LE VRAI ET LE FAUX SUR PIERRE L'HERMITE

 

PREMIÈRE PARTIE. — Remarques préliminaires. - État de la question. - Les principales sources.

 

 

Personne n'ignore que la personnalité de Pierre l'Hermite est étroitement liée à la première croisade. On s'est même accoutumé à voir en lui l'instigateur, sinon unique, du moins prépondérant, de cette entreprise, qui remua profondément tout l'occident. Que ne nous a-t-on pas raconté de lui ? Son pèlerinage en Palestine, sa rencontre et son entretien avec le patriarche grec de Jérusalem, la vision céleste dont il fut favorisé dans cette ville, la mission qu'il y reçut de prêcher la croisade, sa visite au pape Urbain II, dont il aurait obtenu le consentement, puis son apparition en Occident comme précurseur du pape et son départ à la tête d'une grande armée de croisés rassemblée par lui ; tous ces récits forment comme un nimbe autour de sa personne. Si l'authenticité en était démontrée, l'homme auquel tous ces faits sont attribués devait assurément occuper dans l'histoire une place à part, à une hauteur accessible au bien petit nombre.

Pendant longtemps on eût à peine osé émettre le moindre doute sur la valeur historique de ces récits. Il y a quarante ans, M. de Sybel[1] a fait remarquer pour la première fois, que l'opinion publique attribuait à tort à Pierre l'Hermite une importance qui ne lui revenait pas et qu'au pape seul appartenait une gloire dont l'ermite d'Amiens lui avait jusqu'à nos jours ravi une bonne moitié. Mais l'opinion de N. de Sybel n'a pas été admise partout, et, même dans des travaux plus récents, on a paru l'ignorer. Nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer, dans un autre travail, notre manière de voir sur ce point[2] ; nous avons dit que, dans l'ensemble, nos travaux nous amenaient au même résultat que M. de Sybel ; néanmoins nous croyons qu'il n'est pas inutile de reprendre cette étude en détail et de publier le résultat des recherches approfondies auxquelles nous nous sommes livré, tant sur Pierre l'Hermite que sur la part qu'il a prise à la première croisade : cela nous permettra d'abord de développer les motifs de l'opinion que nous avons émise à une autre occasion, et, en second lieu, d'apporter, du moins nous l'espérons, plus d'un éclaircissement nouveau.

Lorsqu'on a sous la main, d'une part des documents attribués à des auteurs des XIe et XIIe siècles, que l'on doit considérer comme des sources provenant de témoins oculaires, et d'autre part une relation des mêmes faits écrite à une époque postérieure, il suffit de les rapprocher pour s'apercevoir que souvent la tradition a été complètement dénaturée ; c'est un fait dont chacun peut faire l'expérience ; il n'est même pas rare que, sous les ornements légendaires dont est surchargé le récit moderne, on ait peine à retrouver la relation primitive, et si l'on est réduit à lui seul, il devient bien difficile d'y retrouver le fonds de vérité historique qui s'y trouve contenu[3]. Plus d'un auteur a prétendu faire passer pour des sources des œuvres écrites au XIIIe, au XIVe ou au XVe siècle sur un évènement du XIe, et les placer sur une même ligne avec les sources primitives contemporaines et authentiques ; c'est, entre autres exemples, ce que l'on a fait jusqu'à nos jours au sujet de Pierre l'Hermite ; on conçoit aisément qu'un récit fondé sur de pareilles bases doit nécessairement se trouver en contradiction avec la vérité. Il est donc certain que si, autrefois, on avait attaché plus d'importance à la différence qui existe entre les sources originales et les sources secondaires, si l'on avait été plus sévère à l'égard de ces compilations qui ne sont des documents ni de première ni de seconde main et qui ne contiennent la plupart du temps que des fictions[4] bien faciles à reconnaître, le nom de Pierre l'Hermite ne serait point entouré d'une auréole de faits imaginaires ou faux ou exagérés ; depuis longtemps et bien avant le livre de M. de Sybel, qui a fait époque dans la question, on avait porté sur son compte un jugement plus juste.

La plupart des historiens modernes ont presque exclusivement pris pour guide Guillaume de Tyr, et c'est dans son œuvre qu'ils ont puisé la matière de leurs récits ; il croyaient avoir entre les mains une source ; or, ce chroniqueur ne méritait de servir de modèle, ni sous le rapport de la stricte vérité du récit, ni pour la définition exacte du caractère et du rôle d'un personnage disparu depuis longtemps à l'époque où il écrivait ; on ne peut pas admettre son œuvre comme une source primitive, du moins pour ce qui concerne Pierre l'Hermite et la première croisade ; c'est une compilation, agrémentée de légendes transmises par la tradition orale ou écrite : la forme en est élégante, mais la valeur en reste évidemment bien inférieure à celle des témoignages fournis par les contemporains. Si tel est le défaut du récit de Guillaume de Tyr, à bien plus forte raison est-ce le côté faible de la plupart des histoires plus récentes : leur vice commun est l'absence d'une critique claire et lumineuse des sources. Il faut le dire, avant 1611, année où Jacques Bongars entreprit la publication des sources relatives à la première croisade[5], la critique des sources était bien difficile ; les récits originaux n'avaient pas encore été imprimés et ils n'étaient accessibles qu'à un bien petit nombre d'érudits. C'est ainsi que nous voyons Benedetto degli Accolti[6] gémir de ce que les relations qu'il a lues ne sont connues que de quelques personnes ; presque personne, dit-il, n'en connaît le contenu ; c'est là ce qui l'incite à remettre en lumière les actes héroïques de la première croisade ; il veut lés sauver de l'oubli ; et pourtant il s'en tient en général au texte de Guillaume de Tyr. N'est-il pas singulier que, de nos jours encore, nombre d'écrivains placent l'œuvre de Guillaume de Tyr au premier rang des sources ? Voici, par exemple, les éditeurs de cette histoire dans le Recueil des Historiens des Croisades ; sous prétexte qu'autrefois cet ouvrage a été considéré comme princeps totius historiæ expeditionum Cruciatorurn, ils prétendent encore lui conserver le même rang et, par ce motif, ils lui donnent aussi la première place dans cette belle et grandiose collection : ce principe posé, et ils ne sont, en cela, que conséquents avec eux-mêmes, ils partent du récit de Guillaume de Tyr pour expliquer ou même rectifier les sources ; en effet, dans le tome III des Historiens occidentaux c'est toujours à lui que l'on renvoie. Il semble donc qu'au lieu de marcher en avant, nous soyons revenus en arrière, et lorsque Sybel affirme que, malgré toutes ses qualités, le récit de Guillaume de Tyr, pour tout ce qui se rapporte à la première croisade, n'a nullement le caractère d'une source[7], ce jugement, basé sur des preuves solides, parait déjà vieux ou tout au moins sans valeur. Et pourtant si l'on veut se donner la peine de comparer les sources avec l'histoire de Guillaume de Tyr, il n'échappera à personne qu'elles produisent une impression bien autrement vive que celle-ci, et le motif en est qu'elles ont été écrites par des témoins oculaires. Il est vrai qu'il donne sur Pierre l'Hermite beaucoup plus de détails que les écrivains qui l'ont précédé et que les témoins oculaires de la première croisade ; mais c'est lui aussi qui, sur beaucoup de pointe, provoque le plus directement la critique et, nous le démontrerons par la suite, c'est lui qui a puissamment contribué à accréditer les légendes admises de nos jours. Ce serait donc une grande erreur que d'admettre comme le véritable personnage historique le Pierre l'Hermite dont nous lisons les faits et gestes dans Guillaume de Tyr et que nous ont dépeint la plupart des historiens venus après lui[8].

Si l'on veut se faire une idée exacte de ce personnage, il faut, avant tout, étudier les sources et partir de là pour déterminer la valeur des récits postérieurs. Il va de soi que l'on ne devra négliger aucun passage d'un écrivain contemporain, si court qu'il soit ; ces passages sont semés un peu partout et ils fournissent une matière suffisante pour servir de point de départ et d'appui à de nouvelles opinions. Même parmi les chroniques et les relations contemporaines, où il est fait mention de l'Hermite, on distinguera facilement celles qui méritent la préférence ; il suffira, pour cela, de considérer d'abord le lieu et l'époque où elles ont été écrites, puis de s'assurer si l'auteur parle comme témoin oculaire ou s'il ne fait que rapporter des renseignements qui lui ont été fournis par des tiers. Ainsi, par exemple, l'histoire d'Albert d'Aix[9] est la source principale à laquelle a puisé Guillaume de Tyr ; ce chroniqueur vivait à l'époque de la première croisade, mais il n'a écrit que longtemps après, vers l'an 1120, et les renseignements qu'il donne lui ont été pour la plupart fournis par d'autres ; il faut donc les soumettre à une sévère critique. De tous les historiens de la première moitié du XIIe siècle, c'est lui qui a écrit sur l'Hermite la relation la plus complète. Il ne se contente pas de mentionner ce que répèteront d'autres après lui, le premier pèlerinage de Pierre en Palestine et la vision qu'il aurait eue, dit-on, à Jérusalem ; il fait un récit de sa marche à la tête de son armée jusqu'à Constantinople et Nicomédie, de sa déroute ; il donne des détails sur son rôle à l'armée des croisés pendant la marche sur Jérusalem. Mais Albert n'est pas un témoin oculaire, et l'on sait qu'il entremêle ses récits d'une telle quantité de légendes, que souvent, en le lisant, on se perd dans les minuties et il faut renoncer à suivre l'ordre chronologique des faits. Ainsi, pour ce qui concerne Pierre l'Hermite, nous ne pouvons le suivre en toute certitude qu'à la condition de posséder d'autres relations authentiques, écrites par des témoins oculaires de la croisade, au moyen desquelles il soit possible de contrôler ses données. Nous croyons donc que le jugement prononcé par Sybel doit faire règle à son égard, et nous sommes convaincu que, dût on arriver à mieux comprendre qu'on ne l'a fait jusqu'ici tel ou tel détail, à force d'étudier l'ouvrage d'Albert lui-même ou les poèmes français sur les croisades, tels que la Chanson d'Antioche, le Chevalier au Cygne et Godefroy de Bouillon et autres, tous d'origine plus récents qu'elle, tous aussi. plus ou moins inspirés par elle, ce jugement ne sera pas infirmé. Lorsque les éléments de contrôle nous font défaut, on en est réduit à faire des hypothèses, à admettre des probabilités, et l'on ne sait jusqu'à quel point il est réellement possible d'accepter les faits présentés par lui ; mais il faut reconnaître que toutes les fois que son récit, si délayé qu'il soit, embrasse des faits relatés également par d'autres, on y retrouve un grand nombre de points exacts. Que conclure de là ? c'est d'abord que, de ce qu'il est seul à relater un fait il n'est pas permis de conclure que ce fait soit faux et, en second lieu, que, si sur les points où il se rencontre avec d'autres auteurs, sa relation a une valeur historique, il peut en être de même pour les faits qui ne se trouvent que chez lui. Il serait donc absolument injuste de rejeter au nombre des légendes, par la seule raison que lui seul les rapporte en détail et qu'on ne les trouve qu'à peine indiqués dans les autres historiens, des faits tels, par exemple, que la marche de l'armée de Pierre à travers la Bulgarie et le grand désastre qu'elle y subit. En résumé, bien qu'il n'ait été personnellement ni témoin oculaire ni témoin auriculaire des évènements qu'il a retracés, son livre est une des principales sources auxquelles on peut puiser dans une étude sur Pierre l'Hermite[10].

Nous citerons encore, comme donnant sur Pierre l'Hermite des renseignements très-précieux : Guibert, abbé de Nogent, qui a vu l'Hermite en personne[11], l'auteur anonyme des Gesta Francorum[12], Foucher de Chartres[13], Raimond d'Aiguilhe[14], Tudebode[15], Baudri de Dol[16], le moine Robert de St.-Remi[17], enfin Anne Comnène[18] : ce qui fait la valeur de tous ces écrivains, c'est qu'ils sont soit témoins oculaires, soit contemporains des évènements. On peut placer sur la même ligne le récit des Annales Rosenveltenses[19], celui de l'Annalista Saxo[20], presque identique avec le précédent, celui des Annales Dysidibodenbergenses[21], celui du comte Foulques d'Anjou[22], celui d'Orderic Vital[23], celui de Radulphe de Caen[24] et la Continuatio Valcellensis de la Chronique de Sigebert[25]. Par contre, l'Historia belli sacri dans sa 1re partie[26] et surtout la Chanson d'Antioche[27], la Conquête de Jérusalem[28], le Roman du Chevalier au Cygne et Godefroi de Bouillon[29] et les Brabantsche Yeesten[30] contiennent sur Pierre l'Hermite des légendes qu'un historien sérieux ne peut pas admettre. A plus forte raison faudra-t-il exercer une critique sévère à l'égard des chroniqueurs qui ont écrit sur Pierre l'Hermite postérieurement à Guillaume de Tyr, sans faire toujours connaître exactement leurs sources : parmi ceux-là nous citerons surtout Gui de Bazoches[31], Alberic de Trois-Fontaines[32] et Gilles d'Orval, ainsi qu'une Charte du couvent de Neufmoustier publiée par Polain, et nous faisons abstraction complète des historiens qui suivent servilement Guillaume de Tyr, tels que Roger de Wendower[33], Matthieu Paris[34], Jacobus de Vitry[35] et Thomas le Toscan[36]. Bref, ce n'est qu'à l'aide des sources originales que nous pourrons nous former une idée vraie sur Pierre l'Hermite, et il faut rejeter bien des choses que, jusqu'à ce jour, soit par ignorance, soit par suite d'une tendance romanesque, on avait admises comme des vérités historiques. Nous établirons dans le cours de cette étude la valeur historique de ces sources et nous les discuterons en détail à mesure que le récit nous amènera à citer les données qu'elles fournissent.

 

 

 



[1] Geschichte des ersten Kreuzzuges. Düsseldorf 1841. p. 227-255 ; 2e édit. Leipzig 1881, pp. 195-211.

[2] Ekkehardi Uraugiensis Abbatis Hierosolymita, Tubing. 1877. p. 50, note 50 ; p. 107, note 16 ; p. 83, note 1.

[3] V. à ce sujet l'article de Waitz intitulé : Ueber die falschen Richtungen in der Geschichtschreibung dans l'Hist. Zeitschr. de Sybel, I. 17 ss.

[4] A notre avis, il faut placer au nombre des œuvres de pure imagination le petit traité, devenu très-rare, intitulé : La Vie du Vénérable Pierre l'Hermite, Autheur de la Ire Croisade et conqueste de Jerusalem, Père et fondateur de l'Abbaye de Neuf-Moustier et de la Maison des l'Hermites. Avec un brief Recueil des croisades suivantes, qui contient un abrégé de l'Histoire de Jerusalem iusques à la perte de ce Royaume. Par le P. Pierre d'Oultreman, de la Compagnie de Jésus. A Paris chez Lovis Bovlanger, rue S. Jacques, à l'image S. Louis devant S. Yues. 1645. in-12°. Outre les sources imprimées dans les Gesta Dei per Francos de Bongars, d'Oultreman a puisé les éléments de son récit dans les ouvrages ci-après : Aubert, Histoire des guerres contre les Turcs (Paris, 1559) ; Lannel de Chaintreau, Histoire de Godefroi de Bouillon (Paris 1626 in-12°) ; Molanus, Sacra Militia Ducum Brabantice (1593), et les autres ouvrages du même auteur, surtout les Natales Sanctorum Belgii, Louvain 1593 ; Paulus Emilius de Gestis Francorum (Paris 1539) ; Polydorus Vergilius de Rerum inventoribus libri VIII (Rom. 1499) ; Platina, Opus de Vitis ac Gestis summorum Pontificum (Col. 1562) ; les Romans poétiques du Tasse et du Chevalier au Cygne et toute une série de pièces fausses énumérées au chap. II. 2 ; enfin un manuscrit de dom Alonzo Gomez de Minchaca intitulé : Fechos heroicos de la cavalleria Europeana en conquista de Jerusalem (écrit vers l'an 1300). D'Oultreman, esprit dénué de critique, a fait un mélange des indications fournies par ces ouvrages avec celles des sources authentiques, de tel sorte que, loin d'offrir un caractère certain de vérité historique, son œuvre n'a d'autre valeur que celle d'un agréable roman. Voy. du reste, au sujet de ce livre, ce qui est dit au chap. II. 2. Récemment encore on l'a cité comme une source abondante de renseignements sur la vie et le caractère de Pierre l'Hermite. Vion l'a reproduit presqu'en entier dans son livre Pierre l'Hermite et les croisades ou la civilisation chrétienne au moyen-âge (Amiens 1853) ; ce livre contient une quantité de fables et va, sous ce rapport, encore plus loin que celui d'Oultreman. Dans ses Recherches sur Pierre l'Hermite et la croisade (Paris et Bruxelles 1856), Léon Paulet s'approprie à son tour les inventions de d'Oultreman et essaie de les justifier. D'autres, avant eux, avaient largement puisé dans l'ouvrage de d'Oultreman ; citons : Mailly, Esprit des Croisades, ou histoire politique et littéraire des guerres entreprises par les Chrétiens contre les Mahométans, pendant les XIe-XIIIe siècles (Dijon 1780) ; Relier, Geschichte der Kreuzzüge (Frankenthal 1784) ; il n'a d'ailleurs fait que copier le 2e volume de la traduction allemande de l'œuvre de Mailly, paru à Leipzig en 1782 ; enfin Haken, Gemalde der Kreuzzüge (Frankf. 1808). Wilken a fait preuve de plus de jugement ; dans son ouvrage intitulé Geschichte der Kreuzzüge (Leipzig 1807, vol. I, 47) il dit : Dans sa vie de Pierre, le jésuite d'Oultreman a donné des renseignements plus précis, mais l'authenticité en est au moins douteuse. Peyré, dans son Histoire de la première Croisade (Paris 1859), a porté un jugement non moins exact ; dans le vol. I, p. 47, on lit : Il existe deux histoires anciennes de Pierre l'Hermite, l'une de A. Thevet, 4 pages in-12 (reproduite en 1854 dans l'Histoire des plus illustres et savants hommes de leur siècle, in-fol.), l'autre du P. d'Oultreman, 68 pages in-18°. Elles méritent l'une et l'autre assez peu de confiance. M. le comte Riant possède un exemplaire de cet ouvrage, devenu extrêmement rare ; c'est grâce à sa libéralité bien connue, qu'il m'a été possible de le parcourir ; je l'avais cherché en vain dans les bibliothèques d'Allemagne. Hody n'en connaissait de son temps que deux exemplaires existant en Belgique ; l'un appartenait à M. le chanoine Wilmet, de Namur, le second à M. Ulysse Capitaine à Liège. Voy. Hody, Godefroy de Bouillon et les Rois latins de Jérusalem, 2e édit. Paris 1859, p. 108.

[5] Sous le titre de Gesta Dei per Francos sive Orientalium expeditionum et regni Francorum Hierosolomytani Historia. Hannovite, 1611. in-fol.

[6] Benedetto degli Accolti, né à Arezzo en 1415, était, à l'époque de sa mort (1466), secrétaire de la république de Florence. Il écrivit une histoire de la première croisade, qui a eu plusieurs éditions, sous le titre Benedicti Accolti de Bello a Christianis contra Barbaros gesto pro Christi Sepulcro et Judæa recuperandis libri IV ; la première édition est de Venise, 1532, in-4° ; la deuxième, avec notes de Thomas Dempster, est de Florence, 1632, in-4° ; la dernière a été donnée par M. Hofsnider, Groningue, 1731. Dans cette dernière édition, on lit à la p. 4 : Ideo nuper libres legens, geste eorum continentes, qui Christi sepulcrum, Judæamque omnem recuperarunt, inepte Scriptos absque ornatu orationis, atque ideo paucis notos, ægre tuli, ejusmodi viros illis non impares, quorum gesta prisci tradunt rerum scriptores, ita obscuros factos esse, ut, qui fuerint, quæ gesserint, pene ab omnibus ignorentur, eosque ingratissimos censui, magni certe criminis reos, qui doctrina, eloquioque præstantes hanc historiam non scripsere, illos obliti, qui pro tuenda religione, pro salute humani generis, pro sola virtute dimicarent. Au sujet de ce livre, voy. Meusel, Bibl. hist. II, pars. II. p. 300 ; Michaud, Hist. des Crois. t. VI ; Bibliogr. des Crois. t. II, p. 709 ; v. Sybel, Gesch. d. erst. Kreuzz., p. 160. Ajoutons encore que dans son style Accolti imite Salluste, César et Quinte-Curce. On admet généralement que le Tasse lui a emprunté la matière de son poème héroïque.

[7] V. Gesch. d. erst. Kreuzz. p. 137, 2e édit. p. 134 : Mais toutes ces qualités ne suffisent pas pour donner à cette œuvre (le livre de Guillaume de Tyr) le caractère d'une source ; ses tableaux sont d'un dessin exact, mais, à côté de l'original, la couleur est pâle, elle est complètement altérée. Ce qui prédomine chez l'auteur, c'est le désir de donner de l'unité à son récit ; quelle que soit la source à laquelle il puise, il faut que, sous sa plume, elle reçoive l'empreinte invariable qu'il a voulu donner à son œuvre. Cette méthode produit assurément un ensemble harmonieux, mais elle détruit l'impression de la réalité, elle empêche de reconnaître et de juger les matériaux qui ont servi à le construire.... Dans les premiers livres de son histoire, Guillaume cite une quantité de lettres, de documents, de discours et de conversations ; il semble, et on l'a cru souvent, qu'il ne fait que reproduire fidèlement une tradition authentique. Mon opinion est que toutes ces pièces sont de pure invention et que pas une d'elles n'est basée sur un document ancien. Dès le commencement, par exemple, voici les entretiens de Pierre l'Hermite avec le patriarche de Jérusalem ; or, on ne les trouve, sous cette forme, dans aucune des sources connues ; mais dans les divers morceaux dont ils se composent, on reconnaît à ne s'y point méprendre un instant, et malgré les différences notables qui existent entre les deux récits, celui dont ils ont été extraits ; c'est la relation d'Albert !

[8] Nous ne faisons pas même d'exception en faveur de Peyré, car il fait preuve de routine dans le jugement qu'il prononce sur Guillaume (t. I, p. XV) : Albert d'Aix et Guillaume de Tyr sont, parmi les historiens du moyen-âge, ceux qui ont traité avec le plus d'étendue la grande épopée de nos guerres d'Orient. Leurs récits rigoureusement pourraient suppléer à ceux de tous les autres historiens des croisades, quoique ces deux écrivains n'aient point assisté en personne aux événements qu'ils décrivent. Parmi les historiens anciens, je n'en citerai que deux, Molanus et Dempster. Le premier dit, dans l'ouvrage intitulé : Militia sacra ducum et principum Brabantiæ (Any. 1592) p. 87 : Multi hanc sacrum historiam descripserunt, sed nemo, ut mihi quidem apparet, plenius et syncerius, quam Guillemus archiep. Tyrius, regni Hieros. Cancellarius. Le second, dans sa Préface placée en tête de l'œuvre d'Accolti, éd. Hofsnider, p. 12, qualifie Guillaume Omnibus aliis longe præponendus.

[9] Historia Hierosolymitance Expeditionis, ap. Bongars I, 184-381 : c'est une réimpression de l'ouvrage intitulé Chronicon Hierosolymitanum, i. e. de Bello Sacro Historia exposita libres XII, éd. Reineccius, Helmstadt 1584. Cette histoire fait également partie du Recueil des Hist. des crois., Hist. Occid. t. IV, 265-689, où elle est accompagnée d'une remarquable introduction de Paul Meyer. Le prof. Prutz, dans ses Quellenbeitrage zur Gesch. der Kreuzzüge, Danzig 1876, p. VII (Documents originaux relatifs à l'histoire des croisades) en annonce une nouvelle édition. Il existe encore actuellement plusieurs exemplaires connus de Manuscrits de l'Historia Hier. d'Albert ; le plus connu est celui de Darmstadt ; voy. à ce sujet le supplément III de l'édition allemande de cette étude et l'avant-propos du Rec., t. IV. p. XXVII ; et encore la dissertation de Krebs, Zur Kritik Alberta von Aachen, p. 1. s. ; on y trouvera une recherche intéressante des sources qui ont fourni la matière des deux premiers livres d'Albert.

[10] M. Pigeonnau, dans son ouvrage intitulé Le cycle de la croisade et de la famille de Bouillon (1877), p. 16, donne une place à part à l'Histoire d'Albert. D'après lui, ce serait la source la plus sûre pour l'histoire de la première croisade : c'est une erreur absolue et nous croyons avoir établi dans le cours de notre étude ce que cette opinion a d'erroné. Sybel a déjà poussé cette démonstration jusqu'à l'évidence dès 1841, dans son ouvrage Gesch. des ersten Kreuzzuges : il a de nouveau discuté à fond ce point dans la 2e édit. du même ouvrage, publiée en 1881. Il dit excellemment p. 467 (2e éd. p. 894) : Ce livre (celui d'Albert) est un composé des matières les plus diverses, rassemblées avec une étonnante naïveté ; ici la relation d'un Normand ou d'un Lorrain, là celle d'un Provençal ; dans tous ces récits apparaît bien en évidence la passion personnelle ou nationale ; dans tous ressortent non point los qualités, mais les défauts des relations faites par des personnes qui n'ont point assisté aux évènements qu'elles racontent. Et cependant, pourrait-on ajouter, s'il a puisé à des sources verbales ou écrites bien diverses, Albert a su s'en servir de telle sorte que nulle part on ne peut méconnaître son style propre. Pour nous, l'impression produite, n'est pas celle d'une froide compilation de relations diverses, faciles à reconnaître par cette diversité même et ajoutées bout à bout ; nous trouvons au contraire, répandue à travers tout le récit, la méthode d'exposition d'Albert avec sa marque bien personnelle : il y manque le mouvement poétique, mais elle n'en a que davantage un caractère de légende ; elle dénote chez l'auteur, non le sens de l'exactitude historique, mais une manière de voir qui reflète cette exactitude comme dans un miroir brisé ; or, à côté des récits fournis par les sources exactes, une œuvre écrite suivant une pareille méthode ne peut avoir qu'une médiocre valeur ; à plus forte raison ne peut elle pas être mise en parallèle avec l'œuvre d'un témoin oculaire. M. Kugler a donné dans l'Historische Zeitschrift de Sybel, Neue Folge, VIII, 22-46 un intéressant article intitulé : Peter der Eremite und Albert von Aachen : c'est une critique de notre étude ; il nous accuse, avec une certaine vivacité, de manquer de justice à l'égard de l'œuvre d'Albert ; il nous reproche de n'avoir point su nous arrêter à un jugement positif sur cet écrivain ; reproche immérité. Nous avons exprimé notre jugement d'une manière qui ne prête à aucune équivoque, pp. 8 et 9, 160 et 161 de l'édition allemande ; œ jugement, noue l'avons basé sur les nombreuses recherches personnelles que nous avons eu l'occasion de faire lorsque nous écrivions notre commentaire de l'Hierosolymita d'Ekkehard ; dans ce jugement nous avons adopté absolument la manière de voir de Sybel ; notre opinion à cet égard n'a point changé depuis, et s'il est possible de la modifier sur quelques points de détail, nous pensons qu'il est impossible de la détruire, quelles que soient les recherches auxquelles on se livre au sujet des sources auxquelles Albert a puisé.

[11] Guibert Historia Hierosolymitana, quæ dicitur Gesta Dei per Francos : se trouve dans l'édition des œuvres de Guibert, de d'Achery, pp. 367-455 ; dans Bongars, I, 467-560 ; dans Migne, Patrolog. Curs. t. CLVI, et dans le Recueil, Hist. Occid., t. IV, 128 —263.

[12] Bongars I, 1-30 ; Recueil, Hist. Occid. III, 121-163, sous le titre : Gesta Francorum et aliorum Hierosolymitanorum seu Tudebodus abbreviatus.

[13] Historia Hierosolymitana dans Bongars, I, 381 ss. ; Du Chesne, Hist. Franc., pp. IV, 816 ss., et Recueil, Hist. Occid. III. 311 ss.

[14] Hist. Francorum qui ceperunt Jerusalem, dans Bongars I. 139 ss. et Recueil, Hist. Occi. III. 231-310.

[15] Hist. de Hieros. itinere dans Du Chesne, Hist. Franc. pp. IV, 770 ss. ; et Recueil, Hist. Occid. III, 1 ss. Etienne de Goy en a donné une traduction en français, sous le titre : Mémoires de l'Historien Pierre Tudebode dans son pèlerinage à Jérusalem. Traduit du latin avec notes, table des noms de famille et table des noms géographiques. Quimper, 1877.

[16] Historia Hierosolymitana : Bongars I, 81-138 ; Rec. Hist. Occ. IV, 3-89. Voy. aussi l'ouvrage très-intéressant de Pasquier, Un poète du XIe siècle. Baudri, abbé de Bourgueil, archevêque de Dol, 1046-1130. Paris 1878.

[17] Historia Hierosolymitana. Reuber, SS Rec. Germ. Francf. 1584 pp. 217-271 ; éd. Joannis pp. 303-398 : Bongars I. 30-81 : Rec. des Hist. Occ. III. 717-882. La première édition imprimée a paru dès 1472 chez Ter Hœrnen à Cologne ; on y avait intercalé des passages de l'Histor. Hieros. de Foucher. Cette édition est devenue extrêmement rare ; il en existe un exemplaire à la Bibliothèque Nationale de Paris (réserve J 286 A) ; un autre exemplaire se trouve à la Bibliothèque de l'université de Bonn (N° 448 . 113 a sec. XV). Il existe encore un grand nombre de manuscrits de l'Historia de Robert ; la Société de l'Orient latin en connaît actuellement environ 80 ; Voy. Riant, Alexii Comneni ad Robertum Flandr. com. Epistola spuria, Genève 1879 ; du même : Inventaire des lettres historiques des Croisades, Paris 1880, pp. 71 ss.

[18] Dans l'Alexias, éd. Petr. Possin, Paris 1651, p. 283 ; éd. Venet, p. 224 ; Recueil, Hist. Grecs, Paris, 1875 t. I, pars. II. Corpus SS. Hist. Byz. éd. M. Reifferscheld, Bonn, 1878.

[19] Mon. Germ. hist. SS. t. XVI.

[20] Mon. Germ. hist. SS. t. VI.

[21] Mon. Germ. hist. SS. t. XVI.

[22] Historicæ Andegavensis fragmentum, dans d'Achéry, Spicilegium sive collectio veterum aliquot scriptorum. t. III, p. 234.

[23] Historiæ ecclesiasticæ libri XIII, dans Du Chesne, SS. RR. Norm., pp. 316 —925 ; le Prévost (Paris, 1838-1855), 5 vol. et dans Migne Patrolog. Curs. t. 188.

[24] Gesta Tuncredi in expeditione Hierosol., éd. Martene, Thesaur. anecdot. III, 108-210 ; Muratori, SS. RR. Ital. V, 285-333 ; et Rec., Hist. Occ. III, 587 —716.

[25] Mon. Germ. hist. SS. VI. 458-460.

[26] Mabillon, Museum Ital. I, pars. II, 130 ; et Rec., Hist. Occ., III, 161-230 sous le titre Tudebodus imitatus.

[27] La Chanson d'Antioche, composée au commencement du XIIe siècle par le pèlerin Richard, renouvelée sous le règne de Philippe-Auguste par Graindor de Douay. Publiée pour la première fois par Paulin Paris, tom. 2, Paris 1848. La comtesse de Ste. Aulaire en a publié une traduction, Paris, 1862. Sybel a donné quelques morceaux de ce poème, traduits en allemand, dans son article intitulé Aus der Geschichte der Kreuzzüge, publié dans les Wissenschaftliche Vorträge, gehalten zu München im Winter 1858 (Conférences scientifiques faites à Munich pendant l'hiver de l'année 1858), Brunswick 1858, p. 38-45. Kugler les a reproduits dans son histoire intitulée Geschichte der Kreuzzüge, Berlin 1880, p. 53 et s. Dans Le Cycle de la Croisade, Pigeonneau a consacré une étude à ce poème ; contrairement à l'opinion de P. Paris, il en fixe la composition dans la période comprise entre les années 1125 et 1138. Paulin Paris, dans sa Nouvelle étude sur la chanson d'Antioche (Paris 1878), a essayé de réfuter les conclusions de Pigeonneau, mais il ne me semble pas qu'il y ait réussi. Sybel, Gesch. d. erst. Kreuzz., 2e éd., p. 93 ss., admet également qu'il ne peut y avoir de relation d'origine entre La Chanson d'Antioche et le livre d'Albert. On trouvera aussi une discussion sur ce point dans l'édition allemande, suppl. II.

[28] M. Hippeau a publié en 1868 un ouvrage intitulé : La Conquête de Jérusalem, faisant suite à la Chanson d'Antioche. Paris, in-8°. La Bibliothèque de l'École des Chartes, t. XXXI, année 1870, pp. 227 sa. a donné une étude sur cet ouvrage ; entre autres critiques on y reproche à M. Hippeau de n'avoir publié que 9135 vers, au lieu des 22.000 environ qui composent le manuscrit, et encore n'a-t-il pas évité des fautes qui altèrent le sons. D'après Pigeonneau, ce poème est d'un autre auteur que la Chanson d' Antioche ; il serait aussi d'une époque plus récente et aurait été composé immédiatement après la deuxième croisade.

[29] Reiffenberg, Monum. pour servir à l'histoire des Provinces de Namur etc., 2e division. Légendes historico-poétiques, t. IV VIII. Brux. 1847-1854. L'introduction placée en tête de chaque volume est extrêmement instructive.

[30] De Brabantsche Yeesten of Rymkronyk van Braband, door Jan de Klerk, van Antwerpen witgegeven door J. F. Willems, Brux. 1839. Cet ouvrage a été composé entre les années 1318 et 1350 ; pour ce qui concerne la première croisade et Pierre l'Hermite en particulier, l'auteur s'est inspiré de Guillaume de Tyr et peut-être aussi directement d'Albert d'Aix ; le dialecte employé est le Bas-Allemand.

[31] Sur Gui de Bazoches, v. Mon. Germ. SS. XXIII, 663. Dans la préface de la chronique appelée Chronicon Alberici monachi Triumfontium, Scheffer-Boichorst donne de nombreux détails sur cet écrivain. Jusqu'à nos jours on ne connaissait de lui que les fragments conservés par Albéric et quelques autres, mais surtout par Albéric, qui en a inséré des passages entiers dans sa chronique : on croyait le reste perdu, mais M. le comte Riant en a récemment retrouvé un manuscrit à Paris. Voy. Exuviæ sacræ Constantinopolitanæ I. p. XXI. M. le comte Riant a bien voulu nous faire savoir qu'il existe des fragments du même écrivain à Rome, à Luxembourg et à Tournai, mais qu'Albéric a reproduit dans sa chronique presque tous les passages de Gui de Bazoches qui avaient trait à la première croisade.

[32] Sur Albéric de Trois-Fontaines, Gilles d'Orval et la Charte de Polain voy. le dernier chapitre (VI) de notre étude et, dans l'édition allemande, le supplément VII (pp. 363-368).

[33] Rogeri de Wendower Chronica sive Flores historiacum, édition Coxe, Lond. 1841, t. II.

[34] Matthæi Parisiensis monachi S. Albani Historia Anglorum sive ut vulgo die itur Historia minor, édit. Madden, vlo. I-III, Lond. 1865, et, du même, Chronica majora, éd. Louard, vol. II. Lond. 1874.

[35] Jacobi de Vitriaco libri duo, quorum prior Orientais, sive Hierosolimitanæ, alter occidentalis Historiæ nomine inscribitur. Dusci, 1597, in-8° ; publié également par Bongars dans les Gesta Dei I.

[36] Gesta Imperatorum et Pontificum, éd. par Böhmer, Fontes IV, 618 ss. ; et Mon. Herm. SS., XXII, 483-528, éd. par Ehrenfeuchter.