COURS D'HISTOIRE MODERNE

PREMIER COURS - 1828.

Histoire générale de la civilisation en Europe, depuis le chute de l’Empire romain jusqu’à la Révolution française.

Onzième leçon — 27 juin.

 

 

Messieurs,

Nous touchons à la porte de l’histoire moderne proprement dite, à la porte de cette société qui est la nôtre, dont les institutions, les opinions, les mœurs, étaient, il y a quarante ans, celles de la France, sont encore celles de l’Europe, et exercent encore sur nous, malgré la métamorphose que notre révolution nous a fait subir, une si puissante influence. C’est au seizième siècle, j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, que commence vraiment la société moderne.

Avant d’y entrer, rappelez-vous, je vous prie, l’espace que nous avons déjà parcouru, les chemins par lesquels nous avons passé. Nous avons démêlé, au milieu des ruines de l’empire romain, tous les éléments essentiels de notre Europe ; nous les avons vus se distinguer, grandir, chacun pour son compte et avec indépendance. Nous avons reconnu, pendant la première époque de l’histoire, la tendance constante de ces éléments à la séparation, à l’isolement, à une existence locale et spéciale. à peine ce but paraît atteint, à peine la féodalité, les communs, le clergé, ont pris chacun sa forme et sa place distincte, aussitôt nous les avons vus tendre à se rapprocher, à se réunir, à se former en société générale, en corps de nation et de gouvernement. Pour arriver à ce résultat, les divers pays de l’Europe se sont adressés à tous les différents systèmes qui coexistaient dans son sein ; ils ont demandé le principe d’unité sociale, le lien politique et moral à la théocratie, à l’aristocratie, à la démocratie, à la royauté. Jusqu’ici toutes ces tentatives ont échoué ; aucun système, aucune influence n’a su s’emparer de la société, et lui assurer, par son empire, une destinée vraiment publique. Nous avons trouvé la cause de ce mauvais succès dans l’absence d’intérêts généraux et d’idées générales ; nous avons reconnu que tout était encore trop spécial, trop individuel, trop local ; qu’il fallait un long et puissant travail de centralisation pour que la société pût s’étendre et se cimenter en même temps, devenir à la fois grande et régulière, but auquel elle aspire nécessairement. C’est dans cet état que nous avons laissé l’Europe à la fin du quatorzième siècle.

Il s’en faut beaucoup qu’elle s’en rendît compte, comme j’ai essayé de le faire devant vous. Elle ne savait point distinctement ce qui lui manquait, ce qu’elle cherchait. Cependant elle s’est mise à le chercher comme si elle l’avait bien connu. Le quatorzième siècle expiré, après le mauvais succès de toutes les grandes tentatives d’organisation politique, l’Europe entra naturellement et comme par instinct dans les voies de la centralisation. C’est le caractère du quinzième siècle d’avoir tendu constamment à ce résultat, d’avoir travaillé à créer des intérêts généraux, des idées générales, à faire disparaître l’esprit de spécialité, de localité, à réunir, à élever ensemble les existences et les esprits, à créer enfin ce qui n’avait pas existé en grand jusque là, des peuples et des gouvernements. L’explosion de ce fait appartient au seizième et au dix-septième siècles ; c’est dans le quinzième qu’il a été préparé. C’est cette préparation ; ce travail sourd et caché de centralisation, soit dans les relations sociales, soit dans les idées, travail accompli sans préméditation, sans dessein, par le cours naturel des évènements, que nous avons à étudier aujourd’hui.

Ainsi, messieurs, l’homme avance dans l’exécution d’un plan qu’il n’a point conçu, qu’il ne connaît même pas ; il est l’ouvrier intelligent et libre d’une oeuvre qui n’est pas la sienne ; il ne la reconnaît, ne la comprend que plus tard, lorsqu’elle se manifeste au dehors et dans les réalités ; et même alors il ne la comprend que très incomplètement. C’est par lui cependant, c’est par le développement de son intelligence et de sa liberté qu’elle s’accomplit. Concevez une grande machine dont la pensée réside dans un seul esprit, et dont les différentes pièces sont confiées à des ouvriers différents, épars, étrangers l’un à l’autre ; aucun d’eux ne connaît l’ensemble de l’ouvrage, le résultat définitif et général auquel il concourt ; chacun cependant exécute avec intelligence et liberté, par des actes rationnels et volontaires, ce dont il a été chargé.

Ainsi s’exécute, par la main des hommes, le plan de la providence sur le monde ; ainsi coexistent les deux faits qui éclatent dans l’histoire de la civilisation, d’une part, ce qu’elle a de fatal, ce qui échappe à la science et à la volonté humaine, d’autre part, le rôle qu’y jouent la liberté et l’intelligence de l’homme, ce qu’il y met du sien parce qu’il le pense et le veut ainsi.

Pour bien comprendre, messieurs, le quinzième siècle, pour nous rendre un compte exact et clair de cette avant-scène, pour ainsi dire, de la société moderne, nous distinguerons les différentes classes de faits. Nous examinerons d’abord les faits politiques, les changements qui ont tendu à former soit des nations, soit des gouvernements. Nous passerons de là aux faits moraux ; nous verrons les changements survenus dans les idées, dans les mœurs, et nous pressentirons quelles opinions générales se sont dès lors préparées.

Quant aux faits politiques, pour procéder simplement et vite, je vais parcourir tous les grands pays de l’Europe, et mettre sous vos yeux ce que le quinzième siècle en a fait, dans quel état il les a pris et laissés.

Je commencerai par la France. La dernière moitié du quatorzième siècle et la première moitié du quinzième y ont été, vous le savez tous, le temps des grandes guerres nationales, des guerres contre les anglais. C’est l’époque de la lutte engagée pour l’indépendance du territoire et du nom français contre une domination étrangère. Il suffit d’ouvrir l’histoire pour voir avec quelle ardeur, malgré une multitude de dissensions, de trahisons, toutes les classes de la société en France ont concouru à cette lutte, quel patriotisme s’est emparé alors de la noblesse féodale, de la bourgeoisie, des paysans même. Quand il n’y aurait, pour montrer le caractère populaire de l’événement, que l’histoire de Jeanne d’Arc, elle en serait une preuve plus que suffisante. Jeanne d’Arc est sortie du peuple ; c’est par les sentiments, par les croyances, par les passions du peuple, qu’elle a été inspirée, soutenue. Elle a été vue avec méfiance, avec ironie, avec inimitié même par les gens de cour, par les chefs de l’armée ; elle a eu constamment pour elle les soldats, le peuple. Ce sont les paysans de la Lorraine qui l’ont envoyée au secours des bourgeois d’Orléans.

Aucun événement ne fait éclater davantage le caractère populaire de cette guerre et le sentiment qu’y portait le pays tout entier.

Ainsi a commencé à se former la nationalité française. Jusqu’au règne des Valois, c’est le caractère féodal qui domine en France ; la nation française, l’esprit français, le patriotisme français, n’existent pas encore. Avec les Valois commence la France proprement dite ; c’est dans le cours de leurs guerres, à travers les chances de leur destinée, que, pour la première fois, la noblesse, les bourgeois, les paysans, ont été réunis par un lien moral, par le lien d’un nom commun, d’un honneur commun, d’un même désir de vaincre l’étranger. Ne cherchez encore là aucun véritable esprit politique, aucune grande intention d’unité dans le gouvernement et les institutions, comme nous les concevons aujourd’hui. L’unité, pour la France de cette époque, résidait dans son nom, dans son honneur national, dans l’existence d’une royauté nationale, quelle qu’elle fût, pourvu que l’étranger n’y parût point. C’est en ce sens que la lutte contre les anglais a puissamment concouru à former la nation française, à la pousser vers l’unité.

En même temps que la France se formait ainsi moralement, que l’esprit national se développait, en même temps elle se formait pour ainsi dire matériellement, c’est-à-dire que le territoire se réglait, s’étendait, s’affermissait. C’est le temps de l’incorporation de la plupart des provinces qui sont devenues la France. Sous Charles VII, après l’expulsion des anglais, presque toutes les provinces qu’ils avaient occupées, la Normandie, l’Angoumois, la Touraine, le Poitou, la Saintonge, etc., devinrent définitivement françaises. Sous Louis XI, dix provinces, dont trois ont été perdues et regagnées dans la suite, furent encore réunies à la France : le Roussillon et la Cerdagne, la Bourgogne, la Franche-Comté, la Picardie, l’Artois, la Provence, le Maine, l’Anjou et le Perche. Sous Charles VIII et Louis XII, les mariages successifs d’Anne avec ces deux rois nous donnèrent la Bretagne. Ainsi, à la même époque et pendant le cours des mêmes évènements, le territoire et l’esprit national se forment ensemble ; la France morale et la France matérielle acquièrent ensemble de la force et de l’unité.

Passons de la nation au gouvernement ; nous verrons s’accomplir des faits de même nature ; nous avancerons vers le même résultat. Jamais le gouvernement français n’avait été plus dépourvu d’unité, de lien, de force, que sous le règne de Charles VI, et pendant la première partie du règne de Charles VII. à la fin de ce règne toutes choses changent de face. C’est évidemment un pouvoir qui s’affermit, s’étend, s’organise ; tous les grands moyens de gouvernement, l’impôt, la force militaire et la justice, se créent sur une grande échelle et avec quelque ensemble. C’est le temps de la formation des milices permanentes, des compagnies d’ordonnance, comme cavalerie, des francs archers, comme infanterie. Par ces compagnies, Charles VII rétablit quelque ordre dans les provinces désolées par les désordres et les exactions des gens de guerre, même depuis que la guerre avait cessé. Tous les historiens contemporains se récrient sur le merveilleux effet des compagnies d’ordonnance. C’est à la même époque que la taille, l’un des principaux revenus du roi, devient perpétuelle ; grave atteinte portée à la liberté des peuples, mais qui a puissamment contribué à la régularité et à la force du gouvernement. En même temps le grand instrument du pouvoir, l’administration de la justice, s’étend et s’organise ; les parlements se multiplient ; cinq nouveaux parlements sont institués dans un très court espace de temps ; sous Louis XI, les parlements de Grenoble (en 1451), de Bordeaux (en 1462), et de Dijon (en 1477) ; sous Louis XII, les parlements de Rouen (en 1499) et d’Aix (en 1501). Le parlement de Paris prit alors aussi beaucoup plus d’importance et de fixité, soit pour l’administration de la justice, soit comme chargé de la police de son ressort.

Ainsi, sous les rapports de la force militaire, des impôts et de la justice, c’est-à-dire dans ce qui fait son essence, le gouvernement acquiert en France, au quinzième siècle, un caractère jusque là inconnu d’unité, de régularité, de permanence ; le pouvoir public prend définitivement la place des pouvoirs féodaux.

En même temps s’accomplit un bien autre changement, un changement moins visible, et qui a moins frappé les historiens, mais encore plus important peut-être, c’est celui que Louis XI a opéré dans la manière de gouverner.

On a beaucoup parlé de la lutte de Louis XI contre les grands du royaume, de leur abaissement, de sa faveur pour la bourgeoisie et les petites gens. Il y a du vrai en cela, quoiqu’on ait beaucoup exagéré, et que la conduite de Louis XI avec les diverses classes de la société ait plus souvent troublé que servi l’état. Mais il a fait quelque chose de plus grave. Jusqu’à lui le gouvernement n’avait guère procédé que par la force, par les moyens matériels. La persuasion, l’adresse, le soin de manier les esprits, de les amener à ses vues, en un mot, la politique proprement dite, politique de mensonge et de fourberie sans doute, mais aussi de ménagement et de prudence, avaient tenu jusque là peu de place. Louis XI a substitué dans le gouvernement les moyens intellectuels aux moyens matériels, la ruse à la force, la politique italienne à la politique féodale. Prenez les deux hommes dont la rivalité remplit cette époque de notre histoire, Charles Le Téméraire et Louis XI : Charles est le représentant de l’ancienne façon de gouverner ; il ne procède que par la violence, il en appelle constamment à la guerre ; il est hors d’état de prendre patience, de s’adresser à l’esprit des hommes pour en faire l’instrument de son succès. C’est au contraire le plaisir de Louis XI d’éviter l’emploi de la force, de s’emparer des hommes individuellement, par la conversation, par le maniement habile des intérêts et des esprits. Il a changé non pas les institutions, non pas le système extérieur, mais les procédés secrets, la tactique du pouvoir. Il était réservé aux temps modernes de tenter une révolution plus grande encore, de travailler à introduire, dans les moyens comme dans le but politiques, la justice à la place de l’égoïsme, la publicité au lieu du mensonge. Il n’en est pas moins vrai que c’était déjà un grand progrès que de renoncer au continuel emploi de la force, d’invoquer surtout la supériorité intellectuelle, de gouverner par les esprits, et non par le bouleversement des existences. C’est là, au milieu de ses crimes et de ses fautes, en dépit de sa nature perverse, et par le seul mérite de sa vive intelligence, ce que Louis XI a commencé.

De la France je passe en Espagne ; là je trouve des évènements de même nature ; c’est aussi au quinzième siècle que se forme l’unité nationale de l’Espagne ; alors finit, par la conquête du royaume de Grenade, la lutte si longue des chrétiens contre les arabes. Alors aussi le territoire se centralise ; par le mariage de Ferdinand le catholique et d’Isabelle, les deux principaux royaumes, la Castille et l’Aragon, s’unissent sous le même pouvoir. Comme en France la royauté s’étend et s’affermit ; des institutions plus dures, et qui portent des noms plus lugubres, lui servent d’appui : au lieu des parlements, c’est l’inquisition qui prend naissance. Elle contenait en germe ce qu’elle est devenue ; mais elle ne l’était pas en commençant : elle fut d’abord plus politique que religieuse, et destinée à maintenir l’ordre plutôt qu’à défendre la foi. L’analogie va plus loin que les institutions ; on la retrouve jusque dans les personnes. Avec moins de finesse, de mouvement d’esprit, d’activité inquiète et tracassière, le caractère et le gouvernement de Ferdinand le catholique ressemblent à celui de Louis XI. Je ne fais nul cas des rapprochements arbitraires, des parallèles de fantaisie ; mais ici l’analogie est profonde et empreinte dans les faits généraux comme dans les détails.

Elle se retrouve en Allemagne. C’est au milieu du quinzième siècle, en 1438, que la maison d’Autriche revient à l’empire, et qu’avec elle le pouvoir impérial acquiert une permanence qu’il n’avait jamais eue auparavant : l’élection ne fera guère désormais que consacrer l’hérédité. à la fin du quinzième siècle, Maximilien Ier fonde définitivement la prépondérance de sa maison, et l’exercice régulier de l’autorité centrale ; Charles VII avait, le premier en France, créé pour le maintien de l’ordre une milice permanente ; le premier aussi, Maximilien, dans ses états héréditaires, atteint le même but par le même moyen. Louis XI avait établi en France la poste aux lettres, Maximilien Ier l’introduit en Allemagne. Partout les mêmes progrès de la civilisation sont pareillement exploités au profit du pouvoir central.

L’histoire de l’Angleterre au quinzième siècle consiste dans deux grands évènements, la lutte contre la France au dehors, celle des deux roses au dedans, la guerre étrangère et la guerre civile. Ces deux guerres si différentes ont eu le même résultat. La lutte contre la France a été soutenue par le peuple anglais avec une passion dont la royauté presque seule a profité. Ce peuple, déjà plus habile et plus ferme qu’aucun autre à défendre ses forces et son argent, les a livrés à ses rois à cette époque sans prévoyance et sans mesure. C’est sous le règne de Henri V qu’un impôt considérable, les droits de douane, a été accordé au roi pour toute sa vie, dès le commencement de son règne. La guerre étrangère finie, ou à peu près, la guerre civile, qui s’y était d’abord associée, continue seule ; les maisons d’York et de Lancaster se disputent le trône. Quand arrive enfin le terme de leurs sanglants débats, la haute aristocratie anglaise se trouve ruinée, décimée, hors d’état de conserver le pouvoir qu’elle avait exercé jusque là. La coalition des grands barons ne peut plus gouverner le trône. Les Tudor y montent, et avec Henri VII, en 1485, commence l’ère de la centralisation politique, le triomphe de la royauté.

La royauté ne s’établit pas en Italie, sous son nom du moins ; mais il n’importe guère quant au résultat. C’est au quinzième siècle que tombent les républiques ; là même où le nom demeure, le pouvoir se concentre aux mains d’une ou de quelques familles ; la vie républicaine s’éteint. Dans le nord de l’Italie, presque toutes les républiques lombardes disparaissent dans le duché de Milan. En 1434, Florence tombe sous la domination des Médicis. En 1464, Gênes devient sujette du Milanais. La plupart des républiques, grandes et petites, font place aux maisons souveraines. Bientôt commencent sur le nord et le midi de l’Italie, sur le Milanais d’une part, et le royaume de Naples de l’autre, les prétentions des souverains étrangers.

Sur quelque pays de l’Europe que se portent nos regards, quelque portion de son histoire que nous considérions, qu’il s’agisse des nations elles-mêmes ou des gouvernements, des institutions ou des territoires, nous voyons partout les anciens éléments, les anciennes formes de la société près de disparaître. Les libertés traditionnelles périssent ; des pouvoirs nouveaux s’élèvent, plus réguliers, plus concentrés. Il y a quelque chose de profondément triste dans ce spectacle de la chute des vieilles libertés européennes ; il a inspiré de son temps les sentiments les plus amers. En France, en Allemagne, en Italie surtout, les patriotes du quinzième siècle ont combattu avec ardeur et déploré avec désespoir cette révolution qui de toutes parts faisait surgir ce qu’ils avaient droit d’appeler le despotisme. Il faut admirer leur courage et compatir à leur douleur ; mais en même temps il faut comprendre que cette révolution était non seulement inévitable, mais utile. Le système primitif de l’Europe, les vieilles libertés féodales et communales avaient échoué dans l’organisation de la société. Ce qui fait la vie sociale, c’est la sécurité et le progrès. Tout système qui ne procure pas l’ordre dans le présent, et le mouvement vers l’avenir, est vicieux et bientôt abandonné. Tel fut au quinzième siècle le sort des anciennes formes politiques, des anciennes libertés européennes. Elles n’avaient pu donner à la société ni la sécurité, ni le progrès. On les chercha ailleurs ; on les demanda à d’autres principes, à d’autres moyens. C’est là le sens de tous les faits que je viens de mettre sous vos yeux.

De la même époque date un autre fait qui a tenu beaucoup de place dans l’histoire politique de l’Europe. C’est au quinzième siècle que les relations des gouvernements entre eux ont commencé à devenir fréquentes, régulières, permanentes. Alors se sont formées pour la première fois ces grandes combinaisons d’alliance, soit pour la paix, soit pour la guerre, qui ont produit plus tard le système de l’équilibre. La diplomatie date en Europe du quinzième siècle.

En fait, vous voyez vers la fin de ce siècle les principales puissances du continent européen, les papes, les ducs de Milan, les vénitiens, les empereurs d’Allemagne, les rois d’Espagne et les rois de France se rapprocher, négocier, s’entendre, s’unir, se balancer. Ainsi, au moment où Charles VIII fait son expédition pour aller conquérir le royaume de Naples, une grande ligue se noue contre lui entre l’Espagne, le pape et les vénitiens. La ligue de Cambrai se forme quelques années plus tard (en 1508) contre les vénitiens. La sainte ligue, dirigée contre Louis XII, succède en 1511 à la ligue de Cambrai. Toutes ces combinaisons sont nées de la politique italienne, de l’envie qu’avaient les différents souverains de posséder son territoire, et de la crainte que l’un d’eux, en s’en emparant exclusivement, n’acquît une prépondérance excessive. Ce nouvel ordre de faits a été très favorable au développement de la royauté. D’une part il est de la nature des relations extérieures des états de ne pouvoir être conduites que par une seule personne ou un petit nombre de personnes, et d’exiger un certain secret ; de l’autre les peuples étaient si imprévoyants, que les conséquences d’une combinaison de ce genre leur échappaient ; ce n’était pas pour eux un intérêt direct, intérieur ; ils s’en inquiétaient peu, et laissaient de tels évènements à la discrétion du pouvoir central. Ainsi la diplomatie en naissant tomba dans la main des rois ; et l’idée qu’elle leur appartenait exclusivement, que le pays, même libre, même ayant le droit de voter ses impôts et d’intervenir dans ses affaires, n’était point appelé à se mêler de celles du dehors ; cette idée, dis-je, s’établit presque dans tous les esprits en Europe, comme un principe convenu, une maxime de droit commun. Ouvrez l’histoire d’Angleterre aux seizième et dix-septième siècles ; vous verrez quelle puissance a cette idée, et quels obstacles elle a opposés aux libertés anglaises sous les règnes d’Élisabeth, de Jacques Ier, de Charles Ier. C’est toujours au nom du principe que la paix et la guerre, les relations commerciales, toutes les affaires extérieures, appartiennent à la prérogative royale, que le pouvoir absolu se défend contre les droits du pays. Les peuples sont d’une timidité extrême à contester cette portion de la prérogative ; et cette timidité leur a coûté d’autant plus cher, qu’à partir de l’époque où nous allons entrer, c’est-à-dire du seizième siècle, l’histoire de l’Europe est essentiellement diplomatique. Les relations extérieures sont, pendant près de trois siècles, le fait important de l’histoire. Au dedans les pays se régularisent, le gouvernement intérieur, sur le continent du moins, n’amène plus de violentes secousses, n’absorbe plus l’activité publique. Ce sont les relations extérieures, les guerres, les négociations, les alliances qui attirent l’attention et remplissent l’histoire ; en sorte que la plus large part de la destinée des peuples se trouve abandonnée à la prérogative royale, au pouvoir central.

Il était difficile qu’il en fût autrement. Il faut un très grand progrès de civilisation, un grand développement de l’intelligence et des habitudes politiques, pour que le public puisse intervenir avec quelque succès dans les affaires de ce genre. Du seizième au dix-huitième siècle, les peuples étaient fort loin d’en être capables. Voyez ce qui se passait sous Jacques Ier, en Angleterre, au commencement du dix-septième siècle. Son gendre l’électeur palatin, élu roi de Bohême, avait perdu sa couronne ; il avait même été dépouillé de ses états héréditaires, du palatinat. Le protestantisme tout entier était intéressé dans sa cause, et à ce titre l’Angleterre lui portait un vif intérêt. Il y eut un soulèvement de l’opinion publique pour forcer le roi Jacques à prendre le parti de son gendre, à lui faire rendre le palatinat. Le parlement demanda la guerre avec fureur, promettant tous les moyens de la soutenir. Jacques ne s’en souciait pas ; il éluda, fit quelques tentatives de négociation, envoya quelques troupes en Allemagne, puis vint dire au parlement qu’il lui fallait 900.000 livres sterling pour soutenir la lutte avec quelque chance de succès. On ne dit point, et il ne paraît pas en effet que son calcul fût exagéré. Mais le parlement recula de surprise et d’effroi à la vue d’une telle charge, et il vota à grand’peine 70.000 livres sterling pour rétablir un prince et reconquérir un pays à trois cents lieues de l’Angleterre. Telles étaient l’ignorance et l’incapacité politique du public en pareille matière ; il agissait sans connaissance des faits et sans s’inquiéter d’aucune responsabilité. Il n’était donc point en état d’intervenir d’une manière régulière et efficace. C’est là la principale cause qui fit tomber alors les relations extérieures entre les mains du pouvoir central ; il était seul en état de les diriger, je ne dis point dans l’intérêt public, il s’en faut bien qu’il y ait toujours été consulté, mais avec quelque suite et quelque bon sens.

Vous le voyez, messieurs, sous quelque point de vue que se présente à nous l’histoire politique de l’Europe à cette époque, soit que nos regards se portent sur l’état intérieur des pays, ou sur les relations des pays entre eux, soit que nous considérions l’administration de la guerre, de la justice, des impôts, partout nous trouvons le même caractère ; partout nous voyons la même tendance à la centralisation, à l’unité, à la formation et à la prépondérance des intérêts généraux, des pouvoirs publics. C’est là le travail caché du quinzième siècle, travail qui n’amène encore aucun résultat très apparent, aucune révolution proprement dite dans la société, mais qui les prépare toutes. Je vais mettre sous vos yeux des faits d’une autre nature, les faits moraux, les faits qui se rapportent au développement de l’esprit humain, des idées générales. Là aussi nous reconnaîtrons le même phénomène, nous arriverons au même résultat.

Je commencerai par un ordre de faits qui nous a souvent occupés, et qui, sous les formes les plus diverses, a toujours tenu une grande place dans l’histoire de l’Europe, par les faits relatifs à l’église. Jusqu’au quinzième siècle, nous n’avons vu en Europe d’idées générales, puissantes, agissant vraiment sur les masses, que les idées religieuses. Nous avons vu l’église seule investie du pouvoir de les régler, de les promulguer, de les prescrire. Souvent, il est vrai, des tentatives d’indépendance, de séparation même ont été formées, et l’église a eu beaucoup à faire pour les vaincre. Cependant jusqu’ici elle les a vaincues ; les croyances repoussées par l’église n’ont pas pris possession générale et permanente de l’esprit des peuples ; les albigeois eux-mêmes ont été écrasés. Le dissentiment et la lutte ont été continuels dans le sein de l’église, mais sans résultat décisif et éclatant. À l’ouverture du quinzième siècle, un fait bien différent s’annonce ; des idées nouvelles, un besoin public, avoué, de changement et de réforme agitent l’église elle-même. La fin du quatorzième et le commencement du quinzième siècle ont été marqués par le grand schisme d’occident, résultat de la translation du Saint-Siège à Avignon, et de la création de deux papes, l’un à Avignon, l’autre à Rome. La lutte de ces deux papautés est ce qu’on appelle le grand schisme d’occident. Il commença en 1378. En 1409, le concile de Pise veut y mettre fin, dépose les deux papes, et en nomme un troisième, Alexandre V. Loin de s’apaiser, le schisme s’échauffe : il y a trois papes, au lieu de deux. Le désordre et les abus vont croissant. En 1414, le concile de Constance se rassemble, sur la provocation de l’empereur Sigismond. Il se propose tout autre chose que de nommer un nouveau pape, il entreprend la réforme de l’église. Il proclame d’abord l’indissolubilité du concile universel, sa supériorité sur le pouvoir papal ; il entreprend de faire prévaloir ces principes dans l’église, et de réformer les abus qui s’y sont introduits, surtout les exactions par lesquelles la cour de Rome se procurait de l’argent. Pour atteindre ce but, le concile nomme ce que nous appellerions une commission d’enquête, c’est-à-dire un collège réformateur, composé de députés au concile pris dans les différentes nations ; ce collège est chargé de rechercher quels sont les abus qui souillent l’église, comment on y doit porter remède, et de faire un rapport au concile qui avisera aux moyens d’exécution. Mais pendant que le concile est occupé de ce travail, on lui pose la question de savoir s’il peut procéder à la réforme des abus sans la participation visible du chef de l’église, sans la sanction du pape. La négative passe par l’influence du parti romain soutenu des honnêtes gens timides ; le concile élit un nouveau pape, Martin V, en 1417. Le pape est chargé de présenter de son côté un plan de réforme dans l’église. Ce plan n’est pas agréé, le concile se sépare. En 1431, nouveau concile qui se rassemble à Bâle dans le même dessein. Il reprend et continue le travail réformateur du concile de Constance ; il n’y réussit pas mieux. Le schisme éclate dans l’intérieur de l’assemblée comme dans la chrétienté. Le pape transporte le concile de Bâle à Ferrare, et ensuite à Florence. Une portion des prélats refuse d’obéir au pape, et reste à Bâle ; et de même qu’il y avait naguère deux papes, il y a deux conciles. Celui de Bâle continue ses projets de réforme, nomme son pape, Félix V ; au bout d’un certain temps se transporte à Lausanne, et se dissout en 1449 sans avoir rien fait.

Ainsi la papauté l’emporte ; c’est elle qui reste en possession du champ de bataille et du gouvernement de l’église : le concile n’a pu accomplir ce qu’il avait entrepris ; mais il a fait des choses qu’il n’avait pas entreprises et qui lui survivent. Au moment où le concile de Bâle échoue dans ses essais de réforme, des souverains s’emparent des idées qu’il a proclamées, des institutions qu’il a indiquées. En France, et avec les décrets du concile de Bâle, Charles VII fait la pragmatique sanction qu’il proclame à Bourges en 1438, elle consacre l’élection des évêques, la suppression des annates et la réforme des principaux abus introduits dans l’église. La pragmatique sanction est déclarée en France loi de l’état. En Allemagne, la diète de Mayence l’adopte en 1439, et en fait également une loi de l’empire germanique. Ce que le pouvoir spirituel a tenté sans succès, le pouvoir temporel semble décidé à l’accomplir.

Nouveau revers des projets réformateurs. Comme le concile avait échoué, de même la pragmatique échoue ; elle périt très promptement en Allemagne ; la diète l’abandonne en 1448, en vertu d’une négociation avec Nicolas V. En 1516, François Ier l’abandonne également et y substitue son concordat avec Léon X. La réforme des princes ne réussit pas mieux que celle du clergé. Mais ne croyez pas qu’elle périsse tout à fait. De même que le concile avait fait des choses qui lui ont survécu, de même la pragmatique sanction a des effets qui lui survivent et joueront un grand rôle dans l’histoire moderne. Les principes du concile de Bâle étaient puissants et féconds. Des hommes supérieurs et d’un caractère énergique les avaient adoptés et soutenus. Jean de Paris, d’Ailly, Gerson et un grand nombre d’hommes distingués du quinzième siècle se vouent à leur défense. En vain le concile se dissout ; en vain la pragmatique sanction est abandonnée ; ses doctrines générales sur le gouvernement de l’église, sur les réformes nécessaires à opérer, ont pris racine en France ; elles s’y sont perpétuées ; elles ont passé dans les parlements ; elles sont devenues une opinion puissante ; elles ont enfanté d’abord les jansénistes, ensuite les gallicans. Toute cette série de maximes et d’efforts tendant à réformer l’église, qui commence au concile de Constance et aboutit aux quatre propositions de Bossuet, émane de la même source et va au même but ; c’est le même fait qui s’est successivement transformé. En vain la tentative de réforme légale du quinzième siècle a échoué, elle n’en a pas moins pris place dans le cours de la civilisation ; elle n’en a pas moins exercé indirectement une immense influence.

Les conciles avaient raison de poursuivre une réforme légale, car elle pouvait seule prévenir une révolution. à peu près au même moment où le concile de Pise entreprenait de faire cesser le grand schisme d’occident, et le concile de Constance de réformer l’église, éclatèrent avec violence, en Bohême, les premiers essais de réforme religieuse populaire. Les prédications et les progrès de Jean Huss datent de 1404, époque où il a commencé à enseigner à Prague. Voilà donc deux réformes qui marchent côte à côte ; l’une dans le sein même de l’église, tentée par l’aristocratie ecclésiastique elle-même, réforme sage, embarrassée, timide ; l’autre, hors de l’église, contre elle, réforme violente, passionnée. La lutte s’engage entre ces deux puissances, ces deux desseins. Le concile fait venir Jean Huss et Jérôme De Prague à Constance, et les condamne au feu comme hérétiques et révolutionnaires. Ces évènements, messieurs, nous sont parfaitement intelligibles aujourd’hui ; nous comprenons très bien cette simultanéité de réformes séparées, entreprises l’une par les gouvernements, l’autre par les peuples, ennemies l’une de l’autre, et pourtant émanées de la même cause et tendant au même but, et en définitive, quoiqu’elles se fassent la guerre, concourant au même résultat. C’est ce qui est arrivé au quinzième siècle. La réforme populaire de Jean Huss a été momentanément étouffée ; la guerre des hussites a éclaté trois ou quatre ans après la mort de leur maître ; elle a duré longtemps, elle a été violente ; enfin l’empire a triomphé. Mais comme la réforme des conciles avait échoué, comme le but qu’ils poursuivaient n’avait pas été atteint, la réforme populaire n’a pas cessé de fermenter ; elle a attendu la première occasion, et l’a trouvée au commencement du seizième siècle. Si la réforme entreprise par les conciles avait été conduite à bien, peut-être la réforme populaire aurait-elle été prévenue. Mais l’une ou l’autre devait réussir, car leur coïncidence révèle une nécessité.

Voilà donc l’état dans lequel, quant aux croyances religieuses, le quinzième siècle a laissé l’Europe : une réforme aristocratique tentée sans succès, une réforme populaire commencée, étouffée, et toujours prête à reparaître. Mais ce n’était pas dans la sphère des croyances religieuses que se renfermait à cette époque la fermentation de l’esprit humain. C’est dans le cours du quatorzième siècle, vous le savez tous, que l’antiquité grecque et romaine a été, pour ainsi dire, restaurée en Europe. Vous savez avec quelle ardeur le Dante, Pétrarque, Boccace et tous les contemporains, recherchaient les manuscrits grecs, latins, les publiaient, les répandaient, et quelle rumeur, quels transports excitait la moindre découverte en ce genre. C’est au milieu de ce mouvement qu’a commencé en Europe une école qui a joué, dans le développement de l’esprit humain, un bien plus grand rôle qu’on ne lui attribue ordinairement, l’école classique. Gardez-vous, messieurs, d’attacher à ce mot le sens qu’on lui donne aujourd’hui ; il s’agissait alors de tout autre chose que d’un système et d’un débat littéraire. L’école classique de cette époque s’enflamma d’admiration non seulement pour les écrits des anciens, pour Virgile et pour Homère, mais pour la société ancienne tout entière, pour ses institutions, ses opinions, sa philosophie, comme pour sa littérature.

L’antiquité était, il en faut convenir, sous les rapports politique, philosophique, littéraire, très supérieure à l’Europe des quatorzième et quinzième siècles. Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait exercé un si grand empire ; que la plupart des esprits élevés, actifs, élégants, difficiles, aient pris en dégoût les mœurs grossières, les idées confuses, les formes barbares de leur temps, et se soient voués avec passion à l’étude et presque au culte d’une société à la fois bien plus régulière et plus développée. Ainsi se formait cette école de libres penseurs qui apparaît dès le commencement du quinzième siècle, et dans laquelle se réunissent des prélats, des jurisconsultes, des érudits.

Au milieu de ce mouvement arrivent la prise de Constantinople par les turcs, la chute de l’empire d’orient, l’invasion des grecs fugitifs en Italie. Ils y apportent une nouvelle connaissance de l’antiquité, de nombreux manuscrits, mille nouveaux moyens d’étudier l’ancienne civilisation. Vous comprenez sans peine quel redoublement d’admiration et d’ardeur anima l’école classique. C’était alors pour la haute église, surtout en Italie, le temps du plus brillant développement, non pas en fait de puissance politique proprement dite, mais en fait de luxe, de richesse ; elle se livrait avec orgueil à tous les plaisirs d’une civilisation molle, oisive, élégante, licencieuse, au goût des lettres, des arts, des jouissances sociales et matérielles. Regardez le genre de vie des hommes qui ont joué un grand rôle politique et littéraire à cette époque, du cardinal Bembo, par exemple, vous serez surpris de ce mélange de sybaritisme et de développement intellectuel, de mœurs énervées et de hardiesse d’esprit. On croit, en vérité, quand on parcourt cette époque, quand on assiste au spectacle de ses idées, à l’état des relations sociales, on croit vivre au milieu du dix-huitième siècle français. C’est le même goût pour le mouvement de l’intelligence, pour les idées nouvelles, pour une vie douce, agréable ; c’est la même mollesse, la même licence ; c’est le même défaut, soit d’énergie politique, soit de croyances morales, avec une sincérité, une activité d’esprit singulières. Les lettrés du quinzième siècle sont, vis-à-vis des prélats de la haute église, dans la même relation que les gens de lettres et les philosophes du dix-huitième avec les grands seigneurs ; ils ont tous les mêmes opinions, les mêmes mœurs, vivent doucement ensemble, et ne s’inquiètent pas des bouleversements qui se préparent autour d’eux. Les prélats du quinzième siècle, à commencer par le cardinal Bembo, ne prévoyaient certainement pas plus Luther et Calvin que les gens de cour ne prévoyaient la révolution française. La situation était pourtant analogue.

Trois grands faits se présentent donc à cette époque dans l’ordre moral : d’une part, une réforme ecclésiastique tentée par l’église elle-même ; de l’autre, une réforme religieuse populaire ; enfin une révolution intellectuelle, qui forme une école de libres penseurs. Et toutes ces métamorphoses se préparent au milieu du plus grand changement politique qui soit encore arrivé en Europe, au milieu du travail de centralisation des peuples et des gouvernements.

Ce n’est pas tout ; ce temps est aussi celui de la plus grande activité extérieure des hommes ; c’est un temps de voyages, d’entreprises, de découvertes, d’inventions de tous genres. C’est le temps des grandes expéditions des portugais le long des côtes d’Afrique, de la découverte du passage du cap de Bonne-Espérance par Vasco De Gama, de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, de la merveilleuse extension du commerce européen. Mille inventions nouvelles éclatent ; d’autres, déjà connues, mais dans une sphère étroite, deviennent populaires et d’un fréquent usage. La poudre à canon change le système de la guerre ; la boussole change le système de la navigation. La peinture à l’huile se développe, et couvre l’Europe des chefs-d’œuvre de l’art. La gravure sur cuivre, inventée en 1460, les multiplie et les répand. Le papier de linge devient commun. Enfin, de 1436 à 1452, l’imprimerie est inventée ; l’imprimerie, texte de tant de déclamations, de tant de lieux communs, et dont aucun lieu commun, aucune déclamation, n’épuiseront jamais le mérite et les effets.

Vous voyez, messieurs, quelles sont la grandeur et l’activité de ce siècle ; grandeur encore peu apparente, activité dont les résultats ne tombent pas encore sous la main des hommes. Les réformes orageuses semblent échouer. Les gouvernements s’affermissent. Les peuples s’apaisent. On dirait que la société ne se prépare qu’à jouir d’un meilleur ordre au sein d’un plus rapide progrès. Mais les puissantes révolutions du seizième siècle sont à la porte. C’est le quinzième qui les a préparées. Elles seront l’objet de notre prochaine leçon.