HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIX-SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE II — DEPUIS LE COMMENCEMENT DE LA GUERRE SACRÉE JUSQU’À CELUI DE LA GUERRE OLYNTHIENNE (suite).

 

 

Au milieu de cette aversion croissante des citoyens pour le service militaire, les bandes flottantes, mélangées, qui faisaient du métier de soldat un moyen d’existence sous quiconque voulait les payer, augmentèrent en nombre d’année en année. En 402.401 avant J.-C., quand on leva l’adnée de Cyrus (les Dix Mille Grecs), on avait eu de la peine à en réunir un si grand nombre ; on donna des récompenses considérables aux chefs ou agents d’enrôlement ; les recrues se composèrent, en grande partie, d’hommes établis, tentés par de lucratives promesses et amenés ainsi à quitter leurs foyers[1]. Mais des hommes actifs prêts pour un service étranger payé se multiplièrent perpétuellement, par suite de la pauvreté, de l’exil ou de l’amour des aventures[2] ; ils furent exercés constamment et fort améliorés par Iphikratês et par d’autres, comme peltastes ou infanterie légère destinée à servir conjointement avec les hoplites citoyens. Jasôn de Pheræ réunit une armée mercenaire plus nombreuse et mieux exercée qu’on n’en avait jamais vu depuis les soldats de Cyrus, lors de leur marche vers la haute Asie[3] ; les Phokiens, également pendant la Guerre Sacrée, maîtres des trésors de Delphes, s’entourèrent de redoutables forces mercenaires. Il s’éleva (comme au quatorzième et au quinzième siècle dans l’Europe moderne) des condottieri tels que Charidêmos et autres, — généraux ayant des bandes mercenaires sous leurs ordres, et se louant à tout prince ou potentat qui voulait les employer et les payer. Ces rôdeurs armés, — pauvres, braves, redoutables et que ne retenait aucun lien civique, — provoquent des plaintes répétées de la part d’Isocrate[4], qui les regarde comme l’un des malheurs les plus sérieux de la Grèce. Ces vagabonds, il est vrai, formaient habituellement les émigrants naturels dans de nouvelles entreprises coloniales. Mais il arriva qu’il y eut peu de colonies helléniques établies pendant l’intervalle qui s’écoula entre 400 et 354 avant J.-C. ; dans le fait, l’espace ouvert à la colonisation hellénique devint plus circonscrit par la paix d’Antalkidas, — par le despotisme de Denys, — et par l’accroissement des Lucaniens, des Brutiens et des puissances de l’intérieur en général. Isocrate, tout en vantant le grand service que naguère Athènes avait rendu au monde hellénique, en mettant en train l’émigration ionienne et en fournissant ainsi de nouvelles demeures à tant de Grecs non établis, — insiste sur I’absolue nécessité de moyens semblables d’émigration à son époque. Il presse Philippe de se mettre à la tète d’une conquête hellénique de l’Asie Mineure et d’acquérir ainsi un territoire qui pourrait fournir un établissement à un grand nombre d’exilés sans demeure, rôdant çà et là, qui vivaient par l’épée et troublaient la paix de la Grèce[5].

Ce déclin de la milice citoyenne, et l’aversion croissante pour le service personnel ou pour les exercices militaires, — en même temps que l’augmentation contemporaine des soldats de profession insensibles aux obligations civiques, — sont au nombre des faits capitaux de l’époque de Démosthène. Bien que ce fait ne soit pas particulier à Athènes, il nous frappe plus fortement dans cette ville, où l’esprit de l’effort individuel qu’on s’impose à soi-même avait jadis été poussé si loin, — mais où aussi le charme et le stimulant[6] d’une existence pacifique étaient le plus diversifiés et où l’activité des occupations industrielles était le plus continue. Ce fut un fatal divorce de la force active de la société d’avec la liberté et l’intelligence politiques, divorce mettant fin à cette combinaison à mille faces, de la pensée cultivée avec l’action énergique, qui formait l’idéal hellénique, — et remettant la défense de la Grèce a des hommes armés qui ne voyaient que leur général ou leur trésorier. Mais ce qui rendit ce divorce irréparablement fatal, ce fut que précisément à ce moment le monde grec fut forcé de se défendre contre la Macédoine, que dirigeait un jeune prince doué d’un esprit infatigable d’entreprises, qui avait puisé et était même capable de perfectionner les meilleures idées d’organisation militaire[7] mises au jour par Epaminondas et par Iphikratês. Philippe (tel que le représente son ennemi Démosthène) possédait tout entier cet amour ardent et invincible d’action que les Athéniens avaient manifesté en 431 avant J.-C., comme nous le savons par des ennemis aussi bien que par des amis, tandis que la population macédonienne conservait également, au milieu de sa rudesse et de sa pauvreté, cette aptitude et ce zèle militaires qui avaient dépéri dans les murs des cités grecques.

Bien qu’elle ne fût encore ni disciplinée ni formidable, c’était une excellente matière brute à faire des soldats dans les mains d’un génie organisateur tel que Philippe. Les Macédoniens étaient encore — comme l’avaient été leurs prédécesseurs à l’époque du premier Perdikkas[8], où l’épouse du roi faisait cuire des gâteaux sur l’âtre de ses propres mains — des bergers de montagnes mal vêtus et mal logés, — mangeant et buvant dans des plats et des coupes de bois, — dépourvus à un haut degré, non seulement de cités, mais même de résidences fixes[9]. Les hommes aisés étaient armés de cuirasses et faisaient de boas cavaliers, mais l’infanterie était une foule tumultueuse, sans ordre[10], armée de boucliers d’osier et d’épées rouillées, et s’efforçant avec désavantage, bien que constamment tenus en alerte, de repousser les incursions de leurs voisins, Illyriens ou Thraces. Dans quelques tribus macédoniennes, l’homme qui n’avait jamais tué un ennemi était marqué d’un signe dégradant[11]. Tels étaient les hommes que Philippe, en devenant roi, trouva dans son empire ; ce n’étaient pas de bons soldats, mais c’étaient des recrues excellentes pour être transformées eu soldats. La pauvreté, la patience, des corps endurcis à la fatigue étaient les attributs naturels, bien appréciés par les politiques de l’antiquité ; d’une population militaire destinée à faire des conquêtes. Tels avaient été les Perses indigènes quand ils s’élancèrent pour la première fois hors de chez eux, sous. Cyrus le Grand ; tels étaient même les Grecs lors de l’invasion der à s, quand le roi spartiate Demaratos comptait la pauvreté comme une habitante de la Grèce et comme une garantie du courage grec[12].

Or c’était contre ces grossiers Macédoniens, auxquels la vie des camps présentait des chances de pillage, sans aucun sacrifice, que l’industrieux et raffiné citoyen athénien avait à s’avancer et à combattre, en renonçant à son commerce, à sa famille et à ses fêtes, tâche d’autant plus dure, que les agressions perpétuelles et la guerre systématisée de ses nouveaux ennemis ne pouvaient être contrebalancées que par une continuité égale d’efforts de sa part. Pour un pareil dévouement personnel, combiné avec les inquiétudes d’une vigilance préventive, les Athéniens du temps de Periklês auraient été prêts, mais ceux de l’époque de Démosthène ne l’étaient pas, bien que leur liberté et leur sécurité entières finissent par se trouver en jeu.

Sans cette brève esquisse du grand changement militaire survenu en Grèce depuis la guerre du Péloponnèse, — le déclin de la milice citoyenne et l’accroissement des mercenaires, — le lecteur comprendrait difficilement soit la conduite d’Athènes à l’égard de Philippe, soit la carrière de Démosthène, dont nous sommes actuellement sur le point de nous occuper.

Après avoir, par un travail assidu, acquis ces talents élevés et de la parole et de la composition, Démosthène se présenta, en 354 avant J.-C., pour les consacrer au service du public. Son premier discours à l’assemblée n’est pas moins intéressant, au point de vue objectif, comme exposé du monde politique grec actuel pendant cette année, — qu’au point de vue subjectif, comme preuve de sa manière d’en apprécier les exigences[13]. A ce moment, l’appréhension prédominante à Athènes avait sa source dans des rapports relatifs au Grand Roi, qui, disait-on, méditait des mesures d’hostilité contre la Grèce, et contre Athènes en particulier, par suite de l’aide que le général athénien Charês avait récemment prêtée au satrape persan rebelle Artabazos. Cette crainte, — qui avait déjà en partie déterminé les Athéniens (une année auparavant) à faire la, paix avec leurs alliés insulaires révoltés et à terminer la Guerre Sociale, — continuait encore à agiter l’esprit public. On parlait comme probables d’un armement persan de trois cents voiles, avec une armée considérable de Grecs mercenaires, — et d’une invasion de la Grèce[14]. Il parait que Mausôlos, prince ou satrape de Karia, qui avait été le principal instigateur de la Guerre Sociale, poursuivait encore des hostilités contre les îles, même après la paix, annonçant qu’il agissait en exécution des desseins du roi ; de sorte que les Athéniens envoyèrent des ambassadeurs lui faire des remontrances[15]. Les Perses semblent aussi avoir été occupés à réunir, à l’intérieur, des forces qui furent employées quelques années plus tard à reconquérir l’Égypte, mais dont la destination n’était pas encore déclarée à ce moment. De là les craintes qui dominaient alors à Athènes. Il est essentiel de signaler — comme marque dans le cours des événements, — que peu de personnes nourrissaient encore des craintes au sujet de Philippe de Macédoine, bien que ce prince augmentât constamment ses forces militaires, aussi bien que ses conquêtes. Bien plus, Philippe affirmait plus tard que, pendant cette appréhension d’une invasion persane, il fut lui-même une des personnes invitées à prendre part à la défense de la Grèce[16].

Bien que la puissance macédonienne ne fût pas encore devenue évidemment formidable, nous retrouvons dans le discours actuel de Démosthène ce même patriotisme panhellénique qui, plus tard, le rendit si ardent à emboucher la trompette contre Philippe. Il insiste, avec une force et une dignité qui ne le cèdent pas à Periklês, sur l’obligation imposée à tous les Grecs, mais à Athènes en particulier, à cause de ses traditions et de sa position, de soutenir à tout prix la liberté hellénique contre l’étranger[17]. Mais si Démosthène inspire ainsi à ses compatriotes des desseins nobles et panhelléniques, il ne se contente pas d’une déclamation éloquente, ni d’une critique négative quant au passé. Ses recommandations quant aux moyens sont positives et explicites ; elles impliquent un examen attentif et une sagace appréciation des circonstances environnantes. Tout en présentant constamment à ses compatriotes une idée favorable de leur position, jamais il ne leur promet le succès, si ce n’est à la condition d’efforts individuels sérieux et persévérants ; tant en s’armant qu’en contribuant de leur argent. Il épuise toutes ses ressources d’invention dans la tâche impopulaire de leur faire honte, par des reproches directs aussi bien que par des insinuations détournées, de cette aversion pour un service militaire personnel qui, par malheur pour Athènes, était devenue une habitude établie. Ce caractère positif et pratique quant aux moyens, qui a toujours en vue toutes les exigences d’une situation donnée, — combiné avec le soin constant de présenter Athènes comme le champion obligé de la liberté grecque, et avec des appels au passé athénien, non comme à un patrimoine auquel on doive se tenir, mais comme un exemple à imiter, — ce caractère, dis-je, fait le charme impérissable de ces harangues de Démosthène, non moins mémorable que leur excellence comme compositions de rhétorique. Sous le rapport du dernier mérite, à dire vrai, son rival Æschine lui est moins inférieur que sous le rapport du premier.

Dans aucune des harangues de Démosthène, l’esprit d’une sagesse pratique n’est plus prédominant que dans ce premier discours que l’on connaisse de lui, adressé a l’assemblée publique, — sur les Symmories, — prononcé par un jeune homme de vingt-sept ans, qui n’avait pu guère avoir d’autre enseignement que celui des classes décriées des sophistes, des rhéteurs et des acteurs. Tout en proclamant le roi de Perse l’ennemi commun et dangereux du nom grec, il soutient qu’aucune preuve d’une attaque persane imminente n’avait encore transpiré, assez évidente et manifeste pour autoriser Athènes a envoyer partout invoquer une ligue générale des Grecs[18], comme l’avaient conseillé des orateurs qui avaient parlé avant lui. Il conjure d’un côté toute mesure calculée pour provoquer le roi de Perse ou amener une guerre, — et d’un autre côté, tout appel prématuré adressé aux Grecs en vue d’une coalition, avant qu’ils fassent pénétrés eux-mêmes d’un sentiment du danger commun. Rien qu’une pareille terreur commune pouvait amener l’union entre les diverses cités helléniques ; rien autre chose ne pouvait faire taire ces jalousies et ces antipathies constantes qui rendaient la guerre intestine si fréquente et qui permettaient probablement au roi de Perse d’acheter plusieurs Grecs comme alliés contre les autres.

Ne redoutons pas le Grand Roi outre mesure, et d’autre part, ne soyons pas les premiers à commencer la guerre et à lui faire injure, — aussi bien dans noire intérêt qu’à cause des mauvais sentiments et de la défiance qui règnent parmi les Grecs autour de nous. Si à vrai dire nous pouvions, avec les forces entières et unanimes de la Grèce, l’attaquer seul, j’aurais soutenu que même un tort, commis à son égard, n’en serait pas un. Mais, puisque cela est impossible, je prétends que nous devons prendre soin de ne pas donner au roi un prétexte pour insister sur des réclamations de droits relatifs aux autres Grecs. Tant que nous restons tranquilles, il ne, peut rien faire de pareil sans exciter la méfiance ; mais quand nous aurons été les premiers à commencer la guerre, il feindra naturellement d’avoir une amitié sincère pour les autres, à cause de leur aversion pour nous. Ne vous exposez donc pas à allumer les tristes passions du monde hellénique, en réunissant ses membres quand vous ne les persuaderez pas, et en allant à la guerre quand vous n’aurez pas de forces suffisantes ; mais maintenez la paix, en ayant confiance en vous-mêmes et en faisant de complets préparatifs[19].

C’est cette nécessité de faire des préparatifs qui constitue le principal but de Démosthène dans sa harangue. Il produit un plan élaboré, mûri par une réflexion attentive[20] et destiné à perfectionner et à étendre la classification des Symmories ; il propose une distribution plus convenable et plus systématique des principaux citoyens, aussi. bien que des moyens financiers et nautiques en totalité, de manière à assurer à la fois l’équipement facile des forces armées toutes les fois qu’il serait nécessaire, et une répartition équitable d’efforts et de dépenses parmi les citoyens. Je n’entre pas ici dans les détails de ce plan de réforme économique, qui ont appliqués avec la précision d’un administrateur, et non avec le vague d’un rhéteur ; d’autant moins que nous ne savons pas s’il fut réellement adopté. Mais l’esprit dans lequel il fut proposé mérite toute attention, en ce qu’il annonce, même dès ce premier jour, la grande vérité qui est familière à l’orateur et qu’il répète dans un si grand nombre de ses harangues subséquentes. Dans les préparatifs que je vous propose, Athéniens (dit-il), le premier point et le plus important est que vous disposiez vos esprits de manière que chaque homme individuellement soit porté et tout prêt à faire son devoir. Car vous voyez clairement, que de toutes les choses que vous avez décidées collectivement, et dont l’exécution a été regardée par chaque homme, individuellement comme un devoir obligatoire pour lui-même,aucune n’a manqué ; tandis que, au contraire, toutes les fois qu’une détermination a été prise, et que vous vous êtes regardés les -uns les autres, personne n’ayant l’intention de rien faire lui-même, mais chacun rejetant sur son voisin le fardeau de l’action,rien n’a jamais réussi. En admettant donc que vous soyez ainsi disposés et montés au point convenable, je recommande, etc.[21]

Telle est la vraie veine d’exhortation habituelle à Démosthène, que l’on retrouve entière et non affaiblie dans les Philippiques et les Olynthiennes, et qui s’efforce de faire revivre cette union, — dont Periklês s’était vanté comme d’un fait établi dans le caractère athénien[22], — l’action individuelle énergique venant après un débat public approfondi et une résolution collective. Combien de fois ici, et ailleurs, l’orateur dénonce-t-il l’inutilité des. votes dans l’assemblée publique, même après que ces votes .ont été rendus, — si les citoyens individuellement se tiennent en arrière et reculent devant la fatigue ou les charges pécuniaires indispensables pour l’exécution à Dêmos dans la Pnyx — pour employer, en en changeant le sens, une comparaison aristophanesque[23] —, gardait encore des sentiments panhelléniques et patriotiques, quand Dêmos an logis en était venu à croire que la cité marcherait sûrement toute seule sans aucun sacrifice de sa part, et qu’il était liure de s’absorber dans ses biens, sa famille, sa religion et ses divertissements. Et Athènes aurait en réalité pu marcher ainsi, en jouissant de la liberté, de la fortune, des raffinements et de la sécurité individuelle, — si le monde grec avait pu être garanti contre le formidable ennemi macédonien du dehors.

Ce fut l’année suivante, quand l’alarme relativement à la Perse se fut dissipée, que les Athéniens eurent à discuter les demandes opposées de Sparte et de Megalopolis (354-353 av. J.-C.). Le succès des Phokiens paraissait être de nature à empêcher Thêbes, surtout pendant que ses troupes, sous Pammenês, étaient en Asie, d’intervenir dans le Péloponnèse pour protéger Megalopolis. Il y avait même à Athènes des politiques qui prédisaient avec confiance l’humiliation prochaine de Thèbes[24], en même temps que l’affranchissement et le rétablissement de celles des villes bœôtiennes qu’elle tenait actuellement sous sa dépendance Orchomenos, Thespiæ et Platée ; prédictions accueillies avec, bonheur par le sentiment hostile aux Thêbains à Athènes. Les Spartiates jugèrent le moment favorable pour détruire Megalopolis et recouvrer Messênê ; plan auquel ils espéraient intéresser non seulement Athènes, mais encore Elis, Phlionte et quelques autres États péloponnésiens. A Athènes ils offrirent leur aide pour recouvrer Orôpos, actuellement dans les mains des Thêbains qui l’avaient depuis douze ans environ ; à Elis et à Phlionte ils offrirent également du secours pour regagner respectivement la Triphylia et le Trikaranon, sur les Arkadiens et les Argiens[25]. Cette combinaison politique fut épousée avec chaleur par un parti considérable à Athènes ; elle était recommandée non moins par l’aversion pour Thèbes que par le vif désir de ravoir la ville frontière d’Orôpos. Mais elle fut combattue par d’autres, et de ce nombre était Démosthène, qu’aucune amorce ne put amener à acquiescer au rétablissement de la puissance lacédæmonienne telle qu’elle avait existé avant la bataille de Leuktra. Dans l’assemblée athénienne, la discussion fut animée et même pleine de colère ; les envoyés de Megalopolis, aussi bien que ceux de Sparte, trouvant de zélés partisans[26].

Démosthène suit une marche qu’il déclare tenir le milieu des deus, mais qui réellement est en faveur de la défense de Megalopolis contre une nouvelle conquête spartiate. Nous remarquons dans ce discours (comme dans la harangue De Symmoriis, une année auparavant) ; qu’il n’y a aucune allusion à Philippe ; fait à signaler comme preuve des changements graduels dans le point de vue de Démosthène. Tous les arguments qu’il emploie roulent sur des intérêts helléniques et athéniens, sans aucune allusion à l’existence d’hostilités du dehors. Dans le fait, Démosthène pose comme principe que personne ne peut contester que, dans l’intérêt d’Athènes, Sparte et Thèbes devraient être toutes deux faibles, sans être en état ni l’une ni l’autre de troubler la sécurité de sa patrie[27], — principe qui, par malheur, ne fut que trop bien reconnu parmi tous les principaux Etats grecs dans leurs rapports réciproques, et qui rendit l’agrégat hellénique comparativement sans défense contre Philippe ou tout autre agresseur habile du dehors. Cependant, tout en affirmant une maxime générale, contestable et périlleuse en elle-même, Démosthène n’en tire que de judicieuses conséquences. Par rapport à Sparte, il ne demande qu’une chose : c’est qu’on la laisse dans le statu quo, et qu’on maintienne intacte contre elle l’indépendance de Megalopolis et de Messênê. On ne le décidera pas à lui livrer ces deux cités, même par la séduisante perspective d’une assistance pour Athènes en vue de recouvrer Orôpos et de faire revivre l’autonomie des cités bœôtiennes. A ce moment la disposition régnante parmi les Athéniens était une antipathie contre Thèbes, combinée avec une certaine sympathie en faveur de Sparte, qu’ils avaient aidée à la bataille de Mantineia contre les Mégalopolitains[28]. Bien qu’il partage lui-même ce sentiment[29], Démosthène ne souffrira pas qu’il égare ses compatriotes. Il recommande à Athènes de reprendre elle-même la politique thêbaine par rapport à Megalopolis et à Messênê, de manière à protéger ces deux cités contre Sparte, d’autant plus que par une pareille conduite les Thêbains seront exclus du Péloponnèse, et leur influence générale diminuée. Il va même jusqu’à dire que, si Sparte réussissait à reconquérir Megalopolis et Messênê, Athènes devrait redevenir l’alliée de Thèbes pour arrêter son agrandissement ultérieur[30].

Autant que nous pouvons en juger d’après des renseignements imparfaits, il semble que les vues de Démosthène ne prévalurent pas, et que les Athéniens refusèrent de se charger de protéger Megalopolis contre Sparte, puisque nous voyons bientôt les Thêbains continuer à fournir cette protection, comme ils l’avaient fait auparavant. On paraît avoir donné les premières indications sur les projets agressifs de Sparte au moment où les Phokiens, sous Onomarchos, avaient sur Thèbes une supériorité assez prononcée pour causer quelque embarras à cette cité. Mais la supériorité des Phokiens fut bientôt diminuée par leur collision avec un ennemi plus formidable, — Philippe de Macédoine.

Ce prince était déjà intervenu partiellement dans les affaires thessaliennes[31], à l’instigation d’Eudikos, et de Simos, chefs des Aleuadæ de Larissa,-contre Lykophrôn, le despote de Pheræ (353-352 av. J.-C.). Mais sa récente acquisition de Methônê le laissait plus libre d’étendre ses conquêtes au sud, et d’intervenir avec des forces glus considérables dans les dissensions de la Thessalia. Maris ce pans, les grandes cités se disputaient[32], comme d’ordinaire, la suprématie, et elles tenaient sous leur domination les plus petites au moyen de garnisons ; tandis, que Lykophrôn à Pheræ faisait des efforts pour regagner cet ascendant sur le tout, qu’avaient jadis possédé Jason et Alexandre. Philippe s’avança alors dans le pays et l’attaqua avec tant de vigueur qu’il le força a invoquer l’aide des Phokiens. Onomarchos, à ce moment vainqueur des Thêbains et maître jusqu’aux, Thermopylæ, était intéressé w arrêter les progrès ultérieurs de Philippe au sud et a étendre son propre ascendant. Il envoya en Thessalia une armée de sept mille hommes sous son frère Phayllos, pour appuyer Lykophrôn. Mais Phayllos échoua complètement ; il fut défait et chassé de la Thessalia par Philippe, de sorte que Lykophrôn de Pheræ se trouva dans un plus grand danger que jamais. Sur ce, Onomarchos y vint lui-même avec toutes les forces des Phokiens et des mercenaires étrangers. Alors commença une lutte opiniâtre et vraisemblablement prolongée, dans le courant de laquelle il fuit d’abord décidément victorieux. Il vainquit Philippe dans deux batailles et lui fit subir des pertes si sérieuses que l’armée macédonienne fut retirée de Thessalia, tandis que Lykophrôn, avec ses alliés phokiens, resta maître du pays[33].

Ce grand succès des armes phokiennes fût, suivi par une autre victoire en Bœôtia. Onomarchos envahit de nouveau ce territoire, défit les Thêbains dans une bataille, et s’empara de Korôneia, outre Orchomenos qu’il occupait auparavant[34]. Il semblerait que les Thêbains étaient privés à ce moment d’une grande partie de leurs forces, qui servaient en Asie sons Artabazos, et que, peut-être à cause de ces revers mêmes, ils ne tardèrent pas à rappeler. Les Phokiens, d’autre part, étaient à l’apogée de leur puissance. C’est probablement dans cette conjoncture que tombe la combinaison agressive des Spartiates contre Megalopolis, et le débat, mentionné auparavant, dans l’assemblée athénienne.

Philippe fut pendant quelque temps dans l’embarras, par suite de ses défaites en Thessalia (353-352 av J.-C.). Ses soldats, découragés et même mutins, consentaient difficilement à rester sous son drapeau. A grand’peine, et avec des exhortations animées : il finit par réussir à leur rendre le courage. Après un certain intervalle consacré à se refaire et à se renforcer, il s’avança en Thessalia avec une nouvelle armée, et reprit ses opérations contre Lykophrôn, qui fut obligé de solliciter de nouveau l’aide d’Onomarchos, et de promettre que toute la Thessalia serait dorénavant tenue sous sa dépendance. En conséquence, Onomarchos le rejoignit en Thessalia avec une armée considérable, qui consistait, dit-on, en vingt mille fantassins et cinq cents chevaux. Mais il trouva en cette occasion dans le pays une résistance plus opiniâtre qu’auparavant ; car, la cruelle dynastie de Pheræ avait probablement abusé de sa précédente victoire par une aggravation de violence et de rapacité, au point de jeter dans les bras de son ennemi une multitude d’exilés. Quand Philippe arriva en Thessalia avec une nouvelle armée ; les Thessaliens embrassèrent sa cause avec tant de chaleur, qu’il se trouva bientôt à la tête d’une armée de vingt mille hommes et de trois mille chevaux. Onomarchos le rencontra en rase campagne, quelque part près de la côte méridionale de la Thessalia ; il ne doutait pas du succès, aussi bien à cause de ses récentes victoires que du voisinage d’une flotte athénienne sous Charês, qui coopérait avec lui. Là s’engagea une bataille où combattirent avec acharnement les deux armées, presque égales sous le rapport de l’infanterie. Philippe excita le courage de ses soldats en les décorant de couronnes de laurier[35], comme croisés au service du dieu contre les spoliateurs du temple de Delphes ; tandis que les Thessaliens aussi, qui formaient la meilleure cavalerie de la Grèce et qui combattirent avec une ardente valeur, donnèrent à sa cause un avantage décisif. La défaite des forces d’Onomarchos et de Lykophrôn fut complète. Six mille hommes, dit-on, furent tués, et trois mille faits prisonniers ; les autres échappèrent soit par la fuite, soit en jetant leurs armes et en nageant jusqu’aux vaisseaux athéniens. Onomarchos lui-même périt. Suivant un récit, ses propres mercenaires le tuèrent, provoqués par sa lâcheté. Suivant un autre récit, il se noya, — emporté dans la mer par un cheval indomptable, et essayant de gagner les vaisseaux. Philippe fit mettre en croix son cadavre et noyer tous les prisonniers comme coupables de sacrilège[36].

Cette victoire valut au prince macédonien une grande renommée comme vengeur du dieu de Delphes, — et fut un pas important dans sa carrière d’agrandissement (353-352 av. J.-C.).  Non seulement elle mit fin à la puissance des Phokiens au nord des Thermopylæ, mais elle écrasa définitivement la puissante dynastie de Pheræ en Thessalia. Philippe assiégea cette cité ; Lykophrôn et Peitholaos, entourés d’une population hostile et hors d’état de faire une longue défense, capitulèrent et la lui livrèrent, en se retirant en Phokis avec leurs mercenaires au nombre de deux mille[37]. Après avoir été mis en possession de Pheræ et l’avoir déclarée cité libre, Philippe se mit en devoir d’assiéger la ville voisine de Pagasæ, la plus importante position maritime de la Thessalia. Combien de temps résista Pagasæ, nous l’ignorons ; mais ce fut assez longtemps pour qu’avis fût donné à Athènes, avec demande de secours. Les Athéniens, alarmés des conquêtes successives de Philippe ; étaient bien disposés à empêcher qu’il ne s’emparât de ce poste important, ce que leur puissance navale les mettait parfaitement en état de faire. Mais ici encore — comme dans les exemples précédents de Pydna, de Potidæa et de Methônê —, l’aversion pour un service personnel parmi les citoyens individuellement, — et les obstacles quant à la répartition des devoirs et des dépenses, toutes les fois qu’il fallait réellement payer de sa personne ou de sa bourse, — amenèrent ce fâcheux résultat que, bien qu’un armement fût voté et expédié, il n’arriva pas à temps[38]. Pagasæ se rendit et tomba au pouvoir de Philippe, qui la fortifia pour lui-même et y mit une garnison, devenant ainsi maître du golfe Pagasæen, la grande porte maritime de la Thessalia.

Philippe fut probablement occupé pendant quelque temps à établir sa domination sur ce pays (353-352 av. J.-C.). Mais aussitôt que des précautions suffisantes eurent été prises dans ce dessein, il chercha à pousser cet avantage remporté sur les Phokiens en les envahissant dans leur propre territoire. Il s’avança jusqu’aux Thermopylæ, déclarant encore que son dessein était de délivrer le temple de Delphes et de punir ses sacrilèges spoliateurs, et en même temps il se concilia la faveur des Thessaliens en promettant de leur rendre les Pylæa, ou fête amphiktyonique semi-annuelle célébrée aux Thermopylæ, que les Phokiens avaient discontinuée[39].

Les Phokiens, bien que maîtres de ce défilé presque inexpugnable, semblèrent avoir été tellement découragés par leur récente défaite et par la mort d’Onomarchos, qu’ils se sentirent incapables de le conserver plus longtemps. La nouvelle d’un pareil danger, transmise à Athènes, excita une agitation extraordinaire. L’importance de défendre les Thermopylæ, — et d’empêcher le roi de Macédoine, victorieux, de venir coopérer avec les Thêbains sur son côté méridional[40], non seulement contre les Phokiens, mais probablement aussi contre l’Attique, — fut sentie si fortement qu’elle triompha des hésitations et du délai habituels -des Athéniens par rapport à une expédition militaire. Surtout pour ce motif, — mais en partie aussi, pouvons-nous supposer, à cause du désappointement fâcheux éprouvé récemment dans la tentative faite pour délivrer Pagasæ, — un armement athénien sous Nausiklês — montant à cinq mille fantassins et à quatre cents chevaux, suivant Diodore[41] —, fut équipé avec autant de vigueur et de célérité qu’on en avait déployé contre les Thêbains en Eubœa, sept années .auparavant. Les citoyens athéniens secouèrent leur léthargie, et s’engagèrent comme volontaires avec empressement. Ils arrivèrent aux Thermopylæ à temps, et mirent le défilé en un état de défense tel que Philippe ne l’attaqua pas du tout. Souvent, dans la suite, Démosthène[42], en combattant la négligence générale de ses compatriotes quand il se présentait des exigences militaires, leur rappelle cet acte inaccoutumé de mouvement énergique, couronné d’un plein effet. Avec peu ou point de pertes, les Athéniens réussirent à protéger eux et leurs alliés contre une éventualité très menaçante, simplement par la promptitude de leur action. Les frais de l’armement ne dépassèrent pas en tout deux. cents talents ; et, d’après la manière dont Démosthène insiste sur la portion de la dépense qui fut défrayée par les soldats en particulier et individuellement[43], nous pouvons conjecturer que ces soldats — comme lors de l’expédition sicilienne sous Nikias[44] — étaient dans une proportion considérable des citoyens opulents. Toutefois, dans une partie du public grec, les Athéniens encoururent un blâme comme complices du sacrilège des Phokiens, et ennemis !du dieu de Delphes[45].

Mais bien que Philippe fût tenu ainsi éloigné de la Grèce méridionale, et que les Phokiens fussent hors d’état de se réorganiser contre Thèbes, cependant en Thessalia et au delà du défilé des Thermopylæ, l’ascendant des Macédoniens fut dorénavant un fait incontesté. Toutefois, avant que nous suivions sa conduite subséquente, il est à propos de nous occuper des événements qui se passèrent tant en Phokis que dans le Péloponnèse.

Dans l’état d’affaiblissement des Phokiens, après la défaite d’Onomarchos, ils obtinrent des renforts non seulement d’Athènes, mais encore de Sparte (mille hommes) et des Achæens péloponnésiens (deux mille hommes)[46]. Phayllos, le successeur (appelé par quelques-uns le frère) d’Onomarchos, se mit de nouveau en état de défense (352 av. J.-C.). Il eut recours une troisième fois à ce fonds non encore épuisé, — les trésors et les objets précieux de Delphes. Il dépouilla le temple dans une plus grande mesure que Philomélos et non moins qu’Onomarchos, et il encourut un blâme aggravé à cause de ce fait, qu’il ne put actuellement se pourvoir sans mettre les mains sur des offrandes d’une magnificence et d’une antiquité remarquables, que ces deux prédécesseurs avaient épargnées. Ce fut ainsi que les magnifiques dons en or du roi lydien Crésus furent alors fondus et transformés en espèces ; cent dix-sept briques ou lingots d’or, pesant pour la plupart deux talents chacun ; trois cent soixante gobelets d’or, avec une statue de femme haute de trois coudées, et un lion de même métal, — qui pesaient, dit-on, en tout trente talents[47]. La soustraction de pareils ornements, frappants et vénérables aux yeux des nombreux visiteurs du temple, fut sans doute profondément sentie dans le public grec. Et l’indignation fut augmentée quand on vit que de beaux jeunes gens ou de belles femmes, favoris d’Onomarchos ou de Phayllos, reçurent quelques-unes des offrandes les plus précieuses, et portèrent les ornements les plus célèbres qui avaient décoré le temple, — même les colliers d’Hélène et d’Eriphylê. Une femme, joueuse de flûte nommée Bromias, non seulement reçut de Phayllos une coupe d’argent et une couronne d’or — la première dédiée dans le temple par les Phokæens, la seconde par les Péparéthiens —, mais encore fut présentée par lui en qualité de surveillant de la fête Pythienne, pour disputer le prix en jouant l’hymne sacré. Comme les compétiteurs pour ce prix avaient toujours été des hommes, la foule assemblée ressentit si vivement l’innovation qu’elle força par ses cris Bromias à se retirer[48]. En outre, d’extravagantes largesses et une malversation flagrante devinrent plus notoires que jamais[49]. Les chefs phokiens déployèrent avec ostentation leurs richesses nouvellement acquises, et ou bien ils importèrent pour la première fois des esclaves achetés, ou du moins ils en multiplièrent beaucoup le nombre qui existait déjà. Ç’avait été auparavant l’usage en Phokis, nous dit-on, que les hommes riches fussent servis par les jeunes gens pauvres de condition libre du pays, et cette dernière classe se plaignit que son pain quotidien lui fût enlevé ainsi[50].

Nonobstant l’indignation que ces actes excitèrent non seulement dans toute la Grèce, mais même dans la Phokis, — Phayllos réussit à lever une nouvelle armée de mercenaires, et à acheter de nouvelles alliances parmi les cités plus petites (352-351 av. J.-C.). Athènes et Sparte profitèrent toutes deux plus ou moins de la distribution, bien que les frais de l’expédition athénienne aux Thermopylæ, qui sauva les Phokiens de la destruction, paraissent évidemment avoir été payés par les Athéniens seuls[51]. Phayllos fit pendant quelque temps la guerre aux Bœôtiens et aux Lokriens. Selon Diodore, il perdit plusieurs batailles. Mais il est certain que le résultat général ne, lui fut pas défavorable ; qu’il occupa Orchomenos en Bœôtia, et que sa puissance resta sans diminution sensible[52].

Le fort de la guerre, pour le moment, semble avoir été transféré dans le Péloponnèse, où une portion des troupes phokiennes et thêbaines allèrent pour coopérer (352-351 av. J.-C.). Les Lacédæmoniens avaient fini par ouvrir contre Megalopolis leur campagne qui, comme je l’ai déjà dit, avait été débattue devant l’assemblée publique athénienne. Leur plan semble avoir été formé quelques mois auparavant, quand Onomarchos était à l’apogée :de sa puissance, et ;que Thèmes était supposée en danger ; mais il ne fut exécuté qu’après sa défaite et sa mort, lorsque les Phokiens, abattus pour le moment, furent sauvés seulement par la prompte intervention d’Athènes, et lorsque les Thêbains eurent les mains comparativement libres. De plus, on peut présumer que la division thébaine qui avait été envoyée en Asie sous Pammenês un an ou deux auparavant, pour assister Artabazos, était actuellement de retour, d’autant plus que mous savons que, peu de temps après, Artabazos parait comme complètement défait par les troupes persanes, chassé d’Asie, et forcé de se réfugier, avec son beau-frère Memnon, sous la protection de Philippe[53]. Les Mégalopolitains avaient envoyé des ambassadeurs demander du secours à Athènes, dans, la crainte que Thèbes ne fût pas sen état de les aider. On peut douter qu’Athènes ait voulu accéder à leur prière, malgré le conseil de Démosthène ; mais les Thêbains étaient à ce moment devenus assez forts pour soutenir de leurs propres forces leurs alliés naturels du Péloponnèse.

En conséquence, lorsque l’armée lacédæmonienne, sous le roi Archidamos, envahit le territoire mégalopolitain (352-351 av. J.-C.), on réunit bientôt une armée capable de lui résister, fournie en partie par les Argiens, qui avaient été engagés l’année précédente dans une guerre de frontière avec Sparte et qui avaient essuyé une défaite partielle à Orneæ[54], en partie par les Sikyoniens et par les Messêniens, qui vinrent au grand complet. En outre, les forces des deux côtés de Bœôtia et de Phokis furent transportées dans le Péloponnèse. Les Thêbains envoyèrent quatre mille fantassins et cinq cents chevaux, sous Kephisiôn, au secours de Megalopolis ; tandis que les Spartiates non seulement rappelèrent leurs propres troupes de Phokis, mais encore se procurèrent trois mille îles mercenaires au service de Phayllos, et cent cinquante cavaliers thessaliens de Lykophrôn, le despote de Pheræ, qui en avait été chassé. Archidamos reçut ses renforts et réunit ses forces collectives plus. tôt que l’ennemi,. Rentra d’abord en Arkadia, où il se posta prés de Mantineia, coupant ainsi les Argiens de Megalopolis ; ensuite il envahit le territoire d’Argos, attaqua Orneæ, et défit les Argiens dans un engagement partiel. Bientôt les Thêbains arrivèrent et opérèrent une jonction avec leurs alliés argiens et .arkadiens. L’armée combinée était de beaucoup supérieure en nombre aux Lacédæmoniens ; mais cette supériorité était contrebalancée par la mauvaise discipline des Thêbains, qui avaient tristement décliné sous ce rapport pendant l’intervalle de dix ans qui s’était écoulé depuis la mort d’Epaminondas. Il s’ensuivit une bataille, avantageuse en partie aux Lacédæmoniens, tandis que les Argiens et les Arkadiens préférèrent rentrer chez eux dans leurs cités voisines. Les’ Lacédæmoniens aussi, après avoir ravagé une partie de l’Arkadia et pris d’assaut la ville arkadienne d’Helissos, repassèrent bientôt leur propre frontière et retournèrent à Sparte. Toutefois ils laissèrent en Arkadia une division sous Anaxandros, qui, dans un engagement avec les Thébains près de Telphusa, fut vaincu en essuyant de grandes pertes et fait prisonnier. Dans deux autres batailles encore, les Thêbains furent successivement victorieux ; dans une troisième, ils furent défaits par les Lacédæmoniens. La guerre se continua avec ces succès balancés et indécis, jusqu’à ce qu’enfin les Lacédæmoniens proposassent la paix à Megalopolis et la fissent avec elle. Soit formellement, soit implicitement, ils furent forcés de reconnaître l’autonomie de cette cité ; abandonnant ainsi, du moins pour le moment, leurs desseins agressifs, que Démosthène avait combattus et cherché à déjouer devant l’assemblée athénienne. Les Thêbains, de leur côté, retournèrent dans leurs foyers, après avoir rempli leur but, qui était de protéger Megalopolis et Messênê ; et nous pouvons présumer que les alliés phokiens de Sparte furent renvoyés chez eux également[55].

La guerre entre les Bœôtiens et les Phokiens s’était sans doute ralentie pendant cet épisode dans le Péloponnèse ; mais elle continuait encore, dans une série d’engagements partiels, sur le fleuve Kephissos, à Korôneia, à Abæ en Phokis, et près de la ville lokrienne de Naryx (351-350 av. J.-C.). Dans la plupart des cas, les Phokiens furent, dit-on, défaits ; et leur commandant Phayllos mourut bientôt d’une pénible maladie, — châtiment approprié (au point de vue d’un historien grec)[56] pour ses actions sacrilèges. Il laissa pour successeur Phalækos, jeune homme, fils d’Onomarchos, sous la tutelle d’un ami éprouvé, Mnaseas, qui devait être en même temps son conseiller. Mais Mnaseas fut bientôt surpris de nuit, défait et tué par les Thêbains ; tandis que Phalækos, laissé à ses propres ressources, fut vaincu dans deux batailles près de Chæroneia, et mis hors d’état d’empêcher ses ennemis de ravager une partie considérable du territoire phokien[57].

Nous ne connaissons les incidents successifs de cette Guerre Sacrée de dix ans que par les maigres annales de Diodore, dont la sympathie chaleureuse en faveur du côté religieux de la question semble l’entraîner à exagérer les victoires des Thêbains, ou du moins à omettre en partie les revers qui les contrebalançaient. Car, malgré ces victoires successives, les Phokiens ne furent nullement abattus, mais ils restèrent en possession de la ville bœôtienne d’Orchomenos ; de plus, les Thêbains finirent par être si fatigués et si appauvris par la guerre, qu’ils se bornèrent bientôt à des incursions et à des escarmouches irrégulières[58] (350-349 av. J.-C.). Leurs pertes tombaient entièrement sur leurs propres citoyens et sur leurs propres fonds ; tandis que les Phokiens faisaient la guerre avec des mercenaires étrangers et avec les trésors du temple[59]. La pauvreté croissante des Thêbains les engagea même à envoyer demander un secours pécuniaire au roi de Perse par une ambassade, qui tira de lui un présent de 300 talents. Comme il était en train à ce moment d’organiser une nouvelle expédition sur la plus vaste échelle pour reconquérir la Phénicie et l’Égypte, après plus d’un échec antérieur, — il avait besoin de soldats grecs autant que les Grecs avaient besoin de son argent. Aussi verrons-nous bientôt que les Thêbains purent lui envoyer un équivalent.

Dans la guerre sur la frontière laconienne et arkadienne qui vient d’être racontée, les Athéniens n’avaient pris aucune part. Leur lutte avec Philippe était devenue de mois en mois plus sérieuse et plus embarrassante (352-351 av. J.-C.). En occupant à temps le défilé défendable des Thermopylæ, ils l’avaient, il est vrai, empêché et d’écraser les Phokiens et de se mêler des États méridionaux de la Grèce. Mais la bataille finale, dans laquelle il avait défait Onomarchos, avait considérablement augmenté sa puissance et sa réputation militaire. Le nombre des combattants des deux côtés était très grand ; le résultat fut- décisif et ruineux pour le vaincu ; de plus, nous n» pouvons douter pe, la phalange macédonienne, avec les autres perfectionnements et manœuvres militaires que Philippe avait organisés par degrés depuis son avènement, ne se montrât alors avec une efficacité formidable. Le roi de Macédoine était devenu le soldat et le potentat influent ; il menaçait les extrémités du mande grec en excitant des craintes ou des espérances, ou toutes les deux à la fois, dans toute cité d’un bout à l’autre du pays. Dans la première Philippique de Démosthène, et dans son discours contre Aristokratês (prononcés entre le solstice d’été de 352 et celui de 351 av. J.-C.), nous discernons des marques évidentes des terreurs que Philippe avait fini par inspirer, dans l’espace d’une année après son échec aux Thermopylæ, à des politiques grecs réfléchis. Il est impossible à Athènes (dit l’orateur)[60] de fournir une armée de terre capable de lutter en rase campagne contre celle de Philippe.

La réputation de son talent comme général et de son infatigable activité était déjà reconnue partout ; aussi bien que celle des officiers et des soldats, en partie Macédoniens indigènes, en partie Grecs d’élite, qu’il avait réunis auteur de lui[61], — surtout des lochagi ou hommes du premier rang de la phalange et des hypaspistæ. De plus, l’excellente cavalerie de la Thessalia fut dorénavant incorporée comme élément dans l’armée macédonienne, puisque Philippe avait acquis un ascendant sans bornes dans ce pays ; pour avoir chassé les despotes de Pheræ et leurs auxiliaires les Phokiens. Le parti philo-macédonien dans les cités thessaliennes l’avait fait chef fédéral (ou tagos en quelque sorte) du pays, non seulement en enrôlant sa cavalerie dans ses armées, mais encore en mettant à sa disposition les douanes et les droits de marché, qui formaient un fonds commun permanent destiné à pourvoir à l’administration thessalienne collective[62]. Les moyens financiers de Philippe, pour payer ses troupes étrangères et poursuivre ses entreprises militaires, furent ainsi considérablement augmentés.

Mais, outre son irrésistible armée de terre, Philippe était également devenu maître alors d’une puissance navale assez considérable (351 av. J.-C.). Pendant les premières années de la guerre, bien qu’il eût pris non seulement Amphipolis, mais encore toutes les possessions athéniennes sur la côte macédonienne, cependant les exportations de son territoire avaient été interrompues pax les forces navales d’Athènes, au point de diminuer sérieusement le produit de ses droits d’exportation[63]. Mais il s’était arrangé actuellement pour réunir un hombre suffisant de vaisseaux armés et de pirates, sinon pour détourner ce dommage de lui-même, du moins pour s’en venger sur Athènes. Dans le fait, la marine de cette dernière était encore incomparablement supérieure, mais la langueur et la négligence de ses citoyens refusaient de l’employer avec efficacité ; tandis que Philippe s’était ouvert une nouvelle route pour arriver à la puissance maritime en acquérant Pheræ et Pagasæ, et en établissant son ascendant sur les Magnêtes et sur leur territoire, autour du bord oriental du golfe Pagasæen. Ce golfe (connu aujourd’hui sous le nom de Volo), est encore la grande voie d’entrée et de sortie pour le commerce thessalien ; la tâte orientale de la Thessalia, le long de la ligne du mont Peliôn, étant rocailleuse et dépourvue de ports[64]. Les forces navales appartenant à Pheræ et à son port de mer Pagasæ étaient très considérables, et l’avaient été même dès les temps des despotes Jasôn et Alexandre[65] ; Athènes même à un moment en avait fait la pénible expérience. Tous ces vaisseaux passèrent alors au service de Philippe, avec les droits d’exportation et d’importation levés autour du golfe Pagasæen, dont il s’assura en outre l’empire en élevant des fortifications appropriées sur le rivage magnésien, et en mettant une garnison dans Pagasæ[66]. Ces moyens navals additionnels, combinés avec ce qu’il possédait déjà à Amphipolis et ailleurs, le rendirent promptement importun, sinon formidable, à Athènes, même sur mer. Ses trirèmes se montraient partout, probablement en petites escadres se mouvant rapidement. Il levait des contributions considérables sur les alliés insulaires d’Athènes, et subvenait grandement aux frais de la guerre en capturant des bâtiments marchands dans la mer Ægée. Ses escadres firent des incursions dans les îles athéniennes de Lemnos et d’Imbros, et enlevèrent plusieurs citoyens athéniens comme prisonniers. Elles allèrent même au sud aussi loin que Geræstos, le promontoire méridional de l’Eubœa, et non seulement elles y rencontrèrent et capturèrent une escadre lucrative de navires de blé, mais encore elles insultèrent la côte de l’Attique elle-même dans la baie opposée de Marathôn, et remorquèrent comme prise une des trirèmes sacrées[67]. Tel fut le dommage que causèrent successivement les escadres volantes de Philippe, bien qu’Athènes eût probablement un nombre considérable de croiseurs en mer et certainement un nombre bien supérieur de vaisseaux dans Peiræeus. Son commerce et même ses côtes furent troublés et mis en danger ; ses alliés insulaires souffrirent plus encore. L’Eubœa en particulier, le plus rapproché et le plus important de tous ses alliés, séparée du golfe Pagasæen et de la côte méridionale de Phthiotis seulement par un détroit resserré, fut actuellement à la portée immédiate non seulement des bâtiments maraudeurs de Philippe, mais encore de ses intrigues politiques.

Ce fut ainsi que la guerre contre Philippe tourna de plus en plus à la honte et au désavantage des Athéniens (351 av. J.-C.). Bien qu’ils l’eussent commencée dans l’espoir de le punir de sa duplicité en s’appropriant Amphipolis, c’étaient eus qui avaient perdu par la prise de Pydna, de Potidæa, de Methônê, etc., et ils étaient actuellement réduits à la défensive, sans sécurité pour leurs alliés maritimes, leur commerce, leurs côtes[68]. La nouvelle de ces pertes et des insultes diverses endurées sur mer, en dépit d’une supériorité maritime incontestable, provoqua à Athènes des plaintes acrimonieuses contre les généraux de l’État et des explosions exagérées de haine contre Philippe[69]. Ce prince, après avoir passé quelques mois en Thessalia après son échec aux Thermopylæ, et avoir si bien établi son ascendant sur ce pays qu’il put confier à ses officiers l’achèvement de cette tâche, pénétra en Thrace avec son activité caractéristique. Il prit part aux disputes qui divisaient divers princes indigènes, il en chassa quelques-uns, en confirma ou installa d’autres, et étendit sa propre domination aux dépens de tous[70]. Au nombre de ces princes étaient probablement Kersobleptês et Amadokos, car Philippe porta ses agressions jusqu’au voisinage immédiat de la Chersonèse de Thrace.

En novembre 352 avant J.-C. parvint à Athènes la nouvelle qu’il était en Thrace occupé à assiéger Heræon Teichos, place si voisine de la Chersonèse[71], que les possessions et les colons d’Athènes dans cette péninsule furent menacés d’un danger considérable. Cette nouvelle causa tant d’alarme et d’émotion, que l’assemblée publique rendit sur-le-champ un vote à l’effet d’équiper une flotte de quarante trirèmes, — de la garnir de citoyens athéniens, toutes les personnes jusqu’à l’âge de quarante-cinq ans étant assujetties à servir dans l’expédition, — et de lever soixante talents par une taxe foncière directe. D’abord on prit d’actives mesures pour accélérer l’armement. Mais avant que les difficultés de détail pussent être surmontées, — avant qu’on pût déterminer, au milieu de l’aversion générale pour un service personnel, quels citoyens partiraient, et comment le fardeau de la triérarchie serait distribué, — il arriva de Chersonèse d’autres messagers annonçant d’abord que Philippe était tombé malade, ensuite qu’il était réellement mort[72]. Le rapport mentionné en dernier lieu se trouva faux ; mais la maladie de Philippe était un fait réel, et semble avoir été assez sérieuse pour causer une suspension temporaire de ses opérations militaires. Bien que l’occasion n’en devint ainsi que d’autant plus favorable pour attaquer Philippe, cependant les Athéniens, n’étant plus stimulés par la crainte d’un Nouveau danger immédiat, retombèrent dans leur première langueur, et renoncèrent à leur armement projeté ou l’ajournèrent. Après avoir passé tout l’été suivant dans l’inaction, ils purent seulement être déterminés, dans le mois de septembre 351, à envoyer en Thrace une faible armée sous le chef mercenaire Charidêmos ; dix trirèmes sans soldats à bord et avec une somme ne dépassant pas dix talents en espèces[73].

A ce moment, Charidêmos était à l’apogée de sa popularité. On supposait qu’il pouvait lever et entretenir une bande de mercenaires par son savoir-faire et par sa valeur. Ses amis affirmaient avec confiance devant l’assemblée athénienne qu’il était le seul homme capable de renverser Philippe et de conquérir Amphipolis[74]. Un de ces partisans, Aristokratês, alla même jusqu’à proposer qu’on rendit un vote qui assurerait l’inviolabilité de sa personne, et porterait que quiconque le tuerait serait arrêté partout où il serait trouvé dans le territoire d’Athènes ou de ses alliés. Cette proposition fut attaquée judiciairement par un accusateur nommé Eutyklês, qui emprunta un mémorable discours à la plume de Démosthène.

Ce fut ainsi que la maladie réelle et la prétendue mort de Philippe, qui auraient dit agir comme stimulant sur les Athéniens en exposant à leurs coups leur ennemi dans un moment de faiblesse particulière, furent plutôt un narcotique qui exagéra leur léthargie chronique et .les abusa au point de leur faire croire que de nouveaux efforts, étaient inutiles. Cette opinion parait avoir été proclamée par les orateurs principaux, très connus et âgés, qui donnaient le ton à l’assemblée publique, et sur lesquels on comptait particulièrement pour avoir des avis. Ces hommes, — ayant probablement à leur tête Euboulos et Phokiôn, si constamment nommé général, — ou ne sentirent pas on bien ne purent se déterminer à proclamer la pénible nécessité d’un service militaire personnel et d’une augmentation des taxes. Bien qu’il y eût des débats répétés sur les insultes faites à Athènes dans sa dignité maritime, et sur les souffrances de ces alliés auxquels elle devait protection, — combinés avec des accusations contre les généraux et avec des plaintes au sujet de l’impuissance de ces étrangers mercenaires qu’Athènes prenait à son service, mais ne payait jamais, — les conseillers publics reconnus reculaient encore devant un appel au patriotisme endormi ou à la patience personnelle des citoyens. Le devoir sérieux, mais indispensable, qu’ils négligèrent alors, fut rempli pour eux par un compétiteur plus jeune, bien inférieur à eux en position et en influence établies, — Démosthène, âgé alors de trente ans environ, — dans une harangue connue sous le nom de Première Philippique.

Nous avons déjà eu sous les yeux cet homme ambitieux comme conseiller public de l’assemblée. Dans sa première ha cangue parlementaire prononcée deux années auparavant[75], il avait commencée inculquer à ses compatriotes la leçon générale de l’énergie et de la confiance en soi même, et a leur rappeler ce que le bien-être, l’activité et les raffinements pacifiques de la vie athénienne avaient une tendance constante à éloigner de ;leurs yeux — à savoir que la cité, comme ensemble, ne pouvait défendre sa sécurité et sa dignité contre des ennemis, à moins :que chaque citoyen individuellement, outre ses devoirs à l’intérieur, ne fût prêt à prendre sa part équitable, avec empressement et sans détour, aux maux et aux dépenses d’un service personnel an dehors[76]. Mais il n’avait été appelé alors à s’occuper (dans son discours De Symmoriis) que de l’éventualité d’hostilités persanes, — possibles, il est vrai, cependant ni prochaines, ni déclarées ; il renouvelle actuellement la même exhortation dans des exigences plus pressantes (printemps de 35l avant J.-C.). Il a à protéger des intérêts déjà souffrants et à repousser des insultes déshonorantes, devenant de mois en mois plus fréquentes ; de la part d’un infatigable ennemi. Des assemblées Successives ont été occupées des plaintes des victimes, au milieu d’un sentiment de chagrin et d’impuissance inaccoutumé parmi le public, — sans toutefois aucun soulagement réel donné par les orateurs principaux et jouissant d’un crédit établi, qui se contentent de se déchaîner contre la négligence des mercenaires, — qu’Athènes prend a son service et ne paye jamais, — et de menacer d’accuser les généraux. L’assemblée, fatiguée de la répétition d’arguments qui ne promettent pas d’amélioration pour l’avenir, est convoquée, probablement pour entendre quelque nouvel exemple de dommage commissariat les croiseurs macédoniens, quand Démosthène, passant par-dessus les formalités ordinaires de priorité, se lève le premier pour lui parler.

Jadis il avait été d’usage à Athènes que le héraut de mandât en forme, quand s’ouvrait une assemblée publique : — Quel est celui des citoyens au-dessus de cinquante ans qui désire parler ? et, après eux, quel autre citoyen à son tour ?[77] Bien que cette ancienne proclamation fût tombée en désuétude, l’habitude subsistait encore, que des orateurs d’un âge avancé et d’expérience se levassent les premiers après que les débats avaient été ouverts par les magistrats qui présidaient. Mais les relations d’Athènes avec Philippe avaient été si souvent discutées, que tous ces hommes avaient déjà exprimé leurs sentiments et épuisé leurs recommandations. Si leurs recommandations avaient été bonnes, vous n’auriez pas besoin maintenant de débattre de nouveau le même sujet[78], dit Démosthène, afin de s’excuser de s’avancer avant son tour pour exposer ses propres vues.

En effet, ses vues étaient si neuves, si indépendantes de sympathies ou d’antipathies de parti ; elles présentaient avec tant de franchise des commentaires sur le passé et des demandes pour l’avenir, — qu’elles auraient difficilement été proposées par un autre que par un orateur animé de l’idéal de l’ancien temps de Periklês, que sols étude de Thucydide lui avait rendu familier. Dans un langage explicite, Démosthène jette le blâme des malheurs publics non seulement sur les anciens conseillers et généraux du peuple, mais encore sur le peuple lui-même[79]. C’est de ce fait proclamé qu’il part, comme étant son principal motif d’espoir pour une amélioration future. Athènes a lutté jadis avec honneur contre les Lacédæmoniens, et aujourd’hui encore elle échangera la honte contre la victoire dans sa guerre contre Philippe, si ses citoyens individuellement veulent secouer leur inertie et leur négligence passées, chacun d’eux devenant désormais prêt à se charger de toute sa part de devoir personnel dans la cause commune. Athènes avait subi assez et trop d’humiliations qui lui donnaient cette leçon. Elle pouvait la recevoir encore de l’exemple de son ennemi, de Philippe lui-même, qui s’était élevé de faibles commencements, et accumulait sur elle les pertes aussi bien que la honte, grâce surtout à son énergie, à sa persévérance et à son habileté personnelles ; taudis que lés citoyens athéniens avaient été jusque-là si lents comme individus, et si peu préparés comme public ; que même si un heureux retour de fortune venait à leur rendre Amphipolis, ils ne seraient pas en état de la saisir[80]. S’il était vrai, comme le bruit en court, que ce Philippe fût mort, ils se feraient bientôt un autre Philippe non moins incommode.

Après avoir ainsi commenté sévèrement l’apathie passée des citoyens, et insisté sur un changement de dispositions comme indispensable, Démosthène en arrive à spécifier les actes particuliers par lesquels un pareil changement devrait se manifester. Il les supplie de ne pas être effrayés de la nouveauté de son plan, mais de l’écouter patiemment jusqu’à la fin. C’est le résultat de ses propres méditations : d’autres citoyens peuvent en avoir un meilleur à proposer ; dans ce cas, on ne le verra pas se mettre sur leur chemin. On ne peut remédier à ce qui est passé, et un discours improvisé n’est pas le meilleur moyen de fournir des remèdes pour un avenir difficile[81].

Son premier conseil est qu’une flotte de cinquante trirèmes soit immédiatement mise en état ; que les citoyens prennent la ferme résolution de servir en personne à bord, toutes les fois que l’occasion pourra l’exiger, et que des trirèmes et d’autres navires soient spécialement équipés pour une moitié des cavaliers de la cité, qui serviront aussi personnellement. Ces forces doivent être tenues prêtes à partir en un instant, et à rencontrer Philippe dans une de ses marches soudaines au dehors, — vers la Chersonèse, vers les Thermopylæ, vers Olynthos, etc.[82]

Son second conseil est qu’une autre armée permanente soit mise sur pied immédiatement pour prendre l’agressive et faire à Philippe une guerre active et continue, en le harcelant sur divers points de son propre pays. Deux mille fantassins et deux cents chevaux suffiront ; mais il est essentiel qu’un quart, — cinq cents des premiers et cinquante des derniers, -soit composé de citoyens d’Athènes. Le reste doit être formé de mercenaires étrangers ; on doit aussi avoir dix trirèmes de guerre fines voilières pour protéger les transports contre les forces navales de Philippe. Les citoyens devront servir par relais, se relevant l’un l’autre, chacun pour un temps fixé à l’avance, aucun toutefois pendant longtemps[83]. L’orateur arrive ensuite à calculer les frais de cette armée permanente pour une année. Il assigne à chaque marin et à chaque fantassin dix drachmes par mois, ou deux oboles par jour ; à chaque cavalier, trente drachmes par mois, ou une drachme (six oboles) par jour. Il n’y a pas de différence faite entre le citoyen athénien et l’étranger, La somme assignée ici n’est pas la solde complète, mais simplement les frais de subsistance de chaque homme. En même temps, Démosthène garantit que, si c’est là ce que l’État doit fournir, le reste d’une solde entière (ou une fois autant) sera complété par ce que les soldats acquerront eux-mêmes dans la guerre ; et cela encore, sans dommage causé aux Grecs alliés ou neutres. La dépense annuelle totale faite ainsi sera de quatre-vingt-douze talents (= environ cinq cent cinquante mille francs). Il ne donne aucune estimation des frais probables de son autre armement de cinquante trirèmes, qui doivent être équipées et tenues prêtes en un instant pour des éventualités, mais non pas envoyées en service permanent.

Sa tâche est ensuite de pourvoir aux moyens de faire face à cette dépense additionnelle de quatre-vingt-douze talents. Ici il produit et lit à l’assemblée un plan financier spécial, couché par écrit. Ne faisant réellement pas partie du discours, ce plan, par malheur, a été perdu, et son contenu nous aiderait considérablement à apprécier les vues de Démosthène[84]. Il doit avoir été plus ou moins compliqué dans ses détails, et non une simple proposition d’une eisphora ou taxe foncière qui aurait été annoncée dans une phrase du discours de l’orateur.

Admettant qu’on ait pourvu à l’argent, aux vaisseau : et à l’armement pour un service permanent, Démosthène propose qu’on porte une loi formelle, qui rende ce service permanent de rigueur, le général chargé du commandement étant regardé comme responsable de l’emploi réel des forces[85]. Les îles, les alliés maritimes et le commerce de la mer Ægée acquerraient ainsi de la sécurité ; tandis que les profits que procurent à Philippe ses captures sur mer seraient arrêtés[86]. Les quartiers de cet armement pourraient être établis, pendant l’hiver ou le mauvais temps, à Skiathos, à Thasos, à Lemnos ou dans d’autres îles contiguës, d’oie il pourrait agir en tout temps contre Philippe sur sa propre côte ; tandis qu’il était difficile de s’y rendre d’Athènes soit pendant la durée des vents étésiens, soit pendant l’hiver, — saisons habituellement choisies par Philippe pour ses agressions[87].

Les ressources collectives d’Athènes (disait Démosthène) en hommes, en argent, en vaisseaux, en hoplites ; en cavaliers, étaient plus grandes que celles qu’on pouvait trouver partout ailleurs. Mais jusque-là elles n’avaient pas été employées convenablement. Les Athéniens, en maladroits pugilistes, attendaient que Philippe frappât, et alors ils élevaient les mains pour suivre son coup. Jamais ils ne cherchaient à le regarder en face, — ni à être prêts à l’avance avec un bon système défensif, — ni à le prévenir dans des opérations offensives[88]. Tandis que leurs fêtes religieuses, Panathénaïques, Dionysiaques et autres, étaient non seulement célébrées avec une splendeur dispendieuse, mais encore arrangées à l’avance avec les soins les plus attentifs, de manière qu’il ne manquât jamais rien dans le détail au moment de l’exécution, — leurs forces militaires restaient sans organisation ni système prédéterminé. Toutes les fois qu’on annonçait un nouvel empiétement de Philippe, rien ne se trouvait prêt pour y faire face ; il fallait voter, modifier et mettre à exécution de nouveaux décrets pour chaque occasion spéciale ; on perdait en préparatifs le temps propre pour l’action, et, avant qu’on pût embarquer une armée, le moment de l’exécution était passé[89]. Cette habitude d’attendre que Philippe prit l’offensive, et d’envoyer alors du secours au point attaqué, était ruineuse ; la guerre devait être faite par une armée permanente mise à l’avance en mouvement[90].

Préparer et payer une pareille armée permanente, c’est un des points importants du projet de Démosthène ; l’absolue nécessité qu’elle se compose de citoyens, du moins dans une proportion considérable, en est un autre. Il revient sans cesse sur ce dernier point, en répétant que les mercenaires étrangers, — envoyés au dehors pour trouver leur solde où et comme ils pourraient, et non accompagnés de citoyens athéniens, — étaient tout au plus inutiles et indignes de confiance. Ils faisaient plus de mal aux amis et aux, alliés, qui étaient terrifiés a la nouvelle même de leur approche, — qu’à l’ennemi[91]. Le général, manquant de fonds pour les payer, était forcé de les suivre partout où ils voulaient aller, sans tenir compte des ordres qu’il avait reçus de la cité. Le mettre ensuite en jugement, pour ce qu’il ne pouvait empêcher, était une honte sans profit. Mais si les troupes étaient régulièrement payées ; si, en outre, elles se composaient dans une grande proportion de citoyens athéniens, intéressés eux-mêmes au succès, et inspectant tout ce qui se faisait, alors on trouverait le général disposé et apte à attaquer l’ennemi avec vigueur, — et on pourrait le soumettre à rendre un compte rigoureux de sa conduite, s’il ne le faisait pas. Tel était le seul moyen par lequel les athéniens pourraient combattre heureusement la force formidable et toujours grandissante de leur ennemi Philippe. Dans l’état actuel, l’impuissance des opérations athéniennes était si ridicule, que l’on pouvait être tenté de se demander si Athènes agissait sérieusement. Ses principaux officiers militaires, — ses dix généraux, ses dix taxiarques, ses dix phylarques et ses deux hipparques, choisis annuellement, — n’étaient occupés que des affaires de la cité et des brillantes processions religieuses. Ils laissaient l’occupation réelle de la guerre à un général étranger nommé. Menelaos[92]. Un pareil système était honteux. L’honneur d’Athènes devait être défendu par ses propres citoyens, tant comme généraux que comme soldats.

Tels sont les principaux traits du discours appelé la Première Philippique ; la première harangue publique adressée par Démosthène à l’assemblée athénienne, par rapport à la guerre avec Philippe. Ce n’est pas seulement un magnifique morceau d’éloquence, plein d’expression et de force dans son appel aux émotions ; amenant l’auditoire par bien des voies différentes à la conviction principale que l’orateur cherche à produire ; animé profondément d’un véritable patriotisme panhellénique, et de la dignité de ce monde grec actuellement menacé par un monarque du dehors. Il a encore d’autres mérites, non moins importants en eux-mêmes, et qui rentrent plus immédiatement dans le domaine de l’historien. Nous voyons Démosthène, — bien qu’âgé de trente ans seulement, — jeune dans la vie politique, — et treize ans avant la bataille de Chæroneia, — mesurer exactement les relations politiques entre Athènes et Philippe ; examiner ces relations dans le passé ; en signalant comment elles étaient devenues chaque année plus défavorables, et en prédisant les éventualités dangereuses de l’avenir, si l’on ne prend de meilleures précautions ; exposer avec une courageuse franchise non seulement la mauvaise administration passée des hommes publics, mais encore les dispositions défectueuses du peuple lui-même, où cette administration avait sa racine ; en dernier lieu, après avoir découvert le vice, oser sous sa propre responsabilité proposer les moyens propres à y remédier, et conseiller instamment à ses concitoyens, malgré leur répugnance, la pénible obligation des peines personnelles aussi bien que d’une taxation. Nous le verrons insister sur la même obligation, fastidieuse également pour les principaux hommes politiques et pour le peuple[93], d’un bout à l’autre des Olynthiennes et des Philippiques. Nous remarquons ses avertissements, donnés de si bonne heure, alors qu’un avis opportun suggéré pour prévenir le mal eût été aisément praticable ; et sa supériorité sur des politiques plus âgés tels qu’Euboulos et Phokiôn, sous le rapport de l’appréciation prudente, de la prévoyance et du courage à exprimer des vérités désagréables. Plus de vingt ans après cette époque, quand Athènes avait perdu la partie et était dans sa phase d’humiliation, Démosthène — en repoussant les accusations de ceux qui imputaient à son mauvais conseil les malheurs de la république — mesure jusqu’à duel point réel un homme d’État est à proprement parler responsable. De tous ses devoirs, le premier est de voir les  événements à leur naissance,de discerner les tendances à l’avance, et de les déclarer à l’avance aux autres,de diminuer autant que possible les difficultés, les obstacles, les jalousies, et les mouvements lents, inséparables de la marche d’une cité libre, et d’inspirer aux citoyens des sentiments d’amitié et d’harmonie, et du zèle pour l’accomplissement de leurs devoirs[94]. La première Philippique seule suffit pour prouver combien Démosthène a droit de réclamer le mérite d’avoir vu les événements à leur naissance, et donné à temps des avertissements à ses compatriotes. Elle servira aussi à montrer, avec d’autres preuves que l’on verra ci-après, qu’il n’était pas moins honnête que judicieux dans ses tentatives pour remplir le reste des devoirs de l’homme d’État, qui consiste à inspirer à ses compatriotes un dessein unanime et résolu ; au degré nécessaire non seulement pour parler et voter, mais pour agir contre l’ennemi public, et pour souffrir en lui résistant.

Nous ne connaissons ni la marche réelle, ni le vote final de ce débat, dans lequel Démosthène prit une part si saillante et d’une manière si inattendue. Mais nous savons que ni l’une ni l’autre des deux mesures positives qu’il recommande ne fut suivie d’effet (351 av. J.-C.). On n’envoya pas l’armement actif, et l’on ne prépara jamais l’armée à l’intérieur, destinée à être tenue en réserve pour un mouvement instantané en cas de besoin. Ce ne fut pas avant le mois suivant de septembre — le discours étant prononcé à quelque moment dans la première moitié de 351 av. J.-C. —, que des forces furent réellement envoyées contre Philippe ; et même alors on ne fit rien de plus que d’expédier le chef mercenaire Charidêmos en Chersonèse, avec dix trirèmes et cinq talents en espèces, mais sans soldats[95]. Et il n’est pas probable que Démosthène ait même obtenu un vote favorable de l’assemblée ; bien que des votes énergiques contre Philippe fussent souvent rendus sans jamais être lais à exécution dans la suite[96].

Démosthène trouva sans douté de l’opposition de la part de ces hommes d’État plus âgés dont le devoir eut été de s’avancer eux-mêmes avec les mêmes propositions, en soutenant que la nécessité était, incontestable. Mais sur quel motif se fonda-t-on pour s’opposer à lui, c’est ce que nous ignorons. Il existait à cette époque à Athènes un certain parti ou section qui n’estimait pas Philippe à sa valeur et ne le regardait pas comme un ennemi formidable, — beaucoup moins formidable que le roi de Perse[97]. Les rapports au sujet des forces et des préparatifs des Perses, qui dominaient deus ans auparavant, alors que Démosthène prononça son discours sur les Symmories, semblent avoir continué encore, et peuvent expliquer en partie l’inaction contre Philippe. Ces rapports durent être grossis ou fabriqués par un autre parti athénien beaucoup plus dangereux, en communication avec Philippe lui-même, et probablement à sa solde. C’est à ce parti que Démosthène fait sa première allusion dans la première Philippique[98], et il y revient plus tard en maintes occasions. Nous pouvons bien être surs qu’il y avait des citoyens athéniens qui servaient comme agents secrets de Philippe, bien que nous ne puissions assigner leurs noms. Il n’était pas moins dans son intérêt d’acheter de pareils auxiliaires, que d’employer des espions payés dans ses opérations de guerre[99] ; tandis que les antipathies politiques qui régnaient à Athènes, jointes au relâchement de la moralité publique dans les individus, durent lui rendre entièrement praticable l’acquisition d’instruments appropriés. Que non seulement à Athènes, mais encore à Amphipolis, à Potidæa, à Olynthos et ailleurs, Philippe obtînt ses succès, en partie en achetant des partisans gagnés parmi les chefs de ses ennemis, — c’est une assertion si probable intrinsèquement, que nous pouvons la croire sans peine, bien qu’elle soit avancée surtout par des témoins hostiles. Une pareille corruption seule, il est vrai, n’aurait pas suffi ; mais elle fut éminemment utile, combinée avec des forces bien employées et avec son génie militaire.

 

 

 



[1] Isocrate, Orat. V (Philipp.), s. 112

Au sujet des récompenses libérales accordées, par Cyrus aux généraux Klearchos, Proxenos et antres, pour réunir l’armée, ainsi qu’aux soldats eux-mêmes, V. Xénophon, Anabase, I, 1, 9 ; I, 3, 4 ; III, 1, 4 ; VI, 8, 48.

[2] Voir la mention des Grecs mercenaires au service de Mania chargée d’une satrapie en Æolis, — des satrapes Tissaphernês et Pharnabazos, et du Spartiate Agésilas, — d’Iphikratês et d’autres, Xénophon, Hellenica, III, 1, 13 ; III, 3, 15 ; IV, 2, 5 ; IV, 3, 15 ; IV, 4, 14 ; IV, 8, 35 ; VII, 5, 10.

Cf. Harpocration, — Ξενικόν έν Κορίνθω, — et Démosthène, Philippiques, I, p. 46.

[3] Xénophon, Hellenica, VI, 1, 5.

[4] Isocrate articule cette plainte dans plus d’un endroit : dans le discours quatrième ou Panégyrique (380 av. J.-C.) ; dans le huitième ou discours De Pace (356 av. J.-C.) ; dans le cinquième ou discours Ad Philippum, 346 av. J.-C.). Le dernier de ces discours est exprimé dans le langage le plus fort. V. Orat. Panegyr., s. 195. Voir aussi Orat. de Pace (VIII), s. 53, 56, 58 ; Orat. ad Philippiques, (V) s. 112, et s. 142, 149 ; Orat. de Permutat. (XV) s. 122. Un triste tableau des mêmes maux est présenté également dans la neuvième Epître d’Isocrate à Archidamos, s. 9, 12. Cf. Démosthène, cont. Aristokratês, p. 665, s. 162.

Pour un exemple d’un amant désappointé qui cherche de la distraction en s’engageant dans un service militaire étranger, voir Théocrite, XIV, 58.

[5] Isocrate, ad Philippiques, (V) s. 142-144.

[6] Thucydide, II, 41 (l’oraison funèbre de Periklês).

[7] La remarquable organisation de l’armée macédonienne, avec sa combinaison systématique d’armes et d’espèces de troupes différentes, — fut l’œuvre de Philippe. Alexandre la trouva toute prête à servir, dans les premiers mois mêmes de son règne. Elle a dû sans doute être formée graduellement, et améliorée d’année en année par Philippe ; et nous serions content de pouvoir suivre les phases de ses progrès. Mais, par malheur, on nous laisse sans information au sujet des mesures militaires de Philippe, au delà des faits et des résultats nus. En conséquence, je suis, obligé d’ajourner ce qu’il y a à dire au sujet de l’organisation militaire macédonienne jusqu’au règne d’Alexandre, sur les opérations duquel nous avons de précieux détails.

[8] Hérodote, VIII, 137

[9] Cet état de pauvreté de la population macédonienne à l’avènement de Philippe est présenté dans le discours frappant adressé trente-six ans plus tard par Alexandre le Grand (en 323 av. J.-C., peu de mois avant sa mort) à ses soldats, rassasiés de conquêtes et de pillage, mais mécontents des progrès de son insolence et de son goût pour l’Orient. Arrien, Exp. Alex., VII, 9.

D’autres points sont ajoutés dans la version que donne Quinte-Curce du même discours (X, 2) : — Voilà que ces Macédoniens, naguère tributaires des Illyriens et des Perses, dédaignent aujourd'hui l'Asie et les dépouilles de tant de nations ! Tout à l'heure à demi nus sous Philippe, ils regardent en mépris des manteaux de pourpre; leurs yeux ne peuvent souffrir l'or et l'argent: sans doute ils regrettent leur vaisselle de bois, leurs boucliers d'osier, et la rouille de leurs épées !

[10] Thucydide (II, 100) reconnaît la bonté de la cavalerie macédonienne ; de même aussi Xénophon, dans l’expédition spartiate contre Olynthos (Hellenica, V, 2, 40).

Que l’infanterie eût peu d’efficacité militaire, c’est ce que nous apprend le jugement de Brasidas, Thucydide, IV, 126 — cf. aussi II, 100. — Voir un court opuscule de O. Müller sur les Macédoniens, annexé à son Histoire des Doriens, s. 33.

[11] Aristote, Politique, VII, 2, 6.

[12] Hérodote, VII, 102. — Au sujet des Perses, Hérodote, I, 71 ; Arrien, V, 4, 13.

[13] Le discours De Symmoriis est placé par Denys d’Halicarnasse dans l’archontat de Diotimos, 354-353 av. J.-C. (ad Ammæum, p. 724). Et il est évidemment composé avant l’expédition envoyée par les Thêbains sous Pammenês pour assister le rebelle Artabazos contre le Grand Roi, expédition qui est placée par Diodore (XVI, 34) dans l’année suivante 353-352 av. J.-C. Quiconque examinera la manière dont Démosthène raisonne, dans le discours De Symmoriis (p. 187, s. 40-42), quant aux relations des Thêbains avec la Perse, — verra qu’il n’a pu rien savoir du secours donné par les Thêbains à Artabazos contre la Perse.

[14] Diodore, XVI, 21.

[15] Démosthène, cont. Timokratem, s. 15 : voir aussi le second argument mis en tête de ce discours.

[16] Voir Epistola Philippiques, ap. Démosthène, p. 160, s. 6.

[17] Démosthène, De Symmoriis, p. 179, s. 7.

[18] Démosthène, De Symmoriis, p. 181, s. 14.

[19] Démosthène, De Symmoriis, p. 188, s. 42-46.

[20] Démosthène, De Symmoriis, p. 181, s. 17.

[21] Démosthène, De Symmoriis, p. 182, c. 18.

[22] Thucydide, II, 39, 40.

[23] Aristophane, Equites, 750.

[24] Démosthène, Orat. pro Megalopolitanis, p. 203, s. 5, p. 210, s. 36. Cf. Démosthène, Cont. Aristokratês, p. 654, s. 120.

[25] Démosthène, pro Megalopolit., p. 206, s. 18 ; cf. Xénophon, Hellenica, VII, 2, 1-5.

[26] Démosthène, pro Megalopolit., p. 202, s. 1.

[27] Démosthène, pro Megalopolit., p.203, s. 5, 6. Cf. un sentiment semblable, Démosthène, cont. Aristokratês, p. 654, s. 120.

[28] Démosthène, pro Megalop., p. 203, s. 7, 9, p. 207, s. 22.

[29] Démosthène, Cont. Leptinem, p. 489, s. 172 (prononcé en 355 av. J.-C.) ; et Olynthiennes, I, p. 16, s. 27.

[30] Démosthène, pro Megalop., p. 207, s. 24.

[31] Diodore, XVI, 14 ; Démosthène, De Coronâ, p. 241, s. 60. Harpocration, V. Σίμος.

[32] Isocrate, Or. VIII (De Pace), s. 143, 144.

[33] Diodore, XVI, 35.

[34] Diodore, XVI, 35.

[35] Ce fait est mentionné par Justin (VIII, 2), et il semble qu’il est vrai à cause de la rigueur avec laquelle Philippe, après sa victoire, traita les prisonniers phokiens. Mais il ne semble pas en être ainsi de ce que dit encore Justin : — à savoir que les Phokiens, en apercevant les insignes du dieu, jetèrent leurs armes et s’enfuirent sans faire de résistance.

[36] Diodore, XVI, 55 ; Pausanias, X, 2, 3 ; Philon le Juif, ap. Eusèbe, Præp. Evang., VIII, p. 392. Diodore dit que Charês, avec la flotte athénienne, passait accidentellement. Mais ce semble extrêmement improbable. On ne peut s’empêcher de supposer qu’il était destiné à coopérer avec les Phokiens.

[37] Diodore, XVI, 37.

[38] Démosthène, Philippiques, I, p. 50, s. 40. Démosthène, Olynthiennes, I, p. 11, s. 9.

La première Philippique fut prononcée en 352-351 avant J.-C. ; ce qui prouve que la prise de Pagasæ par Philippe ne peut avoir été postérieure à cette année-là. Elle ne peut pas non plus avoir précédé la prise de Pheræ par ce prince, — comme je l’ai fait remarquer plus haut par rapport au passage de Diodore (XVI, 31), où elle semble placée en 354-353 avant J.-C., si l’on doit prendre Ηαγάς pour Ηαγασάς.

Je crois que la première campagne de Philippe en Thessalia contre les Phokiens, où il fut battu et chassé par Onomarchos, peut être placée dans l’été de 353 avant J.-C. La seconde entrée en Thessalia, avec la défaite et la mort d’Onomarchos, appartient au commencement du printemps de 352 avant J.-C. La prise de Pheræ et de Pagasæ vient immédiatement après ; ensuite l’expédition de Philippe aux Thermopylæ, où ses progrès furent arrêtés par les Athéniens, tombe vers le solstice d’été de 352 av. J.-C.

[39] Démosthène, De Pace, p. 62, s. 23 ; Philippiques, II, p. 71, s. 24 ; De Fals. Legat., p. 448, s. 365.

[40] Démosthène, De Fals. Leg., p. 367, s. 94, p. 446, s. 375.

[41] Diodore, XVI, 37, 88.

[42] Démosthène, Philippiques, I, p. 44, s. 20 ; De Coronâ, p. 236, s. 40 ; De Fals. Leg., p. 444, s. 366.

[43] Démosthène, De Fals. Leg., p. 367, s. 95.

[44] Thucydide, VI, 31.

[45] Justin, VII, 2. Ses exagérations de rhéteur ne doivent pas nous faire rejeter l’expression de cette opinion contre Athènes, comme un fait réel.

[46] Démosthène (Fals. Leg., p. 443) affirme qu’aucun autre État qu’Athènes n’assista ni ne délivra les Phokiens dans cette circonstance critique. Mais Diodore (XVI, 37) mentionne des secours envoyés également par les autres alliés ; et il ne semble pas qu’il y ait de raison pour ne pas le croire. Toutefois, la vanterie de Démosthène, qui affirme que les Athéniens seuls sauvèrent les Phokiens, n’est pas inexacte quant au l’ait principal, bien qu’elle soit exagérée dans l’expression. Car les Athéniens, commandant des forces navales, et en cette rare occasion rapides dans leurs mouvements, atteignirent les Thermopylæ à temps pour arrêter la marche de Philippe et avant que les troupes péloponnésiennes pussent arriver. L’expédition athénienne aux Thermopylæ semble avoir été fuite vers mai 352 avant J.-C., — autant que nous pouvons établir la chronologie de l’époque.

[47] On peut lire l’exposé de ces offrandes faites par Crésus dans Hérodote (I, 50, 51), qui les vit à Delphes. Quant au poids et au nombre exacts, il y a quelque différence entre lui et Diodore ; de plus, le texte d’Hérodote lui-même n’est pas exempt d’obscurité.

[48] Théopompe, Fragm. 182, 183 ; Phylarque, Fragm. 60, éd. Didot ; Anaximène et Éphore, ap. Athenæum, VI, p. 231, 232. Les jeux Pythiens auxquels il est fait allusion ici doivent avoir été ceux qui furent célébrés en août ou en septembre 350 av. J.-C. Il semblerait donc que Phayllos aurait survécu à cette période.

[49] Diodore, XVI, 56, 67. L’histoire ajoutée au sujet d’Iphikratês et des vaisseaux de Denys de Syracuse, — histoire qui, en tout cas, arrive tout à fait en dehors de sa place chronologique, — ne me parait pas digne de foi, de la manière dont Diodore la donne ici. L’escadre de Denys, qu’Iphikratês captura sur la côte de Korkyra, venait au secours et à la requête des Lacédæmoniens, alors en guerre avec Athènes (Xénophon, Hellenica, VI, 2, 33). C’était donc une prise légitime pour un général athénien, avec tout ce qui était à bord. Si, au milieu de la cargaison, il y avait par hasard des présents destinés à Olympia et à Delphes, ces présents, comme étant sur des vaisseaux de guerre, devaient suivre le sort des autres personnes et objets qui s’y trouvaient. Ils ne devaient pas être considérés comme la propriété du dieu avant d’avoir été réellement placés dans son temple. Et la personne qui les envoyait n’était pas autorisée à invoquer le privilège d’une cargaison consacrée, à moins de les avoir séparés de tout accompagnement hostile. La lettre de plaintes adressée aux Athéniens, que Diodore donne comme ayant été envoyée par Denys, ne me parait ni authentique, ni même plausible.

[50] Timée, Fragm. 67, éd. Didot ; ap. Athenæum, VI, p. 264-272.

[51] Diodore, VI, 57. Cf. Démosthène, Fals. Legat., p. 367.

[52] Diodore, XVI, 37, 38.

[53] Diodore, XVI, 52.

[54] Diodore, XVI, 34.

[55] Diodore, XVI, 39.

[56] Diodore, XVI, 38.

[57] Diodore, XVI, 38, 39.

[58] Diodore, XVI, 40. (351-350 avant J.-C., — suivant la chronologie de Diodore).

[59] Isocrate, Orat. V (ad Philipp.), s. 61.

[60] Démosthène, Philippiques, I, p. 46, s. 26 (353-351 av. J.-C.). —Cf. Philippiques, III, p. 124, s. 62.

[61] Démosthène, Olynthiennes, II, p. 23,           s. 17, prononcée en 350 av. J.-C.

[62] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 657, s. 133 (352-351 avant J.-C.) ; et Démosthène, Olynthiennes, I, p. 15, s. 23 (349 av. J.-C.).

[63] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 657, s. 131-133 (352-351 av. J-C.) : cf. Isocrate, Orat. V (ad Philipp.), s. 5.

[64] Xénophon, Hellenica, V, 4, 56, Hermippus, ap. Athenæ, I, p. 27. Au sujet du commerce lucratif dans le golfe par rapport à Demetrias et à Thebœ Phthiotidês, voir Tite-Live, XXXIX, 25.

[65] Démosthène, cont. Polykl., p. 1207 ; De Coronâ Trierarchicâ, p. 1230 ; Diodore, XV, 95 ; Xénophon, Hellenica, VI, s. 11.

[66] Démosthène, Olynthiennes, I, p. 15, s. 23. Dans Olynthiennes, II, p. 21, s. 11, je crois que la dernière expression présente le fait avec une précision plus rigoureuse ; les Thessaliens rendirent un vote à l’effet de faire des remontrances à Philippe ; il n’est pas probable qu’ils l’empêchassent réellement. Et si plus tard il leur donna la Magnêsia, comme il nous est dit dans un discours postérieur prononcé en 344 avant J.-C. (Philippiques, II, p. 71, s. 24), il la donna probablement en se réservant les postes fortifiés ; — puisque nous savons que son ascendant sur la Thessalia non seulement- ne s’était pas relâché, mais’ était devenu plus violent et exerçait une plus grande compression.

L’importance que ces rois macédoniens continuèrent l’attacher, à partir de ce moment, à la Magnêsia et à l’enfoncement du golfe Pagasæen, est démontrée par la fondation de la cité de Demetrias dans, cette importante position par Demetrias Poljorkêtês, environ soixante ans après. Demetrias, Chalkis et Corinthe en vinrent à être considérées comme les positions les plus dominantes en Grèce.

Cette belle baie, avec le fertile territoire situé sur ses rivages au pied dix mont Peliôn, est bien décrite par le colonel Leake, Travels in Northern Greece, vol. IV, eh 41, p. 373 sqq. Je doute qu’Ulpien (ad Démosthène, Olynthiennes, I, p. 24) ou le colonel Leake (p. 381) soit autorisé à supposer qu’il y avait une ville appelée Magnêsia sur les rivages du golfe. Strabon ni Skylax n’en mentionnent aucune, et je crois que les passages de Démosthène cités plus haut veulent dire Magnêsia la région habitée par les Magnêtes, comme dans Démosthène, cont. Neæram, p. 1382, s. 141.

[67] Démosthène, Philippiques, I, p. 46, s. 25.

Il nous est difficile de savoir d’une manière certaine si la Trirème Sacrée prise ainsi était la Paralos ou la Salaminia : il se peut qu’il y ait eu d’autres trirèmes sacrées outre ces deux-là.

[68] Démosthène, Philippiques, I, p. 52, s. 49. Cette harangue se situe entre le solstice d’été de 352 et celui de 351 av. J.-C.)

[69] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 660, s. 144, p. 656, s. 130. Cette harangue se place aussi entre le solstice d’été de 352 et celui de 351 av. J.-C.

[70] Démosthène, Olynthiennes, I, p. 13, s.13.

[71] Démosthène, Olynthiennes, III, p. 29, s. 5 (prononcée dans la seconde moitié de 350 avant J.-C.).

Cette expédition de Philippe en Thrace (à laquelle il est fait également allusion dans Démosthène, Olynthiennes, I, p. 13, s. 13) est fixée à la date de novembre 352 avant J.-C., sur des motifs raisonnablement bons.

Que la ville ou forteresse appelée Ήραϊον Τεϊχος fût voisine de la Chersonèse, c’est ce dont on ne peut douter. Les commentateurs l’identifient avec Ήραϊον, mentionné par Hérodote (IV, 90) comme étant près de Perinthos. Mais cette hypothèse est très douteuse. Ήραϊον Τεϊχος n’est pas la même place que Ήραϊον ; et cette dernière ville n’était pas non plus très près de la Chersonèse ; et Philippe n’était pas encore en état de provoquer ou de menacer une ville aussi puissante que Perinthos, — bien qu’il le fit dix ans plus tard (Diodore, XVI, 74).

Je ne puis croire que nous sachions où était située la ville d’Ήραϊον Τεϊχος, si ce n’est qu’elle était en Thrace, et près de la Chersonèse.

[72] Démosthène, Olynthiennes, III, p. 29, 30. Il est fait allusion dans la première Philippique, p. 43, s. 14, à ces rapports de la maladie et de la mort de Philippe en Thrace. II est également fait allusion dans la première Philippique, p. 44, s. 20, p. 51, s. 46, à l’expédition de Philippe menaçant la Chersonèse, et au vote rendu par les Athéniens aussitôt qu’ils apprirent cette expédition. Quand Philippe assiégeait Ήραϊον τεϊχος, on disait qu’il était έν Χερρονήσω.

[73] Démosthène, Olynthiennes, III, p. 30, s. 6.

[74] Démosthène, Cont. Aristokratês, p. 625, s. 14, p. 682, 683. Ce discours prononcé entre le solstice d’été de 352 et celui de 351 avant J.-C. semble avoir précédé novembre 352 avant J.-C., époque à laquelle on apprit à Athènes que Philippe assiégeait Ήραϊον Τεϊχος.

[75] J’adopte la date acceptée par la plupart des critiques, sur l’autorité de Denys d’Halicarnasse, pour la première Philippique : l’archontat d’Aristodêmos, 352-351 avant J.-C. Elle appartient, je crois, à la seconde moitié de cette année.

Les assertions de Denys se rapportant à ce discours ont été fortement révoquées en doute ; à boit droit, dans nue certaine mesure, pour ce qu’il avance au sujet de la sixième Philippique (ad Ammæum, p. 736). Ce qu’il appelle la sixième est en réalité la cinquième dans sa propre énumération, venant immédiatement après la première Philippique et les trois Olynthiennes. Quant à la harangue De Pace, qui est à proprement parler la sixième dans son énumération, il ne lui assigne aucun nombre qui en indique l’ordre. Ce qui est encore plus embarrassant, — il donne comme les mots du début de ce qu’il appelle la sixième Philippique, certains mots qui se rencontrent dans le milieu de la première Philippique, immédiatement après le plan financier lu au peuple par Démosthène, — les mots — Ά μέν ήμεϊς, ώ άνδρες Άθηναΐοι, δεδυνήμεθα εύρεΐν, ταΰτ̕ έστίν (Philippiques, I, p. 48). Si cela était exact, nous aurions à partager la première Philippique en deux parties, et à reconnaître la dernière partie (après les mots ά μέν ήμεΐς) comme un discours séparé et postérieur. Quelques critiques, entre autres le docteur Thirlwall, s’accordent avec Denys jusqu’à séparer la dernière partie de la première, et à la considérer comme une partie de harangue postérieure. Je suis l’opinion la plus commune, qui accepte le discours comme ne faisant qu’un. Il y a, soit dans le texte, soit dans les affirmations de Denys, une confusion qui n’a jamais été éclaircie d’une manière satisfaisante et qui peut-être ne saurait l’être.

Boehnecke (dans ses Forschungen auf dera Gebiete der Attischen Redner, p. 222 sqq.) est entré dans un examen complet et élaboré de la première Philippique et de toute la controverse à son sujet. Il rejette complètement l’assertion de Denys. Il pense que le discours, tel qu’il est actuellement, est un seul tout, mais prononcé trois ans plus tard que Denys ne l’affirme, non en 351 avant J.-C., mais dans le printemps de 348 avant J.-C., après les trois Olynthiennes, et un peu avant la chute d’Olynthos. Il signale divers points chronologiques (dont, à mon avis, aucun ne prouve ce qu’il avance) tendant à montrer que la harangue n’a pas pu être prononcée si tôt que 331 (avant J.-C.). Mais supposer que le discours fut prononcé à une époque aussi avancée de la guerre olynthienne, et cependant que rien n’y soit dit au sujet de cette guerre et presque rien au sujet d’Olynthos elle-même, — c’est, selon moi, une difficulté plus grande qu’aucune de celles que Boehnecke essaye d’établir contre la date la plus reculée.

[76] Démosthène, De Symmoriis, p. 182, s. 18.

[77] Æschine, cont. Ktesiphôn, p. 366.

[78] Démosthène, Philippiques, I, init.

[79] Démosthène, Philippiques, I, p. 40, 41. — Cf. la harangue précédente, De Symmoriis, p. 182, s. 18.

[80] Démosthène, Philippiques, I, p, 43, s.15.

[81] Démosthène, Philippiques, I, p. 44. — Il est à propos de faire remarquer ce ton de prière et la difficulté que, suivant l’orateur, il aura à se faire écouter.

[82] Démosthène, Philippiques, I, p. 44, 45.

[83] Démosthène, Philippiques, I, p. 45, 46.

[84] Démosthène, Philippiques, I, p. 48, 49.

[85] Démosthène, Philippiques, I, p. 49, s. 37.

[86] Démosthène, Philippiques, I, p. 49, s. 38-39.

[87] Démosthène, Philippiques, I, p. 48, 49 : L’opiniâtreté et la violence des vents étésiens, en juillet et en août, sont bien connues de ceux qui ont eu à lutter avec eux dans la mer Ægée pendant cette saison. (Colonel Leake, Travels in Northern Greece, vol. IV, eh. 42, p. 426.)

Les vents étésiens soufflant du nord, il était difficile de se rendre d’Athènes en Macédoine. Cf. Démosthène, De Rebus Chersonesi, p. 93, s. 14.

[88] Démosthène, Philippiques, I, p. 51, s. 46.

[89] Démosthène, Philippiques, I, p. 50.

[90] Démosthène, Philippiques, I, p. 48, 49. Cf. son discours, De Rebus Chersonesi, p. 92, s. 11.

[91] Démosthène, Philippiques, I, p. 46, s. 28 ; p. 53, s. 51.

[92] Démosthène, Philippiques, I, p. 47.

[93] Démosthène, Philippiques, I, p. 54, s. 58.

[94] Démosthène, De Coronâ, p. 308, s. 306.

[95] Démosthène, Olynthiennes, III, p. 29, s. 5.

[96] Démosthène, Philippiques, I, p. 48, s. 34 ; Olynthiennes, II, p. 21, s. 12 ; Olynthiennes, III, p. 29, s. 5, p. 32, s. 16 ; De Rhodiorum Libertate, p. 190, s. 1. Et non seulement des votes contre Philippe, mais contre d’autres aussi, restèrent on sans exécution ou imparfaitement exécutés (Démosthène, De Republicà ordinandit, p. 175, 176).

[97] Démosthène, De Rhodior. Libert., p. 197, s. 31. Ce discours fut prononcé en 351-350 avant J.-C., peu de mois après la première Philippique.

[98] Démosthène, Philippiques, I, p. 45, s. 21 ; Olynthiennes, II, p. 19, s. 4.

[99] Cf. l’avis des Thébains à Mardonios en 479 avant J.-C. — pendant l’invasion persane en Grèce (Hérodote, IX, 2).