HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-NEUVIÈME VOLUME

CHAPITRE II — DOMINATION MACÉDONIENNE EN GRÈCE (suite).

 

 

Cette convention rendit à Athènes en substance le gouvernement d’Antipater, sans toutefois les rigueurs qui en avaient marqué l’établissement primitif, — et avec quelques modifications à divers égards- Elle rendit Kassandre virtuellement maître de la cité (comme Antipater l’avait été avant lui) au moyen de la personne qu’il avait nommée pour gouverner, soutenue par la garnison et par la fortification de Munychia, qui avait été à ce moment très agrandie et fortifiée[1], et qui commandait de fait le Peiræeus, bien que ce port fût nominalement abandonné aux Athéniens. Mais il n’y eut ni massacre d’orateurs, ni expulsion de citoyens ; de plus, même le minimum de mille drachmes, fixé pour les droits politiques, tout en excluant la multitude, doit avoir été senti comme une amélioration, comparativement avec la limite plus élevée de deux mille drachmes prescrite par Antipater. Kassandre n’était pas comme son père, à la tête de forces écrasantes, maître de la Grèce. Il avait contre lui Polysperchôn, qui tenait la campagne avec une armée rivale et un ascendant établi dans un grand nombre des cités grecques ; il était donc de son intérêt de s’abstenir de mesures d’une dureté évidente à l’égard du peuple athénien.

Pour cette fin, le choix qu’il fit du Phaléréen Demêtrios parait avoir été judicieux.  Ce citoyen continua d’administrer Athènes, comme satrape ou despote ses Kassandre, pendant dix ans. C’était un homme de lettres accompli, ami et du philosophe Théophraste, qui avait succédé à l’école d’Aristote, — et du rhéteur Dinarque. On le représente aussi comme ayant des habitudes de dépense et de luxe, auxquelles il consacrait, si l’on doit en croire Duris, la plus grande partie du revenu public athénien, montant à douze cents talents. Son administration était, dit-on, discrète et modérée. Nous savons peu de chose de ses détails, mais on nous dit qu’il fit des lois somptuaires, restreignant en particulier les frais et la pompe des funérailles[2]. Il vanta lui-même sa propre période décennale comme une époque d’abondance et de commerce florissant à Athènes[3]. Mais nous apprenons par d’autres, et le fait est extrêmement probable, que ce fut une période de détresse et d’humiliation, tant à Athènes que dans d’autres cités grecques ; et que les Athéniens, aussi bien que d’autres, accueillirent de nouveaux projets de colonisation (tels que ceux d’Ophellas de Kyrênê) non simplement par espoir de trouver des avantages, mais comme moyen d’échapper aux maux actuels[4].

Quelles formes de démocratie nominale furent conservées pendant cet intervalle, c’est ce que nous ne pouvons découvrir. La justice populaire doit avoir été continuée pour procès et accusations privés, puisque Dinarque fut, dit-on, en grande vogue comme logographe, ou composant des discours pour d’autres[5]. Mais le fait que trois cent soixante statues furent élevées en l’honneur de Demêtrios pendant que son administration durait encore démontre la grossière flatterie de ses partisans, la soumission du peuple, et l’abolition pratique de toute censure exprimée librement ou opposition déclarée. Nous apprenons que dans quelqu’une des dix années de son administration, on fit un recensement dès habitants de l’Attique, et que l’on compta 21.000 citoyens, 10.000 metœki, et 400.000 esclaves[6]. Quant à cette importante énumération, nous connaissons le fait seul sans en savoir le but spécial, ni même la date précise. Il se peut que quelques-uns de ces citoyens qui avaient été bannis ou déportés à la fin de la guerre Lamiaque soient revenus et aient continué de résider à Athènes. Mais il parait cependant qu’il resta, pendant toute la durée de l’oligarchie de Kassandre, un corps d’exilés athéniens hostiles, guettant l’occasion de la renverser et cherchant du secours dans ce dessein chez les Ætoliens et chez d’autres peuples[7].

L’acquisition d’Athènes par Kassandre, suivie de la prise par ses armes de Panakton et de Salamis, et secondée par sa modération envers les Athéniens, lui valut un appui considérable dans le Péloponnèse, où il se rendit avec son armée[8] (automne 317 av. J.-C.). Beaucoup d’entre les cités, cédant à la crainte ou à la persuasion, se joignirent à lui et abandonnèrent Polysperchôn ; tandis que les Spartiates, sentant à ce moment pour la première fois leur condition sans défense, jugèrent prudent d’entourer leur ville de murs[9].

Ce fait, entre beaucoup d’autres du même temps, atteste fortement combien les sentiments caractéristiques du monde autonome hellénique étaient alors en train de mourir partout. Conserver Sparte comme ville sans murailles était une des traditions de Lykurgue les plus profondes et les plus chères ; preuve permanente de l’état de confiance et l’assurance des Spartiates contre des dangers du dehors. L’érection, des murs montrait leur conviction, qui n’était que trop bien appuyée par les circonstances réelles dont ils étaient entourés, que la pression de l’étranger était devenue écrasante qu’elle ne leur laissait pas même de sécurité chez eux.

La guerre entre Kassandre et Polysperchôn fut alors envenimée par une querelle qui s’éleva parmi les membres de. la famille royale macédonienne (automne 317 av. J.-C.). Le roi Philippe Aridæos et son épouse Eurydikê, alarmés et indignés du rétablissement d’Olympias que projetait Polysperchôn, sollicitèrent l’aide de Kassandre et essayèrent de mettre les forces de la Macédoine à sa disposition. Toutefois ils échouèrent dans cette tentative. Olympias, aidée non seulement par Polysperchôn, mais par le -prince épirote Æakidês, fit son entrée en Macédoine en quittant l’Epire, apparemment dans l’automne de 317 avant J.-C. Elle amenait avec elle Roxanê et son enfant, — la veuve et le fils d’Alexandre le Grand. Les soldats macédoniens, que réunirent Aridæos et Eurydikê pour lui résister, furent tellement terrifiés par son nom et par le souvenir d’Alexandre, qu’ils refusèrent de combattre et lui assurèrent ainsi une victoire facile. Philippe et Eurydikê devinrent ses prisonniers ; elle fit tuer le premier ; à la seconde elle offrit le choix entre l’épée, la corde ou le poison. La vieille reine se mit ensuite en devoir d’assouvir sa vengeance contre la famille d’Antipater. Cent Macédoniens de marque, amis de Kassandre, furent mis à mort, avec son frère Nikanor[10] ; tandis qu’on fit ouvrir le tombeau de son frère décédé Iollas, accusé d’avoir empoisonné Alexandre le Grand.

Pendant l’hiver (316 av. J.-C.), Olympias conserva ainsi un ascendant complet en Macédoine, où sa position semblait forte, vu que ses alliés les Ætoliens étaient maîtres du défilé des Thermopylæ, tandis que Kassandre était retenu dans le Péloponnèse par l’armée que commandait Alexandre, fils de Polysperchôn. Mais Kassandre se dégagea de ces embarras, et éludant les Thermopylæ, en se rendant par mer en Thessalia, s’empara des défilés Perrhæbiens ayant qu’ils fusent gardés, et entra en Macédoine sans rencontrer de résistance. Olympias, qui n’avait pas d’armée capable de lui tenir tête sur un champ de bataille, fut forcée de s’enfermer dans la forteresse maritime de Pydna, avec Roxanê,  Alexandre, l’enfant de cette dernière, et Thessalonikê, fille de son dernier époux Philippe, fils d’Amyntas[11]. Kassandre l’y tint enfermée pendant plusieurs mois par mer aussi bien que par terre, et réussit à déjouer tous les efforts que firent Polysperchôn et Æakidês pour la délivrer. Dans le printemps de l’année suivante (316 av. J.-C.), une intolérable famine la força de se rendre. Kassandre ne lui promit rien de plus que sa sûreté personnelle, exigeant, d’elle qu’elle livrât les deux grandes forteresses, Pella et Amphipolis, qui le rendirent maître de la Macédoine. Bientôt cependant les parents des nombreuses victimes qui avaient péri par ordre d’Olympias furent encouragés par Kassandre à demander sa vie comme vengeance. Ils eurent peu de peine à obtenir un verdict de condamnation contre elle de ce qu’on appela une assemblée macédonienne. Néanmoins le sentiment de terreur et de respect qui se rattachait à son nom était tel qu’on ne put trouver personne à l’exception de ces hommes offensés pour exécuter la sentence. Elle mourut avec un courage digne de son rang et de son caractère impérieux. Kassandre épousa Thessalonikê, — confina Roxanê et son enfant dans la forteresse d’Amphipolis, — où (après un certain intervalle) il les fit tuer tous deux[12].

Tandis que Kassandre était ainsi maître de la Macédoine, — et que la famille royale disparaissait de la scène dans ce pays, — la défaite et la mort d’Eumenês (qui arrivèrent presque au même moment qu’Olympias fut prise)[13] enlevèrent le dernier partisan fidèle de cette famille en Asie (315 av. J.-C.). Mais, en même temps, elles laissèrent dans, les mains d’Antigonos une prépondérance, si écrasante dans toute l’Asie, qu’il aspira à devenir le -vicaire et le maître de tout l’empire d’Alexandre, aussi bien qu’à venger sur Kassandre l’anéantissement de la famille royale. Sa puissance parut en effet si formidable, que Kassandre de Macédoine, Lysimachos de Thrace, Ptolemæos d’Égypte et Seleukos de Babylonie firent entre eux un accord qui se changea graduellement en une alliance active contre lui.

Pendant les luttes entre ces puissants princes, la Grèce paraît simplement comme un groupe de cités sujettes, que tous occupent, tiennent par des garnisons, s’efforcent d’avoir ou convoitent (315-314 av. J.-C.). Polysperchôn  renonçant à tout espoir en Macédoine après la mort d’Olympias, avait été forcé de se réfugier chez les Ætoliens, laissant son fils Alexandre soutenir la lutte de son mieux dans le Péloponnèse, de sorte que Kassandre eut alors un ascendant décidé d !une extrémité à l’autre des régions helléniques. Après s’être établi sur le trône de Macédoine, il perpétua son propre nom en fondant, sur l’isthme de la péninsule de Pallênê, et près de l’emplacement où avait été située Potidæa, la nouvelle cité de Kassandreia, dans laquelle il réunit un nombre considérable d’habitants du voisinage, et en particulier le reste des citoyens d’Olynthos et de Potidæa, — villes prises et détruites par Philippe plus de trente ans auparavant[14]. Il s’avança ensuite dans le Péloponnèse avec son armée contre Alexandre, fils de Polysperchôn. En traversant la Bœôtia, il entreprit de rétablir la cité de Thêbes, qui avait été détruite vingt ans auparavant par Alexandre le Grand, et avait toujours existé depuis seulement comme poste militaire dans l’antique citadelle appelée Kadmeia. Les autres villes bœôtiennes, auxquelles avait été assigné l’ancien territoire thêbain, furent persuadées ou contraintes de l’abandonner, et Kassandre appela de toutes les parties de la Grèce les exilés thêbains ou leurs descendants. Par sympathie pour ces exilés, et aussi à cause de l’ancienne célébrité de la cité, beaucoup de Grecs, même d’Italie et de Sicile, contribuèrent à ce, rétablissement. Les Athéniens, administrés actuellement par Demêtrios le Phaléréen, sous la suprématie de Kassandre, furent particulièrement empressés à concourir à cette œuvre ; les Messéniens et les Mégalopolitains, dont les ancêtres avaient tant dû au Thêbain Épaminondas, prêtèrent une aide énergique. Thèbes fut rétablie sur l’emplacement primitif où elle était située avant le siège d’Alexandre, et elle fut occupée par une garnison de Kassandre postée dans la Kadmeia, et destinée à commander la Bœôtia et la Grèce[15].

Après un certain séjour à Thèbes, Kassandre s’avança vers le Péloponnèse (314 av. J.-C.). Alexandre (fils de Polysperchôn) ayant fortifié l’Isthme, il fut forcé d’embarquer ses troupes avec ses éléphants à Megara et de traverser le golfe Saronique jusqu’à Epidauros. Il enleva à Alexandre Argos, la Messênia et même sa position sur l’Isthme, où il laissa un puissant détachement, et retourna ensuite en Macédoine[16]. L’accroissement de sa puissance fit naître à la fois la crainte et la haine dans le cœur d’Antigonos, qui essaya d’entrer en arrangements avec lui, mais en vain[17]. Kassandre préféra s’allier avec Ptolemæos, Seleukos et Lysimachos, — contre Antigonos qui, à ce moment, était maître de presque toute l’Asie, et inspirait à tous une haine commune[18]. En conséquence, Antigonos envoya d’Asie dans le Péloponnèse, avec des armes et de l’argent, le Milésien Aristodêmos pour renforcer Alexandre contre Kassandre que, de plus, il dénonça comme ennemi du nom macédonien pour avoir tué Olympias, emprisonné les autres membres de la famille royale et rétabli les exilés olynthiens. Il fit condamner Kassandre absent par ce qu’on appelait une assemblée macédonienne, sur ces accusations, et d’autres encore.

En outre, Antigonos annonça, par la voix de cette assemblée, que tous les Grecs seraient libres, autonomes et exempts de garnisons ou occupation militaire[19]. On espérait que ces brillantes promesses recruteraient des partisans en Grèce contre Kassandre ; conséquemment Ptolemæos, maître de l’Égypte, l’un des ennemis d’Antigonos, jugea à propos de publier de semblables proclamations peu de mais après, offrant de sa part aux Grecs la même faveur[20]. Ces promesses, qui ne furent pas remplies et qui n’étaient pas destinées à l’être, ni par l’un ni par l’autre de ces rois, paraissent avoir produit peu ou point d’effet sur les Grecs.

L’arrivée d’Aristodêmos dans le Péloponnèse avait ranimé le parti d’Alexandre (fils de Polysperchôn), contre qui Kassandre fut obligé encore d’amener toutes ses forces de Macédoine. Bien qu’heureux contre Alexandre à Argos, à Orchomenos et dans d’autres endroits, Kassandre ne fût pas en état de l’écraser, et bientôt il jugea prudent de le gagner. Il lui offrit le gouvernement séparé du Péloponnèse, bien que subordonné à lui-même Alexandre accepta l’offre, en devenant l’allié de Kassandre[21], et il fit la guerre, conjointement avec lui, à Aristodêmos, avec des succès variés, jusqu’à ce qu’il fût assassiné bientôt par quelques ennemis privés. Néanmoins sa veuve Kratesipolis, femme de courage et d’énergie, se maintint à Sikyôn avec des forces considérables[22]. Les ennemis les plus obstinés d’Alexandre furent les Ætoliens, que nous entendons pour la première fois mentionner formellement comme une confédération indépendante[23]. Ces Ætoliens devinrent les alliés d’Aristodêmos comme ils l’avaient été auparavant de Polysperchôn, ravageant le pays en pillards même aussi loin qu’Athènes. Protégés contre des garnisons étrangères, en partie par leurs habitudes grossières et farouche, en partie par leur territoire montagneux, ils étaient presque les seuls Grecs que l’on pût encore appeler libres. Kassandre essaya de les tenir en échec au moyen de leurs voisins les Akarnaniens, qu’il engagea à- adopter une habitude plus concentrée de résidence, en réunissant leurs nombreux petits municipes en quelques villes considérables, — Stratos, Sauria et Agrinion, — postes convenables pour des garnisons macédoniennes. Il s’empara aussi de Leukas, d’Apollonia et d’Epidamnos, en défaisant le roi illyrien Glaukias, de sorte que sa domination s’étendait depuis le golfe Thermaïque jusqu’au golfe Adriatique[24]. Son général Philippe remporta deux importantes victoires sur les Ætoliens et les Épirotes, et força les premiers à abandonner deux de leurs villes les plus accessibles[25].

La puissance d’Antigonos en Asie subit une diminution considérable par l’établissement heureux et permanent que Seleukos acquit actuellement en Babylonie, événement auquel l’ère des Seleukidæ suivants doit son origine (312 av. J.-C.). Toutefois, en Grèce, Antigonos gagna du terrain sur Kassandre. Il y envoya son neveu Ptolemæos avec une armée considérable pour délivrer les Grecs, ou, en d’autres termes, pour chasser les garnisons de Kassandre, tandis qu’en même temps il détourna l’attention de ce dernier en menaçant de franchir l’Hellespont et d’envahir la Macédoine. Ce Ptolemæos (non l’Égyptien) chassa les soldats de Kassandre de l’Eubœa, de la Bœôtia et de la Phokis. Chalkis, en Eubœa, était à ce moment la principale station militaire de Kassandre ; Thèbes (qu’il avait récemment rétablie) était en alliance avec lui ; mais les autres villes bœôtiennes lui étaient hostiles. Ptolemæos ayant pris Chalkis, — dont il se concilia les citoyens en ne mettant pas chez eux de garnison, — ainsi qu’Orôpos, Eretria et Karystos — entra en Attique et se présenta devant Athènes. Il se manifesta dans la cité une telle disposition à traiter avec lui, que Demêtrios le Phaléréen fut obligé de gagner du temps en prétendant qu’il ouvrait des négociations avec Antigonos, pendant que Ptolemæos quittait l’Attique. Presque à la même époque, Apollonia, Epidamnos et Leukas trouvèrent moyen, avec l’aide d’un armement de. Korkyra, de chasser les garnisons de Kassandre, et d’échapper à sa domination[26]. Les affaires d’Antigonos prospéraient alors en Grèce, mais elles furent fort compromises par le mécontentement et la trahison de son amiral Telesphoros, qui s’empara d’Elis, et pilla même les trésors sacrés d’Olympia, bientôt Ptolemæos l’accabla, et rendit ces trésors au dieu[27].

L’année suivante (311 av. J.-C.), il fut conclu entre Antigonos d’un côté, — et Kassandre, Ptolemæos (l’Égyptien) et Lysimachos de l’autre, une convention en vertu de laquelle le commandement suprême en Macédoine fut garanti à Kassandre jusqu’à la majorité d’Alexandre, fils de Roxanê, la Thrace étant en même temps assurée à Lysimachos, l’Égypte à Ptolemæos, et toute l’Asie à Antigonos. Dans le même moment, il fut convenu entre tous que les cités helléniques seraient libres[28]. Toutefois, rien ne fut fait actuellement pour l’exécution de cette dernière clause. Et il ne paraît pas que le traité ait eu aucun autre effet, si ce n’est d’inspirer à Kassandre plus de jalousie pour Roxanê et son enfant, que (ainsi qu’il a été déjà raconté) il fit assassiner secrètement peu après, par le gouverneur Glaukias, dans la forteresse d’Amphipolis, où ils avaient été renfermés[29]. Les forces d7Antigonos, sous-sol général Ptolemæos, restèrent encore en Grèce. Mais ce général se révolta (310 av. J.-C.) bientôt contre Antigonos, et les fit servir à coopérer avec Kassandre, tandis que Ptolemæos d’Égypte, accusant Antigonos d’avoir contrevenu au traité en mettant des garnisons dans diverses cités grecques, renouvela la guerre et la triple alliance contre lui[30].

Polysperchôn, — qui avait jusque-là conservé une domination locale sur diverses parties du Péloponnèse, avec des forces militaires distribuées dans Messênê et dans d’autres villes[31], — fut alors encouragé par Antigonos à épouser la cause d’Hêraklês (fils d’Alexandre et de Barsinê) et à le placer sur le trône de Macédoine en opposition à Kassandre. Ce jeune prince Hêraklês, âgé alors de dix-sept ans, fut,envoyé en Grèce de Pergamos en Asie, et ses prétentions au trône furent appuyées non seulement par un parti considérable en Macédoine même, mais encore par les Ætoliens. Polysperchôn envahit la Macédoine avec de favorables espérances de rétablir le jeune prince ; cependant il crut avantageux d’accepter des propositions perfides de Kassandre, qui lui offrit une part dans la souveraineté de la Macédoine, avec une armée indépendante et l’empire dans le Péloponnèse. Polysperchôn, tenté par ces offres, assassina Ie jeune prince Hêraklês, et retira son armée vers le Péloponnèse. Mais il trouva une opposition inattendue, dans sa marche à travers la Bœôtia, de la part des Bœôtiens et des Péloponnésiens, au point qu’il fut forcé de prendre ses quartiers d’hiver en Lokris[32] (309 av. J.-C.). A partir de ce moment, autant que nous pouvons l’établir, il commanda dans la Grèce méridionale comme allié subordonné ou associé de Kassandre[33], dont l’empire macédonien confirmé ainsi semble avoir compris l’Akarnania, et Amphipolis sur le golfe Ambrakien, avec la ville d’Ambrakia elle-même, et une suprématie sur une grande partie des Épirotes.

L’assassinat d’Hêraklês fut bientôt suivi de celui de Kleopatra, sœur d’Alexandre le Grand, et fille de Philippe et d’Olympias (308 av. J.-C.). Elle avait été pendant quelque temps, à Sardes, nominalement en liberté, toutefois sous la surveillance du gouverneur, qui recevait ses ordres d’Antigonos ; elle se préparait, en ce moment, à quitter cette -ville, dans le dessein de rejoindre Ptolemæos en Égypte et de devenir son épouse. Elle avait été demandée comme auxiliaire, ou recherchée en mariage, par plusieurs des grands chefs macédoniens, sans aucun résultat. Actuellement, toutefois, Antigonos, effrayé de l’influence que le nom de cette princesse pouvait mettre dans la balance en -faveur de son rival Ptolemæos, là fit tuer secrètement comme elle se préparait à partir, jetant le blâme de cet acte sur quelques-unes de ses femmes, qu’il punit de mort[34]. Tous les parents d’Alexandre le Grand — à l’exception de Thessalonikê, épouse de Kassandre, fille de Philippe et d’une maîtresse thessalienne —, avaient alors péri successivement, et tous par les ordres de l’un ou de l’autre de ses principaux officiers. La famille royale, avec le prestige de son nom, finit ainsi.

Ptolemæos d’Égypte fit voile en ce moment pour la Grèce avec un puissant armement. Il acquit la possession des importantes cités de Sikyôn et de Corinthe, — qui lui furent remises par Kratesipolis, veuve d’Alexandre- fils de Polysperchôn. Il fit alors connaître, par une proclamation, ses desseins comme libérateur, demandant le secours des cités péloponnésiennes elles-mêmes contre les garnisons de Kassandre. Il reçut de quelques-unes des réponses et des promesses encourageantes ; mais aucune d’elles ne fit un mouvement, ni ne le seconda par des démonstrations armées. Aussi jugea-t-il prudent de conclure une trêve avec Kassandre et de quitter la Grèce, en laissant toutefois des garnisons sûres dans Sikyôn et dans Corinthe[35]. Les cités grecques étaient devenues alors dociles et passives. Se sentant hors d’état de se défendre elles-mêmes, et contraires à des efforts auxiliaires, qui ne leur attiraient que de l’inimitié sans aucune perspective d’avantage, — elles n’attendaient que le retour successif d’une intervention étrangère et les ordres des potentats qui les entouraient. :

Toutefois, l’ascendant de Kassandre en Grèce fut, l’année suivante, exposé à un choc plus grave, qu’il n’en avait encore reçu, par l’invasion soudaine de Demêtrios, appelé Poliorkêtês, fils d’Antigonos (307 av. J.-C.). Ce jeune, prince, partant d’Ephesos avec un armement formidable, s’arrangea pour cacher si bien ses desseins, qu’il entra réellement dans le port de Peiræeus (le 26 du mois thargelion, — mai) sans être attendu, ni rencontrer de résistance ; sa flotte étant prise pour celle de Ptolemæos d’Égypte. Demêtrios le Phaléréen, pris à l’improviste, et essayant trop tard de garder le port, se vit forcé de le laisser au pouvoir de l’ennemi ; tandis que Denys, le gouverneur de Kassandre, se maintint avec sa garnison dans Munychia, sans avoir toutefois d’armée capable de rencontrer les envahisseurs en rase campagne, Ce Phaléréen accompli, qui avait administré la cité pendant dix ans comme vice-roi de Kassandre et avec ses forces, sentit alors que sa position et son influence à Athènes étaient renversées, et sa sécurité personnelle même compromise. Lui et d’autres Athéniens allèrent le lendemain en députation pour savoir quelles conditions seraient accordées. Lejeune prince déclara fastueusement que, l’intention de son père Antigonos et de lui-même était de rendre et de garantir aux Athéniens une liberté et une autonomie entières. Aussi le Phaléréen Demêtrios prévit-il que ses adversaires à. l’intérieur, condamnés comme ils l’avaient été à un silence forcé pendant les dix dernières années, se déclareraient actuellement avec une irrésistible violence, de sorte qu’il n’y avait de salut pour lui que dans la retraite. Conséquemment, il demanda à l’envahisseur la permission, qu’il obtint, de se retirer à Thèbes, d’où il se rendit, bientôt après, chez Ptolemæos, en Égypte. Les Athéniens de la cité se déclarèrent en faveur de Demêtrios Poliorkêtês, qui refusa toutefois d’entrer dans les murs jusqu’à ce qu’il eût assiégé et pris Munychia, aussi bien que’ Megara, avec leurs garnisons établies par Kassandre. En peu de temps il accomplit ces deux objets. Dans le fait, l’énergie, l’habileté et l’emploi efficace d’engins, en assiégeant des villes fortifiées, étaient au nombre des traits les plus remarquables de son caractère, et lui valurent le surnom sous lequel il est connu dans l’histoire. Il déclara les Mégariens libres, rasa les fortifications de Munychia, comme gage donné aux Athéniens qu’ils seraient délivrés à l’avenir de toute garnison étrangère[36].

Après ces succès, Demêtrios Poliorkêtês fit son entrée triomphale dans Athènes (307 av. J.-C.). Il annonça au peuple, dans une assemblée régulière, qu’il était actuellement redevenu une démocratie libre, délivrée de toute domination, soit de soldats du dehors, soit d’oligarques à l’intérieur. Il lui promit aussi un nouveau don de la part de son père Antigonos et de la sienne, — 150.000 Médimnes de blé à distribuer, et une quantité de bois suffisante Pour construire cent trirèmes. Ces deux nouvelles furent reçues avec des transports de reconnaissance. Les sentiments du peuple furent attestés, non seulement par des votes, de remerciements et d’admiration à l’égard du jeune vainqueur, mais encore par des effusions d’une flatterie exorbitante et sans mesure. Stratoklês — que nous avons déjà vu comme l’un des accusateurs de Démosthène dans l’affaire harpalienne — et d’autres usèrent de toutes les ressources de leur imagination pour inventer de nouvelles variétés de compliment et d’adulation. On proclama qu’Antigon6s et Demêtrios étaient non seulement des rois, mais des Dieux et des Sauveurs : on devait élire annuellement un grand prêtre de ces sauveurs, d’après lequel on devait nommer chaque aimée successive — au lieu de la nommer d’après le premier des neuf archontes, comme c’avait été jusqu’alors la coutume —, et rappeler les dates des décrets et des contrats ; on changea là nom de Munychion en Demetrion, — on établit deux nouvelles tribus, qui devaient être appelées Antigonis et Demetrias, outre les dix précédentes : — on arrêta que le sénat annuel se composerait de six cents membres au lieu de cinq cents ; les portraits et les exploits d’Antigonos et de Demêtrios durent être tissés, avec ceux de Zeus et d’Athênê, dans la magnifique et volumineuse robe portée périodiquement en procession, comme offrande à la fête Panathénaïque ; l’endroit où Demêtrios était descendu de son char fut consacré par un autel élevé en l’honneur de Demêtrios Katæbatês, ou qui descend. On rendit plusieurs autres votes semblables, reconnaissant et adorant comme dieux les Sauveurs Antigonos et Demêtrios. Bien plus, on nous dit qu’on vota des temples ou des autels à Phila-Aphroditê, en l’honneur de Phila, l’épouse de Demêtrios, et qu’on rendit le même hommage à ses deux maîtresses, Leæna et Lamia. Des autels furent, dit-on, dédiés aussi à Adeimantos et à d’autres, ses compagnons de table ou flatteurs[37]. En même temps, on renversa les nombreuses statues qui avaient été élevées en l’honneur du Phaléréen Demêtrios pendant son gouvernement décennal, don en appliqua même quelques-unes à d’ignobles usages, afin de couvrir l’ancien maître d’un dédain plus grand[38]. Les démonstrations de flatterie servile à Athènes, à l’égard de Demêtrios Poliorkêtês, furent en effet exagérées d’une façon si extravagante, qu’il en fut lui-même dégoûté, dit-on, et qu’il exprima son mépris pour ces Athéniens dégénérés de son temps[39].

En examinant ces actes dégradants, nous devons nous rappeler que trente et un ans s’étaient alors écoulés depuis la bataille de Chæroneia, et que, pendant tout ce temps, les Athéniens avaient été sous l’ascendant réel et sous la pression sans cesse croissante de potentats étrangers (307 av. J.-C.). Le sentiment de cette dépendance à l’égard de la Macédoine avait été continuellement fortifié par tous les événements subséquents, — par la prise et la destruction de Thèbes et par les écrasantes conquêtes d’Alexandre qui suivirent, — par l’issue, déplorable de la guerre Lamiaque, les meurtres des orateurs au libre langage, la mort des chefs militaires énergiques et la déportation de citoyens athéniens, — en dernier lieu, par la présence continue d’une garnison macédonienne dans Peiræeus ou dans Munychia. Phokiôn, Demêtrios le Phaléréen et les autres principaux hommes d’État de cette longue période, avaient inculqué la soumission à la Macédoine comme une vertu, tandis que le souvenir de la dignité et de la grandeur de l’ancienne Athènes autonome avait été effacé ou dénoncé comme un rêve funeste. Les quinze années entre la fin de la guerre Lamiaque et l’arrivée de Demêtrios Poliorkêtês (322-307 av. J.-C.) n’avaient vu, ni libre jeu, ni discussion et expression publiques d’opinions en conflit : on doit excepter la courte période pendant laquelle Phokiôn fut condamné ; mais elle dura seulement assez longtemps pour laisser place à l’explosion d’une antipathie préconçue, mais étouffée.

Pendant ces trente années, dont la dernière moitié avait été une aggravation de la première, une nouvelle génération d’Athéniens avait grandi, accoutumée à une phase changée d’existence politique. Combien peu de ceux qui reçurent Demêtrios Poliorkêtês avaient pris part à la bataille la Chæroneia, ou entendu les exhortations stimulantes de Démosthène dans la guerre qui précéda ce désastre[40] ! Des citoyens qui conservaient encore du courage et du patriotisme pour défendre leur liberté après la mort d’Alexandre, combien ont dû périr, avec, Leosthenês., dans la guerre Lamiaque ! Les Athéniens de 317 avant J.-C. en étaient venus à regarder leur propre cité, et la Hellas en général, comme dépendantes d’abord de Kassandre, ensuite de l’intervention possible de ses rivaux, également présomptueux, Ptolemæos, Antigonos, Lysimachos, etc. S’ils secouaient le joug d’un potentat, ils ne pouvaient exister que grâce au protectorat d’un autre. Le sentiment de la confiance en soi-même et de l’autonomie politique avait disparu ; l’idée de forces militaires composées de citoyens, et fournies par des cités confédérées et agissant de concert, avait été remplacée par le spectacle de vastes armées permanentes, organisées par les héritiers d’Alexandre et de ses traditions.

Deux siècles auparavant (510 av. J.-C.), quand les Lacédæmoniens chassèrent d’Athènes le despote Hippias et ses mercenaires, il s’éleva immédiatement, dans le peuple athénien, un patriotisme ardent et dévoué, qui le disposa à braver, et le rendit capable de détourner, tous les dangers pour défendre sa liberté nouvellement acquise[41]. A cette époque, les ennemis qui le menaçaient étaient les Lacédæmoniens, les Thêbains, les Æginètes, les Chalkidiens et autres — car l’armée persane ne se présenta qu’après quelque intervalle, et attaqua, non pas Athènes seule, mais la Grèce collectivement. Ces forces hostiles, bien que supérieures en nombre et en valeur apparente à celles d’Athènes, n’étaient cependant pas assez disproportionnées pour engendrer le découragement et le désespoir. Très différents furent les faits en 307 avant J.-C., lorsque Demêtrios Poliorkêtês éloigna les mercenaires de Kassandre, fit disparaître Munychia, leur forteresse, et proclama les Athéniens libres. Conserver cette liberté par leur propre force, — en opposition à l’évidente supériorité des forces organisées possédées partout par les potentats, dont un ou plusieurs occupaient militairement presque toute la Grèce, — c’était une entreprise trop désespérée pour qu’elle eût été tentée, même par des hommes tels que les combattants de Marathôn ou les contemporains de Periklês. Ceux qui voulaient être libres devaient eux-mêmes frapper le coup ! Mais les Athéniens n’avaient pas assez de force pour le frapper, et la liberté proclamée par Demêtrios Poliorkêtês était une faveur qui dépendait de lui quant à sa mesure, et même quant à sa durée. L’assemblée athénienne fût tenue à ce moment sous son armée, en tant que maîtresse de l’Attique, comme elle l’avait été, peu de mois auparavant, sous les forces dominantes du Phaléréen Demêtrios, avec le gouverneur de Munychia nommé par Kassandre ; et les votes les plus honteux d’adulation proposés en l’honneur de Demêtrios Poliorkêtês, bien que désapprouvés  peut-être par beaucoup de gens, ne devaient pas trouver, sans doute, un seul adversaire déclaré.

Toutefois, il y eut un homme qui osa s’opposer à plusieurs de ces votes, — ce fut le neveu de Démosthène, — Democharês, qui mérite d’être rappelé comme le dernier orateur connu du libre droit de cité athénien. Nous savons seulement que telle était sa politique générale, et que soli opposition à l’obséquieux rhéteur Stratoklês aboutit à un bannissement, quatre ans plus tard[42]. Il paraît qu’il remplit les fonctions de général pendant cette période, — qu’il se montra actif en renforçant les fortifications et l’équipement militaire de la cité, — et qu’il fût employé dans des missions à l’occasion[43].

Le changement dans la politique athénienne se manifesta par une accusation contre Demêtrios le Phaléréen et d’autres principaux partisans du dernier gouvernement, celui de Kassandre. Lui et beaucoup d’autres s’étaient exilés volontairement ; quand arriva le moment de leur procès, ils ne se présentèrent pas, et furent tous condamnés à mort. Mais tous ceux qui restèrent et parurent en justice furent acquittés[44], tant il y eut peu de violence réactionnaire dans cette occasion. Stratoklês proposa aussi un décret, à l’effet de perpétuer le souvenir de l’orateur Lykurgue (mort depuis dix-sept ans environ) par une statue, par une inscription d’honneur et par la faveur d’être nourri dans le Prytaneion accordée à l’aîné de ses descendants survivants[45]. Parmi ceux qui accompagnèrent le Phaléréen Demêtrios en exil, était le rhéteur ou logographe Dinarque.

L’amitié de ce funeste Phaléréen, et de Kassandre aussi pour le philosophe Théophraste, semble avoir été une des principales causes qui firent voter une loi restrictive contre la liberté de philosopher. Il fut décrété, sur la proposition d’un citoyen nommé Sophoklês, qu’il ne serait permis à aucun philosophe d’ouvrir une école ni d’enseigner, si ce n’est en vertu d’une sanction spéciale obtenue par un vote du sénat et du peuple. Le dégoût et l’appréhension que causa cette nouvelle restriction furent tels, que tous les philosophes quittèrent Athènes d’un commun accord. Cette protestation courageuse contre une restriction péremptoire apportée à la liberté de la philosophie et de l’enseignement trouva de l’écho dans la sympathie des Athéniens. La célébrité des écoles et des professeurs était, en effet, la seule marque caractéristique de dignité qui leur restât encore, — alors que leur puissance était anéantie, et que même leur indépendance et leur libre constitution avaient dégénéré et n’étaient plus qu’un vain mot. C’était, en outre, ce qui attirait le plus les jeunes gens, qui venaient de toutes les parties de la Grèce pour visiter Athènes, En conséquence, à peine une année s’était-elle passée, que Philôn, — attaquant Sophoklês, l’auteur de la loi, en vertu de la Graphê Paranomôn, — détermina le dikasterion à le trouver coupable et à le condamner à une amende de cinq talents. La loi restrictive étant ainsi abrogée, les philosophes revinrent[46]. Il est à remarquer que Democharês se mit en avant comme l’un de ses avocats, en défendant Sophoklês contre l’accusateur Philôn. D’après le peu qui reste du discours de Democharês, nous reconnaissons que, tout en critiquant les opinions non moins que le caractère de Platon et d’Aristote, il dénonçait avec plus d’amertume encore leurs élèves, comme étant, pour la plupart, des hommes ambitieux, violents et traîtres. Il citait par leurs noms plusieurs d’entre eux, qui avaient renversé la liberté de leurs cités respectives et commis de graves outrages à l’égard de leurs concitoyens[47].

Des députés athéniens furent dépêchés à Antigonos en Asie pour lui attester la gratitude du peuple et lui communiquer les votes récents d’honneur (307 av. J.-C.). Non seulement Antigonos les reçut gracieusement, mais, il envoya à Athènes, suivant la promesse faite par son fils, un présent considérable de 150.000 médimnes de froment, avec du bois suffisant pour construire 100 vaisseaux. En même temps, il ordonna à Demêtrios de réunir à Athènes un congrès de députés des cités grecques alliées, dans lequel on pourrait prendre des résolutions pour les intérêts communs de la Grèce[48]. Il était de son intérêt en ce moment d’élever en Grèce une autorité temporaire qui se soutint seule, en vue de maintenir l’alliance avec lui-même pendant l’absence de Demêtrios ; car il était obligé de faire venir en Asie avec son armée ce dernier, dont les services lui étaient nécessaires pour la guerre contre Ptolemæos en Syria et dans l’île de Kypros.

Voici comment Demêtrios occupa les trois années suivantes : — 1° Il fit près de Kypros des opérations victorieuses, dans lesquelles il défit Ptolemæos, et se rendit maître de l’île ; puis Antigonos et Demêtrios prirent le titre dé rois, et leur exemple fut suivi par Ptolemæos en Égypte, — par Lysimachos en Thrace, — et par Seleukos en Babylonia, en Mesopotamia et en Syria[49], — abolissant ainsi le souvenir honorifique de la famille d’Alexandre. 2° Il tenta sans succès en Égypte, par terre et par mer, une invasion, qui fut repoussée avec de grandes pertes. 3° Il assiégea Rhodes. Les intelligents et braves citoyens de cette île résistèrent pendant plus d’un an aux plus vigoureuses attaques et au plus formidable attirail de siège de Demêtrios Poliorkêtês. Cependant tous leurs efforts auraient été vains s’ils n’eussent été aidés par des renforts et des provisions considérables que leur envoyèrent Ptolemæos, Lysimachos et Kassandre. Telles sont les conditions qui actuellement restent seules aux plus résolus et aux, plus intelligents des Grecs pour conserver leur sphère circonscrite d’autonomie. A la fin, le siège se termina par un compromis ; les Rhodiens consentirent à s’inscrire comme alliés de Demêtrios, à condition toutefois de ne pas agir contre Ptolemæos[50]. Ils poussèrent leur dévouement reconnaissant à l’égard de ce dernier jusqu’à lui élever un temple, appelé le Ptolemæon, et à l’adorer (sous la sanction de l’oracle d’Ammon) comme un dieu[51]. Au milieu des rochers et des écueils où les cités grecques furent alors condamnées à gouverner, menacées de tous les côtés par des rois plus puissants qu’elles-mêmes, et plus tard par la gigantesque république romaine, — les Rhodiens conduisirent leur barque politique avec plus de prudence et de dignité qu’aucune autre cité grecque.

Peu après que Demêtrios eut quitté la Grèce pour se rendre à Kypros, Kassandre et Polysperchôn renouvelèrent la guerre dans le Péloponnèse et dans son voisinage[52] (307-303 av. J.-C.). Nous ne découronner aucun détail relativement à cette guerre. Les Ætoliens furent en hostilité avec Athènes et commirent des déprédations fâcheuses[53]. La flotte d’Athènes, réparée ou accrue, grâce au bois reçu d’Antigonos, dut fournir trente quadrirèmes pour assister Demêtrios dans l’île de Kypros, et fut employée dans certaines opérations près de l’île d’Amorgos, où elle essuya une défaite[54]. Mais nous ne pouvons r6cofi-naître que peu de chose relativement à la marche de la guerre, si ce n’est que Kassandre gagna du terrain sur les Athéniens,  et que, vers le commencement de 303 avant J.-C., il bloquait ou menaçait de bloquer Athènes. Les Athéniens invoquèrent l’aide de Demêtrios Poliorkêtês qui, ayant récemment conclu un accommodement avec les Rhodiens, revint d’Asie, avec une armée et une flotte puissantes, à Aulis en Bœôtia[55]. Il fut reçu à Athènes avec des démonstrations d’honneur égales ou supérieures à celles qui avaient marqué sa  visite antérieure. Il semble avoir passé une année et demie, en partie à Athènes, en partie dans des opérations militaires faites avec succès dans beaucoup de parties de la Grèce. Il força les Bœôtiens à évacuer la cité eubœenne de Chalkis, et à renoncer à leur alliance avec Kassandre. Il repoussa de prince de l’Attique, — chassa ses garnisons des deux forteresses frontières de ce pays, — Phylê et Panakton, — et le poursuivit jusqu’aux Thermopylæ. Il prit où obtint, en corrompant les garnisons, les villes importantes de Corinthe, d’Argos et de Sikyôn, et se rendit maître également d’Ægion, de Bura, de toutes les villes arkadiennes (à l’exception de Mantineia) et de diverses autres villes du Péloponnèse[56]. Il célébra, comme président, la grande fête des Heræa à Argos, occasion dans laquelle il épousa Deidameia, sœur de Pyrrhus, le jeune roi d’Épire. Il détermina les Sikyoniens à transporter à une petite distance l’emplacement de leur cité, en donnant à la nouvelle ville le nom de Demetrias[57]. A un congrès de Grecs, réuni à Corinthe sur ses propres lettres d’invitation, il reçut par acclamation le titre de chef ou empereur des Grecs, qui avait été conféré à Philippe et à Alexandre. Il étendit même ses attaques jusqu’à Leukas et à Korkyra. La plus grande partie de la Grèce paraît avoir été ou occupée par ses garnisons ou inscrite parmi ses subordonnés.

Kassandre fut tellement intimidé par ces succès, qu’il envoya à Athènes des députés pour demander la paix à Antigonos, qui, cependant, fier et plein d’arrogance, refusa d’entendre toute autre condition qu’une reddition à discrétion. Kassandre, poussé ainsi au désespoir, renouvela ses demandes à Lysimachos, à Ptolemæos et à Seleukos. Tous ces princes se sentirent également menacé par la puissance et les dispositions d’Antigonos, — et tous résolurent de former une coalition énergique pour le renverser[58].

Après une prospérité non interrompue en Grèce pendant, tout l’été de 302 avant J.-C., Demêtrios retourna de Leukas à Athènes, vers le mois de septembre, à peu près à l’époque des mystères d’Eleusis[59] (302-301 av. J.-C.). Il fût accueilli par des processions de fête, par des hymnes, des pæans, des chœurs de danse et des odes bachiques de joyeuse félicitation. L’un de ces hymnes est conservé ; il était, chanté par un chœur d’Ithyphalli, — joyeux compagnons masqués, la tête et les bras entourés de couronnes, — revêtus de tuniques blanches et en costume de femme descendant presque jusqu’aux pieds[60].

Ce chant est curieux, en ce qu’il indique les espérances, et les craintes qui régnaient parmi les Athéniens de cette époque, et en ce qu’il donne une mesure de l’appréciation, qu’ils faisaient d’eux-mêmes. En outre, il est du nombre des plus récents documents grecs que nous possédions ayant trait à une réalité actuelle et présente. Le poète, parlant à Demêtrios comme à un dieu, dit avec orgueil que deux des êtres divins les plus grands et les plus aimés visitent l’Attique au même moment, — Dêmêtêr (qui vient pour l’époque de ses mystères) et Demêtrios, fils de Poseidôn et d’Aphroditê. C’est toi que nous prions (continue l’hymne) ; car les autres dieux sont bien loin,  ou ils n’ont pas d’oreilles,ou ils n’existent pas,ou ils ne s’occupent pas de nous, mais toi, nous te voyons devant nous, non en bois ni en marbre, mais présent réellement. Avant tout, établis la paix, car tu en as le pouvoir,et châtie ce Sphinx qui domine non seulement sur Thèbes, mais sur toute la Grèce,l’Ætolien qui (semblable au Sphinx antique) s’élance de son poste sur le rocher pour saisir et enlever nos personnes, et contre lequel nous ne pouvons combattre. En tout temps, les Ætoliens ont pillé leurs voisins ; mais aujourd’hui ils pillent au loin aussi bien que près[61].

Des effusions telles que celles-ci, tout en montrant une idolâtrie et une soumission sans mesure à l’égard de Demêtrios, sont encore plus remarquables, en ce qu’elles trahissent une perte de force, une sénilité, et la conscience d’une position dégradée et sans défense, que nous sommes étonné de voir proclamée publiquement à Athènes. Ce n’est pas seulement contre les potentats étrangers que les Athéniens s’avouent incapables de se défendre par eux-mêmes, c’est même contre les incursions des Ætoliens, — Grecs comme eux, quoique belliqueux, grossiers et toujours en mouvement[62]. Si tels étaient les sentiments d’un peuple jadis le plus hardi, le plus confiant et le plus habile à organiser, — et cependant le plus intelligent, — en Grèce, nous pouvons voir que l’histoire des Grecs comme nation ou race séparée touche à sa fin, et que, dorénavant, ils doivent être absorbés dans fun ou dans l’autre des courants plus forts qui les entourent.

Après ses succès passés, Demêtrios passa quelques mois à Athènes dans les jouissances et la débauche (301 av. J.-C.). Il était logé dans le Parthenôn, étant considéré comme l’hôte de la déesse Athênê. Mais ses habitudes dissolues provoquèrent les commentaires les moins mesurés, parce qu’il s’y adonnait dans un pareil domicile, tandis que les violences qu’il essaya sur de beaux jeunes gens de famille amenèrent diverses scènes véritablement tragiques. Toutefois les manifestations soumises des Athéniens à son égard continuèrent sans être affaiblies. On affirme même que, pour compenser quelque chose qu’il avait pris mal, ils rendirent, sur la proposition de Stratoklês, un décret formel, déclarant que tout ce que pourrait commander Demêtrios était saint à l’égard des dieux, et juste à l’égard des hommes[63]. Le bannissement de Democharês fut dû, dit-on, à ses commentaires sarcastiques sur ce décret[64]. Dans le mois de munychion (avril), Demêtrios rassembla ses forces et ses alliés grecs pour une marche en Thessalia contre Kassandre ; mais, avant son départ, il désire être initié aux mystères d’Éleusis. Ce n’était cependant pas le temps régulier pour cette cérémonie, les Petits Mystères étant célébrés en février, les Grands en septembre. Les Athéniens vinrent à bout de la difficulté en rendant un vote spécial qui lui permettait d’être initié sur-le-champ, et de recevoir, dans une succession immédiate, l’initiation préparatoire et la finale, cérémonies entre lesquelles on exigeait habituellement une année d’intervalle. En conséquence, il se remit désarmé entre les mains des prêtres, et reçut et la première et la seconde initiation dans le mois d’avril, immédiatement avant son départ d’Athènes[65].

Demêtrios conduisit en Thessalia une armée de 56.000 hommes, dont 25.000 étaient des alliés Grecs, — tant son empire à ce moment sur les cités grecques était étendu (301 av. J.-C.)[66]. Mais après deux ou trois mois d’hostilités, heureuses en partie, contre Kassandre, il fut appelé en Asie par Antigonos pour qu’il l’aidât à tenir tête à la formidable armée des alliés, — Ptolemæos, Seleukos, Lysimachos et Kassandre. Avant de quitter la Grèce, Demêtrios conclut avec Kassandre une trêve par laquelle il était stipulé que les cités grecques, tant en Europe qu’en Asie, seraient autonomes et exemptes de garnison et de surveillance d’une manière permanente. Cette stipulation lie servit que de prétexte honorable pour s’éloigner de la Grèce ; Demêtrios espérait peu qu’elle fût observée[67]. Le printemps suivant fut livrée la bataille décisive d’Ipsus en Phrygia (300 av. J.-C.) par Antigonos et Demêtrios contre, Ptolemæos, Seleukos et Lysimachos, avec une armée considérable et beaucoup d’éléphants des deux côtés. Antigonos fut défait complètement et tué, à l’âge de plus de quatre-vingts ans. Son empire asiatique fut détruit, surtout au profit de Seleukos, dont la dynastie acquit désormais l’ascendant depuis la côte de Syria, vers l’est, jusqu’aux Portes Caspiennes et à la Parthie ; quelquefois, bien qu’imparfaitement, encore plus à l’est presque jusqu’à l’Indus[68].

Les effets de la bataille d’Ipsus ne tardèrent pas à, se faire sentir en Grèce. Les Athéniens rendirent an décret par lequel ils se déclaraient neutres et excluaient de l’Attique les deux parties belligérantes (300 av. J.-C.). Demêtrios, se retirant avec les restes de son armée défaite et s’embarquant à Ephesos pour faire voile vers Athènes, fut rencontré, en route par des députés athéniens, qui lui apprirent respectueusement qu’il ne serait pas admis. En même temps, son épouse Deidameia, qu’il avait laissée à Athènes, fut renvoyée à Megara par les Athéniens, avec une escorte honorable, tandis que plusieurs vaisseaux de guerre qu’il avait laissés dans Peiræeus lui furent aussi rendus. Demêtrios, indigné de cette défection inattendue d’une cité qui l’avait récemment comblé d’une si honteuse adulation, fût plus mortifié encore par la perte de la plupart de ses autres possessions en Grèce[69]. Ses garnisons furent en grande partie chassées, et les cités passèrent sous la garde ou la domination de Kassandre. Dans le fait, sa fortune fut rétablie en partie par une paix conclue avec Seleukos, qui épousa sa fille. Cette alliance attira Demêtrios en Syria, tandis que la Grèce parait être tombée de plus en plus sous le parti de Kassandre. Ce fut l’un de ces partisans, Lacharês, qui, secondé par des soldats de Kassandre, acquit à Athènes un despotisme semblable à celui qu’avait possédé le Phaléréen Demêtrios, mais dont il fit un usage beaucoup plus cruel et plus oppressif. Divers exilés, chassés par sa tyrannie, appelèrent Demêtrios Poliorketês, qui repassa d’Asie en Grèce, recouvra des portions du Péloponnèse et mit le siège devant Athènes. Il bloqua cette cité par mer et par terre, de sorte que les souffrances de la faim devinrent bientôt intolérables. Lacharês s’étant enfui, le peuple ouvrit les portes à Demêtrios, non sans grande crainte du traitement qui les attendait. Mais il montra de la tolérance et même de la générosité. Il épargna tous les habitants, leur fournit un grand don de blé, et se contenta d’occuper l’a cité militairement, en nommant ses propres amis comme magistrats. Toutefois, il mit des garnisons non seulement dans Peiræeus et Munychia, mais encore sur la colline appelée Museum, portion de l’enceinte des murs d’Athènes elle-même[70] (298 av. J.-C.).

Tandis que Demêtrios se fortifiait ainsi en Grèce, il perdait tout pied, tant dans l’île de Kypros et en Syria qu’en Kilikia, qui passèrent dans les mains de Ptolemæos et de Seleukos. Toutefois, de nouvelles perspectives s’ouvrirent pour lui en Macédoine par la mort de Kassandre (son beau-frère, frère de son épouse Phila) et par les querelles de famille qui survinrent à cette occasion (298-296 av. J.-C.). Philippe, fils aîné de Kassandre, succéda à son père ; mais il mourut de maladie après un peu plus d’un an. Entre les deux autres fils, Antipater et Alexandre, il éclata des hostilités sanglantes. Antipater tua sa mère Thessalonikê et menaça la vie de son frère, qui à son tour demanda l’aide et de Demêtrios et de Pyrrhus, roi d’Épire. Pyrrhus, étant prêt le premier, s’avança en Macédoine et chassa Antipater ; il reçut en récompense le territoire appelé Tymphæa (entre l’Épire et la Macédoine), avec l’Akarnania, l’Amphilochia, et la ville d’Ambrakia, qui devint désormais sa capitale et sa résidence[71]. Antipater chercha asile en Thrace auprès de son beau-frère Lysimachos, par ordre duquel toutefois il fut bientôt tué. Demêtrios, occupé d’autres affaires, fut plus lent à obéir à l’invitation ; mais, en entrant en Macédoine, il se trouva assez fort pour déposséder et tuer Alexandre — qui l’avait appelé, il est vrai, mais qui, dit-on, avait dressé des embûches pour l’assassiner —, et il s’empara de la couronne macédonienne, non sans l’assentiment d’un parti considérable, auquel le nom et les actes de Kassandre et de ses fils étaient également odieux[72].

Demêtrios devint ainsi maître de la Macédoine, ainsi que de la plus grande partie de la Grèce, y compris Athènes, Megara et une portion considérable du Péloponnèse (294 av. J.-C.). Il entreprit une expédition en Bœôtia, dans le dessein de conquérir Thèbes, tentative dans laquelle il réussit, non sans un double siège de cette ville, qui fit une résistance opiniâtre. Il laissa comme vice-roi en Bœôtia l’historien Hieronymos de Kardia[73], jadis l’ami dévoué, et le concitoyen d’Eumenês. Mais la Grèce, comme un tout, fut administrée par Antigonos (appelé plus tard Antigonos Gonatas), fils de Demêtrios, qui conserva sa suprématie entière pendant tout le temps de la vie de son père, même bien que Demêtrios fût privé de la Macédoine par la coalition temporaire de Lysimachos et de Pyrrhus, et qu’il restât ensuite (jusqu’à sa mort, en 283 av. J.-C.) captif entre les mains de Seleukos. Après que Seleukos, Ptolemæos Keraunos, Meleachos, Antipater et Sosthenês eurent occupé pendant peu de temps et successivement la couronne macédonienne, — Antigonos Gonatas la regagna en 277 avant J.-C. Ses descendants les rois antigonides la conservèrent jusqu’à la bataille de Pydna, en 168 avant J.-C., époque à laquelle Perseus, le dernier d’entre eux, fût renversé, et son royaume incorporé aux conquêtes romaines[74].

Quant à la Grèce pendant cette période, nous n’en pouvons rien dire, si ce n’est que le plus grand nombre de ces cités furent dépendantes de Demêtrios et de son fils Antigonos, soit occupées par des garnisons macédoniennes, soit gouvernées par des despotes locaux qui s’appuyaient sur des mercenaires étrangers et le soutien macédonien. L’ardeur (les Grecs était détruite, et leurs habitudes de sentiment et d’action combinés avaient disparu. Il est vrai que l’invasion des Gaulois les réveilla et les poussa à une union temporaire pour la défense des Thermopylæ, en 279 avant J.-C. La cruauté et les spoliations de ces envahisseurs barbares furent si intolérables que les cités, aussi bien qu’Antigonos, furent réduites par la peur à faire les efforts nécessaires pour les repousser[75]. Une vaillante armée de confédérés helléniques se rassembla, La plus grande partie de la horde gauloise, avec son roi Brennus, périt dans les montagnes d’Ætolia et dans le voisinage de Delphes. Mais cette explosion d’ardeur n’interrompit point la durée de la domination macédonienne en Grèce, qu’Antigonos Gonatas continua de posséder pendant la plus grande partie d’un long règne. Il étendit beaucoup le système inauguré par ses prédécesseurs, d’isoler chaque cité grecque d’alliances avec d’autres cités de son voisinage, — d’établir dans la plupart d’entre elles des despotes locaux, — et de maintenir les plus importantes au moyen de garnisons[76]. Parmi tous les Grecs, les Spartiates et les Ætoliens restèrent les plus exempts de la domination étrangère et les moins paralysés dans leur pouvoir d’agir par eux-mêmes. La ligue achæenne aussi se développa plus tard comme un jet nouveau de l’arbre ruiné de la liberté grecque[77], bien qu’elle n’arrivât jamais à rien de plus qu’à une vie faible et chétive, et qu’elle ne fût pas capable de se soutenir sans une aide étrangère[78],

Quant à ce regain ou à ce demi-retour à la vie, je ne m’en occuperai pas. Il forme le sujet de l’histoire de la Grèce par Polybe ; cet auteur regarde ce pays, avec raison, selon moi, comme n’ayant pas d’histoire particulière[79], mais comme une dépendance attachée à quelque centre étranger et tenant le premier rang entre les États voisins, — la Macédoine, l’Égypte, la Syrie, Rome. Chacun de ses voisins, influa sur les destinées de la Grèce plus puissamment que les Grecs eux-mêmes. Les Grecs auxquels ces volumes ont été consacrés, — ceux d’Homère, d’Archiloque, de Solôn, d’Æschyle, d’Hérodote, de Thucydide, de Xénophon et de Démosthène, — présentent comme leur trait caractéristique-le plus marqué une agrégation peu serrée- des tribus ou communautés autonomes, agissant et réagissant librement entre elles-mêmes, avec peu ou point de pression de la part d’étrangers. Le principal intérêt du récit a consisté dans le groupement spontané des différentes fractions helléniques, — dans les coopérations et les conflits spontanés, — dans les tentatives avortées faites pour créer quelque chose qui ressemblât à une organisation fédérale réelle, ou pour maintenir deux confédérations rivales permanentes, — dans l’ambition énergique et l’héroïque patience d’hommes pour lesquels la Hellas était le monde politique entier. La liberté de la Hellas, vie et âme de cette histoire depuis son début, disparut complètement pendant les premières années du règne d’Alexandre. Après avoir suivi jusque dans sa tombe la génération des Grecs ses contemporains, hommes tels que Démosthène et Phokiôn, nés dans un état de liberté, — j’ai continué l’histoire jusque dans cet abîme de nullité grecque qui marque le siècle suivant, en présentant les tristes preuves de la servilité dégradante et de l’humble culte rendu à des rois, dans lesquels les compatriotes d’Aristeidês et de Periklês avaient été jetés par leur faiblesse, dont ils avaient conscience, sous la pression écrasante du dehors.

Je ne puis mieux compléter ce tableau qu’en montrant ce que devint le principal citoyen démocratique dans l’atmosphère chargée qui obscurcissait actuellement sa cité. Democharês, neveu de Démosthène, a été mentionné comme l’un des quelques Athéniens distingués dans cette dernière génération. Il fût élu plus d’une fois aux emplois publics les plus élevés[80], il se fit remarquer par son libre langage, tant comme orateur que comme historien, en face d’ennemis puissants ; il resta pendant une longue vie fidèlement attaché à la constitution démocratique, et il fut banni pendant un temps par ses adversaires. Dans l’année 280 avant J.-C., il détermina les Athéniens à élever un monument public, avec une inscription commémorative, à son oncle Démosthène. Sept ou huit ans plus tard, Democharês lui-même mourut, âgé de près de quatre-vingts ans. Son fils Lachês proposa et obtint un décret public ordonnant qu’il serait élevé en son honneur une statue, accompagnée d’une inscription. Nous lisons dans le décret un exposé des services publics distingués qui valurent cet hommage à Democharês de la part de ses compatriotes. Tout ce que l’auteur du décret, son fils et concitoyen, peut trouver à dire pour glorifier la dernière partie de la vie publique de son père (depuis son retour d’exil) est comme il suit : — 1° Il diminua les dépenses publiques et introduisit une gestion plus économique. 2° Il se chargea d’une ambassade auprès du roi Lysimachos, de qui il obtint deux présents pour le peuple, l’un de trente talents, l’autre de cent talents. 3° Il proposa un vote à l’effet d’envoyer des députés au roi Ptolemæos en Égypte, de qui cinquante talents furent obtenus pour le peuple. 4° Il alla comme ambassadeur auprès d’Antipater, reçut de lui vingt talents et les remit au peuple à la fête d’Eleusis[81].

Quand de pareilles missions de mendiants sont les actes pour lesquels Athènes employait et récompensait les plus éminents de ses citoyens, un historien accoutumé au monde grec tel que le décrivent Hérodote, Thucydide et Xénophon, sent que la vie a abandonné son sujet, et c’est avec tristesse et humiliation qu’il met fin à son récit.

 

 

 



[1] Voir la mention de Munychia, comme elle était dix ans plus tard (Diodore, XX, 45).

[2] Cicéron, De Legibus, II, 26, 66 ; Strabon, IX, p. 398 ; Pausanias, I, 25. Duris, ap. Athenæum, XII, 542. Fragm. 27, vol. III, p. 477, Fragm. Hist. Græc.

Le Phaléréen Demêtrios composa, avec de nombreux ouvrages historiques, philosophiques et littéraires, un récit de sa propre administration décennale,  (Diogène Laërce, V, 5, 9 ; Strabon, ibid.). — Περί τής δεκαιτίας.

L’assertion de douze cents talents comme revenu annuel manié par Demêtrios, mérite peu de créance.

[3] Voir le Fragment de Democharês, 2 ; Fragm. Historie. Græc., édit. Didot, vol. II, p. 148, ap. Polybe, XII, 13. Democharês, neveu de l’orateur Démosthène, était l’adversaire politique de Demêtrios le Phaléréen, auquel il reprochait, ces vanteries au sujet de la prospérité commerciale, quand la liberté et la dignité de la cité étaient détruites. C’est à ces vanteries de Demêtrios le Phaléréen qu’appartient probablement l’assertion citée de lui par Strabon (III, p. 117) ait sujet des laborieux travaux dans les mines attiques à Laureion.

[4] Diodore, XX, 40.

[5] Denys d’Halicarnasse, Judicium de Dinarcho, p. 633, 634 ; Plutarque, Demetrius, 10.

[6] Ktesiklês, ap. Athenæum, VI, p. 272. M. Fynes Clinton (suivant Wesseling) comble la lacune dans le texte d’Athénée, de manière à assigner le recensement a la cent quinzième Olympiade. Cette conjecture petit être juste, mais les raisons données ne sont pas concluantes. Il se peut que le recensement ait été fait soit dans la cent seizième, soit dans la cent dix-septième Olympiade ; nous n’avons aucun moyen de déterminer laquelle. L’administration de Demêtrios le Phaléréen remplit les dix années entre 317 et 307 avant J.-C. (Fast. Hell., Append. p. 388).

M. Clinton (ad ann. 317 av. J.-C. Fast. Hellen.) fait observer relativement à ce recensement : — Les 21.000 Athéniens représentent ceux qui avaient droit de voter dans l’assemblée publique, où tous les hommes figés de plus de vingt ans ; les 10.000 μέτοικοι indiquaient aussi les hommes d’un âge mûr. Si l’on compte les femmes et les enfants, le total de la population libre sera d’environ 127.660 ; et 400.000 esclaves, ajoutés à ce total, donneront près de 527.660 âmes comme la population totale de l’Attique. V. aussi l’Appendice annexé aux Fast. Hellen., p. 390 sqq.

Ce recensement est un fait très intéressant, mais nos informations à son sujet sont tout à fait insuffisantes, et l’interprétation que M. Clinton fait des différents nombres est sujette à quelque remarque. Il ne peut avoir raison en disant ; — Les 21.000 Athéniens représentent ceux qui avaient droit de voter dans l’assemblée, ou tous les hommes au-dessus de vingt ans. Car on nous dit expressément que sous l’administration de Demêtrios le Phaléréen, toutes les personnes qui ne possédaient pas mille drachmes étaient exclues des droits politiques ; et par conséquent an nombre considérable d’hommes au-dessus de vingt ans n’avaient pas droit de voter dans l’assemblée, Donc, puisque les deux  catégories ne coïncident pas, à laquelle appliquerons-nous le nombre de 21.000 ? A ceux qui avaient le droit de voter ? Qu an nombre total des citoyens libres, votant ou ne votant pas, au-dessus de vingt ans ? L’assemblée publique, pendant l’administration de Demêtrios le Phaléréen, paraît avoir en peu d’importance ou de puissance, de sorte qu’il n’est pas vraisemblable qu’on ait cherché un relevé distinct du nombre des personnes qui avaient droit d’y voter.

De plus, M. Clinton interprète les deux nombres donnés, d’après deux principes totalement distincts. Les deux premiers nombres (citoyens et metœki), il croit qu’ils désignent seulement les hommes d’âge mûr ; le troisième nombre, renferme selon lui, les deux sexes et tous les âges.

C’est une conjecture que je crois très douteuse dans l’absence d’autre renseignement. Elle implique que les énumérateurs tenaient compte des femmes et des enfants esclaves, — mais qu’ils ne tenaient pas compte des femmes et des enfants libres, épouses et familles des citoyens et des metœki. Le nombre des femmes et des enfants libres n’est nullement compté, dans la supposition de M. Clinton. Or si, dans les vues du recensement, il était nécessaire d’énumérer les femmes et les enfants esclaves, — assurément il ne devait pas être moins nécessaire d’énumérer les femmes et les enfants libres.

Le mot οίκέται signifie quelquefois non seulement des esclaves, niais les habitants d’une famille en général, — libres aussi bien qu’esclaves. Si tel est ici son sens (bien qu’il n’y ait pas assez de preuves pour l’affirmer), nous faisons disparaître la difficulté qui consiste à supposer que les femmes et les enfants esclaves sont énumérés, — et que les femmes et les enfants libres ne le sont pas.

Nous pourrions raisonner avec plus de confiance si nous connaissions le but pour lequel le recensement avait été fait, — soit en vue de mesures militaires ou politiques, — de finances ou de taxation, — ou de la question de subsistance et d’importation de blé étranger (V. Fast. Hellen., de M. Clinton, ad ann. 444 av. J.-C., au sujet d’un autre recensement par rapport à du blé importé).

[7] Voir Denys d’Halicarnasse, Judic. de Dinarcho, p. 658, Reiske.

[8] Diodore, XVIII, 75.

[9] Justin, XIV, 5 ; Diodore, XVIII, 75 ; Pausanias, VII, 8, 3 ; Pausanias, I, 25, 5.

[10] Diodore, XIX, 11 ; Justin, X, 14, 4 ; Pausanias, I, 11, 4.

[11] Diodore, XIX, 36.

[12] Diodore, XIX, 50, 51 ; Justin, XIV, 5 ; Pausanias, I, 5, 5 ; IX, 7, 1.

[13] Même immédiatement avant la mort d’Olympias, Aristonoos, gouverneur d’Amphipolis dans ses intérêts, considéra Eumenês comme vivant encore (Diodore, XIX, 50).

[14] Diodore, XIX, 52 ; Pausanias, V, 23, 2.

[15] Diodore, XIX, 52, 54, 78 ; Pausanias, IX, 71 2-5. Cela semble une explication de la conduite de Kassandre plus probable que celle que donne Pausanias, qui nous dit que Kassandre haïssait la mémoire d’Alexandre le Grand, et désirait effacer les conséquences de ses actes. Qu’il eut tant de haine pour Alexandre, c’est toutefois extrêmement croyable : voir Plutarque, Alexandre, 74.

[16] Diodore, XIX, 54.

[17] Diodore, XIX, 56.

[18] Diodore, XIX, 57.

[19] Diodore, XIX, 61.

[20] Diodore XIX, 62.

[21] Diodore, XIX, 63, 64.

[22] Diodore, XIX, 62, 67.

[23] Diodore, XIX, 66.

[24] Diodore, XIX, 67, 68 ; Justin, XV, 2. V. Brandst, Geschichte des Ætolischen Volkes und Bundes, p. 178 (Berlin, 1849).

[25] Diodore, XIX, 74.

[26] Diodore, XIX, 77, 78, 89.

[27] Diodore, XIX, 87.

[28] Diodore, XIX, 105.

[29] Diodore, XIX, 105.

[30] Diodore, XX, 19.

[31] Messène reçut une garnison de Polysperchôn (Diodore, XIX, 61).

[32] Diodore, XX, 28 ; Trogue Pompée, Prolegom., ad Justin, XV ; Justin, XV, 2.

[33] Diodore, XX, 100-103 ; Plutarque, Pyrrhus, 6. Le roi Pyrrhus était de προγόνων άεί δεδουλοκρτων Μακεδόσι, — c’était du moins le reproche de Lysimachos (Plutarque, Pyrrhus, 12).

[34] Diodore, XX, 37 : Cf. Justin, XIII, 6 ; XIV, 1.

[35] Diodore, XX, 37.

[36] Philochore, Fragm. 144, éd. Didot ; Diodore, XX, 45, 46 ; Plutarque, Demêtrios, 8, 9.

L’occupation de Peiræeus par Demêtrios Poliorkêtês est racontée un peu différemment dans Polyen, IV, 7, 6.

[37] Plutarque, Demêtrios, 9-11 ; Diodore, XXI 47 ; Democharês, ap. Athénée, VI, p. 253.

[38] Diogène Laërce, V, 77. Parmi les nombreux ouvrages littéraires (tous perdus) de Demêtrios le Phaléréen, il y en a un intitulé Άθηναίων καταδρομή (ibid., V, 82).

[39] Democharês, ap. Athénée, VI, p. 253.

[40] Tacite, Annales, I, 3 — Tout ce qu'il y avait de jeune était né depuis la bataille d'Actium, la plupart des vieillards au milieu des guerres civiles : combien restait-il de Romains qui eussent vu la république ?

[41] Hérodote, V, 78.

[42] Plutarque, Demetrius, 24.

[43] Polybe, XII, 13 ; Decretum, ap. Plutarque, Vitæ X Orator., p. 851.

[44] Philochori Fragm., 144, éd. Didot, ap. Denys d’Halicarnasse, p. 636.

[45] Plutarque, Vit. X Orator., p. 842-852. Lykurgue à sa mort (vers 324 av. J.-C.) laissa trois fils, qui, dit-on, peu de temps après sa mort, furent dénoncés par Menesæchinos, accusés par Thrasiklês et mis en prison (livrés aux Onze). Mais Demoklês, disciple de Théophraste, s’interposa en leur faveur ; et Démosthène, alors en exil à Trœzen, écrivit d’énergiques remontrances aux Athéniens contre le traitement indigne fait aux fils d’un patriote distingué. En conséquence, les Athéniens ne tardèrent pas à se repentir et à les relâcher.

C’est ce que nous voyons avancé dans Plutarque, Vit. X Orator., p. 842. La troisième des lettres attribuées à Démosthène prétend être la lettre écrite à ce sujet par le grand orateur.

Le dur traitement des fils de Lykurgue (quelque grand qu’il ait pu être et quel qu’en ait pu être le motif) ne dura certainement pas longtemps ; car à la page suivante de la même vie de Plutarque (p. 843), il est fait un exposé de la famille de Lykurgue, qui était ancienne et sacerdotale ; et il y est dit que ses fils après sa mort soutinrent pleinement la haute position de la famille.

Sur quel motif furent-ils accusés, c’est ce que nous ne pouvons reconnaître. Suivant la lettre de Démosthène (lettres que, comme je l’ai dit auparavant, je ne crois pas authentiques), ce fut sur quelque allégation qui, en admettant qu’elle fût valable, aurait dû être avancée contre Lykurgue lui-même pendant sa vie (p. 1477, 1478) ; mais Lykurgue avait toujours été honorablement acquitté et toujours regardé, comme tout à fait estimable, jusqu’au jour de sa mort (p. 1475).

Hypéride déploya son éloquence en faveur des fils de Lykurgue. Un fragment, d’un intérêt considérable, de son discours, a été conservé par Apsinês. (ap. Walz., Rhetor. Græc., IX, p, 545).

Ce fragment d’Hypéride fut signalé à mon attention par M. Churchill Babington, éditeur des portions d’Hypéride récemment découvertes.

[46] Diogène Laërce, V, 38. C’est peut-être à ce retour des philosophes que fait allusion le φυγάδων κάθοδος mentionné par Philochore, comme figuré à l’avance par le présage dans l’acropolis (Philochore, Fragm. 145, éd. Didot, ap. Denys d’Hal., p. 637).

[47] V. les quelques fragments de Democharês réunis dans les Fragmenta Historicorum Grœcorum, éd. Didot, vol. III, p. 415, avec les notes de Carl Müller.

V. également Athénée, XIII, 610, avec le fragment de l’écrivain comique Alexis. Il y est dit que Lysimachos aussi, roi de Thrace, avait banni les philosophes de ses États.

Democharês pouvait trouver (outre les personnes nommées dans Athénée, V, 215 ; XI, 508) d’autres exemples authentiques de disciples de Platon et d’Isocrate qu’ils avaient été des tyrans, atroces et sanguinaires dans leurs villes natales. — Voir le cas de Klearchos d’Hêrakleia, Memnon, ap. Photium, Cod. 924, c 1. Chiôn et Leonidês, les deux jeunes citoyens qui tuèrent Klearchos, et qui périrent en s’efforçant d’affranchir leur pays, — étaient aussi disciples de Platon (Justin, XVI, 5). Dans le fait, il était naturel que des jeunes gens ambitieux, dans des desseins de toute sorte, ce mode de perfectionnement. Alexandre le Grand aussi, la véritable personnification de la force dominante, avait été le disciple d’Aristote.

[48] Diodore, XX, 46.

[49] Diodore, XX, 53 ; Plutarque, Demêtrios, 18.

[50] Diodore, XX, 99. Probablement cette clause conditionnelle s’étendait aussi à Lysimachos et à Kassandre (qui tous deux assistèrent Rhodes), aussi bien que Ptolemæos, — bien que Diodore ne le dise pas expressément.

[51] Diodore, XX, 100.

[52] Diodore, XX, 100.

[53] Que les Ætoliens fussent précisément alors des ennemis très fâcheux pour Athènes, c’est ce que l’on peut voir par l’ode Ithyphallique adressée à Demêtrios Poliorkêtês (Athénée, VI, p. 253).

[54] Diodore, XXI 50 ; Plutarque, Demêtrios, 11. Par rapport à cette défaite près d’Amorgos, Stratoklês (l’orateur complaisant qui proposa les votes de flatterie à l’égard de Demêtrios et d’Antigonos) l’annonça, d’abord comme une victoire, à. la grande joie du peuplé. Bientôt arrivèrent des preuves de la défaite, et le peuple fut irrité contre Stratoklês. De quoi vous plaignez-vous ? répliqua-t-il ; n’avez-vous pas ou deux jours de plaisir et de satisfaction ? C’est en tout cas une très bonne histoire.

[55] Diodore, X-X, 100 ; Plutarque, Demêtrios, 23.

[56] Diodore, XX, 102, 103 ; Plutarque, Demêtrios, 23-25.

[57] Diodore, XX, 102 ; Plutarque, Demêtrios, 25 ; Pausanias, II, 7, 1. La cité fut éloignée en partie de la mer, et rapprochée de très près de l’acropolis. La nouvelle cité resta d’une manière permanente ; mais le nouveau nom de Demetrias fit place à l’ancien nom, Sikyôn.

[58] Diodore, XX, 106.

[59] Qu’il revint de Leukas vers le temps de ces mystères, c’est ce qui est attesté et par Democharês et par l’ode Ithyphallique dans Athénée, VI, p. 253. V. aussi Duris, ap. Athenæ, XII, p. 535.

[60] Semus, ap. Athenæum, XIV, p. 622.

[61] Athénée, VI, p. 253.

[62] Comparez Pausanias, VII, 7, 4.

[63] Plutarque, Demêtrios, 24.

[64] Telle est l’assertion de Plutarque (Demêtrios, 24) ; mais elle ne semble pas en harmonie avec le contenu du décret d’honneur rendu en 272 avant J.-C., après la mort de Democharês, rappelant ses mérites par une statue, etc. (Plutarque, Vit. X Orat., p. 850). Il y est du que Democharês rendit des services à Athènes (en fortifiant et en armant la cité, en concluant paix et alliance avec les Bœôtiens, etc.). Les mots de Plutarque ne peuvent vouloir dire ni Demêtrios Poliorkêtês, ni Stratoklês. De plus, nous ne pouvons déterminer quand se fit la guerre de quatre ans, ni l’alliance avec les Bœôtiens. Ni la discussion de M. Clinton (F. H., 302 av. J.-C., et Append. p. 880), ni l’hypothèse différente de Droysen ne sont satisfaisantes sur ce point. — Voir la discussion de Carl Müller sur les Fragments de Democharês, Fragm. Hist. Græc., V, II, p. 446.

[65] Diodore, XX, 110.

L’exposé de cette affaire dans le texte est emprunté à Diodore et est simple ; un vote fut rendu qui accordait à Demêtrios la licence spéciale de recevoir les mystères immédiatement, bien que ce ne fût pas le temps voulu.

Plutarque (Demêtrios, 26) ajoute d’autres circonstances, dont plusieurs ont plutôt l’apparence de la plaisanterie que de la réalité. Pythodôros le dadouchos, ou porte-flambeau des Mystères, fut seul à protester contre une célébration de la cérémonie hors du temps régulier ; cela est sans doute très croyable. Alors (suivant Plutarque) les Athéniens rendirent des décrets, sur la proposition de Stratoklês, à l’effet que le mois de Munychion fût appelé Anthesterion. Après cela, on célébra les petits mystères, auxquels Demêtrios fut initié. Ensuite, les Athéniens rendirent un autre décret à l’effet que le mois de Munychion fût appelé Boëdromion, — puis les Grands Mystères (qui appartenaient à ce dernier mois) furent célébrés sur-le-champ. L’auteur comique Philippidês disait de Stratoklês qu’il avait resserré toute, l’année en un seul mois.

Cette assertion de Plutarque a tout l’air d’une caricature, due à Philippidês où a quelque autre homme d’esprit, du simple décret mentionné par Diodore, — licence spéciale accordée à Demêtrios d’être initié en dehors du temps voulu. Cf. un autre passage de Philippidês contre Stratoklês (Plutarque, Demêtrios, 12).

[66] Diodore, XX, 110.

[67] Diodore, XX, 111. Ç’a dû être probablement pendant cette campagne que Demêtrios commença ou projeta la fondation de l’importante cité de Demetrias sur le golfe de Magnêsia, qui plus tard devint un des grands boulevards de l’ascendant macédonien en Grèce (Strabon, IX, p. 436-448, passage dans lequel l’allusion à Hieronymos de Kardia semble prouver que l’historien faisait une description complète de Demetrias et de sa fondation). V. au sujet de Demetrias, Mannert, Geogr. Griech. V, VII, p. 591.

[68] M. Fynes Clinton (Fast. Hellen., 301 av. J.-C.) place la bataille d’Ipsus en août 301 avant J.-C. ; ce qui me paraît quelques mois plus tôt que la réalité. Il est clair d’après Diodore (et dans le fait d’après l’aveu même de M. Clinton) qu’il y eut des quartiers d’hiver en Asie entre le moment où Demêtrios quitta Athènes en avril 301 avant J.-C., ou peu après, et la bataille d’Ipsus. De plus, Demêtrios immédiatement après avoir quitté Athènes, fit plus d’une opération contre Kassandre en Thessalia avant de passer en Asie rejoindre Antigonos (Diodore, XX, 110, 111).

[69] Plutarque, Demêtrios, 31.

[70] Plutarque, Demêtrios, 34, 3,5 ; Pausanias, 1, 25, 5. Pausanias dit (I, 26, 2) qu’un Athénien vaillant nommé, Olympiodoros (nous ne savons pas quand) encouragea ses concitoyens à attaquer le Museum, Munychia et Peiræeus, et chassa les Macédoniens de toutes ces positions. Si cela est exact, Munychia et Peiræeus ont dû être reconquis plus tard par les Macédoniens, car Antigonos Gonatas y avait une garnison (aussi bien qu’à Salamis et à Sunion) (Pausanias, II, 8, 5 ; Plutarque, Aratus, 34).

[71] Plutarque, Pyrrhus, 6.

[72] Plutarque, Demêtrios, 36 ; Dexippos, ap. Sync., p. 264 sqq. Pausanias, IX, 7, 3 ; Justin, XVI, 1, 2.

[73] Plutarque, Demêtrios, 39.

[74] V. Fasti Hellen., de M. Clinton, Append. 4, p. 236-239.

[75] Pausanias, I, 4, 1 ; X, 20, 1.

[76] Polybe, II, 40, 41. Justin, XXVI, 1.

[77] Pausanias, VII, 17, 1.

[78] Plutarque, Aratus, 17. Cf. aussi c. 12, 13, 15, par rapport aux premières demandes faites à Ptolemæos, roi d’Égypte.

[79] Polybe, I, 3, 4 ; II, 37.

[80] Polybe, XII, 13.

[81] V. le décret dans Plutarque, Vit. X Orator., p. 850. L’Antipater mentionné ici est le fils de Kassandre, et non le père. Il n’est pas nécessaire d’admettre la conjecture de M. Clinton (F. H., App. p. 380) qui croit que le nom devrait être Antigonos, et non Antipater, bien qu’il puisse être vrai que Democharês fût en bons termes avec Antigonos Gonatas (Diogène Laërce, VII, 14).

Cf. Carl Müller, ad Democharis Fragm., ap. Fragm. Hist. Græc., vol. II, p. 416, éd. Didot.