HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-HUITIÈME VOLUME

CHAPITRE IV — OPÉRATIONS MILITAIRES ET CONQUÊTES D’ALEXANDRE APRÈS SES QUARTIERS D’HIVER EN PERSIS JUSQU’À SA MORT À BABYLONE (suite).

 

 

Ces fatigantes opérations d’Alexandre, accomplies au mi-lieu de toutes les rigueurs de l’hiver, furent suivies d’une halte de trente jours, destinée à faire reposer les soldats, avant qu’il traversât l’Indus, au commencement dû printemps de 326 avant J.-C.[1] On présume, avec assez de probabilité, qu’il franchit l’Indus à Attock ou près de ce lieu, le passage fréquenté aujourd’hui. Il se dirigea d’abord sur Taxila, où le prince Taxilos se soumit aussitôt, et renforça l’armée d’un fort contingent de soldats indiens. Son alliance et ses renseignements se trouvèrent extrêmement précieux. Tout le territoire voisin se soumit, et fut placé sous les ordres de Philippe comme satrape, avec une garnison et un dépôt à Taxila. Il ne rencontra pas de résistance jusqu’à ce qu’il arrivât au fleuve de l’Hydaspes (Jelum), sur l’autre côté duquel se tenait, prêt à disputer le passage, le prince Porus, homme brave, avec une armée formidable, mieux armée que ne l’étaient généralement les Indiens, et avec un grand nombre d’éléphants dressés, animaux que les Macédoniens n’avaient jusqu’alors jamais rencontrés dans une bataille. Par une série de combinaisons militaires admirables, Alexandre éluda la vigilance de Porus, traversa le fleuve à la dérobée, à un point quelques milles plus haut, et défit complètement l’armée indienne. Malgré leurs éléphants, qui étaient habilement conduits, les Indiens ne purent longtemps soutenir le choc d’un combat corps à corps, contre une infanterie et une cavalerie telles que celles des Macédoniens. Porus, prince d’une taille gigantesque, monté sur un éléphant, combattit avec la bravoure la plus grande, ralliant ses troupes rompues et les tenant réunies jusqu’au dernier moment. Après avoir vu tuer deux de ses fils, lui-même blessé et mourant de soif, il ne fut sauvé qu’en vertu des ordres spéciaux d’Alexandre. Quand. Porus fut amené devant lui, le roi macédonien fut frappé d’admiration à la vue de sa stature, de sa beauté et de son air intrépide[2]. Lui parlant le premier, il lui demanda ce qu’il désirait qu’il fît pour lui. — Traite-moi en roi, répondit Porus. Alexandre, charmé de ces paroles, se conduisit à l’égard de Porus avec la courtoisie et la générosité des plus grandes ; non seulement il lui assura son royaume actuel, mais, il l’agrandit par de nouvelles additions. Il trouva dans Porus un allié fidèle et efficace. Ce fut le plus grand jour de la vie d’Alexandre, à prendre ensemble l’éclat et la difficulté de cet exploit militaire, et le généreux traitement fait à son adversaire vaincu[3].

Alexandre célébra sa victoire (avril-mai, 326 av. J.-C.) par des sacrifices aux dieux, et par des fêtes sur les rives de l’Hydaspes, où il donna aussi des ordres pour la fondation de deux cités, — Nikæa, sur la rive orientale, et Bukephalia, sur la rive occidentale, ainsi nommée en commémoration de son cheval favori, qui y mourut de vieillesse et de fatigue[4]. Laissant Krateros pour disposer et élever ces nouveaux établissements, aussi bien que pour maintenir une communication, il conduisit son armée en avant dans la direction de l’est vers le fleuve Akesinês (Chenab)[5]. Sa récente victoire avait répandu partout la terreur ; les Glaukæ, puissante tribu indienne, avec trente-sept municipes et beaucoup de villages populeux, se soumirent, et furent placés sous la domination de Porus ; tandis que des ambassades apportant une soumission furent aussi reçues de la part de deux princes considérables, — Abisarês, et un second Porus, jusqu’alors en inimitié avec son homonyme. Le passage du grand fleuve Akesinês, alors plein et impétueux dans sort courant, fût effectué au moyen de bateaux — et de peaux enflées, non sans difficulté et danger. De là il s’avança dans la même direction, à travers le Punjab, — ne trouvant pas d’ennemis, mais laissant des détachements à des postes convenables pour maintenir ses communications et assurer ses approvisionnements, — jusqu’au fleuve Hydraotês ou Ravee ; qui, bien que tout aussi large et plein que l’Akesinês, était comparativement tranquille, de manière à pouvoir être traversé facilement[6]. Là, quelques tribus indiennes libres, Kathæens et autres, eurent le courage de résister ces Indiens essayèrent de se défendre dans Sangala en entourant leur ville d’un triple retranchement de chariots. Ceux-ci étant attaqués et emmenés, ils furent refoulés dans l’intérieur des murs, qu’ils commencèrent alors à désespérer de défendre, et qu’ils résolurent d’évacuer pendant la nuit, mais le projet fat divulgué à Alexandre par des déserteurs, et sa vigilance le fit échotier. Le lendemain il prit la ville d’assaut, passa au fil de l’épée 17.000 Indiens et fit (suivant Arrien) 70.000 prisonniers. Pour lui, il ne perdit pas même 100 hommes tués, et il n’eut que 1.200 blessés. Deux villes voisines, alliées de Sangala, furent évacuées par leurs habitants terrifiés. Alexandre les poursuivit, sans pouvoir les atteindre ; à l’exception de 500 personnes malades ou débiles que ses soldats mirent à mort. Démolissant la ville de Sangala, il en ajouta le territoire à l’empire de Porus, alors présent, avec un contingent de 5.000 Indiens[7].

Sangala fut la plus orientale de toutes les conquêtes d’Alexandre. Bientôt sa marche l’amena au fleuve de Myphasis (Sutledge), le dernier des fleuves du Punjab, — vraisemblablement à un point au-dessous de son confluent avec le Beas (été, 326 av. J.-C.). Au delà de ce fleuve, large et rapide, Alexandre apprit qu’il y avait un désert de onze journées de marche, s’étendant jusqu’à un fleuve plus grand encore appelé le Gange, au delà duquel habitaient les Gangaridæ, la plus puissante, la plus guerrière et la plus populeuse de toutes les tribus indiennes, qui se distinguait par, le nombre et l’éducation de ses éléphants[8]. La perspective d’une marche difficile et d’un ennemi estimé invincible, ne fit qu’exciter son ardeur. Il donna des ordres pour le passage. Mais là, pour la première fois, son armée, officiers aussi bien que soldats, manifesta des symptômes d’une lassitude irrésistible, murmurant hautement de ces travaux sans fin et de ces marches qu’elle faisait sans savoir où elle allait. Elle avait déjà dépassé les limites où s’étaient arrêtés, disait-on, Dionysos et Hêraklês ; elle voyageait dans des régions que n’avaient visitées jusqu’alors ni les Grecs ni les Perses, uniquement en vue de provoquer et de vaincre de nouveaux ennemis. Des victoires, elle en était rassasiée ; son butin, quelque abondant qu’il fût, elle n’en avait pas joui[9] ; les fatigues d’une marche en avant perpétuelle, souvent excessivement accélérée, avaient épuisé hommes et chevaux ; de plus, elle était venue de l’Hydaspes dans la saison humide, avec des pluies violentes et plus continues qu’elle n’en avait jamais éprouvé auparavant[10]. Informé du mécontentement régnant, Alexandre réunit ses officiers et les harangua, s’efforçant de faire revivre en eux ce courage et cet empressement ardents que jusqu’alors il n’avait pas trouvés inférieurs aux siens[11]. Mais il échoua complètement. Personne n’osa le contredire d’une manière ouverte. Kœnos seul hasarda quelques paroles timides pour le dissuader ; les autres manifestèrent une répugnance passive et opiniâtre, même quand il déclara que ceux qui la désiraient pouvaient s’en aller, avec la honte d’avoir abandonné leur roi, tandis qu’il irait en avant seulement avec les hommes de bonne volonté. Après une incertitude de deux jours, passés dans une mortification solitaire et silencieuse- -il persista encore apparemment dans sa détermination, et il offrit le sacrifice qui précédait habituellement le passage d’un fleuve. Les victimes furent défavorables ; il céda à, la volonté des dieux et donna l’ordre du retour à la joie extrême et unanime de son armée[12].

Pour marquer le dernier terme de sa marche vers l’est, il éleva sur la rive occidentale de l’Hyphasis douze autels d’une hauteur et de dimensions extraordinaires, et il offrit aux dieux des sacrifices d’actions de grâces, avec les fêtes habituelles, et des combats d’agilité et de force. Ensuite, après avoir confié à Porus tout le territoire à l’ouest de l’Hyphasis à gouverner, il revint sur ses pas, repassa l’Hydraotês et l’Akesinês, et retourna vers l’Hydaspes, près du point où il l’avait franchi pour la première fois. Les deux nouvelles cités, Bukephalia et Nikœa, — qu’il avait ordonné de commencer sur ce fleuve, avaient beaucoup souffert des pluies et des inondations pendant sa marche vers l’Hyphasis, et eurent à ce moment besoin de l’aide de J’armée pour réparer le dommage[13]. Les grandes pluies continuèrent pendant la plus grande partie de la marche qu’il fit pour revenir à l’Hydaspes[14].

En revenant à ce fleuve, Alexandre reçut un renfort considérable tant de cavalerie que d’infanterie, qui lui était envoyé d’Europe, avec 25.000 nouvelles armures, et un fonds immense de médicaments[15] (automne, 326 av. J.-C.). Si ces renforts lui fussent parvenus sur l’Hyphasis, il ne semble pas impossible qu’il eût pu déterminer son armée à l’accompagner dans sa nouvelle marche vers le Gange et les régions au delà de ce fleuve. Il s’occupa alors, avec l’aide de Porus et de Taxile, à réunir et à construire une flotte pour descendre l’Hydaspes, et aller de là jusqu’à l’embouchure de l’Indus. Une flotte de près de 2.000 bateaux ou navires de diverses grandeurs ayant été préparée, il commença son voyage dans la première partie de novembre[16]. Krateros marchait avec une division de l’armée, le long de la rive droite de l’Hydaspes, — Hephæstion sur la rive gauche avec le reste, comprenant 200 éléphants ; Nearchos avait le commandement de la flotte sur le fleuve, Alexandre lui-même étant à bord. Il poursuivit son voyage lentement en descendant le fleuve, jusqu’au confluent de l’Hydaspes avec l’Akesinês, — avec l’Hydraotês, — et avec l’Hyphasis, — tous se jetant, en un courant commun, dans l’Indus. Il descendit l’Indus jusqu’à sa jonction avec l’océan Indien, En tout, ce voyage occupa neuf mois[17], depuis novembre 326 jusqu’en août 325 avant J.-C. Mais, ce fut un voyage rempli d’opérations militaires actives des deux côtés du fleuve. Alexandre débarqua perpétuellement, pour attaquer, réduire et massacrer toutes celles des nations riveraines qui ne se soumettaient pas volontairement. De ce nombre furent, les Malli et les Oxydrakæ, tribus libres et braves, qui résolurent de défendre leur liberté, mais qui, par malheur pour eux-mêmes, étaient habituellement en désaccord, et ne purent actuellement concourir sincèrement contre l’envahisseur commun[18]. Alexandre commença par attaquer les Malli avec sa célérité et sa vigueur habituelles, les battit en rase campagne en en faisant un grand massacre, et prit plusieurs de leurs villes[19]. Il ne restait que leur dernière ville, la plus forte de toutes, d’où les défenseurs étaient déjà chassés et forcés de se retirer dans la citadelle[20]. Ils y furent poursuivis par les Macédoniens, Alexandre lui-même étant parmi les premiers, avec seulement quelques gardes auprès de lui. Impatient de voir que les troupes avec leurs échelles d’escalade n’arrivaient pas plus rapidement, il monta sur une échelle qui se trouvait à proximité, suivi seulement de Peukestês et d’un ou de deux autres soldats, avec un courage aventureux surpassant même celui qu’il avait l’habitude de déployer. Après avoir débarrassé le mur en tuant plusieurs de ses défenseurs, il sauta dans l’intérieur de la citadelle, et tint pendant quelque temps, presque seul, tête à tous ceux qu’elle renfermait. Toutefois il fut grièvement blessé par une flèche à la poitrine, et était sur le point de s’évanouir quand ses soldats, faisant irruption, le délivrèrent et prirent la place. Tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes et enfants, furent tués[21].

La blessure d’Alexandre était si grave, que d’abord on le dit mort, à la consternation et à la douleur extrêmes de l’armée. Cependant il se remit bientôt assez pour se montrer et pour recevoir ses ardentes félicitations, dans le camp, établi au point de jonction entre l’Hydraotês (Ravee) et l’Achesinês (Chenab)[22]. Il reprit bientôt et poursuivit son voyage en descendant le fleuve, voyage qu’avait interrompu le traitement de sa blessure, et son armée de terre fit les mêmes opérations actives des deux côtés pour subjuguer toutes les tribus et cités indiennes à une distance accessible (325 av. J.-C.). A la jonction de l’Akesinês (Punjnud) avec l’Indus, Alexandre ordonna la fondation d’une nouvelle cité, avec des bassins suffisants et toutes les commodités nécessaires pour la construction de vaisseaux ; par là il espérait commander la navigation intérieure[23] ; N’ayant plus occasion actuellement d’employer une armée de terre aussi considérable, il en envoya une grande partie sous Krateros à l’ouest (vraisemblablement par le défilé appelé aujourd’hui Belan), en Karmania[24]. Il établit un autre poste militaire et naval à Pattala, où se divisait le Delta de l’Indus ; et il descendit ensuite avec une partie de sa flotte le bras droit du fleuve pour voir le premier l’océan Indien. La vue du flux et du reflux, dont personne n’avait eu l’expérience sur l’échelle que présentait cet océan, causa à tous beaucoup d’étonnement et d’alarme[25].

La flotte fut laissée alors à Klearchos, qui devait la conduire de l’embouchure de l’Indus, par le golfe Persique, à celle du Tigre ; mémorable entreprise nautique dans l’antiquité grecque (325 av. J.-C.). Alexandre lui-même (vers le mois d’août) commença sa marche par terre à l’ouest par les territoires des Arabitæ et des Oritæ, ensuite à travers les déserts de la Gedrosia. Pura, la principale ville des Gédrosiens, était à soixante journées de marche de la frontière des Oritæ[26].

Là son armée, bien qu’elle ne rencontrât aucun adversaire formidable, éprouva les souffrances les plus cruelles et les plus déplorables, sa marche s’exécutant à travers un désert sablonneux et impraticable, avec une faible provision de vivres et une plus faible encore d’eau, sous un soleil brûlant. Les pertes en hommes, en chevaux et en bêtes de somme, occasionnées par la soif, la fatigue et la maladie, furent prodigieuses, et il fallut toute l’énergie, indomptable d’Alexandre pour amener jusqu’au terme même le nombre diminué[27]. A Pura, l’armée put se reposer et se rafraîchir, il fut ensuite en état de s’avancer en Karmania, où Krateros la rejoignit avec sa division de l’Indus, et Kleandros avec celle qui avait été laissée à Ecbatane. Kleandros, accusé de crimes odieux dans son dernier commandement, fut mis à mort ou emprisonné ; plusieurs de ses camarades furent exécutés. Pour récompenser les soldats de leur récente détresse en Gedrosia, le roi les conduisit pendant sept jours à travers la Karmania ivres et en une procession semblable à celle des bacchanales, lui-même et ses amis prenant part à l’orgie ; imitation de la fête et du triomphe joyeux qui avaient signalé le retour du dieu Dionysos après sa conquête de l’Inde[28].

Pendant la halte en Karmania (hiver 325-324 av. J.-C.) Alexandre eut la satisfaction de voir son amiral Nearchos[29], qui avait amené la flotte de l’embouchure de l’Indus au port appelé Harmozeia (Ormuz), non loin de l’entrée du golfe Persique, voyage très pénible et très fatigant le long des côtes stériles des Oritæ, des Gédrosiens et des Ichthyophagi[30]. Nearchos, comblé d’éloges et d’honneurs, fut bientôt renvoyé pour achever son voyage jusqu’à l’embouchure de l’Euphrate ; tandis qu’Hephæstion également reçut ordre de conduire la plus grande partie de l’armée, avec les éléphants et les lourds bagages, par la route voisine de la côte de Karmania en Persis. Cette route, bien que sinueuse, était la plus commode, vu qu’on était alors en hiver[31] ; mais Alexandre lui-même, avec les divisions légères de son armée, prit la route la plus directe par les montagnes, depuis la Karmania, jusqu’à Pasargadæ et à Persépolis. En visitant le tombeau de Cyrus le Grand, fondateur de l’empire de Perse, il fut irrité de le trouver violé et pillé. Il le fit rétablir avec,soin, mit à mort un Macédonien nommé Polymachos, comme auteur du délit, et tortura les mages qui gardaient le tombeau, dans le dessein de découvrir des complices, mais en vain[32] Orsinês, satrape de Persis, fut cependant accusé de connivence dans ce sacrilège, aussi bien que de divers actes de meurtre et de spoliation ; selon Quinte-Curce, non seulement il était innocent, mais il avait témoigné et de la fidélité et du dévouement à Alexandre[33] ; néanmoins il devint victime de l’hostilité de l’eunuque favori Bagoas, qui empoisonna l’esprit du roi de calomnies qu’il inventa, et qui suborna d’autres accusateurs en leur suggérant de faux témoignages. Quelle que soit la vérité de cette histoire, Alexandre fit pendre Orsinês[34], nommant satrape Peukestês, actuellement en grande faveur, en partie parce qu’il avait accompagné et sauvé le roi dans le danger imminent que ce dernier avait couru à la citadelle des Malli, — en partie parce qu’il avait adopté le costume, les manières et le langage persans plus complètement que tout autre Macédonien.

Ce fut vers février (commencement du printemps 324 av. J.-C.)[35] qu’Alexandre se rendit de Persis à Suse. Pendant cette marche, au point où il traversa le Pasitigris, il fat rejoint de nouveau par Nearchos, qui, après avoir achevé sa circumnavigation de l’embouchure de l’Indus à celle de l’Euphrate, était revenu avec sa flotte de ce dernier fleuve et, avait remonté le Pasitigris[36]. Il est probable que la division d’Hephæstion le rejoignit aussi à Suse, et que toute l’armée y fat réunie pour la première fois, depuis la séparation en Karmania.

Alexandre passa plusieurs mois à Suse et en Susiane (printemps et été 324 av. J.-C.). Pour la première fois depuis son avènement au trône, il n’avait pas à ce moment d’opérations militaires en train ni en perspective immédiate. Il n’avait aucun ennemi devant lui, jusqu’à ce qu’il lui plût de se mettre en quête pour en découvrir un nouveau ; et, dans le fait, il n’en pouvait être trouvé de nouveau, si ce n’est à une prodigieuse distance. Il était sorti des périls de l’Orient non frayé, et il était revenu dans les localités et les conditions ordinaires du gouvernement persan ; il occupait cette capitale d’où les grands rois achæménides avaient eu l’habitude de gouverner les parties occidentales aussi bien que les orientales de leur vaste empire. Alexandre avait succédé à leur poste et à leur amour irritable de servilité ; mais il apportait avec lui une énergie inquiète telle que personne n’en avait manifesté, à l’exception de Cyrus, le premier fondateur, — et un éclatant génie militaire, tel que ni Cyrus, ni ses successeurs n’en avaient connu de pareil

Dans la nouvelle position d’Alexandre, ses principaux sujets d’inquiétude furent les satrapes et les soldats macédoniens. Pendant le long intervalle (plus de cinq ans) qui s’était écoulé depuis qu’il était parti d’Hyrkania, vers l’est, à la poursuite de Bessus, lei satrapes avaient été nécessairement laissés beaucoup à eux-mêmes. Quelques-uns avaient cru qu’il ne reviendrait jamais, pensée qui n’était nullement déraisonnable, puisque la passion qui l’entraînait à marcher en avant était si insatiable qu’il fut seulement forcé de revenir par l’opposition résolue de ses, propres soldats ; de, plus, la dangereuse blessure qu’il avait reçue chez les Malli, et sa marche calamiteuse à travers la Gedrosia, avaient donné naissance à la nouvelle de sa mort, crue pendant quelque temps même par Olympias et Kleopatra en Macédoine[37]. Dans ces incertitudes, quelques satrapes étaient accusés d’avoir pillé de riches temples, et commis des actes de violence à l’égard d’individus. A part de toute criminalité, réelle ou alléguée, plusieurs d’entre eux également avaient pris à leur solde des corps de troupes, mercenaires, en partie comme instrument nécessaire d’autorité dans leurs districts respectifs, en partie comme protection pour eux-mêmes dans le cas où Alexandre mourrait. Relativement à la conduite des satrapes et de leurs officiers, il arriva des dénonciations et des plaintes nombreuses, qu’Alexandre écouta volontiers et même avec empressement, punissant les accusés avec une rigueur aveu-le, et irrité surtout du soupçon qu’ils avaient compté sur sa mort[38]. Au nombre de ceux qui furent exécutés se trouva Abulitês, satrape de Susiane, avec son fils Oxathrês ; ce dernier fut même tué par les mains d’Alexandre avec une sarissa[39], — la dispensation du châtiment devenant dans ses mains une explosion d’un caractère exaspéré. Il dépêcha également aux satrapes des ordres péremptoires, leur ordonnant de renvoyer leurs troupes mercenaires sans délai[40]. Cette mesure produisit sur l’état de la Grèce un effet considérable, dont je parlerai dans un chapitre suivant. Harpalos, satrape de Babylone (dont il sera aussi bientôt parlé plus longuement), qui avait gaspillé pour un luxe fastueux des sommes énormes sur les revenus de son poste, fut épouvanté quand Alexandre s’approchait de la Susiane, et  il s’enfuit en Grèce avec de grands trésors et un petit corps de soldats[41]. Une sérieuse alarme se répandit parmi tous les satrapes et tous les officiers, innocents aussi bien que coupables. Que les coupables ne fussent pas ceux qui craignissent le plus, c’est ce que nous pouvons voir par l’exemple de Kleomenês en Egypte, qui resta dans son gouvernement sans être inquiété, bien que ses iniquités lie fassent pas un mystère[42].

Parmi les soldats macédoniens, le mécontentement avait été sans cesse en augmentant depuis les nombreuses preuves qu’ils voyaient qu’Alexandre avait choisi un rôle asiatique, et renoncé à son propre pays. Outre l’adoption habituelle qu’il avait faite du costume et du cérémonial persan, il célébra actuellement à Suse une sorte de mariage asiatique national. Il avait déjà épousé la captive Roxanê en Bactriane ; il prit ensuite deux épouses en plus, — Statira, fille de Darius, — et Parysatis, fille du précédent roi Ochus. En même temps, il fit épouser (suivant les usages persans) à quatre-vingts de ses principaux amis et officiers, malgré la vive répugnance de quelques-uns, des femmes choisies dans les plus nobles familles persanes, qu’il pourvut tolites de dots[43]. Il fit, en outre, des présents à tous ceux des Macédoniens qui déclarèrent avoir pris des Persanes, pour femmes. Des fêtes magnifiques[44] accompagnèrent ses noces, avec des présents honorifiques distribués à des favoris et à des officiers méritants. Les Macédoniens et les, Perses, ces deux races souveraines, l’une en Europe, l’autre en Asie, étaient ainsi destinés à être amalgamés. Pour diminuer l’aversion qu’inspiraient aux soldats ces mariages qui faisaient d’eux des Asiatiques[45], Alexandre annonça dans une proclamation qu’il payerait lui-même leurs dettes, invitant tous ceux qui devaient de l’argent à donner leurs noms, avec une indication des sommes dues. On savait qu’il y avait beaucoup de débiteurs ; cependant il n’y en eut que peu qui vinrent faire leur déclaration. Les soldats soupçonnaient la proclamation d’être un stratagème destiné à découvrir ceux qui étaient dépensiers, et à trouver un prétexte pour les punir, preuve remarquable du peu de confiance ou d’affection qu’Alexandre inspirait actuellement et combien à l’admiration qu’on avait pour lui se mêlait un sentiment de crainte. Il fut lui-même fort blessé de leur défiance, et il s’en plaignit ouvertement ; il déclara en même temps qu’on établirait publiquement dans le camp des tables et des payeurs, et que tout soldat pourrait venir demander l’argent nécessaire pour payer ses dettes, sans être obligé de donner son nom. Assurés du secret, ils demandèrent alors en si grand nombre que le total distribué fut prodigieusement grand ; il s’élevait, suivant quelques-uns, à 10.000 talents ; — suivant Arrien, à pas moins de 20.000 talents, soit 115.000.000 de francs[46].

Quelque considérable que fût ce don, il ne procura probablement qu’une satisfaction partielle, vu que les soldats dont la conduite était la meilleure et la plus rangée n’avaient pu avoir aucun profit, à moins qu’il ne leur eût convenu de se présenter avec des dettes fictives. En outre, une nouvelle mortification attendait les soldats en général (printemps, 323 av. J.-C.). Il arriva des diverses satrapies, — même des plus éloignées, de la Sogdiane, de la Bactriane, de l’Aria, de la Drangiane, de l’Arachosia, etc., — des contingents de jeunes et nouvelles troupes indigènes, montant à trente mille hommes, tous armés et exercés à la manière macédonienne. Du moment que les Macédoniens agiraient refusé de franchir l’Hyphasis et d’avancer dans l’Inde, Alexandre vit que, pour ses vastes projets agressifs, il était nécessaire de licencier ses vieux soldats et d’organiser une armée à la fois plus nouvelle et plus soumise. En conséquence, il envoya aux satrapes l’ordre de faire et de discipliner de nouvelles levées asiatiques, de jeunes indigènes rigoureux, et l’on voyait en ce moment ce qu’avait produit cet ordre[47]. Alexandre reçut avec une grande satisfaction ces nouvelles levées, qu’il appela les Epigoni. En outre, il incorpora un grand nombre de Perses indigènes, tant officiers que soldats, dans la cavalerie des Compagnons, le service le plus honorable de l’armée ; en opérant l’important changement de les armer de la courte pique macédonienne, propre à percer, à la place de la javeline persane, qui se lançait. Il se trouva qu’ils étaient de si bons soldats, et le génie d’Alexandre pour l’organisation militaire était, si consommé, qu’il se vit bientôt franchi de sa dépendance à l’égard des vétérans macédoniens, changement assez évident, pour eux aussi bien que pour lui[48].

La nouveauté et le succès de Nearchos dans son voyage d’exploration avaient excité dans Alexandre un goût vif pour des opérations navales. A bord de sa flotte, sur le Pasitigris (le Karun, fleuve sur le côté oriental de Suse), il le descendit en personne jusqu’au golfe Persique, examina la côte jusqu’à l’embouchure du Tigre, fleuve qu’il remonta aussi loin qu’Opis. Pendant ce temps-la, Hephæstion, qui commandait l’armée, marcha par terre de concert avec ce voyage, et revint à Opis, où Alexandre débarqua[49].

Alexandre avait fait alors une expérience suffisante des levées asiatiques pour pouvoir se passer d’un grand nombre de ses vétérans macédoniens. Convoquant l’armée, il lui fit connaître son intention de renvoyer dans leur patrie ceux qui étaient impropres au service, soit à cause de leur âge, soit à cause de blessures, mais de leur accorder, au départ, des présents suffisants pour les mettre dans une condition digne d’envie, et pour attirer de nouveaux remplaçants macédoniens. En entendant cette déclaration, les soldats laissèrent éclater aussitôt leur mécontentement amassé depuis longtemps. Ils se voyaient mis de côté, comme usés et inutiles, — et mis de côté, non pas pour faire place à des hommes plus jeunes de leur propre pays, mais en faveur de ces Asiatiques, dans les bras desquels leur roi avait passé actuellement. Ils demandèrent à grands cris qu’il les renvoyât tous, — lui conseillant, en manière de raillerie, de faire ses futures conquêtes avec son père Ammon. Ces manifestations irritèrent tellement Alexandre, qu’il sauta de la plate-forme élevée où il s’était mis pour parler, se jeta, avec quelques-uns de ses gardes, au milieu de la foule des soldats, et saisit ou fit saisir treize de ceux qui étaient apparemment les plus avancés, ordonnant qu’ils fussent immédiatement mis a mort. La multitude fut complètement terrifiée et réduite au silence ; alors, Alexandre remonta sur plate-forme et leur adressa un discours d’une longueur considérable. Il vanta les grands exploits de Philippe, et les siens plus grands encore : il affirma que tout le bénéfice de ses conquêtes était allé aux Macédoniens, et que lui-même n’en avait rien retiré, si ce n’est une double part dans les travaux, les fatigues, les blessures et les périls communs. Leur reprochant d’abandonner lâchement un roi auquel ils devaient toutes ces acquisitions incomparables, il finit en leur donnant à tous leur congé, — et en leur commandant de partir sur-le-champ[50].

Après ce discours, — rempli (tel que nous le lisons dans Arrien) de cette exorbitante glorification de lui-même, qui était le principal trait de son caractère, — Alexandre se retira, précipitamment dans le palais, où il resta renfermé pendant deux jours sans recevoir personne, à l’exception de ses serviteurs immédiats. Ses gardes s’en allèrent avec lui, laissant les soldats mécontents stupéfaits et immobiles. Ne recevant pas de nouveaux ordres, ni aucune des indications militaires accoutumées[51], ils restaient dans la condition impuissante de soldats forcés de prendre une décision par eux-mêmes, et en même temps complètement dépendants d’Alexandre, qu’ils avaient offensé. Le troisième jour, ils apprirent qu’il avait convoqué les officiers persans, et qu’il les avait investis des principaux commandements militaires, distribuant les Epigoni nouvellement arrivés en divisions d’infanterie et de cavalerie, tous avec les titres militaires macédoniens, et omettant les Macédoniens eux-mêmes comme s’ils n’existaient pas. A cette nouvelle, les soldats furent accablés de honte et de remords. Ils se précipitèrent aux portes du palais, jetèrent bas leurs armes et implorèrent le pardon d’Alexandre avec des pleurs et des gémissements, Bientôt le roi sortit, et fut lui-même touché jusqu’aux larmes en voyant leur contenance abattue. Après avoir attesté qu’il était entièrement réconcilié avec eux, il fit célébrer un sacrifice solennel, joint à un banquet où se trouvaient mêlés des Macédoniens et des Perses en foule. Les prophètes grecs, les mages perses et tous les convives présents s’unirent dans des prières et des libations pour la fusion, l’harmonie et une communauté d’empire entre les deux nations[52].

Cette victoire complète sur ses propres soldats fut probablement aussi agréable à Alexandre qu’aucune de celles u’il avait remportées pendant sa vie passée ; elle était pour lui une compensation consolante du mémorable refus d’avancer sur les bords de l’Hyphasis, refus qu’il n’avait ni oublié ni pardonné. Il choisit dix mille hommes parmi les soldats les plus âgés et les plus épuisés pour les renvoyer dans leur patrie, sous Krateros, en donnant à chacun d’eux solde entière jusqu’au moment de leur arrivée en Macédoine, avec une gratification d’un talent en sus. Son intention était que Krateros, qui avait une mauvaise santé, restât en Europe comme vice-roi de Macédoine, et qu’Antipater vînt en Asie avec un renfort de troupes[53]. Conformément à cette résolution, les dix mille soldats furent alors désignés pour retourner, et séparés du gros de l’armée. Cependant il ne paraît pas qu’ils soient retournés réellement, pendant les dix mois qu’Alexandre vécut encore.

Quant à l’important édit rendu cet été par Alexandre pour les cités grecques, et lu à la fête Olympique en juillet, — édit qui ordonnait à chaque cité de rappeler ses citoyens exilés, — j’en parlerai dans un prochain chapitre. Il avait actuellement atteint son but ; il avait organisé une armée de terre à moitié macédonienne, à moitié asiatique (été, 324 av. J.-C.). Mais, depuis l’expédition de Nearchos, le désir lui était venu de donner une extension considérable à ses forces navales également ; ce qui, dans le fait, était une condition indispensable pour ses projets immédiats de conquérir l’Arabia, et de pousser son exploration et son agrandissement nautique, à partir du golfe Persique, autour des côtes de cette contrée. Il dépêcha des ordres aux ports phéniciens, enjoignant de construire une flotte nombreuse, de démonter ensuite les vaisseaux, de les transporter à Thapsakos, sur l’Euphrate, d’où ils descendraient le fleuve jusqu’à Babylone. Dans cette ville, il ordonna la construction d’autres vaisseaux au moyen des nombreux cyprès qui l’entouraient, — aussi bien que la formation d’un énorme port sur le fleuve à Babylone, suffisant pour loger mille vaisseaux de guerre. Mikkalos, Grec de Klazomenæ, fut envoyé en Phénicie avec cinq cents talents et la mission d’enrôler ou d’acheter des, marins pour les équipages. On comptait que ces préparatifs, (probablement sous la surveillance de Nearchos) seraient achevés au printemps, époque pour laquelle ou convoqua, à Babylone des contingents destinés à l’expédition contre l’Arabia[54].

Pendant ce temps, Alexandre lui-même se rendit à Ecbatane, résidence ordinaire d’été des rois de Perse (324 av. J.-C.). Il conduisit son armée à petites journées, examinant en route les anciens parcs royaux où l’on élevait la célèbre race de chevaux appelés nisæens, — à ce moment fort réduits en nombre[55]. Pendant la marche, une violente contestation s’éleva entre son favori personnel Hephæstion et son secrétaire Eumenês, l’homme le plus capable, le plus adroit qu’il eût à son service, et celui qui voyait les choses de plus loin. Eumenês, comme Grec de Kardia, avait toujours été regardé avec dédain et jalousie par les officiers macédoniens, en particulier par Hephæstion ; Alexandre s’appliqua alors à les réconcilier, n7éprouvant aucune difficulté avec Eumenês, mais beaucoup avec Hephæstion[56]. Pendant son séjour à Ecbatane, il célébra des sacrifices et des fêtes solennelles, avec des représentations gymnastiques et musicales, qui furent animées, en outre, suivant les habitudes macédoniennes, par des banquets et d’excessives libations. Au milieu de ces réjouissances, Hephæstion fut saisi d’une fièvre. La vigueur de sa constitution l’enhardit à négliger tout soin ou tout régime ; de sorte qu’en peu de jours la maladie l’emporta. La crise finale arriva soudainement, et Alexandre en fut averti tandis qu’il était au théâtre ; mais, bien qu’il se rendit aussitôt en toute hâte auprès de son lit, il le trouva déjà mort. La douleur que lui causa cette perte fut immodérée ; elle se manifesta en excès conformes à la violence générale de ses mouvements, soit d’affection, soit d’antipathie. A I’instar d’Achille pleurant Patroklos, il se jeta par terre auprès du cadavre, et y resta à gémir pendant plusieurs heures ; il refusa tout soin, et même toute nourriture pendant deux jours ; il coupa ses cheveux ras et ordonna que tous les chevaux et tous les mulets du camp eussent aussi leurs crinières coupées rases également ; non seulement il suspendit les réjouissances, mais encore il interdit toute musique et tout signe de joie dans le camp ; il ordonna d’abattre les créneaux des murs appartenant aux cités voisines ; il fit pendre, ou crucifier, le médecin Glaukias, qui avait fait l’ordonnance pour Hephæstion ; il ordonna d’élever à Babylone un immense bûcher, qui coûta, nous dit-on, dix mille talents (57.500.000 fr.), pour célébrer les obsèques ; il envoya des messagers à l’oracle d’Ammon, pour demander s’il était permis d’adorer Hephæstion comme un dieu. Un grand nombre de ceux qui l’entouraient, s’accommodant à ce mouvement passionné du maître, se mirent aussitôt à rendre une sorte de culte au défunt, en lui consacrant et leurs personnes et leurs armes ; ce dont Eumenês donna l’exemple, sachant le danger qu’il courait personnellement si Alexandre le soupçonnait d’être content de la mort de son récent rival. Perdikkas eut pour instructions de transporter le corps en procession solennelle à Babylone, pour y être brûlé en grande pompe quand les préparatifs seraient achevés[57].

Alexandre séjourna à Ecbatane jusqu’à ce que l’hiver fût arrivé, cherchant une distraction à sa douleur dans un éclat exagéré de fêtes et dans une vie fastueuse (hiver 324-323 av. J. -C.). Son caractère devint plus irascible et plus furieux, au point que personne ne l’approchait sans crainte ; et les flatteries les plus extravagantes étaient nécessaires pour se le rendre favorable[58]. A la fin, il se réveilla et trouva sa véritable consolation en satisfaisant les passions principales de sa nature, — l’amour des combats et la chasse à l’homme[59]. Entre la Médie et la Persis habitaient les tribus appelées Kossæi, au milieu d’une région de montagnes élevées, sans routes, inaccessibles. Braves et adonnées au pillage, elles avaient défié les attaques des rois de Perse. Alexandre conduisit contre elles en ce moment une puissante armée, et malgré les difficultés plus grandes qu’amenait la saison d’hiver, il les poussa de point en point, les suivant dans les retraites les plus hautes et les plus impénétrables de leurs montagnes. Ces efforts se continuèrent pendant quarante jours, jusqu’à ce que toute la population mâle fût tuée, ce qui passa pour une offrande agréable aux mânes d’Hephæstion[60].

Peu de temps après, Alexandre se mit en marche pour Babylone, mais il s’avança lentement et fut en outre retardé par diverses ambassades étrangères qui vinrent à sa rencontre dans la route (hiver-printemps 323 av. J.-C.). La terreur de son nom et de ses exploits s’était répandue si loin que plusieurs de ces ambassadeurs venaient des régions les plus lointaines. Il y en avait des diverses tribus de la Libye, — de Carthage, — de la Sicile et de la Sardaigne, — des Illyriens et des Thraces, — des Lucaniens, des Brutiens et des Toscans, en Italie, — bien plus, même (comme quelques-uns l’affirmaient) des Romains, peuple qui n’avait encore qu’une médiocre puissance[61]. Mais il y avait d’autres noms encore plus surprenants, — des Éthiopiens de l’extrême sud, au delà de l’Égypte ; — des Scythes du nord, au delà du Danube ; — des Ibériens et des Gaulois du fond de l’Occident, au delà de la Méditerranée. Il arriva aussi des députés de diverses cités grecques, en partie pour lui adresser des félicitations et des compliments au sujet de ses succès incomparables, en partie pour lui faire des remontrances contre son ordre radical de rétablissement général des exilés grecs[62]. On remarqua que ces envoyés grecs s’approchèrent de lui avec des couronnes sur la tête, en lui offrant des couronnes d’or, — comme s’ils venaient en présence d’un dieu[63]. Les preuves que même des tribus lointaines, dont les noms et les costumes étaient inconnus, à Alexandre, donnèrent à ce prince de la crainte qu’elles avaient de son inimitié et de leur vif désir d’obtenir sa faveur, furent telles qu’aucun personnage historique n’en avait jamais reçu de pareilles et de nature à expliquer complètement son arrogance surhumaine.

Toutefois, au milieu de cette exubérance d’orgueil et de prospérité, de sombres présages et, de fâcheuses prophéties affluaient vers lui à mesure qu’il approchait de Babylone (printemps 323 av. J.-C.). De ces prophéties, la plus remarquable fut l’avertissement des prêtres chaldæens, qui lui apprirent, aussitôt après qu’il eut franchi le Tigre, qu’il serait dangereux pour lui d’entrer dans cette cité et l’exhortèrent à rester en dehors des portes. D’abord il inclina à obéir ; mais ses scrupules furent vaincus, soit par les arguments du sophiste grec Anaxarchos, sait par la honte de s’interdire, la cité la plus mémorable de l’empire, où se poursuivaient en ce moment ses grands préparatifs navals. Il trouva Marchas avec sa flotte, qui avait remonté le fleuve depuis son embouchure, — ainsi que les vaisseaux qu’il avait fait construire en Phénicie, et qui étaient venus en descendant le fleuve depuis Thapsakos, en même temps qu’un nombre considérable de marins pour servir à bord[64]. Les vaisseaux, de bois de cyprès et les vastes, bassins qu’il avait ordonné de construire à Babylone étaient également en plein progrès. Sans perdre de temps, il concerta avec Nearchos les détails d’une expédition en Arabie et dans le golfe Persique, avec le concours de son armée de terre et de ses forces navales. De divers officiers de marine qui avaient été envoyés pour explorer le golfe Persique et qui firent à ce moment leurs rapports, il apprit que bien qu’il n’y eût pas de difficultés sérieuses dans l’intérieur de ce golfe, ni le long de sa côte méridionale, cependant doubler le cap oriental qui terminait cette côte, — faire par mer le tour de la péninsule inconnue de l’Arabia et arriver ainsi à là mer Rouge, — c’était une entreprise périlleuse au moins, sinon impraticable[65]. Mais accomplir ce que d’autres hommes jugeaient impraticable était la passion dominante d’Alexandre. Il résolut de faire par mer le, tour de l’Arabia, aussi bien que de soumettre les Arabes, qui avaient commis à son égard une offense suffisante en ne lui envoyant pas d’ambassadeurs. Il projeta aussi la fondation d’une grande cité maritime dans l’intérieur du golfe Persique, destinée à rivaliser, en richesses et en commerce avec les cités de Phénicie[66].

Au milieu des préparatifs pour cette expédition, — et pendant qu’on construisait l’immense bûcher destiné à Hephæstion, — Alexandre descendit l’Euphrate jusqu’au grand fossé appelé Pallakopas, à environ quatre-vingt-dix milles (= 144 kilom. 3/4) au-dessous de Babylone, écluse. construite par les anciens rois assyriens, pour être ouverte quand le fleuve était trop plein, de manière à laisser, écouler l’eau dans les interminables marais qui s’étendaient près de la rive occidentale (avril-mai 323 av. J.-C.). Comme, on lui dit que l’écluse ne fonctionnait pas bien, il projeta d’en construire une nouvelle un peu plus bas. Il navigua ensuite à travers le Pallakopas pour explorer les marais, en même temps que pour voir les tombeaux des anciens rois assyriens, qui avaient été élevés au milieu d’eux. Gouvernant lui-même son navire, avec la kausia sur la tête et le diadème royal par-dessus[67], il passa quelque temps au milieu de ces lacs et de ces marécages, qui étaient si vastes que sa flotte s’y égara. Il y séjourna assez longtemps aussi pour ordonner et même pour commencer la fondation d’une nouvelle cité à l’endroit qui lui sembla un emplacement convenable[68].

A son retour à Babylone (juin 323 av. J.-C.), Alexandre trouva des renforts considérables qui y étaient arrivés, — en partie sous Philoxenos, Menandros Menidas, de Lydia et de Karia, — en partie vingt mille Perses, sous Peukestês le satrape. Il fit  incorporer ces Perses dans les files de la phalange macédonienne. Suivant la coutume établie, chacune de ces files avait seize hommes de profondeur et chaque soldat était armé d’une longue pique où sarissa maniée avec les deux mains ; le lochagos ou homme du rang de devant étant toujours un officier qui recevait double solde, d’une grande force et d’une -valeur attestée, — et ceux qui étaient à la deuxième et à la troisième place dans la file, aussi bien que le dernier de tous, étant également de bons et vigoureux soldats, qui recevaient une solde plus considérable que les autres. Alexandre, dans son nouvel arrangement, conserva les trois premiers rangs et le dernier sans changement, aussi bien que la même profondeur de file ; mais il substitua douze Perses à la place des douze Macédoniens qui suivaient l’homme du troisième rang, de sorte que la file fat composée d’abord du lochagos et de deux Macédoniens d’élite, chacun armé de la sarissa, — ensuite de douze Perses armés à leur manière de l’arc ou de la javeline, — en dernier lieu, d’un Macédonien avec la sarissa, qui occupait le dernier rang[69]. Dans cette file macédonico-persane, le front devait avoir seulement trois piques faisant saillie, au lieu des cinq que présentait la phalange macédonienne ordinaire ; mais alors, en compensation, les soldats persans pouvaient lancer leurs javelines sur un ennemi qui avançait, par-dessus les têtes des hommes des trois premiers rangs. La mort d’Alexandre qui survint, empêcha l’exécution réelle de cette réforme, intéressante en ce qu’elle était son dernier projet pour amalgamer les Perses et les Macédoniens en une seule force militaire.

Outre cette modification apportée à la phalange, Alexandre passa aussi en revue sa flotte, qui était alors complètement équipée. A ce moment fut donné l’ordre de partir, aussitôt que les obsèques d’Hephæstion seraient célébrées. C’était le dernier acte qui lui restait à accomplir. Le magnifique bûcher était prêt ; il avait deux cents pieds de haut, occupait une surface carrée dont le côté était de deux cents mètres environ et était chargé de riches ornements, qu’y avait ajoutés le zèle, réel ou simulé, des officiers macédoniens. L’invention des artistes s’épuisa, dans de longues discussions avec le roi lui-même, pour produire à grands frais un spectacle d’une magnificence rare et prodigieuse. La dépense (probablement en y comprenant les fêtes qui suivirent immédiatement) monta, dit-on, à douze mille talents ou soixante-neuf millions de francs[70]. Alexandre attendait l’ordre de l’oracle d’Ammon, où il avait envoyé des messagers pour demander quelle mesure de respect et d’honneur il pouvait convenablement et pieusement témoigner à son ami défunt[71]. La réponse fut rapportée à ce moment ; elle donnait à entendre qu’Hephæstion devait être adoré comme un héros, — forme secondaire de culte, qui n’était pas au niveau de celui qu’on rendait aux dieux. Charmé de ce témoignage divin en faveur d’Hephæstion, Alexandre fit allumer le bûcher et célébrer les obsèques d’une manière conforme aux injonctions de l’oracle[72]. En outre, il ordonna qu’on élevât de magnifiques chapelles ou édifices sacrés où Hephæstion recevrait des adorations et des hommages, — à Alexandrie en Égypte, — à Pella en Macédoine, et probablement dans d’autres cités aussi[73].

Relativement aux honneurs qu’il voulait faire rendre à Hephæstion dans la ville d’Alexandrie, il adressa à Kleomenês une dépêche qui nous est connue en partie. J’ai déjà dit que Kleomenês était au nombre des satrapes les plus méchants ; il avait commis une foule de crimes publics, qu’Alexandre n’ignorait pas. La dépêche royale lui enjoignait d’élever en commémoration d’Hephæstion une chapelle sur le continent d’Alexandrie, avec une magnifique, tourelle dans l’îlot de Pharos ; et de pourvoir en outre à ce que tous les contrats de commerce écrits, comme condition de validité, portassent le nom d’Hephæstion, Alexandre finissait ainsi : Si en venant en Egypte, je trouve les temples et les chapelles d’Hephæstion achevés le mieux possible, je te pardonnerai tous tes crimes passés, et à l’avenir, quelque grand crime que tu puisses commettre, tu n’auras à redouter aucun mauvais traitement de ma part[74]. Cette dépêche explique d’une manière frappante combien les actes injustes des satrapes étaient des considérations secondaires à ses yeux, comparés avec de magnifiques manifestations à l’égard des dieux et un attachement personnel pour ses amis.

La profonde douleur que ressentit Alexandre de la mort d’Hephæstion, — non seulement ami dévoué, mais du même âge que lui et d’une vigueur exubérante comme la sienne, — ouvrit son esprit aux sombres pressentiments de nombreux présages, aussi bien qu’à une défiance jalouse même à l’égard de ses plus anciens officiers. Antipater, en particulier, n’ayant plus l’appui d’Hephæstion pour le protéger contre les calomnies d’Olympias[75], tomba de plus en plus dans le discrédit, tandis que son fils Kassandre, qui était venu récemment en Asie avec un renfort macédonien, eut à subir de la part d’Alexandre, pendant des moments de colère, des violences fort blessantes. Malgré l’avertissement par lequel les prêtres chaldæens avaient cherché à le dissuader[76] d’entrer dans Babylone, Alexandre s’était laissé persuader de douter de leur sincérité, et il était entré dans cette ville, bien que non sans hésitation et inquiétude. Toutefois, lorsque, après y être entré, il en sortit sain et sauf lors de son expédition destinée à explorer le cours inférieur de l’Euphrate, il s’imagina avoir démontré qu’ils étaient des alarmistes trompeurs, et il revint à cette ville avec plus de confiance, pour célébrer les obsèques de l’ami qu’il avait perdu[77].

Les sacrifices qui se rattachèrent à ces obsèques furent sur la plus prodigieuse échelle (juin, 323 av. J.-C.). On offrit assez de victimes pour fournir un banquet à toute l’armée, qui reçut aussi d’abondantes distributions de vin. Alexandre présida le banquet en personne, et se livra comme les autres aux joies du festin. Déjà plein de vin, il se laissa persuader par soit ami Medios de souper avec lui, et de passer toute la nuit à boire encore, avec l’abandon, désordonné appelé par les Grecs Kômos ou orgie. Après avoir dissipé son ivresse en dormant le lendemain, il soupa de nouveau le soir avec Medios et passa une seconde nuit en s’abandonnant sans mesure à la même débauche[78]. Il paraît qu’il avait déjà en lui les germes d7une fièvre, que cette intempérance aggrava d’une manière si fatale qu’il se trouva trop malade pour retourner au palais. Il prit un bain et s’endormit dans la maison de Medios, le lendemain matin, il fut hors d’état de se lever. Après avoir été transporté sur un lit pour célébrer un sacrifice (ce qui était son habitude journalière), il fut obligé de rester couché toute la journée. Néanmoins, il convoqua les généraux en sa présence, prescrivant tous les détails de l’expédition prochaine, et ordonnant que l’armée de terre se mit en marche quatre jours après, tandis que la flotte avec lui-même à bord, partirait le cinquième jour. Le soir, il fut porté sur un lit au delà de l’Euphrate dans un jardin situé de l’autre côté ; là il prit un bain et se reposa pendant la huit. La fièvre continuait toujours ; de sorte que le matin, après s’être baigné et avoir été transporté dehors pour accomplir les sacrifices, il resta sur sa couche tout le jour, causant et jouant aux dés avec Medios ; le soir, il se baigna, sacrifia de nouveau, et soupa légèrement ; mais il eut une mauvaise nuit avec un redoublement de fièvre. Les deux jours suivants se passèrent de la même manière, la fièvre augmentant de plus en plus ; néanmoins Alexandre appela encore Nearchos auprès de son lit, discuta avec lui une foule de points relatifs à ses projets maritimes, et répéta l’ordre que la flotte fût prête dans trois jours. Le lendemain matin la fièvre fut violente ; Alexandre reposa tout le jour dans un pavillon de bains situé dans le jardin, toutefois convoquant encore les généraux pour leur ordonner de remplir les vacances parmi les officiers et pour recommander que l’armement fût prêt à se mettre en mouvement. Pendant les deux jours suivants, sa maladie s’aggrava d’heure en heure. Le second des deux jours, Alexandre put avec difficulté supporter d’être soulevé hors du lit pour accomplir le sacrifice ; cependant, même alors, il continua à donner aux généraux des ordres au sujet de l’expédition. Le matin, bien que dans un état désespéré, il fit encore l’effort nécessaire pour célébrer le sacrifice ; il fut ensuite transporté au delà du fleuve, du pavillon dans le palais, et il ordonna que les généraux et les officiers restassent en service permanent dans la salle ou auprès. Il en fit appeler quelques-uns à côté de son lit ; mais bien qu’il les reconnût parfaitement, il était à ce moment devenu incapable de parler. L’un des derniers mots qu’il prononça quand on lui demanda à qui il léguait son royaume fut, dit-on : Au plus fort ; l’un de ses derniers actes fut de prendre l’anneau qu’il portait au doigt et de le remettre à Perdikkas[79].

Pendant deux nuits et un jour il resta dans cet état, sans amélioration ni repos. Cependant la nouvelle de sa maladie s’était répandue dans l’armée, la remplissant de douleur et de consternation. Un grand nombre de soldats, désireux, de le voir encore une fois, pénétrèrent de force dans le palais, et furent admis sans armes. Ils passèrent à côté de son lit, avec toutes les démonstrations d’affliction et de sympathie : Alexandre les reconnut, et le leur témoigna aussi amicalement qu’il put ; mais il fut incapable de dire un mot. Plusieurs des généraux dormirent dans le temple de Sérapis, espérant être instruits par le dieu en rêve s’ils devaient y apporter Alexandre comme suppliant pour faire l’essai de la puissance curative divine. Le dieu leur apprit dans leur rêve qu’Alexandre ne devait pas être amené dans le temple, — qu’il vaudrait mieux pour lui rester où il était. Dans l’après-midi il expira, — juin, 323 av. J.-C., — après avoir vécu trente-deux ans et huit mois, — et régné douze ans et huit mois[80].

La mort d’Alexandre, ainsi enlevé soudainement par une fièvre dans la plénitude de la santé, de la vigueur et des aspirations, fut un événement frappant aussi bien qu’important au plus haut degré, pour ses contemporains tant voisins qu’éloignés. Quand la première nouvelle en fut apportée à Athènes, l’orateur Démade s’écria : — Cela ne peut être vrai ; si Alexandre était mort, l’odeur de sa carcasse aurait rempli tout le monde habitable[81]. Cette grossière, mais expressive comparaison explique l’impression immédiate, puissante, répandue au loin, que produisit l’anéantissement soudain du grand conquérant. Chacun des nombreux députés des pays lointains qui étaient venus tout récemment pour se rendre favorable cet Apollon dont la flèche portait si loin, — chacun des habitants des régions qui avaient envoyé ces députés, — d’une extrémité à l’autre de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique, telles qu’on les connaissait alors, — comprit que cette mort affectait soit sa condition actuelle soit son avenir probable[82]. L’accroissement et le développement primitifs de la Macédoine, pendant les vingt-deux années précédant la bataille de Chæroneia, pays qui s’éleva du rang d’un État secondaire embarrassé à celui de la première de toutes les puissances connues, avaient excité l’étonnement des contemporains, et de l’admiration pour le génie organisateur de Philippe. Mais les exploits d’Alexandre, pendant son règne de douze ans, en rejetant Philippe dans l’ombre, avaient eu des proportions bien plus grandes et bien plus vastes ; ils avaient été accomplis à l’abri de tout revers sérieux ou même d’une interruption quelconque, au point de dépasser la mesure, non seulement de l’attente, mais même de la croyance des hommes. Le Grand Roi (comme on appelait le roi de Perse par excellence) était, et avait été longtemps le type de la puissance et de la félicité en ce monde, même jusqu’à l’époque où Alexandre franchit l’Hellespont. Dans l’intervalle de quatre ans et trois mois après cet événement, par une défaite étonnante après l’autre, Darius avait perdu tout son empire occidental, et était devenu un fugitif à Pest des Portes Caspiennes, n’échappant à la captivité entre les mains d’Alexandre, que pour périr par celles du satrape Bessus. Tous les pendants historiques antérieurs, — la ruine et la captivité du Lydien Crésus, l’expulsion et la vie humble du Syracusain Denys, tous deux exemples frappants, de l’instabilité de la condition humaine, — devenaient des bagatelles, comparés avec le renversement de cet énorme colosse persan. L’orateur Æschine exprimait le sentiment véritable d’un spectateur grec, quand il s’écriait (dans un discours prononcé à Athènes peu après la mort de Darius) : — Qu’y a-t-il dans la liste des événements étranges et inattendus, qui ne se soit pas rencontré à notre époque ? Nos existences ont dépassé les limites de l’humanité ; nous sommes nés pour servir de sujet à des récits incroyables pour la postérité. N’est-ce pas le roi de Perse,ce prince qui perça le mont Athos et jeta un pont sur l’Hellespont,qui demanda aux Grecs la terre et l’eau,qui osa se proclamer dans des lettres publiques le maître de toute l’humanité depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, — n’est-ce pas lui qui lutte actuellement jusqu’à la dernière extrémité, pour assurer, non pas son empire sur les autres, mais la sûreté de sa propre personne ?[83]

Tels étaient les sentiments que faisait naître la carrière d’Alexandre, même au milieu de 330 avant J.-C., plus de sept ans avant sa mort. Pendant les sept années suivantes, ses nouveaux exploits avaient porté l’étonnement encore plus loin. Il avait soumis, au mépris de la fatigue, des peines et des combats, non seulement toute la moitié orientale de l’empire persan, mais des régions indiennes inconnues au delà de ses limites les plus à l’est. Outre la Macédoine, la Grèce et la Thrace, il possédait tout cet immense trésor et toutes ces forces militaires qui avaient jadis rendu le Grand Roi si formidable. Aucun contemporain n’avait jamais connu ni imaginé une pareille puissance. Avec la tournure d’imagination régnant alors, plus d’un homme fut disposé à le prendre pour un Dieu sur la terre, comme jadis des spectateurs grecs l’avaient supposé par rapport à Darius, quand ils voyaient l’innombrable armée persane franchir l’Hellespont[84].

Élevé à cette prodigieuse grandeur, Alexandre avait au moment de sa mort un peu plus de trente-deux ans, — âge auquel un citoyen d’Athènes parvenait à d’importants commandements ; dit ans de moins que l’âge exigé pour être consul à Rome[85] ; deux ans de moins que l’âge auquel Timour-Leng acquit pour la première fois la couronne, et commença ses conquêtes étrangères[86]. Ses extraordinaires qualités corporelles étaient entières ; il avait acquis un fonds considérable d’expérience militaire ; et, ce qui était plus important encore, son désir de nouvelles conquêtes était aussi insatiable, et sa disposition à les acheter au prix des plus grandes fatigues et des plus grands dangers était aussi complète que quand il avait franchi l’Hellespont pour la première fois. Quelque grande que sa carrière passée eût été, il était probable que ses exploits futurs, avec cet accroissement de moyens et d’expérience, seraient plus grands encore. Son ambition rie se serait contentée de rien moins que de la conquête de tout le monde habitable alors connu[87] ; et si sa vie se fût prolongée, il l’aurait vraisemblablement accomplie. Nulle part (autant que nous le savons) n’existait une puissance militaire capable de lui tenir tète ; et ses soldats, quand il les commandait, n’étaient non plus ni vaincus ni déroutés par le froid, la chaleur ou les fatigues les plus extrêmes. Les sentiments patriotiques de Tite-Live le disposent à soutenir[88] que, si Alexandre eût envahi l’Italie et attaqué les Romains ou les Samnites, il eût échoué et péri comme son parent Alexandre d’Épire. Mais on ne peut accepter cette conclusion. Si nous accordons que l’infanterie, romaine était égale en courage et en discipline à la meilleure infanterie d’Alexandre, on ne petit en dire autant de la cavalerie romaine en tant que comparée aux Compagnons macédoniens. Il est encore moins probable qu’un consul romain, changé annuellement, eût pu rivaliser avec Alexandre en génie et en combinaisons militaires ; et même lui eût-il été égal personnellement, il n’aurait possédé ni la même variété de troupes et d’armes, chacune efficace séparément, et toutes conspirant à un but commun, — ni la même influence illimitée sur J’esprit de ses soldats pour obtenir d’eux les plus grands efforts possibles. Je ne crois pas que même les Romains eussent pu résister avec, succès à Alexandre le Grand ; bien qu’il soit certain que jamais pendant toutes ses longues marches il ne rencontra jamais des ennemis tels qu’eux, ni même tels que les Samnites et les Lucaniens, — combinant le courage, le patriotisme, la discipline, avec des armes efficaces tant pour la défense que polir le combat corps à corps[89].

De toutes les qualités qui contribuent à constituer la supériorité militaire la plus haute, soit comme général, soit comme soldat, aucune ne manquait au caractère d’Alexandre. Avec son propre courage chevaleresque, — parfois à vrai dire excessif et inopportun, au point de former le seul défaut militaire qui puisse à bon droit lui être imputé, — nous trouvons dans toutes ses opérations les dispositions les plus soigneuses prises à l’avance, de -vigilantes précautions pour se mettre en garde contre un revers possible, et un esprit abondant en ressources pour s’adapter à de nouvelles éventualités. Au milieu de succès constants, jamais ces combinaisons prudentes ne, furent ; discontinuées. Ses exploits sont la plus ancienne preuve constatée d’organisation militaire scientifique sur une grande échelle, et de ses effets écrasants. Alexandre impose à l’imagination plus que tout autre personnage de l’antiquité, par le développement incomparable de tout ce qui constitue une force efficace, — comme guerrier individuellement, et comme organisateur et chef de masses armées ; il a non seulement l’impétuosité aveugle attribuée par Homère à Arès, mais encore cette concentration intelligente, méthodique, à laquelle rien ne résiste, que le poète personnifie dans Athéna. Mais toutes ses grandes qualités n’étaient bonnes que pour servir contre des ennemis, catégorie dans laquelle, à vrai dire, étaient comptés tous les hommes connus et inconnus, excepté ceux qui consentaient à se soumettre à lui. Dans ses campagnes indiennes, au milieu de tribus absolument étrangères, nous remarquons que non seulement celles qui se défendent, mais encore celles qui abandonnent leurs biens et fuient aux montagnes, sont également poursuivies et massacrées.

A part les mérites transcendants d’Alexandre comme soldat et comme général, quelques auteurs lui font honneur de vues grandes et utiles au sujet d’un gouvernement souverain, et d’intentions extrêmement favorables pour l’amélioration de l’humanité. Je ne vois pas de motif pour adopter cette opinion. Autant que nous pouvons nous permettre de prévoir ce qu’aurait été l’avenir d’Alexandre, nous ne voyons rien en perspective à l’exception d’années d’agressions et de conquêtes toujours répétées qui n’auraient été finies que quand il aurait traversé et subjugué tout le globe habité. L’acquisition d’une domination universelle, — conçue non pas métaphoriquement, mais littéralement, et conçue avec une plus grande facilité par suite des connaissances géographiques imparfaites de son époque, — était la passion dominante de son âme. Au moment de sa mort, il commençait une nouvelle agression dans le sud contre les Arabes, jusqu’à une étendue sans limites[90] ; tandis que ses Vastes projets contre les tribus occidentales de l’Afrique et de l’Europe, aussi loin que les Colonnes d’Hêraklès, étaient consignés dans les ordres et les notes communiqués confidentiellement à Krateros[91]. L’Italie, la Gaule et l’Espagne auraient été successivement attaquées et conquises ; les entreprises que lui avait proposées, quand il était en Bactriane, le prince chorasmien Pharasmenês, criais ajournées alors à une époque plus favorable, auraient été reprises ensuite, et, en partant du Danube, il aurait tourné au nord le Pont-Euxin et le Palus Mæotis pour marcher contre les Scythes et les tribus du Caucase[92]. Il restait, en outre, les régions asiatiques à l’est de l’Hyphasis, dans lesquelles ses soldats avaient refusé d’entrer, mais qu’il aurait certainement envahies à une occasion future, n’eût-ce été que pour effacer l’humiliation poignante d’avoir été forcé d’abandonner son dessein déclaré. Bien que cela ressemble à un roman et à une hyperbole, ce n’était rien de plus que la réelle et insatiable aspiration d’Alexandre, qui considérait toute acquisition nouvelle surtout comme un capital devant servir à acquérir davantage[93]. Tu es un homme comme nous tous, Alexandre (lui disait l’Indien nu),si ce n’est que tu abandonnes ta patrie comme un destructeur importun pour envahir les régions les plus éloignées, endurant des peines toi-même et en infligeant aux autres[94]. Or, comment un empire aussi illimité et aussi hétérogène, tel que pas un prince n’en avait encore réalisé un pareil, aurait-il pu être administré avec des avantages supérieurs pour des sujets, c’est ce qu’il serait difficile de démontrer. La tâche seule d’acquérir et de conserver, — de maintenir dans leur autorité aussi bien que dans la subordination les satrapes et les percepteurs d’impôts, — d’étouffer des résistances toujours susceptibles de reparaître dans des régions éloignées par des marches demandant des mois entiers[95], — cette tache, dis-je, devait occuper toute la vie d’un conquérant du monde, sans lui laisser de loisir pour les améliorations convenables à la paix et à la stabilité, si nous lui faisons honneur de pareils desseins en théorie.

Mais même ce dernier point est plus qu’on ne peut accorder. Les actes d’Alexandre indiquent qu’il ne désirait rien de plus que de reprendre les traditions de l’empirer persan ; système de contributions et de levées d’hommes, avec des Macédoniens en proportion considérable pour instruments ; toutefois en partie aussi avec précisément les mêmes Perses qui avaient administré auparavant, pourvu qu’ils se soumissent à lui. A la vérité, on a dit, eu lui en faisant un mérite, qu’il voulait ainsi renommer tous les grands de Perse (tout en mettant cependant leurs forces armées sous le commandement d’un officier macédonien), — et conserver aux princes indigènes leurs principautés, s’ils voulaient lui rendre hommage comme subordonnés tributaires. Mais tout cela avait été fait avant lui par les rois persans, qui avaient pour système de laisser les princes vaincus tranquilles, soumis seulement, au payement du tribut et à l’obligation de fournir un, contingent militaire quand on le leur demanderait[96]. De même, l’empire asiatique d’Alexandre aurait été composé ainsi d’un agrégat de satrapies et de principautés dépendantes, fournissant de l’argent et des soldats ; à d’autres égards laissé à, la discrétion du gouvernement local, avec des punitions extrêmes infligées à l’occasion, mais sans aucun examen ni contrôle systématique[97]. C’est sur cet agrégat, état de l’empire, asiatique dans tous les âges, qu’Alexandre aurait greffé un perfectionnement spécial ; l’organisation militaire de l’empire, faible sous les princes achæménides, aurait été grandement fortifiée par son génie et par les habiles officiers formés à son école, tant pour l’agression étrangère que pour la surveillance intérieure[98].

L’empire persan était un agrégat mélangé, sans aucun sentiment fort de nationalité. Le conquérant macédonien qui s’empara du trône de Perse était plus indifférent encore à un sentiment national. Il n’était ni Macédonien ni- Grec Bien que l’absence de ce préjugé lui ait été comptée quelquefois comme une vertu, il faisait seulement place, selon moi, à des préjugés pires encore. Ce qui en tenait lieu était une personnalité et une estime de lui-même exorbitantes, manifestées même dans ses premières années, et poussées par des succès extraordinaires jusqu’à la croyance à une origine divine ; croyance qui, en le plaçant au-dessus de l’idée de participation à une nationalité spéciale quelconque, lui fit regarder tous les hommes comme des sujets sous un seul sceptre commun que lui-même devait tenir. Le roi de Perse se rapprochait le plus près de cet empire universel[99], selon les opinions qui régnaient alors. En conséquence, Alexandre, une fois victorieux, accepta la position et les prétentions de la cour persane qu’il avait renversée, comme se rapprochant le plus de ce qui lui était complètement dû. Il devint plus Persan que Macédonien ou Grec. Tout en adoptant lui-même, autant qu’il pouvait le faire sans danger, les habitudes personnelles de la cour de Perse, il s’appliqua avec grand soin à transformer ses officiers macédoniens en seigneurs persans, encourageant et même imposant des mariages avec des femmes persanes suivant les rites de la Perse. Au moment de la mort d’Alexandre, on trouva compris, dans ses ordres écrits donnés à Krateros, un plan de translation d’habitants en masse, tant d’Europe en Asie que d’Asie en Europe, afin de fondre ces populations en une seule, en multipliant les mariages et les relations[100]. Une pareille translation de peuples aurait été ressentie comme éminemment odieuse, et n’aurait pu s’accomplir sans une autorité coercitive[101]. Il est téméraire de spéculer sur des projets restés sans exécution ; mais, autant que nous en pouvons juger, ce mélange forcé de races différentes ne promettait rien de favorable au bonheur d7aucune d’entre elles, bien qu’il pût servir de nouveauté imposante et de souvenir d’une toute-puissance souveraine.

Sous le rapport de l’intelligence et du génie de combinaison, Alexandre était complètement hellénique — sous celui des dispositions et des vues, personne ne pouvait l’être moins. —Nous avons déjà raconté les actes qui attestent la violence tout orientale de ses mouvements, son obstination illimitée[102], et son besoin impérieux de respect au-dessus des limites de l’humanité. Le représenter comme un fils de la Hellas, imbu des maximes politiques d’Aristote et décidé à répandre systématiquement la civilisation hellénique pour l’amélioration de l’humanité[103], — c’est, à mon avis, faire de son caractère une appréciation contraire à l’évidence. Alexandre demanda, dit-on, à Aristote des conseils quant au meilleur mode de colonisation ; mais son caractère changea tellement, après quelques années de conquêtes en Asie, qu’il en arriva non seulement à perdre toute déférence pour les avis d’Aristote, mais même à le haïr amèrement[104]. De plus, bien que les suggestions complètes du philosophe n’aient pas été conservées, cependant on nous dit qu’il recommanda en général à Alexandre de se conduire à l’égard des Grecs en commandant ou en président, ou en chef à la puissance limitée, — et à l’égard des barbares (non Hellènes) en maître[105] ; distinction coïncidant avec celle qu’indiquait Burke dans ses discours au commencement de la guerre d’Amérique, entre les principes de gouvernement qu’il était convenable à l’Angleterre de suivre dans les colonies américaines et dans l’Inde anglaise. Aucun penseur grec ne croyait les Asiatiques susceptibles de recevoir cette constitution civile libre[106] sur laquelle était fondée la marche de toute communauté grecque. Aristote ne voulait pas abaisser les Asiatiques au-dessous du niveau auquel ils avaient été accoutumés, mais plutôt préserver les Grecs d’être abaissés au même niveau. Or Alexandre ne reconnaissait aucune distinction semblable à celle qu’avait établie son précepteur. Il traitait les Grecs et les Asiatiques également, non en élevant les seconds, mais en dégradant les premiers. Bien qu’il les employât tous indistinctement comme ses instruments, cependant il ne tarda pas à trouver le libre langage des Grecs, et même des Macédoniens, si désagréable et si blessant, que ses préférences tournèrent de plus en plus en faveur des sentiments !et des coutumes, des serviles Asiatiques. Au lieu de donner à l’Asie le caractère hellénique, il tendit à donner le caractère asiatique à la Macédoine et à la Hellas. Ses dispositions et son naturel, modifiés par quelques années de conquêtes, le rendirent tout à fait impropre à suivre la marche recommandée par Aristote à l’égard des Grecs, — tout à fait aussi impropre qu’aucun des rois de Perse, ou que l’empereur des Français Napoléon à endurer l’impuissance partielle, les compromis et la douleur causée par une libre critique, qui sont inséparables de la position d’un chef dont le pouvoir est limité. Dans une multitude de sujets plus variés en couleur même que l’armée de Xerxès, il est bien possible qu’il eût pu appliquer sa puissance à l’amélioration des portions les plus grossières. On nous dit (bien que le fait soit difficile à croire, vu le peu de temps qu’il eut) qu’il abolit diverses coutumes barbares des Hyrcaniens, des Arachosiens et des Sogdiens[107]. Mais les Macédoniens, aussi bien que les Grecs, auraient grandement perdu à être absorbés dans un immense agrégat asiatique.

Plutarque affirme qu’Alexandre fonda plus de soixante-dix nouvelles cités en Asie[108]. Un nombre aussi considérable ne peut être vérifié, et il n’est pas non plus probable, à moins que nous ne comptions de simples postes militaires, ou que nous ne fassions des emprunts à la liste des fondations établies réellement par ses successeurs. A l’exception d’Alexandrie en Égypte, on ne peut démontrer qu’aucune des cités fondées par Alexandre ait atteint un grand développement. Presque toutes furent placées parmi les peuples éloignés, belliqueux et turbulents, à l’est des Portes Caspiennes. Ces établissements furent en réalité des postes fortifiés destinés à tenir le pays dans la sujétion. Alexandre y logea des détachements de son armée ; mais aucun de ces détachements ne peut avoir été considérable, vu qu’il ne pouvait se permettre d’affaiblir beaucoup son armée, tandis que des opérations militaires actives se continuaient encore et qu’il songeait à pousser sa marche plus en avant. Il y eut plus de ces colonies créées en Sogdiane qu’ailleurs ; mais relativement aux fondations sogdiennes, nous savons que les Grecs qu’il y établit, enchaînés à l’endroit seulement par la crainte de son pouvoir, éclatèrent en mutinerie dès qu’ils reçurent la nouvelle de sa mort[109]. Quelques soldats grecs de l’armée d’Alexandre sur l’Iaxarte ou sur l’Hydaspes, malades et fatigués de ses marches interminables, pouvaient préférer être inscrits parmi les colons d’une nouvelle cité sur l’un de ces fleuves inconnus à la routine sans cesse répétée d’un devoir épuisant[110]. Mais il est certain qu’aucun émigrant volontaire ne devait se présenter pour s’établir à des distances telles que son imagination pouvait à peine les concevoir. Le désir absorbant d’Alexandre fut la conquête à l’est, à l’ouest, au sud, et au nord ; les cités qu’il créait furent établies pour la plupart comme garnisons destinées à détendre ses acquisitions les plus éloignées et les plus précaires. Le dessein de coloniser fut entièrement subordonné ; et, autant que nous le pouvons voir, le prince De songea même pas à l’idée d’helléniser l’Asie, encore bien moins la réalisa-t-il.

Cette opération d’helléniser l’Asie, — autant que l’Asie le fut jamais, — qui a été souvent attribuée à Alexandre, fut en réalité l’œuvre des diadochi qui vinrent après lui, bien que ses conquêtes sans doute ouvrissent la porte et établissent l’ascendant militaire qui rendait une pareille œuvre praticable. La position, les aspirations et les intérêts de ces diadochi, — Antigonos, Ptolemæos, Seleukos, Lysimachos, etc., — furent essentiellement différents de ceux d’Alexandre. Ils n’eurent ni le désir ni le moyen de faire des conquêtes nouvelles et éloignées ; leur grande rivalité fut à l’égard les uns des autres ; chacun d’eux chercha à se fortifier dans son voisinage contre ses rivaux. Ce devint une affaire de mode et d’orgueil pour eux, non moins que d’intérêt, de fonder de nouvelles cités, qui devaient immortaliser leurs noms de famille. Ces fondations se firent surtout dans les régions de l’Asie voisines des Grecs et connues d’eux, où Alexandre n’en avait établi aucune. C’est ainsi que les grandes et nombreuses fondations de Seleukos Nikanor et de ses successeurs couvrirent la Syria, la Mesopotamia et des parties de l’Asie Mineure. Toutes ces régions étaient connues des Grecs, et elles tentaient plus ou moins de nouveaux immigrants grecs ; elles n’étaient pas hors de portée ; on pouvait y entendre parler de la fête Olympique et d’autres fêtes, tandis qu’il n’en était pas de même de l’Indus et de l’Iaxarte. C’est de cette -manière qu’une abondance considérable de nouveau sang hellénique fut versée en Asie pendant le siècle qui suivit Alexandre, — venant probablement en grande proportion d’Italie et de Sicile, où la condition des cités grecques devint de plus en plus malheureuse, — outre les nombreux Grecs qui prirent du service comme individus sous ces rois asiatiques. Les Grecs et les Macédoniens parlant grec devinrent prédominants, sinon en nombre, du moins en importance, dans la plupart des cités de l’Asie occidentale. En particulier, l’organisation, la discipline et l’administration militaires macédoniennes furent maintenues d’une manière systématique chez ces rois asiatiques. Dans le récit de la bataille de Magnêsia, livrée par le roi séleukide Antiochos le Grand contre les Romains, en 190 avant J.-C., la phalange macédonienne, constituant la principale force de sols armée asiatique, parait dans son état complet, précisément telle qu’elle était sous Philippe et Perseus dans la Macédoine elle-même[111].

Toutefois, quand on dit que l’Asie devint hellénisée sous les successeurs d’Alexandre, la phrase mérite explication. L’hellénisme, proprement appelé ainsi,-l’ensemble d’habitudes, de sentiments, d’énergies et d’intelligence, manifesté par les Grecs pendant la durée de leur autonomie[112], — ne passa jamais en Asie, non plus que les plus hautes qualités de l’esprit grec, ni même le caractère entier de Grecs ordinaires. Ce véritable hellénisme ne put subsister sous la compression dominante d’Alexandre, ni même sous la pression moins irrésistible de ses successeurs. Sa force pleine de vie, son génie productif, sa faculté de s’organiser par lui-même et son esprit actif d’union politique furent étouffés et s’éteignirent insensiblement. Tout ce qui passa en Asie n’en fuit qu’une imitation faible et partielle, qui portait les marques superficielles de l’original. L’administration des rois gréco-asiatiques ne fut pas hellénique (comme on l’a quelquefois appelée), mais complètement despotique, comme celle des rois persans lavait été auparavant. En suivant leur histoire jusqu’à la période de la domination romaine, on verra qu’elle dépendit des goûts, du caractère et de l’habileté du prince et de l’état de la famille royale. A considérer leur gouvernement comme un système, sa différence saillante, en tant que comparé avec celui de leurs prédécesseurs persans, consista en ce qu’ils conservèrent les traditions et l’organisation militaires de Philippe et d’Alexandre, plan élaboré de discipline et de manœuvre qui ne pouvait être maintenu sans une hiérarchie officielle permanente et sans une mesure d’intelligence plus grande qu’il n’en avait jamais été déployé sous les rois achæménides, qui n’avaient ni école ni éducation militaire quelconque. Aussi un grand nombre de Grecs individuels trouvaient-ils de l’emploi dans le service militaire, aussi bien que dans le service civil de ces rois gréco-asiatiques. Le Grec intelligent, au lieu d’être citoyen de la Hellas, devint l’instrument d’un prince étranger ; les détails du gouvernement furent réglés dans une grande mesure par des fonctionnaires grecs et toujours en langue grecque.

De plus, il y eut, outre cela, le fait plus important encore des cités nouvelles fondées en Asie par les Seleukidæ et par les autres rois contemporains. Dans chacune de ces cités fut versé un nombre considérable de citoyens grecs et macédoniens, au milieu des Orientaux indigènes qui y étaient établis, souvent amenés par contrainte des villages voisins. Dans quel rapport numérique ces deux éléments de la population civile étaient-ils l’un à l’égard de l’autre, c’est ce que nous ne pouvons dire. Mais les Grecs et les Macédoniens étaient la portion principale et active qui exerçait la plus grande force d’assimilation, donnait un effet imposant aux manifestations publiques de la religion, avait des vues et des sympathies plus larges, communiquait avec le gouvernement central et entretenait cette mesure resserrée d’autonomie municipale qu’il était permis à la cité de conserver. Dans ces villes, les habitants grecs, bien que privés de liberté politique, jouissaient d’un cercle d’activité sociale appropriée à leurs goûts. Dans chacune, le grec était la langue des affaires et des relations publiques ; chacune était un centre d’attraction et de commerce pour un voisinage étendu ; toutes ensemble, elles étaient le principal élément hellénique ou quasi-hellénique, en Asie, sous les rois gréco-asiatiques, en tant que comparées avec les villages rustiques, où les coutumes indigènes et probablement la langue indigène durèrent encore avec peu de modifications. Mais les Grecs d’Antioche, ou d’Alexandrie, ou de Seleukeia ne ressemblèrent pas à des citoyens d’Athènes ou de Thèbes, ni même à des hommes de Tarente ou d’Ephesos. Tandis qu’ils communiquaient leur langue aux Orientaux, ils finirent par prendre réellement eux-mêmes le caractère oriental. Leurs sentiments, leurs jugements et leurs habitudes d’action cessèrent d’être helléniques. Polybe, quand il visita Alexandrie, vit avec surprise et dégoût les Grecs qui y résidaient, bien qu’ils fussent supérieurs à la population non hellénique, qu’il considérait comme méprisable[113]. Les habitudes sociales, les fêtes et les légendes grecques passèrent en Asie avec les colons helléniques, le tout finissant par s’amalgamer et se transformer, de manière à convenir à une nouvelle demeure asiatique. D’importantes conséquences sociales et politiques résultèrent de la diffusion de la langue et de l’établissement de ce moyen commun de communication d’une extrémité à l’autre de l’Asie occidentale. Mais, après tout, l’Asiatique hellénisé ne fut pas tant un Grec qu’un étranger parlant le grec, avec un vernis extérieur et des manifestations superficielles empruntés à la Grèce, foncièrement distingué de ces citoyens grecs dont s’est occupée la présente histoire. C’est ainsi que Sophokle, Thucydide, Socrate l’auraient considéré.

Ce que je viens de dire est nécessaire pour que l’on comprenne la portée des conquêtes d’Alexandre, non seulement par rapport à la population hellénique, mais encore par rapport aux attributs et aux particularités helléniques. Tout en écrasant les Grecs comme communautés à l’intérieur, ces conquêtes ouvrirent une sphère plus étendue au dehors aux Grecs comme individus, et produisirent, — peut-être le meilleur de tous leurs résultats, — un grand accroissement de communications mutuelles, une multiplication de routes, une extension de relations commerciales et de plus grandes facilités pour l’acquisition de connaissances géographiques. Il existait déjà dans l’empire persan une route royale facile et commode — établie par Darius, fils d’Hystaspês, et décrite aussi bien qu’admirée par Hérodote — pour le voyage de trois mois entre Sardes et Suse, et il a dû y avoir une autre route régulière menant de Suse et d’Ecbatane en Bactriane, en Sogdiane et dans l’Inde. Alexandre, s’il eût vécu, aurait sans doute multiplié sur une plus grande échelle les communications, tant par mer que par terre entre les diverses parties de son empire. Nous lisons qu’au nombre des projets gigantesques qu’il méditait, quand il fut surpris par la mort, était la construction d’une route tout le long de la côte septentrionale de l’Afrique, jusqu’aux Colonnes d’Héraclès[114]. Il avait en l’intention de fonder une nouvelle cité maritime sur le golfe Persique, à l’embouchure de l’Euphrate, et de faire de grandes dépenses pour régler le cours de l’eau dans la partie inférieure. Probablement le fleuve aurait été mis en état de présenter les mêmes avantages, tant pour la navigation que pour l’irrigation, qu’il paraît avoir procurés jadis, sous les anciens rois babyloniens. Des ordres avaient été donnés également pour construire une flotte destinée à explorer la mer Caspienne. Alexandre croyait que cette mer se rattachait à l’océan Oriental[115], et il projetait de la prendre pour point de départ afin de faire par mer le tour des limites orientales de l’Asie, contrée qui lui restait encore à conquérir. Le voyage accompli déjà par Nearchos, de l’embouchure de l’Indus à celle de l’Euphrate, était pour cette époque un magnifique exploit maritime, auquel un autre plus grand encore fut sur le point d’être ajouté, — la circumnavigation de l’Arabia, depuis le golfe Persique jusqu’à la mer Rouge, bien qu’ici nous devions faire remarquer que ce même voyage — depuis l’embouchure de l’Indus autour de l’Arabia jusque dans la mer Rouge — avait été exécuté en trente mois, un siècle et demi auparavant, par Skylax de Karyanda, en vertu des ordres de Darius, fils d’Hystaspês[116], voyage qui, bien que consigné par Hérodote, était oublié (à ce qu’il semblerait) par Alexandre et par ses contemporains. Cette exploration agrandie et systématique de la terre, combinée avec des moyens plus -grands de communication entre ses habitants, est, dans la carrière d’Alexandre, le trait principal qui s’offre comme promettant des conséquences réelles profitables à l’humanité.

, Nous lisons qu’Alexandre s’intéressait tellement au développement de la science qu’il donna à Aristote la somme immense de huit cents talents en espèces, en mettant sous sa direction plusieurs milliers d’hommes, dans le dessein de poursuivre des recherches zoologiques[117]. Ces exagérations sont probablement l’œuvre de ceux des ennemis du philosophe qui le décriaient comme pensionné par la cour de Macédoine, mais il est assez probable que Philippe et Alexandre, dans la première partie de son règne, ont pu aider Aristote dans l’opération difficile de réunir des faits et des échantillons pour l’observation, — par estime pour lui personnellement, plutôt que par intérêt pour ses découvertes. La tournure d’esprit d’Alexandre était vers la littérature, la poésie et l’histoire. Il aimait surtout l’Iliade, aussi bien que les tragiques attiques, de sorte, qu’Harpalos, chargé de lui expédier quelques livres dans la haute Asie, choisit comme l’envoi le plus agréable diverses tragédies d’Æschyle, de Sophokle et d’Euripide, avec les poèmes dithyrambiques de Téleste et les histoires de Philiste[118].

 

 

 



[1] La halte de trente jours est mentionnée par Diodore, XVII, 86. Pour la preuve que ces opérations s’effectuèrent en hiver, voir l’importante citation d’Aristobule donnée dans Strabon (XV, p. 691).

[2] Arrien, V, 19, 1. — Nous voyons ici combien Alexandre fut frappé de la stature et de la beauté personnelle de Porus, et combien ces impressions visuelles contribuèrent à déterminer ou du moins à fortifier ses sympathies favorables à l’égard du prince captif. Cela explique ce que j’ai fait observer dans le dernier chapitre en racontant le traitement fait à l’eunuque Batis après la prise de Gaza : à savoir que l’aspect repoussant de Batis augmenta beaucoup l’indignation d’Alexandre. Avec un homme de mouvements aussi violents que ce prince, ces impressions extérieures n’étaient pas sans avoir une importance considérable.

[3] Ces opérations sent décrites dans Arrien, V, 9 ; V, 19 (nous pouvons faire remarquer que Ptolémée et Aristobule, bien que présents tous les deux, différaient sur bien des points, V, 14) ; Quinte-Curce, VIII, 13, 11 ; Diodore, XVII, 87, 88. Suivant Plutarque (Alexandre, 60), Alexandre s’étendait beaucoup sur la bataille dans ses propres lettres.

Il y a deux points principaux, — Jelum et Julalpoor — où de grandes routes partant de l’Indus traversent aujourd’hui l’Hydaspês. Aucun de ces points a été assigné par différents écrivains comme le théâtre, probable du passage du fleuve par Alexandre. Des deux, Jelum (un peu plus haut sur le fleuve que Julalpoor) paraît le plus probable. Burnes signale que près de Jelum le fleuve se divise en cinq ou six canaux avec des îles (Travels, vol. II, eh. 2, p. 50, 2e édit.) Le capitaine Abbott (dans le Journal of the Asiatic Society, Calcutta, année 1848) a donné un intéressant mémoire sur les traits et le cours de l’Hydaspes un peu au-dessus de Jelum, en les comparant avec les particularités avancées par Arrien, et en présentant des raisons extrêmement plausibles à l’appui de cette hypothèse, — à savoir que le passage s’effectua près de Jelum.

Diodore mentionne une halte de trente jours, après la victoire (XVII, 89), ce qui ne semble pas probable. Lui et Quinte-Curce font allusion à de nombreux serpents qui molestèrent l’armée entre l’Akesinês et l’Hydraotês (Quinte-Curce, IX, 1, 11).

[4] Arrien dit (V, 19, 5) que la victoire sur Potus fut remportée, dans le mois Munychion de l’archonte Hegemôn à Athènes, — c’est-à-dire vers la fin d’avril, 326 avant J.-C. Cette date ne peut être conciliée avec un autre passage, V, 9, 6, — où il dit que le solstice d’été était déjà passé, et que tous les fleuves du Punjab étaient remplis d’eau, bourbeux et violents. Ce gonflement des fleuves commence vers juin, ils n’atteignent pas toute leur hauteur avant août. De plus, la description de la bataille, telle qu’elle est donnée par Arrien et par Quinte-Curce, implique qu’elle fut livrée après que la saison pluvieuse avait commencé (Arrien, V, 9, 7 ; V, 12, 5 ; Quinte-Curce, VIII, 14, 4).

Quelques critiques ont proposé de lire Metageitnion (juillet-août) comme le mois, au lieu de Munychion ; changement approuvé par M. Clinton et reçu dans le texte par Schmieder. Mais si ce changement est admis, le nom de l’archonte athénien doit être changé également ; car Metageitnion de l’archonte Hegemôn serait huit mois plus tôt (juillet-août, 327 av. J.-C.) ; et à cette date, Alexandre n’avait pas encore traversé l’Indus, comme le montre clairement le passage d’Aristobule (ap. Strabon, XV, p. 691), — et comme Droysen et Müller le font remarquer. Alexandre ne franchit pas l’Indus avant le printemps de 326 avant J.-C. Si, à la place de l’archonte Hegemôn, nous substituons l’archonte Chremês qui suit immédiatement (et il est à remarquer que Diodore assigne la bataille à ce dernier archontat, XVIT, 87), on aurait juillet-août 326 avant J.-C., ce qui serait une date plus admissible pour la bataille que le mois précédent de Munychion. En même temps, la substitution de Metageitnion est une simple conjecture, et elle semble ne laisser guère assez de temps pour les événements subséquents. Autant qu’on peut se former une opinion, il semblerait que la bataille fut livrée vers la fin de juin ou le commencement de juillet 326 avant J.-C., après que la saison des pluies avait commencé, vers la fin de l’archontat d’Hegemôn et le commencement de celui de Chremês.

[5] Arrien, V, 20 ; Diodore, 95. Le lieutenant Wood (Journey to the Source or the Oxus, p. 11-39) fait remarquer que les grands fleuves du Punjab changent leur cours si souvent et d’une manière si considérable, qu’on ne peut pas espérer qu’il reste des monuments et des indications de la marche d’Alexandre sur ce territoire, surtout dans le terrain voisin des fleuves.

[6] Arrien, V, 20.

[7] Arrien, V, 23, 24 ; Quinte-Curce, IX, 1, 15.

[8] Quinte-Curce, IX, 2, 3 ; Diodore, XVII, 93 ; Plutarque, Alexandre, 62.

[9] Quinte-Curce, IX, 3, 11 (Discours de Kœnos). Quoto cuique lorica est ? Quis equum habet ? Jube quæri, quam multos servi ipsorum persecuti sint, quid cuique supersit ex præda. Omnium victores, omnium inopes sumus.

[10] Aristobule, ap. Strabon, XV, p. 691-697.

[11] Dans le discours qu’Arrien (V, 25, 26) met dans la bouche d’Alexandre, ce qu’il y a de plus curieux, ce sont les vues géographiques qu’il émet. Nous n’avons pas beaucoup maintenant à marcher encore (il était sur la rive occidentale du Sutledge) jusqu’au Gange, et à la grande mer Orientale qui entoure toute la terre. La mer Hyrkanienne (Caspienne) rejoint cette grande mer d’un côté, le golfe Persique de l’autre ; après que nous aurons soumis toutes les nations qui se trouvent devant nous à l’est dans la direction de la Grande Mer, et an nord dans celle de la mer Hyrkanienne, nous irons par eau d’abord au golfe Persique, ensuite autour de la Libye jusqu’aux Colonnes d’Hêraklês ; de là nous reviendrons tout à travers la Libye, et nous l’ajouterons à toute l’Asie comme partie de notre empire. (Ici j’abrége plutôt que je ne traduis).

Il est à remarquer que, tandis qu’Alexandre commettait mie erreur si prodigieuse en rétrécissant les limiter orientales de l’Asie, la géographie de Ptolémée, reconnut à l’époque de Christophe Colomb, faisait une erreur non moindre dans le sens opposé, en les étendant trop loin à l’est. Ce fut sur la foi de cette dernière méprise que Colomb projeta son voyage de circumnavigation à partir de l’Europe occidentale, s’attendant à venir de l’ouest à la côte orientale de l’Asie, sans avoir fait un long voyager.

[12] Arrien, V, 28, 7. Le fait qu’Alexandre, malgré cette répugnance insurmontable des soldats, offrit encore un sacrifice préliminaire pour le passage — est curieux comme jetant du jour sur son et était attesté spécialement par Ptolémée.

[13] Arrien, V, 29, 8 ; Diodore, XVII, 95.

[14] Aristobule, ap. Strabon, XV, p. 691, — jusqu’au lever de l’Areturus. Diodore dit soixante-dix jours (XVII, 93), ce qui semble plus probable.

[15] Diodore, XVII, 95 ; Quinte-Curce, IX, 3, 21.

[16] Le voyage fut commencé peu de jours, avant le coucher des Pléiades (Aristobule, ap. Strabon, XV, p. 362).

Pour le nombre des vaisseaux, voir Ptolémée, ap. Arrien.

En voyant des crocodiles dans l’Indus, Alexandre fut d’abord amené à supposer que c’était le même fleuve que le Nil, et qu’il avait découvert le cours supérieur de ce dernier fleuve, d’où il coulait en Egypte. C’est une circonstance curieuse, comme explication des connaissances géographique de l’époque (Arrien, VI, 1, 3).

[17] Aristobule, ap. Strabon, XV, p. 692. Aristobule disait que le voyage pour descendre les fleuves avait occupé dix mois : ce semble plus long que la réalité exacte. En outre, Aristobule disait qu’ils n’avaient pas eu de pluie durant tout le voyage, pendant tous les mois d’été ; Nearchos affirmait le contraire (Strabon, l. c.).

[18] Quinte-Curce, IX, 4, 15 ; Diodore, XVII, 98.

[19] Arrien, VI, 7, 8.

[20] M. Cunninghan et autres supposent que cette dernière forteresse des Malli était la cité moderne de Multan. Le fleuve Ravee on Hyaraotês se jetait, dit-on, primitivement au delà de la cité de Multan dans le Chenab ou Akesinês.

[21] Arrien, VI, 9, 10, 11. Il signale la grande différence dans Ies divers récits donnés de cet exploit et de la dangereuse blessure d’Alexandre. Cf. Diodore, XVII, 98, 99 ; Quinte-Curce, IX, 4, 5 ; Plutarque, Alexandre, 63.

[22] Arrien, XI, 13.

[23] Arrien, XI, 15, 5.

[24] Arrien, XI, 17, 6 ; Strabon, XV, p. 721.

[25] Arrien, XI, 18, 19 ; Quinte-Curce, IX 9. Il parvint à Pattala vers le milieu ou la fin de juillet Περί κυνός έπιτολήν (Strabon, XV, P. 692).

On a habituellement cherché l’emplacement de Pattala près de la moderne Tatta. Mais le docteur Kennedy, dans son récent Narrative of the Campaigm of the Ariny of the Indus in Scinde and Kabool (ch. 4, p. 104), présente quelques raisons qui font croire qu’elle doit avoir été beaucoup plus en amont du fleuve que Tattal quelque part près de Schwan. Le Delta commençant à environ 130 milles au-dessus de la mer, son sommet septentrional devait être quelque part à mi-chemin entre Hyderabad et Schwan, où les traditions locales parlent encore d’antiques cités détruites, et de changements qui s’y seraient effectués plus grands que dans toute autre partie du cours de l’Indus.

Toutefois, les changements constants dans le cours de l’Indus, (cf. p. 73 de son ouvrage), signalés par tous les observateurs, rendent conjecturale toute tentative faite en vue les lieux. — Voir Wood’s Journey to the Oxus, p. 12.

[26] Arrien, VI, 24, 2. Strabon, XV, 723.

[27] Arrien, VI, 25, 26 ; Quinte-Curce, IX, 10 ; Plutarque, Alexandre, 66.

[28] Quinte-Curce, IX, 10, Diodore, XVII, 106 ; Plutarque, Alexandre, 67. Arrien (VI, 28) trouva cette marche de fête mentionnée dans quelques autorités, mais non dans d’autres. Ni Aristobule ni Ptolémée n’en faisaient mention. Aussi Arrien refuse-t-il d’y croire. Il a pu y avoir des exagérations ou des faussetés quant aux détails de la marche ; mais comme fait général, je rie vois pas de raison suffisante pour en douter. Il n’était nullement contraire à la nature qu’un moment d’excessive licence fût accordé aux soldats, après leurs extrêmes souffrances en Gedrosia. De plus, elle correspond à la conception générale (le la marche de retour de Dionysos dans l’antiquité, tandis que l’imitation de ce dieu était tout à fait en conformité avec la tournure de sentiment d’Alexandre.

J’ai fait remarquer déjà qu’Arrien et autres insistent trop fortement sur le silence de Ptolémée et d’Aristobule, comme étant une raison pour douter d’affirmations relatives à Alexandre,

Arrien et Quinte-Curce (X, 1) diffèrent dans leurs assertions au sujet du traitement infligé à Kleandros. Selon Arrien, il fut mis à mort ; selon Quinte-Curce, la mort lui fut épargnée ; mais on le mit simplement en prison, à cause du service important qu’il avait rendu en tuant Parmeniôn de sa propre main, tandis que six cents de ses complices et agents furent mis à mort.

[29] Nearchos avait commencé son voyage vers la fin de septembre où au commencement d’octobre (Arrien, Indica, 21 ; Strabon, XV, p. 721).

[30] Arrien, VI, 28, 7 ; Arrien, Indica, c. 33-37.

[31] Arrien, VI, 28, 12-29, 1.

[32] Plutarque, Alexandre, 69 ; Arrien, VI, 29, 17, Strabon, XV, p. 730.

[33] Arrien, VI, 30, 2 ; Quinte-Curce, X, 1, 23-88. Hic fuit exitus nobilissimi Persarum, nec insontis modo, sed eximiæ quoque benignitatis in regum. La grande faveur dont le bel eunuque Bagoas (bien qu’Arrien ne le mentionne pas) jouissait auprès d’Alexandre et la position élevée qu’il occupait sont attestées par de bons témoignages contemporains, en particulier par le philosophe Dikærchos. — V. Athénée, XIII, p. 603  Dikærch. Fragm. 19, ap. Hist. Græc. Fragm., Didot, vol. II, p. 241. Cf. les Fragments d’Eumenês et de Diodotos, (Ælien, V. H., III, 23) dans Didot, Fragm. Script. Hist. Alex. Magn., p. 121 ; Plutarque, De Adult. et Amic. Discrim., p. 65.

[34] Arrien, VI, 30, Quinte-Curce, X, 1, 22-30.

[35] M. Fynes Clinton (Fast. Hellen., 325 av. J.-C., et Append. p. 232) place l’arrivée d’Alexandre en Susiane, lors de sa marche de retour, dans le mois de février de 325 avant J.-C. une année trop tôt, à mon avis. J’ai fait auparavant une remarque au sujet des vues de M. Clinton relatives à la date de la victoire remportée par Alexandre sur Porus à l’Hydaspes, où (suivant une conjecture de Schmieder) il change le nom du mois tel qu’il est dans le texte d’Arrien, et suppose que cette bataille se livra en août 327 avant J. — C. au lieu d’avril 326 avant J.-C. M. Clinton antidate d’une année toutes les opérations que fit Alexandre après qu’il eut quitté la Bactriane pour la dernière fois dans l’été de 327 avant J.-C. La remarque du docteur Vincent, — à savoir que la supposition de deux hivers s’écoulant après le retour d’Alexandre à Suse n’est pas appuyée par les historiens (V. Clinton, p. 232) est parfaitement juste, et Mitford n’y a pas répondu d’une manière satisfaisante. Selon moi, il n’y a qu’un intervalle de seize mois (et non un intervalle de vingt-huit mois, comme le suppose M. Clinton) entre le retour d’Alexandre à Suse et sa mort à Babylone (de février 324 av. J.-C. à juin 323 av. J.-C.).

[36] Arrien, VII, 5, 9 ; Arrien, Indica, c. 492. La mort volontaire du gymnosophiste, indien Kalanos doit avoir ci, lieu à Suse (où Diodore la place, — XVII, 107) et non en Persis ; car Nearchos était vraisemblablement présent à la mémorable scène du bûcher funèbre (Arrien, VII, 3, 9), — et il n’était pas avec Alexandre en Persis.

[37] Plutarque, Alexandre, 68.

[38] Arrien, VII, 4, 2-5 ; Diodore, XVII, 108 ; Quinte-Curce, X, 1, 7. Cœperat esse præceps ad repræsentanda supplicia, item ad deteriorit credenda (Quinte-Curce, X, 1, 39).

[39] Plutarque, Alexandre, 68.

[40] Diodore, XVII, 106-111.

[41] Parmi les accusations qui parvinrent à Alexandre contre ce satrape, nous sommes surpris de trouver une lettre adressée à lui par l’historien grec Théopompe, qui expose avec indignation les présents et les honneurs extravagants dont Harpalos combla ses deux maîtresses successives, — Pythionikê et Glvkera, célèbres Hetæræ d’Athènes. Théopompe représente cette conduite comme une insulte faite à Alexandre (Théopompe, ap. Athenæ, XIII, p. 586-595 ; Fragm. 277, 278, éd. Didot).

Le drame satirique appelé Άγήν, représenté devant Alexandre à une époque postérieure à la fuite d’Harpalos ne peut avoir été représenté (comme Athénée affirme qu’il le fut) sur les rives de l’Hydaspes, vu qu’Harpalos ne s’enfuit que quand il fut effrayé de l’approche d’Alexandre revenant de l’Inde. A l’Hydaspes, Alexandre était encore en marche pour les pays lointains, bien éloigné de revenir, n’en ayant pas même l’idée. Il me semble que les mots d’Athénée relatifs à ce drame (XIII, p. 595), renferment une erreur ou une fausse leçon. Je puis faire remarquer que les mots Medus Hydaspes, dans Virgile, Géorgiques, IV, 211, renferment probablement la même confusion. Le Choaspes était le fleuve voisin de Suse ; et ce drame fut représenté devant Alexandre à Suse pendant les Dionysia de l’année 324 avant J.-C., après qu’Harpalos avait fui. Les Dionysia, tombaient dans le mois Elaphebolion ; or Alexandre ne combattit pas Porus sur l’Hydaspes avant le mois suivant Munychion au plus tôt et probablement plus tard. Et même si nous supposons (ce qui n’est pas probable) qu’il parvint à l’Hydaspes en Elaphebolion, il n’aurait pas en le loisir de célébrer une fête Dionysiaque avec des drames, tandis que l’armée de Porus l’attendait sur la rive opposée. De plus, il n’est nullement probable que, sur le lointain Hydaspes, il eût des acteurs, ou un chœur, ou le moyen de faire jouer des drames.

[42] Arrien, VII, 18, 2 ; VII, 23, 9-13.

[43] Arrien, VII, 4, 6-9. Par ces deux mariages, Alexandre se greffait ainsi sur les deux lignes des rois de Perse antérieurs, Ochus était de la famille achæménide ; mais Darius Codoman, père de Statira, n’était pas de cette famille ; il commençait une nouvelle ligne. Au sujet de l’outrecuidant état royal d’Alexandre, qui dépassait même celui des rois de Perse précédents, voir Phylarque, ap. Athenæ, XII, P. 539.

[44] Charês, ap. Athenæ, XII, p. 538.

[45] Arrien, VII, 6, 3.

[46] Arrien, VII, 5 ; Plutarque, Alexandre, 70 ; Quinte-Curce, X, 21 9 ; Diodore, XVII, 109.

[47] Diodore, XVII, 108. Il a dû falloir du temps pour réunir et discipliner ces jeunes troupes ; conséquemment Alexandre a dû envoyer les ordres de l’Inde.

[48] Arrien, VII, 6.

[49] Arrien, VII, 7.

[50] Arrien, VII, 9, 10, Plutarque, Alexandre, 1 ; Quinte-Curce, X, 2 ; Justin, XII, 11.

[51] Voir la description faite par Tacite (Histoires, II, 29) de la manière dont fût ramenée à l’obéissance l’armée de Vitellius, qui s’était mutinée contre le général Fabius Valens : Le préfet de camp Alphénus Varus, voyant l'ardeur de la sédition s'amortir peu à peu, acheva de l'éteindre par un stratagème : il défendit aux centurions de visiter les postes, aux trompettes de sonner les exercices ordinaires. Les soldats frappés de stupeur se regardent l'un l’autre avec un muet étonnement. L'idée même d'être sans chef les épouvante. Le silence et la résignation, bientôt suivis de prières et de larmes, demandaient grâce pour eux. Mais lorsque Valens dans un indigne appareil, les yeux en pleurs, et vivant, lui qu'ils croyaient mort, parut à leurs regards, sa vue excita la joie, l'attendrissement, l'enthousiasme. La multitude va d'un excès à l'autre : dans leurs nouveaux transports ils le louent, le félicitent, et le portent, environné des drapeaux et des aigles, sur son tribunal.

Cf. aussi, dans Xénophon (Anabase, I, 3), le récit de l’embarras des Dix Mille Grecs à Tarsos, quand ils avaient d’abord refusé d’obéir à Klearchos et de marcher contre le Grand Roi.

[52] Arrien, VII, 11.

[53] Arrien, VII, 12, 1-7 ; Justin, XII, 12. Krateros en particulier était populaire auprès des soldats macédoniens, parce qu’il s’était opposé, autant qu’il l’osait, à la transformation orientale d’Alexandre (Plutarque, Eumenês, 6).

[54] Arrien, VII, 19. Il envoya aussi un officier nommé Hêrakleidês aux bords de la mer Caspienne, avec ordre de construire des vaisseaux et d’explorer cette mer (VII, 16).

[55] Arrien, VII, 137 2 ; Diodore, XVII, 110. On peut voir dans Diodore combien la marche se fit à loisir.

La direction de la Marche d’Alexandre de Suse à Ecbatane, le long d’une route bonne et fréquentée que Diodore, dans un autre endroit, appelle une route royale (XIX, 19), est tracée par Ritter, qui tire surtout ses informations des récentes recherches de sir Henry Rawlinson. La plus grande partie de cette route était le long au côté occidental de la chaîne au mont Zagros, et sur la rive droite de la rivière de Kerkha (Rater, Erckunde, part. IX, l. III, p. 329, West-Asia).

[56] Arrien, VII, 13, 1 ; Plutarque, Eumenês, 2.

[57] Arrien, VII, 14 ; Plutarque, Alexandre, 72 ; Diodore, XVII, 110. Il ne serait pas bon de suivre la règle d’évidence admise tacitement par Arrien, qui se croit autorisé à discréditer toits les détails de la conduite d’Alexandre en cette occasion, conduite qui dépasse les limites d’une douleur digne, quoique véhémente.

Quand Masistios fut tué, dans l’armée persane commandée par Mardonios en Bœôtia, on coupa les crinières des chevaux, comme signe de deuil (Hérodote, IX, 24) : cf. aussi Plutarque, Pélopidas, 33 ; et Euripide, Alkestis, 442.

[58] Voir les curieux extraits d’Ephippos le Chalkidien, — vraisemblablement contemporain, sinon témoin oculaire (ap. Athenæ, XII, p. 537, 538).

[59] Je traduis ici littéralement une expression de Plutarque, Alexandre, 72 ; cf. Polyen, IV, 3, 21.

[60] Arrien, VII, 15 ; Plutarque, Alexandre, 72 ; Diodore, XVII, 111. Toutefois, ce massacre général ne peut être vrai que de portions du nom Kossæen, car on rencontre des Kossæens dans les années postérieures (Diodore, XIX, 19).

[61] Pline, H. N., III, 9. L’histoire dans Strabon, V, p. 232, ne peut guère s’appliquer à Alexandre le Grand. Tite-Live (IX, 18) croit que les Romains ne connurent pas Alexandre même de réputation, mais cela ne me paraît pas croyable.

En somme, bien que le point soit douteux, j’incline à croire l’assertion d’une ambassade romaine envoyée à Alexandre. Néanmoins, il y eut diverses assertions fausses qui circulèrent dans la suite à ce sujet ; — on peut en voir une dans l’histoire d’Hêrakleia du Pont de Memnôn, ap. Photium, Cod. 224 ; Orelli Fragment. Memnon, p. 36. Kleitarchos (contemporain d’Alexandre), que cite Pline, n’a pas pu avoir de motif pour insérer faussement le nom des Romains, qui, de son temps, n’était nullement important.

[62] Arrien, VII, 15 ; Justin, XII, 13 ; Diodore, XVII, 113. L’histoire mentionnée par Justin dans un autre endroit (XXI, 6) peut probablement être rapportée à ce dernier temps de la carrière d’Alexandre. Un Carthaginois nommé Hamilkar Rhodanos fut envoyé par sa cité vers ce prince ; en réalité comme émissaire pour s’informer des desseins réels du roi, qui occasionnèrent à Carthage une alarme sérieuse, mais il se donnait comme un exilé offrant ses services. Justin dit que Parmeniôn présenta Hamilkar, — ce qui, selon moi, doit être une erreur.

[63] Arrien, VII, 19, 1 ; VII, 23, 3.

[64] Arrien, VII, 19, 512, Diodore, XVII, 112.

[65] Arrien, VII, 20, 15 ; Arrien, Indica, 43. Pour entreprendre cette circumnavigation, Alexandre avait envoyé un patron de vaisseau de Soli dans l’île de Kypros, nommé Hiéron, qui, effrayé de la distance à laquelle il s’avançait, et de l’étendue en apparence interminable de l’Arabia vers le sud, revint sans avoir accompli sa mission.

Même du temps d’Arrien, dans le second siècle après l’ère chrétienne, jamais on n’avait fait par mer le tour de l’Arabia depuis le golfe Persique jusqu’à la mer Rouge, — du moins autant qu’il le savait.

[66] Arrien, VII, 19, 11.

[67] Arrien, VII, 22, 2, 3 ; Strabon, XVI, p. 741.

[68] Arrien, VII, 21, 11.

[69] Arrien, VII, 23, 5. Même quand il accomplissait l’opération purement militaire de passer ces soldats en revue, d’inspecter leurs exercices et de déterminer leur ordre de bataille, — Alexandre était assis sur le trône royal, entouré d’eunuques asiatiques ; ses principaux officiers étaient assis sur des lits à pied d’argent, près de lui (Arrien, VII, 24, 4). C’est une des preuves du changement de ses habitudes.

[70] Diodore, XVII, 115 ; Plutarque, Alexandre, 72.

[71] Arrien, VII, 23, 8.

[72] Diodore, XVII, 114, 115 : cf. Arrien, VII, 14, 16 ; Plutarque, Alexandre, 75.

[73] Arrien, VII, 9-3, 10-13 ; Diodore, XVIII, 4. Diodore parle, il est vrai, dans ce passage, de la Ηυρά ou bûcher en l’honneur d’Hephæstion, comme si elle était au nombre des vastes dépenses comprises dans les notes laissées par Alexandre (après son décès), de projets en perspective. Mais le bûcher avait déjà été élevé à Babylone, comme Diodore lui-même nous l’avait appris. Ce qu’Alexandre laissa non exécuté lors de son décès, mais qu’il avait l’intention d’exécuter s’il eût vécu, c’étaient les édifices et les chapelles magnifiques en l’honneur d’Hephæstion, comme nous le voyons par Arrien, VII, 23, 10. Et l’on doit supposer que Diodore fait allusion à ces bâtiments sacrés projetés, bien qu’il ait parlé du bûcher par inadvertance. Krateros, qui avait l’ordre de retourner en Macédoine, devait en construire un à Pella.

L’Olynthien Ephippos avait composé un livre Περί τής Ήφαιστίωνος καί Άλεξάνδρον ταφής, dont on voit quatre ou cinq citations dans Athénée. Il insistait spécialement sur les habitudes de luxe d’Alexandre et sur ses libations immodérées, — qui lui étaient communes avec les autres Macédoniens.

[74] Arrien, VII, 23, 9-14. — Dans le discours, de Démosthène, contre Dionysodoros (p. 1285), Kleomenês paraît comme s’enrichissant au moyen du monopole du blé exporté d’Égypte : cf. Pseudo-Aristote, Œconomie, P. 33. Kleomenês fut plus tard mis à mort par le premier Ptolemæos, qui devint roi d’Égypte (Pausanias, I, 6, 3).

[75] Plutarque, Alexandre, 74 ; Diodore, XVII, 114.

[76] Arrien, VII, 16, 9 ; VII, 17, 6. Plutarque, Alexandre, 73. Diodore, XVII, 112.

[77] Arrien, VII, 22, 1. — L’inquiétude causée ici par ces prophéties et ces présages, dans l’esprit -de l’homme le moins craintif de son temps, est digne de remarque comme fait psychologique, et elle est parfaitement attestée par l’autorité d’Aristobule et de Néarque. Il paraît qu’Anaxarchos et d’autres philosophes grecs l’encouragèrent par leurs raisonnements à mépriser toute prophétie, mais surtout celle des prêtres chaldæens, qui (prétendaient-ils) désiraient tenir Alexandre hors de Babylone afin de pouvoir continuer à posséder les immenses revenus du temple de Belus, qu’ils s’étaient appropriés injustement, Alexandre étant disposé à rebâtir ce temple ruiné et à rétablir les sacrifices suspendus auxquels ces revenus avaient été consacrés dans l’origine (Arrien, VII, 17 ; Diodore, XVII, 112). Peu de jours après, Alexandre se repentit beaucoup d’avoir écouté ces raisonneurs dangereux, qui, par leurs subtilités sophistiques, lui avaient fait négliger la puissance et les avertissements de la destinée.

[78] Arrien, VII, 21, 25. Diodore affirme (XVII, 117) qu’Alexandre, dans cette nuit d’orgie, avala le contenu d’une vaste coupe appelée la coupe d’Hêraklês, et qu’après il se sentit très mal ; assertion répétée par divers autres écrivains de l’antiquité, et que je ne vois pas de raison pour ne pas croire, bien que quelques critiques modernes la traitent avec mépris. Les Éphémérides royales, ou Journal de la Cour, n’attestaient que le fait général de ses larges libations et du long sommeil qui les suivit — Voir Athénée, X, p. 434.

Boire jusqu’à l’ivresse à des funérailles était nécessaire comme marque de sympathie respectueuse à l’égard du défunt. — Voir les derniers mots de l’Indien Kalanos avant de monter sur la bûcher, — Plutarque, Alexandre, 69.

[79] Ces deux derniers faits sont mentionnés par Arrien (VII, 26, 5), par Diodore (XVII, 117) et par Justin (XII, 15) ; mais ils ne se trouvent pas dans le Journal de la Cour. Quinte-Curce (X, V, 4) les donne avec quelque développement.

[80] Les détails relatifs à la dernière maladie d’Alexandre sont particulièrement authentiques, étant extraits tant par Arrien que par Plutarque des Ephemerides Regiæ, ou petit Journal de la Cour, qui étaient habituellement tenues par son secrétaire Eumenês et par un autre Grec nommé Diodotos (Athenæ, X, p. 434) : voir Arrien, VII, 25, 26 ; Plutarque, Alexandre, 76.

Il est surprenant que pendant tout le cours de cette maladie, il ne soit fait aucune mention de médecin comme ayant été consulté. On ne demanda pas d’avis, si nous exceptons. la demande faite au temple de Sérapis le dernier jour de la vie d’Alexandre. Quelques mois auparavant, le prince avait fait pendre ou crucifier le médecin qui soigna Hephæstion dans sa dernière maladie. De là, il semble probable qu’il méprisait un avis médical on s’en défiait, et qu’il ne voulut pas permettre qu’on y eût recours. Ses idées ont dû beaucoup changer depuis sa dangereuse fièvre à Tarsos, et son traitement couronné de succès par le médecin arkanien Philippe.

Bien que la fièvre (V. quelques remarques de Littré jointes aux Fragm. Script. Alex. Magn., p. 124, éd. Didot) qui causa la mort d’Alexandre soit ici un fait évident établi d’une manière satisfaisante, cependant il circula quelque temps après un autre récit qui obtint un crédit partiel (Plutarque, De Invidiâ, P. 539), —à savoir qu’il avait été empoisonné, Le poison fut, dit-on, fourni par Aristote, — envoyé en Asie, par Antipater au moyen de son fils Kassandre, — et administré par Iollas (autre fils d’Antipater), échanson d’Alexandre (Arrien, VII, 27, 2 ; Quinte-Curce, X, 10, 17 ; Diodore, XVII, 118 ; Justin, XII, 13). Il est tout à fait naturel que la fièvre et l’intempérance (à laquelle Alexandre s’abandonnait fréquemment) ne fussent pas regardées comme des causes suffisamment marquées et frappantes pour expliquer une maladie à la fois aussi inattendue, et aussi grave. Il paraît qu’il y a lieu de supposer, cependant, que le bruit fut fomenté avec intention, sinon primitivement émis, par les ennemis du parti d’Antipater et de Kassandre, — surtout par la rancuneuse Olympias. L’inimitié violente que Kassandre montra plus tard contre Olympias et toute la famille d’Alexandre contribua à encourager cette rumeur. Dans la vie d’Hypéride de Plutarque (Vit. X Orat., p. 849), il est dit qu’il proposa à Athènes d’accorder des honneurs publics à Iollas pour avoir donné le poison à Alexandre. S’il y a en cela quelque vérité, ce pourrait être un stratagème pour jeter du discrédit sur Antipater (père d’Iollas), contre qui les Athéniens commencèrent la guerre lamiaque, immédiatement après la mort d’Alexandre.

[81] Plutarque, Phokiôn, 222 ; Demetrius Phaler., De Elocut., s. 300.

[82] Denys, despote d’Hêrakleia du Pont, s’évanouit de joie en apprenant la mort d’Alexandre, et il éleva une statue à Εύθυμία ou Satisfaction (Memn. Heracl. Fragm., ap. Photium, cod. 224, c. 4).

[83] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 524, c. 43. Cf. le passage frappant, d’une teneur semblable, qui reste de l’ouvrage perdu de Démétrius de Phalère, — Περί τής τύχηςFragm. Histor. Græcor., vol. II, p. 368.

[84] Hérodote, VII, 56.

[85] Cicéron, Philippiques, V, 17, 48.

[86] Voir Histoire de Timour-Bec, par Cherefeddin Ali, traduite par Petit de la Croix, vol. I, p. 203.

[87] C’est la remarque de son grand admirateur Arrien, VII, 1, 6.

[88] Tite-Live, IX, 17,19. Discussion des chances d’Alexandre, contre les Romaine, — extrêmement intéressante et belle, bien que le cas me paraisse présenté d’une manière très partiale. Je suis d’accord avec Niebuhr pour ne pas adopter la conclusion de Tite-Live, et avec Plutarque pour regarder comme une des faveurs de la Fortune à l’égard des Romains qu’Alexandre n’ait pas vécu assez longtemps pour les attaquer (Plutarque, De Fortunâ Romanor., p. 326).

Cependant Tite-Live avait toute raison de se plaindre de ces auteurs grecs (il les appelle levissimi ex Græcis), qui disaient que les Romains auraient perdu courage devant la terrible réputation d’Alexandre, et se seraient soumis sans résistance. Assurément sa victoire sur eux aurait été chèrement achetée.

[89] Alexandre d’Épire faisait remarquer, dit-on, que lui, dans ses expéditions en Italie, était tombé sur l’άνδρωνϊτις, ou chambre des hommes, tandis que son neveu (Alexandre le Grand), en envahissant l’Asie, était tombé sur la γυναικωνϊτες, ou chambre des femmes (Aulu-Gelle, XVII, 21 ; Quinte-Curce, VIII, 1, 37).

[90] Arrien, VII, 28, 5.

[91] Diodore, VIII, 4.

[92] Arrien, IV, 15, 11.

[93] Arrien, VII, 19, 12. Cf. VII, 1, 3-7 ; VII, 15, 6, et le langage tenu par Alexandre à ses soldats sur les bords de l’Hyphasis quand il essayait de les persuader de marcher en avant. V. 26 sqq. Nous devons nous rappeler qu’Arrien avait sous les yeux l’ouvrage de Ptolémée, qui, selon toute probabilité, devait donner la substance de ce mémorable discours pour l’avoir entendu lui-même.

[94] Arrien, VII, 1, 8.

[95] Arrien, VII, 4, 4, 5.

[96] Hérodote, III, 15. Alexandre offrit à Phokiôn (Plutarque, Phokiôn, 18) quatre cités asiatiques au choix, dont c’est-à-dire de n’importe laquelle) les revenus lui seraient assurés ; précisément comme Artaxerxés Longue-Main avait agi à l’égard de Themistoklês pour le récompenser de sa trahison. Phokiôn refusa l’offre.

[97] Voir le châtiment de Sisamnês par Kambisês (Hérodote, V, 25).

[98] Le rhéteur Aristide, dans son Éloge de Rome, fait quelques bonnes remarques sur le caractère et l’ascendant d’Alexandre, exercé par une volonté et une autorité personnelles, comparés avec l’action systématique et légale de l’empire romain (Or. XVI, p. 332-360, vol. I, éd. Dindorf).

[99] Xénophon, Cyropédie, VIII, 6, 21 ; Anabase, I, 7, 6 ; Hérodote, VII, 8, 13 ; Cf. Arrien, V, 26, 4-10.

[100] Diodore, XVIII, 4.

[101] Voir l’effet produit sur les Ioniens par la fausse assertion d’Histiœos (Hérodote, VI, 3) avec une note de Wesseling, — et l’empressement des Pæoniens à revenir (Hérodote, V, 98 ; et Justin, VIII, 5). — Antipater, plus tard, avait l’intention de transporter les Ætoliens en masse de leur propre pays en Asie, s’il avait réussi à les vaincre (Diodore, XVIII, 2-5). Cf. Pausanias (I, 9, 8-10) au sujet des mesures violentes employées par Lysimachos, en transportant de nouveaux habitants à Ephesos et à Lvsimacheia.

[102] Tite-Live, IX, 18. Il me fait peine de mentionner de honteuses faiblesses dans un si grand roi, ce goût du faste qui lui fit abandonner le costume de son pays, ces hommages qu'il aimait qu'on lui rendit en se prosternant jusqu'à terre, genre d'humiliation qu'eussent eu peine à supporter les Macédoniens vaincus, et qui était capable de révolter des vainqueurs ; les supplices cruels qu'il ordonnait, le meurtre de ses amis au milieu de la joie d'un festin, et la vanité qui le portait à se dire mensongèrement de race divine. Qu'eût-il fait, si son penchant pour le vin se fût accru de plus en plus ? Qu'eût-il fait, si ses emportements fussent devenus plus violents et plus terribles ? Pensera-t-on (car je ne rapporte rien qui ne soit attesté par tous les historiens) que ces vices n'eussent fait aucun tort à ses talents de général ? — L’appel fait ici par Tite-Live à la complète attestation, au sujet de ces points dans le caractère d’Alexandre, mérite attention. Il avait sans doute sous les yeux plus d’autorité que nous n’en possédons.

[103] Entre autres panégyristes d’Alexandre, il suffit de nommer Droysen, — dans ses deux ouvrages, tous deux pleins de grandes recherches historiques, — Geschichte Alexanders des Grossen, — et Geschichte des Hellenismus oder der Bildung des Hellenistischen Staatensystemes (Hambourg, 1843). V. en particulier le dernier ouvrage qui est le plus récent, p. 27 sqq., p. 651 sqq., et ailleurs passim.

[104] Plutarque, Alexandre, 55-74.

[105] Plutarque, Fortuna Alex. Mag., p. 329. — Strabon (ou Eratosthène, V. Strabon, I, p. 66) et Plutarque comprennent mal l’expression d’Aristote, — comme si ce philosophe avait entendu recommander un traitement dur et cruel pour les non Hellènes, et un traitement doux seulement à l’égard des Grecs. Que telle ne fût pas la pensée d’Aristote, c’est ce qui est évident d’après toute la teneur de son traité sur la Politique. La distinction réellement proposée est entre une mesure plus ou moins grande d’autorité extra-populaire, — et non entre des desseins bienveillants et durs dans l’exercice de l’autorité. Cf. Tacite, Annales, XII, 11, — l’avis de l’empereur Claude au prince Parthe Meherdatês.

[106] Aristote, Politique, I, 1, 5 ; VII, 6, 1. Voir la mémorable comparaison établie par Aristote (Politique, VII, 6) entre les Européens et les Asiatiques en général. Il déclare que les premiers sont courageux et énergiques, mais qu’ils manquent d’intelligence ou faculté de combinaison politique que les seconds sont intelligents et habiles en arrangements, mais dépourvus de courage. Ni les uns ni les autres n’ont plus qu’une aptitude à une jambe ; le Grec seul possède et le courage et l’intelligence réunis. Les Asiatiques sont condamnés à une sujétion perpétuelle ; les Grecs pourraient gouverner le monde, s’ils pouvaient seulement s’unir en une seule société politique. — Isocrate, ad Philippum, Orat. V, p. 85, s. 18.

[107] Plutarque, Fortuna Alex. Magni, p. 328. Le séjour d’Alexandre dans ces contrées fut cependant si court, que même avec la meilleure volonté, il n’aurait pu imposer la suppression d’aucune coutume invétérée.

[108] Plutarque, Fortuna Alex. Magni, p. 328. Plutarque mentionne, quelques lignes après, Seleukeia en Mesopotamia, comme s’il pensait qu’elle était au nombre des cités établies par Alexandre lui-même. Cela prouve qu’il n’a pas été exact à distinguer les fondations faites par Alexandre, de  celles que créèrent Seleukos et les autres diadochi.

L’article élaboré de Droysen (dans l’Appendice annexé à sa Geschichte des Hellenismus, p. 588-651) attribue à Alexandre les plans les plus vastes de colonisation en Asie, et énumère un grand nombre de cités qu’on prétend avoir été fondées par lui. Mais par rapport à la majorité de ces fondations, la preuve sur laquelle Droysen fonde son opinion qu’Alexandre en fut le fondateur me paraît entièrement faible et peu satisfaisante. Si Alexandre fonda autant de villes que Droysen le croit, comment se fait-il que Droysen en mentionne seulement un nombre si petit comparativement ? L’argument tiré du silence d’Arrien, pour rejeter ce qui est affirmé par d’autres auteurs relativement à Alexandre, est, il est vrai, employé par des auteurs modernes (et par Droysen lui-même entre autres) beaucoup plus souvent que je ne le crois légitime. Mais s’il y a un acte d’Alexandre plus qu’un autre, par rapport auquel le silence d’Arrien doive nous rendre soupçonneux, — c’est la fondation d’une nouvelle colonie ; acte solennel, demandant du temps et des règlements multipliés, destiné à durer toujours, et contribuant à l’honneur du fondateur. Je ne crois à aucune des colonies fondées par Alexandre, au delà de celles comparativement peu nombreuses que mentionne Arrien, à l’exception dé celles qui reposent sur quelque autre témoignage exprès et valable. Quiconque lira jusqu’au bout la liste de Droysen verra que la plupart des noms qu’elle renferme ne supporteront pas cette épreuve. La courte existence et la rapidité des mouvements d’Alexandre sont par eux-mêmes la présomption la plus forte contre la supposition qu’il a fondé un nombre aussi considérable de colonies.

[109] Diodore, XVII, 99 ; XVIII, 7. Quinte-Curce, IX, 7, 1. Quinte-Curce fait observer (VII, 19, 15) relativement aux colonies d’Alexandre en Sogdiane, — qu’elles furent fondées velut frœni domitarum gentium ; nunc originis sum oblitu serviunt, quibus imperaverunt.

[110] Voir l’explosion franche et ouverte du Thurien Antileôn, l’un des Dix Mille Grecs de Xénophon, quand l’armée arriva à Trapézonte (Xénophon, Anabase, V, 1, 2).

[111] Appien, Syriac., 32.

[112] Tel est le sens dans lequel j’ai toujours employé le mot hellénisme dans tout le cours du présent ouvrage.

Dans Droysen, le mot HellenismusDas Hellenistiche Staatensystem, — est appliqué à l’état de choses qui suivit la mort d’Alexandre, à l’agrégat de royaumes dans lequel les conquêtes d’Alexandre furent réparties, avant comme point de similitude l’usage commun de la langue grecque, une certaine proportion de Grecs tant comme habitants que comme officiers, et une bigarrure partielle de culture hellénique.

Ce sens dit mot (si toutefois il est admissible), on doit en tout cas l’avoir constamment présent à l’esprit, afin de ne pas le confondre avec hellénisme dans la signification plus rigoureuse.

[113] Strabon, XVII, p. 797.

Le Museum d’Alexandrie (avec sa bibliothèque) doit être soigneusement distingué de la cité et du peuple. Ce fut une institution artificielle, qui dut complètement son origine au goût et à la munificence personnels des premiers Ptolémées, particulièrement du second. Ce fut une des plus nobles et des plus utiles institutions enregistrées dans l’histoire, et elle forme le plus honorable monument de ce que Droysen appelle la période hellénistique entre la mort d’Alexandre et l’extension de l’empire romain en Asie, Mais ce Museum, bien que situé à Alexandrie, n’avait pas de connexion particulière avec la cité ni avec sa population ; C’était un collège de savants (si nous pouvons employer un mat moderne) réunis de diverses cités grecques. Eratosthenês, Kallimachos, Aristophanês, Aristarchos, n’étaient pas natifs d’Alexandrie.

[114] Diodore, XVIII, 4. Pausanias (II, 1, 5) fait observer qu’Alexandre désira percer le mont Mimas (en Asie Mineure), mais que ce fat la seule de toutes ses entreprises qui ne réussit pas. Tant il est difficile (ajoute-t-il) de forcer les arrangements divins. Il désirait percer l’isthme entre Teos et Klazomenæ, de manière à éviter la navigation autour des falaises du Mimas (Aristophane, Nub., 274), entre Chios et Erythræ. Probablement ce fut au nombre des projets suggérés à Alexandre dans la dernière année de sa vie. Nous n’avons pas d’autre information sur ce point.

[115] Arrien, V, 26, 2.

[116] Hérodote, IV, 44. Cf. III, 102. Qu’Arrien n’eût pas présent à la mémoire ce récit d’Hérodote, c’est ce que montre le dernier chapitre de ses Indica bien que dans son histoire d’Alexandre il fasse plusieurs fois allusion à Hérodote. Quelques auteurs ont conclu du silence d’Arrien qu’il ne croyait pas le fait : s’il en avait goûté, je crois qu’il aurait néanmoins mentionne l’assertion d’Hérodote, en donnant à entendre qu’il ne le jugeait pas digne de crédit. De plus, l’incrédulité d’Arrien à cet égard (même en admettant que tel fût l’état de son esprit), ne doit pas être regardée comme une réfutation concluante de l’histoire. J’avoue que je ne vois pas de raison suffisante pour ne pas croire au récit d’Hérodote, — bien que quelques auteurs modernes éminents Soient d’une opinion contraire.

[117] Pline, H. N., VIII, 17 ; Athénée, IX, p. 398. V. la préface de Schneider à son édition de Historiæ de Animalibus d’Aristote, p. XXXIX, sqq.

[118] Plutarque, Alexandre, 8.