HISTOIRE DE LA GRÈCE

QUATRIÈME VOLUME

CHAPITRE III — PORTION IONIENNE DE LA HELLAS. - ATHÈNES AVANT SOLÔN.

 

 

Après avoir suivi dans les précédents chapitres le mince courant de l’histoire péloponnésienne, depuis le premier commencement d’une chronologie authentique en 776 avant J.-C. jusqu’au maximum de l’acquisition territoriale des Spartiates, et la reconnaissance générale de la suprématie de Sparte, antérieurement à 547 avant J. -C., j’en viens à exposer tout ce qui peut être établi relativement à la portion ionienne de la Hellas pendant la même période. Cette portion comprend Athènes et l’Eubœa, les îles Cyclades et les cités ioniennes sur la côte de l’Asie Mineure, avec leurs différentes colonies.

Quant au Péloponnèse, nous avons pu distinguer quelque chose de ressemblant à un ordre de faits réels dans la période en question : Sparte marche à grands pas, tandis que tombe Argos. Quant à Athènes, par malheur, nos matériaux sont moins instructifs. En effet, très faible est le nombre des faits historiques antérieurs à la législation de Solôn ; l’intervalle qui sépare 776 avant J.-C. de 624 avant J.-C., c’est-à-dire l’époque de la législation de Drakôn peu de temps avant la tentative d’usurpation de Kylôn, ne nous donne qu’une liste d’archontes dénuée de tout incident.

Afin d’honorer l’héroïsme de Kodros, qui avait sacrifié sa vie pour le salut de son pays, personne après lui, nous dit-on, ne fut autorisé à porter le titre de roi [1]. Son fils Medôn, et douze successeurs — Akastos, Archippos, Thersippos, Phorbas, Megaklês, Diognêtos, Phereklês, Ariphrôn, Thespieus, Agamestôr, Aschylos et Alkmæôn — furent tous archontes à vie. Dans la seconde année d’Alkmæôn (752 av. J.-C.), la dignité d’archonte fut restreinte à une durée de dix ans ; et on compte sept de ces archontes décennaux — Charops, Æsimidês, Kleidikos, Hippomenês Leokratês, Apsandros, Eryxias. Avec Kreôn, qui succéda à Eryxias, l’archontat fut non seulement rendu annuel, mais encore il fut transformé en commission et réparti entre neuf personnes. Ces neuf archontes changés annuellement durent pendant toute la période historique, interrompus seulement par les quelques intervalles de troubles politiques et de compression étrangère. Jusqu’à Kleidikos et Hippomenês (714 av. J.-C.), la dignité d’archonte avait continué d’appartenir exclusivement aux Medontidæ, ou descendants de Medôn et de Kodros[2] ; à cette époque elle fut ouverte à tous les Eupatrides, ou ordre de noblesse dans l’État.

Telle est la série de noms par lesquels nous passons du terrain de la légende sur celui de l’histoire. Toutes nos connaissances historiques relatives à Athènes sont limitées à la période des archontes annuels ; série d’archontes éponymes, à partir de Kreôn, qui est complètement digne de foi[3]. Quant au temps qui précède 683 avant J.-C., les antiquaires attiques nous ont’ donné une suite de noms, que nous devons prendre tels que nous les trouvons, sans pouvoir soit garantir le tout, soit séparer le faux du vrai. Il n’y a pas lieu de douter du fait général qu’Athènes, comme tant d’autres communautés grecques, ait été dans les premiers temps de son existence gouvernée par une série de rois héréditaires, et qu’elle ait,passé de cette forme de gouvernement à une république, d’abord oligarchique, ensuite démocratique.

Nous ne sommes en état de déterminer ni la classification civile, ni la constitution politique de l’Attique, même à l’époque de l’archontat de Kreôn, 683 avant J.-C., où commence pour la première fois la chronologie athénienne authentique ; encore bien moins pouvons-nous prétendre à avoir une connaissance quelconque des siècles antérieurs. De grands changements politiques furent introduits d’abord par Solôn (vers 594 av. J.-C.), ensuite par Kleisthenês (509 av. J.-C.), puis par Aristeidês, Periklês et Ephialtês, entre la guerre des Perses et celle du Péloponnèse ; de sorte que l’ancienne politique d’avant Solôn, et qui plus est, même la politique réelle de ce législateur, cessèrent de plus en plus d’avoir cours et d’être connues. Mais tous les renseignements que nous possédons relativement à cette ancienne politique sont tirés d’auteurs qui vivaient après tous ces grands changements ou après la plupart d’ente eux ; et qui, ne trouvant pas d’annales, ni rien de plus que les légendes courantes expliquèrent le passé aussi bien qu’ils purent par des conjectures plus ou moins ingénieuses, rattachées généralement aux noms légendaires dominants. Ils purent quelquefois prendre pour base de leurs conclusions des usages religieux, des cérémonies périodiques, ou des sacrifices communs, subsistant encore de leur propre temps. C’était là sans doute les meilleures preuves que l’on pût trouver relativement à l’antiquité, athénienne, puisque de tels usages se conservèrent intacts pendant tous les changements politiques. C’est de cette manière seule que nous arrivons à quelque connaissance partielle de la condition de l’Attique avant Solôn, bien que comme ensemble elle reste encore obscure et inintelligible, même après les nombreuses explications des commentateurs modernes.

Philochore, écrivant dans le troisième siècle avant l’ère chrétienne,, disait que Kekrops avait dans l’origine divisé l’Attique en douze districts — Kekropia, Tetrapolis, Epakria, Dekeleia, Éleusis, Aphidnæ, Thorikos, Braurôn, Kythêros, Sphêttos, Kêphisia, Phalêros, et que ces douze districts furent réunis par Thâseus en une seule société politique[4]. Ce partage ne comprend pas la Mégaris, qui, suivant d’autres renseignements, est représentée comme unie à l’Attique, et comme avant formé une partie de la répartition que fit la roi Pandiôn entre ses quatre fils, Nisos, Ægeus, Pallas et Lykos, histoire aussi ancienne que Sophocle au moins[5]. Dans d’autres récits encore, une quadruple division est appliquée aux tribus, qui, dit-on, étaient au nombre de quatre, commençant à Kekrops, et appelées de son temps Kekrôpis, Autochthon, Aktæa et Paralia. Sous le roi Kranaos, ces tribus (nous dit-on) reçurent les noms de Kranaïs, d’Atthis, de Mesogæa et de Diakria[6] ; sous Erichthonios, ceux de Dias, d’Athenaïs, de Poseïdonias, d’Hephæstias ; enfin, peu après Erechtheus, elles furent nommées, après les quatre fils d’Iôn — lequel, avait pour mère Kreüsê, fille d’Erechtheus, et Apollon pour père —, Geleontes, Hoplêtes, Ægikoreis, Argadeis. Les quatre tribus attiques ou ioniennes, sous les noms que nous venons de mentionner, continuèrent à former la classification des citoyens jusqu’à la révolution de Kleisthenês en 509 avant J.-C., qui introduisit les dix tribus, telles que nous les trouvons jusqu’à l’époque de la domination macédonienne. On affirme, et avec quelque plausibilité étymologique, que les dénominations de ces quatre tribus doivent dans l’origine avoir eu rapport aux occupations de ceux qui les portaient — les Hoplêtes étant la classe des guerriers, les Ægikoreis les chevriers, les Argadeis les artisans, et les Geleontes (Teleontes ou Gedeontes) les cultivateurs. C’est d’après cela que quelques auteurs ont attribué aux anciens habitants de l’Attique[7] une distribution primitive réelle en professions ou castes héréditaires, semblable à celle qui dominait dans l’Inde et en Égypte. Si même nous admettions qu’une telle division en castes pouvait avoir prévalu dans l’origine, elle doit être tombée en désuétude longtemps avant l’époque de Solôn ; mais il ne semble pas qu’il y ait des raisons suffisantes pour croire qu’elle ait jamais dominé. Les noms des tribus peuvent avoir été originairement empruntés de certaines professions ; mais il ne s’ensuit pas nécessairement que la réalité correspondit à cette dérivation, ou que tout individu qui appartenait à une tribu quelconque fût membre de la profession d’où le nom avait été tiré dans l’origine. De l’étymologie des noms, fût-elle aussi claire que possible, nous ne pouvons sans doute admettre la réalité historique d’une classification d’après les professions. Et cette objection (qui serait sérieuse même si l’étymologie avait été claire) devient irrésistible quand on ajoute que l’étymologie même n’est pas certaine[8] ; que les noms eux-mêmes sont écrits avec des différences que l’on ne peut concilier ; et que les quatre professions nommées par Strabon omettent les chevriers et comprennent les prêtres, tandis que ceux que spécifié Plutarque laissent de côté les seconds et comprennent les premiers[9].

Tout ce qui paraît certain, c’est que c’étaient là ; les quatre anciennes tribus ioniennes — analogues aux Hylleis, aux Pamphyli et aux Dymanes parmi les Doriens — qui dominaient non seulement à Athènes, mais dans plusieurs des cités ioniennes tirant d’Athènes leur origine. Les Geleontes sont mentionnés dans : des inscriptions existant encore et appartenant à Tees en Iônia, et toutes les quatre sont nommées dans celles de Kyzikos dans la Propontis, qui est une fondation de l’ionienne Milêtos[10]. Les quatre tribus et les quatre noms (en admettant quelques variantes de leçons) sont donc vérifiés historiquement. Mais ni le temps de lotir introduction, ni leur importance primitive ne sont des faits que l’on puisse prouver ; l’on ne peut non plus ajouter aucune foi aux diverses explications des légendes d’Iôn, d’Erechtheus et de Kekrops, dues à des commentateurs modernes.

On peut considérer ces quatre tribus soit comme des agrégats religieux et sociaux, dont chacun comprenait dans son sein trois phratries et quatre-vingt-dix gentes ; ou comme des agrégats politiques, et à ce point de vue chacun renfermait trois trittyes et douze naucraries. Chaque phratrie contenait trente gentes ; chaque trittys comprenait quatre naucraries ; le nombre total était ainsi de trois cent soixante gentes et de quarante-huit naucraries. De plus, chaque gens contenait, dit-on, trente chefs de familles, dont le total était donc de dix mille huit cents.

En comparant ces deux distributions entre elles, nous pouvons faire remarquer qu’elles sont distinctes dans, leur nature et vont dans des directions opposées. La trittys et la naukrarie sont essentiellement des subdivisions fractionnaires de la tribu, et reposant sur la tribu comme sur leur plus haute unité. La naukrarie est une circonscription locale, composée des naukrares ou principaux chefs de maisons (ainsi semble l’indiquer l’étymologie), qui lèvent dans chaque district respectif la quote-part des contributions publiques qui, lui appartient, et surveillent les dépenses, fournissent les forces militaires dues -par le district, à savoir, deux cavaliers et un vaisseau, ainsi que les principaux officiers du district, les prytanes des naukrares[11]. On doit probablement comprendre, comme accompagnant ces cavaliers, un certain nombre de fantassins, variant selon ses besoins ; mais le contingent n’en est pas spécifié, parce que l’on ne regardait peut-être pas comme nécessaires de limiter d’une manière précise les obligations de personne, si ce n’est des hommes riches qui servaient à cheval, à une époque où l’ascendant oligarchique était dominant, et où la masse du peuple était dans un état de sujétion relative. Les quarante-huit naucraries sont ainsi une subdivision systématique des quatre tribus, embrassant complètement tout le territoire, la population, les contributions et les forces militaires de l’Attique, subdivision formée exclusivement pour des fins se rattachant à l’État entier.

Mais les phratries et les gentes sont une division complètement différente de celle-ci. Elles paraissent être des agrégations de petites unités primitives é’unies en une unité plus considérable ; elles sont indépendantes de la tribu, et ne la présupposent pas ; elles naissent séparément et spontanément, sans uniformité calculée à l’avance, et sans rapport avec un but politique commun ; le législateur les trouve préexistantes, et les dispose ou les modifie pour répondre à quelque dessein national. Mous devons distinguer le fait général de la classification et de la subordination successive dans l’échelle, des familles à la gens, des gentes a la phratrie, et des phratries à la tribu ; d’après la symétrie numérique précise donnée à cette subordination, telle que nous la voyons dans les auteurs, trente familles pour une gens, trente gentes pour une phratrie, trois phratries pour chaque tribu., Si une contrainte législative agissant sur des éléments naturels préexistants avait pu jamais produire une égalité de nombres si rigoureuse,, les proportions n’auraient pu en être conservées d’une manière permanente[12]. Mais nous pouvons douter avec raison qu’elle ait jamais existé ainsi ; elle paraît plutôt ressembler à l’imagination d’un antiquaire qui se serait plu à supposer une création systématique primitive dans des temps antérieurs aux annales, en multipliant ensemble le nombre des jours dans le mois et le nombre des mois dans l’année. Supposer que chaque phratrie contenait un nombre égal de gentes, et chaque gens un nombre égal de familles, n’est guère admissible sans preuves meilleures que celles que nous possédons. Mais, à part cette contestable précision d’échelle numérique, les phratries et les gentes elles-mêmes furent des associations réelles, anciennes et durables chez le peuple athénien ; et il est très important de les comprendre[13]. La base de tout l’ensemble était la maison, le foyer ou la famille, dont un certain nombre plus ou moins grand composait la gens ou le genos. Cette gens était donc un clan, un sept ou une confrérie étendue et en partie factice, unie par : 1° Des cérémonies religieuses communes et un privilège exclusif de sacerdoce, en l’honneur du même dieu supposé le premier auteur de la race et caractérisé par un, surnom spécial. 2° Par un lieu de sépulture commun. 3° Par des droits mutuels de succession à la propriété. 4° Par des obligations réciproques de soutien, de défense et de redressement des torts. 5° Par le droit et l’obligation mutuels qu’avaient les membres de se marier entre eux dans certains cas déterminés, surtout là où il y avait une fille orpheline ou une héritière. 6° Par la possession, du moins dans quelques cas, de biens communs, d’un archonte et d’un trésorier particuliers.

Tels étaient les droits et les obligations caractérisant l’union de la gens[14]. L’union phratrique, unissant plusieurs gentes, était moins intime, mais comprenait encore quelques droits et obligations mutuels d’un caractère -analogue, spécialement une communauté de rites sacrés particuliers, et de privilèges mutuels de poursuite dans le cas du meurtre d’un phrator. Chaque phratrie était considérée comme appartenant à une des quatre tribus, et toutes les phratries de la même tribu jouissaient d’une certaine communauté périodique de rites sacrés, sous la présidence d’un magistrat appelé le phylo-basileus ou roi de la tribu, choisi parmi les Eupatrides : Zeus Geleôn était de cette manière le dieu patron de la tribu Geleontes. En dernier lied ; les quatre tribus étaient unies ensemble par le culte commun d’Apollon Patrôos, regardé comme leur père et leur tuteur divin ; car Apollon était le père d’Iôn, et on réfutait fils d’Iôn les éponymes de toutes les quatre tribus.

Telle fut la première union religieuse et sociale de la population de l’Attique dans son échelle graduellement ascendante, en tant que distinguée de l’union politique, probablement d’introduction plus récente, représentée d’abord par les trittyes et les naucraries, et dans des temps postérieurs par les dix tribus de Kleisthenês, subdivisées en trittyes et en dêmes. Le lien d’agrégation formé par la religion et la famille est le plus ancien des deux ; mais on verra que le lien politique, bien que commençant plus tard, acquiert une influence toujours croissante pendant la plus grande -partie de cette histoire. Dans le premier cas, les relations personnelles sont le caractère essentiel et prédominant[15], les relations locales étant subordonnées ; dans le second, la propriété et la résidence deviennent les considérations principales, et l’élément personnel ne compte qu’en tant qu’il est proportionné à ces accompagnements. Toutes ces associations de phratries et de gentes, les plus considérables aussi bien que les plus petites, étaient fondées sur les mêmes principes et les mêmes tendances de l’esprit grec[16], une réunion de l’idée de culte avec celle d’ancêtres, ou d’une communauté de certains rites religieux spéciaux avec une communauté de sang, réelle ou supposée. Le dieu ou le héros, auquel les membres assemblés offraient leurs sacrifices, était conçu comme le premier père auquel ils devaient leur origine, souvent par urge longue liste de noms intermédiaires, comme dans le cas du Milésien Hécatée, auquel nous avons déjà si souvent fait allusion[17]. Chaque famille avait ses propres rites sacrés et sa commémoration funèbre d’ancêtres, célébrés par le maître de la maison, et les membres seuls de la famille .y étaient admis ; de sorte que l’extinction d’une famille, entraînant avec elle la suspension de, ces rites religieux, était regardée par les Grecs comme un malheur, non seulement à cause de la perte des citoyens qui la composaient, mais aussi parce que les dieux de la famille et les noms des citoyens morts étaient ainsi privés de leurs honneurs[18], et pouvaient visiter le pays par leur courroux. Les associations plus considérables, appelées gens, phratrie, tribu, furent formées par une extension du même principe, à savoir de la famille considérée comme une confrérie religieuse, adorant quelque dieu ou quelque héros commun avec un surnom approprié et le reconnaissant comme leur premier père à tous ; et les fêtes Theoenia et Apatouria[19] — les premières attiques, les secondes communes à toute la race ionienne — réunissaient annuellement les membres de, ces phratries et de ces gentes en vue du cultes, de l’allégresse et du maintien de sympathies spéciales, raffermissant ainsi les liens plus étendus sans faire disparaître les plus petits.

Telles furent les manifestations de la sociabilité grecque, ainsi que nous les lisons dans l’ancienne constitution non seulement de l’Attique, mais encore d’autres États grecs. Pour Aristote et Dikæarque, c’était une recherche intéressante que de faire remonter toute société politique à certains atomes élémentaires supposés et de montrer pour quels motifs et par quels moyens les familles primitives, ayant chacune sa huche à farine et son foyer séparés[20], avaient été réunies en agrégats plus considérables. Mais, l’historien doit accepter comme un fait définitif le plus ancien était de choses que lui font connaître ses témoins, et dans le cas qui nous occupe maintenant l’union des gentes et des phratries est un fait dont nous ne pouvons pas prétendre à pénétrer le commencement.

Pollux — probablement d’après l’ouvrage perdu d’Aristote sur les Constitutions de la Grèce — nous apprend clairement que les membres de la même gens à Athènes n’étaient pis communément unis par le sang, et même sans aucun témoignage formel nous aurions pu conclure qu’il en était ainsi. Dans quelle mesure la gens, à l’époque inconnue de sa première formation, reposait-elle sur une parenté réelle ; c’est ce que nous n’avons aucun moyen de déterminer, soit par rapport aux gentes athéniennes, soit aux gentes romaines, qui étaient analogues dans tous les points principaux. La gentilitas est un lien en soi ; distinct des liens de famille, mais présupposant leur existence, et les étendant par une analogie artificielle, fondée en partie sur une croyance religieuse et en partie sur un contrat positif, de manière d comprendre des personnes non unies -par le sang. Tous les membres d’une seule gens, ou même d’une seule phratrie, se croyaient issus, non pas à la vérité du môme aïeul ou du même bisaïeul, mais du même premier père divin ou héroïque. Tous les membres contemporains de la phratrie d’Hécatée avaient un dieu commun pour premier auteur au seizième degré ; et cette croyance fondamentale, dans laquelle l’esprit grec entrait avec tant de facilité, fut adoptée et convertie par un contrat positif en principe d’union pour les gentes et les phratries. Et les phratries, ainsi que les gentes, nous paraissent mystérieuses parce qu’un tel mélange, non reconnu par le christianisme, est en opposition avec les habitudes modernes de pensée, et que nous ne comprenons pas facilement comment une telle fiction légale et religieuse a pu pénétrer si profondément dans les sentiments grecs. Mais ces phratries et ces gentes sont en harmonie avec toutes les généalogies légendaires qui ont été exposées dans un précédent volume. Sans doute Niebuhr, dans son importante étude sur les anciennes gentes romaines, a raison de supposer que ce n’étaient pas des familles réelles, issues de quelque premier père historique commun. Toutefois il n’en est pas moins vrai (bien qu’il semble adopter une autre supposition) que l’idée de la gens comprenait la croyance a un premier père commun, divin ou héroïque, généalogie que nous pouvons proprement appeler fabuleuse, mais qui était consacrée et accréditée parmi les membres de la gens elle-même, et servait de lien important d’union entre eux[21]. Et bien qu’un esprit analytique comme Aristote pût discerner la différence qui existe entre la gens et la famille, de manière à distinguer la première comme étant le produit de quelque contrat spécial, toutefois ce n’est pas là une bonne preuve des sentiments habituels des anciens Grecs. Il n’est pas non plus certain qu’Aristote lui-même, fils du médecin Nichomachos, qui appartenait à la gens des Asklêpiades[22], eût consenti à rejeter l’origine par voie de génération de toutes ces familles religieuses sans aucune exception. Les familles naturelles changeaient, bien entendu, de génération en génération, quelques-unes s’étendant pendant que d’autres diminuaient ou s’éteignaient ; mais la gens n’éprouvait pas de changements, — si ce n’est par la procréation, — l’extinction ou la subdivision de ces familles qui la composaient. En conséquence, les relations des familles avec la gens furent dans un cours perpétuel de fluctuation, et la généalogie dés ancêtres de la gens, appropriée comme elle l’était sales doute à son ancienne condition, devint avec le progrès du temps en partie surannée et mal assortie. Nous n’entendons parler de cette généalogie que rarement, parce qu’elle n’est présentée au public que dans certains cas saillants et vénérables. Mais les plus humbles gentes avaient leurs rites communs ; un premier père surhumain commun, une généalogie commune aussi bien que les plus célèbres ; le plan et la base idéale étaient les mêmes dans tolites.

Des analogies, empruntées de parties du monde et de peuples très différents, prouvent combien ces unions de famille, agrandies et factices, s’accordent avec les idées d’une ancienne phase de société. Le clan écossais, le sept irlandais[23], les anciennes familles légalement constituées en Frise et chez les Dithmarses, la phis ou phara en Albanie, sont des exemples d’un usage semblable[24] ; et l’adoption de prisonniers par les Indiens de l’Amérique du Nord, aussi bien que l’empire et l’efficacité Universels de la cérémonie d’adoption dans le monde grec, et romain, nous offre une formalité solennelle dans certaines circonstances, produisant une union et des affections semblables à celles de la parenté. C’était de cette même nature qu’étaient les phratries et les gentes a Athènes, les curies et les gentes a Rome. Mais elles furent particulièrement modifiées par l’imagination religieuse de l’ancien monde, qui faisait toujours remonter le passé à des dieux et à des héros, et la religion leur fournissait ainsi et la généalogie commune comme base, et la communauté privilégiée de rites sacrés spéciaux comme moyen de commémoration et de perpétuité.. Les gentes, tant à Athènes que dans d’autres parties de la Grèce, portaient un nom patronymique, la marque de ce qu’elles croyaient être leur paternité commune : nous trouvons les Asklepiadæ dans beaucoup de parties de la Grèce, les Aleuadæ en Thessalia, les Midylidæ, les Psalychidæ, les Blepsiadæ, les Euxénidæ à Ægina, les Branchidæ à Milêtos ; les Nebridæ à Kôs, les Iamidæ et les Klytiadæ à Olympia, les Akestoridæ a Argos, les Kinyradæ à Kypros, les Penthilidæ à Mitylênê[25], les Talthybiadæ, à Sparte, non moins que les Kodridæ, les Eumolpidæ, les Phytalidæ, les Lykomêdæ, les Butadæ, les Euneidæ, les Hesychidæ, les Brytiadæ, etc., en Attique[26]. A chacune de ces gentes correspondait un premier auteur mythique plus ou moins connu, et passant pour le premier père aussi bien que pour le héros éponyme de la gens — Kodros, Eumolpos, Butês, Phytalos, Hesychos, etc.

La révolution de Kleisthenês en 509 avant J.-C. abolit les anciennes tribus dans des vexes civiles, et en créa dix nouvelles, laissant les phratries et les gentes sans changement, mais introduisant la distribution locale suivant les dûmes ou cantons, comme base de ses nouvelles tribus politiques. Un certain nombre de dèmes appartenaient à chacune des tribus kleisthénéennes — les dêmes dans les mêmes tribus n’étaient pas ordinairement contigus, de sorte que la tribu ne coïncidait pas avec une circonscription définie —, et le dème, dans lequel chaque individu fut alors enrôlé, continua d’être celui clans lequel ses descendants le furent aussi. Mais les gentes n’avaient pas de connexion, comme telles, avec ces nouvelles tribus, et les membres de la même gens pouvaient appartenir à différents dèmes[27]. Il est à propos de faire remarquer cependant que, dans une certaine mesure, dans l’ancien arrangement de l’Attique, la division en gentes coïncidait avec la division en dèmes, c’est-à-dire qu’il arrivait assez souvent que les gennêtes (ou membres de la même gens) vivaient dans le, même canton, de sorte que la gens et le dème avaient le même nom. En outre, il semble que Kleisthenês reconnut un certain nombre de nouveaux dèmes, auxquels il donna des noms tirés de quelque gens importante résidant près du lieu. C’est ainsi que nous devons expliquer le nombre considérable de dûmes kleisthénéens qui portent des noms patronymiques[28]. Il y a une remarquable différence entre la gens romain et la gens grecque, qui a sa source dans l’usage différent par rapport à la manière dut les noms étaient donnés. Un patricien romain portait habituellement trois noms : le nom de sa gens, avec un nom à la suite pour désigner sa famille, et un autre en avant qui lui était particulier dans cette famille. Mais à Athènes, du moins après la révolution de Kleisthenês, le nom de la gens n’était pas employé ; un homme était désigné par son propre nom seul, suivi d’abord du nom de son père, puis de celui du dème auquel il appartenait, par exemple Æschinês, fils d’Atromêtos, Kothôkide. Une telle différence dans le système habituel de donner les noms tendait à rendre le lien de la gens plus présent à l’esprit de chacun à Rome que dans les cités grecques.

Avant la classification pécuniaire des habitants de l’Attique introduite par Solôn, les phratries et les gentes, les trittyes et les naucraries étaient les seuls liens reconnus parmi eux, et la seule base d’obligations et de droits légaux, en sus de la famille naturelle. La gens constituait un corps compact, et quant aux biens, et quant aux personnes. Jusqu’au temps de Solôn, personne n’eut le pouvoir de faire de disposition testamentaire. Si un membre mourait sans enfants[29], ses gennêtes héritaient de ses biens, et ils continuaient à le faire, même après Solôn, s’il mourait intestat. Une fille orpheline pouvait de droit être demandée en mariage par un membre quelconque de la gens, les agnats les plus proches étant préférés[30] ; si elle était pauvre, et qu’il ne voulût pas l’épouser lui-même, la loi de Solôn l’obligeait à lui fournir une dot proportionnelle à ses biens inscrits sur les registres, et à la marier à un autre ; et la grandeur de la dot qu’on devait donner — considérable même telle qu’elle fut fixée par Solôn et qui fut doublée dans la suite — semble prouver que le législateur avait indirectement l’intention d’imposer un mariage réel[31]. Si un homme était tué, d’abord ses proches parents, ensuite ses gennêtes et ses phrators, étaient à la fois autorisés et obligés à poursuivre le crime en justice[32] ; tandis que ses compagnons de dême, ou les habitants du même dême que lui, ne possédaient pas le même droit de poursuite. Tout ce que nous savons des lois athéniennes les plus anciennes repose sur les divisions en gentes et en phratries, qui sont regardées partout comme des extensions de la famille. Il est à observer que cette division est complètement indépendante de toute qualification fondée sur les biens, — les riches aussi bien que les pauvres étant compris dans la même gens[33]. De plus, legs différentes gentes ne jouissaient nullement d’une même dignité, qui avait surtout sa source dans les cérémonies religieuses dont chacune possédait l’administration héréditaire et exclusive, et qui, considérées dans quelques cas comme ayant une sainteté supérieure par rapport à toute la cité, étaient en conséquence nationalisées. C’est ainsi que les Eumolpidæ et les Kêrykes, qui fournissaient l’hiérophante et surveillaient les mystères de Dêmêtêr Eleusinienne, et les Butadæ, chez lesquels on prenait la prêtresse d’Athênê Polias aussi bien que le prêtre de Poseidôn Erechtheus dans l’acropolis, semblent avoir été respectés plus que toutes les autres gentes[34]. Quand le nom des Butadæ fut choisi dans l’arrangement de Kleisthenês comme le nom d’un dême, la gens sacrée, ainsi appelée, adopta la dénomination distinctive de Eteobutadæ, ou les vrais Butadæ[35].

Un grand nombre des anciennes gentes de l’Attique nous sont connues par leur nom ; mais il n’y a qu’une seule phratrie (les Achniadæ) dont le titre nous soit parvenu[36]. Ces phratries et ces gentes ne comprirent probablement jamais à aucune époque toute la population du pays, et la partie qui n’y était pas renfermée tendait à devenir de plus en plus considérable, dans les temps antérieurs à Kleisthenês[37], aussi bien, que plus tard. Elles restèrent sous sa constitution, et durant l’histoire qui suivit, comme des quasi-familles ou corporations religieuses, conférant des. droits et , imposant des obligations que les tribunaux réguliers faisaient remplir par des voies de rigueur, sans être directement rattachées au droit de cité ou à. des fonctions politiques, : un homme pouvait être citoyen sans être inscrit dans une gens. Sous sa constitution, les quarante-huit naucraries cessèrent de remplir des desseins importants. Le dème, au lieu de la naucrarie, devint la division politique élémentaire, pour des buts militaires et financiers ; tandis que le dêmarque devint le président actif, à la place du chef des naukrares. Le dème cependant ne coïncidait pas avec une naukrarie, ni le dêmarque avec le chef antérieur de la naukrarie, bien qu’ils fussent analogues et établis dans le même but[38]. Tandis que les naucraries n’avaient été qu’au nombre de quarante-huit, les dêmes formaient des subdivisions plus petites, et (dans les temps plus récents du moins) montèrent à cent soixante-quatorze[39].

Mais, bien que cette ancienne division quadruple soit assez intelligible en elle-même, il y a beaucoup de difficulté à la concilier avec cette diversité de gouvernement qui, ainsi que nous le savons, a prévalu dans l’origine parlai les habitants de l’Attique. Depuis Kekrops jusqu’à, Thêseus (dit Thucydide), il y eut un grand nombre de cités différentes en Attique, chacune d’elles autonome et se gouvernant elle-même, avec son propre prytaneion et ses propres archontes. C’était seulement dans les occasions de quelque danger commun que ces communautés distinctes délibéraient ensemble sous l’autorité des rois athéniens, dont la cité à cette époque comprenait seulement la roche sainte d’Athênê dominant la plaine[40] (dans la suite si remarquable comme acropolis d’Athènes agrandie), avec une aire étroite au-dessous d’elle du côté méridional. Ce fut Thêseus (dit-il) qui accomplit cette grande révolution par laquelle toute l’Attique fut réunie en un seul gouvernement ;-toutes les magistratures et tous les conseils locaux furent concentrés dans le prytaneion et le sénat d’Athènes. Sa sagacité et sa puissance combinées imposèrent à tous les habitants de l’Attique la nécessité de reconnaître Athènes comme la seule cité du pays, et d’occuper leurs propres demeures simplement comme des portions constitutives du territoire athénien. Ce mouvement important, qui donna naturellement une grande extension à la cité centrale, fut rappelé pendant toute la durée des temps historiques par les Athéniens dans la fêté périodique appelée Synœkia, en l’honneur de la déesse Athênê[41].

Tel est le récit que fait Thucydide de la diversité primitive et de la réunion postérieure des différentes portions de l’Attique. Il n’y a pas lieu de douter du fait général, bien que la cause efficace que donne l’historien, — le pouvoir et la sagacité de Thêseus, — appartienne à la légende et non à l’histoire. Nous ne pouvons pas non plus prétendre déterminer soit les démarches réelles à l’aide desquelles fut accompli ce changement, soit sa date, soit le nombre de parties qui finirent par constituer Athènes dans tout son développement — encore agrandie à quelque époque ancienne, bien que nous ignorions quand, par la réunion volontaire de la ville bœôtienne ou demi-bœôtienne Eleutheræ, située au milieu des vallées du Kithærôn entre Eleusis et Platée. Ce fut l’habitude constante de la population de l’Attique, même jusqu’à la guerre du Péloponnèse[42], de résider dans leurs cantons séparés, où leurs anciennes fêtes et leurs anciens temples continuaient d’exister comme reste d’un état d’autonomie antérieure. Ils ne se rendaient à la ville qu’à des époques spéciales, dans des buts religieux ou politiques, et ils regardaient encore la résidence à la campagne comme leur -véritable patrie. Nous pouvons voir combien ce sentiment cantonal était profond chez eux par ce fait, qu’il survécut à l’exil temporaire auquel les contraignit l’invasion des Perses, et qu’il fût repris quand l’expulsion de cette armée destructive leur permit de reconstruire leurs demeures ruinées dans l’Attique[43].

Nous ne pouvons établir maintenant combien des dèmes reconnus par Kleisthenês eurent des gouvernements séparés dans l’origine, ou dans quels agrégats locaux ils étaient combinés. On doit se rappeler que la cité d’Athènes elle-même contenait plusieurs dèmes, tandis que Peiræeus (Pirée) aussi formait un dême à part. Quelques-unes des douze : divisions ; que Philochore attribue à Kekrops, offrent des marqués probables d’une ancienne existence indépendante : — Kekropia, ou la région entourant et renfermant la cité et l’acropolis ; la Tetrapolis, composée d’Œnoê, de Trykorythos, de Probalinthos et de Marathôn[44] ; Éleusis ; Aphidnæ et Dekeleia[45], toutes deux distinguées par leur connexion mythique particulière avec Sparte et les Dioskures. Mais il est difficile d’imaginer que Phalêron (qui est l’une des divisions séparées nommées par Philochore) puisse jamais avoir joui d’une autonomie séparément d’Athènes. De plus, nous trouvons, dans quelques-uns des dêmes que Philochore ne mentionne pas, des preuves d’antipathies constantes, et des prohibitions de mariage mutuel entre leurs membres, qui pourraient par être indiquer qu’ils avaient été jadis de petits Etats séparés[46]. Bien que, dans la plupart des cas, nous ne puissions conclure que peu de chose des légendes et des cérémonies religieuses que presque chaque dême avait en propre[47], cependant celles d’Eleusis sont si remarquables qu’elles établissent l’autonomie probable de ce territoire jusqu’à une époque relativement moderne. L’hymne homérique à Dêmêtêr, racontant la visite de cette déesse à Éleusis après l’enlèvement de sa fille, et le premier établissement des cérémonies Eleusiniennes, spécifie le prince éponyme Eleusis et les divers chefs du lieu, — Keleos, Triptolemos, Dioklês et Eumolpos. Il signale aussi la plaine Rharia dans le voisinage d’Éleusis. Mais il n’est pas fait la moindre allusion à Athènes ni à aucune part qu’auraient eue les Athéniens à la présence ou au culte de la déesse. Il y a lieu de croire qu’à l’époque où cet hymne fut composé Eleusis était une ville indépendante quelle était cette époque, c’est ce que nous n’avons pas le moyen d’établir, bien que Voss la place aussi bas que la trentième Olympiade[48]. Et la preuve qu’on en tire a d’autant plus de prix, parce que l’hymne à Déméter présente une couleur rigoureusement spéciale et locale, de plus, le récit fait par Solôn à Crésus, relativement à Tellus l’Athénien qui périt dans une bataille livrée contre les habitants d’Eleusis[49], suppose de la même manière l’indépendance de la première ville dans des temps reculés. Il n’est pas non plus sans importance de mentionner que, même à une époque aussi rapprochée que l’an 300 avant J.-C., Dikæarque, ce visiteur attentif à observer, déclare découvrir une différence entre les Athéniens indigènes et les Attiques, aussi bien sous le rapport de la physionomie que sous celui du caractère et du goût[50].

Dans l’histoire qui nous est présentée des actes de Thêseus, il n’est point fait mention de ces quatre tribus ioniennes ; mais on nous signale une autre distribution du peuple, totalement différente, en Eupatridæ, Geômoni et Demiurgi, qu’il introduisit, dit-on, le premier. Denys d’Halicarnasse donne seulement une double division, — les Eupatridæ et les cultivateurs dépendants, correspondant à l’idée qu’il avait des patriciens et des clients dans l’ancienne Rome[51]. Autant que nous pouvons comprendre cette triple distinction, elle semble disparate et sans lien avec les quatre tribus mentionnées plus haut. Les Eupatridæ sont les hommes riches et puissants, appartenant aux familles les plus distinguées dans toutes les diverses sentes et vivant principalement dans la cité d’Athènes, après la réunion de l’Attique en un corps ; on distingue d’eux le moyen et le bas peuple, rangés, en gros, en deux classes, celle des laboureurs et celle des artisans. On attribue aux Eupatridæ un ascendant religieux aussi bien que politique et social. On les représente comme la source de toute autorité en matières tant sacrées que profanes[52] ; ils, comprenaient sans doute ces .gentes, telles que les Butadæ, dont le peuple considérait les cérémonies sacrées avec le plus grand respect ; et nous pouvons concevoir Eumolpos, Keleos, Dioklês, etc., tels qu’ils sont représentés dans l’hymne homérique à Dêmêtêr, avec le caractère d’Eupatridæ d’Eleusis. Les gentes plus humbles, et les membres plus humbles de chaque gens, sembleraient dans cette classification confondus avec cette portion du peuple qui n’appartenait à aucune gens.

C’était parmi ces Eupatridæ exclusivement, et sans doute par leur choix, qu’étaient pris les neuf archontes annuels, probablement aussi les prytanes et les naukrares. Nous pouvons naturellement supposer que le sénat de l’Aréopage était composé de membres du même ordre. Les neuf archontes y entraient tous à l’expiration de leur année de charge, soumis seulement à la condition d’avoir subi convenablement l’épreuve de la reddition de compte pour leur administration ; et ils restaient membres de ce corps pendant leur vie. Telles sont les autorités politiques dont nous entendons parler dans la plus ancienne période imparfaitement connue du gouvernement athénien, après-la cessation de la royauté et l’adoption du changement annuel d’archontes. Le sénat de l’Aréopage semble représenter le conseil homérique des vieillards[53] ; et il y avait sans doute ; dans des occasions particulières, des assemblées générales du peuple, avec le même caractère formel et passif que l’agora homérique ; du moins nous trouverons des traces d’assemblées pareilles antérieures a la législation de Solôn. Quelques écrivains dé l’antiquité attribuaient à Solôn le premier établissement du sénat de l’Aréopage, exactement comme il y en avait aussi quelques-uns qui considéraient Lykurgue comme ayant, réuni le premier la Gerusia spartiate. Mais l’on ne peut guère douter que ce ne soit là une erreur, et que le sénat de l’Aréopage ne soit une institution primitive, d’une antiquité immémoriale, bien que sa constitution, aussi bien que ses fonctions, ait éprouvé plus d`un changement. Il existait d’abord seul, comme une autorité permanente et formant corps, dans l’origine à côté des rois et dans la suite à côté archontes. Il était alors naturellement connu par le titre de la Boulêle sénat ou conseil ; son titre distinctif sénat de l’Aréopage, (emprunté du lieu où se tenaient les séances) ne lui fut pas donné avant la formation par Solôn du second sénat ou second conseil, dont il était nécessaire de le distinguer.

Ceci semble expliquer pourquoi il n’était jamais mentionné dans les ordonnances de Drakôn, dont le silence fournissait un argument en faveur de ceux qui croyaient qu’il n’existait pas de son temps et qu’il fût établi pour- la première fois par Solôn[54]. On nous parle du sénat de l’Aréopage surtout comme d’un tribunal judiciaire, parce que dans son action il conserva constamment ce caractère pendant toute l’histoire athénienne, et que les orateurs ont le plus souvent occasion de faire allusion à ses décisions en matière de procès. Mais ses fonctions étaient dans l’origine du caractère sénatorial le plus large ; il, dirigeait en général aussi bien qu’il jugeait. Et bien que l’accroissement graduel de la démocratie à Athènes (comme nous l’expliquerons ci-après) diminuât à la fois ses pouvoirs et contribuât encore plus comparativement à l’abaisser, en augmentant l’influence directe du peuple dans l’assemblée et la justice, aussi bien que celle du sénat des Cinq-Cents, qui fut un associé et un auxiliaire permanent de l’assemblée publique, cependant il semble avoir été, même jusqu’à l’époque de Periklês, le corps le plus important dans l’État. Et après qu’il eut été rejeté à l’arrière-plan par les réformes politiques de ce grand homme, nous le trouvons encore dans des occasions particulières se mettre en avant pour revendiquer ses, anciens pouvoirs, et pour exercer pour le moment cette intervention indéterminée dont il avait joui sans contestation dans l’antiquité. L’attachement des Athéniens pour leurs anciennes institutions donna au sénat de l’Aréopage un empire puissant et constant sur leurs âmes, et ce sentiment fut plutôt fortifié qu’affaibli quand il cessa d’être un objet de jalousie populaire, — quand il ne put plus être employé comme auxiliaire de prétentions oligarchiques.

Des neuf archontes, dont le nombre resta sans être changé depuis l’an 683 avant J.-C, jusqu’à la fin de la démocratie libre, trois portaient des titres spéciaux, — l’archonte éponyme, dont le nom servait à désigner l’année, et dont on parlait sous le nom de l’archonte ; l’archonte basileus (roi), ou plus souvent le basileus, et le polémarque. Les six autres avaient le titre général de thesmotetæ. Chacun des trois premiers possédait une compétence judiciaire exclusive par rapport à certains sujets spéciaux : les thesmotetæ étaient sous ce rapport tous sur un pied d’égalité, agissant quelquefois comme conseil, quelquefois individuellement. L’archonte éponyme décidait toutes les disputes relatives à la famille, aux relations de gens et de phratrie : il était le protecteur légal des orphelins et des veuves[55]. L’archonte basileus (ou archonte roi) était compétent dans les plaintes touchant les offenses faites au sentiment religieux et touchant l’homicide. Le polémarque (nous parlons de temps antérieurs à Kleisthenês) était le chef des forces militaires et juge des disputes entre les citoyens et les non citoyens. En outre, chacun de ces trois archontes avait des fêtes religieuses particulières qui lui étaient assignées, et son devoir était de les surveiller et de les diriger. Les six thesmotetæ semblent avoir été juges dans des disputes et des plaintes, en général contre des citoyens, sauf les questions spéciales, réservées pour la compétence des deux premiers archontes. Suivant le sens propre du mot thesmotetæ, tous les neuf archontes avaient droit d’être appelés ainsi[56], bien que les trois premiers eussent des désignations spéciales qui leur étaient propres. Le mot thesmoi — analogue aux themistes[57] d’Homère — comprend dans sa signification à la fois des lois générales et dés sentences particulières, — les deux idées n’étant pas encore distinguées, et la loi générale étant conçue seulement dans son application à quelque cas particulier. Drakôn fut le premier thesmothète que l’on pria de mettre ses thesmoi en écrit, et de leur donner ainsi essentiellement un caractère de généralité plus ou moins grande.

Dans les temps plus récents et mieux connus de la loi athénienne ; nous trouvons ces archontes privés, dans une grande mesure, de leurs pouvoirs de juger et de décider, et réduits à la tâche d’entendre d’abord les parties et de recueillir les preuves, ensuite d1ntroduire l’objet du procès dans le tribunal approprié qu’ils présidaient. Mais, dans l’origine, il n’y avait pas séparation de pouvoirs ; les archontes jugeaient à la fois et administraient, se partageant ces privilèges qui jadis avaient été réunis dans les marne du roi, et probablement responsables à la fin de leur année de charge vis-à-vis du sénat de l’Aréopage. Il est probable aussi que les fonctions de ce sénat et celles des prytanes et des naukrares étaient de la même nature double et confuse. Tous ces fonctionnaires appartenaient aux eupatridæ, et tous sans doute agissaient plus ou moins dans l’intérêt étroit de leur ordre ; de plus, il y avait large place pour le favoritisme, par voie de connivence, aussi bien que pour l’antipathie de la part des archontes. Qu’il en ait été réellement ainsi, et que le mécontentement commençât à être sérieux, c’est ce que nous pouvons conclure du devoir imposé au thesmothète Drakôn, 624 avant J.-C., de mettre en écrit les thesmoi ou ordonnances, de sorte qu’elles fussent montrées publiquement et connues à l’avance[58]. Il ne se mêla pas de constitution politique ; et dans ses ordonnances Aristote trouve péri de choses dignes de remarque, si ce n’est l’extrême sévérité[59] des punitions décrétées : de petits vols, ou même une vie passée notoirement dans l’oisiveté étant punis de la mort ou de la perte des privilèges.

Mais nous ne devons pas expliquer cette remarque comme démontrant une inhumanité spéciale dans le caractère de Drakôn, qui n’était pas investi du pouvoir considérable dont So18n jouit dans la suite, et au sujet duquel on ne peut croire qu’il ait imposé à la communauté des lois sévères de sa propre invention. Étant lui-même naturellement un eupatride, il publia par écrit des ordonnances pareilles à celles que les archontes eupatrides avaient eu auparavant l’habitude d’imposer sans les écrire, dans les cas particuliers qui se présentaient à eux ; et l’esprit général de la législation pénale s’était tellement adoucir pendant les deux siècles qui suivirent, que ces anciennes ordonnances paraissaient à Aristote d’une rigueur intolérable. Probablement ni Drakôn, ni le Locrien Zaleukos, qui le précédait quelque peu en date, n’étaient plus rigoureux, que le sentiment de l’époque ; en effet, le petit nombre de fragments des tables drakoniennes qui sont parvenus jusqu’à nous, loin de présenter une cruauté aveugle, introduisent pour la première fois, dans la loi athénienne, des distinctions atténuantes par rapport à l’homicide[60], fondées sur la variété des circonstances accessoires. Il établit, dit-on, les juges appelés ephetæ, cinquante et un anciens appartenant à quelque gens respectée ou possédant une position élevée, qui tenaient leurs séances polir juger les homicides dans trois endroits différents, selon la différence des cas qui leur étaient soumis. Si la partie accusée, reconnaissant le fait, niait toute coupable intention et alléguait un accident, le cas était jugé au lieu appelé le Palladion ; si l’accusé était reconnu coupable d’un homicide accidentel, il était condamné à un exil temporaire, à moins qu’il ne pût apaiser les parents de la victime ; mais ses biens étaient laissés intacts. Si encore, reconnaissant le fait, il se défendait au moyen de quelque argument propre à le justifier, tel que le cas de légitime défense, ou d’un adultère flagrant dans lequel il aurait surpris la victime avec sa propre épouse, le procès avait lieu sur un terrain consacré à Apollon et à Artemis appelé le Delphinion. Un endroit particulier appelé Phreattys, contigu au rivage de la mer, était aussi désigné pour le procès d’une personne qui, étant sous le coup d’une sentence d’exil pour un homicide involontaire, pouvait être accusée d’un second homicide, commis naturellement en dehors des limites du territoire ; étant considérée comme impure par suite de la première sentence, elle n’avait pas la permission de mettre le pied sur le sol, mais restait pendant son procès sur un bateau tiré tout près du rivage. Au Prytaneion ou siège dû gouvernement même, les quatre phylo-basileis, ou rois des tribus, tenaient des séances pour juger un objet inanimé quelconque (un morceau de bois ou une pierre, etc.) qui avait occasionné la mort de quelqu’un, sans l’intervention prouvée d’une main humaine ; quand le fait était vérifié, on jetait en forme le bois ou la pierre hors de la frontière[61]. Toutes ces distinctions impliquent naturellement l’investigation préliminaire du cas (appelée anakrisis) faite par l’archonte-roi, afin que l’on pût connaître quelle était la nature du crime et où se devaient tenir les séances des ephetæ.

La manière de traiter l’homicide se rattachait si intimement aux sentiments religieux des Athéniens, que les contemporains de Démosthène lisaient ces anciens règlements, qui ne furent jamais formellement abrogés pendant toute la durée des âges historiques, gravés sur leur colonne[62]. L’Aréopage continua de rendre la justice, et l’on dit qu’il en fut de même des ephetæ, même pendant l’époque de Démosthène, bien que leurs fonctions fussent tacitement usurpées on restreintes, et leur dignité diminuée[63] par les dikastéries plus populaires créés dans la suite. C’est de cette manière que nous’ sommes parvenus à les connaître, tandis que les autres institutions drakoniennes ont péri, ; mais il’ y a beaucoup d’obscurité sur ce point, et particulièrement quant au rapport qui existait entre les ephetæ et les aréopagites. En effet, le sujet était si peu connu, même par ceux qui à Athènes se livraient à des recherches historiques, que la plupart d’entre eux, supposaient que le conseil de l’Aréopage avait été institué pour la première fois par Solôn ; et même Aristote, bien qu’il contredise cette idée, ne s’exprime pas lui-même dans un langage très positif[64]. Les dispositions de Dralon relatives aux ephetæ semblent impliquer qu’il y avait avant lui des juges à l’Aréopage pour juger l’homicide, en ce qu’il ne prend pas de nouvelles mesures polo examiner, les conséquences directes de l’homicide volontaire, qui, selon tous les -récits, était du ressort de l’Aréopage ; mais, les ephetæ et les Aréopagites étaient-ils les mêmes personnes, en tout ou en partie, c’est ce que les renseignements que nous avons Ile`suffisent pas pour nous faire reconnaître. Avant Drakôn, il n’existait pas de tribunal pour juger l’homicide, si ce n’est le sénat, siégeant à l’Aréopage. Et nous pouvons conjecturer qu’il y avait quelque chose se rattachant à ce lieu, — légendes, cérémonies ou sentiments religieux — qui forçait les juges y siégeant à condamner tout homme reconnu coupable d’homicide, et les empêchait de tenir compte de circonstances atténuantes ou propres à le justifier[65]. Drakôn assigna aux ephetæ des lieux différents pour leurs séances ; lieux, marqués d’une manière si précise et si invariablement maintenus, que nous pouvons voir de quelle, manière propre ces questions spéciales d’homicide commis dans des circonstances particulières, qu’il assignait à chacun, étaient adaptées ; dans la croyance des Athéniens, aux nouvelles localités sacrées choisies[66], chacune d’elles ayant son propre cérémonial, sa propre procédure distincts, indiqués par les dieux eux-mêmes. Nous avons déjà souvent fait remarquer que les sentiments des Grecs étaient associés de la manière la plus intime à des localités particulières ; et c’est conformément à ces sentiments que procéda Drakôn dans les dispositions qu’il prit pour mitiger la condamnation prononcée sans distinction contre tout homme -reconnu coupable d’homicide, condamnation qui fut inévitable tant que l’Aréopage resta le seul lieu de jugement. L’homme qui avouait avoir versé le sang d’un autre, ou qui en était convaincu, ne pouvait être acquitté ni condamné à moins qu’à la peine entière (c’est-à-dire à la mort ou à l’exil perpétuel avec la confiscation des biens) par les juges siégeant sur la colline d’Arês quelque excuse qu’il pût présenter ; mais les juges au Palladion et au Delphinion pouvaient l’entendre ; et même admettre sa défense, sans contracter la tache d’irréligion[67]. Drakôn ne s’est pas directement mêlé des juges siégeant à l’Aréopage, et il ne les a même jamais mentionnés.

Ainsi, sous le rapport de l’homicide, les ordonnances drakoniennes réformaient en partie l’étroitesse, en partie mitigeaient la rigueur de l’ancienne procédure ; et elles sont tout ce qui est venu jusqu’à nous, ayant été conservées salis altération par le respect religieux des Athéniens pour l’antiquité sur ce sujet particulier : Solôn rappela, dit-on, le reste de ses ordonnances à cause de leur intolérable sévérité. C’est ainsi sans doute qu’elles paraissaient aux Athéniens d’une époque récente, qui en étaient venus à apprécier les offenses au moyen d’une mesure différente, et même à Solôn, qui avait à calmer la colère d’un peuple souffrant et en révolte réelle.

Nous verrons bientôt, quand je raconterai les actes de Solôn, que sous cette oligarchie eupatride et cette sévère législation, le peuple de l’Attique était assez misérable. Riais l’époque de la démocratie n’avait, pas encore commenté, et le gouvernement reçut son premier coup des mains d’un eupatride ambitieux qui aspirait au despotisme. Telle fut la phase (comme on l’a fait remarquer dans le chapitre précédent) que traversa, pendant le siècle qui nous étudions actuellement, une partie considérable des gouvernements grecs.

Kylôn, patricien athénien, qui ajoutait à une grande position de famille la célébrité personnelle d’une victoire à Olympia, comme coureur dans le double stade, conçut le dessein de saisir l’acropolis et de se faire despote. Quelque événement spécial était-il survenu dans sa patrie qui stimulât ce projet, c’est ce que nous ignorons ; mais il obtint à la fois de l’encouragement et une aide précieuse .de son beau-père Theagenês de Megara, qui, grâce à la popularité dont il jouissait auprès du peuple, avait déjà renversé l’oligarchie mégarienne, et était devenu despote dans sa ville natale. Toutefois, avant de tenter un coup si hasardeux, Kylôn consulta l’oracle de Delphes, et en réponse le Dieu lui conseilla de prendre l’occasion de la plus grande fête de Zeus pour s’emparer de l’acropolis. De telles expressions, comme tout Grec les interprétait naturellement, désignaient les jeux’ Olympiques dans le Péloponnèse. De plus, pour Kylôn, vainqueur lui-même aux jeux Olympiques, cette interprétation se trouvait recommandée par une propriété particulière apparente. Mais Thucydide, qui n’est point indifférent à l’honneur de : l’oracle, rappelle à ses lecteurs qu’il ne fut fait aucune question, qu’il ne fut donné aucune instruction expresse, où l’on dût chercher, — soit en Attique, soit ailleurs — la plus grande fête de Zeus en question, et que la fête publique des Diasia, célébrée périodiquement et avec solennité dans le voisinage d’Athènes ; était aussi appelée la plus grande fête de Zeus Meilichios. Probablement de tels scrupules exégétiques ne se présentèrent à personne avant l’issue malheureuse de la conspiration, et à Kylôn moins qu’à tout autre : au retour des premiers jeux Olympiques qui se célébrèrent, il se mit à la tête d’une troupe, fournie en partie par Theagenês, en partie composée de ses amis d’Athènes, et s’empara soudainement du rocher sacré de la ville. Mais cette tentative excita une indignation générale dans le peuple athénien, qui vint en foule de la campagne pour aider les archontes et les prytanes des naukrares à la réprimer. Kylôn et ses compagnons furent bloqués dans l’acropolis, où ils se trouvèrent bientôt dans l’embarras, faute d’eau et de provisions ; bien que beaucoup d’Athéniens retournassent dans leurs foyers, on laissa pour le siège des forces capables de réduire les conspirateurs à la dernière extrémité. Après que Kylôn lui-même se fut échappé furtivement, et que plusieurs de ses compagnons furent morts de faim, les autres, renonçant à tout espoir de se défendre, s’assirent comme suppliants auprès de l’autel. L’archonte Megaklês, en regagnant la citadelle, trouva ces suppliants près d’expirer de faim sur le terrain sacré, et polir prévenir suie telle souillure il les engagea è, quitter la place en leur promettant la vie sauve. Cependant ils n’eurent pas plus tôt passé sur le terrain profane, que la promesse fut violée et qu’ils furent anis à mort ; quelques-uns même, qui, voyant le destin dont ils - étaient menacés, s’arrangèrent pour se jeter sur l’autel des déesses Vénérables (ou Euménides) près de l’aréopage, reçurent leurs blessures mortelles, malgré cette protection inviolable[68].

Bien que la conspiration eût été ainsi réprimée, et le gouvernement maintenu, ces incidents déplorables laissèrent derrière eux une longue suite de maux de profonds remords religieux avec des antipathies politiques envenimées. Il resta encore, sinon un parti kylonien considérable, dû moins une grande quantité de personnes qui ressentirent la manière dont les Kyloniens avaient été mis à mort, et qui devinrent en conséquence des ennemis mortels de Megaklês l’archonte, et de la grande famille des Alkmæonides, à laquelle il appartenait. Non seulement on déclara frappés de malédiction Megaklês et ceux qui l’avaient aidé personnellement, niais on supposa que sa ; tache avait été transmise à ses descendants, et nous trouvons ci-après la blessure, rouverte, non seulement à la seconde et à la troisième génération, mais encore deux siècles après l’événement primitif[69]. Quand nous voyons que cet acte avait laissé une impression si vive, même après le dong laps de temps qui s’était écoulé, nous pouvons bien penser qu’il suffisait, immédiatement après, pour troubler complètement la tranquillité de l’État. Les Alkmæonides et leurs partisans défièrent longtemps leurs adversaires, en résistant à tout jugement public. Les dissensions continuèrent sans qu’on espérât qu’elles cesseraient, jusqu’à ce que Solôn, qui jouissait alors d’une haute réputation de sagacité et de patriotisme, aussi bien que de bravoure, leur persuada de soumettre la question à un examen judiciaire, à un moment si éloigné de l’événement, que plusieurs des acteurs étaient morts. En conséquence, ils furent jugés par une cour spéciale de trois cents Eupatrides, Myron du dême Phlyeis étant leur accusateur. En se défendant contre l’accusation d’avoir manqué au respect dû aux dieux et au droit consacré de l’asile, ils alléguèrent que les suppliants kyloniens, quand on les eut décidés à quitter le terrain sacré, avaient attaché une corde autour de la statue de la déesse et s’y étaient cramponnés pour assurer leur marche ; mais qu’en approchant de l’autel des Euménides, la corde s’était cassée accidentellement, et cet événement critique (tel était l’argument des accusés) prouvait que la déesse elle-même avait retiré d’eux sa main protectrice et les avait abandonnés à leur sort[70]. Leur argument, remarquable comme servant à expliquer les sentiments du temps, ne fut pas cependant accepté comme excuse. On les trouva coupables, et tandis que ceux d’entre eux qui vivaient se retiraient en exil, ceux qui étaient déjà morts furent déterrés et jetés hors des frontières. Cependant leur exil, qui ne dura que pendant un certain temps, ne fut pas regardé comme suffisant pour expier l’impiété qui leur avait valu une condamnation. Les Alkmæonides, une des plus puissantes familles de l’Attique, continuèrent longtemps d’être considérés comme une race souillée[71], et dans des cas de calamité publique cette famille était exposée à être mise à part comme ayant par son sacrilège attiré sur ses concitoyens le châtiment des dieux[72].

Le bannissement des parties coupables ne se trouva pas suffisant pour rétablir la tranquillité. Non seulement il régna des désordres pestilentiels, mais la sensibilité et les appréhensions religieuses de la communauté athénienne restèrent aussi excitées d’une façon déplorable. Les citoyens étaient accablés de chagrin et de désespoir, ils voyaient des fantômes et entendaient des menaces surnaturelles, et ils sentaient la malédiction des dieux peser sur eux sans diminution[73]. Il paraît que ce fut particulièrement l’esprit des femmes — dont les mouvements religieux, aux yeux des anciens législateurs, demandaient un contrôle vigilant — qui fut ainsi troublé et porté à la frénésie. Les sacrifices offerts à Athènes ne réussirent pas à dissiper l’épidémie ; et-les prophètes, bien qu’ils reconnussent que des purifications spéciales étaient nécessaires, ne purent pas non plus découvrir chez eux quelles étaient les nouvelles cérémonies capables d’apaiser la colère divine. L’oracle Delphien les engagea à faire venir du dehors une influence spirituelle plus élevée, et ce conseil procura à Athènes la mémorable visite du prophète krêtois, le sage Epimenidês.

Le siècle qui s’écoule entre 620 et 500 avant J.-C. semble avoir été remarquable par la première diffusion et l’influence puissante de confréries religieuses distinctes, de rites mystiques et de cérémonies expiatoires, qu’on ne trouve pas reconnus dans l’épopée homérique (ainsi que je l’ai fait remarquer dans un précédent chapitre). A cette époque appartiennent Thalêtas, Aristeas, Abaris, Pythagoras, Onomacritos et la plus ancienne influence de la secte orphique que l’on puisse trouver[74]. Dans la classe d’hommes mentionnée ici, Epimenidês, natif de Phæstos ou de Knôssos en Krête, était un des plus célèbres[75], et l’antique connexion légendaire existant entre Athènes et la Krête, qui se montre dans les contes de Thêseus et de Minôs, est encore manifestée ici dans le recours que les Athéniens eurent à cette île en lui demandant l’appui spirituel dont ils avaient besoin. Epimenidês semble avoir été rattaché au culte de Zeus Krêtois, dans la faveur duquel il était placé si haut qu’il reçut la dénomination du nouveau Kurête[76] (les Kurêtes ayant été les premiers les ministres et les organisateurs de ce culte). Il était, disait-on, le fils de la nymphe Baltê ; les nymphes lui fournissaient constamment de la nourriture, puisqu’on ne le voyait jamais manger ; dans sa jeunesse, il s’était endormi dans une caverne, et était resté dans cet état sans interruption pendant cinquante-sept ans ; cependant quelques-uns assuraient qu’il avait erré tout ce temps sur les montagnes, recueillant et étudiant les plantes médicinales avec la vocation d’un iatromantis, ou médecin et prophète combinés. Ces récits montrent l’idée que l’antiquité se faisait d’Epimenidês le : purificateur[77], qui alors fut appelé pour guérir à la fois l’épidémie et la maladie morale régnant clans le peuple athénien, de la même manière que son compatriote et son contemporain Thalêtas avait été, quelques années auparavant, engagé à venir à Sparte pour apaiser une peste par l’influence de sa musique et de ses hymnes religieux[78]. La faveur dont Epimenidês jouissait auprès des dieux, la connaissance qu’il avait de cérémonies propitiatoires, et sa puissance d’action sur le sentiment religieux, eurent un plein succès en rendant à Athènes et la santé et la tranquillité morale. Il mena, dit-on, quelques brebis blanches et noires sur l’Aréopage, ordonnant à ceux qui l’accompagnaient de les suivre et de les surveiller, et d’élever de nouveaux autels aux divinités locales appropriées sur les lieux où ces animaux se coucheraient[79]. Il fonda de nouvelles chapelles et établit diverses cérémonies lustrales ; et il s’appliqua plus spécialement à régler le culte rendu par les femmes, de manière d calmer les mouvements violents qui les avaient agitées auparavant. Nous savons à. peine quelque chose quant aux détails de sa manière d’opérer ; mais le fait général de sa visite et les effets salutaires qu’elle produisit en dissipant le désespoir religieux qui accablait les athéniens sont bien attestés. Des assurances consolantes et de nouveaux préceptes concernant les rites, tombant des lèvres d’un personnage qu’on supposait haut placé dans la faveur de Zeus, étaient le remède que demandait ce déplorable désordre. De plus, Epimenidês eut la prudence de s’associer Solôn, et tandis qu’il obtint sans doute ainsi plus d’un précieux avis, il l’aida indirectement en exaltant la réputation. de Solôn lui-même, dont la carrière de réforme constitutionnelle approchait alors rapidement. Il resta assez longtemps à Athènes pour rétablir complètement un ton plus doux de sentiment religieux, et ensuite il partit, emportant avec lui la reconnaissance et l’admiration universelles, mais refusant toute autre récompense, excepté une branche de l’olivier sacré de l’acropolis[80]. Sa vie se prolongea, dit-on, jusqu’au terme inaccoutumé de cent cinquante-quatre ans, suivant une assertion qui avait cours à l’époque de son contemporain plus jeune Xenophanês de Kolophôn[81]. Les Krêtois même osèrent affirmer qu’il vécut trois cents ans. Ils le vantaient non seulement comme un sage et un purificateur spirituel, mais encore comme un poète, en lui attribuant de très longues compositions sur des sujets religieux et mythiques ; selon quelques récits, ils l’adoraient même comme un dieu. Platon et Cicéron considéraient Epimenidês sous le même jour sous lequel le voyaient ses contemporains, comme un prophète inspiré par les dieux, et prédisant l’avenir dans ses accès d’extase temporaire. Mais, suivant Aristote, Epimenidês lui-même déclarait n’avoir point reçu des dieux de don plus élevé que celui de deviner les phénomènes inconnus du passé[82].

La mission religieuse d’Epimenidês à Athènes, et son influence efficace aussi bien que curative sur l’esprit public, méritent d’être signalées comme signe caractéristique de l’époque où elles agirent[83]. Si nous nous transportons deux siècles en avant jusqu’à la guerre du Péloponnèse, temps où des influences raisonnables et des habitudes positives de pensée avaient acquis un empire durable sur les esprits supérieurs, et où des discussions pratiques sur des sujets politiques et judiciaires étaient familières à tout citoyen athénien, une telle souffrance religieuse et insurmontable n’aurait pas facilement dominé le public entier ; tandis que, si cela s’était présenté, aucun homme vivant ne se serait attiré la vénération universelle au point de pouvoir effectuer une cure. Platon[84], admettant l’influence curative réelle des rites et des cérémonies, croyait entièrement à Epimenidês comme à un prophète inspiré dans le passé ; mais à l’égard de ceux qui avaient des prétentions à un pouvoir surnaturel de son propre temps, il n’avait pas une foi si facile. Lui, aussi bien qu’Euripide et Théophraste, traitait avec indifférence, et même avec mépris, les Orpheotelestæ des temps plus récents, qui s’annonçaient comme possédant la même connaissance reconnue des rites des cérémonies, et les mêmes moyens.- de guider la volonté des dieux, dont Epimenidês avait fait usage avant eux. Ces Orpheotelestæ comptaient incontestablement un nombre considérable de personnes qui croyaient en eux, et ils spéculaient avec un grand succès, aussi bien qu’avec profit pour eux-mêmes, sur les consciences timorées dés riches[85]. Mais ils ne jouissaient d’aucun crédit auprès du public en général, ni auprès de ceux sur l’autorité desquels le public avait habituellement les yeux. Toutefois, quelque dégénérés qu’ils fussent, ils étaient les représentants légitimes du prophète et du purificateur de Knôssos, dont la présence avait été si utile aux Athéniens deux siècles auparavant ; et le changement de leur position était dû moins à quelque cause intérieure de décadence qu’à un progrès dans la masse sur laquelle ils cherchaient à agir. Si Epimenidês lui-même était venu à Athènes à cette époque, ses visites auraient probablement été aussi peu efficaces sur tous les desseins publics que l’aurait été une répétition du stratagème de Phyê, vêtue et équipée comme la déesse Athênê, qui avait si complètement réussi du temps de Pisistrate ; stratagème qu’Hérodote même traite d’absurdité incroyable, bien qu’un siècle avant lui, et la cité d’Athènes et les dêmes de l’Attique eussent obéi, comme à un mandat divin, à l’ordre que leur donnait cette magnifique et majestueuse femme de rétablir Pisistrate[86].

 

 

 



[1] Justin, II, 7.

[2] Pausanias, I, 3, 2 ; Suidas, Ίππομένης ; Diogenian. Centur. Proverb., III, Άσεβέστερον Ίππομένους.

[3] V. Bœckh sur les Marbres de Paros, in Corp. Inscr. Græc., part. 12, sect. 6, p. 307, 310, 332.

Depuis le commencement du règne de Medôn, fils de Kodros, jusqu’au premier archonte annuel Kreôn, les Marbres de Paros comptent 407 ans, Eusèbe, 387.

[4] Philochore, ap. Strabon, IX, p. 396. V. Schoemann, Antiq. J. P. Græc., 6 ; v. sect. 2-5.   

[5] Strabon, IX, p. 392. Philochore et Andrôn étendaient le royaume de Nisos depuis l’isthme de Corinthe jusqu’au Pythion (près d’Œnoê) et jusqu’à Éleusis (Strabon, ibid.) ; mais il y avait bien des contes différents.

[6] Pollux, VIII, c. 9, 109-111.

[7] Un récit affirmait qu’Iôn, le père des quatre héros d’après lesquels ces tribus furent nommées, était le premier législateur qui avait civilisé l’Attique, comme Lykurgue, Numa ou Deukaliôn (Plutarque, adv. Kol., c. 31, p. 1125).

[8] Ainsi Euripide fait dériver Αίγικορείς, non de αϊξ chèvre, mais de Αίγίς l’Ægide d’Athênê (Ion, 1581) ; il donne aussi Teleontes, dérivé d’un éponyme Teleôn, fils d’Iôn, tandis que les inscriptions de Kyzikos s’accordent avec Hérodote et autres pour le nom Geleontes. Plutarque (Solôn, 25) donne Gedeontes. Dans une inscription athénienne publiée récemment par le professeur Ross (datant vraisemblablement du premier siècle après l’ère chrétienne), on a vérifié pour la première fois le culte de Zeus Geleôn à Athènes — Διός Γελέοντος ίεροκήρυξ (Ross, Die attischen Denten, p. 7-9. Halle, 1846).

[9] Plutarque (Solôn, c. 25) ; Strabon, VIII, p. 383. Cf. Platon, Critias, p. 110.

[10] Bœckh, Corp. Inscr., n° 3078, 3079, 3665. Le commentaire approfondi dont Bœckh accompagne l’inscription mentionnée en dernier, et dans lequel il défend l’ancienne réalité historique de la classification par professions, n’est, à mon avis, nullement satisfaisant.

K. P. Hermann (Lehrbuch der Griechischen Staatsalterthümer, sect. 91-96) donne un sommaire de tout ce que l’on peut connaître relativement à ces anciennes tribus athéniennes. Cf. Ilgen, De Tribubus Atticis, p. 9 sq. Tittmann, Griechische Staatsverfassungen, p, 570-582 ; Wachsmuth, Hellenische Alterthumskunde, sect. 43, 41.

[11] Sur les Naukraries, V. Aristote, Fragm. Rerum Public., p. 89, éd. Neumann ; Harpocration, v. Δήμαρχος, Ναυκραρικά ; Photius, v. Ναυκραρία ; Pollux, VIII, -108 ; Schol. ad Aristophane, Nub., 37.

Οί πρυτάνεις τών Ναυκράρων, Hérodote, V, 71 ; ils dirigèrent les opérations militaires dans la résistance à l’usurpation de Kylôn.

Cette assertion, à savoir que, chaque naukrarie était obligée de fournir un vaisseau, ne peut guère être vraie du temps antérieur à Solôn : comme c’est Pollux qui l’avance, nous serions amené à concevoir qu’il ne la déduit que du nom ναύκραρος (Pollux, VIII, 108), bien que l’étymologie réelle semble plutôt être de ναίω (Wachsmuth, Hellen. Alt., sect. 44, p. 240).

Il peut y avoir quelque raison pour croire que l’ancien sens du mot ναύτης se rattachait aussi à ναίω ; une telle supposition diminuerait la difficulté par rapport aux fonctions des ναύτοδικαι comme juges dans les cas d’admission illicite dans les phratores. V Hesychius et Harpocration, v. Ναυτόδικαι ; et Baumstark, De Curatoribus Emporii, Friburg, 1828, p. 67 sq. ; cf. aussi le fragment de la loi de Solôn, ή ϊερών όργίων ή ναΰται, que Niebuhr corrige d’une manière conjecturale, Roem. Gesch., V, 1, p.  323, 2e éd. ; Hesychius, Ναυστήρεςοί οίκέται. V. Pollux, Ναΰλον et Lobeck, ̔Ρηματικόν, sect. 3, p. 7 ; Άειναΰται παρά Μιλησίοις  , Plutarque, Quæst. Græc., c. 32, p. 238.

[12] Meier, De Gentilitate Atticâ, p. 22-24, croit que cette perfection numérique est due à Solôn ; mais il n’y a rien qui le prouve, et elle n’est pas non plus en harmonie avec les tendances générales de la législation de Solôn.

[13] C’est ainsi que, relativement aux Tythings (dizaines) et aux Hundreds (centuries) anglo-saxons, et à la division encore plus répandue du Hundred, qui semble dominer dans toute l’antiquité teutonique et scandinave, d’une manière beaucoup plus étendue que le Tything, il n’y a pas de raison pour croire que ces proportions numériques précises aient été réalisées en pratique générale : la nomenclature systématique remplissait son but en marquant l’idée de gradation et le type dont on se rapprochait jusqu’à un certain point. M. Thorpe fait observer au sujet du Hundred, dans son Glossaire pour les Ancient Laws and Institutes of England, v. Hundred,  Thysing, Frid-Borg, etc. : Dans le Dialogue de Scaccario, il est dit qu’un Hundred ex hydarum aliquot centenariis, sed non determinatis, constat ; quidam enim ex pluribus, quidam ex paucioribus constat  , Suivant quelques récits, il se compose exactement de cent hydes, selon d’autres de cent tythings, selon d’autres de cent familles libres. Il est certain que, quelle qu’ait pu être son organisation primitive, le Hundred, à l’époque où nous arrivons à le connaître, différait beaucoup d’étendue, dans diverses parties de l’Angleterre.

[14] V. dans l’ouvrage du professeur Ross (Ueber die Demen von Attika, p. 26) l’instructive inscription du γένος Άμυνανδριδών, rappelant l’archonte de cette gens, le prêtre de Kekrops, le Ταυίας ou trésorier, et les noms des membres, avec le dême et la tribu de chaque individu. Cf. Bossler, De Gent. Atticis, p. 53. Sur les rites religieux particuliers de la gens appelée Gephyræi. V. Hérodote, V, 61.

[15] Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom., IV, 14.

[16] Platon, Euthydem. p. 302 ; Aristote, ap. Schol. in Platon, Axioch., p. 465, éd. Bek. Pollux, VIII, 3. Cf. aussi III, 52 ; Mœris. Atticist., p. 108.

Harpocration, v. Άπόλλων Πατρώος, Θεοίνιον, Γεννήται, Όργεώνες, etc. ; Etymol. Magn., v. Γεννήται ; Suidas, v. Όργεώνες ; Pollux, VIII, 93 ; Demosth. Cont. Eubulid., p. 1319, et cont. Neær., p. 1365. Isée emploie όργεώνες comme synonyme de γεννήται (v. Orat. II, p. 19, 20-28, M. Bek.). Schoemann (Antiq. J. P. Græc., § 26) considère les deux comme essentiellement distincts. Φρήτρη et φΰλον se rencontrent tous deux dans l’Iliade, II, 362. V. la Dissertation de Buttmann, Ueber den Begriff von φρατρία (Mythologus, c. 24, p. 305) ; et celle de Meier, De Gentilitate Atticâ, où sont bien réunis et discutés les points de connaissance auxquels on peut parvenir relativement aux gentes.

Dans l’inscription theræenne (n° 2448 ap. Bœckh, Corp. Inscript., v. son commentaire, p. 310) contenant le testament d’Epiktêta, par lequel un legs est fait à οί συγγενεϊςό άνδρεΐος τών συγγενών — ce dernier mot ne signifie pas des relations de parenté ou de sang, mais une variété de l’union des gentes striatus ou sodalitium : Bœckh.

[17] Hérodote, I, 143. L’expression attique — άγχίστεις ίερών καί όσίων — explique l’association intime qui existe entre la parenté de famille et les privilèges religieux communs. — Isée, Orat. VI, p. 89, éd. Bek.

[18] Isée, Or. VI, p. 61 ; II, p.38 ; Demosth. adv. Makart., p. 1053-1075 ; adv. Leochar., p. 1093. Quant à cette perpétuation des rites sacrés de famille, le sentiment qui dominait chez les Athéniens est à peu prés le même que celui que l’on voit aujourd’hui en Chine.

M. Davis fait observer : des fils sont considérés dans ce pays, où le pouvoir qu’on exerce sur eux est si absolu pendant la vie, comme un appui sûr, aussi bien que comme une source probable de richesses et de dignités, s’ils réussissent dans la science. Mais le grand objet est la perpétuation de la race, pour sacrifier aux tombeaux de famille. Sans fils, un homme vit sans honneur ni contentement, et meurt malheureux ; et, comme seul remède, il est autorisé à adopter les fils de ses frères plus jeunes. — Ce n’est pas seulement pendant sa vie qu’un homme attend les services de ses fils. C’est sa consolation, sur le déclin de ses uns, de penser qu’ils continueront d’accomplir les rites prescrits dans la salle des ancêtres et aux tombeaux, de famille, quand il ne sera plus ; et c’est l’absence de cette perspective qui lui rend doublement pénible le défaut d’enfants. La superstition tire son influence de l’importance qu’attache le gouvernement à cette sorte de devoir, posthume ; la négliger, c’est, comme nous l’avons vu, encourir la répression des lois. En effet, de tout ce qui fait l’objet de leurs soins, il n’y a rien dont les Chinois s’occupent si religieusement que des tombeaux de leurs ancêtres, convaincus que tente négligence est indubitablement suivie d’un malheur dans ce monde. (The Chinese, by John Francis Davis, c. 9, p5 181-134, éd. Knight, 1840.)

M. Mill mentionne le même état de sentiment chez les Hindous (History of British India, book II, c. 7 ; p. 381, éd. in-8°).

[19] Xénophon, Helléniques, I, 5,8 ; Hérodote, I, 147 ; Suidas, ΆπατουρίαΖεύς ΦράτριοςΆθηναία φρατρία, le dieu présidant l’union phratrique. - Platon, Euthydem., c. 28, p. 302 ; Demosth. adv. Makart., p. 1054. V. Meier, De Gentilitate Atticâ, p. 11-14.

Les πάτριαι à Byzance, qui différaient des θίασοι, et qui, comme corporation, possédaient des biens (Aristote, Œconomic., II, 4), sont sans doute le pendant des phratries athéniennes.

[20] Dikæarque ap. Stephan. Byz. v. Πατρά ; Aristote, Politique, I, 1, 6 ; Όμοσιπύος et όμοκάπνους sont les vieux mots que ce dernier cite d’après Charondas et Epimenidês.

[21] Niebuhr, Roemische Geschichte, vol. 1, p. 317-337. Le langage de Varron sur ce point est clair : Ut in hominibus quœdam sunt cognatioues et gentilitates, sic in verbis. Ut enim ab Æmilio homines orti Æmilii et gentiles, sic ab Æmilii nomine declinatæ votes in gentilitate nominali. Paul Diacre, p. 94 : Gentilis dicitur ex eodem genere ortus, et is qui simili nomine appellatur, etc. V. Bekker, Handbuch der Roemischen Alterthumer, part. 2, abth. 2, p. 36.

La dernière partie de la définition devrait être effacée pour les gentes grecques. Le passage de Varron ne prouve pas la réalité historique du premier père ou genarque Æmilius, mais il prouve que les membres de la gens croyaient en lui.

Le Dr Wilda, dans son savant ouvrage, Das Deutsche Strafrecht (Halle, 1842), n’est pas d’accord avec Niebuhr dans le sens opposé, et semble soutenir que les gentes grecques et romaines étaient composées réellement des parents du même sang, mais éloignés (p. 123) : comment cette assertion peut-elle être prouvée, c’est ce que j’ignore ; et elle ne s’accorde pas avec l’opinion qu’il avance dans la page précédente (p. 122), avec beaucoup de justesse, que ces quasi familles sont des faits primordiaux dans l’ancienne société humaine, au delà desquels nous ne pouvons pousser nos recherches. Plus nous remontons dans l’histoire, plus la communauté présente la firme d’une famille, bien qu’en réalité ce ne soit pas une famille pure. C’est là la limite des recherches historiques, que personne ne peut franchir impunément (p. 122).

[22] Diogène Laërte, V, 1.

[23] V. Colonel Leake’s Travels in Northern Greece, c. 2, p. 85 (le mot grec φράτριαι semble être adopté en Albanie) ; Boué, La Turquie en Europe, vol. II, c. 1, p. 15-17 ; c. 4, p. 530 ; Spenser’s View of the state of Ireland (vol. VI, 1542-1543 de l’édition des œuvres de Spenser donnée par Tonson, 1715) ; Cyprien Robert, Die Slaven in der Turkey, b. 1, c. 1 et 2.

De même aussi, dans les lois du roi Alfred, en Angleterre, su sujet d’un meurtre, les frères de guilde ou membres de la même guilde sont forcés de figurer dans la position de parents éloignés, s’il arrive qu’il n’y ait pas de parents unis par le sang : Si un homme, sans parents paternels, combat avec un homme et le tue, s’il a des parents maternels, ils payeront un tiers du were ; les frères de guilde, un tiers ; pour un tiers il peut fuir. S’il n’a pas de parents maternels, ses frères de guilde payeront une moitié ; pour une moitié il peut fuir... Si un homme tue un homme dans une telle position, s’il n’a pas de parents, moitié sera payée au roi, une moitié à ses frères de guilde. (Thorpe, Ancient Laws and Institutes of England, vol. I, p. 79-81.) Et dans le même ouvrage, Leges Henrici primi, vol. I, p. 596, les idées de la parenté et de la guilde se confondent de la façon la plus intime : Si quis hominem occidatsi eum tunc cognatio sua deserat, et pro eo gildare nolit, etc. Dans la loi salique, les membres d’un contubernium avaient les mêmes droits et les mêmes obligations les uns vis-à-vis des autres (Rogge, Gerichtswesen der Germanen, c. 3, p. 62). Cf. Wilda, Deutsches Strafrecht, p. 389, et l’estimable traite spécial du même auteur (Das Gildenwesen im Mittelalter., Berlin, 1831), où il montre l’origine et les progrès des guildes depuis les premiers temps du paganisme germain. Il démontre que ces associations ont leur base dans les habitudes et les sentiments les plus anciens de la race teutonique la famille était polir ainsi dire une guilde naturelle, la guilde une famille factice. Des cérémonies et des fêtes religieuses communes, une défense et une aride mutuelles, aussi bien qu’une mutuelle responsabilité, étaient les liens reconnus chez les cogildones ; c’étaient des sororitates, aussi bien que des fraternitates, comprenant à la fois des hommes et des femmes (deren Genossen wie die Glieder einer Familie eng unter einauder verbunden waren, p. 146). Wilda explique comment cette primitive phratrie sociale et religieuse (quelquefois cette même expression fatria est employée, p. 109) est devenue quelque chose de semblable à une tribu ou phyté plus politique (V. p. 43, 57, 60, 116, 126, 129, 344). La commune unie par le serment, qui se répandit tellement en Europe au commencement du douzième siècle, tient à la fois de l’une et de l’autre — conjuratioamicitia jarata (p. 148, 169).

Les membres d’une phara albanaise sont tous conjointement engagés à poursuivre, et chacun d’eux individuellement exposé à subir la vengeance du sang, en cas d’homicide commis sur l’un d’eux ou par l’un d’eux (Roué, ut supra).

[24] V. l’important chapitre de Niebuhr, Roem. Gesch., vol. I, p. 317, 350, 2e édit.

Les Alberghi de Gênes, dans le moyen âge, étaient des familles agrandies créées par un contrat volontaire. — De tout temps (fait observer Sismondi) les familles puissantes avaient été dans l’usage, à Gênes, d’augmenter encore leur puissance en adoptant d’autres familles moins riches, moins illustres ou moins nombreuses, auxquelles elles communiquaient leur nom et leurs armes, qu’elles prenaient ainsi l’engagement de protéger, et qui, en retour, s’associaient à toutes leurs querelles. Les maisons dans lesquelles on entrait ainsi par adoption étaient nommées des alberghi (auberges), et il y avait peu de maisons illustres quine se fussent ainsi recrutées à l’aide de quelque famille étrangère. (Républiques italiennes, t. XV, c. 120, p. 366.)

Eichhorn (Deutsche Staats-und-Rechtsgeschichte, sect. 18, vol. I, p.84, 5e éd.) fait remarquer, au sujet des anciens Germains, que les familiæ et propinquitates germaines mentionnées par Tacite (Germanie, c. 7), et le Gentibus cognationibusque hominum de César (B. G., VI, 22), avaient plus d’analogie avec la gens romaine qu’avec la parenté de sang ou par mariage. Suivant l’idée de quelques tribus germaines, l’individu pouvait même à son gré renoncer à la parenté du sang et la rompre, avec tous les droits et toutes les obligations qui s’y rattachaient ; il pouvait se déclarer έκποιητός, pour employer l’expression grecque. V. le tit. 63 de la loi salique que cite Eichhorn, l. c.

Le professeur Koutorga, de Saint-Pétersbourg (dans son Essai sur l’Organisation de la Tribu dans l’antiquité, traduit du russe en français par M. Chopin, Paris, 1839), a marqué et expliqué l’analogie fondamentale entre la classification sociale, dans les temps anciens, des Grecs, des Romains, des Germains et des Russes (V. particulièrement p. 47, 213). Relativement à l’ancienne histoire de l’Attique, cependant, beaucoup de ses principes sont avancés sur des preuves bien peu dignes de foi (V. p. 123 sq.).

Parmi les tribus arabes de l’Algérie, il y en a quelques-unes que l’on suppose formées des descendants, réels ou réputés tels, de quelque saint homme ou marabout, dont la tombe, couverte d’un dôme blanc, est le point central de la tribu. Quelquefois une tribu de cette sorte est divisée en ferka ou sections, dont chacune a pour chef ou fondateur, un fils de l’éponyme ou fondateur de la tribu. Parfois ces tribus sont agrandies par l’adjonction ou l’adoption de nouveaux éléments ; de sorte qu’elles deviennent des tribus plus considérables, formées à la fois par le développement de l’élément familial et par l’agrégation d’éléments étrangers. — Tout cela se naturalise par le contact, et chacun des nouveaux venus prend la qualité d’Amri (homme des Beni Amer) tout aussi bien que les descendants d’Amer lui-même. (Tableau de la situation des Etablissements français en Algérie, Mar. 1846, p. 393.)

[25] Pindare, Pyth., VIII, 53 ; Isthm., VI, 92 ; Nem., VII, 103 ; Strabon IX, p. 421 ; Steph. Byz., v. Κώς ; Hérodote, V, 41 ; VII, 134 ; IX, 37 ; Pausanias, X, 1,4 ; Callimaque, Lavaer. Pallad., 33 ; Schol. Pindare, Pyth., II, 27 ; Aristote, Politique, V, 8, 13 ; Άλευδων τούς πρώτους, Platon, Menon, 1, qui les signale comme une gens nombreuse. V. Buttmann, Dissert. sur les Aleuadæ, dans le Mythologus, vol. II, p. 246. Les Bacchiadæ à Corinthe, έδίδοσαν καί ήγοντο έξ άλλήλων (Hérodote, V, 92).

[26] Harpocration, v. Έτεοβουτάδαι, Βουτάδαι ; Thucydide, VIII, 53 ; Plutarque, Thêseus, 12 ; Themistoklês, I ; Demosth. cont. Neær., p. 1365, Polemon ad. Schol, ad Sophocle (Œdip. Col., 489 ; Plutarque, Vit. X, Orator., p. 841-814. V. la Dissertation de O. Müller, De Minerva Poliade, c. 2.

[27] Demosth. cont. Neær., p. 1365. Tittmann (Griechische Staatsverfass., p. 277) pense que chaque citoyen, après la révolution de Kleisthenês, était nécessairement membre de quelque phratrie, aussi bien que de quelque dême ; mais la preuve qu’il produit est à mon avis insuffisante. Les idées de phratrie et de tribu sont souvent confondues ensemble ; ainsi les Ægeidæ de Sparte, qu’Hérodote (IV, 149) appelle une tribu, sont appelés par Aristote une phratrie de Thêbains (ap. Schol. ad Pindare, Isthm., VII, 8). Cf. Wachsmath, Hellenische Alterthumskunde, sect. 83, p. 17.

Un grand nombre de dèmes semblent avoir tiré leurs noms des arbustes ou des plantes qui croissaient dans leur voisinage (Schol. ad Aristophane, Plutus, 586, Μυρρενοϋς, Ραμνοϋς, etc.).

[28] Par exemple, Æthalidæ, Butadæ, Kothôkidæ, Dædalidæ, Eiresidæ, Epieikidæ, Erœadæ, Eupyridæ, Echelidæ, Keiriadæ, Kydantidæ, Lakiadæ, Pambôtadæ, Perithoidæ, Persidæ, Semachidæ, Skambônidæ, Sybridæ, Titakidæ, Thrygonidæ, Hybadæ, Thymœtada, Pæonidæ, Philaidæ, Chollidæ : tous ces noms de dêmes, portant las forme patronymique, se trouvent dans Harpocration et Étienne de Byzance seuls.

Nous ne savons pas que les Κεραμεϊς aient jamais constitué un γένος ; mais le nom du dême Κεραμεϊς est évidemment donné, d’après le même principe, à un lieu occupé surtout par des potiers. La gens Κοιρώνιδαι était appelée, dit-on, Φιλιεϊς ( , Φλυεϊς) et Περιθϊδαι aussi bien que Κοιρώνιδαι : les nombres de gentes et ceux de dûmes ne semblent pas toujours pouvoir se distinguer.

Les Butadæ, bien qu’étant une gens extrêmement vénérable, étaient aussi comptés comme dême (V. le Psephisme au sujet de Lykurgue dans Plutarque, Vit. X Orator., p. 852) ; cependant nous ne savons pas qu’il y eût quelque localité appelée Butadæ. Peut-être quelques-uns des noms mentionnés plus haut sont-ils simplement des noms de gentes, enregistrés comme dêmes, mais sans intention d’impliquer une communauté de séjour entre les membres.

Les membres d’une gens romaine occupaient des résidences adjacentes dans quelques occasions. Nous ne savons pas dans quelle mesure (Heiberg, De Familiari Patriciorum Nexu, c. 24, 25, Sleswic., 1829).

Nous trouvons ailleurs les mêmes noms patronymiques de dêmes et de villages : à Kôs et à, Rhodes (Ross, Inscr. Gr. Ined., n° 15-26. Halle, 1816) ; Lestadæ à Naxos (Aristote, ap Athenæ, VIII, p. 348) ; Botachidæ à Tegea (Steph. Byz., in v.) ; Branchidæ près de Milêtos, etc. ; et une explication intéressante est fournie, dans d’autres temps et d’antres lieux, par la fréquence de la terminaison ikon dans des villages près de Zurich en Suisse, — Mezikon Nennikon, Wezikon, etc. Blüntschli, dans son Histoire de Zurich, démontre que ces terminaisons sont des abréviations de inghoven, renfermant un élément patronymique primitif, indiquant le premier établissement de membres d’une famille, ou d’une bande portant le nom de son capitaine, dans le même endroit (Blüntschli, Staats-und-Rechtsgeschichte der Stadt Zurich, vol. I, p. 26).

Dans d’autres inscriptions de l’île de Kôs, publiées par le professeur Ross, nous trouvons un reine mentionné (sans nom), composé de trois gentes réunies : In hoc et sequente titulo alium jam deprehendimus demum Coum, e tribus gentibus appellatione patronymicâ conflatum, Antimachidarum, Ægiliensium, Archidarum (Ross, Inscr. Græc, ined. Fascic., III, no 307, p. 44, Berlin, I845).  C’est là un spécimen de l’opération introduite d’une manière systématique en Attique par Kleisthenês.

[29] Plutarque, Solôn, 21. Nous trouvons un cimetière commun appartenant exclusivement à la gens et conservé avec ténacité (Demosth. cont. Eubulid., p. 1307 ; Cicéron, Leg., II, 26).

[30] Demosth. cont. Makart., p. 1068. V. dans Plutarque la singulière clause conditionnelle qui était ajoutée (Solôn, c. 20).

[31] Meursius, Themis Attica, I, 13.

[32] Telle fut la coutume primitive, et la limitation μέχρις άνεψιαδών (Meier, De Bonis Damnat., p. 23, cite άνεψιαδών καί φρατόρων) est introduite dans la suite (Demosth. cont. Euerg. et Mnesib., p. 1161) ; c’est ce que nous pouvons conclure de la loi telle qu’elle se trouve dans Demosth. cont. Makart., p. 1069, qui renferme les phrators, et conséquemment, à fortiori, les gennêtes ou membres de la gens.

Le même mot γένος est employé pour désigner à la fois le cercle des parents que l’on peut appeler de ce nom, frères, cousins germains (άγχιστεϊς, Demosth. cont. Makart., c. 9, p. 1058), etc., dépassant l’οϊκος, et la quasi-famille ou gens. Comme le lien de la gens tendait à s’affaiblir, de même le premier sens du mot eut cours de plus en plus, jusqu’à l’extinction du second. Les έν γένει ou οί προσήκοντες auraient eu un sens plus large à l’époque de Drakôn qu’à celle de Démosthène. Συγγενής appartient ordinairement à γένος dans le sens plus étroit, γεννήτης à γένος dans le sens plus large ; mais Isée emploie quelquefois le premier mot comme un équivalent exact du second (Orat. VII, p. 95, 99, 102, 103, Bekker). Τριακάς parait être signalé dans Pollux comme l’équivalent de γένος ou gens (VIII, 111) ; mais le mot ne se rencontre pas dans les orateurs attiques, et nous ne pouvons pas établir sa signification avec certitude : l’inscription du dême de Peiræeus donnée dans Bœckh (Corp. Inscr., n° 101, p. 140) ajoute plutôt à la confusion en révélant l’existence d’un τριακάς constituant la partie fractionnaire d’un dême, et non rattachée à une gens ; cf. le Comment. de Bœckh ad loc. et les Addenda et Cogrigenda, p. 900.

Le Dr Thirlwall traduit γένος, maison ; ce que je ne peux m’empêcher de croire inexact, parce que ce mot est l’équivalent naturel de οϊκος, mot très important par rapport aux sentiments attiques, et tout à fait différent de γένος (Hist. of Greece, vol. II, p. 14, c. 11). On verra qu’il est impossible de le traduire par un mot anglais connu quelconque sans qu’en même temps il naisse dans l’esprit des idées erronées ; c’est ce qui sera accepté comme mon excuse, je l’espère, si je l’adopte dans cette histoire, sans le traduire.

[33] Demost. cont. Makart., l. c.

[34] V. Eschine, De Falsâ Legat., p. 292, c. 46 ; Lysias cont. Andocid., p. 108 ; Andocide, De Mysteriis, p. 63, Reiske ; Dinarque et Hellanicus, ap. Harpocration, v. Ίεροφάντης.

Dans le cas de crimes d’impiété, particulièrement dans des offenses contre la sainteté des mystères, les Eumolpidæ avaient un tribunal particulier composé de membres tirés de leur propre sein, devant lequel les offenseurs étaient amenés par l’archonte-roi. Etait-il souvent employé, c’est ce qui semble douteux. Ils avaient aussi certaines coutumes non écrites d’une grande antiquité, en vertu desquelles ils prononçaient (Demosth. Cont. Androtion, p ; 601 ; Schol. ad Demosth., vol. II. n. 137, Reiske ; cf. Meier et Schoemann, Der Attische Prozess, p. 117). Les Butadæ avaient aussi certaines maximes anciennes non écrites (Androtion ap. Athenæ, IX, p. 374).

Cf. Bossler, De Gentibus et Familiis Atticæ, p. 20, et Ostermann, De Præconibus Græcor., sect.2 et 3 (Marpurg., 1845).

[35] Lycurgue l’orateur est désigné comme τόν δήμον Βουτάδης, γένους τοΰ τών Έτεοβουταδών (Plutarque, Vit. X Orator., p. 841).

[36] Dans une inscription (ap. Bœckh, Corp. Inscr., n° 465), on a conservé quatre noms des phratries dans la cité grecque de Neapolis, et six noms dans les trente curies romaines (Becker, Handbuch der Roemischen Alterthümer, p. 32 ; Bœckh, Corp. Inscr., II, p. 650).

Chaque phratrie attique semble avoir eu ses propres lois et ses propres coutumes séparées, distinctes des autres (Isée, Or. VIII, p. 115, éd. Bek. ; VII, p. 99 ; III, p. 49).

Bossler (De Gentibus et Familiis Atticæ, Darmstadt, 1833), et Meier (De Gentilitate Atticâ, p. 41-54) ont donné les noms de celles des gentes attiques qui sont connues : la liste de Meier en comprend un nombre de soixante-dix-neuf (v. Koutorga, Organis. Trib., P. 122).

[37] Tittmann (Griech. Staatsalterthümer, p. 271) pense que Kleisthenês augmenta le nombre des phratries ; mais le passage d’Aristote présenté pour soutenir cette opinion est une preuve insuffisante (Politique, VI, 2, 11). Nous pouvons encore moins être d’accord avec Platner (Beytraege zur Kenntniss des Attischen Rechts, p. 74-77), quand il dit que trois nouvelles phratries furent assignées à chacune des nouvelles tribus kleisthénéennes. Une allusion est faite dans Hesychius, Άτριάκαστοι, Έξω τριακάδος, à des personnes non comprises dans aucune gens ; mais on ne peut bière croire que cela se rapporte à une époque antérieure à Kleisthenês, comme Wachsmuth voudrait le soutenir (p. 238).

[38] Le langage de Photius sur ce sujet est plus exact que celui d’Harpocration, qui les identifie tous les deux complètement, — v. Δήμαρχος. S’il est vrai que les naucraries furent continuées sous la constitution de Kleisthenês avec ce changement tel, que leur nombre fut porté à cinquante, cinq pour chaque tribu kleisthénéenne, elles doivent probablement avoir continué de nom seulement sans action ni fonctions réelles. Kleidêmos donne ce renseignement, et Bœckh le suit (Public Economy of Athens, I, II, c. 21, p. 256) ; cependant je ne puis m’empêcher de douter de son exactitude. Car la τριττύς (tiers de la tribu kleisthénéenne) était certainement conservée et était une division active et efficace (v. Démosthène, De Symmoriis, c. 7, p. 18d), et il ne semble guère probable qu’il y eût deus divisions Coexistantes, l’une représentant le tiers, l’autre le cinquième des mêmes tribus.

[39] Strabon, IX, p. 396.

[40] Strabon, IX, p. 396, Euripide, Ion, 1578.

[41] Thucydide, II, 15 ; Theophr., Charact., 29, 4. Plutarque (Thêseus, 24) présente les actes de Thêseus avec de plus grands détails et une nuance plus forte de démocratie.

[42] Pausanias, I, 2, 4 ; 38, 2. Diodore de Sicile, IV, 2. Schol. ad Aristophane, Acharn., 242.

Les Athéniens transportèrent d’Eleutberæ à Athènes, et une vénérable statue de Dionysos et une cérémonie religieuse en honneur de ce dieu. La réunion de la ville à Athènes est présentée par Pausanias comme ayant été opérée par suite de la haine de ses citoyens pour Thèbes, et doit s’être. Faite antérieurement à 509 avant J.-C., époque à laquelle nous trouvons Hysiæ comme dême frontière de l’Attique (Hérodote, V, 72 ; VI, 108).

[43] Thucydide, 4, 13, 16, relativement aux Athéniens de la campagne qui furent forcés de se retirer à Athènes lors de la première invasion pendant la guerre du Péloponnèse.

[44] Etymologicon Magn., v. Επακρία χωρά ; Strabon, VIII, p. 383 ; Stephan. Byz., v. Τετράπολις.

Les Τετράκωμοι comprenaient les quatre dêmes, Πειραϊεις, Φαληρεις, Ξυπετεώνες, Θυμοίταδαι (Pollux, IV, 105) ; cependant on a douté que ce fût là une ancienne division (V. Ilgen, De Tribubus Atticis, p. 51).

La Έπακρέων τριττύς est mentionnée dans une inscription donnée par Ross (Die Demen von Attica, p. 6). Cf. Bœckh, ad Corp. Inscr., n° 82 : entre autres dêmes, elle comprenait le dême Plôtheia. Mesogœa aussi (ou plutôt les Mesogei, οί Μεσόγειοι) semble être une communauté faite en vue de sacrifices et de desseins religieux, et contenir le dême Batê. V. Inscriptiones Atticæ super repertæ duodecim, par Ern. Curtius ; Berlin, 1843 ; Inscript., I, p. 3. La situation exacte du dême Batê en Attique est inconnue (Ross, Die Demen von Attica, p. 64) ; et quant à la question de savoir quelle portion de l’Attique était appelée Mesogœa, on a mis en avant des conjectures très différentes, qu’il n’y a pas, à ce qu’il semble, moyen de contrôler. Cf. Schoemann, De Comitiis, p. 343, et Wordsworth, Athens and Attica, p. 229, 2e éd.

[45] Dikæarque. Fragm., p. 109, éd. Fuhr ; Plutarque, Thêseus, c. 33.

[46] Telles qu’il en existait entre les Pallénæens et les Agnusiens (Plutarque, Thêseus, 12).

Les Acharnæ étaient le dême le plus considérable et le plus populeux de l’Attique (V. Ross, Die Demen von Attika, p. 62 ; Thucydide, II, 21) ; cependant Philochore ne le mentionne pas comme ayant jamais constitué une ST6-ltç indépendante.

Plusieurs des dêmes semblent avoir été réputés pour des qualités, particulières, bonnes ou mauvaises : V. Aristophane, Acharn., 177, avec une note d’Elmsley.

[47] Strabon, IX, p. 396 ; Plutarque, Thêseus, 14. Polémon a écrit un livre spécial sur les héros éponymes des dêmes et des tribus attiques (Preller, Polemonis Fragm., p. 42) : les Atthidographes étaient tous riches sur le même sujet : V. les Fragments de l’Atthis d’Hellanicus (p. 24, éd. Preller) et ceux d’Ister, de Philochore, etc.

[48] J.-H. Voss, Erlaüterungen, p. 1 : V. l’hymne, 96-106, 451-475 ; et Hermesianax ap. Athenæ, XIII, p. 597.

[49] Hérodote, I, 30.

[50] Dikæarque, Vita Græciæ, p. 141, Fragm., éd. Fuhr.

[51] Plutarque, Thêseus, c. 25 ; Denys d’Halicarnasse, II, 8.

[52] Etymologic. Mag. Εύπατρίδαι. Le βασιλιερών comprend non seulement les Kodrides, mais les Erechtheides, les Pandionides, les Pallautides, etc. V. aussi Plutarque, Thêseus, c. 24 ; Hesychius, Άγροιώται.

Cependant Isocrate semble parler de la grande famille des Alkmæonidæ comme si elle n’était pas comprise dans les Eupatridæ (Orat. XVI, De Bigis, p. 351, 506, Bek.)

[53] Meier und Schoemann, Der Attische Prozess. Einleitung, p. 10.      

[54] Plutarque, Solôn, c. 19 ; Aristote, Politique, II, 9, 2 ; Cicéron, De Offic., I, 22 Pollux semble adopter l’opinion que Solôn instigua le premier le sénat de l’Aréopage (VIII, 125).

[55] Pollux, VIII, 89-91.

[56] Nous trouvons les mots θεσμοτέτων άνάκρισις dans Démosth. cont. Eubulid., c. 17, p. 1319, et Pollux, VIII, 85 ; série de questions auxquelles ils avaient à répondre avant qu’on les admit à remplir leurs fonctions. De semblables questions doivent rivoir été posées a l’archonte, au basileus et au polémarque, de telle sorte que nous pou-vous a bon droit interpréter les mots θεσμοτέτων άνάκρισις comme s’appliquant à tous les neuf archontes, puisque effectivement, nous trouvons immédiatement après, p. 1320, les mots τούς εννέα άρχοντας άνακρίνετε ; de plus, tous les neuf, après avoir subi les εΰθύναι à la fin de leur année de charge, devenaient membres de l’aréopage.

[57] Relativement au mot θέμιστες dans le sens homérique, v. vol. II, c. 6, de cette histoire.

Aristote (Politique, II, 9, 9) et Démosthène (cont. Euerg, et Mnesibul., c. 18, p. 1161) appellent tous deux les ordonnances de Drakôn νόμοι, non θεσμοί. Andocide distingue les θεσμοί de Drakôn et les νόμοι de Solôn (De Mysteriis, p.11). C’est là adopter une phrase relativement moderne ; Solôn appelait ses propres lois θεσμοί. Le serment des περίπολοι έφηβοι (les jeunes gens qui formaient la police armée de l’Attique pendant les deux premières années de l’âge qu’ils avaient servir), tel qu’il est donné par Pollux (VII, 106), semble contenir beaucoup d’anciennes phrases : cette phrase ci : καί τοϊς θεσμοϊς τοϊς ίδρυμένοις πείσομαι est remarquable en ce qu’elle indique l’ancienne association de sanction religieuse qui s’attachait au mot θέσμοί ; car ίδρύεσθαι est le mot employé par rapport à l’établissement et à l’installation des dieux qui protégeaient le pays — θέσθαι νόμους est le terme plus moderne pour exprimer faire des lois. Cf. Stobée, De Republica., XLIII, 48, éd. Gaisford, et Demosth. cont. Makart. c. 13, p. 1069.

[58] Ότε θεσμός έφάνπ όδε — telle est l’expression exacte d’une loi de Solôn (Plutarque, Solôn, c. 19) ; le mot θεσμός se trouve, dans les propres poèmes de Solôn.

[59] Aristote, Politique, II, 9, 9 ; Rhetor., II, 25 ; 1 ; Aulu-Gelle, N. A., XI, 18 ; Pausanias, IX, 36, 4 ; P1utarque, Solôn, c. 19 ; bien que Pollux (VIII, 42) ne soit pas d’accord avec lui. Taylor, Lect. Lysiacæ, c. 10. Relativement aux θεσμοί de Drakôn, V. Kuhn, ad Ælian, V. H., VIII, 10. La maxime préliminaire que Porphyre (De Abstinentiâ, IV, 22) attribue à Drakôn ne peut guère être véritable.

[60] Pausanias, IX, 36, 4. Cf. Démosth. cont. Aristekr., p, 637, Lysias, De Cæde Eratosthen., p. 31.

[61] Harpocration, v. Έφέται, Έπί Δελφινίω, Έπί Παλλαδίω, Έν Φρεαττοϊ ; Pollux, VIII, 119, 124, 125 ; Photius, v. Έφέται ; Hesychius, ές Φρέατου ; Demosth. cont. Aristokrat., c.-15-18, p. 642-645 ; contra Makart., c. 13, p. 1068. Quand Pollux parle des cinq cours dans lesquelles jugeaient les ephetæ, il y comprend probablement l’Aréopage (V. Demosth. cont. Aristokrat., c. 14, p. 641).

Au sujet des juges έν Φρεαττοϊ, V. Aristote, Politique, IV, 13, 2. Sur le sujet général de cette ancienne et obscure procédure criminelle, V. Matthias, De Judiciis Atheniensium (in Miscellan. Philologiæ, vol. I, p. 143 sq.) ; et Schoemann, Antiq. Jur. Pub. Att., sect. 61, p. 288 ; Platner, Prozess und Klagen bey den Attikern, l. c. 1 ; et E. W. Weber, Comment. ad Demosth. cont. Aristokrat., p. 627, 641 ; Meier und Schoemann, Attisch. Prozess, p. 14-19.

Je ne puis considérer les ephetæ comme des juges d’appel, et je suis d’accord avec ceux (Schoemann, Antiq. Jur. Pub. Gr., p. 171 ; Meier und Schoemann, Attisch. Prozess, p. 16 ; Platner, Prozess und Klagen, t. I, p. 18) qui se défient de l’étymologie rattachant ce mot à έφέσιμος. Le sens actif du mot, de la famille de έφίεμαι (Æsch., Prom., 4) et d’έφετμή, s’accorde mieux avec le cas actuel : V. O. Müller, Proleg. ad Mythol., p. 424 (bien qu’il n’y ait pas de raison pour croire que les ephetæ soient plus anciens que Drakôn) : comp. cependant K. F. Hermann, Lehrhuch der Griechischen Staatsalterthümer, sect. 103, 104, qui pense différemment.

Le procès, la condamnation et le bannissement d’objets inanimée qui avaient été la cause d’une mort, reposaient sur des sentiments largement répandus dans le monde grec (V. Pausanias, VI, 11, 2 ; et Théocrite, Idyll., XXIII, 60) : analogues en principe à la loi anglaise relativement au deodand (deodandum), et à l’esprit qui règne dans les anciens codes germaniques en général (V. Dr C. Trümmer, Die Lehre von der Zurechnung, c. 28-38, Hamburg, 1845).

Les codes germaniques ne se contentent pas d’imposer une obligation générale, d’apaiser les parents de la victime et les membres de la gens, mais ils déterminent à l’avance la somme qui suffira pour ce but ; somme qui, dans le cas d’un homicide involontaire, est payée comme compensation aux parents qui survivent. Quant à la différence qui existe entre un homicide coupable, un homicide justiciable et un homicide accidentel, voir le traité approfondi de Wilda, Das Deutsche Strafrecht, c. VIII, p. 544-559, dont la doctrine cependant est combattue par le Dr Trümmer dans le traité mentionné plus haut.

A Rome, suivant les Douze tables et auparavant, un homicide involontaire devait être expié par le sacrifiée d’un bélier (Walter, Geschichte des Roemisch. Rechts, sect. 768).

[62] Demosth. cont. Etterg. et Mnêsib. p. 1161.

[63] Demosth. cont. Aristokrat., p. 641. V. aussi le discours cont. Makart., p. 1069 ; Æschin. cont. Ktesiphon., p. 636 ; Antiph. De Cæde Herodis, c. 14.

Le tribunal populaire, à l’époque d’Isocrate et de Démosthène, tenait ses séances έπί Παλλαδίω pour juger les accusations d’homicide involontaire — preuve frappants de la sainteté spéciale du lieu consacré à ce but (V. Isocrate Cont. Kallimach., Or. XVIII, p. 381 ; Demosth. cont. Neær., p. 1348).

Ce que dit Pollux (VIII, 125), que les Ephetæ devinrent méprisés, n’est pas confirmé par le langage de Démosthène.

[64] Plutarque, Solôn, c. 19 ; Aristote, Politique, II, 9, 2.

[65] Lire sur ce sujet les principes posés par Platon à l’égard du vol (Leg., XII, p. 941). Néanmoins Platon copie, en grande partie, les dispositions des tribunaux éphétiques, dans ses mesures pour l’homicide (Leg., IX, p. 865-873).

[66] Je ne connais pas d’endroit où l’aptitude spéciale de localités particulières, consacrées chacune à son propre but, soit exposée d’une manière aussi puissante que dans le discours que prononce Camille contre la translation de Rome à Véies (Tite-Live, V, 52).

[67] On m’a fait remarquer que ce que j’avance ici ne s’accorde pas avec les Euménides d’Eschyle, qui montrent Oreste jugé à l’Aréopage et acquitté, bien qu’il avoue son parricide ; parce que la justification qu’Apollon présente en sa faveur, en disant que Klytæmnêstra avait mérité son sort, pour avoir tué Agamemnôn antérieurement, est tenue pour suffisante. Je pense, cependant, qu’une étude attentive de ce drame très curieux, loin de contredire ce qui est dit ici dans le texte, l’expliquera et le confirmera davantage.

La cause jugée représente deux parties : d’abord, les plaignantes officielles ou déesses vengeresses (les Euménides) qui réclament Orestês comme leur victime, péremptoirement, et sans même écouter aucune excuse, dès que le fait de son parricide est vérifié ; en second lieu ; Orestês lui-même, qui reconnaît l’acte, mais allègue qu’il I’a commis pour venger son père, sous la sanction et même à, l’instigation d’Apollon, qui paraît comme son témoin et son défenseur.

Deux points de vue, relativement à l’homicide, sont mis en conflit : l’un représenté par les Euménides, l’autre par Apollon, agissant indirectement avec la sanction de Zeus.

Les divins privilèges des Euménides sont placés d’un côté, ceux d’Apollon, de l’autre ; les premières se plaignent que le second intervient dans leurs affaires, et se mêle d’actes qui ne le concernent pas légitimement (227-715), tandis que chacune des deux parties offre avec des menaces terribles la perspective du mal qu’elle fera respectivement à l’Attique, si le verdict est rendu contre elle.

Athênê, comme protectrice d’Athènes, a son territoire à défendre contre le tort dont il est menacé des deux côtés, et à. éviter d’offenser l’un ou l’autre. Ce résultat est obtenu, en effet, autant qu’il est possible, sans qu’on se dispense de prononcer une sentence. On égalise les votes des dikastes ou jurés, de sorte qu’eux, du moins, comme Athéniens, peuvent ne pas irriter l’un ou l’autre des puissants antagonistes ; et l’a4uittement d’Orestês s’ensuit, parce que Athênê elle-même a prononcé en sa faveur, par la raison que ses sympathies sont plutôt pour le sexe môle que pour le sexe féminin, et que le meurtre d’Agamemnôn compte plus à ses yeux que celui de Klytæmnêstra. Ce procès, que l’on suppose être le premier qui ait jamais été jugé pour du sang répandu (682), se termine par un verdict d’acquittement prononcé par Athênê comme voix prépondérante entre les votes égaux des dikastes.

Alors les Euménides éclatent en ex-pressions violentes de plaintes et de menaces, qu’Athênê cherche à apaiser de son mieux. Elles se plaignent d’avoir été vaincues et déshonorées ; elle leur’ dit qu’il n’en a pas été ainsi, puisque les votes étaient égaux, et qu’elle s’est prononcée en faveur d’Orestês, parce qu’il a agi sous la sanction et la garantie d’Apollon, indirectement même de Zeus, et que c’est à ces d’eux qu’appartenait réellement la responsabilité de l’acte. Alors elle supplia instamment les Euménides de renoncer à leur mécontentement, et d’accepter un domicile en Attique, avec les témoignages les plus signalés d’adoration et de respect de la part du peuple. Longtemps elles refusent ; à la fin elles cèdent, et consentent à devenir avec elle habitantes d’Athènes (917-1017). Alors Athênê les conduit, en procession solennelle, au lieu de repos qui leur est destiné (1001).

Or ce lieu de repos, toujours consacré dans la suite aux Euménides, était situé tout près de la colline appelée Aréopage, ou réellement : sur cette colline (Pausanias, I, 28, 6. Schol. ad Thucydide, I, 126. Ainsi l’Aréopage leur est cédé et consacré ; et comme conséquence, la procédure contré l’homicide, comme elle était dirigée en ce lieu, doit avoir été rendue conforme à leur point de vue : la condamnation péremptoire du coupable, sans admettre d’excuse ni de justification. Athênê, dans son marché avec elles, s’engage à ce qu’elles ne souffrent jamais de nouveau d’humiliation pareille à celle qu’elles ont récemment subie par l’acquittement d’Orestês ; à ce qu’elles reçoivent les honneurs du culte dans sa plus large mesure. En retour, elles promettent d’assurer au pays d’abondantes bénédictions (940-985).

Ici donc est le résultat du drame d’Eschyle, montrant comment ces déesses finirent par être consacrées sur l’Aréopage ou tout près de la colline, et comment en conséquence leur manière d’apprécier l’homicide devint exclusivement dominante dans cette localité.

Il n’était pas nécessaire, pour le dessein d’Eschyle, de dire quelle mesure prit Athênê pour installer Apollon et pour s’occuper de sa manière d’apprécier l’homicide, opposée à celle des Euménides. Apollon, dans le cas d’Orestês, avait gagé la victoire, et ne demandait rien de plus. Cependant sa façon de juger et de traiter l’homicide, admettant de certaines justifications spéciales, ne doit pas être exclue complètement d’Athènes, bien qu’elle le soit de l’Aréopage. Cette difficulté est résolue par l’établissement du nouveau tribunal au Delphinion, ou temple d’Apollon Delphinios (Plutarque, Thêseus, c.12-14. K. F. Hermann, Gotiesdiensi, Alterthümer, Griech., 60, 3.), où l’on suit la procédure d’Apollon, contradictoirement à celle des Euménides, et où l’on peut plaider l’homicide justifiable.

La légende d’Apollon et du Delphinion forme ainsi la suite et le complément de celle des Euménides et de l’Aréopage.

[68] Le récit est donné dans Thucydide, I, 126 ; Hérodote, V, 71 ; Plutarque, Solôn, XII.

[69] Aristophane, Eguit., 445, et les Scholies ; Hérodote, V, 70.

[70] Plutarque, Solôn, c. 12. Si l’histoire de la rupture de la corde avait été vraie, Thucydide n’aurait guère manqué de la mentionner ; mais il n’y a pas lieu de douter que ce fût la défense réelle présentée par les Alkmæonides. Quand Ephesos fut assiégée par Crésus, les habitants cherchèrent une protection pour leur ville en la dédiant à Artemis : ils menèrent une corde depuis les murs de la ville jusqu’à l’autel de la déesse, qui était situé en dehors des murs (Hérodote, I, 26). Le despote samien Polykratês, quand il consacra à Apollon Délien l’île voisine de Rhêneia, la rattacha à l’Ile de Dêlos au moyen d’une chaîne (Thucydide, III, 104).

Ces analogies expliquent l’effet puissant d’une continuité visible ou matérielle sur l’imagination grecque.

[71] Hérodote, I, 61.

[72] V. Thucydide, V, 16, et son langage relativement à Pleistoanax de Sparte.

[73] Plutarque, Solôn, c. 12.

[74] Lobeck, Aglaophamus, II, p. 313 ; Hoeckh, Krêta, III, p. 252.

[75] Les renseignements relatifs à Epimenidês sont réunis et discutés dans le traité de Heinrich, Epimenidês aus Kreta, Leipzig, 1801.

[76] Diogène Laërte, I, 114, 115.

[77] Plutarque, Solôn, c. 12 ; Diogène Laërte, I, 109-115 ; Pline, H. N., VII, 52. Maxime de Tyr, XXXVIII, 3.

Eschyle, Supplic., 277 ;          Jamblique, Vie de Pythagore, c. 28.

Plutarque (Sept. Sapient. Conviv., p. 157) regarde Epimenidês simplement comme ayant vécu conformément aux préceptes de la vie orphique, ou régime végétal : c’est à cette circonstance, je suppose, qu’il faut croire que Platon (Leg., III, p. 677) s’en réfère, bien que ce ne soit pas très clair. V. le fragment de la pièce perdue d’Euripide, Krêtes, p. 98, éd. Dindorf.

Karmanor de Tarrha en Krête avait purifié Apollon lui-même pour le meurtre de Python (Pausanias, II, 30, 3).

[78] Plutarque, De Musicâ, p. 1134-1146 ; Pausanias, I, 14, 3.

[79] Cicéron (Leg., II, 11) assure qu’Epimenidês ordonna qu’un temple fût élevé à Athènes à Ύβρις et à Άναιδεία (Violence et Impudence) : Clément disait qu’il avait élevé des autels aux deux mûmes déesses (Protrepticon, p. 22) : Théophraste avançait qu’il existait des autels à Athènes (sans mentionner Epimenidês) en l’honneur de ces mêmes divinités (ap. Zenobium, Proverb. Cent., IV, 36). Ister parle d’un ίερόν Άναιδείας à Athènes (Istri Fragm., éd. Siebelis, p. 62). Je doute que cette histoire ait d’autre fondement que le fait avancé par Pausanias, à savoir que les pierres qui furent placées devant le tribunal de l’Aréopage, et où devaient se placer l’accusateur et l’accusé étaient appelées ainsi : Ύβρεως, celle de l’accusé ; Άναιδείας, celle de l’accusateur (I, 28, 5). La confusion entre pierres et autels n’est pas difficile à comprendre. L’autre récit donné par Neanthês de Kyzikos relativement à Epimenidês, qui, selon lui, avait offert en sacrifice deux jeunes gens comme victimes humaines, était nettement déclarée fausse par Polémon, et il se lit complètement comme un roman (Athénée, XIII, p. 602).

[80] Plutarque, Præcept. Reipublic. Gerend., c. 27, p. 820.

[81] Diogène Laërte, l. c.

[82] Platon, Leg., I, p. 642 ; Cicéron, De Divinat., I, 18 ; Aristote, Rhet., III, 17.

Platon place Epimenidês dix ans avant l’invasion de la Grèce par les Perses, tandis que sa date réelle est environ 600 avant exemple remarquable de négligence quant à la chronologie.

[83] Relativement au caractère de cette époque, voir le second chapitre du traité de Heinrich, auquel il est fait allusion plus haut, Kreta und Griechenland in Hinsicht auf Wunderglauben.

[84] Platon, Cratyle, p. 405, Phædr., p. 244.

[85] Euripide, Hippolyte, 957 ; Platon, République, II, p. 364 ; Théophraste, Caract., c. 16.

[86] Hérodote, I, 60.