HISTOIRE DE LA GRÈCE

NEUVIÈME VOLUME

CHAPITRE V — DE LA PAIX DE NIKIAS À LA FÊTE OLYMPIQUE DE LA SOIXANTE-DIXIÈME OLYMPIADE (suite).

 

 

Au milieu de cet étrange croisement de desseins et d’intérêts, les éphores spartiates semblaient alors être entièrement arrivés à leurs fins, — amitié avec Argos, rupture avec Athènes, et cependant moyen (par la possession de Panakton) d’obtenir de cette dernière ville la cession de Pylos. Mais ils n’étaient pas encore sur un terrain solide. En effet, quand leurs députés, Andromedês et deux collègues, arrivèrent en Bœôtia dans le dessein de se rendre à Athènes et de poursuivre la négociation au sujet de Panakton (à l’époque où Eustrophos et Æsôn menaient leur négociation à Sparte), ils découvrirent pour la première fois que les Bœôtiens, au lieu d’accomplir leur promesse de céder Panakton, l’avaient rasé jusqu’au sol. C’était un coup sérieux porté à leur chance de succès à Athènes ; néanmoins Andromedês y alla, en prenant avec lui tous les prisonniers athéniens qui se trouvaient en Bœôtia. Il les rendit à Athènes, annonçant en même temps la démolition de Panakton comme fait Panakton aussi bien que les prisonniers était ainsi rendu (prétendait-il), — car les Athéniens ne trouveraient pas dès lors un seul ennemi dans la place ; et il réclama la cession de Pylos en échange[1].

Mais il trouva bientôt qu’on avait atteint la dernière limite de la condescendance athénienne. Ce fut sans doute en cette occasion que l’alliance séparée conclue entre Sparte et les Bœôtiens fut pour la première fois découvert, à Athènes ; puisque non seulement les actes de ces gouvernements oligarchiques étaient habituellement secrets, mais qu’il y avait un motif particulier pour tenir cachée cette alliance, jusqu’à ce que la discussion au sujet de Panakton et de Pylos eût été menée à fin. L’alliance et la démolition de Panakton excitèrent à la fois chez les Athéniens les signes les plus forts de dégoût et de colère, aggravés probablement plutôt qu’adoucis par l’argutie d’Andromedês, — à savoir que la démolition du fort, équivalant à une restitution et empêchant que l’ennemi ne l’occupât ultérieurement, remplissait véritablement les conditions du traité ; et aggravés plus encore par le souvenir de tous les autres articles de ce traité qui n’avaient pas été remplis. Toute une année s’était alors écoulée, au milieu d’une foule de notes et de protocoles (pour employer une phrase moderne) : néanmoins, pas une des conditions favorables à Athènes n’avait encore été exécutée (excepté la restitution de ses prisonniers, vraisemblablement peu nombreux), — tandis que de son côté elle avait fait à Sparte la cession capitale sur laquelle reposait presque tout. L’indignation s’était depuis longtemps accumulée ; la mission d’Andromedês la mûrit, et elle se déchargea dans le renvoi brutal de cet ambassadeur et de ses collègues, et dans les durs reproches qu’on leur adresse[2].

Même Nikias, Lachês et les autres principaux athéniens, à l’imprévoyante facilité et au jugement erroné desquels était dû l’embarras du moment, ne restèrent probablement pas beaucoup en arrière du public en général pour se récrier contre la perfidie spartiate, — n’eût-ce été que pour détourner l’attention de leur propre faute. Mais il y eut un d’entre eux, — Alkibiadês, fils de Kleinias, — qui saisit cette occasion de se mettre à la tête du violent sentiment antilaconien, dont était agitée l’Ekklêsia, et de lui donner un but réel.

C’est ici la première occasion dans laquelle nous entendons parler de cet homme remarquable comme prenant une part saillante dans la vie publique. Il avait alors trente et un ou trente-deux ans environ, âge auquel, en Grèce, un homme était regardé comme bien jeune pour exercer un commandement important. Mais tels étaient l’éclat, les richesses et l’antiquité de sa famille, de lignage æakide par les héros Eurysakês et Ajax, et tel l’effet de ce lignage sur le public démocratique d’Athènes[3], — qu’il arriva promptement et facilement à une position éminente. Appartenant aussi par sa mère Deinomachê à la gens des Alkmæonidæ, il était parent de Periklês, qui devint son tuteur quand il resta orphelin à l’âge d’environ cinq ans, avec Kleinias son frère, plus jeune que lui. Ce fut à cette époque que leur père Kleinias fut tué à la bataille de Koroneia, après avoir déjà servi avec honneur, dans une trirème qu’il avait équipée, au combat naval d’Artémision contre les Perses. Son illustre tuteur donna au jeune Alkibiadês une nourrice spartiate nommée Amykla, et choisit un esclave nommé Zopyros pour veiller sur lui. Mais on ne put absolument pas gouverner même son enfance, et Athènes était remplie de ses tours et de ses énormités, aux regrets inutiles de Periklês et de son frère Ariphrôn[4]. Ses passions violentes, son amour de jouissances, son désir ambitieux de supériorité ; et son insolence a l’égard d’autrui[5] se manifestèrent de bonne heure, et ne l’abandonnèrent jamais pendant tout le cours de sa vie. Sa beauté accomplie dans son enfance, sa jeunesse et son âge mûr le fit beaucoup rechercher par les femmes[6], — et même par des femmes d’habitudes réservées en général. En outre, même avant l’âge où de telles tentations étaient habituellement offertes, la beauté de sa première jeunesse, quand il se livrait aux exercices gymnastiques ordinaires, lui attirait les caresses, les sollicitations et les compliments assidus ; de toute sorte des principaux Athéniens qui fréquentaient les palestres publiques. Non seulement ces hommes enduraient sa pétulance, mais ils étaient même flattés quand il voulait condescendre à la diriger sur eux. Au milieu de cette admiration et de cette indulgence universelles, — au milieu des influences corruptrices exercées de tout de côté, et dès un âge si tendre, combinées avec une grande fortune et la plus haute position, il n’était pas vraisemblable que, soit la contrainte volontaire, soit la considération pour le bonheur d’autrui, acquît jamais du développement dans l’esprit d’Alkibiadês. Les anecdotes dont sa biographie est remplie révèlent l’absence absolue de ces deux éléments constitutifs de la moralité ; et bien que, par rapport aux histoires particulières, il faille sans doute faire la part du scandale et de l’exagération, cependant le type général du caractère est clairement marqué et suffisamment établi dans toutes.

Une vie dissolue et un amour immodéré du plaisir sous toutes ses formes, est ce que nous pouvions naturellement attendre d’un jeune homme ainsi placé ; et il parait qu’il se livra à ces goûts avec une publicité choquante par laquelle fut détruit le bonheur de sa femme Hipparetê, fille d’Hipponikos, tué à la bataille de Dêlion. Elle lui avait apporté une dot considérable de dix talents : quand elle rechercha le divorce, comme le permettait la loi d’Athènes, Alkibiadês intervint avec violence pour empêcher qu’elle n’obtînt le bénéfice de la loi, et la ramena de force chez lui, même de devant le magistrat. C’est cette violence de passion égoïste et ce mépris insouciant pour toute obligation sociale à l’égard de tout le monde, qui forme le trait caractéristique et particulier d’Alkibiadês. Il frappe le maître d’école dont il trouve un jour la maison dépourvue d’un exemplaire d’Homère, — il frappe Taureas[7], chorège rival, dans le théâtre public, pendant le cours de la représentation, — il frappe Hipponikos (qui plus tard devint son beau-père), par suite d’un pari de pure fanfaronnade, l’apaisant après par d’amples excuses, — il protège le poète thasien Hêgêmôn, contre lequel on avait formellement porté une accusation devant l’archonte, en l’effaçant de sa propre main de la liste placée dans l’édifice public appelé Metroôn, défiant à la fois le magistrat et l’accusateur de présenter la cause en justice[8]. Et il ne parait pas qu’aucune personne injuriée ait jamais osé citer Alkibiadês devant le dikasterion, bien que nous lisions avec étonnement le tissu d’actes arbitraires[9] qui marquaient sa vie privée. — combinaison d’insolence et d’ostentation arec une basse fourberie par occasion quand elle servait son dessein. Mais au milieu de l’égalité absolue légale, judiciaire et constitutionnelle, qui régnait parmi les citoyens d’Athènes, il restait encore de grandes inégalités sociales entre un homme et un autre, transmises depuis les temps qui précédaient la démocratie : inégalités que les institutions démocratiques limitaient dans leurs dangers pratiques, mais qu’elles n’effaçaient ni ne discréditaient jamais, — et qui étaient reconnues comme des éléments modificatifs dans la veine courante et inconsciente de sentiment et de critique, par ceux qu’elles offensaient aussi bien que par ‘ceux qu’elles favorisaient. Dans le discours que Thucydide[10] attribue à Alkibiadês devant l’assemblée publique athénienne, nous voyons l’insolence de la fortune et d’une haute position sociale non seulement admise comme un fait, mais défendue comme une moralité légitime ; et l’histoire de sa vie, aussi bien que beaucoup d’autres faits dans la société athénienne, montrent que si on ne l’approuvait pas, on la tolérait -du moins en pratique dans une grande mesure, malgré les restrictions de la démocratie.

Au milieu de ces excès immoraux de conduite, Alkibiadês se distinguait par une bravoure personnelle. Il servit comme hoplite dans l’armée commandée par Phormiôn au siège de Potidæa, en 432 avant J.-C. Bien qu’il eût alors vingt ans à peine, il fut au nombre des soldats qui s’exposèrent le plus dans la bataille ; il reçut une grave blessure et courut un grand danger ; il ne dut la vie qu’aux efforts de Sokratês, qui servait avec lui dans les rangs. Huit ans après, Alkibiadês servit aussi avec honneur dans la cavalerie à la bataille de Dêlion, et eut l’occasion de s’acquitter de ce qu’il devait à Sokratês en le protégeant contre les Bœôtiens qui le poursuivaient. Comme jeune homme riche aussi, il fut chargé d’une chorégie et d’une triérarchie : devoirs dispendieux dont (comme nous pouvions le prévoir) il s’acquitta non seulement d’une manière suffisante, mais encore avec ostentation. Dans le fait une dépense de la sorte, bien qu’obligatoire jusqu’à un certain point pour tous les hommes riches, était si largement remboursée pour tous ceux qui avaient la moindre ambition, sous forme de popularité et d’influence, que la plupart d’entre eux allaient spontanément au delà du minimum exigé, dans le dessein de se mettre en évidence. On dit qu’Alkibiadês parut pour la première fois dans la vie publique comme donateur, pour quelque dessein spécial, dans l’Ekklêsia, lorsque divers citoyen étaient en train de remettre leurs contributions ; et les bruyants applaudissements que sa souscription provoqua furent si nouveaux pour lui et l’émurent tellement, qu’il laissa échapper une caille apprivoisée qu’il portait dans son sein. Cet incident excita de la gaieté et de la sympathie parmi les citoyens présents ; l’oiseau fut rattrapé et rendu à son maître par Antiochos, qui, à partir de ce moment, acquit sa faveur, et dans la suite devint son pilote et son lieutenant de confiance[11].

Pour un jeune homme tel qu’Alkibiadês, avide de pouvoir et de prééminence, une certaine mesure de facilité de rhéteur et de puissance de persuasion était indispensable. En vue de les acquérir, il fréquentait la société de divers maîtres d’art sophistique et de rhétorique[12], = Prodikos, Protagoras et autres, mais surtout celte de Sokratês Son intimité avec Sokratês est devenue célèbre pour bien des raisons, et elle est rappelée et par Platon et par Xénophon, bien que par malheur avec moins de détails instructifs que nous ne pourrions le désirer. Nous pouvons facilement croire Xénophon, quand il nous dit qu’Alkibiadês (comme l’oligarchique Kritias, dont nous aurons à parler beaucoup ci-après) était attiré vers Sokratês par son incomparable. talent de dialectique dans la conversation, par son influence fécond sur les esprits de ses auditeurs, d’où elle faisait sortir de nouvelles pensées et de nouvelles combinaisons, — par son habileté extrême à donner des explications appropriées et familières, — par sa faculté de voir longtemps à l’avance le terme d’un long débat contradictoire, — par son affectation ironique d’ignorance, qui ne faisait que rendre plus complète l’humiliation de ses adversaires, lorsqu’ils étaient convaincus d’inconséquence et de contradiction d’après leurs propres réponses. Le spectacle de cet art ingénieux étaux en lui-même d’un haut intérêt, et il stimulait l’activité intellectuelle des auditeurs, tandis que le talent même avait une valeur particulière pour ceux qui se proposaient de mener un débat public ; et c’est dans cette vue que ces ambitieux jeunes gens essayaient de saisir la manière de Sokratês[13] et de copier sa série formidable d’interrogations. Tous deux sans doute respectaient involontairement le citoyen pauvre, se suffisant à lui-même, modéré et brave, doué de ce talent éminent, et en particulier Alkibiadês, qui non seulement était redevable de la vie à la généreuse valeur de Sokratês à Potidæa, mais qui avait encore appris à admirer dans ce service le corps de fer du philosophe sous son armure, endurant la faim, le froid et les fatigues[14]. Nous ne devons pas supposer que l’un ou l’autre vint vers Sokratês dans le dessein d’entendre et d’observer ses préceptes en matière de devoir, ou de recevoir de lui un nouveau plan de vie. Ils venaient en partie pour satisfaire un désir intellectuel, en partie pour acquérir un fonds de mots et d’idées, avec la facilité de manier les arguments, propre à leur plan ultérieur comme orateurs publics. Des sujets moraux, politiques et intellectuels servaient de sujets, parfois de discours, parfois de discussion, dans la société de tous ces sophistes, -.de Prodikos et de Protagoras non moins que de Sokratês ; car dans le sens athénien du mot, Sokratês était un sophiste aussi bien que les autres, et pour les jeunes gens riches d’Athènes, comme Alkibiadês et Kritias, une telle société était d’une haute utilité[15]. Elle donnait. un but plus noble à leur ambition, comprenant les mérites intellectuels aussi bien que le succès politique ; elle agrandissait le cercle de leur intelligence : et leur ouvrait une veine de littérature et de critique aussi abondante que l’époque le permettait ; elle les accoutumait à discuter la conduite humaine, avec les causes du bien être humain, tant public que privé, et les obstacles qu’il rencontre ; — elle leur suggérait même indirectement des leçons de :devoir- et de prudence dont leur position sociale tendait à les éloigner, et qu’ils se seraient difficilement soumis à entendre d’une autre bouche que de celle d’un homme qu’ils admiraient pour son intelligence. En apprenant à parler, ils étaient forcés d’apprendre plus ou moins à penser et se familiarisaient avec la différence entre-la vérité et l’erreur ; et un maître éloquent ne manquait pas d’inscrire leurs sentiments au nombre des grands sujets de morale et de politique. Leur soif de stimulant intellectuel et de talents oratoires avait ainsi, autant que c’était possible, un effet moral, bien que ce fût rarement le but auquel ils tendissent[16].

Alkibiadês, rempli d’ardeur et d’ambition de toute sorte, jouissait de la conversation des plus éminents causeurs et maîtres qu’on trouvât à Athènes, de celle de Sokratês particulièrement et le plus souvent. Le philosophe lui devint très attaché, et sans doute ne perdit aucune occasion de lui inculquer des leçons salutaires, autant qu’il le pouvait faire sans dégoûter l’orgueil d’un jeune homme ‘hautain et gâté qui avait en vue la célébrité de la vie publique. Mais par malheur ses leçons ne produisirent pas d’effet sérieux, et elles finirent même par devenir désagréables à l’élève. Toute la vie d’Alkibiadês atteste combien le sentiment d’obligation, publique ou privée, s’établit faiblement dans son esprit ; — combien les fins qu’il poursuivait étaient dictée par une vanité impérieuse et par un amour d’agrandissement. Dans la dernière partie de sa vie, Sokratês fut signalé à la haine publique par ses ennemis, comme ayant été le maître d’Alkibiadês et de Kritias. Et si nous pouvions être assez injuste pour juger la morale du maître par celle de ces deux élèves, nous le rangerions assurément parmi les pires d’entre les sophistes athéniens.

A l’âge de trente et un ou de trente-deux ans, première époque à laquelle il fût permis de songer à une position élevée dans la vie publique, Alkibiadês se présenta sur la scène politique avec une réputation souillée par des énormités privées et avec un grand nombre d’ennemis que lui avait suscités son insolente conduite. Mais cela ne l’empêcha pas de faire des progrès dans cette position, à laquelle son rang, ses relations et ses partisans de cercle lui donnaient accès ; et il ne tarda pas à déployer sols énergie, sa décision et son talent pour le commandement, qualités qu’il possédait à un degré peu ordinaire. Depuis le commencement jusqu’à la fin de sa vie politique si remplie d’événements, il montra une combinaison de hardiesse dans le dessein, de ressources dans l’organisation de ses projets et de vigueur dans leur exécution, — que ne surpassa aucun des Grecs de son temps ; et ce qui le distinguait entre tous, c’était sa souplesse extraordinaire de caractère[17] et son art achevé à s’adapter à de nouvelles habitudes, à de nouvelles nécessités et à de nouvelles personnes toutes les fois que les circonstances l’exigeaient. Comme Themistoklês, — auquel il ressemblait aussi bien par l’habileté et la vigueur que par le manque de principe public et par l’indifférence quant aux moyens, — Alkibiadês était essentiellement un homme d’action. L’éloquence était en lui une qualité secondaire subordonnée à l’action ; et bien qu’il en possédât assez pour ses desseins, ses discours ne se distinguaient que par l’à-propos du sujet ; souvent ils étaient imparfaitement exprimés, du moins selon la règle élevée d’Athènes[18]. Mais sa carrière fournit un exemple mémorable de brillantes qualités, tant pour l’action que pour le commandement, ruinées, et transformées en instruments de mal par l’absence complète de moralité publique et privée. Un flot puissant de haine individuelle monta ainsi contre lui, poussé aussi bien par des citoyens de condition moyenne qu’il avait insultés, que par les riches qu’avait éclipsés sa ruineuse ostentation. Car d’après ses exorbitantes dépenses volontaires dans les fêtes publiques, qui dépassaient la mesure la plus vaste de fortune privée, les hommes clairvoyants étaient convaincus qu’il se rembourserait en pillant le public, et même, si l’occasion s’en présentait, en renversant[19] la constitution pour se rendre maître des personnes et des biens de ses concitoyens. Il n’inspira jamais à personne confiance ni estime ; et tôt ou tard, dans un public comme celui d’Athènes, tant de haines et de soupçons accumulés devaient assurément amener un homme public à la ruine, malgré la plus vive admiration pour ses talents. Il fut toujours l’objet de sentiments très contraires : Les Athéniens le désiraient, le haïssaient, mais souhaitaient encore l’avoir, — disait dans les dernières années de la vie d’Alkibiadês un poète contemporain, — tandis que nous trouvons aussi un autre conseil énergique donné à son sujet : — Vous ne devriez pas garder un lionceau dans votre ville ; mais si vous voulez le garder, vous devez vous résigner à sa conduite[20]. Athènes eut à éprouver la force de son énergie, comme exilé et comme ennemi ; mais le grand mal qu’il lui fit fut, en qualité de conseiller, d’éveiller dans ses compatriotes le même désir d’un agrandissement brillant, rapace, périlleux, incertain, qui dictait ses actions personnelles.

En mentionnant actuellement Alkibiadês pour la première fois, j’ai un peu anticipé sur des chapitres futurs, afin de donner une idée générale de son caractère, qui sera expliqué ci-après. Mais au moment où nous sommes parvenu (mars, 420 av. J.-C.), le lionceau était encore jeune et n’avait pas encore acquis toute sa force ni montré ses griffes entièrement poussées.

Il commença à se mettre en avant comme chef de parti, vraisemblablement peu de temps avant la paix de Nikias. Les traditions politiques héréditaires dans sa famille, comme dans celle de son parent Periklês, étaient démocratiques ; son grand-père Alkibiadês avait fait une violente opposition aux Pisistratides, et avait même plus tard renoncé publiquement à des relations d’hospitalité établies avec le gouvernement lacédæmonien, par suite de sa forte antipathie pour eux née de causes politiques. Mais Alkibiadês lui-même, en commençant sa vie politique, abandonna cette tradition de famille, et se présenta comme partisan d’un sentiment oligarchique et favorable aux Lacédæmoniens, sans doute beaucoup plus conforme à ses dispositions naturelles que le sentiment démocratique. Il débuta ainsi dans le même parti général que Nikias et ; que Thessalos, fils de. Kimôn, qui dans la suite devinrent ses ennemis acharnés. Et ce fut probablement en partie pour se mettre sur un pied d’égalité avec eux, qu’il fit la démarche signalée d’essayer de faire revivre l’ancien lien d’hospitalité qui attachait sa famille à Sparte, lien que son grand-père avait brisé[21].

Afin de servir ce dessein, il déploya une sollicitude particulière pour le bon traitement des prisonniers spartiates pendant leur détention à Athènes. Beaucoup d’entre eux étant de haute famille à Sparte, il comptait naturellement sur leur reconnaissance, aussi bien que sur les Sympathies favorables de leurs compatriotes, quand ils seraient rendus. Il défendit à la fois la pais et l’alliance arec Sparte, et la restitution de ses prisonniers. En effet, non seulement il soutint ces mesures, mais il offrit ses services et fut impatient d’être employé comme agent de Sparte pour les ; faire réussir à Athènes. Dans ces espérances égoïstes par rapport à Sparte, et surtout dans l’attente d’acquérir, par l’influence des prisonniers rendus, le titre de proxenos de cette cité, — Alkibiadês devint ainsi partisan des concessions philo-laconiennes aveugles et gratuites de Nikias- Mais les prisonniers, à leur retour, ou ne purent pas ou ne voulurent pas amener le résultat qu’il désirait, tandis que les autorités de Sparte rejetèrent toutes ses avances, — non sans rire d’un manière méprisante à l’idée ‘de confier d’importants intérêts politiques aux soins d’un jeune homme connu surtout pour son ostentation, ses dérèglements et son insolence. Il n’est nullement étonnant que les Spartiates jugeassent ainsi, si l’on songe au respect extrême qu’ils avaient tant pour la vieillesse que pour une discipline rigoureuse. Ils préférèrent naturellement Nikias et Lachês, dont la prudence augmentait, si elle ne la suggéra pas dans l’origine, leur défiance à l’égard du nouveau prétendant. Et Alkibiadês n’avait pas encore montré l’activité puissante dont il était capable. Mais ce refus méprisant des Spartiates le piqua tellement au vif que, opérant une révolution complète dans sa marche politique[22], il se jeta immédiatement dans une politique antilaconienne avec, une énergie et un talent qu’on ne lui connaissait pas encore auparavant.

C’était, vu la mort récente de Kleôn, le moment favorable pour un nouveau chef politique d’épouser ce parti, et la conduite des Lacédæmoniens le rendait plus favorable encore. Les mois succédaient aux mois, on adressait remontrance sur remontrance, et cependant pas une des restitutions prescrites par le traité en faveur d’Athènes n’avait encore été accomplie. Alkibiadês avait donc des prétextes en abondance pour changer de ton à l’égard des Spartiates, — et pour les dénoncer comme des trompeurs qui avaient violé leurs serments solennels, en abusant de la généreuse confiance d’Athènes. Dans ses antipathies actuelles, son attention se tourna naturellement vers Argos, ville dans laquelle il possédait quelques amis puissants et des hôtes de famille. L’état de cette ville, dégagée par l’expiration de la paix avec Sparte, ouvrait une possibilité de relations avec Athènes, — politique fortement recommandée maintenant par Alkibiadês, qui faisait valoir que Sparte jouait faux jeu avec les Athéniens, uniquement afin de tenir leurs mains liées jusqu’à ce qu’elle eût attaqué et accablé Argos séparément. Cet argument particulier perdit de sa force quand on vit qu’Argos acquérait clé nouveaux et puissants alliés,-Mantineia, Elis et Corinthe ; mais, d’autre part, ces acquisitions donnaient positivement à Argos plus de valeur comme alliée des Athéniens.

Toutefois, ce fut moins l’inclination pour Argos que la colère croissante contre Sparte, qui favorisa les plans philo-argiens d’Alkibiadês. Et quand l’ambassadeur lacédæmonien Andromedês arriva de Bœôtia à Athènes, offrant aux Athéniens les seules ruines de Panakton en échange de Pylos, — quand, de plus, on sut que les Spartiates avaient déjà conclu une alliance spéciale avec les Bœôtiens ses cois alter Athènes, — l’expression peu mesurée de mécontentement dans l’ekklêsia athénienne montra à Alkibiadês que le temps était alors venu de provoquer une décision positive. Tout en prêtant sa voix pour fortifier le mécontentement contre Sparte, il envoya en même temps un avis particulier à ses correspondants, à Argos, pour les exhorter, sous l’assurance du succès et avec la promesse de son aide énergique, à envoyer sans délai une ambassade à Athènes de concert avec les Mantineiens et les Eleiens, demandant, être admis comme alliés athéniens. Les Argiens reçurent cet avis au moment même on leurs citoyens Eustrophos et Æsôn étaient en train de négocier à Sparte le renouvellement de la paix. Ils y avaient été envoyés sous l’impression de. la grande crainte qu’Argos ne fût laissée sans alliés pour lutter seule contre les Lacédæmoniens. Mais on ne leur offrit pas plus tôt la chance inespérée d’une alliance avec Athènes, — une vieille amie, une démocratie comme la leur ; un État souverain sur mer, qui cependant ne se mêlait pas de leur primauté dans le Péloponnèse, qu’ils ne s’inquiétèrent plus d’Eustrophos et d’Æsôn, et envoyèrent sur-le-champ à Athènes i’ambassade conseillée. Ce fut une ambassade combinée d’Argiens, d’Eleiens et de Mantineiens[23] ; L’alliance entre ces trois États avait déjà été rendue plus intime par un second traité conclu depuis ce traité, auquel Corinthe était partie, — bien que Corinthe eût refusé de prendre aucune part au second[24].

Mais les Spartiates avaient déjà été alarmés parle rude échec de leur ambassadeur Andromedês, et probablement avertis par des rapports de Nikias et de leurs autres amis athéniens de la crise qui menaçait relativement à une alliance entre Athènes et Argos. En conséquence, ils envoyèrent sans un moment de retard trois citoyens extrêmement populaires à Athènes[25], — Philocharidas, Leôn et Endios, avec de pleins pouvoirs, pour régler tous les sujets de différend, Les ambassadeurs reçurent comme instructions de conjurer toute alliance d’Athènes avec Argos, — d’expliquer que l’alliance de Sparte avec la Bœôtia avait été conclue sans l’intention ni la possibilité de nuire à Athènes, — et en même temps de renouveler la demande que Pylos leur fût rendue en échange de Panakton démoli. Telle était encore la confiance des Lacédæmoniens dans la force de l’assentiment que leur accorderait Athènes, qu’ils ne désespéraient pas d’obtenir une réponse affirmative, même à cette proposition si peu équitable. Et lorsque les trois ambassadeurs, introduits et conseillés par Nikias, eurent leur première entrevue avec le sénat athénien, préparation à une audience devant l’assemblée publique, — l’impression qu’ils firent, en disant qu’ils venaient avec des pleins pouvoirs d’arrangement, fut extrêmement favorable. Elle fut en effet si favorable qu’Alkibiadês finit, par craindre que, s’ils avançaient la même chose dans l’assemblée publique, en offrant la perspective de quelques concessions insignifiantes, le parti philo-laconien ne déterminât le sentiment public à accepter un compromis et à empêcher ainsi toute idée d’alliance avec Argos.

Pour obvier à ce renversement de ses plans, il eut recours à une singulière manœuvre. L’un des ambassadeurs lacédæmoniens, Endios, était son hôte privé, par une intimité ancienne et particulière existant entre, lés deux familles (1). Cette circonstance l’aida probablement à obtenir une entrevue secrète avec les ambassadeurs, et lui permit de leur parler avec un plus grand effet, la veille de la réunion de l’assemblée publique et à l’insu de Nikias. Il les accosta avec le ton d’un ami de Sparte, désireux de voir réussir leur proposition ; mais il leur donna à entendre qu’ils trouveraient l’assemblée publique turbulente et irritée, très différente de la tenue tranquille du sénat ; de sorte que s’ils déclaraient être venus avec des pleins pouvoirs d’arrangement, le peuple éclaterait de fureur- pour agir sur leurs craintes et les amener par la peur à faire d’extravagantes concessions. Il les engageait donc fortement déclarer qu’ils étaient vénus, non pas avec des pleins pouvoirs d’arrangement, mais simplement pour expliquer, discuter et faire un rapport : le peuple verrait alors qu’il ne pourrait rien gagner par intimidation, -des explications seraient écoutées, et les points contestés seraient discutés avec calme, — tandis que lui (Alkibiadês) parlerait expressément en leur faveur. Il conseillerait aux Athéniens, et il sacrait la confiance de pouvoir enlever ce point, de rendre Pylos, — démarche qui jusqu’à ce jour avait été surtout entravée par son opposition. Il prit à leur égard l’engagement solennel, confirmé, selon Plutarque, par un serment, qu’il adopterait cette conduite s’ils voulaient agir d’après son conseil[26]. Les ambassadeurs furent très  frappés de la sagacité apparente de ces suggestions[27], et ils furent encore plus charmés de voir que l’homme de qui ils attendaient la plus formidable opposition était prêt à parler :en leur faveur. Probablement son langage fut admis et cru par eux d’autant plus facilement qu’il avait offert ses services pour devenir l’agent politique de Sparte seulement quelques mois auparavant, et à ce moment il paraissait simplement revenir à cette politique. Ils étaient sûrs de l’appui de Nikias et de son parti en toute circonstance : si, en se conformant à la recommandation d’Alkibiadês, ils pouvaient aussi obtenir son soutien énergique et son influence, ils s’imaginaient que leur cause était assurée du succès. En conséquence, ils consentirent à agir d’après sa suggestion, non seulement sans consulter Nikias, mais même sans l’avertir, — ce que désirait précisément Alkibiadês, et que probablement il leur avait fait promettre.

Le lendemain, l’assemblée publique se réunit, et on introduisit les ambassadeurs ; alors Alkibiadês lui-même, avec un ton d’une douceur particulière, leur demanda sur quel pied ils venaient[28] ? quels pouvoirs ils apportaient avec eux ? Aussitôt ils déclarèrent qu’ils n’avaient pas apporté de pleins pouvoirs pour traiter et arranger les différends, mais qu’ils venaient seulement pour expliquer et discuter. Rien ne put surpasser l’étonnement avec lequel fut entendue leur déclaration : Les sénateurs présents, auxquels ces ambassadeurs un jour ou deux auparavant avaient publiquement fait la déclaration précisément contraire ; le peuple assemblé qui, instruit de cette affirmation antérieure, était venu prêt à entendre de leur bouche l’ultimatum de Sparte ; enfin, et surtout, Nikias lui-même, — leur agent confidentiel et probablement leur hôte à Athènes, — qui les avait sans doute annoncés comme plénipotentiaires, et avait concerté avec eux l’arrangement de leur affaire devant l’assemblée, -tous fuirent également étonnés, et nul ne sut que faire des mots que l’on venais d’entendre. Mais l’indignation du peuple égala son étonnement. Il y eut une explosion unanime de colère contre la déloyauté et la duplicité const4ntes des Lacédæmoniens qui ne disaient jamais la même chose deux jours de suite. Pour couronner le tout, Alkibiadês lui-même affecta de partager toute la surprise de la multitude, et fut même le plus bruyant de tous dans les invectives qu’il lança contre les ambassadeurs, dénonçant la perfidie lacédæmonienne et ses desseins méchants dans un langage beaucoup plus amer que celui qu’il avait jamais employé : auparavant. Et ce ne fut pas tout[29] : il profita des acclamations véhémentes qui accueillirent ses invectives pour proposer que les ambassadeurs argiens fussent appelés dans l’assemblée, et que l’alliance avec Argos fût conclue sur-le-champ. Et c’eut été certainement fait si un remarquable phénomène, — un tremblement de terre, — n’était survenu pour l’empêcher. Cet incident fit ajourner l’assemblée au lendemain, conformément à un scrupule religieux reconnu alors comme dominant.

Cette remarquable anecdote vient de Thucydide dans toutes ses circonstances principales. Elle jette une vive lumière sur ce caractère sans principes, que nous verrons s’attacher à Alkibiadês pendant toute sa vie ; elle présente en effet une combinaison éhontée d’impudence et de fraude que nous ne pouvons pas mieux décrire qu’en disant qu’elle est exactement dans la veine de Jonathan Wild de Fielding. En dépeignant Kleôn et Hyperbolos, les historiens rivalisent ensemble de fortes expressions pour marquer l’impudence qui fut, dit-on, le trait particulier qui les caractérise. Or, nous n’avons pas sous les yeux de faits spéciaux pour mesurer le degré de vérité qu’elles renferment, bien que comme accusation générale ce soit assez croyable. Mais nous pouvons affirmer en toute assurance qu’aucun des démagogues d’Athènes si décriés, aucun de ces marchands de cuir, de lampes, de moutons, de cordes, de recoupe, et d’autres denrées, sur lesquels Aristophane entasse tant d’excellentes plaisanteries, — ne surpassa jamais, si jamais il égala, l’impudence de ce descendant d’Æakos et de Zeus dans sa manière d’attraper et d’avilir les ambassadeurs lacédæmoniens. Ces derniers, on doit l’ajouter, montrent une indifférence de foi et de constance publiques, — une facilité à rétracter publiquement ce qu’ils venaient de dire publiquement auparavant, — et une déloyauté à l’égard de leur agent confidentiel, — qui sont vraiment surprenantes et servent à justifier l’accusation générale de duplicité habituelle si souvent alléguée contre le caractère lacédæmonien[30].

Les ambassadeurs déshonorés voulaient sans doute quitter Athènes immédiatement ; mais ce tremblement de terre opportun donna à Nikias quelques heures pour se remettre de sa déroute inattendue. Dans l’assemblée du lendemain, il soutint encore que l’amitié de Sparte était préférable à celle d’Argos, et il insista sur la sagesse qu’il y aurait à différer toute conclusion d’un engagement avec cette dernière, jusqu’à ce que les intentions réelles de Sparte, actuellement si contradictoires et si inexplicables, fussent éclaircies. Il soutint que la position d’Athènes par rapport à la paix et à l’alliance était celle d’un honneur et d’un avantage supérieurs, — que la condition de Sparte était comparativement malheureuse ; qu’Athènes avait ainsi un plus grand intérêt que Sparte à maintenir ce qui avait été conclu. Mais en même temps il admit qu’on devait exiger de cette dernière une explication distincte et péremptoire quant à ses intentions, et il pria le peuple de l’envoyer lui-même avec quelques autres collègues pour la demander. Les Lacédæmoniens sauraient que des ambassadeurs argiens étaient déjà présents à Athènes avec des propositions, et que déjà les Athéniens auraient pu conclure cette alliance s’ils avaient pu se permettre de porter atteinte à celle qui existait avec Sparte. Mais les Lacédœmoniens, si leurs intentions étaient honorables, devaient le prouver sur-le-champ : — 1° en rendant Panakton, non démoli, mais debout ; 2° en rendant également Amphipolis ; 3° en renonçant à leur alliance spéciale avec les Bœôtiens, à moins que les Bœôtiens, de leur côté, ne voulussent devenir parties à la paix avec Athènes[31].

L’assemblée athénienne, acquiesçant à la recommandation de Nikias, l’investit de la commission qu’il demandait ; preuve remarquable, après l’accablante défaite de la veille ; de la force de l’empire qu’il conservait encore sur elle, et de la sincérité du désir qu’elle avait de rester avec Sparte dans les meilleurs termes. Ce fut la dernière chance accordée à Nikias et à sa politique, — chance aussi bonne que possible puisque tout ce que demandait Sparte était juste ; — mais elle le forçait à amener les choses à une issue définitive avec elle, et enlevait tout faux-fuyant ultérieur, Sa mission à Sparte échoua complètement : l’influence de Kleoboulos et de Xenarês, les éphores anti-athéniens, se trouva prédominer ; de sorte qu’on n’accéda à aucune de ses demandes. Et même, quand il annonça formellement qu’à moins que Sparte ne renonçât à son alliance spéciale avec les Bœôtiens ou ne forçât ces derniers à accepter la paix avec Athènes, les Athéniens contracteraient immédiatement alliance avec Argos, — la menace ne produisit aucun effet. Il put obtenir seulement, et cela encore comme faveur personnelle pour lui-même, que les serments tels qu’ils étaient fassent formellement renouvelés ; vaine concession, qui ne couvrait que faiblement l’humiliation de son départ pour Athènes. L’assemblée athénienne écouta son rapport avec une vive indignation contre les Lacédœmoniens, et avec un déplaisir marqué même contre lui, comme étant l’auteur et le garant de ce traité non exécuté ; tandis qu’on permit à Alkibiadês de présenter les ambassadeurs (déjà dans la ville et tout prêts à paraître) d’Argos, de Mantineia et d’Elis, avec lesquels on conclut un pacte aussitôt[32].

Les termes de cette convention, que Thucydide nous donne sans doute d’après le texte gravé sur la colonne publique, comprend deux engagements, — l’un pour la pais, un autre pour l’alliance.

Les Athéniens, les Argiens, les Mantineiens et les Eleiens ont conclu un traité de paix valable sur mer et sur terre, sans dol ni dommage, respectivement pour eux-mêmes et pour les alliés sur lesquels chacun d’eux exerce l’empire[33].

Les termes exprès dans lesquels ces États s’annoncent comme États souverains et déclarent leurs alliés dépendants, méritent d’être signalés. On ne voit pas de mots semblables dans le traité entre Athènes et Lacédæmone. J’ai déjà mentionné que le principal motif de mécontentement de la part de Mantineia et d’Elis à l’égard de Sparte se rattachait à son pouvoir souverain.

Aucun de ces États ne portera les armes contre les autres en vue de leur causer du dommage.

Les Athéniens, les Argiens, les Mantineiens et les Eleiens seront alliés mutuellement pendant cent ans. Si un ennemi envahit l’Attique, les trois cités contractantes prêteront l’aide la plus vigoureuse qu’ils pourront à la requête d’Athènes. Si les forces de la ville envahissante causent du dommage en Attique et se retirent ensuite, les trois autres déclareront cette ville leur ennemie et l’attaqueront ; ni l’une ni l’autre des quatre ne suspendra la guerre dans ce cas sans le consentement des autres.

Des obligations réciproques sont imposées à Athènes dans le cas où Argos, Mantineia ou Elis serait attaquée.

Ni l’une ni l’autre des quatre puissances contractantes n’accordera le passage à des troupes par son propre territoire ou par le territoire des alliés sur lesquels elle pourra à ce moment exercer l’empire, soit par mer soit par terre, si ce n’est d’après une résolution commune[34].

Dans le cas où des troupes auxiliaires seraient requises et envoyées en vertu de ce traité, la ville qui les enserra subviendra à leur entretien pendant l’espace de trente jours, à partir du jour de leur entrée sur le territoire de la ville requérante. Si on avait besoin de leurs services pendant une période plus longue, la ville requérante subviendra à leur entretien au taux de trois oboles æginæennes par chaque hoplite, soldat armé à la légère, ou archer, et dune drachme æginéenne, ou six oboles, par chaque cavalier, par jour. La cité requérante possédera le commandement tout le temps que le service requis se fera dans son territoire. Mais si une expédition est entreprise en vertu d’une résolution commune, alors le commandement sera partagé également entre toutes.

Telles furent les conditions essentielles de la nouvelle alliance. On fit alors une disposition pour les serments, — par qui ? où ? quand ? en quels termes ? combien de fois ? ils devaient être prononcés. Athènes dut jurer en son nom et en celui de ses alliés ; mais Argos, Elis et Mantineia, avec leurs alliés respectifs, durent jurer par villes séparées. On devait renouveler les serments tous les quatre ans : Athènes,-dans les trente jours qui précédaient chaque fête Olympique, à Argos, à Elis et à Mantineia ; ces trois villes, à Athènes, dix jours avant chaque fête des grandes Panathénées. Les termes du traité de paix et d’alliance, et les serments jurés, seront gravés sur des colonnes de pierre et placés dans les temples de chacune des quatre villes,et aussi sur une colonne d’airain, pour être placés, à frais communs, à Olympia, pour la fête qui approche actuellement.

Les quatre États peuvent, d’un commun accord, faire tous les changements qu’ils voudront dans les dispositions de ce traité, sans violer leurs serments[35].

La conclusion de ce nouveau traité amena un plus grand degré de complication dans le groupement et l’association des villes grecques qu’on n’en avait jamais connu auparavant. L’ancienne confédération spartiate et l’empire athénien subsistaient encore. Une paix avait été conclue entre les deux États, ratifiée par le vote formel de la majorité des confédérés, non acceptée toutefois par plusieurs membres de la minorité. Non seulement une paix, mais encore une alliance spéciale avait été conclue entre Athènes et Sparte, et une alliance spéciale entre Sparte et la Bœôtia. Corinthe, membre de la confédération spartiate, était membre également d’une alliance défensive avec Argos, Mantineia et Elis, États qui tous trois avaient conclu une alliance plus intime, d’abord entre eux (sans Corinthe), et récemment alors avec Athènes. Cependant Athènes et Sparte conservaient encore l’alliance[36] contractée entre elles, sans rupture formelle d’un côté ni de l’autre, bien qu’Athènes continuât à se plaindre que les conditions du traité n’eussent pas été remplies. Il n’existait aucune relation quelconque entre Argos et Sparte. Entre Athènes et la Bœôtia, il y avait un armistice qui pouvait être rompu s’il était dénoncé dix jours à l’avance. Enfin Corinthe ne pouvait être amenée, malgré les représentations répétées des Argiens, à se joindre à la nouvelle alliance d’Athènes avec Argos ; de sorte qu’il n’existait pas de relations entre Corinthe et Athènes, tandis que les Corinthiens commençaient, quoique faiblement, à revenir à leurs anciennes tendances vers Sparte[37].

L’alliance entre Athènes et Argos, dont nous venons de donner les détails, fut conclue peu de temps avant la fête Olympique de la quatre-vingt-dixième Olympiade, soit 420 ans avant J.-C. ; la fête tombant vers le commencement de juillet, le traité pouvait être en mai[38]. Cette fête fut mémorable pour plus d’une raison. C’était la première qui avait été célébrée depuis la conclusion de la paix, dont la clause principale avait été expressément introduite pour garantir à tous les Grecs un libre accès aux grands temples panhelléniques, avec la liberté de sacrifier, de consulter l’oracle et d’assister aux combats. Pendant les onze dernières années, comprenant deux fêtes Olympiques, Athènes elle-même, et apparemment tous les nombreux alliés d’Athènes avaient été exclus du droit d’envoyer leurs ambassades solennelles ou Théôries, et d’assister comme spectateurs aux jeux Olympiques[39]. Maintenant qu’une telle exclusion : était écartée, et que les hérauts Eleiens (qui venaient annoncer les jeux prochains et proclamer la trêve qui s’y rattachait) foulaient de nouveau le sol de l’Attique, — la visite des Athéniens était a leurs propres yeux et a ceux des autres une nouveauté. On n’était pas peu curieux de voir quelle figure ferait la Théôrie d’Athènes quant à l’apparat et à la splendeur. Et il ne manquait pas de rumeurs inspirées par la méchanceté, qu’Athènes avait été tellement appauvrie par la guerre, qu’elle ne pouvait paraître avec la magnificence appropriée à l’autel et en présence de Zeus Olympique.

Alkibiadês se fit gloire de faire taire ces conjectures, aussi bien que d’illustrer son nom et sa personne, par un apparat plus imposant que ce qu’on avait jamais vu auparavant. Il s’était déjà distingué dans les fêtes et les liturgies locales d’Athènes par une ostentation qui dépassait ses rivaux athéniens ; mais il se sentait à ce moment placé en vue comme le champion et le chef d’Athènes devant la Grèce. Il avait décrédité son rival politique Nikias, donné une nouvelle direction à la politique d’Athènes par l’alliance argienne, et était sur le point de commencer une série d’opérations dans l’intérieur du Péloponnèse contre les Lacédæmoniens. Pour toutes ces raisons il voulut que sa première apparition dans la plaine d’Olympia imposât à tous les spectateurs. La Théôrie athénienne, dont il était membre, fut ornée d’une splendeur de premier ordre, et du plus ample apparat d’aiguières, d’encensoirs d’or, etc., pour le sacrifice et la procession publics[40]. Mais quand arrivèrent les courses de char, Alkibiadês lui-même parut comme compétiteur à ses propres frais, non pas seulement avec un seul char et quatre chevaux bien équipés, ce que les Grecs les plus riches avaient jusque-là considéré comme une gloire personnelle extraordinaire, mais avec le hombre prodigieux de sept chars distincts, chacun avec un attelage de quatre chevaux. Et leur qualité était si supérieure, qu’un de ses chars gagna un premier prix, et un autre un second, de sorte qu’Alkibiadês fut couronné deux fois de rameaux de l’olivier sacré, et deux fois proclamé par le héraut. Un autre de ses sept chars arriva aussi le quatrième ; mais on n’accordait (à ce qu’il semble) ni couronne ni proclamation au char qui arrivait après le second. Nous devons nous rappeler qu’il avait à combattre des compétiteurs de toutes les parties de la Grèce, — non seulement de simples particuliers, mais même des despotes et des gouvernements. Et ce ne fut pas tout. La tente que les Théôres athéniens fournirent aux visiteurs de leur pays vénus aux jeux, était élégamment ornée ; mais une tente séparée qu’Alkibiadês fournit pour un banquet public destiné à célébrer son triomphe, en même temps que le banquet lui-même, fut disposée sur un pied encore plus riche et plus dispendieux. Les riches alliés d’Athènes, — Ephesos, Chios et Lesbos, — lui prêtèrent, dit-on, leur aide pour ajouter à ce luxe. Il est extrêmement probable qu’ils étaient désireux de cultiver sa faveur, maintenant qu’il était devenu un des premiers hommes d’Athènes, et qu’il était entrain de s’élever davantage. Mais nous devons nous rappeler en outre qu’eux, aussi bien qu’Athènes, avaient été exclus de la fêté  Olympique, de sorte que leurs propres sentiments en y revenant pont la première fois pouvaient bien les pousser è, prendre un intérêt véritable à cette réapparition imposante de la race ionienne au sanctuaire commun de la Hellas.

Cinq années plus tard, dans une discussion, importante qui sera rapportée ci-après, Alkibiadês soutenait publiquement devant l’assemblée athénienne que son incomparable luxe olympique avait produit sur l’esprit grec un effet extrêmement avantageux à Athènes[41], en dissipant les soupçons qu’on avait qu’elle était ruinée par la guerre, et en mettant hors de, question l’étendue de ses richesses et de son pouvoir. Il avait sans doute raison dans une grande mesure, bien que pas assez pour écarter de lui (ce qu’il se proposait de faire) l’accusation tant d’une vanité personnelle outrecuidante que  de ces folles dépenses qu’il serait forcé d’essayer de couvrir par péculat ou violence aux dépens du public. Toutes les impressions défavorables suggérées à des Athéniens prudents par sa vie antérieure, furent aggravées par ce faste prodigieux ; à plus forte raison naturellement la jalousie et la haine des compétiteurs personnels. Et ce sentiment ne fut pas le moins réel, bien que comme homme politique il fût alors en plein courant de la faveur publique.

Si la fête de la quatre-vingt-dixième Olympiade fut particulièrement distinguée par la réapparition des Athéniens et de ceux qui se rattachaient à eux, elle fut marquée par une antre nouveauté encore plus frappante, — l’exclusion des Lacédæmoniens. Cette exclusion fut la conséquence des nouveaux intérêts politiques des Eleiens, combinés avec la conscience augmentée de leurs forces que leur inspirait l’alliance récente avec Argos, Athènes et Mantineia. Nous avons déjà mentionné que depuis la paix avec Athènes, lés Lacédémoniens, agissant comme arbitres dans le cas de la ville de Lepreon, que les Eleiens réclamaient comme leur dépendance, l’avaient déclarée autonome, et avaient envoyé un corps de troupes pour la défendre. Probablement les Eleiens avaient récemment renouvelé leurs attaques contre le district, depuis l’union avec leurs nouveaux alliés ; car Ies Lacédæmoniens y avaient détaché un nouveau corps de mille hoplites immédiatement avant la fête Olympique. L’envoi de ce nouveau détachement donna lieu à la sentence d’exclusion. Les Eleiens étaient les administrateurs privilégiés de la fête, réglant les détails de la cérémonie elle-même, et proclamant formellement par des hérauts le commencement de la trêve Olympique, pendant laquelle toute violation du territoire éleien était un péché contre la majesté de Zeus. Dans la présente occasion, ils affirmèrent que les Lacédémoniens avaient envoyé les mille hoplites dans Lepreon, et pris un fort nommé Phyrkos, deux possessions éleiennes, — après la proclamation de la trêve. En conséquence, ils imposèrent à Sparte l’amende prescrite par la loi Olympienne, de deux mines pour chaque homme, — deux mille, mines en tout : une partie pour Zeus Olympios, une partie pour les Eleiens eux-mêmes. Pendant l’intervalle entre la proclamation de la trêve et le commencement de la fête ; les Lacédæmoniens envoyèrent faire des remontrances au1sujet :de cette amende, qui, selon eux, avait été imposée injustement, vu que les hérauts n’avaient pas encore proclamé la trêve à Sparte quand les hoplites arrivèrent è, Lepreon Les Eleiens répondirent qu’à ce moment la trêve avait déjà été proclamée chez eux-mêmes (car ils la proclamaient d’abord dans leur pays avant que leurs hérauts franchissent les frontières), de sorte que toute opération militaire leur était interdite ; ce dont les hoplites lacédæmoniens avaient profité pour commettre leurs dernières agressions. A cela les Lacédémoniens répliquèrent que la conduite des Eleiens eux-mêmes contredisait leur propre allégation ; car ils avaient envoyé les hérauts éleiens à Sparte proclamer la trêve après avoir appris l’envoi des hoplites, — montrant ainsi qu’ils ne considéraient pas la trêve comme ayant été déjà violée. Les Lacédæmoniens ajoutèrent qu’après l’arrivée du héraut à Sparte, ils n’avaient pas pris de nouvelles mesurés militaires. Quelle était la vérité dans cette question contestée ? c’est ce que nous n’avons pas le moyen de décider. Mais les Eleiens rejetèrent l’explication, tout en offrant, si les Lacédæmoniens voulaient leur rendre Lepreon, d’abandonner la partie de l’amende qui devait leur revenir, et de payer de leur propre trésor en faveur des Lacédæmoniens la portion qui appartenait au dieu. Cette nouvelle proposition, étant également refusée, fut modifiée encore par les Eleiens. Ils donnèrent a entendre qu’ils seraient satisfaits si les Lacédæmoniens, au lieu de payer l’amende immédiatement, voulaient publiquement, sur l’autel, a Olympia, en présence des Grecs assemblés, jurer de la payer à une date future. Mais les Lacédæmoniens ne voulurent écouter la proposition ni de payement ni de promesse. Conséquemment les Eleiens, comme juges d’après la loi Olympique, leur interdirent le temple de Zeus Olympique et leur enlevèrent le privilège d’y sacrifier, ainsi que celui de se présenter aux jeux et d’y prendre part ; c’est-à-dire de s’y présenter sous la forme d’une ambassade sacrée appelée Théôrie, occupant une place formelle et reconnue à la solennité[42].

Comme tous les autres États grecs (à la seule exception de Lepreon) étaient représentés par leurs Théôries[43] aussi bien que par des spectateurs individuels, de même la Théôrie spartiate « brillait par son absence, d’une manière pénible et injurieusement apparente. Si grand en effet fut l’affront fait aux Lacédæmoniens, rattachés comme ils l’étaient à Olympia par un lien ancien, particulier, et qui n’avait jamais encore été rompu, — si marquée fut la preuve de la dégradation comparative dans laquelle ils étaient tombés, par la paix faite avec Athènes à la suite du désastre sphaktérien[44], — qu’on les supposa disposés à mettre l’exclusion au défi, et à escorter leurs Théôres dans le temple d’Olympia pour y faire le sacrifice, sous la protection d’une force armée. Les Eleiens jugèrent même nécessaire de mettre leurs jeunes hoplites sous les armes, et d’appeler à leur aide mille hoplites de Mantineia aussi bien que le même nombre d’Argos, dans le dessein de repousser cette attaque probable ; tandis qu’un détachement de cavalerie athénienne fut posté à Argos pendant la fête, pour prêter aide en cas de besoin. L’alarme qui régnait parmi les spectateurs de la fête était très sérieuse, et elle fut considérablement aggravée par un incident qui se présenta après la course de chars. Leichas, Lacédæmonien de grande fortune et de beaucoup de conséquence, avait fait mettre sur la liste un char destiné à courir, qu’il fut obligé de faire inscrire, non en son propre nom, mais au nom de la fédération bœôtienne. La sentence d’exclusion l’empêchait de prendre à la fête une part ostensible, mais elle ne l’empêchait pas d’y assister comme spectateur ; et, quand il vit son char proclamé victorieux sous le titre de Bœôtien, son impatience de se faire connaître devint irrésistible. Il s’avança au milieu de l’arène, et plaça une couronné sur la tête du cocher, s’annonçant ainsi comme le maître. C’était un manque flagrant de décorum et une violation manifeste de l’ordre de la fête : en conséquence, les serviteurs officiels armés de leurs bâtons intervinrent sur-le-champ pour remplir leur devoir, en le châtiant et en le repoussant à sa place avec des coups[45]. De là naquit une grande appréhension d’une intervention lacédæmonienne armée. Toutefois il n’y eut rien de pareil ; les Lacédæmoniens, pour la première et la dernière fois dans leur histoire, offrirent leur sacrifice Olympique chez eux, et la fête se passa sans interruption[46]. La hardiesse des Eleiens à, faire cet affront au plus puissant État de la Grèce est si étonnante, que nous ne pouvons guère nous tromper en supposant qu’ils avaient été inspirés par Alkibiadês, et encouragés par l’aide armée des alliés. A ce moment il ne mettait pas moins d’ostentation à humilier Sparte qu’à faire briller Athènes.

L’abaissement de l’influence de Sparte et de l’estime à l’égard de cet État fut bientôt prouvé de nouveau par le sort de la colonie de la Trachinienne Hêrakleia, établie près des Thermopylæ pendant la troisième année de la guerre. Cette colonie, bien qu’elle comprît d’abord un corps nombreux de colons, par suite de la confiance générale dans la puissance lacédæmonienne, et qu’elle fût toujours gouvernée par un harmoste lacédæmonien, — n’avait jamais prospéré. Elle avait été persécutée dès le commencement par les tribus voisines, et administrée par des gouverneurs aussi durs que cupides. L’établissement de la ville avait été regardé dès le début par les voisins, en particulier par les Thessaliens, comme une invasion de leur territoire ; et, pendant l’hiver qui suivit la fête Olympique que nous venons de décrire, leurs hostilités toujours vexatoires avaient été poussées à un point de violence plus grand que jamais. Ils avaient défait les Hêrakleotes dans une bataille ruineuse, et tué Xenarês, le, gouverneur lacédæmonien. Mais, bien que la ville fût si réduite qu’elle était hors d’état de se maintenir sans une aide étrangère, Sparte était trop embarrassée par des ennemis et par des esprits vacillants dans le Péloponnèse pour pouvoir la secourir ; et les Bœôtiens, observant son impuissance, craignirent qu’elle n’invoquât l’intervention d’Athènes. En conséquence, ils jugèrent prudent d’occuper Hêrakleia avec un corps de troupes bœôtiennes, et renvoyèrent le gouverneur lacédæmonien Hegesippidas pour une prétendue mauvaise conduite. Et les Lacédæmoniens ne purent s’opposer à cet acte, bien qu’à l’occasion il donnât lieu de leur part à un reproche plein d’indignation[47].

 

 

 



[1] Thucydide, V, 42.

[2] Thucydide, V, 42.

[3] Thucydide, V, 43.

Toutefois, l’expression de Plutarque, έτι μειρακιον, semble une exagération (Alkibiadês, c. 10).

Kritias et Chariklês, en réponse à la question de Sokratês, auquel ils avaient défendu de converser avec des jeunes gens ou de leur faire des leçons — disaient que pour être un jeune homme il ne fallait pas avoir trente ans — l’âge des sénateurs à’Athènes (Xénophon, Memorab., I, 2, 35).

[4] Platon, Protagoras, c. 10, p. 320 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 2, 3, 4 ; Isocrate, De Bigis, Orat. XVI, p. 353, sect. 33, 34 ; Cornélius Nepos, Alkibiadês, c. 1.

[5] C’est une partie du langage que Platon met dans la bouche d’Alkibiadês, dans la Symposion, c. 32, p. 216 ; V. aussi Platon, Alkibiadês, I, ch. 1, 2, 3. Cf. son autre contemporain, Xénophon, Memor., I, 2,16-25. Plutarque, Alkibiadês, c. 2.

[6] Je traduis, en diminuant un peu la force des  termes, l’expression d’un auteur contemporain, Xénophon, Memorab., I, 2, 24.

[7] Démosthène, Cont. Meidiam, c. 49 ; Thucydide, VI, 16 ; Antiphon, ap. Athenæ, XII, 525.

[8] Athénée, IX, p. 407.

[9] Thucydide, VI, 15. Je traduis l’expression de Thucydide, qui a beaucoup de force et de signification. Le même mot est répété par l’historien, VI, 28.

La même phrase se trouve aussi dans le court extrait de la λοιδορίς d’Antiphon (Athénée, XII, p. 525).

La description d’Alkibiadês, donnée dans le Discours appelé le Έρωτικός Λόγος, attribué par erreur à Démosthène (c. 12, p. 1414) est plus caractéristique que ce que nous trouvons ordinairement dans des compositions de rhétorique.

Les trois épithètes par lesquelles l’auteur décrit les mauvaises tendances d’Alkibiadês trouveront leur complète explication dans ses actes, qui seront décrits ci-après. L’influence salutaire attribuée ici à Sokratês est malheureusement bien moins justifiée.

[10] Plutarque, Alkibiadês, c.4 ; Cornélius Nepos, Alkibiadês, c. 2 ; Platon, Protagoras, c. 1.

Je ne sais jusqu’à quel point le mémorable récit attribué à Alkibiadês dans le Symposion le Platon (c. 33, 34, p. 216, 217), peut être regardé comme une histoire et un fait réels, en ce qui concerne Sokratês ; mais c’est une ample preuve par rapport aux relations d’Alkibiadês avec d’autres en général. Cf. Xénophon, Memorab., I, 2, 29, 30 ; IV, 1.2.

Plusieurs des dialogues de Platon nous offrent des tableaux frappants de la palestre, avec les enfants, les jeunes gens, les maîtres de gymnastique, occupés à leurs exercices ou s’en reposant — et les philosophes et les spectateurs qui y venaient pour s’amuser et converser. Voir particulièrement les premiers chapitres du Lysis et du Charmidês — et les Rivaux (Anterastæ) où la scène est placée dans la maison d’un γραμματιστής ou maître d’école. Dans le Lysis, Sokratês déclare faire de sa conversation avec ces intéressants jeunes gens un antidote contre les flatteries corruptrices de la plupart de ceux qui cherchaient à gagner leur bon vouloir (Lysis, c. 7, p. 210).

Voir, comme explication de ce qui est dit ici au sujet d’Alkibiadês comme jeune homme, Euripide, Supplic., 906 (sur Parthenopæos), et les beaux vers dans l’Atys de Catulle, 60-69.

On ne peut guère douter que les caractères de tous les jeunes gens grecs de quelques prétentions ne fussent affectés considérablement par cette société et cette conversation de leurs années d’enfance, bien que le sujet soit un de ceux sur lesquels on ne peut pas bien produire et discuter les preuves complètes.

[11] Plutarque, Alkibiadês, c. 10.

[12] V. la description dans le Protagoras de Platon, c. 8, p. 317.

[13] V. Xénophon, Memorab., I, 21, 12-24, 39-47. Cf. Platon, Apolog. Sokratês, c. 10, p. 23 ; c. 22, p. 33.

Xénophon représente Alkibiadês et Kritias comme fréquentant la société de Sokratês, pour la même raison et les mêmes buts pour lesquels les jeunes gens allaient en général trouver les sophistes, comme l’affirme Platon. Voir Platon, Sophist., c. 20, p. 232 D.

Nam et Socrati (fait observer Quintilien, Inst. Or., II, 16) objiciunt comici, docere eum, quomodo pejorem causam meliorem reddat ; et contra Tisiam et Gorgiam similia dicit polliceri Plato.

Ce que dit Platon de la grande influente acquise par Sokratês sur Alkibiadês, et de la déférence et de la soumission de ce dernier, ne doit pas être évidemment pris comme historique même quand nous n’aurions pas le tableau plus simple et plus digne de foi tracé par Xénophon. Isocrate va jusqu’à dire que personne ne connut jamais Sokratês comme maître d’Alkibiadês ; ce qui est une exagération dans l’autre sens (Isocrate, Busiris, Or. XI, sect. 6, p, 222).

[14] Platon, Symposion, c. 35-36, p, 229, etc.

[15] Voir l’exposé donné dans le Protagoras de Platon des dispositions dans lesquelles le jeune et riche Hippokratês va chercher l’instruction auprès de Protagoras — et des objets que Protagoras se propose en la donnant (Platon, Protagoras, c. 2, p. 310 D ; c. 8, p. 316 C ; c. 9, p. 318, etc. : cf. aussi Platon, Menôn, p. 91, et Gorgias, c. 4, p. 449 E — assurant la connexion, dans l’esprit de Gorgias, entre enseigner à parler et enseigner à penser).

Il ne serait pas raisonnable de répéter comme vraies et justes toutes les accusations polémiques dirigées contre ceux qu’on appelle sophistes, même tels que nous les trouvons dans Platon — sans examen et réflexion, mais des écrivains modernes sur les affaires grecques rabaissent les sophistes même plus que ne le fit Platon, et ne tiennent pas compte de ce que lui, bien que leur adversaire admet perpétuellement en leur faveur.

C’est un sujet très étendu, auquel j’espère revenir.

[16] Je ne partage en aucune sorte le jugement du Dr Thirlwall, qui répète ce que l’on dit habituellement de Sokratês et des sophistes, à savoir qu’Alkibiadês fut séduit par les sophistes, tandis que Sokratês est représenté comme un bon génie qui le préserve de leurs corruptions (Hist. of Greece, vol. III, ch. 24, p. 312, 313, 314). Je crois aussi qu’il se trompe quand il distingue si formellement Sokratês des sophistes — quand il décrit les sophistes comme ayant des prétentions à la sagesse, — comme une nouvelle école, — comme enseignant qu’il n’y avait pas de différence réelle entre la vérité et le mensonge, le juste et l’injuste, etc.

Toute la plausibilité qu’il y a dans cette manière de les représenter résulte d’une confusion entre le sens primitif et le sens moderne du mot sophiste ; le dernier étant vraisemblablement donné au mot par Platon et par Aristote. Dans l’ancienne acception ordinaire du mot à Athènes, il signifiait non pas une école de personnes professant des doctrines communes — mais une classe d’hommes portant le même nom, parce qu’ils devaient leur célébrité à des objets analogues d’étude et à une occupation intellectuelle commune. Les sophistes étaient des hommes qui avaient les mêmes fonctions et les mêmes travaux, en partie spéculatifs, en partie de profession ; mais ils différaient grandement les uns des autres, tant pour la méthode que pour la doctrine (V. par exemple Isocrate, Cont. Sophist., Orat. XIII ; Platon, Menôn, p. 87 B.) Quiconque se distinguait par des travaux spéculatifs, et communiquait ses opinions par des leçons, des discussions ou des conversations publiques, — était appelé sophiste, quelles que fussent les conclusions qu’il cherchait à exposer ou à défendre. La différence entre recevoir de l’argent et exposer gratuitement, sur laquelle Sokratês lui-même aimait tant à insister (Xénophon, Memorab., I, 6, 12), n’a évidemment aucun rapport avec le cas. Quand Æschine l’orateur dit aux dikastes : Rappelez-vous que vous, Athéniens, mettiez à mort le sophiste Sokratês, parce qu’il était prouvé qu’il avait été le maître de Kritias (Æschine, Cont. Timarch., c. 34, p. 74), il se sert du mot dans son sens athénien vrai et naturel. Il n’avait rien à dire contre Sokratês, qui alors était mort depuis plus de quarante ans — mais il le représente par sa profession ou son occupation, précisément comme il aurait dit Hippokratês le médecin ; Pheidias le sculpteur, etc. Denys d’Halicarnasse appelle Platon et Isocrate des sophistes (Ars Rhetor. De Compos. Verb., p. 208 R). Les Nuées d’Aristophane, et les défenses présentées par Platon et Xénophon, montrent que Sokratês non seulement était appelé du nom de sophiste, mais qu’il était regardé sous le même jour que celui sous lequel le Dr Thirlwall nous présente ce qu’il appelle la nouvelle École des Sophistes — comme un corrupteur de la jeunesse, indifférent à la vérité ou au mensonge, au juste ou à l’injuste, etc. V. un passage frappant dans le Politicus de Platon, c. 38, p. 299 B. Quiconque pense (comme moi) que ces accusations étaient faussement portées contre Sokratês, devra faire attention à la manière dont il les avance contre la profession générale à laquelle Sokratês appartenait.

Qu’il y eût des hommes sans principes et immoraux dans la classe des sophistes (comme il y en a et comme il y en a toujours eu parmi les maîtres d’école, les professeurs, les gens de loi, etc., et tous les corps), c’est ce dont je ne doute pas ; dans quelle proportion, c’est ce que nous ne pouvons déterminer. Mais on sentira l’extrême dureté qu’il y a à passer condamnation sans réserve sur le grand corps des maîtres intellectuels à Athènes, et à canoniser exclusivement Sokratês et ses sectateurs — si l’on se rappelle que l’Apologue bien connu, appelé le Choix d’Hercule, fut l’œuvre du sophiste Prodikos, et son sujet favori de leçon (Xénophon, Memor., II, 1, 21-34). Jusqu’à ce jour, cet Apologue n’a pas été surpassé, pour la simplicité touchante avec laquelle il présente un des points de vue d’obligation morale les plus importants ; et il a été placé dans un plus grand nombre ale livres de morale élémentaire que toute autre chose de Sokratês, de Platon ou de Xénophon. Considérer l’auteur de cet Apologue, et la classe à laquelle il appartenait, comme enseignant qu’il n’y avait pas de différence réelle entre le juste et l’injuste, la vérité et le mensonge, etc., est une critique peu en harmonie avec le ton juste et libéral de l’Histoire du docteur Thirlwall.

J’ajouterai que Platon lui-même, dans un passage très important de la République (VI, c. 6, 7, p. 492-493), réfute l’imputation dirigée contre les sophistes d’être particulièrement les corrupteurs de la jeunesse. Il les représente comme inculquant à leurs jeunes élèves la morale qui était reçus comme vraie et juste à, leur époque et, dans leur société — rien de plus, rien de moins. Le grand corrupteur (dit-il) est la société elle-même ; les sophistes ne font que répéter la voix et le jugement de la société. Sans chercher à présent jusqu’à quel point Platon on Sokratês avait raison en condamnant la morale reçue de leurs compatriotes, j’accepte sans réserve son assertion, que le grand corps des maîtres de profession contemporains enseignait  ce qu’on regardait comme bonne morale dans le public athénien. Il y en avait sans doute quelques-uns qui enseignaient une morale meilleure, d’autres une morale pire. Et on peut le dire avec une égale vérité du grand corps des maîtres de profession à toute époque et de toute nation.

Xénophon énuméra diverses causes auxquelles il attribue la corruption du caractère d’Alkibiadês — fortune, rang, beauté personnelle, flatteurs, etc. ; mais il ne nomme pas dans ce nombre les sophistes (Memorab., I, 2, 24, 25).

[17] Cornélius Nepos, Alkibiadês, c. 1 ; Satyrus, apud Athenæum, XII, p. 534 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 23.

[18] Je suis la critique que Plutarque cite de Théophraste, vraisemblablement impartiale et mesurée, beaucoup plus digne de foi que le vague éloge de Nepos, ou même de Démosthène (naturellement non d’après sa propre connaissance), au sujet de l’éloquence d’Alkibiadês (Plutarque, Alkibiadês, c. 10) ; Plutarque, Reipubl. Gerend. Præcepta, c. 8, p. 804.

Antisthenês, — compagnon et disciple de Sokratês, et créateur de ce qu’on appelle la philosophie cynique, — contemporain d’Alkibiadês, qu’il connaissait personnellement, — était rempli d’admiration pour l’extrême beauté de sa personne, et le déclarait fort, viril et audacieux, — mais sans éducation, — άπαίδευτον. Toutefois ses médisances au sujet de la vie sans frein d’Alkibiadês dépassent ce que nous pouvons raisonnablement admettre, même de la part d’un contemporain (Antisthenês, ap. Athenæum, V, p. 220, XII, p. 534). Antisthenês avait composé un dialogue appelé Alkibiadês (Diogène Laërte, VI, 15).

Voir la collection des Fragmenta Antisthenis (par A. G. Winckelmann, Zurich, 1842, p. 17-19).

Les auteurs comiques du temps, — Eupolis, Aristophanês, Pherekratês et autres — semblent avoir été féconds en railleries et en injures contra les excès d’Alkibiadês, réels ou supposés. Il y avait un conte faux, mais qui courait dans la tradition comique : Alkibiadês, qui n’était pas homme à se laisser insulter impunément, avait noyé Eupolis dans la mer pour se venger de la comédie  des Baptæ. V. Meineke, Fragm. Com. Gr. Eupolidis Βάπται et Κόλακες (vol. II, p. 447-494), et Aristophane Τριφαλής, p. 1166 ; ainsi que le premier volume de Meineke, Historia critica comic. Græc. p. 124-136, et la Dissertation 19 dans le Mythologus de Buttmann, sur les Baptæ et les Cotyttia.

[19] Thucydide, VI, 15. Cf. Plutarque, Reip. Ger. Præc., c. 4, p.  800. L’esquisse que trace Platon (dans les trois premiers chapitres du neuvième livre de la République) du citoyen qui se fait despote et asservit ses concitoyens — convient exactement au caractère d’Alkibiadês. V. aussi le même traité, VI, 6-8, p. 491-494, et la préface mise par Schleïermacher en tête de sa traduction allemande du dialogue platonique appelé le Premier Alkibiadês.

[20] Aristophane, Ranæ, 1415-1453 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 16 ; Plutarque, Nikias, c. 9.

[21] Thucydide, V, 43, VI, 90 ; Isocrate, De Bigis, Or. XVI, p. 352, sect. 77-30.

Plutarque (Alkibiadês, c. 14) représente négligemment Alkibiadês comme étant réellement proxenos de Sparte à Athènes.

[22] Thucydide, V, 43.

[23] Thucydide, V, 43.

[24] Thucydide, V, 48.

[25] Thucydide, V, 44.

[26] Thucydide, V, 45.

[27] Plutarque, Alkibiadês, c. 14 et Nikias, c. 10.

[28] Plutarque, Alkibiadês, c. 14.

[29] Thucydide, V, 45. Cf. Plutarque, Alkibiadês, c. 14, et Nikias, c. 10.

[30] Euripide, Andromaque, 445-455 ; Hérodote, IV, 54, Thucydide, IV, 50.

[31] Thucydide, V, 46.

[32] Thucydide, V, 46 ; Plutarque, Nikias, c. 10.

[33] Thucydide, V, 47.

[34] Thucydide, V, 48. Le temps du verbe et la phrase ici méritent attention, en tant qu’opposés à la phrase de la première partie du traité.

La clause imposant une obligation d’empêcher le passage de troupes demandait à être laissée ouverte pour être appliquée a chaque cas particulier.

[35] Thucydide, V, 47.

[36] Thucydide, V, 48.

[37] Thucydide, V, 48-50.

[38] Thucydide, V, 47.

[39] Dorieus de Rhodes fut vainqueur dans le Pankration, dans les Olympiades 88 et 89 (438-424 av. J.-C.). Rhodes était comprise au nombre des alliés tributaires d’Athènes. Mais les athlètes qui venaient combattre étaient privilégiés et (pour ainsi dire) des personnes sacrées, qui n’étaient jamais molestées ni empêchées de venir à la fête, si elles le voulaient, dans tout état de guerre. Leur inviolabilité n’avait jamais été troublée même jusqu’au dur procédé d’Aratus. (Plutarque, Aratus, v. 23). Mais cela ne prouve pas que des visiteurs rhodiens, en général, ou une Théôrie rhodienne, aient pu venir à Olympia en sûreté entré 431 et 431 avant J.-C.

On ne peut guère tirer de conclusion de la présence d’individus ; même comme spectateurs, parce qu’à cette fête Olympique de 420 avant J.-C. Lichas le Spartiate était présent comme spectateur, — bien que tous les Lacédœmoniens fussent formellement exclus par une proclamation des Eleiens (Thucydide, V, 50).

[40] Au sujet du goût et de l’élégance qui présidaient habituellement à ces spectacles dans Athènes, surpassent en général toute autre cité de la Grèce, V. un remarquable témoignage dans Xénophon, Memorab., III, 3, 12.

[41] Thucydide, VI, 16.

Toute la force de ce luge grandiose ne peut se comprendre, si nous ne nous rappelons la position spéciale tant d’Athènes et des alliés athéniens à l’égard d’Olympia — que d’Alkibiadês lui-même à l’égard d’Athènes, d’Argos et du reste de la Grèce, dans la première moitié de l’année 420 avant J.-C.

Alkibiadês obtint d’Euripide l’honneur d’une ode triomphale, ou chant de triomphe, pour célébrer cet événement ; Plutarque nous en a conservé quelques vers (Alkibiadês, c. 2). Il est curieux que le poète avance qu’Alkibiadês fut le premier, le second et le troisième dans la course, tandis qu’Alkibiadês lui-même, plus modeste et sans doute plus exact, prétend seulement qu’il fut le premier, le second et le quatrième. Euripide nous apprend qu’Alkibiadês fut couronné deux fois et proclamé deux fois, δίς στεφθέντ̕ έλαία κάρυκι βοάν παραδοΰναι. Rieske, Coray et Schaefer ont jugé convenable de changer ce mot δίς en τρίς, sans aucune autorité, — ce qui change complètement le fait affirmé. Sintenis, dans son édition de Plutarque, a rétabli avec raison le mot δίς.

La durée du souvenir, de cette fameuse fête Olympique dans l’esprit public athénien est attestée en partie par l’Oratio de Bigis d’Isocrate, composée pour défendre le fils d’Alkibiadês au moins vingt-cinq ans plus tard, peut-être plus. Isocrate répète l’assertion vague d’Euripide, (Or. XVI. p. 353, sect. 40). Le discours apocryphe appelé discours d’Andocide contre Alkibiadês conserve également un grand nombre des contes qui circulaient, dont j’ai admis quelques-uns dans le texte, parce que je les crois probables en eux-mêmes, et que le discours lui-même peut raisonnablement être considéré comme une composition du milieu dit quatrième siècle avant J.-C. Ce discours présente tous les actes d’ Alkibiadês sous un jour très odieux et avec une exagération palpable. L’histoire d’Alkibiadês ayant dérobé un beau char à un Athénien nommé Diomêdês, paraît une sorte de variante de l’histoire relative à Tisias, qui figure dans le discours d’Isocrate. — V. Andocide, cont. Alkib., sect. 26 ; il se petit qu’Alkibiadês ait laissé un des attelages sans le payer. Il est probable que l’aide prêtée à Alkibiadês par les gens de Chios, d’Ephesos, etc., telle que la rapporte ce discours,’est vraie en substance, et elle peut être facilement expliquée. Cf. Athénée, I, p. 3.

Ce que nous savons au sujet des arrangements des courses de chars à Olympia est très imparfait. Nous ne savons pas distinctement comment les sept chars d’Alkibiadês coururent, — dans combien de courses, — car tous les sept n’ont pas pu (selon moi) courir dans une seule et même course. Il a dû y avoir beaucoup d’autres chars destinés à courir et appartenant à d’autres compétiteurs ; et il semble difficile de croire que jamais un plus grand nombre que dix ait pu courir dans la même course, puisqu’il fallait faire douze fois le tour du but (Pindare, Olympiques, III, 33 ; VI, 75). Dix chars rivaux courent dans la course décrite par Sophokle (Electre, 708), et si nous pouvons nous permettre d’expliquer rigoureusement l’expression du poète, il semblerait que le plus grand nombre de chars qui fussent autorisés à courir était de dix. Même ce nombre si considérable présentait de grands dangers pour les personnes engagées, comme on peut le voir en lisant Sophokle (cf. Démosthènes, Έρωτ Λόγ, p. 410), qui se rapporte, il est vrai, à une solennité Pythienne, et non à une Olympique ; mais les principales circonstances ont dit être communes à toutes deux, — et nous savons que les douze tours étaient communs aux deux (Pindare, Pythiques, V, 31).

Alkibiadês ne fut pas le seul qui ait vaincu dans la course de chars de cette quatre-vingt-dixième Olympiade, 420 avant J.-C. — Lichas le Lacédæmonien remporta aussi une victoire (Thucydide, V, 50), bien qua le char fût obligé d’entrer sous un autre nom, puisqu’il était interdit aux Lacédæmoniens d’assister aux jeux.

Le docteur Thirlwall (Hist. of Greece, vol. III, eh. 24, p. 316), dit : Nous ne savons pas que l’Olympiade (dans laquelle Alkibiadês remporta ces victoires aux courses de chars) puisse être fixée distinctement. Mais ce fut probablement l’Olympiade 89, 424 av. J.-C.

Selon moi, l’Olympiade 88 (428 av. J.-C.) et l’Olympiade 89 (424 av. J.-C.) sont exclues de la supposition possible, par ce fait que la guerre générale sévissait aux deux époques. Supposer qu’au milieu de l’été de ces deux années de combats, il y eût une trêve olympique permettant à Athènes et à ses alliés d’y envoyer leurs ambassades solennelles, leurs chais pour la lutte, et leurs nombreux visiteurs individuels, — me paraît contraire à toute probabilité. Le mois olympique de 424 avant J.-C. arrivait précisément vers le temps où Brasidas était à l’isthme occupé à lever des troupes pour son expédition projetée en Thrace, et quand il sauvait Megara de l’attaque athénienne. Ce n’était pas pour les visiteurs athéniens paisibles un temps très tranquille pour passer, en se rendant à Olympia, avec le dispendieux appareil de vaisselle d’or et d’argent et sa dispendieuse Théôrie. Pendant le temps que les Spartiates Occupèrent Dekeleia, les processions solennelles d’initiés aux mystères éleusiniens ne purent jamais suivre la voie sacrée d’Athènes à Eleusis, Xénophon, Helléniques, I, 4, 20.

De plus, nous voyons que le premier article même tant de la trêve d’une année que de la paix de Nikias, stipule expressément la liberté pour tous de paraître aux fêtes et aux temples communs. Le premier des deux se rapporte expressément à Delphes ; le second est général et embrasse Olympia aussi bien que Delphes. Si les Athéniens avaient visité Olympia en 428 ou 424 avant J.-C. sans obstacle, ces stipulations dans les traités n’auraient eu ni but ni sens. Mais le fait d’être placées en tête du traité prouve qu’on les regardait comme ayant beaucoup d’intérêt et d’importance.

J’ai placé la fête Olympique où Alkibiadês lutta avec sept chars, en 420 avant J.-C., pendant la paix, mais immédiatement après la guerre. Aucune autre fête ne me paraît convenable en aucune sorte.

De plus le docteur Thirlwall admet, comme chose naturelle, qu’il n’y eut qu’une seule course de chars à cette fête Olympique, — que les sept chars d’Alkibiadês coururent tous deux cette seule course, et que c’est dans la fête de 420 avant J.-C., que Lichas gagna le prix, impliquant qu’Alkibiadês ne pouvait avoir remporté le prix à la même fête.

Je ne sache pas qu’il y ait quelques preuves pour démontrer l’une ou l’autre de ces trois propositions. Elles me paraissent toutes improbables.

Nous savons par Pausanias (VI, 13, 2) que même dans le cas des Stadiodromi ou coureurs qui luttaient dans le Stadion, tous ne courraient pas dans une seule course. Ils étalent divisés en troupes ou fournées, dont nous ne savons pas le nombre. Chaque troupe courait séparément, et les vainqueurs dans chacune des parties luttaient ensemble dans une partie nouvelle : de sorte que le vainqueur qui, remportait le grand prix final était sûr d’avoir gagné deux parties.

Or si cet usage était adopté pour les coureurs à pied, à bien plus forte raison devait-il l’être pour les coureurs en char dans le cas où beaucoup de chars étaient amenés à la même fête. Le danger était diminué, la lutte agrandie, et la gloire des compétiteurs rehaussée. La fête Olympique durait cinq jours, long temps pour pourvoir à l’amusement d’une foule si considérable de spectateurs. Il se peut donc qu’Alkibiadês et Lichas aient tous les deux été vainqueurs aux courses de chars à la même fête : naturellement il n’y a qu’un des deux qui ait pu remporter le grand prix final, — et quel fut-il ? c’est ce qu’il est impossible de dire.

[42] Thucydide, V, 49, 50.

[43] Thucydide, V, 50.

[44] Thucydide, V, 28.

[45] Thucydide, V, 50.

Nous voyons par comparaison avec cet incident combien la manière d’agir à Athènes était moins brutale et moins dure, et sous quel jour sérieux on considérait les coups portés à une personne. A la fête athénienne des Dionysia, si une personne dans le théâtre commettait un désordre ou se glissait à une place qui proprement ne lui appartenait pas, l’archonte ou ses agents était à la fois autorisé et requis de réprimer le désordre, en mettant la personne dehors, et en la condamnant à l’amende si cela était nécessaire. Mais, il n’avait pas le droit de la frapper. S’il le faisait, il était lui-même passible d’une peine prononcée ensuite par le dikasterion (Démosthène, cont. Meidiam, c. 49). — On peut faire remarquer que des mesures plus sommaires étaient probablement nécessaires pour maintenir l’ordre dans un hippodrome ouvert que dans un théâtre fermé. On doit raisonnablement tenir quelque compte de cette différence.

[46] Cependant on verra que les Lacédæmoniens se rappelèrent cette insulte des Eleiens, et qu’ils s’en vengèrent douze ans plus tard, dans la plénitude de leur pouvoir (Xénophon, Helléniques, III, 2, 21 ; Diodore, XIV, 17).

[47] Thucydide, V, 51, 52.