prendre la précaution de bien éclaircir les faits[196].

 

XXXIII

Retournons pour un instant aux Jacobins, où là du moins Robespierre était écouté avec une religieuse attention. Deux fois, dans le cours de ce mois d'août, il avait été appelé à présider la société, en l'absence de Pétion, président en titre. Il occupait le fauteuil quand, le vendredi 12 août, les délégués de la société des Amis de la Constitution de Strasbourg vinrent jurer de rester éternellement attachés à leur mère, à cette société qui renfermait dans son sein les Robespierre, les Pétion, les Buzot, les Grégoire. Placés à la porte du pays, les habitants de Strasbourg étaient mieux que d'autres à même de juger les intrigues auxquelles se livraient les émigrés et les royalistes restés à l'intérieur, et leur adresse aux Jacobins témoignait, de leur part, des craintes et des inquiétudes sérieuses. Pressentant déjà les jours sombres, Robespierre, en complimentant, à titre de président, les délégués sur le patriotisme de leurs concitoyens, les encouragea dans leur dessein de déjouer les complots de tous les ennemis de la liberté, leur promettant de préférer, comme eux, la mort au retour de la servitude et d'essayer au moins de sauver la patrie en mourant[197].

Quelques jours plus tard, le 21 août, honteux en quelque sorte des avances faites par les Jacobins à la société dissidente, aux Feuillants, il s'opposait vivement à ce qu'on leur envoyât une nouvelle lettre d'invitation à rentrer dan le sein de la société mère[198]. Une fallait, disait-il, ni avoir l'air de tenir à eux ni les presser ; tous finiraient par revenir, comme beaucoup déjà étaient revenus. Tous, c'était peu probable, et Robespierre ne comptait guère que les Lameth, les Duport, les Barnave, rentreraient dans une société où leur influence était à jamais effacée par la sienne. Entre eux et lui, il savait bien la scission irrévocable ; trop cuisantes étaient les blessures de leur amour-propre. Un certain nombre de membres de la gauche, subissant leur ascendant, persistaient à demeurer avec eux aux Feuillants ; une .nouvelle démarche ayant été tentée auprès des dissidents, malgré l'avis de Maximilien, ils s'obstinèrent dans leur refus. Mais l'insuccès de leurs avances près des sociétés affiliées put leur donner la mesure de leur peu d'influence dans le pays, les édifier sur leur impuissance ; et l'heure n'était pas éloignée où, en pleine Assemblée nationale, Robespierre allait, de quelques mots, assommer le Feuillantisme.

Le 31 août fut le dernier jour où l'on s'occupa de la rédaction de l'acte constitutionnel. On y prononça un nom destiné à acquérir une terrible et prodigieuse notoriété, celui de Convention nationale. Ce fut sur la proposition de Frochot qu'on agita la question de savoir si, lorsque la nation témoignerait le désir de voir la constitution remaniée dans quelques-unes de ses parties, on convoquerait une convention nationale. Divers amendements se produisirent, modifiant plus ou moins le projet de l'ami de Mirabeau. Nous n'avons pas à nous en occuper. Robespierre était également d'avis de laisser au peuple le moyen de changer sa constitution, sans recourir à l'insurrection ; mais une convention n'était pas seulement, à ses yeux, destinée à réformer la constitution, elle devait avoir aussi pour mission d'examiner si le Corps législatif, à côté duquel elle exercerait son mandat, n avait pas outrepassé ses pouvoirs, car ce tyran ne voulait pas plus du despotisme des assemblées que du despotisme de l'État. Aussi aurait-il désiré que la convocation des assemblées nationales ne fût pas subordonnée au bon vouloir du Corps législatif[199]. Au reste, tout en adoptant le principe de la révision, l'Assemblée nationale décida que la législature ferait elle-même l'office de Convention, dont le nom ne fut même pas inscrit dans la constitution, et que la nation, à cet égard, suspendrait pendant trente ans l'exercice de son droit. 0 fragilité des décisions humaines !

Cependant l'acte constitutionnel était terminé. Dans la séance du 1er septembre, Beaumetz, au nom des comités, proposa à l'Assemblée un projet de décret en trois articles, portant en substance qu'une députation serait nommée pour présenter la constitution au roi, lequel serait prié de donner, suivant sa convenance, les ordres pour la garde et la sûreté de sa personne, et d'indiquer le jour où, devant l'Assemblée nationale, il accepterait la royauté constitutionnelle et s'engagerait à en remplir fidèlement les fonctions. Fréteau voulait qu'on allât aux voix immédiatement sur la proposition du comité, sans entrer dans aucune discussion ; mais Lanjuinais réclama, au nom de la dignité nationale. Délibérons froidement, dit-il, et que celui qui a demandé la parole la prenne[200].

Déjà Robespierre était à la tribune. Quelle belle occasion, en se portant garant du pacte social, de flétrir implicitement ce parti des Constitutionnels dont le patriotisme avait si subitement changé de masque, dont les opinions libérales s'étaient si étrangement modifiées depuis quelques mois. Il ne la laissa point échapper. Impassible comme le droit, persuasif comme la vérité, il commença en ces termes : Nous sommes donc enfin arrivés à la fin de notre longue et pénible carrière. Il ne nous reste plus qu'un devoir à remplir envers notre pays : c'est de lui garantir la stabilité de la constitution que nous lui présentons. Pour qu'elle existe, il ne faut qu'une seule condition, c'est que la nation le veuille. Nul homme n'a le droit ni d'arrêter le cours de ses destinées ni de contredire la volonté suprême. Louis XVI accepterait la constitution, dont le sort était d'ailleurs indépendant de sa volonté ; il l'accepterait même avec transport, pensait Robespierre, car, en définitive, le pouvoir exécutif lui était assuré comme un patrimoine ; il pouvait suspendre à son gré, au moyen du veto, les opérations de plusieurs assemblées ; il avait la main haute sur tous les corps administratifs ; l'armée était à sa disposition, et le trésor public, grossi de tous les domaines nationaux, était pour ainsi dire entre ses mains. Arrêté ici par de violents murmures : Ce ne sont pas là des calomnies, c'est la constitution elle-même, reprit-il. Et lorsque tant d'avantages avaient été accordés au roi pour lui rendre cette constitution agréable, pouvait-on supposer qu'il hésiterait un instant à l'accepter ? Pourquoi donc présenter comme un problème la manière dont elle serait soumise à son acceptation ? Ne suffisait-il pas des plus simples notions de la prudence et du bon sens ? La nation offrait à Louis XVI le trône le plus puissant de l'univers ; le titre, c'était l'acte constitutionnel ; la réponse du roi, immédiate, devait consister dans ces simples mots : Je veux ou je ne veux pas. Lui ferait-on violence pour le forcer à être roi ou le punir de ne vouloir pas l'être ? Ce n'était pas à supposer. Mais il fallait enfin rassurer le pays sur le sort de la constitution, calmer les alarmes dont témoignaient les adresses envoyées de toutes parts ; se prémunir contre tous les pièges, toutes les intrigues dont on ne cessait d'être obsédé dans un moment de révolution ; il fallait déconcerter tous les complots et ôter à tout jamais aux ennemis de la constitution l'espérance de l'entamer encore une fois. Après tant de changements obtenus, c'est bien le moins, dit-il, qu'on nous assure la possession des débris qui nous restent de nos premiers décrets. Si on peut attaquer encore notre constitution après qu'elle a été arrêtée deux fois, que nous reste-t-il à faire ? reprendre ou nos fers ou nos armes. A ces paroles éclata une véritable tempête, et aux cris furieux des Constitutionnels répondirent les applaudissements de l'extrême gauche.

En ce moment on vit Duport se diriger vers la tribune, l'œil plein de colère, menaçant du geste l'orateur, et s'oubliant jusqu'à l'injurier. Je vous prie de dire à M. Duport de ne pas m'insulter s'il veut rester auprès de moi, dit simplement Robespierre au président[201]. De nouveaux applaudissements partirent des bancs de la gauche et des tribunes. Sans se déconcerter et d'un ton méprisant : Je ne présume pas qu'il existe dans cette assemblée un homme assez lâche pour transiger avec la cour sur aucun article de notre code constitutionnel, assez perfide pour faire proposer par elle des changements nouveaux que la pudeur ne lui permettrait pas de proposer lui-même, assez ennemi de la patrie pour chercher à décréditer la constitution parce qu'elle mettrait quelque borne à son ambition ou à sa cupidité, assez impudent pour avouer aux yeux de la nation qu'il n'a cherché dans la Révolution qu'un moyen de s'agrandir et de s'élever ; car je ne veux regarder certain écrit et certain discours qui pourraient présenter ce sens que comme l'explosion passagère du dépit déjà expié par le repentir. A cette foudroyante apostrophe, tous les regards se portèrent vers le côté des Duport, des Lameth, des Barnave, qui, muets, semblaient anéantis sous ces paroles brûlantes. Cependant toute une partie de la gauche et les tribunes applaudissaient à outrance, tandis que la droite se pâmait de rire, ne pouvant contenir sa joie de cette exécution des Constitutionnels.

Nous du moins, reprit Robespierre, nous ne serons ni assez stupides ni assez indifférents à la chose publique pour consentir à être les jouets éternels de l'intrigue, pour renverser successivement les différentes parties de notre ouvrage au gré de quelques ambitieux, jusqu'à ce qu'ils nous aient dit : Le voilà tel qu'il nous convient. Nous avons été envoyés pour défendre les droits de la nation, non pour élever la fortune de quelques individus ; pour renverser la dernière digue qui reste encore à la corruption, non pour favoriser la coalition des intrigants avec la cour, et leur assurer nous-mêmes le prix de leur complaisance et de leur trahison. Je demande que chacun de nous jure qu'il ne consentira jamais à composer avec le pouvoir exécutif sur sur aucun article de la constitution, et que quiconque osera faire une semblable proposition soit déclaré traître à la patrie[202].

Ce discours fut suivi de plusieurs salves d'applaudissements. Le soir, aux Jacobins, sur la proposition d'un de ses membres, la société arrêta qu'elle ferait imprimer à ses frais le discours prononcé dans la matinée par Robespierre. C'était la consécration de sa victoire sur les Constitutionnels. Il parla longtemps ensuite, et avec beaucoup de succès, paraît-il, sur le droit de grâce[203]. L'exercice de ce droit avait été enlevé au roi par un décret et transporté aux jurés, qui devaient l'exercer d'après des formes prescrites. Le surlendemain, Robespierre et Lanjuinais demandèrent à l'Assemblée nationale de vouloir bien faire de ce-décret un article de la constitution, afin qu'il ne pût être arbitrairement révoqué[204]. Mais l'Assemblée passa à l'ordre du jour, ne voulant pas si solennellement priver la royauté d'une de ses plus nobles prérogatives, et que sans inconvénients, il nous semble, on aurait pu lui laisser. On sait comment, portée au roi par une députation de soixante membres, dans la journée du 3 septembre, la constitution fut acceptée par lui le 13 ; en quels termes il notifia son acceptation, et comment, le lendemain, il vint au sein même de l'Assemblée prêter serment de fidélité à la nation et à la loi. Ce jour-là, un peu avant son arrivée, le président rappela à l'Assemblée le décret qui interdisait à tous ses membres de prendre la parole en présence du roi, et lui recommanda de se tenir assise pendant que Louis XVI prêterait son serment. Malouet réclama ; c'était, selon lui, manquer de respect à la dignité royale. Est-il vrai qu'alors une voix railleuse demanda pour Malouet, et quiconque en aurait envie, la permission de recevoir le roi à genoux ? C'est du moins ce que raconte un homme qui a fait commerce de prétendus souvenirs de la Terreur, à l'usage de tous les ennemis de la Révolution et de tous les gens crédules[205]. Venant de telle source, les faits, quand ils ne se trouvent pas corroborés par des assertions plus véridiques, ne sauraient être acceptés légèrement ; c'est pourquoi nous mentionnons celui-ci sous toutes réserves.

On observa du reste à peu près le même cérémonial qu'à l'ouverture des états généraux, quand, à l'exemple des députés de la noblesse, et au grand scandale de cet ordre, les membres des communes se couvrirent devant le roi. Louis XVI parut ; toute l'assemblée se leva à son aspect, puis se rassit, couverte, lorsqu'il eut prononcé les premiers mots de son serment. Les rôles étaient bien changés ; ét, à ce spectacle, ii était aisé de reconnaître que désormais le seul souverain c'était la nation.

 

XXXIV

Les travaux de l'Assemblée constituante touchaient à leur fin ; son mandat expirait, elle avait donné une constitution à la France. Les derniers jours furent employés en discussions d'importance relativement secondaire sur l'administration, les finances, les colonies. Là encore Robespierre combattit héroïquement en faveur des principes, infatigable jusqu'au bout.

On n'a pas oublié la lutte animée à laquelle avait donné lieu, au mois de mai précédent, le décret rendu en faveur des hommes de couleur, avec quelle chaleur il avait parlé pour eux et pour les esclaves, tandis que Barnave et les Lameth soutenaient les prétendus droits des colons. Le comité colonial, hostile au décret, avait mis à son application toutes les entraves possibles. La lutte se raviva, plus acharnée, dans le courant du mois de septembre, à propos d'une pétition adressée par la ville de Brest à l'Assemblée nationale, et par laquelle on se plaignait du retard apporté à l'exécution de la loi. Cette pétition étant restée -sans effet, les habitants de la ville de Brest, unis par d'intimes liens aux colonies, s'étaient décidés à envoyer à Paris une députation qui se présenta à la barre de l'Assemblée dans la séance du 5 septembre au soir. Aux paroles très-convenables de l'orateur réclamant un prompt rapport sur la pétition des citoyens de Brest, Alexandre Lameth répondit par un discours d'une excessive violence. Après avoir commencé par malmener les pétitionnaires, il s'emporta d'une façon assez indécente contre ceux des membres de l'Assemblée qui avaient soutenu le décret du 15 mai, auquel il attribua les désordres dont les colonies -étaient le théâtre, quand, au contraire, il était certain que les troubles venaient surtout de la non-exécution de ce décret conciliateur et parfaitement juste.

Ainsi personnellement mis en cause, Robespierre s'élança à la tribune, et, après avoir fait sentir la haute inconvenance de la conduite de Lameth à l'égard des pétitionnaires et de quelques-uns de ses collègues, il s'écria, retournant l'accusation : S'il est quelques individus, s'il est quelque section de l'Assemblée qui puisse imposer silence à quelques membres de l'Assemblée lorsqu'il est question des intérêts -qui les touchent de près, je vous dirai, moi, que les traîtres à la patrie sont ceux qui cherchent à vous faire révoquer votre décret ; et si, pour avoir le droit de se faire entendre dans cette assemblée, il faut attaquer les individus, je vous déclare, moi, que j'attaque personnellement M. Barnave et MM. Lameth[206]. A ces mots se produisit dans l'Assemblée une violente agitation. D'une part retentirent des applaudissements prolongés, de l'autre on entendit des voix étouffées criant : A l'Abbaye, à l'Abbaye, M. Robespierre. Lui, calme au milieu de l'orage, reprit, quand le tumulte se fut apaisé : Je défends des citoyens patriotes, et je fais quelques réflexions sur des membres de cette assemblée coupables, à mes yeux, de n'avoir pas concouru de toutes leurs forces à l'exécution de vos décrets. La décision de l'Assemblée, fondée sur les principes de la saine politique, de l'équité et de la justice, était rationnelle et sage, poursuivait-il ; et si elle avait été exécutée loyalement, tout aurait été apaisé. Il fallait donc examiner d'un œil sévère la conduite de ceux qui avaient contribué à ralentir les mesures d'exécution du décret, et puisque les membres du comité colonial se plaignaient d'avoir été inculpés par lui, il priait l'Assemblée de lui permettre, à un jour fixé par elle, d'exposer les motifs de son opinion à leur égard.

Barnave, un des coryphées des partisans de l'esclavage dans l'Assemblée, répondit aigrement. Les désordres coloniaux, il les attribuait à une cabale, et les auteurs de cette cabale étaient sans doute, à ses yeux, les Buzot, les Grégoire, les Robespierre, tous ceux qui réclamaient au nom du droit et de la justice la participation des hommes de couleur à tous les droits de citoyen et l'abolition immédiate de l'esclavage. Il ne faut pas, disait-il, que les honnêtes gens soient dupes d'une cabale. Il ne faut pas non plus qu'ils soient dupes des traîtres, lui répondit rudement Robespierre. Il n'y a souvent qu'un pas de la complaisance à la trahison ; or nos lecteurs ne sont pas sans connaître les rapports qui existaient à cette époque entre Barnave et la cour. Cette fois l'Assemblée passa à l'ordre du jour[207], mais la question des colonies ne tarda pas à se représenter devant elle.

Dans la séance du 23 septembre, Barnave fit un long rapport insidieux où les faits étaient peints sous les couleurs les plus fausses. Rien d'hypocrite comme ce discours. L'orateur invoquait bien, pour demander l'abrogation du décret libéral du 15 mai, des pétitions adressées à l'Assemblée nationale, mais seulement celles des colons ; quant aux réclamations formulées au nom des hommes de couleur et des nègres, il ne s'en occupait guère. Ce rapport, suivi d'un projet de décret tout à l'avantage des colons blancs, et où toutes les notions du juste et de l'injuste étaient bouleversées, ne pouvait manquer d'amener Robespierre à la tribune. Il venait défendre, dit-il, un des décrets qui, au jugement de la nation, avaient le plus honoré l'Assemblée nationale. On l'attaquait, en foulant aux pieds tous les principes de l'humanité d'après des faits recueillis par des parties intéressées ; il opposait à ces attaques tous les sentiments de justice et de philosophie méconnus. Toutes les raisons alléguées contre le décret n'avaient-elles pas été prévues et discutées ? En accordant aux hommes de couleur les mêmes droits qu'aux blancs, on craignait que les nègres ne s'aperçussent à leur tour qu'entre eux et les blancs n'existait pas cette distance énorme sur laquelle était, disait-on, fondée leur obéissance ! Quel pitoyable argument ! En prenant une sorte d'engagement de ménager les intérêts des colons, s'était-on engagé aussi à dépouiller les hommes de couleur de leurs droits de citoyens actifs ? N'avait-on pas formellement déclaré, au contraire, qu'ils étaient implicitement compris dans le décret du 28 mars, qui réglait la condition des hommes libres aux colonies, et qui avait été précisément présenté par l'auteur même du nouveau rapport dont il combattait aujourd'hui les conclusions. Barnave, ayant nié le fait, s'attira de la part de Grégoire un démenti énergique, auquel il répondit en balbutiant une explication banale.

Comment, continuait Robespierre après cet incident, pouvait-on, de bonne foi, attribuer au décret du 15 mai les désordres des colonies, puisqu'il n'était pas encore exécuté, puisqu'il n'avait même pas été envoyé ? Des intrigues, dont étaient complices plusieurs membres du comité colonial, avaient causé tout le mal, et il ne venait pas d'une loi sage, réparatrice, nécessaire. N'avait-on pas, d'ailleurs, laissé pressentir à l'Assemblée qu'on provoquerait l'insurrection des blancs contre l'autorité législative ? Abjurerait-on aujourd'hui par légèreté ou par faiblesse les grands principes proclamés dans le décret du 15 mai ? Oublierez-vous, dit-il, que c'est la faiblesse et la lâcheté qui perdent les États et les gouvernements, et que c'est le courage et la constance qui les conservent ? Avait-on prouvé un seul des faits dénoncés ? Et de quelle source venaient-ils ? Après avoir réfuté un à un tous les arguments présentés par Barnave, opposé aux pétitions invoquées par lui celles des villes de Rennes, de Brest et de Bordeaux, il demandait si, pour satisfaire l'égoïsme d'une certaine classe de colons, l'Assemblée reviendrait sur un de ses meilleurs décrets, et poursuivait en ces termes : Qu'il me soit permis de vous dire, quelque haine qui puisse exister contre moi, que le courage gratuit que j'ai montré à défendre la justice, l'humanité et les intérêts sacrés d'une partie de citoyens que nous devons protéger en Amérique, puisque nous nous occupons de leur sort, ne m'abandonnera pas ; qu'il me soit permis de remettre sous vos yeux quel spectacle nous a présenté l'affaire des colonies depuis qu'il en a été question parmi nous. Rappelez-vous les dispositions particulières toujours présentées à l'improviste. Jamais aucun plan général qui vous permît d'embrasser d'un coup d'œil et le but où l'on voulait vous conduire et les chemins par lesquels on voulait vous y faire parvenir. Rappelez-vous toutes ces délibérations où, après avoir remporté l'avantage auquel on semblait d'abord borner tous ses vœux, on s'en faisait un titre pour en obtenir de nouveaux ; où, en vous conduisant toujours de récits en récits, d'épisodes en épisodes, de terreurs en terreurs, on gagnait toujours quelque chose sur vos principes et sur l'intérêt national, jusqu'à ce qu'enfin, échouant contre un écueil, on s'est bien promis de réparer son naufrage.

Comment ! on allait arracher à ces hommes des droits qu'on leur avait formellement reconnus ! On allait les replonger dans la misère et dans l'avilissement, les remettre aux pieds de maîtres impérieux dont on les avait aidés à secouer le joug ! Étaient-ce donc des biens de peu d'importance que ceux dont on prétendait les priver ? Comment ! les intérêts les plus sacrés, le droit de concourir à la nomination de magistrats auxquels on confie sa fortune et son honneur, celui de concourir à la formation de la loi en nommant le législateur ; tout cela, ce n'était rien ! Ah ! s'écriait-il en terminant, que l'on pense ainsi lorsqu'on regarde la liberté comme le superflu dont le peuple français peut se passer, pourvu qu'on lui laisse la tranquillité et du pain ; que l'on raisonne ainsi avec de tels principes, je ne m'en étonne pas. Mais moi, dont la liberté sera l'idole, moi qui ne connais ni bonheur, ni prospérité, ni moralité pour les hommes ni pour les nations sans liberté, je déclare que j'abhorre de pareils systèmes et que je réclame votre justice, l'humanité, la justice et l'intérêt national en faveur des hommes libres de couleur[208].

Fréquemment interrompu par de chaleureux applaudissements, ce discours véritablement superbe de Robespierre ne put cependant empêcher l'Assemblée de se déjuger et de commettre un acte d'iniquité révoltant. Quelle triste fin d'une si belle carrière ! Barnave triompha ; le sort des hommes de couleur et des nègres fut abandonné aux assemblées coloniales ; mais, loin d'apaiser les colonies, l'inique décret présenté par lui y excita de nouvelles fureurs, et pour longtemps elles devaient rester en proie à toutes les horreurs de la guerre, civile. En Robespierre furent vaincus, ce jour-là, le droit, la justice, l'humanité ! Quand vint l'heure de la réparation, se rappela-t-on ses magnifiques efforts pour le triomphe de la bonne cause ? Hélas ! la reconnaissance n'est guère la vertu des hommes.

 

XXXV

Quelques jours auparavant on l'avait entendu défendre avec vivacité la dignité des assemblées électorales contre les théories des membres du comité de constitution, Le Chapelier et d'André entre autres. Voici à quelle occasion : un huissier nommé Damiens, porteur d'un décret de prise de corps contre Danton, s'était permis, afin de mettre à exécution ce décret, de pénétrer dans l'enceinte où les électeurs de Paris procédaient aux élections législatives. Voyant dans ce fait une atteinte à la liberté électorale, l'Assemblée avait ordonné l'arrestation de l'huissier, lequel avait été immédiatement conduit à l'Abbaye. Saisis de l'affaire, les membres de l'Assemblée constituante eurent quelque peine à se mettre d'accord (17 septembre). Les uns, comme Le Chapelier et d'André, voulaient qu'on blâmât hautement la conduite du corps électoral ; les autres, comme Reubell, Robespierre et même Malouet, invoquant le respect dû à la liberté des élections, soutenaient qu'il était impossible d'inculper l'assemblée électorale, dont l'enceinte avait été violée par un huissier. On ne pouvait se dissimuler, disait Robespierre, l'intention perfide d'insulter le corps électoral. Eh bien ! il fallait préserver de toute atteinte les représentants du peuple chargés d'élire en son nom, au moment où ils étaient dans l'exercice de leur ministère. Voilà, selon lui, ce qu'il y avait à prendre en considération, si l'on trouvait quelque irrégularité de forme dans la conduite de l'assemblée électorale. Improuvant donc toute proposition de blâme à l'égard des électeurs de Paris, il demandait, lui, une loi destinée à protéger désormais contre tous huissiers et exécuteurs d'ordres le lieu où les assemblées électorales tenaient leurs séances ; ce devait être une sorte de lieu sacré ! Accueillie, comme presque toujours, par les applaudissements des tribunes et d'une partie de la gauche, son opinion ne prévalut pas cependant ; l'Assemblée adopta celle de son comité, légèrement amendée par Lanjuinais[209].

Une douzaine de jours après (le 29 septembre), Robespierre livrait une dernière bataille aux membres du comité de constitution, à propos d'un projet de loi conçu en termes d'un vague redoutable contre les sociétés populaires, auxquelles la Révolution avait dû cependant en partie sa force et son triomphe. Du long rapport dont Le Chapelier donna lecture, et qui devait être joint au décret comme instruction, il résultait que l'intention évidente du comité avait été, non pas seulement d'empêcher les sociétés patriotiques d'usurper les pouvoirs constitués, et de procéder par voies de pétitions collectives, — des décrets antérieurs le leur interdisaient formellement, — mais de s'opposer à ce que ces sociétés populaires pussent s'affilier, se communiquer librement leurs pensées. Cela ressort clairement du discours de Le Chapelier, et d'André commit un mensonge quand il osa soutenir le contraire. C'était là, selon Robespierre, un attentat à la constitution, qui garantissait aux Français le droit de s'assembler paisiblement et sans armes et de se communiquer librement leurs pensées à la condition de ne point faire de tort à .autrui. Il combattit donc avec une vigueur extrême le projet de décret et l'instruction du comité. Comment si, ainsi qu'on le prétendait, on restait fidèle aux principes constitutionnels, pouvait-on défendre aux sociétés patriotiques de correspondre entre elles et de s'affilier ? L'affiliation était-elle autre chose que la relation d'une société existant légitimement avec une autre société ayant également une existence légitime ? Y avait-il là le moindre danger pour la sécurité publique ? On n'avait pas, il est vrai, ménagé l'éloge aux sociétés des Amis de la Constitution, mais c'était sans doute pour avoir le droit d'en dire beaucoup de mal et d'alléguer contre elles des faits calomnieux. On avait bien été obligé d'avouer les services rendus par elles à la liberté et à la nation depuis le commencement de la Révolution ; mais on n'en avait plus besoin, on jugeait la Révolution terminée, et l'on voulait briser l'instrument dont on s'était si bien servi. Ah ! pour moi, s'écria-t-il alors, avec un accent tristement prophétique, quand je vois, d'un côté, que la constitution naissante a encore des ennemis intérieurs et extérieurs ; quand je vois que les discours et les signes extérieurs sont changés, mais que les actions sont toujours les mêmes, et que les cœurs ne peuvent avoir été changés que par un miracle ; quand je vois l'intrigue, la fausseté, donner en même temps l'alarme, semer les troubles et la discorde ; lorsque je vois les chefs des factions opposées combattre moins pour la cause de la Révolution que pour envahir le pouvoir de dominer sous le nom du monarque ; lorsque, d'un autre côté, je vois le zèle exagéré avec lequel ils prescrivent l'obéissance aveugle, en même temps qu'ils proscrivent jusqu'au mot de liberté ; que je vois les moyens extraordinaires qu'ils emploient pour tuer l'esprit public en ressuscitant les préjugés, la légèreté, l'idolâtrie, je ne crois pas que la Révolution soit finie.

Au reste, il ne se le dissimulait pas, le comité, à force de petits moyens, de sophismes, de calomnies, avait pu rallier à son projet tous les méchants et tous les sots, tous les hommes corrompus intéressés à prévariquer impunément, et qui redoutaient la surveillance de leurs concitoyens, comme les brigands la lumière. On voulait ôter à la corruption son frein le plus puissant. Les ambitieux, les conspirateurs, les intrigants savaient bien éluder la loi, s'assembler, correspondre entre eux, et, débarrassés de la surveillance gênante des sociétés libres, ils pourraient peut-être élever leur ambition personnelle sur les ruines de la patrie. Mais non, l'Assemblée ne voudrait pas s'associer à des projets pervers ; il la conjurait de se souvenir de, ces hommes recommandables par leurs lumières et leurs talents qui, au sein de ces sociétés, se préparaient d'avance à combattre dans l'Assemblée nationale même la ligue des ennemis de la Révolution, et surtout de ne pas perdre de vue que les auteurs du décret actuel ne cherchaient à anéantir en quelque sorte les sociétés des Amis de la Constitution que parce qu'ils y avaient perdu l'influence dont ils jouissaient jadis, alors qu'ils semblaient eux-mêmes animés des intentions les plus pures et d'un ardent amour de la liberté. Que si quelques sociétés s'étaient écartées des règles prescrites par la loi, eh bien ! la loi était là pour réprimer des écarts particuliers, mais, disait-il en terminant et en demandant la question préalable sur la proposition du comité, il fallait bien se garder de sacrifier les principes de la constitution aux intérêts de quelques individus ambitieux et dévorés de passions.

Frappés ainsi en pleine poitrine, les membres du comité répondirent par la bouche de d'André, qui, dans un discours haineux et perfide, essaya de tromper l'Assemblée nationale sur la portée du décret. Comme nous l'avons dit, ce projet était conçu en termes vagues, tout était dans l'instruction ; les membres du comité avaient combiné cela avec un machiavélisme étonnant. Mais l'Assemblée ne s'y trompa point. Éclairée par l'ardente philippique de Robespierre, lequel, suivant l'expression d'un journal du temps, fit avorter le complot[210], elle adopta bien les trois premiers articles du projet, qui n'étaient que la répétition de lois antérieures sur les clubs, et rejeta l'article k, auquel tenaient essentiellement les membres du comité. Cet article, en effet, portait que le rapport de Le Chapelier serait imprimé et joint à la loi comme instruction[211].

Robespierre, on le voit, achevait glorieusement son mandat, car on était à la veille de la fermeture de l'Assemblée nationale, et il semblait qu'il eût tenu à ce que les dernières paroles prononcées par lui dans cette enceinte, où depuis plus de deux ans il avait si vaillamment combattu en faveur de la Révolution, fussent encore un hommage rendu à la liberté.

 

XXXVI

Après vingt-huit mois de travaux incessants, de luttes, de fatigues, l'Assemblée constituante avait bien droit aux repos. Le lendemain, vendredi 30 septembre, était le dernier jour de sa laborieuse existence. Robespierre parla encore au sujet d'une modification capitale que Le Chapelier s'était permis de faire au décret rendu la veille. L'Assemblée avait voulu interdire aux sociétés patriotiques toute action sur les autorités constituées, mais non pas leur enlever le droit de surveillance. Or au mot action Le Chapelier avait subrepticement substitué le mot inspection. Grégoire dénonça vivement la supercherie ; et Robespierre : Sans doute les sociétés patriotiques ne peuvent contrarier les actes des autorités constituées ; elles doivent y obéir, s'y soumettre, l'Assemblée l'a entendu ainsi ; mais il n'a jamais été dans son esprit d'empêcher les sociétés de surveiller les actes du gouvernement et de l'administration. C'est le droit de tout citoyen dans un pays libre. L'Assemblée en décida ainsi, et Le Chapelier fut condamné à restituer au décret son sens primitif[212].

Ce jour-là, 30 septembre, le corps municipal, Bailly en tête, et une députation du directoire de la ville vinrent à la barre complimenter la glorieuse Assemblée et lui adresser un suprême adieu. Ils furent invités aux honneurs de la séance. Vers trois heures, le roi parut. Ses paroles, dont, sincères ou non, on ne saurait méconnaitre la dignité, furent, en quelque sorte, des paroles de regret. Il sentait qu'en l'Assemblée constituante il perdait un appui, et d'avance il avait peur des nouveaux venus. Des cris mille fois répétés de Vive le roi ! l'accompagnèrent lorsqu'il se retira. C'était comme le Morituri te salutant. Peu d'instants après qu'il fut parti, Thouret, qui présidait pour la quatrième fois, se leva et dit, au milieu d'un silence religieux : L'Assemblée nationale déclare qu'elle a rempli sa mission et que toutes ses séances sont terminées. Il était quatre heures[213].

Les acclamations dont Louis XVI avait été salué allaient avoir au dehors leur contre-partie saisissante ; le peuple devait aussi consacrer ses élus. Sur la terrasse des Tuileries, une foule immense attendait, impatiente, la sortie des députés. Robespierre était bien connu et bien reconnaissable, car son portrait était exposé aux vitrines de tous les marchands d'estampes[214]. Quand il parut, donnant le bras à Pétion, alors son fidèle ami, on les entoura l'un et l'autre ; on les pressa ; et, au milieu des cris de Vive la liberté ! vive la nation ! on leur posa sur la tête des couronnes de chêne. Une mère, ayant un tout jeune enfant entre les bras, perça la foule, alla droit à Robespierre, et le remit dans ses bras comme si elle eût voulu que ce père de la liberté bénît en son enfant la génération nouvelle appelée à jouir des bienfaits de la Révolution. Visiblement émus, Pétion et Robespierre cherchèrent à se dérober à ce triomphe d'autant plus honorable pour eux qu'il était tout spontané, et tâchèrent de s'esquiver par une rue détournée. Avisant une voiture de place, ils y montèrent, mais la foule les avait suivis ; en un clin d'œil les chevaux furent dételés, et quelques citoyens s'attelèrent au fiacre, tenant à honneur de mener eux-mêmes le char de triomphe. Mais déjà les deux députés était hors de la voiture : Robespierre n'aimait pas ces manifestations, trop semblables à celles de l'idolâtrie monarchique ; il harangua le peuple, le rappela au respect de sa propre dignité, lui apprit à se défier de la reconnaissance. Ses paroles produisirent l'effet qu'il en attendait, car le peuple est rarement sourd aux conseils de la sagesse et de la raison. Des portes de l'Assemblée à la maison de Duplay, il n'y avait que quelques pas ; Robespierre, toujours accompagné de Pétion, put regagner paisiblement la demeure de son hôte, au milieu d'un prodigieux concours de monde, et en entendant retentir sur son passage, comme des cris d'amour et de bénédictions, ces paroles incessamment répétées : Voilà les véritables amis du peuple, les législateurs incorruptibles[215] !

Ici finit la partie la plus heureuse et la moins connue de la vie de Robespierre. Quel homme, ayant le moindre sentiment des droits et des besoins de l'humanité, pourra trouver quelque chose à reprendre dans cette existence toute d'abnégation et de dévouement ? Jusqu'à ce jour, dans l'histoire, le législateur pacifique avait disparu en quelque sorte sous l'homme d'action, et, aux yeux de la postérité, l'héroïque lutteur de la Convention avait un peu fait tort au philosophe de l'Assemblée constituante ; il était indispensable de remettre pleinement en lumière cette portion trop oubliée de sa vie politique, et non la moins bien remplie.

On sait maintenant quelle part immense il prit aux travaux de l'Assemblée constituante. Certes, cette immortelle Assemblée a accompli de grandes choses, et elle a droit à la reconnaissance des hommes ; mais elle eut le tort de s'écarter trop souvent des prémisses posées dans son admirable déclaration des droits, où se trouvent en substance ces grands principes de 1789 si souvent invoqués, si peu appliqués, et dont la gloire revient, sans conteste, en grande partie à Robespierre.

On se perd en révolution par les demi-mesures, par les compromis. Pour ne l'avoir pas compris, l'Assemblée constituante laissa à l'avenir de terribles problèmes à résoudre. Elle manqua à la justice quand, violant le premier des principes affirmés par elle, celui de l'égalité, elle divisa, malgré les efforts désespérés de Robespierre, la nation en deux classes de citoyens ; elle manqua à la justice quand elle n'osa pas abolir l'esclavage, quand, revenant sur un de ses plus équitables décrets, elle remit aux assemblées coloniales, composées de colons blancs, le soin de statuer sur l'existence politique des hommes de couleur ; elle manqua à la prudence quand, au lieu de réorganiser complètement l'armée, comme le lui demandaient Mirabeau et Robespierre, elle abandonna les soldats patriotes aux rancunes, aux vengeances des officiers nobles et confia à des ennemis jurés la garde de la constitution. La prévoyance, l'intuition, l'activité révolutionnaire lui firent un peu trop défaut. Aussi le peuple la vit-il partir sans regret ; elle tomba comme une chose usée ; la plupart des feuilles patriotiques lui lancèrent pour adieux de véritables anathèmes.

Elle n'eût pas démérité à coup sûr si, moins docile aux avis intéressés et mesquins de quelques meneurs de la haute bourgeoisie, dont les calculs étroits l'entraînèrent dans de déplorables erreurs, elle eût plus souvent, et avec moins de prévention, écouté la voix des Buzot, des Pétion et des Robespierre, comme lorsque, sur la motion de ce dernier, elle donna un si grand exemple d'abnégation en interdisant à ses membres d'être réélus à la prochaine législature et de recevoir de la cour, pendant quatre années, aucunes places, pensions et faveurs. Si elle se fût toujours montrée aussi attentive aux conseils de Robespierre, nul doute qu'elle n'eût d'un coup consommé l'œuvre révolutionnaire ; et nous n'aurions peut-être pas de si douloureux récits à mêler aux grandes choses qu'il nous reste à raconter.

On s'explique maintenant cette immense popularité de Robespierre, dont le nom se répétait de ville en ville, de bourgade en bourgade, comme un symbole de liberté et de justice. Les sociétés populaires, les journaux retentissaient chaque jour de ses louanges, les théâtres même le mettaient en scène, et livraient sa personne aux applaudissements frénétiques des citoyens : c'était l'apôtre, le Messie[216]. Il faut en vérité connaître bien peu le cœur humain pour s'imaginer que l'homme qui exerçait sur tout un peuple une telle puissance de séduction fût un homme de valeur médiocre. D'autres domptent les nations, les séduisent même par le génie de la force brutale ; il s'imposa, lui, à l'amour des masses par la seule puissance du caractère, de la vertu et dataient ; jamais il n'eut un soldat à sa disposition : il s'imposa par son incorruptibilité[217]. Dans son âme tout un peuple sentit se fondre et palpiter la sienne ; comme lui, l'immense majorité du pays voulait la liberté pour tous. Quand, de toutes les forces de sa conscience indignée, il s'élevait contre ces odieuses lois martiales qui mettaient la vie de tant de milliers de citoyens à la discrétion de municipalités ombrageuses ; quand il demandait l'abolition de la peine de mort ; quand il tonnait, de sa grande voix, contre cette division insensée du peuple en citoyens actifs et en citoyens passifs ; quand il réclamait impérieusement l'abolition de l'esclavage et l'émancipation des hommes de couleur ; quand il luttait contre les entraves apportées à la liberté de la presse et à l'exercice du droit de réunion, la nation reconnaissante battait des mains[218].

Et ces principes immortels, dont il fut, au sein de l'Assemblée nationale, le plus courageux, le plus infatigable défenseur, est-ce qu'il crut devoir les modifier ? jamais. Sans doute, une heure trop prochaine, hélas ! va venir, où la Révolution, se trouvant placée dans l'alternative de vaincre ou de périr, il lui paraîtra, à lui comme à tant d'autres, nécessaire de recourir à des mesures sévères, terribles, pour sauver la patrie déchirée à l'intérieur par les factions, attaquée sur toutes ses frontières par les rois coalisés. Mais dans cet état de légitime défense, et au plus fort de la tourmente, nous le verrons rester toujours l'homme d'ordre par excellence, sachant que sans l'ordre la liberté n'est qu'une fiction, et s'efforcer de tenir la balance égale entre ces deux écueils également funestes, la contre-révolution d'une part, l'exagération révolutionnaire de l'autre. Nous le verrons surtout, comme législateur, demeurer constamment fidèle aux vrais principes de 1789, combattre pour leur triomphe jusqu'au dernier jour de sa vie. Il ne demandera rien de plus, rien de moins ; et tout lecteur impartial, tout homme animé de véritables sentiments libéraux reconnaîtra, après avoir lu cette première partie de la vie de Robespierre, que tous les bienfaits de la Révolution qui nous sont acquis, nous les lui devons en partie, et qu'il ne cessa de réclamer, avec une énergie sans égale, tous les progrès, toutes les libertés, toutes les garanties dont nous sommes privés encore, et qui sont l'objet de nos légitimes espérances.

 

FIN DU PREMIER VOLUME

 

 

 



[1] Voyez le Point du jour, numéro 630, p. 635.

[2] Voyez ce discours de Robespierre dans le Point du jour, numéro 634, p. 60 et suiv. Voyez aussi le Moniteur du 7 avril 1791 ; le Journal de Paris, du même jour, et le Courrier de Provence, numéro 279.

[3] Point du jour, numéro 632.

[4] Point du jour, numéro 635.

[5] Moniteur du 8 avril 1791 ; Point du jour, numéro 635.

[6] Le Patriote français, numéro 607.

[7] Point du jour, numéro 635, p. 80.

[8] Voyez le Moniteur du 9 avril 1791, et le Point du jour, numéro 636, p. 85 et suiv.

[9] Le Patriote français, numéro 608.

[10] Voici la motion de la main de Robespierre, déposée par lui sur le bureau du président : L'Assemblée nationale décrète qu'aucun membre de l'Assemblée nationale actuelle ne pourra être promu au ministère, ni recevoir aucunes places, dons, ni pensions, ni traitements, ni commissions du pouvoir exécutif pendant quatre ans après la fin de ses fonctions. Archives, C. § I, 633, carton 50.

[11] Point du jour, numéro 67, p. 111.

[12] Voyez le Moniteur du 10 avril 1791, et surtout le Point du jour, où le discours de Robespierre est beaucoup plus complètement rendu, numéro 638, p. 117 et suiv.

[13] Patriote français, numéro 612 ; Point du jour, numéro 639, p. 144.

[14] Point du jour, numéro 640, p. 149 ; Journal de Paris, numéro du 12 avril 1791. M. de Robespierre, lit-on dans ce dernier journal, à qui on ne peut jamais dire : Tu dors, Brutus, s'est élevé avec beaucoup de véhémence contre cet article. Le Moniteur est muet sur beaucoup de ces incidents.

[15] Point du jour, numéro 640, p. 158 ; Moniteur du 12 avril 1791.

[16] Point du jour, numéro 642, p. 191.

[17] Moniteur du 14 avril 1791.

[18] Voyez le Moniteur du 21 avril 1791, et le Point du jour, numéro 649, combinés.

[19] Point du jour, numéro 650, p. 318 ; Moniteur du 22 avril 1791 ; Courrier de Provence, numéro 285. M. Robespierre, dit ce dernier journal, a dû le faire rougir de sa lenteur (Menou), par la vivacité avec laquelle il l'a opposée aux motifs les plus pressans qu'on a de se hâter pour arrêter le carnage qu'on fait dans cette contrée malheureux ?... P. 260.

[20] Moniteur du 29 avril 1791 ; Point du jour, numéro 657, p. 421.

[21] Point du jour, numéro 659, p. 455 et suiv. ; Moniteur du 1er mai 1791.

[22] Ce discours est résumé en quelques lignes seulement par le Moniteur du 3 mai 1791, et le Point du jour, numéro 661. Il dut cependant avoir une certaine importance, car voici ce que dit Camille Desmoulins : A la suite d'un discours aussi éloquent que solide de l'immuable Robespierre, eu faveur de la réunion, l'abbé Maury, pendant trois heures consécutives, a assommé l'Assemblée de sa cruelle audition et de ses déclamations. (Révolutions de France, numéro 76, p. 411.)

[23] Voyez cette lettre dans notre précédent livre.

[24] Moniteur des 5 et 6 mai 1791.

[25] Point du jour, numéro 653, p. 366.

[26] Moniteur du 25 avril 1791.

[27] Le Patriote français, numéro 630.

[28] Moniteur du 28 avril 1791.

[29] Discours sur l'organisation des gardes nationales, à Paris, chez Buisson, libraire, rue Hautefeuille, numéro 20 (1790, in-8° de 78 p.). On le trouve presque in extenso dans les numéros 656, 657 et 660 du Point du jour. L'article 16 du projet de décret présenté par Robespierre, à la suite de son discours, portait que sur les drapeaux des gardes nationales on graverait ces mots : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.

Ce discours avait été réédité en province, notamment à Besançon, où il parut chez Simard (in-8° de 61 pages), suivi de cette note : La société des Amis de la Constitution établie à Besançon, à qui le Mémoire ci-dessus a été envoyé par l'Assemblée nationale, ayant trouvé que les droits du peuple relativement au service militaire national y étaient établis d'une manière aussi claire que solide, a délibéré que, pour mettre un grand nombre de personnes à même de se pénétrer des excellents principes qu'il renferme, et donner en même temps à l'auteur un témoignage particulier de son estime et de sa reconnaissance, il serait livré à l'impression.

Besançon, ce 3 février 1791.

MICHAUD, président.

GUVE, VEJUS, secrétaires.

[30] Voyez entre autres le Patriote français, numéros 628 et 630.

[31] Moniteur du 29 avril 1791.

[32] Courrier de Provence, numéro 290.

[33] Voyez le Moniteur du 11 mai 1791.

[34] Voyez le Moniteur du 12 mai 1791 ; le Courrier de Provence, numéro 290, et le Point du jour, numéro 668.

[35] Voyez la lettre de Le Blond et de Mathelin à Robespierre, dans le t. III des Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, etc., p. 55. Beaudoin frères, Paris, 1828.

[36] Voyez le Moniteur du 9 mai 1791.

[37] Journal de Paris, numéro du 13 mai 1791.

[38] Le Patriote français, numéro 643.

[39] Voyez le Moniteur du 14 mai, et le Point du jour, numéro 670, combinés.

[40] Voyez le Patriote français, numéro 643.

[41] Nous citons les paroles mêmes du Moniteur, qui de tous les journaux du temps est celui qui a rendu Je plus complètement cette intéressante discussion. (Numéro du 15 mai 1790.) La fameuse phrase Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! n'est donc pas de Robespierre, comme on l'a quelquefois avancé par erreur. C'est à tort également qu'on l'a attribuée à Barère ; elle est de Duport, qui dit en propres termes : Il vaudrait mieux sacrifier les colonies qu'un principe. (Moniteur du 15 mai.) C'était chose rare, du reste, que de voir le royaliste Duport soutenir la même opinion que Robespierre.

[42] La Bouche de fer, numéro 56, p. 293.

[43] Moniteur du 16 mai 1791.

[44] Révolutions de France et des Royaumes, numéro 77, p. 569.

[45] Révolutions de France et des Royaumes, numéro 77, p. 569.

[46] Point du jour, numéro 674, p. 212.

[47] Voyez Le Patriote français, numéro 647. D'après le Point du jour, tout le côté droit serait resté immobile ; mais nous avons dû préférer la version du journal de Brissot, laquelle concorde avec celle du Moniteur, les diverses appréciations des écrivains populaires sur cette séance, et celles du député royaliste Ferrières. Voyez les Mémoires de ce dernier, t. II, p. 286.

[48] Mémoires de Ferrières, t. II, p. 289.

[49] Révolutions de France et des Royaumes, numéro 78, p. 601.

[50] Révolutions de France et des Royaumes, n° 78.

[51] Point du jour, numéro 674, p. 223.

[52] Voyez le Moniteur du 18 mai 1791, et le Point du jour, numéros 674 et 675.

[53] Révolutions de France et des Royaumes, numéro 78, p. 600.

[54] Discours de Maximilien Robespierre à l'Assemblée nationale, sur la réélection des membres de l'Assemblée nationale, imprimé par ordre de l'Assemblée nationale. (In-8° de 11 pages, de l'Imprimerie nationale.)

[55] Courrier de Provence, numéro 291, p. 554.

[56] Voyez le Moniteur des 19 et 20 mai 1791 ; le Point du jour, numéro 676, et le Journal de Paris du 19 mai. Voyez aussi l'Ami du Roi du 21 mai ; voici une curieuse appréciation de Robespierre par son ancien professeur, l'abbé Royou, celui qu'on a si justement surnommé le Marat des royalistes : Il faut rendre cette justice à M. Robespierre, il semble avoir expié tous ses écarts démagogiques par la manière ferme et noble dont il s'est montré dans cette discussion. Aucun intérêt secret, aucun esprit de parti, aucune considération particulière n'a pu ébranler ni affaiblir son zèle pour une cause qui lui paraissait intimement liée au bien public. Jamais il n'a parlé avec plus de force et d'éloquence, et ce que je regarde comme un véritable triomphe pour lui, c'est que sa constance et son courage, dans une pareille occasion, donnent lieu de croire qu'il est plus attaché à ses principes qu'à ses intérêts. Ô misères de l'esprit de parti ! Ainsi, pour qu'une fois par hasard un écrivain royaliste rende justice à Robespierre, il faut que ce grand citoyen ait involontairement servi les rancunes et les amours-propres des hommes du côté droit !

Ce nouveau discours de Robespierre parut à l'époque sous ce titre : Second Discours prononcé à l'Assemblée nationale, le 18 mai 1791, par Maximilien Robespierre, député du Pas-de-Calais, sur la rééligibilité des membres du Corps législatif. (In-8° de 16 p., de l'Imprimerie nationale.)

[57] Point du jour, numéro 686, p. 500.

[58] Moniteur du 29 mai 1791. Patriote français, numéro 659.

[59] Point du jour, numéro 688, p. 5J2.

[60] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 69.

[61] Voyez le Moniteur du 1er juin 1791. Publié une première fois en 1791, paraît-il, ce discours a été réimprimé d'après la version du Moniteur. (Paris, Prévost, Manant, 1830, in-8° de 16 p.) Cette édition se trouve précédée d'un petit avant-propos apocryphe, tiré tout simplement des Mémoires de Robespierre par M. Ch. Reybaud. (Voyez i. II, p. 180.)

L'opinion de Robespierre rencontra dans le public de sympathiques échos ; nous lisons dans une brochure d'un avocat nommé Boussemart, dédiée à Robespierre : Mon cher confrère, non pas en qualité de député, mais par un caractère indélébile, celui d'avoir prêté tous deux le même serment dans le même tribunal où nous avons juré d'offrir notre ministère au pauvre comme au riche, à la veuve comme à l'orphelin, de défendre les droits de l'humanité, de la justice, serment sacré, serment que rien ne peut rompre, Robespierre, recevez mon hommage, vous le méritez, et la postérité vous pendra justice. Vous êtes brave, Robespierre, vous marchez à grands pas vers l'immortalité, que les obstacles ne vous arrêtent point. Plus le péril aura été grand, plus la gloire sera durable ; tonnez dans la tribune ; terrassez avec ces armes de l'éloquence qui vous ont si bien servi jusqu'à ce jour, et qui sont si redoutables aux ennemis de notre constitution et du genre humain ; frappez, dis-je, d'anathème ces hommes qui ont osé donner leurs voix pour la destruction de leurs semblables...

(Sentiments d'un François sur la peine de mort prononcée par l'Assemblée nationale. Dédié à M. ROBESPIERRE, député patriote, avec cette épigraphe : Non occides. (Paris, in-8° de 8 pages.)

[62] Voyez entre autres le Courrier de Provence, numéro 295.

[63] L'Ami du Peuple, ou le Publiciste parisien, numéro 478. L'opinion de Marat vaut la peine d'être citée tout entière : L'ordre du jour ayant appelé la discussion sur l'abolition de la peine de mort, l'Assemblée a décrété avec raison, mais sans tirer à conséquence, que la peine de mort serait réservée pour les grands crimes : question sur laquelle nos fidèles Pethion et Roberzpierre avoient établi un sentiment qui fait honneur à leur sensibilité, mais sujet à des inconvénients trop graves pour être adopté. Le droit d'infliger des peines capitales qu'a la société n'est pas douteux, puisqu'il découle de la même source que le droit de donner la mort qu'a tout individu, je veux dire le soin de sa propre conservation. Or, toute peine doit être proportionnée au délit ; celle de l'assassin et de l'empoisonneur doit être capitale, à plus forte raison celle du conspirateur et de l'incendiaire. Quelle déplorable argumentation ! et que de sophismes en quelques lignes ! Etonnez-vous donc que l'atrabilaire Ami du Peuple ait, dans ses sanguinaires hyperboles, demandé tant de têtes !

[64] Mémoires de Ferrières, t. II, liv. IX, p. 313.

[65] Voyez le Moniteur du 2 juin 1791, et le Courrier de Provence, numéro 296.

[66] Discours sur la liberté de la presse. Paris, de l'Impr. nationale, 1791, in-8° de 23 p. On trouve ce discours imprimé dans le premier volume des œuvres de Robespierre recueillies par Laponneraye, p. 201 à 225.

[67] Voyez le Patriote français, numéro 647.

[68] Plusieurs journaux du temps, entre autres le Patriote français, numéro 647, contiennent une annonce par laquelle Robespierre promet une récompense à ceux qui, ayant entendu parler de son manuscrit, se donneraient quelque peine pour le lui faire recouvrer, et les prie de l'adresser chez lui, rue de Saintonge, au Marais, n° 8, ou bien chez M. F. Lanthenas ; rue Guénégaud, hôtel Britannique, faubourg Saint-Germain. Stimulé d'un beau zèle, le docteur Lanthenas écrivit lui-même une brochure sur la liberté indéfinie de la presse, qui remplit tout un numéro du Courrier de Provence, et dont il est question dans le numéro 714 du Patriote français.

[69] Le Moniteur s'intitulait alors Gazette nationale ou Moniteur universel.

[70] Voyez le Moniteur du 3 juin 1791.

[71] Voyez les numéros 7 et 8 du Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution. Ce n'est pas ce discours qui a été imprimé à part, in extenso, comme on le croit généralement, mais bien celui que Robespierre prononça le surlendemain à la tribune de l'Assemblée constituante.

[72] Patriote français, numéro 668.

[73] Voyez à cet égard le Journal de Paris, qui note soigneusement la distinction. Numéro du 12 juin 1791.

[74] Courrier de Provence, numéro 300, p. 163.

[75] Suivant son habitude, le Moniteur ne donne qu'un résumé assez écourté de ce discours (numéro du 11 juin 1791) ; le Point du jour (numéro 700) fait de même. Voyez le discours imprimé, Paris, de l'Imp. nat., in-8° de 15 p.

[76] Nous donnons ici comme document curieux la lettre de Pio, gentilhomme italien, proclamé citoyen français par la Commune de Paris, au mois d'avril 1790, lettre publiée dans le numéro 81 des Révolutions de France et des Royaumes. C'est dans votre journal, Monsieur, que je désirerois de voir passer à l'immortalité un des plus beaux traits qui honorent notre liberté, et un do ces hommes qui est devenu aujourd'hui le plus cher à la patrie. Robespierre mérite la couronne civique ; Robespierre, levé tout seul au milieu du sénat le 11 de ce mois, jour à jamais déplorable ! lorsqu'on a mis aux voix le licenciement des officiers. Que faisoient donc dans ce moment là les autres enfants de la patrie, ceux que nous avons tant chéris jusqu'à présent, les amis ardens de la République ? Ce Romain qui mérita le nom de Père de la patrie, et qui osa sauver la République le 5 décembre, trouva au moins dans le sénat deux opinions qui se levèrent avec lui, et qui appuyèrent courageusement son avis. Il y en eut bien quelqu'un qui, au dire de Salluste, quitta lâchement sa place, mais Sinalus) mais Caton se mirent du côté de Cicéron, et la patrie fut sauvée. Et vous ne l'avez pas osé ce 11 juin, Pétion, Antboine, Buzot et tant d'autres que je passe sous silence pour leur honneur, et que Robespierre a fait rougir lorsqu'il promenoit ses regards à droite et à gauche, se tenant immobile, tout seul, à la décision de cette fatale question d'olt dépendoit le salut du peuple ? Qu'il était beau de voir un citoyen au milieu de huit cents soi-disans pères conscripts, au milieu de toute l'Assemblée nationale, reprocher ; par sa seule attitude, leur pusillanimité, leur foiblesse, et je dirois presque leur lâcheté à ses collègues ! Il me sembla l'entendre dire à tous ce que ce brave Lacédémonien disoit à Pausanias la veille de la -bataille de Platée, où Mardonius fut tué et les Perses taillés en pièces : Je me moque de toutes les autres résolutions et conclusions lâches et timides de ce faux conseil. (V. Plutarque, Vie d'Aristide.) Que David, que Houdon, que Pajou représentent notre cher Robespierre dans la ferme et héroïque attitude du 11 juin ; c'est la seule que la postérité doit connaître. Chabrias fut bien copié dans la posture où il se disposa à combattre les ennemis ; sa statue était un genou appuyé contre son bouclier, et présentant la pique en avant ; la statue de Robespierre sera celle d'un seul citoyen debout parmi les autres assis, que je ne dis pas citoyens, mais députés.

Signé : PIO.

Ce 15 juin 1791.

[77] Courrier de Provence, numéro 300, p. 159. Le journal de Brissot ne fut pas moins élogieux pour Robespierre : On ne peut rien d'ailleurs opposer au tableau effrayant que M. Robespierre a fait de toutes les vexations, les inquisitions, les horreurs commises dans la plupart des régimens par les officiers. M. Cazalès appelle cela des calomnies, mais trop de voix s'élèvent en faveur de ces faits pour qu'ils soient des calomnies. (Patriote français, numéro 673).

[78] Point du jour, numéro 698, et Moniteur du 10 juin 1791.

[79] Il y eut deux tours de scrutin ; au premier, 235 électeurs prirent part au vote ; la majorité absolue était de 118 voix. Robespierre obtint 116 suffrages : il en avait en réalité réuni 118 ; mais deux bulletins, ne portant que son nom sans la qualification de député, ne lui furent pas comptés, après une longue discussion, à la suite de laquelle l'assemblée électorale décida qu'un second tour de scrutin aurait lieu. Les citoyens qui après lui réunirent le plus de voix furent d'André, député (49 voix) ; Martineau, député (16 voix) ; Fréteau, député (12 voix), et Rœderer, député (5 voix) ; Pétion n'obtint que 3 voix. Au second tour, il y eut 372 votants ; la majorité absolue était de 187 voix. Robespierre en obtint 220, non compris cinq bulletins où son nom n'était pas suivi de la qualification de député. Après lui venaient d'André (99 voix), et Martineau (24). D'après ce résultat, dit le procès-verbal, M. le président a proclamé, au nom de l'assemblée électorale, accusateur public du tribunal criminel du département de Paris, M. Robespierre, député à l'Assemblée nationale, âgé de (l'âge est resté en blanc), demeurant rue Saintonge, au Marais. (Archives de l'empire, B, I A, 5, cote 14.)

[80] Lettre de M. de Pastoret au président de l'assemblée électorale du département de Paris, en date du 13 juin 179]. (Archives, ubi supra.)

[81] Extrait du procès-verbal de la séance du 13 juin 1791. (Archives, B, I A, 2, cote 7.) L'original de cette lettre se trouve dans une collection particulière.

[82] S'il faut en croire Montlosier, Bailly et La Fayette n'auraient pas été étrangers à la cabale. Voyez ses Mémoires, t. II, liv. XV, p. 124.

[83] Révolutions de France et des Royaumes, etc. Numéro 81, p. 98. S'adressant à Duport, le bouillant Camille lui disait encore : Tu n'ignores pas l’estime universelle dont il jouit, et les couronnes civiques que lui ont décernées les sociétés fraternelles. Tu as été témoin cent fois des applaudissements unanimes qu'ont excités parmi les Jacobins et ses discours et sa seule présence. Tu sais quelle intervalle immense l'opinion publique met entre son patriotisme et le tien ; ce ne peut donc pas être l'orgueil qui t'éloigne de lui.

[84] Voyez le Patriote français, numéro 676.

[85] A sa place fut élu Pétion, comme président du tribunal criminel. Buzot remplaça comme vice-président Bigot de Preameneu, non-acceptant, et Faure devint, au lieu de d'André, substitut de l'accusateur public.

[86] Cette lettre et la précédente, dont les originaux existent aux archives de la ville de Versailles, ont été imprimées dans le tome deuxième des Mémoires de la Société des sciences morales, etc., de Seine-et-Oise, p. 176 et suiv. 1849. La seconde s'y trouve en fac-similé.

[87] Voyez le Point du jour, numéro 708, p. 277 et suiv.

[88] Voyez le Moniteur des 17 juillet et 8 août 1791, et le Point du jour, numéro 759.

[89] Voyez le Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 12.

[90] Voyez cette lettre dans le numéro 49 de l'Orateur du Peuple.

[91] Voyez la narration de MM. Buchez et Roux, d'après les journaux du temps. Hist. parlementaire, t. X, p. 243 et suiv.

[92] Point du jour, numéro 710, avec cette épigraphe : EXCIDAT ILLA DIES.

[93] Les ministres alors étaient Duport-Dutertre, Montmorin, Duportail, Thevenard, de Lessart et Tarbé.

[94] Voyez le Moniteur du jeudi 23 juin 1791.

[95] Michelet, Révolution française, t. III ; voyez tout le chapitre premier. Pour n'avoir pas, avec assez de soin, porté dans l'examen des documents le flambeau de la critique, M. Michelet est trop souvent tombé dans la fantaisie historique. Il ne suffit pas de nous montrer des personnages vivant, gesticulant, livrant sous nos yeux la bataille de la vie, encore faut-il que ce soient les personnages eux-mêmes, et non des types de convention créés par l'imagination de l'auteur. Si d'ailleurs nous examinons d'aussi près l'œuvre de M. Michelet, cela prouve tout le cas que nous faisons d'un confrère illustre dont les récits, acceptés un peu légèrement quelquefois, même par les gens les plus distingués, ont contribué à accréditer sur les hommes et les choses de la Révolution de si regrettables erreurs.

[96] Lettre de madame Roland, née Phlipon, à Maximilien Robespierre. Du clos de la Platière, paroisse de Thézée, district de Villefranche, département de Rhône-et-Loire, 27 septembre 1791. Cette lettre, dont Charlotte Robespierre conserva l'original jusqu'à sa mort, se trouve insérée in extenso dans ses Mémoires, p. 77 et suiv. Voilà ce que M. de Lamartine appelle une correspondance sèche. Histoire des Girondins, t. II, p. 44 (1re édition).

[97] Mémoires de madame Roland, t. I, p. 298. Edition Berville et Barrière. Le manuscrit de ces Mémoires se trouve à la bibliothèque impériale.

[98] Lettre du 27 septembre, du clos de la Platière (ubi supra).

[99] Mémoires de madame Roland (ubi supra.)

[100] Souvenirs sur Mirabeau, par Etienne Dumont, chap. 16, p. 329. Dumont, s'il faut en croire M. Michelet, qui n'indique pas ses preuves, était pensionné de l'Angleterre. Il y a un rapprochement assez curieux à établir. Ce publiciste écrivait ses Souvenirs vers 1799, c'est-à-dire quelques années après la publication de la première édition de ces Mémoires de madame Roland, où l'on insinue que Robespierre avait paru pénétré de terreur lors de la fuite de Varennes. Or le Genevois Dumont, qui page suivante (299) est qualifié d'homme d'esprit par madame Roland, renchérissant sur elle, écrit que Robespierre se cacha pendant deux jours. On voit combien peu de crédit en général il faut accorder à ces faiseurs de Souvenirs et de Mémoires.

[101] Mémoires de madame Roland, t. I, p. 299 (feuille 39 du manuscrit).

[102] Lettre du 27 septembre (ubi supra).

[103] Révolutions de France et des Royaumes, etc., numéro 82, p. 162 à 173. Cela constaté également par les registres de la société des Amis de la Constitution.

[104] Extrait des registres de la société des Amis de la Constitution, du 21 juin 1791.

[105] Patriote français, numéro 686, Moniteur du 24 juin 1791.

[106] Révolutions de Paris, numéro 102, p. 341.

[107] Patriote français, numéro 686.

[108] Voyez le Point du jour, numéro 715, le Moniteur du 24 juin 1791, et le Patriote français, numéro 686, combinés.

[109] Moniteur du 27 juin. Point du jour, numéro 718, p. 40.

[110] Point du jour, numéro 718.

[111] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 15.

[112] L'Ami du Peuple ou le Publiciste parisien, numéro 510.

[113] Révolutions de Paris, numéro 90, p. 613.

[114] Révolutions de Paris, numéro 92, p. 7.

[115] Révolutions de France et des Royaumes, etc., numéro 78.

[116] Voyez le Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 26.

[117] Voyez le Moniteur du 15 juillet 1791, et le Courrier de Provence, numéro 316, p. 544, combinés.

[118] C'est ce qui faisait dire le lendemain au Courrier de Provence (n° 317) : M. Robespierre a trouvé le mot d'une grande énigme politique, quand il a dit que rien ne convient mieux aux factieux et aux intrigants que les gouvernements faibles. Voulez-vous savoir pourquoi les ennemis les plus acharnés se sont embrassés fraternellement ? pourquoi les partis les plus divisés de principes et de sentiments se rapprochés ? pourquoi les intérêts les plus opposés se sont confondus ? Voulez-vous savoir pourquoi la faction de la cour marche maintenant d'accord avec la fa qui s'était longtemps déclarée avec tant de violence contre cette cour où elle avait jadis dominé ? pourquoi tous s'élèvent hautement en faveur d'un roi que la plupart détestent, que tous méprisent ? Je vous répondrai avec M. Robespierre : Rien ne convient mieux aux factieux et aux intrigants qu'un gouvernement faible.

[119] Voyez ce discours reproduit in extenso dans l'Histoire parlementaire de la Révolution, par MM. Buchez et Roux (t. XI, p. 24 et suiv.). Voyez aussi le Point du jour, numéro 736 et suiv., et le Moniteur du 15 juillet 1791.

[120] Courrier de Provence, numéro 316, p. 549.

[121] Adresse de Maximilien Robespierre aux Français, p. 18 ; voyez aussi la Lettre de Pétion à ses commettants, citée dans le numéro 86 des Révolutions de France et des Royaumes, etc.

[122] Moniteur du 15 juillet 1791.

[123] Dernier discours de M. Robespierre sur la fuite du roi, prononcé à la Société des Amis de la Constitution. De l'imprimerie de Calixte Volland, in-8° de 8 p. Le Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution ne mentionne pas ce discours.

[124] L'Ami du Peuple ou le Publiciste parisien, numéro 519.

[125] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 27.

[126] Ce discours de Robespierre a été résumé avec assez d'étendue par le Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 27.

[127] Mémoires de Ferrières, t. II, liv. X, p. 465. Le Babillard (numéro du 26 juillet), fait un grand crime à Robespierre d'avoir été demandé pour roi par la nation souveraine, assemblée au Champ de Mars le 17 juillet. Les énonciations les plus absurdes ne coûtaient pas à cette feuille royaliste.

[128] Adresse de Maximilien Robespierre aux Français, p. 26. M. Michelet commet donc une grossière erreur quand il présente Robespierre comme ayant appuyé la motion de Laclos. Histoire de la Révolution, t. III, p. 126.

[129] Moniteur du 17 juillet 1791.

[130] Adresse de Maximilien Robespierre aux Français, p. 27.

[131] Révolutions de France et des Royaumes, etc., numéro 85, p. 329.

[132] C'était aussi le mot de Brissot à propos du décret : Il est rendu, il faut obéir. Le Patriote français, numéro 706.

[133] Le compte rendu de la séance du 16 juillet aux Jacobins ne se trouve que dans le journal la Bouche de fer, numéros 96 et 99. Ce dernier numéro, qui est du 21 juillet, contient pour épigraphe cette citation :

Vous allumez un feu qui ne pourra s'éteindre,

Il vous faudra tout craindre,

Toujours trembler dans vos projets,

Et pour vos ennemis compter tous les Français.

Vid. RACINE.

L'article dans lequel il est rendu compte du discours de Robespierre est vraisemblablement de Bonneville. Il est intitulé : VOILA UN HONNÊTE HOMME.

[134] Adresse de Maximilien Robespierre aux Français, p. 28.

[135] Moniteur du 18 juillet 1791. Voyez aussi les Révolutions de Paris, numéro 106. Suivant ce dernier journal, Regnault aurait dit que les deux victimes étaient deux gardes nationaux, cela pour exaspérer la garde nationale contre le peuple.

[136] Adresse aux Français, p. 30.

[137] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 28. Révolutions de France et des Royaumes, etc., numéro 86.

[138] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 75.

[139] Rapport de police cité (t. II, p. 238 et suiv.) dans les Mémoires sur la police, attribués à Peuchet, livre apocryphe dont nous parlerons plus loin.

[140] Madame de Staël raconte qu'elle causa une fois avec lui, en 1789, chez son père, où, dit-elle on ne le connaissait que comme un avocat de l'Artois très-exagéré dans ses principes démocratiques. (Considérations sur la Révolution française, chap. 19, 3e partie.)

[141] Voyez ces lettres dans le t. I des Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, etc. ; collection Berville et Barrière, p. 171 et suiv.

[142] Mémoires de madame Roland. Collection Berville et Barrière, t. Ier, p. 304.

[143] Un écrivain, à qui sa haute position littéraire commandait peut-être plus de respect pour la vérité, Charles Lacretelle, membre de l'Académie française, et frère du littérateur qui jadis avait partage avec Robespierre le prix de l'Académie de Metz, commet sciemment un mensonge odieux ; car il assistait régulièrement aux séances de l'Assemblée constituante. Il n'a pas craint d'écrire : Robespierre ne se fie à personne. Il ne trouve point de souterrain assez enfoncé pour lui servir de retraite. A peine sorti de la cave où la peur l'avait conduit après la journée du Champ de Mars, etc. (Histoire de l'Assemblée constituante, t. II, p. 314-322.) Que dire de semblables inepties ? Il n'y a qu'à signaler de pareilles œuvres au mépris de tous les hommes qui ont le culte de la vérité.

[144] Tarif des députés à l'Assemblée nationale ou leur valeur actuelle, d'après l'estimation faite par l'opinion publique, 1791, in-8° de 8 p.

[145] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 64.

[146] Voyez cette lettre dans le t. I des Papiers inédits, etc., collection Berville, p. 169

[147] Voyez entre autres l'Adresse de la Société de Marseille, en date du 7 juillet 1791, insérée dans le numéro 32 du Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, et dans le numéro 86 des Révolutions de France et des Royaumes. On y lit : Français ! hommes vraiment libres des quatre-vingt-trois départements, vos frères et amis les Marseillais vous invitent à rendre hommage à Robespierre, ce digne représentant de la nation, cet apôtre de la liberté nationale. Reconnaissez avec lui l'attentat énorme commis contre vos droits. Il est cette sentinelle vigilante que rien n'a pu surprendre, cet unique émule du Romain Fabricius, dont le despote Pyrrhus louait les vertus par ces mots si célèbres : Il est plus facile de détourner le soleil de sa course que d'écarter Fabricius de la voie de l'honneur. Répondez-nous de la vie, des jours de Robespierre, etc. Cette Adresse, s'il faut en croire Lacretelle, aurait été rédigée par Barbaroux, qui, depuis !... Voyez aussi celle de la Société d'Arcis-sur-Aube, insérée dans le numéro 734 du Patriote français, etc.

[148] Adresse de Maximilien Robespierre aux Français, p. 42.

[149] Extrait du procès-verbal, dans le Journal des Cordeliers, publié par Momoro, dont dix numéros seulement ont paru.

[150] Mémoires de madame Roland, t. I, p. 304 (collection Berville), feuille 42 du manuscrit.

M. Thiers, de son côté, s'exprime ainsi : Sa terreur et sa jeunesse inspirèrent de l'intérêt à Buzot et à Roland ; on lui offrit un asile. (Hist. de la Révolution française.) Il est bon de faire remarquer que cette histoire de M. Thiers, dédaignée à juste titre de toutes les personnes qui ont étudié la Révolution, n'est trop souvent qu'une paraphrase, plus ou moins adroite, des Mémoires de madame Roland et des autres Mémoires de la collection Barrière et Berville, lesquels ont été, comme chacun sait, choisis et annotés avec la plus déplorable partialité.

Il n'est pas jusque ce misérable Fréron, qui, dans un libelle post-thermidorien, reproduit dans cette collection, n'ait présenté Robespierre comme implorant un asile, et conduit tout tremblant par Lecointre chez Duplay. Rarement on a vu menteur plus cynique que ce Fréron. Il oubliait alors ce qu'en ce mois de juillet 1791, après le massacre, il put lire dans son journal l'Orateur du Peuple, alors que lui-même s'était sauvé : Ô Robespierre, tu es donc LE SEUL QUI AIT OSÉ prendre la défense du peuple ! (Numéro 19 du t. VII, p. 146.).

[151] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 28.

[152] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 170. (Collection Berville), feuille 109 du manuscrit.

[153] Maurice Duplay était à cette époque propriétaire de trois maisons situées rue de l'Arcade, rue de Luxembourg et rue d'Angoulême. (Manuscrit de madame Le Bas. Ce manuscrit précieux, qui nous a été confié après la mort du savant et regrettable Philippe Le Bas, contient sur la vie privée de Robespierre les renseignements les plus précis. On jugera plus tard de l'importance de ce document.)

[154] Nous donnons ces détails d'après un plan très-complet du couvent des religieuses de la Conception pour l'année 1786, où se trouvent indiquées toutes les maisons riveraines avec les noms des propriétaires, plan que nous avons trouvé aux Archives de l'empire.

[155] Bail passé devant Choron et son confrère, notaires à Paris, le 5 mai 1787.

[156] Nous avons eu sous les yeux les titres mêmes, sur lesquels il nous a été permis de donner ces détails précis, et qu'a bien voulu nous communiquer M. Voury, propriétaire aujourd'hui de la maison portant le n° 398. Ainsi, nous le répétons, de la maison qu'habita Robespierre il ne reste aucune trace ; c'est donc à tort que MM. Esquiros, de Lamartine et quelques autres écrivains l'ont présentée comme existant encore avec de simples modifications. M. Michelet commet également une erreur quand, trompé sans doute par l'apparence de la maison actuelle, il parle de cette cour humide et sombre, de cette porte basse. (Histoire de la Révolution, t. III, p. 191.) La cour était plus vaste alors, et l'on entrait dans la maison de Duplay par une grande porte cochère.

[157] Tous ces renseignements, dont nous pouvons garantir l'exactitude, nous ont été donnés par le regrettable M. Le Bas (de l'Institut), petit-fils de Duplay, ancien précepteur de l'empereur Napoléon III. Ils se trouvent également dans le manuscrit de madame Le Bas, que nous avons sous les yeux. Voyez aussi le Dictionnaire encyclopédique de la France. (Article DUPLAY, écrit par M. Le Bas.)

[158] Charlotte Robespierre suppose que son frère fut recueilli chez Duplay au moment où il revenait lui-même du Champ de Mars, et où, reconnu dans la rue Saint-Honoré, il était acclamé, devant la porte du menuisier. Tout son récit est erroné. Elle n'était pas d'ailleurs à Paris en ce moment, et elle a écrit de mémoire longtemps après. (Voyez ses Mémoires, p. 84.) M. Michelet n'est pas plus exact. Dans sa narration pittoresque, mais toute fantastique, il suit, en partie, Charlotte Robespierre, et aveuglément madame Roland, sans s'inquiéter de savoir si l'une a été bien renseignée et si l'autre s'est inspirée de la vérité. (Hist. de la Révolution, t. III, p. 162.) Que dire du récit de madame Roland ? Elle prête à Buzot ce propos absurde : Je ferai tout pour sauver ce malheureux jeune homme. (Mémoires de madame Roland, t. I, p. 304.) Or Buzot, né en 1760, était de deux ans plus jeune que Robespierre, et beaucoup plus jeune surtout relativement à l'importance politique des deux personnages. Buzot, à cette époque, était du reste, pour ainsi dire, l'alter ego de Robespierre. Il jouissait aussi d'une grande popularité, et, par contre, était également l'objet de la haine des partisans de la cour. Avant donc de songer à sauver ce malheureux jeune homme, il aurait eu très-probablement, si le péril avait été si grand, à pourvoir à sa propre sûreté.

[159] Comme, par exemple, M. Michelet, qui affirme sans citer. (Histoire de la Révolution, t. III, p. 167.)

[160] Cette adresse ne se trouve pas dans le Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution. Elle a été insérée dans le numéro 714 du Patriote français, suivie de cette réflexion : — N. B. Cette adresse a été rédigée par M. Robespierre, il est facile d'y reconnaître ses principes, tant calomniés aujourd'hui. Ce qui n'empêche pas M. Michelet de supposer que, si Brissot la publia dans son journal, ce fut dans l'intention d'avilir le rédacteur. (Voyez son Histoire de la Révolution, t. III, p. 167.)

[161] Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 29.

[162] Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 31.

[163] Révolutions de Paris, numéro 107, p. 130.

[164] Voyez le texte de cette adresse dans le Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 37.

[165] Révolutions de France et des Royaumes, etc., numéro 86, p. 27.

[166] La Bouche de fer, numéro 101.

[167] Voyez la lettre de Legendre dans le t. I des Papiers inédits trouvés chez Robespierre, etc. (collection Berville), p. 180.

[168] Voyez une lettre signée L, dans les Papiers inédits, t. II, p. 167, avec cette épigraphe : Faciamus experientiam in anima vili.

[169] Voyez la lettre de van Miest dans les Papiers inédits, t. II, p. 171.

[170] Voyez l'Adresse de Robespierre aux Français, p. 40, et le numéro 714 du Patriote français, où Brissot exhale toute son indignation.

[171] Un homme appelé à siéger sur les bancs de la Convention, et qui tour à tour, suivant le temps, flatta les royalistes et les Jacobins, Beaudin (des Ardennes), reprocha aussi, vers cette époque, à Robespierre, son esprit de républicanisme, tout en rendant justice à ses talents et à sa probité. Ce Beaudin ne comprenait pas qu'un perruquier, un menuisier, un charron fussent électeurs. Pour un futur conventionnel, il n'était guère partisan de l'égalité politique. (Voyez la note écrite de sa main, dans les Papiers inédits, etc. (collection Berville), t. III, p. 278.)

[172] Adresse de Maximilien Robespierre aux François. Paris, Paquet, rue Jacob, n° 29.  In-8° de 49 pages. Cette adresse ne figure pas dans le recueil des Œuvres de Robespierre éditées par Laponneraye d'une façon fort incomplète, comme on sait.

[173] Révolutions de Paris, numéro 109. Ce numéro contient une longue analyse et de nombreuses citations de la lettre de Robespierre, p. 226 et suiv.

[174] Feuille de correspondance du Libraire, année 1791, p. 184.

[175] Voyez dans le Patriote français, une lettre de Pio à ce sujet. Voici comment, de son côté, s'était exprimé Brissot, qui, suivant M. Michelet, dont l'imagination va toujours trop vite, sympathisait déjà très-peu avec Robespierre (Hist. de la Révol., t. III, p. 167). C'est bien à regret que nous nous trouvons obligés de ne donner qu'un extrait de l'adresse de M. Robespierre, qui présente une apologie énergique et vraie de sa conduite ; adresse bien propre à faire rougir ses accusateurs, qui savent bien intriguer, mais ne savent pas écrire deux lignes, et qui, sans le secours que leur prêtent des plumes vénales, seraient déjà dans l'oubli le plus profond. Suit l'extrait. Numéro 738.

[176] Lettre de Tomé, évêque de Bourges, dans les Papiers inédits, etc., t. I, p. 169.

[177] Lettre de madame Roland, en date du 27 septembre 1791 (Voyez cette lettre dans les Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 80).

[178] Point du jour, numéro 761, p. 179.

[179] Moniteur du 11 août 1791, et Point du jour, numéro 762.

[180] Le Patriote français, numéro 732.

[181] Discours sur la nécessité de révoquer les décrets qui attachent l'exercice du droit de citoyen à la contribution du marc d'argent ou d'un nombre déterminé de journées d'ouvriers. Paris, de l'imp. de Calixte Volland, in-8° de 32 p.

[182] Discours par M. Robespierre sur la nécessité, etc., précédé de l'arrêté du club des Cordeliers, signé Peyre, président, Momoro et Rutledge, secrétaires, et suivi d'un avertissement du propriétaire du Journal du Creuzet, dans lequel parut aussi le discours. In-8° de 32 p. de l'imp. du Creuzet, rue Saint-Martin, n° 219.

[183] Adresse de la société des Indigents Amis de la Constitution à Robespierre, député à l'Assemblée nationale. Voyez cette adresse dans les Œuvres de Robespierre, éditées par Laponneraye, t. I, p. 181 et suiv.

[184] Ce discours se trouve résumé en quelques lignes seulement dans le Moniteur du 13 août 1791, et dans le Point du jour, numéro 763. Le Courrier de Provence (numéro 328) en donne une analyse beaucoup plus étendue.

[185] Point du jour, numéro 768.

[186] Journal des débats des Amis de la Constitution, numéro 44.

[187] Voyez le Patriote français, numéro 735.

[188] Voyez le Moniteur des 20 et 25 août 1791.

[189] Voyez le Point du jour, numéro 774, le Moniteur du 23 août 1781, et surtout le Courrier de Provence, numéro 332.

[190] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéros 48 et 50.

[191] Voyez le Patriote français, numéro 744.

[192] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, numéro 47.

[193] Moniteur du 24 août 1791, et Point du jour, numéro 775.

[194] Voyez le discours de Robespierre dans l'Histoire parlementaire de la Révolution, par MM. Buchez et Roux, t. XI, p. 334 et suiv. Voyez aussi le Point du jour, numéro 778.

[195] Voyez le Patriote français, 748 et le Point du jour, numéro 779.

[196] Voyez le Moniteur du 29 août 179], et le Courrier de Provence, numéro 334.

[197] Journal des débats de la société des Amis de la Constitution, numéro 42.

[198] Journal des débats de la société des Amis de la Constitution, numéro 46.

[199] Voyez le Moniteur du 2 septembre 1791, le Point du jour, numéro 784, et le Patriote français, numéro 753.

[200] Point du jour, numéro 787.

[201] D'après le Moniteur, tout dévoué alors aux Constitutionnels, les voisins de Duport, La vie, entre autres, prétendirent n'avoir rien entendu ; mais un témoin oculaire, membre de l'Assemblée, un fervent royaliste, Montlosier, qui, dans la même séance, demanda acte du silence de son parti, rend compte de la conduite inconvenante de Duport, et dans cette circonstance, lorsqu'il a pour garant la parole de Robespierre, il peut être cru. (Voyez ses Mémoires, t. II, p. 201.) Comment M. Michelet s'en tient-il sur ce point au témoignage du Moniteur, quand à côté il couche tout an long dans son histoire la version presque littérale de M. de Montlosier, relative à la fameuse apostrophe de Robespierre ? (Voyez son Histoire de la Révolution, t. III, p. 192. Il est facile, de cette façon, de dire : Il se trouvait justement que Duport n'avait rien dit... Probablement Robespierre avait d'avance arrêté de le nommer.

[202] Voyez ce discours cité en entier dans le Courrier de Provence, numéro 336, où il est précédé de ces lignes : M. Robespierre prononça un discours que nous croyons devoir insérer ici dans son entier, parce qu'il a été généralement jugé un des plus énergiques et des pins éloquents que cet orateur ait encore faits à la tribune (p. 460 et suiv.). Voyez aussi le Moniteur du 3 septembre 1791, et le Point du jour, numéro 787. Ce discours a été imprimé à part, sous ce titre : Discours de Maximilien Robespierre à l'Assemblée nationale, sur la présentation de la constitution au roi, imprimé par ordre de la société des Amis de la Constitution (in-8° de 8 pages, de l'imprimerie du Patriote français).

[203] Journal des débats de la société des Amis de la Constitution, numéro 53.

[204] Point du jour, numéro 787 (au supplément).

[205] Souvenirs de la Terreur, par Georges Duval, t. I, p. 345. Nous reparlerons autre part et plus longuement de ce livre, plein de mensonges et de calomnies.

[206] Brissot écrivit dans son journal : Les applaudissements plusieurs fois réitérés de l'Assemblée et des tribunes ont prouvé que tous les patriotes adhéraient à cette dénonciation courageuse. (Patriote français, numéro 759.)

[207] Voyez pour les détails de cette intéressante séance, le Moniteur du 8 septembre 1791, et surtout le Courrier de Provence, numéro 340.

[208] Voyez le Courrier de Provence, numéro 346, dans lequel ce discours de Robespierre ne tient pas moins de quatorze pages (193 à 206). Voyez aussi le Moniteur du 26 septembre 1791.

[209] Moniteur du 18 septembre 1791. Point du jour, numéro 801.

[210] Courrier de Provence, numéro 348.

[211] Moniteur du 2 octobre 1791.

[212] Voyez le Point du jour, numéro 815 ; le Moniteur, tout dévoué alors aux Constitutionnels, comme nous l'avons dit, se garde bien de révéler ce petit fait.

[213] Moniteur du 2 octobre 1791.

[214] Au bas d'un portrait 'lu temps, que nous avons sous les yeux, dessiné d'après nature, et gravé par Vérité, on lit ces quatre vers :

Du superbe oppresseur ennemi redoutable.

Incorruptible ami du peuple qu'on accable,

Il fait briller au sein des viles factions

Les vertus d'Aristide et l'âme des Catons.

Il y avait au Salon de 1791 deux portraits de Robespierre ; l'un ovale, de Boze, sous le n° 215, l'autre peint par madame Guyard (née Labille), sous le n° 34. Ce dernier se trouvait placé non loin des portraits de La Fayette et de l'abbé Maury, et portait cette inscription : L'INCORRUPTIBLE, à laquelle, dit un critique de l'époque les bons patriotes applaudirent de tout leur cœur. (Révolutions de Paris, numéro 119, p. 1-7.) Que sont devenus ces portraits ? On peut voir au cabinet des estampes de la bibliothèque impériale un portrait de Robespierre au crayon noir, donné par Albertine Marat et attribué par elle à Boze. Nous doutons fort qu'il soit de ce dernier artiste. Il nous paraît être le modèle original du portrait gravé par Vérité.

[215] Révolutions de Paris, numéro 116, p. 516. Voyez aussi la narration de la Chronique de Paris (numéro 275), qui diffère peu de celle des Révolutions de Paris.

[216] On jouait à cette époque (septembre 1791), au théâtre Molière, une pièce où Rohan et Condé se trouvaient aux prises avec Robespierre, qui les foudroyait, dit un critique du temps, par sa logique et sa vertu. (Révolutions de Paris, numéro 113, p. 450.)

[217] Nombreuses furent les tentatives de séduction faites sur Robespierre. Lui-même, dans son Adresse aux Français (p. 37), parle de cet or qui lui fut offert par les despotes de son pays, et qu'il repoussa avec mépris. On trouve dans les Mémoires sur la police, œuvre apocryphe faussement attribuée à Peuchet, ancien archiviste de la préfecture de police, un prétendu rapport de police qui, s'il est l'œuvre d'un faussaire, n'en rend pas moins assez bien la façon dont Robespierre devait accueillir les agents de corruption. Sur les relations et les habitudes de famille le rédacteur donne des renseignements peu exacts ; il a soin de dire, il est vrai, qu'il n'en parle que a sur des ouï-dire. Chargé de sonder l'incorruptible tribun, il raconte ainsi sa réception : Au lieu de m'écouter et de me répondre, le petit avocat m'a considéré si fixement, que je me suis tout d'abord senti déconcerté. Il ne faut donc pas songer à le corrompre par l'argent ; mais peut-être, pensa-t-il, pourra-t-on le gagner en le flattant. Robespierre prouva, de reste, qu'il n'était pas plus accessible à la flatterie qu'à l'appât de l'or. (Voyez ces Mémoires, t. I, p. 338 et suiv.). Nous devons dire qu'aucune des pièces sur lesquelles reposent ces Mémoires ne se trouve aux archives de la préfecture de police.

[218] C'est bien ce que reprochaient amèrement les Constitutionnels à Robespierre : Dans ces derniers temps, votre nom était prononce partout où il y avait des citoyens réunis, etc. Voyez l'Adresse de Robespierre aux Français, p. 19.