HISTOIRE DE LA GRÈCE

QUATRIÈME VOLUME

CHAPITRE VIII — DÔRIENS ASIATIQUES.

 

 

Les îles de Rhodes, de Kôs, de Symê, de Nisiros, de Kasos et de Karpathos sont représentées dans le Catalogue homérique comme fournissant des troupes â l’armement grec devant Troie. Dans les temps historiques, Rhodes et Kôs sont occupées par des Doriens, la première avec ses trois cités séparées, de Lindos, de Ialysos et de Kameiros. Deux autres cités dôriennes, toutes deux sur le continent adjacent, sont unies à ces quatre villes comme membres d’une amphiktyonie sur le promontoire Triopien, ou extrémité sud-ouest de l’Asie Mineure, — constituant ainsi une Hexapolis, qui comprenait Halikarnassos, Knidos, Kôs, Lindos, Ialysos et Kameiros. Knidos était située sur le promontoire Triopien lui-même ; Halikarnassos plus au nord, sur la côte septentrionale du golfe Kéramique ; ni l’une ni l’autre de ces deux villes ne sont nommées dans Homère.

Nous avons déjà donné le récit légendaire ou l’origine de ces Dôriens asiatiques, et nous sommes forcés d’admettre leur Hexapolis comme une partie de la plus ancienne histoire grecque, dont on ne peut rendre aucun compte antérieur. Cette circonstance, que Rhodes et Kôs sont comprises dans le Catalogue de l’Iliade, nous amène à supposer qu’elles étaient grecques à une époque plus ancienne que les colonies ioniennes ou æoliennes. On peut faire remarquer que les deux frères Antiphos et Pheidippos de Kôs, et Tlêpolemos de Rhodes, sont Hêraklides, — les seuls Hêraklides qui figurent dans l’Iliade ; et le combat mortel entre Tlêpolemos et Sarpêdôn peut bien être une copie héroïque faite sur des luttes réelles, qui sans doute se livraient souvent entre les Rhodiens et leurs voisins les Lykiens. Que Rhodes et Kôs fussent déjà dôriennes’ à l’époque du Catalogue homérique, je ne vois pas de raison pour en douter. Ils ne sont pas appelés Dôriens dans ce Catalogue, mais nous pouvons bien supposer que le nom de Dôrien n’en était pas venu, à cette période reculée, â être employé comme grand nom de classe distinctif, comme il le fut dans la suite en opposition avec Ionien et Æolien. En rapportant l’histoire de Pheidôn d’Argos, j’ai mentionné plusieurs motifs qui font conjecturer que le commerce des Dôriens sur la côte orientale du Péloponnèse était considérable à une période reculée, et qu’il a bien pu y avoir des migrations dôriennes par mer vers la Krête et Rhodes, avant le temps de l’Iliade.

Hérodote nous dit que les six villes dôriennes qui avaient établi leur amphiktyonie sur le promontoire Triopien avaient soin de n’admettre aucun des Dôriens du voisinage à en faire partie. Parmi ces Dôriens voisins, nous reconnaissons les îles d’Astypalæa et de Kalymnæ[1], de Nisyros, de Karpathos, de Kymê, de Têlos, de Kasos et de Chalkia ; également, sur la côte continentale, Myndos, située sur la même péninsule qu’Halikarnassos, et Phasêlis, sur la côte orientale de la Lykia, du côté de la Pamphylia. Le fort rocher de Iasos sur la côte, à mi-chemin entre Milêtos et Halikarnassos, avait été, dit-on, fondé dans l’origine par des Argiens ; mais il fut forcé, par suite de guerres destructives avec les Kariens, d’admettre de nouveaux colons et un œkiste nêlide de Milêtos[2]. Bargylia et Karyanda semblent avoir été des établissements kariens plus ou moins hellénisés. Il y avait probablement d’autres villes dôriennes, que nous ne connaissons pas spécialement, auxquelles s’appliquait cette exclusion des solennités triopiennes. Les six villes réunies en amphiktyonie furent, dans la suite des temps, réduites â cinq, par l’exclusion d’Halikarnassos ; le motif (nous dit-on) fut le suivant : Ln citoyen d’Halikarnassos, qui avait gagné un trépied en prix, viola le règlement, qui exigeait que le trépied fait toujours consacré comme offrande dans le temple Triopien ; il l’emporta chez lui et en décora sa propre maison[3]. L’amphiktyonie dôrienne ne fut plus ainsi qu’une pentapolis. A quelle époque survint cet incident, nous l’ignorons ; il n’est peut-être pas non plus déraisonnable de conjecturer que la prédominance croissante de l’élément karien â Halikarnassos eut quelque influence pour amener l’exclusion, aussi bief que la mauvaise conduite individuelle du vainqueur Agasiklês.

 

 

 



[1] V. les inscriptions 2483-2671 dans la collection de Bœckh ; la dernière est une inscription iasienne, rapportant un décret dôrien rendu par les habitants de Kalymnæ ; et Ahrens, De Dialecto Doricâ, p. 15, 553 ; V, 53, 54.

[2] Polybe, XVI, 5.

[3] Hérodote, I, 144.