HISTOIRE DE LA GRÈCE

SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE I — COMBAT DES THERMOPYLÆ ET D’ARTÉMISION.

 

 

Ce fut pendant que les États du nord de la. Grèce abandonnaient ainsi successivement la cause commune, que les députés assemblés à l’isthme prirent entre eux l’engagement solennel, en cas de succès, d’infliger un juste châtiment à ces frères qui refusaient de se joindre à eux, de frapper leurs biens d’une dîme, et peut-être de consacrer un dixième de leurs personnes au profit du dieu de Delphes. On devait faire exception pour les États qui avaient été forcés de céder par une nécessité irrésistible[1]. Il semblait à ce moment bien peu vraisemblable qu’un tel vœu reçût son accomplissement. C’était la manifestation d’un sentiment déterminé, liant ensemble les États qui prenaient l’engagement, mais il n’a pu contribuer beaucoup à intimider les autres.

Déployer leurs propres forces, c’était le seul moyen efficace de maintenir ensemble des alliés douteux. Le défilé des Thermopylæ fut alors choisi comme le point le plus commode pour la défense, après celui de Tempê : — il laissait en dehors, il est vrai, et abandonnait à l’ennemi les Thessaliens, les Perrhæbiens, les Magnêtes, les Achæens Phthiôtes, les Dolopes, les Ænianes, les Maliens, etc., qui auraient été compris si la dernière ligne avait été adoptée ; mais il comprenait la plus vaste étendue compatible avec la sûreté du pays. La position des Thermopylæ présentait un autre avantage qui ne pouvait se trouver à Tempê ; la terre ferme n’était séparée ici de l’île d’Eubœa que par un détroit resserré, d’environ deux milles et demi (= 4 kilom.) dans sa plus petite largeur, entre le mont Knêmis et le cap Kênæon. Dans la partie septentrionale de l’Eubœa, faisant immédiatement face à la Magnêsia et à l’Achæa Phthiôtis, était située la ligne de côtes appelée Artémision ; nom dérivant du temple d’Artemis, qui était ce qu’elle avait de plus saillant et appartenait à la ville d’Histiæa. On convint que la flotte grecque s’y rassemblerait, afin d’agir de concert avec l’armée de terre et de s’opposer à la marche des Perses sur deux éléments à la fois. On supposait qu’il était favorable pour les Grecs de combattre dans un espace étroit[2], sur mer non moins que sur terre, en ce que leurs vaisseaux étaient inférieurs en nombre, et avaient une marche plus lourde que ceux qui étaient au service des Perses. D’après la position d’Artémision, on calculait qu’ils pourraient empêcher la flotte persane d’avancer dans le détroit resserré qui sépare l’Eubœa de la terre ferme au nord et à l’ouest, et qui, entre Chalkis et la Bœôtia, devient assez étroit pour qu’on y puisse jeter un pont. C’était à ce dernier point que les marins grecs auraient préféré établir leur défense : mais l’occupation de la partie septentrionale du détroit Eubœen était indispensable pour empêcher la flotté des Perses de débarquer des troupes sur les derrières des défenseurs des Thermopylæ.

La limite occidentale de ce détroit Eubœen est formée par ce qu’on appelait alors le golfe Maliaque, dans lequel se jetait le fleuve Spercheios, — après un cours de l’ouest à l’est entre la ligne du mont Othrys au nord et le mont Œta au sud, — près de la ville d’Antikyra. La partie inférieure de cette spacieuse et fertile ville du Spercheios était occupée par les diverses tribus des Maliens, confinant au nord et à l’est à l’Achæa Phthiôtis : les Maliens les plus méridionaux, avec leur ville de Trachis, occupaient une plaine, — dans quelques endroits considérable, dans d’autres très étroite, enfermée entre le mont Œta et la mer. A partir de Trachis, la chaîne de l’Œta s’étendait à l’est, confinant de près au rivage méridional du golfe Maliaque : entre les deux se trouvait le mémorable défilé des Thermopylæ[3]. Sur la route de Trachis aux Thermopylæ, immédiatement en dehors du défilé et à l’embouchure des petits cours d’eau appelés le Phœnix et l’Asôpos, était située la ville d’Anthêla, célèbre par ses temples d’Amphiktyon et de Dêmêtêr Amphiktyonique aussi bien que par les réunions automnales du conseil amphiktyonique pour lequel des sièges étaient préparés dans le temple.

Immédiatement auprès d’Anthêla, le versant septentrional de la haute et longue chaîne de l’Œta se rapprochait assez près du golfe, ou du moins d’un marécage inaccessible qui formait le bord du golfe, de manière à ne laisser de place que pour le passage d’un seul chariot. Cette entrée étroite formait la porte occidentale des Thermopylæ. A une petite distance, vraisemblablement à un mille environ (=1,600 mètres) à l’est, le même rapprochement étroit entre la montagne et la mer se répétait, — formant ainsi la porte orientale des Thermopylæ, non loin de la première ville des Lokriens, appelée Alpêni. L’espace entre ces deux portes était plus large et plus ouvert, mais il se distinguait et se distingue encore par son abondance de sources thermales, salées et sulfureuses. Quelques cellules y étaient préparées pour les baigneurs, ce qui faisait donner à l’endroit le nom de Chytri, c’est-à-dire les Bassins ; niais la quantité abondante d’eau minérale répandait sa vase et déposait sa croûte sur tout le terrain adjacent ; et les Phokiens, quelque temps auparavant, avaient essayé à dessein de conduire l’eau de manière à rendre le défilé entièrement impraticable, et en même temps ils construisaient un mur en travers près de la porte occidentale. Ils avaient agi ainsi pour arrêter les Thessaliens, qui avaient essayé d’étendre leurs conquêtes au sud et à l’est. Les sources chaudes, ici comme dans d’autres parties de Grèce, étaient consacrées à Hêraklês[4], dont les exploits et les malheurs légendaires illustraient toute la contrée environnante : le mont Œta, Trachis, le cap Kenæon, les îles Lichades, la rivière Dyras. Quelques fragments de ces légendes ont été transmis et embellis par le génie de Sophokle, dans son drame des Trachiniennes.

Tel était le théâtre général, deux ouvertures étroites avec un mille intermédiaire d’une route élargie et des sources d’eaux chaudes entre elles, — qui étaient connues dans l’antiquité sous le nom significatif des Thermopylæ, les Portes Chaudes ; ou quelquefois plus brièvement, de Pylæ, les Portes. A un point aussi près de Trachis, entre les montagnes et la mer, à environ deux milles (= 2 kilom. 300 mètres) en dehors, c’est-à-dire à l’ouest des Thermopylæ, la route était à peine moins étroite, mais on pouvait la tourner en marchant à l’ouest, puisque les montagnes adjacentes étaient plus basses et présentaient moins de difficulté, pour le passage : tandis qu’aux Thermopylæ même, la projection en surplomb du mont Œta était escarpée, boisée et impraticable, ne laissant d’accès, de Thessalia en Lokris et dans les territoires au sud-est de l’Œta, que par la porte étroite[5] ; à l’exception d’un sentier dans la montagne peu fréquenté aussi bien que détourné, dont il sera fait bientôt mention. Le mur construit dans l’origine en travers du défilé par les Phokiens était alors à demi ruiné par le temps et l’abandon ; mais les Grecs le rétablirent facilement, se décidant à attendre dans ce défilé resserré, plus étroit à cette, époque même que le défilé de Tempê, l’approche de l’armée d’invasion. Le bord de la ligne de mer semble avoir été, dans la plus grande partie, marécageux, propre ni à marcher ni à naviguer ; mais il y avait des points où des bateaux pouvaient aborder, de sorte qu’une communication constante pouvait être entretenue avec la flotte à Artémision, tandis qu’Alpêni était immédiatement derrière eux pour leur fournir des provisions.

Bien qu’une résolution générale des députés grecs réunis à l’isthme, de défendre conjointement les Thermopylæ et le détroit Eubœen, eût été prise vraisemblablement peu après la retraite de Tempê, leurs troupes et leur flotte n’occupèrent pas réellement ces positions avant qu’on sût que Xerxès était parvenu au golfe Thermaïque. Toutes deux alors furent mises en mouvement : l’armée de terre sous le roi spartiate Léonidas ; l’armée navale sous le commandant spartiate Eurybiadês, apparemment vers la dernière partie du mois de juin. Léonidas était le frère puîné, le successeur et le gendre du précédent roi Eurysthénide Kleomenês, dont, il avait épousé la fille unique Gorgo. Un autre frère de la même famille, — Dorieus, plus âgé que Léonidas, — avait péri, même avant la mort de Kleomenês, dans un essai malheureux fait pour établir une colonie en Sicile ; et c’est ainsi que le plus jeune frère avait été appelé à succéder d’une manière inattendue. Léonidas conduisit alors de l’isthme aux Thermopylæ une troupe de 300 Spartiates d’élite, — tous citoyens d’un âge mûr, et personnes qui laissaient au logis des fils pour les remplacer[6]. Avec eux venaient 500 hoplites de Tegea, 500 de Mantineia, 120 de l’arkadienne Orchomenos, 1.000 du reste de l’Arkadia, 400 de Corinthe, 200 de Phlionte et 80 de Mykênæ. Il y avait sans doute des ilotes et des troupes légères, en nombre indéterminé, et probablement une certaine quantité d’hoplites lacédæmoniens, non spartiates. Dans leur marche à travers la Bœôtia, ils furent rejoints par 700 hoplites de Thespiæ, dévoués de cœur à la cause, et par 400 Thêbains, d’une fidélité plus douteuse, sous Leontiadês. Il paraît en effet que les hommes principaux de Thèbes, à cette époque sous une oligarchie très étroite, mêdisaient décidément, c’est-à-dire épousaient l’intérêt des Perses autant qu’ils l’osaient avant que les Perses fussent réellement dans le pays ; et Léonidas, quand il demanda un certain nombre de leur troupe pour aider à la défense des Thermopylæ, ne sut s’ils ne refuseraient pas leur consentement, et s’ils ne se déclareraient pas ouvertement contre la cause grecque. Les chefs thêbains jugèrent prudent de consentir, bien que contre leurs inclinations réelles, et fournirent un contingent de 400 hommes[7], choisis parmi les citoyens d’un sentiment opposé au leur. En effet le peuple thêbain, et les Bœôtiens en général, à l’exception de Thespiæ et de Platée, semblent avoir manifesté peu de sentiment pour un côté ou pour un autre, et avoir suivi passivement les inspirations de leurs chefs.

C’est avec ces troupes que Léonidas atteignit les Thermopylæ, d’où il expédia des envoyés pour demander la jonction des Phokiens et des Lokriens d’Oponte. Ces derniers avaient été du nombre de ceux qui avaient envoyé à Xerxès la terre et l’eau, ce dont-on prétend qu’ils s’étaient repentis ; la mesure ne fut prise probablement que par suite de la crainte, qui à ce moment particulier prescrivait d’acquiescer aux demandes de Léonidas, justifiée qu’elle serait par l’excuse de la nécessité dans le cas où les Perses finiraient par être vainqueurs[8] ; tandis que les Phokiens, s’ils étaient dans l’origine disposés à mêdiser, étaient maintenant empêchés de le faire par ce fait, que leurs ennemis acharnés les Thessaliens prenaient une part active dans la cause de Xerxès et étaient influents en guidant ses mouvements[9]. Les envoyés grecs ajoutèrent de la force à leur demande par tous les encouragements qui étaient en leur pouvoir. Les troupes maintenant aux Thermopylæ (disaient-ils) n’étaient qu’un corps avancé, précédant les forces principales de la Grèce, dont on attendait l’arrivée tous les jours ; du côté de la mer, une flotte suffisante était déjà de garde. De plus, il n’y avait pas lieu de craindre, puisque l’envahisseur, après tout, n’était pas un dieu, mais un homme exposé à ces revers de la fortune qui ont atteint inévitablement tous les hommes, et surtout ceux qui étaient dans une condition prééminente[10]. Ces arguments prouvent trop évidemment le triste état de terreur dans lequel était alors l’esprit grec. Qu’ils fussent rassurés ou non par ces arguments, le grand corps des Lokriens Opontiens et mille Phokiens rejoignirent Léonidas aux Thermopylæ.

Que cette terreur fût et véritable et sérieuse, on ne peut en douter ; et on se demande naturellement pourquoi les Grecs n’envoyèrent pas tout de suite toutes leurs forces au lieu d’une simple garde avancée. On peut trouver la réponse dans un autre attribut du caractère grec, — le temps était venu de célébrer et la fête des jeux Olympiques sur les bords de l’Alpheios, et la fête Karneienne à Sparte et dans la plupart des autres États dôriens[11]. Même à un moment où il y allait de toute leur liberté et de toute leur existence, les Grecs ne pouvaient se résoudre à remettre ces solennités vénérées ; particulièrement les Grecs du Péloponnèse, chez lesquels cette forcé de routine religieuse parait avoir été la plus forte. Plus d’un siècle après, da temps de Démosthène, lorsque l’énergie des Athéniens avait considérablement décliné, nous les verrons aussi différer les nécessités militaires de l’État jusqu’à l’accomplissement complet et magnifique de leurs obligations de fêtes religieuses, — négligeant toutes leurs mesures de politique étrangère, afin que les représentations Theôriques fussent imposantes aux yeux du peuple et satisfaisantes pour les dieux. A présent, nous trouvons les Athéniens peu disposés à faire ce sacrifice, — certainement beaucoup moins que les Péloponnésiens. Ces derniers, restant chez eux pour célébrer leurs fêtes pendant qu’un envahisseur d’une puissance surhumaine était à leurs portes, nous rappellent les Juifs dans les derniers temps de leur indépendance, qui laissaient l’armée romaine pousser les opérations du siège autour de leur ville sans les interrompre pendant le sabbat[12]. Les Spartiates et leurs confédérés calculaient que Léonidas avec son détachement serait assez fort pour garder le défilé des Thermopylæ jusqu’à ce que la fête Olympique et la fête Karneienne fussent passées, époque après laquelle ils étaient prêts à marcher à son secours avec toutes leurs forces militaires[13]. Ils s’engageaient à se réunir en Bœôtia dans le dessein de défendre l’Attique contre l’attaque venant du côté de la terre, pendant que la grande niasse des forces athéniennes servait à bord des vaisseaux.

Au moment où-ils formaient ce plan, ils croyaient que le défilé des Thermopylæ était le seul moyen d’accès possible pour une armée d’invasion. Mais Léonidas, en arrivant sur les lieux, découvrit pour la première fois qu’il y avait aussi un sentier dans la montagne qui partait du voisinage de Trachis, montait la gorge du fleuve Asôpos et la colline appelée Anopœa, puis traversait la crête de l’Œta et descendait derrière les Thermopylæ près de la ville lokrienne d’Alpêni. Ce sentier, — alors à peine fréquenté, bien que sa moitié ascendante serve aujourd’hui de route régulière pour aller de Zeitun, l’ancienne Lamia, à Salona sur le golfe Corinthien, l’ancienne Amphissa, — lui fut révélé par les habitants de Trachis, qui l’avaient découvert pour la première fois, et qui antérieurement avaient conduit par là les Thessaliens attaquer la Phokis, après que les Phokiens avaient intercepté le défilé des Thermopylæ. Il n’était donc pas inconnu des Phokiens : il conduisait de Trachis dans leur pays, et ils promirent volontairement à Léonidas de l’occuper et de le défendre[14]. Mais les. Grecs se trouvaient ainsi aux Thermopylæ dans la nécessité de pourvoir à une double ligne de défense, pour le sentier de la montagne aussi bien que pour le défilé, analogue à celle qui avait engagé leur première armée à abandonner Tempê ; et leur nombre parut si insuffisant, quand on apprit enfin que l’immense armée de Xerxès approchait, qu’une terreur panique les saisit. Les troupes péloponnésiennes particulièrement, se préoccupant seulement de leur propre ligne séparée de défense, à l’isthme de Corinthe, désiraient s’y retirer sur-le-champ. Les remontrances pleines d’indignation des Phokiens et des Lokriens, qui auraient ainsi été laissés à la merci de l’envahisseur, engagèrent Léonidas à défendre ce mouvement rétrograde ; mais il jugea nécessaire d’expédier des envoyés aux diverses villes, pour insister sur l’insuffisance du nombre de ses soldats et pour demander des renforts immédiats[15]. Tant étaient fâcheuses les conséquences, senties alors, d’avoir retenu les principales forces jusqu’à ce que les fêtes religieuses du Péloponnèse fussent célébrées !

Le sentiment de confiance n’était pas plus fort à ce moment dans leur armée navale, bien qu’elle eût été réunie en nombre bien supérieur à Artémision, sur la côte septentrionale de l’Eubœa, sous le Spartiate Eurybiadês. Elle était composée ainsi qu’il suit — 127 trirèmes athéniennes, montées en partie par les citoyens de Platée, malgré leur défaut total de pratique à bord ; 40 corinthiennes, 20 mégariennes, 20 athéniennes, montées par les habitants de Chalkis, auxquels les Athéniens les avaient prêtées ; 18 æginétaines, 12 sikyoniennes, 10 lacédæmoniennes, 10 épidauriennes, 7 érétriennes, 5 trœzéniennes, 2 de Styros en Eubœa et 2 de l’île de Keos. Il v avait ainsi en tout 271 trirèmes, avec 9 pentekonters, fournis en partie par Keos et en partie par les Lokriens d’Oponte. Themistoklês était à la tète du contingent athénien, et Adeimantos du corinthien ; nous ne savons rien des autres officiers[16]. Trois croiseurs, un athénien, un æginétain et un trœzénien, s’avancèrent le long de la côte de la Thessalia, derrière l’île de Skiathos, pour surveiller les mouvements en avant de la flotte persane venant de Therma.

Ce fut ici que le sang fut versé pour la première fois dams cette mémorable lutte. Dix des meilleurs vaisseaux de la flotte persane, envoyés en avant dans la direction de Skiathos, rencontrèrent ces trois trirèmes grecques, qui supposèrent probablement qu’ils précédaient la flotte entière et cherchèrent leur salut dans la fuite. La trirème athénienne se sauva à l’embouchure du Peneios, où son équipage l’abandonna, et se retira par terre à Athènes, laissant le navire à l’ennemi ; les deux autres vaisseaux furent atteints et pris encore à flot, — non sans une vigoureuse résistance de la part de l’æginétain, dont l’un des hoplites qui le montaient, Pythês, combattit avec une bravoure désespérée et tomba couvert de blessures. Les soldats persans l’admirèrent tellement, qu’ils prirent une peine infinie pour lui conserver la vie, et lui témoignèrent les marques les plus signalées tant de bienveillance que de respect, tandis qu’ils traitèrent ses camarades comme des esclaves.

A bord du vaisseau trœzénien, qui fut le premier pris, ils trouvèrent un soldat nommé Leôn, d’une taille imposante ; cet homme fut immédiatement mené sur l’avant du vaisseau et tué, comme présage pour la lutte prochaine. Peut-être (fait observer l’historien) son nom a-t-il contribué à décider de son sort[17]. Les dix vaisseaux persans n’avancèrent pas plus loin que le dangereux rocher Myrmêx, entre Skiathos et la terre ferme, que leur avait fait connaître un navigateur grec de Skyros, et sur lequel ils élevèrent une colonne pour servir d’avertissement à la flotte qui arrivait. Néanmoins, si grande fut l’alarme que leur présence, communiquée par des fanaux[18] allumés à Skiathos, et confirmée par la prise des trois vaisseaux vedettes, inspira à la flotte à Artémision, qu’elle finit par abandonner sa position, persuadée que la flotte entière de l’ennemi était tout prés[19]. Elle remonta le détroit Eubœen jusqu’à Chalkis, comme étant le passage le plus étroit et le plus défendable, en laissant des vigies sur les hautes terres pour surveiller les progrès de l’ennemi.

Probablement cette retraite soudaine fut imposée aux généraux par la panique de leurs troupes, semblable à celle que le roi Léonidas, plus puissant qu’Eurybiadês et que Themistoklês, avait trouvé moyen d’arrêter aux Thermopylæ. Elle ruinait pour le moment tout le plan de défense, en laissant l’armée des Thermopylæ exposée par derrière aux opérations de la Motte persane. Mais ce que les Grecs ne firent pas pour eux-mêmes fut plus que compensé par l’intervention bienfaisante de leurs dieux, qui opposèrent à l’envahisseur les armes plus terribles de la tempête et de l’ouragan. Il lui fut permis d’amener sa prodigieuse armée, tant de terre que de mer, jusqu’au bord des Thermopylæ et jusqu’à la côte de la Thessalia sans obstacle ni dommage ; mais le moment était venu où les dieux parurent décidés à l’humilier, et particulièrement à frapper sa flotte d’une série de coups qui devaient la réduire à un nombre de vaisseaux égal à celui contre lequel les Grecs pouvaient lutter[20]. Au milieu de la terreur générale qui régnait en Grèce, les Delphiens furent les premiers à gagner la reconnaissance de leurs compatriotes en annonçant qu’un secours divin était proche[21]. Quand ils demandèrent conseil à leur oracle, ils reçurent l’ordre de prier les Vents, qui prêteraient à la Grèce une aide puissante. De plus, les marins athéniens, dans leur retraite à Chalkis, se rappelant que Boreas était l’époux de la princesse ou héroïne attique Oreithyia, fille de leur ancien roi Erechtheus, adressèrent des prières ferventes à leur gendre pour obtenir son secours dans l’extrémité où ils étaient. Jamais secours ne fut plus efficace ni plus opportun que la tempête destructive que nous raconterons bientôt, et qui s’éleva sur la côte de la Magnêsia ; tempête pour laquelle on offrait encore même du temps d’Hérodote des remerciements de reconnaissance et des solennités annuelles, à Athènes aussi bien qu’à, Delphes[22].

Xerxès avait fait faire halte sur le golfe Thermaïque pendant plusieurs jours, et. il avait employé une partie considérable de sa nombreuse armée à abattre les bois et à déblayer les routes sur le défilé de l’0lympos, allant de la haute Macedonia en Perrhæbia, que lui recommandaient ses alliés macédoniens comme préférable au défilé de Tempê[23]. N’ayant pas l’intention de franchir ce dernier, on dit qu’il alla par mer pour le voir, et on lui attribue des remarques sur la facilité qu’il y aurait à le fermer, de manière à. convertir toute la Thessalia en un vaste lac[24].

Sa marche depuis Therma, à travers la Macedonia, la Perrhæbia, la Thessalia et l’Achæa Phthiôtis, pour parvenir au territoire des Maliens et dans le voisinage des Thermopylæ, occupa onze ou douze jours[25]. Les peuples dont il traversait les villes avaient déjà fait leur soumission, et les Thessaliens surtout apportaient du zèle à seconder ses efforts. Sa nombreuse armée était encore grossie davantage par la présence de ces peuples nouvellement soumis, et par les troupes macédoniennes sous les ordres d’Alexandre ; de sorte que le fleuve Onochônos en Thessalia, et même l’Apidanos, en Achæa Phthiôtis, suffirent à peine à l’abreuver, niais qu’ils furent épuisés complètement, suivant le renseignement donné à Hérodote. A Alos en Achæa, ce prince condescendit à écouter la sombre légende rattachée au temple de Zeus Laphysteus et au bois sacré de la famille Atha-111antide. Il respecta et protégea ces lieux sacrés, incident qui montre que le sacrilège et la destruction de temples que les Grecs lui imputèrent, bien que vraies par rapport à Athènes, à Abæ, à Milêtos, etc., ne se présentèrent pas universellement, et qu’ils se trouvent même à l’occasion tempérés par des exemples de grand respect pour le sentiment religieux des Grecs[26]. En longeant le bord du golfe Malien, il arriva enfin dans le territoire trachinien, près des Thermopylæ, oit il campa, attendant vraisemblablement l’arrivée de la flotte, de manière à combiner d’avance ses mouvements ultérieurs[27], maintenant qu’il avait l’ennemi immédiatement devant lui.

Mais sa flotte n’était pas destinée à atteindre le point de communication aussi aisément qu’il était arrivé devant les Thermopylæ. Après avoir été assuré par les dix vaisseaux mentionnés déjà (qui capturèrent les trois vedettes grecques) que le canal entre Skiathos et la terre ferme était sûr, l’amiral persan Megabatês partit avec toute sa flotte de Therma ou de Pydna[28], sa station dans le golfe Thermaïque, onze jours après que le monarque avait commencé sa marche par terre, et il atteignit dans une navigation d’une longue journée la côte orientale de la Magnêsia, à peu de distance de son promontoire le plus méridional. La plus grande partie de cette ligne de côtes, formées par les déclivités de l’Ossa et du Peliôn, est complètement rocheuse et inhospitalière ; mais, au sud de la ville appelée Kasthanæa, il y avait une courte étendue de rivage découvert où la flotte s’arrêta pendant la nuit avant de venir à la ligne de côtes appelée Aktê Sépias[29]. La première ligne de vaisseaux fut amarrée au rivage, mais la plus grande partie de cette immense flotte resta à l’ancre sur une profondeur de huit lignes. C’est dans cet état qu’elle fut surprise le lendemain matin par un soudain et furieux ouragan, — vent appelé par les gens du pays Hellespontias, qui soufflait droit sur le rivage. Les plus actifs d’entre les marins trouvèrent moyen de prévenir le danger en échouant et en tirant leurs vaisseaux sur la plage ; mais un nombre considérable de navires, ne pouvant prendre cette précaution, furent chassés vent arrière et mis en pièces près de Melibœa, de Kasthanæa et d’autres points de cette région hostile. Quatre cents vaisseaux de guerre, suivant l’estimation la plus basse, avec une masse incalculable de transports et de navires de provisions, furent détruits, et la perte en hommes aussi bien qu’en matériel fut immense. Pendant trois jours entiers les terreurs de l’ouragan durèrent, et pendant ce temps les équipages à terre, laissés presque sans défense et craignant que les habitants du pays ne vinssent les assaillir et les piller, furent forcés de briser les vaisseaux tirés sur la plage, afin de faire une palissade de leur bois[30]. Bien que les prêtres mages qui accompagnaient l’armement offrissent avec ferveur des prières et des sacrifices, — non seulement aux Vents, mais encore à Thétis et aux Néréides, les divinités tutélaires d’Aktê Sépias, — ils ne purent obtenir de calme avant le quatrième jour[31], tellement les prières de Delphes et d’Athènes, et la jalousie des dieux contre une arrogance surhumaine, prolongèrent le terrible châtiment. Enfin le quatrième jour le temps calme revint ; alors tous les vaisseaux qui étaient en état de marcher reprirent la mer et longèrent la terre, en doublant le promontoire méridional de Magnêsia jusqu’à Aphetæ, à l’entrée du golfe de Pagasæ. Au fait, Xerxès avait peu gagné à la laborieuse ouverture faite au mont Athos, dans l’espérance d’échapper aux ennemis atmosphériques invisibles qui hurlent autour de ce formidable promontoire : l’œuvre de destruction pour sa flotte fut seulement transférée à la côte opposée de la mer de Thrace qui la sépare de l’Athos.

Si la flotte persane avait atteint Aphetæ sans accident, elle aurait trouvé le détroit Eubœen évacué par la flotte grecque et sans défenseurs, de sorte qu’elle se serait mise immédiatement en communication avec l’armée de terre, et aurait agi sur les derrières de Léonidas et de sa division ; mais la tempête dérangea complètement cette espérance et ranima le courage de la flotte grecque à Chalkis. Elle lui fut communiquée par ses vigies sur les hautes terres de l’Eubœa, qui même lui envoyèrent dire que la flotte persane était entièrement détruite : à cette nouvelle, les Grecs firent des remerciements et offrirent des libations à Poseidôn le Sauveur, puis ils retournèrent à Artémision aussi vite qu’ils purent. Toutefois, à leur surprise, ils virent la flotte persane, bien que réduite en nombre, présenter encore un total et une apparence formidables à la station d’Aphetæ, située en face. Les quinze derniers vaisseaux de cette flotte, auxquels la tempête avait causé de si grandes avaries qu’ils tramaient derrière les autres, prenant par mégarde les vaisseaux grecs pour leurs propres camarades, tombèrent au milieu d’eux et furent tous capturés. Sandôkês, sous-satrape de l’æolienne Kymê, Aridôlis, despote d’Alabanda en Karia, et Penthylos, despote de Paphos, dans l’île de Kypros, — les chefs de cette escadre, — furent envoyés prisonniers à l’isthme de Corinthe, après avoir été questionnés relativement à l’ennemi : le dernier des trois avait amené à Xerxès un contingent de douze vaisseaux dont onze avaient sombré dans la tempête, tandis que le dernier était pris actuellement avec lui-même à bord[32].

Pendant ce temps-là, Xerxès, campé en vue des Thermopylæ, laissa passer quatre jours sans tenter aucune attaque. On peut trouver à ce retard une raison probable dans l’extrême danger que courait sa flotte, qui, lui disait-on, avait été entièrement détruite par là tempête : maïs Hérodote lui assigne une cause différente. Xerxès ne pouvait croire (selon lui) que les Grecs aux Thermopylæ, peu nombreux comme ils l’étaient, eussent aucune intention sérieuse de résister. Il avait appris dans sa marche qu’une poignée de Spartiates et d’autres Grecs, sous un chef hêraklide, s’y était postée, mais il traitait cette nouvelle avec dédain ; et quand un cavalier, — qu’il avait envoyé pour les reconnaître, et qui approcha assez près pour examiner leur position sans exciter en rien leur attention par sa présence ; — quand ce cavalier, dis-je, revint lui décrire le défilé, le mur de défense et le nombre apparent de la division, il fut encore plus surpris et embarrassé. Il arriva aussi qu’au moment où s’avançait ce cavalier, les Spartiates formaient une garde avancée en dehors du mur : quelques-uns étaient occupés à des exercices gymnastiques, d’autres peignaient leurs longs cheveux, et aucun d’eux ne faisait attention à l’approche de l’espion ennemi. Xerxès envoya ensuite chercher le, roi spartiate Demaratos pour lui demander ce qu’il devait penser d’une telle folie ; alors ce dernier, lui rappelant leur première conversation à Doriskos, l’assura (le nouveau que les Spartiates dans le défilé résisteraient jusqu’à la mort, malgré leur petit nombre, et il ajouta que e’était leur usage, dans les moments d’un danger spécial, de peigner leurs cheveux avec un soin particulier. Malgré cette assurance de Demaratos, malgré ce défilé qu’il avait devant lui, qui non seulement était occupé, mais encore était en lui-même si étroit et si impraticable, — Xerxès persista encore à croire que les Grecs n’avaient pas l’intention de résister, et qu’ils se disperseraient spontanément. I1 différa l’attaque pendant quatre jours : le cinquième il devint furieux de l’impudence et de l’insouciance que montrait la petite garnison qu’il avait en face de lui, et envoya contre elle les divisions des Mèdes et des Kissiens, avec ordre de les saisir et de les amener prisonniers en sa présence[33].

Bien que tel soit le récit d’Hérodote, il n’est guère possible de croire que nous lisions une réalité historique. Nous trouvons plutôt exposé à nos yeux un tableau de la suffisance humaine sous sa forme la plus exagérée, mûre pour la vengeance des dieux jaloux, et destinée, comme l’entrevue entre Crésus et Solôn, à signaler et à imposer cette morale qui était toujours présente à l’esprit de l’historien, dont l’imagination religieuse et poétique, même sans en avoir conscience, entoure les faits nus de l’histoire d’accessoires de paroles et de motifs que ni Homère ni Æschyle n’auraient regardés comme déplacés. Toute la conduite de Xerxès, et la quantité immense de troupes qu’il réunit, montrent qu’il comptait sur une résistance énergique ; et bien que le nombre des soldats de Léonidas, comparé aux Perses, fût insignifiant, il pouvait difficilement avoir semblé tel dans la position qu’ils occupaient alors, — entrée à peine plus large que la voie d’un seul chariot, avec un mur en travers, un espace prolongé un peu plus large, et ensuite une autre issue également étroite par derrière. Diodore[34] nous apprend que les Lokriens, quand ils envoyèrent pour la première fois la terre et l’eau au monarque persan, s’engagèrent en même temps à s’emparer du défilé des Thermopylæ à son profit, et n’en furent empêchés que par l’arrivée inattendue de Léonidas ; il n’est pas non plus invraisemblable que les Thessaliens, à ce moment les principaux guides de Xerxès[35], avec Alexandre de Macédoine, ne voulussent tenter le même moyen d’effrayer la garnison des Thermopylæ et de la faire partir, moyen qui avait déjà si bien réussi en amenant l’évacuation de Tempê. On pouvait, bien accorder un intervalle de deux ou trois jours dans le dessein de laisser à ces intrigues une bonne chance de succès ; pendant ce temps, la flotte serait arrivée à Aphetæ, après les dangers de la tempête. Nous pouvons ainsi nous permettre de voir la conduite de Xerxès sous ce point de vue un peu moins puéril qu’elle n’est dépeinte par Hérodote.

Les Mèdes, qui furent les premiers auxquels Xerxès ordonna d’attaquer, animés aussi bien par le souvenir de leur ancienne suprématie en Asie que par le désir de venger la défaite de Marathôn[36], montraient une grande bravoure personnelle. La position était telle que les flèches et les arcs étaient de peu d’utilité : un combat corps à corps était indispensable, et en cela les Grecs avaient tout avantage d’organisation aussi bien que d’armure. De courtes lances, de légers boucliers d’osier et des tuniques, que portaient les assaillants, rendaient la partie inégale contre les longues lances, les lourds et larges boucliers, les rangs fermes[37] et la manière exercée de combattre des défenseurs. Cependant les hommes les plus braves de l’armée persane poussaient par derrière, et ; n’ayant pour eux que le nombre, ils continuaient longtemps ce combat inégal, avec un grand massacre de leur côté et peu de pertes du côté des Grecs. Bien que repoussée constamment, l’attaque fut constamment renouvelée, pendant deux jours consécutifs ; les troupes grecques étaient assez nombreuses pour se relever quand elles étaient fatiguées, puisque l’espace était si étroit que peu d’hommes pouvaient combattre à la fois ; et même les Immortels, ou les dix mille gardes persans choisis, et les autres troupes d’élite de l’armée, envoyés à l’attaque le second jour, furent repoussés avec autant de honte et de pertes que les autres. Xerxès voyait cet échec humiliant d’un trône élevé préparé exprès pour lui : Trois fois (dit l’historien, avec une vivacité homérique) il s’élança de son trône plein de crainte pour son armée[38].

A la fin des deux jours de combat, on n’avait point fait un pas. Le défilé paraissait impraticable, et la défense non moins triomphante que courageuse, quand un Malien nommé Ephialtês révéla u Xerxès l’existence du sentier non fréquenté de la montagne. Tel fut du moins l’homme signalé par la voix générale de la Grèce comme étant celui qui trahit le fatal secret. Après l’échec final des Perses, il s’enfuit de son pays pendant un certain temps, et l’assemblée amphictyonique mit sa tête à prix : étant revenu trop tôt dans sa patrie, il fut tué par un ennemi privé, que les Lacédæmoniens honorèrent comme patriote[39]. Il y eut cependant d’autres Grecs qui, affirme-t-on également, gagnèrent la faveur de Xerxès par le même renseignement important ; et, très probablement il a pu y avoir plus d’une personne qui l’en ait instruit ; — en effet les Thessaliens, les guides à ce moment, peuvent difficilement ne pas l’avoir connu. Toutefois, on avait si peu songé au sentier, que personne dans l’armée persane ne savait qu’il était déjà occupé par les Phokiens. A la nuit tombante, Hydarnês, avec un détachement de Perses, s’avança le long de la gorge du fleuve Asôpos, gravit le sentier d’Anopæa, à travers la région boisée entre les montagnes occupées par les Œtæens et celles que possédaient les Trachiniens, et se trouva dès l’aurore près du sommet, en vue de la garde phokienne de mille hommes. Dans le calme de l’aube, le bruit des pas de son armée marchant dans le bois[40] réveilla ces défenseurs ; mais la surprise fut mutuelle, et Hydarnês, alarmé, demanda à ses guides si ces hommes étaient aussi des Lacédæmoniens. Il lui fut répondu que non : alors il commença l’attaque, accabla les Phokiens d’une grêle de flèches, et les força à abandonner le sentier et à chercher leur propre salut sur un point plus élevé de la montagne. Ne songeant qu’à leur sûreté personnelle ; ils oublièrent le précieux passage qu’ils étaient chargés de garder. Si toutes les forces numériques des Grecs s’étaient trouvées aux Thermopylæ, au lieu de rester en arrière pour les fêtes, ceux-ci auraient pu établir sur le sentier de la montagne une troupe assez forte pour le rendre aussi imprenable que le défilé situé au bas.

Hydarnês, ne se mettant pas en peine de poursuivre les Phokiens, suivit la partie descendante du sentier, plus courte que la partie ascendante, et arriva derrière les Thermopylæ peu de temps après midi[41]. Mais, même avant qu’il eût accompli sa descente, Léonidas avait déjà appris la fatale nouvelle, que l’ennemi l’enveloppait par derrière. Des vigies placées sur les collines et des déserteurs du camp persan, particulièrement un Kymæen[42], nommé Tyrastiadas, étaient venus apporter la nouvelle. Et même, si de tels moyens d’information eussent manqué, le prophète Megistias, descendant du médecin légendaire Melampe, lut l’approche de la mort dans le sombre aspect des sacrifices du matin. Il était évident que les Thermopylæ ne pouvaient être défendues plus longtemps. Les défenseurs avaient cependant tout le temps nécessaire pour se retirer, et le détachement de Léonidas était divisé d’opinion sur ce point. Le plus grand nombre inclinait à abandonner une position qui maintenant n’était plus tenable, et à se réserver pour de futures occasions dans lesquelles ils pourraient contribuer d’une manière efficace à repousser l’envahisseur. Il n’y a pas lieu de douter que ce ne fût le mouvement naturel et de prudents officiers et de soldats braves, dans les circonstances présentes. Mais Léonidas né pouvait supporter l’idée (le faire retraite. Son honneur personnel, ainsi que celui de ses compagnons spartiates et de Sparte elle-même[43], lui interdisait de songer à céder à l’ennemi le défilé à la défense duquel il avait été envoyé. Les lois de son pays lui ordonnaient de vaincre ou de mourir dans le poste qui lui avait été assigné, quelle que pût être la supériorité du nombre du côté de l’ennemi[44] : de plus, on nous dit que l’oracle de Delphes avait déclaré que soit Sparte elle-même, soit un roi de Sparte, devait tomber victime des armes des Perses. S’il se fût retiré, il aurait difficilement échappé à cette voix de reproche qui, en Grèce particulièrement, éclatait toujours contre le général qui échouait ; tandis que son dévouement et sa mort volontaires, non seulement feraient taire tout murmure de la calomnie, mais le porteraient au pinacle de la gloire à la fois comme homme et comme roi, et donneraient un exemple de patriotisme chevaleresque au moment où la leçon était le plus nécessaire au monde grec.

Les trois cents Spartiates sous Léonidas se trouvèrent également prêts à ce noble et volontaire sacrifice de leur vie. Peut-être leur chef aurait-il désiré inspirer le même sentiment au détachement tout entier : mais, quand il le vit peu disposé, il lui ordonna aussitôt de se retirer, évitant ainsi toute résistance et toute dissension inconvenantes[45]. Le même ordre fut aussi donné au prophète Megistias, qui cependant refusa d’y obéir et resta, bien qu’il renvoyât son fils unique[46]. Aucun des contingents ne resta avec Léonidas, excepté les Thespiens et les Thêbains. Les premiers, sous leur général Demophilos, offrirent de partager le sort des Spartiates, et déployèrent même plus qu’un héroïsme spartiate, puisqu’ils n’étaient pas sous cette espèce de contrainte morale qui naît de la nécessité d’agir conformément à un renom et à une supériorité préétablis. Mais une retraite chez eus ne leur présentait pas de perspective meilleure que la simple conservation de la vie, soit dans l’esclavage, soit dans l’exil et la misère ; puisque Thespiæ était en Bœôtia, assurée d’être envahie par les ennemis[47], tandis que les contingents péloponnésiens avaient derrière eux l’isthme de Corinthe, qu’ils espéraient sans doute pouvoir encore défendre. Quant au contingent thêbain, nous sommes très embarrassé ; car Hérodote nous dit que ces hommes furent retenus contre leur volonté comme otages par Léonidas, qu’ils prirent aussi peu de part que possible à la bataille subséquente, et qu’ils se rendirent prisonniers à Xerxès aussitôt qu’ils le purent. Diodore dit que les Thespiens restèrent seuls avec les Spartiates ; et Pausanias, bien qu’il mentionne les quatre-vingts Mykénæens comme étant restés avec les Thespiens (ce qui est probablement inexact), ne dit rien au sujet des Thébains[48]. Toutes choses considérées, il semble probable que les Thêbains restèrent, mais restèrent en s’offrant eux-mêmes, — étant citoyens du parti antipersan, selon l’assertion de Diodore, ou peut-être parce qu’il se peut qu’il n’ait été guère moins dangereux de se retirer avec les Péloponnésiens que de rester suspects comme ils l’étaient de mêdisme. Mais quand arriva le moment de la crise réelle, leur courage n’étant pas aussi ferme que celui des Spartiates et des Thespiens, ils s’efforcèrent de sauver leurs vies en se faisant honneur de mêdisme, et en prétendant avoir été retenus de force par Léonidas.

La troupe dévouée laissée ainsi avec Léonidas aux Thermopylæ consistait en 300 Spartiates ayant un certain nombre d’ilotes à leur service, avec 700 Thespiens et apparemment 400 Thêbains. S’il y avait eu auparavant des Lacédæmoniens (non Spartiates) présents, ils doivent s’être retirés’ avec les autres Péloponnésiens. S’étant concerté a’ l’avance avec le guide Ephialtês, Xerxês différa sols attaque contre eux jusqu’à près de midi, quand les troupes sous Hydarnês pouvaient bientôt être attendues par derrière. Cependant, ce dernier jour, Léonidas, sachant que tout ce qui restait a’ faire, c’était de vendre chèrement la vie de ses hommes, ne se renferma pas dans la défensive[49], mais il s’avança dans l’espace plus large situé en dehors du défilé ; il devint ainsi l’agresseur et poussa’ devant lui l’avant-garde de l’armée persane, dont une grande quantité périt aussi bien par les lances des Grecs que dans la mer et le marais voisins, et même fut écrasée par son propre nombre. Il fallut tous les efforts des officiers persans, accompagnés de menaces et de l’emploi libéral du fouet, pour forcer leurs hommes à se battre. Les Grecs combattirent avec une bravoure et un désespoir indifférents contre cette armée supérieure, jusqu’à ce qu’enfin leurs lances fussent brisées, et qu’il ne leur restât plus d’armés que leurs épées. Ce fut à ce moment que Léonidas lui-même fut tué, et autour de son corps la lutte devint plus acharnée que jamais : les Perses firent les plus grands efforts pour s’en emparer ; mais ils furent repoussés par les Grecs à quatre reprises différentes, après avoir perdu un grand nombre de leurs chefs, et en particulier deux frères de Xerxès. Fatiguée, épuisée, diminuée de nombre, et privée de ses armes les plus efficaces, la petite troupe se retira avec le corps de son chef dans le passage étroit, derrière le mur transversal, où les hommes s’assirent ensemble sur un monticule, exposés à l’attaque du gros de l’armée persane d’un côté et du détachement d’Hydarnês, qui avait alors accompli sa marche, de l’autre. Ils. furent ainsi entourés, accablés de traits, et tués tous jusqu’au dernier ; ne perdant pas courage même jusqu’à la fin, mais se défendant avec leurs poignards qui leur restaient, avec leurs mains désarmées, et même avec leurs bouches[50].

Ainsi périt Léonidas avec ses héroïques compagnons, — 300 Spartiates et 700 Thespiens. Dans cet héroïsme égal, il semblait difficile de signaler quelque individu comme s’étant distingué ; néanmoins Hérodote mentionne les Spartiates Diênekês, Alpheus et Marôn, — et le Thespien Dithyrambos, comme étant prééminents. La réponse attribuée au premier devint célèbre[51]. L’armée persane (lui apprit-on) est si prodigieusement grande que ses flèches cachent le soleil. — Tant mieux, répondit-il, alors nous combattrons à l’ombre. Hérodote avait demandé et appris le nom de tous les individus composant cette mémorable troupe de trois cents. Et même six cents ans après, Pausanias pouvait encore lire les noms gravés sur une colonne à Sparte[52]. Un seul d’entre eux, — Aristodêmos retourna dans sa patrie sans avoir pris part au combat. Avec un autre soldat du nom d’Eurytos, il avait été absent du détachement par permission, et tous deux étaient retenus à Alpêni, souffrant d’un grave mal d’yeux. Eurytos, informé que I’heure fatale du détachement était arrivée, se décida à ne pas lui survivre ; il demanda son armure et pria l’ilote qui le servait de le conduire à sa place dans les rangs ; là il tomba en combattant vaillamment, tandis que l’ilote se retira et survécut. Aristodêmos n’imita pas le dévouement de son camarade malade : vaincu par la douleur physique, il fut conduit à Sparte, — mais il n’y retourna que pour être un objet de mépris et d’infamie au milieu de ses concitoyens[53]. On l’appela le lâche Aristodêmos personne ne voulait lui parler ou communiquer avec lui, ni même lui donner de quoi allumer son feu[54]. Après une année d’une honte si amère, il put enfin rétablir son honneur à la bataille de Platée, où il fut tué, après avoir surpassé tous ses frères d’armes en valeur héroïque et même insouciante.

Au milieu des derniers moments de cette vaillante troupe, nous en arrivons avec répugnance aux Thébains, qui désertent et se rendent. Ils prirent part, dit-on, à la bataille finale, bien que seulement pour sauver les apparences et sous l’impulsion de la nécessité ; mais quand les Spartiates et les Thespiens, épuisés et désarmés, se retirèrent pour mourir sur le petit monticule dans l’intérieur du défilé, alors les Thébains se séparèrent, s’approchèrent de l’ennemi les mains tendues et demandèrent quartier. Ils proclamèrent à ce moment a haute voix qu’ils étaient amis et sujets du Grand Roi, et qu’ils étaient venus aux Thermopylæ contre leur consentement ; tout ce qui fut confirmé parles Thessaliens qui étaient dans l’armée persane. Bien que quelques-uns fussent tués avant que les Perses comprissent leur mouvement, on fit quartier aux autres ; non pas toutefois sans la honte signalée d’être flétris de la marque royale comme esclaves indignes de confiance, — indignité a laquelle leur commandant Leontiadês fut forcé de se soumettre avec le reste. Tel est le récit que fait Hérodote, sans aucune expression de méfiance on même de doute ; Plutarque le contredit expressément et cite même un auteur bœôtien[55], qui affirme que les Thêbains étaient commandés aux Thermopylæ par Anaxarchos, et non par Leontiadês. Sans révoquer en doute la conduite équivoque de ce détachement thêbain et sa soumission, nous pouvons avec raison écarter l’histoire de cette ignominieuse flétrissure, comme une invention de cet énergique sentiment antithébain qui domina en Grèce après l’échec de Xerxès.

La colère de ce monarque, quand il parcourut le champ de bataille après la fin de l’action, se donna carrière sur le corps du vaillant Léonidas, dont, sur son ordre, la tête fut coupée et attachée à une croix. Mais ce ne fut pas la colère seule qui remplit son âme. Il ressentit de plus une admiration involontaire pour ce petit détachement qui lui avait opposé dans cet endroit une résistance si inattendue et presque invincible. Il apprit alors à être inquiet de la résistance ultérieure qui l’attendait plus loin. Demaratos, dit-il au roi spartiate exilé qui était à ses côtés, tu es un brave homme ; toutes tes prédictions se sont trouvées justes ; maintenant, dis-moi combien il reste encore de Lacédæmoniens, et si ce sont tous des guerriers pareils à ces hommes qui ont succombé ?Ô roi ! répondit Demaratos, le nombre des Lacédæmoniens et de leurs villes est grand ; dans Sparte seule, il y a huit mille guerriers adultes, tous égaux à ceux qui ont combattu ici ; et les autres Lacédæmoniens, bien qu’inférieurs à eux, sont encore d’excellents soldats. — Dis-moi, répliqua Xerxès, quel sera le moyen le moins difficile pour vaincre de tels hommes ? Alors Demaratos lui conseilla d’envoyer une division de sa flotte occuper l’île de Kythæra, et de là de faire la guerre sur la côte méridionale de la Laconie, ce qui détournerait l’attention de Sparte et l’empêcherait de coopérer à tout plan combiné de défense contre son armée de terre. S’il ne le faisait pas, toutes les forces du Péloponnèse se rassembleraient pour conserver l’isthme étroit de Corinthe, où le roi persan aurait des batailles beaucoup plus terribles à livret que tout ce qu’il avait encore vu[56].

Heureusement pour le salut de la Grèce, Achæmenês, le frère de Xerxès, s’interposa pour dissuader le monarque de ce plan prudent d’action, non sans calomnier le caractère et les motifs de Demaratos, qui (affirmait-il), semblable aux autres Grecs, haïssait tout pouvoir et enviait toute heureuse fortune au-dessus de la sienne propre. La flotte (ajoutait-il), après le dommage éprouvé par suite de la récente tempête, ne supporterait pas une nouvelle diminution de nombre, et il était essentiel de garder les forces persanes entières, de terre aussi bien que de mer, en une masse indivise et agissant de concert[57].

Ce petit nombre de remarques suffirent pour ranimer dans l’esprit du monarque le sentiment habituel de confiance qu’il avait dans sa supériorité écrasante. Cependant, tout en rejetant l’avis de Demaratos, il repoussa énergiquement les imputations portées contre la bonne foi et le sincère attachement de ce prince exilé[58].

Pendant les jours que l’on combattait aux Thermopylæ ; le temps n’avait pas été moins activement employé par les flottes à Aphetæ et à Artémision. Nous avons déjà dit que les vaisseaux grecs, après avoir abandonné leur station à ce dernier endroit et après s’être retirés à Chalkis, avaient été engagés à y revenir par la nouvelle que la flotte persane avait été presque ruinée par la récente tempête, et qu’en revenant à Artémision les capitaines grecs éprouvèrent une crainte nouvelle en voyant la flotte de l’ennemi, malgré le dommage récemment souffert, réunie encore en un nombre écrasant à la station d’Aphidnæ, placée vis-à-vis d’eux. L’effet de ce spectacle et le sentiment de leur propre infériorité furent tels, qu’ils résolurent encore de se retirer sans combattre, laissant le détroit libre et sans défense : La nouvelle de leur détermination causa une grande consternation parmi les habitants de l’Eubœa, qui prièrent Eurybiadês de conserver sa position pendant quelques jours, jusqu’à ce qu’ils eussent le temps d’éloigner leurs familles et leurs biens ; mais même ce délai fut jugé dangereux et refusé. Eurybiadês était sur le point de donner l’ordre de la retraite, quand les Eubœens expédièrent leur envoyé Pelagôn à Themistoklês avec l’offre de trente talents, à condition que la flotte conserverait son poste et risquerait un engagement pour défendre l’île. Themistoklês employa l’argent avec adresse et bonheur ; il donna cinq talents à Eurybiadês, avec des présents considérables en outre aux principaux chefs. Le plus intraitable d’entre eux fut le Corinthien Adeimantos, — qui commença par menacer de partir avec sa propre escadre seule, si les autres Grecs étaient assez insensés pour rester. Un présent de trois talents fit taire sa crainte, si elle ne la tranquillisa pas[59].

Quelque scandalisé que puisse être Plutarque de ces révélations peu glorieuses que nous a conservées Hérodote relativement aux intrigues secrètes (le cette mémorable lutte, il n’y a pas lieu de révoquer en doute la corruption décrite ici. Mais Themistoklês sans doute fut seulement tenté et mis en état, au moyen de l’argent eubœen, de faire ce qu’il aurait désiré, et ce qu’il aurait probablement essayé d’accomplir sans l’argent, — à savoir d’amener un combat naval à Artémision. Il était absolument essentiel à la conservation des Thermopylæ et au plan général de défense que le détroit Eubœen fût défendu contre la flotte persane ; et les Grecs ne pouvaient espérer aucune position plus favorable pour combattre. Nous pouvons présumer avec raison que Themistoklês, distingué non moins par son audace que par sa sagacité, et le grand créateur de l’énergie maritime dans sa patrie, concourait contre son gré à l’abandon projeté d’Artémision. Mais sa haute capacité intellectuelle n’excluait pas cette corruption pécuniaire qui fit que les présents des Eubœens furent à la fois reçus et bien venus, — toutefois encore mieux venus pour lui peut-être, en ce qu’ils lui fournissaient le moyen d’entraîner les autres chefs opposants et l’amiral spartiate[60]. En conséquence, on décida finalement qu’on resterait ; et, s’il le fallait, qu’on hasarderait un engagement dans le détroit Eubœen, mais en tout cas on résolut de donner aux habitants de l’île un court intervalle pour éloigner leurs familles. Si ces Eubœens avaient écouté les oracles (dit Hérodote)[61], ils auraient emballé leurs biens et éloigné leurs familles longtemps auparavant ; car un texte de Bakis leur en donnait l’avis exprès ; mais, comme ils avaient négligé les écrits sacrés, les jugeant indignes de crédit, ils étaient maintenant punis sévèrement d’une telle présomption.

Dans la flotte persane à Aphetæ, d’autre part, le sentiment qui dominait était une vive espérance et une grande confiance dans son nombre supérieur, formant un contraste prononcé avec le découragement des Grecs à Artémision. Si elle avait attaqué ces derniers immédiatement, quand les. deux flottes se virent pour la première fois de leurs stations opposées, elle aurait remporté une victoire facile ; car la flotte grecque aurait fui, comme le général était sur le point d’en donner l’ordre, même sans une attaque. Mais ce n’était pas assez pour les Perses, qui désiraient enlever à tous les vaisseaux de l’ennemi tout moyen de fuir et d’échapper[62]. En conséquence, ils détachèrent deux cents vaisseaux pour faire le tour de l’île d’Eubœa et pour remonter le détroit Eubœen par le sud, sur les derrières des Grecs ; ils ‘différèrent leur attaque de front jusqu’au moment où cette escadre serait en état d’intercepter les Grecs en retraite. Mais, bien qu’on dissimulât la manœuvre en envoyant l’escadre autour et en dehors de l’île de Skiathos, elle fut connue immédiatement parmi les Grecs, grâce à un déserteur, — Skyllias de Skiônê. Cet homme, le meilleur nageur et le meilleur plongeur de son temps, et engagé alors comme d’autres Grecs thraces dans le service des Perses, passa à Artémision et communiqua aux commandants grecs et les détails de la dernière tempête destructive, et l’envoi de l’escadre chargée de les intercepter[63].

Il parait que ses communications, relativement aux effets de la tempête et à l’état de la flotte persane, rassurèrent quelque peu les Grecs, qui résolurent de partir la nuit suivante de leur station d’Artémision dans le dessein de surprendre l’escadre détachée de deux cents vaisseaux, et qui, sous les inspirations de Themistoklês, devinrent même assez hardis pour sortir et offrir la bataille au gros de la flotte, près d’Aphetæ[64]. Ayant besoin d’acquérir quelque connaissance pratique, qui manquait encore tant aux chefs qu’aux soldats, de la manière dont les Phéniciens et les autres dans la flotte persane maniaient et manœuvraient leurs vaisseaux, ils attendirent jusqu’à la dernière heure de l’après-midi, quand il ne restait que peu de jour[65]. Leur hardiesse en avançant ainsi, avec un nombre inférieur et même avec des vaisseaux inférieurs, étonna les amiraux persans et inquiéta les Ioniens et les autres Grecs sujets de l’empire qui les servaient comme auxiliaires contre leur gré. Aux uns et aux autres il semblait que la flotte persane, qu’on fit promptement avancer pour combattre, et qui était assez nombreuse pour entourer les Grecs, remporterait une victoire certaine aussi bien que complète. Les vaisseaux grecs furent d’abord rangés en cercle, avec leurs poupes à l’intérieur, et présentant leurs proues de front à tous les points de la circonférence[66]. Placés ainsi et resserrés dans un espace étroit, ils semblaient attendre l’attaque de l’ennemi, qui formait un large cercle autour d’eux niais à un second signal donné, leurs vaisseaux prirent l’offensive, sortirent du cercle intérieur pour attaquer directement les vaisseaux de l’ennemi qui les environnaient, et n’en prirent ou mirent hors de combat pas moins de trente dans l’un d’eux, Philaôn, frère de Gorgos, despote de Salamis en Kypros, fut fait prisonnier. Cette audace inattendue déconcerta d’abord les Perses, qui cependant se rallièrent et causèrent aux Grecs lies dommages et des pertes considérables. Mais l’arrivée prochaine de la nuit mit fin au combat, et chaque flotte se retira dans sa première station : les Perses à Aphetæ, les Grecs à Artémision[67].

Le résultat de ce combat du premier jour, bien qu’indécis en soi, surprit les deux armées et contribua à exalter la confiance des Grecs. Mais les événements de la nuit suivante le firent plus encore. Une autre terrible tempête fut envoyée par les dieux à leur aide. Bien qu’on fût au milieu de l’été, — saison où il pleut rarement dans le climat de la Grèce, — la pluie, le tonnerre et le vent régnèrent avec la plus grande violence pendant toute la nuit, soufflant droit au rivage contre les Perses à Aphetæ, et ne causant ainsi que peu de gêne aux Grecs sur le côté opposé du détroit. Les marins de la flotte persane, à peine remis de la première tempête à Aktê Sépias, furent presque jetés dans le désespoir par cette répétition du même péril ; surtout quand ils trouvèrent les proues de leurs vaisseaux entourées et le jeu de leurs rames empêché par les cadavres et les mâtereaux que le courant poussait vers leur rivage. Si cette tempête fut dommageable au gros de la flotte à Aphetæ, elle causa la ruine entière de l’escadre détachée pour faire le tour de l’Eubœa, et qui, surprise par elle près de la dangereuse côte orientale de cette île (appelée les Cavernes de l’Eubœa), fut jetée sur les rochers et brisée. La nouvelle de cette seconde conspiration des éléments, ou intervention des dieux, contre les desseins des envahisseurs, fut extrêmement encourageante pour les Grecs ; et l’arrivée opportune de cinquante-trois nouveaux vaisseaux athéniens, qui les renforça le lendemain, les porta à un degré encore plus haut de confiance. Dans l’après-midi du même jour ils marchèrent contre la flotte persane à Aphetæ, et attaquèrent et détruisirent quelques vaisseaux kilikiens même amarrés ; la flotte ayant été trop endommagée par la tempête de la nuit précédente pour sortir et combattre[68].

Mais les amiraux persans n’étaient pas d’un caractère à endurer ces insultes, — encore moins à les laisser parvenir à la connaissance de leur maître. Le jour suivant, vers midi, ils se dirigèrent avec toute leur flotte prés de la station grecque à Artémision et se formèrent en demi-lune, tandis que les Grecs restèrent près du rivage, de sorte qu’ils ne pouvaient être entourés et que les Perses ne pouvaient employer toute leur flotte ; les vaisseaux s’abordant, et ne trouvant pas d’espace pour attaquer. Le combat continua tout le jour avec fureur et acharnement, et avec des pertes et un dommage considérables des deux côtés : les Égyptiens remportèrent la palme de la valeur parmi les Perses, les Athéniens parmi lés Grecs. Bien que les pertes éprouvées par les Perses fussent de beaucoup les plus grandes, et que les Grecs, étant près de leur propre rivage, devinssent maîtres des cadavres aussi bien que des vaisseaux désemparés et des fragments flottants, — néanmoins ils subirent eux-mêmes des dommages et reçurent des avaries dans une proportion plus grande, eu égard à leur nombre inférieur : et les vaisseaux athéniens en particulier, les plus avancés dans le, précédent combat, trouvèrent qu’une moitié d’entre eux était hors d’état de le renouveler[69]. Les Égyptiens seuls avaient pris cinq vaisseaux avec leurs équipages entiers.

Dans ces circonstances, les chefs grecs et Themistoklês avec eux, à ce qu’il semble, — décidèrent qu’ils ne devaient plus se hasarder à tenir la position d’Artémision, mais qu’ils devaient rentrer plus loin dans les eaux grecques[70], bien que ce fût dans le fait abandonner le, défilé des Thermopylæ,  et que le déplacement que les Eubœens se hâtaient de faire ne fût pas encore terminé. Ces infortunés furent forcés de se contenter de la promesse que leur fit Themistoklês de faire escorter leurs embarcations et leurs personnes, et ils abandonnèrent leurs moutons et leur bétail pour la consommation de la flotte, plutôt que de les laisser devenir la proie de l’ennemi. Tandis que les Grecs étaient ainsi occupés à organiser leur retraite, ils reçurent une nouvelle qui rendit cette retraite doublement nécessaire. L’Athénien Abronychos, qui stationnait avec son vaisseau près des Thermopylæ, afin de conserver la communication entre l’armée et la flotte, apporta la désastreuse nouvelle que Xerxès était déjà maître du défilé, et que la division de Léonidas était ou détruite ou en fuite. Alors la flotte abandonna Artémision sans retard, et remonta le détroit Eubœen ; les vaisseaux corinthiens à l’avant-garde, les Athéniens fermant la marche. Themistoklês, qui conduisait cette arrière-garde, s’arrêta assez longtemps aux diverses aiguades et aux divers lieux de débarquement pour inscrire, sur quelques pierres voisines, des invitations adressées aux contingents ioniens qui servaient sous Xerxès, et dans lesquelles il les conjurait de ne pas servir contre leurs pères, mais de déserter, s’il était possible, — ou du moins de se mettre en avant et de combattre aussi peu qu’ils le pourraient. Themistoklês espérait, par ce stratagème, détacher peut-être quelques-uns des Ioniens du côté des Perses, ou, en tout cas, les rendre un objet de méfiance, et’ ainsi diminuer leur force[71]. Sans tarder plus longtemps qu’il ne le fallait pour faire ces inscriptions, il suivit le reste de la flotte, qui fit le tour de la côte de l’Attique, et ne s’arrêta pas avant d’avoir atteint l’île de Salamis.

La nouvelle de la retraite de la flotte grecque fut promptement portée par un citoyen d’Histiæa aux Perses à Aphetæ, qui d’abord ne le crurent pas, et retinrent le messager jusqu’à ce qu’ils eussent envoyé s’assurer du fait. Le lendemain, leur flotte se dirigea. vers le nord de l’Eubœa, et s’empara d’Histiæa et du territoire environnant ; de là un grand nombre d’entre eux, avec la permission ou même sur l’invitation de Xerxês, franchirent la mer pour se rendre aux Thermopylæ et pour voir le champ de bataille et les morts. Relativement au nombre de ces derniers, on assure que Xerxès en imposa aux spectateurs de propos délibéré : il fit ensevelir tous ses morts, à l’exception de 1.000 dont les corps furent laissés sur le sol, — tandis que le nombre total des Grecs qui avaient péri aux Thermopylæ, s’élevant à 4.000, resta exposé tout entier et en un monceau pour faire croire que leurs pertes avaient été beaucoup plus sérieuses que celles des Perses. De plus, les corps des ilotes tués furent compris dans le monceau, passant tous pour Spartiates ou Thespiens dans l’estimation des spectateurs. Toutefois, nous ne sommes pas surpris d’apprendre que ce tour, évident et public comme il a dû l’être, ne trompa en réalité que très peu de gens[72]. Suivant le renseignement d’Hérodote, 20.000 hommes furent tués du côté des Perses, — estimation qui n’a rien de déraisonnable, si nous considérons qu’ils ne portaient guère d’armure défensive et qu’ils combattirent pendant trois jours. Le même historien porte à 4.000 le nombre des cadavres grecs : si ce nombre est exact, il doit renfermer une proportion considérable d’ilotes, puisqu’il n’y avait d’hoplites présents le dernier jour que les 300 Spartiates, les 700 Thespiens et les 400 Thêbains. Quelques hoplites furent naturellement tués dans les combats des deux premiers jours, bien qu’apparemment en petit nombre. Le total de ceux qui dans l’origine vinrent à la défense du défilé semble avoir été d’environ 7.000[73] ; mais l’inscription composée peu après, et gravée dans l’endroit par ordre de l’assemblée amphiktyonique, transmettait à la postérité la vanterie formelle que 4.000 guerriers du Péloponnèse avaient combattu ici avec 300 myriades ou 3 millions d’ennemis[74]. Relativement à ce prétendu total des Perses, nous avons déjà fait quelques remarques : le renseignement au sujet de 4.000 guerriers venus du Péloponnèse doit indiquer tous ceux qui partirent primitivement de cette péninsule sous Léonidas. Cependant l’assemblée amphiktyonique, quand elle dicta les termes destinés à rappeler ce mémorable exploit, n’aurait pas dû immortaliser les Péloponnésiens séparément de leurs camarades n’appartenant pas à la péninsule, et qui les égalèrent complètement en mérite ; surtout les Thespiens, qui se sacrifièrent avec le même héroïsme que Léonidas et ses Spartiates, sans y avoir été préparés par la même discipline minutieuse autant que rigoureuse. Cette inscription était destinée à rappeler l’exploit en général, mais il y en avait une autre à côté d’elle, également simple et touchante, réservée aux morts spartiates seuls : Étranger, dis aux Lacédæmoniens que nous reposons ici pour avoir obéi à leurs ordres. Sur le monticule, dans le défilé, où cette troupe dévouée reçut ses blessures mortelles, on érigea un monument, avec un lion de marbre, en l’honneur de Léonidas, orné apparemment d’une inscription due au poète Simonidês. Ce génie distingué composa du moins une ode, dont il ne reste maintenant qu’un magnifique fragment, pour célébrer les gloires des Thermopylæ ; en outre, plusieurs inscriptions, dont l’une était consacrée au prophète Megistias, qui, quoiqu’il connût bien le sort qui l’attendait, ne voulut pas abandonner les chefs spartiates.

 

 

 



[1] Hérodote, VII, 132. Diodore, XI, 3.

[2] Hérodote, VIII, 15-60. Cf. Isocrate, Panégyrique, Or. IV, p. 59.

J’aurai occasion bientôt de faire remarquer la révolution qui s’opéra sur ce point dans le sentiment athénien entre la terre des Perses et celle du Péloponnèse.

[3] Le mot défilé entraîne communément l’idée d’un sentier enfermé entre des montagnes. Dans cet exemple, il est employé pour désigner un passage étroit, ayant des montagnes d’un côté seulement et de l’eau (ou un terrain marécageux) de l’autre.

[4] Selon une des nombreuses hypothèses imaginées pour réduire la légende religieuse en un fait réel historique et physique, on supposait qu’Hêraklês savait été un ingénieur ou trouveur d’eau dans des temps très reculés. V. Plutarque, Cum principibus viris philosopho esse disserendum, c. I, p. 776.

[5] Sur les Thermopylæ, V. Hérodote, VII, 175, 176, 199, 200.

Cf. Pausanias, VII, 15, 2 ; de plus Strabon, LX, p. 429, et Tite-Live, XXXVI, 12.

Hérodote dit au sujet des Thermopylæ — στεινοτέρη γάρ έφαίνετο έοΰσα τής είς Θεσσλίην, I. que le défilé de Tempê.

Si nous ne possédions pas les claires indications topographiques données par Hérodote, il serait presque impossible de comprendre le mémorable événement dont nous nous occupons maintenant ; car la configuration de la côte, le cours des fleuves et les phénomènes locaux en général sont aujourd’hui si complètement changés, que les voyageurs modernes égarent plutôt qu’ils n’aident. Dans l’intérieur du golfe Maliaque, trois ou quatre milles de terre nouvelle se sont formés par l’accumulation graduelle des dépôts du fleuve, de sorte que le golfe lui-même aune étendue beaucoup moins grande, et que la montagne confinant à la porte des Thermopylæ n’est pas maintenant auprès de la mer. Le fleuve Spercheios a considérablement changé son cours au lieu de se jeter à la mer dans une direction à l’est considérablement au nord des Thermopylæ, comme il le faisait à l’époque d’Hérodote, il a été détourné au sud dans la partie inférieure de son cours, avec bien des détours, de sorte qu’il arrive à la mer beaucoup au sud du défilé, tandis que les rivières Dyras, Melas et Asôpos, qui du temps d’Hérodote arrivaient toutes à la mer séparément entre l’embouchure du Spercheios et les Thermopylæ, n’y parviennent plus du tout, mais se jettent dans le Spercheios. De plus, l’écoulement perpétuel des sources thermales a contribué à accumuler un dépôt et à élever le niveau du sol en général dans tout le défilé. Hérodote semble considérer la route entre les deux portes des Thermopylæ comme allant au nord et au sud, tandis qu’elle irait plutôt presque à l’est et à l’ouest. Il ne cornait pas la dénomination de Kallidromos, appliquée par Tite-Live et par Strabon à une partie indéterminée de la chaîne orientale de l’Œta.

Relativement aux traits anciens et actuels des Thermopylæ, v. les bonnes observations du colonel Leake, Travels in Northern Greece, vol. II, ch. 10, p. 7-40 ; Gell, Itinerary of Greece, p. 239 ; Kruse, Hellas, vol. III, ch. 10, p. 129. Le Dr Clarke fait observer : Les sources thermales sortent principalement de deux bouches au pied des précipices calcaires de l’O ta, sur la gauche de la chaussée, qui passe ici tout près de la montagne, et qui dans cette partie permet à peine à deux cavaliers de marcher de front ; le marécage à droite, entre la chaussée et la mer, étant si dangereux, que nous fûmes bien près d’y être ensevelis avec nos chevaux, pour avoir commis l’imprudence de nous y aventurer quelques pas en quittant le chemin pavé (Clarke’s Travels, vol. IV, ch. 8, p. 247).

[6] Hérodote, VII, 177, 205.

En choisissant des hommes pour un service dangereux, les Spartiates prenaient de préférence ceux qui déjà avaient des familles : si un tel homme était tué, il laissait derrière lui un fils pour remplir ses devoirs envers l’État, et pour conserver la continuité des rites sacrés de famille, dont l’extinction était considérée comme un grand malheur. Dans nos idées, la vie d’un père de famille dans l’âge mûr serait regardée comme plus précieuse, et sa mort comme une perte plus grande que celles d’un homme plus jeune et non marié.

[7] Hérodote, VII, 205 ; Thucydide, III, 62 ; Diodore, XI, 4 ; Plutarque, Aristeidês, c, 18.

Le passage de Thucydide est très important ici, comme confirmant à un haut degré le renseignement d’Hérodote, et mous mettant à même d’apprécier les critiques de Plutarque, très plausibles sur ce point particulier (De Herodoti Malign., p. 865, 866). Ce dernier semble avoir copié sur un auteur bœôtien perdu nommé Aristophanês, qui essayait d’établir un cas plus honorable pour ses compatriotes par rapport à leur conduite dans la guerre des Perses.

Le renseignement de Diodore est expliqué par un acte du gouvernement Korkyræen (Thucydide, III, 75) quand il enrôla ses ennemis afin de s’en débarrasser ; et par celui de l’italienne Cumæ (Denys Hal., VII, 5).

[8] Diodore, XI, 4.

[9] Hérodote, VIII, 30.

[10] Hérodote, VII, 203.

[11] Hérodote, VII, 206. C’étaient seulement les États dôriens (Lacédæmone, Argos, Sikyôn, etc.) qui étaient dans l’obligation de s’abstenir d’opérations militaires agressives pendant le mois de la fête Karneienne : d’autres États (même du Péloponnèse), Elis, Mantineia, etc., et naturellement Athènes, n’étaient pas astreints à la même règle (Thucydide, V, 54, 75).

Je ne prétends pas affirmer que ces deux fêtes (les Karneia et les Olympia) se célébrassent si exactement à la même époque, que des personnes ne pussent assister à toutes les deux. Il semblerait que la fête des Karneia venait la dernière. Mais les fêtes grecques dépendaient des mois lunaires, et variaient plus ou moins par rapport à l’année solaire. Les Karneia se célébraient chaque minée ; les Olympia tous les quatre ans.

[12] Josèphe, Bell. Judaic., I, 7, 3 ; II, 16, 4 ; ibid., Antiq. Judaic., XIV, 4, 2. Si leurs personnes étaient attaquées pendant le sabbat, les Juifs se défendaient ; mais ils ne violaient pas les obligations religieuses du jour pour empêcher les opérations militaires des assiégeants. V. Reimar, ad Dion. Cass., LXVI, 7.

[13] Hérodote, VII, 206 ; VIII, 40.

[14] Hérodote, VII, 212, 216, 218.

[15] Hérodote, VII, 207.

[16] Hérodote, VIII, 1, 2, 3. Selon Diodore (XI, 12) le nombre athénien était plus fort de vingt trirèmes.

[17] Hérodote, VII, 180.

Relativement à l’influence d’un nom et de son étymologie, malheureuse dans le cas actuel pour son possesseur, cf. Hérodote, IX, 91, et Tacite, Hist., IV, 53.

[18] Pour l’emploi des signaux de feu, cf. Tite-Live, XXVIII, 5, et le début de l’Agamemnôn d’Æschyle et la même pièce, v. 270, 300 ; et aussi Thucydide, III, 22-80.

[19] Hérodote, VII, 181, 182, 183.

[20] Hérodote, VII, 184. Cf. VIII, 109, et Diodore, XI, 13.

[21] Hérodote, VII, 178.

[22] Hérodote, VII, 189. Le langage de l’historien dans ce chapitre est remarquable. Sa raison incrédule prend un peu le dessus sur l’acquiescement religieux.

Clément d’Alexandrie, en rapportant l’incident avec quelques autres miracles d’Æakos, d’Aristæos, d’Empedoklês, etc. ; reproche à ses adversaires païens leur inconséquence, en ce que, ajoutant foi, à ceux-ci, ils rejettent les miracles de Moise et des prophètes (Stromates, VI, p. 629, 630).

[23] Le défilé que traversa Xerxès était celui qui était près de Petra, de Pythion et d’Oloosson, — Saltum ad PetramPerrhæbiæ saltum (Tite-Live, XLV, 21 ; XLIV, 27 ; Petra était près du point où la route passait de la Pieria ou basse Macedonia dans la haute Macedonia). (V. Tite-Live, XXXIX, 26).

Comparer relativement à ce passage et aux traits généraux de la contrée voisine, le colonel Leake, Travels in Northern Greece, vol. Ill, eh. 18, p. 337-343, et eh. 30, p. 430 ; et aussi Boué, la Turquie en Europe, vol. I, p. 198-202.

Le roi thrace Sitalkês, comme Xerxès dans l’occasion actuelle, fut obligé de faire couper les forêts, de pratiquer une route pour son armée, dans la première partie de la guerre du Péloponnèse (Thucydide, II, 98).

[24] Hérodote, VII, 130, 131. Que Xerxès, frappé par la vue de l’Olympos et de l’Ossa, soit allé vers le défilé étroit qui est entre ces montagnes, cela est assez probable ; mais les remarques qu’on lui prête sont probablement l’imagination de quelques Grecs ingénieux de l’époque, suggérée par la juxtaposition d’un tel paysage et d’un tel monarque. Supposer ce défilé étroit fermé par un mur était facile pour l’imagination de tout spectateur : supposer qu’il pouvait ordonner de le faire était dans le rôle d’un monarque qui disposait d’une somme illimité de travail manuel, et qui venait de terminer l’ouverture de l’Athos. Cet à-propos dramatique était tout à fait suffisant pour convertir ce qui aurait pu être dit en ce qui fut dit, et pour lui donner une place parmi les anecdotes historiques communiquées à Hérodote.

[25] La flotte persane ne quitta Therma que onze jours après Xerxês et son armée de terre (Hérodote, VII, 183). Elle arriva en un jour à l’Aktê Sépias ou côte sud-est de la Magnêsia (ibid.), fut ensuite assaillie et tourmentée pendant trois jours par l’ouragan (VII, 191), et se rendit immédiatement après à Aphetæ (VII, 193). Quand elle arriva à ce dernier endroit, il y avait déjà trois jours que Xerxès en personne était dans le territoire Malien (VII, 196).

[26] Ce point est exposé par Hoffmeister, Sittlichreligioese Lebensansicht des Herodotus, Essen, 1832, sect. 19, p. 93.

[27] Hérodote, VII, 196, 197, 201.

[28] Diodore, XI, 12.

[29] Diodore (XI, 12), Plutarque (Themistoklês, 8) et Mannert (Geogr. der Gr. und Rœmer, vol. VII, p. 596), semblent regarder Sépias comme un cap, le coin sud-est de la Magnêsia ; ceci diffère d’Hérodote, qui la mentionne comme une ligne de quelque étendue (VII, 191), et signale séparément τήν άκρην τής Μαγνησίης, VII, 193.

La géographie d’Apollonius de Rhodes semble déplorablement inexacte (I, 560-580).

[30] Hérodote, VII, 189-191.

[31] Hérodote, VII, 191. A cette occasion, comme au sujet des prières adressées par les Athéniens à Boreas, Hérodote laisse échapper une légère indication de scepticisme.

[32] Hérodote, VII, 194.

[33] Hérodote, VII, 208, 210.

[34] Diodore, XI, 4.

[35] Hérodote, VII, 174 ; VIII, 29-32.

[36] Diodore, XI, 6.

[37] Hérodote, VII, 211 ; IX, 62, 63 ; Diodore, XI, 7 : Cf. Æschyle, Persæ, 244.

[38] Hérodote, VII, 212. V. Homère, Iliade, XX, 62 ; Æschyle, Persæ, 472.

[39] Hérodote, VII, 213, 214 ; Diodore, XI, 8.

Ktêsias dit que ce furent deux hommes puissants de Trachis, Kalliadês et Timaphernês, qui découvrirent à Xerxês le sentier de la montagne (Persica, c. 24).

[40] Hérodote, VII, 217, 218.

Je ne puis m’empêcher de transcrire une remarque du colonel Leake : Le calme de l’aube qui sauva les Phokiens d’une surprise, est un trait fort caractéristique du climat de la Grèce dans la saison. où se passa l’événement, et, comme bien d’autres circonstances peu importantes que présente l’histoire de l’invasion persane, est une preuve intéressante de l’exactitude et de la véracité de l’historien (Travels in Northern Greece, vol. II, c. 10, p. 55).

[41] Hérodote, VII, 216, 217.

[42] Diodore, XI, 9.

[43] Hérodote, VII, 219.

[44] Hérodote, VII, 104.

[45] Hérodote, VII, 220.

Comparer un acte semblable d’honorable décroisement personnel, dans des circonstances moins remarquables, du commandant lacédæmonien Anaxibias, quand il fut surpris par les Athéniens sous Iphikratês, dans le territoire d’Abydos (Xénophon, Helléniques, IV, 8, 38). Lui et douze harmostes lacédæmoniens refusèrent tous de chercher leur salut dans la fuite.

[46] Hérodote, VII, 221. Suivant Plutarque, il y eut aussi deux personnes appartenant à la race Hêraklide, que Léonidas désirait mettre en sûreté, et dans cette pensée il leur donna une dépêche à porter h Sparte. Elles refusèrent avec indignation, et restèrent pour périr dans le combat (Plutarque, Herodot. Malign., p. 866).

[47] La détresse subséquente des Thespiens survivants est tristement expliquée par ce fait, que dans la bataille de Platée, livrée l’année suivante, ils n’étaient pas pesamment armés (Hérodote, IX, 30). Après l’échec final de Xerxès, ils furent forcés de repeupler leur ville par l’admission de nouveaux citoyens (Hérodote, VIII, 75).

[48] Hérodote, VII, 222. Comment ces Thébains pouvaient-ils servir d’otages ? De quel mal étaient-ils destinés à préserver Léonidas, ou quels avantages pouvaient-ils lui procurer ? Des camarades mal disposés dans une telle occasion n’étaient nullement désirables. Plutarque (De Herodot. Malign., p. 865) critique sévèrement cette assertion d’Hérodote, et sur des raisons très plausibles ; parmi les nombreuses et injustes critiques de son traité, c’est une des rares exceptions.

Cf. Diodore, XI, 9, et Pausanias, X, 20, 1.

Naturellement les Thêbains, prenant parti pour Xerxès comme ils le firent plus tard avec ardeur, avaient intérêt à dire que leur contingent avait fait contre lui aussi peu que possible, et ils peuvent avoir mis en circulation l’histoire que Léonidas les avait retenus comme otages. La politique de Thèbes avant la bataille des Thermopylæ fut essentiellement à double face et équivoque ; elle n’osait pas prendre ouvertement parti contre les Grecs avant l’arrivée de Xerxès.

Les quatre-vingts Mykénæens, comme les autres Péloponnésiens, avaient l’isthme de Corinthe derrière eux comme un poste qui présentait de bonnes chances de défense.

[49] Diodore (XI, 10) dit que Léonidas attaqua le camp persan pendant la nuit, et fut tout prés de pénétrer jusqu’à la tente royale, d’où Xerxès fut obligé de fuir soudainement, afin de sauver sa vie, tandis que les Grecs, après avoir fait un immense carnage dans le camp, finirent par être accablés et tués ; — mais ce récit ne peut se concilier avec Hérodote, et est décidément à rejeter. Cependant Justin (II, 11), et Plutarque (De Herodot. Malign., p. 866) le suivent. La rhétorique de Diodore n’est pas faite pour fortifier les preuves en sa faveur. Plutarque avait écrit, ou avait eu l’intention d’écrire une biographié de Léonidas (De Herod. Malignit., ibid.) ; mais elle n’a pas été conservée.

[50] Hérodote, VII, 225.

[51] Hérodote, VII, 226.

[52] Hérodote, VII, 224. Pausanias, III, 14, 1. Des fêtes annuelles, avec un panégyrique et des luttes gymnastiques, étaient célébrées encore même de son temps en l’honneur de Léonidas, conjointement avec le régent Pausanias, dont la trahison subséquente ternit Ies lauriers qu’il avait acquis à Platée. Il est remarquable, et non pas tout à fait honorable pour le sentiment spartiate, que les deux rois aient été associés dans les mêmes honneurs publics.

[53] Hérodote, VII, 229. Les commentateurs sont sévères pour Aristodêmos quand ils traduisent par ces épithètes, animo deficientem, timidum, pusillanimum, si on considère que έλειποψύχησε est dit par Thucydide (IV, 12) même relativement au brave Brasidas. Hérodote a à peine l’intention de donner à entendre quelque chose comme la pusillanimité, mais plutôt l’effet d’une extrême douleur physique. Il parait cependant qu’il y avait plusieurs histoires au sujet de la cause qui avait retenu Aristodêmos loin du combat.

L’histoire d’un autre soldat nommé Pantitês, qui, ayant été envoyé en message par Léonidas en Thessalia, ne revint pas à temps pour la bataille, et fut si déshonoré quand il retourna à Sparte qu’il se pendit ; — cette histoire, dis-je, donnée par Hérodote comme un ouï-dire, est très peu digne de foi. Il n’est pas vraisemblable que Léonidas expédiât un envoyé en Thessalia, alors occupée parles Perses ; de plus, Hérodote explique particulièrement la honte d’Aristodêmos par la différence entre sa conduite et celle de son camarade Eurytos, tandis que Pantitês était seul.

[54] V. l’histoire du citoyen athénien qui revint tout seul à Athènes, après que tous ses camarades avaient péri dans une expédition malheureuse contre l’île d’Ægina. Les veuves des guerriers tués se rassemblèrent autour de lui, chacune lui demandant ce qu’était devenu son mari, et finalement elles lui donnèrent la mort, en le piquant de leurs poinçons (Hérodote, V, 87).

Dans la terrible bataille de Saint-Jacob sur le Birs, près de Bâle (août 1444), en quinze cents Suisses traversèrent la rivière et attaquèrent quarante mille Français et Allemands, sous le Dauphin de France, contre les énergiques remontrances de leurs commandants, — tous furent tués, après des actes d’une valeur incomparable et une grande perte de la part de l’ennemi, à l’exception de seize hommes qui abandonnèrent leurs compatriotes au passage de la rivière, regardant l’entreprise comme désespérée. Ces seize hommes, à leur retour, furent traités avec un mépris intolérable et échappèrent difficilement à une exécution (Vogelin, Geschichte der Schweizer Eidgenossenschaft, vol. I, eh. 5, p. 393).

[55] Hérodote, VII, 233 ; Plutarque, Herod. Malign., p. 867. L’histoire bœôtienne d’Aristophane, citée par ce dernier, déclarait être fondée en partie sur des mémoires arrangés d’après la suite des magistrats et des généraux.

[56] Hérodote, VII, 235.

[57] Hérodote, VII, 236.

[58] Hérodote, VII, 237. Le citoyen (fait-on dire à Xerxès) porte, il est vrai, naturellement envie à un autre citoyen plus fortuné que lui-même, et, si on lui demande conseil, il garde devers lui ce qu’il a de meilleur dans l’esprit, à moins d’être un homme de très rare vertu. Mais un ami étranger sympathise d’ordinaire de cœur avec le bonheur d’un autre étranger, et lui demie le meilleur avis possible sur tout ce qu’on lui demande.

[59] Plutarque, Themistoklês, c. 7 ; Hérodote, VIII, 5, 6.

[60] L’expression d’Hérodote est tant soit peu remarquable.

[61] Hérodote, VIII, 20.

[62] Hérodote, VIII, 6.

[63] Hérodote, VIII, 7, 8. On racontait des histoires étonnantes relativement à la bravoure de Skyllias comme plongeur.

[64] Diodore, XI, 12.

[65] Hérodote, VIII, 9.

[66] Cf. la description dans Thucydide, II, 84, de la bataille navale entre la flotte athénienne, sous Phormiôn, et la flotte lacédæmonienne, où les vaisseaux de ces derniers étaient rangés dans le même ordre de bataille.

[67] Hérodote, VIII, 11.

[68] Hérodote, VIII, 12, 13, 14 ; Diodore, XI, 12.

[69] Hérodote, VIII, 17, 18.

[70] Hérodote, VIII, 18.

[71] Hérodote, VIII, 19, 21, 22 ; Plutarque, Themistoklês, c. 9.

[72] Hérodote, VIII, 24, 25.

[73] Sur le nombre des Grecs aux Thermopylæ, cf. Hérodote, VII, 202 ; Diodore, XI, 4 ; Pausanias, X, 20, 1, et Sparta de Manso, vol. II, p. 308, Beylage, 24 ste.

Isocrate, parle d’environ mille Spartiates, avec un petit nombre d’alliés, Panégyrique, Or. IV, p. 59. Il mentionne aussi seulement soixante vaisseaux de guerre athéniens à Artémision ; dans le fait, ses assertions numériques méritent peu l’attention.

[74] Hérodote, VII, 228.