MÉMOIRES POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE MON TEMPS

TOME DEUXIÈME — 1830-1832.

CHAPITRE XIII. — M. CASIMIR PÉRIER ET LA PAIX (13 mars 1831 - 16 mai 1832).

 

 

Tous les moralistes, prédicateurs religieux ou observateurs philosophes, s’accordent à dire que rien n’est plus difficile à l’homme que de sortir de la mauvaise voie quand il y a longtemps marché. Et les moralistes chrétiens, qui sont les plus profonds de tous, affirment que la volonté humaine ne suffit pas seule à une telle œuvre, et qu’un secours surhumain, l’action de Dieu sur l’âme, est nécessaire pour que le repentir, devenu efficace, amène dans l’homme la régénération.

Les politiques, chrétiens ou non, pourraient tenir sur les nations le même langage. Il leur est bien plus difficile de se réformer qu’elles ne le pensent. Quand elles ont vécu longtemps sous l’empire d’une passion, quand elles ont tenu longtemps, par leur propre impulsion ou par celle de leurs chefs, une certaine conduite, il faut bien du temps et de bien grands efforts pour que l’intérêt même et la nécessité surmontent la routine, et les décident à entrer franchement et de bonne grâce dans de nouvelles voies.

C’est peut-être en matière de politique extérieure, et quand il s’agit d’introduire dans les rapports des peuples la justice et le bon sens, que l’œuvre de la réforme est le plus laborieuse et lente : Telle est, dit Adam Smith, l’insolence naturelle du cœur de l’homme que, pour atteindre au but de ses désirs, il ne consent à employer les bons moyens qu’après avoir épuisé les mauvais. Plus naturellement encore que l’individu isolé, les peuples débutent, dans leurs relations au dehors, par l’insolence et la violence. Que la puissance, le progrès, la grandeur, la gloire soient leur passion, je n’ai garde de m’en étonner ni de m’en plaindre ; s’ils ne ressentaient pas cette passion, c’est qu’ils seraient tombés ou bien près de tomber dans le pire des égoïsmes, celui de l’apathie. Comme les individus, les nations sont faites pour vivre entre elles en société, et la société, c’est le mouvement, l’émulation, le développement, tantôt par le concert, tantôt par la lutte des idées, des intérêts et des forces. Ainsi s’est fondée, ainsi a vécu depuis dix-neuf siècles la Chrétienté, le plus vaste et le plus bel exemple de la société entre des peuples et des États divers. Mais quand je dis que cet exemple est beau, je me contente à bon marché, et je ne pense qu’au fait général de la grande société chrétienne sans considérer la conduite qu’y ont tenue entre eux les gouvernements et les peuples. Quoique moralement supérieure à celle de toutes les autres sociétés de l’histoire, la politique des États chrétiens les uns envers les autres n’en a pas moins été jusqu’ici voisine de la barbarie. Barbarie des spectateurs comme des acteurs, des gouvernés comme des gouvernants. C’est surtout au delà de leurs frontières qu’à travers l’éclat des guerres et l’habileté des négociations se sont déployées les passions grossières et ignorantes des princes et des peuples. L’imperfection des gouvernements a toujours été grande, mais bien plus grande dans les affaires du dehors que dans celles du dedans. La politique extérieure a été le théâtre favori de la violence brutale ou habile, de la fraude et de la badauderie, de l’égoïsme imprévoyant et de la crédulité emphatique. Dans aucune autre de leurs fonctions, les gouvernements n’ont été si indifférents au bien ou au mal, si légers ou si pervers, ou si chimériques ; sur aucun autre sujet, les peuples ne se sont montrés si ignorants de leurs droits et de leurs intérêts véritables, si prompts à n’être que des instruments et des dupes.

La Révolution française s’était promis et avait promis au monde la réforme de ce mal comme de tous les autres. Quand elle disait : «Plus de guerres, plus de conquêtes,» quand elle posait en principe que la justice et la morale devaient régler les rapports des États entre eux comme ceux des citoyens dans chaque État, elle était sincère et croyait vraiment marcher au but qu’elle proclamait. C’était sa destinée de faire éclater à la fois les plus nobles ambitions et les plus mauvaises passions de l’humanité, et d’expier son orgueil dans les démentis et les mécomptes. Elle a suscité la plus violente et la plus inique politique extérieure que le monde eût encore connue, la politique de propagande armée et de conquête indéfinie, le bouleversement par la guerre de toutes les sociétés européennes, pour en faire sortir, aujourd’hui la république partout, demain la monarchie universelle. C’est dans cette ornière que de 1792 à 1814, au mépris du bon sens comme du droit, la politique extérieure de la France a marché.

Comment et par qui commença la lutte ? De qui vint la provocation ? Quels furent, au premier moment, les torts mutuels de la France et de l’Europe ? Quelles nécessités, réelles ou imaginaires, justifient ou du moins expliquent, de l’une et de l’autre part, l’agression et la résistance ? Je ne regarde pas à ces questions ; je me borne à marquer le fait dominant, le caractère essentiel des relations de la France avec l’Europe, de 1792 à 1814 : ce fut la guerre, la guerre de révolution et de conquête, l’atteinte incessante à la vie des gouvernements et à l’indépendance des nations.

En 1814, la France et l’Europe sortirent de cette détestable voie ; d’autres maximes prévalurent dans la politique extérieure des États. Il ne fut plus question ni d’une domination unique en Europe, ni de la propagande des idées ou des institutions par les armes. Des États très diversement constitués et gouvernés, des monarchies absolues, des monarchies constitutionnelles, de petites républiques prirent ou reprirent tranquillement leur place dans la société européenne. La guerre cessa d’être le régime habituel des gouvernements et des peuples. On ne vit plus les territoires et les nations changer tous les deux ou trois ans de nom et de maître. Avec la paix et le respect des traditions, le droit reprit dans la politique extérieure de l’Europe quelque empire.

On a beaucoup attaqué les deux puissances qui, de 1814 à 1830, ont le plus influé sur cette politique, le congrès de Vienne d’abord, puis la Sainte-Alliance ; on a violemment critiqué l’organisation que le congrès de Vienne donna à l’Europe, et l’empire que la Sainte-Alliance y prétendit exercer. Je n’examine et ne conteste point ces critiques : il est vrai, le congrès de Vienne a plus d’une fois disposé arbitrairement des territoires et de leurs habitants sans grand égard pour leurs droits, leurs intérêts et leurs vœux ; l’égoïsme des grandes puissances naguère victorieuses a tenu dans ses délibérations plus de place qu’une vue haute et libre des besoins de l’ordre européen ; ses combinaisons géographiques et diplomatiques n’ont pas toujours été justes ni heureuses. La Sainte-Alliance avait grand effroi du progrès de la vie et de la liberté politique en Europe ; elle a fait grand abus, surtout grand étalage, du droit d’intervention dans les États étrangers, posant en principe général et permanent ce qui ne peut être qu’une exception momentanée, un accident justifié par quelque grand, direct et clair intérêt. Je ne me fais l’apologiste ni de la Sainte-Alliance, ni du congrès de Vienne ; mais je relève deux faits méconnus ou passés sous silence par leurs ennemis. Tous les reproches qu’on leur adresse, les gouvernements qui, dans les époques précédentes, de 1792 à 1814, dominaient en Europe, les avaient encore plus mérités. Bien plus violemment et plus continûment que le congrès de Vienne, la Convention et l’empereur Napoléon Ier avaient disposé du sort et du partage des États, terres et âmes. Ils étaient bien plus violemment intervenus dans les affaires des peuples étrangers, tantôt détrônant leurs rois, tantôt leur en imposant de nouveaux, et changeant leurs lois ou leurs alliances aussi bien que leur sort politique. L’empereur Napoléon Ier n’avait-il pas porté son droit d’intervention jusqu’à vouloir régler la législation commerciale de tout le continent européen, et trouver, dans les entraves imposées à la nourriture ou au vêtement de toutes les familles chez tous les peuples, des armes pour sa lutte contre l’Angleterre ? Je sais tout ce qui se peut dire pour défendre, pour expliquer du moins les erreurs et les violences de cette orageuse époque ; je sais aussi les services qu’à travers ce qu’elle lui a coûté elle a rendus à la France, et le bien qui est resté de ses œuvres, même après ses revers. Mais les faits que je viens de mettre en lumière n’en sont pas moins certains ; le bon sens comme la justice veulent qu’on applique à toutes les époques ou la même indulgence, ou la même sévérité ; et à tout prendre, il y avait en Europe, après le travail du congrès de Vienne et sous la domination de la Sainte-Alliance, plus de liberté et de respect du droit que sous le régime de la Convention ou de l’empereur Napoléon Ier.

En 1830, après la Révolution de juillet, le mouvement qui éclata, en fait de politique extérieure, n’était qu’un retour routinier vers les pratiques de l’époque révolutionnaire et impériale, une rechute dans la guerre de propagande et de conquête ; rechute d’autant plus inopportune et périlleuse qu’elle était dénuée de tout grand et spécieux motif. La France venait de faire, envers l’étranger, acte de la plus complète et de la plus fière indépendance ; et cet acte, loin de lui attirer aucune agression, aucune menace, était reconnu et accepté de toutes les puissances européennes avec un empressement qui marquait, sinon leur bon vouloir, du moins leur prudence et leur désir d’éviter avec nous tout grand conflit. Jamais politique ne fut moins originale, plus empruntée à d’anciennes impressions, plus dépourvue de l’intelligence des temps que celle où M. Mauguin, le général Lamarque et leurs amis s’efforcèrent alors d’entraîner le pays et son gouvernement nouveau. Rien, ni dans sa situation, ni dans ses relations avec l’Europe, n’appelait la France dans une telle voie, et la plupart de ceux qui l’y poussaient n’étaient poussés eux-mêmes que par des réminiscences de vieillard ou des alarmes d’enfant.

Une seule idée, un seul sentiment, au milieu des déclamations de cette époque, avaient quelque ombre de grandeur : c’était le vœu qu’indépendamment de tout intérêt direct et actuel, pour remplir une mission de civilisation et de liberté, la France se fît partout en Europe le redresseur des torts, le protecteur des faibles, le patron des bonnes causes impuissantes à triompher par elles-mêmes. Je ne suis pas de ceux qui sourient dédaigneusement à cette prétention et la traitent de pure folie. Tel est maintenant dans le monde l’état des esprits, tels sont, en dehors des circonscriptions territoriales, les liens intimes, les rapports rapides et continus des peuples, qu’il y a, dans ce désir d’une action lointaine exercée pour les droits et les intérêts des portions diverses de la grande société humaine, une certaine mesure de vérité et de puissance qui exige qu’on en tienne sérieusement compte. Les grands politiques du XVIe siècle comprirent le rôle des sentiments religieux, et leur firent une large part de respect et d’empire ; de nos jours, les sentiments sympathiques et libéraux des peuples les uns envers les autres ont droit, de la part d’une politique éclairée, à la même attention et aux mêmes ménagements.

Mais les avocats de cet apostolat général de la France au service de l’humanité oublient un grand devoir et un grand fait dont une politique sensée et morale doit constamment se préoccuper. Le devoir, c’est que les premiers devoirs d’un gouvernement sont envers sa propre nation, et qu’il lui doit le bon état intérieur, la justice, la prospérité, le respect de ses droits, de ses vœux et de son sang, avant de rien devoir aux peuples étrangers. Le fait, c’est que l’intervention, par les armes, dans les affaires d’une nation étrangère n’y tourne presque jamais au profit de la justice et de la liberté. Tantôt cette intervention donne à un parti une domination factice et passagère, faisant au sein d’un même peuple des vainqueurs et des vaincus par l’étranger ; tantôt elle ranime les susceptibilités nationales, les élève au-dessus des querelles intérieures, et rallie contre l’étranger les vainqueurs et les vaincus qu’il a faits. Et en définitive, la puissance intervenante se trouve presque toujours obligée ou de se retirer impuissante devant l’obstination du mal auquel elle voulait mettre un terme, ou d’opprimer elle-même le peuple qu’elle était venue secourir.

C’est que l’indépendance nationale est, chez les peuples, un sentiment si naturel, si puissant, si vivace, qu’il faut se garder avec grand soin de le blesser, même quand les apparences du moment semblent inviter l’intervention étrangère et lui promettre un facile succès. M. Dupin a exprimé ce sentiment d’une façon excessive quand il a dit : Chacun chez soi, chacun pour soi ; les nations ne sauraient être à ce point isolées et indifférentes les unes aux autres ; mais malgré la brutalité de l’expression, il y a, dans l’idée même, un grand fond de vérité. Quand un peuple a vécu à travers les siècles, il devient une personne dont l’égoïsme historique est légitime et respectable ; c’est une famille à qui il faut laisser faire elle-même, et comme elle l’entend, ses propres affaires ; c’est une maison où nul étranger n’a le droit d’entrer de force, même pour y porter la justice ou la liberté.

La force et la guerre, d’ailleurs, sont de mauvais moyens pour rétablir ou propager la justice et la liberté. C’est par les influences morales et avec le concours du temps que de tels progrès s’accomplissent réellement et sûrement. L’aspect et l’exemple d’un pays bien gouverné sont plus puissants que les armées pour répandre les idées et les désirs de bon gouvernement. Ce sont des germes qu’il faut semer et confier au vent, laissant au sol où ils iront tomber et à ses propriétaires le soin de les faire croître et de les cultiver comme il leur conviendra.

La Révolution française et l’empereur Napoléon Ier ont jeté un certain nombre d’esprits, et quelques-uns des plus distingués, dans une excitation fiévreuse qui devient une véritable maladie morale, j’allais dire mentale. Il leur faut des événements immenses, soudains, étranges ; ils sont incessamment occupés à défaire et à refaire des gouvernements, des nations, des religions, la société, l’Europe, le monde. Peu leur importe à quel prix ; la grandeur de leur dessein les enivre et les rend indifférents aux moyens d’action, aveugles aux chances de succès. A les entendre, on dirait qu’ils disposent des éléments et des siècles ; et selon qu’à l’aspect de leur ardent travail on serait saisi d’effroi ou d’espérance, on pourrait se croire aux derniers jours du monde ou aux premiers jours de la création.

Je l’ai dit ailleurs et je tiens à le redire ici : au milieu de cette recrudescence révolutionnaire et de ces effervescences chimériques, ce sera la gloire du roi Louis-Philippe d’avoir compris et pratiqué une politique sensée, mesurée, patiente, régulière, pacifique. On en attribue souvent tout le mérite à sa prudence et à un habile calcul d’intérêt personnel. On se trompe : quand on a fait la part, même large, de l’intérêt et de la prudence, on n’a pas tout expliqué ni tout dit. L’idée de la paix, dans sa moralité et sa grandeur, avait pénétré très avant dans l’esprit et dans le cœur du roi Louis-Philippe ; les iniquités et les souffrances que la guerre inflige aux hommes, souvent par des motifs si légers ou pour des combinaisons si vaines, révoltaient son humanité et son bon sens. Parmi les grandes espérances sociales, je ne veux pas dire les belles chimères, dont son époque et son éducation avaient bercé sa jeunesse, celle de la paix l’avait frappé plus que toute autre, et demeurait puissante sur son âme. C’était, à ses yeux, la vraie conquête de la civilisation, un devoir d’homme et de roi ; il mettait à remplir ce devoir son plaisir et son honneur, plus encore qu’il n’y voyait sa sûreté.

Pour être modéré et prudent, il ne s’enfermait pas d’ailleurs dans une sphère étroite et oisive. En même temps qu’il maintenait pour la France la paix et refusait pour sa famille des trônes, il portait son action hors de nos frontières et soutenait là aussi les intérêts légitimes de la politique française. A côté du principe du respect des traités, il en posait et pratiquait un autre, le respect de l’indépendance des États limitrophes de la France et qui forment comme sa ceinture, la Belgique, la Suisse, le Piémont, l’Espagne. M. Molé déclarait au baron de Werther que, si des soldats prussiens entraient en Belgique, les soldats français y entreraient en même temps. M. de Rumigny portait en Suisse, et M. de Barante à Turin, des paroles analogues. La Belgique prenait en effet, péniblement mais sans obstacle étranger, sa place parmi les États européens. La Suisse accomplissait librement, dans ses constitutions intérieures, les réformes qu’à tort ou à raison elle jugeait nécessaires. Le Piémont, bien éloigné alors des innovations politiques, se serrait contre l’Autriche, mais sans tomber sous sa dépendance, et en ménageant avec soin la France dont il redoutait l’hostilité et pouvait un jour désirer l’appui. L’époque se laissait déjà pressentir où l’Espagne aurait besoin que la France reconnût et soutînt son nouveau régime politique. Partout autour de notre territoire le gouvernement du roi Louis-Philippe exerçait son action, écartant toute intervention étrangère, protecteur sans ambition, mais efficace, de l’indépendance de ses voisins et de l’influence comme de la sûreté de la France dans son orbite naturelle : Il faut, disait-il souvent, peser les intérêts et mesurer les distances ; loin de nous, rien ne nous oblige à engager la France ; nous pouvons agir ou ne pas agir, selon la prudence et l’intérêt français ; autour de nous, à nos portes, nous sommes engagés d’avance ; nous ne pouvons souffrir que les affaires de nos voisins soient réglées par d’autres que par eux-mêmes et sans nous.

A cette politique honnête et judicieuse, mais laborieuse et difficile, il fallait en Europe un point d’appui. Elle y rencontrait, même chez les puissances qui l’approuvaient hautement, des dissidences et des méfiances toujours près de devenir des dangers. Elle avait besoin d’avoir aussi des adhésions sincères et actives. Elle les trouva en Angleterre. Non au prix d’aucune concession à tel ou tel intérêt anglais, ni en vertu d’aucun engagement spécial et formel, mais par le plus naturel et le plus efficace des liens, par la conformité des politiques. Pour assurer la paix et le tranquille développement de ses libertés, la France acceptait, tel qu’il existait, l’ordre européen. Pour garder l’ordre européen et la paix, l’Angleterre acceptait non seulement le nouveau régime français, mais ses principales conséquences en Europe, la chute du royaume des Pays-Bas, l’indépendance de la Belgique, la dislocation prochaine de la coalition européenne jusque-là en garde contre la France. Les deux gouvernements prenaient l’un et l’autre le même intérêt général et supérieur pour règle de leur conduite. Ils avaient l’un et l’autre le régime constitutionnel pour drapeau. Malgré l’ancienne rivalité et les luttes récentes des deux pays, l’entente leur était facile et presque commandée par leur nouvelle situation. Le cabinet tory, le duc de Wellington et lord Aberdeen, en reconnaissant promptement le roi Louis-Philippe, avaient ouvert cette voie et auraient sans doute continué de la suivre. Le cabinet whig, lord Grey et lord Palmerston, y marchèrent avec empressement et de bonne grâce. L’Angleterre, animée pour la France d’une vive sympathie, y poussait ses ministres ; la France, bien qu’un peu surprise, y suivait son Roi.

Ainsi se forma en 1830 et telle était, en se formant, l’alliance anglaise. Mot impropre et qui exprime mal la relation des deux gouvernements : plus tard, ils s’allièrent en effet dans certains moments et pour des questions spéciales, en 1832 pour les affaires de Belgique, en 1834 pour celles de Portugal ; mais ils n’avaient point d’alliance générale et permanente ; ils n’étaient liés l’un à l’autre par aucun engagement ; ils agissaient le plus souvent de concert, mais en pleine liberté et par ce seul motif qu’ils étaient du même avis. Et il faut que, de nos jours, cette politique soit, pour la France, bien naturelle et bien conforme à l’intérêt national, car elle a survécu à toutes les révolutions et surmonté les plus divers obstacles ; elle a été la politique de la République éphémère de 1848 ; elle est encore aujourd’hui celle du nouvel Empire. Comme le gouvernement du roi Louis-Philippe, ces deux gouvernements ont voulu la paix et accepté l’ordre européen ; et comme lui, c’est dans la bonne entente avec l’Angleterre qu’ils ont cherché le gage de la paix et un point d’appui pour agir efficacement dans les questions européennes.

Avant que M. Casimir Périer arrivât au pouvoir, du mois d’août 1830 au mois de mars 1831, tous ces principes de la politique extérieure du régime nouveau avaient été pressentis et mis en pratique. Ils avaient dicté ses résolutions et ses actes décisifs. Dans l’intérieur du gouvernement, le roi Louis-Philippe employait toute son influence et sa persévérante adresse à les faire accepter et suivre par ses plus divers conseillers. Dans les Chambres, ils avaient été défendus contre les déclamations révolutionnaires ou belliqueuses de M. Mauguin et du général Lamarque, et contre les intempérances libérales de M. de La Fayette. Pourtant ils étaient encore un peu confus, obscurs et flottants. Ils n’avaient été que superficiellement discutés. Le public n’en démêlait pas nettement toutes les conditions ni toutes les conséquences. Surtout ils n’avaient pas encore subi l’épreuve des grandes explosions et des grandes luttes européennes. Ce fut sous le ministère de M. Casimir Périer, en 1831 et 1832, que la politique de la paix fut vraiment mise en face de la guerre et contrainte d’en surmonter toutes les tentations ; ce fut alors que la question belge, la question polonaise et la question italienne, arrivées à leur crise, amenèrent les principes qui dirigeaient au dehors la conduite du gouvernement de 1830 à apparaître dans tout leur jour et à déployer toute leur vertu.

Dans la question belge, M. Casimir Périer avait une bonne fortune rare ; il était en complet accord avec les trois hommes qui devaient y exercer le plus d’influence, le roi Louis-Philippe à Paris, le roi Léopold à Bruxelles, et M. de Talleyrand à Londres. Et ces trois hommes, par le tour de leur caractère et de leur esprit, convenaient parfaitement à la politique que M. Casimir Périer s’était chargé de faire triompher. C’est la disposition de notre temps, même parmi les gens d’esprit, de faire peu de cas de l’action des personnes, et de ne voir dans les grands événements que l’effet de causes générales qui en règlent le cours sans que les individus dont le nom s’y mêle y soient rien de plus que des nageurs emportés par le torrent, soit qu’ils s’y livrent, soit qu’ils essayent de lui résister. On dirait que nous assistons à un drame tout composé d’avance, et que nous mettons notre vanité à en traiter dédaigneusement les acteurs, comme s’ils ne faisaient que réciter leur rôle. Une expérience intelligente dément cette fausse appréciation des forces qui président aux destinées des peuples ; l’influence des individus, de leur pensée propre et de leur libre volonté, y est infiniment plus grande que ne le suppose aujourd’hui l’impertinence philosophique de quelques-uns de leurs critiques. L’histoire n’est point un drame arrêté dès qu’il commence, et les personnages qui y paraissent font eux-mêmes en grande partie le rôle qu’ils jouent et le dénouement vers lequel ils marchent.

Je me trouvais au Palais-Royal le 17 février 1831, au moment où les députés du Congrès belge vinrent présenter au roi Louis-Philippe la délibération de cette assemblée qui avait élu son fils, le duc de Nemours, roi des Belges. J’ai assisté à l’audience que leur donna et à la réponse que leur fit le Roi[1]. Je ne dirai pas toutes les hésitations, car il n’avait pas hésité, mais toutes les velléités, tous les sentiments qui avaient agité, à ce sujet, l’esprit du Roi, se révélaient dans cette réponse : l’amour-propre satisfait du souverain à qui le vœu d’un peuple déférait une nouvelle couronne ; le regret étouffé du père qui la refusait pour son fils ; le judicieux instinct des vrais intérêts de la France, soutenu par le secret plaisir de comparer son refus aux efforts de ses plus illustres devanciers, de Louis XIV et de Napoléon, pour conquérir les provinces qui venaient d’elles-mêmes s’offrir à lui ; une bienveillance expansive envers la Belgique à qui il promettait de garantir son indépendance après avoir refusé son trône. Et au-dessus de ces pensées diverses, de ces agitations intérieures, la sincère et profonde conviction que le devoir comme la prudence, le patriotisme comme l’affection paternelle, lui prescrivaient la conduite qu’il tenait et déclarait solennellement. Plus encore peut-être que sa démarche même, ce langage du Roi, tout empreint de ses idées et de ses sentiments personnels, caractérisait fortement dès lors sa politique, et devait faire pressentir à ses ministres comme aux députés belges, à l’Europe comme à la France, la persévérance qu’il mettrait à la pratiquer.

Le prince que ce refus fit monter sur le trône de Belgique, le roi Léopold, était merveilleusement propre à la difficile situation qu’il acceptait. Consentant plutôt qu’empressé à devenir roi, et portant dans l’ambition même une modération patiente qui semblait aller jusqu’à l’indifférence, observateur sagace des dispositions des peuples, et connaissant parfaitement l’Europe, ses souverains, leurs conseillers, le caractère des hommes et les relations des États, il excellait dans l’art de ménager les intérêts divers ou contraires, et savait attendre l’occasion du succès aussi bien que la saisir. A peine roi, et pendant qu’on discutait encore les limites de son royaume, il en affermit sur-le-champ les fondements. Allemand par l’origine et Anglais par l’adoption, il se fit Français par l’alliance en épousant la princesse Louise, fille aînée du roi Louis-Philippe : il se trouva ainsi ; dès ses premiers pas, en bons rapports naturels et légitimes avec tous ses puissants voisins, et armé de motifs sérieux ou spécieux, tantôt pour se refuser, tantôt pour accéder à ce que, chacun dans son intérêt, ils pouvaient lui demander. Des esprits superficiels affectent de mépriser ces liens de famille entre les souverains, et de les tenir pour vains entre les États. Étrange marque d’ignorance ! de tels liens ne sont sans doute ni infailliblement décisifs, ni toujours salutaires ; mais toute l’histoire ancienne et moderne et notre propre histoire sont là pour démontrer leur importance et le parti qu’une politique habile en peut tirer.

M. de Talleyrand, à Londres, soutenait de son adhésion personnelle, et avec un sincère désir de réussir, la politique qu’il avait été chargé d’y porter. Elle convenait à sa situation et à ses goûts, car c’était une politique à la fois française et européenne. Quelque adonné qu’il fût à son ambition et à sa fortune, M. de Talleyrand n’a jamais été indifférent aux intérêts de la France, de sa sûreté et de sa grandeur. Il y avait en lui du patriotisme à côté de l’égoïsme, et il cherchait volontiers, dans le succès de la politique nationale, son propre succès. C’était avec plaisir et zèle qu’il travaillait à défaire, dans la Conférence de Londres, ce royaume des Pays-Bas qu’en 1814 la coalition européenne avait fait contre la France. Et il avait en même temps la satisfaction de servir, dans ce travail, l’ordre européen, et de s’y livrer, avec le concours, contraint et triste, mais sérieusement résigné, des mêmes puissances qui, à Vienne, en 1815, avaient consacré cette organisation de l’Europe à laquelle il fallait faire brèche. Les diplomates de profession forment, dans la société européenne, une société à part, qui a ses maximes, ses mœurs, ses lumières, ses désirs propres, et qui conserve, au milieu des dissentiments ou même des conflits des États qu’elle représente, une tranquille et permanente unité. Les intérêts des nations sont là en présence, mais non leurs préjugés ou leurs passions du moment ; et il peut arriver que l’intérêt général de la grande société européenne soit, dans ce petit monde diplomatique, assez clairement reconnu et assez fortement senti pour triompher de toutes les dissidences, et faire sincèrement poursuivre le succès d’une même politique par des hommes qui ont longtemps soutenu des politiques très diverses, mais ne se sont jamais brouillés entre eux, et ont presque toujours vécu ensemble, dans la même atmosphère et au même niveau de l’horizon.

Telle était, en 1830 et 1831, la Conférence de Londres, et M. de Talleyrand y avait pris sa place avec une grande liberté d’allure et de langage, pour son propre compte presque autant que pour celui de son souverain, comme on entre chez soi et dans sa société habituelle. Il ne fallait rien moins qu’une telle disposition des esprits et cette intimité froide, mais réelle, de la diplomatie européenne, pour résoudre pacifiquement la question belge et dissiper les nuages qui, des points les plus divers, venaient à chaque instant l’obscurcir et menacer d’y jeter la guerre. C’étaient tantôt les émeutes de Paris et les accès belliqueux de l’opposition dans nos Chambres, tantôt les prétentions et les bravades inconsidérées des Belges, tantôt l’obstination intraitable du roi de Hollande, qui portaient au sein de la Conférence, non seulement l’inquiétude, mais le doute et l’hésitation dans son œuvre. Un de mes amis, et des plus judicieux, attaché à notre ambassade à Londres, m’écrivait : Nous sommes ici personnellement bien placés, et nous continuerons à l’être bien aussi officiellement si le bon ordre se maintient en France. On est très bien disposé pour le Roi et pour son gouvernement ; mais il n’y a pas moyen d’effacer de leur esprit que la propagande révolutionnaire qui les menace tous est permanente chez nous, et qu’elle n’y est pas suffisamment réprimée... Nous faisons tout ce qui est au pouvoir du zèle et de l’expérience pour simplifier la question extérieure ; en général elle est peu connue et peu comprise en France ; nos journaux parlent en ignorants du possible et de l’impossible, et les confondent trop souvent. Ils n’ont bien apprécié, à propos de la Belgique, ni les difficultés, ni les avantages d’abord de l’armistice, puis de l’indépendance ; nous verrons bientôt ce qu’ils diront de la neutralité si péniblement obtenue et si combattue par la Prusse. Les hommes d’État d’ici, à quelque parti qu’ils appartiennent, la regardent comme ce qui doit le plus satisfaire la France raisonnable ; cette neutralité abat treize forteresses qui nous étaient opposées, rend la guerre plus difficile à nous faire, et nous ôte, à nous, un prétexte de la déclarer. Nos fiers-à-bras des boulevards en auront de l’humeur, mais les bons esprits en seront contents. Ces derniers sont malheureusement en trop petit nombre. Aussi, quand on fait de la politique, ne faut-il travailler que pour l’histoire.

Je ne sais si M. de Talleyrand ne pensait qu’à l’histoire en traitant, à Londres, la question belge ; mais il y déploya une judicieuse et ferme habileté. C’était, je l’ai déjà dit, sa disposition naturelle de démêler nettement, dans les affaires dont il était chargé, le but essentiel à poursuivre, et de s’y attacher exclusivement, dédaignant et sacrifiant toutes les questions, même graves, qui pouvaient l’affaiblir dans la position à laquelle il tenait, ou le détourner du point qu’il voulait atteindre. De 1830 à 1832, il fit à Londres largement usage de cette méthode : représentant d’un pays et d’un gouvernement sur qui pesaient, à cette époque, une foule de grandes questions, il ne vit dans les affaires de France que la question belge, et dans la question belge qu’un seul intérêt, l’indépendance et la neutralité de la Belgique. Il faisait bon marché des autres problèmes et événements du temps, Pologne, Italie, Espagne, Suisse ; tantôt gardant, à leur sujet, le silence ; tantôt disant librement ce qu’il en pensait, et, en tout cas, n’engageant, avec les autres diplomates ses collègues, point de controverse inutile. Au fond et dans l’intérêt français, il avait raison d’agir ainsi ; la Belgique était, en ce moment, à la fois la grande et la bonne affaire de la France, le point sur lequel elle pouvait arriver à un résultat certain, prochain, pas trop chèrement acheté, et important pour sa force comme pour sa sécurité en Europe. En concentrant sur la question belge tous ses efforts, M. de Talleyrand jugeait bien de l’état général des affaires et servait bien son pays.

En rétablissant l’ordre et en relevant le pouvoir à l’intérieur, M. Casimir Périer faisait de la politique extérieure, et la plus efficace qui se pût faire. Il était d’ailleurs, et sur l’importance de l’alliance anglaise, et sur la question belge en particulier comme sur les affaires générales de l’Europe, non seulement en accord, mais en confiance avec M. de Talleyrand, et ils avaient soin l’un et l’autre d’entretenir et d’accroître cette confiance en s’en donnant mutuellement d’éclatantes marques. M. Périer, qui écrivait très rarement, faisait beaucoup valoir, dans ses conversations à Paris, les services de M. de Talleyrand, et se servait de son fils aîné, alors secrétaire d’ambassade à Londres, quand il avait besoin de lui bien expliquer les exigences de la situation intérieure, ou de se concerter intimement avec lui. M. de Talleyrand, de son côté, élevait très haut, auprès des représentants de l’Europe, l’énergie, l’esprit politique, tous les mérites de M. Casimir Périer, et ne laissait échapper aucune occasion de lui témoigner, avec son habileté consommée dans l’art de plaire, la haute estime qu’il lui portait.

Quand l’armée française, en août 1831, entra soudainement en Belgique pour en chasser les Hollandais victorieux, l’émotion fut vive à Londres parmi les diplomates, et M. de Talleyrand eut quelque peine à calmer la méfiance et à contenir l’humeur. En informant M. Casimir Périer qu’il y avait réussi, il terminait sa lettre par ces mots : J’espère, monsieur, que vous serez content de moi. Je me rappelle le petit mouvement d’orgueilleux plaisir avec lequel M. Casimir Périer me montra cette lettre, et à d’autres aussi sans doute. Il apportait d’ailleurs, dans ses relations indirectes avec M. de Talleyrand, beaucoup de réserve, attentif à ne pas blesser le général Sébastiani, en qui il avait confiance et qui le secondait loyalement.

A la fin d’avril 1832, après dix-huit mois de discussions dans la Conférence de Londres et de négociations entre les sept puissances qui y étaient ou représentées ou intéressées, après de patients atermoiements et des tentatives répétées pour amener, entre les prétentions des Belges et l’opiniâtreté du roi de Hollande, une conciliation volontaire, la question belge était enfin résolue pour l’Europe. Le cabinet de Bruxelles avait accepté les vingt-quatre articles adoptés le 15 octobre 1831 par la Conférence pour régler la séparation de la Belgique et de la Hollande. Les cabinets de Paris et de Londres, de plus en plus unis, avaient ratifié pour leur compte ces articles, sans attendre l’adhésion finale des trois puissances du Nord. Le comte Orloff, envoyé à La Haye par l’empereur Nicolas pour déterminer le roi de Hollande à céder enfin, avait échoué dans ses efforts, et était reparti pour Pétersbourg, en remettant au roi Guillaume la déclaration que l’empereur son beau-frère laisserait désormais la Hollande supporter seule les conséquences de son obstination, et n’apporterait nul obstacle aux mesures que la Conférence de Londres pourrait employer pour la contraindre. C’était, de la part de l’empereur Nicolas, un éclatant sacrifice des liens de famille et de ses propres sentiments politiques à la paix européenne. A la suite de cette déclaration, l’Autriche, la Prusse et la Russie avaient, comme la France et l’Angleterre, et sauf quelques réserves de convenance, ratifié le traité des vingt-quatre articles. On ne pouvait pas encore dire que l’œuvre fût accomplie, car le roi de Hollande persistait à repousser ce traité, et tout faisait pressentir que la force seule lui arracherait son consentement ; mais le succès de la France était assuré ; son gouvernement, c’est-à-dire le roi Louis-Philippe et M. Casimir Périer, pensant et agissant de concert, quelles que fussent leurs petites dissidences domestiques, avaient fait reconnaître et accepter par l’Europe l’indépendance et les nouvelles institutions de la Belgique comme les siennes propres. Et c’était sans trouble général, sans guerre, par le seul empire de la justice et du bon sens reconnus en commun, que ce profond changement dans l’ordre européen avait été accompli. Exemple et spectacle plus grands encore que le résultat même ainsi obtenu.

C’eût été pour l’Europe un grand bonheur et un grand honneur que la question polonaise pût être traitée et réglée en 1831 comme le fut la question belge. Il y a eu et il y a encore, dans la destinée de la Pologne, un remarquable et particulier caractère. Les conquêtes, les démembrements d’États ont abondé en Europe ; des provinces, des royaumes ont bien souvent changé de maître et de nom. Des traités sont intervenus après les guerres ; le temps a passé sur les traités ; les changements territoriaux et nationaux, en dépit de leur amertume première, ont été consacrés par la paix et le temps, et acceptés non seulement par les spectateurs indifférents, mais par les populations mêmes qui les avaient subis. Rien de semblable n’est arrivé pour la Pologne ; bientôt un siècle se sera écoulé depuis le premier partage de ce malheureux pays ; je ne sais combien d’actes diplomatiques ont reconnu ses nouveaux maîtres ; d’immenses événements ont bouleversé le sort et absorbé l’intérêt de l’Europe. Au milieu de tant d’iniquités et de calamités nouvelles, le sort de la Pologne n’a pas cessé d’être senti comme une iniquité et une calamité européenne. Ce fut le meurtre d’une nation, ont dit avec une vérité terrible ses amis. En vain on a répondu que les fautes de la Pologne elle-même, ses détestables institutions, ses dissensions aveugles, son incurable anarchie avaient amené son malheur, et que le suicide national avait provoqué le meurtre étranger. Les explications de l’histoire ne sont pas les arrêts de la justice, et les raisonnements ne peuvent rien contre les impressions de la conscience publique. Depuis plus de soixante ans, la Pologne ne figure plus parmi les nations, et toutes les fois que les nations européennes s’agitent, la Pologne aussi se remue. Est-ce un fantôme ? Est-ce un peuple ? Je ne sais : il se peut que la Pologne soit morte, mais elle n’est pas oubliée.

A côté de ce fait si frappant, j’en remarque un autre qui ne l’est pas moins. Depuis que la conscience européenne est troublée du sort de la Pologne, bien des remaniements de l’Europe ont été accomplis ; bien des maîtres puissants et divers ont disposé des peuples. Monarchie ou république, conquérant ou congrès, aucun d’eux n’a sérieusement tenté de rappeler la Pologne du tombeau, de guérir cette plaie européenne. Au moment où le meurtre fut commis, ni la vieille France, ni la vieille Angleterre, ne firent rien pour l’empêcher ; la France et l’Angleterre nouvelles n’ont pas été plus efficaces ; ni la Révolution française, ni l’empereur Napoléon n’ont fait entrer le rétablissement de la Pologne dans leurs réels et énergiques desseins. On a prononcé des paroles ; on a entr’ouvert des perspectives ; on a exploité des dévouements en provoquant des espérances ; rien de plus. L’extrême malheur a pu seul puiser quelques illusions dans de tels mensonges. Tout le monde s’est servi de la Pologne ; personne ne l’a jamais servie.

C’est que, dans l’histoire si pleine des malheurs des peuples, il n’y a point eu d’exemple d’une telle conquête, ni d’une telle situation après la conquête. Ce n’est pas seulement un vaincu en présence de son vainqueur ; il y a en Pologne un vaincu et trois vainqueurs. Trois vainqueurs comptés parmi les plus puissants États de l’Europe, et toujours unis, par un même et permanent intérêt, dans la défense de leur conquête, commune encore quoique partagée. Le vaincu est situé à l’extrémité de l’Europe, ne rencontrant de sympathie et ne pouvant trouver d’appui qu’à d’immenses distances, à travers les possessions de ses vainqueurs. Et pour le plus redoutable des trois vainqueurs, pour la Russie, la conservation de sa part de la Pologne n’est pas seulement une question de gouvernement, un intérêt de souverain ; c’est une passion nationale : le peuple russe est encore plus ardent que l’empereur à ne pas souffrir que la Pologne échappe à l’empire. Entre les nations malheureuses, la Pologne a ce malheur particulier qu’elle a été trop grande, et qu’encore aujourd’hui, dans sa ruine, son sort reste trop grand. Que des réfugiés goths dans les montagnes des Asturies, que des peuplades grecques en Epire, dans le Péloponnèse ou en Thessalie, aient lutté pendant des siècles contre les Arabes et les Turcs, leur résistance, quoique douloureuse et glorieuse, était simple ; ces débris de nation n’aspiraient qu’à maintenir, dans quelque coin de leur patrie, un reste de nationalité et d’indépendance locale. La Providence a récompensé leur courage en agrandissant enfin leur destinée : mais ces modestes héros ont longtemps combattu et souffert sans prétention pareille, uniquement pour la défense de leur foi et de leurs obscurs foyers. Les Polonais soulèvent et ne peuvent pas ne pas soulever, dès qu’ils s’agitent, une grande lutte nationale et européenne. Il s’agit de reconquérir et de reconstituer un grand royaume. La question polonaise remet en question la paix et l’organisation de l’Europe entière.

Je ne m’étonne pas que tous les gouvernements qui ont déploré le sort de la Pologne, et lui ont témoigné de la sympathie, n’en aient pas moins regardé son rétablissement comme impossible, et ne l’aient jamais sérieusement tenté. Ils auraient eu, pour leur propre compte et aux dépens de leur propre nation, trop de forces à engager et trop d’intérêts à compromettre dans une telle entreprise.

Les Polonais avaient, en 1830, une chance dont ils auraient pu tirer grand parti s’ils avaient mieux jugé de leur situation et plus sensément réglé leur ambition sur leur force. Pendant et après le congrès de Vienne, l’empereur Alexandre, avec ce mélange de grandeur morale, d’ambition russe et d’esprit chimérique qui le caractérisait, leur avait assuré une existence nationale, des institutions, des libertés, des droits. Des droits reconnus non seulement dans leur patrie et par leur souverain, mais en Europe, et par les puissances garantes de l’ordre européen. Que ces institutions, ces libertés, bornées à la seule Pologne russe, ne satisfissent pas le patriotisme polonais ; que, là même où elles avaient été proclamées, elles eussent été, depuis 1815, souvent oubliées ou violées par le gouvernement russe ; que la Pologne eût des griefs constitutionnels à élever en même temps que des regrets nationaux à ressentir ; je ne conteste pas, je n’examine pas, je ne touche pas à ces questions ; je m’attache à un seul fait : une grande partie de la nation polonaise avait une charte, point de départ et d’appui dans ses essais de la vie publique et libre. Qu’elle s’y fût attachée comme à son ancre ; qu’elle l’eût exploitée et défendue comme son champ ; qu’elle eût déployé, pour conserver, pratiquer, reprendre ou étendre ses droits légaux, l’énergie et le dévouement qu’elle a dépensés à tenter, dans les plus mauvaises conditions possibles, les succès révolutionnaires ; je ne sais quels efforts elle eût eu à faire et quelles souffrances à subir, ni à combien d’années de luttes et d’attente elle eût dû se résigner ; mais, à coup sûr, elle eût exercé plus d’action sur son propre souverain ; elle eût trouvé en Europe des sympathies, probablement même des appuis plus efficaces que les émeutes des rues de Paris, et elle eût eu infiniment plus de chances de ressaisir son rang parmi les nations.

Ce n’est point là, et après l’événement, le rêve d’un étranger ; ce fut, en novembre 1830, au moment où éclata l’insurrection polonaise, non seulement l’avis, mais la conduite du premier chef qu’elle se choisit elle-même, et dont, trois semaines après, à l’unanimité moins une voix, la diète polonaise fit un dictateur. Tout jeune encore, Joseph Chlopicki avait combattu pour l’indépendance de sa patrie, et le héros patriote de la Pologne, Kosciusko, touché de sa bravoure, l’avait embrassé avec effusion en passant devant le front de l’armée. Quand il n’y eut plus de Pologne, Chlopicki, décidé à ne pas servir ses nouveaux maîtres, avait passé en France, et, de grade en grade, il était devenu un officier général très distingué dans la grande armée de Napoléon. Rentré dans sa patrie après la paix de 1814, il y fut traité par l’empereur Alexandre avec une faveur marquée ; mais, trop fier pour se plier au gouvernement du vice-roi de Pologne, le grand-duc Constantin, il donna sa démission du service, et il vivait dans la retraite quand le vœu, d’abord de l’armée et du peuple soulevés, puis de la diète nationale, lui déféra le pouvoir suprême. Il l’accepta sans hésiter, et s’en servit sur-le-champ pour réprimer le mouvement démagogique, tout en soutenant le mouvement national ; il ferma les clubs de Varsovie, maintint l’ordre dans la ville, la discipline dans l’armée, et écrivit à l’empereur Nicolas, lui exposant avec une ferme franchise les vœux comme les griefs de la Pologne russe, et demandant pour elle justice et espérance : En ma qualité d’ancien soldat et de bon Polonais, j’ose, sire, vous faire entendre la vérité : par un concours inouï de circonstances, se trouvant dans une position peut-être trop hardie, la nation n’en est pas moins prête à tout sacrifier pour la plus belle des causes, pour son indépendance nationale et sa liberté modérée. Que notre destinée s’accomplisse ! Et vous, sire, remplissant à notre égard les promesses de votre prédécesseur, prouvez-nous, par de nouveaux bienfaits, que votre règne n’est qu’une suite non interrompue du règne de celui qui a rendu l’existence à une partie de l’ancienne Pologne. Vous tenez, sire, dans votre main, les destinées de toute une nation ; d’un seul mot, vous pouvez la mettre au comble du bonheur ; d’un seul mot, la précipiter dans un abîme de maux.

Je n’ai rien à dire des événements qui suivirent cette lettre ; je n’écris pas l’histoire du temps ; je ne rappelle que la part que j’y ai prise et ce que j’ai pensé et senti en y assistant. Neuf mois plus tard, quand l’imprévoyance révolutionnaire l’eut emporté en Pologne, quand le dictateur Chlopicki, trop sensé pour se soumettre aux clubs de Varsovie, se fut démis de tout pouvoir, quand le général Skrzynecki, moins judicieux en politique, mais son digne successeur dans le commandement de l’armée polonaise, eut succombé dans une lutte impossible, après les massacres commis dans Varsovie par la démagogie déchaînée la veille de sa ruine, quand Varsovie et la Pologne furent retombées au pouvoir des Russes, pendant que Chlopicki, grièvement blessé dans la bataille de Grochow où il avait combattu comme simple soldat, vivait modestement à Cracovie où il s’était retiré, M. Mauguin, dans l’un de nos débats à la Chambre des députés sur les affaires étrangères, parla des généraux Chlopicki et Skrzynecki comme des chefs d’un parti timide et flottant, qui avait lutté contre le parti national, et qui eût volontiers accepté la pure restauration du despotisme russe ; je me récriai contre ce langage : C’est une injure, dis-je, que de qualifier de la sorte ces deux braves généraux ; la lutte n’était pas entre eux et le parti national, mais entre eux et les clubs de Varsovie. Ils ne voulaient pas une restauration russe ; mais ils avaient le bon sens de comprendre qu’entre la Pologne et la Russie la lutte était peut-être inégale, et que, dans cette énorme inégalité, il eût été peut-être utile à leur patrie de se réserver une chance et quelques moyens de traiter.

Je n’avais et n’ai jamais eu, avec ces deux vaillants chefs polonais, aucune relation ; mais leur cause, comme leurs sentiments, avaient ma sympathie, et je prends plaisir à me rappeler aujourd’hui que je n’ai pas manqué l’occasion de la leur témoigner.

On a dit que le gouvernement de 1830 avait trompé les Polonais en leur laissant espérer un appui qu’il ne leur a jamais donné, ni voulu donner. Les faits démentent absolument ce reproche. Dès les premiers jours de l’insurrection, le consul de France à Varsovie, M. Raymond Durand, déclara à plusieurs membres de la diète qu’ils ne devaient attendre de son gouvernement ni encouragement, ni secours. Six semaines après, vers la fin de janvier 1831, le duc de Mortemart, nommé ambassadeur extraordinaire à Pétersbourg, se rendait à son poste : À Berlin, dit M. de Nouvion[2], il apprit que la diète polonaise était saisie d’une proposition de déchéance de l’empereur Nicolas et de la famille des Romanov ; à quelque distance au delà de cette capitale, il rencontra, au milieu d’une forêt, des agents du nouveau gouvernement de Varsovie qui s’étaient portés sur son passage, afin de l’interroger sur les dispositions de la France. C’était la nuit, par un froid rigoureux. La conférence, commencée dans la neige, s’acheva, sur la route même, dans la voiture de l’ambassadeur, dont les lanternes éclairaient seules cette scène bizarre : Mes instructions, dit M. de Mortemart, ne m’autorisent à agir qu’en faveur du royaume de Pologne, tel qu’il a été constitué par le congrès de Vienne ; si les Polonais allaient au delà, ils n’auraient pas à compter sur l’appui de la France . Il établit ensuite comment la France ne pouvait, pour soutenir, au mépris des principes par elle-même proclamés, les prétentions de la Pologne, provoquer l’Europe à une guerre désespérée, et il pressa les diplomates polonais de retourner au plus tôt à Varsovie pour y déconseiller toute résolution violente. Mais ceux-ci, loin de se rendre à son avis, se montrèrent pleins de confiance dans le concours qu’ils attendaient de la France : La démocratie française, dirent-ils, sera maîtresse des événements, et la démocratie française soutiendra la Pologne ; votre Roi et vos Chambres seront forcés par l’opinion publique de nous venir en aide  ; et ils prononcèrent le nom de M. de La Fayette comme étant le pivot sur lequel reposaient leurs espérances. M. de Mortemart s’efforça vainement de les désabuser en leur représentant que M. de La Fayette ne disposait pas de la France, et que le gouvernement français, en eût-il le désir, serait dans l’impossibilité de leur envoyer une armée. Comme il insistait pour qu’ils engageassent leurs compatriotes à la modération, il n’en obtint que cette réponse : Le sort en est jeté ; ce sera tout ou rien. — Eh ! bien, reprit M. de Mortemart, je vous le dis avec douleur, mais avec une profonde conviction ; ce sera rien.

Quelques mois plus tard, en juillet 1831, quand la Pologne, après des efforts héroïques, était près de succomber dans cette lutte dont elle avait fait elle-même une guerre à mort, le cabinet français, pour arrêter l’effusion du sang, pour donner aux Polonais un témoignage de sympathie et au sentiment de la France quelque satisfaction, fit à Pétersbourg une tentative de médiation, en en informant le gouvernement de Varsovie et en l’engageant à tenir, dans son langage et dans la conduite de la guerre, quelque compte de cette chance. Sur l’invitation formelle de M. Casimir Périer, M. de Talleyrand fit en même temps à Londres un effort, probablement sans en espérer grand’chose, pour déterminer le cabinet anglais à se joindre à la démarche du cabinet français. Mais en parlant à la Chambre des députés de cette tentative, M. Casimir Périer prit soin d’en bien déterminer la portée, et de ne pas laisser croire que le gouvernement du Roi voulût s’engager plus loin : Avant le 13 mars, dit-il, aucune médiation n’avait encore été offerte pour la Pologne. Nous avons conseillé au Roi d’offrir le premier la sienne. Ses alliés ont été pressés de s’unir à lui pour arrêter le combat, pour assurer à la Pologne des conditions de nationalité mieux garanties. Ces négociations se continuent ; nous les suivons avec anxiété, car le sang coule, le péril presse, et la victoire n’est pas toujours fidèle. A quel autre moyen pouvions-nous recourir, messieurs ? Fallait-il, comme nous l’avons entendu dire, reconnaître la Pologne ? Même en supposant que la foi des traités, que le respect de nos relations nous eussent donné le droit de faire cette reconnaissance, elle eût été illusoire si des effets ne l’eussent suivie, et alors c’était la guerre. J’en appelle à la raison de cette Chambre, car ici ce n’est pas l’émotion et l’enthousiasme qui doivent prononcer, c’est la raison ; la France doit-elle chercher la guerre ? Doit-elle recommencer la campagne gigantesque où se perdit la fortune de Napoléon ? Cette guerre qu’on nous demande, y pense-t-on ? C’est la guerre à travers toute la largeur du continent européen ; c’est la guerre universelle, objet de tant d’ambitions délirantes, de tant de chimériques passions. Si du moins on nous prouvait que cette croisade héroïque eût sauvé la Pologne ! mais non, messieurs : si la France fût sortie de sa neutralité, c’en était fait de la neutralité qu’observent d’autres puissances, et quatre jours de marche seulement séparent leurs armées de cette capitale qui se défend à quatre cents lieues de nous. En présence de tels faits, qui donc ose demander la guerre, non pour sauver la Pologne, mais pour la perdre ?

A peine ces paroles étaient prononcées, que le cabinet anglais, alléguant avec une rude franchise l’intérêt de la paix, la politique générale de l’Angleterre et la vanité de toute intervention officielle à Pétersbourg, refusait de joindre ses offres de médiation à celles du cabinet français. Huit jours après, Varsovie tombait entre les mains de ses démagogues, trois semaines après entre celles des Russes. Les événements allaient plus vite que les dépêches. Les Polonais ne pouvaient se plaindre de n’avoir pas été soutenus par le gouvernement du roi Louis-Philippe ; il ne leur avait donné aucun droit de compter sur son appui.

Pourtant je comprends qu’ils s’y soient trompés, et que les plus formelles déclarations du gouvernement Français et de ses agents n’aient pas réussi à les détromper. Les journaux et les émeutes de Paris, les discours et les correspondances de la plupart des chefs de l’opposition devaient les jeter dans de grandes illusions. Même convaincus que le roi Louis-Philippe et son cabinet ne leur viendraient pas en aide par la guerre, ils pouvaient croire, comme ils le disaient au duc de Mortemart, que ce cabinet serait renversé, et que l’opposition arrivée au pouvoir agirait efficacement pour eux. Les apparences et les probabilités superficielles devaient soutenir, échauffer même leurs passions et leurs espérances. Les gens qui crient dans les Chambres et dans les rues s’inquiètent peu des conséquences du bruit qu’ils font, et du sens qu’y attacheront à l’autre extrémité de l’Europe les gens qui souffrent. Il y avait d’ailleurs, dans les manifestations publiques en France pour la Pologne, autre chose que des apparences et du bruit ; le sentiment national était sincèrement et vivement excité ; un de mes amis, homme d’un esprit rare et qui soutenait avec zèle M. Casimir Périer, m’écrivait du fond de son département le 29 juin 1831, précisément au moment où, après la mort du maréchal Diebitsch et du grand-duc Constantin, le maréchal Paskéwitch prenait le commandement de l’armée russe et préparait l’assaut de Varsovie : L’état général des esprits me préoccupe ; je les ai vus s’altérer, se gâter rapidement depuis un mois. Ce pays-ci est devenu méconnaissable si je le compare à ce qu’il m’a paru au commencement de mai. Il y avait alors de l’amélioration, non pas sur le mois d’octobre dernier, mais sur ce que le pays avait dû être de février en avril. Aujourd’hui c’est un mélange d’irritation et de découragement, de crainte et de besoin de mouvement ; c’est une maladie d’imagination qui ne peut ni se motiver, ni se traduire, mais qui me paraît grave. Les esprits me semblent tout à fait à l’état révolutionnaire, en ce sens qu’ils aspirent à un changement, à une crise, qu’ils l’attendent, qu’ils l’appellent, sans qu’aucun puisse dire pourquoi. Il faut que, pour votre compte, vous cherchiez et que vous répétiez au gouvernement de chercher les moyens de guérir un tel mal. Paris me semble rallié dans un sentiment énergique de résistance ; mais les départements n’en sont point là. Je ne puis trop vous prier de réfléchir que nous ne sommes pas dans un moment de raison, où les moyens tout raisonnés du système représentatif suffisent. Ne comptez pas trop sur l’autorité de la Chambre, fût-elle bonne, et cherchez ailleurs. Je suis persuadé qu’une guerre serait utile, bien entendu si l’on parvenait à la limiter. Je serais disposé à la risquer en exigeant beaucoup pour la Pologne. C’est bien plus populaire que la Belgique. Pourquoi ? parce que c’est plus dramatique. La France est, pour le moment, dans le genre sentimental bien plus que dans le genre rationnel.

C’était là toucher à un mal réel et en bien marquer le caractère ; mais loin de le guérir, le remède proposé n’eût fait que l’aggraver. A ce vague état révolutionnaire des esprits, à ce besoin confus de mouvement, la guerre, surtout une guerre à propos de la Pologne, eût substitué l’état révolutionnaire positif, actif, avec toutes ses exigences et toutes ses conséquences. La guerre peut être, dans certains moments, un dérivatif utile à l’humeur agitée des peuples ; mais ce dérivatif qui, même lorsqu’il réussit, finit toujours par être bien chèrement payé, n’est pas toujours applicable : sur aucune des questions que la Révolution de 1830 avait soulevées en Europe, la France ne pouvait avoir en 1831 une guerre ordinaire et limitée. Et une guerre qui aurait pris bientôt le caractère révolutionnaire eût été d’autant plus dangereuse, que la France ne l’aurait pas longtemps soutenue avec ardeur et confiance : aucune nécessité véritable et claire, aucun intérêt national et permanent ne l’y poussaient ; l’impression du moment et le plaisir du drame auraient bientôt disparu devant la souffrance des intérêts et la lumière du bon sens. Il faut que les peuples qui veulent être bien gouvernés renoncent à faire, de leurs impressions et de leurs goûts dramatiques, la règle de leur gouvernement. Ils ont quelquefois, comme les individus, ce que la médecine appelle des maux de nerfs, des vapeurs ; sous des institutions libres, ces dispositions se manifestent bruyamment, et une politique intelligente en tient compte, mais dans la mesure de ce qu’elles valent et en sachant bien qu’elles ne sont nullement propres à une forte et longue action. C’est presque toujours, pour les nations comme pour les individus, un mal à traiter par le seul remède qui lui convienne, un bon régime soutenu et le temps. Ce fut le mérite de M. Casimir Périer de ne point céder à ces fantaisies qui n’étaient pas de vraies passions, et de persister à faire les affaires de la France selon le droit public et l’intérêt bien entendu, comme un homme sérieux fait les affaires d’un peuple sérieux.

Quoiqu’elle ait donné lieu de sa part à l’acte le plus hardi de la politique française au dehors après 1830, la question italienne était, en 1831, bien moins périlleuse pour le cabinet que la question belge ou la question polonaise, et bien moins brûlante dans le public. Les deux idées, ou plutôt les deux passions qui dominent et enflamment aujourd’hui cette question, l’expulsion de l’Autriche et l’unité de l’Italie, n’avaient pas éclaté à cette époque ; elles étaient bien au fond des cœurs et se manifestaient dans le langage ou le travail caché des conspirateurs italiens ; mais ils ne les déclaraient pas encore hautement, comme leur prétention absolue et leur but avoué. J’ajourne ce que j’ai à cœur de dire sur l’état général de l’Italie et la question italienne en Europe au moment où cette question s’est manifestée dans toute sa grandeur, pendant ma propre administration, de 1846 à 1848 ; je ne veux parler ici que de la situation des affaires d’Italie en 1831 et 1832, de ce qu’en pensait alors le cabinet français, de ce qu’il y fit, et de la part que je pris moi-même aux débats dont elle fut l’objet.

Il n’y avait, à cette époque, aux deux extrémités de l’Italie, et dans les deux États les plus liés à la France, soit par la contiguïté des territoires, soit par la parenté des souverains, dans le Piémont et à Naples, point d’insurrection flagrante ni d’explosion évidemment prochaine. Le roi de Naples, Ferdinand II, monté sur le trône depuis la Révolution de Juillet et en rapports affectueux avec le roi Louis-Philippe et la reine Marie-Amélie, son oncle et sa tante, semblait disposé à suivre leurs conseils et à introduire dans son gouvernement des réformes. Le roi de Sardaigne, Charles-Félix, avait vu les événements de 1830 en France avec grande inquiétude, mais sans mauvais vouloir pour le nouveau roi ; les deux souverains se connaissaient personnellement ; la reine Marie-Amélie était en correspondance habituelle avec la reine Marie-Christine, sa sœur. Quand le nouvel ambassadeur de France, M. de Barante, arriva à Turin, il y trouva beaucoup de crainte des mouvements révolutionnaires, mais point de méfiance du gouvernement français ; on ne le croyait nullement disposé à susciter ou à soutenir en Italie des troubles. Tout en s’appuyant sur l’Autriche, le cabinet piémontais conservait envers elle son attitude comme son sentiment d’indépendance et de réserve ; il avait reçu froidement, sans les repousser absolument, les offres de secours que le prince de Metternich s’était empressé de lui faire contre les révolutions ; il était sincèrement résolu à vivre en bons termes avec la France de 1830 et son gouvernement. De leur côté, les libéraux piémontais, même les carbonari, accoutumés, depuis leur échec de 1821, à la précaution et au silence, ne tentaient aucun mouvement ; ils se rapprochaient de M. de Barante, plutôt par curiosité que dans l’espoir ou même avec le dessein de l’attirer dans leurs vues ; un projet de proclamation fut imprimé en épreuve et lui fut montré, bien plus pour savoir ce qu’il dirait que pour lui donner officieusement une information. Nous étions en correspondance intime, et il m’écrivit le 8 février 1831, avec une sagacité que les événements se sont chargés de prouver : Ce pays-ci est calme ; le gouvernement est inquiet, mais ne se trouve aucun parti à prendre ; les chances d’un mouvement jacobin et carbonaro semblent s’éloigner ; les chances d’un progrès rapide dans l’opinion générale en deviennent plus grandes. Tous les yeux sont fixés sur nous. Le parti absolutiste, celui qui voudrait lutter et qui se fait des chimères, se compte par individus. Les hommes des hauts emplois, la noblesse passé cinquante ans, le Roi lui-même ne demandent que le statu quo gouverné sagement et avec égards pour tous. L’aristocratie plus jeune dit qu’il faut que la révolution vienne d’en haut, pour ne pas arriver d’en bas, et songe à de grandes réformes. D’autres, dans cette classe, vont même beaucoup plus loin et voudraient marcher presque du même pas que nous. On n’en est pas encore ici à compter pour beaucoup l’opinion du Tiers-État qui a pourtant à peu près autant de valeur qu’en France ; on le ménage tous les jours de plus en plus, mais on ne l’admet pas, et on l’ignore. C’est là, ce me semble, ce qui est le gage le plus vraisemblable d’une révolution. Il y a une réforme sociale à faire, et elles ne s’opèrent guère par ordonnances des rois.

La mort du roi Charles-Félix, survenue le 27 avril 1831, et l’avènement du roi Charles-Albert, son successeur, ne changèrent rien alors, en Piémont, à cet état du gouvernement et du pays. De 1830 à 1832, la portion de l’Italie que gouvernaient des princes de la maison de Bourbon fut tranquille et en bons rapports avec la France de 1830 et son nouveau roi.

Ce fut dans les petits États possédés par des princes de la maison d’Autriche et dans les États du pape, à Modène, à Parme, à Bologne, à Ancône qu’éclata l’insurrection. Le prince de Metternich avait hautement déclaré la conduite que tiendrait l’Autriche en pareil cas : mettre ses propres possessions italiennes à l’abri de l’incendie révolutionnaire en l’étouffant chez ses voisins, protéger les princes de la maison d’Autriche et les souverains italiens qui réclameraient son secours contre les révolutions tentées dans leurs États, c’était là sa doctrine publique et sa ferme résolution. M. de Metternich était à la fois un praticien à vues positives et un théoricien à maximes savantes ; d’un esprit trop élevé pour ne pas connaître les besoins et les goûts de l’esprit humain, il avait toujours soin de placer ses actes sous un grand drapeau intellectuel ; il allait sans hésiter à son but pratique, mais en donnant, à ses adversaires comme à ses alliés, le plaisir ou l’embarras de disserter philosophiquement sur la route. Il établit, sur le droit d’intervention dans certains cas et certaines limites, des principes que le gouvernement français de 1831 ne pouvait reconnaître, car il avait exprimé naguère, à propos de la Belgique, des principes en apparence contraires, mais qu’il ne devait pas non plus contester absolument, car il était bien résolu à se mêler de ce qui se passerait chez ses voisins si les intérêts de la France avaient évidemment et gravement à en souffrir. Les principes généraux ont presque toujours le tort de ne pas l’être assez pour embrasser tous les faits et convenir à tous les cas ; aussi sont-ils d’ordinaire des armes de discussion plutôt que des règles de conduite. Le prince de Metternich envoya les troupes autrichiennes à Modène et à Bologne, au nom du droit d’intervention tel qu’il le définissait, mais en se hâtant de les retirer dès que les insurrections furent réprimées, ce qui n’exigea ni un long temps, ni un grand effort. M. Casimir Périer maintint le principe de non intervention, mais en déclarant qu’il n’en résultait point un contrat synallagmatique avec les insurrections de tous les pays, et que l’appui prêté par la France à ses voisins de Belgique n’établissait, entre elle et des nations éloignées, aucune espèce de solidarité du même genre. Les deux ministres voulaient à la fois veiller aux intérêts de leur propre pays et maintenir la paix de l’Europe ; et tout en discutant ils se toléraient ou même s’entraidaient l’un l’autre dans leur travail vers leur double but.

Mais il était évident que, tant que les États italiens où l’insurrection avait éclaté, et surtout les États-Romains, resteraient dans la même situation intérieure, l’insurrection y recommencerait sans cesse, et qu’on verrait sans cesse, sur ce point, l’intervention nécessaire et la paix de l’Europe compromise. Il y a un degré de mauvais gouvernement que les peuples, grands ou petits, éclairés ou ignorants ; ne supportent plus aujourd’hui : au milieu des ambitions démesurées et indistinctes qui les travaillent, c’est leur honneur et le plus sûr progrès de la civilisation moderne qu’ils aspirent, de la part de ceux qui les gouvernent, à une dose de justice, de bon sens, de lumières et de soins pour l’intérêt de tous, infiniment supérieure à celle qui suffisait jadis au maintien des sociétés humaines. Les pouvoirs qui ne comprendront pas cette condition actuelle de leur existence, et n’y sauront pas satisfaire, passeront tour à tour de la fièvre à l’atonie, et seront toujours à la veille de leur ruine. Frappées de cette nécessité de notre temps, et vivement pressées par le gouvernement français, les grandes puissances européennes essayèrent d’en convaincre aussi la cour de Rome, et de la déterminer à apporter dans l’administration de ses États des réformes suffisantes, sinon pour répondre à tous les désirs des libéraux italiens, du moins pour leur enlever leurs plus justes motifs de plainte et leurs meilleurs moyens de crédit auprès des populations. Les représentants de la France, de l’Autriche, de l’Angleterre, de la Prusse et de la Russie, à Rome ; firent dans ce but, le 21 mai 1831, une démarche positive et concernée qui allait jusqu’à indiquer au pape les principales réformes dont l’Europe reconnaissait la nécessité et lui donnait le conseil[3].

La France avait alors pour représentant à Rome un de mes amis particuliers, le comte de Sainte-Aulaire, singulièrement propre, par ses dispositions et ses sentiments personnels, à la mission dont il était chargé. C’était non seulement un très galant homme et un homme très éclairé, mais un catholique sincère en même temps qu’un libéral sincère, et un libéral modéré en même temps que résolu. Il portait, dans les conseils qu’il donnait à la cour de Rome au nom de la France, autant de respect et de bon vouloir pour le pape que de zèle en faveur des populations romaines et pour l’amélioration de leur gouvernement. S’il y avait un écueil dont il eût à se garder, c’était l’excès de la franchise dans l’expression successive des sentiments divers qui l’animaient et dans la défense alternative des intérêts divers qu’il avait à concilier. En soutenant, tour à tour et selon le besoin du moment, tantôt le gouvernement papal contre des prétentions sans mesure ou des menées hostiles, tantôt les vœux des populations romaines et les réformes qu’il demandait pour elles contre les préjugés ou l’entêtement de leurs maîtres, il abondait quelquefois avec trop d’effusion dans la cause dont il prenait ce jour-là la défense, sans se préoccuper assez de celle qu’il aurait à défendre le lendemain, et de l’effet de ses diverses paroles sur le public, soit de France, soit d’Italie, qui l’entendait parler. Il était toujours parfaitement sensé et loyal, pas toujours assez prévoyant et circonspect. Noble défaut qui n’eût eu aucun inconvénient si la plupart des autres acteurs politiques, Italiens et Français, n’avaient pas eu plus d’arrière-pensées que M. de Sainte-Aulaire, et si la politique de toutes les puissances européennes avait été, dans la question italienne, aussi décidée que celle du cabinet français et de son ambassadeur à Rome en 1831.

Mais il n’en était pas ainsi : les meneurs populaires en France cherchaient, dans les affaires d’Italie, tout autre chose que la réforme du gouvernement romain, et, pour beaucoup de libéraux italiens, cette réforme n’avait de valeur qu’autant qu’elle préparait une révolution et une guerre nationales au lieu de les prévenir. De leur côté, les puissances européennes étaient loin de porter toutes, dans leurs conseils au pape, les mêmes sentiments : le prince de Metternich ne croyait guère, je pense, au succès des réformes indiquées, et l’empereur Nicolas ne le désirait point. C’était là, aux yeux de l’un des rêves, aux yeux de l’autre, des atteintes aux droits et à l’autorité d’un souverain. Ils s’étaient prêtés à la démarche faite auprès du pape, par prudence dans un moment d’orage, surtout par égard pour la France et l’Angleterre, dont ils redoutaient l’action libérale et qu’ils espéraient contenir en ne s’en séparant pas ; mais, dans leur cœur, ils ne portaient à leur propre sollicitation ni confiance, ni goût.

Rien n’est plus imprudent et ne crée, dans les grandes affaires, plus d’embarras que les actes qui ne sont pas faits sérieusement, et dont ceux-là même qui les font n’espèrent ou ne désirent pas le succès. Les bonnes apparences sans effet sont fatales à la bonne politique, et les remèdes vains aggravent le mal qu’ils ont l’air de vouloir guérir. Pour échapper à des difficultés intérieures ou à des mésintelligences diplomatiques, par complaisance plutôt que par conviction, on avait demandé à la cour de Rome des réformes ; on ne s’inquiéta guère de savoir, d’abord si elles étaient praticables et suffisantes, ensuite si elles étaient exécutées ; on voulait une démonstration bien plus qu’un résultat ; la démonstration affaiblit le pape, et le résultat ne satisfit point les populations. Si les puissances européennes avaient été vraiment d’accord sur le fond des choses, si elles avaient toutes pris à leurs conseils le même intérêt, si elles avaient exercé sur la cour de Rome une action unanime et soutenue, elles auraient peut-être fait faire à la question italienne un pas vers une réelle et bonne solution ; elles ne firent que l’envenimer. Les populations, déjà peu disposées à se contenter même de réformes efficaces, s’empressèrent de se livrer à l’irritation des espérances trompées. Quelques mois à peine après la promulgation des édits du pape, en date des 5 juillet, 5 et 31 octobre, et 4 et 5 novembre 1831, pour la réforme de l’administration municipale, de la justice civile et de la justice criminelle dans les Légations[4], le désordre et l’insoumission d’abord, puis l’insurrection y recommencèrent ; les gardes civiques se levèrent en armes ; le cardinal Bernetti adressa une note aux représentants des cours étrangères pour leur déclarer la nécessité où se trouvait le pape de rentrer dans les voies d’une répression énergique. Toute réforme de la justice criminelle fut en effet suspendue ; la guerre civile éclata ; les troupes du pape battirent les insurgés sans les soumettre, et leurs excès après la victoire rengagèrent la lutte sous la forme des séditions locales, des vengeances privées, des rencontres fortuites, des assassinats. Sur la demande de la cour de Rome, et presque à la joie des populations, les Autrichiens rentrèrent dans les villes, dont ils venaient de sortir.

La question italienne se présenta alors sous un tout autre aspect. Le concert des puissances avait été vain. La France, dont la politique à la fois libérale et antirévolutionnaire avait paru adoptée par l’Europe, n’avait pas réussi à la faire triompher en Italie, ni à établir, par cette voie, l’accord entre le pape et ses sujets. C’étaient l’Autriche et la politique de répression matérielle qui prévalaient. Si on en restait là, si le gouvernement français ne se montrait pas sensible à cet échec et prompt à le réparer, il n’avait plus en Italie ni considération, ni influence ; en France, il ne savait que répondre aux attaques et aux insultes de l’opposition. Déjà elle s’indignait, elle questionnait, elle racontait les douleurs des Italiens, les excès des soldats du pape, la rentrée des Autrichiens dans les Légations en dominateurs et presque en sauveurs pour la sécurité de la population comme pour l’autorité du souverain. Il n’y avait là, pour la France, point d’intérêt matériel et direct ; mais il y avait une question de dignité et de grandeur nationale, peut-être aussi de repos intérieur. La politique de la paix était abaissée et compromise. M. Casimir Périer n’était pas homme à prendre froidement et à accepter oisivement cette situation. Le Roi partagea son avis. L’expédition d’Ancône fut résolue.

On sait avec quelle rapidité et quelle vigueur elle fut exécutée. Partie de Toulon le 7 février 1832, sous les ordres du capitaine de vaisseau Gallois, et portant le 66e régiment de ligne, commandé par le colonel Combes, la petite escadre française arrivait le 22 en vue d’Ancône ; dans la nuit, à deux heures, la frégate la Victoire entrait à pleines voiles dans le port ; les troupes débarquaient en silence ; les portes de la ville étaient enfoncées ; et le lendemain matin, sans qu’une goutte de sang eût coulé, la ville et la citadelle étaient occupées par nos soldats faisant le service de tous les postes concurremment avec les soldats du pape, et le drapeau français flottait à côté du drapeau romain.

En France comme en Italie, comme dans toute l’Europe, la surprise fut extrême. Non que l’idée de quelque acte semblable du gouvernement français fût tout à fait nouvelle et n’eût pas déjà occupé les cabinets et les diplomates. Dès la première entrée des Autrichiens dans les Légations, M. de Sainte-Aulaire avait lui-même engagé le général Sébastiani à envoyer sur les côtes d’Italie des bâtiments français, prêts à une démonstration effective si elle devenait nécessaire ; et le capitaine (aujourd’hui amiral) Parseval Deschênes s’était en effet promené avec ses frégates, d’abord devant Civita-Vecchia, puis dans l’Adriatique, tenant la haute mer, mais se portant vers les ports de la côte, entre autres vers Rimini et Ancône, dès que les troupes autrichiennes avaient l’air de s’en rapprocher. Quand la seconde occupation des Légations fut imminente, M. Casimir Périer chargea expressément M. de Sainte-Aulaire de demander au Pape que, si les Autrichiens y rentraient, les troupes de quelque puissance italienne, spécialement du Piémont, fussent admises sur quelque autre point des États-Romains, et un corps français dans la citadelle d’Ancône. M. de Sainte-Aulaire s’acquitta fidèlement de sa mission, et dans plusieurs entretiens, d’abord avec le cardinal Bernetti, puis avec le Pape lui-même, il leur annonça la demande du gouvernement français. Au premier moment il put croire qu’elle ne serait pas péremptoirement repoussée ; mais bientôt, à l’idée de la présence des soldats et du drapeau français sur un point quelconque de l’Italie, une vive alarme s’empara de la cour de Rome, de tout le Sacré-Collège et des représentants des puissances étrangères auprès du Pape ; c’était, à leurs yeux, probablement la révolution, et en tout cas l’influence française envahissant l’Italie. Leur opposition n’eut pas grand’peine à prévaloir ; et lorsque, le 31 janvier 1832, le comte de Sainte-Aulaire adressa officiellement au cardinal Bernetti la demande du cabinet français, le cardinal y répondit le lendemain par un refus formel. Huit jours après, le 9 février, M. Casimir Périer informait M. de Sainte-Aulaire qu’une escadre française, à la destination d’Ancône, avait fait voile de Toulon.

Depuis quelques semaines déjà, on s’entretenait en Italie des préparatifs de cet armement ; mais on se demandait avec une profonde incertitude quel en pouvait être l’objet. A Rome, à Naples, à Florence, pas plus les agents français que les politiques italiens, personne n’avait cru à ce débarquement soudain, à cette invasion inattendue et à main armée dans une ville romaine ; l’acte semblait trop contraire au droit public et trop téméraire pour être ainsi commis en pleine paix et sans l’aveu, ni du pape, ni des alliés de la France. A Turin seulement M. de Barante, informé par M. Edmond de Bussierre, alors premier secrétaire de l’ambassade de France à Naples, du départ de l’expédition et de son objet probable, m’écrivit le 28 février 1832, avant de savoir qu’elle avait réussi : J’attends dans la journée le courrier qui apportera des nouvelles d’Ancône. Nous supposons ici que, malgré le profond déplaisir que cette occupation causera à l’Autriche et au Saint-Siège, on y aura consenti. C’est, dans les circonstances données, la meilleure détermination qu’on pût prendre. L’occupation par les troupes sardes était difficile à arranger. Le cabinet de Turin ne s’y serait prêté que s’il eût été parfaitement certain de ne point déplaire à l’Autriche. Dès lors, politiquement, une garnison sarde eût été une garnison autrichienne. Cet arrangement eût laissé subsister ce que nous avons à empêcher, la suzeraineté de l’Autriche sur l’Italie. Là est toute la question. A Vienne et à Milan, on n’a aucune envie de conquérir les Légations, mais on veut garder la haute main sur la Péninsule ; et c’était chose d’autant plus facile que les gouvernements italiens, qui s’en défendaient un peu avant notre révolution, aujourd’hui ne demandent pas mieux et cherchent là leur sauvegarde. Si donc nous occupons Ancône, ce que je saurai avant de fermer ma lettre, nous aurons déplu à l’Autriche sans qu’elle veuille se brouiller avec nous, ce qui est très bon. Nous aurons montré aux gouvernements italiens que nous n’entendons pas qu’ils se fassent vassaux, afin de ne rien accorder à leurs sujets. Nous aurons fait acte de force, à la grande joie de tout le parti français et libéral, qui se trouvera encouragé et appuyé par la présence de notre drapeau en Italie. Les carbonari eux-mêmes commenceront à faire un peu plus de cas de notre ministère que de M. de La Fayette. Tout est donc pour le mieux, s’il y a succès. Quelques heures plus tard, M. de Barante terminait ainsi sa lettre : C’est chose faite ; nous sommes entrés à Ancône avec des démonstrations de vive force, et le pape proteste. Si l’Autriche, comme il semble, prend la chose en patience, nous voilà en bonne position. L’effet sera grand en Italie, et je l’aperçois déjà.

A Rome, dans les premiers moments, l’irritation du gouvernement fut aussi vive qu’elle était naturelle : par une note du cardinal Bernetti à M. de Sainte-Aulaire, le pape protesta solennellement contre l’occupation d’Ancône ; il fit retirer de la ville ses représentants, ses soldats, son drapeau, et transféra à Osimo le gouvernement de la province. Le cabinet de Vienne fit grand bruit de sa surprise, déclarant que c’était là une affaire européenne et dont tous les cabinets devaient se préoccuper. A Londres même, lord Grey et lord Palmerston, que M. de Talleyrand, tenu au courant par M. Périer, avait d’avance préparés à l’événement, et qui s’y étaient résignés, non sans quelque peine, furent accusés, dans le parlement, de livrer l’Italie à l’ambition de la France. M. de Sainte-Aulaire était et ne pouvait pas ne pas être un peu troublé et inquiet ; après l’insuccès de sa négociation pour arriver au même but par une voie régulière, il ne s’était point attendu à un acte si soudain et si rude ; c’était sur lui que portait le poids d’une situation qu’il n’avait pas faite ; c’était à lui à calmer l’irritation et à dissiper les méfiances du pape et de ses conseillers. Il se mit à l’œuvre avec sa fidélité et son dévouement accoutumés aux instructions de son gouvernement comme aux intérêts de son pays ; et six semaines après l’occupation d’Ancône, il avait réussi à la faire reconnaître par la cour de Rome comme un fait temporaire qui ne devait altérer ni la paix de l’Europe, ni les bons rapports du Saint-Siège avec la France, et une convention du 16 avril 1832 en régla le mode et les conditions.

Indépendamment de son propre travail et de la confiance personnelle qu’il avait conquise à Rome, ce fut surtout à l’attitude et au langage que tint alors M. Casimir Périer, soit dans les relations diplomatiques, soit dans les Chambres, que M. de Sainte-Aulaire dut le crédit et la force dont il avait besoin pour atteindre à ce difficile résultat. Au moment où l’on apprit que les troupes françaises étaient entrées de vive force dans Ancône, les représentants des grandes puissances à Paris, soit qu’ils fussent réellement troublés de l’événement, soit qu’ils voulussent mettre à couvert leur responsabilité officielle, se rendirent chez M. Périer pour lui demander des explications. Ils le trouvèrent très souffrant ; on venait, quelques heures auparavant, de lui mettre des sangsues ; il les reçut avec une fierté agitée ; et, sur une parole du ministre de Prusse, le baron de Werther, qui demanda s’il y avait encore un droit public européen, M. Périer, se levant brusquement de son canapé, s’avança vers lui en s’écriant : Le droit public européen, Monsieur, c’est moi qui le défends ; croyez vous qu’il soit facile de maintenir les traités et la paix ? Il faut que l’honneur de la France aussi soit maintenu ; il commandait ce que je viens de faire. J’ai droit à la confiance de l’Europe, et j’y ai compté ! Le comte Pozzo di Borgo me disait, en me racontant cette entrevue : Je vois encore cette grande figure pâle, debout dans sa robe de chambre flottante, la tête enveloppée d’un foulard rouge, marchant sur nous avec colère.» Ce premier mouvement passé, la conversation devint facile, et les ministres étrangers se retirèrent satisfaits. Le coup ainsi porté et bien soutenu, M. Périer sentit la nécessité de panser la blessure, et il le fit avec la fermeté franche d’un homme sûr de son dessein comme de son pouvoir, qui ne désavoue rien parce qu’il n’a rien à cacher, et qui, en marchant à son but, sait s’arrêter aussi bien que s’élancer. Le 7 mars 1832, la Chambre des députés discutait le budget du département des affaires étrangères ; M. Casimir Périer prit la parole, et traita toutes les questions flagrantes de la politique extérieure. Arrivé aux affaires d’Italie et à l’occupation d’Ancône, connue à Paris seulement depuis quatre jours : Ce n’est point encore là, dit-il, un événement accompli, et par conséquent soumis à des investigations sans bornes ; mais nous nous hâtons de déclarer qu’il n’y a rien, dans cette démarche mûrement réfléchie et dont toutes les conséquences ont été pesées, qui puisse donner aux amis de la paix la moindre inquiétude sur le maintien de la bonne harmonie entre les puissances qui concourent, dans cette question comme dans toutes les autres, à un but commun. Comme notre expédition de Belgique, notre expédition à Ancône, conçue dans l’intérêt général de la paix, aussi bien que dans l’intérêt politique de la France, aura pour effet de contribuer à garantir de toute collision cette partie de l’Europe, en affermissant le Saint-Siège, en procurant aux populations italiennes des avantages réels et certains, et en mettant un terme à des interventions périodiques, fatigantes pour les puissances qui les exercent, et qui pourraient être un sujet continuel d’inquiétude pour le repos de l’Europe.

A mon tour, je montai le lendemain à la tribune, et, plus libre que M. Périer, j’entrai plus avant dans l’explication des motifs de l’expédition d’Ancône, de notre politique en Italie, et de ses liens avec notre politique générale en Europe : Nous ne pouvons le méconnaître, dis-je ; il y a un parti, une faction qui a besoin d’une guerre générale, qui n’a d’espérance et de chance que dans une collision universelle. On avait espéré que cette collision viendrait de la Belgique ; elle a manqué. On l’avait espérée de la Pologne ; elle a manqué. On la cherche en Italie. On s’est hâté de dire qu’il y avait là, de la part de l’Autriche, une grande intrigue, et que son intervention dans les Légations n’était qu’un prétexte pour s’emparer de ces provinces et les ajouter à ses possessions italiennes. On s’est flatté que de là naîtrait, entre la France et l’Autriche, une collision que la Belgique et la Pologne n’ont pas donnée, et dont on se promet je ne sais combien de révolutions en Europe. J’ai la confiance qu’on se trompera sur l’Italie comme on s’est trompé sur la Belgique et la Pologne. Le gouvernement autrichien a trop de bon sens pour ne pas savoir que la possession même des Légations ne vaut pas pour lui les chances d’une guerre générale ; ce qu’il veut, c’est que l’Italie lui appartienne par voie d’influence, et c’est là ce que la France ne saurait admettre. Il faut que chacun prenne ses positions ; l’Autriche a pris les siennes ; nous prenons, nous prendrons les nôtres ; nous soutiendrons l’indépendance des États italiens, le développement des libertés italiennes ; nous ne souffrirons pas que l’Italie tombe complètement sous la prépondérance autrichienne ; mais nous éviterons toute collision générale. Les insurrections fomentées et exploitées, les guerres d’invasion et de conquête, voilà la politique révolutionnaire, celle où l’on voudrait nous entraîner ; des mesures comminatoires, des précautions fortes, des expéditions limitées, des négociations patientes, voilà la politique régulière et civilisée. Nous avons commencé à y entrer ; nous y persévérerons. Les difficultés que nous rencontrons sont graves ; mais elles n’ont rien d’incompatible avec l’état de paix européenne ; ce ne sont pas des questions de vie et de mort ; elles se résoudront peu à peu par la bonne conduite du gouvernement, par son respect des droits de tous, de tous les droits de tous, et par la constance des Chambres à le soutenir fermement dans cette voie.

Je prends plaisir à me rappeler nos luttes de cette époque ; j’y entrais avec ardeur, mais comme volontaire et en pleine liberté ; aucune fonction, aucun engagement ne me liaient à M. Casimir Périer ; c’était mon propre dessein que je poursuivais, ma propre pensée que je développais en défendant son administration. Et je n’allais pas seul au combat ; j’y trouvais, indépendamment des ministres, d’habiles et efficaces alliés : M. Dupin et M. Thiers soutenaient comme moi la politique du cabinet. Occupant tous deux des fonctions, l’un procureur général à la Cour de cassation, l’autre conseiller d’État, ils n’en étaient pas moins, dans les Chambres, des champions de bonne volonté, poussés par leur conviction personnelle bien plus que par l’obligation de leur charge. Il n’y avait entre nous aucun concert, point d’entente préalable ni de tactique convenue ; nous entrions dans l’arène, chacun par la porte qui lui convenait et sous les couleurs de son choix. Nous traitions en général les questions sous des points de vue et par des procédés très différents. M. Dupin, en parlant de la politique extérieure, la considérait moins en elle-même que dans son influence sur l’état intérieur du pays, sur ses intérêts domestiques, sa prospérité, son repos. M. Thiers parcourait toutes les hypothèses, discutait toutes les conduites, celle qu’indiquait l’opposition comme celle que tenait le gouvernement, et il faisait à chaque pas ressortir les impossibilités pratiques, les contradictions inévitables, les périls démesurés de la politique que MM. Mauguin, Bignon, Lamarque, et aussi M. de La Fayette avec plus de dignité et de politesse, quoique plus hardiment encore, auraient voulu imposer au pays comme au gouvernement. Je m’appliquais surtout à bien caractériser la politique générale du cabinet et de ses amis, à l’établir fortement en droit, à montrer comment elle devait persister et dominer dans toutes les questions particulières ; et en même temps j’attaquais de front les mauvaises traditions, les faux principes auxquels était empruntée la politique de l’opposition et dont elle eût ramené le funeste empire. Loin de nuire à la cause que nous soutenions en commun, ces diversités de position et de langage la servaient, car elles faisaient voir combien de défenseurs divers, mais tous convaincus et zélés, se ralliaient pour la faire triompher.

L’expédition d’Ancône n’était pas la première preuve que M. Casimir Périer eût donnée de son efficace énergie à soutenir au dehors l’honneur et l’intérêt de la France. Quelques mois auparavant, il avait eu de justes réclamations à élever contre l’iniquité brutale avec laquelle le roi don Miguel traitait, dans leur personne comme dans leurs biens, les Français établis en Portugal, et il n’en avait pas obtenu le redressement. Le gouvernement anglais, qui avait eu aussi à Lisbonne quelques-uns de ses nationaux à protéger contre des violences semblables, venait de recevoir les satisfactions qu’il avait demandées. M. Casimir Périer, las de les attendre, résolut d’aller les prendre. L’amiral Roussin, à la tête d’une belle escadre et avec autant d’habileté que de hardiesse, força l’entrée du Tage, fit prisonnière dans ses propres eaux toute la flotte portugaise, éteignit le feu des forts qui la protégeaient, et devant les quais de Lisbonne contraignit les ministres de don Miguel à venir signer sur son vaisseau la convention qui donnait, à la France et aux Français établis en Portugal, toutes les réparations de dignité et d’intérêt auxquelles ils avaient droit. La brillante exécution de cette rapide campagne n’en fut pas, aux yeux du public français, le seul mérite ; il y vit une preuve de l’indépendance que conservait le cabinet de M. Casimir Périer dans ses rapports avec l’Angleterre. A Londres, l’opposition essaya de faire au gouvernement un reproche de l’humiliation que le Portugal venait de subir ; le duc de Wellington lui-même sortit, à cette occasion, de sa réserve accoutumée : J’ai senti, dit-il, moi sujet anglais, la rougeur me monter au front, à la vue d’un ancien allié traité ainsi sans que l’Angleterre fît rien pour s’y opposer. Le cabinet anglais n’avait nul droit de s’opposer à la justice que réclamait la France ; et si le duc de Wellington eût été au pouvoir, je ne doute guère qu’il n’eût tenu la même conduite que lord Grey. Quand on n’agit que selon le droit, et qu’en l’établissant clairement on le soutient fermement, le gouvernement anglais, même quand il a de l’humeur, ne s’engage pas légèrement, et pour des questions secondaires, dans une querelle sérieuse avec ses voisins.

Cette bonne conduite soutenue, ce concours de prudence et de vigueur, cette fermeté à ne pas s’écarter, dans les questions particulières les plus épineuses, de la politique générale et pacifique que proclamait le cabinet, faisaient en Europe, autant et encore plus qu’en France, une profonde impression. M. Casimir Périer devenait partout l’objet de l’estime et des espérances, non seulement des hommes en pouvoir, mais des honnêtes gens éclairés. Le cabinet anglais lui témoignait de jour en jour plus de confiance. Les gouvernements même les plus méfiants commençaient à compter sur sa parole et à croire qu’avec lui on pouvait traiter de l’avenir. Un désarmement général et concerté était le vœu de tous les cabinets. A Vienne surtout, le prince de Metternich s’attachait à cette perspective, faisait honneur à M. Périer de l’avoir ouverte, et parlait tout haut des éclatantes marques de considération que tous les souverains s’empresseraient de lui donner s’il rendait possible, pour l’Europe, cette grande mesure qui devait épargner aux peuples tant de charges et aux gouvernements tant d’embarras. Ce que nous pouvons nous-mêmes concevoir d’espérance au dedans, m’écrivait M. de Barante, est avidement saisi par l’étranger. Les cabinets n’ont nulle envie de jouer le tout pour le tout. Quelle que soit leur antipathie pour la Révolution de Juillet, ils aimeraient mieux la voir se régler et se consolider que tomber en confusion. Au fond, la France révolutionnaire leur paraît moins redoutable en permanence que la France bien ordonnée ; parfois ils s’imaginent qu’elle n’aurait pas même la force du désordre. Pourtant c’est là un grand péril, actuel, inconnu, impossible à mesurer, et l’on aime mieux ne pas le courir. Mais toute la situation changerait si M. Périer s’en allait. Déjà, quand, à l’ouverture de votre session, il a voulu se retirer, on a cru tout perdu. Aussi l’affaire de Belgique a-t-elle passé pour un coup de bonheur.

Mais ni l’énergie, ni le renom d’un homme ne suffisent, en quelques mois, à faire rentrer dans l’ordre une société profondément ébranlée. M. Casimir Périer avait accepté la plus rude comme la plus noble des tâches, la tâche de dompter l’anarchie au nom d’un gouvernement né d’une révolution et en présence de la liberté. Au milieu de ses efforts et de ses succès, et de la confiance qu’il inspirait aux honnêtes gens de France et d’Europe, le mal était toujours là, ralenti mais non guéri ; l’anarchie se débattait sous sa main, intimidée mais non vaincue. Dans les premiers mois de 1832, deux complots éclatèrent encore à Paris, et sur plusieurs points du royaume, comme à Grenoble, l’autorité du gouvernement fut méconnue et la paix publique violemment troublée. Les espérances révolutionnaires enflammaient encore les mauvaises passions. Le parti républicain ne renonçait point ; le parti légitimiste rentrait en scène. La presse périodique n’avait jamais été plus hostile ni avec plus d’audace. Dans la Chambre des députés, l’opposition poursuivait ses attaques contre le cabinet, et l’étalage de cette politique déclamatoire qui, tantôt adroitement violente, tantôt confiante dans sa témérité, donnait un appui indirect à la guerre à mort que, hors des Chambres, le pouvoir avait à soutenir. Les étrangers, princes et peuples, observaient avec une surprise inquiète cet état de révolution prolongée sous un gouvernement qui s’était si promptement et si facilement établi : Notre considération et notre influence, m’écrivait M. de Barante, sont mises en quarantaine ; nous offrons l’aspect d’un pays où les honnêtes gens soutiennent la plus pénible et la plus dangereuse lutte contre la partie folle ou perverse de la population. Le point d’arrêt n’est pas trouvé ; on s’aperçoit que tout est encore en question et en péril ; les victoires du parti raisonnable semblent l’épuiser, sans affaiblir le parti opposé. Le désir de changer l’état de la société et de réduire à l’état de parias toutes les supériorités devient de jour en jour plus manifeste. On admire, mais on plaint M. Périer. Votre nom est souvent prononcé comme celui du plus net et du plus vaillant adversaire de l’esprit d’anarchie ; mais lors même qu’on espère une heureuse issue, un tel état social tente peu les libéraux qui ne sont pas révolutionnaires. Si nous étions en meilleur train, si nous présentions un aspect rassurant et honorable, le progrès des idées d’amélioration serait rapide. Au lieu de cela, l’Italie flotte entre la sédition et la répression autrichienne.

Personne ne se faisait, sur l’état du pays et sur l’insuffisance de son propre succès, moins d’illusion que M. Périer lui-même. J’ai déjà dit qu’il était peu enclin à l’espérance, et très méfiant soit envers les hommes, soit envers la destinée. L’expérience, loin de l’atténuer, aggravait en lui cette disposition. A mesure qu’il gouvernait, il devenait plus difficile en fait de gouvernement, plus choqué de ce qui manquait à son œuvre, plus exigeant envers ses agents, ses alliés et ses amis : Personne ne fait tout son devoir, disait-il ; personne ne vient en aide au gouvernement dans les moments difficiles. Je ne puis pas tout faire. Je ne sortirai pas de l’ornière à moi tout seul. Je suis pourtant un bon cheval. Je me tuerai, s’il le faut, à la peine. Mais que tout le monde s’y mette franchement et donne avec moi le coup de collier ; sans cela, la France est perdue.» Il prévoyait le moment où, même en réussissant, il ne pourrait ou ne voudrait pas porter plus longtemps le fardeau dont il s’était chargé, et il se préoccupait, avec une noble inquiétude, de ce que serait après lui le sort de son pays. Un de mes amis, jeune attaché alors à son cabinet et qui devint peu après son neveu, M. Vitet eut avec lui, vers le milieu de mars 1832, peu de jours avant l’invasion du choléra dans Paris, une conversation dont il fut si frappé qu’il en a recueilli les souvenirs. Je les consigne ici textuellement, tels qu’il me les a communiqués, et sans croire que l’honneur qui m’y est fait par l’estime de M. Casimir Périer m’impose une apparence d’embarras et un devoir de réticence. «Je l’avais accompagné en tête à tête, dit M. Vitet, hors Paris, à sa maison du bois de Boulogne, où son médecin l’envoyait prendre l’air, car il était déjà affaibli et souffrant. Nous fîmes, pendant plus de deux heures, le tour de ses jardins, sous un ciel triste et brumeux que je vois encore. Il me parla, avec plus d’abandon et de suite qu’il n’avait jamais fait, de ses projets, de ses plans, de ses espérances. Il me lut les dernières dépêches qu’il venait de recevoir de Londres et de Vienne, me montra que, dans un délai plus court qu’on ne pensait, il y avait lieu d’attendre que les puissances continentales désarmeraient sur une assez grande échelle pour ôter toute idée d’arrière-pensée de leur part : Dès lors, ajouta-t-il, toute cette mousse de guerre tombera, et cela fait, je me retire ; ma tâche sera terminée. Le fardeau est déjà lourd ; il deviendrait intolérable quand le danger serait dissipé. Mes meilleurs amis, qui déjà ne sont pas commodes, me joueraient, à tout propos, des tours pendables. Je leur céderai la place. Mais je ne m’en irai pas sans m’être donné des successeurs qui comprennent et qui veuillent conserver ce que j’ai fait. Là dessus il entra dans de longs détails sur quelques-uns de ses alliés, les drapant de main de maître : Ce n’est pas avec ces hommes-là, reprit-il, qu’on peut faire un gouvernement. Je sais que les doctrinaires ont de grands défauts, et qu’ils n’ont pas l’art de se faire aimer du gros public ; il n’y a qu’eux pourtant qui veuillent franchement ce que j’ai voulu. Je ne serai tranquille qu’avec Guizot. Nous avons gagné assez de terrain pour qu’il puisse entrer au pouvoir. Ce sera ma condition.

Encore un exemple de la vanité des confiances de l’homme ! Au moment où M. Casimir Périer se préoccupait ainsi de régler l’avenir, le présent était près de lui échapper ; le choléra, qui devait l’atteindre, envahissait soudainement Paris. On a dit que, dès la première explosion du fléau, M. Périer en avait eu l’imagination frappée au point qu’à l’instant sa santé en souffrît, surtout que les bruits d’empoisonnement et les meurtres populaires suscités par ces bruits avaient troublé son âme, presque comme un outrage personnel. Il fut, en effet, profondément indigné de ces déplorables scènes de crédulité féroce : Ce n’est pas là, disait-il, la pensée d’un peuple civilisé ; c’est le cri d’un peuple sauvage. Mais je ne pense pas que son impression soit allée plus loin : J’étais présent, m’a dit M. d’Haubersaert, quand le préfet de police vint lui rendre compte de ce qui se passait. M. Périer fut ému, irrité, attristé, mais point troublé. Il avait l’imagination chaude, le tempérament irritable, mais l’âme forte et l’esprit ferme ; il voyait les choses telles qu’elles étaient réellement, sans exagération comme sans illusion, même lorsqu’il en était profondément remué.

Je ne trouve pas que les écrivains qui ont raconté ce temps aient peint avec vérité et justice l’état de Paris, gouvernement et peuple, pendant cette lugubre crise. Aussi absurdes qu’odieux, les emportements populaires furent peu nombreux, limités à quelques rues encombrées d’une population pauvre et grossière, et ils cessèrent promptement. L’aspect général de la ville était morne, mais point troublé ; on ne voyait nulle part cette agitation désordonnée ou cette immobilité stupide qui caractérisent la peur ; les habitants passaient dans les rues silencieux, le pas pressé, la physionomie un peu tendue et crispée, sous l’influence de l’air froid et sec qu’il respiraient. Les Chambres, les tribunaux, les fonctionnaires de toute sorte continuèrent régulièrement leurs travaux. Les prêtres, les administrateurs, les médecins, les employés des établissements pieux et charitables firent leur devoir, beaucoup avec ardeur, presque tous sans hésitation. Le Roi et sa famille, les ministres, tous les chefs des services publics donnèrent l’exemple du courage et du dévouement. Le comte d’Argout, dans les attributions duquel se trouvait la police sanitaire, parcourait les quartiers les plus malades, aidant de sa propre main à placer les morts dans les voitures qui les recueillaient de maison en maison pour les porter aux cimetières. La charité chrétienne, la sympathie libérale et le zèle administratif unissaient leurs efforts pour lutter contre le mal ou en atténuer les résultats. L’anxiété publique était visible, la tristesse profonde ; mais on n’avait sous les yeux aucun de ces spectacles d’épouvante honteuse et de désorganisation sociale et morale qui, dans d’autres temps et ailleurs, ont accompagné de telles épreuves. On se sentait, au contraire, au milieu d’une population en qui dominait le sentiment du devoir ou de l’honneur, et sous la main d’un gouvernement régulier, intelligent, vigilant, résolu et capable d’accomplir, dans les limites de la science et de la puissance humaines, tout ce qu’exigeait de lui le périlleux service de la société confiée à ses soins.

Ce n’est point par des observations indirectes et lointaines, c’est de près et par moi-même que j’ai vu et pu apprécier l’état moral de Paris à cette époque. Je vivais au milieu du mal public et du travail assidûment suivi pour y porter remède. Pourquoi ne rendrais-je pas à une chère mémoire ce qui lui est dû ? L’affection commande la réserve, mais n’interdit pas la vérité. Dame de charité dans le quartier que nous habitions, dès que le fléau y parut, ma femme se voua à en défendre les familles pauvres commises à sa charge, et bien d’autres aussi dont la détresse s’aggravait par ce nouveau péril. Elle employait chaque jour plusieurs heures à les visiter, à munir de précautions ceux qui se portaient bien, à faire soigner et souvent à soigner elle-même ceux qui étaient atteints, à faire promptement enlever ceux qui avaient succombé, à soutenir et à consoler ceux qui restaient. Sa jeunesse, son activité, sa sérénité, son facile courage, sa bonté à la fois sympathique et fortifiante lui acquirent bientôt la confiance des effrayés, des malades, des médecins, des administrateurs, de tous ceux qui, dans le quartier, étaient les objets ou les alliés de son œuvre. Ils venaient incessamment réclamer ses visites, ses secours, ses conseils ; les uns l’informaient de leurs maux et de leurs besoins ; les autres la mettaient au courant des mesures adoptées par l’administration et des moyens employés par la science. De mon cabinet, j’entendais fréquemment demander : Madame Guizot y est-elle ? Je la voyais, avec une inquiétude qu’elle me voyait bien, mais dont nous ne nous parlions pas, sortir, rentrer, ressortir plusieurs fois dans le jour pour suffire à sa tâche. Sa santé n’en fut point altérée, mais elle eut bientôt à s’occuper de sa propre maison. Je fus moi-même atteint du choléra ; pas très gravement, assez cependant pour que mon médecin, le docteur Lerminier, dît : Si M. Guizot avait peur, il serait bien malade. Je n’eus à me défendre d’aucune impression semblable. Pendant un jour seulement, mon malaise fut extrême ; j’avais comme un sentiment de grand trouble et de désorganisation intérieure. Les remèdes, surtout l’emploi continu de la glace, mirent fin à cet état ; j’entrai rapidement en convalescence, et ma femme put reprendre au dehors son œuvre[5]. Cette atmosphère de charité où je vivais et ma propre indisposition me rendirent l’histoire du choléra de 1832 très familière ; j’en entendais sans cesse parler ; j’étais au courant de tous les incidents, de tous les travaux, de tous les sentiments qui s’y rattachaient. Je suis sorti de cette triste époque plein d’estime pour la bonté, le courage, le dévouement, le zèle intelligent, la sympathie affectueuse, pour toutes les vertus privées qui abondent dans toutes les classes de la société française, et qui s’y déploient avec une verve charmante dès que les grandes épreuves les appellent. Il y a là de quoi compenser bien des faiblesses, et de puissants motifs d’espérer que cette société acquerra aussi, avec le temps, les vertus publiques dont elle a besoin pour accomplir sa destinée et pour satisfaire à son propre honneur.

Au plus fort de la crise, pour combattre les craintes de contagion et relever les esprits abattus, le gouvernement voulut faire une démarche un peu éclatante. Le Roi proposa d’aller en personne, avec le président du Conseil, visiter l’Hôtel-Dieu. Le cabinet n’y consentit point ; mais M. le duc d’Orléans, avec un généreux empressement, demanda à remplacer son père, et son offre fut acceptée. La visite eut lieu le 1er avril 1832. Le duc d’Orléans, M. Casimir Périer et M. de Marbois, alors président du Conseil général des hospices et âgé de quatre-vingt-sept ans, parcoururent les salles des cholériques de l’Hôtel-Dieu, s’arrêtant auprès du lit des malades, leur prenant les mains, causant avec eux, et les encourageant par de bonnes et fermes paroles. La visite fut longue. Plusieurs malades, dix ou douze, selon le rapport d’un assistant, moururent pendant sa durée. M. Lanyer, jeune médecin distingué, employé alors dans le ministère de l’intérieur comme directeur des affaires civiles de l’Algérie, avait accompagné M. Casimir Périer dans cette visite ; il l’engagea, ainsi que M. le duc d’Orléans, à y mettre un terme, disant qu’un plus long séjour dans cette atmosphère pouvait être dangereux et était complètement inutile. Ni M. le duc d’Orléans, ni M. Périer ne tinrent compte de cet avis. Le prince discutait, avec une entière liberté d’esprit, la question de savoir si le choléra était ou non contagieux ; et M. Périer, silencieux et grave, éprouvait et contenait visiblement, en présence de tant de souffrances, une profonde émotion. Ils se retirèrent enfin, et, rentré au ministère de l’intérieur, M. Périer se complaisait à raconter le courage de ce jeune prince et de ce vieux magistrat, l’un sur les marches du trône, l’autre sur le bord du tombeau, tous deux parfaitement tranquilles et sereins à côté de ces mourants dont le souffle répandait peut-être la mort. Pour lui, il avait, en parlant de ce spectacle, les yeux ardents, le teint pâle, la physionomie altérée, et ses amis étaient pénétrés d’inquiétude en le regardant.

Trois jours après cette lugubre visite, M. Casimir Périer était gravement malade ; l’un de ses collègues, M. de Montalivet, vint le voir, le 5 avril, dans la soirée : Je le trouvai seul, étendu sur un canapé ; les meurtres commis la veille par une foule furieuse et stupide, sur de prétendus empoisonneurs, avaient fait sur son esprit une impression navrante. Il me fit, sur la France et sur lui-même, les plus tristes prédictions : Je vous l’ai déjà dit ; je sortirai de ce ministère les pieds en avant. C’étaient en effet les termes dont il s’était servi avec moi le jour même où il s’installa au ministère de l’intérieur, le 14 mars 1831. Il m’entretint ensuite, avec calme et tristesse, de l’article à insérer le lendemain dans le Moniteur[6]. Le préfet de police arriva. Je le quittai en lui disant un adieu qui devait être le dernier. Je ne l’ai plus revu[7].

Pendant que le choléra, en envahissant M. Casimir Périer, mettait en péril le repos de la France, il lui enlevait, dans M. Cuvier, une de ses gloires[8]. Au milieu de son trouble, la France sentit vivement cette perte ; elle a toujours aimé la grandeur intellectuelle, et c’est aujourd’hui presque la seule qu’elle se plaise à honorer. Le concours aux obsèques de M. Cuvier fut très grand, et un sentiment vrai de sympathie et de regret animait cette foule pressée d’accourir pour rendre hommage à un maître de la science, pressée de s’écouler pour se soustraire au péril du fléau qui l’avait frappé. Ce mélange de généreux respect et de préoccupation personnelle était un spectacle à la fois noble et triste.

Le mal éclata, chez M. Casimir Périer, avec une grande violence : Des spasmes nerveux soulevaient ce grand corps dans son lit, par une sorte de mouvement mécanique dont la puissance irrésistible était effrayante. C’était un douloureux spectacle que celui de cette intelligence et de cette volonté si énergique luttant en vain contre la matière[9]. Quelques-uns des médecins appelés doutaient que ce fût le choléra ; la plupart, et les principaux, l’affirmaient, et tout semble indiquer qu’ils avaient raison. A côté de M. Périer, dans le ministère de l’intérieur, onze personnes en étaient en même temps attaquées, et son collègue, M. d’Argout, qui l’avait accompagné dans la visite à l’Hôtel-Dieu, était frappé comme lui, et presque en aussi grand danger. Au bout de quelques jours, une amélioration sensible donna quelques espérances ; ce fut, entre les médecins, le moment des doutes, des discussions et des essais divers ; pendant six semaines, ils luttèrent de toute leur science, et le malade de toute la force de son âme, contre le mal toujours renaissant et croissant ; mais tous les efforts étaient vains ; la fièvre devenait de jour en jour plus ardente ; l’extrême susceptibilité nerveuse de M. Périer allait souvent jusqu’au délire. Au milieu de son mal, l’avenir de son pays et de la bonne politique dans son pays était sa constante préoccupation, Il en parlait à ceux qui l’entouraient ; il s’en parlait tout haut à lui-même dans les accès de la fièvre. Son fils aîné arriva d’Angleterre ; M. Périer ne l’entretint pendant plus d’une heure que de la Conférence de Londres et du règlement des affaires de Belgique. Malgré l’affection qu’il portait à ce fils, il ne se laissa aller à aucun attendrissement, ne manifesta aucune faiblesse ; la paix de l’Europe paraissait sa seule pensée. Quand son esprit se portait sur les affaires de l’intérieur, il exprimait pour l’ordre social, surtout pour la propriété, première base de l’ordre social, les plus vives alarmes, ne se faisant aucune illusion sur la valeur de ses succès contre l’anarchie, et sachant bien que, s’il avait arrêté la ruine de l’ordre, il n’avait pas assuré sa victoire : J’ai les ailes coupées, disait-il ; je suis bien malade, mais le pays est encore plus malade que moi.

Le pays suivait avec anxiété les progrès de cette maladie qui le menaçait de retomber lui-même dans tout son mal. Quand on apprit, le 16 mai au matin, que M. Casimir Périer venait de succomber, un vif mouvement de regret, de reconnaissance et d’alarme éclata, en province comme à Paris, parmi les propriétaires, les négociants, les manufacturiers, les magistrats, dans toute cette population amie de l’ordre qu’il avait comprise et défendue mieux qu’elle ne savait se comprendre et se défendre elle-même. Elle accourut en foule à ses obsèques ; elle s’empressa de souscrire pour lui élever un monument. Les détails de cet élan d’estime publique sont partout. Je me joignis au départ du convoi funèbre ; mais à peine remis de ma propre attaque de choléra, je ne pus l’accompagner jusqu’au cimetière. Parmi les discours qui y furent prononcés, celui de M. Royer-Collard, et parmi les écrits consacrés à la mémoire de M. Casimir Périer la Notice que M. de Rémusat a placée en tête du recueil de ses Discours, ont seuls une valeur historique : dans l’un, le caractère public, dans l’autre le caractère personnel de M. Casimir Périer sont peints avec autant d’éclat que de vérité. L’un et l’autre méritent de survivre au moment qui les inspira[10]. Ce sont de beaux exemples d’admiration grave et de sympathie clairvoyante. Une année de gouvernement, qui fut un long combat sans résultat complet ni assuré, avait suffi pour conquérir à M. Casimir Périer ces sentiments des juges les plus difficiles, comme du public français et européen.

 

 

 



[1] Pièces historiques, n° VIII.

[2] Histoire du règne de Louis-Philippe 1er, par Victor de Nouvion, t. II, p. 189-192 ; ouvrage aussi recommandable par l’exactitude des recherches historiques que par la probité des sentiments politiques. M. le duc de Mortemart m’a donné l’assurance que les détails contenus dans le récit de M. de Nouvion étaient parfaitement exacts.

[3] Pièces historiques, n° X.

[4] Pièces historiques, n° XI. Je joins à ces édits une lettre que M. Rossi m’écrivit de Genève, le 10 avril 1832, plusieurs mois après leur promulgation, et qui montre combien, soit par leur insignifiance, soit par leur non exécution, ils avaient peu satisfait les Italiens les plus modérés, et quelles espérances ou plutôt quels désirs continuaient d’agiter les esprits. (Pièces historiques, n° XI.)

[5] Je me donne le plaisir de publier, dans les Pièces historiques, n° XII, un essai intitulé : De la Charité et de sa place dans la vie des femmes, par Mme Éliza Guizot, écrit en 1828, et qui n’a été imprimé que dans un Recueil inédit et tiré seulement à soixante exemplaires.

[6] Pièces historiques, n° XIII.

[7] Extrait d’une lettre que m’a adressée, le 18 septembre 1858, M. de Montalivet, à qui je dois, sur toute cette époque, plusieurs renseignements importants.

[8] On a discuté les causes de la mort de M. Cuvier. Pour avoir, à ce sujet, l’avis d’un juge parfaitement compétent, je me suis adressé à mon savant confrère et ami, M. Flourens, son digne successeur dans l’Académie française comme dans l’Académie des sciences. Il m’a répondu : Les causes de la mort de M. Cuvier sont restées douteuses. Elle a été attribuée au choléra, et il est très probable que le choléra a en effet agi, mais seulement d’une manière latente. Les symptômes manifestes de la maladie furent ceux d’une paralysie qui, du bras droit, gagna successivement le pharynx et les organes respiratoires.

[9] Extrait d’une lettre que m’a adressée, le 27 septembre 1858, sur la maladie et les derniers jours de M. Casimir Périer, M. Lanyer, qui l’avait accompagné à l’Hôtel-Dieu, et qui, depuis ce jour, resta constamment auprès de lui.

[10] Pièces historiques, n° XIV.