HISTOIRE DE LA GRÈCE

CINQUIÈME VOLUME

CHAPITRE X — FÊTES PANHELLÉNIQUES. - JEUX OLYMPIQUES, PYTHIENS, NÉMÉENS ET ISTHMIQUES.

 

 

Dans les chapitres précédents, j’ai été dans la nécessité de présenter au lecteur un tableau tout à fait incohérent et dépourvu d’effet central. J’ai spécifié brièvement chacune des deux ou trois cents villes qui s’accordaient à porter le nom hellénique, et j’ai raconté sa naissance et sa première existence, autant que le permettaient les preuves que nous possédons, mais sans pouvoir signaler d’action et de réaction, d’exploits ou de souffrances ; de prospérité ou de malheur, de gloire ou de disgrâce, communs à toutes. A un haut degré, c’est là un trait caractéristique inséparable de l’histoire de la Grèce depuis ses débats jusqu’à sa fin ; car la seule unité politique que jamais elle reçoive, c’est la triste unité d’asservissement soins Rome maîtresse du monde. La force seule effacera dans l’esprit d’un Grec libre l’idée de sa cité comme organisation autonome et séparée. Le village est une fraction, mais la cité est une unité, et la plus haute de toutes les unités politiques, ne comportant pas d’être réunie avec d’autres jusqu’au nombre de dit ou de cent, en sacrifiant sa propre marque séparée et individuelle. Tel est le caractère de la race, tant dans sa contrée primitive que dans ses établissements coloniaux, — dans sa première histoire aussi bien que dans son histoire récente, — se partageant par une division naturelle en une multitude de cités indivisibles qui s’administrent elles-mêmes. Mais ce qui marque cette première période historique avant Pisistrate et lui donne un caractère d’incohérence à la fois si fatigant et si irrémédiable, c’est qu’il ne s’est pas encore produit de causes propres à neutraliser cet isolement politique. Chaque cité, progressive ou stationnaire, prudente ou aventureuse, turbulente où tranquille, suit sa propre ligne d’existence, sans avoir d’associée ni de desseins communs avec les autres villes, sans être encore contrainte par des forces étrangères à former avec elles une société active. C’est de la même manière que les races qui, de chaque côté, entourent le monde hellénique, paraissent distinctes et séparées, sans être encore réunies en une masse ou en un système ayant une action commune.

Au moment de l’avènement de Pisistrate, cet état de choses change tant dans la Hellas qu’au dehors, — le premier fait étant la conséquence du second. Car à cette époque commence la formation du grand empire perse, qui absorbe en lui non seulement la haute Asie et l’Asie-Mineure, mais encore la Phénicie, l’Égypte, la Thrace, la Macédoine et un nombre considérable des cités grecques elles-mêmes ; tandis que le danger commun résultant de ce vaste agrégat, et menaçant les plus grands États de la Grèce propre, les pousse, malgré beaucoup de résistance et (le jalousie, à former une union active. De là’ part une nouvelle impulsion qui contre-mine la tendance naturelle à l’isolement politique ; dans les cités helléniques, et centralise leurs actes clans une certaine mesure pendant les deux siècles qui suivent l’an 560 av. J.-C., Athènes et Sparte se servant toutes deux des tendances à centraliser qu’avait fait naître la guerre de Perse. Mais, pendant l’intervalle qui s’écoule entre 776-560 avant J.-C., on ne peut reconnaître, même au commencement, de tendance pareille, ni aucune force supérieure calculée pour en assurer l’effet. Même Thucydide, comme nous pouvons le voir par son excellente préface, ne connaissait pendant ces deux siècles qu’une politique municipale séparée et des guerres faites par occasion entre voisins. Le seul événement, selon lui, auquel un nombre considérable de cités grecques aient pris part en commun, ce fut la guerre qui se fit entre Chalkis et Eretria, guerre dont nous ignorons la date. Plusieurs cités se mêlèrent à cette guerre comme alliées. Samos, entre autres, du côté d’Eretria, Milêtos, du côté de Chalkis[1] — jusqu’où s’étendaient- les alliances de l’une ou de l’autre, c’est ce qu’aucune preuve ne nous apprend ; mais il est à présumer qu’il n’y avait pas parmi elles un grand nombre de cités grecques. Telle qu’elle était, cependant, cette guerre entre Chalkis et Eretria fut ce qui se rapprocha uniquement et le plus d’une opération panhellénique que, selon Thucydide, on eût vu entre la guerre de Troie et la guerre des Perses. Cet historien et Hérodote ne présentent cette première période que comme préface et opposition à celle qui suit, où l’esprit et les tendances panhelléniques, bien qu’elles ne soient jamais prédominantes à une époque quelconque, comptèrent cependant pour un, élément puissant dans l’histoire, et modifièrent sensiblement l’instinct universel d’isolement municipal. Ils nous en disent peu de chose, soit parce qu’ils ne pouvaient trouver de renseignements dignes de foi, soit parce qu’elle ne renfermait rien qui pût captiver -l’imagination de la même manière que la guerre des Perses ou que celle du Péloponnèse. Quelle que soit la cause de leur silence, il est profondément à regretter, puisque les phénomènes des deux siècles de 776 a 560 avant J.-C., bien que n’étant pas susceptibles de composer un groupe central, auraient présenté le sujet d’étude le plus instructif, s’ils avaient été conservés. Dans aucune période de l’histoire il ne s’est jamais formé un plus grand nombre de nouvelles communautés politiques, avec une grande variété de circonstances, personnelles aussi bien que locales. Un petit nombre de chroniques, bien que dépourvues de philosophie, rapportant la marche exacte de quelques-unes de ces colonies depuis leur début, — au milieu de toutes Ies difficultés -accompagnant une amalgamation avec des indigènes inconnus aussi bien qu’une nouvelle distribution du sol, — ces chroniques, disons-nous, auraient grandement ajouté a nos connaissances tant sur le caractère des Grecs que sur leur existence sociale.

En prenant donc les deux siècles que nous examinons actuellement, on verra que non seulement il n’y a pas d’unité politique qui naisse dans les États grecs, mais qu’il y a même une tendance au contraire, c’est-à-dire à une dissémination et à un éloignement mutuel. Il n’en est pas ainsi, cependant, par rapport a ces autres sentiments d’unité capables d’exister entre des hommes qui ne reconnaissent pas d’autorité politique commune, — sympathies fondées sur une religion, un langage, une croyance de race, des légendes, des goûts et des usages, des tendances intellectuelles, un sentiment de proportion et de supériorité artistique, des jouissances récréatives, etc., communs a tous. Sur tous ces points, les manifestations de l’unité hellénique deviennent de plus en plus prononcées et compréhensives, malgré les progrès de la dissémination politique pendant toute la même période. La largeur de la sympathie et du sentiment communs entre un Grec et un autre Grec, ainsi que l’idée d’une foule d’assemblées périodiques comme portion indispensable de l’existence, paraît décidément plus grande en 560 avant J.-C. qu’elle ne l’avait été un siècle auparavant. Ce sentiment fut entretenu par la conviction croissante de, la supériorité des Grecs en tant que comparés aux étrangers, — conviction justifiée graduellement de plus en plus à mesure que l’art et l’intelligence grecs se développèrent et que s’étendit la connaissance des contrées étrangères, — aussi bien que par les mille efforts nouveaux faits dans le champ de la musique, de la poésie, de la statuaire et de l’architecture par des hommes de génie dont chacun touchait des cordes de sentiment qui n’appartenaient guère moins aux autres Grecs qu’à sa propre cité. En même temps la vie de chaque ville particulière continue d’être distincte, et même elle réunit autour d’elle une plus grandi quantité de faits et d’intérêts intérieurs ; de sorte que, pendant les deux siècles que nous examinons maintenant, il y a dans l’esprit de tout Grec un progrès tant du sentiment municipal que du sentiment panhellénique, mais d’autre part un déclin de l’ancien sentiment de race séparée — en tant que Dôriens, Ioniens, Æoliens.

Dans an précédent volume j’ai déjà touché le caractère multiple de la religion grecque, entrant comme elle le faisait dans toutes les jouissances et toutes les souffrances, les espérances et les craintes, les affections et les antipathies du peuple ; n’imposant pas simplement des contraintes et des obligations, mais protégeant, multipliant et diversifiant tous les plaisirs sociaux et tous les embellissements de l’existence. Chaque cité, et même chaque village avait ses fêtes religieuses particulières, où les sacrifices offerts aux dieux étaient habituellement suivis de récréations publiques d’une sorte ou d’une autre, — à savoir, des festins où l’on mangeait les victimes, des marches processionnelles, des chants et des danses, ou une lutte dans des exercices forts et actifs. La fête fut locale dans l’origine ; mais l’amitié ou la communauté de race se montrait par des invitations faites à des personnes qui ne résidaient pas dans la localité et qu’on appelait à en partager les plaisirs. Dans le cas d’une colonie et de sa métropole, ce fut un usage fréquent que des citoyens de la mère patrie fussent honorés d’une place privilégiée aux fêtes de la colonie ou que l’on fît présent à l’un d’eux du premier morceau de la victime sacrifiée[2]. Une fréquentation réciproque de fêtes religieuses était ainsi la preuve constante d’amitié et de fraternité entre des cités qui n’étaient pas unies politiquement. Que cet usage ait dû exister dans une certaine mesure depuis les temps les plus anciens, il ne peut y avoir sur ce point de doute fondé, bien que dans Homère et dans Hésiode nous ne trouvions que la célébration de jeux funèbres, accomplie par un chef à ses propres frais, en honneur de son père ou d’un ami mort, — toutefois avec toutes les récréations qui accompagnaient une fête publique, et avec des étrangers non seulement présents, mais encore luttant pour des prit importants[3]. En passant à la Grèce historique pendant le septième siècle avant J.-C., nous trouvons des preuves de deux fêtes, même alors très considérables, et fréquentées par des Grecs venus de beaucoup de villes et de districts différents, — la fête de Dêlos, en l’honneur d’Apollon, le grand lieu de réunion pour les Ioniens dans toute la mer Ægée, et les jeux Olympiques.

L’hymne homérique à Apollon Délien, qui doit être placé avant l’an 600 avant J.-C., insiste avec force sur la splendeur de la fête Délienne, sans égale dans toute la, Grèce, à ce qui semblerait, pendant toute la première période de cette histoire, pour la richesse, la beauté de l’appareil et la variété des spectacles aussi bien de génie poétique que d’activité corporelle[4], égalant probablement à cette époque, sinon surpassant, les jeux Olympiques. La grandeur complète et entière de cette fête panionienne de Dêlos est une de nos principales marques de la première période de l’histoire grecque, avant la prostration relative des Grecs ioniens qu’amena l’élévation de la Perse. Elle était célébrée périodiquement tous les quatre ans en l’honneur d’Apollon et d’Artemis. De plus elle se distinguait des jeux Olympiques par deux circonstances qui méritent toutes deux d’être signalées : d’abord parce qu’elle renfermait des luttes solennelles, non seulement de gymnastique, mais encore de supériorité musicale et poétique, tandis que cette dernière n’avait point de place à Olympia ; en second lieu, par l’admission d’hommes, de femmes et d’enfants indistinctement comme spectateurs, tandis que les femmes étaient formellement exclues de la cérémonie olympique[5]. Une telle exclusion peut avoir dépendu en partie de la situation d’Olympia, placée dans l’intérieur des terres, d’un accès moins facile à des femmes que file dé Dêlos ; mais même en faisant la part de cette circonstance, l’une et l’autre distinction marquent à la fois le caractère plus rude des Ætolo-Dôriens du Péloponnèse. La fête de Dêlos, qui déclina beaucoup pendant le temps que les Grecs asiatiques et les Grecs insulaires furent soumis à la Perse, fut clans la suite remise en vigueur par Athènes, pendant la période de son empire, lorsqu’elle cherchait à fortifier par tous les moyens son ascendant central dans la mer Ægée. Mais bien qu’elle continuât d’être célébrée avec faste sous son administration, elle ne regagna jamais cette sainteté dominante et cette fréquentation empressée que nous trouvons attestées dans l’hymne homérique à Apollon pendant son ancienne période.

Très différentes furent les destinées de la fête Olympique, — sur les bords de l’Alpheios[6] dans le Péloponnèse, près de l’ancien temple de Zeus Olympien, qui rendait des oracles, — fête qui non seulement grandit sans interruption après de faibles débuts pour atteindre le maximum d’une importance panhellénique, mais qui même conserva sa foule de visiteurs et sa célébrité pendant un grand nombre de siècles après l’extinction de la liberté grecque, et ne fut abolie définitivement, après plus de onze cents ans de durée, que par le décret de l’empereur chrétien Théodose, l’an 394 de l’ère chrétienne. J’ai déjà raconté la tentative faite par Pheidôn, despote d’Argos, clans le dessein de rendre aux Pisans ou d’acquérir pour lui-même l’administration de cette fête, — événement qui prouve l’importance de la fête dans le Péloponnèse, même à une époque aussi reculée que 740 ans avant J.-C. A ce moment, et quelques années plus tard, elle semble avoir été fréquentée surtout, sinon exclusivement, par les habitants voisins du Péloponnèse central et occidental : Spartiates, Messêniens, Arkadiens, Triphyliens, Pisans, Eleiens Achæens[7], et elle forme un lien important qui rattache à Sparte les Ætolo-Eleiens, et les privilèges dont ils jouissent comme agonothètes pour célébrer et présider la fête. A partir de l’année 720 avant J.-C., nous trouvons des preuves positives de la présence graduelle de Grecs plus éloignés, — de Corinthiens, de Mégariens, de Bœôtiens, d’Athéniens et même de Smyrnæens d’Asie. Nous trouvons aussi d’autres preuves d’une importance croissante, dans le plus grand nombre et la plus grande variété des luttes présentées aux spectateurs, et dans la substitution de la simple couronne d’olivier, récompense honorifique, à la place du présent plus matériel que la fête Olympique et toutes les autres fêtes grecques commencèrent par donner au vainqueur. L’humble constitution des jeux Olympiques ne présenta dans l’origine rien de plus qu’une lutte de coureurs dans la carrière mesurée, appelée le Stadion. Une série continue de coureurs victorieux fut formellement inscrite et conservée par les Eleiens ; elle commençait par Korœbos en 776 avant J.-C., et fut employée par des investigateurs chronologistes à partir du troisième siècle avant J.-C., en descendant, comme moyen de mesurer la suite chronologique des événements grecs. Ce fut à l’occasion de la septième Olympiade, après Korœbos, que Daiklês le Messênien ne reçut le premier, pour sa victoire, remportée dans le stadion, d’autre récompense qu’une couronne fournie par l’olivier sacré voisin d’Olympia[8] : l’honneur d’être proclamé vainqueur était trouvé suffisant, sans aucune addition pécuniaire. Mais jusqu’à la quatorzième Olympiade (724 av. J.-C.) les spectateurs n’eurent pas d’autre lutte à voir que les simples coureurs dans le stadion. A cette occasion on introduisit pour la première fois une seconde course, celle de coureurs clans le double stadion, c’est-à-dire en remontant et en descendant la carrière. Dans la suivante ou quinzième Olympiade (720 av. J.-C.), on introduisit une troisième lutte, la longue course pour les coureurs, qui devaient remonter et descendre plusieurs fois le stadion. Il y eut ainsi trois courses, — le simple stadion, le double stadion ou diaulos, et la longue course ou dolichos, toutes pour les coureurs, — courses qui continuèrent sans addition jusqu’à la dix-huitième Olympiade, où l’on ajouta à la fois la lutte corps à corps et le pentathlon compliqué — comprenant le saut, la course, le jeu du disque, celui du javelot et la lutte corps à corps —. Une autre nouveauté paraît dans la vingt-troisième Olympiade (688 av. J.-C.), le pugilat ; et une autre plus importante encore dans la vingt-cinquième (680 av. J.-C.), le char traîné par quatre chevaux parvenus à toute leur croissance. Cette dernière addition mérite d’être remarquée particulièrement, non seulement parce qu’elle variait le spectacle par l’introduction de chevaux, mais encore parce qu’elle amenait une classe toute nouvelle de compétiteurs — des hommes et des femmes riches, qui possédaient les plus beaux chevaux et pouvaient louer les conducteurs les plus habiles, sans avoir eux-mêmes aucune supériorité personnelle ni pouvoir déployer aucune force corporelle[9]. Le prodigieux déploiement de richesse auquel se livraient les propriétaires de chars est non seulement une preuve d’une importance croissante dans les jeux Olympiques, mais encore servait considérablement à augmenter cette importance et à accroître l’intérêt chez les spectateurs. Deux nouvelles luttes furent ajoutées dans la trente-troisième Olympiade (648 av. J.-C.), — le pankration, ou pugilat et lutte corps à corps réunis[10], avec la main désarmée, c’est-à-dire dépouillée de ce dur ceste de cuir[11] que portait le pugile, et qui rendait le coup du dernier plus terrible, mais en même temps l’empêchait de saisir ou de tenir son adversaire, et la simple course de chevaux. Bien d’autres nouveautés furent introduites successivement, et il n’est pas nécessaire de les énumérer complètement, — la course entre hommes revêtus de toute leur armure et portant chacun son bouclier ; — les différents combats entre enfants, analogues à ceux que se livraient des hommes faits, et entre des poulains, semblables à ceux qui avaient lieu entre des chevaux parvenus à toute leur croissance. Au moment où elle offrit le plus d’attraits, la solennité Olympique occupait cinq jours ; mais jusqu’à la soixante-dix-septième Olympiade, tous les divers combats avaient été renfermés en une seule journée, commençant à l’aurore et ne se terminant jamais avant la nuit[12]. La soixante-dix-septième Olympiade vient immédiatement après l’heureuse expulsion des envahisseurs perses chassés de Grèce, alors que le sentiment panhellénique avait été vivement stimulé par la résistance à un ennemi commun ; et nous pouvons facilement comprendre que c’était un moment favorable pour donner un accroissement de dignité à la principale fête nationale.

Nous pouvons ainsi reconnaître en partie les degrés par lesquels, pendant les deux siècles qui suivent ‘l’an 776 avant J.-C., la fête de Zeus Olympique dans la Pisatis passa d’un caractère local à un :caractère national, et acquit une force attractive capable de réunir dans une union temporaire les fragments dispersés de la Hellas, de Marseille à Trapézonte. Elle ne resta pas longtemps seule dans cette importante fonction. Pendant le sixième siècle avant J.-C., trois autres fêtes, d’abord locales, devinrent successivement nationales : les Jeux Pythiens, près de Delphes ; les Isthmiques, près de Corinthe ; les Néméens, près de Kleônæ, entre Sikyôn et Argos.

Pour ce qui concerne la fête Pythienne, nous trouvons une courte mention des incidents particuliers et des personnes qui contribuèrent à la reconstituer et à l’agrandir, — mention d’autant plus intéressante, que ces mêmes incidents sont eux-mêmes une manifestation de quelque chose qui ressemble à un patriotisme panhellénique, manifestation presque unique à une époque qui ne présente guère autre chose en action, que des intérêts municipaux distincts. A l’époque où fut composé l’hymne homérique adressé à Apollon de Delphes (probablement dans le septième siècle avant J.-C.), la fête Pythienne n’avait encore acquis que peu d’éclat. Le riche et saint temple d’Apollon rendait alors seulement des oracles ; il était établi dans le dessein de communiquer à de pieuses personnes qui les demandaient les conseils des Immortels. Des foules de visiteurs venaient les consulter, aussi bien que sacrifier des victimes et déposer de riches offrandes ; mais tant que le dieu fit ses délices du son de la harpe qui accompagnait le chant des Pæans, il n’était nullement désireux d’encourager des courses de chars et de chevaux dans le voisinage. Qui plus est, l’auteur de l’hymne croit que le bruit des chevaux serait un mal, — que les mulets en buvant dans les fontaines sacrées les profaneraient, — et que le spectacle fastueux de chars bien construits serait répréhensible[13] — comme tendant à détourner l’attention des spectateurs du grand temple et de sa richesse. Le dieu évita ces inconvénients en plaçant son sanctuaire sur les rochers de Pythô, — retraite inégale et raboteuse, de médiocres dimensions, enfoncée clans le versant méridional du Parnasos, et à environ 2.000 pieds (= 610 mètres) au dessus du niveau de la mer ; tandis que les sommets les plus élevés du Parnasos atteignent une hauteur de prés de 8.000 pieds (= 2.440 mètres). La situation était extrêmement imposante, mais peu convenable par sa nature à la réunion d’un nombre considérable de spectateurs, — complètement impraticable pour des courses de chars, — et rendue propre à l’amphithéâtre aussi bien qu’au stadion seulement par un art et des frais plus récents ; le stadion primitif, quand on l’établit pour la première fois, fut placé dans la plaine située au-dessous. Une telle situation fournissait peu de moyens de subsistance, mais les sacrifices et les présents des visiteurs permettaient aux ministres du temple de vivre dans l’abondance[14], et il se forma par degrés un village à l’entour.

Près du sanctuaire de Pythô, et vers la même hauteur, était située l’ancienne ville phokienne de Krissa, sur un éperon avancé du Parnasos, — dominée par les précipices rocheux appelés les Phædriades, et dominant elle-même le ravin profond par lequel coule la rivière Pleistos. De l’autre côté de cette rivière s’élève la montagne escarpée Kirphis, qui s’avance au sud jusque dans le golfe de Corinthe, — la rivière parvenant à ce golfe par la large plaine krissæenne ou kirræenne, qui s’étend à l’ouest presque jusqu’à la ville lokrienne d’Amphissa ; plaine fertile et productive dans sa plus grande partie, quoiqu’elle le soit moins dans sa partie orientale située immédiatement au pied du Kirphis, où était placé le port de Kirrha[15]. Le temple, l’oracle et la richesse de Pythô appartiennent aux périodes les plus anciennes de l’antiquité grecque. Mais la solennité de cette fête célébrée tous les huit ans en l’honneur du dieu ne renfermait d’abord pas d’autre lutte que celle de bardes, qui chantaient chacun un paean en s’accompagnant de la harpe. J’ai déjà mentionné, dans un précédent volume, que l’assemblée amphiktyonique tenait l’une de ses assemblées semi-annuelles près du temple de Pythô, et l’autre aux Thermopylæ.

Dans ces temps reculés où l’hymne homérique a Apollon fut composé, la ville de, Krissa parait avoir été grande et puissante, possédant toute la large plaine qui s’étend entre le Parnasos, le Kirphis et le golfe, auquel elle donnait son nom, — et possédant aussi, ce qui était une propriété non moins importante, le sanctuaire adjacent clé Pythô même, que l’hymne identifie avec Krissa, n’indiquant pas Delphes comme un endroit séparé. Les Krissæens tiraient sans doute de grands profits de la quantité de visiteurs qui venaient voir Delphes, tant par terre que par mer, et Kirrha ne fut dans l’origine que le nom de leur port de mer. Toutefois, graduellement le port parait avoir grandi en importance aux dépens de la ville, précisément comme Apollonia et Ptolémaïs finirent par égaler Kyrênê et Barka, et comme Plymouth-Dock en grandissant est devenu Devonport ; tandis que clans le même temps le sanctuaire de Pythô avec ses administrateurs, en se développant, devenait la ville de Delphes, et en venait à prétendre à une existence personnelle et indépendante. Les relations qui existaient dans l’origine entre Krissa, Kirrha et Delphes furent ainsi, détruites à la fin, la première déclinant et les deux dernières s’élevant. Les Krissæens se trouvèrent dépossédés de l’administration du temple, qui passa aux Delphiens, aussi bien que des profits provenant des visiteurs, dont les dépenses allèrent enrichir les habitants de Kirrha. Krissa était une cité primitive du nom phokien, et pouvait se vanter d’une place comme telle dans le Catalogue Homérique, de sorte que la perte de son importance n’était pas de nature à être endurée tranquillement. De plus, outre les faits que nous venons de citer, déjà suffisants en eux-mêmes pour être des germes de querelle, on nous dit que les Kyrrhæens abusaient de leur position comme maîtres de l’avenue du temple par mer, et qu’ils levaient des impôts exorbitants sur les visiteurs qui y abordaient, — nombre augmentant constamment par suite de la multiplication des colonies d’outre-mer et de la prospérité de celles d’Italie et dé Sicile. Outre cette offense faite au public grec en général, ils avaient aussi encouru l’inimitié de leurs voisins phokiens par des outrages dont des femmes phokiennes aussi bien qu’argiennes avaient été les victimes en revenant du temple[16].

Tel était le cas apparemment, lorsque l’assemblée amphiktyonique intervint pour punir les Kyrrhæens, — ou poussée par les Phokiens, ou peut-être de son propre mouvement spontané, par respect pour le temple. Après une guerre de dis ans, la première Guerre Sacrée en Grèce, cet objet fut complètement accompli par une armée composée de Thessaliens sous Eurylochos, de Sikyoniens sous Kleisthenês, et d’Athéniens sous. Alkmæôn réunis, l’Athénien Solôn étant la personne qui la première proposa et fit voter l’intervention dans le conseil amphiktyonique, et Kirrha parait avoir fait une rigoureuse résistance, jusqu’au moment on les approvisionnements par mer furent interceptés par les forces navales du Sikyonien Kleisthenês. Même après la prise de la ville, les habitants se défendirent quelque temps sur les hauteurs de Kirphis[17]. Enfin, cependant, ils furent complètement vaincus. Leur ville fut détruite, ou on lui permit d’exister seulement comme lieu de débarquement ; tandis que toute la plaine adjacente fut consacrée au dieu delphien, dont les domaines ainsi touchaient la mer. En vertu de cette sentence, prononcée par le sentiment religieux de la Grèce, et sanctifiée par un serinent solennel prononcé publiquement et inscrit à Delphes, la terre fut condamnée à rester sans être cultivée ni plantée, privée de tout soin humain, et servant seulement au pâturage pour le bétail. Cette dernière circonstance était avantageuse au temple, en ce qu’elle fournissait une grande quantité de victimes pour les pèlerins qui abordaient et venaient sacrifier, — car sans sacrifice préliminaire personne ne pouvait consulter l’oracle[18] ; tandis que l’interdiction absolue de labourer était le seul moyen d’obvier à l’extension du domaine d’un autre voisin importun sur le bord de la mer. Il est certain que Kirrha fut ruinée dans cette guerre ; bien que la nécessité d’avoir un port pour les visiteurs arrivant par mer conduisit à la renaissance graduelle de la ville, avec des prétentions d’un degré plus humble. Mais la destinée de Krissa n’est pas aussi claire, et nous ne savons pas si elle fut détruite, ou si on la laissa exister dans une position d’infériorité à l’égard de Delphes. Cependant, à partir de ce temps, la communauté delphienne parait comme indépendante et autonome, exerçant de son chef l’administration du temple ; nous trouverons toutefois clans plus d’une occasion que les Phokiens contestent ce droit et réclament cette administration pour eux-mêmes[19], — reste de cette ancienne époque où l’oracle était dans le domaine de la phokienne Krissa : Il semble en outre qu’il existait une antipathie -constante entre les Delphiens et les Phokiens.

La Guerre Sacrée que nous venons de mentionner, — émanant d’un décret amphiktyonique solennel, faite par les troupes combinées de différents États dont nous ne connaissons aucune coopération antérieure, et dirigée exclusivement vers un but d’intérêt commun, — est en elle-même un fait de haute importance, en ce qu’elle manifeste un développement prononcé du sentiment panhellénique. Sparte n’est point nommée comme intervenant, — circonstance qui semble remarquable lorsque nous considérons et sa puissance, même dans l’état où elle était alors, et ses rapports intimes avec l’oracle delphien, — tandis que les Athéniens paraissent comme les principaux moteurs, par l’intermédiaire des plus grands et des meilleurs de leurs citoyens. L’honneur d’un patriotisme à larges idées repose sur eux d’une manière toute particulière.

Mais si cette Guerre Sacrée elle-même prouve que l’esprit panhellénique gagnait en force, le résultat positif par lequel elle se termina renforça cet esprit encore davantage. Les alliés victorieux employèrent les dépouilles de Kirrha à fonder les jeux Pythiens. La fête célébrée jusqu’alors tous les huit ans à Delphes en l’honneur du dieu, et qui ne renfermait pas d’autre lutte que celle de la harpe et du pæan, en se développant se transforma enjeux compréhensifs sur le modèle des jeux Olympiques, avec des combats non seulement de musique, mais encore de gymnastique et  de chars, célébrés non à Delphes même, mais dans la plaine maritime voisine de Kyrrha détruite, — et sous la surveillance directe des amphiktyons eux-mêmes. J’ai déjà mentionné que Solôn destinait des récompenses considérables à ceux des Athéniens qui remportaient des victoires aux jeux Olympiques et Isthmiques, indiquant par là combien il sentait la grande importance des jeux nationaux comme moyen de favoriser des rapports helléniques réciproques. Ce fut le même sentiment qui poussa à la fondation des nouveaux jeux dans la plaine kirrhæenne, en commémoration de l’honneur vengé d’Apollon, et dans le territoire nouvellement cédé au dieu. Ils étaient célébrés en automne, c’est-à-dire dans la première moitié de chaque troisième année Olympique ; lès Amphiktyons étant les agonothètes ou administrateurs ostensibles, et désignant des personnes pour remplir ce devoir en leur nom[20]. A la première cérémonie pythienne (en 586 av. J.-C), on donna d’importantes récompenses aux différents vainqueurs ; à la seconde (582 av. J.-C.), il ne fut accordé que des couronnes de laurier, — la célébrité à laquelle les jeux parvinrent rapidement étant telle qu’elle rendait toute autre récompense superflue. Le despote sikyonien Kleisthenês lui-même, l’un des chefs dans la conquête de Kirrha, gagna le prix à la course des chars aux seconds jeux Pythiens. Nous trouvons d’autres grands personnages en Grèce, souvent mentionnés comme compétiteurs ; et les jeux conservèrent longtemps une dignité qui ne le cédait qu’aux jeux Olympiques, sur lesquels, en effet ; ils avaient quelques avantages : d’abord, on n’en abusa pas dans le dessein de favoriser les petites jalousies et les petites antipathies d’un État qui les administrait, comme les jeux Olympiques furent pervertis par les Eleiens dans plus d’une occasion ; ensuite ils comprenaient la musique et la poésie aussi bien que le déploiement de la force corporelle. D’après ces circonstances accompagnant leur fondation, les jeux Pythiens méritèrent, même plutôt que les Olympiques, le titre que leur conféra Démosthène — l’Agôn commun des Grecs[21].

Les jeux Olympiques et Pythiens continuèrent toujours d’être les solennités les plus générées en Grèce. Cependant les Nemea et les Isthmia acquirent une célébrité qui n`était pas de beaucoup inférieure ; le prix olympique comptant pour le plus élevé de tous[22]. Les Nemea et les Isthmia se distinguaient des deux autres fêtes parce que ces jeux se célébraient, non pas une fois en quatre ans, mais une fois en deux ans : les premiers dans la seconde et la quatrième année de chaque. Olympiade, les derniers dans la première et la troisième. A tous deux on attribue, suivant l’usage grec, une origine qui se rattache à des personnes et à des circonstances intéressantes de l’antiquité légendaire ; mais nos connaissances historiques, quant à ce qui les concerne, commencent avec le sixième siècle avant J.-C. La première fête néméenne historique est présentée comme appartenant à l’Olympiade cinquante-deux ou cinquante-trois (572-568 av. J.-C.), peu d’années après la Guerre Sacrée que nous avons mentionnée plus haut et après l’origine des Pythia. La fête était célébrée en honneur de Zeus Néméen, dans la vallée de Nemea, entre Phlionte et Kleônæ. Les Kleônæens eux-mêmes en furent dans l’origine les présidents, jusqu’à ce que, à quelque époque après 460 avant J.-C., les Argiens les privassent de cet honneur et prissent pour eux-mêmes le privilège de l’administration[23]. Les jeux Néméens avaient, aussi bien que les Olympiques, leurs Hellanodikæ[24] pour surveiller, maintenir l’ordre et distribuer les prix.

Relativement à la fête isthmique, le premier renseignement historique que nous ayons est un peu plus ancien ; car nous avons déjà dit que Solôn destina une récompense à tout citoyen athénien qui gagnait un prix à cette fête aussi bien qu’à la fête olympique, — en 594 avant J.-C. ou après. Elle était célébrée par les Corinthiens à leur isthme, en l’honneur de Poseidôn ; et si nous pouvons tirer quelque conclusion des légendes relatives à sa fondation, qui est attribuée parfois à Thêseus, les Athéniens paraissent l’avoir identifiée avec les antiquités de leur propre État[25].

Nous voyons ainsi que l’intervalle qui existe entre 600 et 560 avant J.-C. présente la première manifestation historique des Pythia, des Isthmia et des Nemea, — la première expansion de toutes les trois fêtes, devenant panhelléniques de locales qu’elles étaient. Aux jeux Olympiques, pendant quelque temps le seul grand centre d’union entre tous les Grecs dispersés au loin, sont maintenant ajoutés trois autres agônes du même caractère public, ouvert, national, constituant des signes visibles aussi bien que des liens tutélaires d’un hellénisme collectif, et assurant à tout Grec qui venait prendre part aux luttes un passage sûr et inviolable, même a travers les États helléniques hostiles[26]. Ces quatre jeux, trous dans le Péloponnèse ou auprès, et dont l’un revenait chaque année, formaient la Période ou cycle des jeux sacrés, et ceux qui avaient gagné des prix à tous les quatre étaient désignés. par le titre enviable de Periodonikes[27]. Les honneurs rendus aux vainqueurs olympiques, à leur retour dans leur ville natale, étaient prodigieux même au sixième siècle avant J.-C., et devinrent même plus extravagants dans la suite. Nous pouvons faire remarquer que, dans les jeux Olympiques seuls, les plus anciens aussi bien que les plus illustres des quatre, l’élément musical et intellectuel manquait. Les trois agônes plus récents comprenaient tous des couronnes pour des exercices de musique et de poésie, ainsi que pour la gymnastique, les chars et les chevaux.

Ce ne fut pas seulement dans le cachet national caractéristique, imprimé sur ces quatre grandes fêtes, que se montra le progrès graduel du sentiment hellénique de famille, pendant le cours de cette période la plus reculée de l’histoire grecque. Conformément aux mêmes tendances, des fêtes religieuses dans toutes les cités considérables devinrent graduellement de plus en plus ouvertes et accessibles, attirant des hôtes aussi bien que des compétiteurs d’au delà des frontières. La dignité relative de la cité, aussi bien que l’honneur rendu au dieu qui présidait, se mesura sur le nombre, l’admiration et l’envie des visiteurs qui la fréquentaient[28]. Il n’y a pas, en effet, de preuve positive d’une telle expansion dans les fêtes attiques avant le règne de Pisistrate, qui ajouta le premier les grandes fêtes Panathenæa célébrées tous les quatre ans aux anciennes petites fêtes Panathenæa célébrées annuellement. Nous ne pouvons pas non plus retrouver les traces, de progrès par rapport à Thèbes, à Orchomenos, à Thespiæ, à Megara, à Sikyôn, à Pellênê, à Ægina, à Argos, etc. ; mais nous trouvons d’amples raisons pour croire que telle fut la réalité en général. Parmi les vainqueurs olympiques ou isthmiques que célébraient Pindare et Simonide, un grand nombre devaient une partie de leur renommée à des victoires antérieures remportées dans plusieurs de ces luttes, locales[29], victoires quelquefois assez nombreuses pour prouver combien l’habitude d’une fréquentation réciproque s’était répandue au loin[30] ; bien que nous trouvions, même au troisième siècle avant J.-C., des traités d’alliance entre diverses cités, dans lesquels on juge nécessaire de conférer un tel droit mutuel par stipulation expresse. On tentait par des prix de grande valeur des compétiteurs distingués en gymnastique et en musique. Timée même affirmait, comme preuve de l’orgueil présomptueux de Krotôn et de Sybaris, que ces cités essayèrent de supplanter la prééminence des jeux Olympiques, en établissant des jeux particuliers avec les prix les plus riches, qui seraient célébrés en même temps[31] ; assertion qui, en elle-même, ne mérite, pas créance, mais qui, néanmoins, explique encore la rivalité animée que l’on sait avoir régné parmi les cités grecques, dans le dessein de se procurer des jeux magnifiques et fréquentés. A l’époque où fut composé l’hymne homérique à Dêmêtêr, le culte de cette déesse semble avoir été purement local à Eleusis. Mais, avant la guerre des Perses, la fête célébrée chaque année par les Athéniens, en l’honneur de Dêmêtêr Eleusinienne, admettait à l’initiation des Grecs de toute cité, et était suivie par des troupes nombreuses de visiteurs grecs[32].

Ce fut ainsi que la simplicité et la stricte application locale de la fête religieuse primitive, dans les plus grands États de la Grèce, en se développant par degrés, à certaines grandes occasions qui revenaient périodiquement, se transformèrent en une série de spectacles réglée dans ses moindres détails, — non seulement admettant, mais encore sollicitant la présence fraternelle de tous les spectateurs helléniques. Sous ce rapport, Sparte semble avoir fait une exception aux autres États. Ses fêtes étaient pour elle seule, et sa rudesse générale à l’égard des autres Grecs ne s’adoucissait pas beaucoup, même aux Karneia[33] et aux Hyakinthia ou Gymnopædiae. D’autre part, les Dionysia attiques s’élevèrent graduellement ; à leur primitive explosion grossière et spontanée de sentiment de village qui exprimait la reconnaissance à l’égard du dieu, et que suivaient le chant, la danse et des réjouissances de toute sorte, succédèrent peu à peu des représentations somptueuses et diversifiées, d’abord au moyen d’un choeur exercé, ensuite au moyen d’acteurs ajoutés au chœur[34]. Et si les compositions dramatiques personnifiaient la perfection de l’art grec, elles étaient aussi excellemment calculées pour appeler un auditoire panhellénique et pour encourager le sentiment d’unité hellénique. Cependant la littérature dramatique d’Athènes appartient proprement à une période plus récente. Antérieurement à l’année 560 avant J.-C. ; nous ne voyons que ces commencements d’innovation qui attirèrent à Thespis[35] le blâme de Solôn ; et cependant ce dernier contribua lui-même à donner à la fête Panathénaïque un caractère plus solennel et plus attrayant, en réprimant la licence des rhapsodes et en assurant à ceux qui étaient présents une récitation entièrement régulière de l’Iliade.

Les fêtes et les jeux sacrés, cités ici comme classe, s’emparèrent de l’esprit grec par une si grande variété de sentiments[36], qu’ils contrebalancèrent à un haut degré la désunion politique, et entretinrent dans leurs cités semées au loin, au milieu de jalousies constantes et de fréquentes querelles, un esprit de fraternité et un sentiment sympathique qui autrement auraient péri. Les Theôres ou envoyés sacrés qui venaient à Olympia ou à Delphes de tant de points différents sacrifiaient tous au même dieu et au même autel, assistaient aux mêmes divertissements, et contribuaient par leurs dons à enrichir ou à orner un seul théâtre respecté. De plus, la fête fournissait une occasion pour une sorte de foire, donnant lieu à beaucoup de trafic dans une masse si considérable de spectateurs[37] ; et outre les représentations des jeux eux-mêmes, il y avait des récitations et des lectures dans une salle de conseil spacieuse pour ceux qui préféraient les entendre, faites par des poètes, des rhapsodes, des philosophes et des historiens, — et c’est dans ces dernières réunions, dit-on ; que l’histoire d’Hérodote fut lire publiquement par son auteur[38]. Parmi les personnages riches et considérables dans les diverses cités, il y en avait beaucoup qui luttaient simplement pour les victoires de chars et de chevaux. Mais il y en avait d’autres dont l’ambition était d’un caractère plus rigoureusement personnel, et qui se dépouillaient complètement de leurs vêtements comme coureurs, pugiles et pancratiastes, après avoir passé auparavant par l’extrême fatigue d’une préparation complète. Kylôn, dont la tentative malheureuse pour usurper le sceptre à Athènes, a été racontée, avait gagné le prix dans le stadion olympique ; Alexandre, fils d’Amyntas, prince de Macedonia, avait couru pour l’obtenir[39] ; la grande famille des Diagoridæ à Rhodes, qui donnait des magistrats et des généraux à sa ville natale, fournissait un plus grand nombre encore de pugiles et de pancratiastes heureux à Olympia, tandis qu’il se présente aussi d’autres, exemples de généraux nommés par diverses cités et pris dans la liste des gymnastes olympiques vainqueurs ; et les odes de Pindare, toujours payées cher, attestent combien-il se trouvait dans cette liste d’hommes riches et considérables[40]. La popularité et l’égalité absolues des personnes, à ces grands jeux, sont un trait non moins remarquable que, l’attachement exact à une règle déterminée à l’avance, et la soumission volontaire d’une foule immense à une poignée de serviteurs armés de bâtons[41], qui exécutaient les ordres des hellanodikæ éleiens. Le terrain sur lequel la cérémonie se célébrait, et même le territoire de la ville qui l’administrait, étaient protégés par une trêve de Dieu pendant le mois de la fête, dont le commencement était annoncé dans les formes par des hérauts que l’on envoyait de ville en ville dans les différents États. Des traités de paix conclus entre diverses cités étaient souvent rappelés formellement par des colonnes érigées en cet endroit, et l’impression générale de la scène ne suggérait que des idées de paix et de fraternité parmi les Grecs[42]. Et je puis faire remarquer que l’impression des jeux en tant qu’appartenant à tous les Grecs, et à personne autre qu’à des Grecs, fut plus forte et plus manifeste pendant l’intervalle de temps qui s’écoule entre 600 et 300 avant J.-C., qu’il ne lui arriva de l’être dans la suite. Car les conquêtes macédoniennes eurent pour effet de dissoudre et de corrompre l’hellénisme, en étendant ‘un vernis extérieur de goûts et d’usages helléniques sur une, vaste surface d’étrangers hétérogènes, qui étaient incapables d’avoir l’élévation réelle du caractère hellénique ; de sorte que, bien que les jeux continuassent sans perdre ni en attrait, ni sous le rapport du nombre des visiteurs, l’esprit de communauté panhellénique qui avait jadis animé la scène avait disparu pour toujours.

 

 

 



[1] Thucydide, I, 15.

[2] Thucydide, I, 26. Voir dans Pausanias (V, 25, 1) le récit de l’ancien chœur envoyé annuellement de Messênê en Sicile par le détroit à Rhegium, pour assister à une fête locale des Rhégiens, — trente-cinq enfants avec un maître des choeurs et un joueur de flûte ; dans une occasion malheureuse, tous périrent en traversant le détroit. Pour la theôria (ou députation religieuse solennelle) envoyée périodiquement à Dêlos par les Athéniens, v. Plutarque, Nikias, c. 3 ; Platon, Phædon, c. 1, p. 58. Cf. aussi Strabon, IX, p. 419, sur le sujet en général.

[3] Homère, Iliade, XI, 879 ; XXIII, 679 ; Hésiode, Opp. Di., 651.

[4] Homère, Hymne Apoll., 150 ; Thucydide, III, 104.

[5] Pausanias, V, 6, 5 ; Élien, H. N., X, 1 ; Thucydide, III, 104. Quand Ephesos et la fête appelée Ephesia furent devenues le grand centre d’assemblée ionienne, les femmes continuèrent encore d’y assister (Denys d’Hal., A. R., IV, 25).

[6] Strabon, VIII, p. 353 ; Pindare, Olymp., VIII, 2 ; Xénophon, Helléniques, IV, 7, 2 ; III, 2, 22.

[7] V. K. F. Hermann, Lehrbuch der Griechischen Staatsalterthümer, section 10.

[8] Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom., I, 71 ; Phlegon, De Olympiad., p. 140. Comme explication de l’importance que les Grecs attachaient aux récompenses purement honorifiques d’Olympia, et à l’honneur qu’ils acquéraient comme compétiteurs, non pour l’argent, mais pour la gloire, v. Hérodote, VIII, 26. Cf. les Scholies sur Pindare, Nem. et Isthm. Argument., p. 435-514, éd. Bœckh.

[9] V. le sentiment, quelque peu méprisant d’Agésilas, relativement à la course de chars, telle que la décrit Xénophon (Agésilas, IX, 6) : le sentiment général de la Grèce, cependant, est plus conforme à ce que Thucydide (VI, 16) met dans la bouche d’Alkibiadês, et Xénophon dans celle de Simonide (Xénophon, Hiéron, XI, 5). Le grand respect attaché a une famille qui avait gagné des victoires aux courses de chars est abondamment attesté. V. Hérodote, VI, 35, 36, 103, 126 et VI, 70, sur Demaratos, roi de Sparte.

[10] Anthologie Palatine, LX, 588 ; vol. II, p. 299, Jacobs.

[11] Le mot grec primitif exprimant cette couverture (qui entourait le milieu de la main et la partie supérieure des doigts, laissant à la fois exposés les extrémités des doigts et le pouce) était ίμάς, mot signifiant courroie, lanière ou fouet de cuir : le mot spécial μύρμηξ semble avoir été introduit plus tard (Hesychius, v. Ίμάς). V. Homère, Iliade, XXIII, 686. Cestus ou cæstus est le mot latin (Virgile, Énéide, V, 404). Le mot grec κεστός est un adjectif annexé à ίμάς (Iliade, XIV, 214 ; III, 371). V. Pausanias, VIII, 40, 3, pour la description d’un incident qui amena un changement dans cette couverture de la main aux jeux Néméens : finalement elle fut rendue encore plus dure par l’addition de fer.

[12] Pindare, Olymp., V, 6 : Cf. Schol. ad Pindare, Olymp., III, 33.

V. les faits relatifs à l’Agôn Olympique rassemblés par Corsini (Dissertationes Agonisticæ, Dissert. I, sect. 8, 9, 10), et exposés encore plus abondamment, avec un excellent commentaire, par Krause (Olympia, oder Darstellung der grossen Olympischen Spiele, Wien 1838, sect. 8-11 spécialement).

[13] Homère, Hymne Apoll., 262 et 288-394 ; Pindare, Pyth., VIII, 90 ; Strabon, IX, p. 418. — Héliodore, Æthiop., II, 26. Cf. Wilh. Goette, Das Delphische Orakel (Leipzig, 1839), p. 39-42.

[14] Βωμοί μ̕ έφερβον, οΰπιών τ̕ άεί ξένος, dit Ion (dans Euripide, Ion, 334), l’esclave d’Apollon et l’huissier de son temple Delphien, qui l’arrose de l’eau de la source Kastalienne, le balaye avec des branches de laurier, et le protège avec son arc et ses flèches contre les oiseaux importuns (Ion, 105, 143, 154). En lisant la description du prof. Ulrichs (Reisen und Forschungen in Griechenland, ch. 7, p. 110), on verra que les oiseaux — aigles, vautours et corbeaux — sont réellement assez nombreux pour avoir été excessivement importuns. Toute la pièce d’Ion donne nue idée animée du temple Delphien et de ses scènes, avec lesquels Euripide citait sans doute familier.

[15] Il y a un embarras considérable relativement à Krissa et à Kirrha, et il reste encore parmi les savants la question de savoir si les deux noms désignent le même endroit ou des endroits différents. O. Müller est de la première opinion (Orchomenos, p. 495). Strabon distingue les deux ; Pausanias les identifie, ne croyant pas qu’il ait jamais existé d’autre ville que le port (X, 37, 4). Mannert (Geogr. Gr. Roem., VIII, p. 148) suit Strabon, et les représente comme différents.

Cette dernière opinion me semble la vraie, d’après les raisons et en partie aussi d’après le soigneux examen topographique du prof. Ulrichs, qui donne un excellent exposé de tout l’aspect de Delphes (Reisen und Forschungen in Griechenland, Bremen, 1840, eh. 1, 2, 3). Les ruines qu’il décrit, situées sur le terrain élevé voisin de Kastri, appelées les Quarante-Saints, peuvent à bon droit être considérées comme les ruines de Krissa ; celles de Kirrha sont sur le bord de la mer, près de l’embouchure du Pleistos. La plaine placée en dessous pouvait bien être appelée soit la plaine Krissæenne, soit la plaine Kirrhæenne (Hérodote, VIII, 32 ; Strabon, IX, p. 419). Bien que Strabon eût raison en distinguant Krissa de Kirrha ; et raison aussi en plaçant la dernière an pied du Kirphis, il comprenait inexactement la situation de Krissa ; et aucune autre preuve ne confirme ce qu’il dit, à savoir, qu’il y eut deux guerres — dans la première desquelles Kirrha fut détruite par les Krissæens, tandis que dans la seconde Krissa elle-même fut conquise par les Amphiktyons.

Cette seule circonstance, à savoir, que Pindare nous donne dans trois passages séparés Κρίσα, Κρισαϊον, Κρισαίοις (Isth., II, 26 ; Pyth., V, 49 ; VI, 18), et dans cinq autres passages Κίρρα, Κίρρας, Κίρραθεν (Pyth., III, 33 ; VII, 14 ; VIII, 26 ; X, 24, XI, 20), prouve d’une manière presque certaine que les deux noms appartiennent à des endroits différents, et ne sont pas seulement deux noms différents pour le même endroit ; le poète ne pouvait avoir dans ce cas aucune raison métrique pour varier la dénomination, puisque la mesure des deux mots est la même.

[16] Athénée, XIII, p. 560 ; Eschine, cont. Ktesiphont., c. 36, p. 406 ; Strabon, IX, p. 418. Au sujet des Akragallidæ, ou Kraugallidæ, qu’Eschine mentionne avec les Kyrrhæens comme une autre race impie qui habitait dans le voisinage du dieu — et qui fut détruite en même temps que les Kyrrhæens — nous n’avons pas d`antre renseignement. Selon une conjecture de O. Müller, ils seraient identiques aux Dryopes (Dorians, I, 2, 5, et son Orchomenos, p. 496) ; Harpocration, v. Κραυγαλλίδαι.

[17] Schol. ad Pindare, Pyth., Introduct. ; Schol. ad Pindare, Nem., IX, 2 ; Plutarque, Solôn, c. 11 ; Pausanias, II, 9, 6. Pausanias (X, 37, 4) et Polyen (Stratagèmes, III, 6) rapportent un stratagème de Solôn ou d’Eurylochos, consistant à empoisonner l’eau des Kyrrhæens avec de l’ellébore.

[18] Euripide, Ion, 230.

[19] Thucydide, I, 112.

[20] M. Clinton pense que les jeux Pythiens étaient célébrés en automne : M. Bœckh en reporte la célébration au printemps : Krause est de l’avis de Bœckh (Clinton, Fast. Hell., vol. II, p. 200, Appendice ; Bœckh, ad Corp. Inscr., n° 1688, p. 813 ; Krause, Die Pythien, Nemeen und Isthmien, vol. II, p. 29-35).

L’opinion de M. Clinton me parait la seule juste. Bœckh admet qu’à l’exception de Thucydide (V, 1-19) les autres autorités tendent à soutenir cette opinion ; mais il s’appuie sur Thucydide pour l’emporter sur elles. Or, le passage de Thucydide, convenablement compris, me semble autant en faveur de l’idée de M. Clinton, sinon plus.

Je puis faire remarquer, comme une certaine raison de plus en faveur de l’idée de M. Clinton, que les Isthmia paraissent avoir été célébrés dans la troisième année de chaque Olympiade et au printemps (Krause, p. 187). Il ne semble pas probable que ces deux grandes fêtes vinssent immédiatement l’une après l’autre, ce que l’on doit néanmoins supposer, si nous adoptons l’opinion de Bœckh et de Krause.

Bien que les jeux Pythiens appartiennent à la fin de l’été ou au commencement de l’automne, le mois exact n’est pas facile à déterminer. V. les passages dans K.-F. Hermann, Lehrbuch der gottesdienstlichen Alterthümer der Griechen, ch. 49, not. 12.

[21] Démosthène, Philipp., III, p. 119.

[22] Pindare, Nem., X, 28-33.

[23] Strabon, VIII, p. 377 ; Plutarque, Aratus, c. 28 ; Mannert, Geogr. Gr. Roem., part. VIII, p. 650. Cf. le second chapitre dans Krause, Die Pythien, Nemeen und Isthmien, vol. II, p. 108 sqq.

Que les Kleônæens aient continué sans interruption à administrer la fête Néméenne jusqu’à l’Olympiade 80 (640 av. J.-C.) ou environ, c’est la conclusion raisonnable à tirer de Pindare, Nem., X, 42 : cf. Nem., IV, 17. Eusèbe, il la vérité, dit que les Argiens s’emparèrent de l’administration dans l’Olympiade 53. Pour concilier cette assertion avec le passage cité plus haut de Pindare, des critiques ont conclu que les Argiens la perdirent à leur tour, et que les Kleônæens la reprirent un peu avant l’Olympiade 80. J’adopte une idée différente, et je suis disposé à rejeter complètement l’assertion d’Eusèbe ; d’autant plus que la dixième ode Néméenne de Pindare est adressée à un citoyen argien nommé Theiæos ; et s’il y avait eu à cette époque une dispute constante entre Argos et Kleônæ au sujet de l’administration des Nemea, le poète aurait difficilement introduit la mention des prix Néméens gagnés par les ancêtres de Theiæos, sous la dénomination malencontreuse de prix reçus d’hommes kleônæens.

[24] V. Bœckh, Corp. Incript., n° 1126.

[25] K.-F. Hermann, dans son Lehrbuch der Griechischen Staatsalterthümer (ch. 32, not. 7, et ch. 65, not. 3), et encore dans son ouvrage plus récent (Lehrbuch der Gottesdienstlichen Alterthümer der Griechen, part. III, ch. 49 et not. 6), publications toutes les deux d’une grande valeur, soutient — 1° que l’élévation des jeux Isthmiques et Néméens à une importance panhellénique se fit directement après la chute des despotes de Corinthe et de Sikyôn qui en fut la cause ; 2° qu’elle fut accomplie par l’influence dominante des Dôriens, spécialement par Sparte ; 3° que les Spartiates renversèrent les despotes de ces deux cités.

La dernière de ces trois propositions me parait inexacte par rapport à Sikyôn — improbable par rapport à Corinthe : dans un précédent chapitre j’ai donné les motifs de mon opinion. Et s’il en est ainsi, la raison polir laquelle on suppose une intervention spartiate quant aux jeux Isthmiques et Néméens tombe à plat ; car il n’en existe pas d’autre preuve, et Sparte ne parait s’être intéressée à aucune des quatre fêtes nationales, excepté à la fête Olympique, à laquelle elle était particulièrement rattachée depuis une époque reculée.

Je ne puis pas non plus croire que la première des trois propositions d’Hermann soit du tout soutenable. On ne peut prouver ale rapport quelconque entre Sikyôn et les jeux Néméens ; et ce qui rend d’autant plus improbable dans ce cas que les Sikyoniens auraient été actifs, c’est que sous Kleisthenês, un peu auparavant, ils avaient contribué à nationaliser les jeux Pythiens ; on ne doit pas supposer une seconde intervention dans un but semblable sans quelque preuve. Pour prouver ce qu’il avance au sujet des Isthmia, Hermann ne cite qu’un passage de Solinus (VII, 14) : Hoc spectaculum, per Cypselum tyrannum intermissum, Corinthii Olymp. 49 solemnitati pristinæ reddiderunt. Pour rendre ce passage quelque peu croyable, nous devons lire Cypselidas au lieu de Cypselum, ce qui diminue la valeur d’un témoin dont le témoignage ne peut jamais dans aucune circonstance être estimé beaucoup. Mais en accordant ce changement, il y a deux raisons contre l’assertion de Solinus. L’une, raison positive, c’est que Solôn offrit une récompense considérable à des vainqueurs athéniens dans les jeux Isthmiques ; sa législation tombe en 594 avant J.-C., dix ans avant le temps où les Isthmia furent, suivant ce que dit Solinus, renouvelés après un long intervalle. L’autre raison (négative, bien qu’à mes yeux aussi puissante) est le silence d’Hérodote dans cette longue invective qu’il met dans la bouche de Sosiklês contre les Kypsélides (V. 92). Si Kypselos avait été réellement coupable d’une aussi grande insulte aux sentiments du peuple en supprimant leur fête la plus solennelle, le fait aurait difficilement été omis dans l’accusation que, suivant l’historien, Sosiklês porta contre lui. Aristote, à la vérité, en représentant Kypselos comme un despote doux et populaire, offre un aspect opposé de son caractère, qui, si nous l’admettons, suffirait seul à réfuter la supposition qu’il avait supprimé les Isthmia.

[26] Plutarque, Aratus, c. 28.

[27] Festus, v. Perihodos, p. 217, éd. Müller. V. la protestation animée du philosophe Xenophanês contre les grandes récompenses données aux vainqueurs olympiques (540-520 av. J.-C), Xénophane, Fragm. 2, p. 357, éd. Bergk.

[28] Thucydide, VI, 16.

Les grandes fêtes Panatheniea sont attribuées à Pisistrate par le Scholiaste d’Aristeidês, vol. III, p. 323, éd. Dindorf. En jugeant d’après ce qui précède immédiatement, le renseignement semble venir d’Aristote.

[29] Simonide, Fragm. 154-158, éd. Bergk ; Pindare, Nem., X, 45 ; Olymp., XIII, 107.

L’athlète distingué Theagenês avait gagné, assure-t-on, 1.200 prix dans ces divers agônes ; selon quelques-uns, 1.400 prix (Pausanias, VI, 11, 2 ; Plutarque, Præcept. Reip. Ger., c. 15, p. 811).

Un athlète appelé Apollonius arriva trop tard pour les jeux Olympiques, étant resté absent trop longtemps par le désir qu’il avait de gagner de l’argent à divers agônes en Iônia (Pausanias, V, 21, 5).

[30] V. particulièrement le traité conclu entre les habitants de Latos et ceux d’Olonte en Krête, dans le Corp. Inscript., n° 2554, de Bœckh, où cette réciprocité est stipulée expressément. Bœckh place cette inscription dans le troisième siècle avant J.-C.

[31] Timée, Fragm. 82, éd. Didot. Les Krotoniates fournirent un grand nombre de vainqueurs tant aux jeux Olympiques qu’aux jeux Pythiens (Hérodote, VIII, 47 ; Pausanias, X, 5, 5 - X, 7, 3 ; Krause, Gymnastik und Agonistik der Hellenen, vol. III, sect. 29, p. 752).

[32] Hérodote, XIII, 65.

Hérodote mentionne comme quelque chose de spécial l’exclusion de tous les compétiteurs natifs de Lampsakos, des jeux célébrés dans la Chersonèse en l’honneur de l’œkiste Miltiadês (Hérodote, VI, 38).

[33] V. les remarques sur la manière dont les Lacédæmoniens décourageaient les visiteurs étrangers à leurs fêtes publiques, dans le discours que Thucydide fait prononcer à Periklês (Thucydide, II, 39).

Lichas le Spartiate se fit un grand renom en traitant d’une manière hospitalière les étrangers qui venaient aux Gymnopædiæ à Sparte (Xénophon, Memorab., I, 2, 61 ; Plutarque, Kimôn, c. 10) ; — récit qui prouve que quelques étrangers venaient aux fêtes spartiates, mais qui démontre aussi qu’ils n’étaient pas bien nombreux, et que leur témoigner des sentiments hospitaliers était une différence frappante avec le caractère général des Spartiates.

[34] Aristote, Poetic., c. 3 et 4 ; Maxime de Tyr, Diss. XXI, p. 215 ; Plutarque, De Cupidine Divitiarum, c. 8, p. 527 : cf. le traité Quod non potest suaviter vivi secundum Epicurum, c. 16, p. 1098. Les vieux oracles cités par Démosthène, Cont. Meindiam (c. 15, p. 531, et cont. Makartat., p. 1072 : V. aussi la note de Buttmann sur le premier passage) donnent l’idée de l’ancienne fête athénienne dans sa simplicité.

[35] Plutarque, Solôn, c. 29 : V. tom. IV, ch. 4.

[36] L’orateur Lysias, dans un Fragment conservé par Denys d’Halicarnasse, de son panégyrique aujourd’hui perdu, (vol. V, p. 520 R), décrit l’influente des jeux avec beaucoup de force et de simplicité.

[37] Cicéron, Tusc. Quæst., V, 3 : Mercatum eum qui haberetur maximo ludorum apparatu totius Græciæ celebritate : nam ut illic alii corporibus exercitatis gloriam et nobilitatem coronæ peterent, alii emundi aut vendendi quæstu et lucro ducerentur, etc.

Velleius Paterculus aussi (I, 8) et Justin (XIII, 5) appellent tous deux la fêté olympique du nom de Mercatus.

Il y avait des baraques tout à l’entour de l’Altis, ou enceinte sacrée de Zeus (Schol. Pindare, Olymp., XI, 55) pendant le temps des jeux.

Strabon fait observer avec justesse, relativement aux fêtes fréquentées par la multitude en général : — Ή πανήγυρις, έμπορικόν τι πράγμα (X, p. 486), spécialement par rapport à Délos. V. Cicéron, Pro Lege Maniliâ, c. 18 ; cf. Pausanias, X, 32, 9, au sujet de la Panegyris et de la foire à Tithoren en Phokis, et Becker, Chariklês, vol. I, p. 283.

A la fête attique des Hêrakleia, célébrée par la société appelée Mesogei, c’est-à-dire par un certain nombre de dêmes constituant Mesogæa, nu droit de marché réglé, ou άγοραστικόν, était levé sur ceux qui apportaient des marchandises à vendre (Inscriptiones Atticæ nuper repertæ 12, par E. Curtius, p. 3-7).

[38] Pausanias, VI, 23, 5 ; Diodore, XIV, 109 ; XV, 7 ; Lucien, Quomodo, historia sit conscribenda, c. 42. V. Krause, Olympia, sect. 29, p. 183-186.

[39] Thucydide, I, 120 ; Hérodote, V, 22-71. Eurybatês d’Argos (Hérodote, VI, 92) ; Philippos et Phayllos de Krotôn (V, 47 ; VIII, 47) ; Eualkidês d’Eretria (V, 102) ; Hermolykos d’Athènes (IX, 105).

Pindare (Nem., IV et VI) donne les nombreuses victoires des Bassidæ et des Theandridæ à Ægina ; également Melissos le pancratiaste et ses ancêtres les kleonymidæ de Thèbes (Isthm., III, 25).

Relativement à l’extrême célébrité de Diagoras et de ses fils, de la gens rhodienne Eratidæ, de Damagêtos, d’Akusilaos et de Doriens, V. Pindare, Olymp., VII, 16-145, avec les Scholies ; Thucydide, III, 11 ; Pausanias, VI, 7, 1, 2 ; Xénophon, Helléniques, I, 5, 19 : cf. Strabon XIV, p. 655.

[40] Les écrivains latins font remarquer comme particularité du sentiment grec, en tant que distingué du sentiment romain, que des hommes d’un rang élevé regardaient comme mi honneur de lutter dans les jeux. V. comme spécimen, Tacite, Dialogus de Orator., c. 9. Ac si in Gracia natus esses, ubi ludicras quoque artes exercere honestum est, ac tibi Nicostrati robur Dii dedissent, non paterer immunes illos et ad pugnam natos lacertos levitate jaculi vanescere. Et Cicéron, Pro Flacco, c. 13, dans son style sarcastique : Quid si etiam occisus est a piratis Adramyttenus, homo nobilis, cujus est fere nobis omnibus nomen auditum, Atinas pugil, Olympionices ? Hoc est apud Græcos (quoniam de eorum gravitate dicimus) prope majus et gloriosius, quam Romæ triomphasse.

[41] Lichas, un des hommes principaux de Sparte, et de plus un vainqueur à la course des chars, reçut réellement un châtiment sur place, infligé par ces agents, pour une infraction aux règlements (Thucydide, V, 50).

[42] Thucydide, V, 18-47 et la curieuse et ancienne inscription dans le Corpus Inscr., n° 11, p. 28 de Bœckh, rappelant la convention faite entre les Eleiens et les habitants de la ville Arkadienne de Heraa.

La comparaison de divers passages ayant trait aux Olympia, aux Isthmia et aux Nemea (Thucydide, III, 11 ; VIII, 9, 10 ; V, 49-51, et Xénophon, Helléniques, IV, 7, 2 ; V, 1, 29) montre que de sérieuses affaires politiques étaient souvent discutées h ces jeux, — que des diplomates profitaient des relations dans la pensée de découvrir les secrets desseins des États qu’ils suspectaient, — et que l’État administrateur pratiquait souvent des manoeuvres par rapport aux obligations de la trêve convenue pendant la Hieromonia ou période sainte.