HISTOIRE DE LA GRÈCE

QUINZIÈME VOLUME

CHAPITRE II — DEPUIS LA FONDATION DE MESSÊNÊ ET DE MEGALOPOLIS JUSQU’À LA MORT DE PÉLOPIDAS.

 

 

Prodigieux fut le changement opéré d’une extrémité à l’autre du monde grec pendant les dix-huit mois qui s’écoulèrent entre juin 371 avant J.-C. — où la paix générale, le comprenant tout entier excepté Thèbes, fut jurée à Sparte vingt jours avant la bataille de Leuktra — et le printemps de juin 369 avant J.-C., où les Thêbains, après une expédition victorieuse dans le Péloponnèse, furent reconduits dans leurs foyers par Épaminondas.

Nous avons esquissé dans le chapitre précédent comment ce changement agit dans le Péloponnèse, en aboutissant à une nouvelle constitution partielle de la péninsule. Dans la plupart des cités et des districts jusqu’alors alliés dépendants de Sparte, les oligarchies locales, qui avaient maintenu l’influence spartiate, furent renversées non sans une réaction dure et violente. La Laconie avait été envahie et dévastée, tandis que les Spartiates étaient — obligés de défendre leur foyer central et leurs familles contre une attaque. La partie occidentale, et la meilleure de la Laconie, leur avait été enlevée ; Messênê avait été établie comme cité libre sur leurs frontières ; leurs Periœki et leurs Ilotes avaient été transformés dans une grande proportion en Grecs indépendants, animés contre eux d’une haine mortelle. De plus, la population arkadienne avait été affranchie de leur dépendance et organisée en voisins jaloux, agissant par eux-mêmes dans la nouvelle cité de Megalopolis, aussi bien que dans Tegea et dans Mantineia. Tegea, jadis amie des Lacédæmoniens, était maintenant au nombre des principaux ennemis de Sparte ; et les Skiritæ, si longtemps comptés comme les plus braves auxiliaires de cette dernière, partageaient maintenant les sentiments des Arkadiens et des Thêbains contre elle.

En dehors du Péloponnèse, le changement effectué avait également été considérable, en partie dans l’état de la Thessalia et de la Macédoine, en partie dans la position et la politique d’Athènes.

Au moment de la bataille de Leuktra (juillet 371 av. J.-C.), Jasôn était tagos de Thessalia et Amyntas roi de Macédoine. Amyntas était dépendant, sinon tributaire, de Jasôn, que sa domination, ses forces militaires et son revenu, combinés avec une énergie et un talent personnels extraordinaires, rendaient décidément le premier potentat de Grèce ; et l’on savait que ses aspirations n’avaient pas de bornes, de sorte qu’il inspirait plus ou moins d’alarme à tout le monde, surtout aux voisins plus faibles, tels que le prince macédonien. Pendant un règne de vingt-trois ans, rempli de troubles et de périls, Amyntas avait cultivé l’amitié et de Sparte et d’Athènes[1], surtout de la première. C’était grâce à l’aide spartiate seulement qu’il avait pu l’emporter sur la confédération olynthienne, qui autrement lui eût été supérieure. Au moment où Sparte l’aida à écraser cette confédération libérale et pleine d’espérances, elle était à l’apogée de son pouvoir (382-379 av. J.-C.) et tenait même Thêbes, au moyen d’une garnison, au nombre de ses alliés sujets. Mais la révolution de Thêbes et la guerre contre cette ville et Athènes (à partir de 378 av. J.-C.) avaient sensiblement diminué son pouvoir sur terre, tandis que les forces navales et la confédération maritime nouvellement organisées des Athéniens avaient renversé son empire sur mer. De plus, la grande puissance de Jasôn en Thessalia avait grandi (si l’on y ajoute la résistance des Thêbains) au point de couper la communication de Sparte avec la Macédoine, et même de l’empêcher d’aider son fidèle allié, le Pharsalien Polydamas, contre lui[2]. Conséquemment, l’amitié d’Athènes, qui à ce moment se trouvait de nouveau le potentat maritime le plus grand de la Grèce, était devenue plus importante que celle de Sparte. Nous savons qu’il essaya de se concilier les puissants généraux athéniens Iphikratês et Timotheos. Il adopta le premier pour fils[3] ; à quelle époque exacte, c’est ce que nous ne pouvons découvrir ; mais j’ai dit déjà qu’Iphikratês avait épousé la fille de Kotys, roi de Thrace, et qu’il avait acquis un établissement maritime appelé Drys, sur la côte de Thrace. Dans les années 373-372 avant J.-C., nous trouvons Timotheos également en grande faveur auprès d’Amyntas, fait attesté par un précieux présent qui lui fut envoyé à Athènes, une cargaison de bois de construction, le meilleur produit de la Macédoine[4]. Amyntas était à cette époque dans les meilleurs termes avec Athènes : il envoyait ses députés, en qualité de confédéré, à l’assemblée régulière qui s’y réunissait et était traité avec une faveur considérable[5].

La bataille de Leuktra (juillet 371 av. J.-C.) contribua à nouer plus étroitement les relations entre Amyntas et les Athéniens, qui à ce moment étaient les auxiliaires les plus propres à le soutenir contre l’ascendant de Jasôn. Elle produisit en même temps l’effet plus important de stimuler l’ambition d’Athènes en tout sens. Non seulement son ancienne rivale, Sparte, défaite sur les champs de bataille et abreuvée d’humiliations sur humiliations, était hors d’état : de s’opposer à elle et même forcée de solliciter son aide, — mais de nouveaux rivaux, les Thêbains, étaient soudainement élevés à un ascendant qui lui inspirait un mélange de, jalousie et d’appréhension. De là de nouvelles espérances aussi bien que de nouvelles jalousies conspirèrent à pousser Athènes dans une carrière d’ambition qui n’avait point paru ouverte devant elle depuis les désastres de 404 avant J.-C. Cet agrandissement de ses vues se manifesta d’une manière remarquable par une mesure prise cieux ou trois mois après la bataille de Leuktra (comme je l’ai raconté dans mon précédent chapitre) : — en vertu de cette mesure, la paix, qui avait été déjà jurée à Sparte dans le mois de juin précédent, fut jurée de nouveau sous la présidence et la garantie d’Athènes, par des cités s’engageant mutuellement comme alliées de cette dernière république, prêtes à la défendre[6] ; Athènes détrônait ainsi Sparte silencieusement et prenait sa place.

Toutefois, sur terre, Athènes n’avait jamais tenu et ne pouvait guère espérer tenir plus que le second rang, en servant de boulevard contre l’agrandissement thêbain. Sur mer, elle occupait déjà la première place, à la tête d’une confédération étendue, et c’était à un plus grand développement maritime que tendaient ses chances présentes, aussi bien que ses traditions passées. Telle est la nouvelle voie dans laquelle nous la voyons entrer. A la première formation de sa nouvelle confédération, en 378 avant J.-C., elle avait renoncé distinctement à toute idée de recouvrer la somme considérable de possessions publiques et privées, qui lui avaient été enlevées avec son empire à la fin de la guerre du Péloponnèse ; et elle avait formellement déclaré qu’aucun citoyen athénien ne posséderait ni ne cultiverait dans l’avenir de terres hors de l’Attique, — garantie contre le renouvellement des klêruchiæ ou possessions au dehors. Cette prudente contrainte qu’elle s’imposa à elle-même, qui avait tant contribué, pendant les sept dernières années, à l’élever de nouveau à la prééminence navale, est actuellement mise de côté par degrés, au milieu des circonstances tentantes du moment. Dorénavant, les forces maritimes athéniennes sont employées à recouvrer des possessions perdues, aussi bien qu’à protéger ou à agrandir la confédération. On verra bientôt la prohibition contre les klêruchiæ en dehors de l’Attique oubliée. On offense les principaux membres de la confédération maritime, de sorte que les force d’Athènes, mal employées et brisées en fragments, se trouvent, douze ou treize ans plus tard, incapables de repousser un nouvel agresseur qui surgit, à la fois habile et inattendu, dans la personne du prince macédonien Philippe, fils d’Amyntas.

Très différente était la position d’Amyntas lui-même à l’égard d’Athènes, en 371 avant J.-C. C’était un allié sans prétentions, qui comptait sur son secours en cas de besoin contre Jasôn, et qui envoya son député à l’assemblée à Athènes, vers septembre ou octobre 371 avant J.-C., quand la paix générale fut jurée de nouveau sous les auspices athéniens. C’est à cette assemblée qu’Athènes semble avoir pour la première fois mis en avant ses nouvelles prétentions maritimes. Tout en garantissant à toute cité grecque, grande et petite, la jouissance de l’autonomie, elle excepta quelques cités, qu’elle réclama comme lui appartenant. De ce nombre fut certainement Amphipolis ; probablement aussi les villes de la Chersonèse de Thrace et Potidæa, villes que nous trouvons toutes peu d’années après occupées par des Athéniens[7]. Combien de leurs possessions perdues les Athéniens jugèrent-ils prudent de, réclamer alors, c’est ce que nous ne pouvons reconnaître distinctement. Mais nous savons que leurs aspirations embrassaient beaucoup plus qu’Amphipolis[8], et le moment fut probablement jugé propice pour faire encore d’autres demandes. Amyntas, par son député, en même temps que le reste des députés réunis, reconnut sans opposition le droit des Athéniens sur Amphipolis[9].

Dans le fait, cette reconnaissance n’était en elle-même ni une perte pour Amyntas ni un gain pour Athènes ; car Amphipolis, bien que confinant à son royaume, ne lui avait jamais appartenu, et il n’avait pas le pouvoir de la céder. Colonie athénienne dans l’origine[10], enlevée ensuite à Athènes en 424-423 avant J.-C. par Brasidas, à cause de l’imprévoyance des officiers athéniens Euklês et Thucydide, puis colonisée de nouveau sous les auspices lacédæmoniens, elle était restée toujours depuis cité indépendante, bien que Sparte se fût engagée à la rétablir par la paix de Nikias (491 av. J.-C.), mais qu’elle n’eût jamais rempli son engagement. Sa situation incomparable, près du point et de l’embouchure du Strymôn, au milieu d’un territoire fertile, à portée du district à mines du Pangæos, en faisait une prise tentante ; et le droit d’Athènes sur elle était incontestable, autant qu’une colonisation primitive avant la prise par Brasillas, et un traité formel de cession par Sparte après la prise, pouvaient conférer un droit. Mais ce traité, non accompli au moment, avait alors cinquante années de date. La répugnance de la population amphipolitaine, qui en avait empêché l’accomplissement dans l’origine, était fortifiée par toute la sanction d’une longue prescription, tandis que la tombe et la chapelle de Brasidas, leur second fondateur, consacrées dans l’agora, servaient d’avertissement impérissable pour repousser toute prétention de la part d’Athènes. Ces prétentions, quel que pût être le droit, étaient déplorablement impolitiques, à moins qu’Athènes ne fût préparée à les appuyer par d’énergiques efforts en hommes et en argent, efforts devant lesquels nous la verrons reculer actuellement, comme elle l’avait fait (sur l’avis déraisonnable de Nikias) en 421 avant J.-C., et dans les années qui suivirent immédiatement. En fait, on verra que les vastes prétentions renouvelées d’Athènes, tant sur Amphipolis que sur d’autres places de la côte macédonienne et chalkidique, combinées avec sa langueur et son inertie dans l’action militaire, sont dorénavant au nombre des malheurs les plus grands pour la cause générale de l’indépendance hellénique, et des appuis les plus efficaces que trouvent les agressions bien conduites de Philippe de Macédoine.

Bien que la prétention d’Athènes à recouvrer une partie de ses possessions d’outre-mer perdues frît ainsi avancée et reconnue dans le congrès de l’automne de 371 avant J.-C., elle ne semble pas avoir été en état de prendre aucune mesure immédiate pour la poursuivre. Six mois plus tard, l’état de la Grèce septentrionale fut de nouveau complètement changé par la mort, survenue presque en même temps, de Jasôn en Thessalia, et d’Amyntas en Macédoine[11]. Le premier fut enlevé (comme nous l’avons mentionné dans le chapitre précédent) par un assassinat, tandis qu’il était dans la plénitude de sa force, et son grand pouvoir ne put être maintenu par une main plus faible. Ses deux frères, Polyphrôn et Polydoros, lui succédèrent dans le poste de tagos de Thessalia. Polyphrôn, après avoir mis son frère à mort, Jouit de la dignité pendant un court intervalle ; puis il fut tué aussi par un troisième frère, Alexandre de Pheræ, mais non pas avant qu’il eût commis de grosses énormités, en tuant et en bannissant un grand nombre des citoyens les plus éminents de Larissa et de Pharsalos, entre autres l’estimable Polydamas[12]. Les exilés larissæens, dont beaucoup appartenaient à la grande famille des Aleuadæ, se réfugièrent en Macédoine, où Amyntas (qui était mort en 370 av. J.-C.) avait été remplacé sur le trône par son jeune fils Alexandre. Ce dernier, à qui ils persuadèrent d’envahir la Thessalia dans le dessein de les rétablir, réussit à se rendre maître de Larissa et de Krannôn, villes qu’il garda au moyen de ses garnisons, malgré l’inutile résistance de Polyphrôn et d’Alexandre (le Pheræ[13].

Cet Alexandre, qui succéda au despotisme de Jason dans Pheræ et à une partie considérable de sa puissance militaire, fut néanmoins hors d’état de la maintenir tout entière, c’est-à-dire de retenir la Thessalia et ses tributaires circonvoisins dans une domination unie. Les cités thessaliennes qui lui étaient hostiles demandèrent l’aide, non seulement d’Alexandre de Macédoine, mais encore des Thêbains, qui dépêchèrent Pélopidas dans le pays, vraisemblablement en 369 avant J.-C., peu après que l’armée commandée par Épaminondas fut revenue de sa marche victorieuse en Laconie et en Arkadia. Pélopidas entra en Thessalia à la tête d’une armée, et prit Larissa avec diverses autres cités sous la protection thêbaine, apparemment avec l’acquiescement d’Alexandre de Macédoine, avec lequel il contracta une alliance[14]. Une partie considérable de la Thessalia se plaça ainsi sous la protection de Thèbes, en hostilité avec la dynastie de Pheræ, et avec le tyran brutal Alexandre qui régnait alors dans cette cité.

Alexandre de Macédoine trouva qu’il avait assez de difficulté à maintenir sa propre domination à l’intérieur, sans avoir de garnison dans des villes thessaliennes. Il était harcelé par des dissensions intestines, et après un règne de deux années à peine, il fut assassiné (368 av. J.-C.) par quelques conspirateurs d’Alôros et de Pydna, deux cités (à moitié macédoniennes, à moitié helléniques), près de la côte occidentale du golfe Thermaïque. Ptolemœos (ou Ptolémée) d’Alôros est mentionné comme chef de l’entreprise, et Apollophanês de Pydna comme l’un des agents[15]. Mais outre ces conspirateurs, il y avait encore un autre ennemi, — Pausanias, — homme de lignage royal et prétendant au trône[16], qui, après avoir été jusque-là en exil, revenait à ce moment à la tête d’un corps considérable de Grecs, appuyé par de nombreux partisans en Macédoine, — et était déjà maître d’Anthémonte, de Thermê, de Strepsa et d’autres places sur le golfe Thermaïque ou dans le voisinage. Il faisait actuellement la guerre tant à Ptolémée qu’au reste de la famille d’Amyntas. Eurydikê, veuve de ce prince, restait alors avec ses deux plus jeunes enfants, Perdikkas, jeune homme, et Philippe, encore adolescent. Elle avait le même intérêt que Ptolémée, le conspirateur heureux contre son fils Alexandre, et il y avait même un conte qui la représentait comme son complice dans cet assassinat. Ptolémée était régent, administrant les affaires d’Eurydikê et celles de ses enfants mineurs, contre Pausanias[17].

Abandonnés par un grand nombre de leurs apis les plus puissants, Eurydikê et Ptolémée auraient été forcés de céder le pays a Pausanias, s’ils n’eussent trouvé par hasard un auxiliaire étranger sous leur main. L’amiral athénien Iphikratês, avec une escadre de force moyenne, était alors sur la côte de Macédoine (368 av. J.-C.). Il y avait été envoyé par ses compatriotes (364 av. J.-C.) — peu après son conflit partiel, prés de Corinthe, avec l’armée d’Épaminondas qui se retirait, quand ce général revenait du Péloponnèse en Bœôtia —, dans le dessein de surveiller en général la région maritime de la Macédoine et de la Thrace, ouvrant des négociations avec des partis dans le pays ; et dressant ses plans pour de futures opérations militaires. A l’époque où Alexandre fut tué et olé Pausanias poursuivait son invasion, Iphikratês se trouvait être sur la côte macédonienne. Il y fut visité par Eurydikê avec ses deux fils Perdikkas et Philippe, le dernier âgé vraisemblablement de treize ou de quatorze ans, le premier un peu plus âgé. Elle le supplia avec instance d’aider la famille dans la circonstance présente, lui rappelant qu’Amyntas avait non seulement été pendant toute sa vie un fidèle allié d’Athènes, mais encore qu’il l’avait adopté (lui Iphikratês) pour fils, et l’avait ainsi fait frère des deux jeunes princes. Plaçant Perdikkas entre ses bras, et ordonnant à Philippe d’embrasser ses genoux, elle fit appel à ses sympathies généreuses, et invoqua son aide comme la seule chance de rétablissement, ou même de sûreté personnelle pour la famille. Iphikratês, touché par cette supplication pathétique, se déclara en sa faveur, agit avec tant de vigueur contre Pausanias qu’il le chassa de Macédoine, et assura le sceptre à la famille, d’Amyntas, sous Ptolémée d’Alôros comme régent pour le moment.

Cet incident frappant est décrit par l’orateur Æschine dans un discours prononcé bien des années après à Athènes. L’enfant qui embrassait alors. les genoux d’Iphikratês, vécut pour renverser plus tard l’indépendance, non pas d’Athènes seule, mais de la Grèce en général. Le général athénien n’avait pas été envoyé pour se, mêler des disputes de succession à la couronne de Macédoine. Néanmoins, si l’on considère les circonstances de l’époque, son intervention a pu réellement promettre des conséquences avantageuses pour Athènes, de sorte que nous n’avons pas le droit de le blâmer pour la ruine imprévue dont elle se trouva plus tard être la cause[18].

Bien due l’intervention d’Iphikratês maintint la famille d’Amyntas et établît Ptolémée d’Alôros comme régent, elle ne procura pas à Athènes la possession d’Amphipolis, ce qu’il n’était pas au pouvoir des rois macédoniens de, faire. Amphipolis était à cette époque une cité grecque libre, habitée par une population vraisemblablement chalkidique en général, et confédérée avec Olynthos[19]. Iphikratês poursuivit ses opérations navales sur la côte de Thrace et de Macédoine pendant une période de trois années (368-365 av. J.-C.). Nous reconnaissons très imparfaitement ce qui il accomplit. Il prit à son service un général nommé Charidêmos, natif d’Oreus en Eubœa, l’un de ces condottieri (pour employer un mot italien familier dans le quatorzième siècle) qui, ayant une bande de mercenaires sous leur commandement, se louaient au plus offrant et à la cause qui promettait le plus. Ces mercenaires servirent sous Iphikratês pendant trois ans[20], jusqu’à ce que son commandement lui fût retiré par les athéniens, qui le remplacèrent par Timotheos. Quels succès le mirent-ils à même d’obtenir pour Athènes, c’est ce qui n’est pas clair ; mais il est certain qu’il ne réussit pas à prendre Amphipolis. Il semble avoir dirigé une ou deux tentatives contre cette ville par l’intermédiaire d’autres officiers, tentatives qui avortèrent ; mais il saisit quelques prisonniers ou otages amphipolitains[21], ce qui lui ouvrit une perspective d’obtenir la reddition de la ville.

Cependant il semble évident, malgré notre grande disette d’information, qu’Iphikratês, pendant son commandement entre 369 et 365 avant J.-C., ne répondit pas à l’attente, de ses compatriotes. A cette époque, leurs espérances étaient vastes, comme l’atteste l’envoi, non seulement d’Iphikratês en Macédoine, mais encore de Timotheos (qui était de retour de son service chez les Perses en 372-371 av. J.-C.) en Iônia et dans l’Hellespont, conjointement avec Ariobarzanês le satrape de Phrygia[22]. Ce satrape possédait Sestos, aussi bien que diverses autres villes dans la Chersonèse de Thrace, et l’ambition athénienne les convoitait actuellement, d’après cette nouvelle tendance à des acquisitions spéciales et séparées pour Athènes, tendance qui était née depuis la bataille de Leuktra. Mais avant que nous nous occupions des exploits de Timotheos (366-365 av. J.-C.) dans ces régions, nous devons mentionner la marche principale du conflit politique dans la Grèce propre, jusqu’à la pacification partielle de 366 avant J.-C.

Bien que les Athéniens eussent envoyé Iphikratês (dans l’hiver de 370-369 av. J.-C.) pour délivrer Sparte des étreintes d’Épaminondas, les termes d’une alliance permanente n’avaient pas encore été arrêtés entre eux. Des ambassadeurs de Sparte et de ses alliés se rendirent peu après à Athènes dans ce dessein (369 av. J.-C.)[23]. Toute prétention à une hégémonie exclusive de la part de. Sparte avait cessé actuellement. Au milieu d’une discussion abondante dans l’assemblée publique, tous les orateurs, Lacédæmoniens et autres aussi bien qu’Athéniens, déclarèrent à l’unanimité que l’hégémonie devait être conférée conjointement et également à Sparte et à Athènes, et que le seul point à discuter était la manière dont un pareil arrangement pourrait être mis à exécution le plus convenablement possible. On proposa d’abord que la première commandât sur terre, la seconde sur mer, partage qui, à première audition, trouva faveur à la fois comme équitable et comme convenable jusqu’à ce qu’un Athénien, nommé Kephisodotos, rappelât à ses compatriotes que les Lacédæmoniens avaient peu de vaisseaux de guerre ; et que ces vaisseaux étaient montés surtout par des Ilotes, tandis que les forces de terre d’Athènes se composaient de ses cavaliers et de ses hoplites, citoyens d’élite de l’État. Conséquemment, dans le partage actuellement indiqué, des Athéniens, en grand nombre et de la meilleure qualité, seraient placés sous le commandement spartiate, tandis qu’un petit nombre de Lacédæmoniens, et ceux d’un rang inférieur, se trouveraient sous le commandement athénien, ce qui serait, non pas de l’égalité, mais l’inverse. Kephisodotos proposa que, tant sur terre que sur mer, le commandement alternât entre Athènes et Sparte, en périodes de cinq jours, et son amendement fût adopté[24].

Bien que cet amendement eût le mérite de maintenir une égalité parfaite entre les deux compétiteurs à l’hégémonie, il n’était nullement bien calculé en vue du succès dans des opérations communes contre un général tel qu’Épaminondas  (363 av. J.-C.). Les alliés se décidèrent à occuper Corinthe comme station principale et à garder la ligne du mont Oneion entre cette cité et Kenchreæ[25], de manière à empêcher les Thêbains de pénétrer de nouveau dans le Péloponnèse. C’est une des marques de l’abaissement survenu dans la fortune de Sparte que cette même station, choisie en ce moment dans le dessein d’écarter un envahisseur thêbain de la frontière, eût été occupée, pendant la guerre de 391 à 387 avant J.-C., par les Athéniens et les Thêbains contre elle-même, pour l’empêcher de sortir du Péloponnèse et d’envahir l’Attique et la Bœôtia. Jamais, depuis l’invasion de Xerxès, ne s’était présentée la nécessité de défendre l’isthme de Corinthe contre un assaillant extra-péloponnésien. Mais aujourd’hui, même pour envoyer une armée de Sparte à Corinthe, il aurait fallu avoir recours à un transport par mer, soit par le golfe Saronique de Prasiæ à Halieis, ou autour du cap Skyllæon jusqu’au golfe Saronique et à Kenchreæ, car aucune troupe spartiate ne pouvait traverser par terre ni l’Arkadia ni Argos. Cependant on surmonta cette difficulté, et l’an établit dans une position défensive le long de la ligne de l’Oneion une armée alliée considérable (qui n’était pas au-dessous de 20.000 hommes, suivant Diodore), — composée d’Athéniens avec des mercenaires auxiliaires sous Chabrias, de Lacédœmoniens, de Pellêniens, d’Epidauriens, de Mégariens, de Corinthiens, et de tous les autres alliés encore fidèles à la cause de Sparte.

Il était essentiel pour Thèbes de rouvrir une communication avec ses alliés péloponnésiens. Aussi Épaminondas, à la tête des Thêbains et de leurs alliés septentrionaux, arriva-t-il pendant le même été devant cette position, quand il s’avança pour entrer dans le Péloponnèse (369 av. J.-C.). Ses troupes étaient inférieures en nombre à celles de ses ennemis réunis, dont la position l’empêchait de rejoindre ses alliés arkadiens, argiens et éleiens, déjà rassemblés dans le Péloponnèse. Après avoir en vain défié l’ennemi de descendre et de combattre en plaine, Épaminondas dressa son plan pour attaquer la position. Quittant son camp un peu avant l’aurore, de manière à atteindre l’ennemi, juste au moment où les gardes de nuit se retiraient, mais avant que le corps général se fût encore levé et eût pris les armes[26], — il ordonna une attaque le long de toute la ligne. Mais son principal effort, à la tête des troupes thêbaines d’élite, fut fait contre les Lacédæmoniens et les Pellêniens, qui étaient postés dans la partie la plus attaquable de la ligne[27]. Son mouvement fut conduit si habilement qu’il réussit complètement à les surprendre. Le polémarque lacédæmonien, pris à l’improviste, fut chassé de sa position, et forcé de se retirer sur un autre point du terrain montueux. Il envoya bientôt solliciter une trêve pour enterrer ses morts, consentant à abandonner la ligne de l’Oneion, qu’il n’était plus alors possible de défendre. Les autres parties de l’armée thêbaine ne produisirent rien par leur attaque, et elles n’étaient probablement pas destinées à faire plus qu’à occuper l’attention, tandis qu’Épaminondas en personne attaquait avec vigueur le point faible de la position. Cependant Xénophon blâme le polémarque lacédæmonien comme pusillanime pour avoir évacué toute la ligne aussitôt que sa propre position fut forcée, alléguant qu’il aurait pu facilement trouver une autre bonne position sur l’une des hauteurs voisines et demander, des renforts à ses alliés, — et que les Thêbains, malgré leur succès partiel, furent si embarrassés quant au moyen de descendre le versant péloponnésien de l’Oneion, qu’ils furent à moitié disposés à faire retraite. La critique de Xénophon indique sans doute un jugement défavorable prononcé par bien des personnes dans l’armée, jugement dont nous ne sommes pas en état d’apprécier la justesse. Mais que le commandant lacédæmonien fût à blâmer ou non, Épaminondas, par son attaque habile et victorieuse dirigée sur cette forte position, augmenta sa renommée militaire, déjà bien grande[28].

Après avoir rejoint ses alliés péloponnésiens, arkadiens, éleiens et argiens, il fut supérieur à l’armée spartiate et athénienne, qui paraît s’être confinée alors dans Corinthe, Lechæon et Kenchreæ (369 av. J.-C.). Il ravagea les territoires d’Epidauros, de Trœzen et de Phlionte, et obtint la possession de Sikyôn aussi bien que de Pellênê[29]. A Sikyôn, après un vote du peuple, on résolut d’abandonner Sparte, de faire alliance avec Thèbes, et d’admettre dans l’acropolis un harmoste thêbain et une garnison thêbaine ; Euphrôn, — citoyen prépondérant jusque-là dans la cité grâce à Sparte, et dévoué à son intérêt, — changea à ce moment de politique et suivit le courant le plus fort[30]. Nous lie pouvons douter qu’Épaminondas ne soit allé également en Arkadia pour encourager et régler le progrès de ses deux grandes entreprises, — la fondation de Messênê et de Megalopolis, et le silence de Xénophon sur ce point ne peut avoir la force d’une réfutation. Ces nouvelles villes ayant été commencées moins d’une anisée auparavant ne peuvent avoir été encore finies, et il est probable que la réapparition de son armée victorieuse leur était nécessaire. La petite ville de Phlionte, — située au sud de Sikyôn et à l’ouest de Corinthe, — qui était au nombre des plus fidèles alliés de Sparte, — courut aussi le grand danger d’être pèse par les exilés phliasiens. Quand les Arkadiens et les Eleiens se rendaient par Nemea pour rejoindre Épaminondas à Oneion, ces exilés les prièrent de se montrer seulement près de Phlionte, leur assurant que cette démonstration suffirait pour faire réussir la prise de la ville. Les exilés se glissèrent alors de hait jusqu’au pied des murs avec des échelles d’escalade, et y restèrent cachés jusqu’à ce que, au moment où le jour commença à paraître, les éclaireurs leur annonçassent, de la colline voisine de Trikaranon, que les ennemis alliés étaient en vue. Tandis que l’attention des citoyens de l’intérieur était ainsi occupée de l’autre côté, les exilés cachés dressèrent leurs échelles, accablèrent les quelques gardes à l’improviste, et se rendirent maîtres de l’acropolis. Au lieu de se contenter de —cette position jusqu’à l’arrivée de l’armée alliée, ils s’efforcèrent aussi de prendre la ville elle-même ; mais dans cette tentative ils furent défaits par les citoyens qui, par des efforts désespérés de bravoure, repoussèrent à la fois les intrus de l’intérieur et l’ennemi du dehors, et sauvèrent ainsi leur ville[31]. Là fidélité des Phliasiens à l’égard de Sparte leur attira des maux cruels à cause de la, supériorité de leurs ennemis en rase campagne, et des ravages perpétuels exercés sur leur territoire par de nombreux voisins hostiles (Argos, l’Arkadia et Sikyôn), qui avaient établi sur leurs frontières des postes fortifiés ; car c’était seulement du côté de Corinthe que les Phliasiens avaient un voisin ami qui leur procurait le moyen d’acheter des provisions[32].

Heureux en général, les Thêbains éprouvèrent des revers partiels (368 av. J.-C.). Comme leur marche les amenait près de Corinthe, un parti d’entre eux eut la hardiesse de se jeter sur les portes et de tenter de surprendre la ville. Mais l’Athénien Chabrias, qui y commandait, disposa ses troupes si habilement, et fit une si bonne résistance qu’il les défit avec perte et les réduisit à la nécessité de demander la trêve ordinaire pour enterrer leurs morts, qui gisaient tout près des murailles[33]. Cet avantage remporté sur les Thêbains victorieux releva un peu l’ardeur des alliés spartiates, qui furent plus encouragés encore par l’arrivée dans Lechæon d’une escadre de Syracuse, amenant un corps de 2.000 Gaulois et Ibériens mercenaires, avec cinquante cavaliers, comme secours de la part du despote Denys. Jamais on n’avait vu auparavant dans le Péloponnèse de pareils étrangers. Leur bravoure et leur légèreté singulière de mouvement leur donnèrent l’avantage dans plusieurs escarmouches partielles, et déconcertèrent les Thêbains. Mais les Spartiates et les Athéniens rie furent pas assez hardis polir hasarder une bataille générale, et le détachement syracusain retourna dans ses foyers après un séjour assez court[34], tandis que les Thêbains retournèrent également en Bœôtia.

Un acte d’Épaminondas pendant cette expédition mérite une mention spéciale. C’était l’usage général des Thêbains de mettre à mort tous les exils bœôtiens qui tombaient entre leurs mains comme prisonniers, tandis qu’ils relâchaient tous les autres prisonniers grecs contre rançon. A la prise d’un village nommé Phœbias, dans le territoire sikyonien, Épaminondas s’empara d’un corps considérable d’exilés bœôtiens. Dans le plus bref délai possible, il les laissa partir sous condition d’une rançon, déclarant les considérer comme appartenant à d’autres cités[35]. Nous le trouvons toujours essayant de mitiger la manière — d’agir rigoureuse d’usage alors à l’égard d’adversaires politiques.

Pendant cette campagne de 369 avant J.-C., tous les alliés péloponnésiens avaient agi contre Sparte avec empressement sous Épaminondas et les Thêbains. Mais l’année suivante (368 av. J.-C.) l’ardeur des Arkadiens avait été portée si haut, par la formation de la nouvelle communauté panarkadienne, par les progrès de Messênê et de Megalopolis et par l’abaissement remarquable de Sparte, — qu’ils se crurent non seulement capables de maintenir leur indépendance par eux-mêmes, mais encore autorisés à partager l’hégémonie avec Thèbes, domine Athènes la partageait avec Sparte. Lykomêdês le Mantineien, riche, énergique et capable, se mit en avant comme le représentant de cette aspiration nouvelle et comme le champion de la dignité arkadienne. Il rappela aux Dix Mille (l’assemblée panarkadienne), — que, tandis que tous les autres habitants du Péloponnèse étaient dés immigrants dans l’origine, eux seuls étaient les occupants indigènes de la péninsule ; qu’ils étaient la section la plus nombreuse, aussi bien que les hommes les plus braves et les plus hardis qui portassent le nom hellénique, — ce qui était prouvé par ce fait que les soldats mercenaires arkadiens étaient préférés à tous les autres ; que les Lacédæmoniens n’avaient jamais osé envahir l’Attique, ni les Thêbains envahir la Laconie sans auxiliaires arkadiens. Ne suivons le commandement de personne (dit-il en finissant), mais levons-nous pour nous-mêmes. Jadis, nous avons fondé la puissance de Sparte en servant dans ses armées, et aujourd’hui, si nous consentons à suivre tranquillement les Thêbains, sans demander une hégémonie partagée alternativement avec nous, nous retrouverons bientôt en eux des Spartiates sous un autre nom[36].

Ces exhortations furent entendues avec enthousiasme par les Arkadiens assemblés, pour lesquels une discussion politique et le sentiment de dignité collective étaient une nouveauté. Pénétrés d’admiration pour Lykomêdês, ils choisirent comme officiers tous ceux qu’il recommanda, en le priant de les conduire dans un service actif, de manière à justifier leurs nouvelles prétentions. Il les mena dans le territoire d’Epidauros, envahi en ce moment par les Argiens, qui toutefois furent dans le plus grand danger d’être coupés, leur retraite étant interceptée par un corps de troupes de Corinthe sous Chabrias, — athéniennes et corinthiennes. Lykomêdês avec ses Arkadiens, se frayant par la force un chemin à travers les ennemis aussi bien qu’à travers un pays difficile, repoussa la division de Chabrias, et tira de ce mauvais pas les Argiens embarrassés. Ensuite il envahit le territoire au sud de la nouvelle cité de Messênê et à l’ouest du golfe Messênien, dont une partie était encore occupée par des garnisons spartiates. Il pénétra jusqu’à Asinê, où le commandant spartiate, Geranor, fit sortir sa garnison pour leur résister, mais fut défait avec pertes et trié, tandis que les faubourgs d’Asinê furent détruits[37]. Probablement cette expédition mit fin à l’empire spartiate sur l’extrémité sud-ouest du Péloponnèse. L’activité infatigable que ces Arkadiens déployèrent alors sous leur nouveau commandant, triomphant de tous les ennemis, et bravant toutes les fatigues et toutes les difficultés qui accompagnent une marche à travers les montagnes les plus raboteuses, de nuit aussi bien que de jour, pendant toute la saison d’hiver, — cette activité, dis-je, excita partout de l’étonnement et de l’alarme, non sans une jalousie considérable même de la part de leurs alliés les Thêbains[38].

Tandis que cette jalousie contribuait à relâcher les liens entre les Arkadiens et Thèbes, d’autres causes tendaient en même temps à les séparer d’Elis (368-367 av. J.-C.). Les Eleiens réclamaient ries droits de suprématie sur Lepreon et sur les autres villes dé la Triphylia, droits auxquels les armes spartiates les avaient forcés de renoncer trente ans auparavant[39]. Toujours, depuis cette époque, ces villes avaient été au rang de communautés séparées, chacune pour son compte, comme alliée dépendante de, Sparte. Maintenant que la puissance de cette dernière était détruite, les Eleiens visaient à reprendre leur suprématie perdue. Mais la formation du nouveau Commune Arcadum à Megalopolis interposa un obstacle auquel on n’avait jamais songé auparavant. Les villes triphyliennes, affirmant qu’elles étaient d’origine arkadienne, et mettant en avant comme leur héros éponyme Triphylos fils d’Arkas[40], demandèrent à être admises comme membres de la communauté panarkadienne naissante en remplissant toutes les conditions voulues. Le corps général -des Arkadiens les accueillit cordialement — avec un degré de sympathie semblable à celai que les Allemands montrèrent récemment au Schleswig-Holstein —, les reçut comme des frères politiques, et garantit leur indépendance contre Elis[41]. Les Eleiens, se trouvant ainsi frustrés des avantages qu’ils avaient espérés de l’humiliation de Sparte, éprouvèrent un grand éloignement pour les Arkadiens.

Ariobarzanês, le satrape de Phrygia, avec lequel les Athéniens venaient d’établir une correspondance, s’efforça alors (peut-être à leur prière) de s’interposer pour une paix en Grèce, en envoyant un citoyen d’Abydos nommé Philiskos, muni d’une somme considérable d’argent (368 av. J.-C.). Choisissant Delphes comme centre, Philiskos y convoqua, au nom du roi de Perse, des députés de toutes les parties belligérantes, Thêbains, Lacédæmoniens, Athéniens, etc. pour s’aboucher avec lui. Ces députés ne consultèrent jamais le dieu, comme le meilleur moyen d’arriver à la paix (dit Xénophon), mais ils se contentèrent de délibérer entre eux ; aussi, fait-il observer, fit-on peu de progrès dans le sens de la paix, vu que les Spartiates[42] demandèrent d’une manière instante et péremptoire que Messênê leur fût rendue, tandis que les Thêbains ne résistaient pas avec moins de fermeté à la proposition. Il semble plutôt que les alliés de Sparte étaient disposés à concéder ce point, et qu’ils essayèrent même, quoique en vain, de triompher de sa répugnance. En conséquence, le congrès se sépara ; tandis que Philiskos, se déclarant en faveur de Sparte et d’Athènes, employa son argent à lever des mercenaires pour le dessein avoué de les aider dans la guerre[43]. Toutefois nous ne voyons pas qu’il les ait aidées réellement. Il paraîtrait que ses mercenaires étaient destinés,à servir le satrape lui-même, qui organisait alors sa révolte contre Artaxerxés, et que son dessein probable en essayant de terminer la guerre était de pouvoir se procurer des soldats grecs plus aisément et plus abondamment. Bien que la menace de Philiskos ne produisît pas de résultat immédiat, cependant elle alarma les Thêbains au point de les déterminer à envoyer une ambassade au Grand Roi ; d’autant plus qu’ils apprirent que le Lacédæmonien Eutyklês s’était déjà rendu à la cour de Perse pour la solliciter en faveur de Sparte[44].

Ce qui démontra, entre autres preuves, quelle importance avait eue le mouvement opéré par Épaminondas en rétablissant les Messêniens autonomes, ce fut le récent congrès tenu à Delphes et qui avorta (368 av. J.-C.). Déjà il formait l’article capital dans une discussion politique grecque, article encore auquel Sparte s’attachait presque seule. Car non seulement les Thêbains — que Xénophon spécifie[45] comme s’il n’y en eût pas d’autres du même sentiment —, mais tous les alliés de Thèbes éprouvèrent une cordiale sympathie pour les habitants nouvellement affranchis du mont Ithômê et de la Laconie occidentales et reconnurent une identité d’intérêt avec eux ; tandis que les alliés même de Sparte ne furent, au plus, que tièdes à leur égard, sinon positivement disposés en leur faveur[46].

Il se présenta bientôt un nouveau phénomène qui fat une sorte de reconnaissance, par la voix publique de la Grèce, de la communauté messênienne nouvellement née ou nouvellement rappelée à la vie. A la cent troisième fête Olympique (au solstice d’été 368 av. J.-C.), — qui survint moins de deux ans après qu’Épaminondas posa la première pierre de Messênê, — un enfant messênien, nommé Damiskos, gagna la couronne comme vainqueur dans la course à pied des enfants. Depuis la première guerre de Messênia ; qui asservit la nation à Sparte[47], aucun vainqueur messênien n’avait jamais été inscrit ; bien qu’avant cette guerre, dans le premier demi-siècle des Olympiades constatées, plusieurs vainqueurs messêniens se trouvent sur le registre. Aucun compétiteur n’était admis à être inscrit sur les listes, s’il n’était un Grec libre d’une communauté libre ; conséquemment tant que ces Messêniens avaient été ou esclaves, ou en exil, il ne leur avait jamais été permis de lutter pour le prix sous cette désignation. Aussi l’impression produite fut-elle d’autant plus forte, quand, en 368 avant J.-C., après un intervalle de plus de trois siècles, Damiskos le Messênien fut proclamé vainqueur. Aucune Théôrie (ou légation publique destinée à accomplir les sacrifices) n’aurait pu venir de Sparte à Olympia, puisque cet État était alors en guerre tant avec les Eleiens qu’avec les Arkadiens ; probablement il y avait peu de Lacédæmoniens présents individuellement ; de sorte que les spectateurs, composés en général de Grecs hostiles à Sparte, durent saluer la proclamation du nouveau nom comme étant une preuve de sa dégradation, aussi bien que par sympathie pour la longue et cruelle oppression des Messêniens[48]. Cette fête Olympique, — la première après la grande révolution causée par la bataille de Leuktra, — fut sans doute le théâtre d’une forte émotion anti-spartiate.

Pendant cette année 368 avant J.-C., les Thêbains n’entreprirent pas de marche pour entrer dans le Péloponnèse ; le congrès de la paix à Delphes occupa probablement leur attention, tandis que les Arkadiens ne désiraient ni ne réclamaient leur secours. Mais Pélopidas conduisit dans cette année une armée thêbaine en Thessalia, afin de protéger Larissa et les autres cités contre Alexandre de Pheræ, et de contre-miner les ambitieux projets de ce despote qui demandait à Athènes du renfort. Il réussit dans son premier objet. Alexandre fut forcé de le visiter à Larissa, et de solliciter la paix. Toutefois ce despote, alarmé des plaintes qui venaient de tous les côtés sur sa cruauté, et du langage d’abord persuasif, ensuite menaçant, tenu par Pélopidas, — cessa bientôt de se croire en sûreté, et s’enfuit à Pheræ. Pélopidas établit une union défensive contre lui dans les autres cités thessaliennes, et ensuite il marcha droit en Macédoine, où le régent Ptolémée, n’étant pas assez fort pour lui résister, entra dans une alliance avec les Thêbains ; leur livrant trente otages des familles les plus distinguées de Macédoine, comme garantie de la fidélité de son attachement. Au nombre des otages se trouvait le jeune Philippe, fils d’Amyntas, qui resta en cette qualité à Thêbes pendant quelques années, sous la garde de Pammenês[49]. Ce fut ainsi que Ptolémée et la famille d’Amyntas, bien qu’ils eussent été maintenus en Macédoine par l’active intervention d’Iphikratês et des Athéniens peu de mois auparavant, se rattachèrent néanmoins à ce moment par une alliance aux Thêbains, les ennemis d’Athènes. Æschine, l’orateur athénien, les accuse d’ingratitude ; mais il est possible que les forces supérieures des Thêbains ne leur aient pas laissé le choix. L’armée thêbaine et la macédonienne furent toutes deux engagées pour protéger la liberté d’Amphipolis contre Athènes[50]. Et Pélopidas retourna à Thèbes, après avoir étendu l’ascendant de cette ville non seulement sur la Thessalia, mais encore sur la Macédoine, ascendant assuré par l’acquisition des trente otages.

Cette extension de la puissance thêbaine, dans la Grèce septentrionale, dérangea les projets maritimes d’Athènes sur la côte de Macédoine, en même temps qu’elle jeta le fondement d’une alliance entre elle et Alexandre de Pheræ (368 av. J.-C.). Tandis qu’elle s’opposait ainsi aux Thêbains en Thessalia, il arriva de Syracuse à Corinthe une seconde escadre et un second renfort, sous Kissidas, qu’envoyait le despote Denys. Dans l’assemblée des alliés réunis à Corinthe, un débat étant ouvert quant à la meilleure manière de les employer, les Athéniens demandèrent avec instance qu’on les envoyât agir en Thessalia. Mais les Spartiates soutinrent une idée opposée, et obtinrent qu’on les expédiât vers la côte méridionale de la Laconie, afin qu’ils pussent concourir à repousser les Arkadiens ou à envahir leur pays[51]. Renforcé par les Siciliens et par d’autres mercenaires, Archidamos conduisit les forces lacédæmoniennes contre l’Arkadia. Il prit Karyæ d’assaut, et mit à mort tous les hommes dont il s’empara dans la place ; et de plus il ravagea tout le territoire arkadien, dans le district portant le nom des Parrhasii, jusqu’à ce que les forces arkadiennes et argiennes combinées arrivassent pour s’opposer à lui ; alors il se retira sur une hauteur près de Midea[52]. Là, Kissidas, le commandant syracusain, notifia qu’il devait se retirer, vu que la période que comprenaient ses ordres était expirée. En conséquence, il se mit en mouvement pour retourner à Sparte ; mais à moitié chemin de sa marché, dans un étroit défilé, les troupes messêniennes l’empêchèrent d’avancer, et le mirent dans un tel embarras qu’il fut forcé d’envoyer demander du secours à, Archidamos. Ce dernier parût bientôt, tandis que le corps principal des Arkadiens et des Argiens suivit également ; et Archidamos résolut de les attaquer flans une bataille générale près de Midea. Suppliant ses soldats, dans un langage plein de force, de sauver le grand nom de Sparte de la honte dans laquelle il était tombé, il les trouva pleins d’une ardeur qui répondit à, son appel. Ils se précipitèrent à la charge avec tant de fureur que les Arkadiens et les Argiens furent complètement vaincus, et s’enfuirent en faisant à, peine de résistance. La poursuite fut vive, surtout de la part des mercenaires gaulois, et le massacre effrayant. Dix mille hommes (si nous en devons croire Diodore) furent tués, sans la perte d’un seul Lacédæmonien. La nouvelle de cette victoire facile et importante ou, comme elle finit par être appelée, de la bataille sans larmes — fut sur-le-champ transmise à Sparte par le héraut Demotelês. L’émotion que produisit son récit fut si puissante, que tous les Spartiates qui l’entendirent fondirent en larmes ; Agésilas, les sénateurs et les éphores, donnant l’exemple[53] ; ce qui prouve d’une manière frappante combien leurs âmes étaient devenues récemment humiliées, et désaccoutumées de l’idée de la victoire, et d’une manière non moins frappante, quand nous comparons cette émotion avec l’inflexible empire sur eux-mêmes qu’ils maintinrent en recevant la désastreuse nouvelle de Leuktra, combien une joie inattendue est plus irrésistible qu’une douleur inattendue, dans son action sur ces âmes à la trempe de fer !

L’insolence des Arkadiens avait été si blessante, que l’annonce de leur défaite ne fut pas mal accueillie même de leurs alliés les Thêbains et les Eleiens. Elle leur fit sentir qu’ils n’étaient pas indépendants de l’aide thêbaine, et détermina Épaminondas à se montrer de nouveau dans le Péloponnèse, spécialement en vue de faire entrer les Achæens dans son alliance (367 av. J.-C.). La ligne défensive de l’Oneion était encore occupée par les Lacédæmoniens et par les Athéniens, qui avaient leur quartier général à Corinthe. Cependant, comme elle était restée toute l’année précédente sans être attaquée, elle était en ce moment gardée avec tant de négligence, que Peisias, le général d’Argos, poussé par une requête privée d’Épaminondas, put s’emparer soudainement des hauteurs qui dominaient Kenchreæ, avec une armée de deus mille hommes et des provisions pour sept jours. Le commandant thêbain, hâtant sa marche, trouva ainsi la ligne de l’Oneion ouverte prés de Kenchreæ, et entra dans le Péloponnèse sans résistance ; puis il s’avança, rejoint par ses alliés péloponnésiens, contre les cités d’Achaïa[54]. Jusqu’à la bataille de Leuktra, ces cités avaient été au nombre des alliés dépendants de Sparte, gouvernées par des oligarchies locales dans son intérêt. Depuis cet événement, elles s’étaient séparées d’elle, mais elles étaient encore sous des gouvernements oligarchiques (bien que sans doute les hommes fussent changés), et elles étaient restées neutres sans s’attacher ni aux Arkadiens ni aux Thêbains[55]. N’étant pas en état de résister à mie armée d’invasion aussi formidable, elles ouvrirent des négociations avec Épaminondas, et demandèrent à être inscrites comme alliées de Thêbes, s’engageant à suivre ses ordres à toute sommation et à faire leur devoir comme membres de son assemblée. Elles offrirent des garanties qu’Épaminondas jugea suffisantes pour l’accomplissement de leur promesse. Conséquemment, en vertu de son propre ascendant personnel, il consentit à les accepter telles qu’elles étaient, sans demander ni le bannissement des chefs actuels ni la substitution des formes démocratiques à la place des formes oligarchiques[56]. Un pareil acte était non seulement conforme à la modération de conduite si remarquable dans Épaminondas, mais encore fait pour fortifier les intérêts de Thêbes dans le Péloponnèse, pendant que duraient les dispositions actuelles jalouses et peu satisfaisantes des Arkadiens, en attachant à elle sur des motifs particuliers les Achæens aussi bien que let Eleiens ; ces derniers étant eux-mêmes détachés à demi des Arkadiens. En outre, Épaminondas délivra Naupaktos et Kalydôn[57], qui étaient occupées par des garnisons achæennes, et qu’il inscrivit comme alliées séparées de Thêbes, où il retourna ensuite, sans avoir fait autre chose (autant que nous le savons) dans le Péloponnèse.

Mais les calculs généreux de cet homme éminent trouvèrent peu de faveur auprès de ses compatriotes. Les Arkadiens et le parti de l’opposition dans les cités achæennes portèrent des accusations contre lui, alléguant qu’il avait découragé et humilié tous les amis réels de Thêbes, en laissant le pouvoir aux mains d’hommes qui se joindraient à Sparte à la première occasion favorable. De plus, l’accusation fut poussée par Menekleidas, orateur thêbain de talent, fortement opposé à Épaminondas, aussi bien qu’à Pélopidas. Le mécontentement des Thêbains fut si prononcé, en partie peut-être par répugnance d’offenser les Arkadiens, que non seulement ils annulèrent les mesures politiques d’Épaminondas en Achaïa, mais encore qu’ils s’abstinrent de le réélire comme bœôtarque l’année suivante[58]. Ils envoyèrent des harmostes de leur choix dans chacune des cités achæennes, — renversèrent les oligarchies existantes, — exilèrent les principaux membres et partisans oligarchiques, — et établirent dans chacune d’elles des gouvernements démocratiques. Par là, un corps considérable d’exilés se trouva bientôt accumulé, qui, guettant une occasion favorable et combinant leurs forces réunies contre chaque cité successivement, furent assez forts pour renverser les démocraties nouvellement créées, et pour chasser les harmostes thêbains. Rétablis ainsi, les oligarques achæens prirent parti pour Sparte d’une manière décidée et active[59], pressant avec vigueur les Arkadiens d’un côté, tandis que les Lacédæmoniens, encouragés par la récente Bataille sans larmes, faisaient d’actifs efforts de l’autre.

La ville de Sikyôn, attenante à l’Achaïa, était, à cette époque, alliée de Thèbes ; elle avait dans son acropolis un harmoste et une garnison de cette ville. Mais son gouvernement, qui avait toujours été oligarchique, restait encore sans changement. La récente contre-révolution opérée dans les cités achæennes, suivie de près de leur réunion à Sparte, fit craindre aux Arkadiens et aux Argiens que Sikyôn aussi ne suivit leur exemple. Un des principaux citoyens de cette ville nommé Euphrôn profita de cette alarme. Il les avertit que si on laissait le pouvoir aux oligarques, ils obtiendraient certainement du secours de la garnison de Corinthe, et embrasseraient les intérêts de Sparte. Pour prévenir cette défection (dit-il), il était indispensable que Sikyôn fût rendue démocratique. Il s’offrit ensuite, avec leur aide, à accomplir cette révolution, assaisonnant son offre de fortes protestations de dégoût contre l’arrogance et l’oppression intolérables de Sparte ; protestations non inutiles, puisqu’il avait lui-même, avant la bataille de Leuktra, dirigé le gouvernement de sa cité natale en qualité d’agent local dans l’intérêt de cette ville et pour ses desseins. Les Arkadiens et les Argiens, entrant dans les vues d’Euphrôn, envoyèrent à Sikyôn des forces considérables, dont la présence et l’appui lui permirent de convoquer une assemblée générale -dans la place du marché, de proclamer la déposition de l’oligarchie, et de proposer une démocratie égale pour l’avenir. Sa proposition étant adoptée, il invita ensuite le peuple à choisir des généraux, et les personnes choisies furent, comme on pouvait naturellement s’y attendre, lui-même avec cinq partisans. L’oligarchie précédente n’avait pas été sans avoir auparavant des forces mercenaires à son service, sous le commandement de Lysimenês ; mais ces hommes frirent terrifiés par les nouvelles forces étrangères introduites. Euphrôn s’occupa alors de les réorganiser, pour les placer sous le commandement de son fils Adeas au lieu de Lysimenês, et d’augmenter leur force numérique. Choisissant parmi eux une garde de corps spéciale pour sa sûreté personnelle, et étant ainsi maître de la cité sous le masque de chef de la nouvelle démocratie, il inaugura la carrière de la tyrannie la plus rapace et la plus sanguinaire[60]. Il fit assassiner plusieurs de ses collègues, et bannir d’autres. Il chassa aussi en masse les citoyens les plus opulents et les plus éminents, sur soupçon de laconisme ; il confisqua leurs propriétés pour se procurer de l’argent, pilla le trésor public, et même dépouilla les temples de leur riche fonds d’ornements d’or et d’argent consacrés. De plus, il se fit des partisans en affranchissant de nombreux esclaves, en les élevant au rang de citoyens, et probablement en les enrôlant dans sa troupe payée[61]. Le pouvoir qu’il acquit ainsi devint très grand. L’argent dont il s’empara lui permit non seulement de garder ses nombreux mercenaires en leur donnant une paye régulière, mais encore de gagner les principaux Arkadiens et Argiens, de sorte qu’ils connivèrent à ses énormités ; tandis qu’il était en outre actif en campagne et prêt à leur prêter l’appui de ses troupes. L’harmoste thêbain occupait encore l’acropolis avec sa garnison, bien qu’Euphrôn fût maître de la ville et du port.

Pendant que le pouvoir d’Euphrôn à Sikyôn était à son apogée, la ville voisine de Phlionte eut cruellement à souffrir (367 av. J.-C.). Les Phliasiens étaient restés constamment attachés à Sparte pendant tous ses malheurs ; malgré les incessantes hostilités d’Argos, de l’Arkadia, de Pellênê et de Sikyôn, qui détruisaient leurs récoltes et leur infligeaient des maux pénibles. J’ai déjà raconté que dans l’année 369 avant J.-C., peu avant que la ligne de l’One on fût forcée par Épaminondas, la ville de Phlionte, après avoir été surprise par ses exilés avec l’aide des Eleiens et des Arkadiens, n’avait été sauvée que par la bravoure et la résistance désespérées de ses citoyens[62]. L’année suivante, 368 avant J.-C., les forces argiennes et arkadiennes ravagèrent de nouveau la plaine phliasienne, en y causant un grand dommage ; non pas toutefois sans qu’elles éprouvassent quelques pertes à leur départ, par suite de l’attaque des hoplites d’élite phliasiens et de quelques cavaliers athéniens de Corinthe[63]. L’année suivante, 367 avant J.-C., une seconde invasion du territoire phliasien fut tentée par Euphrôn, avec ses propres mercenaires au nombre de deux mille, — la force armée de Sikyôn et de Pellênê, — et l’harmoste thêbain et la garnison thêbaine de l’acropolis de Sikyôn. En arrivant près de Phlionte, les Sikyoniens et les Pellêniens furent postés près de la porte de la ville qui regardait du côté de Corinthe, afin de résister à toute sortie faite de l’intérieur ; tandis que les autres envahisseurs firent un circuit autour de la ville, sur une ligne élevée de terrain appelée le Trikaranon (qui avait été fortifiée par les Argiens et était occupée par leur garnison), pour arriver à la plaine phliasienne et la ravager. Mais la cavalerie et les hoplites phliasiens leur résistèrent avec tant de bravoure, qu’ils les empêchèrent de se répandre sur la plaine pour exercer leurs dévastations, jusqu’à ce qu’à la fin du jour ils se retirassent pour rejoindre les Sikyoniens et les Pellêniens. Toutefois, il se trouva qu’ils étaient séparés de ces derniers par un ravin qui les força de faire un long circuit, tandis que les Phliasiens, passant par une route plus courte tout près de leurs propres murs, atteignirent avant eux les Sikyoniens et les Pellêniens, qu’ils attaquèrent avec vigueur et défirent en leur fanant essuyer des pertes. Euphrôn avec ses mercenaires et la division thêbaine arriva trop tard pour prévenir ce désastre, qu’il ne tenta pas de réparer[64].

Un éminent citoyen pellênien nommé Proxenos, ayant été fait prisonnier dans cet engagement, les Phliasiens, malgré toutes leurs souffrances, le relâchèrent sans rançon. Cet acte de générosité, — joint aux pertes essuyées par les Pellêniens dans la récente rencontre, aussi bien qu’avec les récentes contre-révolutions oligarchiques qui avaient séparé de Thèbes les autres cités achæennes, — changea la politique de Pellênê, et amena une paire entre cette cité et Phlionte[65]. Une pareille adjonction apporta un soulagement sensible, — on pourrait presque dire le salut, — aux Phliasiens, au milieu de leur cruel appauvrissement, vu que, comme ils obtenaient par achat de Corinthe même leurs subsistances indispensables, à l’exception de ce qu’ils se procuraient par des excursions de maraude sur l’ennemi, —ils trouvaient de la difficulté à les payer, et plus de difficulté encore à les apporter chez eux en face d’un ennemi. Ils purent alors, grâce à l’aide du général athénien Charês et de ses troupes mercenaires venues de Corinthe, escorter leurs familles et leur population non militaire à Pellênê, où les citoyens leur donnèrent asile avec bonté. Les Phliasiens qui servaient comme soldats, en escortant dans leur marche de retour vers Phlionte une quantité de provisions, se firent jour à travers une embuscade dressée sur leur route par l’ennemi qu’ils défirent ; et ensuite, conjointement avec Charês, ils surprirent le fort de Thyamia, que les Sikyoniens étaient en train de fortifier sur leurs frontières comme poste agressif. Ce fort devint non seulement une défense pour Phlionte, mais un moyen d’agression contre l’ennemi, et il donna également une grande facilité pour l’introduction des provisions de Corinthe[66].

Ces succès et le soulagement général obtenus par les Phliasiens avaient une autre cause, c’était l’état bouleversé des affaires à Sikyôn (367 av. J.-C.). La tyrannie d’Euphrôn était devenue si intolérable, que les Arkadiens, qui avaient contribué à l’élever, s’en dégoûtèrent. Æneas de Stymphalos, général des forces arkadiennes collectives, se rendit à Sikyôn avec un corps de troupes, rejoignit I’harmoste thêbain dans l’acropolis, et y convoqua à une assemblée les notables sikyoniens. Sous sa protection, le sentiment intense contre Euphrôn se manifesta librement, et il fut résolu qu’on rappellerait les nombreux exilés qu’il avait bannis sans jugement ni sentence publique. Redoutant la colère de ces ennemis nombreux et acharnés, Euphrôn jugea prudent de se retirer au port avec ses mercenaires ; il invita à y venir Pasimêlos le Lacédæmonien, avec une partie de la garnison de Corinthe, et immédiatement il se déclara ouvertement partisan de Sparte. Le port, ville séparée et fortifiée à quelque distance de la cité (comme Lechæon l’était de Corinthe), était ainsi occupé par les Spartiates et pour eux, tandis que Sikyôn adhérait aux Thêbains et aux Arkadiens. Toutefois, dans Sikyôn elle même, bien qu’évacuée par Euphrôn, il resta encore de violentes dissensions. Les exilés de retour se montraient probablement cruels dans des mesures réactionnaires ; les citoyens plus humbles craignaient de perdre leurs privilèges politiques nouvellement acquis ; et les esclaves affranchis redoutaient encore plus de se voir enlever cette liberté, que leur avait conférée la récente révolution.

Aussi Euphrôn conservait-il encore tant de partisans qu’après avoir obtenu d’Athènes un renfort de troupes mercenaires, il put retourner à Sikyôn, et s’établir de nouveau comme maître de la ville conjointement avec le parti populaire. Mais comme ses adversaires, les principaux personnages de la ville trouvèrent asile avec la garnison thêbaine dans l’acropolis, qu’il essaya en vain de prendre d’assaut[67], la possession même de la ville était pour lui entièrement précaire, jusqu’à ce que de si formidables voisins pussent être éloignés. En conséquence, il résolut de visiter Thèbes, dans l’espérance d’obtenir des autorités un ordre pour chasser ses adversaires et remettre une seconde fois Sikyôn sous sa domination. Sur quels motifs, après avoir si récemment passé aux Spartiates, appuyait-il ses espérances de succès, c’est ce que nous ne savons pas ; si ce n’est qu’il prit avec lui une somme considérable d’argent dans le dessein de pratiquer la corruption[68]. Ses adversaires sikyoniens, craignant qu’il n’en vint réellement à ses fins, le suivirent à Thèbes ; où leurs alarmes s’accrurent davantage en le voyant dans un commerce familier avec les magistrats. Dans leur premier mouvement de terreur et de désespoir, ils assassinèrent Euphrôn en plein jour, sur la Kadmeia, et même devant les portes du palais du sénat thêbain, où siégeaient et les magistrats et les sénateurs.

Pour un acte de violence aussi patent, ils furent naturellement saisis sur-le-champ, et jugés devant le sénat (367 av. J.-C.). Les magistrats appelèrent sur leurs têtes la peine la plus grave, la mort, en insistant sur l’énormité et même sur l’impudence de l’outrage commis presque sous les yeux des autorités, — aussi bien que sur l’obligation sacrée de défendre non seulement la majesté, mais même la sécurité de la cité, par un châtiment exemplaire infligé à, des coupables qui avaient méprisé les lois. Quel fut le nombre des personnes impliquées dans l’affaire, nous l’ignorons. Toutes, une seule exceptée, nièrent y avoir participé réellement ; mais cette seule personne avoua franchement son acte, et se leva pour le justifier devant le sénat thêbain. II parla en substance à peu près comme il suit, — en relevant le langage des magistrats accusateurs :

Je ne puis avoir de dédain pour vous, hommes de Thèbes, car vous êtes maîtres et de ma personne et de ma vie. Ce fut sur d’autres motifs de confiance que je tuai cet homme : d’abord, j’avais la conviction de faire une action juste, ensuite j’avais foi dans la sagesse de votre jugement. Je savais que vous n’avez pas attendu un procès- et une sentence pour tuer Archias et Hypatês[69], que vous saisîtes après une carrière semblable à celle d’Euphrôn, — mais que vous les avez punis à, la première occasion praticable, dans la conviction que des hommes manifestement coupables de sacrilège, de trahison et de despotisme, étaient déjà condamnés à mort par tout le monde. Eh bien, Euphrôn n’était-il pas coupable aussi de tous ces crimes ? N’a-t-il pas trouvé les temples pleins d’offrandes d’or et d’argent, et ne les a-t-il pas dépouillés jusqu’à ce qu’ils fussent vides ? Peut-il y avoir un traître plus palpable que l’homme qui, favorisé et soutenu par Sparte, commença par la trahir pour vous ; et ensuite, après avoir reçu de vous toutes les marques de confiance, vous trahit pour elle, en remettant le port de Sikyôn à vos ennemis ? N’était-il pas un despote absolu l’homme qui élevait des esclaves, non seulement au rang d’hommes libres, mais à celui de citoyens ? l’homme qui dépouillait, bannissait ou tuait, non pas des criminels, mais tous ceux qu’il voulait, et surtout les principaux citoyens ? Et maintenant, après avoir vainement tenté, conjointement avec vos ennemis les Athéniens, de chasser de force votre harmoste de Sikyôn, il a réuni des fonds considérables, et il vient ici pour en faire usage dans son intérêt. S’il avait réuni des armes et des soldats contre vous, vous m’auriez remercié de l’avoir tué. Comment donc pouvez-vous me punir de lui avoir tonné ce qu’il méritait, quand il est venu avec de l’argent pour vous corrompre et pour acheter de nouveau de vous l’empire de Sikyôn, honte et dommage pour vous ? S’il avait été mon ennemi et votre ami, j’aurais indubitablement fait mal de le tuer dans votre cité ; mais c’est un traître qui vous trompe, comment est-il plutôt mon ennemi que le vôtre ? On me dira qu’il est venu ici de son propre mouvement, ayant confiance dans les lois de la cité. Eh bien, vous m’auriez remercié de l’avoir tué partout ailleurs hors de Thèbes ; pourquoi ne me remercieriez-vous aussi de l’avoir tué dans Thèbes, quand il y est venu uniquement afin d’ajouter de nouveaux torts contre vous à ses anciens crimes ? Où chez les Grecs l’impunité a-t-elle jamais été assurée à des traîtres, à des déserteurs ou à des despotes ? Rappelez-vous que vous avez voté que des exilés d’une cité quelconque de vos alliés pourraient être saisis comme proscrits dans une autre cité. Or Euphrôn est un exilé condamné qui a osé retourner à Sikyôn sans un vote du corps général des alliés. Comment peut-on soutenir qu’il n’a pas justement encouru la mort ? Voici ce que je vous dirai en terminant, hommes de Thèbes :Si vous me mettez à mort, vous vous serez faits les vengeurs de votre plus dangereux ennemi ;si vous déclarez que j’ai eu raison, vous vous montrerez publiquement de justes vengeurs, tant en votre nom qu’au nom de tout le corps des alliés[70].

Ce discours frappant engagea le sénat thêbain à déclarer qu’Euphrôn avait eu ce qu’il méritait. Il fut prononcé probablement par l’un des principaux citoyens de Sikyôn, parmi lesquels étaient la plupart des ennemis aussi bien que des victimes du despote assassiné. Il fait appel, d’une manière caractéristique, à cette partie de la morale grecque portant sur des hommes qui, par leurs crimes- mêmes, se procuraient les moyens d’être impunis ; contre lesquels il n’y avait pas de force légale qui protégeât les autres, et qui par conséquent étaient considérés comme n’ayant pas droit eux-mêmes à une protection, s’il arrivait jamais que les poignards des autres pussent les atteindre. Le tyrannicide fait appel à ce sentiment avec confiance, comme étant répandu dans toutes les cités grecques libres.- Il trouva en réponse l’assentiment du sénat thébain, et probablement il aurait trouvé le même assentiment, s’il eût été exposé avec la même force dans la plupart des sénats ou des assemblées de toute autre contrée de la Grèce.

 

À suivre

 

 

 



[1] Æschine, De Fals. Leg., c. 13, p. 249 ; Isocrate, Or. V (Philipp.), s. 121. Les relations d’Amyntas avec Thêbes n’ont guère pu être considérables ; celles avec Argos avaient pour base un fort sentiment légendaire et de communauté d’ancêtres plutôt que des motifs politiques communs ; avec Athènes, elles étaient ù la fois politiques et sérieuses ; avec Sparte, elles étaient attestées par l’aide et la coopération militaires les plus importantes.

[2] Xénophon, Helléniques, VI, 1, 17.

[3] Æschine, De Fals. Leg., c. 13, p. 249. Voir le dernier chapitre du tome XIV.

[4] Démosthène, cont. Timoth., c. 8, p. 1194 ; Xénophon, Hellenica, VI, 1, 11.

[5] Æschine, De Fals. Legat., c. 13, p. 218. Démosthène, cont. Arist., c. 30, p. 660 : Cf. ibid., c. 29, p. 657.

[6] Xénophon, Helléniques, VI, 5, 2.

[7] Démosthène (Philippic., II, c. 4, p. 71 ; De Halonneso, c. 3, p. 79 ; De Rebus Chersones, c. 2, p. 91) ; et Epistol. Philipp. ap. Demosth., c. 6, p. 163.

[8] Cf. les aspirations d’Athènes, telles qu’elles sont exposées en 391 avant J.-C., quand les propositions de paix recommandées par Andocide étaient à l’examen, — aspirations qui furent regardées alors comme étant au delà de tonte espérance de réalisation, et dont il était même imprudent de parler (Andocide, De Pace, s. 15).

[9] Æschine, De Fals. Leg. c. 14, p. 250.

Le remarquable événement auquel Æschine fait ici allusion a dû arriver dans le congrès tenu à Sparte dans le mois qui précéda la bataille de Leuktra, où la paix générale fut jurée, avec une autonomie universelle garantie, — laissant seulement Thèbes en dehors ; sinon, an congrès subséquent tenu trois ou quatre mois plus tard à Athènes, où mie paix, à des conditions semblables en général, fut jurée de nouveau sous les auspices d’Athènes comme État président.

Ma conviction est qu’il arriva dans la dernière occasion à Athènes. D’abord, l’allusion d’Æschine aux δημόσια γράμματα nous amène à conclure que l’affaire fut faite dans cette cité ; en second lieu, je ne pense pas que les Athéniens auraient été en état d’exiger une telle réserve eu leur faveur. avant lit bataille de Leuktra ; en troisième lieu, le congrès :L Sparte fut tenu, non dans le dessein d’une συμμαχία ou alliance, niais eu vue de terminer la guerre et de conclure une paix, tandis que le congres subséquent à Athènes formait la base d’une alliance défensive, a laquelle Sparte adhéra, soit alors, soit pou de temps après.

[10] Les prétentions avancées par Philippe de Macédoine (dans son Epistola ad Athenienses, ap. Démosthène, p. 164) soutenant qu’Amphipolis ou sa localité appartenait dans l’origine à son ancêtre Alexandre, fils d’Amyntas, qui en aurait chassé les Perses, — sont sans fondement, et contredites par Thucydide. Du moins, si (ce, qui est à peine possible) Alexandre acquit jamais ce lieu, il doit l’avoir perdu plus tard ; car il était occupé par les Thraces Edoniens, tant en 465 avant J.-C., lorsque Athènes fit sa première tentative malheureuse pour y établir une colonie, — qu’en 437 avant J.-C., où elle essaya de nouveau avec plus de succès sous Agnon, et qu’elle établit Amphipolis (Thucydide, IV, 102),

L’expression d’Æschine, disant, qu’Amyntas en 371 avant J.-C. céda Amphipolis ou s’en retira (De Fals. Legat., l. c.) ne peut tout au plus s’expliquer que comme se rapportant à des droits qu’il peut avoir réclamés, puisqu’il ne la posséda jamais réellement, bien que nous ne puissions nous étonner que l’orateur fasse usage d’un : tel langage en s’adressant à Philippe, fils d’Amyntas, qui était réellement naître de la ville.

[11] Diodore, XV, 60.

[12] Xénophon, Helléniques, VI, 4, 33, 34.

Diodore (IV, 61) appelle Alexandre de Pheræ frère de Polydoros ; Plutarque (Pélopidas, c. 29) l’appelle neveu. Xénophon ne dit pas expressément ce qu’il était ; mais son récit semble appuyer l’assertion de Diodore plutôt que celle de Plutarque.

[13] Diodore, XV, 61.

[14] Diodore, XV, 67.

Les affaires de Macédoine et de Thessalia à cette époque sont difficiles à reconnaître clairement. Ce qui est dit dans le texte vient de Diodore, qui toutefois affirme en outre que Pélopidas entra en Macédoine, et ramena comme otage à Thêbes le jeune Philippe, frère d’Alexandre. Cette dernière affirmation est inexacte ; nous savons que Philippe était en Macédoine, et libre après la mort d’Alexandre. Et je crois que ce fut dans l’année suivante, 368 avant J.-C., que Pélopidas entra en Macédoine, et ramena Philippe comme otage.

Justin aussi dit (VII, 5), d’une manière erronée, qu’Alexandre de Macédoine donna son frère Philippe comme otage, d’abord aux Illyriens, ensuite aux Thêbains.

[15] Démosthène, De Fals. Legat., c. 58, p. 402 ; Diodore, XV, 71.

Diodore commet l’erreur d’appeler ce Ptolémée fils d’Amyntas et frère de Perdikkas, bien qu’en même temps il le représente comme Πτολεμαϊος Άλωφίτης, ce qui s’appliquerait difficilement à l’un des frères royaux. De plus, le passage d’Æschine, Fals. Leg., c. 14, p. 250, prouve que Ptolémée n’était pas fils d’Amyntas ; et Dexippos (ap. Syncellum, p. 263) confirme le fait.

Voir ces points discutés dans les Fasti Hellenici de M. Fynes Clinton, Appendice, c. 4.

[16] Diodore, XVI, 2.

[17] Æschine, Fals. Legat., c. 13, 14, p. 249, 250 ; Justin, VII, 6.

Æschine mentionne Ptolémée comme régent, au nom d’Eurydikê et de ses deux plus jeunes fils. Il mentionne également Alexandre comme étant mort récemment, mais il ne dit rien de son assassinat. Néanmoins il n’y a, pas lieu de douter qu’il n’ait été assassiné, ce que nous savons et par Démosthène et par Diodore, et assassiné par Ptolémée, ce que nous apprennent Plutarque (Pélopidas, c. 27), Marsyas (ap. Athenæum, XIV, p. 629) et Diodore. Justin dit qu’Eurydikê conspira et contre son époux Amyntas, et contre ses enfants, de concert avec un amant. Les assertions d’Æschine tendent plutôt à la décharger de l’accusation, d’avoir été mêlée à la mort d’Amyntas, mais à appuyer celle d’avoir été complice de Ptolémée dans le meurtre d’Alexandre.

L’assassinat était un sort qui arrivait fréquemment aux rois macédoniens. Quand nous en viendrons, à l’histoire d’Olympias, mère d’Alexandre le Grand, on verra que les reines macédoniennes étaient capables de crimes plus grands que ceux qu’on imputait à Eurydikê.

[18] Æschine, Fals. Leg., c.13, 14, p. 249, 250 ; Cornélius Nepos, Iphicrate, c. 3.

[19] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 669, s. 150.

Démosthène parle ici du temps où Timotheos remplaça Iphikratês dans le commandement, c’est-à-dire vers 365-364 avant J.-C. Mais nous sommes autorisés à bon droit à présumer que la même chose est vraie de 369 ou de 368 avant J.-C.

[20] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 669, s. 149, c. 37.

[21] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 669, s. 149, c. 37.

Le passage dans lequel cet orateur fuit allusion à ces otages dès Amphipolitains entre les mains d’Iphikratês n’est malheureusement pas complètement intelligible sans autre information.

Qui était Harpalos, — ou qu’est-il entendu par Iphikratês obtenant de lui les otages amphipolitains (ou s’en emparant), — c’est ce que nous ne pouvons déterminer. Il se peut que Harpagos ait été commandant d’un corps de Macédoniens ou de Thraces agissant comme auxiliaires des Amphipolitains, et dans ce caractère exigeant d’eux des otages comme garantie. Charidêmos, comme nous le voyons ensuite quand il servit Kersobleptês, reçut des otages des habitants de Sestos. (Démosthène, cont. Aristokratês, p. 679, c. 40, s. 177).

[22] Démosthène, De Rhodiorum Libert., c. 5, p. 193.

[23] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 1.

Les mots τώ ύστέρω έτει doivent indiquer l’année commençant dans le printemps de 369 av. J.-C. Sur ce point, je suis d’accord avec le docteur Thirlwall (Hist. Greece., vol. 5, ch. 40, p. 145 note), en différant toutefois d’opinion avec lui (p. 146 note), aussi bien qu’avec M. Clinton, en ceci, — c’est que je place la seconde expédition d’Épaminondas dans le Péloponnèse (comme le fait Sievers, p. 278) en 369 av. J.-C., et non en 368 av. J.-C.

Le récit de Xénophon me fournit la conviction que c’est ce qu’il entendait affirmer. Voir ce qu’il dit au commencement du livre VII. Or les mots τώ δ̕ ύστέρω έτει indiquent le printemps de 369 avant J.-C.

Xénophon se met en devoir de décrire l’assemblée et la discussion à Athènes, relativement aux conditions de, l’alliance. Cette description occupe de VII, 1, 1, à VII, 1, 14, où sont annoncés le vote et l’accord finals.

Je crois que la décision de l’assemblée athénienne, — la marche des Athéniens et des Lacédæmoniens pour garder les lignes de l’Oneion — et la marche des Thêbains pour entrer dans le Péloponnèse — sont ici placés par Xénophon comme des événements se suivant immédiatement, avec peu d’intervalle de temps entre eux. Je ne vois pas de motif pour admettre l’intervalle d’une année entre le vote de l’assemblée et la marche des Thébains ; d’autant plus qu’Épaminondas pouvait raisonnablement présumer que la construction de Megalopolis et da Messênê récemment commencée, aurait besoin d’être appuyée par une autre armée thêbaine dans le Péloponnèse pendant l’année 369 avant J.-C.

On prétend, il est vrai (et Sievers même l’admet) qu’Épaminondas n’avait pu être réélu bœôtarque en 369 avant J.-C. Mais sur ce point, je pense différemment. Il me semble que l’issue du procès à Thêbes fût triomphante pour lui, ce qui rend plutôt probable — et non pas moins probable — que lui et Pélopidas furent réélus bœôtarques immédiatement.

[24] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 10-14.

[25] Xénophon, Helléniques, VII, I, 15, 16 ; Diodore, XV, 68.

[26] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 16 ; Polyen, II, 2, 9.

C’était une heure que l’on savait être favorable pour une attaque soudaine, procurant une chance considérable que l’ennemi ne fût pas sur ses gardes. Ce fut à la même heure que l’Athénien Thrasyboulos surprit les troupes des Trente, près de Phylê, en Attique (Xénophon, Helléniques, II, 4, 6).

[27] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 16 ; Pausanias, IX, 15, 2.

Pausanias décrit la bataille comme ayant été livrée περί Δέχαιον ; ce qui n’est pas très exact, sous le rapport topographique, puisque ce fut de l’autre côté de Corinthe, entre Corinthe et Kenchreæ. 

Diodore (XV, 68) dit que tout l’espace, depuis Kenchreæ sur une nier jusqu’à Lechæon sur l’autre fut retranché et palissadé par les Athéniens et les Spartiates. Mais cela, ne peut être vrai, parce que les Longs Murs étaient une défense suffisante entré Corinthe et Lechæon ; et même entre Corinthe et Kenchreæ, il n’est pas probable qu’une pareille ligne continue de défense ait été tirée, bien que les points attaquables fussent probablement gardés ainsi. Xénophon ne mentionne ni tranchée ni palissade.

[28] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 14-17 ; Diodore, XV, 68.

[29] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 18 ; VII, 2, 11 ; Diodore, XV, 69.

Pausanias semble faire allusion à cette marche contre Sikyôn (VI, 3, 1) ; la cavalerie éleienne était commandée par Stomios, qui tua le commandant des ennemis de sa propre main.

Il se peut que le stratagème employé par le Bœôtien Pammenês en attaquant le port de Sikyôn (Polyen, V, 16, 4) appartienne à cette entreprise.

[30] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 18, 22, 44 ; VII, 3, 2-8.

[31] Xénophon, Helléniques, VII, 2, 5-4.

Cet incident a dû survenir en 369 avant J.-C., précisément vers le temps où Épaminondas surprit et força les lignes défensives du mont Oneion. Dans le second chapitre du 7e livre, Xénophon reprend l’histoire de Phlionte, et il la conduit à partir de l’hiver de370-369 avant J.-C., où Épaminondas envahit la Laconie, par les années 369, 368, 367 avant J.-C.

[32] Xénophon, Helléniques, VII, 2, 17.

[33] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 19 ; Diodore, XV, 69.

[34] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 22 ; Diodore, XV, 70.

Diodore dit que ces mercenaires avaient reçu une paye pour cinq mois ; si cela est exact, je présume que nous devons comprendre que dans cet intervalle était compris leur voyage d’aller et de retour. Néanmoins, le langage de Xénophon nous amènerait à supposer qu’ils restèrent dans le Péloponnèse même aussi longtemps que trois mois.

Toutefois je regarde comme certain qu’il a dû se passer dans cette campagne beaucoup plus de choses que Xénophon n’en indique. Épaminondas n’aurait guère forcé le passage de l’Oneion pour d’aussi petits objets que ceux que nous trouvons mentionnés dans les Hellenica.

Une inscription athénienne, extrêmement défectueuse, cependant rétablie en partie et publiée par M. Bœckh (Corp. Inscr., n° 85 et Addenda au vol. I, p. 897), rapporte un vote du peuple athénien et de l’assemblée des confédérés athéniens, — louant Denys de Syracuse, — et le mentionnant avec ses deux fils comme bienfaiteurs d’Athènes. Il fut probablement rendu à peu près vers cette époque, et nous savons par Démosthène que les Athéniens accordèrent le droit de cité à Denys et à ses descendants (Démosthène, ad Philipp. Epistol., p. 161, aussi bien que l’Épître de Philippe, dont la première est un commentaire). L’inscription est trop défectueuse pour autoriser toute autre conclusion.

[35] Pausanias, IX, 15, 2.

[36] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 23.

[37] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 25.

Diodore avance que Lykomêdês et les Arkadiens prirent Pellênê, qui est dans une situation différente, et ne peut guère se rapporter à la même expédition (XV, 67).

[38] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 26.

[39] Xénophon, Helléniques, III, 9, 30, 31.

[40] Polybe, IV, 77.

[41] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 26 ; VII, 4, 12.

[42] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 27.

[43] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 27 ; Diodore, XV, 70.

Diodore dit que Philiskos fut envoyé par Artaxerxés, ce qui ne semble pas exact ; il fut envoyé par Ariobarzanês au nom d’Artaxerxés. Diodore dit aussi que Philiskos laissa deux mille mercenaires munis d’une paye, pour le service des Lacédæmoniens, troupes qui ne sont jamais mentionnées plus tard.

[44] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 33.

[45] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 27.

[46] Voir ce fait indiqué dans Isocrate, Archidamus (Or. VI), s. 2-11.

[47] Pausanias, VI, 2, 5. Deux vainqueurs messêniens avaient été proclamés dans cet intervalle ; mais c’étaient des habitants de Messênê en Sicile. Et ils étaient tous deux d’anciens citoyens de Zanklê, nom que portait la Messênê sicilienne avant que le despote Anaxilaos voulût lui donner ce dernier nom.

[48] Voir le sentiment contraire, ou spartiate, — dégoût à l’idée d’hommes qui avaient été récemment leurs esclaves, se présentant comme spectateurs et comme compétiteurs dans la plaine d’Olympia, — exposé dans Isocrate, Or. VI (Archidamus), s. 111, 112.

[49] Plutarque, Pélopidas, c. 26.

[50] Æschine, De Fals. Legat., c. 14, p. 249.

Ni Plutarque ni Diodore ne me paraissent précis en spécifiant et en distinguant les différentes expéditions de Pélopidas en Thessalia Je ne pais m’empêcher de croire qu’il fit quatre expéditions différentes : deux avant son ambassade à la cour de Perse (ambassade qui s’effectua en 367 avant J.-C. : voir M. Clinton, Fast. Hellen., pour cette année, qui place exactement la date de cette ambassade), et deux après elle.

1° La première fut en 369 avant J.-C., après la mort d’Amyntas, mais pendant le court règne qui dura moins de deux ans, de son fils Alexandre de Macédoine.

Diodore mentionne ce fait (XV, 67), mais il ajoute, ce qui est erroné, que Pélopidas en cette occasion ramena Philippe comme otage.

2° La seconde fut en 368 avant J.-C. ; mentionnée également par Diodore (XV, 71) et par Plutarque (Pélopidas, c. 26).

Diodore (par erreur, à mon sens) rattache cette expédition à l’arrestation et à la détention de  Pélopidas par Alexandre de Pheræ. Mais ce fut réellement à cette occasion que Pélopidas ramena les otages.

3° La troisième (qui fut plutôt une mission qu’une expédition) fut en 366 avant J.-C., après que Pélopidas fut revenu de la cour de Perse, retour qui s’effectua vraisemblablement au commencement de 366 avant J.-C. Dans cette troisième marche, Pélopidas fut arrêté et fait prisonnier par Alexandre de Pheræ, jusqu’à ce qu’il fût délivré par Épaminondas. Plutarque mentionne cette expédition, la distinguant clairement de la seconde (Pélopidas, c. 27, — μετά δέ ταΰτα πάλιν, etc.) ; mais en faisant, à mon avis, cette erreur, qu’il la place avant le voyage de Pélopidas à la cour de Perse, tandis qu’elle s’opéra réellement après ce voyage dont elle fut la conséquence, voyage dont la date est 367 avant J.-C.

4° La quatrième et dernière, en 364-363 avant J.-C., dans laquelle il fut tué (Diodore, XV, 80 ; Plutarque, Pélopidas, c. 32).

[51] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 28.

[52] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 28. La place appelée ici Midea ne peut être identifiée. La seule place de ce nom que l’on connaisse est dans le territoire d’Argos, et totalement différente de ce qui est mentionné ici. O. Müller propose de substituer Malæa à la place de Midea, conjecture qu’il n’y a aucun moyen de vérifier.

[53] Xénophon, Helléniques, VII, I, 28-32 ; Diodore, XV, 72 ; Plutarque, Agésilas, c. 33.

[54] Je pense que cette troisième expédition d’Épaminondas dans le Péloponnèse appartient à 367 av. J.-C., étant simultanée avec l’ambassade de Pélopidas à. la cour de Perse. Plus d’un chronologiste la place en 366 avant J.-C., après la fin de cette ambassade, parce que la mention s’en rencontre dans Xénophon, après qu’il a terminé le récit de cette ambassade. Mais je ne crois pas que cela prouve le fait d’une date subséquente. Car nous devons nous rappeler que l’ambassade dura plusieurs mois ; de plus, l’expédition se fit quand Épaminondas était bœôtarque, et il cessa de l’être pendant l’année 366 avant J.-C. En outre, si nous plaçons l’expédition en 366 avant J.-C., il ne restera guère de temps pour toute la carrière d’Euphrôn à Sikyôn, qui intervint avant la paix de 366 avant J.-C. entre Thêbes et Corinthe (V. Xénophon, Helléniques, VII, 1, 44 sqq.).

La relation de contemporanéité entre l’ambassade de Pélopidas en Perse et l’expédition d’Épaminondas semble indiquée quand nous comparons VII, 1, 33, avec VII, 1, 48. Ensuite Xénophon continue en racontant toute l’ambassade, avec l’accueil défavorable qu’elle reçut à son retour, ce qui occupe tout l’espace jusqu’à VII, 2, 41.

Cette nouvelle expédition d’Épaminondas est une des manières adoptées par les Thêbains de manifester leur dessein général exprimé dans les premiers mots.

[55] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 42-44.

La neutralité observée auparavant est impliquée dans la phrase par laquelle Xénophon décrit leur conduite plus tard.

[56] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 42.

Son expression marque comment ces conditions furent accordées complètement par la détermination personnelle d’Épaminondas, triomphant de l’opposition.

[57] Diodore, XV, 75.

[58] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 43 ; Plutarque, Pélopidas, c. 25.

Diodore (XV, 72) rapporte le mécontentement des Thébains contre Épaminondas aux événements de l’année précédente. Ils croyaient (selon Diodore) qu’Épaminondas avait mal à propos ménagé les Spartiates et n’avait pas poussé la victoire aussi loin qu’il aurait pu le faire, quand il força les ligues du mont Oneion en 369 avant J.-C. Mais il est à. peine croyable que les Thébains aient été mécontents sous ce rapport ; car forcer les lignes était un exploit capital, et nous pouvons voir par Xénophon qu’Épaminondas accomplit beaucoup plus que les Spartiates et leurs amis ne croyaient qu’il était possible d’accomplir.

Xénophon nous dit que les Thêbains furent mécontents d’Épaminondas, sur une plainte des Arkadiens et d’autres, à cause de sa conduite en Achaïa deux ans après l’action à l’Oneion, c’est-à-dire eu 367 avant J.-C. Cela est beaucoup plus probable en soi, et beaucoup plus compatible arec la série générale des faits, que la cause assignée par Diodore.

[59] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 23.

Pour un cas semblable, dans lequel des exilés de beaucoup de villes différentes, se réunissant en corps, devinrent assez forts pour effectuer leur rétablissement dans chaque cité successivement, voir Thucydide, I, 113.

[60] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 44-46 ; Diodore, XV, 70.

[61] Xénophon, Helléniques, VII, 3, 8.

[62] Xénophon, Helléniques, VII, 2, 6-9.

[63] Xénophon, Helléniques, VII, 2, 10.

[64] Xénophon, Helléniques, VII, 2, 11-15.

[65] Ce changement de politique à Pellênê n’est point mentionné par Xénophon au moment, bien qu’il soit signalé plus tard (VII, 4, 17) comme un t’ait accompli ; mais nous devons supposer qu’il s’effectua alors, afin de concilier les sections 11-14 avec les sections 18-20 de VII, 2.

La force partialité laconienne de Xénophon le conduit à accorder non seulement une vive admiration, mais encore un espace disproportionné comparativement aux autres parties de son histoire, aux exploits de la brave petite communauté phliasienne. Par malheur, ici comme ailleurs, il est obscur dans la description d’événements particuliers, et encore plus embarrassant quand nous essayons de tirer de lui une idée claire de la série générale.

Toutefois, avec tous les défauts et toute la partialité du récit de Xénophon, nous devons tiens rappeler que c’est une description d’événements réels par un auteur contemporain qui avait des moyens raisonnables d’information. C’est un élément précieux, qui donne de la valeur à tout ce qu’il dit ; d’autant plus que nous sommes constamment obligé d’emprunter notre connaissance de l’histoire grecque soit à des auteurs qui écrivent de seconde main et après le temps, — soit à des orateurs dont les desseins sont habituellement différents de ceux de l’historien. C’est pourquoi j’ai donné un court abrégé de ces événements phliasiens tels que Xénophon les décrit, bien qu’ils fussent trop peu importants pour exercer de l’influence sur la marche générale de la guerre.

[66] Xénophon, Helléniques, VII, 2, 18-23.

[67] Xénophon, Helléniques, VII, 3, 9.

[68] Xénophon, Helléniques, VII, 3, 4-6.

[69] Cela a trait à l’expédition secrète de Pélopidas et des six autres conspirateurs thébains venus d’Athènes à Thèbes, à l’époque où les Lacédæmoniens étaient maîtres de cette ville et avaient une garnison dans la Kadmeia. Les conspirateurs, grince à la combinaison du secrétaire Phyllidas, eurent accès sous un déguisement auprès des chefs oligarchiques de Thêbes, qui gouvernaient en vertu de l’ascendant lacédæmonien et les mirent à mort. Cet événement est décrit dans le quatrième chapitre du 14e volume.

[70] Xénophon, Helléniques, VII, 3, 7-11.

C’est au meurtre d’Euphrôn, suivi d’une défense si caractéristique et si expressive de la part de son auteur, — que Schneider et autres rapportent, avec beaucoup de probabilité, l’allusion qui se trouve dans la Rhétorique d’Aristote (II, 21, 2).