HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-NEUVIÈME VOLUME

CHAPITRE IV — CITÉS HELLÉNIQUES A L’ÉTRANGER. - I. EN GAULE ET EN ESPAGNE. - II. SUR LA CÔTE DU PONT-EUXIN.

 

 

Pour achever le tableau du monde hellénique pendant qu’il est encore dans sa période de vie complète, qu’il est, libre et qu’il agit par lui-même, ou même pendant que, réduit à une condition dépendante, il n’a qu’une demi existence et est sur son déclin, — nous devons dire quelques mots relativement à quelques-uns de ses membres placés en dehors de l’histoire générale, et qui cependant ne sont pas sans avoir une très grande importance. Les Grecs de Massalia formaient son aile occidentale ; les Grecs du Pont (ceux qui habitaient sur les bords de l’Euxin), son aile orientale ; les uns et les autres étant les rayonnements de l’hellénisme les plus extrêmes, où il luttait toujours contre les éléments étrangers, qui souvent en altéraient la pureté. Ce que nous avons le moyen de dire est à la vérité bien peu de chose ; mais ce peu cependant lie doit pas être omis.

Dans le quatrième chapitre du cinquième volume de cette. Histoire, je mentionnais brièvement la fondation et les premiers actes de Massalia (la moderne Marseille), sur la côte de Gaule ou Liguria dans la Méditerranée. Cette cité ionienne, fondée par les entreprenants Phokæens de l’Asie-Mineure, un peu avant que leur propre côte maritime fût subjuguée par les Perses, eut une existence et une carrière particulières, séparées de ces événements politiques> qui déterminèrent la condition de ses sœurs helléniques en Asie, dans le Péloponnèse, en Italie ou en Sicile, Les Massaliotes conservèrent leurs propres relations de commerce, d’amitié ou d’hostilité avec leurs voisins barbares, les Liguriens, les Gaulois et les Ibériens, sans être enveloppés dans les confédérations politiques plus vastes du monde hellénique. Ils apportaient de leur métropole des habitudes établies de navigation aventureuse sur les côtes et d’activité commerciale. Leur situation, éloignée des autres Grecs et soutenue par des forces à peine suffisantes même pour la défendre, leur imposait la nécessité non seulement d’une harmonie politique à l’intérieur, mais encore de la prudence et d’une action persuasive dans leur manière d’être avec leurs voisins. Qu’ils se soient trouvés à la hauteur de cette nécessité, c’est ce qui parait suffisamment attesté par le peu de renseignements généraux qui nous sont transmis à leur égard, bien que leur histoire dans ses détails soit inconnue.

Leur cité était dans une position forte, située sur un promontoire que la mer baignait de trois côtés, bien fortifiée, et possédant un port commode sûrement fermé contre des ennemis[1]. Toutefois le territoire qui l’entourait ne paraît pas avoir été considérable, et leur population ne s’étendit pas non plus beaucoup dans l’intérieur. La terre d’alentour était moins propre au blé qu’à la vigne et à l’olivier ; les Massaliotes fournissaient du vin à toute la Gaule[2]. C’était à bord des vaisseaux que se déployaient principalement leur courage et leur habileté ; ce fut par des entreprises maritimes qu’ils acquirent leur puissance, leurs richesses et leur développement colonial. A une époque où la piraterie était chose commune, les vaisseaux et les marins massaliotes se distinguaient dans l’attaque et la défense aussi bien que dans le transport et l’échange commercial ; et leurs nombreux succès maritimes étaient attestés par la foule de trophées qui ornaient les temples[3]. La cité contenait des bassins et des arsenaux admirablement fournis de provisions, de vivres, d’armes et de toutes les diverses munitions nécessaires pour la guerre navale[4]. Les Phéniciens et les Carthaginois exceptés, ces Massaliotes furent les seuls marins entreprenants dans la Méditerranée occidentale, à partir de l’an 500 avant J.-C., après que l’énergie de Grecs ioniens eut été brisée par des potentats de l’intérieur. Les tribus ibériennes et gauloises étaient essentiellement des hommes de terre, qui n’occupaient pas de stations permanentes sur la côte, et qui n’avaient aucune vocation pour la mer ; mais les Liguriens, bien que surtout montagnards, étaient des voisins importuns pour Massalia aussi bien par leurs pirateries sur mer que par leurs déprédations sur terre[5]. Toutefois, quelque déprédateurs que fussent tous ces hommes de terre, la visite du marchand ne tarda pas à se faire sentir à eux comme un besoin, tant pour l’importation que pour l’exportation ; et c’est ce besoin que les Massaliotes, avec leurs colonies, furent les seuls à satisfaire, le long des golfes de Gènes et de Lion, depuis Luna (la frontière de Toscane) jusqu’à Dianium (cape Della Nao) en Espagne[6]. Ce ne fut pas avant le premier siècle qui précéda l’ère chrétienne qu’ils furent dépassés dans cette carrière par Narbonne, et par quelques autres voisins, élevés au rang de colonies romaines.

Le long de la côte des deux côtés de leur propre cité, les Massaliotes établirent des colonies, recommandées chacune à la protection, et consacrées par la statue et les rites particuliers, de la déesse leur patronne, Artemis[7]. Du côté de l’est étaient Tauroentium, Olbia, Antipolis, Nikæa et le Portus Monœki ; du côté de l’ouest, sur la côte d’Espagne, étaient Rhoda, Emporiæ, Alônê, Hemeroskopium et Artemisium ou Dianium. Ces colonies étaient établies surtout sur des caps avancés ou sur des îlots maritimes, à la fois voisins et sûrs ; elles étaient destinées à servir d’abri et de commodité pour le trafic maritime, et de dépôts pour le commerce avec l’intérieur, plutôt qu’à s’étendre dans les terres, et à comprendre une nombreuse population extérieure autour des murs. La position d’Emporiæ était la plus remarquable. Cette ville fut fondée primitivement sur un petit îlot inhabité, à la hauteur de la côte de l’Iberia ; après un certain intervalle elle s’étendit jusqu’au continent adjacent, et un corps d’Ibériens indigènes fut admis à une résidence commune dans l’enceinte nouvellement entourée -de murs qu’on y établit. Toutefois cette nouvelle enceinte fut divisée en deux par un mur intermédiaire, les Ibériens habitant d’un côté de ce mur, les Grecs de l’autre côté. Il n’y avait qu’une seule porte dont il fût permis de se servir pour les communications réciproques ; elle était gardée nuit et jour par des magistrats nommés, dont l’un était perpétuellement sur les lieux. Toutes les nuits, un tiers des citoyens grecs montait la garde sur les murs, ou du moins se tenait prêt à le faire. Combien dé temps ces précautions rigoureuses et fatigantes furent-elles jugées nécessaires, c’est ce que nous ignorons ; mais après un certain temps on s’en relâcha et le mur intermédiaire disparut, de sorte que Grecs et Ibériens se mêlèrent librement et ne formèrent qu’une seule communauté[8]. Il est rare qu’il nous soit donné de voir dans un aussi grand détail les premières difficultés et les premiers dangers d’une colonie grecque. Massalia elle-même était placée dans des circonstances presque semblables parmi les grossiers Salyes liguriens ; ces Liguriens se louaient, dit-on, comme ouvriers pour bûcher les champs des propriétaires massaliotes[9]. Les diverses tribus de Liguriens, de Gaulois et d’Ibériens s’étendaient jusqu’à la côte, de sorte qu’il n’y eut pas de route sûre le long de cette côte, ni aucune communication si ce n’est par mer, jusqu’aux conquêtes des Romains dans le second et le premier siècle avant l’ère  chrétienne[10].

Le gouvernement de Massalia était oligarchique ; il était exercé surtout par un sénat ou Grand Conseil de Six Cents (appelés Timuchi), élus à vie, — et par un petit conseil de quinze, choisis dans ce corps plus considérable pour accomplir tour à tour les devoirs exécutifs[11]. Les habitudes publiques de l’administration étaient, dit-on, extrêmement vigilantes et circonspectes, les habitudes privées des citoyens, frugales et sobres, — un maximum étant la par la loi pour les dots et les cérémonies du mariage[12]. Ils étaient attentifs dans leur manière d’être avec les tribus indigènes, avec lesquelles ils paraissent avoir entretenu des relations généralement amicales. L’historien Éphore (dont l’histoire se terminait vers 340 av. J.-C.) représentait les Gaulois comme particulièrement philhellènes[13], impression qu’il ne pouvait guère avoir reçue que de Massaliotes qui l’en avaient instruit. Les Massaliotes — qui dans le premier siècle av. J.-C. étaient trilingues, parlant grec, latin et gaulois[14] — contribuèrent à imprimer profondément dans ces esprits illettrés un certain raffinement et une certaine variété de besoins, et à poser le fondement de ce goût pour les lettres qui plus tard se répandit largement dans toute la Province romaine en Gaule. Sur mer, et dans le commerce, les Phéniciens et les Carthaginois étaient leurs rivaux formidables. Ce fût une des causes qui les jeta de bonne heure dans une alliance et une coopération active avec Rome, sous le gouvernement de laquelle ils obtinrent un traitement favorable, quand le bienfait de la liberté n’était plus à leur portée.

On en sait assez sur Massalia pour montrer que la cité était un pur spécimen de l’hellénisme et des influences helléniques, — agissant non par la force ni par la contrainte, mais simplement par Une intelligence et une activité supérieures, — par le pouvoir de servir des besoins qui autrement auraient dû rester sans satisfaction, — et par l’effet d’assimilation d’une culture littéraire sur des voisins plus grossiers. Ce fait est d’autant plus à signaler qu’il contraste fortement avec les influences macédoniennes qui ont occupé une si grande partie du précédent volume : force organisée et maniée admirablement par Alexandre, n’étant toutefois rien autre chose qu’une force. La perte de tous les détails relatifs à l’histoire de Massalia est très regrettable ; et ce qui ne l’est guère moins, c’est celle des écrits de Pytheas, navigateur massaliote intelligent, qui, à cette époque reculée (330-320 av. J.-C.)[15], avec une hardiesse aventureuse plus que phokæenne, franchit les colonnes d’Hêraklês et de là se dirigeant vers le nord rangea la côte de l’Espagne, de la Gaule, de la Bretagne, de la Germanie, — peut-être plus loin encore. Probablement aucun Grec, si ce n’est un Massaliote, n’aurait pu accomplir un pareil voyage, qui, quant à Pytheas, mérite la plus grande sympathie, vu qu’il n’y avait pour toute récompense des difficultés et des dangers bravés que la satisfaction d’une intelligente curiosité. Il semble évident que la publication de son Voyage autour de la terre, — fort consulté par Eratosthène, bien que les critiques qui nous sont parvenues par Polybe et Strabon insistent surtout sur ses erreurs, réelles Du supposées, — fit époque dans les anciennes connaissances géographiques.

De l’aile occidentale du monde hellénique, nous passons à l’aile orientale, — le Pont Euxin. Nous avons peu de chose à dire de la Pentapolis sur son côté occidental au sud du Danube (Apollonia, Mesembria, Kallatis, Odessos, et probablement Istros), — et de Tyras près de l’embouchure du fleuve de ce nom (aujourd’hui le Dniester) ; bien qu’Istros et Apollonia fussent au nombre des Tilles dont Aristote jugeait les constitutions politiques dignes de son examen[16]. Mais Hêrakleia sur la côte sud, et Pantikapæon ou Bosporos entre l’Euxin et le Palus Mœotis (aujourd’hui mer d’Azof) ne sont pas ainsi inconnus à l’histoire ; et Sinopê (sur la côte sud) et Olbia (sur la côte nord-ouest) ne peuvent pas non plus être passées complètement sous silence. Bien que placées à part de l’hégémonie politique d’Athènes ou de Sparte, toutes ces cités étaient des membres légitimes de la confrérie hellénique. Toutes elles fournissaient des spectateurs et des compétiteurs aux fêtes panhelléniques, — des disciples aux rhéteurs et aux philosophes, — des acheteurs et parfois même des rivaux aux artistes. Toutes aussi elles étaient (comme Massalia et Kyrênê) altérées en partie, — Olbia et Bosporos considérablement, — par le mélange d’un élément non hellénique.

Quant à Sinopê et à ses trois colonies dépendantes Kotyôra, Kerasos et Trapézonte, j’en ai déjà dit quelque chose[17] en décrivant la retraite des Dix Mille Grecs. Comme Massalia, avec ses dépendances Antipolis, Nikæa et autres, — Sinopê jouissait non seulement d’une indépendance réelle, mais encore d’une prospérité considérable et d’une dignité locale, à l’époque où Xénophon et ses compagnons traversèrent ces contrées. Les citoyens étaient en termes d’une alliance sur le pied d’égalité, mutuellement avantageuse, avec Korylas, prince de la Paphlagonia, pays sur les frontières duquel ils habitaient. Il est probable qu’ils figuraient sur la liste du tribut du roi de Perse comme portion clé la Paphlagonia, et qu’ils payaient une  somme annuelle ; mais là s’arrêtait leur sujétion. Leur conduite à J’égard des Dix Mille Grecs, ennemis déclarés du Grand Roi, fut celle d’une cité indépendante. Ni eux, ni même les Paphlagoniens dans l’intérieur des terres, belliqueux et turbulents, n’étaient molestés par des gouverneurs persans ni par une occupation militaire[18]. Toutefois Alexandre les comptait parmi les sujets de la Perse ; et c’est un fait à remarquer, qu’il se trouva que des envoyés de Sinopê restèrent avec Darius presque jusqu’à la dernière heure, après qu’il fut devenu un fugitif vaincu, et qu’il eut perdu ses capitales et ses trésors. Ces envoyés sinopiens tombèrent dans les mains d’Alexandre, qui les mit en liberté en faisant remarquer que puisqu’ils étaient, non pas membres de la confédération hellénique, mais sujets de la Perse, — leur présence comme envoyés auprès de Darius étaient très excusable[19]. La position de Sinopê la plaçait hors du cercle direct des hostilités que les successeurs d’Alexandre poursuivaient les uns contre les autres ; et les anciens princes kappadokiens de la famille Mithridatique (descendants reconnus des Achæmenidæ persans)[20], qui finirent par devenir rois du Pont, n’étaient pas parvenus à une assez grande puissance pour absorber son indépendance avant le règne de Pharnakês, dans le second siècle avant J.-C. Sinopê passa alors sous sa domination ; échangeant (comme les autres) la condition d’une cité grecque libre contre celle de sujette des, rois barbares du Pont, avec une citadelle et une garnison mercenaire : pour maintenir ses citoyens dans l’obéissance. Toutefois nous ne savons rien des événements intermédiaires.

Relativement à la ville d’Hêrakleia du Pont, notre ignorance n’est pas si complète. Cette cité, — beaucoup plus rapprochée que Sinopê de l’entrée du Bosphore de Thrace, et éloignée par mer de Byzantion seulement d’une longue journée de voyage pour un bateau à rames, — fut établie par des Mégariens et des Bœôtiens sur la côte des Mariandyni. Ces indigènes furent subjugués et réduite à une sorte de servage ; par là ils devinrent esclaves, toutefois avec cette clause conditionnelle, qu’ils ne seraient jamais vendus hors du territoire. Dans le voisinage, à l’ouest entre Hêrakleia et Byzantion, étaient les Thraces bithyniens, — villageois non  seulement indépendants, mais belliqueux et farouches, ravageurs de côtes, qui traitaient, cruellement tout Grec échoué sur leur littoral[21]. On nous dit en termes généraux que le gouvernement d’Hêrakleia était oligarchique[22], peut-être entre les mains des descendants des principaux colons primitifs, qui se partagèrent le territoire avec les serfs mariandyniens et qui formaient une minorité petite mais riche parmi la population. On nous parle d’eux comme puissants sur mer et comme étant en état de garnir d’hommes, au moyen de leurs nombreux serfs, une flotte considérable, avec laquelle ils envahirent le territoire de Leukôn, prince du Bosphore kimmérien[23]. Ils furent aussi engagés dans une guerre sur terre avec Mithridatês, un des princes de l’ancienne famille persane, établis comme maîtres de district dans la Kappadokia septentrionale[24].

Vers 380-370 avant J.-C., les Hêrakléotes furent troublés par de violentes disputes de parti dans l’intérieur de la cité. Autant que nous pouvons le deviner par quelques allusions obscures, ces disputes commencèrent parmi les oligarques, eux-mêmes[25], dont quelques-uns s’opposèrent à un monopole politique exclusif qu’ils ouvrirent en partie, — non toutefois sans une lutte, dans le cours de laquelle un citoyen énergique, nommé Klearchos, fut banni. Bientôt, toutefois, le débat prit des dimensions plus grandes : la plèbe chercha à être admise dans la constitution, et demanda même, dit-on, l’abolition des dettes avec un nouveau partage des terres[26]. On établit une constitution démocratique, mais elle ne tarda pas à être, menacée par des conspirations des riches, et pour se mettre en garde contre ce danger, on changea la classification des citoyens. Au lieu de trois tribus et de quatre centuries, ils furent tous répartis de nouveau en soixante-quatre centuries, les tribus cessant d’exister. Il paraîtrait que dans les quatre centuries primitives, les hommes riches avaient été inscrits de manière à former des divisions militaires séparées (probablement leurs serfs de la campagne étant armés avec eux), — tandis, que les trois tribus avaient contenu tout le reste du peuple ; de sorte que cette multiplication des centuries eut pour effet d’enlever aux riches leur inscription militaire séparée, et de les disséminer dans maint régiment différent avec le nombre plus grand des pauvres[27].

Toutefois, on n’accorda pas encore complètement les demandes du peuple, et les dissensions continuèrent (364 av-. J.-C.). Non seulement les citoyens pauvres, mi ais encore la population des serfs, — homogène, parlant le même langage, unie par une sympathie mutuelle, comme les Ilotes où les Penestæ, — une fois animée par l’espoir de la liberté, était difficilement apaisée. Le gouvernement, bien que fortement mêlé d’éléments démocratiques, se trouva hors d’état de maintenir la tranquillité, et il invoqua l’assistance du dehors. Une demande fût faite d’abord à l’Athénien Timotheos, — ensuite au Thêbain Épaminondas, mais ni l’un ni l’autre, lie voulut intervenir, — et, dans le fait, il n’y avait aucune raison qui pût les tenter. Enfin, on s adressa au citoyen exilé Klearchos.

Cet exilé, âgé d’environ quarante ans, intelligent, audacieux et sans principes, avait passé quatre années à Athènes, en partie en assistant aux leçons de Platon et d’Isocrate, — et il avait suivi avec une curiosité jalouse la brillante fortune du despote Denys à Syracuse, auquel ces deux philosophes portaient intérêt[28]. De plus, durant son bannissement, il avait fait ce que faisaient ordinairement les exilés grecs, il avait pris du service chez l’ennemi de sa ville natale, le prince voisin Mithridatês[29], et assez probablement contre la cité elle-même. Comme officier, il se distingua beaucoup ; il acquit du renom auprès du prince et de l’influence, sur l’esprit des soldats. Aussi ses amis et un parti dans Hêrakleia devinrent-ils désireux de le rappeler, comme modérateur et protecteur au milieu des funestes discordes politiques qui régnaient. Ce fut le parti oligarchique qui l’invita à revenir, à la tête d’un corps de troupes, pour l’aider à tenir la plèbe abaissée. Klearchos accepta son invitation, mais avec le dessein bien arrêté de, se faire le Denys d’Hêrakleia. Obtenant de Mithridatês un corps puissant de mercenaires, en lui permettant en secret de tenir la ville seulement comme son préfet, il s’y rendit avec le dessein déclaré de maintenir l’ordre et à soutenir le gouvernement. Comme ses soldats mercenaires ne tardèrent pas à se montrer des compagnons importuns, il obtint la permission de construire ; dans la cité une forteresse séparée, sous prétexte de les tenir à part sous la discipline plus rigoureuse d’une caserne[30]. Après s’être assuré ainsi une forte position, il appela Mithridatês dans la cité pour recevoir la possession promise ; mais, au lieu de remplir son engagement, il retint le prince comme prisonnier, et ne le relâcha qu’en échange d’une rançon considérable. Il trompa ensuite, plus grossièrement encore, l’oligarchie qui l’avait rappelé, en dénonçant sa mauvaise conduite passée, en se déclarant son mortel ennemi, et en épousant les prétentions aussi bien que les antipathies de la plèbe. Celle-ci le seconda volontiers dans ses mesures, — même mesures extrêmes de cruauté et de spoliation, — contre ses ennemis politiques. Un nombre considérable de riches furent tués, emprisonnés, ou appauvris et bannis ; de plus, leurs esclaves ou serfs, furent non seulement affranchis par ordre du nouveau despote, mais encore mariés aux femmes et aux filles de exilés. Ces mariages forcés donnèrent lieu aux scènes les plus tragiques ; beaucoup d’entre les femmes allèrent jusqu’à se donner la mort, quelques-unes après avoir tué, d’abord leurs nouveaux époux. Parmi les exilés, un parti, réduit au désespoir, obtint des secours du dehors, et essaya de se faire admettre de nouveau dans la cité par la force, mais il fut totalement défait par Klearchos, qui, après cette victoire, devint plus brutal et plus implacable que jamais[31].

Il jouit alors d’un pouvoir irrésistible : despote de toute la cité, de la plèbe aussi bien que de l’oligarchie. Ce pouvoir dura douze ans, pendant lesquels il déploya une grande énergie guerrière contre des ennemis, extérieurs, ainsi qu’une cruauté non affaiblie envers les citoyens. Il s’abandonna en outre à l’insolence la plus outrecuidante de conduite personnelle, adoptant un costume et des ornements orientaux, et se proclamant fils de Zeus, comme Alexandre le Grand le fit après lui. Cependant, ait milieu de toutes ces énormités, ses goûts littéraires ne l’abandonnèrent pas ; il réunit une bibliothèque, possession très rare à cette époque[32]. Nombreuses furent les conspirations ourdies contre ce tyran par les citoyens victimes de son despotisme ; mais sa vigilance les déjoua et les punit toutes. A la fin, deux jeunes gens, Chiôn et Lemidês (ils avaient été au nombre des auditeurs de Platon) trouvèrent une occasion pour lui donner un coup mortel à une fête Dionysiaque. Ils furent tués par ses gardes, avec ceux qui les secondaient, après une vaillante résistance ; mais Klearchos lui-même mourut de la blessure, dans des tortures et des remords d’esprit[33].

Par malheur, sa mort n’apporta aucun soulagement aux Hêrakléotes. Les deux fils qu’il laissait, Timotheos et Denys, étaient tous deux mineurs ; mais son frère Satyros, qui administrait en leur nom, s’empara du sceptre et continua le despotisme avec une cruauté non seulement entière, mais même aggravée et aiguisée par le dernier assassinat (352 av. J.-C.). Ne le cédant à son prédécesseur ni en énergie, ni en vigilance, Satyros était différent sous ce rapport, qu’il était complément grossier et illettré. De plus, il montra un scrupule rigide en conservant la couronne pour les enfants de son frère, aussitôt qu’ils seraient d’âge à régner. Afin de leur assurer une succession tranquille, il prit toutes les précautions nécessaires pour éviter d’avoir des enfants de son épouse[34]. Après un règne de sept ans, Satyros mourut d’une maladie cruelle et prolongée.

Le gouvernement d’Hêrakleia échut alors à Timotheos, qui présenta un contraste, à la fois marqué et avantageux— avec son père et son oncle (345 av. J.-C.). Renonçant complètement à leur cruauté et à leur violence, il mit en liberté tous ceux, qu’il trouva en prison. Il fut rigoureux en rendant la justice, mais doux et même libéral dans toute sa conduite à l’égard des citoyens. En même temps, ce fut un homme d’un courage aventureux, qui fit une guerre heureuse aux ennemis étrangers, et assura le respect à son pouvoir tout alentour. Avec son frère cadet Denys, il conserva une harmonie parfaite, le traitant en égal et en associé. Bien qu’il usât ainsi généreusement de son pouvoir à l’égard des Hêrakléotes, il fut cependant encore un despote et conserva les marques caractéristiques du despotisme, — la citadelle fortifiée séparément de la ville, imposante armée de mercenaires. Après un règne d’environ neuf ans, il mourut, profondément regretté de tout le monde[35].

Denys, qui lui succéda, tomba à une époque troublée, pleine tarit d’espérances que de craintes, présentant des chances d’agrandissement, entourée toutefois de maint nouveau danger et de maintes incertitudes nouvelles. La souveraineté dont il hérita comprenait non seulement la cité d’Hêrakleia, mais encore des dépendances et des possessions étrangères dans son voisinage ; car ses trois prédécesseurs[36] avaient tous été des chefs entreprenants, commandant des forces agressives considérables (336 av. J.-C.). Au commencement de son règne, il est vrai, l’ascendant de Memnôn et de la puissance persane dans la partie nord-ouest de l’Asie Mineure était à Lin point plus élevé qu’à l’ordinaire ; il parait aussi que Klearchos, — et probablement ses successeurs également, — avaient toujours eu soin de rester dans les meilleurs termes avec la cour persane[37]. Mais bientôt arriva l’invasion d’Alexandre (334 av. J.-C.), avec la bataille du Granikos, qui anéantit complètement la puissance des Perses en Asie Mineure, et qui fut suivie, après un intervalle de peu de longueur, de la conquête entière de l’empire persan. Le contrôle des Perses étant actuellement écarté en Asie Mineure, — tandis qu’Alexandre avec le gros de l’armée macédonienne ne fit que traverser cette contrée pour marcher vers l’est, laissant des vice-rois derrière lui, — de nouvelles espérances d’indépendance ou d’agrandissement commencèrent à naître parmi les princes indigènes de Bithynia, de Paphlagonia et de Kappadokia. Le prince bithynien lutta même avec succès en rase campagne contre Kallas, qui avait été nommé par Alexandre satrape de Phrygia[38]. L’Hêrakléote Denys, d’autre part, ennemi de ces Bithyniens par position, courtisa les nouveaux potentats macédoniens, et joua son jeu politique avec beaucoup d’adresse à tous égards. Il sut maintenir ses forces dans sa main, et garda ses domaines avec soin ; il gouverna d’une façon douce et populaire, de manière à entretenir parmi les Hêrakléotes les mêmes sentiments d’attachement que son prédécesseur avait inspirés. Tandis que les citoyens de la voisine Sinopê (comme nous l’avons déjà raconté) envoyaient leurs députés à Darius, Denys eut les yeux fixés sur Alexandre, s’appliquant à prendre pied à Pella et étant particulièrement assidu dans ses attentions pour la sœur d’Alexandre, la princesse Kleopatra[39]. Il était fait plus que personne pour ce service de cour, car a c’était un homme de goûts élégants et fastueux, et il avait acheté de son homonyme, Denys de Syracuse, après sa chute, tout le riche mobilier de la famille dionysienne, extrêmement propre à être offert en présents[40].

Grâce à la faveur d’Antipater et de la régence à Pella, le despote d’Hêrakleia fût en état non seulement de conserver ses domaines, niais encore de les étendre, jusqu’au retour d’Alexandre à Suse et à Babylone, en 324 avant J.-C. Toute autre autorité céda alors devant la volonté personnelle du tout-puissant vainqueur qui, se défiant de tous ses délégués, — Antipater, les princesses et les satrapes, — écouta volontiers les plaintes qu’on lui adressait de toutes parts, et se fit gloire en particulier d’épouser les prétentions des exilés grecs. J’ai déjà- raconté comment, en juin (324 av. J.-C.), Alexandre proclama à la fête Olympique un édit radical, ordonnant le rétablissement des exilés dans toutes les cités grecques, — par la force, si la force était nécessaire. Parmi les divers exilés grecs, ceux d’Hêrakleia ne furent pas les derniers à solliciter son appui, pour obtenir leur propre rétablissement aussi bien que l’expulsion du despote. Comme ils avaient droit, aussi bien que les autres, au bénéfice du récent édit, la position de Denys devint extrêmement dangereuse. Il recueillit à ce moment tout le fruit de sa prudence antérieure, pour avoir su à la fois conserver son autorité auprès des Hêrakléotes à l’intérieur, et son influence auprès d’Antipater, auquel était confié le soin de faire exécuter l’édit. Il put ainsi écarter le danger pour un temps, et sa bonne fortune l’en délivra complètement par la mort d’Alexandre en juin, 323 avant J.-C. Cet événement, arrivant d’une manière inattendue pour tout le monde, remplit Denys d’une joie si extravagante qu  il tomba en faiblesse, et il le célébra en élevant une statue en l’honneur d’Euthymia ou déesse qui tranquillise l’esprit. Toutefois, sa position sembla précaire de nouveau, quand les exilés d’Hêrakleia renouvelèrent leurs sollicitations auprès de Perdikkas, qui favorisa leur cause et aurait probablement pu les rétablir s’il avait voulu diriger sa marche vers l’Hellespont contre Antipater et Krateros, an lieu d’entreprendre l’expédition peu judicieuse contre l’Égypte, dans laquelle il périt[41].

Le vent de la fortune souffla actuellement plus que jamais en faveur de Denys (322-304 av. J.-C.). Avec Antipater et Krateros, les potentats prépondérants de son voisinage, il était dans les meilleurs termes ; et il se trouva à ce moment qu’il convenait aux vues politiques de Krateros de répudier son épouse persane Amastris — nièce du dernier roi de Perse, Darius, et donnée à Krateros par Alexandre, quand il épousa lui-même Statira —, en vue d’épouser Phila, fille d’Antipater. Amastris fut donnée en mariage à Denys, magnifique élévation pour lui, — qui attestait l’influence personnelle qu’il avait acquise antérieurement. Sa nouvelle épouse elle-même, femme de talent et d’énergie, lui apporta une somme considérable du trésor royal, aussi bien que les moyens d’étendre beaucoup sa domination autour d’Hêrakleia. N’étant nullement corrompu par cette bonne fortune, il persévéra encore dans son gouvernement conciliant à l’intérieur et dans ses alliances prudentes au dehors, en se rendant particulièrement utile à Antigonos. Ce grand chef, prépondérant dans la plus grande partie de l’Asie Mineure, était en train d’établir son ascendant en Bithynia et dans le voisinage de la Propontis, en fondant la cité d’Antigonia, dans la riche plaine contiguë au lac Askanien[42]. Denys prêta à Antigonos une aide maritime efficace dans cette guerre, qui aboutit à la conquête de Kypros sur l’Égyptien Ptolemæos (307 av. J.-C.). Quant à l’autre Ptolemæos, neveu et général d’Antigonos, Denys lui donna sa fille en mariage, et il se crut même assez puissant pour prendre le titre de roi, après qu’Antigonos, Lysimachos et l’Égyptien Ptolemæos eurent fait la même chose[43]. Il mourut, après avoir régné trente ans avec une habileté politique consommée et une prospérité non interrompue, si ce n’est que dans les dernières années de sa vie une excessive corpulence lui fit perdre la santé[44].

Denys laissait trois enfants mineurs, — Klearchos, Oxathrês et une fille, — qu’il avait eus de son épouse Amastris ; il constitua régente cette dernière, qui, en partie grâce à l’appui sincère d’Antigonos, conserva intacte la domination d’Hêrakleia (304 av. J.-C.). Bientôt Lysimachos, roi de Thrace et de la Chersonèse de Thrace (sur l’isthme de laquelle il avait fondé la cité de Lysimacheia), rechercha cette puissance comme une alliance précieuse, fit sa cour à Amastris et l’épousa. La reine d’Hêrakleia jouit ainsi d’une double protection et put éviter de prendre part au formidable conflit d’Ipsus (300 av. J.-C.), dans lequel les alliés Lysimachos, Kassandre, Ptolemæos et Seleukos furent vainqueurs d’Antigonos. Ce dernier étant tué, et sa puissance en Asie écrasée, Lysimachos prit possession d’Antigonia, la récente fondation de son rival en Bithynia et changea son nom pour l’appeler Nikæa[45]. Toutefois, après un certain temps, Lysimachos eut le désir d’épouser Arsinoé, fille de Ptolemæos d’Égypte ; en conséquence, Amastris fit divorce avec lui, et agit pour son propre compte séparément comme régente d’Hêrakleia. Ses deux fils étant alors près d’être majeurs, elle fonda et fortifia, pour sa propre résidence, la cité voisine d’Amastris, à environ soixante milles (= 96 kil. ½), à l’est d’Hêrakleia,. s’Ur la côte de l’Euxin[46]. Ces jeunes gens, Klearchos et  Oxathrês, prirent le gouvernement d’Hêrakleia et s’associèrent à diverses entreprises guerrières ; et, à ce sujet, nous savons seulement que Klearchos accompagna Lysimachos dans son expédition contre les Getæ, partageant le sort de ce prince, qui fut vaincu et fait prisonnier. Tous deum plus tard obtinrent d’être relâchés, et Klearchos retourna à Hêrakleia, qu’il gouverna d’une manière cruelle et oppressive, et même commit l’énormité (conjointement avec son frère Oxathrês) de tuer sa mère Amastris. Ce crime fut vengé par son premier époux Lysimachos, qui, venant à Hêrakleia avec des déclarations d’amitié (288 av. J.-C.), fit mettre à mort Klearchos et Oxathrês, s’empara de leur trésor et, ne,gardant que la possession séparée de la citadelle, permit aux Hêrakléotes d’établir un gouvernement populaire[47].

Cependant Lysimachos fut bientôt persuadé par son, épouse Arsinoé de lui céder Hêrakleia, comme elle avait été naguère possédée par Amastris ; et Arsinoé y envoya un officier kymæen nommé Herakleidês, qui emmena avec lui des forces suffisantes afin de rétablir l’ancien despotisme, avec son oppression et ses cruautés. Pour d"autres desseins aussi non moins funestes, l’influence d’Arsinoé fut toute-puissante. Elle détermina Lysimachos à tuer son fils aîné (d’un premier lit), Agathoklês, jeune prince doué des qualités les plus distinguées et les plus estimables. Une pareille atrocité, qui excita une horreur universelle parmi les, sujets de Lysimachos, permit à son rival Seleukos de l’attaquer avec succès. Dans une grande bataille livrée entre ces deux princes, Lysimachos fût défait et tué — de la main et par la javeline d’un citoyen d’Hêrakleia, nommé Malakôn[48].

Cette victoire fit passer les domaines du prince vaincu dans les mains de Seleukos (281 av. J.-C.). A Hêrakleia aussi, elle produisit un effet si puissant, que les citoyens purent secouer le despotisme qui pesait sur eux. Ils essayèrent d’abord de traiter avec le gouverneur Herakleidês, en lui offrant de l’argent pour l’engager à se retirer. Ils n’obtinrent de lui qu’un refus plein de colère ; cependant les officiers subordonnés des mercenaires, et les commandants de postes détachés dans le territoire d’Hêrakleia, ne se croyant pas en état de résister, acceptèrent un compromis amical avec les citoyens, qui leur offrirent une liquidation complète de l’arriéré de la solde, avec le droit de cité. Par ce moyen, les Hêrakléotes purent éloigner 1Iêrakleidês et ravoir leur gouvernement populaire. Ils signalèrent leur révolution par une cérémonie remarquable ; ils démolirent leur Bastille, — le fort détaché on forteresse dans l’intérieur de la cité, qui avait servi pendant quatre-vingt-huit ans de symbole caractéristique et d’instrument indispensable au despotisme antérieur[49]. La cité, redevenue une république libre, fût renforcée en outre par le retour de Nymphis (l’historien) et d’autres citoyens hêrakléotes, qui jusque-là avaient été exilés. Ces hommes furent réintégrés et admis par leurs concitoyens dans une amitié et une harmonie complètes, toutefois avec cette clause conditionnelle expresse, qu’il ne serait fait aucune demande pour la restitution de leurs propriétés, confisquées depuis longtemps[50]. Cependant la conduite hardie des, Hêrakléotes nouvellement affranchis fut blessante pour le vainqueur Seleukos et pour son officier Aphrodisios. Et ils auraient probablement couru un grand danger de sa part, s’il n’avait d’abord tourné ses vues vers la conquête de la Macédoine, entreprise dans le cours de laquelle il fut tué par Ptolemæos Keraunos.

Les Hêrakléotes redevinrent ainsi une république de citoyens libres, sans citadelle détachée, ni garnison mercenaire ; cependant ils perdirent, vraisemblablement à cause de la force croissante et des agressions de quelques dynastes de l’intérieur des terres, plusieurs de leurs dépendances éloignées, — Kieros, Tion et Amastris. Ils recouvrèrent les deux premières quelque temps après en les achetant, et ils désirèrent également racheter Amastris ; mais Eumenês, qui l’occupait, les haïssait tellement, qu’il refusa leur argent, et céda la place gratuitement au chef kappadokien Ariobarzanês[51]. Leur puissance maritime fut très grande à cette époque ; c’est ce que nous pouvons voir par le récit étonnant qu’on fait de leurs immenses vaisseaux, — montés par de nombreux marins, et garnis de beaucoup de courageux combattants sur le pont, — qui luttèrent avec une distinction supérieure dans le combat naval entre Ptolemæos Keraunos (meurtrier et successeur de Seleukos) et Antigonos Gonatas[52].

Mon dessein n’est pas de suivre plus loin les destinées d’Hêrakleia. Elle conserva son autonomie intérieure, avec une puissance maritime considérable, une administration digne et prudente, et une liberté partielle, bien que tristement circonscrite, d’action à l’étranger, — jusqu’à la guerre heureuse des Romains contre Mithridatês (69 av. J.-C.). En Asie Mineure, les cités helléniques sur la côte purent en partie reculer l’époque de leur asservissement, grâce à la grande division de pouvoir qui régnait dans l’intérieur ; car les potentats de Bithynia, de Pergame, de Kappadokia, du Pont et de Syria étaient dans une discorde presque perpétuelle, — tandis que tous étaient menacés de l’intrusion des Gaulois belliqueux et adonnés au pillage, qui arrachèrent pour eux-mêmes des établissements en Galatia (276 av. J.-C.). Les rois, ennemis de la liberté civique, furent tenus partiellement en échec par ces nouveaux et formidables voisins[53], qui cependant n’étaient guère moins formidables eux-mêmes aux cités grecques sur la côte[54]. Les villes de Sinopê, d’Hêrakleia, de Byzantion, — et même Rhodes, malgré l’avantage d’une position insulaire, — restes isolés de ce qui avait été jadis un agrégat hellénique, sont désormais rendues impuissantes et enfermées par des voisins de l’intérieur des terres presque à leurs portes[55], — dépendantes de potentats barbares, entre lesquels elles étaient forcées de balancer, se rendant utiles à tous tour à tour. Toutefois il arriva souvent à ces princes barbares de tirer leurs épouses, leurs maîtresses, leurs ministres, leurs négociateurs, leurs officiers, leurs ingénieurs, leurs littérateurs, leurs artistes, leurs acteurs et leurs agents intermédiaires, tant pour orner leur cour que pour se distraire, — de quelque cité grecque. Parmi eux tous s’insinua ainsi plus ou moins d’influence hellénique : en même temps que la langue grecque jetait ses racines partout, même parmi les Gaulois ou Galates, les plus grossiers et les derniers venus des immigrants étrangers.

Des cités maritimes grecques dans le Pont-Euxin au sud du Danube, — Apollonia, Mesembria, Odêssos, Kallatis, Tomi et Istros, — cinq (vraisemblablement sans Tomi) formaient une Pentapolis confédérée[56]. Vers l’année 312 avant J. -C., nous entendons parler d’elles comme étant sous le pouvoir de Lysimachos, roi de Thrace, qui tenait une garnison dans Kallatis, — probablement dans les autres aussi. Elles firent un effort pour secouer son joug, et obtinrent l’assistance de quelques-uns des Thraces et des Scythes du voisinage, aussi bien que d’Antigonos. Mais Lysimachos, après une lutte qui semble avoir duré trois ou quatre ans, accabla leurs alliés et elles, et les réduisit de nouveau à la servitude[57]. Kallatis soutint un long siége, en renvoyant quelques-uns de ses habitants qui ne pouvaient servir à la défense, et qui trouvèrent accueil et asile chez Eumêlos, prince de Bosporos. Ce fût en poussant ses conquêtes encore plus loin vers le nord, dans la steppe entre le Danube et le Dniester, que Lysimachos entra en lutte avec le puissant prince des Getæ, Dromichætês, par lequel il fut défait et pris, niais généreusement relâché[58]. J’ai déjà, mentionné que l’empire de Lysimachos se termina avec sa dernière défaite et avec sa mort causée par Seleukos (281 av. J.-C.). Par suite de sa mort, les cités de la Pentapolis du Pont regagnèrent une indépendance temporaire. Mais leurs voisins barbares devinrent de plus en plus formidables, étant vraisemblablement renforcés par l’immigration de nouvelles hordes d’Asie ; ainsi les Sarmates, qui, à l’époque d’Hérodote, étaient à l’est du Tanaïs, paraissent, trois siècles plus tard, même au sud du Danube. Ces tribus, — Thraces, Getæ, Scythes et Sarmates, — pillèrent successivement les cités grecques de cette Pentapolis. Dans le fait, bien que renouvelées plus tard, à cause de la nécessité d’avoir quelque place de trafic, même pour les déprédateurs, — elles ne furent que pauvrement renouvelées, avec une infusion considérable d’habitants barbares[59]. Tel était l’état dans lequel l’exilé Ovide trouva Tomi, vers le commencement de l’ère chrétienne. Les Tomitains étaient plus qu’à moitié barbares, et leur grec n’était pas aisément intelligible. Les archers à cheval sarmates ou gétiques, avec leurs flèches empoisonnées, menaçaient continuellement les alentours de la ville, galopaient même jusqu’aux portes, et enlevaient, pour en faire des esclaves, les cultivateurs quand ils n’étaient pas sur leurs gardes. Même à deux cents mètres, de la ville, il n’y avait de sécurité ni pour les personnes ni pour les propriétés. Les habitants étaient vêtus de peaux ou de cuir ; tandis que les femmes, ne sachant ni filer ni tisser, étaient employées soit à moudre du blé, soit à porter les cruches d’eau sur leurs têtes[60].

Ce fut par ces mêmes barbares qu’Olbia aussi (sur la rive droite de l’Hvpanis ou Bug, près de son embouchure) se vit privée de ce bien-être et de cette prospérité dont elle jouissait quand Hérodote la visita. De son temps, les Olbiens vivaient en bons termes avec les tribus scythes de leur voisinage. Ils payaient un tribut stipulé, et faisaient en outre des présents au prince et à ses favoris immédiats ; et à ces conditions, leurs personnes et leurs propriétés étaient respectées. Le prince scythe — fils d’une mère hellénique d’Istros, qui l’avait familiarisé avec la langue et les lettres grecques — avait construit une belle maison dans la ville, et il y passait un mois par attachement pour les mœurs et la religion grecques, tandis que son armée de Scythes était près des portes sans molester personne[61]. Il est vrai que cette conduite coûta la vie à Skylês ; car les Scythes ne voulurent pas permettre à leur propre prince de pratiquer des rites religieux, étrangers, bien qu’ils ne trouvassent pas à redire à ces mêmes rites quand ils étaient observés par les Grecs[62]. Les Scythes étaient attachés avec ténacité à leurs propres coutumes, et ces coutumes étaient souvent sanguinaires, féroces et brutales. Toutefois c’étaient des guerriers, plutôt que des voleurs ils s’abstenaient d’un pillage habituel, et conservaient auprès des Grecs une réputation d’honnêteté et de bonne foi qui devint proverbiale chez les anciens poètes. Tels étaient les Scythes que vit Hérodote (probablement de 440 à 430 av. J.-C. environ), et le tableau tracé par Éphore un siècle plus tard (vers 340 av. J.-C.) ne parait pas avoir été essentiellement différent[63]. Mais après cette époque, il changea graduellement, De nouvelles tribus semblent avoir été introduites, — les Sarmates venant de l’est ; les Gaulois de l’ouest ; de la Thrace au nord jusqu’au Tanaïs et au Palus Mœotis, la plupart des tribus différentes finirent par se mêler, — Gaulois, Thraces, Getæ, Scythes, Sarmates, etc.[64] Olbia était dans une plaine- ouverte, sans aucune défense, à l’exception de ses murs et du fleuve adjacent de l’Hypanis, gelé en hiver. La race hybride helléno-scythe, formée par des mariages entre Grecs et Scythes, — et les diverses tribus de ces derniers qui s’étaient fixées partiellement afin de cultiver le blé pour l’exportation, — avaient probablement acquis aussi des habitudes moins guerrières que les tribus du type barbare primitif. En tout cas, eussent-elles été capables de se défendre, elles ne pouvaient continuer leur production et leur commerce sous le coup d’incursions hostiles répétées.

Une précieuse inscription qui reste nous met à même de comparer l’Olbia (ou Borysthenês) vue par Hérodote avec la même ville dans le second siècle avant J.-C.[65] A cette dernière époque, la cité était diminuée en population ; ses finances étaient appauvries ; elle était exposée à des exactions constamment croissantes de la part des hordes barbares de passage qui la menaçaient sans cesse ; à peine pouvait-elle défendre contre elles même la sécurité de ses murs. Quelquefois s’approchait le chef barbare Saitapharnês avec sa suite personnelle, parfois toute sa tribu ou horde en masse, appelée Saii. Toutes les fois qu’ils venaient, il fallait les apaiser par des présents plus grands que le trésor n’en pouvait fournir, et dus uniquement aux contributions volontaires des citoyens riches, tandis que même ces présents ne détournaient pas toujours les mauvais traitements ou le pillage. Déjà les citoyens d’Olbia avaient repoussé diverses attaques, en prenant en partie à leur solde une population semi-hellénique de leur voisinage (Hellènes mêlés, comme les Liby-Phéniciens en Afrique) ; mais les incursions devinrent plus alarmantes, et leurs moyens de défense moindres, à cause de la fidélité incertaine de ces Hellènes mélangés, aussi bien que de leurs propres esclaves, — ces derniers probablement indigènes barbares achetés de l’intérieur[66]. Au milieu de la pauvreté publique, il fut nécessaire d’augmenter les fortifications et de leur donner plus de force ; car ils étaient menacés de l’arrivée des Gaulois, — qui inspiraient une telle terreur qu’il était vraisemblable que les Scythes et d’autres barbares chercheraient leur propre salut en se faisant admettre de force dans les murs d’Olbia. Bien plus, le blé même était rare et d’une cherté folle. Le produit des terres d’alentour avait manqué à plusieurs reprises ; on craignait une famine, élu il fallait faire des efforts, plus grands que le trésor ne pouvait les supporter, pour amasser un fonds aux frais de l’État. Parmi les nombreux points de contraste avec Hérodote, celui-ci peut être le plus frappant ; car, de son temps, le blé était le grand produit et le principal objet d’exportation d’Olbia ; au moment actuel, la production avait été suspendue, ou était du moins sans cesse interrompue par des dévastateurs et par un manque de sécurité continuels.

Après avoir été attaquée perpétuellement, et même plusieurs fois prise, par des voisins barbares, — cette cité infortunée, environ cinquante ans avant l’ère chrétienne, finit par être saccagée d’une façon si misérable par les Getæ, qu’elle fut abandonnée pour un temps[67]. Bientôt cependant les fugitifs revinrent en partie pour se rétablir sur une échelle réduite ; car les mêmes barbares qui les avaient persécutés et pillés avaient cependant besoin d’un marché avec une certaine quantité d’importations et d’exportations, telle que personne ne pouvait y pourvoir si ce n’est des colons grecs ; en outre, c’était de la côte voisine d’Olbia, et par les soins de ses habitants, que beaucoup des tribus voisines tiraient leur provision de sel[68]. De là résulta un chétif regain d’Olbia, — conservant le nom, les traditions, et une partie de la localité de la cité abandonnée, — grâce au retour d’une portion des colons avec une infusion d’habitants scythes ou sarmates ; infusion dans le fait si considérable, qu’elle fait perdre sérieusement à la langue et aux noms des personnes dans la ville leur caractère hellénique[69].

C’est à cette seconde édition d’Olbia que le rhéteur Diôn Chrysostome rendit une visite d’été (environ un siècle après l’ère chrétienne), visite dont il a laissé un récit court, mais intéressant. Dans le vaste espace rempli jadis par la première Olbia, — dont l’ancienne enceinte était marquée par des murs et des tours en ruines, — la seconde ville occupait un coin étroit, avec de pauvres maisons, des murailles basses, et des temples qui n’avaient pour tout ornement que les anciennes statues mutilées par les pillards. Les citoyens étaient dans un manque constant de sécurité, toujours sous les armes ou sur leurs gardes ; car les cavaliers barbares, malgré les sentinelles postées pour annoncer leur approche, enlevaient souvent des prisonniers, du bétail ou du bien dans le voisinage immédiat des portes. Le tableau tracé d’Olbia par Diôn confirme d’une manière remarquable celui qu’Ovide fait de Tomi. Et ce qui lui donne un intérêt touchant, c’est que les Grecs que Diôn vit lutter avec les difficultés, les privations et les dangers de cet avant-poste inhospitalier, conservaient encore l’activité, l’élégance et les aspirations intellectuelles de leur race ionienne, sous ce rapport très supérieurs aux Tomitains d’Ovide. En particulier, c’étaient des admirateurs passionnés d’Homère ; une proportion considérable des Grecs d’Olbia pouvait répéter l’Iliade de mémoire[70]. Achille — localisé avec le surnom de Pontarchês, dans des îles et des caps nombreux de l’Euxin — était an nombre des principales personnes divines ou héroïques auxquelles ils adressaient leurs prières[71]. Au mi-lieu de la vie grecque, dégradée et penchant vers son anéantissement, et dépouillée même de la pureté d’une langue vivante, — le courant du sentiment de l’imagination et de la tradition continue ainsi sans suspension ni affaiblissement. Relativement à la ville de Bosporos ou Pantikapæon — car ces deux noms indiquent la même cité, bien que le premier nom comprenne souvent tout l’empire annexé —, fondée par des colons milésiens[72] sur le côté européen du Bosphore Kimmérien (près de Kertch), nous en entendons parler pour la première fois, vers l’époque où Xerxès fut repoussé de Grèce (480-479 av. J.-C.). C’était le centre d’un empire comprenant Phanagoria, Kepi, Hermonassa et d’autres cités grecques sur le côté asiatique du détroit ; et on dit qu’il était gouverné par ce qui semble avoir été une oligarchie — appelée les Archæanaktidæ, pendant quarante-deux ans[73] (480-438 av. J.-C.).

Après eux nous avons une série de princes qui se présentent individuellement avec leur nom, et se succèdent les uns aux autres dans la même famille. Spartokos I eut pour successeur Seleukos, ensuite vient Spartokos II, puis Satyros I (407-393 av. J.-C.), Leukôn (393-353 av. J.-C.), Spartokos III (353-348 av. J. -C.), Parisadês I (348-310 av. J.-C. ), Satyros II, Prytanis, Eumêlos (310-304 av. J.-C.), Spartokos IV (304-284 av. J.-C.), Parisadês II[74], Pendant les règnes de ces princes, une liaison de quelque intimité exista entre Athènes et Bosporos ; liaison non politique, vu que les princes de cette ville avaient peu d’intérêt dans les luttes au sujet de l’hégémonie hellénique, — mais de rapports privés, d’échanges de commerce et de bons offres réciproques. L’extrémité orientale de la Chersonèse Taurique, entre Pantikapæon et Theodosia, était très propre à la production du blé, tandis qu’on pouvait avoir une grande abondance de poissons, aussi bien que de sel, dans le Palus Mœotis, et à côté. Le blé, le poisson et la viande salés, les peaux et les esclaves barbares en nombre considérable étaient très demandés parmi tous les Grecs qui entouraient la mer Ægée, et non moins à Athènes, où il y avait beaucoup d’esclaves scythes[75] ; tandis que l’huile et le vin, avec d’autres produits de régions plus méridionales, étaient bien reçus dans Bosporos et les autres ports du Pont. Cet important trafic semble avoir été surtout fait au moyen de navires et d’un capital appartenant à Athènes et à d’autres villes maritimes de la mer Ægée, et il a dû être surtout placé sous la protection et le règlement des Athéniens, tant que leur empire maritime exista. Des citoyens entreprenants d’Athènes allaient à Bosporos (comme en Thrace et dans la Chersonèse de Thrace) pour faire leur fortune ; des marchands d’autres cités trouvaient avantageux de s’établir comme étrangers domiciliés ou metœki à Athènes, où ils étaient plus en contact avec l’autorité qui les protégeait, et où ils obtenaient un accès plus facile aux tribunaux judiciaires, Ce fut probablement pendant la période qui précéda le grand désastre essuyé à Syracuse en 413 avant J.-C. qu’Athènes acquit pour la première fois sa position de centre commercial pour le trafic avec l’Euxin, position que nous la voyons conserver plus tard, même avec un pouvoir réduit, à l’époque de Démosthène.

Combien était forte la position dont jouissait Athènes dans Bosporos, quand son empire était encore intact, c’est ce dont nous pouvons juger par ce fait que Nymphæon (au sud de Pantikapæon, entre cette ville et Theodosia) était au nombre de ses villes tributaires, et payait un talent annuellement[76]. Ce ne fût qu’à l’époque des malheurs d’Athènes dans les dernières années de la guerre du Péloponnèse que la ville de Nymphæon passa entre les mains des princes de Bosporos, livrée (suivant Æschine) par le grand-père maternel de Démosthène, l’Athénien Gylôn, qui toutefois ne fit probablement rien de plus qu’obéir à une nécessité rendue inévitable par la condition déchue d’Athènes[77]. Nous voyons ainsi que Nymphæon, au milieu des domaines de Bosporos, était non seulement un membre de l’empire athénien, mais encore renfermait des citoyens athéniens influents, adonnés au commerce de blé. Gylôn fut récompense par un don considérable de terres à Kepi ; — probablement d’autres Athéniens de Nymphæon furent, récompensés également par les princes de Bosporos, qui ne refusaient pas un bon prix pour une pareille acquisition. Nous trouvons encore d’autres exemples, — tant de citoyens athéniens envoyés pour résider avec le prince Satyros, — que de Grecs du Pont également qui, déjà en correspondance et en amitié avec divers Athéniens individuellement, confient leurs fils pour qu’ils soient initiés au commerce, à la société et aux raffinements d’Athènes[78]. Ces faits attestent la correspondance et les relations de cette cité, pendant sa grandeur souveraine, avec Bosporos.

Le prince de cette ville, Satyros, fut dans les meilleurs rapports avec Athènes, et il semble même avoir eu des représentants autorisés pour appuyer ses requêtes qui trouvaient une très grande attention[79]. Il traitait les marchands athéniens à Bosporos avec équité et même avec faveur, leur accordant une préférence dans l’exportation du blé quand il n’y en avait pas pour tous[80]. Son fils Leukôn non seulement continua la préférence aux vaisseaux athéniens qui faisaient l’exportation, mais encore il leur accorda la remise du droit (d’un trentième) dont elle était frappée, et qu’il exigeait de tous les autres marchands. On compte cette exemption comme équivalant à un présent annuel de 13.000 médimnes de blé (le médimne étant environ un boisseau et un tiers), la quantité totale de blé apportée de Bosporos à Athènes dans toute une année étant de 400.000 médimnes[81]. En outre, il est aisé de voir qu’un pareil avantage a dû jeter presque tout le commerce d’exportation dans les mains de marchands athéniens. Athènes reconnut cette faveur par des votes publics de gratitude et d’honneur ; elle accorda à Leukôn le droit de cité, avec l’exemption de toutes les charges régulières attachées à la propriété à Athènes. Il y avait dans cette cité de l’argent appartenant à Leukôn[82], qui fut en conséquence (sur la proposition de Leptinês) exposé à cette demande conditionnelle d’échange de fortune, appelée en langage technique Antidosis. En outre, de son temps, le commerce de blé de Bosporos parait s’être étendu plus loin ; car nous apprenons qu’il établit une exportation de Theodosia aussi bien que de Pantikapæon. Son successeur Parisadês I, continuant aux marchands athéniens qui exportaient du blé le même privilège d’immunité pour droit d’exportation, obtint d’Athènes des honneurs plus grands encore que Leukôn ; car nous savons que sa statue, avec celles de deux parents, fut érigée dans l’agora sur la motion de Démosthène[83]. Les relations de Bosporos avec Athènes furent durables aussi bien qu’intimes, son commerce de blé étant dune haute importance pour la subsistance, du peuple. Tout exportateur athénien était tenu par une loi d’apporter sa cargaison d’abord à Athènes. Le fret et la navigation de navires dans ce dessein, avec les avances d’argent faites par de riches capitalistes (citoyens et metœki) à un intérêt et sous des conditions imposés par la justice athénienne, étaient une affaire constante et profitable. Et nous pouvons apprécier la valeur du traitement équitable, pour ne pas dire la faveur, accordé par les rois de Bosporos, — si nous le comparons avec la conduite frauduleuse et rapace de Kleomenês, satrape d’Egypte, par rapport à l’exportation du blé égyptien[84].

La condition politique des Grecs à Bosporos était up peu particulière. Les princes héréditaires (mentionnés plus haut) qui les gouvernaient réellement en despotes, ne prenaient d’autre titre (par rapport aux Grecs) que celui d’archontes. Ils payaient tribut aux puissantes tribus scythes qui les bornaient sur le côté européen, et même ils jugèrent nécessaire de mener un fossé en travers de l’isthme étroit, de quelque point près de Theodosia au nord jusqu’au Palus Mœotis, comme protection contre des incursions[85]. Leur domination ne s’étendait pas plus loin à l’ouest que Theodosia ; ce fossé était leur limite occidentale extrême ; et même pour la terre qui était en deçà, ils payaient tribut. Mais sur le côté asiatique du détroit, ils avaient un pouvoir souverain à une distance considérable, sur les tribus plus faibles et moins belliqueuses appelées du nom commun de Mæotæ ou Mæètæ, — les Sindi, les Toreti, les Dandarii, les Thatès, etc. Des inscriptions, existant encore, de Parisadês I, le nomment comme roi de ces diverses tribus barbares, mais comme archonte de Bosporos et de Theodosia[86]. Son empire sur le côté asiatique du Bosphore Kimmérien, appuyé par des mercenaires grecs et thraces, avait une étendue considérable (bien qu’elle nous soit inconnue), arrivant quelque part près des frontières du Caucase[87].

Parisadês I, en mourant, laissa trois fils, — Satyros, Prytanis et Eumêlos (310-304 av. J.-C.). Satyros, comme l’aîné, succéda ; mais Eumêlos réclama la couronne, chercha du secours au dehors, et détermina divers voisins, — entre autres un puissant roi thrace nommé Ariopharnês, — à épouser sa cause. A la tête d’une armée qui comptait, dit-on, 20.000 chevaux et 20.000 fantassins, les deux alliés s’avancèrent pour attaquer le territoire de Satyros, qui vint à leur rencontre, avec 2.000 mercenaires grecs, et 2.000 Thraces à lui, renforcés par un corps nombreux d’alliés scythes, — 20.000 fantassins, et 10.000 chevaux ; il avait avec lui une grande quantité de provisions dans des chariots. Il remporta une victoire complète, et força Eumêlos et Ariopharnês à se retirer et à chercher un refuge dans la résidence royale de ce dernier, près du fleuve du Thapsis ; forteresse construite en bois, et entourée d’une forêt, d’une rivière, de marais et de rochers, de telle sorte qu’il était très difficile d’en approcher. Satyros, après avoir commencé par ravager le pays alentour, où il fit un riche butin en, prisonniers et en bétail, se mit en devoir d’attaquer ses ennemis dans leur position presque inabordable. Mais bien que lui et Meniskos, son général des mercenaires, fissent les plus grands efforts et emportassent même quelques-uns des ouvrages avancés, ils furent repoussés de la forteresse elle-même ; et Satyros s’exposant hardiment pour dégager Meniskos, reçut une blessure dont il mourut bientôt, après un règne de neuf mois. Meniskos levant le siège retira l’armée à Gargaza ; d’où il transporta le corps royal à Pantikapæon[88].

Prytanis, le second frère, rejetant une offre de partage faite par Eumêlos, prit le sceptre, et s’avança pour continuer la lutte. Mais le courant de la fortune tourna alors en faveur d’Eumêlos, qui prit Gargaza avec plusieurs autres places, défit son frère dans une bataille, et le bloqua si étroitement dans l’isthme près du Palus Mœotis, qu’il fut forcé de capituler, et de renoncer à ses prétentions (309 av. J.-C.). Eumêlos entra dans Pantikapæon comme vainqueur. Néanmoins, Prytanis le vaincu, malgré son traité récent, fit une nouvelle tentative sur la couronne ; il fut défait de nouveau, forcé de s’enfuir à Képi, où il fut tué. Pour s’assurer le trône, Eumêlos mit à mort les épouses et les enfants de ses deux frères, Satyros et Prytanis, — avec tous leurs principaux amis. Un jeune homme seul, Parisadês, fils de Satyros, — s’échappa et trouva une protection auprès du prince scythe Agaros.

Eumêlos avait alors abattu tous ses rivaux ; cependant ses récentes cruautés avaient occasionné de la colère et du dégoût parmi les citoyens de Bosporos. Il les convoqua en assemblée, pour excuser sa conduite passée, et promit un bon gouvernement à l’avenir ; en même temps il leur garantit leur constitution civile complète, avec des privilèges et des immunités semblables à celles dont ils avaient joui auparavant, et l’exemption d’une taxation directe[89]. Ces assurances, combinées probablement avec une imposante armée de mercenaires, apaisèrent ou du moins firent taire la désaffection qui dominait. Eumêlos tint ses promesses en tarit qu’il gouverna avec un esprit doux et populaire. Tout en se rendant agréable à l’intérieur, il conserva— une politique étrangère énergique, et fit plusieurs conquêtes parmi les tribus environnantes. Il se constitua en quelque sorte le protecteur de réprimant les pirateries des Heniochi et des Achæi (dans le mont Caucase jusqu’à l’est) aussi bien que celles des Tauri dans la Chersonèse (Crimée) ; fort à la satisfaction des Byzantins, des Sinopiens, et des autres Grecs du Pont. Il reçut une partie des fugitifs de Kallatis, quand cette place fut assiégée par Lysimachos, et il leur fournit un établissement dans ses domaines. Après avoir acquis ainsi une grande réputation, Eumêlos était en pleine carrière de conquêtes et d’agrandissement, quand un accident termina sa vie, après un règne d’un peu plus de cinq ans. En revenant de Scythie à Pantikapæon, dans un chariot à quatre roues attelé de quatre chevaux et surmonté d’une tente, ses chevaux eurent peur et s’emportèrent. S’apercevant qu’ils l’entraînaient vers un précipice, il essaya de sauter dehors ; mais son épée s’embarrassant dans la roue, il fut tué sur place[90]. Il eut pour successeur son fils Spartokos IV, qui régira vingt ans (304-284 av. J.-C.) ; ensuite vint le fils de Spartokos, Parisadês, II ; nom avec lequel cessent nos renseignements[91].

Cette dynastie, les Spartokidæ, bien qu’ils gouvernassent les Grecs de Bosporos comme despotes au moyen d’une armée mercenaire étrangère, — semble cependant avoir exercé le pouvoir avec équité et modération[92]. Si Eumêlos eût vécu, il aurait probablement pu établir un empire étendu sur les tribus barbares tout autour de lui. Mais un empire sur de pareils sujets était rarement durable, et ses successeurs ne conservèrent pas longtemps même tout ce qu’il laissa. Nous n’ayons aucun moyen de suivre leur fortune en détail ; mais nous savons qu’un siècle avant J.-C. environ, le prince — régnant alors, Parisadês IV, se trouva si fortement serré et pressé par les Scythes[93], qu’il fut forcé (comme Olbia et la Pentapolis) d’abandonner son indépendance, et d’appeler, comme auxiliaire ou maître, le formidable,—Mithridatês Eupator du Pont, à partir duquel commença une nouvelle, dynastie de rois de Bosporos, soumise toutefois, après un intervalle de peu de longueur, à la domination et à l’intervention de Rome.

Ces princes mithridatiques dépassent notre période mais les cités de Bosporos sous les princes spartokides, dans le quatrième siècle avant J.-C., méritent d’être rangées parmi les traits remarquables du monde hellénique actuel. Elles n’étaient pas, à vrai dire, purement helléniques, mais elles présentaient un mélange considérable de coutumes scythes ou orientales, analogue au mélange des éléments helléniques et libyens à Kyrênê avec ses princes Battiades. Parmi les faits qui attestent les richesses et la puissance de ces princes spartokides et de la communauté de Bosporos, nous devons compter les groupes imposants d’immenses tumuli sépulcraux près de Kertch (Pantikapæon), dont quelques-uns ont été récemment examinés, tandis que la plus grande partie reste encore sans être ouverte. Ces spacieuses chambres de pierre, — enfermées dans de vastes monticules (kurgans), ouvrages cyclopéens entassés avec un travail et ces frais prodigieux, — se sont trouvées contenir non seulement une profusion d’ornements en métaux précieux — or, argent et electron, ou mélange de quatre parties d’or contre une d’argent —, mais encore un grand nombre de vases, d’instruments et d’œuvres d’art, qui jettent du jour sur la vie et les idées de la population de Bosporos. Le contenu des tumuli déjà ouverts est si varié que, par les tombeaux de Pantikapæon seulement, nous pourrions connaître tout ce qui servait aux Grecs pour les besoins habituels ou pour l’ornement de la vie domestique[94]. On a trouvé des statues, des bas-reliefs et des fresques sur les murs, représentant des sujets variés tant de guerre que de paix, et souvent d’une exécution très belle ; en outre, de nombreuses sculptures en bois et des vases de bronze ou de terre cuite, avec des colliers, des brassards, des bracelets, des anneaux, des coupes à boire, etc., de métal précieux, — plusieurs avec des perles de couleur qui y sont attachées[95]. Les costumes, l’équipement et la physionomie représentés sont, dans le fait, un mélange hellénique et barbare ; de plus, même la profusion de chaînes d’or et d’autres ornements précieux indique un ton de sentiment devenu en partie oriental dans ceux auxquels ils étaient destinés. Mais le dessin aussi bien que l’exécution sort évidemment de l’atelier hellénique ; et il y a de bonnes raisons pour croire que, dans le quatrième siècle avant. J.-C., Pantikapæon était non seulement le séjour de citoyens entreprenants et riches, mais encore le siège d’un génie artistique plein d’ardeur et bien dirigé. Ces manifestations des raffinements de l’hellénisme, dans cette cité éloignée et peu remarquée, forment une addition importante au tableau de la Hellas comme ensemble, — antérieurement à ses jours de sujétion, — tableau que cette Histoire a eu pour but de présenter.

J’ai actuellement amené l’histoire de la Grèce au moment indiqué dans la préface de mon premier volume, — la fin de la génération contemporaine d’Alexandre, — époque de laquelle date non seulement l’anéantissement de la liberté politique et de l’action personnelle grecque, mais encore le dépérissement du génie productif et l’abaissement de cette supériorité achevée dans les lettres et l’éloquence, dont le quatrième siècle avant J.-C. nous avait présenté Platon et Démosthène comme les modèles[96]. Le contenu des deux derniers volumes n’indique que trop clairement que la Grèce, comme sujet séparé d’histoire, n’existe plus ; car l’un d’eux est consacré à dépeindre Alexandre et ses conquêtes, — άγριον αίχμητήν, κρατερόν μήστωρα φόβοιο[97], ce conquérant non hellénique dans les vastes possessions duquel les Grecs sont absorbés, avec leur éclat intellectuel obscurci, leur ardeur brisée et la moitié de leur courage enlevée par Zeus, — triste émasculation infligée (suivant Homère) aux victimes surprises par le jour de la servitude[98].

Il y eut une branche de l’activité intellectuelle, une seule, qui continua de fleurir, relativement peu affaiblie, sous la prépondérance de l’épée macédonienne, — l’esprit de spéculation et la philosophie. Pendant le siècle que nous venons de traverser, cet esprit a été possédé par plusieurs personnes éminentes dont les noms ont été à peine signalés à l’attention dans cette Histoire. Parmi ces noms, il y en a deux d’une grandeur particulière que j’ai mis partiellement sous les yeux du lecteur, parce que tous deux appartiennent à l’histoire générale aussi bien qu’à la philosophie ; Platon, comme citoyen d’Athènes, qui assista Sokratês lors de son procès, et qui conseilla Denys dans sa gloire ; — Aristote, comme maître d’Alexandre. J’avais à un moment espéré les présenter aussi dans mon pré sent ouvrage comme philosophes, et donner une appréciation du caractère propre de leur spéculation, niais je trouve le sujet beaucoup trop vaste pour être resserré dans l’espace que ce volume fournirait. L’exposition des doctrines des penseurs distingués n’est pas aujourd’hui comptée par les historiens, soit de l’antiquité soit des temps modernes, au nombre des devoirs qu’ils doivent remplir, non plus qu’au nombre des espérances naturelles de leurs lecteurs, mais elle est réservée à l’historien spécial de la philosophie. En conséquence, j’ai terminé mort Histoire de la Grèce, sans essayer de rendre justice ni à Platon ni à Aristote. J’espère contribuer en quelque chose à combler cette lacune, dont j’apprécie pleinement la grandeur, dans un ouvrage séparé, consacré spécialement à un exposé de la philosophie spéculative grecque dans le quatrième siècle avant J.-C.

 

FIN DE L’HISTOIRE DE LA GRÈCE

 

 

 



[1] César, Bell. Gall., II, 1 ; Strabon, IV, p. 179.

[2] V. Poseid., ap. Athenæ, IV, p. 152.

[3] Strabon, IV, p. 180.

[4] Strabon (XII, p. 575) place Massalia au même rang que Kyzikos, Rhodes et Carthage, types de cités maritimes organisées d’une manière admirable et efficace.

[5] Tite-Live, XL, 18 ; Polybe, XXX, 1.

[6] Le discours supposé de Démosthène πρός Ζηνόθεμιν, a trait à une affaire où un vaisseau, un capitaine et un second, tous de Massalia, se trouvent employés dans le commerce de transport entre Athènes et Syracuse (Démosthène, p. 882 sqq.).

[7] Brückner, Histor. Massiliensium, c. 7 (Goettingen).

[8] Tite-Live, XXXIV, 8 ; Strabon, III, p. 160. A Massalia, dit-on, il n’était jamais permis à aucun étranger d’entrer dans la cité sans déposer ses armes à la porte (Justin, XLI11, 4).

Cette précaution semble avoir été adoptée dans d’autres cités également V. Æneas Poliorkêtês, c. 30.

[9] Strabon, III, p. 165. Fait dit à Poseidonius par un propriétaire massaliote, qui était son ami personnel. — Au siége de Massalia par César, un détachement d’Albici, — montagnards peu éloignés de la ville et anciens alliés ou dépendants, furent introduits pour aider à la défense (César, Bell. Gall., I, 34).

[10] Strabon, IV, p. 180.

[11] Strabon, IV, p. 181 ; Cicéron, De Republ., XXVII, Fragm. Les vacances dans le sénat semblent avoir été remplies an moyen de citoyens méritoires en général, — autant que nous en pouvons juger par une brève allusion qui se trouve dans Aristote (Politique, VII 7). D’après un autre passage du même ouvrage, il semble que la base étroite de l’oligarchie a dû faire naître des dissensions (V, 6). Aristote avait compris la Μασσαλεωτών πολιτεία dans son ouvrage perdu Περί Πολιτειών.

[12] Strabon, l. c. Toutefois, un auteur auquel Athénée faisait des emprunts (XII, p. 523) représentait les Massaliotes comme adonnés à des habitudes de luxe.

[13] Strabon, IV, p. 199. Cf. p. 181. — Il faut se rappeler qu’Éphore était natif de l’asiatique Kymê, la voisine immédiate de Phokæa, qui était la métropole de Massalia. Les Massaliotes n’oublièrent ni ne brisèrent jamais leurs relations avec Phokæa : voir ce qui est dit de leur intercession auprès des Romains en faveur de Phokæa (Justin, XXXVII, 1). Éphore avait donc de bons moyens d’apprendre tout ce que des citoyens massaliotes étaient disposés à communiquer.

[14] Varron, Antiq. Fragm., p. 350, éd. Bipont.

[15] Voir les Fragmenta Pytheæ réunis par Arfwedson, Upsal, 1824. Il composa deux ouvrages : — 1° Γής Περιόδος, 2° Περί Ώκεανοΰ. Ses assertions étaient fort estimées, et souvent suivies par Eratosthène, suivies en partie par Hipparque, sévèrement jugées par Polybe, que Strabon suit en général. Mais ceux qui jugent Pytheas le plus sévèrement admettent qu’il fût bon mathématicien et bon astronome (Strabon, IV, p. 201) — et qu’il fit de lointains voyages en personne. Comme Hérodote, il a du être forcé de rapporter beaucoup de choses sur ouï-dire, et tout ce qu’il pouvait faire était de rapporter les meilleures informations par ouï-dire qui lui arrivaient. Il est évident que ses écrits firent époque dans les recherches géographiques, bien qu’ils continssent sans doute de, nombreuses inexactitudes. Voir une bonne appréciation de Pytheas dans Mannert, Geog. der Gr. und Roemer, Introd. I, p. 73-86.

Le manuscrit massaliote d’Homère, possédé et consulté parmi d’autres par les critiques alexandrins, fournit une présomption que la célébrité de Massalia comme endroit où Von cultivait et étudiait la littérature grecque (rôle dans lequel elle luttait avec Athènes vers le commencement de l’empire romain) avait ses fondements jetés au moins dans le troisième siècle avant l’ère chrétienne.

[16] Aristote, Politique, V, 2, 11 ; V, 5, 2.

[17] V. tome XIII, ch. 3 de cette Histoire.

[18] Voir la remarquable vie du Karien Datamês par Cornélius Nepos, qui donne quelque idée de la Paphlagonia vers 360-350 avant J.-C. (c. 7, 8). Cf. Xénophon, Hellenica, IV, 1, 4.

[19] Arrien, III, 24, 8 ; Quinte-Curce, VI, 5, 6.

[20] Polybe, V, 13.

[21] Xénophon, Anabase, VI, 6, 2.

[22] Aristote, Politique, V, 5, 2 ; V, 5, 5. Toutefois un autre passage du même ouvrage (V, 4, 2) dit que dans Hêrakleia la démocratie fut immédiatement renversée, après la fondation de la colonie, par les chefs populaires, qui commirent une injustice envers les riches. Ces derniers furent bannis, mais ils réunirent assez de forces pour revenir et renverser la démocratie de baute lutte. Si ce passage fait allusion à la même Hêrakleia (il y avait bien des villes de ce nom), le gouvernement doit avoir été démocratique dans l’origine. Mais le servage des indigènes semble impliquer une oligarchie.

[23] Aristote, Politique, VII, 5, 7 ; Polyen, VI, 9, 3, 4 ; Cf. Pseudo-Aristote, Œconomic., II, 9. — Le règne de Leukôn dura de 392 à 352 avant J.-C. environ. L’événement auquel Polyen fait illusion a dû se passer à quelque moment dans cet intervalle.

[24] Justin, XVI, 4.

[25] Aristote, V, 5, 2 ; 5, 10.

[26] Justin, XVI, 4.

[27] Æneas, Poliorkêtês, c. 11, J’ai donné ce qui semble l’explication la plus probable d’un passage très obscur. — Il est à remarquer que la division des citoyens en centuries (έκατοστύες) régnait aussi à Byzantion : voir Inscript. n° 2060, ap. Bœckh, Corp. Inser. Græc., p. 130. Un citoyen d’Olbia, auquel est conféré le droit de cité de Byzantion, est autorisé à s’inscrire dans celle des έκατοστύες qu’il préfère.

[28] Diodore, XV, 81. Memnon, Fragm. c. 1 ; Isocrate, Epist. VII.

C’est ici que commencent les Fragments de Memnon, tels que Photius les a extraits (Cod. 224). Photius n’avait vu que les huit livres de l’Histoire d’Hêrakleia de Memnon (livres IX-XVI inclusivement), il n’avait vu ni les huit premiers livres (V. la fin de ses Excerpta de Memnon), ni ceux qui suivaient le seizième. C’est extrêmement à regretter en ce que la connaissance des affaires hérakléennes antérieures à Klearchos nous est interdite.

Il arrive assez souvent pour Photius qu’il ne possède pas un ouvrage entier, mais seulement des parties de cet ouvrage ; c’est un fait curieux, par rapport aux bibliothèques du neuvième siècle de l’ère chrétienne.

Les fragments de Memnon pris dans Photius sont réunis avec ceux de Nymphis et d’autres historiens d’Hêrakleia, et expliqués avec des notes et des citations utiles dans l’édition d’Orelli, aussi bien que par K. Müller, dans les Fragm., de Didot, Hist. Græc., t. III, p. 525. Memnon amenait son histoire jusqu’au temps de Jules César, et il parait avoir vécu peu après l’ère chrétienne. Nymphis (que probablement il copiait) était beaucoup plus ancien, ayant vécu vraisemblablement de 300 à 220 avant J.-C. environ (V. les quelques Fragments qui restent de lui, dans le même ouvrage, III, p. 12). L’ouvrage de l’auteur hêrakléota Herodôros semble avoir roulé complètement sur la question légendaire (V. Fragm. dans le même ouvrage, II, p. 27). Il était antérieur à Nymphis d’un demi-siècle.

[29] Suidas, v. Κλέαρχος.

[30] Polyen, II, 20, 1 ; Justin, XVI, 4. A quibus revoratur in patriam, per quos in arce collocatus fuerat, etc. — Æneas (Poliorkêtês, c. 12) cite cet acte comme un exemple de la faute commise par un parti politique, en introduisant un nombre de mercenaires trop grand pour qu’il pût le conduire ou le maintenir dans l’ordre.

[31] Justin, XVI, 4, 5 ; Théopompe, ap. Athenæ, III. p. 85, Fragm. 200, éd. Didot.

[32] Memnon, c. 1. La septième épître d’Isocrate, adressée à Timotheos, fils de Klearchos, reconnaît en général ce caractère du dernier, pour la mémoire duquel Isocrate désavoue toute sympathie.

[33] Memnon, c. 1 ; Justin, XVI, 5 ; Diodore, XVI, 36.

[34] Memnon, c. 2. — Dans la dynastie antigonide de Macédoine, nous lisons que Demêtrios, fils d’Antigonos Gonatas, mourut laissant son fils Philippe enfant. Antigonos appelé Doson, frère cadet de Demêtrios, prit la régence en faveur de Philippe ; il épousa la veuve de Demêtrios et eut d’elle des enfants ; mais il fut si désireux d’éviter à la succession de Philippe toute chance d’être troublée, qu’il refusa d’élever ses propres enfants (Porphyre, Fragm., ap. Didot, Fragm. Hist. Græc., vol. III, p. 701).

Dans le monde grec et romain, le père était généralement considéré comme ayant le droit de décider s’il voulait ou non élever un enfant nouveau-né. L’obligation n’était supposée commencer que quand il l’acceptait ou la sanctionnait, en prenant l’enfant dans ses bras.

[35] Memnon, c. 3. L’Épître d’Isocrate (VII) adressée à Timotheos pour recommander un ami est en harmonie avec ce caractère général, mais elle ne donne aucune nouvelle information. — Diodore compte Timotheos comme succédant immédiatement à son père, — en considérant Satyros simplement comme régent (XVI, 36).

[36] Nous entendons parler de Klearchos comme ayant assiégé Astakos (plus tard Nikomedia), — à l’extrémité intérieure de la baie nord-est de la Propontis, appelée le golfe d’Astakos (Polyen, II, 30, 3).

[37] Memnon, c. 1.

[38] Memnon, c. 20.

[39] Memnon, c. 3.

[40] Memnon, c. 3. Voir tome XVI, ch. 4 de cette Histoire.

[41] Memnon, c. 4.

[42] Strabon, XII, p. 565.

[43] Memnon, c. 1 — Cf. Diodore, XX, 53.

[44] Nymphis, Fragm. 16, ap. Athenæ, XII, p. 549 ; Ælien, V. H., IX, 13.

[45] Strabon, XII, p. 565. De même aussi Antioche, sur l’Oronte, en Syria, la grande fondation de Seleukos Nicator, fut établie sur l’emplacement d’une autre Antigonia ou à côté, fondée aussi antérieurement par Antigonos Monophtalmos (Strabon, XV, p. 750).

[46] Strabon, XII, p. 544.

[47] Memnon, c. 6.

[48] Memnon, c. 7, 8.

[49] Memnon, c. 9 ; Strabon, XII, p. 542.

[50] Memnon, c. 11.

[51] Memnon, c. 16. Les habitants de Byzantion achetèrent aussi pour une somme considérable la position importante appelée le Ίερόν, à l’entrée de l’Euxin, sur le côté asiatique (Polybe, IV, 50). — Ce sont de rares exemples, dans l’histoire ancienne, de cités acquérant un territoire ou des dépendances par achat. Des acquisitions furent faites souvent de cette manière par les cités libres allemandes, suisses et italiennes de l’Europe du moyen âge ; mais quant aux cités helléniques, je n’ai pas eu l’occasion de rapporter beaucoup d’affaires semblables dans le cours de cette Histoire.

[52] Memnon, c. 13 : Cf. Polybe, XVIII, 34.

[53] C’est une observation remarquable faite par Memnon, c. 19.

[54] Voir l’assertion de Polybe, XXII, 24.

[55] Comparer la position indépendante ut dominante occupée par Byzantion en 399 avant J.-C., ne reconnaissant aucun supérieur si ce n’est Sparte (Xénophon, Anabase, VII, 1), — avec sa condition dans le troisième siècle avant J.-C. — harcelée et pillée presque jusqu’aux portes de la ville par les Thraces et les Gaulois voisins, et n’achetant l’indépendance qu’au moyen de présents continuels d’argent : voir Polybe, IV, 45.

[56] Strabon, VII, p. 319. Philippe de Macédoine défit le prince scythe Atheas ou Ateas (vers 240 av. J.-C.) quelque part entre le mont Hæmus et le Danube (Justin, IX, 2). Mais les relations d’Ateas avec les villes d’Istros et d’Apollonia, qui, dit-on, amenèrent Philippe dans le pays, sont très difficiles à comprendre. Il est très probable que ces cités appelèrent Philippe pour être leur défenseur.

Dans l’Inscription, n° 2056 c. (dans le Corp. Inscript. de Bœckh, part, XI, p. 79), les cinq cités constituant la Pentapolis ne sont pas clairement nommées, Bœckh suppose que ce sont Apollonia, Mesembria, Odêssos, Kallatis et Tomi ; mais Istros semble plus probable que Tomi. Odêssos était sur le côté de la moderne Varna, où l’Inscription fut trouvée, bien au sud de la moderne ville d’Odessa, qui est sur l’emplacement d’une autre ville, Ordésos.

Une Inscription (2056) qui précède immédiatement celle que nous venons de citer, trouvée aussi Odêssos, contient un vote de remerciements, et d’honneurs adressé à un certain citoyen d’Antioche, qui résidait auprès de.... (nom imparfait), roi des Scythes, et qui rendait de grands services aux Grecs par son influence.

[57] Diodore, XIX, 73 ; XX, 25.

[58] Strabon, VII, p. 302-305 ; Pausanias, I, 9, 5.

[59] Diôn Chrysostome, Orat. XXXVI (Borysthenitica) p. 75, Reiske.

[60] Le tableau tracé par Ovide de sa situation comme exilé à Tomi ne peut jamais manquer d’intéresser le lecteur par la beauté et le bonheur seuls de l’expression ; mais il n’est pas moins intéressant, comme description réelle de l’Hellénisme dans sa dernière phase, dégradé et accablé par des destins contraires. La vérité du tableau d’Ovide est complètement appuyée par l’analogie d’Olbia, qui sera bientôt mentionnée. Ses plaintes traversent les cinq livres des Tristes et les quatre livres des Epistolæ ex Ponto (Tristes, V, 10, 15).

Des hordes innombrables, qui regardent comme un déshonneur de vivre autrement que de rapines, nous entourent et nous menacent de leurs agressions féroces. Nulle sûreté au dehors ; la colline sur laquelle je suis est à peine défendue par de chétives murailles, et par sa position naturelle. Un gros d'ennemis, lorsqu'on s'y attend le moins, fond tout à coup comme une nuée d'oiseaux, et a plus tôt enlevé sa proie qu'un ne s'en est aperçu ; souvent même, dans l'enceinte des murs, au milieu des rues, on ramasse des traits qui passent par-dessus les portes inutilement fermées. Il n'y a donc ici que peu de gens qui osent cultiver la campagne, et ces malheureux tiennent d'une main la charrue, et de l'autre un glaive ; c'est le casque en tête que le berger fait résonner ses pipeaux assemblés avec de la poix, et la guerre, au lien des loups, sème l'épouvante au sein des troupeaux timides. Les remparts de la place nous protégent à peine, et, même dans l'intérieur, une population barbare, mêlée de Grecs, nous tient encore en alarmes ; car des barbares demeurent ici confusément avec nous, et occupent plus de la moitié des habitations. Quand on ne les craindrait pas, on ne pourrait se défendre d'un sentiment d'horreur, à voir leurs vêtements de peaux, et cette longue chevelure qui leur couvre la tête. Ceux même qui passent pour être d'origine grecque ont échangé le costume de leur patrie contre les larges braies des Perses, etc.

C’est un spécimen pris dans beaucoup d’autres : Cf. Tristes, III, 10, 53 ; IV, 1, 67 ; Epist. Pont., III, 1.

Ovide insiste en particulier sur le fait que la langue barbare était à Tomi en proportion plus grande que la langue hellénique — L'élément grec s'efface, dominé par le gétique (Tristes, V, 2, 68). Des vêtements de laine, et la coutume de tisser et de Mer pratiquée par les femmes libres de la famille, étaient au nombre des circonstances les plus familières, de la vie grecque, l’absence de ces arts féminins et l’emploi de peaux ou de cuir pour les vêtements, étaient un abandon notable des habitudes grecques (Ex Ponto, III, 8) : La toison de leurs troupeaux est grossière, et les filles de Tomes n'ont jamais appris l'art de Pallas. Ici les femmes, au lieu de filer, broient sous la meule les présents de Cérès, et portent sur leur tête le vase où elles ont puisé l'eau.

[61] Hérodote, IV, 16-18. La ville était appelée Olbia par ses habitants, mais Borysthenês habituellement par les étrangers, bien qu’elle ne fût pas sur le Borysthène (Dniepr), mais sur la rive droite de l’Hypanis (Bug).

[62] Hérodote, IV, 76-80.

[63] Strabon, VII, p. 302 ; Skymnus de Chios, V, 112, qui habituellement suit Éphore. — Le rhéteur Diôn nous dit (Orat. XXXVII, init.) qu’il alla à Olbia afin de pouvoir se rendre chez les Getæ en passant par le pays des Scythes. Cela prouve que de son temps (vers l’année 100 de l’ère chrétienne) les Scythes ont dû être entre le Bug et le Dniester, les Getæ plus près du Danube, — précisément comme ils avaient été quatre siècles plus tôt. Mais beaucoup de hordes nouvelles étaient mêmes avec eux.

[64] Strabon, VII, p. 296-304.

[65] Cette inscription — n° 2058 — dans la Corp. Inscr. Græc. de Bœckh, part. XI, p. 121 sqq., — est au nombre des plus intéressantes (le cette belle collection. Elle consigne nu vote de reconnaissance et d’honneurs publics décerne à un citoyen d’Olbia nommé Protogenês, et énumère les importants services que lui aussi bien que son père avait rendus à la cité. Elle décrit ainsi les nombreuses situations difficiles dont il avait contribué à la tirer. Une vive peinture nous est présentée de la détresse de la cité.

L’introduction mise en avant par Bœckh (p. 86-89) est aussi très instructive.

On parle souvent d’Olbia en l’appelant Borysthenês, nom qui lui été donné par les étrangers, mais que les citoyens ne reconnaissaient pas. Elle n’était pas même située sur les bords du Borysthène, mais sur la rive droite ou occidentale de l’Hypanis (Bug), non loin de la ville moderne d’Oczakoff.

La date de l’inscription citée plus haut n’est pas spécifiée, mais elle a été déterminée différemment par divers critiques. Niebuhr l’assigne (Untersuchungen üeber die Skythen, etc., dans ses Kleine Schriften, p. 387) à une époque rapprochée de la fin de la seconde guerre Punique. Bœckh croit aussi que ce n’est pas beaucoup après cette époque. La terreur inspirée par les Gaulois, même aux autres barbares, parait convenir mieux au second siècle avant J.-C. qu’elle ne convient à une période postérieure.

L’Inscription n° 2039 atteste le grand nombre d’étrangers qui résidaient à Olbia, étrangers de dix-huit cités différentes, dont la plus éloignée est Milkos, la mère-patrie d’Olbia.

[66] Dans une occasion, nous rie savons pas quand, les citoyens d’Olbia furent, dit-on, attaqués par un certain Zopyriôn, et réussirent à lui résister seulement en affranchissant leurs esclaves et en accordant le droit de cité à des étrangers (Macrobe, Saturnales, I, 11).

[67] Diôn Chrysostome (Or. XXXVI, p. 75).

[68] Diôn Chrysostome, Orat. (XXXVI, Borysthenit.) p. 75, 76, Reiske.

[69] V. le Commentaire de Bœckh sur le langage et les noms personnels des Inscriptions olbiennes, part. XI, p. 108-116.

[70] Diôn, Orat. XXXVI (Borysthène) p. 78, Reiske. Je traduis les mots όλέγου πάντες, en faisant un peu la part de la rhétorique.

Le portrait que nous fait Diôn du jeune citoyen d’Olbia, — Kallistratos, — avec lequel il conversa, est curieux comme peinture des mœurs grecques dans ce pays éloigné : c’était un jeune homme de dix-huit ans, avec de véritables traits ioniens, et remarquable par sa beauté ; fanatique de littérature et de philosophie, mais surtout d’Homère ; revêtu du costume de l’endroit, bon pour un cavalier, — le long pantalon de cuir et un court manteau noir ; constamment à cheval pour défendre la ville, et célèbre comme guerrier, même à cet âge si peu avancë1, ayant déjà tué ou fait prisonniers plusieurs Sarmates (p. 77).

[71] V. Inscriptions, n° 2076, 2077, ap. Bœckh ; et le Périple de l’Euxin d’Arrien, ap. Geog. Minor., p. 21, éd. Hudson.

[72] Strabon, VII, p. 310.

[73] Diodore, XII, 31.

[74] V. l’appendice de M. Clinton sur les rois de Bosporos, — Fast. Hellen., Append., c 13, p. 280, etc., et le commentaire de Bœckh sur le même sujet, Inscript. Græc., part. XI, p. 91 sqq.

[75] Polybe énumère (IV, 38) les principaux articles de ce commerce du Pont, parmi les exportations τά τε δέρματα καί τό τών εϊς τάς δουλείας άγομένων σωμάτων πλήθος, etc., où Schweighauuser a changé δέρματα en θρέμματα, vraisemblablement sur l’autorité d’un seul Ms. Je doute de la convenance de ce changement, aussi bien que du fait d’une exportation de bétail vivant du Pont tandis que l’exportation (les peaux était considérable — V. Strabon, XI, p. 493.

On connaît bien les esclaves publics scythes ou agents de police d’Athènes. Σκύθαινα, aussi est le nom d’une femme esclave (Aristophane, Lysistrata, 184). Σκύθης, comme nom d’esclave, se rencontre déjà dans Théognis, V. 826.

Quelques-unes des préparations salées du Pont étaient d’une cherté excessive ; Caton se plaignait d’un κεράμιον Ποντικών ταρίχων vendu trois cents drachmes (Polybe, XXXI, 24).

[76] Harpocration et Photius, v. Νυμφαΐον, — d’après les ψηφίσματα réunis par Krateros. Cf. Bœckh, dans sa seconde édition de sa Staatshaushaltung der Athener, vol. II, p. 658.

[77] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 78, c. 57. Voir le tome XVII, ch. 2 de cette Histoire.

[78] Lysias, pro Mantitheo, Or. XVI, 4 ; Isocrate (Trapezitic.), Or. XVII, s. 5. Le jeune homme dont Isocrate expose l’affaire fût envoyé à Athènes par son père, Sopæos, riche grec du Pont (s. 52), fort avancé dans la confiance de Satyros. Sopæos fournit à son fils deux chargements de blé, et de l’argent en outre, et l’envoya ensuite à Athènes.

[79] Isocrate, Trapezit., s. 5, 6. Sopæos, père de ce plaideur, avait encouru les soupçons de Satyros dans le Pont, et avait été arrêté ; sur, quoi Satyros envoie à Athènes saisir les biens du fils, lui ordonner de revenir à Bosporos, — et s’il refusait, demander ensuite aux Athéniens de le lui livrer.

[80] Isocrate, Trapezit., s. 71. Démosthène reconnaît aussi des faveurs reçues de Satyros (adv. Leptinês, p. 467).

[81] Démosthène, adv. Leptinês, p. 467.

[82] Démosthène, adv. Leptinês, p. 469.

[83] Démosthène, adv. Phormion, p. 917 ; Dinarque, adv. Démosthène, p. 34. Le nom est Berisadês, tel qu’il est imprimé dans le discours ; mais il est évident que Parisadês est la personne désignée. V. Bœckh, Introd. ad Inscript., n° 2056, p. 92.

Dinarque affirme que Démosthène recevait annuellement de Bosporos un présent annuel de mille modii de blé.

[84] Démosthène, adv. Dionysodor., p. 1285.

[85] Strabon, VII, p. 310, 311.

[86] V. Inscriptions n° 2117, 2118, 2119, de la collection de Bœckh, p. 156. Dans les Memorabilia de Xénophon (II, 1, 10), Sokratês mentionne les Scythes comme exemple de peuple dominant, et les Mæotæ comme exemple de peuple sujet. Probablement cela se rapporte à la position des Grecs de Bosporos, qui payaient tribut aux Scythes, mais régnaient sur les Mæotæ. Le nom de Mæotæ semble borné aux tribus sur le côté asiatique du Palus Mæotis, tandis que les Scythes étaient sur le côté européen de cette mer. Sokratês et les Athéniens avaient de bons moyens pour avoir des renseignements sur la situation des Grecs de Bosporos et sur leurs voisins des deux côtés. Voir K. Neumann, Die Hellenen im Skythenlande, l. II, p. 216.

[87] Cette limite est attestée dans une autre Inscription, n° 2104, de la même collection. L’Inscription n° 2103, semble indiquer des mercenaires arkadiens au service de Leukôn ; au sujet des mercenaires, voir Diodore, XX, 22.

Parisadês I fût, dit-on, adoré comme dieu après sa mort (Strabon, VII, p. 310).

[88] Diodore, XX, 24. Le théâtre de ces opérations militaires (autant que nous pouvons prétendre rétablir d’après le bref et superficiel récit de Diodore) semble avoir été sur le côté européen de Bosporos, quelque part entre le Borysthène et l’isthme de Pérékop, dans le territoire appelé par Hérodote Hylæa. C’est l’opinion de Niebuhr, que je crois plus probable que celle de Bœckh, qui suppose que les opérations s’effectuèrent sur le territoire asiatique de Bosporos. Jusque-là je suis d’accord avec Niebuhr ; mais les raisons qu’il avance pour placer Dromichætês roi des Getæ (le vainqueur de Lysimachos) à l’est du Borysthène, ne sont nullement satisfaisantes.

Cf. les Untersuchungen über die Skythen de Niebuhr, etc. (dans ses Kleine Schriften, p. 380) avec le Commentaire de Bœckh sur les Inscriptions sarmates, corp. Ins. Græc., part. XI, P. 83-10.3.

La mention que fait Diodore d’une forteresse de bois, entourée de marais et de forêts, est curieuse, et peut être expliquée par la description que donne Hérodote (IV, 108) de la cité des Budini. Cette habitude, de construire des villes et des fortifications de bois, régna dans la population slave de Russie et de Pologne jusqu’à une époque très avancée dans le moyen age. V. Paul-Joseph Schaffarik, Slavische Alterthümer, dans la traduction allemande de Wuttke, vol. I, ch. 10, p. 192 ; et K. Neumann, Die Hellenen im Skythenlande, p. 91.

[89] Diodore, XX, 24.

[90] Diodore, XX, 25.

[91] Diodore, XX, 100. Spartokos IV, — fils d’Eumêlos, — est reconnu dans une inscription attique (n° 107) et dans diverses de Bosporos (n° 2105, 2106, 2120) de la collection de Bœckh. Parisadês II, — fils de Spartokos, — est reconnu dans une autre Inscription de Bosporos, n° 2107, — vraisemblablement aussi dans le n° 2120 b.

[92] Strabon, VII, p. 310. Cependant Dinarque appelle Parisadês, Satyros et Gorgippos, — τούς έχθίστους τύραννους (adv. Démosthène, s. 44).

[93] Strabon, VII, p. 310.

[94] Neumann, Die Hellellen im Skythenlande, p. 503.

[95] Un récit des diverses découvertes faites près de Kertch ou Pantikapæon se trouve dans Dubois de Montpéreux, Voyage dans le Caucase, vol. V, p. 135 sqq., et dans Neumann, Die Hellenen im Skythenlande, p. 483-533. L’ouvrage mentionné en dernier lieu est particulièrement abondant et instructif ; il se rapporte à ce qui a été fait depuis les voyages de Dubois, et il contient d’amples informations tirées des récents mémoires des sociétés littéraires de Saint-Pétersbourg.

Le type local et spécial, qui se montre si abondamment dans ces œuvres d’art, justifie l’induction qu’elles ne furent pas apportées d’autres cités grecques, mais qu’elles furent exécutées par des artistes grecs résidant à Pantikapæon (p. 507). On parle avec une admiration particulière de deux statues de marbre, un homme et une femme, tous deux plus grands que nature, exhumés en 1850 (p. 491). On a trouvé dans plusieurs chambres des monnaies du troisième et du quatrième siècle avant J.-C. (p. 494-495). On a aussi découvert un grand nombre de ce qu’on appelle vases étrusques, fabriqués probablement avec une espèce d’argile qui existe encore dans le voisinage ; les figures sur ces vases sont souvent excellentes, avec des dessins et des scènes très variés, de religion, de fêtes, de guerre, d’intérieur (p. 522). Beaucoup des sarcophages sont richement ornés de sculptures en bois, en ivoire, etc., quelques-unes admirablement exécutées (p. 521).

Par malheur, l’opinion règne et a longtemps régné parmi la population voisine que ces tumuli contiennent des trésors cachés. L’un des plus frappants dans le nombre, — appelé le Kul-Obo, — fût ouvert en 1830 par les autorités russes. Après beaucoup de, peine et de difficultés, on découvrit le moyen d’entrer, et on parvint à la chambre intérieurs. C’était la plus riche qui eût jamais été ouverte ; il se trouva qu’elle renfermait quelques magnifiques ornements d’or, aussi bien que beaucoup d’autres restes. Les officiers russes mirant une garde pour empêcher qui que ce fût d’y entrer ; mais la cupidité de la population de Kertch fut si allumée par la nouvelle que le trésor attendu était découvert, qu’elle força la garde, pénétra dans l’intérieur et pilla la plus grande partie du contenu (p. 509). Les autorités russes ont désiré en général conserver et fouiller graduellement ces monuments, mais elles ont eu à lutter contre la répugnance et même la rapacité de la part des gens d’alentour.

Dubois de Montpéreux fait une description intéressante de l’ouverture de ces tumuli près de Kertch, — en particulier du Kul-Obo, le plus riche de tous, qu’il croit avoir appartenu à l’un des rois spartokides, et dont les décorations étaient le produit de l’art hellénique :

Si l’on a enterré (fait-il observer) un roi entouré d’un luxe mythique, ce sont des Grecs et des artistes de cette nation qui ont travaillé à ses funérailles (Voyage autour au Caucase, pp. 195, 213, 227). Pantikapæon et Phanagoria (dit-il) se reconnaissent de loin à la foule de leurs tumulus (p. 137).

[96] Combien cette dégradation était marquée, c’est ce qu’on peut voir attesté par Denys d’Halicarnasse, De Antiquis Oratoribus, pp. 445, 446, Reiske. Cf. Denys, De Compos. Verbor., p. 29, 30, Reiske ; et Westermann, Geschichte der Griechischen Beredsamkeit, 5. 75-77.

[97] Homère, Iliade, VI, 97.

[98] Homère, Odyssée, XVII, 322.