HISTOIRE DE LA GRÈCE

QUATORZIÈME VOLUME

CHAPITRE IV — DEPUIS LA RÉDUCTION D’OLYNTHOS PAR LES LACÉDÆMONIENS JUSQU’AU CONGRÈS DE SPARTE ET À LA PAIX PARTIELLE EN 371 AVANT J.-C. (suite).

 

 

Et cette réserve ne provenait pas d’un manque quelconque de facilité à s’exprimer. Au contraire, l’éloquence d’Épaminondas, quand il commença sa carrière publique, parut être non seulement supérieure parmi les Thêbains, mais puissante même contre les meilleurs antagonistes athéniens[1]. Mais ses dispositions étaient essentiellement modestes et peu ambitieuses, combinées avec une vive curiosité intellectuelle et une grande capacité ; rare combinaison au milieu d’une race s’égarant habituellement du côté de la présomption et de l’estime de soi-même. Peu mû par l’ambition personnelle, et ne cultivant jamais la popularité par d’indignes moyens, Épaminondas était encore plus indifférent sous le rapport de l’argent. Il resta pauvre et content de son sort jusqu’à la fin de sa vie, sans laisser de quoi subvenir aux frais de ses funérailles, et repoussant toutefois non seulement les propositions corruptrices d’étrangers, mais encore les offres pressantes d’amis personnels[2] ; bien qu’on nous dise que, quand il fut revêtu une fois de la charge coûteuse de chorège, il souffrit que son ami Pélopidas supportât une partie de la dépense[3]. S’il était ainsi exempt de deux des faiblesses habituelles qui le plus souvent égaraient des hommes d’État grecs éminents, il y avait un troisième trait caractéristique non moins estimable dans son caractère moral ; la douceur de ses antipathies politiques, — sa répugnance à traiter avec rigueur des ennemis vaincus, — et son refus de prendre part à une effusion de sang intestine. Si jamais il y eut des hommes dont la conduite sembla justifier une vengeance sans mesure, ce furent Leontiadês et les complices de sa trahison. Ils avaient ouvert les portes de la Kadmeia au Spartiate Phœbidas, et avaient mis à mort le chef thêbain Ismenias. Cependant Épaminondas désapprouva le projet conçu par Pélopidas et les autres exilés qui voulaient les assassiner, et il refusa de s’en mêler ; en partie sur des motifs de prudence, mais en partie aussi sur des scrupules de conscience[4]. Et ses admirateurs subséquents ne trouvèrent aucune de ses vertus si difficile à imiter, que cet empire sur les passions du ressentiment et de la vengeance[5].

Toutefois, avant que ces vertus eussent pu faire honneur à Épaminondas, il était nécessaire qu’il fit preuve des capacités extraordinaires pour l’action avec lesquelles elles se combinaient, et qu’il accomplit quelque chose pour mériter Je cri d’admiration que, comme nous le verrons, poussa plus tard Agésilas en le voyant à la tête de l’armée thébaine d’invasion près de Sparte : — Oh ! de quelles grandes choses cet homme est capable ![6] Dans l’année 379 avant J.-C., où la Kadmeia fut affranchie, il ne s’était pas, encore fait remarquer dans la vie publique, et il n’était connu que de Pélopidas et de ses autres amis pour lesquels aussi ses dispositions peu ambitieuses et investigatrices étaient un sujet de plainte, en ce qu’elles le retenaient à tort et l’arrière-plan[7]. Mais les phénomènes sans pareils de cette année fournirent un stimulant qui triompha de toute timidité et étouffa toutes les inclinations rivales. Les Thêbains, qui venaient de recouvrer leur cité par un retour incroyable de fortune, se trouvèrent exposés seuls à toute l’attaque de Sparte et de son immense confédération. Athènes même ne s’était pas encore déclarée eu leur faveur, et ils n’avaient pas un seul autre allié. Dans ces circonstances, Thêbes ne pouvait être sauvée que par l’énergie de tous ses citoyens, — de ceux qui étaient sans ambition et s’adonnaient à la philosophie, — aussi bien que des autres. Comme les nécessités du cas exigeaient ce dévoilement simultané, la commotion électrique de la récente révolution suffit pour éveiller l’enthousiasme clans des esprits beaucoup moins patriotiques que celui d’Épaminondas. Il fut parmi les premiers à se joindre aux exilés victorieux en armes, après que la lutte fut sortie des maisons d’Archias et de Leontiadês, et qu’elle eut pour théâtre la place du marché ; et il aurait probablement été des premiers à escalader les murs de la Kadmeia, si l’harmoste spartiate eût attendu l’assaut. Pélopidas étant nommé bœôtarque, son ami Épaminondas fut naturellement placé parmi les premiers et les plus actifs organisateurs de la résistance militaire nécessaire contre l’ennemi commun, emploi dans lequel ses capacités ne tardèrent pas à se manifester. Bien qu’il fût à ce moment presque un homme inconnu, il avait acquis, en 371 avant J.-C., sept ans plus tard, une si grande réputation, tant comme orateur que comme général, qu’il fut choisi pour exposer à Sparte la politique thêbaine, et chargé de conduire la bataille de Leuktra, d’où dépendait le sort de Thèbes. De là nous pouvons conclure à bon droit que le système de défense bien conçu et heureux, ainsi que la marche rapide de Thèbes contre Sparte, pendant les années intermédiaires, fut reconnu en général comme son ouvrage[8].

Le changement de politique à Athènes qui suivit l’acquittement de Sphodrias fut un avantage inexprimable pour les Thébains, en secondant aussi bien qu’en encourageant leur défense (378 av. J.-C.). Les Spartiates, non insensibles aux nouveaux ennemis que leur créait la manière dont ils avaient traité Sphodrias, jugèrent nécessaire de faire quelques efforts de leur côté. Ils organisèrent sur une échelle plus systématique les forces militaires de la confédération, et même ils firent quelques démarches conciliantes en vue d’effacer l’odieux de leur mauvaise conduite passée[9]. Toutes les forces de leur confédération, — comprenant, comme marque frappante de la puissance spartiate actuelle, même les lointains Clynthiens[10], — furent mises en mouvement contre Thêbes dans le courant de l’été, sous les ordres d’Agésilas, qui s’arrangea, en mettant soudain en réquisition un corps de mercenaires alors au service de la ville arkadienne Kleitor contre sa voisine l’arkadienne Orchomenos, pour se rendre maître des défilés du Kithærôn avant que les Thébains et les Athéniens pussent être informés qu’il passait la frontière lacédæmonienne[11]. Ensuite franchissant le Kithærôn, il entra en Bœôtia, et établit son quartier général à. Thespiæ, poste occupé déjà par les Spartiates. De là il commença ses attaques sur le territoire thêbain, qu’il trouva défendu en partie par une palissade et un fossé d’une longueur considérable, — en partie par le gros des forces de Thèbes, assistées d’une division d’Athéniens et de mercenaires mélangés, dépêchée d’Athènes sous Chabrias. Restant de leur côté de la palissade, les Thébains envoyèrent soudainement leur cavalerie, attaquèrent Agésilas par surprise et lui occasionnèrent quelques pertes. Ces sorties furent fréquemment répétées, jusqu’à ce que, grâce à une marche rapide, il se fût frayé un chemin par une ouverture dans le parapet et qu’il eût pénétré dans l’intérieur du pays, qu’il dévasta presque jusqu’aux murs de la cité[12]. Les Thêbains et les Athéniens, bien qu’ils ne lui offrissent pas la bataille à conditions égales, tinrent néanmoins la campagne contre lui, prenant soin d’occuper des positions avantageuses pour se défendre. Agésilas, de son côté, ne se sentit pas assez de confiance pour les attaquer malgré cette inégalité. Cependant dans une occasion il s’était décidé à le faire, et il se mettait en marche pour charger, quand il fut effrayé par l’attitude ferme et l’excellent ordre des troupes de Chabrias. Elles avaient reçu l’ordre d’attendre son approche, sur un terrain élevé et avantageux, sans bouger jusqu’à ce que le signal fût donné, avec leurs boucliers appuyés sur le genou et leurs lances tendues en avant. Leur air parut si imposant qu’Agésilas rappela ses troupes sans oser achever la charge[13]. Après un mois ou plus de dévastations sur les terres de Thèbes et une série d’escarmouches irrégulières dans lesquelles il semble avoir plus perdu que gagné, Agésilas se retira à Thespiæ ; il donna une nouvelle force aux fortifications de cette ville, laissa Phœbidas avec des troupes nombreuses pour l’occuper, puis ramena son armée dans le Péloponnèse.

Phœbidas, — celui qui naguère avait pris la Kadmeia, — posté ainsi à Thespiæ, fit la guerre à Thèbes vigoureusement, en partie avec sa division spartiate, en partie avec les hoplites thespiens, qui lui promirent de l’appuyer sans reculer devant rien. Ses incursions amenèrent bientôt des représailles de la part des Thêbains, qui envahirent Thespiæ, mais furent repoussés par Phœbidas et perdirent tout leur butin. Toutefois, dans la poursuite, se précipitant imprudemment en avant, le commandant spartiate fut tué par la cavalerie thébaine qui fit soudain volte-face[14] ; alors ses troupes s’enfuirent, poursuivies par les Thébains jusqu’aux portes même de Thespiæ. Bien que les Spartiates, par suite de ce malheur, envoyassent par mer un autre général et une autre division pour remplacer Phœbidas, la cause des Thêbains reçut une grande force de leur récente victoire. Ils poussèrent leur succès non seulement contre Thespiæ, mais encore contre les autres cités bœôtiennes, occupées encore par des oligarchies locales dans la dépendance de :parte. En même temps ces oligarchies furent menacées par la force croissante de leurs propres citoyens populaires ou amis des Thébains, qui affluaient en nombre considérable comme exilés à Thèbes[15].

Une seconde expédition contre Thèbes, entreprise par Agésilas l’été suivant avec le corps principal de, l’armée de la confédération, ne fut ni plus décisive ni plus profitable que la précédente (377 av. J.-C.). Quoiqu’il sût, par un stratagème bien combiné, surprendre la palissade thébaine et dévaster la plaine, il ne remporta pas de victoire sérieuse, et même il montra, plus clairement qu’avant, sa répugnance à en venir à un engagement, si ce n’est dans des conditions parfaitement égales[16]. Il devint évident que les Thébains non seulement fortifiaient leur position en Bœôtia, mais encore qu’ils acquéraient l’habitude de la guerre et de la confiance contre les Spartiates, au point qu’Antalkidas et quelques autres Spartiates reprochèrent à Agésilas de faire la guerre de manière seulement à donner à ses, ennemis des leçons de pratique militaire, — et qu’ils l’invitèrent à frapper quelque coup décisif. Cependant il quitta la Bœôtia, après la campagne d’été, sans avoir fait de démarche semblable[17]. Dans sa route, il apaisa une lutte intestine qui était sur le point d’éclater à Thespiæ. Ensuite, en passant à Megara, il eut une entorse ou une blessure qui endommagea grièvement sa bonne jambe (il a déjà été dit qu’il était boiteux dune jambe), et engagea le chirurgien à ouvrir une veine dans ce membre pour réduire l’inflammation. Toutefois, quand cela fut fait, le sang ne put être arrêté avant qu’Agésilas s’évanouît. On le transporta à Sparte souffrant beaucoup ; il fut forcé de garder le lit pendant plusieurs mois ; et il resta bien plus longtemps impropre à un commandement actif[18].

Les fonctions de général passèrent alors à l’autre roi Kleombrotos qui, le printemps suivant, conduisit l’armée de la confédération pour envahir de nouveau la Bœôtia (376 av. J.-C.). Mais, cette fois, les Athéniens et les Thêbains avaient occupé les défilés du Kithærôn, de sorte qu’il ne put même entrer dans le pays et fut obligé de congédier ses troupes sans rien faire[19].

Cette honteuse retraite excita tant de murmures parmi les alliés quand ils se réunirent à Sparte, qu’ils résolurent d’équiper des forces navales considérables, suffisantes à la fois pour intercepter les provisions de blé importé à Athènes et pour faire avancer une armée d’invasion par mer contre Thèbes, jusqu’au port bœôtien de Kreusis, dans le golfe Krissæen. On tenta d’abord le premier objet. Vers le milieu de l’été, une flotte de soixante trirèmes, équipée sous l’amiral spartiate Pollis, croisait dans la mer Ægée, en particulier autour de la côte d’Attique, près d’Ægina, de Keos et d’Andros. Les Athéniens qui, depuis leur confédération récemment renouvelée, n’avaient été inquiétés sur mer par aucun ennemi, se trouvèrent menacés ainsi non seulement de perdre leur puissance, mais encore de soir ruiner leur commerce et d’être réduits à la famine, puisque leurs navires de blé venant de l’Euxin, bien qu’atteignant en sûreté Geræstos (l’extrémité méridionale de l’Eubœa), étaient empêchés de doubler le cap Sunion. Ressentant cruellement cette interruption, ils équipèrent à Peiræeus une flotte de 80 trirèmes[20], avec des équipages composés surtout de citoyens : cette flotte, sous l’amiral Chabrias, dans un engagement soutenu avec acharnement des deux parts près de Naxos, défit complètement la flotte de Pollis, et reconquit pour Athènes l’empire de la mer. Quarante-neuf trirèmes lacédæmoniennes furent désemparées ou prises, huit avec leurs équipages entiers[21]. De plus, Chabrias aurait pu détruire tout le reste ou la plus grande partie, s’il n’avait suspendu son attaque, ayant dix-huit de ses vaisseaux désemparés, pour recueillir et les vivants et les morts à bord, aussi bien que tous les Athéniens qui nageaient pour sauver leur vie. Il le fit (nous dit-on)[22], parce qu’il se rappela distinctement le cruel mécontentement du peuple contre les généraux victorieux après la bataille des Arginusæ. Et nous pouvons voir ainsi que, bien que la conduite tenue dans cette mémorable occasion fût souillée à la fois par l’illégalité et par la violence, elle produisit un effet salutaire sur la conduite publique de commandants subséquents. Plus d’un Athénien brave (les équipages étant composés surtout de citoyens) dut la vie, après la bataille de Naxos, à la terrible leçon donnée par le peuple à ses généraux, en 406 avant J.-C., trente ans auparavant.

C’était la première grande victoire (en septembre, 376 av. J.-C.)[23] que les Athéniens avaient remportée sur mer depuis la guerre du Péloponnèse ; et, tout en les remplissant ainsi de joie et de confiance, elle amena un agrandissement considérable de leur confédération maritime. La flotte de Chabrias. — dont une escadre fut détachée sous les ordres de Phokiôn, jeune Athénien qui se distinguait alors pour la première fois et qui sera souvent mentionné ci-après, — exécuta une course victorieuse dans la mer Ægée, fit une prise de vingt autres trirèmes en vaisseaux isolés, ramena 3,000 prisonniers avec 110 talents en argent, et annexa à la confédération dix-sept nouvelles cités, qui envoyèrent des députés à l’assemblée et fournirent des contributions (375 av. J.-C.). La conduite discrète et conciliante de Phokiôn surtout obtint beaucoup de faveur chez les insulaires et détermina plusieurs nouvelles adhésions en faveur d’Athènes[24]. Chabrias rendit aux habitants d’Abdêra en Thrace un service inestimable en les aidant à repousser une horde barbare de Triballes, que la famine avait chassés de leurs demeures, et qui s’étaient jetés sur la côte de la mer, défaisant les Abdéritains et pillant leur territoire. Les citoyens, reconnaissants de ce qu’une armée fût laissée pour défendre leur ville, s’allièrent volontiers avec Athènes, dont la confédération s’étendit ainsi jusqu’à la cote de Thrace[25].

Après avoir heureusement agrandi leur confédération à l’est du Péloponnèse, les Athéniens commencèrent à s’appliquer à acquérir rie nouveaux alliés dans l’ouest (376. av. J.-C). La flotte de 60 trirèmes, qui avait récemment servi sous Chabrias, fut envoyée, sous le commandement de Timotheos, fils de Konôn, pour faire le tour dit Péloponnèse et jeter l’alarme sur la côte de Laconie, en partie sur la prière des Thêbains, qui désiraient tenir les forces navales de Sparte occupées, de manière à l’empêcher de transporter ses troupe, par le golfe Krissæen de Corinthe au port bœôtien de Kreusis[26]. Ce Périple du Péloponnèse, — le premier que la flotte eût tenté depuis son humiliation à Ægospotami, — joint aux succès qui suivirent, fut longtemps l’objet des souvenirs des compatriotes de Timotheos. Ses forces considérables, sa conduite juste et ses déclarations conciliantes gagnèrent de nouveaux et précieux alliés. Non seulement Kephallenia, mais l’île encore plus importante de Korkyra acceptèrent volontairement ses propositions ; et comme il prit soin d’éviter toute violence ou toute intervention dans la constitution politique, sa popularité tout à l’entour augmenta chaque jour. Alketas, prince des Molasses, — les Chaoniens avec d’autres tribus Épirotes, — et les Akarnaniens sur la côte, — embrassèrent tous sou alliance[27]. Tandis qu’il était prés d’Alyzia et de Leukas sur cette côte, il fut attaqué par les vaisseaux péloponnésiens sous Nikolochos, dont le nombre était un peu inférieur à celui de sa flotte. Il les défit, et étant bientôt après renforcé par d’autres trirèmes de Korkyra, il devint si supérieur dans ces eaux, que la flotte ennemie n’osa pas se montrer. Comme il n’avait reçu que 13 talents en quittant !sthènes, on rions dit qu’il avait beaucoup de peine à payer ses marins ; qu’il obtint de chacun des soixante triérarques de sa flotte une avance d’argent de sept mines pour, payer la solde de leurs équipages respectifs, et qu’il demanda aussi au trésor public d’Athènes des sommes considérables[28], mesures qui servent à appuyer l’honorable répugnance qu’il avait pour piller des amis ou des neutres, et le soin qu’il mettait à éviter même le soupçon de pillage, que son panégyriste Isocrate lui attribue[29]. C’est un trait malheureusement rare chez les généraux grecs des deux côtés, et qui tend à devenir plus rare, par suite du plus grand emploi de bandes mercenaires.

Les demandes adressées par Timotheos au trésor d’Athènes ne furent pas favorablement accueillies (374 av. J.-C). Bien que sa position navale fit actuellement plus brillante et plus imposante qu’elle ne l’avait été depuis la bataille d’Ægospotami, — bien qu’il ne se montrât pas de flotte pour l’inquiéter dans la mer Ægée[30], — cependant les dépenses de la guerre commençaient à se faire sérieusement sentir. Des corsaires de l’île voisine d’Ægina molestaient son commerce et la forçaient de surveiller constamment la côte ; tandis que les contributions des députés à l’assemblée confédérée ne suffisaient pas pour la dispenser d’une lourde taxe foncière directe à l’intérieur[31].

Les Thébains étaient représentés dans cette assemblée gomme membres de la confédération[32]. On leur demanda de contribuer aux frais de la guerre maritime ; d’autant plus que c’était en partie à leur prière que la flotte avait été envoyée dans la mer Ionienne. Mais les Thébains refusèrent de souscrire à cette requête[33], et probablement ils n’étaient pas en état de fournir un secours pécuniaire. Leur refus causa à Athènes beaucoup de mécontentement, envenimé par la jalousie qu’excitaient les grands pas qu’ils avaient faits pendant les deux dernières années, en partie grâce à l’effet indirect des succès d’Athènes sur mer. A la fin de l’année 377 avant J.-C., après les deux invasions successives d’Agésilas, la ruine de deux récoltes chez eux avait tellement gêné les Thébains qu’ils furent forcés d’importer da blé de Pagasæ, en Thessalia, entreprise dans laquelle leurs vaisseaux et leurs marins furent capturés par l’harmoste lacédæmonien d’Oreus en Eubœa, Alketas. Toutefois sa négligence occasionna bientôt non seulement une évasion de leurs marins qui avaient été faits prisonniers, mais encore une révolte de la ville contre Sparte, de sorte que la communication de Thèbes avec Pagasæ fut entièrement libre. Pendant les deux années suivantes, il n’y avait pas eu d’invasion spartiate en Bœôtia, puisque en 376 avant J.-C. Kleombrotos ne put franchir les hauteurs du Kithærôn, — tandis qu’en 375 avant J.-C. l’attention de Sparte avait été occupée par les opérations navales de Timotheos dans la mer Ionienne. Durant ces deux années, les Thêbains avaient fait des efforts vigoureux contre les cités voisines de Bœôtia, dans la plupart desquelles un fort parti, sinon la majorité de la population, leur était favorable, bien que le gouvernement fût dans les mains d’une oligarchie philo-spartiate, secondée par des harmostes et une garnison spartiates[34]. On nous parle d’une victoire gagnée près de Platée par la cavalerie thêbaine, sous Charôn, et d’une autre près de Tanagra, dans laquelle Panthoïdês, l’harmoste lacédæmonien de cette ville, fut tué[35].

Mais le plus important de tous leurs succès fut- celui de Pélopidas prés de Tegyra. Ce commandant, apprenant que l’harmoste spartiate, avec ses deux (moræ ou) divisions en garnison à Orchomenos, était parti pour une excursion dans le territoire lokrien, sortit brusquement de Thèbes avec le,bataillon sacré et quelques cavaliers, pour surprendre la place. C’était la saison dans laquelle les eaux du lac Kôpaïs atteignaient leur plus grande hauteur, de sorte qu’il fut obligé de faire un vaste détour vers le nord-ouest et de passer par Tegyra, sur la route entre Orchomenos et la Lokris opontienne. En arrivant près d’Orchomenos, il apprit qu’il y avait encore quelques Lacédæmoniens dans la ville, et qu’il ne pourrait effectuer de surprise ; alors il retourna sur ses pas. Mais en arrivant à Tegyra, il rencontra les commandants lacédæmoniens Gorgoleôn et Theopompos, revenant avec leurs troupes de leur excursion en Lokris. Comme le nombre de ses soldats était inférieur de moitié au leur, ils se réjouirent de cette rencontre, tandis que les troupes de Pélopidas commencèrent par s’effrayer, et qu’il fallut tous ses encouragements pour les exciter. Mais dans le combat qui suivit, livré dans un défilé étroit, où l’on lutta corps à corps et avec acharnement, la force, la valeur et la charge compacte du bataillon sacré se trouvèrent irrésistibles. Les commandants lacédæmoniens furent tués tous deux ; leurs troupes ouvrirent leurs rangs pour laisser les Thébains se retirer tranquillement ; mais Pélopidas, dédaignant cet avantage, continua de combattre jusqu’à ce que ses ennemis fussent dispersés et plis en fuite. Le voisinage d’Orchomenos l’empêcha de les poursuivre longtemps, de sorte qu’il ne put qu’élever son trophée et dépouiller les morts, avant de retourner à Thèbes[36].

Ce combat, dans lequel les Lacédæmoniens furent pour la première fois battus par des troupes inférieures en nombre aux leurs, sur un terrain offrant les mêmes chances aux deux parties, produisit une vive sensation sur les esprits des deux peuples belligérants. La confiance des Thébains, aussi bien que leurs efforts, augmenta, de sorte que vers l’année 374 avant J.-C., ils avaient débarrassé la Bœôtia des Lacédæmoniens, aussi bien que des oligarchies locales qui les appuyaient, persuadant les cités de rentrer en société avec Thèbes ou les y contraignant, et faisant revivre la confédération bœôtienne. Haliartos, Korôneia, Lebadeia, Tanagra, Thespiæ, Platée et les autres redevinrent ainsi bœôtiennes[37] ; elles laissèrent ainsi Orchomenos seule (avec sa dépendance Chæroneia), qui était sur les limites de la Phokis et qui continua encore d’être occupée par les Lacédæmoniens. Dans la plupart de ces cités, le parti favorable à Thèbes était nombreux et le changement en général populaire, bien que dans quelques-unes le sentiment dominant fût tel qu’on ne put obtenir une adhésion que par intimidation. Le changement qu’opéra Thèbes dans cette circonstance fut, non pas d’absorber ces cités en elle-même, mais de les ramener à l’ancien système fédératif de la Bœôtia, politique qu’elle avait publiquement proclamée en surprenant Platée en 431 avant J.-C.[38] Tout en reprenant ses anciens droits et ses anciens privilèges comme chef de la confédération bœôtienne, elle garantissait en même temps aux autres cités, par convention, probablement expresse, hais certainement implicite, — leurs anciens droits, leur sécurité et leur autonomie restreinte, comme membres, système qui avait existé jusqu’à la paix d’Antalkidas.

La nouvelle conquête ou nouvelle confédération de la Bœôtia améliora considérablement la position des Thêbains (374 av. J.-C.). Devenus maîtres de Kreusis, le port de Thespiæ[39], ils le fortifièrent et construisirent quelques trirèmes pour repousser toute invasion venant du Péloponnèse par mer, à travers le golfe Krissæen. Se sentant ainsi à l’abri d’une invasion, ils se mirent à exercer des représailles sur leurs voisins et ennemis les Phokiens, alliés de Sparte et auxiliaires dans les récentes attaques dirigées sur Thèbes, — cependant aussi, depuis une ancienne époque, en termes d’amitié avec Athènes[40]. Les Phokiens furent si vivement pressés, — surtout vu que Jasôn de Pheræ, en Thessalia, était en même temps leur ennemi mortel[41], — que s’ils n’avaient été secourus, ils auraient été forcés de se soumettre aux Thêbains, et avec eux Orchomenos, y compris la garnison lacédæmonienne qui l’occupait alors, tandis que les trésors du temple de Delphes auraient été exposés aussi, dans le cas où les Thêbains auraient jugé à propos de s’en emparer. Avis étant donné à Sparte par les Phokiens, on envoya par mer à leur secours le roi Kleombrotos, qui franchit le golfe avec quatre divisions de troupes lacédæmoniennes et un corps auxiliaire d’alliés[42]. Ce renfort, en obligeant les Thêbains à se retirer, mit en sûreté et la Phokis et Orchomenos. Tandis que Sparte les soutenait ainsi, Athènes même considérait avec sympathie la cause phokienne. Quand elle vit que les Thêbains avaient passé de la défensive à l’offensive, — en partie grâce à son appui, tout en refusant néanmoins de contribuer aux dépenses de la marine, — son ancienne jalousie contre eux redevint si puissante qu’elle envoya à Sparte des députés proposer des conditions de paix. Quelles étaient-elles, c’est ce qu’on ne nous dit pas, et il ne parait pas non plus que les Thébains fussent même instruits de cette démarche. Mais la paix fut acceptée à Sparte, et deux des députés athéniens furent dépêchés immédiatement de cette ville, sans même retourner chez eux, à Korkyra, chargés de notifier la paix à Timotheos et de lui ordonner de reconduire sur-le-champ sa flotte à Athènes[43].

Cette proposition des Athéniens, faite probablement dans un moment de mécontentement violent, fut fort à l’avantage de Sparte et servit à contrebalancer quelque peu une révélation mortifiante qui était arrivée aux Spartiates un peu auparavant d’un côté différent (374 av. J.-C.).

Polydamas, citoyen éminent de Pharsalos, en Thessalia, vint’ à Sparte demander du secours. Il avait été longtemps en termes d’hospitalité avec les Lacédœmoniens, tandis que la ville de Pharsalos avait non seulement été alliée avec eux, mais que pendant quelque temps elle avait été occupée par une de leurs garnisons[44]. Dans l’état ordinaire de la Thessalia, les grandes cités de Larissa, de Pliera, de Pharsalos et autres, tenant chacune quelques cités plus petites dans l’état d’alliées dépendantes, étaient eu désaccord entre elles, souvent même réellement en guerre. Il était rare qu’elles pussent être amenées à concourir à un vote commun pour l’élection du chef suprême ou tagos. Dans sa ville de Pharsalos, Polydamas avait alors le premier rang ; il jouissait de la confiance de toutes les grandes factions de famille qui se disputaient ordinairement la prééminence, à un degré tel dans le fait qu’on lui confia la garde de la citadelle et le maniement entier des revenus, recettes aussi bien que dépenses. Riche, hospitalier et fastueux à la mode thessalienne, il avançait de l’argent de sa bourse au trésor toutes les fois qu’il y avait pénurie d’argent ; et il se remboursait quand les fonds publics rentraient[45].

Mais à ce moment un homme plus grand que Polydamas s’était élevé en Thessalia, — Jasôn, despote de Pheræ, et n’était sa puissance formidable, qui menaçait l’indépendance de Pharsalos. qu’il venait alors dénoncer à Sparte. Bien que la force de Jasôn n’ait guère pu être très considérable quand les Spartiates traversèrent la Thessalia, six ans auparavant, dans leurs expéditions répétées contre Olynthos, il tuait actuellement non seulement despote de Pheræ, mais encore maître de presque toutes les cités thessaliennes (comme Lykophrôn de Pheræ avait partiellement réussi à le devenir trente ans auparavant)[46], aussi bien que d’une étendue considérable de terrain circonvoisin tributaire. Le grand instrument de sa domination était une armée permanente et bien 4 équipée de six mille hommes de troupes mercenaires, de toutes les parties de la Grèce. Il possédait toutes les qualités personnelles nécessaires pour conduire des soldats de la manière la plus efficace. Sa force corporelle était grande ; son activité infatigable ; son empire sur lui-même, tarit dans les peines que dans les tentations, également remarquable. Partageant toujours personnellement et les manœuvres et les exercices gymnastiques des soldats, et encourageant les qualités militaires avec la dernière générosité, non seulement il les avait disciplinés, mais encore il leur avait inspiré iule extrême ardeur guerrière et un dévouement aveugle pour sa personne. Plusieurs des tribus voisines, ainsi qu’Alketas, prince des Molosses, en Épire, avaient été réduites à la condition d’alliées dépendantes. De plus, il avait déjà défait les Pharsaliens, et leur avait enlevé beaucoup de villes qui avaient jadis été attachées à eux, de sorte qu’il ne lui restait plus en ce moment qu’à porter les armes contre leur cité. Mais Jasôn avait autant de prudence que d’audace. Bien que certain du succès, il désirait éviter l’odieux qu’entraîne l’emploi de la force et le danger d’avoir des mécontents pour sujets. Il fit donc dans une entrevue secrète la proposition suivante à Polydamas : celui-ci mettrait Pharsalos sous la domination de Jasôn, en acceptant pour lui-même la seconde place en Thessalia, sous Jasôn installé comme tagos ou président. La Thessalia, avec toutes ses forces ainsi réunies et son cortége de nations à l’entour, serait décidément la première puissance de la Grèce, supérieure sur terre soit à Sparte, soit à Thèbes, et sur mer à Athènes. Et quant au roi de Perse, avec ses milliers d’esclaves peu guerriers, Jasôn le regardait comme un ennemi encore plus facile à défaire, en considérant ce qui avait été fait d’abord par les soldats de Cyrus, et ensuite par Agésilas. .

Telles étaient les propositions et les ambitieuses espérances que l’énergique despote de Pheræ avait exposées devant Polydamas, qui répondit qu’il avait été longtemps lui-même allié avec Sparte, et qu’il ne pouvait pas prendre de résolution hostile à ses intérêts. Va alors à Sparte (répliqua Jasôn), et apprends-lui que j’ai l’intention d’attaquer Pharsalos, et dis aux Spartiates qu’il est de leur devoir de te protéger. S’ils ne peuvent accéder à ta demande, vous serez infidèle aux intérêts de votre cité, si vous n’acceptez pas mes offres. C’était avec cette mission que Polydamas était en ce moment à Sparte, pour annoncer que, si l’on ne pouvait lui envoyer du secours, il serait forcé de se séparer d’elle à contrecœur. Rappelez-vous (dit-il en terminant) que l’ennemi contre lequel vous aurez à lutter est formidable de toute manière, tant par ses qualités personnelles que par sa puissance, de sorte qu’il ne faudra rien moins qu’une armée et un commandant de premier ordre. Réfléchissez et dites-moi ce que vous pouvez faire.

Les Spartiates, après avoir délibéré sur ce point, répondirent par la négative. Déjà une armée considérable avait été envoyée sous Kleombrotos comme essentielle à la défense de la Phokis ; de plus, les Athéniens étaient actuellement la plus forte puissance sur mer. En dernier lieu. Jasôn n’avait pas jusque-là prêté d’aide active à Thèbes et à Athènes, — ce qu’il aurait assurément été amené à faire. si une armée spartiate était intervenue contre lui en Thessalia. En conséquence, les éphores dirent franchement à Polydamas qu’ils étaient hors d’état de satisfaire à sa demande, lui recommandant de faire les conditions les meilleures qu’il pourrait, tant pour Pharsalos que pour lui-même. Celui-ci, de retour en Thessalia, reprit sa négociation avec Jasôn et promit de, faire réellement ce qui était demandé. Nais il pria qu’on lui épargnât le déshonneur d’admettre une garnison étrangère dans la citadelle qu’on avait remise de confiance à sa 1-arde, s’engageant en même temps à amener ses compatriotes à s’unir volontairement avec Jasôn et offrant ses deux fils comme otages qui répondraient de l’accomplissement fidèle de sa promesse. Tout cela s’exécuta réellement. La politique des Pharsaliens fut amenée peu à peu à cette manière de voir, de sorte que Jason, par leurs votes aussi bien que par ceux des autres Thessaliens, fut élu à l’unanimité tagos de Thessalia[47].

Le renvoi de Polydamas impliquait un aveu mortifiant de faiblesse de la part de Sparte. Il marqua aussi une phase importante dans le déclin réel de sa puissance. Huit ans auparavant, à la prière des ambassadeurs akanthiens appuyée par le Macédonien Amyntas, elle avait envoyé successivement trois puissantes armées pour écraser la confédération d’Olynthos libérale et pleine d’avenir, et pour faire repasser les cités grecques de la côte de la mer sous la domination macédonienne. La région où ses armées avaient été envoyées alors était la limite extrême de la Hellas. Ceux en faveur desquels elle agissait avaient à peine l’ombre d’un droit comme amis ou alliés, tandis que ceux contre lesquels elle agissait ne lui avaient fait aucun tort ni n’avaient menacé de lui en faire ; en outre, le motif principal pour lequel on invoquait son intervention était d’empêcher la libre et égale confédération de cités grecques. Actuellement, Polydamas de Pharsalos, un ancien ami, un allié, lui fait une demande, et une demande instante. Il vient d’une région beaucoup moins éloignée : finalement, son intérêt politique devait naturellement lui commander d’arrêter les progrès menaçants d’une puissance agressive déjà aussi formidable que celle de Jasôn. Cependant la position de Sparte a subi un changement si sérieux depuis les huit dernières années (382-374 av. J.-C.) qu’elle est en ce moment forcée de repousser une demande que la justice, la sympathie et une sage politique l’engageaient également à accorder. Tant il fut malheureux pour la confédération olynthienne, que ses aspirations honorables et bien combinées tombassent pendant ce petit nombre d’années où Sparte était à l’apogée de son pouvoir ! Tant cette coïncidence de temps fut malheureuse non seulement pour Olynthos, mais pour la Grèce en général, — puisque l’intervention spartiate ramena seule les rois macédoniens à la côte de la mer ; tandis que la confédération olynthienne, s’il lui avait été permis de se développer, aurait pu probablement les confiner dans l’intérieur, et détourner le coup de mort que la liberté grecque reçut de leurs mains pendant la génération suivante !

Les Lacédæmoniens trouvèrent quelque compensation à leur abandon forcé de Polydamas, dans les propositions pacifiques d’Athènes, qui les délivraient d’un de leurs principaux ennemis. Mais la paix conclue ainsi fut à peine même mise à exécution (374 av. J.-C.). Timotheos ayant reçu l’ordre de revenir de Korkyra à Athènes, obéit et partit avec sa flotte. Il avait à son service quelques exilés de Zakynthos, et comme il passait près de cette île dans son voyage de retour, il y débarqua ces exilés et les aida à établir un poste fortifié. Le gouvernement zakynthien se plaignit de ce procédé à Sparte, où il fut si vivement ressenti qu’une réparation ayant été demandée en vain à Athènes, la paix fut immédiatement rompue et la guerre déclarée de nouveau. Une escadre lacédæmonienne de vingt-cinq voiles fut envoyée au secours des Zakynthiens[48], tandis qu’on formait des plans pour l’acquisition de l’île plus importante de Korkyra. La flotte de Timotheos étant partie à ce moment pour Athènes, un parti korkyræen, mécontent, forma une conspiration pour introduire les Lacédæmoniens comme amis et leur livrer l’île. En conséquence, une flotte lacédæmonienne de vingt-deux trirèmes se dirigea vers l’île, sous prétexte d’un voyage en Sicile. Mais le gouvernement korkyræen, avant découvert le complot, refusa de la recevoir, prit des mesures de défense, et envoya à Athènes des députés demander du secours.

Les Lacédæmoniens résolurent alors d’attaquer Korkyra ouvertement, avec toutes les forces navales de leur confédération (373 av. J.-C.). Grâce aux efforts combinés de Sparte, de Corinthe, de Leukas, d’Ambrakia, d’Elis, de Zakynthos, de l’Achaïa, d’Epidauros, de Trœzen, d’Hermionê et d’Halieis, — rendus plus forts par des payements pécuniaires d’autres confédérés, qui préférèrent racheter leur obligation de servir au delà de la mer, — une flotte de soixante trirèmes et un corps de quinze cents hoplites mercenaires furent réunis, outre quelques Lacédæmoniens, probablement des Ilotes ou des Neodamodes[49]. En même temps on demanda à Denys, le despote syracusain, sa coopération contre Korkyra sur le motif que la liaison de cette île avec Athènes avait été jadis, et pouvait devenir encore, dangereuse pour sa cité.

Ce fut dans le printemps de 373 avant J.-C. que ces forces s’avancèrent contre Korkyra, sous le commandement du Lacédæmonien Mnasippos, qui, ayant donné dans la flotte korkyræenne et perdu quatre trirèmes, débarqua dans l’île, remporta une victoire, et confina les habitants dans les murs de la cité. Il porta ensuite ses ravages sur les terres adjacentes, qui se trouvèrent dans l’état le plus parfait de culture et remplies des plus riches produits ; des champs admirablement labourés, — des vignes dans une excellente condition, — avec de magnifiques bâtiments de ferme ; des celliers à vin bien garnis, et du bétail aussi bien que des esclaves de peine en abondance. Les soldats de l’armée d’invasion s’enrichirent en pillant le bétail et les esclaves, et’ devinrent tellement rassasiés des abondantes provisions d’alentour, qu’ils refusaient de boire tout vin qui n’était pas de première qualité[50]. Tel est le tableau tracé par Xénophon, témoin hostile, de la démocratique Korkyra au sujet de son économie rurale, à l’époque où Mnasippos l’envahit, tableau non moins mémorable que celui qu’a présenté Thucydide (dans le discours d’Archidamos) de l’agriculture florissante à l’entour de la démocratique Athènes, au moment où la main du dévastateur péloponnésien s’y fît sentir pour la première fois en 431 avant J.-C.[51]

Ayant des quartiers si abondants pour ses soldats, Mnasippos campa sur une colline près des murs de la cité, et coupa ceux de l’intérieur des provisions fournies par la campagne, tandis qu’en môme temps il bloqua le port avec sa hotte. Les Korkyræens ne tardèrent pas à être dans le besoin. Cependant ils ne semblaient pas avoir d’autre chance de salut qu’un secours d’Athènes, à laquelle ils envoyèrent des ambassadeurs avec des demandes pressantes[52], et qui avait actuellement lieu de regretter son consentement précipité (dans l’année précédente) à rappeler de l’île la flotte de Timotheos. Toutefois, Timotheos fut nommé de nouveau amiral d’une nouvelle flotte qu’on devait y envoyer ; tandis qu’une division de six cents peltastes, sous Stesiklês, reçut l’ordre de s’y rendre par la route la plus prompte pour faire face aux besoins immédiats des Korkyræens, pendant les retards inévitables que causeraient les préparatifs de la flotte principale et sa circumnavigation du Péloponnèse. Ces peltastes furent conduits par terre à travers la Thessalia et l’Épire jusqu’à la côte située en face de Korkyra, île dans laquelle ils purent débarquer, grâce à l’intervention d’Alketas sollicité par les Athéniens. Ils furent assez heureux pour entrer dans la ville, où non seulement ils apportèrent la nouvelle qu’une flotte athénienne considérable pouvait être attendue bientôt, mais encore où ils contribuèrent beaucoup à la défense. Sans cet encouragement et sans ce secours, les Korkyræens auraient eu de la peine à tenir ; car la famine dans l’intérieur des murs augmentait de jour en jour, et elle finit par devenir si cruelle qu’un grand nombre des citoyens désertèrent, et que beaucoup d’esclaves furent jetés dehors. Mnasippos refusa de les recevoir, et fit annoncer publiquement que quiconque déserterait serait vendu comme esclave ; et vu que néanmoins des déserteurs continuaient à venir, il les fit reconduire à coups de fouet jusqu’aux portes de la ville. Quant aux infortunés esclaves, comme ils ne furent ni reçus par lui ni admis de nouveau dans la ville, beaucoup d’entre eux périrent en dehors des portes uniquement de faim[53].

Ces spectacles de misère annonçaient si visiblement l’heure prochaine de la reddition, que l’armée assiégeante devint négligente et le général insolent. Bien que sa caisse militaire fût bien remplie, grâce aux nombreux payements pécuniaires qu’il avait reçus des alliés en échange d’un service personnel, — cependant il avait renvoyé plusieurs de ses mercenaires sans les payer, et il avait tenu tous les autres sans solde pendant les deux derniers mois. Son humeur actuelle le rendit non seulement plus dur à l’égard de ses propres soldats[54], mais encore moins vigilant dans la conduite du siège. En conséquence les assiégés, découvrant de leurs échauguettes la négligence des gardes, choisirent une occasion favorable et firent une vigoureuse sortie. Mnasippos, voyant ses avant-postes refoulés, s’arma et courut en avant pour les soutenir avec les Lacédæmoniens qui l’entouraient ; en même temps il ordonna aux officiers des mercenaires de faire avancer également leurs hommes. Mais ces officiers dirent qu’ils ne pouvaient répondre de l’obéissance de soldats qui n’étaient point payés ; alors Mnasippos fut si irrité qu’il les frappa de son bâton et de la hampe de sa lance. Une telle insulte ne fit qu’augmenter encore le mécontentement existant. Officiers et soldats allèrent au combat sans cœur ni courage, tandis que les peltastes athéniens et les hoplites korkyræens, se précipitant de plusieurs portes à la fois, poussèrent leur attaque avec l’énergie du désespoir. Mnasippos après avoir déployé une grande bravoure personnelle, finit par être tué, et toutes ses troupes, mises complètement en déroute, s’enfuirent vers le camp fortifié qui renfermait leurs provisions. Ce camp même aurait pu aussi être pris, et tout l’armement détruit, si les assiégés l’avaient attaqué immédiatement. Riais ils furent étonnés de leur propre succès. Prenant par erreur les nombreux serviteurs du camp pour une réserve de soldats, ils retournèrent à la ville.

Toutefois leur victoire fut assez complète pour rouvrir une communication aisée avec la campagne, pour leur procurer des provisions temporaires suffisantes, et pour donner la certitude qu’ils tiendraient jusqu’à l’arrivée du renfort athénien. Dans le fait, ce renfort était déjà en route, et son approche avait été annoncée à Hypermenês, autrefois commandant en second sous Mnasippos, et qui, après la mort de ce dernier, lui avait succédé dans le commandement. Terrifié à cette nouvelle, il se hâta de se rendre de sa station (qu’il avait occupée avec la flotte pour bloquer le port) au camp fortifié. Là il mit d’abord les esclaves, aussi bien que le butin, à bord de ses transports, et les fit partir ; il resta en personne pour défendre le camp avec les soldats et les troupes de marine, — mais seulement peu de temps, et il prit ensuite ces derniers à bord des trirèmes. Il évacua ainsi l’île complètement, et décampa pour Leukas. Mais telle avait été la précipitation, — telle la crainte que la flotte athénienne n’arrivât, — qu’on laissa derrière soi une grande quantité de blé et de vin, beaucoup d’esclaves, et même des soldats malades et blessés. Les Korkyræens victorieux n’avaient pas besoin de ces acquisitions pour augmenter la va-leur d’un triomphe qui les sauvait de la prise, de l’esclavage ou de la famine[55].

Ruant à la flotte athénienne, non seulement elle avait tardé à arriver, au point de courir fort le risque de trouver l’île déjà prise, — mais quand elle arriva elle était commandée par Iphikratês, par Chabrias et par l’orateur Kallistratos[56], — non par Timotheos que le vote primitif du peuple avait nommé. Il paraît que Timotheos, — qui (en avril 373 av. J.-C.), lorsque les Athéniens apprirent pour la première fois que la formidable flotte lacédæmonienne avait commencé à attaquer Korkyra, avait reçu l’ordre de s’y rendre sur-le-champ avec une flotte de soixante trirèmes, trouva de la difficulté à garnir de monde ses vaisseaux à Athènes, et entreprit en conséquence une croisière préliminaire pour se procurer à la fois des marins et des fonds de contribution chez les alliés maritimes. Son premier acte fut de transporter les six cents peltastes commandés par Stesiklês en Thessalia, où il entra en relations avec Jasôn de Pheræ. Il persuada à ce dernier de devenir l’allié d’Athènes, et de favoriser la marche de Stesiklês avec sa division par terre à travers la Thessalia, par les défilés du Pindos jusqu’en Épire, où Alketas, qui à la fois était l’allié d’Athènes et dépendait de Jasôn, le transporta de nuit à travers le détroit d’Épire dans. Korkyra. Après avoir ainsi commencé une liaison importante avec le puissant despote thessalien, et obtenu de lui un service très opportun, en même temps (peut-être) que quelques marins de Pagasæ pour garnir sa flotte d’hommes. — Timotheos se rendit droit aux ports de Macédoine, où il entra également en relations avec Amyntas, recevant de lui des marques signalées de faveur privée, — et ensuite en Thrace aussi bien que dans les îles voisines. Son voyage lui procura de précieux subsides en argent et d’importants renforts en marins, outre de nouvelles adhésions et de nouveaux députés à la confédération athénienne.

Cette course préliminaire de Timotheos, entreprise dans le dessein général de réunir les moyens de faire l’expédition de Korkyra, commença dans le mois d’avril ou dans les premiers jours de mai, 373 avant J.-C.[57] En partant il avait, à ce qu’il paraît, donné à ceux des alliés qui avaient l’intention de faire partie de l’expédition, l’ordre de se réunir à Kalauria (île à la hauteur de Trœzen, consacrée à Poseidôn), où il viendrait lui-même et les prendrait pour continuer la marche. Conformément à cet ordre, plusieurs contingents se réunirent dans cette île ; entre autres les Bœôtiens, qui envoyèrent plusieurs trirèmes, bien que l’année précédente on eût allégué contre eux qu’ils ne contribuaient en rien pour soutenir les efforts maritimes d’Athènes. Mais Timotheos resta absent longtemps. On comptait sur lui et sur l’argent qu’il devait rapporter à Athènes, pour la solde de la flotte ; et en conséquence les trirèmes non payées tombèrent clans la détresse et la désorganisation, attendant son retour[58]. En même temps, il arrivait à Athènes de fraîches nouvelles que Korkyra était vivement pressée ; de sorte qu’on ressentit une grande indignation contre l’amiral absent, parce qu’il employait à sa croisière actuelle un temps précieux qui lui était nécessaire pour gagner l’île au moment propice. Iphikratês — qui était récemment revenu de l’Égypte où il avait servi avec Pharnabazos, dans une tentative inutile faite en vue de reconquérir ce pays pour le roi de Perse — et l’orateur Kallistratos, mettaient surtout beaucoup de chaleur à l’accuser. Et comme le salut même de Korkyra exigeait la plus grande hâte, les Athéniens annulèrent la nomination de Timotheos même pendant son absence, — et nommèrent Iphikratês, Kallistratos et Chabrias, en les chargeant d’équiper une flotte et de se rendre à Korkyra sans retard[59].

Avant qu’ils pussent être prêts, Timotheos revint, apportant plusieurs nouvelles adhésions à la confédération, avec un compte brillant de succès général[60]. Il se rendit à Kalauria pour suppléer au manque de fonds, et pour remédier aux embarras que son absence avait occasionnés. Mais il ne put payer les triérarques bœôtiens sans emprunter de l’argent dans ce dessein en son propre nom ; car bien que la somme qu’il avait rapportée de son voyage fût considérable, il paraîtrait que les demandes qui lui avaient été faites avaient été plus grandes encore. D’abord, une accusation, provoquée par le mécontentement prononcé du public, fut portée contre lui par Iphikratês et par Kallistratos. Mais, comme ils avaient été nommés tous deux conjointement amiraux de l’expédition contre Korkyra, qui n’admettait pas de retard, — son jugement fut différé jusqu’à l’automne ; ajournement avantageux pour l’accusé, et sans doute secondé par ses amis[61].

Cependant Iphikratês adopta les mesures les plus énergiques pour accélérer l’équipement de sa flotte. Dans les dispositions actuelles du public, et dans le danger connu de Korkyra, il fut autorisé (bien que Timotheos, quelques semaines avant, ne l’eût pas été) non seulement à enrôler de force des matelots dans le port, mais même à contraindre les triérarques avec sévérité[62], et à employer toutes les trirèmes réservées pour la garde des côtes de l’Attique, aussi bien que les deux trirèmes sacrées, appelées Paralos et Salaminia. Il compléta ainsi une flotte de soixante-dix voiles, promettant d’en renvoyer directement une grande partie, si les affaires prenaient à Korkyra une tournure favorable. S’attendant à trouver occupée à le guetter une flotte lacédæmonienne tout à fait égale à la sienne, il arrangea son voyage de manière à combiner le maximum de vitesse avec les exercices pour ses matelots, et avec des préparatifs pour un combat naval. Les plus grandes voiles d’une trirème ancienne étaient habituellement enlevées du vaisseau avant une bataille, comme étant incommodes à bord : Iphikratês laissa ces voiles à Athènes, — employa même peu les plus petites, — et tint constamment ses matelots à la rame ; ce qui accéléra beaucoup sa marche, et maintint en même temps les hommes dans un exercice excellent. Chaque jour il avait à s’arrêter, pour les repas et le repos, sur le rivage d’un ennemi ; et ces haltes étaient dirigées avec tant d’adresse et de précision, qu’il y employait le moins de temps possible, pas assez pour que des forces ennemies locales pussent se rassembler. En arrivant à Sphakteria, Iphikratês apprit la première nouvelle (le là, défaite et de la mort de Mnasippos. Cependant ne se fiant pas à l’exactitude de son information, il persévéra encore et dans sa célérité et dans ses précautions, jusqu’à ce qu’il fût parvenu à Kephallenia, et ce ne fut que là qu’il se convainquit par lui-même que le danger de Korkyra était passé. Xénophon parle avec admiration de la manière excellente dont Iphikratês dirigea toute cette expédition[63].

Ne craignant plus la flotte lacédæmonienne, le commandant athénien renvoya probablement alors l’escadre chargée de la garde de l’Attique qu’on lui avait permis de prendre, mais dont on pouvait difficilement se passer pour la défense de la côte[64]. Après s’être rendu maître de quelques-unes des cités képhalléniennes, il alla droit alors vers Korkyra, où l’escadre de dix trirèmes de Syracuse était à ce moment sur le point d’arriver ; elle était envoyée par Denys au secours des Lacédæmoniens, mais elle n’avait pas encore appris leur fuite. Iphikratês, plaçant sur les collines des vigies chargées de lui faire connaître leur approche, mit à part vingt trirèmes qui devaient être prêtes à se mettre en mouvement au premier signal. Sa discipline était si excellente (dit Xénophon) que dès que le signal fut donné, l’ardeur de tous les équipages fut une belle chose à voir ; il n’y eût pas un homme qui ne courut pour prendre sa place à bord[65]. Les dix trirèmes syracusaines, après leur voyage depuis le cap Iapygien, s’étaient arrêtées pour faire reposer leurs hommes sur l’an des points septentrionaux de Korkyra, où Iphikratês les trouva et les captura, avec tous leurs équipages et l’amiral Anippos ; une seule s’échappa, grâce aux efforts énergiques de son capitaine, le Rhodien Melanôpos. Iphikratês retourna en triomphe, remorquant ses neuf prises (dans le port de Korkyra). Les équipages, vendus ou rachetés, lui procurèrent une somme de soixante talents ; l’amiral Anippos fut retenu dans l’attente d’une rançon plus élevée, mais il se tua peu après de mortification[66].

Bien que la somme réalisée ainsi permit à Iphikratês pour le moment de payer ses hommes, cependant le suicide d’Anippos fut un désappointement pécuniaire pour lui, et il commença bientôt à avoir besoin d’argent. Cette considération l’engagea à consentir au retour de son collègue Kallistratos, qui, — orateur de profession et en termes peu amicaux avec Iphikratês, — était venu contre son gré. Iphikratês avait lui-même choisi Kallistratos et Chabrias comme collègues. Il n’était pas indifférent à la valeur de leurs avis, et il ne craignait pas les critiques, même de rivaux, sur ce qu’ils voyaient réellement dans sa conduite. Mais il avait accepté le commandement dans des circonstances hasardeuses ; non seulement à cause du déplacement insultant de Timotheos, et de la provocation faite conséquemment à un puissant parti attaché au fils de Konôn, mais encore au milieu des grands doutes qu’on avait s’il pourrait réussir à délivrer Korkyra, malgré la rigoureuse contrainte qu’il avait employée pour compléter les équipages de sa flotte. Si l’île eût été prise et qu’Iphikratês eût échoué, il se serait trouvé à Athènes exposé à une grave accusation et à de nombreux ennemis. Peut-être Kallistratos et Chabrias, s’ils fussent restés dans la ville, se seraient-ils dans ce cas rangés parmi ses agresseurs, — de sorte qu’il était important pour lui de les identifier l’un et l’autre à sa réussite ou à son insuccès, et de tirer parti de la capacité militaire du second aussi bien que du talent oratoire du premier[67]. Toutefois, comme le résultat de l’expédition fut complètement favorable, toutes ces inquiétudes disparurent. Iphikratês put bien se permettre de se séparer de ses deux collègues ; et Kallistratos s’engagea, s’il lui était permis de retourner à Athènes, à faire tous ses efforts pour que la flotte fût bien payée par le trésor public, ou, si cela était impraticable, il promit de travailler à amener la paix[68]. Si terribles sont les difficultés que les généraux grecs éprouvent actuellement à obtenir de l’argent d’Athènes (ou d’autres cités au service desquelles ils sont) pour payer leurs troupes ! Iphikratês éprouva le même embarras que Timotheos m’ait éprouvé l’année précédente, — et qui, comme nous le verrons, se fait sentir plus péniblement, à mesure que nous avancerons dans l’histoire. Pour le moment il nourrit ses matelots en leur trouvant du travail dans les fermes des Korkyræens, où il a dû y avoir sans doute un grand besoin de réparations après les dévastations de Mnasippos ; tandis qu’il passa avec ses peltastes et ses hoplites, en Akarnania, où il obtint du service dans les municipes amis d’Athènes contre ceux qui étaient amis de Sparte, en particulier contre les habitants belliqueux de la ville forte appelée Thyrieis[69].

L’heureux résultat de l’expédition korkyræenne, qui causa une satisfaction universelle à Athènes, ne fut pas moins avantageux pour Timotheos que pour Iphikratês. Ce fut en novembre 373 avant J.-C., que le premier, aussi bien que son questeur ou trésorier militaire, Antimachos, fut jugé Kallistratos, de retour dans la cité, plaida contre le questeur, peut-être aussi contre Timotheos, comme l’un de ses accusateurs[70] ; probablement dans un esprit de douceur et de modération plus grandes, par suite de son récent succès commun et des bonnes dispositions qui régnaient généralement dans la cité. Et tandis que le danger de l’accusation contre Timotheos était ainsi affaibli, la défense fut fortifiée non seulement par de nombreux citoyens ses amis parlant, en sa faveur avec un redoublement de confiance, mais aussi par le phénomène inaccoutumé de deux puissants étrangers venus pour l’appuyer. A la demande de Timotheos, Alketas d’Épire et Jasôn de Pheræ se rendirent tous deux à Athènes, un peu avant le procès, pour paraître comme témoins en sa faveur. Il les reçut et les logea dans sa maison sur l’Agora hippodamienne, la place principale de Peiræeus. Et comme il était alors dans quelque embarras faute d’argent, il jugea nécessaire d’emprunter à Pasiôn, riche banquier du voisinage divers articles de luxe afin de leur faire honneur, — vêtements, coucher, et deux bols à boire en argent. Ces deux importants témoins attestèrent le service empressé et les qualités estimables de Timotheos, qui leur avait inspiré un vif intérêt, et avait été l’intermédiaire qui les avait fait entrer dans l’alliance d’Athènes, alliance qu’ils avaient scellée immédiatement en transportant Stesiklês et sa division par la Thessalia et l’Épire jusqu’à Korkyra. Les juges, du dikasterion durent être fortement affectés en voyant devant eux un homme tel que Jasôn de Pheræ, à ce moment l’individu le plus puissant de la Grèce ; et nous ne sommes pas surpris d’apprendre que Timotheos fut acquitté. Son trésorier Antimachos, qui ne fut pas jugé par le même dikasterion, et qui n’avait pas sans doute d’amis aussi influents-, fut moins heureux. On le condamna à mort et ses biens furent confisqués ; le dikasterion croyant sans doute, nous ne savons pas sur quelle preuve, qu’il s’était rendu coupable dans le maniement de l’argent public, ce qui avait causé un tort sérieux lors d’une crise très importante. Dans les circonstances du cas, on le jugea responsable comme trésorier, pour la partie pécuniaire du commandement que le peuple avait confié à Timotheos en le chargeant de recueillir de l’argent.

Quant à la conduite militaire, pour laquelle Timotheos était lui-même personnellement responsable, nous pouvons seulement faire remarquer qu’avant été revêtu du commandement dans le dessein spécial de délivrer Korkyra assiégée, il parait avoir consacré un temps d’une longueur déraisonnable à la course qu’il avait lui-même imaginée dans une autre direction, bien que cette course fût en elle-même avantageuse pour Athènes, si bien que si Korkyra eût été réellement prise, le peuple aurait eu une véritable raison pour en attribuer le malheur à son délai[71]. Et bien qu’il fût acquitté alors, sa réputation souffrit tellement de toute l’affaire, que le printemps suivant il accepta avec plaisir une invitation des satrapes persans qui lui offrirent le commandement des mercenaires grecs à leur service pour la guerre d’Égypte, le même commandement dont Iphikratês s’était retiré peu de temps auparavant[72].

Cet amiral, dont les forces navales avaient été augmentées par un nombre considérable de trirèmes korkyræennes, était en train d’opérer sans opposition des incursions contre l’Akarnania et la côte occidentale du Péloponnèse (372 av. J.-C.) ; si bien que les Messéniens expulsés, dans leur lointain exil à Hespérides en Libye, commencèrent à concevoir l’espérance d’être rétablis par Athènes à Naupaktos, qu’ils avaient occupée sous sa protection pendant la guerre du Péloponnèse[73]. Et tandis que les Athéniens étaient ainsi maîtres de la mer tant à l’est qu’à l’ouest du Péloponnèse[74], Sparte et ses confédérés, découragés par l’échec ruineux de leur expédition contre Korkyra, l’année précédente, paraissent être restés inactifs. Dans de telles prédispositions d’esprit, ils furent fortement affectés par une alarme religieuse que leur causèrent d’effrayants tremblements de terre et de terribles inondations qui affligèrent le Péloponnèse pendant cette année, et que l’on regarda comme des marques de la colère du dieu Poseidôn. Le Péloponnèse eut à subir cette année plus de ces formidables épreuves qu’on n’en avait jamais vu auparavant ; une en particulier, la, pire de toutes, qui anéantit les deux villes d’Helikê et de Bura en Achaïa, avec une partie considérable de leur population. Dix trirèmes lacédæmoniennes, qui se trouvaient par hasard amarrées sur ce rivage la nuit dans laquelle arriva ce désastre, furent détruites par la violence des eaux[75].

Dans ces circonstances accablantes, les Lacédæmoniens eurent recours à la même manœuvre qui avait si bien servi leur dessein quinze ans auparavant, en 388-387 avant J.-C. Ils envoyèrent de nouveau Antalkidas comme ambassadeur en Perse, pour demander à la fois un secours pécuniaire[76], et une nouvelle intervention persane qui imposât de nouveau la paix portant son nom ; paix qui à ce moment avait été violée (suivant l’explication lacédæmonienne) par le rétablissement de la confédération bœôtienne, sous Thèbes, comme État président. Et il paraît que dans le courant de l’automne ou (le l’hiver, ries ambassadeurs persans vinrent réellement en Grèce, demandant que les belligérants cessassent tous la guerre et arrangeassent leurs dissensions sur les principes de la paix d’ Antalkidas[77]. Les satrapes persans, qui renouvelaient à cette époque leurs efforts contre l’Egypte, étaient désireux de voir cesser les hostilités en Grèce, comme moyen d’augmenter le nombre de leurs mercenaires thraces, troupes dont Timotheos avait pria le commandement, peu de mois auparavant quand il avait quitté Athènes.

Toutefois, à part cette perspective d’intervention persane, qui toutefois ne fut pas sans effet, — Athènes elle-même devenait de plus en plus disposée à la paix. La crainte et la haine communes des Lacédæmoniens, qui l’avaient jetée dans une alliance avec Thèbes en 378 avant J.-C., ne prédominaient plus à ce moment. Elle était actuellement à la tête d’une confédération maritime considérable ; et elle ne pouvait guère espérer l’augmenter en continuant la guerre, vu que la puissance navale lacédæmonienne avait déjà été humiliée. En outre elle trouvait très onéreuses les dépenses des opérations militaires, que ne défrayaient en aucune aorte ni les contributions de ses alliés ni les résultats de la victoire. L’orateur Kallistratos, qui avait promis soit d’obtenir d’Athènes des remises d’argent pour Iphikratês, soit de recommander la conclusion de la paix, fut obligé de se borner à la dernière alternative, et il contribua beaucoup à encourager les dispositions pacifiques de ses compatriotes[78].

En outre, les Athéniens s’étaient de plus en plus éloignés de Thèbes. L’ancienne antipathie, entre ces deux Etats voisins, avait pendant un temps été dominée par une crainte commune de Sparte. Mais aussitôt que Thèbes eut rétabli son autorité en Bœôtia, les jalousies d’Athènes commencèrent à renaître. En 374 avant J.-C., elle avait conclu une paix avec les Spartiates, sans le concours de Thèbes ; paix qui fut rompue presque aussitôt que faite, par les Spartiates eux-mêmes, par suite de la conduite de Timotheos à Zakynthos. Les Phokiens, — auxquels Thèbes faisait actuellement la guerre, pour avoir été des alliés actifs de Sparte dans ses invasions en Bœôtia, — avaient également été d’anciens amis d’Athènes, qui compatissait à leurs maux[79]. En outre, les Thêbains de leur côté se ressentaient probablement de l’état clans lequel Timotheos avait laissé leurs matelots, non payés et privés de tout, à Kalauria, pendant l’expédition destinée à délivrer Korkyra, l’année précédente[80], expédition dont Athènes seule recueillait à la fois la gloire et les avantages. Bien qu’ils restassent membres de la confédération et qu’ils envoyassent des députés au congrès à Athènes, l’esprit hostile des deux côtés continuait à grandir, et fut encore exaspéré par leur conduite violente contre Platée dans la première moitié de 372 avant J.-C.

Pendant les trois ou quatre dernières années, Platée, comme les autres villes de Bœôtia, avait été replacée dans la confédération sous Thèbes. Rétablie par Sparte après la paix à Antalkidas comme cité prétendue autonome, elle avait reçu d’elle une garnison comme poste contre les Thêbains, et elle ne fut plus en état de conserver une autonomie réelle après que les Thêbains eurent été exclus de la Bœôtia en 376 avant J.-C. Tandis que les autres cités bœôtiennes étaient contentes de se trouver délivrées de leurs oligarchies philo-laconiennes et réunies à la fédération sous Thèbes, Platée, — aussi bien que Thespiæ, — ne se soumit à l’union que par contrainte ; elle attendait une occasion favorable pour s’y arracher, par le moyen soit de Sparte, soit d’Athènes. Connaissant probablement la froideur croissante entre les Athéniens et les Thêbains, les Platæens essayaient secrètement de persuader Athènes d’accepter et d’occuper leur ville, en annexant Platée à l’Attique[81] : projet hasardeux, tant pour Thèbes que pour Athènes, puisqu’il les mettait en état de guerre ouverte l’une contre l’autre, tandis que ni l’une ni l’autre n’étaient encore en paix avec Sparte.

Cette intrigue, parvenant à la connaissance des Thêbains, les détermina à frapper un coup décisif. Leur présidence, sur plus d’une des cités bœôtiennes inférieures, avait toujours été dure, conformément à la rudesse de leurs dispositions. A l’égard de platée, en particulier, non seulement ils conservaient une ancienne antipathie, mais encore ils regardaient le rétablissement de la ville comme n’étant guère autre chose qu’un empiétement lacédæmonien, leur enlevant une portion de territoire qui était devenue thêbaine, et dont ils avaient acquis la jouissance par une prescription aie quarante années depuis la reddition de Platée, eu 427 avant J.-C. Comme c’eût été pour eus une perte aussi bien qu’un embarras, si Athènes se décidait à accéder à l’offre de Platée. — ils prévinrent l’éventualité en s’emparant de la ville pour eux-mêmes. Depuis que Thèbes avait reconquis la Bœôtia, les Platæens étaient rentrés, bien qu’à contrecœur, sous l’ancienne constitution bœôtienne : ils vivaient en paix avec Thèbes, reconnaissant ses droits comme Mat président de la fédération, et avant leurs propres droits garantis en retour par elle, probablement en vertu d’un engagement positif, — c’est-à-dire leur sécurité, leur territoire et leur autonomie restreinte, soumise aux restrictions et aux obligations fédérales. Mais bien qu’en paix ainsi avec Thèbes[82], les Platæens savaient bien quel était son sentiment réel à leur égard, et le leur pour elle. Si nous devons croire, ce qui semble très probable, qu’ils étaient en négociations secrètes avec Athènes pour qu’elle les aidât à s’arracher à la fédération, — la conscience de cette intrigue contribuait à entretenir plus encore en eux l’inquiétude et le soupçon. Conséquemment, redoutant quelque agression de la part de Thèbes, ils se tenaient habituellement sur leurs gardes. Mais leur vigilance se relâchait un peu, et la plupart d’entre eux sortaient de la ville pour aller à leurs fermes dans la campagne, les jours, bien connus à l’avance, où se tenaient les assemblées publiques à Thèbes. Le bœôtarque Neoklês profita de ce relâchement[83]. Il conduisit, immédiatement au sortir de l’assemblée, une force armée thébaine à Platée par une route indirecte en passant par Hysiæ ; il trouva cette ville abandonnée par la plupart de ses adultes males et hors d’état de résister. Les Platæens, — dispersés flans les champs, trouvant leurs murs, leurs femmes et leurs familles, en possession du vainqueur, — furent dans la nécessité d’accepter les conditions qu’on leur proposa. On leur permit de partir en sûreté, et d’emporter tous leurs biens mobiliers ; mais leur ville fut détruite et son territoire annexé de nouveau à Thèbes. Les malheureux fugitifs furent forcés pour la seconde fois de chercher un refuge à Athènes, où ils furent reçus de nouveau avec bonté, et réintégrés dans ce même droit de cité restreint dont ils avaient joui avant la paix d’Antalkidas[84].

Ce ne fut pas seulement de Platée, mais encore de Thespiæ, que Thèbes s’occupa en ce moment. Se défiant des dispositions des Thespiens, elle les força à démolir les fortifications de leur ville[85] : comme elle l’avait fait faire, cinquante-deux ans auparavant, après la victoire de Dêlion[86], soupçonnant des penchants favorables à Athènes.

Cette conduite des Thêbains en Bœôtia excita une vive émotion à Athènes, où les Platæens, non seulement parurent comme suppliants avec les signes de la misère fastueusement étalés, mais encore où ils exposèrent leur affaire devant l’assemblée d’une manière pathétique, et invoquèrent l’aide de la cité pour ravoir leur ville qui venait de leur être ravie. Sur une question à la fois si touchante et si grosse de conséquences politiques, il a dû se composer et se prononcer bien des discours, dont heureusement un nous est parvenu, écrit par Isocrate, et qui peut-être fut prononcé réellement par un orateur platæen devant l’assemblée publique. Le sort cruel de cette intéressante petite communauté est ici présenté de manière à faire une vive impression ; on y trouve les reproches les plus amers, exprimés avec une assez grande exagération de rhétorique, contre les torts multipliés dont Thèbes s’est rendue coupable, aussi bien envers Athènes qu’envers Platée. Une grande partie de son invective est plus véhémente que concluante. Ainsi, quand l’orateur réclame à plusieurs reprises, pour Platée, son droit à une existence autonome, sous la garantie d’une autonomie universelle jurée à la paix d’Antalkidas[87], — les Thêbains répondaient sans doute qu’à l’époque de cette paix, Platée n’existait plus ; mais qu’elle avait cessé d’être pendant quarante ans, et qu’elle n’avait été relevée plus tard par les Lacédæmoniens que pour leurs vues politiques. Et l’orateur donne à entendre clairement que les Thêbains ne rougissaient nullement de leur conduite, mais qu’ils étaient venus à Athènes, pour la justifier, d’une manière ouverte et avouée ; en outre que plusieurs des orateurs, athéniens les plus distingués se rangèrent de leur côté[88]. Que les Platæens eussent prêté leur concours à Sparte dans ses récentes opérations en Bœôtia contre Athènes et Thèbes, c’était un fait qu’on ne pouvait nier ; fait que l’orateur lui-même ne peut affaiblir on disant qu’ils agissaient contraints par une armée spartiate présente, — mais que la partie adverse citait comme preuve de leurs dispositions favorables à Sparte, de leur empressement à rejoindre l’ennemi commun dès qu’il se présentait[89]. Les Thêbains accusaient Platée de trahison subséquente à l’égard de la confédération ; et ils semblent même avoir prétendu qu’ils avaient rendu un service positif à la confédération générale d’Athènes dont ils étaient membres[90], en chassant les habitants de Platée et en démantelant Thespiæ, villes qui toutes deux non seulement étaient dévouées à Sparte, mais encore touchaient an Kithærôn, la ligne frontière par laquelle une armée spartiate envahissait la Bœôtia. Tant dans l’assemblée publique d’Athènes, que dans le congrès général des confédérés qui v était réuni, des discussions animées s’élevèrent sur tout le sujet[91], discussions dans lesquelles, à ce qu’il parait, Épaminondas, comme orateur et représentant de Thèbes, se trouva un cligne adversaire de Kallistratos, l’orateur le plus distingué d’Athènes, soutenant la cause thébaine avec un talent qui augmenta beaucoup sa réputation naissante[92].

Mais bien que les Thêbains et leurs partisans athéniens, ayant de leur côté tous les arguments que dicte la prudence, amenassent les choses à ce point qu’on ne prit aucune mesure pour rétablir les Platæens, et qu’on ne fit aucune déclaration hostile contre,ceux auxquels ils devaient leur expulsion, — cependant le résultat général des débats, animés par une vive sympathie pour les infortunés Platæens, contribua décidément à empoisonner les bons sentiments et à relâcher les liens entre Athènes et Thêbes (371 av. J.-C.). Ce changement se montra par une plus grande tendance vers une paix avec Sparte, tendance fortement appuyée par l’orateur Kallistratos, et favorisée actuellement non seulement par l’intervention persane annoncée, mais encore par les lourdes dépenses de la guerre, et par l’absence de toua gain futur, si elle continuait. Enfin la résolution fut prise, —d’abord par Athènes, et ensuite, probablement par la majorité des confédérés réunis dans cette ville, — de faire des propositions de paix à Sparte, où l’on savait bien que régnaient des dispositions semblables pour la paix. On communiqua cette intention aux Thêbains, qui furent invités à y envoyer également des ambassadeurs, s’ils voulaient y devenir parties. Dans le printemps de 371 avant J.-C., à l’époque où les membres de la confédération lacédæmonienne étaient assemblés à Sparte, les ambassadeurs athéniens et thêbains, ainsi que ceux des divers membres de la confédération athénienne, y arrivèrent. Parmi les envoyés athéniens, deux au moins, — Kallias (le dadouchos, ou porte-flambeau héréditaire des cérémonies éleusiennes) et Autoklês, — étaient des hommes de grande famille à Athènes ; et ils étaient accompagnés par Kallistratos l’orateur[93]. Parmi les Thêbains, le seul homme de marque était Épaminondas, alors l’un des bœôtarques.

Quant aux débats dont cet important congrès fut le théâtre (mai-juin 371 av. J.-C.), nous n’en avons qu’une connaissance très imparfaite ; et quant aux conversations diplomatiques plus particulières, non moins importantes que les débats, nous n’en avons aucune connaissance. Xénophon nous donne un discours de chacun des trois Athéniens, et de personne autre. Celui de pallias, qui s’annonce comme le proxenos héréditaire de Sparte à Athènes, est plein de vanterie et vide de sens, mais l’esprit en est évidemment favorable à Lacédæmone[94] ; celui d’Autoklês est dans le ton opposé, rempli de blâme sévère sur la conduite passée de Sparte ; celui de Kallistratos prononcé après les deux autres, — tandis que les ennemis de Sparte étaient triomphants, ses amis humiliés, et les deux parties silencieuses, par suite (le l’effet récent des reproches d’Autoklês[95], — ce discours, dis-je, est composé dans un esprit de conciliation ; il admet des fautes des deux côtés, mais il prie les deux parties de ne pas continuer la guerre, comme funeste à l’une et à l’autre, et il montre combien les intérêts communs des deux réclament la paix[96].

Cet orateur, qui représente la diplomatie athénienne de l’époque, reconnaît distinctement la paix d’Antalkidas comme la base sur laquelle Athènes était prête à traiter, — autonomie pour chaque cité, petite aussi bien que grande, et en ce sens, coïncidant avec les vues du roi de Perse, il écarte avec indifférence la menace qu’Antalkidas était en train de revenir de Perse avec de l’argent pour aider les Lacédæmoniens à faire la guerre. Ce n’était pas par crainte des trésors persans (dit-il), — comme l’affirmaient les ennemis de la paix, — qu’Athènes la recherchait[97]. Ses affaires étaient actuellement assez prospères tant sur terre que sur mer, pour prouver qu’elle n’agissait ainsi que parce qu’elle considérait les maux généraux d’une guerre prolongée, et qu’elle renonçait prudemment à cette confiance téméraire toujours prête à jouer son reste[98], — comme un joueur qui fait quitte ou double. Le temps était venu tant pour Sparte que pour Athènes de s’abstenir actuellement d’hostilités. La première avait la force sur terre, la seconde était maîtresse sur mer, de sorte que chacune pouvait garder l’autre, tandis que la réconciliation des deux États produirait la paix d’une extrémité à l’autre du monde hellénique, puisque dans chaque cité séparée, l’un des deux partis locaux contraires s’appuyait sur Athènes, l’autre sur Sparte[99]. Mais il était indispensablement nécessaire que Sparte renonçât à ce système d’agression (déjà formellement dénoncé par l’Athénien Autoklês) en vertu duquel elle avait agi depuis la paix d’Antalkidas, système dont elle avait fini par recueillir des fruits amers, depuis que la prise injuste de la Kadmeia avait eu pour résultat de jeter dans les bras des Thêbains toutes ces cités bœôtiennes, dont elle s’était appliquée à assurer l’autonomie séparée par tous les efforts de sa politique[100].

Deux points ressortent dans ce remarquable discours, qui apprécie dans une sage mesure la position réelle des affaires : d’abord, l’autonomie séparée pour chaque cité, et l’autonomie dans le sens véritable du mot, et non pas expliquée et imposée par les intérêts séparés de Sparte, comme elle l’avait été à la paix d’Antalkidas ; ensuite, le partage de cette prééminence ou hégémonie, en tant que compatible avec cette autonomie universelle, entre Sparte et Athènes, la première sur terre, la seconde sur mer, comme moyen d’assurer la tranquillité de la Grèce. Cette autonomie pervertie en faveur des desseins lacédæmoniens que Periklês avait dénoncée avant la guerre du Péloponnèse comme la condition du Péloponnèse, et dont on avait fait la règle politique de la Grèce par la paix d’Antalkidas, — touchait actuellement à sa fin. D’autre part, Athènes et Sparte devaient devenir associées et garantes mutuelles, divisant l’hégémonie de la Grèce par une ligne fixe de démarcation, sans cependant que ni l’une ni l’autre intervint dans le principe de l’autonomie universelle. Thèbes, et ses droits à la présidence de la Bœôtia, étaient ainsi écartés d’un consentement mutuel.

Ce fut sur cette base que la paix fut conclue. Les armements des deux côtés durent être licenciés ; les harmostes et les garnisons retirés de partout, afin que chaque cité pût jouir d’une autonomie complète. Si une cité manquait à l’observation de ces conditions, et continuait à faire usage de la force contre une autre cité, toutes étaient libres de prendre les armes pour appuyer la partie lésée, mais aucune n’était forcée de le faire, si elle ne s’y sentait pas disposée. Cette dernière stipulation délierait les alliés lacédæmoniens de l’une de leurs chaînes les plus vexatoires.

Ces conditions mentionnées ici furent acceptées par toutes les parties, et le lendemain, on échangea des serments. Sparte jura pour elle-même et pour ses alliés ; Athènes pour elle seule ; ses alliés ensuite le firent séparément, chaque cité pour elle-même. Pourquoi fit-on cette différence c’est ce qu’on ne nous dit pas ; car il semblerait que le principe de séparation s’appliquât aux deux confédérations également.

Ensuite vint le tour des Thêbains de jurer, et ici parut la difficulté fatale. Épaminondas, l’envoyé thêbain, demanda instamment à prononcer le serment non pour Thèbes séparément, mais pour Thèbes comme État président de la confédération bœôtienne, comprenant toutes les cités bœôtiennes. Les autorités spartiates, d’autre part, et Agésilas comme la première de toutes, s’y opposèrent énergiquement. Ils exigeaient qu’il jurât pour Thèbes seule, en laissant les cités bœôtiennes prononcer le serment chacune pour elle-même.

Déjà dans le courant des débats préliminaires, Épaminondas avait parlé avec hardiesse contre l’ascendant de Sparte. Tandis que la plupart des députés étaient effrayés de sa dignité, que représentait l’énergique Agésilas comme organe, — lui, à l’instar de l’Athénien Autoklês, et avec une vive sympathie de là part de beaucoup de députés présents, avait déclaré que rien n’entretenait la guerre que ses injustes prétentions, et qu’aucune paix ne pourrait être durable si de pareilles prétentions n’étaient écartées[101]. Acceptant les conditions de paix telles qu’elles étaient déterminées finalement, il se présenta pour jurer au nom de la confédération bœôtienne. Mais Agésilas, exigeant que chacune des cités bœôtiennes prononçât le serment pour elle-même, fit appel à ces mêmes principes de liberté qu’Épaminondas lui-même venait d’invoquer, et il demanda si chacune des cités bœôtiennes n’avait pas un aussi bon titre à l’autonomie que Thèbes. Épaminondas aurait pu répondre en demandant pourquoi l’on venait de permettre à Sparte de prononcer le serment pour ses alliés aussi bien que pour elle-même ; mais il se plaça sur un terrain plus élevé. Il prétendit que Thèbes avait la présidence de la Bœôtia à un aussi bon titre que Sparte la souveraineté de la Laconie[102]. Il rappela à l’assemblée que, quand la Bœôtia fut conquise et colonisée pour la première fois par ses habitants actuels, les autres villes avaient toutes été établies par Thêbes, comme chef et métropole ; que l’union fédérale de toutes ces cités, administrée par des bœôtarques choisis par toutes et dans le sein de toutes, avec Thèbes comme État président, datait du même temps que la première colonisation du pays ; que l’autonomie de chacune était restreinte par une institution établie, qui remettait aux bœôtarques et aux conseils siégeant a Thèbes la direction des relations étrangères de toutes conjointement. Tous ces arguments avaient déjà été présentés par l’orateur thêbain cinquante-six ans auparavant, devant les cinq commissaires spartiates réunis pour déterminer le sort des captifs après la reddition de Platée, quand il demanda la condamnation des Platæens comme coupables de trahison à l’égard des institutions de la Bœôtia établies par les ancêtres[103] ; et les commissaires spartiates avaient reconnu la légitimité de ces institutions, en condamnant à mort les transgresseurs en masse. De plus, à une époque où l’ascendant de Thèbes sur les cités bœôtiennes avait été fort affaibli par le concours anti-hellénique qu’elle avait prêté aux envahisseurs persans, les Spartiates eux-mêmes l’avaient aidée de tout leur pouvoir à le rétablir comme contrepoids à la puissance athénienne[104]. Épaminondas pouvait prouver que la présidence de Thèbes sur les cités bœôtiennes était la clef de voûte de la fédération, droit non seulement d’une antiquité immémoriale, mais reconnu formellement et énergiquement défendu par les Spartiates eux-mêmes. Il pouvait prouver en outre qu’il était aussi ancien et aussi bon que leur propre droit à gouverner les municipes laconiens, pouvoir qui n’était acquis et maintenu (comme l’avait proclamé avec jactance l’un de leurs meilleurs guerriers)[105] que par la valeur spartiate et par le tranchant de l’épée spartiate.

Ln discours énergique de cette teneur, prononcé au milieu des députés assemblés à Sparte, et attaquant les Spartiates non seulement dans leur suprématie sur la Grèce, mais même dans leur domination chez eux, — était pour ainsi dire l’ombre que les événements futurs jetaient devant eux. Il ouvrait une question qu’aucun Grec n’avait jamais osé soulever. C’était une nouveauté saisissante pour tous, — probablement extravagante aux yeux de Kallistratos et des Athéniens, — mais pour les Spartiates eux-mêmes intolérablement poignante et injurieuse[106]. Ils avaient déjà un long compte d’antipathie à régler avec Thèbes, — l’injustice qu’ils avaient commise en s’emparant de la Kadmeia, — l’humiliation subséquente qu’ils avaient subie en la perdant et en ne pouvant la reprendre, — leurs échecs et insuccès récents, dans les sept dernières années de guerre contre Athènes et Thèbes réunies. Pour aggraver cette série de pensées hostiles si profondément imprimées dans leurs cœurs, leur orgueil était actuellement blessé dans un point imprévu, le plus sensible de tous. Agésilas, plein jusqu’à l’excès du sentiment national, qui dans l’esprit d’un Spartiate passait pour la première des vertus, fut piqué au vif. S’il avait été un orateur athénien comme Kallistratos, sa colère se serait exhalée dans un discours animé ; mais un roi de Sparte ne désirait que clore ces discussions blessantes d’une manière brusque et méprisante, ne laissant pas par là, aux présomptueux Thêbains de milieu entre une humble rétractation et une hostilité reconnue. S’élançant avec indignation de son siège, il dit à Épaminondas : — Parle franchement. — Voulez-vous ou ne voulez-vous pas laisser à chacune des cités bœôtiennes son autonomie séparée ? A quoi l’autre répondit : — Et vous, voulez-vous laisser autonome chacune des villes laconiennes ? Sans ajouter un mot, Agésilas fit immédiatement effacer de la liste le nom des Thêbains, et les déclara exclus du traité[107].

Telle fut la fin de ce mémorable congrès de Sparte tenu en juin 371 avant J.-C. La paix fut jurée entre les Spartiates et les Athéniens et leurs alliés respectifs. Mais les Thêbains furent exclus, et leurs députés retournèrent chez eux (si nous pouvons croire Xénophon)[108], tristes et découragés. Cependant un homme tel qu’Épaminondas a bien dû savoir que Sparte n’admettrait ni ses prétentions ni ses arguments. S’il fut donc désappointé quant au résultat, ce doit être parce qu’il avait compté, sans qu’il l’ait obtenu, sur l’appui des Athéniens ou d’autres.

Les dispositions des députés athéniens avaient été contraires plutôt que favorables à Thèbes pendant tout le congrès. Ils étaient éloignés, à cause de leurs sympathies pour les Platæens, de soutenir les prétentions de Thèbes à la présidence, bien qu’en général il fût de l’intérêt politique d’Athènes que la fédération bœôtienne fût maintenue, comme boulevard pour elle-même contre Sparte. Cependant les relations d’Athènes avec Thèbes, après le congrès comme avant, furent encore celles de l’amitié, nominale plutôt que sincère. Ce fut seulement avec Sparte et ses alliés, que Thèbes fut en guerre, sans un seul allié attaché à elle. En général, Kallistratos et ses collègues avaient soigné les intérêts d’Athènes avec beaucoup de prudence et de succès. Ils l’avaient dégagée de l’alliance avec Thèbes, qui avait été dictée sept ans auparavant par une crainte et un dégoût communs de Sparte, mais qui n’avait plus de motif suffisant pour contrebalancer les frais qu’entraînerait la continuation de la guerre ; en même temps, le dégagement s’était fait sans mauvaise foi. Ce qu’Athènes avait gagné, pendant les sept dernières années de guerre, avait été considérable. Elle avait acquis une grande puissance navale et un corps de confédérés maritimes, tandis que ses ennemis les Spartiates avaient perdu leur puissance navale dans la même proportion. Athènes était en ce moment le chef dominant de la Grèce maritime et insulaire, — tandis que Sparte continuait encore d’être le pouvoir supérieur sur terre, mais seulement sur terre ; et une association tacite était actuellement établie entre les deux États qui se reconnaissaient mutuellement dans leurs moitiés respectives de l’hégémonie hellénique[109]. De plus, Athènes eut la prudence de retirer sa mise et de quitter le jeu, quand elle était au maximum de ses acquisitions, sans courir le risque d’éventualités futures.

Des deux côtés, on renonça au système des confédérations obligatoires et indestructibles, ce qu’on avait juré déjà une fois, seize ans auparavant, à la paix d’Antalkidas, mais ce que Sparte avait perfidement perverti dans l’exécution. En vertu de ce nouvel engagement, les alliés de Sparte ou d’Athènes cessèrent de constituer un corps permanent organisé votant par sa majorité, prenant des résolutions qui engageaient les dissidents d’une manière permanente, armant l’État principal de plus ou moins de pouvoir pour l’imposer à tous, et interdisant les séparations volontaires de, membres individuels. Ils devinrent un simple agrégat non cimenté d’individus, agissant chacun pour lui-même, tenant conseil ensemble, aussi longtemps qu’ils le voulaient, et coopérant tant que tous étaient d’accord, mais aucun n’étant lié par une décision des autres, ni ne reconnaissant dans les autres le droit de le forcer même à accomplir ce qu’il avait spécialement promis, s’il finissait par y répugner. Conséquemment, Athènes et Sparte perdirent en pouvoir, cependant la dernière, dans une mesure beaucoup plus grande que la première, en ce qu’elle avait exercé son empire sur ses alliés, dans un cercle plus compréhensif et avec plus de rigueur.

Nous voyons ici le point exact sur lequel roulaient la requête adressée par Sparte à Thèbes, et la controverse entre Épaminondas et Agésilas. Ce dernier prétendait que les relations entre Thèbes et les autres cités bœôtiennes étaient les mêmes que celles qui existaient entre Sparte et ses alliés ; qu’en conséquence, lorsque Sparte renonçait au caractère indestructible et obligatoire de sa confédération, et consentait à traiter chacun de ses membres comme une unité indépendante et agissant par elle-même, elle avait droit à demander que Thèbes fît la même chose par rapport aux villes bœôtiennes. Épaminondas, au contraire, contestait la justesse de ce parallèle. Il soutenait que le sujet convenable de comparaison à prendre, c’étaient les relations de Sparte, non pas avec ses alliés en dehors de la Laconie, mais avec les municipes laconiens ; que l’union fédérale des villes bœôtiennes sous Thèbes datait de la colonisation bœôtienne, et était au nombre des plus anciens phénomènes de la Grèce ; que par rapport aux autres États, la Bœôtia, comme la Laconie ou l’Attique, était le tout composé et organisé, dont chaque cité séparée n’était qu’une fraction ; que les autres Grecs n’avaient pas plus le droit de se mêler de la constitution intérieure de ces fractions, et de convertir chacune d’elles en entier, — que de demander une indépendance séparée pour chacun des municipes de la Laconie. Épaminondas n’entendait pas soutenir que le pouvoir de Thèbes sur les cités bœôtiennes fût aussi complet et aussi absolu en degré que celui de Sparte sur les municipes laconiens, mais simplement que son pouvoir présidentiel, et le système fédéral dont il faisait partie, fussent établis, indestructibles, et au delà de l’intervention de toute convention hellénique, tout autant que le gouvernement intérieur de Sparte en Laconie.

Une fois déjà cette question avait été discutée entre Sparte et Thèbes, à la paix d’Antalkidas. Une fois déjà elle avait été décidée par la puissance supérieure de la première, arrachant une soumission à la seconde. Les seize dernières années avaient infirmé la première décision, et mis les Thêbains en état de reconquérir ces droits présidentiels dont la première paix les avait privés. Conséquemment, la question était à décider de nouveau, avec une antipathie plus vire des deux côtés, — avec un pouvoir diminué du côté de Sparte, — mais avec un accroissement de force et de confiance, et un nouveau chef dont l’inestimable valeur n’était même encore connue qu’à moitié, — du côté de Thèbes. Les Athéniens, — amis des deux puissances, alliés toutefois ni de l’une ni de l’autre, — laissèrent le différend se vider sans intervenir. Comment fut-il arrangé, c’est ce qu’on verra dans le chapitre suivant.

 

 

 



[1] Cornélius Nepos, Épaminondas, c. 5 ; Plutarque, Præcept. Reip. Gerend., p. 819 C. Cicéron le mentionne comme le seul homme avec quelques prétentions à des talents oratoires que Thèbes, Corinthe on Argos eût jamais produit (Brutus, c. 13, 50).

[2] Plutarque (De Gen. Socrat., p. 553, 584 ; Pélopidas, c. 3 ; Fabius Maximus, c. 27 ; comparaison Alkibiadês et Coriolan, c. 4) ; Cornélius Nepos, Épaminondas, c. 4.

[3] Plutarque, Aristeidês, c. 1 ; Justin, VI, 8.

[4] Plutarque, De Gen. Socrat., I, 546 F.

Cf. le même dialogue, p. 594 13, et Cornélius Nepos, Pélopidas, c. 4.

Isocrate fait au sujet d’Evagoras de Salamis une remarque qui peut bien s’appliquer à Épaminondas ; à savoir que les moyens répréhensibles, sans lesquels le premier n’aurait pu se rendre maître du sceptre, furent employés par d’autres et non par lui, tandis que toutes les fonctions méritoires et admirables du commandement turent réservées pour Evagoras (Isocrate, Or. IX, Evagoras, s. 28).

[5] Voir les assertions frappantes de Plutarque et de Pausanias au sujet de Philopœmen. Dans le même dessein Pausanias, VIII, 49, 2 ; Plutarque, Pélopidas, c. 25 ; Cornélius Nepos, Épaminondas, c. 3 : — Patiens admirandum in modum.

[6] Plutarque, Agésilas, c. 32.

[7] Plutarque, De Gen. Socrat., p. 576 E.

[8] Bauch, dans son instructive biographie d’Épaminondas (Epaminondas, und Thebens Kampf um die Hegemonie ; Breslau, p. 86), semble croire qu’Épaminondas ne fini jamais employé dans un aucun poste officiel public par ses compatriotes, jusqu’à l’époque qui précéda immédiatement la bataille de Leuktra. Je ne puis partager cette opinion. Il me paraît qu’il a dit être employé antérieurement dans des postes qui lui permirent de montrer son mérite militaire. Car tous les actes de 371 avant J.-C. prouvent que dans cette année-là il possédait réellement une réputation grande et établie, qui a dû être acquise par divers actes antérieurs dans une position en vue ; et comme il n’avait pas pour point de départ une grande position de famille, sa réputation fut probablement acquise seulement par degrés et lentement.

Le silence de Xénophon n’est pas une preuve qui contredise cette supposition, car il ne mentionne pas Épaminondas même à Leuktra.

[9] Diodore, IV, 31.

[10] Xénophon, Helléniques, V, 54 ; Diodore, XV, 31.

[11] Xénophon, Helléniques, V, 4, 36-38.

[12] Xénophon, Helléniques, V, 4, 41.

[13] Diodore, XV, 32 ; Polyen, II, 1, 2 ; Cornélius Nepos, Chabrias, c. 1. — Obnixo genu scuto — Démosthène, cont. Leptin., p. 479.

Le public athénien ayant voté plus tard une statue à Chabrias, il fit choix de cette attitude pour le dessin (Diodore, XV. 33).

[14] Xénophon, Helléniques, V, 4, 43-45 ; Diodore, XV, 33.

[15] Xénophon, Helléniques, V, 4, 46.

[16] Xénophon, Helléniques, V, 4, 47, 51. Les anecdotes de Polyen (II, 1, 18-20), mentionnant de la pusillanimité et de la crainte parmi les alliés d’Agésilas, doivent vraisemblablement s’appliquer (certainement, en partie) à cette campagne.

[17] Diodore, XV, 33, 34 ; Plutarque, Agésilas, c. 26.

[18] Xénophon, Helléniques, V, 4, 58.

[19] Xénophon, Helléniques, V, 4, 59.

[20] Xénophon, Helléniques, V, 4, 61. Bœckh (suivi par le docteur Thirlwall, Hist. Gr., ch. 38, vol. V, p. 58) rattache à cette expédition maritime une inscription (Corp. Insc., n° 84, p. 124), rappelant un vote de reconnaissance rendu par l’assemblée athénienne en faveur de Phanokritos, natif de Parion dans la Propontis. Mais je crois que le vote ne peut guère appartenir à l’expédition actuelle. Les Athéniens rie pouvaient avoir besoin d’être informés par un indigène de Parion des mouvements d’une flotte ennemie prés d’Ægina et de Keos. L’information donnée par Phanokritos doit s’être rapportée plus probablement, je pense, à quelque occasion relative au passage de vaisseaux ennemis le long de l’Hellespont, passage qu’un indigène de Parion pouvait vraisemblablement découvrir et annoncer le premier.

[21] Diodore, XV, 35 ; Démosthène, cont. Leptin., c. 17, p. 480.

Je donne le nombre des vaisseaux pris dans cette action, tel qu’il est avancé par Démosthène, de préférence à Diodore, qui mentionne un nombre plus petit. L’orateur, en énumérant dans ce discours les exploits de Chabrias, non seulement parle d’une note écrite de sa main, qu’il fit lire ensuite par le greffier, — mais encore il semble exact et spécial quant au nombre, de manière à inspirer une plus grande confiance que d’ordinaire.

[22] Diodore, XV, 35.

Ce passage explique ce que j’ai fait remarquer dans le quatrième chapitre du neuvième volume de cette Histoire, relativement à la bataille des Arginusæ et à ce qui se fit ensuite à Athènes. Je mentionnais que Diodore représentait inexactement la colère d’Athènes contre les généraux comme produite parleur négligence à recueillir les corps des guerriers tués pour les ensevelir, — et qu’il omettait ce fait plus important, qu’ils laissèrent périr beaucoup de guerriers vivants et blessés.

Il est curieux que, dans la première des deux phrases mentionnées plus haut, Diodore répète son affirmation erronée an sujet de la bataille des Arginusæ, tandis que dans la seconde il corrige l’erreur, en nous disant que Chabrias, profitant de l’avertissement, prit soin de recueillir les hommes vivants sur les débris et dans l’eau, aussi bien que les cadavres.

[23] Plutarque, Phokiôn, c. 6 ; Plutarque, Camille, c. 19.

[24] Démosthène, cont. Leptin., p. 480 ; Plutarque, Phokiôn, c. 7.

[25] Diodore, XV, 36. Il avance, par méprise, que Chabrias fut plus tard assassiné à Abdêra.

[26] Xénophon. Helléniques, V, 4, 62.

[27] Xénophon, Helléniques, V, 4, 64 ; Diodore, XV, 36.

[28] Xénophon, Helléniques, V, 4, 66 ; Isocrate, De Permutat., s. 116 ; Cornélius Nepos, Timotheos, c. 2.

L’avance de sept mines respectivement, obtenue par Timotheos des soixante triérarques sous son commandement, est mentionnée par Démosthène, Cont. Timotheum (c. 3, p. 1187). Je suis d’accord avec M. Bœckh (Public Economy of Athens, II, 24, p 294) pour rapporter cette avance à son expédition vers Korkyra et autres endroits dans la mer Ionienne en 375-374 avant J.-C., et non à son expédition subséquente de 373 av. J.-C., à laquelle Rehdantz, Lachmann, Schlosser et autres voudraient la rapporter (Vitæ Iphicratis, etc., p. 89). Dans la seconde expédition, il ne parait pas qu’il eût jamais réellement soixante trirèmes, ou soixante triérarques, sous ses ordres. Xénophon (Helléniques, V, 4, 63) nous dit que la flotte envoyée avec Timotheos à Korkyra consistait en 60 vaisseaux, ce qui est le nombre exact de triérarques donné par Démosthène.

[29] Isocrate, Orat. De Permutat., s. 128, 131, 135.

[30] Isocrate, De Permutat., s. 117 ; Cornélius Nepos, Timotheos, c. 2.

[31] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 1.

[32] Voir Isocrate, Or. XIV (Plataïc.), s. 21. 23.37.

[33] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 1.

[34] Xénophon, Helléniques, V, 4, 46-55.

[35] Plutarque, Pélopidas, c. 15-25.

[36] Plutarque, Pélopidas, c. 17 ; Diodore, XV, 37.

Xénophon ne mentionne pas le combat de Tegyra. Diodore mentionne ce qui est évidemment cette bataille, près d’Orchomenos, mais il ne nomme pas Tegyra.

Kallisthenês semble avoir décrit la bataille de Tegyra et avoir donné diverses particularités relatives aux légendes religieuses qui se rattachaient à ce lieu (Kallisthenês, Fragm. 3, éd. Didot, ap. Stephan. Byz. v. Τεγύρα).

[37] Que les Thêbains soient redevenus ainsi présidents de toute la Bœôtia, et qu’ils aient fait revivre la confédération bœôtienne, — c’est ce que dit clairement Xénophon, Helléniques, V, 4, 63 ; VI, 1, 1.

[38] Thucydide II, 2.

Cf. le langage des Thêbains sur τά πάτρια τών Βοιωτών (III, 61, 65, 66).

L’exposé que firent les Thêbains de leurs principes et de leurs vues, quand ils attaquèrent Platée en 431 avant J.-C., peut être pris comme juste analogie pour juger de leurs principes et de leurs vues à l’égard des villes bœôtiennes recouvrées en 376-375 avant J.-C.

[39] Xénophon, Helléniques, VI, 4, 3 ; cf. Diodore, XV, 53.

[40] Diodore, XV, 31 ; Xénophon, Helléniques, VI, 3, 1 ; III, 5, 21.

[41] Xénophon, Helléniques, VI, 4, 21-27.

[42] Xénophon, Helléniques, VI, 1, 1 ; VI, 21.

Cette expédition de Kleombrotos en Phokis est placée par M. Fynes Clinton en 375 av. J.-C. (Fast. Hell., ad 375 av. J.-C.). Il me semble qu’elle appartient plutôt à 374 av. J.-C. Elle ne fut pas entreprise avant que les Thébains eussent reconquis toutes les cités bœôtiennes (Xénophon, Helléniques, VI, 1, 1) ; et cette opération paraît les avoir occupes pendant les deux années entières — 376 et 375 av. J -C. Voir V, 4, 63, où les mots οΰτ̕ έν ώ Τιμοθεος περιέπίευσε doivent être compris comme renfermant, non simplement le temps que Timotheos mit à faire réellement le tour du Péloponnèse, mais l’année qu’il passa ensuite dans la mer Ionienne, et le temps qu’il occupa à accomplir ses exploits pris de

Korkyra, de Leukas et du voisinage en général. Le Périple pour lequel Timotheos rut honoré ensuite à Athènes (V. Æschine, cont. Ktesiph., c. 90, p. 458) signifiait les exploits accomplis par lui pendant l’année et avec la flotte de ce Périple.

Il est digne de remarque que les jeux Pythiens furent cette année 374 av. J.-C. — έπί Σωκρατίδου άρχοντος, c’est-à-dire dans le premier trimestre de cet archonte, ou dans la troisième année olympique, vers le commencement d’août. Chabrias gagna à ces jeux un prix avec un char attelé de quatre chevaux ; pour célébrer sa victoire, il donna ensuite un magnifique banquet au point du rivage de la mer appelé Kôlias, prés d’Athènes (Démosthène, cont. Neæram, c. 11, p. 1356).

[43] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 1, 2.

Kallias semble avoir été un des députés athéniens (Xénophon, Helléniques, VI, 3, 4).

[44] Diodore, XIV, 82.

[45] Xénophon, Helléniques, VI, I, 3.

Cette manière peu rigoureuse d’agir des Thessaliens à l’égard de leurs revenus publics nous aide à comprendre comment Philippe de Macédoine prit plus tard dans ses mains l’administration de leurs ports et de leurs droits de douanes (Démosthène, Olynth., I, p. 15 ; II, p. 20). Elle forme un contraste happant avec l’exactitude du peuple athénien au sujet de ses recettes et de ses dépenses publiques, comme l’attestent les inscriptions qui restent encore.

[46] Xénophon, Helléniques, II, 3, 4.

L’histoire (racontée dans Plutarque, De Gen. Socrat., p. 583 F) de Jasôn envoyant une grosse somme à Thêbes, à quelque moment antérieur à la reprise de la Kadmeia, dans le dessein de corrompre Épaminondas — ne me parait pas digne de crédit. Avant cette époque, Épaminondas était trop peu connu pour qu’on songeât à le corrompre ; de plus, Jasôn ne devint tagos de Thessalia que longtemps après la reprise de la Kadmeia (Xénophon, Helléniques, VI, 1, 18, 19).

[47] Voir l’intéressant récit de cette mission, et le discours de Polydamas, que j’ai été obligé d’abréger beaucoup (dans Xénophon, Helléniques, VI, 1, 4-18).

[48] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 3 ; Diodore, XV, 45.

Les assertions de Diodore ne sont pas claires en elles-mêmes, outre que sur quelques points, bien que non sur les points principaux, elles contredisent Xénophon. Diodore dit que ces exilés que Timotheos ramena à Zakynthos étaient les chefs philo-spartiates, qui avaient été récemment chassés pour leur mauvaise conduite sous l’empire de Sparte. Le renseignement doit sans doute être inexact. Les exilés que Timotheos rétablit doivent avoir appartenu au parti anti-spartiate de l’île.

Mais Diodore me parait avoir confondu en représentant cette réaction universelle et tumultueuse contre les oligarchies philo-spartiates, qui ne s’opéra en réalité qui après la bataille de Leuktra, comme si elle s’était opérée trois ans plus tût. Les événements racontés dans Diodore, XX, 40, me semblent appartenir à une période postérieure à la bataille de Leuktra.

Diodore semble aussi avoir fait erreur en disant que les Athéniens envoyèrent Ktesiklês en qualité de commandant auxiliaire à Zakynthos (XV, 46) ; tandis que dans le chapitre suivant il dit lui-même que ce mime commandant fut envoyé à Korkyra (comme le dit également Xénophon, qui l’appelle Stesiklês — Helléniques, V, 2, 10).

Je crois que Diodore a mentionné deux fois par inadvertance cette expédition athénienne sous Stesiklês ou Ktesiklês : une fois comme envoyée à Zakynthos ; — puis encore, comme envoyée à Korkyra. La dernière est la vérité. Aucune expédition ne parait en cette occasion titre allée à Zakynthos ; car Xénophon énumère les Zakynthiens pariai ceux qui concoururent à équiper la flotte de Mnasippos (V, 2, 3).

D’autre part, je ne vois pas de raison pour révoquer en doute la réalité des deux expéditions lacédæmoniennes, dans la dernière moitié de 374 av. J : C. — l’une, sous Aristokratês à Zakynthos, l’autre sons Alkidas à Korkyra — que mentionne Diodore (XV, 45, 46). Il est vrai que Xénophon ne mentionne ni l’une ni l’autre ; mais elles ne sont nullement incompatibles avec les faits qu’il avance.

[49] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 3, 5,16 : Cf. V, 2, 21 — au sujet de l’échange du service personnel pour de l’argent.

Diodore (XV, 47) est d’accord avec Xénophon en général sur l’expédition de Mnasippos, bien qu’il diffère sur plusieurs autres points contemporains.

[50] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 6.

[51] Thucydide, I, 82 (Discours d’Archidamos).

Cf. la première partie du même discours (c. 80), et le second discours du même, Archidamos (II, 11).

C’est dans le même dessein que parle Thucydide, relativement aux propriétés des hommes riches établis sur toute la surface de l’Attique, Thucydide, II, 65.

[52] Les ambassadeurs envoyés de Korkyra à Athènes (mentionnés par Xénophon, V, 2, 9) durent probablement traverser l’Épire et la Thessalia, grâce à l’aide d’Alketas. C’était pour eux une route beaucoup plus prompte que la circumnavigation du Péloponnèse ; et cela ferait croire que le détachement de Stesiklês dont il va être parlé suivit le même chemin.

[53] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 15.

[54] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 16.

[55] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 18-26 ; Diodore, XV, 47.

[56] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 39.

[57] On verra (je pense) que la manière dont j’ai décrit la course préliminaire de Timotheos est la seule qui permette de réunir en un seul récit logique les fragments d’information épars que nous possédons relativement à ses opérations pendant cette année.

La date de son départ d’Athènes est exactement déterminée par Démosthène, adv. Timotheos, p. 1136, — le mois Munychion, pendant l’archontat de Sokratidês, — avril 373 avant J.-C. Diodore dit qu’il se rendit en Thrace, et qu’il acquit plusieurs membres nouveaux pour la confédération (XV, 47) ; Xénophon avance qu’il fit voile vers les îles (Helléniques, VI, 2, 12), deux assertions qui ne sont pas directement les mômes, sans toutefois être incompatibles l’une avec l’autre. Pour se rendre en Thrace, il dut naturellement remonter le détroit Eubœen et longer la côte de la Thessalia.

Nous savons que Stesiklês et ses peltastes ont dit aller à Korkyra, non par mer en faisant le tour du Péloponnèse, mais par terre en traversant la Thessalia et l’Épire, route beaucoup plus prompte. Xénophon nous dit que les Athéniens demandèrent à Alketas de les aider à passer du continent de l’Épire à l’île de Korkyra, placée vis-à-vis, et qu’en conséquence ils y furent transportés de nuit.

Or ces troupes n’avaient pu arriver en Épire sans traverser la Thessalia, et elles n’auraient pu traverser ce dernier pays sans la permission et sans l’escorte de Jasôn. De plus, Alketas lui-même était dépendant de Jasôn, dont le bon vouloir était ainsi doublement nécessaire (Xénophon, Helléniques, VI, 1, 7).

Nous savons en outre que l’année précédente (374 av. J.-C.), Jasôn n’était pas encore allié d’Athènes, ni même disposé à le devenir, bien que les Athéniens le désirassent beaucoup (Xénophon, Helléniques, VI, 1, 10), Mais en novembre 373 avant J.-C., Jasôn (aussi bien qu’Alketas) paraît comme l’allié établi d’Athènes, non pas comme devenant alors son allié pour la première fois, mais comme tua allié si bien établi, qu’il vient à Athènes dans le dessein exprès d’assister au procès de Timotheos et de déposer en sa faveur (Démosthène, adv. Timotheos, c. 5, p. 1190 et c. 3, p. 1187). Nous voyons ainsi par là que la première alliance entre Jasôn et Athènes avait été contractée dans la première partie de 373 avant J.-C. ; nous voyons en outre qu’elle avait été contractée par Timotheos dans sa course préliminaire, ce qui est la seule manière raisonnable d’expliquer le vif intérêt que Jasôn aussi bien qu’Alketas prenait au sort de Timotheos, et qui engagea l’un et l’autre à faire la remarquable démarche de venir à Athènes pour favoriser son acquittement. C’était Timotheos qui avait d’abord établi l’alliance d’Athènes avec Alketas (Diodore, XV, 36 ; Cornélius Nepos, Timotheos, c. 2), une année ou deux auparavant.

En combinant toutes les circonstances présentées ici, je conclus avec confiance que Timotheos, dans sa course préliminaire, visita Jasôn, fit conclure une alliance entre lui et Athènes, et le détermina à faire passer la division de Stesiklês à travers la Thessalia jusqu’en Épire et à Korkyra.

Dans ce discours de Démosthène, il y a deux ou trois dates exactes mentionnées qui sont d’un grand secours pour comprendre les événements historiques du temps. Ce discours est prononcé par Apollodoros, réclamant de Timotheos le remboursement de l’argent que lui a prêté Pasiôn le banquier, père d’Apollodoros ; et les dates spécifiées sont copiées sur les inscriptions faites au moment par Pasiôn dans ses livres de commerce (c. 1, p. 1186 ; c. 9, p 1197).

[58] Démosthène, adv. Timotheos, c. 3, p. 1188.

[59] Xénophon, Helléniques, VI, 8, 12, 13, ta ; Démosthène, adv. Timotheos, c. 3, p. 1188.

[60] Diodore, XV, 17.

[61] Je prends ce qui est avancé ici dans Démosthène, adv. Timotheos, c. 3, p. 1188 : C. 10, p. 1199. Il y est dit que Timotheos était sur le point de se rendre de Kalauria à Athènes pour comparaître en justice ; cependant il est certain que son procès ne fut pas jugé avant le mois mæmakterion où novembre. Conséquemment le jugement doit avoir été ajourné par suite de la, nécessité où étaient Iphikratês et Kallistratos de partir immédiatement pour sauver Korkyra.

[62] Xénophon, Helléniques, VI, 21 14.

[63] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 27, 32.

[64] Cf. VI, 2, 14, — avec VI, 2, 39.

[65] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 34.

[66] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 35, 38 ; Diodore, XV, 47.

Nous trouvons une histoire racontée par Diodore (XVI, 57), à savoir que les Athéniens sous Iphikratês capturèrent, à la hauteur de Korkyra, quelques trirèmes de Denys portant des ornements sacrés à Delphes et à Olympia. Ils retinrent et s’approprièrent la précieuse cargaison, ce dont Denys se plaignit plus tard très vivement.

Cette histoire (si elle contient quelque vérité) ne peut guère faire allusion à d’autres trirèmes qu’à celles que commandait Anippos. Cependant il est probable que Xénophon l’eût mentionnée, vu qu’elle présente les ennemis de Sparte commettant un sacrilège. Et que les trirèmes portassent des ornements sacrés oui non, il est certain qu’elles venaient pour prendre part à la guerre, et que dès lors elles étaient des prises légitimes.

[67] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 39. Le sens de Xénophon ici n’est pas très clair, et le texte même n’est pas parfait.

Je suis la traduction que donne le docteur Thirlwall de ού μάλα έπιτήδειον et qui me parait décidément préférable. Le mot ήφίει (VI, 3, 3) prouve que Kallistratos était au collègue peu disposé à servir.

[68] Xénophon, Helléniques, IV, 3, 3.

[69] Xénophon, Helléniques, IV, 2, 37, 38.

[70] Démosthène, Cont. Timotheos, c. 9, p. 1197, 1198.

[71] Le récit donné ici des événements de 373 av. J.-C., en tant qu’ils concernent Timotheos et Iphikratês, me parait le seul moyen de satisfaire aux exigences du cas, et de suivre les alertions de Xénophon et de Démosthène.

Schneider, dans sa note, à la vérité, implique, et Rehdantz (Vitæ Iphicratis, etc., p 86) soutient qu’Iphikratês ne prit le commandement de la flotte et ne partit d’Athènes qu’après le procès de Timotheos. Il y a quelques expressions dans le discours de Démosthène qui pourraient paraître appuyer cette supposition : mais nous verrons qu’elle n’est guère admissible, si nous étudions attentivement la série des faits.

1° Mnasippos arriva avec son armement à Korkyra et commença le siège, soit avant avril, soit tout au commencement d’avril, 373 avant J.-C. Car son arrivée dans l’île et le bon état de sa flotte furent connus à Athènes avant que Timotheos reçut sa nomination comme amiral de la flotte destinée à délivrer l’île. Xénophon (Helléniques, VI, 2, 10, 11, 12).

2° Timotheos partit de Peiræeus à l’occasion de ce voyage arrêté, en avril, 373 avant J.-C.

3° Timotheos fut jugé à Athènes en novembre 373 avant J.-C. ; Alketas et Jasôn étant alors présents, comme alliés d’Athènes et témoins en sa faveur.

Or s’il était vrai qu’Iphikratês ne quitta Athènes avec sa flotte qu’après le procès de Timotheos en novembre, il nous faudrait supposer que le siége de Korkyra par Mnasippos dura sept mois et la course de Timotheos près de cinq mois. Ces deux suppositions sont tout à fait improbables. Les Athéniens n’auraient jamais souffert que Korkyra courût une si terrible chance d’être prise, simplement afin d’attendre le procès de Timotheos. Xénophon ne dit pas expressément combien de temps dura le siège de Korkyra ; mais ses expressions au sujet des mercenaires de Mnasippos (qu’il leur était déjà dû la solde même de deux mois VI, 2, 16), nous amèneraient à conclure qu’il n’a pu guère durer plus de trois mois en tout. Disons qu’il dura quatre mois ; le siège eût alors fini en août, et nous savons que la flotte d’Iphikratês arriva précisément après la fin du siége.

En outre, est-il croyable que Timotheos, nommé amiral dans le dessein exprès de délivrer Korkyra, et sachant que Mnasippos assiégeait déjà la place avec une flotte formidable, — aurait consacré à sa course préliminaire un temps aussi long que cinq mois ?

Je présume que Timotheos est resté dans cette course environ deux mois ; et même cette longueur de temps dut être tout à fait suffisante pour susciter un fort mécontentement contre lui à Athènes, quand on y apprit que le danger et les privations de Korkyra augmentaient d’heure en heure. Au moment ou Timotheos revint à Athènes, il trouva tout ce mécontentement réellement soulevé contre lui, excité en partie par les vives critiques d’Iphikratês et de Kallistratos (Démosthène, cont. Timoth., p. 1187, c. 3). Les discours hostiles dans l’assemblée publique, non seulement enflammèrent la colère des Athéniens contre lui, mais ils furent cause qu’on vota sa déposition de son commandement pour Korkyra et qu’on nomma à sa place Iphikratês, avec Chabrias et Kallistratos. Probablement ceux qui proposèrent ce vote durent en même temps faire connaître qu’ils avaient l’intention d’intenter une accusation judiciaire à Timotheos pour violation ou oubli de devoir. Mais il était de l’intérêt de tout le monde d’ajourner un jugement réel jusqu’à ce que le sort de Korkyra fût décidé, but pour lequel il était précieux d’économiser le temps. Déjà l’on en avait trop perdu, et Iphikratês savait bien que toutes ses chances (le succès dépendaient de la célérité dont il ferait preuve ; tandis que Timotheos et ses amis considéraient un ajournement comme une chance de plus d’apaiser le mécontentement public, outre qu’il leur permettait d’obtenir la présence de Jasôn et d’Alketas. Toutefois, bien que le jugement fût ajourné, Timotheos était, à partir de ce moment, sous le coup d’une accusation. Conséquemment le discours composé par Démosthène (et prononcé par Apollodoros comme demandeur, plusieurs années après), — bien que le langage en soit vague, et qu’il ne distingue pas les discours violents contre Timotheos dans l’assemblée publique (en juin 373 avant J.-C. ou environ, et qui provoquèrent sa déposition) des discours par lesquels on l’accusa lors de son véritable procès en novembre 373 avant J.-C., devant le dikasterion, — ce discours, dis-je, n’est pas néanmoins inexact (c. 3, p. 1187), — ou encore relativement à sa venue de Kalauria à Athènes (p. 1188-1189). Que Timotheos eût été remis au peuple pour être jugé, — qu’il revint de Kalauria pour son procès, — c’est ce qu’on pouvait bien affirmer relativement à sa position dans le mois de juin, bien qu’il n’ait été réellement jugé qu’en novembre. Je crois qu’il n’y a pas lieu de clouter que les trirèmes à Kalauria ne fissent partie de la flotte qui alla actuellement à Korkyra sous Iphikratês, sans attendre pour s’y rendre que le procès de Timotheos en novembre fût terminé, et en partant aussitôt qu’Iphikratês put être prêt, probablement vers juillet 373 avant J.-C.

Rehdantz soutient que si Iphikratês partit avec la flotte en juillet, il a dît revenir à Athènes en novembre pour le jugement de Timotheos, ce qui est contraire à l’affirmation de Xénophon, qui dit qu’il resta dans la mer Ionienne jusqu’en 371 avant J.-C. Mais si nous examinons attentivement le discours de Démosthène, nous verrons qu’il n’y a pas de motif certain pour affirmer qu’Iphikratês ait été pressent à Athènes en novembre, pendant le véritable jugement de Timotheos. Les phrases, p. 1187, peuvent bien être expliquées, en ce qui concerne Iphikratês, en supposant qu’elles font allusion aux blâmes prononcés dans l’assemblée publique, qui provoquèrent le vote de déposition contre Timotheos, et qui excitèrent pour la premier fois contre lui l’indignation générale. Je ne vois donc pas de raison pour affirmer qu’Iphikratês fut réellement présent au jugement de Timotheos en novembre. Mais Kallistratos y assistait réellement (V. c. 9, p. 1197, 1198) ce qui s’accorde assez bien avec l’assertion de Xénophon, que cet orateur obtint d’Iphikratês la permission de le quitter à Korkyra et de revenir à Athènes (VI, 3, 3). Kallistratos dirigea son accusation principalement contre Antimachos, le trésorier de Timotheos. Et il me semble que dans les circonstances du cas, Iphikratês ayant réussi a supplanter Timotheos dans le commandement et avant remporte un succès important à Korkyra, — pouvait être charmé d’être dispensé de l’obligation de l’accuser formellement devant le dikasterion, eu opposition à Jasôn et à Alketas, aussi bien qu’à un corps puisant d’amis athéniens.

Diodore (XV, 47) fait un récit tout à fait différent de celui de Xénophon. Il dit que Timotheos fut d’abord déposé de son commandement, mais ensuite pardonné et renommé par le peuple (conjointement avec Iphikratês), par suite de la grande augmentation de force que lui avait procurée sa course préliminaire. En conséquence, la flotte, composée de cent trente trirèmes, fut dépêcha à Korkyra sous le commandement combiné d’Iphikratês et de Timotheos. Diodore ne fait pas mention du jurement de Timotheos. Cet exposé est évidemment tout à fait distinct de celui de Xénophon : mais ce dernier est préférable à tous égards, surtout en ce que dans ses points principaux il est conforme au discours de Démosthène.

[72] Démosthène, cont. Timot., c. 6, p. 1191 ; c. 8, p. 1194.

Nous voyons, par un autre passage du même discours, que les créanciers de Timotheos comptaient qu’il gagnerait une grosse somme d’argent au service de la Perse (c. 1, p. 1185). Cela explique en outre ce que j’ai dit dans une note précédente, au sujet de, motifs qui poussaient des officiers athéniens distingués à prendre du service dans des contrées étrangères loin d’Athènes.

[73] Xénophon, Helléniques, VI, 2, 38 ; Pausanias, IV, 26, 3.

[74] V. un curieux témoignage à l’appui de ce fait dans Démosthène, cont. Neæram, c. 12, p. 1357.

[75] Diodore, XI, 48, 49 ; Pausanias, VII, 25 ; Ælien, Hist. Animal., XI, 19.

Kallisthenês semble avoir décrit au long, avec des commentaires religieux appropriés, les prodiges physiques nombreux qui survinrent vers ce temps (V. Kallisthenês, Fragm. 8, éd. Didot).

[76] Cette seconde mission d’Antalkidas est suffisamment vérifiée par une allusion indirecte de Xénophon (VI, 3, 12). Ses sentiments philo-laconiens bien connus expliquent assez pourquoi il évite de la mentionner directement.

[77] Diodore, XV, 50.

Diodore avait dit (quelques chapitres auparavant, XV, 38) que des ambassadeurs persans étaient venus également en Grèce un peu avant la paix de 374 avant J.-C., et qu’ils avaient été les auteurs de cette paix. Mais cela me parait un des cas (assez nombreux dans son histoire) dans lesquels il répète lui-même, ou donne le même évènement deux fois dans des circonstances analogues. L’intervention des ambassadeurs persans se rapporte beaucoup mieux a la période précédant immédiatement la paix de 371 avant J.-C., qu’à celle qui précéda la paix de 374 avant J.-C., quand, de fait, aucune paix ne fut jamais complètement exécutée.

Denys d’Halicarnasse également (Jud. de Lysias, p. 479) représente le roi de Perse comme étant partie à la paix jurée par Athènes et par Sparte en 371 avant J.-V.

[78] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 3.

[79] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 1.

[80] Démosthène, cont. Timoth., p. 1188.

[81] Diodore, XV, 46. Je ne sais sur qui Diodore a copié ce renseignement, mais il semble extrêmement raisonnable.

[82] C’est, selon moi, ce que veut Aire l’orateur platæen dans Isocrate, quand il se plaint plus d’une fois que Platée avait été prise par les Thébains en temps de paix. L’orateur, en protestant contre l’injustice des Thêbains, fait appel à deux garanties qu’ils ont violées ; toutefois, dans l’intérêt de sa cause, elles ne sont pas clairement distinguées, mais elles se confondant en une seule. La première garantie était la paix d’Antalkidas, en vertu de laquelle Platée avait été rétablie, et à laquelle Thèbes, Sparte et Athènes étaient toutes parties. La seconde garantie était celle que donna Thêbes quand elle conquit les cités bœôtiennes en 377-376 avant .J -C., et rétablit la fédération, garantie par laquelle elle assurait aux Platæens l’existence comme cité, et toute l’autonomie compatible arec les obligations d’un membre de la fédération bœôtienne. Quand l’orateur platæen accuse les Thêbains d’avoir violé les serments et les conventions, il entend les conditions de la paix d’Antalkidas, soumises aux limites imposées plus tard par la soumission de Platée au système fédéral de la Bœôtia Il invoque l’intervention tutélaire d’Athènes, comme ayant été partie à la paix d’Antalkidas.

Le docteur Thirlwall pense (Hist. Gr., vol. V, ch. 38, p. 70-72), que les Thêbains furent parties à la paix de 374 avant J.-C. entre Sparte et Athènes  qu’ils l’acceptèrent, avec l’intention bien arrêtée de la rompre ; et qu’en vertu de cette paix, les harmostes et les garnisons des Lacédæmoniens furent retirés de Thespiæ et d’autres villes de Bœôtia. Je ne puis partager cette idée, qui nie paraît démentie par Xénophon, et n’est ni affirmée ni impliquée clans le discours plataïque d’Isocrate. Selon moi, il n’y avait pas d’harmostes lacédæmoniens en Bœôtia (excepté à Orchemenos, dans le nord) en 374 avant J.-C. Xénophon nous dit (Helléniques, V, 4, 63 ; VI, 1, 1) que les Thébains n recouvraient les cités bœôtiennes, — avaient soumis les cités bœôtiennes, — en 375 avant J.-C. ou avant cette année, de sorte qu’ils purent sortir de Bœôtia et envahir la Phokis ; ce qui implique l’expulsion ou la retraite de toutes les forces lacédæmoniennes de la partie méridionale de la Bœôtia.

Le raisonnement du discours plataïque d’Isocrate n’est pas très clair et il ne distingue pas bien les choses ; et nous n’avons pas le droit de nous attendre qu’il en soit ainsi, dans le plaidoyer d’un homme malheureux et passionné. Mais l’expression εϊρήνην ούσης et εϊρήνη peut toujours (à mon avis) s’expliquer, sans qu’on s’en réfère, comme le fait le docteur Thirlwall, à la paix de 374 avant J.-C., et sans qu’on suppose que Thèbes fût partie à cette paix.

[83] Pausanias, IX, 1, 3.

[84] Diodore, XV, 47.

Pausanias (IX, 1, 3) place cette prise de Platée dans la troisième année (en comptant les années d’un solstice d’été à l’autre) avant la bataille de Leuktra. C’est-à-dire dans l’année de l’archonte Asteios à Athènes ; ce qui nie semble la date véritable, bien que M. Clinton suppose (sans raison, je crois), qu’elle est contredite par Xénophon. L’année de l’archonte Asteios va du solstice d’été de l’année 373 à celui de l’année 3T2 av. J.-C. C’est dans la dernière moitié de l’année d’Asteios (entre janvier et  juillet 372 av. J.-C.) que je suppose que Platée fut prise.

[85] C’est une conclusion que je tire d’Isocrate, Or. XIV (Plataïc.), s. 21-38 ; Cf. aussi sect. 10. L’orateur platæen accuse les Thébains d’avoir détruit les murs de quelques cités bœôtiennes (outre ce qu’ils avaient tait à Platée), et je me permets d’appliquer ce fait à Thespiæ. A la vérité, Xénophon dit que les Thespiens furent à cette époque traités exactement comme les Platæens, c’est-à-dire chassés de Bœôtia, et leur ville détruite : si ce n’est qu’ils n’avaient pas le même droit auprès d’Athènes (Helléniques, VI, 3, 1 ; cf. aussi VI, 3, 5). Diodore également (XV, 46) parle des Thêbains comme ayant détruit Thespiæ. Mais contre ces assertions, je conclus du discours plataïque d’Isocrate que les Thespiens n’étaient pas dans le même état que les Platæens quand ce discours fut prononcé ; c’est-à-dire qu’ils ne furent pas chassés collectivement de Bœôtia. De plus, Pausanias aussi dit expressément que les Thespiens assistèrent à la bataille de Leuktra, et qu’ils fluent chassés peu de temps après. Pausanias en même temps fait, au sujet de la conduite de Thespiæ, un récit distinct qu’il ne serait pas raisonnable de rejeter (IX, 13, 3 ; IX, 14, 1). Je crois donc que Xénophon a parlé avec inexactitude en disant que les Thespiens étaient άπόλιδες avant la bataille de Leuktra. Il est tout à fait possible qu’ils aient envoyé des supplications à Athènes (Xénophon, Helléniques, VI, 3, 1) à la suite de l’ordre sévère de démolir leurs murailles.

[86] Thucydide, IV, 133.

[87] Isocrate, Or. XIV (Plataïc.), s. 11, 13, 18, 42, 46, 47, 68.

[88] Isocrate, Or. XIV (Plat.), s. 3. Cf. sect. 36.

[89] Isocrate, Or. XIV (Plat.), s. 12, 13, 14, 16, 28, 33, 48.

[90] Isocrate, Or. XIV (Plat.), s. 23-27.

[91] Isocrate, Or. XIV (Plat.), s. 23, 24.

[92] Diodore (XV, 38) mentionne le confit parlementaire entre Épaminondas et Kallistratos, l’assignant à la période qui précéda immédiatement la paix avortée conclue entre Athènes et Sparte trois années auparavant. Je suis d’accord avec Wesseling (V. sa note ad loc.), qui pense que ces débats appartiennent plus proprement à l’époque qui précéda immédiatement la paix de 371 av. J.-C. Diodore a fait une grande confusion entre les deux, parfois en répétant deux fois les mêmes phénomènes précédents, — comme s’ils appartenaient aux deux, -parfois attribuant à l’une ce qui appartient proprement à l’autre.

L’altercation entre Épaminondas et Kallistratos me semble appartenir plus convenablement aux débats de l’assemblée de la confédération dans la ville d’Athènes, — qu’aux débats à sparte, lors des discussions préliminaires pour la paix, où survinrent les altercations entre Épaminondas et Agésilas.

[93] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 3.

Il semble incertain, d’après le langage de Xénophon, que Kallistratos fût un des ambassadeurs désignés, ou simplement un compagnon.

[94] Xénophon, Helléniques, VI, 4-6.

[95] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 7-10.

[96] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 10-17.

[97] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 12, 13.

[98] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 16.

[99] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 14.

[100] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 11.

[101] Plutarque, Agésilas, c. 27.

[102] Plutarque, Agésilas, c. 28.

[103] Thucydide, III, 61.

[104] Diodore, XI, 81.

[105] Thucydide, IV, 126.

[106] On peut juger de l’effet révoltant produit par une telle proposition, avant la bataille de Leuktra, — en lisant le langage qu’Isocrate met dans la bouche du prince spartiate Archidamos, cinq ou six ans après cette bataille, protestant que tous les patriotes spartiates devraient périr plutôt que de consentir à abandonner la Messênia (Isocrate, Arch., s. 32). Dans le printemps de 371 avant J.-C., ce qui avait jadis été la Messênia n’était qu’une partie de la Laconie, que personne ne songeait à distinguer des autres parties (V. Thucydide, IV, 3, 11).

[107] Plutarque, Agésilas, c. 28 ; Pausanias, IX, 13, 1 ; cf. Diodore, XV, 51. Pausanias assigne par erreur le débat au congrès, qui précéda la paix d’Antalkidas en 387 avant J.-C., époque à laquelle Épaminondas était inconnu.

Plutarque donne cet échange de brèves questions, entre Agésilas et Épaminondas, qui est en substance le même que celui que donne Pausanias, t qui a toute apparence d’être la vérité. Mais il l’introduit d’une manière très hardie et très brusque, qui ne peut être conforme à la réalité. Soulever une question au sujet du droit de Sparte à gouverner la Laconie, était une nouveauté très hardie. Un Thêbain courageux et bon patriote pouvait la risquer comme riposte contre ceux des Spartiates qui invoquaient en doute le droit de Thèbes à la présidence de la Bœôtia ; mais il ne l’eût jamais fait sans donner ses raisons à l’appui d’une assertion aussi saisissante pour une partie considérable de ses auditeurs. Les raisons que j’attribue ici à Épaminondas sont celles qui, comme nous le savons, formaient la croyance thébaine, par rapport aux cités bœôtiennes, celles qui furent réellement exprimées par l’orateur thêbain en 427 avant J.-C. quand on discutait le port des captifs platæens. Après qu’Épaminondas eut une fois donné les raisons à l’appui de son assertion, il pouvait alors, si la même brève question lui était posée avec colère une seconde fois, y répondre par une autre contre question ou riposte également brève. C’est cet échange final de coups qu’a rapporté Plutarque, en omettant les arguments présentés par Épaminondas, et nécessaire pour garantir le paradoxe apparent qu’il avance. Mous devons nous rappeler qu’Épaminondas ne soutient pas que Thêbes a droit à autant de pouvoir en Bœôtia que Sparte en Laconie. Il soutient seulement que la Bœôtia, sous la présidence de Thèbes, était aussi bien un tout politique collectif que la Laconie sous Sparte, — par rapport au monde grec.

Xénophon diffère de Plutarque dans le récit qu’il fait de la conduite des envoyés thébains. Il ne mentionne pas du tout Épaminondas, ni aucun envoyé par son nom ; mais il dit que les Thêbains, ayant inscrit leur nom parmi les cités qui avaient prêté serment, vinrent le lendemain et demandèrent que l’inscription fût changée, et que les Bœôtiens fussent mis à la place de les Thêbains comme ayant prêté serment. Agésilas leur dit qu’il ne pouvait faire aucun changement, mais qu’il effacerait leurs noms s’ils le voulaient ; et en conséquence il les effaça (VI, 3, 19). Il me semble que ce récit est beaucoup moins probable que celui de Plutarque, et il a tout l’air d’être inexact. Pourquoi un homme tel qu’Épaminondas (qui sans doute était l’envoyé) aurait-il consenti d’abord à abandonner les droits de Thèbes à la présidence et à jurer pour elle seule ? Et s’il y consentit, pourquoi se serait-il rétracté le lendemain ? Xénophon désire établir qu’Agésilas est dans le droit autant que possible, vu que les fatales conséquences de sa conduite ne se manifestèrent que trop tôt.

[108] Xénophon, Helléniques, VI, 3, 20.

[109] Diodore, XV, 38-82.