HISTOIRE DE LA GRÈCE

HUITIÈME VOLUME

CHAPITRE I — DEPUIS LA TRÊVE DE TRENTE ANS, QUATORZE ANS AVANT LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE, JUSQU’AU BLOCUS DE POTIDÆA, L’ANNÉE QUI PRÉCÈDE CETTE GUERRE.

 

 

Les changements judiciaires effectués à Athènes par Periklês et Ephialtês, que nous avons décrits dans le dernier chapitre du volume précédent, donnèrent à une proportion considérable des citoyens les fonctions directes de jurés et un intérêt actif dans la constitution, tels qu’ils n’en avarient jamais possédé auparavant de pareils ; ce changement étant à la fois une marque du développement antérieur du sentiment démocratique dans le temps passé et une cause de son développement ultérieur dans l’avenir. Le peuple athénien était à cette époque prêt à faire des efforts personnels dans toutes les directions. Le service militaire sur terre ou sur mer n’était pas moins conforme à ses dispositions que la présence fréquente à l’ekklêsia ou au dikasterion à l’intérieur. Le service naval particulièrement fut suivi avec un degré d’assiduité qui opéra un progrès continu en habileté et en efficacité ; en même temps les citoyens plus pauvres, dont il était surtout composé, étaient plus exacts à obéir et à se conformer à la discipline qu’aucune des personnes plus opulentes d’où l’on tirait l’infanterie et la cavalerie[1]. La multitude maritime, outre la confiance en elle-même et le courage, acquérait par cette éducation laborieuse une plus grande habileté, qui chaque année plaçait de plus en plus la flotte athénienne au-dessus du reste de la Grèce. Et la perfection de ces forces navales devenait d’autant plus indispensable que l’empire athénien était alors limité de nouveau à la mer et aux villes ports de nier ; les revers qui précèdent immédiatement la trêve de Trente ans ayant détruit tout l’ascendant sur terre qu’Athènes exerçait sur Megara, la Bœôtia et les autres territoires continentaux attenant à l’Attique.

La confédération maritime, — commencée dans l’origine à Dêlos, sous l’hégémonie d’Athènes, mais avec une assemblée commune et une voix délibérative appartenant à chaque membre, — s’était alors transformée en un empire assuré appartenant à Athènes, sur les autres États comme dépendances étrangères ; tous payant tribut, excepté Chios, Samos et Lesbos. Ces trois États restaient encore sur leur pied primitif d’alliés autonomes, et conservaient leurs forces armées, leurs vaisseaux et leurs fortifications, — avec l’obligation de fournir des secours en soldats et en vaisseaux quand on les leur demandait, mais non de payer un tribut. Toutefois la cessation de l’assemblée délibérative les avait privés de leur ancienne garantie contre les empiétements d’Athènes. J’ai déjà exposé en général les mesures (nous ne les connaissons pas en détail) au moyen desquelles fut effectué cet important changement, par degrés et sans aucune révolution violente, — car même la translation du trésor commun de Dêlos à Athènes, qui était le signe et la preuve les plus palpables du changement, ne fut pas un acte de violence athénienne, puisqu’il fut adopté sur la proposition des Samiens. Dans le fait, le changement fut le résultat presque inévitable des circonstances du cas et de l’ardente activité des Athéniens mise en contraste avec la répugnance et l’aversion pour un service personnel de la part des alliés. Nous devons nous rappeler que la confédération, même dans sa structure originelle, était formée pour des objets permanents, et qu’elle liait d’une manière permanente par le vote de. sa majorité, à l’instar clé la confédération spartiate, chaque membre individuellement[2]. Elle était destinée à éloigner la flotte persane et à faire la police de la mer Ægée. Conformément à, ces objets, aucun membre individuel ne pouvait être autorisé à se retirer de la confédération et à acquérir ainsi l’avantage d’une protection aux dépens des autres : de sorte que quand Naxos et d’autres membres se séparèrent réellement, cette démarche fut considérée comme une révolte, et Athènes ne fit qu’accomplir son devoir de président de la confédération en les réduisant. Par toute réduction pareille, aussi bien que par cet échange de service personnel contre un payement en argent, que recherchèrent volontairement la plupart des alliés, le pouvoir d’Athènes s’accrut, jusqu’à ce qu’enfin elle se trouvât avec une flotte irrésistible au milieu de tributaires désarmés, dont aucun ne pouvait échapper à l’étreinte de son pouvoir, — et maîtresse de la mer, dont l’usage leur était indispensable. L’assemblée de Délos, même n’eût-elle pas auparavant été partiellement abandonnée, devait avoir cessé à l’époque où le trésor fut transporté à Athènes, — probablement vers 460 avant J.-C., ou peu de tempe après.

Les relations entre Athènes et ses alliés changèrent ainsi considérablement, par une série d’actes qui se déroulèrent graduellement et se succédèrent les uns aux autres sans aucun plan préconçu. Elle devint cité reine ou despote ; gouvernant un agrégat de sujets dépendants, tous sans leur concours actif, et dans bien des cas sans doute contrairement à leur sentiment de droit politique. Il n’était pas vraisemblable qu’ils conspireraient unanimement pour briser la confédération, et qu’ils cesseraient la levée de la contribution fournie par chacun des membres ; et il n’eût été nullement désirable qu’ils le fissent, car pendant que la Grèce en général aurait beaucoup perdu par une telle conduite, les alliés eux-mêmes y auraient perdu plus que personne, en ce qu’ils auraient été exposés sans défense à la flotte persane et à la flotte phénicienne. Mais les Athéniens commirent la faute capitale de prendre toute l’alliance dans leurs mains, et de traiter les alliés purement comme des sujets ; sans chercher à se les attacher par aucune forme d’incorporation politique ni d’assemblée et de discussion collectives. — sans prendre aucune peine pour entretenir une communauté de sentiment ou d’idée quant à la communauté d’intérêt, — sans admettre aucun contrôle, réel ou même supposé, sur eux-mêmes comme administrateurs. S’ils avaient tenté de le faire, ils auraient eu de la peine à y réussir, — tant étaient puissantes la force de dissémination géographique, la tendance à une vie civique isolée et la répugnance à toute obligation permanente en dehors de ses murs, dans toute communauté grecque. Mais il ne parait pas qu’ils l’aient jamais essayé. Trouvant Athènes élevée à l’empire par les circonstances et les alliés rabaissés à l’état de sujets, l’homme d’État athénien embrassait l’élévation comme un objet d’orgueil aussi bien que de profit[3]. Periklês lui-même, le plus prudent parmi eux et celui qui voyait le plus loin, ne montra pas qu’il eût conscience qu’un empire sans le ciment de quelque intérêt ou de quelque attachement qui dominât universellement, ne fût-il pas oppressif dans la pratique, devait néanmoins avoir une tendance naturelle à devenir de, plus en plus impopulaire, et finir par tomber en pièces. Tel fut le cours des événements qui, si l’on eût suivi les judicieux conseils de Periklês, aurait été ajourné, bien qu’il n’eût pu être détourné.

Au lieu d’essayer de favoriser ou de ranimer les sentiments d’une alliance égale, Periklês la désavoua formellement. Il soutint qu’Athènes ne devait pas compte à ses sujets alliés de l’argent qu’elle recevait d’eux tant qu’elle exécutait son contrat en tenant l’ennemi persan éloigné et en maintenant la sécurité sur les eaux de la mer Ægée[4]. Telle était, comme il le disait, l’obligation qu’Athènes s’était imposée ; et pourvu qu’elle la remplît fidèlement, les alliés n’avaient pas le droit de faire de questions ni d’exercer un contrôle. Qu’elle fût accomplie fidèlement, personne ne pouvait le nier. On ne voyait jamais de vaisseau de guerre, excepté ceux d’Athènes et de ses alliés, entre la côte orientale et la côte occidentale de la mer Ægée. Une flotte athénienne de soixante trirèmes était continuellement de service dans ces eaux, montée surtout par des citoyens athéniens, et utile aussi bien par la protection qu’elle donnait au commerce que parce qu’elle assurait aux marins une paye et un exercice constants[5]. Et la surveillance maintenue effectivement fut telle que, dans la période désastreuse qui précéda la trêve de Trente ans, quand Athènes perdit Megara et la Bœôtia, et eut de la peine à recouvrer l’Eubœa, aucun de ses nombreux sujets maritimes n’en prit occasion pour se révolter.

Le total de ces cités tributaires distinctes montait, dit-on, à mille, suivant un vers d’Aristophane[6], ce qui peut ne pas être au-dessous de la vérité, bien que cela puisse être, et que ce soit probablement beaucoup au-dessus. Le tribut annuel total levé au commencement de la guerre du Péloponnèse, et probablement aussi pour les années précédentes, était, d’après Thucydide, d’environ six cents talents. Toutefois, quant aux sommes payées par des États particuliers, nous avons sur ce point peu ou pas de renseignements[7]. Il était placé sous la surveillance des Hellenotamiæ, officiers appartenant dans l’origine à la confédération, mais maintenant transférés de Délos à Athènes, et agissant entièrement comme conseil de finances athénien. La somme totale du revenu athénien[8], provenant de toutes sources, et comprenant ce tribut, au commencement de la guerre du Péloponnèse, était, selon Xénophon, de mille talents. Les douanes, les droits de port et de marché, les recettes des mines d’argent à Laureion, les rentes des biens publics, les amendes résultant de sentences judiciaires, une taxe par tète sur les esclaves, le payement annuel fait par chaque metœkos, etc., tout cela peut avoir composé une somme dépassant quatre cents talents, somme qui, ajoutée aux six cents talents de tribut, ferait le total nommé par Xénophon. Mais un vers d’Aristophane[9], pendant la neuvième année de la guerre du Péloponnèse (422 av. J.-C.), porte le total général de cette somme à près de deux mille talents ; c’est selon toute probabilité beaucoup au-dessus de la vérité, bien que nous puissions raisonnablement croire que le montant de l’argent levé en tribut sur les alliés avait été augmenté pendant l’intervalle. Je pense que la duplication alléguée du tribut par Alkibiadês, que Thucydide ne mentionne nulle part, n’est appuyée par aucune bonne preuve, et je ne puis croire non plus qu’il soit jamais parvenu à la somme de douze cents talents[10]. Toutefois, quelle que puisse avoir été la grandeur réelle du budget athénien avant la guerre du Péloponnèse, nous savons que pendant la plus grande partie de l’administration de Periklês, le revenu comprenant le tribut fut administré de manière à laisser annuellement un surplus considérable, au point qu’un trésor d’argent monnayé fut amassé dans l’acropolis pendant les années qui précédèrent la guerre du Péloponnèse, — trésor qui, lorsqu’il était à son maximum, atteignit la grosse somme de neuf mille sept cents talents, (= 55.750.000 fr.), et était encore dé six mille talents, après une sérieuse saignée qu’on y fit pour divers desseins, au moment où cette guerre commença[11]. Ce système d’économie publique, de mettre constamment de côté une somme considérable année par année, — qu’Athènes suivit seule, puisque aucun des Etats péloponnésiens n’avait de réserve publique quelconque[12], suffit seul pour justifier Periklês de l’accusation d’avoir gaspillé l’argent public dans des distributions nuisibles, en vue d’obtenir de la popularité, et aussi pour décharger le dêmos athénien du reproche d’un désir avide de vivre aux dépens du trésor public, reproche qu’on avance ordinairement contre lui. Après la mort de Kimôn, il n’y eut plus d’expéditions entreprises contre les Perses. Même pendant quelques années avant sa mort, il ne paraît pas qu’il ait été fait grand’chose. L’argent du tribut resta ainsi sans être dépensé, et fut mis en réserve, ainsi que le prescrivaient les devoirs d’Athènes, comme présidant la confédération, contre une attaque future, qui pouvait à tout moment être renouvelée.

Lien que nous ignorions le montant exact des autres sources du revenu athénien, nous savons cependant que le tribut reçu des alliés en était l’article le plus considérable[13]. Et l’exercice de l’empire au dehors devint tout à la fois un trait saillant dans la vie athénienne et une nécessité pour le sentiment athénien, non moins que la démocratie à l’intérieur. Athènes ne fut plus, comme elle l’avait été jadis, une seule cité, avec l’Attique pour territoire. Elle fut cité capitale ou souveraine, — cité despote, telle était l’ex-pression employée par ses ennemis et quelquefois même par ses propres citoyens[14], — avec de nombreuses dépendances attachées à elle et obligées de se conformer à ses ordres. Telle était la manière dont non seulement Periklês et les autres principaux hommes d’État, mais même le plus humble citoyen athénien, concevaient la dignité d’Athènes. C’était un sentiment qui entraînait avec lui et un orgueil personnel et un stimulant pour un patriotisme actif. Établir des intérêts athéniens dans les territoires dépendants était un objet important aux yeux de Periklês. Tout en décourageant toute entreprise éloignée[15] et téméraire, telles que les invasions d’Egypte ou de Kypros, il établissait au dehors de nombreux Klêruchi et des colonies de citoyens athéniens, entremêlées d’alliés, dans des îles ou sur des parties de la côte. Il conduisit mille citoyens à la Chersonèse de Thrace, cinq cents à Naxos et deux cent cinquante à Andros. Dans la Chersonèse, il repoussa en outre les envahisseurs thraces barbares venus du dehors, et même entreprit le travail de mener un mur de défense en travers de l’isthme qui rattachait la péninsule à la Thrace ; vu que les tribus thraces barbares, bien que chassées quelque temps auparavant par Kimôn[16], avaient continué encore à renouveler leurs incursions de temps à autre. Depuis l’occupation du premier Miltiadês, environ quatre-vingts ans auparavant, il y avait toujours eu dans cette péninsule beaucoup de propriétaires athéniens, entremêlés probablement de Thraces à demi civilisés : les colons acquirent alors tant une force numérique plus grande qu’une protection plus assurée, bien qu’il ne paraisse pas que le mur transversal fût conservé d’une manière permanente. Les expéditions maritimes de Periklês s’étendirent même jusque dans le Pont-Euxin, aussi loin que l’importante cité grecque de Sinopê, gouvernée alors par un despote nommé Timesilaos, contre lequel une partie considérable des citoyens nourrissait un mécontentement actif. On laissa Lamachos avec treize trirèmes athéniennes pour aider à chasser le despote, qui fut exilé avec ses amis et ses partisans. Les biens de ces exilés furent confisqués et assignés à l’entretien de six cents citoyens athéniens, admis à une société et à une résidence égale avec les Sinopiens. Nous pouvons présumer qu’en cette occasion Sinopê devint membre de l’alliance tributaire athénienne, si elle ne l’avait pas été auparavant ; mais nous ne savons pas si Kotyora et Trapézonte, dépendances de Sinopê, plus à l’est, que les dix mille Grecs trouvèrent dans leur retraite cinquante années plus tard, existaient ou non du temps de Periklês. De plus, la flotte athénienne, nombreuse et bien équipée sous le commandement de Periklês, produisait un effet imposant sur les princes et les tribus barbares le long de la côte[17], contribuant certainement à la sécurité du commerce grec et probablement à l’acquisition de nouveaux alliés dépendants.

Ce fut par des actes successifs de cette sorte que maints détachements de citoyens athéniens furent établis dans diverses parties de l’empire maritime de la cité, — quelques-uns riches, plaçant leurs biens dans les îles comme étant plus en sécurité (grâce à l’incontestable supériorité d’Athènes sur mer) même que dans l’Attique, qui, depuis la perte de la Mégaris, ne pouvait être protégée contre une invasion péloponnésienne par terre[18], — d’autres pauvres et se louant comme ouvriers[19]. Les îles de Lemnos, d’Imbros et de Skyros, aussi bien que le territoire d’Estiæa, au nord de l’Eubœa, furent complètement occupées par des propriétaires et des citoyens athéniens ; d’autres endroits furent occupés partiellement ainsi. Et il fut sans doute avantageux aux insulaires de s’associer avec les Athéniens dans des entreprises commerciales, puisque par là ils avaient plus de chance d’être protégés par la flotte athénienne. Il parait qu’Athènes faisait par occasion des règlements pour le commerce de ses alliés dépendants, comme nous le vouons par ce fait que, peu de temps avant la guerre du Péloponnèse, elle excluait les Mégariens de tous leurs ports. Les relations commerciales entre Peiræeus et la mer Ægée atteignirent leur maximum pendant l’intervalle qui précéda immédiatement la guerre du Péloponnèse. Ces relations ne furent pas limitées au pays situé à l’est et au nord de l’Attique ; elles s’étendirent aussi jusqu’aux régions occidentales. Les établissements les plus importants fondés par Athènes pendant cette période furent Amphipolis en Thrace et Thurii en Italie.

Amphipolis fut établie par une colonie d’Athéniens et d’autres Grecs, sous la conduite de l’Athénien Agnôn, en 437 avant J.-C. Elle était située près du fleuve Strymôn en Thrace, sur la rive orientale, et à l’endroit où le Strymôn reprend son cours comme fleuve, après être sorti du lac situé au-dessus. C’était primitivement un municipe ou établissement des Thraces Edoniens, appelé Ennea Hodoi ou les Neuf-Routes, — dans une situation doublement importante, tant parce qu’elle était voisine du pont du Strymôn que parce que c’était un centre commode pour le bois propre aux constructions navales et pour les mines d’or et d’argent de la région avoisinante. Il était éloigné d’environ trois milles (4 kil. 800 m.) de la colonie athénienne d’Eiôn, à l’embouchure du fleuve. Les essais malheureux faits antérieurement pour former des établissements aux Ennea Hodoi ont été déjà mentionnés, — d’abord celui d’Histiæos le Milésien, suivi par son frère Aristagoras (vers 497-496 av. J.-C.), ensuite celui des Athéniens, vers 465 avant J.-C., sous Leagros et autres, — et, dans ces deux occasions, les colons qui voulaient s’introduire dans le pays avaient été défaits et chassés par les tribus thraces indigènes, bien que, dans la seconde, le nombre envoyé par Athènes ne fùt pas au-dessous de dix mille[20]. Une perte si sérieuse détourna pendant longtemps les Athéniens de la pensée de renouveler la tentative. Mais il est très probable que des citoyens athéniens individuellement d’Eiôn et de Thasos s’associèrent avec de puissantes familles thraces, et finirent de cette manière par être engagés activement dans l’exploitation des mines, — à leur grand profit en particulier, aussi bien qu’au profit de la cité collectivement, puisque les biens des Klêruchi, ou citoyens athéniens occupant des terres coloniales, étaient soumis aux taxes directes dans le cas où l’on en imposait sur la propriété en général. Parmi ces aventuriers heureux, nous pouvons compter l’historien Thucydide -lui-même : il descendait vraisemblablement de parents athéniens unis par mariage avec des Thraces, et lui-même il épousa une femme soit thrace ; soit appartenant à une famille de colons athéniens de cette contrée, par laquelle il devint possesseur de biens considérables clans lés mines, aussi bien que d’une grande influence dans les districts d’alentour[21]. Ce fut l’un des divers moyens par lesquels le pouvoir collectif d’Athènes mit ses principaux citoyens en état de s’enrichir individuellement.

La colonie sous Agnôn, envoyée d’Athènes l’année 437 avant J.-C., parait avoir été à la fois nombreuse et bien appuyée, en ce qu’elle conquit et conserva l’importante position des Ennea Hodoi, malgré le formidable voisinage de ces Edoniens qui avaient déjoué les deux précédents essais. Son nom d’Ennea Hodoi fut changé en celui d’Amphipolis, — la colline sur laquelle était située la nouvelle ville étant bornée de trois côtés par le fleuve. Les colons semblent avoir été d’extraction mêlée, ne comprenant pas d’Athéniens dans une proportion considérable. Quelques-uns étaient de race chalkidique, d’autres venaient d’Argilos, cité grecque colonisée par Andros ; qui possédait le territoire sur la rive occidentale du Strymôn, immédiatement en face d’Amphipolis[22], et qui était comprise au nombre des sujets alliés d’Athènes. Amphipolis, rattachée à la mer par le Strymôn et le port d’Eiôn, devint la plus importante de toutes les dépendances athéniennes par rapport à la Thrace et à la Macedonia.

La colonie de Thurii, sur la côte du golfe de Tarente en Italie, près de l’emplacement et sur le territoire de l’ancienne Sybaris, fut fondée par Athènes environ sept ans avant Amphipolis, peu de temps après la conclusion de la trêve de Trente ans avec Sparte, en 443 avant J :-C. Depuis la destruction de l’ancienne Sybaris par les Krotoniates, en 509 avant J.-C., son territoire était resté en grande partie sans application déterminée. Les descendants des anciens habitants, dispersés à Laos et dans les autres portions du territoire, n’étaient pas assez forts pour établir une nouvelle cité : et il ne convenait pas non plus aux vues des Krotoniates de le faire. Toutefois, après un intervalle de plus de soixante ans, pendant lequel quelques colons thessaliens avaient fait une tentative malheureuse d’occupation, ces Sybarites finirent par déterminer les Athéniens à entreprendre et à protéger la nouvelle colonisation : la proposition ayant été faite en vain aux Spartiates. Lampôn et Xenokritos, dont le premier était prophète et interprète d’oracles, furent envoyés par Periklês avec dix vaisseaux comme chefs de la nouvelle colonie de Thurii, fondée sous les auspices d’Athènes. Les colons, réunis de toutes les parties de la Grèce, comprenaient des Dôriens, des Ioniens, des insulaires, des Bœôtiens, aussi bien que des Athéniens. Mais les descendants des anciens Sybarites obtinrent d’être traités comme citoyens privilégiés, monopolisant pour eux-mêmes la possession des pouvoirs politiques aussi bien que les terres les meilleures dans le voisinage immédiat des murs ; tandis que leurs épouses aussi s’arrogeaient une prééminence blessante sur les autres femmes de la cité dans les processions religieuses publiques. Cet esprit de privilège et de monopole parait avoir été une manifestation fréquente dans les anciennes colonies, et souvent fatale soit à leur tranquillité, soit à leur développement ; parfois à tous deux. Dans le cas de la ville de Thurii, fondée sous les auspices de la démocratique Athènes, il n’était pas probable qu’il eût un succès durable. Tt nous trouvons qu’après un assez court espace de temps, la majorité des colons se soulevèrent contre les .Sybarites privilégiés, les tuèrent bu les chassèrent, et partagèrent le territoire entier de la cité sur des bases égales entre les colons de toutes les différentes races. Cette révolution leur permit de faire la pais avec les Krotoniates, qui probablement avaient été hostiles tant que leurs anciens ennemis les Sybarites étaient maîtres de la ville et seraient dans le cas d’appliquer ses forces au dessein de venger la défaite de leurs ancêtres. Et à partir de ce temps la cité, gouvernée démocratiquement, parait avoir fleuri constamment et sans dissensions intestines pendant trente ans, jusqu’à ce que les désastres ruineux des Athéniens devant Syracuse amenassent le renversement du parti athénien à Thurii. Combien la population de Thurii était mélangée, c’est ce dont nous pouvons juger par les dénominations des dix tribus ; — tel était le nombre des tribus établies, d’après le modèle d’Athènes : — Arkas, Achaïs, Eleia, Bœôtia, Amphiktyonis, Dôris, Ias, Athenaïs, Euboïs, Nesiôtis. Ce mélange de races les empochait de s’accorder pour reconnaître ou honorer un Œkiste athénien, et en général aucun Œkiste, si ce n’est Apollon[23]. Le général spartiate Kleandridas, banni peu d’années auparavant pour s’être laissé gagner par Athènes avec le roi Pleistoanax, se retira à Thurii et fut nommé général des citoyens dans leur guerre contre Tarente. Cette guerre fut définitivement terminée par la fondation commune de la nouvelle cité d’Hêrakleia, située à mi-chemin entre les deux peuples, — dans le fertile territoire appelé Siritis[24].

La circonstance la plus intéressante relative à Thurii, c’est que le rhéteur Lysias et l’historien Hérodote y furent tous deus domiciliés comme citoyens. La cité était rattachée à Athènes, seulement toutefois, comme il est vraisemblable, par un faible lien : elle n’était pas comptée parmi les alliés sujets et tributaires[25]. De la circonstance qu’une si faible proportion des colons à Thurii étaient des Athéniens indigènes, nous pouvons conclure qu’il y avait peu de ces derniers a cette époque qui fussent disposés à se placer si loin en dehors des relations avec Athènes, — même bien que tentés par la perspective de lots de terre dans un territoire fertile et plein de promesses. Et Periklês était probablement désireux que ces pauvres citoyens, pour lesquels une émigration était à souhaiter, devinssent plutôt klêruchi dans quelques-unes des îles ou quelques-uns des ports de la mer ~Egée, où ils serviraient (à l’instar des colonies de Rome) comme une sorte de garnison pour soutenir l’empire athénien[26].

Les quatorze années entre la trêve de Trente ans et l’explosion de la guerre du Péloponnèse, sont une période pendant laquelle Athènes exerce un empire maritime complet, — rencontrant, il est vrai, des résistances partielles, mais toujours inutiles. C’est une période de paix avec toutes les cités étrangères à son propre empire, et de magnifiques embellissements pour la cité elle-même, émanant du génie de Pheidias et d’autres, en sculpture aussi bien qu’en architecture.

Depuis la mort de Kimôn, Periklês était devenu, par degrés, mais entièrement, le premier citoyen de la république. Plus on connaissait ses qualités, et plus on les appréciait, et même les revers désastreux qui précédèrent la trêve de Trente ans ne l’avaient pas renversé, puisqu’il avait protesté contre l’expédition de Tolmidês en Bœôtia qui en fut la première cause. Mais si l’influence personnelle de Periklês avait grandi, le parti qui lui était opposé semble être devenu plus fort et mieux organisé qu’auparavant, et avoir un chef à tous égards plus puissant que Kimôn, — Thukydidês, fils de Melêsias. Le nouveau chef était proche parent de Kimôn, mais d’un caractère et de talents plus analogues à ceux de Periklês ; il était homme d’Etat et orateur plutôt que général, bien que compétent pour les deux fonctions, si l’occasion l’exigeait, comme devait l’être à cette époque tout homme à la tête dés affaires. Sous Thukydidês, l’opposition politique et parlementaire contre Periklês prit un caractère constant et une organisation tels que Kimôn, avec ses aptitudes exclusivement militaires, n’avait jamais pu en établir de pareils. Les membres du parti aristocratique dans la république, — les honorables et respectables citoyens, comme nous les trouvons appelés, en adoptant leur propre nomenclature, — s’imposaient dès lors l’obligation d’une régularité constante dans leur présence à l’assemblée publique, où ils siégeaient dans une section particulière, de manière à être séparés du Dêmos d’une façon marquée. Ainsi, leurs applaudissements et leur désapprobation, les encouragements qu’ils se donnaient mutuellement, la distribution de rôles qu’ils faisaient à différents orateurs, étaient rendus plus utiles aux desseins de parti qu’ils ne l’avaient été auparavant, quand ces personnes distinguées étaient mêlées à la masse des citoyens[27]. Thukydidês lui-même était éminent comme orateur, inférieur seulement à Periklês, — peut-être même à peine inférieur à lui. Archidamos, nous dit-on, lui demandant lequel était le meilleur lutteur, de Periklês ou de lui, Thukydidês répondit : Même quand je le renverse, il nie qu’il soit tombé ; il en arrive à ses fins et fait changer d’avis ceux qui l’ont réellement vu tomber[28].

Une telle opposition, faite à Periklês avec la pleine licence que permettait une constitution démocratique, doit avoir été à la fois efficace et embarrassante. Mais la séparation marquée entre les chefs aristocratiques qu’introduisit Thukydidês, fils de Melêsias, contribua probablement à la fois à rallier la majorité démocratique autour de Periklês, et à aggraver l’amertume du conflit des partis[29]. Autant que nous pouvons reconnaître, les motifs de l’opposition, elle roulait en partie sur la politique pacifique de Periklês à l’égard des Perses, en partie sur ses dépenses pour l’ornement de la ville. Thukydidês prétendait qu’Athènes était déshonorée aux yeux des Grecs pour avoir attiré le trésor confédéré de Dêlos dans son acropolis, sous prétexte d’une sécurité plus grande, — et ensuite pour l’employer, non pas à poursuivre la guerre contre les Perses[30], mais à embellir Athènes de nouveaux temples et de statues coûteuses. A quoi Périclès répondait qu’Athènes avait pris sur elle l’obligation, en considération de l’argent du tribut, de protéger ses alliés et d’éloigner d’eux tout ennemi étranger, — qu’elle avait accompli complètement cet objet pour le moment, et conservé une réserve suffisante pour garantir la même sécurité dans l’avenir, — qu’au milieu de telles circonstances, elle ne devait aucun compte à ses alliés de la dépense du surplus, mais était libre de l’employer dans des vues utiles et honorables pour la cité. A ce point de vue, c’était un objet d’une grande importance publique, que de rendre Athènes imposante aux yeux, tant des alliés que de la Hellas en général, par des fortifications améliorées, — par des embellissements accumulés en sculpture et en architecture, — et par des fêtes religieuses fréquentes, magnifiques, musicales et poétiques.

Telle fut la réponse faite par Périclès pour défendre sa politique contre l’opposition à la tête de laquelle était Thukydidês. Et à considérer les raisons du débat des deux côtés, la réponse était parfaitement satisfaisante. Car, si l’on songe a la somme très considérable que Periklês gardait continuellement en réserve dans le trésor, personne ne pouvait raisonnablement se plaindre que ses dépenses dans des rues d’embellissement allassent jusqu’à empiéter sur les exigences de la défense. Ce sur quoi Thukydidês et ses partisans paraissent avoir insisté, c’était que ce fonds commun continuât encore à être dépensé en guerre agressive contre le roi de Perse, en Égypte et ailleurs, — conformément aux projets poursuivis par Kimôn pendant sa vie[31]. Mais Periklês avait raison de prétendre qu’une telle dépense aurait été simplement ruineuse ; d’aucune utilité ni pour Athènes, ni pour ses alliés, tout en entraînant avec elle toutes les chances d’une défaite lointaine semblable à celle qu’on avait déjà essuyée en Égypte peu d’années avant. L’armée persane était déjà tenue à distance tant des eaux de la mer Ægée que de la côte d’Asie, soit par les stipulations du traité de Kallias, soit (si ce traité est supposé apocryphe) par une conduite qui était la même en pratique que celle que ces stipulations auraient imposée. Les alliés, il est vrai, auraient eu quelque motif de plainte contre Periklês, soit pour ne pas réduire le montant du tribut exigé d’eux, en voyant qu’il était plus que suffisant pour les desseins légitimes de la confédération, — soit pour n’avoir pas recueilli leur sentiment positif quant au mode d’en disposer. Mais nous ne trouvons pas que tel ait été l’argument adopté par Thukydidês et par son parti ; et il n’était pas non plus fait pour trouver faveur soit auprès des aristocrates, soit auprès des démocrates de l’assemblée athénienne.

Si nous admettons l’injustice que commettait Athènes ; — injustice commune aux deux partis dans cette cité, non moins à Kimôn qu’à Periklês, — en agissant en despote et non en chef, et en discontinuant tout appel au concours actif et dévoué de ses nombreux alliés, nous trouverons que les plans de Periklês étaient néanmoins éminemment panhelléniques. En fortifiant et en embellissant Athènes, en développant la pleine activité de ses citoyens, en multipliant les temples, les offrandes religieuses, les oeuvres d’art, les fêtes solennelles, offrant toits un attrait supérieur, — il projetait de l’élever à quelque chose de plus grand qu’une cité souveraine avec de nombreux alliés dépendants. Il désirait en faire le centre du sentiment grec, le stimulant de l’intelligence grecque, et le type d’un fort patriotisme démocratique combiné avec la pleine liberté des aspirations et du goût individuels. Il désirait non seulement conserver l’attachements des États sujets, mais attirer l’admiration et la déférence spontanée de voisins indépendants, de manière à procurer à Athènes un ascendant moral dépassant de beaucoup le cercle de son pouvoir direct. Et il réussit à élever la cité à une grandeur visible[32], qui la fit paraître même beaucoup plus forte qu’elle ne l’était réellement, — et qui eut ce nouvel effet d’adoucir clans l’esprit de ses sujets le sentiment humiliant de l’obéissance ; tandis qu’elle servait comme d’école normale, ouverte aux étrangers de tout pays, pour y apprendre l’action énergique, même soumise à la pleine licence de la critique, — les occupations élégantes économiquement poursuivies, — et un amour de connaissance sans affaiblissement du caractère. Telles furent les vues de Periklês par rapport à son pays, pendant les années qui précédèrent la guerre du Péloponnèse. Nous les trouvons consignées dans sa célèbre Oraison funèbre prononcée la première année de cette guerre, — exposé à jamais mémorable du sentiment et du plan de la démocratie athénienne, tels que les comprenait son président le plus capable.

. Cependant l’opposition faite par Thukydidês et par ‘sols parti à la dépense projetée fut si acharnée, — la scission des aristocrates et des démocrates devint si marquée et si violente, — que la dispute en arriva, après peu de temps, à cet appel suprême que fournissait la constitution athénienne pour le cas de deux chefs de parti opposés et presque égaux, — un vote d’ostracisme. Quant aux détails particuliers qui précédèrent cet ostracisme, nous les ignorons ; mais nous voyons clairement que la position générale était telle que celle que l’ostracisme était destiné à prévenir. Probablement le vote fut proposé par le parti de Thukydidês, afin d’obtenir le bannissement de Periklês, le personnage le plus puissant des deux et le plus propre à exciter la jalousie populaire. Le défi fut accepté par Periklês et par ses amis, et le résultat du vote fut tel qu’une majorité légale suffisante condamna Thukydidês à l’ostracisme[33]. Et il semble que la majorité doit avoir été très prononcée, car le parti de Thukydidês fut complètement brisé par ce vote. Nous n’entendons pas parler d’un seul autre individu aussi formidable, comme chef d’opposition, pendant tout le reste de la vie de Periklês.

L’ostracisme de Thukydidês fut prononcé apparemment environ deux années[34] après la conclusion de la trêve de Trente ans (443-442 av. J.-C.) et c’est à la période qui suit immédiatement qu’appartiennent les grands travaux de Periklês. Le mur méridional de l’acropolis avait été bâti au moyen des dépouilles apportées par Kimôn de ses expéditions en Perse ; mais le troisième des Longs Murs rattachant Athènes au port fut proposé par Periklês : à quel moment précis ? nous l’ignorons. Les Longs Murs achevés dans l’origine (peu après la bataille de Tanagra, comme je l’ai déjà dit) étaient au nombre de deux, l’un allant d’Athènes à Peiræeus, l’autre d’Athènes à Phalêron : l’espace qui les séparait était large, et si un ennemi en était maître, la communication avec Peiræeus était interrompue. En conséquence, Periklês engagea alors le peuple à construire un troisième mur, ou mur intermédiaire, courant parallèlement. au premier mur qui allait à Peiræeus, et séparé de lui par une faible distance[35] (vraisemblablement prés de 200 mètres) : de sorte que la communication entre la cité et le port était à l’abri de toute interruption possible, même en admettant que l’ennemi eût pénétré dans l’intérieur du mur phalêrique. Ce fut vraisemblablement vers cette époque aussi que furent construits les bassins et l’arsenal de Peiræeus, qui, suivant Isocrate, cogitèrent mille talents[36] ; tandis que la ville elle-même de Peiræeus fut refaite avec des rues droites se coupant à angles droits. C’était apparemment quelque chose de nouveau en Grèce, — les villes en général, et Athènes elle-même en particulier, ayant été construites sans aucune symétrie, sans rues larges ni continues[37]. Hippodamos le Milésien, homme doué de vastes connaissances dans la philosophie naturelle de l’époque, obtint beaucoup de renom comme le premier constructeur de villes, pour avoir disposé le Peiræeus sur un plan régulier. La place du marché, ou l’une d’elles du moins, porta son nom d’une manière permanente, — l’agora Hippodamienne[38]. A une époque où tant de grands architectes déployaient leur génie dans la construction de temples, nous ne sommes pas surpris d’apprendre que la construction des villes commença aussi à être régularisée. De plus, on nous dit que la nouvelle ville coloniale de Thurii, où se rendit Hippodamos comme colon, fut également construite dans la même forme systématique quant aux rues droites et larges[39].

Le nouveau plan sur lequel le Peiræeus fut disposé n’était pas sans valeur comme preuve visible de la grandeur navale d’Athènes. Mais les édifices élevés dans la ville même et sur l’acropolis firent la gloire réelle du siècle de Periklês. Un nouveau théâtre, appelé Odéon, fut construit pour des représentations musicales et poétiques à la grande solennité panathénaïque ; ensuite, le magnifique temple d’Athênê, appelé le Parthénon, avec tous ses chefs-d’œuvre de sculpture, de décoration, ses frises et ses bas-reliefs ; enfin, les coûteux portiques érigés pour orner l’entrée de l’acropolis, sur le côté occidental de la colline, et par lesquels étaient conduites les processions solennelles les jours de fête. 1l parait que l’Odéon et le Parthénon furent achevés tous les deux entre 445 et 437 avant J.-C. ; les Propylæa un an plus tard, entre 437 et 431 avant et c’est dans cette dernière année que commença la guerre du Péloponnèse[40]. On avança aussi la restauration ou la reconstruction de l’Erechtheion, ou ancien temple d’Athênê Polias, la déesse protectrice de la cité, — qui avait été brûlé dans l’invasion de Xerxès. Mais l’explosion de la guerre du Péloponnèse semble avoir empêché l’achèvement de ce monument aussi bien que du grand temple de Dêmêtêr à Eleusis, destiné à la célébration des mystères éleusiniens, — de celui d’Athênê à Sunion, — et de celui de Némésis à Rhamnonte. Et la sculpture ne fut pas moins mémorable que l’architecture. Trois statues d’Athênê, toutes de la main de Pheidias, décoraient l’acropolis, — l’une colossale de 14 mètres 425 millimètres, en ivoire, dans le Parthénon[41], — une seconde de bronze, appelée l’Athênê Lemnienne, — une troisième de grandeur colossale, également en bronze, nommée Athênê Promachos, placée entré les Propylæa et le Parthénon, et visible de loin, même au navigateur approchant du Peiræeus par mer.

Ce n’est pas naturellement à Periklês que revient la gloire, de ces magnifiques productions de l’art. Mais les grands sculpteurs et les grands architectes qui les conçurent et les exécutèrent appartenaient à cette même période dé la démocratie athénienne, qui faisait épanouir et stimulait les talents, et qui fit naître également le génie créateur dans l’éloquence, dans la poésie dramatique et clans la spéculation philosophique. Un homme en particulier, d’un nom immortel, — Pheidias, — né un peu avant la bataille de Marathôn, fut le premier esprit dans lequel les sublimes conceptions idéales de l’art pur paraissent s’être dégagées de cette raideur d’exécution et de cet attachement à un type consacré, qui marquèrent les efforts de ses prédécesseurs[42]. Il fut chargé de la haute direction et de la surveillance de tous ces embellissements nouveaux, par lesquels Periklês donnait à Athènes une majesté qui n’avait jamais appartenu auparavant à aucune cité grecque. Les architectes du Parthénon et des autres édifices, — Iktinos, Kallikratês, Korœbos, Mnesiklês et autres, — travaillaient d’après ses instructions ; et il avait, en outre, une école d’élèves et de subordonnés auxquels était confiée la partie matérielle de ses travaux. Si Pheidias contribua dans une si large mesure à la grandeur d’Athènes, sa dernière oeuvre, et la plus grande, fut achevée loin d’Athènes, — la statue colossale de Zeus, dans le grand temple d’Olympia, exécutée dans les années qui précédèrent immédiatement la guerre du Péloponnèse. Cette oeuvre colossale avait 18 mètres 287 millimètres de hauteur ; elle état d’ivoire et d’or, personnifiant dans une majesté visible quelques-unes des plus grandes conceptions de la poésie et de la religion grecques. Son effet sur les esprits de ceux qui la contemplèrent pendant plusieurs siècles successivement fut tel, qu’il n’a jamais été et probablement qu’il ne sera jamais égalé dans lès annales de l’art sacré ou profane.

A. ne considérer ces prodigieuses productions, dans le domaine de l’art, que sous leur rapport avec l’histoire athénienne et l’histoire grecque, ce sont des phénomènes d’une importance extraordinaire. Quand nous apprenons l’impression profonde qu’elles produisaient sur des spectateurs grecs d’une époque postérieure, nous pouvons juger de leur effet immense sur la génération qui les vit et commencer et se terminer. C’est dans l’année 480 avant J.-C. qu’Athènes avait été ruinée par l’occupation de Xerxès. Depuis cette époque, les Grecs avaient vu d’abord la reconstruction et la fortification de la ville sur une plus grande échelle, — ensuite, l’addition de Peiræeus avec ses bassins et ses magasins, — en troisième lieu, la réunion du port à la ville par les Longs Murs, renfermant ainsi la population concentrée la plus nombreuse, richesses, armes, vaisseaux, etc., qu’il y eût en Grèce[43], — enfin la création rapide de tant de nouvelles merveilles d’art, — les sculptures de Pheidias aussi bien que les peintures du peintre Thasien Polygnôtos, dans le temple de Thêseus, et dans le portique appelé Pœkilê (Pécile). Plutarque fait observer[44] que la célérité avec laquelle les travaux furent achevés était la circonstance la plus remarquable qui s’y rattachât ; et il est probable qu’il en fut ainsi, vu l’effet produit sur les Grecs contemporains. Les pas de géant grâce auxquels Athènes avait atteint sols empire maritime furent alors suivis immédiatement par une série d’œuvres qui la désignèrent comme la cité souveraine de la Grèce, ‘lui donnèrent une apparence de pouvoir qui dépassait même la réalité, et en particulier firent honte à la simplicité surannée de Sparte[45]. La dépense fut sans doute prodigieuse, et elle n’aurait pu être supportée que dans un temps on il y avait un trésor considérable dans l’acropolis, aussi bien qu’un fort tribut y entrant annuellement. Si nous pouvons nous fier à un calcul qui semble fondé sur des raisons plausibles, elle ne peut avoir été beaucoup au-dessous de 3.000 talents en tout (environ 17.250.000 fr)[46]. L’emploi d’une si grosse somme fut naturellement une source de grand bénéfice particulier pour les entrepreneurs, les fournisseurs, les marchands, les artisans de tout genre, etc., qui y étaient intéressés. D’une manière ou d’une autre, elle se répartit sur une vaste portion de la cité entière. Et il parait que les matériaux employés pour une grande partie du travail furent à dessein de l’espèce la plus coûteuse, comme étant plus conforme au respect M aux dieux. On rejeta le marbre comme trop ordinaire pour la statue d’Athênê, et on employa l’ivoire à la place[47]. L’or même dont elle fut entourée ne pesait pas moins de quarante talents[48]. Une dépense considérable pour de tels desseins, regardée comme pieuse à l’égard des dieux, imposait en même temps au sentiment grec, qui regardait avec admiration toutes les formes de la pompe et de la magnificence publiques, et témoignait en retour un respect reconnaissant aux hommes riches qui se la permettaient. Periklês savait bien que la splendeur visible de .la cité, si nouvelle pour tous ses contemporains, ferait paraître plus grande encore sa grande puissance, et lui procurerait ainsi une influence réelle, bien que non reconnue — peut-être même un ascendant — sur toutes les cités du nom grec. Et il est certain que chez celles qui la haïssaient et la craignaient le plus, au moment où éclata la guerre du Péloponnèse, il régnait un sentiment puissant de déférence involontaire.

Une démarche faite par Periklês, apparemment peu de temps après le commencement de la trêve de Trente ares, prouve comme il visait directement à cet ascendant, et comme il le rattachait à des vues tant d’harmonie que d’utilité pour la Grèce en général. Il détermina le peuple à envoyer des ambassadeurs à toutes les cités du nom grec, grandes et petites, invitant chacune à nommer des députés pour un congrès qui serait tenu à Athènes. On devait discuter trois points dans ce congrès projeté. 1° Le rétablissement des temples qui avaient été brûlés par les envahisseurs perses. 2° L’accomplissement des voeux qui avaient été faits aux dieux dans cette occasion. 3° La sûreté de la mer et du commerce maritime pour tous.

On envoya de tous côtés vingt Athéniens âgés pour obtenir la convocation de ce congrès à Athènes, — congrès panhellénique pour des desseins panhelléniques. Mais ceux qui furent envoyés en Bœôtia et dans le Péloponnèse virent complètement échouer leur mission, à cause de la jalousie, nullement étonnante, de Sparte et de ses alliés. Quant aux autres États, nous n’apprenons rien à leur sujet ; car ce refus était tout à fait suffisant pour faire manquer tous les projets[49]. Nous devons faire remarquer que les alliés dépendant d’Athènes paraissent avoir été convoqués autant même que les cités absolument autonomes, de sorte que leur position de tributaires à l’égard d’Athènes n’était pas regardée comme une dégradation pour eux. Nous pouvons sincèrement regretter que ce congrès ne se soit pas tenu, en ce qu’il aurait ouvert quelques nouvelles chances de tendance convergente et d’alliance pour les fractions dispersées du nom grec, — avantage compréhensif qui n’était pas de nature à être accueilli à Sparte même comme projet, mais qui aurait pu se réaliser dans Athènes, et qui semble dans ce cas avoir été sincèrement recherché par Periklês. Toutefois, les événements du Péloponnèse firent évanouir tout espoir d’une telle union.

L’intervalle de quatorze ans entre le commencement de la trêve de Trente ans et celui de la guerre du Péloponnèse, ne fut nullement une période de paix tranquille pour Athènes. C’est dans la sixième année de cette période qu’éclata la formidable révolte de Samos.

Cette île paraît avoir été le plus puissant de tous les alliés d’Athènes[50]. Elle surpassait même Chios ou Lesbos, étant sur le même pied qu’elles deux, c’est-à-dire ne payant pas d’argent de tribut, — privilège en comparaison du corps des alliés, — mais fournissant des vaisseaux et des hommes quand on en demandait, et conservant, à cette condition, son autonomie complète, son gouvernement oligarchique, ses fortifications et ses forces militaires. Comme la plupart des autres îles voisines de la côte, Samos possédait une portion de territoire sur le continent asiatique, entre lequel et le territoire (le Milêtos était située la petite ville de Priênê, un des douze membres primitifs qui contribuaient à la solennité panionienne. Relativement à la possession de cette ville de Priênê, une guerre éclata entre les Samiens et les Milésiens, la sixième année de la trêve de Trente ans (440-439 av. J.-C.). La ville avait-elle été auparavant indépendante ? c’est ce que nous ignorons ; mais dans cette guerre les Milésiens furent battus, et elle tomba au pouvoir des Samiens. Les Milésiens, après leur défaite, inscrits comme ils l’étaient an nombre des alliés tributaires d’Athènes, se plaignirent à elle de la conduite des Samiens, et leur plainte fut appuyée par un parti, à Samos même, opposé à 1’oligarchie et à sa conduite. Les Athéniens requirent les deux cités qui avaient contestation d’apporter l’affaire à Athènes pour y être discutée et décidée. Mais les Samiens refusèrent, d’obéir[51] : alors on envoya d’Athènes vers cette île un armement de quarante vaisseaux, qui y établit un gouvernement démocratique, y laissa une garnison et transporta à Lemnos cinquante personnes et autant d’enfants des principales familles oligarchiques, pour servir d’otages. Toutefois, un certain nombre de ces familles se retirèrent sur le continent, où elles entrèrent en négociations avec Pissuthnês, le satrape de Sardes, afin de se procurer de l’aide et leur rétablissement. Ces oligarques obtinrent de lui sept cents hommes de troupes mercenaires, passèrent de nuit dans l’île, après s’être concertés à l’avance avec le parti oligarchique, et surprirent les démocrates samiens aussi bien que la garnison athénienne, qu’ils envoyèrent comme prisonniers à Pissuthnês. De plus, ils furent assez heureux pour réussir à enlever furtivement de Lemnos leurs propres otages qui .y avaient été récemment déposés, et ensuite ils se déclarèrent en révolte ouverte contre Athènes, révolte a laquelle se joignit aussi Byzantion. Il semble remarquable que, bien que par une telle conduite ils attirassent naturellement sur eux-mêmes toutes les forces d’Athènes, leur première démarche cependant ait été de reprendre des hostilités agressives contre Milêtos[52], vers laquelle ils cinglèrent avec une puissante armée de soixante-dix vaisseaux, dont vingt portaient des troupes.

Immédiatement au reçu de cette grave nouvelle, une flotte de soixante trirèmes, — probablement toutes celles qui étaient complètement en état de prendre la mer, — fut envoyée a Samos sous dix généraux, au nombre desquels étaient Periklês lui-même et le poète Sophokle[53], tous deux vraisemblablement compris dans les dix Stratêgi ordinaires de l’année. Mais il fut nécessaire d’employer seize de ces vaisseaux en partie à convoquer les contingents de Chios et de Lesbos, îles où Sophokle alla en personne[54] ; en partie à faire sentinelle à la hauteur de la côte de Faria dans le cas de l’arrivée de la flotte phénicienne, qui, disait-on, approchait ; de sorte qu’il ne restait à Periklês que quarante-quatre vaisseaux dans son escadre. Cependant il n’hésita pas à attaquer la flotte samienne, forte de soixante-dix vaisseaux, quand elle revenait de Milêtos, près l’île de Tragia, et il sortit victorieux de l’engagement. Bientôt il fut renforcé par quarante vaisseaux d’Athènes et par vingt-cinq de Chios et de Lesbos, de sorte qu’il fut en état de débarquer à Samos, où il vainquit les forces de terre samiennes et bloqua le port avec une portion de sa flotte, entourant la ville du côté de la terre par une triple muraille. Pendant ce temps-là les Samiens avaient envoyé Stesagoras avec, cinq vaisseaux pour presser l’arrivée de la flotte phénicienne, et le bruit de leur approche prit de nouveau tant de consistance, que Periklês se vit obligé d’emmener soixante vaisseaux (du nombre total de cent vingt-cinq) pour la surveiller à la hauteur de la côte de Kaunos et de Faria, où il croisa pendant environ quatorze jours. La flotte phénicienne[55] ne vint jamais en vue, bien que Diodore affirme qu’elle était réellement en marche. Il parait certain que Pissuthnês l’avait promise et que les Samiens l’attendirent. Cependant j’incline à croire que, bien que disposé à soutenir des espérances et à encourager la révolte parmi les alliés athéniens, le satrape ne voulut pas violer ouvertement la convention de Kallias, qui interdisait aux Perses d’envoyer une flotte à l’ouest du promontoire Chélidonien. Toutefois, le départ de Periklês affaiblit tellement la flotte athénienne à la hauteur de Samos, que lés Samiens, sortant soudain de leur port, dans un moment favorable, à l’instigation et sous les ordres de l’un de leurs plus éminents citoyens, le philosophe Melissos, — surprirent et mirent hors de combat l’escadre de blocus, et même remportèrent une victoire sur le reste de la flotte, avant que les vaisseaux eussent pu être complètement dégagés de la terre[56]. Pendant quatorze jours ils restèrent maîtres de la mer, faisant rentrer et sortir tout ce qu’ils jugeaient bon. Ce ne fut qu’au retour de Periklês qu’ils furent bloqués de nouveau. Toutefois il vint alors à l’escadre d’investissement de nombreux renforts, — d’Athènes, quarante vaisseaux sous Thukydidês[57], Agnan et Phormiôn, et vingt sous Tlepolemos et Antiklês, outre trente de Chios et de Lesbos, — faisant en tout près de deux cents voiles. Contre ces forces écrasantes Melissos et les Samiens firent une tentative inutile de résistance ; mais ils furent bientôt tout à fait bloqués, et restèrent dans cet état près de neuf mois, jusqu’à ce qu’il leur fl’1t impossible de tenir davantage. Alors ils capitulèrent et furent forcés de raser leurs fortifications, de livrer tous leurs vaisseaux de guerre, de donner des otages pour leur conduite future, et d’indemniser par payements partiels fixés de tous les frais de l’entreprise, qui montèrent, dit-on, à mille talents. Les Byzantins aussi firent leur soumission en même temps[58].

Deux ou trois circonstances méritent attention relativement à cette révolte, comme servant à expliquer l’état actuel de l’empire athénien. D’abord , c’est que toutes les forces d’Athènes, avec les contingents de Chios et de Lesbos, furent nécessaires pour l’écraser, de sorte qu’il parait qu’on laissa sans l’attaquer la ville de Byzantion, qui s’était jointe aux révoltés. Or il est remarquable qu’aucun des alliés dépendants près de Byzantion on ailleurs n’ait profité d’une opportunité si favorable pour se révolter aussi : fait qui semble impliquer évidemment qu’il régnait alors peu de mécontentement positif parmi eux. Si le soulèvement s’était étendu à d’autres cités, probablement Pissuthnês aurait réalisé sa promesse d’amener la flotte phénicienne, ce qui eût été une calamité sérieuse pour les Grecs de la mer Ægée, et qui ne fut écarté que parce que l’empire athénien fut maintenu intact.

En second lieu, les Samiens révoltés demandèrent du secours non seulement à Pissuthnês, mais encore à Sparte et à ses alliés ; dans une assemblée spéciale on débattit formellement la question de savoir si on accorderait ce secours ou si on le refuserait. Quoique la trêve de Trente ans subsistât alors, trêve dont six années seulement s’étaient écoulées, et qui n’avait été nullement violée par Athènes, — un grand nombre des alliés de Sparte furent d’avis qu’on assistât les Samiens. Quelle part Sparte elle-même prit-elle à ce vote ? c’est ce que nous ignorons ; — mais les Corinthiens furent les défenseurs principaux et prononcés pour la négative. Non seulement ils soutinrent que la trêve interdisait nettement d’accéder a la requête samienne, mais encore ils reconnurent le droit qu’avait chaque confédération de punir ses membres récalcitrants. Et ce fut là la décision qui finit par être adoptée, et qui, aux yeux d’Athènes, fit dans la suite honneur aux Corinthiens, comme en étant les principaux auteurs[59]. Certainement, si la politique contraire avait été poursuivie, l’empire athénien aurait pu être en grand danger, — la flotte phénicienne eût été probablement amenée aussi, — et le cours futur des événements changé considérablement.

En outre, après que Samos eut été reconquise, nous admettrions presque comme un fait certain que les Athéniens aient renouvelé le gouvernement démocratique qu’ils avaient établi précisément avant la révolte. Toutefois, s’ils le firent, il doit avoir été renversé de nouveau, sans qu’Athènes ait fait aucune tentative pour le relever. Car nous n’entendons guère, plus parler de Samos avant vingt-sept ans plus tard, vers la dernière période de la guerre du Péloponnèse, en 412 avant J.-C., et on la trouve alors avec un gouvernement oligarchique établi de Geomori ou propriétaires fonciers, contre lesquels le peuple se souleva avec succès dans le cours de cette année[60]. Comme Samos resta, pendant l’intervalle entre 439 et 412 avant J.-C., sans fortifications, privée de sa flotte, et inscrite au nombre des alliés d’Athènes soumis au tribut, — et comme néanmoins, ou elle conserva, ou elle acquit son gouvernement oligarchique, nous pouvons conclure qu’Athènes n’a pu intervenir systématiquement pour imposer par la violence la démocratie aux alliés sujets, dans des cas où la tendance naturelle des esprits allait à l’oligarchie. On verra que l’état de Lesbos à l’époque de sa révolte (qui sera racontée ci-après) confirme cette conclusion[61].

De retour à Athènes après avoir reconquis Samos, Periklês fut choisi pour prononcer l’oraison funèbre en l’honneur des citoyens tués dans la guerre, auxquels, suivant l’usage, on fit des obsèques solennelles et publiques dans le faubourg appelé Kerameikos (Céramique). Cette coutume parait avoir été introduite peu après la guerre des Perses[62], et contribuait sans doute à stimuler le patriotisme des citoyens, surtout quand l’orateur choisi pour la prononcer possédait la dignité personnelle aussi bien que les talents oratoires de Periklês. Deux fois le choix des citoyens le désigna comme orateur public pour prononcer une oraison funèbre, une fois après la victoire remportée sur Samos, et une seconde fois dans la première année de la guerre du Péloponnèse. Son discours dans la première occasion ne nous est point parvenu[63], mais le second, heureusement, a été conservé (en substance du moins) par Thucydide, qui décrit brièvement aussi la cérémonie funèbre, — sans doute la même clans toutes les occasions. Les ossements des guerriers morts étaient exposés dans des tentes trois jours avant la cérémonie, afin que les parents de chacun eussent l’occasion d’apporter des offrandes. Ils étaient ensuite placés dans des cercueils de cyprès et portés sur des chariots jusqu’au lieu de sépulture public au Kerameikos ; un cercueil pour chacune des dix tribus, et une couche vide, disposée exprès pour représenter les guerriers dont on n’avait pas découvert ou recueilli les ossements. Les parentes de chacun suivaient les chariots, poussant de profonds gémissements, et après elles venait une nombreuse procession tant de citoyens que d’étrangers. Aussitôt que les ossements avaient été confiés au tombeau, un citoyen distingué, choisi spécialement dans ce dessein, montait sur une estrade élevée, et adressait à la multitude un discours approprié. L’effet produit par celui de Periklês après l’expédition samienne fut tel, que, quant il eut fini, l’auditoire présent témoigna son émotion de la manière la plus vive et que les femmes en particulier le couronnèrent de fleurs comme un athlète victorieux[64]. Seulement Elpinikê, soeur de Kimôn décédé, lui rappela que lés victoires de son frère avaient été plus heureuses en tant que gagnées sur des Perses et des Phéniciens, et non sur des Grecs et des parents. Et le poète contemporain Iôn, l’ami de Kimôn, rapporta ce qu’il jugeait une inconvenante vanterie de Periklês, — à savoir, qu’Agamemnôn avait mis dix ans à prendre une cité étrangère, tandis que lui, en neuf mois, avait réduit la première et la plus puissante de toutes les communautés ioniennes[65]. Mais si nous possédions le discours prononcé réellement, nous trouverions probablement qu’il attribuait tout l’honneur de l’exploit à Athènes et à ses citoyens en général, en comparant favorablement leur fait d’armes avec celui d’Agamemnôn et de son armée, — et non lui-même avec Agamemnôn.

Quoi qu’on puisse penser de cette vanterie, il n’y a pas lieu de douter que le résultat de la guerre samienne non seulement n’ait délivré l’empire athénien d’un grand péril[66], mais ne l’ait rendu plus fort que jamais : tandis que la fondation d’Amphipolis, qui fut effectuée deux ans après, le fortifia encore plus. Nous n’entendons pas non plus parler, pendant les quelques années suivantes, d’autres tendances à la désaffection parmi ses membres, jusqu’à la période qui précéda immédiatement la guerre du Péloponnèse. Le sentiment commun parmi eux à l’égard d’Athènes semble n’avoir été ni de l’attachement ni de la haine, mais simplement de l’indifférence et un acquiescement à la suprématie. La somme de mécontentement positif, en tant qu’il existait réellement parmi eux, avait sa source non clans des maux réels soufferts, mais dans l’instinct politique de l’esprit grec en général, — le désir d’une autonomie séparée, qui se manifestait dans chaque ville par le parti oligarchique, dont Athènes tenait le pouvoir dans l’abaissement, — et qui était stimulé par le sentiment que leur communiquaient les communautés grecques en dehors de l’empire athénien. Suivant ce sentiment, la condition d’un allié sujet d’Athènes était considérée comme un état de dégradation et de servitude. A mesure que la crainte et la haine d’Athènes devinrent prédominantes chez les alliés de Sparte, ces derniers exprimèrent ce sentiment d’une manière de plus en plus énergique, de manière à encourager habilement le mécontentement parmi les sujets alliés de l’empire athénien. Maîtresse absolue de la mer, et possédant toute espèce de supériorité nécessaire pour exercer la domination sur les îles, Athènes n’avait cependant pas dans ses sujets de sentiment auquel elle pût faire appel, et qui fût fait pour rendre sa domination populaire, si ce n’est celui d’une démocratie commune, qui semble avoir agi d’abord sans qu’elle s’occupât de l’encourager, jusqu’à ce que les progrès de la guerre du Péloponnèse fissent de cet encouragement une partie de sa politique. Et même eût-elle essayé d’entretenir dans les alliés le sentiment d’un intérêt commun et l’attachement à une confédération permanente, l’instinct de la séparation politique aurait probablement déjoué tous ses efforts. Mais elle ne prit pas une telle peine. Avec la moralité ordinaire qui grandit dans l’esprit des possesseurs actuels du pouvoir, elle se crut autorisée à exiger l’obéissance comme en vertu d’un droit. Quelques-uns des orateurs athéniens dans Thucydide vont jusqu’à dédaigner toute raison fondée sur la légitimité de la puissance, même celle qu’on pourrait justement faire valoir ; ils font reposer la suprématie d’Athènes sur l’argument sans fard de la supériorité de force[67]. Comme la plupart des cités alliées avaient des gouvernements démocratiques, par l’influence indirecte plutôt que par la suggestion systématique d’Athènes, — chacune d’elles toutefois ayant sa propre aristocratie intérieure en état d’opposition, les mouvements de révolte contre Athènes partirent de l’aristocratie ou d’un petit nombre de citoyens isolés, tandis que le peuple, bien que partageant plus ou moins le désir d’autonomie, avait cependant soit la crainte de sa propre aristocratie, soit la sympathie pour Athènes, qui le faisait toujours reculer devant la révolte ; et quelquefois l’y rendait décidément contraire. A la vérité, ni Periklês ni Klêon ne s’appuyaient sur l’attachement du peuple en tant que distingué de celui du Petit Nombre dans les cités dépendantes. Mais Diodotos[68] insiste avec force sur l’argument dans la discussion relative à Mitylênê, après sa reddition ; et comme la guerre avançait, la question de l’alliance avec Sparte finit par s’identifier de plus en plus avec la prépondérance intérieure de la démocratie ou de l’oligarchie clans chacune d’elles[69].

Nous trouverons que dans la plupart des cas de révolte réelle dont nous connaissons les circonstances précédentes, la mesure est adoptée ou favorisée par un petit nombre de mécontents oligarchiques, sans consulter la voix générale ; tandis que dans les cas où l’assemblée générale est consultée à l’avance, il se manifeste, il est vrai, une préférence pour l’autonomie, mais rien qui ressemble à de la haine contre Athènes ou à une inclination prononcée à rompre avec elle. Dans le cas de Mitylênê[70], la quatrième année de la guerre, ce fut le gouvernement aristocratique qui se révolta, tandis que le peuple, aussitôt qu’il obtint des armes, se déclara réellement en faveur d’Athènes. Et la défection de Chios, le plus grand de tous les alliés, la douzième année de la guerre du Péloponnèse, — même après tous les maux que les alliés avaient été appelés à souffrir pendant cette guerre, et après les désastres ruineux qu’Athènes avait essuyés devant Syracuse, — cette défection, disons-nous, fut à la fois préparée à l’avance et accomplie par des négociations secrètes de l’oligarchie de l’île, non seulement sans le concours, mais contre l’inclination du peuple lui-même[71]. C’est ainsi que la révolte de Thasos ne serait pas survenue, si la démocratie thasienne n’avait pas d’abord été renversée par l’Athénien Peisandros et par lès oligarques ses confédérés. De même, à Akanthos, à Amphipolis, à Mendê et dans ces autres dépendances athéniennes qui furent enlevées à Athènes par Brasidas,-nous trouvons ce dernier introduit secrètement par un petit nombre de conspirateurs. La masse des citoyens ne le salue pas d’abord comme un libérateur, semblable à des hommes las de la suprématie athénienne : ils acquiescent, non sans débat, lorsque Brasidas est déjà dans la ville, et sa conduite, juste aussi bien que conciliante, gagne bientôt leur estime. Mais ni à Akanthos ni à Amphipolis il n’eût été admis par la libre décision des citoyens, s’ils n’avaient craint pour la sûreté de leurs amis, de leurs biens et de leur récolte, encore exposée dans les campagnes hors des murs[72]. Ces exemples particuliers nous autorisent à affirmer que, bien que l’oligarchie dans les diverses cités alliées désirât ardemment secouer la suprématie d’Athènes, le peuple reculait toujours à la suivre, quelquefois même lui était opposé, et était à peine jamais disposé à faire des sacrifices dans ce but. Il partageait l’amour universel chez les Grecs pour une autonomie séparée[73], et sentait l’empire athénien comme une pression étrangère dont il aurait été content de se délivrer, lorsque le changement pourrait se faire avec sûreté. Mais sa position n’était pas positivement pénible, et il ne fermait pas les yeux sur le côté hasardeux d’un pareil changement, — en partie à cause de la main coercitive d’Athènes — en partie à cause de nouveaux ennemis contre lesquels Athènes l’avait protégé jusque-là, — et non moins à cause de sa propre oligarchie. Naturellement, les différentes cités alliées n’étaient pas toutes animées des mêmes sentiments, quelques-unes ayant plus d’éloignement pour Athènes que d’autres.

Les manières particulières dont la suprématie athénienne pesait sur les alliés et excitait des plaintes, paraissent avoir été surtout au nombre de trois. 1° Le tribut annuel. 2° Les empiétements ou autres méfaits commis par des Athéniens individuellement, qui profitaient de la supériorité de leur position : citoyens ou établis au dehors par la cité en qualité de klêruchi (colons du dehors) sur les terres de ces alliés qui avaient été soumis, — ou servant dans les armements navals, — ou envoyés de ville en ville comme inspecteurs, — ou placés en garnison par occasion, — ou poursuivant quelque spéculation particulière. 3° L’obligation à laquelle les alliés étaient soumis d’apporter une partie considérable de leurs procès judiciaires devant les dikasteria à Athènes pour y être jugés.

Quant au tribut, j’ai fait remarquer auparavant que son montant n’avait été que peu élevé depuis qu’il avait été établi pour la première fois jusqu’au commencement de la guerre du Péloponnèse, époque à laquelle il était annuellement de six cents talents[74]. Il semble avoir été revu, et la répartition corrigée tous les cinq ans, époque à laquelle il est probable que les agents collecteurs étaient changés. Dans la suite, probablement, il devint plus onéreux, bien que nous ignorions quand ou dans quelle mesure ; mais sa duplication prétendue (comme je l’ai déjà fait remarquer) est à là fois non certifiée et improbable. On peut vraisemblablement affirmer le même accroissement graduel du second chef de désagrément, — les vexations causées aux alliés par des Athéniens individuellement, surtout par des officiers des armements, c’est-à-dire par des citoyens puissants[75]. Sans doute ce fut toujours plus ou moins un grief réel, à partir du moment où les Athéniens devinrent despotes au lieu de chefs. Mais il est probable qu’il ne fut très sérieux en étendue qu’après le commencement de la guerre du Péloponnèse, quand la révolte de la part dés alliés devint plus à craindre, et quand des garnisons, des inspecteurs et des vaisseaux destinés à recueillir le tribut furent plus essentiels dans le jeu de l’empire athénien.

 

À suivre

 

 

 



[1] Xénophon, Memorab., III, 5, 18.

[2] Thucydide, V, 30, au sujet de la confédération spartiate.

[3] Thucydide, II, 63.

[4] Plutarque, Periklês, c. 12.

[5] Plutarque, Periklês, c. 11.

[6] Aristophane, Vesp., 707.

[7] L’île de Kythêra fut conquise par les Athéniens sur Sparte en 425 avant J.-C., et le tribut annuel qui lui fut imposé alors était de quatre talents (Thucydide, IV, 57). Dans l’inscription n° 143, ap. Bœckh, Corp. inscr., nous trouvons énumérés quelques noms de villes tributaires avec le montant du tribut en face de chacune ; mais la pierre est trop endommagée pour nous instruire beaucoup. Tyrodiza, en Thrace, payait mille drachmes ; quelques autres villes, ou réunions de villes, qui ne sont pas faciles à discerner, sont taxées à mille, à deux mille, à trois mille drachmes, à lui talent, et même à dix talents. Cette inscription doit être antérieure à 413 avant J.-C., moment où le tribut fut converti en un droit de 5 p. 100 sur les importations et sur les exportations ; V. Bœckh, Public Econ. of Athens, et ses notes sur l’inscription mentionnée ci-dessus.

Athènes était dans l’habitude de ne pas toujours taxer chaque cité tributaire séparément, mais quelquefois d’en réunir plusieurs dans une taxation collective, chacune d’elles étant probablement responsable pour les autres. Ceci semble avoir provoqué à l’occasion des remontrances de la part des alliés, pour quelques-unes desquelles on demanda au rhéteur. Antiphôn le discours que les plaignants devaient prononcer devant le dikasterion : V. Antiphôn, ap. Harpocration, v. Άπόταξις — Συντελεϊς. Il est bien à regretter que les discours composés par Antiphôn pour les Samothrakiens et les Lindiens (ces derniers habitant l’une des trois villes séparées dans l’île de Rhodes) n’aient pas été conservés.

Depuis ma première édition, M. Bœckh a publié une seconde édition de son Économie politique des Athéniens, avec des additions et des augmentations importantes. Dans ces dernières sont comprises plusieurs inscriptions (publiées aussi pour la plupart dans les Antiquités helléniques de Rangabé) trouvées récemment à Athènes, et expliquant le tribut levé par l’ancienne Athènes sur ses alliés sujets. M. Bœckh a consacré plus de la moitié de son second volume (de la page 369 à la page 747) à un commentaire élaboré destiné à élucider ces documents.

Si nous avions eu la bonne fortune de recouvrer ces inscriptions complètes, nous aurions acquis une connaissance importante et authentique relativement au système du tribut chez les Athéniens. Mais on ne peut les lire que très imparfaitement, et elles exigent à chaque pas une restauration aussi bien qu’une interprétation conjecturale. Pour en tirer une idée logique du système entier, M. Bœckh a recours à plusieurs hypothèses, qui me paraissent plus ingénieuses que convaincantes.

Les pierres (ou du moins plusieurs d’entre elles) forment une série d’annales appartenant à des années successives on à d’autres périodes, gravées par les trente Logistæ ou auditeurs (Bœckh, p. 584). Le moment où elles commencent ne peut être déterminé d’une manière positive. Rangabé suppose que c’est dans l’Olymp. 82, 1 (452 avant tandis que Bœckh le place à une époque postérieure, — Olymp., 83, 2, 447 avant J.-C. (p. 594-596). Elles vont, dans son opinion, jusqu’en 406 avant J.-C.

Quant au montant du tribut exigé des alliés ou payé par eux, collectivement ou individuellement, ces inscriptions ne me paraissent fournir rien de certain ; elles varient d’une manière surprenante (comme Bœckh le fait observer p. 615, 626, 628, 646) dans les sommes placées vis-à-vis du même nom. Nous apprenons cependant quelque chose relativement à la classification des alliés sujets. Ils étaient répartis sous cinq chefs généraux : — 1° Tribut karien. 2° Tribut ionien. 3° Tribut insulaire. 4° Tribut hellespontique. 5. Tribut thrace. Sous le premier chef, karien, nous trouvons spécifiés 62 noms de cités ; sous le second, ionien, 42 noms ; sous le troisième, insulaire, 41 ; sous le quatrième, hellespontique, 50 ; sous le cinquième, thrace, 68. Le total de ces noms (en y en ajoutant quatre indéchiffrables non réunis à l’une ou à l’autre des classes) forme 267 noms de cités tributaires (Bœckh, p. 611). Indubitablement tous les noms de tributaires ne sont pas compris ici. Bœckh supposé qu’on peut se rapprocher du total réel en ajoutant un cinquième en plus, faisant en tout 334 tributaires (p. 663). Ceci offre un minimum probable, mais guère plus.

Il est fait allusion dans les inscriptions à certaines différences dans le mode de taxation. Quelques villes se taxent elles-mêmes, d’autres sont inscrites par de simples particuliers sur le rôle du tribut (p. 613-616). Ces deux chefs (qui se rencontrent dans trois inscriptions différentes) semblent indiquer une date postérieure de peu au premier établissement du tribut. Il parait que les Klêruchi athéniens ou citoyens résidant au dehors étaient comptés parmi les tributaires, et étaient imposés (autant qu’on peut le reconnaître) à la taxe la plus haute (p. 631).

Il y a un petit nombre d’inscriptions dans lesquelles la somme placée en face du nom de chaque cité est extrêmement élevée ; mais en général la comme consignée est si faible que, selon Bœckh, elle ne représente pas tout le tribut imposé, mais seulement la petite fraction (suivant lui 120) qui était payée comme cadeau casuel à la déesse Athênê. Son hypothèse à ce sujet ne repose pas, à mon avis, sur une bonne preuve, et je ne puis m’imaginer que ces inscriptions nous aident à découvrir l’agrégat réel du tribut levé. Il parle avec trop d’insistance du lourd fardeau dont ce tribut chargeait les alliés. Rien dans Thucydide n’autorise cette croyance ; en outré, nous savons distinctement par lui que jusqu’à l’année 413 avant J.-C., le tribut total était quelque chose de moins élevé que 5 p. 100 sur les importations et sur les exportations (Thucydide, VII, 28). De combien était-il au-dessous ? c’est ce que nous ignorons ; mais il n’atteignait certainement pas ce point. Mitford semble frappé de la légèreté de la taxe (V. une note dans cette histoire, tom. X, ch. 5). Il est possible que les impositions très élevées, qui paraissent sur quelques-unes des pierres annexées à quelques noms de tributaires insulaires, puissent se rapporter à une date postérieure à 413 avant J.-C. pendant les dernières années de la guerre, quand Athènes luttait au milieu des maux et des dangers les plus sérieux. Bœckh, p. 547 sqq.

[8] Xénophon, Anabase, VII, 1, 27 ; cf. Bœckh, Publ. Econ. of Athens, b. III, ch. 7, 15, 19.

[9] Aristophane, Vesp., 660.

[10] Des savants qui ont écrit de très excellentes choses sur l’antiquité athénienne (Bœckh, Publ. Econ. of Athens, c. 15, b. III ; Schoemann, Antiq. J. P. Att., sect. 74 ; K. F. Hermann, Gr. Staatsalterthümer, sect. 157 : cf. cependant un passage de Bœckh, ch. 17, 421, Trad. Angl., où il semble être d’un avis opposé) acceptent ce renseignement, que le tribut levé par Athènes sur ses alliés fut doublé quelques années après le commencement de la guerre du Péloponnèse (époque où il était de 600 talents), et qu’il arriva à monter à 1.200 talents. Néanmoins, je ne puis les suivre sur des preuves qui ne sont pas plus fortes qu’Æschine (Fals. Leg., c. 54, p. 301), Andocide, De Pace, c. I, s. 9) et Pseudo-Andocide, cont. Alkib., s. Il.

Andocide et Æschine, qui le copie, déclarent tous deux donner une esquisse générale, mais courte, de l’histoire athénienne pour le siècle qui suit l’invasion des Perses. Mais ils sont tellement remplis tous deux d’inexactitudes historiques et chronologiques, que nous pouvons difficilement accepter comme suffisante pour un fait important, leur autorité, quand elle est contredite par des probabilités négatives. Dans un chapitre précédent, j’ai déjà touché le vague extraordinaire de leurs renseignements, — signalé par divers commentateurs, et entre autres en particulier par M. Fynes Clinton : V. tom. VII, ch. 6.

L’assertion que le tribut des alliés athéniens fut élevé à la somme de 1.200 talents annuellement, nous vient seulement de ces orateurs comme premiers témoins ; et chez eux, elle fait partie d’un tissu de renseignements également confus et incorrects. Mais nous avons à y opposer un puissant argument négatif, — le silence absolu de Thucydide. Est-il possible que cet historien eût omis toute mention d’une mesure d’une si grande, importance dans ses effets, si Athènes l’avait réellement adoptée ? Il nous signale le changement opéré par Athènes du tribut de ses alliés en un droit de 5 p. 100 payable par eux sur leurs exportations et sur leurs importations (VII, 28), — c’était dans la dix-neuvième année de la guerre, — 413 avant J.-C. Mais quelque chose comme la duplication du tribut tout d’un coup aurait changé d’une manière bien plus considérable les relations entre Athènes et ses alliés, et aurait constitué dans l’esprit de ces derniers un grief réel capable d’aggraver les motifs de révolte d’une façon que Thucydide n’aurait guère manqué de mentionner. L’orateur Æschine rapporte l’augmentation du tribut jusqu’à 1.200 talents à l’époque qui suivit la paix de Nikias ; M. Bœckh (Publ. Econ. of Athens, b. III, ch. 15-19, p. 400-434) suppose qu’elle fut effectuée antérieurement à la représentation des Guêpes d’Aristophane, c’est-à-dire environ trois années avant cette paix, soit en 423 avant J.-C. Mais c’eût été précisément avant le temps de l’expédition de I3rasidas en Thrace, et du succès qu’il eut en excitant la révolte parmi les dépendances d’Athènes. Or, si Athènes avait doublé le tribut de tous ses alliés, justement avant cette expédition, Thucydide n’aurait pas omis de le mentionner, comme augmentant les chances de succès pour Brasidas, et aidant à déterminer les, résolutions quant à une révolte chez les Akanthiens et d’autres, résolutions qui ne furent nullement adoptées unanimement ni sans hésitation.

Quant au discours auquel je m’en réfère ici comme étant celui du Pseudo-Andocide contre Alkibiadês, j’ai fait quelques remarques dans le treizième chapitre du cinquième volume de cette histoire, p. 295, note 3, tendant à montrer qu’il est apocryphe et d’une époque de beaucoup postérieure à celle à laquelle il prétend appartenir. J’ajouterai ici une autre remarque qui me parait décisive, et qui va à la même conclusion.

Le discours déclare être prononcé dans une lutte d’ostracisme entre Nikias, Alkibiadês et l’orateur. Un des trois (dit-il) doit nécessairement être frappé d’ostracisme, et la question est de déterminer lequel des trois ; en conséquence, l’orateur insiste sur maintes raisons propres à donner une mauvaise impression d’Alkibiadês, et une impression favorable de lui-même.

L’une des accusations portées contre Alkibiadês, c’est qu’après avoir recommandé dans l’assemblée du peuple que les habitants de Mêlos fussent vendus comme esclaves, il avait lui-même acheté parmi les captifs une femme mélienne, dont il avait eu un fils ; il était criminel (dit l’orateur) d’avoir un enfant d’une femme dont il avait contribué à faire mettre les parents à mort et à ruiner la cité (c. 8).

Je ne m’occupe ici de cet argument que pour faire ressortir le point de chronologie. Le discours, s’il fut jamais prononcé, doit l’avoir été ;’au plus tôt, près d’une année après la prise de Melons par les Athéniens ; il peut être d’une date plus récente, mais il n’est pas possible qu’il soit d’une date plus reculée.

Or Mêlos se rendit pendant l’hiver qui précéda immédiatement la grande expédition des Athéniens en Sicile en 415 avant J.-C., expédition qui partit vers le milieu de l’été (Thucydide, V, 116 ; VI, 30). Nikias et Alkibiadês allèrent tous deux en qualité de commandants de cette expédition ; ce dernier fut rappelé à Athènes pour être cité en justice sous l’accusation d’impiété environ trois mois après ; mais il s’échappa en route pour Athènes, fut condamné et banni pendant son absence, et il ne retourna à Athènes qu’en 407 av. J.-C., longtemps après la mort de Nikias, qui continua à commander l’armement athénien en Sicile, jouissant de l’estime entière de ses compatriotes, jusqu’à son échec complet et sa ruine devant Syracuse, — et qui périt lui-même plus tard comme prisonnier syracusain.

Ln réunissant ces circonstances, on verra aussitôt qu’il n’y a pu jamais avoir une époque, dix mois où plus après la prise de Halos, où Nikias et Alkibiadês pussent avoir été exposés à un vote d’ostracisme à Athènes. La chose est absolument impossible ; et le discours qui renferme de telles incompatibilités historiques et chronologiques doit être apocryphe ; en outre, il a dû être composé longtemps après le temps où l’on prétend qu’il fut prononcé, quand la série chronologique des événements avait été oubliée.

Je puis ajouter que le conte de cette duplication du tribut par Alkibiadês est virtuellement contraire à l’assertion de Plutarque, empruntée probablement d’Æschine, qui dit que les démagogues élevèrent graduellement le tribut jusqu’à 1.300 talents (Plutarque, Aristeidês, c. 24).

[11] Thucydide, II, 13.

[12] Thucydide, I, 80. La prévoyance du peuple athénien, en s’abstenant de l’usage immédiat de l’argent public et en faisant une réserve pour des besoins futurs, serait démontrée d’une manière bien plus remarquable encore, si l’assertion de l’orateur Æschine était vraie, qu’on amassa 7.000 talents entre la paix de Nikias et l’expédition de Sicile. M. Bœckh ajoute foi à cette assertion, et dit : Il n’est pas impossible que mille talents aient pu être mis de côté chaque année, vu que le montant du tribut reçu était si considérable (Publ. Econ. of Athens, ch. 20, p. 446, Eng. Trans.). Pour moi, je n’y crois pas. M. Bœckh et d’autres, qui y croient, devraient en bonne justice l’opposer aux nombreuses remarques qu’ils font pour condamner la prodigalité démocratique.

[13] Thucydide, 1, 122-143 ; II, 13. La πεντηκοστή, ou droit de 2 p. 100 sur les importations et sur les exportations au Peiræeus, produisit à l’État un revenu de trente-six talents l’année où elle fut prise à ferme par Andocide, à peu près vers 400 avant J.-C., après que la démocratie à Athènes se releva de sa défaite et de son renversement à la fin de la guerre du Péloponnèse (Andocide, De Mysteriis, c. 23, p. 65). C’était à une époque d’abaissement dans les affaires athéniennes, et où le commerce était sans doute loin d’être si bon qu’il l’avait été pendant la première partie de cette guerre.

Il semble probable que ce droit a dû être la source permanente la plus considérable du revenu athénien après le tribut, bien que nous ne sachions pas à quel taux s’élevaient les droits de douane pendant la guerre du Péloponnèse. En comparant ensemble les deux passages de Xénophon (Republ. Athen., I, 17, et Aristophane, Vesp., 657), nous pouvons supposer que le taux régulier et habituel du droit était de 1 p. 100, ou une έκατοστή, — tandis qu’en cas de besoin il a pu être doublé ou triplé, (V. Bœckh, III, c 1. 1-4, p. 298-318, Trad. Ang.). Cependant le montant du revenu tiré même de cette source, ne peut avoir soutenu de comparaison avec le tribut.

[14] Par Periklês, cf. Thucydide, II, 63 ; par Kleôn, cf. Thucydide, III, 37 ; par les envoyés à Mêlos, V, 89 ; par Euphemos, VI, 85 ; par les Corinthiens hostiles, I, 124, comme une chose toute naturelle.

[15] Plutarque, Periklês, c. 20.

[16] Plutarque, Kimôn, c. 14.

[17] Plutarque, Periklês, c. 19, 20.

[18] Xénophon, Rep. Ath., II, 16. Cf. également Memorab., II, 8, 1, et Symposion, IV, 31.

[19] V. le cas de l’ouvrier libre et du laboureur à Naxos, Platon, Eutyphrôn, c. 3.

[20] Thucydide, I, 100.

[21] Thucydide, IV, 105 ; Marcellinus, Vit. Thucydide, c. 19. V. Rotscher, Leben des Thukydidês, c. 1, 4, p. 96, qui donne une généalogie de Thucydide, autant qu’on peut l’établir avec quelque probabilité. L’historien était uni par le sang à Miltiadês et à Kimôn, aussi bien qu’à Oloros, roi de l’une des tribus Thraces, dont la fille Hegesipylê fut l’épouse de Miltiadês, le vainqueur de Marathôn. De cette manière il appartenait donc à l’une des anciennes familles héroïques d’Athènes et même de la Grèce, étant Æakide par Ajax et Philæos (Marcellinus, c. 2).

[22] Thucydide, IV, 102 ; V, 6.

[23] Diodore, XII, 35.

[24] Diodore XII, 11, 12 ; Strabon, VI, 264 ; Plutarque, Periklês, c. 22.

[25] Les Athéniens ne prétendaient à aucun allié sujet au delà du golfe Ionien. Thucydide, VI, 14 ; cf. VI, 45, 104 ; VII, 34. Thucydide ne mentionne même pas Thurii, dans son Catalogue des alliés d’Athènes au commencement de la guerre du Péloponnèse (Thucydide, II, 15).

[26] Plutarque, Periklês, c. 11.

[27] Cf. le discours de Nikias, par rapport aux jeunes citoyens, partisans d’Alkibiadês siégeant ensemble près de ce dernier dans l’assemblée (Thucydide, VI, 13). V. aussi Aristophane, Ekklesiaz., 298 sqq., sur les partisans assis les uns auprès des autres.

[28] Plutarque, Periklês, c. 8.

[29] Plutarque, Periklês, c. 2.

[30] Plutarque, Periklês, c. 12.

Cf. le discours des Lesbiens et leurs plaintes contre Athènes, au moment de leur révolte dans la quatrième année de la guerre du Péloponnèse (Thucydide, III, I0), où une semblable accusation est mise en avant.

[31] Plutarque, Periklês, c. 20.

[32] Thucydide, I, 10.

[33] Plutarque, Periklês, c. II, 14. Voir, par rapport au principe de l’ostracisme, un remarquable incident à Magnêsia, entre deux rivaux politiques, Krêtinês et Hermeias, et les justes réflexions de Montesquieu, Esprit des Lois, XXVI, c. 17 ; XXIX, c. 7.

[34] Plutarque, Periklês, c. 16 ; toutefois l’indication du temps est vague.

[35] Platon, Gorgias, p.455, avec les Scholies ; Plutarque, Periklês, c. 13 ; Forchhammer, Topographie von Athen, in Kieler philologische studien, p. 279-282.

[36] Isocrate, Orat. VII ; Areopagit., p. 153, c. 27.

[37] V. Dikæarque, Vit. Græciæ, Fragm., éd. Fuhr, p. 140 ; cf. la description de Platée dans Thucydide, II, 3.

Les villes anciennes qui existent aujourd’hui dans les îles grecques ont toutes la même physionomie, — voies étroites, boueuses, tortueuses, — peu de lignes de maisons continues et régulières : V. Ross, Reisen in den Griechischen Iriseln, lettre XXVII, vol. II, p. 20.

[38] Aristote, Politique, II, 5, 1 ; Xénophon, Helléniques, II, 4, 1 ; Harpocration, v. Ιπποδάμεια.

[39] Diodore, XII, 9.

[40] Leake, Topography of Athens, append. II et III, p. 328-336, 2e édit.

[41] V. Leake, Topography of Athens, 2e édit. p. III, trad. allem. O. Müller (De Phidias Vitâ, p. 18) ne mentionne pas moins de huit statues célèbres d’Athênê, de la main de Pheidias, — quatre dans l’acropolis d’Athènes.

[42] Plutarque, Periklês, c. 13-15 ; O. Müller, De Phidias Vitâ, p. 34-60 ; et son ouvrage, Archæologie der Kunst, sect. 108-113.

[43] Thucydide, I, 80.

[44] Plutarque, Periklês, c. 13.

[45] Thucydide, I, 10.

[46] V. Leake, Topography of Athens, append. III, p. 329, 2e édit. trad. allem. Le colonel Leake, avec beaucoup de raison, soutient que la somme de 2.012 talents, que donne Harpocration, d’après Philochore, comme dépense des Propylæa seuls, doit être fort exagérée. M. Wilkins (Atheniensia, p. 84) exprime la même opinion, en faisant remarquer que le transport du marbre du Pentelikos à Athènes est aisé et sur une route qui descend. Démétrius de Phalère (ap. Cicéron, De Officiis, II, 17) blâmait Periklês pour la grosse somme consacrée aux Propylæa. Il n’est pas étonnant qu’il exprimât ce blâme, s’il axait été conduit à fixer la dépense faite pour ce monument à 2.012 talents.

[47] Valère Maxime, I, 7, 2.

[48] Thucydide, II, 13.

[49] Plutarque, Periklês, c. 17. Plutarque ne donne pas de date précise, et O. Müller (De Phidiæ Vitâ, p. 9) place ces démarches, pour la convocation d’un congrès, avant la première guerre entre Sparte et Athènes et la bataille de Tanagra, — i. e. avait 460 av. J.-C. Mais cette date me semble improbable : Thêbes n’avait pas encore vu sa puissance renaître, et la Bœôtia n’était pas encore remise des suites de son alliance avec les Perses ; de plus, ni Athènes ni Periklês lui-même ne semblent avoir été à cette époque en état de concevoir un si vaste projet, qui à tous égards convient beaucoup mieux pour la période postérieure, après la trêve de Trente-Ans, mais avant la guerre du Péloponnèse.

[50] Thucydide, I, 115 ; VIII, 76 ; Plutarque, Periklês, c. 28.

[51] Thucydide, I, 115 ; Plutarque, Periklês, c. 25. La plupart des assertions que l’on trouve dans ce chapitre de Plutarque (outre la narration concise de Thucydide) paraissent avoir été, empruntées de contes exagérés des partis à cette époque. Nous n’avons pas besoin de faire de remarque sur l’histoire, que Periklês fut amené à prendre parti pour Milêtos contre Samos, parce qu’Aspasia était native de cette dernière ville. Il n’est pas non plus du tout croyable que le satrape Pissuthnês, par bon vouloir pour Santos, ait offert à Periklês 10.000 statères d’or pour l’engager à épargner l’île. Toutefois il se peut qu’il soit vrai que l’oligarchie samienne ; et ces hommes riches dont il était probable que les enfants seraient emmenés comme otages, essayèrent l’effet de riches présents sur l’esprit de Periklês pour le décider à ne pas changer le gouvernement.

[52] Thucydide, I, 114, 115.

[53] Strabon, XIV, p. 638 ; Schol. Aristide, t. III, p. 485, Dindorf.

[54] V. les intéressants détails que raconte, relativement à Sophokle, le poète de Chios Iôn, qui le rencontra et conversa avec lui dans le cours de cette expédition (Athénée, XIII, p. 603). Il représente le poète comme ayant en société un charme et un agrément rares, mais comme nullement distingué en capacité active. Sophokle était à cette époque en faveur particulière, grâce au succès de sa tragédie d’Antigonê représentée l’année précédente. V. la chronologie de ces événements discutés et élucidés dans la dissertation de Bœckh mise en tête de d’Antigone, c. 6-9.

[55] Diodore, XI. 27.

[56] Plutarque, Periklês, c. 26. Plutarque semble avoir eu sous les yeux des récits relatifs à cette campagne simienne non seulement d’Ephore, de Stésimbrote et de Duris, mais encore d’Aristote. Et les renseignements de ce dernier ont dit différer ainsi beaucoup de Thucydide, en ce qu’il affirmait que pelisses, le général samien, avait vaincu Periklês lui-même, ce qui ne peut se concilier avec le récit de Thucydide.

L’historien samien Duris, qui vivait près d’un siècle après ce siège, semble avoir introduit bien des mensonges relativement aux cruautés d’Agnôn ; V. Plutarque, l. c.

[57] Il parait très improbable que ce Thukydidês puisse être l’historien lui-même. Si c’est Thukydidês fils de Melêsias, nous devons supposer qu’il fut rappelé d’ostracisme avant le temps régulier, — supposition dans le fait qui n’est nullement inadmissible en elle-même, mais qui n’est appuyée par aucune autre chose. L’auteur de la vie de Sophokle, aussi bien que la plupart des critiques modernes, adopte cette opinion.

D’autre part, il se petit qu’il y ait eu une troisième personne nommée Thukydidês ; car le nom semble avoir été commun, comme nous pouvions le deviner par les deux mots dont il est composé. Nous trouvons un troisième Thukydidês mentionné ; — VIII, 92, — natif de Pharsalos ; et le biographe Marcellin semble avoir là maintes personnes appelées ainsi (Θουκύδιδαι πολλοί, p. 16, éd. Arnold). L’histoire subséquente de Thukydidês, fils de 11lelèsias, est enveloppée d’une obscurité complète. Nous ne savons pas l’incident auquel fait allusion le remarquable passage d’Aristophane (Acharn., 703), — cf. Vespæ, 946 ; et nous ne pouvons pas confirmer le renseignement que cite le Scholiaste d’après Idomeneus, avançant que Thukydidês fût banni et s’enfuit chez Artaxerxés. V. Bergk, Reliq. Coin. Att., p. 61.

[58] Thucydide, I, 117 ; Diodore, XII, 27, 23 ; Isocrate, De Permutat., Or. XV, sect. 118 ; Cornelius Nepos, Vit. Timoth., c. 1.

L’assertion d’Éphore (V. Diodore, XII, 28, et Ephori Fragm., 117, éd. Marx, avec la note de Marx), que Periklês employa des machines de siège contre la ville, sous la direction du Klazoménien Artemôn, était révoquée en doute par Héraclide de Pont, sur la raison qu’Artemôn était contemporain d’Anakréon, près d’un siècle auparavant ; et Thucydide représente Periklês comme ayant pris la ville complètement par blocus.

[59] Thucydide, I, 40, 41.

[60] Thucydide, VIII, 21.

[61] Cf. Wachsmuth, Hellenische Alterthumskunde, sect. 58, vol. II, p. 82.

[62] V. Westermann, Geschichte der Beredsamkeit in Griechenland und Rom ; Diodore, XI, 33 ; Denys d’Halicarnasse, A. R., V. 17.

Periklês, dans l’oraison funèbre conservée par Thucydide (II, 35-40) commence en disant : — La plupart de ceux qui avant moi ont pris ici la parole, ont fait un mérite au législateur d’avoir ajouté aux funérailles prévues par la loi l’oraison funèbre en l’honneur des guerriers morts à la guerre, etc.

Le Scholiaste, et d’autres commentateurs (K. F. Weber et Westermann entre autres), font diverses conjectures pour expliquer qui est l’homme célèbre désigné ici comme l’auteur de la coutume d’une oraison funèbre. Le Scholiaste dit Solôn ; Weber s’arrête à Kimôn ; Westermann à Aristeidês ; un autre commentateur à Themistoklês. Mais nous pouvons douter avec raison qu’aucun homme vraiment célèbre quelconque soit indiqué spécialement par les mots τόν προσθέντα. Louer l’auteur de la coutume, ce n’est rien de plus qu’une phrase pour louer la coutume elle même.

[63] Il semble que quelques fragments en étaient conservés à l’époque d’Aristote. V. son Traité De Rhetoricâ, I, 7 ; III, 10, 3.

[64] Cf. les démonstrations enthousiastes qui accueillirent Brasidas à Skiônê (Thucydide, IV, 121).

[65] Plutarque, Periklês, c. 28 ; Thucydide, II, 34.

[66] Un court fragment qui reste du poète comique Eupolis (Κόλακες, Fragm. XVI, p. 493, éd. Meineke), atteste l’anxiété qui régnait à Athènes au sujet de la guerre samienne, et la grande joie qu’on y ressentit quand l’île fut reconquise. Cf. Aristophane, Vesp., 283.

[67] Thucydide, III, 37, Il, 63. V. la conférence tenue dans file de Mêlos ; la seizième année de la guerre du Péloponnèse (Thucydide, V, 89 sqq.), entre les commissaires athéniens et les Méliens. Je pense cependant qu’on doit moins se fier à cette conférence comme ayant une base réelle qu’aux discours de Thucydide en général, — dont nous parlerons ci-après plus en détail.

[68] Thucydide, III, 47.

[69] V. les observations frappantes de Thucydide, III, 82, 83 ; Aristote, Politique, V, 6, 9.

[70] Thucydide, III, 27.

[71] Thucydide, VIII, 9-14. Il fait observer aussi, relativement à l’oligarchie thasienne qui venait d’être établie à la place de la démocratie antérieure par les conspirateurs oligarchiques athéniens, qui étaient alors en train d’organiser la révolution des Quatre Cents, à Athènes, — qu’elle fit immédiatement des préparatifs pour se révolter contre cette ville (VIII, 64).

[72] Thucydide, IV, 86, 88, 106, 123.

[73] V. l’important passage, Thucydide, VIII, 48.

[74] Xénophon, Repub. Ath., III, 5.

[75] Xénophon, Repub. Ath., I, 14.

Quelles sont les personnes désignées par l’expression έκπλέοντες, c’est ce qui parait spécifié plus particulièrement un peu plus loin (I, 18) ; elle signifie les généraux, les officiers, les ambassadeurs, etc., envoyés par Athènes.

Quant aux klêruchiæ, ou établissements au dehors de citoyens athéniens sur les terres d’alliés révoltés et reconquis, — nous pouvons faire remarquer qu’elles ne sont pas mentionnées comme grief dans ce traité de Xénophon, ni dans aucun des discours anti-athéniens de Thucydide. Elles paraissent cependant comme chefs d’accusation après la destruction de l’empire, et au moment où Athènes était en train de s’élever de nouveau à une position qui pouvait inspirer l’espoir de le voir revivre. Car à la tin de la guerre du Péloponnèse, qui fut aussi la destruction de l’empire, tous les klêruchiæ furent de nouveau chassés, forcés de revenir à Athènes, et privés de leurs biens au dehors, qui firent retour aux divers propriétaires insulaires. Ces derniers furent terrifiés à l’idée qu’Athènes pourrait dans la suite essayer de recouvrer ces droits perdus ; de là les hauts cris jetés subséquemment contre les klêruchiæ.