HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-NEUVIÈME VOLUME

CHAPITRE I — AFFAIRES GRECQUES DEPUIS LE DÉBARQUEMENT D’ALEXANDRE EN ASIE JUSQU’À LA FIN DE LA GUERRE LAMIAQUE.

 

 

Même en 334 avant J.-C., quand Alexandre commença ses campagnes asiatiques, les cités grecques, grandes aussi bien que petites, s’étaient vu enlever toute leur action libre, et n’existaient que comme dépendances du royaume de Macédoine. Plusieurs d’entre elles étaient occupées par des garnisons macédoniennes, ou gouvernées par des despotes locaux qui avaient cette force armée pour appui. Il n’existait chez elles ni idée commune ni sentiment public, formellement proclamés comme mobiles d’action, si ce n’est ceux qu’il convenait au dessein d’Alexandre d’encourager. La haine contre la Perse, — jadis expression sincère du patriotisme hellénique, au souvenir de laquelle Démosthène faisait habituellement appel, en excitant les Athéniens à agir contre la Macédoine, mais actuellement éteinte et remplacée par des appréhensions plus prochaines, — Alexandre l’avait appliquée à ses propres desseins, comme prétexte pour obtenir l’hégémonie, et comme moyen d’assurer la soumission pendant son absence en Asie. La Grèce était devenue une province de Macédoine ; les affaires des Grecs (fait observer Aristote en expliquant une discussion philosophique) sont dans les mains du roi[1]. Un congrès public, des Grecs se rassemblait de temps en temps à Corinthe ; mais il ne représentait qu’un sentiment favorable aux Macédoniens ; tout ce que nous connaissons de ses actes consistait en félicitations adressées à Alexandre au sujet de ses victoires. Il n’y a pas d’histoire grecque, d’un caractère publie ou politique ; il n’y a pas de faits si ce n’est les détails locaux et municipaux de chaque cité, — les rues et les fontaines que nous réparons, et les créneaux que nous blanchissons, pour employer une phrase de Démosthène[2], — la bonne gestion des finances athéniennes- par l’orateur Lykurgue, et les débats d’orateurs relatifs à des disputes privées ou à la politique du passé.

Mais bien que l’histoire grecque soit ainsi stagnante et suspendue pendant les premières années des campagnes asiatiques d’Alexandre, elle aurait pu à tout moment devenir animée par un esprit actif d’affranchissement, personnel, S’il avait éprouvé des revers, ou si les Perses avaient administré leurs affaires avec habileté et vigueur. J’ai déjà dit que, pendant les deux premières années de la guerre, la flotte persane (nous devrions plutôt dire, la flotte phénicienne au service de la Perse) eut une supériorité décidée sur mer. Darius possédait des trésors immenses qui auraient pu accroître indéfiniment cette supériorité et multiplier ses moyens d’action au delà des mers, s’il avait voulu suivre l’avis de Memnôn, en agissant avec vigueur par mer et en se tenant strictement sur la défensive par terre, Le mouvement ou le repos des Grecs dépendait donc de la tournure des affaires en Asie, comme Alexandre lui-même, le savait.

Pendant l’hiver de 334-333 avant J.-C., Memnôn, avec la flotte persane parut, faire des progrès dans les Iles de la mer Ægée[3], et les Grecs contraires aux Macédoniens l’attendaient plus loin à l’ouest en Eubœa et dans le Péloponnèse. Leurs espérances étant abattues par sa mort inattendue, et plus encore par l’abandon que fit Darius des plans de cet amiral, ils avaient ensuite à attendre le résultat de ce que pourrait accomplir l’immense armée de terre des Perses. Même jusqu’à la veille de la bataille d’Issus, Démosthène[4] et autres (comme je l’ai déjà mentionné) furent encouragés par leurs correspondants en Asie à espérer un succès pour Darius même en bataille rangée. Mais après le grand désastre essuyé à Issus, pendant un an et demi (de novembre 333 av. J.-C. à mars ou à avril 331 av. J.-C.), aucune espérance ne fut possible. L’armée persane semblait anéantie, et Darius était si paralysé par la captivité de sa famille, qu’il laissa même les citoyens de Tyr et de Gaza périr dans leurs vaillants efforts de défense, sans faire la moindre tentative pour les sauver. Enfin, dans le printemps de 331 avant J.-C., l’avenir parut redevenir favorable. Une seconde armée persane, innombrable comme la première, se rassemblait à l’est du Tigre ; Alexandre s’avançait dans l’intérieur, à bien des semaines de marche des rivages de la Méditerranée, pour l’attaquer ; et les Perses transmettaient sans doute des encouragements avec de l’argent à des hommes entreprenants en Grèce, dans l’espérance de provoquer des mouvements auxiliaires. Bientôt (octobre 331 av. J.-C.) arriva la catastrophe à Arbèles, après laquelle aucune démonstration contre Alexandre n’aurait pu être tentée avec quelque espoir raisonnable de succès.

Tel fut le point de vue changeant sous lequel la lutte en Asie se présenta aux spectateurs grecs, pendant les trois ans et demi qui s’écoulèrent entre le débarquement d’Alexandre dans ce pays et la bataille d’Arbèles. Quant aux principaux États de la Grèce, nous n’avons à considérer qu’Athènes et Sparte ; car Thèbes avait été détruite et démolie comme cité et ce qui avait été jadis la citadelle de la Kadmeia était actuellement une garnison macédonienne[5]. De plus, outre cette garnison, les cités bœôtiennes, Orchomenos, Platée, etc., étaient elles-mêmes des places fortes dans la dépendance macédonienne, étant hostiles à Thèbes depuis longtemps, et ayant reçu entre elles des lots de toutes les terres thêbaines[6]. Conséquemment, dans le cas de quelque mouvement en Grèce, Antipater, vice-roi de Macédoine, pouvait bien compter trouver en Hellas des alliés intéressés, pour servir de frein sérieux, à l’Attique.

A Athènes, le sentiment régnant était décidément pacifique. Peu de gens étaient disposés à braver le prince qui venait de donner une preuve si effrayante de sa force par la destruction de Thêbes et l’asservissement clés Thêbains. Ephialtês et Charidêmos, les citoyens militaires à Athènes les plus opposés aux Macédoniens en sentiment, avaient été demandés comme prisonniers par Alexandre, et s’ôtaient retirés en Asie, pour y prendre du service chez Darius. D’autres Athéniens, hommes d’énergie et d’action avaient suivi leur exemple et avaient combattu contre Alexandre au Granikos ; mais ils tombèrent en son pouvoir et furent envoyés en Macédoine, où, chargés de chaînes, ils travaillèrent aux mines. Ephialtês périt au siège d’Halikarnassos, pendant qu’il défendait la place avec le dernier courage ; Charidêmos souffrit une mort plus indigne par la honteuse sentence de Darius. Les chefs anti-macédoniens qui restaient à Athènes, tels que Démosthène et Lykurgue, n’étaient ni généraux ni hommes d’action, mais hommes d’État et orateurs. Ils étaient pleinement convaincus que la soumission à Alexandre était une pénible nécessité, bien qu7ils ne guettassent pas avec moins d’anxiété tout revers qui pourrait lui arriver et permettre à Athènes de diriger un nouvel effort en faveur de la liberté grecque.

Mais ce n’étaient, ni Démosthène ni Lykurgue qui guidaient à ce moment la politique générale à Athènes[7]. Pendant les douze années qui s’écoulèrent entre la destruction de Thèbes et la mort d’Alexandre, Phokiôn et Démade furent les ministres des affaires étrangères ; deux hommes de caractères totalement opposés, mais coïncidant en vues pacifiques, et en ce qu’ils considéraient la faveur d’Alexandre et d’Antipater comme le principal but à atteindre. On envoya vingt trirèmes athéniennes pour agir avec la flotte macédonienne, pendant la première campagne d’Alexandre en Asie, ces trirèmes, avec les prisonniers athéniens faits au Granikos, lui servirent de plus comme garantie de la continuation de la soumission des Athéniens en général[8]. Il n’y a pas lieu de douter que la politique pacifique de Phokiôn ne fût alors prudente et essentielle à Athènes, bien qu’on n’en puisse dire autant (comme je l’ai fait remarquer en son lieu) de l’appui qu’il donna à la même politique vingt années auparavant, quand la puissance de Philippe grandissait et aurait pu être arrêtée par une opposition vigoureuse. Il convenait aux desseins d’Antipater d’assurer son empire sur Athènes par de fréquents présents faits à Démade, homme d’habitudes extravagantes et de luxe. Mais Phokiôn, incorruptible aussi bien que pauvre jusqu’à la fin, refusait toute offre semblable, bien qu’il lui en fût souvent fait, non seulement par Antipater, mais même par Alexandre[9].

Il est une chose qui mérite d’être signalée particulièrement ; c’est que, bien que la politique favorable aux Macédoniens fût alors décidément en faveur, — acceptée, même par des hommes d’une opinion contraire, comme la seule marche admissible dans les circonstances, et confirmée d’autant plus par chaque victoire successive d’Alexandre, — cependant des hommes d’État, tels que Lykurgue et Démosthène, de sentiment anti-macédonien notoire, occupaient encore une position remarquable et influente, quoique naturellement bornée à des questions d’administration intérieure. C’est ainsi que Lykurgue continua d’être le véritable ministre des finances en fonction, pendant trois intervalles panathénaïques de quatre années chacun, c’est-à-dire pendant une période non interrompue de douze années. Il surveilla non seulement la perception entière, mais encore toute la dépense du revenu publie ; rendant un compte périodique rigoureux, toutefois avec  une autorité financière plus grande que n’en avait possédé aucun homme d’État depuis Periklês. Il améliora les gymnases et les stades de la cité, — multiplia les dons et le mobilier sacré dans les temples, — agrandit ou construisit à nouveau-les bassins et les arsenaux, — prépara un fonds considérable d’armes et d’équipements, militaires aussi bien que navals, — et entretint quatre cents trirèmes en état de tenir la mer, pour protéger le commerce d’Athènes. — Jamais il ne fût remplacé dans ces fonctions étendues, bien qu’Alexandre à un moment envoyât demander qu’on lui livrât sa personne, ce que refusa le peuple athénien[10]. La principale cause de soli puissant empire sur l’esprit publie était sa probité connue et incontestable, par laquelle il faisait pendant à Phokiôn.

Quant à Démosthène, il n’occupait pas de position publique élevée comme Lykurgue, mais il jouissait d’une grande estime et d’une grande sympathie de l’a part du peuple en général, pour sa ligne marquée de conseil public dans le passé. On en peut trouver la preuve dans un fait très significatif. L’accusation contre la motion de Ktesiphôn, qui demandait une couronne pour Démosthène, fut intentée par Æschine, et enregistrée officiellement avant la mort de Philippe, — événement qui arriva en août 336 avant J.-C. Cependant Æschine n’osa pas la présenter en justice avant août 330 avant J.-C., après qu’Antipater eut triomphé du soulèvement malheureux du roi lacédæmonien Agis ; et même à ce moment avantageux, quand les partisans des Macédoniens semblaient en plein triomphe, il eut un échec signalé. Nous voyons ainsi que, bien que Phokiôn et Démade dirigeassent actuellement les affaires athéniennes, comme représentant une politique que chacun sentait être inévitable, — cependant le sentiment prépondérant du peuple suivait Démosthène et Lykurgue. Effectivement, nous verrons qu’après la guerre Lamiaque, Antipater jugea nécessaire d’étouffer ou de punir ce sentiment en privant de leurs droits ou en déportant deux tiers des citoyens[11]. Il semble toutefois que les hommes d’État contraires aux Macédoniens furent très attentifs à éviter d’offenser Alexandre, entre 334 et 330 avant J.-C. Ktesiphôn accepta une mission de condoléance auprès de Kleopatra, sœur d’Alexandre, à la mort de son époux Alexandre d’Epire ; et Démosthène est accusé d’avoir adressé à Alexandre (le Grand) en Phénicie des lettres humbles et basses, pendant le printemps de 331 avant J.-C. Cette assertion d’Æschine, bien qu’il ne faille pas la croire exacte, indique la prudence générale de Démosthène à l’égard de son ennemi formidable et bien connu[12].

Ce ne fut pas à Athènes, mais à Sparte que les mouvements anti-macédoniens prirent alors naissance. Les Spartiates n’avaient pas pris part à la bataille décisive soutenue avec insuccès par Athènes et Thêbes à Chæroneia contre Philippe. Leur roi Archidamos, — qui avait agi conjointement avec Athènes dans la Guerre Sacrée, en essayant de soutenir les Phokiens contre Philippe et les Thêbains, — s’était ensuite retiré de la Grèce centrale pour assister les Tarentins en Italie, et avait été tué dans une bataille contre les Messapiens[13]. Il eut pour successeur son fils Agis, homme brave et entreprenant, sous lequel Les Spartiates, bien qu’ils s’abstinssent d’hostilités contre Philippe, déclinèrent résolument de prendre part au congrès de Corinthe, qui nomma le prince macédonien chef des Grecs ; et ils persistèrent même dans le même refus également lors de la nomination d’Alexandre. Quand ce prince envoya à Athènes trois cents panoplies après sa victoire au Granikos, pour être consacrées dans le temple d’Athênê, il déclara expressément, dans l’inscription, qu’elles étaient consacrées par Alexandre et les Grecs, à l’exception des Lacédæmoniens[14]. Agis prit les devants en essayant d’obtenir l’aide persane pour des opérations anti-macédoniennes en Grèce. Vers la fin’ de l’été de 333 avant J.-C., un peu avant la bataille d’Issus, il visita les amiraux persans à Chios, afin de demander des hommes et de l’argent pour une action projetée dans le Péloponnèse[15]. A ce moment, les amiraux avaient peu d’ardeur pour la cause de la Grèce, comptant (comme le faisaient alors la plupart des Asiatiques) sur la destruction complète d’Alexandre en Kilikia. Toutefois, aussitôt que le désastre d’Issus fut connu, ils mirent à la disposition d’Agis trente talents et dix trirèmes, qu’il employa, sous son frère Agésilas, à se rendre maître de la Krête, sentant qu’on ne pouvait s’attendre à aucun mouvement en Grèce dans une crise aussi décourageante. Agis lui-même alla bientôt dans cette île, après s’être renforcé d’une division des mercenaires grecs qui avaient combattu sous Darius à Issus. En Krête, il paraît avoir eu un succès temporaire considérable, et même dans le Péloponnèse, il organisa quelques démonstrations pour la répression desquelles Alexandre envoya Amphoteros avec une grande armée navale, dans le printemps de 331 avant J.-C.[16] A ce moment, la Phénicie, l’Égypte, et tout l’empire naval de la mer Ægée, avaient passé dans les mains du vainqueur, dé sorte que les Perses n’avaient aucun moyen direct d’agir sur la Grèce. Probablement Amphoteros recouvra la Krête, mais il n’avait pas de forces de terre pour attaquer Agis dans le Péloponnèse.

En octobre 331 avant J.-C., Darius fut battu à Arbèles et s’enfuit en Médie, laissant Babylone, Suse et Persépolis, avec la masse principale de ses immenses trésors, comme proie pour le vainqueur pendant l’hiver suivant. Après ces additions prodigieuses à la force d’Alexandre, il semblerait que, tout mouvement anti-macédonien, pendant le printemps de 330 avant J.-C.,  aurait dû être évidemment désespéré et même insensé. Cependant ce fut précisément alors que le roi Agis trouva moyen d’agrandir son échelle d’opérations dans le Péloponnèse, et détermina un corps considérable de nouveaux alliés à se oindre à lui. Quant à lui-même personnellement, lui et les Lacédæmoniens avaient été antérieurement dans un état de guerre ouverte avec la Macédoine[17], et conséquemment ils couraient peu de risques en plus ; en outre, c’était un des effets de la guerre asiatique de rejeter sur la Grèce de petites bandes de soldats qui avaient jusqu’alors trouvé du service dans les armées persanes. Ces hommes venaient volontiers au cap Tænaros s’enrôler sous un roi de Sparte guerrier ; de sorte qu’Agis se trouva à la tête d’une armée qui parut considérable aux Péloponnésiens, familiers seulement avec les petites proportions des rassemblements de guerre grecs, bien qu’insignifiante contre, Alexandre ou son vice-roi en Macédoine[18]. La révolte de Memnôn, le gouverneur macédonien de Thrace, fit briller un rayon inattendu d’espoir. Antipater fut forcé ainsi dé retirer quelques-unes de ses forces à une distance considérable der la Grèce, tandis qu’Alexandre, tout victorieux qu’il fût, étant en Persis ou en Médie, à l’est du mont Zagros, paraissait aux yeux d’un Grec avoir atteint les extrêmes limites du monde habitable[19]. Agis profita de cet encouragement partiel, pour sortir de Laconie avec toutes les troupes, mercenaires et indigènes, qu’il put réunir. Il invita les Péloponnésiens à faire un dernier effort contre la domination macédonienne, tandis que Darius conservait encore toute la moitié orientale de son empire, et qu’on pouvait encore espérer de lui de l’appui en hommes et en argent[20].

Quant à cette guerre, nous connaissons très peu de détails. D’abord, de brillants succès parurent réservés à Agis. Les Eleiens, les Achæens (excepté Pellênê), les Arkadiens (excepté Megalopolis) et quelques autres Péloponnésiens, se joignirent à son étendard, de sorte qu’il put réunir une armée qu’on porte à vingt mille fantassins et à deux mille chevaux. Défaisant les premières forces macédoniennes envoyées contre lui, il se mit en devoir d’assiéger Megalopolis, cité qui, actuellement comme jadis, était le boulevard de l’influence macédonienne dans la péninsule, et était probablement occupée par une garnison macédonienne. Athènes se montra disposée à accorder une sympathie active, et à équiper une flotte pour aider cet effort anti-macédonien. Phokiôn et Démade résistèrent à ce mouvement, sans doute pour toute raison de prudence, mais en particulier pour un motif financier, allégué par le second, qui assura que le peuple serait forcé de renoncer à la distribution théôrique[21]. Démosthène lui-même, dans des circonstances si évidemment décourageantes, ne put recommander la formidable démarche de se déclarer contre Alexandre, bien qu’il semble s’être permis d’exprimer des sympathies anti-macédoniennes générales, et s’être plaint de l’impuissance à laquelle la mauvaise politique passée d’Athènes l’avait amenée[22]. Antipater, finissant la guerre en Thrace aux meilleures conditions possibles, se hâta de revenir en Grèce, avec toutes ses forces, et arriva dans le Péloponnèse à temps, pour délivrer Megalopolis,qui avait commencé à être en danger. Une bataille décisive, qui se livra, en Arkadia, suffit pour terminer la guerre. Agis et son armée, les Lacédæmoniens en particulier, combattirent avec vaillance et désespoir, mais ils furent complètement défaits. Cinq mille de leurs soldats furent tués, y compris Agis lui-même, qui, bien que couvert de blessures, dédaigna de quitter le champ de bataille, et tomba en résistant jusqu’à la fin. Les vainqueurs, suivant un récit, perdirent trois mille cinq cents hommes ; suivant un autre, il y en eut mille de tués, avec un grand nombre de blessés. C’était une perte plus grande que celle qu’Alexandre, avait subie soit à Issus soit à Arbèles, preuve évidente qu’Agis et ses compagnons, bien que malheureux dans le résultat, avaient montré un courage digne des meilleurs jours de Sparte.

Les forces alliées furent alors si complètement écrasées que tous se soumirent à Antipater. Après avoir consulté le congrès favorable aux Macédoniens à Corinthe, il condamna les Achæens et les Eleiens à payer cent vingt talents à Megalopolis et força les Tégéens à punir ceux de leurs principaux personnages qui avaient conseillé la guerre[23]. Mais il ne voulut pas prendre sur lui de déterminer le traitement des Lacédœmoniens sans consulter spécialement Alexandre. Il leur demanda cinquante otages, et envoya à ce prince en Asie des députés ou prisonniers, qui devaient se mettre à sa merci[24]. On nous dit qu’ils n’atteignirent le roi que longtemps après, à Baktra[25] ; nous ignorons ce qui fut décidé au sujet de Sparte en général.

Le soulèvement des Thêbains, peu de mois après l’avènement d’Alexandre, avait été la première tentative faite par les Grecs pour s’affranchir de la domination macédonienne ; cette entreprise d’Agis fut la seconde. Toutes deux, malheureusement, avaient été partielles, sans possibilité d’aucune combinaison étendue ni combinée à l’avance ; toutes deux eurent une issue misérable, qui riva les chaînes de la Grèce plus fortement que jamais. C’est ainsi que la force que possédait la Grèce de se défendre elle-même fut anéantie peu à peu. Le plan d’Agis était en effet désespéré dès le début même, en tant qu’il attaquait la puissance gigantesque d’Alexandre ; et il n’aurait peut-être jamais été entrepris, si le roi Agis lui-même n’eût déjà été compris dans des hostilités contre la Macédoine, avant la destruction de l’armée persane à Issus. Ce malheureux prince (sans aucun talent supérieur, autant que nous le savons) montra un courage et un patriotisme pleins de dévouement, dignes de son prédécesseur Léonidas aux Thermopylæ, dont le renom est plus grand, uniquement parce que la bannière qu’il soutenait finit par triompher. Les Athéniens et les Ætoliens, qui ne prirent parti pour Agis ni les uns ni les autres, restèrent alors, Thèbes et Sparte ayant disparu, comme les deux grandes puissances militaires de la Grèce, que nous verrons bientôt paraître, quand nous arriverons à la dernière lutte soutenue pour l’indépendance grecque, — la guerre Lamiaque qui fut mieux combinée et promit davantage, et qui cependant ne fut pas moins désastreuse dans son résultat.

Bien que les plus fortes considérations de prudence condamnassent Athènes au repos pendant ce mouvement anti-macédonien dans le Péloponnèse, il a dû s’élever une puissante sympathie parmi ses citoyens tandis que la lutte se continuait. Si Agis eût gagné la victoire sur Antipater, les Athéniens se seraient probablement déclarés en sa faveur ; et bien qu’une position indépendante n’eût pu être maintenue d’une manière permanente contre un ennemi maître d’une puissance aussi écrasante qu’Alexandre, cependant si l’on songe qu’il était complètement occupé et loin dans l’intérieur de l’Asie, la Grèce aurait pu tenir tête à Antipater pendant un intervalle assez considérable. E, n face de pareilles éventualités, les craintes des hommes d’État partisans des Macédoniens alors au pouvoir à Athènes, les espérances de leurs adversaires, et, les antipathies réciproques des uns et des autres, ont dû se manifester d’un inaccoutumée ; de sorte que la réaction qui suivit, lorsque la puissance macédonienne devint plus irrésistible que jamais, fut considérée par les ennemis de Démosthène comme offrant une occasion favorable pour le ruiner et le déshonorer.

C’est à la particularité politique de ce moment que nous devons le débat judiciaire entre les deux grands orateurs athéniens : la mémorable accusation d’Æschine contre Ktesiphôn, pour avoir proposé une couronne en faveur de Démosthène, et la défense plus mémorable encore de Démosthène, au nom de son ami aussi bien qu’au sien propre. C’était dans l’automne ou dans l’hiver de 3.37-336- ayant J.-C., que Ktesiphôn avait proposé ce vote d’honneur en faveur de Démosthène, et qu’il avait obtenu l’acquiescement préalable (probouleuma) du sénat ; ce fut dans la même an-n4 attique, et peu de temps après, qu’Æschine attaqua la proposition en vertu de la Graphê Paranomôn, comme illégale, inconstitutionnelle, funeste, et fondée sur de fausses allégations[26]. Plus de six ans s’étaient ainsi écoulés depuis que l’accusation avait été formellement enregistrée ; cependant Æschine n’avait pas voulu la produire réellement devant le tribunal ; ce qui dans le fait ne pouvait se faire sans quelque danger pour lui-même, devant la justice nombreuse et populaire d’Athènes. Deux ou trois fois, avant que son accusation fût intentée, d’autres personnes avaient proposé de conférer le même honneur à Démosthène[27], et avaient été accusées en vertu de la Graphê Paranomôn ; mais avec un insuccès si marqué, que leurs accusateurs n’obtinrent pas même un cinquième des suffrages des dikastes, et furent en conséquence soumis (d’après le règlement permanent d’une loi attique) à une peine de mille drachmes. Le même danger attendait Æschine ; et bien que, par rapport à l’illégalité de la motion de Ktesiphôn (qui était le but direct et ostensible visé en vertu de la Graphê Paranomôn), son accusation fût fondée sur des circonstances spéciales que les accusateurs antérieurs n’ont pu être en état de présenter, cependant son dessein réel n’était pas de se borner à cet argument étroit et technique. Il avait l’intention d’étendre le cercle de l’accusation, de manière à y comprendre tout le rôle et toute la politique de Démosthène, qui, dans le cas où le verdict lui serait défavorable, se verrait ainsi publiquement déshonoré tant comme citoyen que comme homme politique. Dans le fait, à moins que ce dernier but ne fût atteint, Æschine ne gagnait rien à  porter l’accusation en justice ; car la seule déclaration de l’accusation devait4avoir eu déjà pour effet d’empêcher le probouleuma d’être transformé en décret, et la couronne d’être réelle -ment accordée. Sans doute Ktesiphôn et Démosthène auraient pu forcer Æschine à l’alternative soit de laisser tomber son accusation, soit de la porter devant le dikasterion. Mais c’était un défi hardi, que, eu égard à un vote purement honorifique, ils ne s’étaient pas senti le courage d’envoyer ; surtout après la prise de Thêbes en 335 avant J.-C., quand Alexandre victorieux demandait qu’on lui livrât Démosthène avec plusieurs autres citoyens.

C’est dans cet état d’expectative et de compromis, Démosthène jouissant de l’honneur ébauché d’un vote flatteur de la part du sénat, Æschine l’empêchant d’être transformé en vote du peuple, — que et le vote et l’accusation étaient restés pendant un peu plus de six ans. Mais l’accusateur se sentit actuellement encouragé à pousser soir accusation en justice au milieu du sentiment de parti réactionnaire, qui suivit l’avortement des espérances anti-macédoniennes, succéda à la victoire complète d’Antipater sur Agis, et amena l’accusation de citoyens anti-macédoniens à Naxos, à Thasos et dans d’autres cités grecques également[28]. Au milieu des craintes que l’on avait que le vainqueur ne voulût porter son ressentiment plus loin encore, Æschine pouvait à ce moment faire valoir qu’Athènes était déshonorée, pour avoir adopté ou même approuvé la politique de Démosthène[29], et qu’une condamnation expresse prononcée contre lui était le seul moyen de la délivrer de la charge clé connivence avec ceux qui avaient levé l’étendard contre la suprématie macédonienne. Dans une harangue pleine de talent et d’amertume, Æschine montre d’abord que la motion de Ktesiphôn était illégale, à cause des fonctions publiques occupées par Démosthène au moment où elle fût proposée ; — ensuite il entre en détail dans toute la vie et le rôle de Démosthène, pour prouver qu’il est indigne d’un pareil honneur, même n’y eût-il pas eu de motifs formels d’objection Il divise la vie entière de Démosthène en quatre périodes, la première, finissant à la paix de 346 avant J.-C. entre Philippe et les Athéniens, — la seconde, finissant à l’explosion de la guerre qui vient ensuite en 341-340 avant J.-C., — la troisième, finissant au désastre de Chæroneia, — la quatrième, comprenant tout le temps suivant[30]. Pendant toutes ces quatre périodes, il dénonce la conduite de Démosthène, comme avant été corrompue, perfide, lâche et ruineuse pour la cité. Ce qui est plus surprenant encore, il l’accuse expressément d’une grande dépendance à l’égard et de Philippe et d’Alexandre au moment même où il s’attribuait le mérite de leur faire une opposition patriotique et intrépide[31].

Qu’Athènes eût subi une triste défaite et une pénible humiliation, en ayant été abaissée de la position indépendante et même présidentielle au rôle dégradé de cité macédonienne sujette, depuis le moment où Démosthène débuta pour la première fois dans la vie politique, c’était un fait qui n’était que trop certain. Æschine en fait même une partie de son argumentation, en attribuant une révolution si déplorable à la mauvaise et perfide gestion de Démosthène, et en le dénonçant comme candidat à un éloge public sans autre titre qu’une série de calamités publiques[32]. Après avoir critiqué ainsi la conduite de Démosthène ayant la bataille de Chæroneia, Æschine arrive au passé plus récent, et il prétend que Démosthène ne peut être sincère dans sa prétendue inimitié pour Alexandre, vu qu’il a laissé échapper trois occasions successives, toutes extrêmement favorables, d’engager Athènes a se montrer hostile aux Macédoniens. De ces trois occasions, la première fut quand Alexandre passa pour la première fois en Asie ; la seconde, immédiatement avant la bataille d’Issus ; la troisième, pendant la série de succès obtenus par Agis dans le Péloponnèse[33]. Dans aucune de ces occasions Démosthène ne fit appel à aucune action publique contre la Macédoine, preuve (selon Æschine) que ses déclarations, anti-macédoniennes n’étaient pas sincères. J’ai déjà fait remarquer plus d’une fois, qu’à considérer l’inimitié amère qui régnait entre ces deux orateurs, on peut rarement se fier avec sûreté à l’allégation sans preuve de l’un des deux contre l’autre. Mais par rapport aux accusations mentionnées en dernier lieu qu’avançait Æschine, il y assez de faits connus, et nous avons des preuves indépendantes, telles que nous en rencontrons rarement, pour l’apprécier comme accusateur de Démosthène. La carrière victorieuse d’Alexandre, exposée dans les chapitres précédents, prouve amplement qu’aucune des trois périodes, indiquées ici par Æschine, ne présenta même un encouragement passable à Lin patriote athénien raisonnable pour engager son pays dans une guerre contre un ennemi aussi formidable. Rien ne peut, être plus frivole que ces accusations contre Démosthène, d’avoir laissé passer des moments favorables à des opérations anti-macédoniennes. En partie pour cette raison, sans doute, Démosthène ne les mentionne pas dans sa réponse ; peut-être, plutôt encore pour une autre raison ; c’est qu’il n’était pas sans danger d’exprimer ce qu’il sentait et pensait au sujet d’Alexandre. Sa réponse insiste entièrement sur la période qui précède la mort de Philippe. Quant a l’empire illimité acquis subséquemment par le fils de ce roi, il n’en parle que pour le déplorer comme un triste châtiment de la fortune, qui a désolé à la fois le monde hellénique et le monde barbare, — dans lequel Athènes a été engloutie avec les autres, — et auquel même ces Grecs sans foi et changeants, qui concouraient à agrandir Philippe, n’avaient pas mieux échappé qu’Athènes, ni à vrai dire aussi bien[34].

Je ne toucherai pas ici le discours de Démosthène De Coronâ au point de vue de la rhétorique, et je n’ajouterai rien taux éloges qui en ont été faits unanimement, tant dans l’antiquité que dans les temps modernes, comme étant le chef d’œuvre de l’éloquence grecque, dont il est impossible d’approcher. Il appartient à cet ouvrage comme portion de l’histoire grecque ; revue des efforts faits par un patriote et un homme d’État pour soutenir la dignité d’Athènes et l’autonomie du monde grec, contre un dangereux agresseur du dehors. J’ai raconté, dans les chapitres précédents, comment ces efforts furent dirigés, et, de quelle manière lamentable ils échouèrent. Démosthène les passe ici en revue, en répondant aux accusations dirigées contre sa conduite publique pendant l’intervalle de dix ans, entre la paix de 346 avant J.-C. (ou la période qui la précède immédiatement) et la mort de Philippe. Il est remarquable que, bien qu’il déclare entamer une défense de toute sa vie publique[35], il peut néanmoins se permettre de laisser sans la mentionner la portion de cette vie qui est peut-être la plus honorable pour lui, — l’ancienne période de ses premières Philippiques et de ses premières Olynthiennes, — alors que, quoique étant un politique encore novice et sans influence établie, il fut 18 Premier à, apercevoir à distance les périls dont menaçait l’agrandissement de Philippe, et le plus ardent à provoquer des précautions opportunes et énergiques contre son ambition, malgré l’apathie et les murmures de politiques plus âgés, aussi bien que du public en général. Commençant à la paix de 346 avant J.-C., Démosthène défend la part qu’il a eue aux antécédents de cet événement contre les accusations d’Æschine, qui dénonce comme l’auteur de tout le mal, controverse -que j’ai déjà essayé d’élucider dans un autre chapitre. Passant ensuite à la période qui suit cette paix, — aux quatre années d’abord, de diplomatie hostile, ensuite d’action hostile, contre Philippe, qui aboutirent au désastre de Chæroneia, — Démosthène ne se contente pas d’une simple justification. Il revendique cette politique comme un sujet d’orgueil et d’honneur, malgré ses résultats, Il félicite ses compatriotes d’avoir manifesté un patriotisme panhellénique digne da leurs ancêtres, et il ne réclame que l’honneur d’avoir été le premier à proclamer et à exprimer ce glorieux sentiment commun à tous. La fortune a été contraire ; cependant, sa politique anti-macédonienne vigoureuse n’était pas une erreur ; Démosthène le jure par les combattants de Marathôn, de Platée et de Salamis[36]. Qu’une domination étrangère ait été imposée à la Grèce, c’est une calamité accablante ; mais si elle l’avait été sans une énergique résistance de la part d’Athènes, à cette calamité se serait ajouté le déshonneur.

Conçue dans ce ton sublime, la réponse de Démosthène à son rival a une importance historique, comma oraison funèbre de la liberté athénienne et grecque anéantie. Sir, années auparavant, l’orateur avait été nommé Par ses compatriotes pour prononcer la harangue publique habituelle en l’honneur des guerriers tués à Chæroneia. Ce discours est aujourd’hui perdu ; mais il touchait probablement les mêmes arguments. Bien que la sphère d’action de toute cité grecque, aussi bien que de tout citoyen grec, fût actuellement entravée et limitée par une force macédonienne irrésistible, il restait encore le sentiment de la liberté et de la dignité politiques, dont on avait joui pleinement dans le passé, — l’admiration pour les ancêtres qui les avaient défendues avec succès, — et la sympathie pour les chefs qui s’étaient récemment mis en avant pour les soutenir, bien qu’ils eussent échoué. C’est un des faits les plus mémorables de l’histoire grecque, que, malgré la victoire de Philippe à Chæroneia, — malgré la conquête subséquente de Thèbes par Alexandre, et le danger dont elle menaça Athènes ; malgré les conquêtes en Asie, qui avaient depuis jeté toute la puissance persane dans les mains du roi macédonien, — le peuple athénien n’ait jamais pu être persuadé, soit de répudier Démosthène, soit de renier sa sympathie pour sa politique. Quel art et quel talent déployèrent ses nombreux ennemis pour l’amener à le faire, le discours d’Æschine suffit pour nous l’apprendre. Et si l’on songe avec quelle facilité le public se dégoûte de projets qui aboutissent à un malheur, — quel grand soulagement d’esprit procure habituellement le blâme jeté sur des chefs malheureux, — il n’eût pas été étonnant que, dans l’une des nombreuses persécutions où se trouva enveloppée la réputation de Démosthène, les dikastes eussent rendu contre lui un jugement défavorable. Qu’il en soit toujours sorti acquitté, et acquitté honorablement, c’est une preuve de fidélité rare et de constance de ce caractère dans les Athéniens. C’est une preuve que ces sentiments nobles, patriotiques et panhelléniques, que nous trouvons constamment inculqués dans ses discours pendant une période de vingt années, avaient pénétré dans les esprits de ses auditeurs, et qu’au milieu de maintes allégations générales de corruption avancées contre lui, proclamées hautement par ses ennemis, il n’y avait pas un seul fait bien prouvé qu’ils pussent établir devant le dikasterion.

L’accusation intentée actuellement à Ktesiphôn par Æschine ne fit que procurer un nouveau triomphe à Démosthène. Quand on compta les suffrages des dikastes, Æschine n’obtint pas même le cinquième. Il se trouva donc passible de l’amende ordinaire de mille drachmes. Il paraît qu’il quitta immédiatement Athènes, sans payer — l’amende, et qu’il se retira en Asie, d’où il ne revint jamais. Il ouvrit, dit-on, une école de rhétorique à Rhodes, et alla jusque dans l’intérieur de l’Asie pendant la dernière année de la vie d’Alexandre — au moment où ce monarque imposait aux cités grecques un rappel obligatoire de tous leurs, exilés —, afin d’obtenir son appui pour rentrer à Athènes. Ce projet fût désappointé par la mort d’Alexandre[37].

Nous ne pouvons supposer qu’Æschine fût hors d7état de payer l’amende de mille drachmes, ou de trouver des amis qui voulussent la payer pour lui. Ce ne fût donc pas une contrainte légale qui lui fit quitter Athènes ; ce furent le désappointement et l’humiliation extrêmes d’une défaite si marquée. Nous devons nous rappeler que c’était un défi gratuit envoyé par lui-même ; que la célébrité des deux rivaux avait attiré des auditeurs, non seulement d’Athènes, mais de diverses autres cités grecques, et que l’effet du discours de Démosthène dans sa propre défense, — prononcé avec toute sa perfection de voix et d’action, électrisant les auditeurs par la sublimité de son sentiment public, et de plus rempli de louange personnelle admirablement maniée et d’amertume méprisante à l’égard de son rival, — cet effet, dis-je, doit avoir été puissant et imposant à un point, inexprimable. Probablement les amis d’Æschine furent eux-mêmes irrités contre lui pour avoir poussé plus loin l’accusation ; car sa défaite a dû avoir pour effet que le vote du sénat, qu’il attaquait, fut présenté et passa dans l’assemblée publique, et que Démosthène a dû recevoir une couronne publique[38]. D’aucune autre manière, dans les circonstances actuelles où se trouvait Athènes, Démosthène, n’aurait pu obtenir un éloge aussi expressif. Il n’est donc guère surprenant qu’une pareille mortification fût insupportable à Æschine. Il se dégoûta de sa ville natale. Nous lisons que plus tard, dans son école de rhétorique de Rhodes, il débita un jour, comme leçon à ses disciples, l’heureuse harangue de son rival, De Coronâ. Naturellement, elle provoqua une explosion d’admiration. Que serait-ce, s’écria Æschine, si vous eussiez entendu le monstre lui-même !

De ce mémorable triomphe de l’illustre orateur et défenseur, nous avons à passer à un autre procès, — accusation directe portée contre lui, à laquelle il n’échappa point aussi facilement. Nous sommes forcé ici de sauter par-dessus cinq ans et demi (d’août 330 av. J.-C. à janvier 324 av. J.-C.), intervalle pendant lequel nous n’avons aucune information sur l’histoire grecque, et qui s’écoula entre la marche d’Alexandre en Bactriane et son retour en Persis et en Susiane. Mécontent de la conduite des satrapes pendant son absence, Alexandre en mit à mort ou punit plusieurs, et ordonna aux autres de licencier sans délai les troupes mercenaires qu’ils avaient prises à leur solde. Cet ordre péremptoire remplit l’Asie et l’Europe de détachements errants de soldats sans emploi, dont quelques-uns cherchèrent leur subsistance dans les îles grecques et sur la côte méridionale lacédæmonienne, au cap Tænaros, en Laconie.

Ce fût vers cette époque (commencement de 324 av. J.-C.) qu’Harpalos, le satrape de Babylonia et de Syria, commençant à éprouver des craintes à la pensée d’être puni par Alexandre pour ses fastueuses prodigalités, s’enfuit d’Asie en Grèce, avec un trésor considérable et un corps de cinq mille soldats[39]. Pendant qu’il était satrape, il avait appelé en Asie, successivement, deux femmes athéniennes comme maîtresses, Pythionikê et Glykera, à chacune desquelles il était fort attaché, et qu’il entretenait avec des dépenses et un luxe insensés. A la mort de la première, il témoigna sa douleur par deux monuments funèbres élevés à grands frais à sa mémoire ; l’un à Babylone, l’autre en Attique, entre Athènes et Eleusis. Quand Glykera, on dit qu’il résida, avec elle à Tarsos, en Kilikia, — qu’il ordonna aux hommes de se prosterner devant elle et de lui parler comme à une reine, — et qu’il éleva sa statue avec la sienne propre à Rhossos, port de mer sur les confins de la Kilikia et de la Syria[40]. Pour plaire à ces maîtresses, ou peut-être afin de s’assurer une retraite pour lui-même en cas de besoin, il avait envoyé à Athènes du blé en profusion à distribuer au peuple, de qui il avait reçu des votes de remerciement avec le don de droit de cité athénien[41]. De plus il avait confié à Chariklês, gendre de Phokiôn, la tâche d’élever le monument en Attique en l’honneur de Pythionikê, avec une remise considérable d’argent dans ce dessein[42]. Le profit ou le détournement résultant de cette dépense lui assura la bonne volonté de Chariklês, — homme très différent de son beau-père, l’honnête et austère Phokiôn. D’autres Athéniens furent probablement gagnés par divers présents ; de sorte que, quand Harpalos jugea à propos de quitter l’Asie, vers le commencement de 324 avant J.-C., il avait acquis déjà, quelque empire, tant sur le public d’Athènes que sur quelques-uns de ses principaux personnages. Il fit voile, avec son trésor et son armement, droit au cap Sunion, en Attique, d’où il envoya demander asile et protection dans cette cité[43].

Les premiers rapports transmis en Asie paraissent avoir annoncé que les Athéniens avaient accueilli Harpalos comme un ami et un allié, qu’ils avaient secoué le joug macédonien et s’étaient préparés à une guerre pour rétablir la liberté hellénique. C’est ainsi que le fait est coloré, tel qu7il est présenté dans le drame satirique appelé Agên, représenté devant Alexandre à la fête Dionysiaque à Suse, en février ou en mars 324 avant J.-C. Cette nouvelle, se rattachant, dans l’esprit d’Alexandre, à la récente défaite de Zopyrion, en Thrace, et à d’autres désordres des mercenaires licencié, l’enflamma tellement de colère, qu’il ordonna d’abord d’équiper une flotte, décidé à franchir la mer et à aller attaquer Athènes en personne[44]. Mais il fut bientôt calmé par une communication plus exacte, certifiant que les Athéniens avaient positivement refusé d’épouser la cause d’Harpalos[45].

Le fait de ce rejet final par les Athéniens est tout à fait incontestable. Mais il semble, autant que nous pouvons l’établir au moyen de preuves imparfaites, que cette mesure ne fut pas prise sans débat, ni sans symptômes d’une disposition contraire, suffisants pour expliquer les bruits qui arrivèrent d’abord aux oreilles d’Alexandre (324 av. J.-C.). A vrai dire, la première arrivée d’Harpalos à l’union excita l’alarme, comme s’il venait avec l’intention de, s’emparer de Peiræeus, et on chargea l’amiral Philoklês de, prendre des précautions pour la défense du port[46]. Mais Harpalos, envoyant son armement en Krête ou à Tænaros, sollicita et obtint la permission de venir à Athènes, avec un seul vaisseau et ses propres serviteurs personnels. Ce qui avait une importance plus grande encore, il apporta, avec lui  une somme considérable d’argent, montant, nous dit-on, à plus de sept cents talents, ou plus de quatre millions de francs. Nous devons nous rappeler qu’il était déjà favorablement connu du peuple par de grands présents de blé, qui lui avaient procuré un vote de droit de cité. Il se reposait actuellement sur la gratitude des Athéniens, comme un suppliant cherchant une protection contre la colère d’Alexandre ; et, tout en demandant aux Athéniens une intervention si dangereuse pour eux-mêmes, il ne négligea pas de les encourager en exagérant les moyens qu’il avait à sa disposition. Il s’étendit sur la haine et le mécontentement universels ressentis contre Alexandre, et donna l’assurance qu’à lui se joindraient de puissants alliés, étrangers aussi bien que Grecs, si une fois une cité comme Athènes levait l’étendard de la délivrance[47]. A un grand nombre de patriotes athéniens, plus ardents que doués d’une longue vue, ces appels inspirèrent et de la sympathie et de la confiance. De plus, Harpalos dut naturellement acheter tout partisan influent qui voulut accepter un présent, outre les hommes tels que Chariklês, qui étaient déjà dans ses intérêts. Sa cause fut épouse par Hypéride[48], citoyen anti-macédonien déclaré, et orateur qui ne le cédait qu’à Démosthène. Il semble qu’il y a tout lieu de croire qu’on fût d’abord fortement disposé à prendre parti pour l’exilé, le peuple n’étant pas effrayé même par l’idée d’une guerre avec Alexandre[49].

Phokiôn, qu’Harpalos s’efforça en vain de corrompre, résista naturellement à la proposition d’épouser sa cause. Et Démosthène résista aussi, d’une manière non moins décidée, dès le début même[50]. Nonobstant toute sa haine pour la suprématie macédonienne, il ne pouvait ne pas voir la folie qu’il y aurait à déclarer la guerre à Alexandre. Dans le fait, en étudiant ses discours d’un bout à l’autre, on trouvera ses conseils tout aussi remarquables pour la prudence que pour l’énergie du patriotisme, Toutefois, sa prudence en cette occasion fut nuisible à sa position politique ; car, tandis qu’elle irrita Hypéride et les citoyens les plus opposés aux Macédoniens, elle ne lui valut probablement rien de plus qu’une trêve temporaire de la part de ses0anoiens adversaires partisans d’Alexandre.

L’opposition combinée de politiques aussi opposés que Démosthène et Phokiôn l’emporta sur le mouvement que les partisans d’Harpalos avaient créé. On ne put obtenir de décret en sa faveur. Bientôt toutefois le cas se compliqua par l’arrivée d’ambassadeurs envoyés de Macédoine, par Antipater et Olympias, pour demander qu’on le livrât[51]. La même requête fût également adressée par l’amiral macédonien Philoxenos, qui arriva d’Asie avec une petite escadre. Ces demandes furent refusées, à la prière de Phokiôn non moins qu’à celle de Démosthène. Néanmoins on présenta alors au peuple les perspectives de la vengeance macédonienne comme si prochaines et si effrayantes, que toute disposition à appuyer Harpalos céda à la nécessité de se rendre Alexandre favorable. Un décret fut rendu à l’effet d’arrêter Harpalos, et de mettre tout son argent sous séquestre dans l’acropolis, jusqu’à ce qu’on pût recevoir des ordres spéciaux d’Alexandre, auquel, à ce qu’il parait, on envoya des députés qui emmenaient avec eux les esclaves d’Harpalos pour être interrogés par ce prince, et étaient chargés de solliciter auprès de lui une sentence, peu sévère[52]. Or ce fut Démosthène qui proposa ces décrets, à l’effet d’arrêter la personne d’Harpalos et de séquestrer son argent[53] ; et par là il encourut un ressentiment plus vif de la part d’Hypéride et des autres partisans d’Harpalos, qui le dénoncèrent comme une créature dans la dépendance du tout-puissant monarque. Harpalos fut emprisonné, mais bientôt il s’échappa, probablement fort à la satisfaction de Phokiôn, de Démosthène et de tous les autres citoyens : car même ceux qui désiraient le plus se débarrasser de lui devaient reculer devant l’odieux et le déshonneur de le livrer, même par contrainte, à une mort certaine. Il s’enfuit en Krête, où bientôt il fut tué par un de ses propres compagnons[54].

Au moment où l’on rendit les décrets pour l’arrestation et le séquestre, Démosthène pria un citoyen qui se trouvait près de lui de demander à Harpalos, publiquement dans l’assemblée, quel était le montant de son argent, que le peuple avait résolu à l’instant de séquestrer[55]. Harpalos répondit : sept cent -vingt talents, et Démosthène déclara cette somme au peuple, sur l’autorité d’Harpalos, insistant avec quelque force sur sa grandeur. Mais quand on en arriva à compter l’argent dans l’acropolis, on découvrit qu’il n’y avait en réalité pas plus de trois cent cinquante talents. Or on dit que Démosthène ne communiqua pas immédiatement au peuple ce prodigieux déficit dans la somme réelle en tant que comparée avec ce qu’avait annoncé Harpalos, et qu’il répéta lui-même dans l’assemblée publique. L’impression régna, nous ignorons pendant combien de temps, que sept cent vingt talents d’Harpalos avaient été réellement placés dans l’acropolis, et quand la vérité faillit par être connue, elle excita une grande surprise et lit jeter les hauts cris[56]. On supposa que la moitié de la somme annoncée qui manquait avait dû être employée en corruption, et des soupçons s’élevèrent contre presque tous les orateurs, y compris et Démosthène et Hypéride.

Dans cet état de doute, Démosthène proposa que le sénat de l’aréopage fît une enquête sur l’affaire et fît connaître quels étaient les délinquants présumés[57] qui méritaient d’être cités devant le dikasterion ; il déclara dans le discours qui accompagnait sa motion que les délinquants réels, quels qu’ils pussent être, méritaient la peine capitale. Les aréopagites différèrent leur rapport pendant six mois, bien que Démosthène, dit-on, le demandât avec quelque impatience. On fit des recherches dans les maisons des principaux orateurs, à l’exception d’un seul qui s’était marié récemment[58]. A la fin le rapport parut ; il énumérait plusieurs noms de citoyens que l’on pouvait accuser de s’être approprié cet argent, et il spécifiait combien chacun d’eux avait pris. Parmi ces noms se trouvait Démosthène lui-même, accusé d’avoir pris vingt talents, — Démade, six mille statères d’or, — et d’autres citoyens, avec différentes sommes attachées à leurs noms[59]. Sur ce rapport, on nomma dix[60] accusateurs publics chargés de poursuivre l’accusation contre les personnes spécifiées, devant le dikasterion. Au nombre des accusateurs était Hypéride, dont le nom n’avait pas été compris dans le rapport aréopagitique. De toutes les personnes accusées, Démosthène fut cité le premier, devant un nombreux dikasterion de quinze cents citoyens[61], qui confirma le rapport des aréopagites, le reconnut coupable et le condamna à payer cinquante talents à l’État. Comme il n’était pas en état d’acquitter cette amende considérable, on le mit en prison ; mais après quelques jours il trouva moyen de s’évader, et s’enfuit à Trœzen dans le Péloponnèse, où il passa quelques mois comme exilé, triste et découragé, jusqu’à la mort d’Alexandre[62]. Que fut-il fait à l’égard des autres citoyens compris dans le rapport aréopagitique, nous l’ignorons. Il paraît que Démade[63], — qui était du nombre, et qui est attaqué spécialement avec Démosthène et par Hypéride et par Dinarque, — ne comparut pas pour être jugé, et qu’il a dû par conséquent être condamné à l’exil ; toutefois, s’il en fut ainsi, il n’a pu tarder à revenir, vu qu’il semble avoir été à Athènes au moment de la mort d’Alexandre, Philoklês et Aristogeitôn furent également cités en justice comme étant compris par l’aréopage dans la liste des délinquants ; mais quelle fut l’issue de leur procès, c’est ce que nous ne voyons pas[64].

Cette condamnation et ce bannissement de Démosthène, incontestablement le plus grand orateur et l’un des plus grands citoyens de l’antiquité athénienne, — sont le résultat le plus pénible des débats relatifs à Harpalos. Démosthène lui-même nia l’accusation, mais par malheur nous ne possédons ni la défense ni les faits allégués, comme preuve contre lui ; de sorte que nos moyens d’établir une conclusion positive sont imparfaits. En même temps, à en juger par les circonstances autant que nous les connaissons, il y en a plusieurs qui peuvent prouver son innocence, et il n’y en a aucune qui tende à prouver sa culpabilité. Si l’on nous demande de croire qu’il reçut de l’argent d’Harpalos, nous devons savoir pour quel service fut fait le payement. Démosthène prit-il parti pour Harpalos, et conseilla-t-il aux citoyens d’épouser sa cause ? Garda-t-il même le silence, et s’abstint-il de le engager à rejeter les propositions ? C’est tout le contraire. Démosthène fut dès le commencement un adversaire déclaré d’Harpalos et de toutes les mesures que l’on prendrait pour appuyer sa cause. Plutarque, à la vérité, nous raconte l’anecdote suivante : — Démosthène commença par s’opposer à Harpalos, mais il ne tarda pas à être séduit par la beauté d’une coupe d’or parmi les trésors de ce satrape. Harpalos, remarquait son admiration, lui envoya, la nuit suivante, la coupe d’or avec vingt talents, que Démosthène accepta. Quelques jours après, quand l’affaire d’Harpalos fut débattue de nouveau dans l’assemblée publique, l’orateur parla gorge enveloppée de bandes de laine, et il affecta d’avoir perdu la voix ; alors le peuple, reconnaissant que cette feinte incapacité était dictée par le présent qu’il avait reçu, exprima son déplaisir en partie par des railleries sarcastiques, en partie par des murmures d’indignation[65]. Telle est l’anecdote de Plutarque. Mais nous avons une preuve qu’elle n’est pas vraie. Dans le fait il se peut que Démosthène ait été mis par un mal de gorge hors d’état de parler à quelque assemblée particulière ; dans cette mesure l’histoire peut être exacte. Mais qu’il ait renoncé à s’opposer à Harpalos (le point réel de l’allégation avancée contre lui), c’est ce qui n’est certainement pas vrai ; car nous savons, par ses accusateurs Dinarque et Hypéride, que ce fut lui qui fit la motion finale à l’effet d’emprisonner Harpalos et de séquestrer son trésor en dépôt pour Alexandre. En effet, Hypéride lui-même dénonce Démosthène comme ayant, par déférence obséquieuse pour le prince macédonien, fermé la porte à Harpalos et à ses espérances[66]. Cette opposition directe et continue est une preuve concluante que Démosthène ne fut ni payé ni acheté par Harpalos. Le seul service qu’il rendit à l’exilé fut de refuser de le livrer à Antipater et de ne pas l’empêcher de s’échapper de prison. Or Phokiôn lui-même concourut à ce refus ; et probablement les meilleurs Athéniens de tous les partis furent désireux de favoriser la fuite d’un exilé qu’il eût été odieux de remettre à un exécuteur macédonien. En tant que c’était un crime de ne pas empêcher Harpalos de s’échapper, le crime fut commis autant par Phokiôn que par Démosthène, et plus dans le fait, si l’on songe que Phokiôn était un des généraux chargés des devoirs administratifs les plus importants, — tandis que Démosthène était seulement un orateur, auteur de motions dans l’assemblée, De plus, Harpalos n’avait aucun moyen de récompenser les personnes, quelles qu’elles fussent, auxquelles il dut son évasion — car la même motion qui décréta son arrestation décréta aussi la séquestration de son argent, et lui enleva ainsi le moyen d’en disposer[67].

Ainsi l’accusation portée contre Démosthène par ses deux accusateurs, — celle d’avoir reçu de l’argent des mains d’Harpalos, — est telle que tous les faits connus de nous tendent à la réfuter. Mais ce n’est pas absolument le cas, tout entier. Démosthène eut-il le moyen de détourner l’argent, quand il cessa d’être sous le contrôle d’Harpalos ? A cette question aussi nous pouvons répondre par la négative, autant que la pratique athénienne nous met à même d’en juger.

Démosthène avait proposé, et le peuple avait voté, que ces trésors fussent placés, en dépôt pour Alexandre, dans l’Acropolis, lieu où était gardé habituellement tout l’argent publie athénien, — dans l’arrière-salle du Parthénon. Une fois placées dans cette salle, ces nouvelles richesses tombaient sous la garde des officiers du trésor athénien, et étaient hors de la portée de Démosthène t out autant que le reste de l’argent public. Qu’est-ce que Phokiôn lui-même aurait pu faire de plus, pour conserver intacts les fonds harpaliens, que de les mettre dans le lieu de sûreté reconnu ? Ensuite, quant à l’opération intermédiaire, de recevoir l’argent d’Harpalos pour le porter à l’Acropolis, il n’y a aucune preuve, — et à mon sens, aucune probabilité, — que Démosthène y ait été mêlé en rien. Même compter, vérifier et peser une somme de plus de deux millions de francs. non en billets de banque ou en lettres de change, mais subdivisée en monnaies nombreuses et pesantes (statères, dariques, tetradrachmes), qui vraisemblablement n’étaient pas même attiques, mais asiatiques, — ç’a dû être une tâche fastidieuse demandant à être accomplie par des calculateurs compétents, et étrangère aux habitudes de Démosthène. Les officiers du trésor athénien ont dû effectuer ce travail, en se pourvoyant des esclaves ou des millets nécessaires pour transporter un fardeau si pesant jusqu’à l’Acropolis. Or, nous avons d’amples preuves, par les inscriptions qui restent, que les détails concernant le transport et la vérification des richesses publiques, à Athènes, étaient accomplis habituellement avec un soin laborieux. Ce soin dut moins que jamais faire défaut dans le cas de l’immense trésor d’Harpalos, où le fait même du décret rendu impliquait une grande crainte d’Alexandre. Si Harpalos, quand on lui demanda publiquement dans l’assemblée, — quelle était la somme à porter dans l’Acropolis, — répondit en annonçant le montant qu’il avait apporté dans l’origine, et non celui qu’il avait de reste, — Démosthène pouvait assurément répéter cette assertion immédiatement après lui, sans qu’il fût sous-entendu par là qu’il s’engageait comme garant de son exactitude. Un avocat contraire, tel qu’Hypéride, pouvait, il est vrai, pointiller en disant[68] : — Tu as dit à l’assemblée qu’il y avait sept cents talents, et maintenant tu n’en produis pas plus de la moitié, — mais l’imputation enveloppée dans ces mots contre la probité de Démosthène, est absolument sans fondement. En dernier lieu, quand le véritable montant fut connu d’une manière certaine, faire un rapport à ce sujet était le devoir des officiers du trésor. Démosthène ne pouvait le connaître que par eux ; et il pouvait certainement être convenable pour lui, bien que ce ne fût en aucun sens un devoir obligatoire, de s’instruire, sur ce point, en voyant qu’il avait sans le savoir concouru à donner de la publicité à un faux renseignement. Le renseignement véritable fut donné ; mais nous ne savons ni par qui, ni à quel moment[69].

Ainsi, en examinant les faits qui nous sont connus, nous les voyons tendre tous à réfuter l’accusation avancée contre Démosthène. Cette conclusion sera certainement fortifiée par la lecture du discours accusatoire que composa Dinarque ; discours qui est une pure invective virulente, vide de faits, et de points d’évidence, et qui s’étend sur toute la vie de Démosthène pendant les -vingt années précédentes. Que le discours d’Hypéride aussi eût le même caractère décousu, c’est ce qu’indiquent les fragments qui restent. Même le rapport fait par les aréopagites ne contenait aucun exposé de faits, — aucun point justificatif, — rien qu’une spécification de noms avec les sommes pour lesquelles chacun d’eux était accusable[70]. Il paraît avoir été fait ex parte, autant que nous en pouvons juger, — c’est-à-dire, fait sans qu’on entendît ces personnes dans leur défense, à moins qu’il ne se trouvât qu’elles fussent elles-mêmes aréopagites. Cependant Hypéride et Dinarque présentent tous deux ce rapport comme étant à lui seul une preuve concluante que les dikastes ne pouvaient rejeter. Quand Démosthène demanda, comme le faisait naturellement tout défendeur, que l’accusation avancée contre lui fût démontrée par quelque preuve évidente, Hypéride écarta cette demande, comme n’étant rien de plus qu’un argument subtil et spécial[71].

Il reste à mentionner une autre considération. Neuf mois seulement après le verdict du dikasterion contre Démosthène, Alexandre mourut. Bientôt les Athéniens et les autres Grecs se levèrent contre Antipater dans la lutte appelée Guerre Lamiaque. Démosthène fut rappelé alors ; il reçut de ses concitoyens un accueil enthousiaste, tel qu’il n’en avait jamais été fait à un exilé de retour depuis les jours d’Alkibiadês ; il prit une part importante dans la direction de la guerre, et périt, lors de son issue désastreuse, en même temps que son accusateur Hypéride.

Ce prompt changement d’opinion au sujet de Démosthène appuie la conclusion que me semblent suggérer les autres circonstances du cas, — à savoir que le -verdict prononcé contre lui ne fut pas judiciaire, mais politique, et résulta des nécessités embarrassantes du moment.

L’on ne peut guère douter qu’Harpalos, pour lequel une déclaration de soutien actif de la part des Athéniens était une question de vie, ou de mort, n’ait distribué divers présents à tous ceux qui consentirent à les recevoir, et qui pouvaient favoriser ses vues, — et probablement même à quelques-uns qui s’abstenaient simplement de s’opposer à elles, — à tous, en un mot, si ce n’est à des adversaires prononcés. Si nous devions juger seulement d’après des probabilités, nous dirions qu’Hypéride lui-même, comme l’un des principaux appuis, dut être au nombre de ceux qui reçurent le plus[72]. Il y eut une abondante distribution de dons, — notoire dans la masse, bien que peut-être insaisissable dans le détail, — accomplie tout entière pendant le moment brillant de promesses qui marqua les premières discussions de l’affaire harpalienne. Quand le courant de sentiment prit une autre direction, — que la crainte de la force macédonienne devint le sentiment accablant, — qu’Harpalos et ses trésors furent séquestrés et mis en dépôt pour Alexandre, — les nombreuses personnes qui avaient reçu des présents étaient déjà compromises et alarmées. Probablement, afin de détourner les soupçons, elles furent elles-mêmes au nombre des plus empressées à demander à grands cris une enquête et une punition contre les délinquants. De plus, la cité était responsable de sept cents talents à l’égard d’Alexandre, tandis qu’il ne s’en trouvait que trois cent cinquante[73]. Il était indispensable que quelques individus déterminés fassent déclarés coupables et punis, en partie afin de mettre un terme aux accusations réciproques qui circulaient dans la cité, en partie pour apaiser le mécontentement d’Alexandre au sujet du déficit pécuniaire. Mais comment trouver les coupables ? Il n’avait pas, de ministère public ; le nombre de personnes soupçonnées mettait l’affaire hors de la portée d’accusations privées ; peut-être la marche recommandée par Démosthène lui-même était-elle la meilleure, à savoir de remettre à l’aréopage cette enquête préalable. Six mois s’écoulèrent avant que les aréopagites fissent leur rapport. Or, il est impossible de supposer que tout ce temps ait pu être employé à la recherche de faits, — et s’il l’avait été, le rapport une fois publié aurait contenu quelque trace de ces faits, au lieu de renfermer une simple liste de noms et de sommes. La probabilité est, que leur temps se passa tout autant en discussions de parti qu’en recherches de faits ; que les personnes qui différaient d’opinion furent longues à finir par s’entendre sur ceux qu’on sacrifierait ; et que, quand elles furent d’accord, ce fut une sentence plutôt politique que judiciaire, désignant Démosthène comme -7ictime extrêmement agréable à Alexandre, et comprenant aussi Démade, en manière de compromis, dans la même liste de délinquants, — deux politiques opposés, tous deux mal vus dans le moment. J’ai déjà fait observer que Démosthène était impopulaire à cette époque auprès des deux partis dominants ; auprès des philo-macédoniens, de longue date, et non sans motif-, suffisants — auprès des anti-macédoniens, parce qu’il se mettait en avant pour s’opposer à Harpalos. Ses accusateurs comptent sur la haine des premiers contre lui, comme chose toute naturelle ; ils le recommandent à la haine des seconds, comme une vile créature d’Alexandre, Parmi les dikastes il y avait sans doute des hommes des deux partis ; et comme corps collectif, ils purent probablement comprendre que ratifier la liste présentée par l’aréopage était la seule manière de clore finalement une question remplie de dangers et de discordes.

Telle semble être l’histoire probable des affaires harpaliennes. Elle laisse Démosthène innocent de pro  fit corrompu, non moins que Phokiôn ; mais pour les politiques athéniens en général, elle n’est nullement honorable ; tandis qu’elle présente la conscience judiciaire d’Athènes comme étant sous la pression de dangers du dehors, et comme travaillée par des intrigues de parti à l’intérieur[74].

Pendant la demi-année et plus qui s’écoula entre l’arrivée d’Harpalos à Athènes et le jugement de Démosthène, il se passa en Grèce un événement au moins d’une, importance considérable (324 av. J.-C.). Alexandre envoya Nikanor à la grande fête Olympique célébrée cette année, avec une lettre en forme ou rescrit, qui ordonnait à toute cité grecque de rappeler tous les citoyens qui étaient en exil, excepté ceux qui étaient souillés d’impiété. Ce rescrit, que lut publiquement à la fête le héraut qui avait gagné le prix à cause de la force de sa voix fut entendu avec le plus vif enthousiasme par vingt mille exilés, qui s’y étaient réunis sur l’avis qu’on avait l’intention de prendre cette mesure. Tel était le rescrit : — Le roi Alexandre aux exilés des cités grecques. Nous n’avons pas été l’auteur de votre bannissement ; mais nous serons l’auteur de votre rétablissement dans vos cités natales. Nous avons écrit à Antipater à ce sujet, en lui ordonnant d’employer la force contre celles des villes qui ne vous rappelleront pas de leur propre mouvement[75].

Il est évident que beaucoup d’exilés avaient exhalé leurs plaintes et leurs accusations devant Alexandre, et avaient trouvé en lui un auditeur bien disposé. Mais nous ne savons pas sur quelles recommandations ce rescrit avait été obtenu. Il semblerait qu’Antipater avait l’ordre en outre de restreindre ou de modifier les confédérations des cités achæennes et arkadiennes[76], et d’imposer non seulement, le rappel des exilés, mais la restitution de leurs biens[77].

Que ce rescrit souverain fût dicté par méfiance du ton de sentiment régnant dans les cités grecques en général, et destiné à remplir chaque cité de partisans dévoués d’Alexandre, — nous n’en pouvons pas douter. C’était de sa part un exercice de souveraineté impérieux et radical, — qui mettait de côté les conditions sous lesquelles il avait été nommé chef de la Grèce, — qui dédaignait même de rechercher des cas particuliers, et d’essayer une distinction entre des sentences justes et injustes, — qui maîtrisait en masse les autorités politiques et judiciaires dans chaque cité. Il proclamait avec une force amère la servitude du monde hellénique. Il était sûr que des exilés rétablis en vertu de l’ordre coercitif d’Alexandre rechercheraient l’appui de la Macédoine, mépriseraient les autorités de leur patrie, et rempliraient leurs cités  respectives de discordes qui les affaibliraient. La plupart des cités, n’osant pas résister paraissent avoir obéi à contrecœur ; mais les Athéniens et les Ætoliens refusèrent, dit-on, d’exécuter l’ordre[78]. Ce qui prouve le dégoût que le rescrit souleva dans Athènes, c’est que Dinarque adresse un reproche sévère à Démosthène, parce que, comme chef de la théôrie athénienne ou légation sacrée à la fête Olympique, on l’y vit accompagner publiquement Nikanor et causer familièrement avec lui[79].

Dans l’hiver ou ait commencement du printemps de 323 av. J.-C., plusieurs cités grecques envoyèrent en Asie des députés pour faire à Alexandre des remontrances contre cette mesure : nous pouvons présumer que les Athéniens étaient du nombre ; mais nous ne savons pas si les remontrances produisirent aucun effet[80]. Il parait qu’il régna en Grèce un mécontentement considérable pendant cet hiver et ce printemps (323 av. J.-C.). Les soldats licenciés venus d’Asie conservaient encore un camp à Tænaros ; là Leosthenês, Athénien énergique de sentiments anti-macédoniens consentit à les commander, et même il attira d’Asie de nouveaux soldats mercenaires, de concert avec divers confédérés à Athènes, et avec les Ætoliens[81]. Quant à l’argent, que l’on disait monter à cinq mille talents, apporté d’Asie par Harpalos, la plus grande partie n’avait pas été prise par ce dernier pour Athènes, mais elle paraît avoir été laissée à ses officiers pour l’entretien des troupes qui l’avaient accompagné.

Telle était la position générale des affaires quand Alexandre mourut à Babylone en juin 823 avant J.-C. Cette étonnante nouvelle, à laquelle personne ne pouvait avoir été préparé, a dû se répandre d’une extrémité à l’autre de la Grèce pendant le mois de juillet. Elle ouvrait les perspectives les plus favorables à tous les amis de la liberté et aux victimes de la domination macédonienne. Sa force militaire souveraine ressemblait au gigantesque Polyphemos après que son œil avait été crevé par Odysseus[82] — Alexandre n’avait pas laissé d’héritier capable, et personne ne s’imaginait que son vaste empire pût être maintenu dans une unité effective par d’autres mains. Antipater en Macédoine était menacé de la défection de divers voisins sujets de ce royaume[83].

La mort d’Alexandre ne fut pas plus tôt certifiée d’une manière incontestable que les chefs anti-macédoniens à Athènes excitèrent -vivement le peuple à se déclarer le premier champion de la liberté hellénique et à- organiser une confédération dans toute la Grèce pour cet objet. Démosthène était alors en exil, mais Leosthenês, Hypéride et d’autres orateurs du même parti se trouvèrent en état d’allumer dans leurs compatriotes une disposition et une détermination guerrières, malgré une opposition décidée de la part de Phokiôn et de ses partisans[84]. Les hommes riches pour la plupart se rangèrent du côté, de Phokiôn ; mais la masse des citoyens fut enflammée par le souvenir encourageant de ses ancêtres et par l’espérance de reconquérir la liberté grecque. On rendit un vote qui annonçait publiquement la résolution des Athéniens à cet effet. On décréta qu’on équiperait deux cents quadrirèmes et quarante trirèmes, que tous les Athéniens au-dessous de quarante ans seraient soumis à la réquisition militaire, et que des députés seraient envoyés, partout dans les diverses cités grecques, pour invoquer instamment leur alliance dans l’œuvre de l’affranchissement[85]. Phokiôn, bien qu’adversaire déclaré de ces projets guerriers, resta encore à Athènes et fut, à ce qu’il paraît, prorogé dans ses fonctions comme l’un des généraux[86]. Mais Pythéas, Kallimedôn et d’autres de ses amis s’enfuirent auprès à’Antipater, qu’ils aidèrent énergiquement à tenter d’arrêter le mouvement projeté dans toute la Grèce.

Leosthenês, à qui Athènes fournit quelque argent et des armes, se mit à la tête des mercenaires réunis à Tænaros et traversa le Golfe pour se rendre en Ætolia. Il y fut rejoint par les Ætoliens et les Akarnaniens, qui entrèrent avec ardeur dans la ligne avec Athènes, afin de classer les Macédoniens de la Grèce. S’avançant droit vers les Thermopylæ et la Thessalia, il rencontra de la faveur, et de l’encouragement presque partout. La cause de la liberté grecque fut épousée par les Phokiens, les Lokriens, les Doriens, les Ænianes, les Athamanes et les Dolopes ; par la plupart des Maliens, des Œtéens, des Thessaliens et des Achæens de Phthiôtis ; par les habitants de Leukas et par quelques-uns des Molosses, Diverses tribus illyriennes et thraces firent aussi des promesses de coopération. Dans le Péloponnèse, les Argiens, les Sikyoniens, les Épidauriens, les Trœzéniens, les Eleiens et les Messêniens entrèrent dans la ligue, aussi bien que les Karystiens en Eubœa[87]. Ces adhésions furent obtenues en partie par Hypéride et par les autres députés athéniens, qui visitèrent les diverses cités, tandis que Pythéas et d’autres ambassadeurs allaient partout de la même manière pour défendre la cause d’Antipater. Les deux côtés furent ainsi publiquement discutés par d’habiles avocats devant différentes assemblées publiques. Dans ces débats, l’avantage fut en général du côté des orateurs athéniens, dont les efforts furent en outre puissamment secondée par l’aide volontaire de Démosthène, qui vivait alors dans le Péloponnèse comme exilé.

Ce grand orateur vit avec plus de plaisir que personne la mort d’Alexandre et la nouvelle perspective d’organiser une, confédération hellénique avec quelque chance passable de succès. Il embrassa avec joie l’occasion de se joindre aux députés athéniens et de les assister dans les diverses villes du Péloponnèse, et ces députés sentirent tout le prix de son énergique éloquence. Le service qu’il rendit ainsi à son pays fut si important que non seulement les Athéniens lui accordèrent par un vote la permission de revenir, mais qu’ils envoyèrent une trirème qui devait le transporter au Peiræeus. Son arrivée causa une grande joie et un vif enthousiasme. Les archontes, les prêtres et tout le corps des citoyens se rendirent au port pour le recevoir à son débarquement et l’escorter jusqu’à la cité. Rempli d’une émotion passionnée, Démosthène exprima sa reconnaissance d’avoir pu voir un pareil jour et jouir d’un triomphe plus grand même que relui qui avait été conféré à Alkibiadês à son retour de i’exil, vu qu’il avait été accordé spontanément et non arraché par force. Son amende ne pouvait lui être remise, conformément à la coutume athénienne ; mais le peuple rendit un vote qui lui accordait cinquante talents comme surveillant du sacrifice périodique de Zeus Soter, et l’accomplissement de ce devoir par lui fut considéré comme équivalent à un acquittement de l’amende[88].

Quelle part Démosthène prit-il aux plans ou aux détails de la guerre, c’est ce qu’il ne nous est pas donné de savoir (automne 323 av. J.-C.). Des opérations vigoureuses se poursuivirent alors, sous le commandement militaire de Leosthenês. La confédération contre Antipater comprenait un assemblage plus considérable d’États helléniques que celle qui avait résisté à Xerxès ; en 480 avant J.-C. Néanmoins le nom de Sparte ne parait pas dans la liste. Ce fut un triste décompte pour les chances de la Grèce, dans cette dernière lutte qu’elle soutint pour son affranchissement, que les forces de Sparte eussent été écrasées dans l’effort vaillant, mais mal concerté, d’Agis contre Antipater, sept années auparavant, et qu’elles n’eussent pas été réparées depuis. Le grand boulevard des intérêts macédoniens, dans l’intérieur de la Grèce, était la Bœôtia. Platée, Orchomenos et les autres anciennes ennemies de Thèbes, ayant reçu d’Alexandre le domaine appartenant jadis à Thèbes elle-même, savaient bien que cet arrangement ne pouvait être maintenu que par la pression continue de la suprématie macédonienne en Grèce. Il semble probable aussi qu’il y avait des garnisons. macédoniennes dans la Kadmeia, — à Corinthe et à Megalopolis ; de plus, que les cités arkadiennes et achæennes avaient été macédonisées par les mesures prises contre elles en vertu des ordres d’Alexandre, l’été précédent[89] ; car nous lie trouvons pas ces villes mentionnées  dans la lutte prochaine. Les Athéniens équipèrent une armée de terre considérable destinée à rejoindre Leosthenês aux Thermopylæ, armée de citoyens composée de cinq mille fantassins et de cinq cents cavaliers, avec deux mille mercenaires en outre. Mais l’opposition résolue des cités bœôtiennes les empêcha d’avancer au delà du mont Kithærôn, jusqu’à ce que Leosthenês lui-même, -venant des Thermopylæ, pour les rejoindre avec une partie de son armée, attaquât les troupes bœôtiennes, remportât une victoire complète et ouvrit le passage. Il s’avança alors avec toutes les forces helléniques, comprenant des Ætoliens et des Athéniens, en Thessalia pour rencontrer Antipater, qui s’avançait de Macédoine en Grèce, à la tête des forces qui étaient immédiatement à sa disposition, treize mille fantassins et six mille cavaliers, — et avec une flotte de cent dix vaisseaux de guerre qui coopérait sur la côte[90].

Antipater n’était probablement pas préparé à cette réunion rapide et imposante de Grecs combinés aux Thermopylæ, ni aux mouvements énergiques de Leosthenês. Encore moins l’était-il à la défection de la cavalerie, thessalienne, qui, après avoir toujours formé un élément important dans l’armée macédonienne, prêtait actuellement sa force aux Grecs. Il envoya de pressants messages aux commandants macédoniens en Asie, — Krateros, Leonnatos, Philôtas, etc., pour solliciter des renforts ; mais en même temps il jugea à propos d’accepter le défi de Leosthenês, Toutefois, dans la bataille qui s’ensuivit, il fut complètement défait, et même la possibilité de se retirer en Macédoine lui fut enlevée. Il ne lui resta pas de meilleure ressource que la ville fortifiée de Lamia (près du fleuve Sperchios, au delà de la frontière méridionale de la Thessalia), où il comptait tenir jusqu’à ce qu’il arrivât des secours d’Asie. Immédiatement Leosthenês commença le siège de Lamia et le poussa avec la plus grande énergie, faisant diverses tentatives pour prendre la ville d’assaut. Mais ses fortifications étaient solides, avec une garnison nombreuse et forte, — de sorte qu’il fut repoussé avec des pertes considérables. Par malheur, il ne possédait ni train de machines de siège ni ingénieurs, ce qui avait formé un élément si puissant dans les succès militaires de. Philippe et d’Alexandre. Aussi se vit-il forcé de changer le siége en blocus et d’adopter des mesures systématiques pour intercepter l’arrivage des provisions. Il avait toute chance de réussir et de prendre Antipater en personne. Les espérances helléniques paraissaient brillantes et encourageantes ; on n’entendait à Athènes et dans les autres cités que félicitations et actions de grâces[91]. Phokiôn, en entendant le langage confiant de ceux qui l’entouraient, fit la remarque suivante : — Le stade (ou petite course) a été parcouru brillamment, mais je crains que nous n’ayons pas la force de fournir la longue course[92]. A ce moment critique, Leosthenês, en inspectant les tranchées du blocus, fut blessé à la tête par une grosse pierre, lancée de l’une des catapultes placées sur le mur de la cité, et il mourut en deux jours[93]. Hypéride prononça à Athènes une oraison funèbre en son honneur, aussi bien qu’en l’honneur des autres guerriers qui avaient péri en combattant contre Antipater[94].

La mort de cet éminent général, en plein courant de succès, fut un rude coup porté par la fortune à la cause de la liberté grecque. Pendant la dernière génération, Athènes avait produit plusieurs orateurs excellents, et un qui combinait une magnifique éloquence avec de sages et patriotiques conseils. Mais, pendant tout cet intervalle, aucun de ses citoyens, avant Leosthenês, n’avait déployé un génie et une ardeur militaires en même temps que des desseins panhelléniques. Sa mort paraît avoir sauvé Antipater de la défaite et de la captivité. Il était très difficile de maintenir, réunie une armée mêlée de Grecs, qui, après la bataille, se persuadaient facilement que la guerre était finie et désiraient retourner dans leurs foyers, — peut-être en promettant de revenir. Même du vivant de Leosthenês, les Ætoliens, le plus puissant contingent de l’armée, avaient obtenu la permission d’aller chez eux, pour quelque nécessité domestique, réelle ou prétendue[95]. Quand il fut tué, il n’y avait pas de commandant en second, et même, s’il y en avait eu un, l’influence personnelle d’un officier ne pouvait passer à un autre. On s’en référa à Athènes, où, après quelque débat, Antiphilos fut élu commandant, après, que la, proposition de nommer Phokiôn eut été faite et rejetée[96]. Mais, pendant cet espace de temps, il n’y avait pas d’autorité pour diriger les opérations militaires à même pour tenir l’armée réunie. Aussi les précieux moments indispensables pour rendre le blocus effectif furent-ils perdus, et Antipater put-il se maintenir jusqu’à ce que Leonnatos arrivât d’Asie pour le secourir. Nous pouvons juger combien la position d’Antipater était dangereuse par le fait qu’il sollicita la paix, mais que les assiégeants exigèrent qu’il se rendit à discrétion[97], — condition à laquelle il refusa de se soumettre.

Antiphilos parait avoir été un officier brave et capable. Mais, avant qu’il pût réduire Lamia, Leonnatos, venant d’Asie avec une armée macédonienne, avait franchi l’Hellespont et était arrivé aux frontières de la Thessalia (de l’automne à l’hiver 323-322 av. J.-C.). Un si grand nombre des contingents grecs avaient quitté le camp que le général athénien ne fût pas assez fort pour à la fois continuer le blocus et combattre l’armée de secours. En conséquence, il leva le blocus, et s’éloigna par des marches rapides afin d’attaquer Leonnatos séparément d’Antipater. Il accomplit cette opération avec vigueur et succès. Grâce à l’efficacité supérieure de la cavalerie thessalienne sous Menon, il remporta dans un combat de cavalerie un important avantage sur Leonnatos, qui lui-même fut tué[98], et la phalange macédonienne, étant ainsi exposée sur les flancs et par derrière, quitta la plaine pour un terrain plus difficile, laissant les Grecs maîtres du champ de bataille avec les morts. Le lendemain même, Antipater arriva, amenant les troupes de Lamia, et il prit le commandement de l’armée défaite. Toutefois, il ne jugea pas à propos de renouveler le combat ; mais il retira son armée de Thessalia en Macédoine, restant dans sa marche sur le terrain élevé, hors des atteintes de la cavalerie[99].

Dans le même temps en général que ces opérations en Thessalia, il parait que la guerre se faisait activement sur mer. Nous entendons parler d’une descente opérée par Mikiôn avec une flotte macédonienne à Rhamnonte, sur la côte occidentale de l’Attique, et qui fut repoussée par Phokiôn ; également d’une flotte macédonienne de deux cent quarante voiles, sous Kleitos, livrant deux combats à la flotte athénienne commandée par Eetiôn, près des îles appelées Echinades, à l’embouchure de la côte ætolienne occidentale. Les Athéniens furent défaits dans les deux engagements, et l’on fit à Athènes de grands efforts pour construire de nouveaux vaisseaux dans le dessein de combler les pertes qu’on avait éprouvées[100]. Nos informations ne sont pas suffisantes pour nous révéler le but ni les détails de ces opérations. Mais il semble probable que la flotte macédonienne attaquait l’Ætolia par Œniadæ, ville dont les citoyens avaient été récemment chassés par les Ætoliens[101], et il se peut que telle ait été la raison qui fit rappeler de Thessalia le contingent ætolien.

Malgré ces événements malheureux sur mer, la cause de la liberté panhellénique semblait prospère en général (printemps 322 av. J.-C.). Bien que l’occasion capitale eût été manquée, de faire Antipater prisonnier dans Lamia, cependant il avait été expulsé de Grèce, et il était hors d’état, au moyen de ses propres forces de Macédoine, d’y reprendre, un pied. Les contingents grecs s’étaient comportés : avec bravoure et unanimité dans la poursuite du but commun, et ce qui avait déjà été fait était bien suffisant pour justifier le soulèvement, comme risque légitime, promettant de raisonnables espérances de succès. Néanmoins des citoyens grecs ne ressemblaient pas à des soldats macédoniens exercés. Après un temps de service qui n’était pas fort prolongé, ils avaient besoin de retourner à leurs familles et à leurs biens, et cela n’arrivait guère moins après une victoire qu’après une défaite. Aussi l’armée d’Antiphilos en Thessalia finit-elle par beaucoup s’affaiblir[102], bien qu’elle restât encore assez considérable pour contenir les forces macédoniennes d’Antipater, même augmentées comme elles l’avaient été par Leonnatos, — et pour le forcer à attendre le renfort plus puissant encore destiné à suivre sous Krateros.

En expliquant les relations entre ces trois, commandants macédoniens, — Antipater, Leonnatos et Krateros, — il est nécessaire de revenir à juin 323 av. J.-C., époque de la mort d’Alexandre, et d’examiner l’état- dans lequel était tombé son vaste et puissant empire. Je ferai brièvement cet examen, et seulement en tant qu’il a trait aux dernières luttes et à la réduction définitive du monde grec.

A la mort inattendue d’Alexandre, le camp à Babylone, avec ses forces considérables, devint un théâtre de désordre. Il ne laissait pas de rejetons, si ce n’est un enfant nommé Hêraklês, qu’il avait eu de sa maîtresse Barsinê. Roxanê, une de ses épouses, était grosse, il est vrai, et au milieu des incertitudes du moment, la première disposition d’un grand nombre était d’attendre la naissance de son enfant. Elle-même, désireuse d’empêcher toute rivalité, fit tomber dans un piège et assassiner, avec sa sœur, Statira, la reine qu’Alexandre avait épousée en dernier lieu[103]. Il y avait toutefois à Babylone un frère d’Alexandre, nommé Aridæos (fils que Philippe avait eu d’une maîtresse thessalienne), déjà dans la force de l’âge, quoique faible d’intelligence, vers lequel penchait un parti plus considérable encore. En Macédoine, il y avait Olympias, mère d’Alexandre ; — Kleopatra, sa sœur, veuve d’Alexandre d’Épire, — et Kynanê[104], autre sœur, veuve d’Amyntas (cousin d’Alexandre le Grand et mis à mort par lui), toutes disposées à tirer parti de leur parenté avec le conquérant défunt, dans la lutte actuellement ouverte en vue du pouvoir.

Après une violente dispute entre la cavalerie et l’infanterie à Babylone, Aridæos fut proclamé roi sous le nom de Philippe Aridæos. Perdikkas fut nommé son tuteur et son premier ministre ; les diverses satrapies et les fractions de l’empire furent distribuées entre les autres officiers principaux. L’Égypte et la Libye furent assignées à Ptolemæos ; la Syria, à Laomedôn ; la Kilikia, à Philôtas ; la Pamphylia, la Lykia et la Grande Phrygia, à Antigonos ; la Karia, à Asandros ; la Lydia, à Menandros ; la Phrygia hellespontine, à Leonnatos ; la Kappadokia et la Paphlagonia, au Kardien Eumenês ; la Médie, à Pithôn. Les satrapies orientales furent laissées entre les mains de ceux qui les occupaient actuellement.

En Europe, les distributeurs donnèrent la Thrace avec la Chersonèse à Lysimachos ; les contrées à l’ouest de la Thrace, comprenant (avec les Illyriens, les Triballes, les Agrianes et les Épirotes) la Macédoine et la Grèce, à Antipater et à Krateros[105]. Nous trouvons ainsi les citées grecques transmises à de nouveaux maîtres, comme fragments de l’immense domaine laissé par Alexandre sans héritier désigné. On ne jugea plus nécessaire la vaine formalité de réunir et de consulter un congrès, de députés à Corinthe.

Tous les officiers mentionnés ci-dessus furent considérés comme des lieutenants locaux, administrant des portions d’un empire un et indivisible sous Les principaux officiers qui jouirent de l’autorité centrale, S’étendant sur tout l’empire, furent Perdikkas, chiliarque de la cavalerie (poste occupé par Hephæstion jusqu’à sa mort), espèce de vizir[106], et Seleukos, commandant des gardes à chevale Personne, à cette époque, ne parlait de partager l’empire. Mais on vit bientôt que Perdikkas, profitant de la faiblesse d’Aridæos, était résolu de ne lui laisser rien de plus que le titre de roi et à accaparer pour lui-même l’autorité réelle. Toutefois, dans ses disputes avec les autres chef, il représentait encore la famille souveraine et l’intégrité de l’empire, en luttant contre l’idée de séparation 7-et d’indépendance locale. Dans cette tâche (outre son frère Alketas), son auxiliaire le plus habile et le plus efficace fût Eumenês de Kardia, secrétaire d’Alexandre pendant plusieurs années jusqu’à sa mort. Un des premiers actes de Perdikkas fut d’arracher la Kappadokia au chef local Ariarathês (qui s’était arrangé pour l’occuper pendant tout le règne d’Alexandre), et de la transférer à Eumenês, auquel elle avait été assignée dans le plan général de partage[107].

Au moment de la mort d’Alexandre, Krateros était en Kilikia, à la tête d’une armée de vieux soldats macédoniens. Il lui avait été enjoint de la conduire en Macédoine, avec ordre d’y rester lui-même à la place d’Antipater, qui devait venir en Asie avec de nouveaux renforts. Krateros avait avec lui un papier d’instructions écrites par Alexandre, comprenant des projets, sur l’échelle la plus gigantesque, pour une conquête occidentale, — la translation d’habitants en masse d’Europe en Asie et d’Asie en Europe, — l’érection de magnifiques édifices religieux dans diverses parties de la Grèce et de la Macédoine, etc. Cette liste fut soumise par Perdikkas aux officiers et aux soldats autour de lui, qui écartèrent ces projets comme étant trop vastes pour qu’un autre qu’Alexandre y songeât[108]. Krateros et Antipater eurent chacun un droit égal à la Grèce et à la Macédoine, et les distributeurs de l’empire leur avaient assigné ces contrées conjointement, sans oser exclure l’un ou l’autre. Au milieu des prétentions rivales de ces grands officiers macédoniens, Leonnatos nourrissait aussi l’espoir d’obtenir le même prix. Il était satrape du territoire asiatique contigu à l’Hellespont, et il avait reçu des propositions de Kleopatra, à Pella, qui l’invitait à l’épouser et à prendre le gouvernement de Macédoine. Vers le même temps, il lui fut aussi envoyé (par l’entremise d’Hekatæos, despote de Kardia) des messages pressants d’Antipater, immédiatement après la défaite qui précéda le siège de Lamia, pour demander sa coopération contre les Grecs. En conséquence, Leonnatos vint avec l’intention d’aider Antipater contre les Grecs, mais aussi de le déposséder du gouvernement de la Macédoine et d’épouser Kleopatra[109]. Ce plan resta sans exécution, vu que (comme je l’ai déjà raconté) Leonnatos fut tué dans sa première rencontre avec les Grecs. Pour eux, sa mort fut un malheur sérieux ; pour Antipater, ce fut un avantage qui fit plus que contrebalancer sa défaite, puisqu’elle le délivra d’un rival dangereux.

Ce ne fut que l’été suivant que Krateros trouva le loisir (le conduire son armée en Macédoine (322 avant J.-C.). Par cette jonction, Antipater, auquel il céda le commandement, se trouva à la tète d’une puissante armée, — 40.000 fantassins pesamment armés, 5.000 chevaux et 3.000 archers et frondeurs. Il s’avança de nouveau en Thessalia contre les Grecs commandés par Antiphilos, et les deux armées se trouvèrent en présence dans les plaines thessaliennes, près de Krannôn. L’armée grecque consistait en 25.000 fantassins et en 3.500 cavaliers, — ces derniers Thessaliens, sous les ordres de Menon, troupe d’une force admirable. Les soldats, en général, étaient braves, mais insubordonnés, tandis que les contingents d’un grand nombre de cités étaient retournés dans leurs foyers sans revenir, malgré de pressantes remontrances du commandant, Espérant être rejoint par ces absents, Antiphilos et Menon essayèrent d’abord d’ajourner le combat ; mais Antipater les força à une bataille. Bien que Menon avec sa cavalerie thessalienne défit et dispersât la cavalerie macédonienne, l’infanterie grecque fut hors d’état de résister au nombre supérieur de l’infanterie d’Antipater et à la lourde pression de la phalange. Elle fut repoussée et plia ; toutefois, comme la phalange macédonienne était incapable de la poursuivre, elle se retira dans un ordre passable, jusqu’à un terrain voisin difficile, où elle fut bientôt rejointe par sa cavalerie victorieuse. Les Grecs, dit-on, perdirent cinq cents hommes ; les Macédoniens, cent vingt[110].

La défaite de Krannôn (août 322 av. J.-C.) ne fut ni décisive ni ruineuse en aucune sorte, et elle n’aurait probablement pas abattu l’ardeur de Leosthenês, s’il eût été vivant et revêtu du commandement. L’arrivée des contingents absents aurait pu encore permettre aux Grecs de résister à l’ennemi. Mais Antiphilos et Menon, après avoir tenu conseil, refusèrent d’attendre et d’accélérer cette jonction. Ils se crurent dans la nécessité d’envoyer ouvrir des négociations pour la paix avec Antipater, qui toutefois fit répondre qu’il ne reconnaîtrait aucune confédération grecque ni ne traiterait avec elle, et qu’il ne recevrait de propositions que de chaque cité séparément. Sur cette réponse les commandants grecs résolurent immédiatement de continuer la guerre, et de demander des renforts à leurs compatriotes. Mais leur propre manifestation de timidité avait détruit la chance qui restait de l’arrivée de ces renforts. Tandis qu’Antipater commença à agir avec vigueur et succès contre les cités thessaliennes séparément, les Grecs furent de plus en plus découragés et alarmés. Les cités les unes après les autres envoyèrent leurs députés pour demander la paix à Antipater, qui accorda à chacune des conditions douces, en réservant seulement les Athéniens et les Ætoliens. En peu de jours, l’armée grecque combinée fut dispersée ; Antiphilos avec les Athéniens retourna en Attique ; Antipater le suivit au sud jusqu’en Bœôtia, prenant ses quartiers au poste macédonien établi dans la Kadmeia, — jadis la Thêbes hellénique —, à deux jours de marche d’Athènes[111].

Contre les forces écrasantes qui se trouvaient ainsi sur les frontières de l’Attique, les Athéniens n’avaient aucun moyen de défense (322 av. J.-C.). Les principaux orateurs anti-macédoniens, en particulier Démosthène et Hypéride, se retirèrent aussitôt de la cité, et cherchèrent un asile dans les temples de Kalauria et d’Ægina. Phokiôn et Démade, comme les ambassadeurs les plus agréables à Antipater, furent envoyés à la Kadmeia pour porter la soumission de la cité et demander des conditions douces. Démade était, dit-on, privé de ses droits de citoyen et de la faculté de parler en public, pour avoir été accusé et reconnu coupable trois fois (quelques-uns disent sept fois) en vertu de la Graphê Paranomôn ; mais les Athéniens rendirent un vote spécial de réhabilitation, qui lui permit de reprendre ses fonctions de citoyen. Cependant, ni Phokiôn ni Démade ne purent déterminer Antipater à rien de moins qu’à la reddition d’Athènes à discrétion ; conditions que Leosthenês avait exigées d’Antipater lui-même à Lamia. Krateros était même disposé à s’avancer en Attique, pour dicter des conditions sous les murs d’Athènes ; et ce ne fut pas sans difficulté que Phokiôn obtint qu’il renonçât à cette intention ; puis il retourna à Athènes avec la réponse. Le peuple n’ayant pas d’autre choix que de se mettre à la merci d’Antipater[112], Phokiôn et Démade retournèrent à Thêbes pour apprendre sa détermination. Cette fois, ils furent accompagnés par le philosophe Xenokratês, — le successeur de Platon et de Speusippos, en qualité de premier maître dans l’école de l’Académie. Bien que n’étant pas citoyen d’Athènes, Xenokratês y avait résidé longtemps ; et Fon supposait que la dignité de son caractère et la supériorité de son intelligence pourraient être efficaces pour apaiser la colère du vainqueur. Aristote avait quitté Athènes pour Chalkis avant cette époque ; autrement lui, l’ami personnel d’Antipater, aurait probablement été choisi pour cette pénible mission. Dans le fait, Xenokratês ne réussit pas, étant durement reçu et presque réduit au silence par Antipater. Une raison de la conduite du Macédonien peut être que le philosophe avait été jusqu’à un certain point le rival d’Aristote ; et il faut ajouter, à son honneur, qu’il conserva un,ton plus élevé et plus indépendant qu’aucun des deux autres députés[113].

Suivant les conventions dictées par Antipater, les Athéniens devaient payer une somme égale à tous les frais de la guerre ; livrer Démosthène, Hypéride, et vraisemblablement du moins deux autres orateurs anti-macédoniens ; recevoir une garnison macédonienne dans Munychia, abandonner leur constitution démocratique, et enlever leurs privilèges à tous leurs citoyens pauvres. La plupart de, ces hommes pauvres devaient être transportés de leurs demeures, et recevoir de nouvelles terres sur un rivage étranger. Les colons athéniens à Samos devaient être dépossédés et l’île rendue aux exilés et aux indigènes samiens.

On dit que Phokiôn et Démade entendirent ces conditions avec satisfaction, comme douces et raisonnables. Xenokratês fit contre elles la protestation la plus forte qu’admettait le cas[114], quand il dit : — Si Antipater vous regarde comme des esclaves, les conditions sont modérées ; s’il vous regarde comme des citoyens, elles sont rigoureuses. Quand Phokiôn demanda qu’on renonçât à introduire une garnison, Antipater répondit par un refus, en donnant à entendre que la garnison ne serait pas moins utile à Phokiôn  lui-même qu’aux Macédoniens ; tandis que Kallimedôn aussi, exilé athénien qui était là, repoussa la proposition avec mépris. Relativement à l’île de Samos, on détermina Antipater à permettre qu’on s’en référât spécialement à l’autorité souterraine.

Si Phokiôn jugeait les conditions douces, nous devons croire qu’il s’attendait à une sentence de destruction contre Athènes, pareille à celle qu’Alexandre avait prononcée et exécutée contre Thêbes. Cette comparaison seule petit les faire paraître douces. Des 21.000 citoyens d’Athènes ayant droit à ce titre, tous ceux qui ne possédaient pas de biens montant à 2.000 drachmes furent condamnés à la perte de leurs droits et à la déportation. Le nombre au-dessous de cette qualité prescrite, qui tomba sous le coup de cette peine, fut de 12.000, ou les trois cinquièmes du tout. On les écarta comme des démocrates turbulents et bruyants ; les 9.000 citoyens les plus riches, le parti de l’ordre, restèrent en possession exclusive, non seulement du droit de citoyen, mais encore de la cité. Les 12.000 condamnés furent déportés hors de l’Attique, quelques-uns en Thrace, d’autres sur la côte illyrienne ou italienne, d’autres en Libye on dans le territoire Kyrénaïque. Outre la multitude bannie simplement à cause d’une pauvreté comparative, les politiques anti-macédoniens marquants furent bannis aussi, y compris Agnonidês, ami de Démosthène et l’un de ses défenseurs les plus ardents quand il fût accusé relativement aux trésors harpaliens[115]. A la requête de Phokiôn, Antipater consentit à rendre la déportation moins radicale qu’il ne l’avait projeté dans l’origine, jusqu’à permettre à quelques exilés, à Agnonidês entre autres, de rester dans les limites du Péloponnèse[116]. Nous le verrons bientôt méditer une déportation plus complète encore du peuple ætolien.

Il est profondément à regretter que cette importante révolution, qui non seulement enlevait à Athènes une moitié de sa population de citoyens, mais encore comprenait une déportation pleine de souffrances et de maux : individuels, ne nous soit communiquée que dans deux ou trois phrases de Plutarque et de Diodore, sans aucun détail dû à des observateurs contemporains. Diodore l’appelle un retour à la constitution solonienne ; mais la comparaison déshonore le nom de cet admirable législateur, dont les changements, pris dans leur ensemble, en accordant de nouveaux droits, eurent un caractère prodigieusement libéral, comparativement avec ce qu’il trouva établi. La déportation ordonnée par Antipater doit, dans le fait, avoir réduit, les citoyens pauvres d’Athènes à un état de souffrance, dans les contrées étrangères, analogue à ce que Solôn décrit comme avant précédé sa Seisachtheia, ou mesure pour le soulagement des débiteurs[117]. Quelles règles les neuf mille citoyens qui restaient adoptèrent-ils pour leur nouvelle constitution ; c’est ce que nous ignorons. Tout ce qu’ils firent a dû alors être soumis au consentement d’Antipater et de la garnison macédonienne, qui entra dans Munychia, sous le commandement de Menyllos, le 20 du mois boedromion (septembre) un peu plus d’un mois après la bataille de Krannôn. Le jour de son entrée présenta un pénible contraste. C’était le jour dans lequel, pendant la cérémonie annuelle des mystères de Dêmêtêr Eleusinienne, la multitude des citoyens, dans une procession de fête, escortait le dieu Iacchos d’Athènes à Eleusis[118].

Une des premières mesures des Neuf Mille fut de condamner à mort, sur la proposition de Démade les orateurs anti-macédoniens distingués qui avaient déjà fui, — Démosthène, Hypéride, Aristonikos et Himeræos, frère du citoyen célèbre dans la suite comme Demêtrios le Phaléréen (octobre 322 av. J.-C.). Les trois derniers s’étant réfugiés à Ægina, et Démosthène dans Kalauria, ils étaient tous hors de la portée d’une sentence athénienne, mais non au delà de celle du glaive macédonien. A cette lamentable époque, la Grèce était remplie de pareils exilés, les chefs anti-macédoniens de toutes les cités qui avaient pris part à la guerre Lamiaque. Les officiers d’Antipater, appelés dans le langage du temps les Chasseurs d’exilés[119], étaient partout aux aguets pour arrêter ces hommes proscrits ; un grand nombre d’orateurs, des autres cités aussi bien que d’Athènes, furent tués, et aucun d’eux ne trouva de refuge que dans les montagnes d’Ætolia[120]. Un de ces officiers, un Thurien nommé Archias, qui avait jadis été acteur tragique, passa avec une compagnie de soldats thraces à Ægina, où il arrêta les trois orateurs athéniens, — Hypéride, Aristonikos et Himeræos, — en les arrachant de l’asile de l’Æakeion ou chapelle d’Æakos. On les envoya toue comme prisonniers à Antipater, qui, pendant ce temps, s’était avancé avec son armée jusqu’à Corinthe et à Kleonæ dans le Péloponnèse. Ils furent tous mis à mort par son ordre. On dit nième, et sur une autorité respectable, que, la langue d’Hypéride fut tranchée avant qu’il fût tué ; suivant une autre assertion, il la coupa lui-même avec ses dents et la cracha, — quand on le mit à la torture, et qu’il voulut rendre impossible la révélation de secrets. Relativement aux détails de sa mort, il y avait plusieurs récits différents[121].

Après avoir conduit ces prisonniers à Antipater, Archias se rendit avec ses Thraces à Kalauria à la recherche clé Démosthène (octobre 322 av. J.-C.). Le temple de Poseidôn qui Y était situé, et dans lequel l’orateur avait cherché un asile, était tenu en si grande vénération qu’Archias, hésitant à l’en arracher de force, essaya de le persuader de sortir volontairement, sous la promesse qu’il ne lui serait fait aucun mal. Mais Démosthène, sachant bien le sort qui l’attendait, avala du poison dans le temple, et quand la dose commença à faire son effet, il sortit du terrain sacré, et expira immédiatement après qu’il eut passé la limite. Les circonstances qui accompagnèrent cette mort étaient racontées de plusieurs manières différentes[122]. Eratosthène (vers l’autorité duquel je penche) affirmait que Démosthène portait le poison dans un anneau autour de son bras ; d’autres disaient qu’il était suspendu dans un sachet de toile autour de soit cou ; suivant Lin troisième récit, il était contenu dans une plume à écrire, qu’on le vit mordre et sucer, pendant qu’il composait une dernière lettre destinée à Antipater. Au milieu de ces détails contradictoires, nous pouvons seulement affirmer comme certain que le poison dont il s’était pourvu à l’avance le sauva (le l’épée d’Antipater, et peut-être d’avoir la langue coupée. L’assertion la plus remarquable fut celle que Democharês, neveu de Démosthène, avança dans ses harangues -à Athènes quelques années plus tard. Democharês affirmait que son oncle n’avait pas pris de poison, mais qu’il avait été doucement retiré du monde, par une providence spéciale des dieux, juste au montent essentiel pour qu’il échappât à la cruauté des Macédoniens. Ce qui ne mérite pas moins d’être signalé, comme explication de la veine de sentiment qui régna dans la suite, c’est qu’Archias, le Chasseur d’exilés, périt, affirmait-on, dans le plus grand déshonneur et la dernière misère[123].

Les morts -violentes de ces illustres orateurs, l’enlèvement des droits et la déportation du Dêmos athénien, la suppression des dikasteria publics, l’occupation d’Athènes par une garnison macédonienne, et de la Grèce en général par des officiers macédoniens Chasseurs d’exilés, — sont des événements qui appartiennent à une seule et même lamentable tragédie, et qui marquent l’extinction du monde hellénique autonome.

Quant à Hypéride comme citoyen, nous ne connaissons de lui que le fait général, — qu ?il fit depuis le commencement jusqu’à la fin, et avec un talent oratoire qui ne le cédait qu’à celui de Démosthène, une opposition énergique à la domination macédonienne sur la Grèce ; bien que les poursuites qu’il dirigea contre Démosthène, relativement au trésor harpalien, paraissent (autant que nous en pouvons juger par ce que nous avons sous les yeux) très peu, honorables.

Quant à Démosthène, nous possédons sur lui plus de renseignements, — assez pour le juger tant comme citoyen que comme homme d’État. Quand il mourut, il avait environ soixante-deux ans, et nous avons sous les yeux sa première Philippique, prononcée trente ans auparavant (352-351 av. J.-C.). Nous sommes sûr ainsi que, môme à cette première époque, il mesura avec sagacité et prévoyance le danger dont l’énergie et les empiétements de Philippe menaçaient la liberté grecque. Il révéla avec force à ses compatriotes ce danger prochain, à un moment où les politiques plus âgés on plus influents ne pouvaient ou ne voulaient pas le voir ; il demanda avec instance à ses concitoyens un service personnel et des contributions pécuniaires, en fortifiant cet appel par tous les artifices d’une éloquence consommée, alors que ces propositions : désagréables ne faisaient que lui valoir de l’impopularité. A l’époque où Démosthène adressa ces appels énergiques à ses compatriotes, longtemps avant la chute d’Olynthos, la puissance de Philippe, quoique formidable, aurait pu parfaitement bien être contenue dans les limites de la Macédoine et de la Thrace, et l’aurait probablement été si Démosthène eût possédé en 351 avant J.-C. autant d’influence publique qu’il en avait acquis dix ans plus tard, en 341 avant J.-C.

D’un bout à l’autre de la carrière de Démosthène comme conseiller public, jusqu’à la bataille de Chæroneia, nous retrouvons la même combinaison d’ardent patriotisme avec une politique sage et prévoyante. Pendant la guerre de trois années, qui aboutit à la bataille de Chæroneia, les Athéniens en général suivirent ses conseils ; et quelque désastreux qu’aient été les derniers résultats militaires de la guerre, dont Démosthène ne pouvait être responsable, — ses périodes antérieures furent honorables et heureuses, son plan général fût le meilleur que le cas admit, et sa direction diplomatique universellement triomphante. Mais ce qui donne aux desseins et à la politique de Démosthène une grandeur particulière, c’est qu’ils ne furent pas seulement athéniens, mais qu’ils furent aussi panhelléniques à un haut degré. Ce ne fut pas Athènes seule qu’il chercha à défendre contre Philippe, ce fut tout le monde hellénique. Sous ce rapport, il s’élève au-dessus des plus grands de ses prédécesseurs pendant un demi-siècle avant sa naissance, — Periklês, Archidamos, Agésilas, Épaminondas, dont la politique fut athénienne, spartiate, thêbaine plutôt qu’hellénique. Il nous ramène au temps de l’invasion de Xerxès et de la génération qui la suivit immédiatement, alors que les luttes des Athéniens contre les Perses et leurs souffrances étaient ennoblies par une identité complète d’intérêt avec la Grèce collective. Les sentiments auxquels Démosthène fait appel d’un bout à l’autre de ses nombreux discours sont ceux du plus noble et du plus large patriotisme — qui essayait d’allumer l’ancien sentiment grec d’un inonde hellénique autonome, comme indispensable condition d’une existence digne et désirable[124], — mais qui inculquait en même temps que ces avantages ne pouvaient être conservés que par les fatigues, le sacrifice de soi-même et de sa fortune, et la disposition à braver un service personnel dur et prolongé.

Depuis la destruction de Thèbes par Alexandre en 335 av. J.-C. jusqu’à la guerre Lamiaque après sa mort, la politique d’Athènes ne fut pas dirigée par Démosthène, et elle ne pouvait pas l’être. Mais tout condamné qu’il fiât à une inutilité relative, il rendit cependant un service important à Athènes, dans l’affaire harpalienne de 324 avant J.-C. Si, au lieu de s’opposer à l’alliance de cette cité avec Harpalos, il l’avait appuyée avec autant clé chaleur qu’Hypéride, — les promesses exagérées de cet exilé auraient probablement prévalu, et la guerre aurait été déclarée à Alexandre, Quant à l’accusation d’avoir été corrompu par Harpalos, j’ai déjà présenté les raisons qui peuvent le faire croire innocent. La guerre Lamiaque, dernier théâtre de son activité, ne fut pas dans l’origine suggérée par lui, puisqu’il était en exil à son début. Mais il s’y jeta avec une ardeur sans réserve, et servit beaucoup à procurer à sa patrie le nombre considérable d’adhésions qu’il obtint de tant d’États grecs. Malgré son résultat désastreux, elle fut, comme la bataille de Chæroneia, un glorieux effort fait pour recouvrer la liberté grecque, dans des circonstances qui promettaient un espoir légitime de succès. Il n’y avait pas une excessive témérité à compter sur des divisions dans l’empire laissé par Alexandre, — sur une hostilité mutuelle, entre les principaux officiers, — et sur la probabilité de n’avoir affaire qu’à Antipater et à la Macédoine, avec peu ou point de renforts d’Asie. Quelque désastreuse que finît par être l’entreprise, cependant le risque méritait bien d’être couru avec un si noble objet -comme enjeu ; et si la guerre avait pu être prolongée une année de plus, son issue aurait été probablement très différente. Nous le verrons bientôt quand nous en viendrons à suivre les événements asiatiques. Après une catastrophe aussi ruineuse, qui anéantissait la liberté de la parole en Grèce et dispersait le Dêmos athénien dans des terres éloignées, Démosthène lui-même n’aurait pu guère désirer, à l’âge de soixante-deux ans, prolonger son existence comme fugitif au delà de la mer.

Des discours qu’il composa pour, des plaideurs privés, à l’occasion aussi pour lui-même, devant le dikasterion, — et des nombreuses harangues destinées à stimuler et à avertir les Athéniens sur les affaires publiques du moment, harangues qu’il avait adressées à ses compatriotes assemblés, il ne reste qu’un petit nombre que la postérité puisse admirer. Ces harangues nous servent non seulement comme preuve de sa supériorité incomparable sons le rapport de l’éloquence, mais encore comme l’une des principales sources qui nous mettent à même d’apprécier la dernière phase de la vie grecque libre, en tant que réalité agissant et fonctionnant.

 

 

 



[1] Aristote, Phys., IV, 3, p. 210 a, 21.

[2] Démosthène, Olynthiennes, III, p. 36.

[3] Æschine, cont. Ktesiphôn, 552.

[4] Æschine, cont. Ktesiphôn, 552.

[5] Vita Demosthenis, ap. Westermann, Scriptor. Biograph., p. 301.

[6] Pausanias, I, 25, 4.

[7] Depuis que la domination macédonienne (fait observer Démosthène, De Coronâ, p. 331) est devenue toute-puissante, Æschine et des hommes de sa trempe exercent un grand ascendant et une grande influence, — moi je sais impuissant : il n’y a pas de place à Athènes pour des citoyens et des conseillers libres, mais seulement pour les hommes qui font ce qu’on leur ordonne et qui flattent le potentat qui règne.

[8] Arrien, I, 29, 8.

[9] Plutarque, Phokiôn, 30.

[10] Voir le remarquable décret en l’honneur de Lykurgue, rendu par le peuple athénien dix-sept ou dix-huit ans après sa mort, dans l’archontat d’Anaxikratês, 307 avant J.-C. (Plutarque, Vit. X Orator., p. 852). La partie de ce décret qui énumère ses actes et qui constitue quatre cinquièmes du tout, s’étend sur la conduite publique de Lykurgue, et est très importante.

Il semble que les douze années d’administration financière exercée par Lykurgue doivent être prises probablement, soit de 342-330 avant J.-C. — ou quatre ans plus tard, de 338-326 avant J.-C. Bœckh laisse le point indéterminé entre les deux. Droysen et Meier préfèrent la première période, — O. Müller la plus récente, (Bœckh, Urkunden ueber das Attische Seewesen, et la seconde édition de sa Staatshaultung der Athener, vol. II, P. 114-118.)

Le total de l’argent public, rapporté par l’inscription comme ayant passé par les mains de Lykurgue pendant les douze années, était de 18.900 talents  = 108.500.000r fr., ou environ, Il avait en outre en dépôt, dit-on, une grande quantité d’argent que lui confiaient des particuliers. Ses devoirs publics comme trésorier furent accomplis, pendant les quatre premières années, en son propre nom, pendant les huit dernières, au nom de deux amis différents.

[11] Plutarque, Phokiôn, 28.

[12] Æschine (adv. Ktesiphôn, p. 635) mentionne cette mission de Ktesiphôn auprès de Kleopatra. Il accuse aussi (dans le même discours) Démosthène d’avoir envoyé des lettres à Alexandre, pour solliciter pardon et faveur. Il dit qu’un jeune homme nommé Aristôn, ami de Démosthène, était en faveur auprès de la personne de ce prince, et que ce fut par son entremise que les lettres furent envoyées. Il cite comme ses autorités les marins du navire athénien public appelé la Paralos, et les députés athéniens qui allèrent vers Alexandre en Phénicie dans le printemps ou l’été de 331 avant J.-C. (Cf. Arrien, III, 6, 3). Hypéride également semble avoir avancé la même allégation contre Démosthène. Voir Harpocration, v. Άριστίων.

Le discours d’Hypéride ci, il défend Euxenippos (récemment publié par M. Churchill Babington), prononcé à quelque moment pendant le règne d’Alexandre, fournit une prouve générale du sentiment répandu au loin d’éloignement jaloux pour l’ascendant macédonien actuel. Euxenippos avait été accusé de dévouement aux Macédoniens ; Hypéride le nie énergiquement, disant qu’Euxenippos n’avait jamais été en Macédoine, et qu’il n’avait conversé avec aucun des Macédoniens qui venaient à Athènes. Même les enfants à l’école (dit Hypéride) connaissent les noms des orateurs corrompus, ou flatteurs, qui servent, la Macédoine. — Euxenippos n’est pas du ce nombre (p. 11, 12).

[13] Plutarque, Camille, 19 ; Diodore, XVI, 88 ; Plutarque, Agis, 3.

[14] Arrien, I, 16, 11 ; cf. Pausanias, VII, 10, 1.

[15] Arrien, II, 13, 4.

[16] Arrien, III, 6, 4 ; Diodore, XVII, 48 ; Quinte-Curce, IV, 1, 39.

C’est à cette guerre en Krête, entre Agis et le parti et les troupes des Macédoniens, qu’Aristote fait probablement allusion (dans les quelques mots contenus dans sa Politique, II, 7, 8), comme ayant exposé la faiblesse des institutions krêtoises. — V. une note de Schneider sur le passage. Du moins nous ne connaissons aucun autre événement qui s’accorde avec ces mots.

[17] Alexandre, aussitôt qu’il fut devenu maître, des trésors persans à Suse (vers décembre 331 av. J.-C.), envoya une remise considérable de trois mille talents à Antipater, comme moyen de faire la guerre aux Lacédæmoniens (Arrien, III, 167 17). Les manifestations d’Agis dans le Péloponnèse avaient commencé au printemps de 381 avant J.-C. (Arrien, III, 6, 4) ; mais ses mouvements agressifs dans la Péninsule ne prirent pas de proportions formidables avant le printemps de 330 avant J.-C. À la date du discours d’Æschine contre Ktesiphôn (août 330 av. J.-C.), la bataille décisive par laquelle Antipater écrasa les forces d’Agis n’avait été livrée que récemment, car les prisonniers lacédæmoniens étaient seulement sur le point d’être envoyée à Alexandre pour apprendre leur sort (Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 524). Quinte-Curce (VII, 1, 21) s’est trompé certainement en disant que la lutte était terminée avant la, bataille d’Arbèles. De plus, il y avait des députés lacédæmoniens, présents auprès de Darius même peu de jours avant sa mort (juillet 330 av. J.-C.), qui tombèrent ensuite dans les mains d’Alexandre (Arrien, III, 24, 7) ; ces hommes avaient pu difficilement connaître la ruine de leur patrie. Je suppose que la victoire d’Antipater fut remportée vers juin 330 avant J.-C., — et que l’armement péloponnésien d’Agis fut réuni environ trois mois auparavant (mars 330 av. J.-C.).

M. Clinton (Fast. H., App., c. 4, p. 234) discute la chronologie de cet événement, mais d’une manière que je ne crois pas satisfaisante. Il semble disposé à le placer quelques mois plus tôt. Je ne vois par, de nécessité pour expliquer le mot attribué à Alexandre (Plutarque, Agésilas, 15) comme prouvant une c6incidence étroite de temps entre la bataille d’Arbèles et la défaite définitive d’Agis.

[18] Alexandre en Médie, informé de toute l’affaire après la mort d’Agis, en parlait avec mépris comme d’une bataille de souris et de grenouilles, si nous devons en croire le mot de Plutarque, Agésilas, 15.

[19] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 553.

[20] Diodore, XVII, 62 ; Dinarque, Cont. Démosthène, s. 35.

[21] Plutarque, Reipubl. Gerend. Præcept., p. 818.

[22] C’est ce que nous reconnaissons, quant à la conduite de Démosthène, par Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 553.

Toutefois à est difficile de croire ce qu’insinue Æschine, à savoir que Démosthène se vantait d’avoir provoqué le mouvement lacédæmonien, — et cependant qu’il ne fit aucune proposition ni ne donna aucun conseil pour l’appuyer. Démosthène ne peut guère avoir prêté d’aide positive à l’opération, bien qu’on dût compter sur ses sentiments anti-macédoniens, dans le cas où les choses prendraient une tournure favorable.

Dinarque (ut sup.) accuse aussi Démosthène d’être resté inactif à ce moment critique.

[23] Quinte-Curce, VI, 1, 15-20 ; Diodore, XVII, 63-73. Après la défaite, un décret suspensif fût, rendu par les Spartiates, à l’effet de décharger ceux qui avaient échappé à la bataille, — comme on l’avait fait après Leuktra (Diodore, XIX, 70).

[24] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 524.

[25] Quinte-Curce, VII, 4, 32.

[26] Parmi les divers documents, réels ou prétendus, insérés dans le discours de Démosthène De Coronâ, on en voit un (p. 266) qui prétend être le décret même proposé par Ktesiphôn ; et un autre (p. 243) qui prétend être l’accusation intentée par Æschine. J’ai déjà dit que je suis d’accord avec Droysen pour douter de tous les documents attachés à ce discours qui tous portent le nom de faux archontes, la plupart des noms d’archontes inconnus ; quelques-uns ne conviennent pas à la place où ils paraissent. Voir tome XVII, ch. 4 et 5.

Nous avons par l’assertion d’Æschine lui-même que la motion de Ktesiphôn fut faite après la nomination de Démosthène comme Fini des inspecteurs des fortifications de la cité, et que cette nomination se fit dans le dernier mois de l’archonte Chærondas (juin 337 av. J.-C. — V. Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 421-426). Nous savons aussi que l’accusation d’Æschine contre Ktesiphôn fût intentée avant l’assassinat de Philippe, événement qui arriva en août 336 avant J.-C. (Æschine, ibid., p. 612, 613). Il parait ainsi que la motion de Ktesiphôn (avec le probouleuma qui la précéda) a dû être présentée à quelque moment pendant l’automne où l’hiver de 337-336 avant J.-C, — que l’accusation d’Æschine a dû être enregistrée peu de temps après, et que cette accusation na pu l’être à la date que porte le pseudo-document, p. 243, — le mois Elaphebolion de l’archonte Chærondas, ce qui serait antérieur à la nomination de Démosthène. De plus, en comparant la prétendue motion de Ktesiphôn, telle qu’elle est insérée dans Démosthène, De Coronâ, p. 266, avec les mots dont se sert Æschine lui-même (adv. Ktesiphôn, p. 631. Voir aussi p. 439) pour représenter l’exorde de cette motion, on verra qu’elle ne petit être authentique.

[27] Démosthène, De Coronâ, p, 253, 302, 303, 310. Il dit (p. 267-313) qu’il avait été couronné souvent par les Athéniens et d’autres citoyens grecs. La couronne qu’il reçut sur la motion d’Aristonikos (après les succès contre Philippe à Byzantion et dans la Chersonèse, etc., en 340 av. J.-C.) fut la seconde couronne (p. 253). — Plutarque, Vit. X Orator., p. 848.

[28] Démosthène, De Coronâ, p. 294.

[29] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 6-15. — Cf. avec ces mots la dernière phrase du discours de Démosthène en réponse, où il adresse une prière aux Dieux.

La mention que fait Æschine (immédiatement avant) des jeux Pythiens, comme étant sur le point d’être célébrés dans peu de jours, marque la date de ce procès judiciaire, — août 330 avant J.-C.

[30] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 443.

[31] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 449, 456, 467, 551.

[32] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 526, 538, 541.

[33] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 551-553.

[34] Démosthène, De Coronâ, p. 311-316.

[35] Démosthène, De Coronâ, p. 227.

[36] Démosthène, De Coronâ, p. 297. — serment si souvent cité et admiré.

[37] Voir les diverses vies d’Æschine — dans Westermann, Scriptores Biographici, p. 268, 269.

[38] Démosthène, De Coronâ, p. 315. Cependant Æschine était devenu riche, suivant Démosthène, p. 329.

[39] Diodore, XVII, 108. Il porte à cinq mille talents le trésor emporté d’Asie par Harpalos.

[40] Voir les fragments de la lettre ou pamphlet de Théopompe adressé à Alexandre, tandis qu’Harpalos était encore à Tarsos, et avant sa fuite à Athènes. — Théopompe, Fragm. 277, 278, éd. Didot, ap. Athenæ, XIII, p. 586-591. Théopompe parle au présent.

Clitarque affirmait ces faits, aussi bien que Théopompe (Athénée, ibid.).

[41] Athénée, XIII, p. 596, — extrait du drame satirique appelé Agên, représenté devant Alexandre à Suse, dans la fête Dionysiaque où premier mois de 324 avant J.-C.

[42] Plutarque, Phokiôn, 22 ; Pausanias, 1, 37  4 ; Dikæarchi Fragm., 72, éd. Didot.

Le récit de Plutarque égare en ce qu’il semble impliquer que Harpalos donna cet argent à Chariklês après son arrivée à Athènes, Nous savons par Théopompe (Fr. 277) que le monument avait été terminé quelque temps avant qu’Harpalos quittât l’Asie. Plutarque en parle comme d’une construction médiocre, indigne de la somme qu’on y dépensa ; mais Dikæarque et Pausanias le représentent tous deux comme somptueux et magnifique.

[43] Quinte-Curce, X, 2, 1.

[44] Quinte-Curce, X, 2, 1. Ils font donc voile vers Sunium avec trente vaisseaux : c'est un promontoire de l'Attique, d'où il comptait gagner le port même d'Athènes. Le roi, à cette nouvelle, également irrité contre Harpale et les Athéniens, équipe une flotte, pour marcher aussitôt contre la ville rebelle. Cf. Justin, XIII, 5, 7, — qui mentionne cette intention hostile dans l’esprit d’Alexandre, mais en expose différemment la cause.

L’extrait du drame Agên (donné dans Athénée, XIII, p. 596) représente les rapports qui excitèrent cette colère d’Alexandre. On disait qu’Athènes avait repoussé son asservissement avec l’abondance dont elle avait joui auparavant dans cet état, — afin de commencer une lutte pour la liberté, avec la certitude de privations présentes et d’une ruine future.

Je crois que ce drame Agên fut représenté sur les bords du Choaspes (non l’Hydaspes, voir ma note dans le chapitre qui précède immédiatement), c’est-à-dire à Suse, dans les Dionysia de 324 avant J.-C. Il est intéressant comme signe des sentiments du temps.

[45] Néanmoins l’impression qu’Alexandre avait l’intention d’assiéger Athènes a dû dominer dans l’armée plusieurs mois encore, pendant l’automne de 324 avant J.-C., quand il était à Ecbatane. Ephippus l’historien, tu racontant les flatteries adressées à Alexandre à Ecbatane, mentionne la rodomontade d’un soldat nommé Gorgos (Ephippus, ap. Athenæ, XII, p. 538, Fragm. 3, éd. Didot).

[46] Dinarque, adv. Philoklês, s. 1.

[47] Voir les fragments nouveaux et intéressants, bien que malheureusement peu abondants, du discours d’Hypéride contre Démosthène, publiés et élucidés par M. Churchill Babington d’après un papyrus égyptien récemment découvert (Cambridge, 1850). Par le fragment 14 (p. 38 de l’édition de M. Babington), nous pouvons voir que les promesses mentionnées dans le texte furent réellement faites par Harpalos, — et à vrai dire nous aurions pu presque le présumer sans témoignage positif. 

Le langage employé ainsi par Hypéride dans son accusation nous fait voir quelles espérances lui (et naturellement Harpalos, sur l’autorité duquel il a dû parler) avaient présentées tri peuple quand l’affaire fût soumise polir la première fois à une discussion.

Le fragment cité ici est complet quant au sens général, et il ne demande pas un très grand secours à la conjecture. Dans quelques-uns des autres fragments, les restitutions, conjectures de M. Babington, bien qu’extrêmement probables et judicieuses, forment nue partie trop considérable (In tout pour nous permettre de les citer avec confiance comme témoignage.

[48] Pollux, X, 159.

[49] Plutarque, de Vitioso Pudore, p. 531.

[50] Plutarque, Phokiôn, c. 21 ; Plutarque, Démosthène, 25.

[51] Diodore, XVII, 108.

[52] Dinarque, adv. Démosthène, s. 69.

[53] V. le fragment cité dans une note précédente du discours d’Hypéride, contre Démosthène. Que ce fût Démosthène qui proposa le décret à l’effet de déposer l’argent dans l’acropolis, c’est ce que nous apprenons aussi d’un de ses autres accusateurs (Dinarque, adv. Démosthène, s. 68, 71, 89).

Dinarque (adv. Démosthène, s. 97-106) accuse Démosthène de basse flatterie à l’égard d’Alexandre. Hypéride avance aussi la même accusation. — V. les Fragments dans l’édition de M. Babington, s. 2, Fr. 11, p. 12 ; s. 3, Fr. 5, p. 34.

[54] Pausanias, II, 33, 4 ; Diodore, XVII, 108.

[55] Ce fait essentiel de la question adressée publiquement à Harpalos dans l’assemblée par quelqu’un, à la requête de Démosthène, paraît dans les Fragments d’Hypéride, p. 5, 7, 9, éd. Babington.

Le terme κατατουμή (voir une note de M. Babington) désigne un large passage se trouvant à intervalles entre les bancs arrangés d’une manière concentrique dans un théâtre, et étant parallèle à eux.

[56] Plutarque, Vit. X Orator., p. 846. Dans la vie de Démosthène donnée par Photius (Cod. 265, p. 494), il est dit qu’on ne trouva que trois cent huit talents.

[57] Que cette motion ait été faite par Démosthène lui-même, c’est un point sur lequel insiste fortement son accusateur Dinarque, adv. Démosthène, s. 5, 62, 84, etc. Cf. aussi les Fragments d’Hypéride, p. 59, éd. Babington.

Dinarque, dans sa rhétorique vague, essaye de présenter la chose comme si Démosthène avait proposé de reconnaître la sentence de l’aréopage comme définitive et péremptoire, et comme S’il était par conséquent condamné sur l’autorité iiivoqué6par lui-même. Mais, cette assertion est suffisamment réfutée, par le seul fait que le procès fut intenté plus tard, outre qu’elle est contraire à la pratique judiciaire d’Athènes.

[58] Plutarque, Démosthène, 26. Nous apprenons par Dinarque (adv. Démosthène, I, 46) que le rapport des aréopagites ne fût fait qu’après un intervalle de six mois. Au sujet de leur retard et de l’impatience de Démosthène, voir Fragments d’Hypéride, p. 12-33, éd. Babington.

[59] Dinarque, adv. Démosthène, s. 921. V. les Fragments d’Hypéride dans M. Babington, p. 18.

[60] Dinarque, adv. Aristogeitôn, s. 6. Stratoklês était un des accusateurs.

[61] Dinarque, adv. Démosthène, s. 108, 109.

[62] Plutarque, Démosthène, 26.

[63] Dinarque, adv. Démosthène, s. 104.

[64] Voir les deux discours composés par Dinarque contre Philoklês et Aristogeitôn.

Dans la seconde et la troisième lettre attribuée à Démosthène (p. 1470, 1483, 1485), on lui fait dire qu’il avait été condamné seul par le dikasterion, parce que sa cause était venue la première, — qu’Aristogeitôn et toutes les autres personnes jugées furent acquittés, bien que l’accusation contre tous fût la mme, et la preuve contre tous la, même également, — à savoir rien de plus que le simple rapport de l’aréopage. Comme je suis d’accord avec ceux qui regardent ces lettres comme étant probablement apocryphes, je ne puis croire, sar cette autorité seule, que toutes les autres personnes jugées aient été acquittées, — fait extrêmement improbable en lui-même.

[65] Plutarque, Démosthène, 25 : Cf. aussi Plutarque, Vit. X Orator., p. 846 ; et Photius, Vie de Démosthène, Cod. 265, p. 494.

[66] Voir le fragment d’Hypéride dans l’édition de M. Babington, p. 37, 38 (fragment déjà cité dans une précédente note), insistant sur le mal prodigieux qu’avait fait Démosthène par son décret à l’effet d’arrêter Harpalos.

[67] Dans la Vie de Démosthène dans Photius (Cod. 265), le prétendu service qu’il rendit à Harpalos, et pour lequel il fût accusé d’avoir reçu mille dariques, est avancé comme je l’ai présenté dans le texte.

Que Démosthène s’opposât d’abord à l’admission d’Harpalos, et qu’ensuite, il s’opposât à ce qu’en le livrât sur la demande d’Antipater, — ces deux actes sont représentés comme un changement de politique qui a besoin de l’hypothèse d’an présent pour s’expliquer. Mais en réalité il n’y a pas de changement du tout. Les deux actes sont parfaitement compatibles l’un avec l’autre, et tous deux sont défendables.

[68] Fragm. Hypéride, p. 7, éd. Babington.

Dans la page 26 des mêmes Fragments, nous voyons Hypéride reprocher à Démosthène de ne pas avoir veillé d’une manière efficace sur la personne d’Harpalos ; de n’avoir proposé aucun décret pourvoyant à une garde spéciale ; de ne pas avoir fait connaître à l’avance, ni poursuivi ensuite la négligence des geôliers ordinaires. C’est rendre Démosthène responsable de l’accomplissement de tous les devoirs administratifs de la cité de la bonne conduite des trésoriers et des geôliers.

Nous devons nous rappeler qu’Hypéride avait défendu Harpalos avec le plus de force, et avait fait tout ce qu’il avait pu pour amener les Athéniens à adopter la cause de cet exilé contre Alexandre. L’une des accusations (déjà, citée d’après son discours) contre Démosthène est que celui-ci empêcha ce dessein de  s’accomplir ; — cependant il y a une autre accusation du même orateur, à savoir que Démosthène ne tint pas Harpalos sous assez bonne garde pour qu’il fût livré au glaive de l’exécuteur macédonien.

La ligne d’accusation adoptée par Hypéride est pleine de honteuses contradictions.

[69] Dans la Vie de Démosthène (Plutarque, Vit. X Orator., p. 846) on fait reposer la charge d’accusation contre lui, surtout sur le fait qu’il ne lit pas cette communication au peuple. Le biographe dans Photius semble l’avancer, comme si Démosthène n’avait pas communiqué ce montant, au moment où il proposait le décret de séquestration. Nous pouvons contredire cette dernière assertion par le témoignage d’Hypéride.

[70] Hypéride, Fragm., p. 18, éd. Babington.

[71] Hypéride, Fragm., p. 20, éd. Babington. (V. Dinarque, adv. Démosthène, s. 49, et le commencement de la seconde épître de Démosthène).

Hypéride, p. 16, éd. Babington. Cette monstrueuse phrase crée une forte présomption en faveur du défendeur, — et une présomption plus forte encore contre l’accusateur. Cf. Dinarque, adv. Démosthène, s. 6, 7.

Le biographe dans Photius affirme qu’Hypéride et quatre autres orateurs obtinrent la condamnation de Démosthène par l’Aréopage.

[72] Le biographe d’Hypéride (Plutarque, Vit. X Orat., p. 48), nous dit qu’il fut le seul orateur qui n’acceptât pas de présents ; l’auteur comique Timoklês nomme Hypéride avec Démosthène et autres comme en ayant reçu (ap. Athenæ, VIII, p. 342).

[73] Voir ce point présenté par Dinarque, adv. Démosthène, s. 69, 70.

[74] Nous lisons dans Pausanias (II, 33, 4) que l’amiral macédonien Philoxenos, après avoir arrêté plus tard un des esclaves d’Harpalos, apprit de lui les noms de ceux des Athéniens que son maître avait gagnés, et que Démosthène n’était pas du nombre. Cette assertion, dans une certaine mesure, tend à disculper Démosthène. Cependant je ne puis lui attribuer autant d’importance que le fait l’évêque Thirlwall. Son récit des affaires harpaliennes est habile et distingue bien les faits (Hist., vol. VII, ch. 56, p. 170 sqq.).

[75] Diodore, XIX, 8.

[76] Voir les fragments d’Hypéride, p. 36, éd. Babington.

[77] Quinte-Curce, X, 2, 6.

[78] Quinte-Curce, X, 2, 6. L’assertion de Diodore, — qui affirme que le rescrit fut populaire et agréable à tous les Grecs, à l’exception des Athéniens et des Ætoliens, — ne peut être crue. Il fut populaire sans doute auprès des exilés eux-mêmes et de leurs amis immédiats.

[79] Dinarque, adv. Démosthène, s. 81 : cf. Hyper. Fragm., p. 36, éd. Babington.

[80] Diodore, XVII, 113. Il semble qu’il y a eu des cas dans lesquels Alexandre intervint dans les sentences du dikasterion athénien contre des citoyens athéniens — voir le cas d’un homme déchargé d’une amende judiciaire à sa prière. Pseudo-Démosthène, Epistol. 3, p. 1480.

[81] Diodore, XVII, 111, cf. XVIII, 21. Pausanias (I, 25, 5 ; VIII, 52, 2) affirme que Leosthenês fit venir cinquante mille de ces mercenaires d’Asie dans le Péloponnèse, pendant la vie d’Alexandre, et contre la volonté de ce prince. Le nombre avancé ici me semble incroyable ; mais il est assez probable qu’il en engagea quelques-uns à venir en Grèce. — Justin (XIIII 5) mentionne qu’une résistance armée fut préparée par les Athéniens et les Ætoliens contre Alexandre lui-même pendant les derniers mois de sa vie, par rapport au mandat qui ordonnait le rappel des exilés. Il semble exagérer la grandeur de leurs actes avant la mort d’Alexandre.

[82] Comparaison frappante faite par l’orateur Démade (Plutarque, Apophth., p. 181)

[83] V. Frontin, Strategemata, II, 11, 4.

[84] Plutarque, Phokiôn, 23. Dans les Fragments de Dexippos, on trouve de courts extraits de deux discours, vraisemblablement composés par cet auteur dans son histoire de ces affaires. L’un qu’il attribue à Hypéride conseillant la guerre, l’autre à quelque orateur inconnu, combattant ce conseil et que C. Müller suppose être Phokiôn (Fragm. Hist. Græc., vol. III, p. 668).

[85] Diodore, XVIII, 10. Diodore affirme que les Athéniens envoyèrent les trésors harpaliens au secours de Leosthenês. Il paraît s’imaginer qu’Harpalos apporta dans Athènes tous les cinq mille talents qu’il avait enlevés d’Asie ; mais il est certain qu’il n’en déclara pas plus de sept cents ou de sept cent vingt dans l’assemblée athénienne, et que, de cette somme il ne se trouva réellement qu’une moitié. Diodore n’est pas conséquent avec lui-même, quand il dit ensuite (XVIII, 19) que Thimbrôn, qui tua Harpalos en Krête, s’empara des trésors et des mercenaires harpaliens, et les transporta à Kyrênê, en Afrique.

[86] C’est à ce moment, à ce qu’il parait, qu’on doit rapporter l’anecdote suivante (si elle est vraie) : — Les Athéniens étaient impatients d’envahir la Bœôtia à un instant inopportun ; Phokiôn, général âgé de quatre-vingts ans, les retint, en appelant, pour servir, les citoyens de soixante ans et au-dessus, et en offrant de marcher lui-même à leur tête (Plutarque, Reip. Ger. Præcept., p. 818).

[87] Diodore, XVIII, 11 ; Pausanias, I, 25, 4.

[88] Plutarque, Démosthène, 27.

[89] V. les Fragments d’Hypéride,          p. 36, éd. Babington. Nous ne savons pas ce qui fut fait pour ces confédérations de district, mais il semble qu’il s’y opéra quelque changement considérable, à l’époque où fut promulgué le décret à l’effet de rétablir les exilés.

[90] Diodore, XVIII, 13.

[91] Plutarque, Phokiôn, 23, 24.

[92] Plutarque, Phokiôn, c. 23 ; Plutarque, Reip. Ger. Præcept., p. 803.

[93] Diodore, XVIII, 12, 13.

[94] Un beau fragment du Λόγος Έπιτάφιος, d’Hypéride est conservé dans Stobée, tit. 124, vol. III, p. 618. Il est agréable d’apprendre qu’une grande portion additionnelle de ce discours a été récemment apportée d’Égypte dans un papyrus, et est sur le point d’être publiée par M. Churchill Babington.

[95] Diodore, XVIII, 13-15.

[96] Plutarque, Phokiôn, 2-4.

[97] Diodore, XVIII, 11 ; Plutarque, Phokiôn, 26.

[98] Plutarque, Phokiôn, 25 ; Diodore, XVIII, 14, 15 ; et Plutarque, Pyrrhus, 1.

[99] Diodore, XVIII, 15.

[100] Diodore, XVIII, 15.

[101] Diodore, XVIII, 8.

[102] Diodore, XVIII, 17.

[103] Plutarque, Alexandre, 77.

[104] Arrien, De Rebus post Alexandrum, VI, ap. Photium, cod. 92.

[105] Arrien, De Rebus post Alexand., ut supra., Diodore, XVIII, 3, 4 ; Quinte-Curce X, 10 ; Dexippos, Fragm., ap. Photium, Cod. 82, ap. Fragmenta Historiæ Græcæ, vol. III, p. 667, éd. Didot (De Rebus post Alexandrum).

[106] Arrien et Dexippos, — De Reb. post Alex., ut supra : cf. Diodore, XVIII, 48.

[107] Diodore, XVIII, 16.

[108] Diodore, XVIII, 4.

[109] Plutarque, Eumenês, 3.

[110] Diodore, XVIII, 17 ; Plutarque, Phokiôn, c. 26.

[111] Diodore, XVIII, 17 ; Plutarque, Phokiôn, c. 26.

[112] Democharês, neveu de Démosthène, qui avait tenu un langage hardi et pris une part active contre Antipater pendant la guerre Lamiaque, prononça, dit-on, une harangue publique où il recommandait la résistance même à ce dernier moment. Du moins, tel était le récit qui se rattachait à sa statue élevée quelques armées plus tard à Athènes le représentant dans le costume d’un orateur, avec une épée à la main. Plutarque, Vit. X Orator., p. 847 ; cf. Polybe, XII, 13.

[113] Plutarque, Phokiôn, 27, Diodore, XVIII, 18.

[114] Plutarque, Phokiôn, 27. Pausanias même affirme (VII, 10, 1) qu’Antipater était disposé à accorder des conditions plus douces, mais qu’il en fut dissuadé par Démade.

[115] V. Fragments d’Hypéride, adv. Demosthène, p. 61-65, éd. Babington.

[116] Diodore, XVIII, 18. Plutarque porte à plus de douze mille le nombre de ceux qui perdirent leurs droits.

Plutarque, Phokiôn, 28, 29. — Diodore et Plutarque (c. 29) mentionnent qu’Antipater assigna des résidences en Thrace pour les expatriés. Ceux qui allèrent au-delà des monts Kérauniens durent se rendre à la côte illyrienne, à Apollonia on à Epidamnos, — ou au golfe de Tarente. Ceux qui allèrent au delà du Tænaros durent probablement être envoyés en Libye : V. Thucydide, VII, 19, 10, VII, 50, 2.

[117] Plutarque, Phokiôn, 28 ; cf. Solôn, Fragm. 28, éd. Gaisford.

[118] Plutarque, Phokiôn, 28.

[119] Plutarque, Démosthène, 28. Plutarque, Vit. X Orat., p. 846.

[120] Polybe, IX, 29, 30. Ce fait est affirmé, comme sujet d’orgueil traditionnel, par un orateur ætolien plus d’un siècle après. Dans le discours de soit adversaire akarnanien, il n’y a rien qui le contredise, — tandis que le fait est en lui-même extrêmement probable.

V. Westermann, Geschichte der Beredsamkeit in Griechenland, ch. 71, note 4.

[121] Plutarque, Démosthène, 28 ; Plutarque, Vit. X Orator., p. 819 ; Photius, p. 496.

[122] Plutarque, Démosthène, 30.

Les sarcasmes sur la profession d’Archias, comme acteur, et comme acteur médiocre, que Plutarque met dans la bouche de Démosthène (c. 29), ne me paraissent dignes’ ni de l’homme ni de l’occasion- ; et ils ne sont pas non plus suffisamment prouvés pour m’engager à les transcrire. Quelque amertume d’esprit que Démosthène pût vouloir manifester à un pareil moment, elle devait assurément s’adresser au principal ennemi, Antipater, et non au simple instrument.

[123] Plutarque, Démosthène, 30 ; Plutarque, Vit. X Orator., p. 846 ; Photius, p. 494, Arrien, De Rebus post Alex, VI, ap. Photium, cod. 92.

[124] Démosthène, De Coronâ, p. 324.