HISTOIRE DE LA GRÈCE

TROISIÈME VOLUME

CHAPITRE VI — LOIS ET DISCIPLINE DE LYKURGUE À SPARTE (suite).

 

 

D’autres actes attribués aux éphores et dirigés contre les Ilotes sont conçus dans le même esprit que l’incident que nous venons de raconter d’après Thucydide, bien qu’ils ne soient pas accompagnés d’un témoignage aussi certain. C’était une partie des institutions de Lykurgue — suivant un renseignement que Plutarque déclare avoir emprunté d’Aristote —, que les éphores déclarassent chaque almée la guerre aux Ilotes, afin que le meurtre commis sur eux pût être innocenté ; et que de jeunes Spartiates actifs fussent armés de poignards et envoyés dans la Laconie, afin qu’ils pussent, soit dans la solitude, soit de nuit, assassiner ceux dés Ilotes qui étaient considérés comme redoutables[1]. Cette dernière mesure porte le nom de Krypteia ; cependant nous trouvons quelque difficulté à déterminer jusqu’à quel point elle fut jamais réalisée. Que les éphores, en effet, ne fussent ordinairement arrêtés par aucun scrupule de justice ou d’humanité, c’est ce qui est clairement démontré par le meurtre des deux mille mentionné plus haut. Mais ce dernier incident répondait réellement à son but ; tandis qu’une pratique permanente telle que la, krypteia et une formelle déclaration de guerre faite à l’avance auraient plutôt provoqué la réaction du désespoir qu’imposé la tranquillité. Il semble, en effet, bien prouvé que la krypteia était une pratique réelle[2], que les éphores entretenaient un système de police ou d’espionnage d’un bout à l’autre de la Laconie au moyen de jeunes citoyens actifs qui menaient une vie dure et solitaire, et rendaient leurs mouvements aussi peu visibles que possible. Les éphores pouvaient assez naturellement employer ce moyen pour surveiller et les municipes des Periœki et les villages des Ilotes, et l’assassinat commis sur des Ilotes individuellement par ces agents de police ou kryptæ passait probablement inaperçu. Mais il est impossible d’ajouter foi à quelque ordre permanent de meurtre, ou à un assassinat d’Ilotes annuel et prémédité, dans le but de les intimider, comme on prétend qu’Aristote l’a exposé ; car nous pouvons bien douter qu’il l’ait fait réellement, quand nous voyons qu’il ne s’occupe pas de cette mesure dans sa Politique, où il parle avec quelque détail et de la constitution spartiate et des Ilotes. La haine et la crainte bien connues que nourrissaient les Spartiates à l’égard de leurs Ilotes ont probablement donné une couleur plus forte à la description que fait Plutarque de la krypteia, au point qu’il exagère ces meurtres impunis qui avaient lieu par occasion et qu’il les transforme en un phénomène constant résultant d’un dessein délibéré. On doit tirer une semblable conséquence du renseignement de Myron de Priênê[3], qui prétendait qu’ils étaient battus chaque année sans qu’ils eussent commis de faute particulière, afin de leur rappeler leur esclavage, et que ceux des Ilotes que leur beauté ou leur taille supérieures plaçait au-dessus du caractère visible de leur, condition, étaient mis à mort ; tandis qu’on punissait les maîtres qui négligeaient de réprimer le courage de leurs Ilotes doués de force. Ce mystère, par lequel les éphores étaient si remarquables, semble assez de lui-même réfuter l’assertion qu’ils proclamaient publiquement la guerre ouverte contre les Ilotes ; quoique nous puissions bien croire que cette malheureuse classe d’hommes ait été mentionnée comme devant être l’objet d’une jalouse surveillance dans le serment annuel que prononçaient les éphores en entrant en charge. Quel qu’ait pu être le traitement des Ilotes à une époque postérieure, il est en tout cas difficile de supposer qu’aucun règlement hostile à leur égard puisse être émané de Lykurgue ; car les dangers provenant de cette source ne devinrent sérieux qu’après la guerre Messênienne, et dans le fait seulement après que la diminution graduelle du nombre des citoyens spartiates se fut fait sentir.

Les Ilotes affranchis ne passaient pas dans la classe des Periœki, — pour ce but une faveur spéciale, le don de la liberté accordée par quelque municipe periœkien, était probablement nécessaire, — mais ils constituaient une classe a part, connue, à l’époque de la guerre du Péloponnèse, sous le nom de Neodamôdes. Ayant gagné leur liberté par une bravoure signalée, ils étaient naturellement l’objet d’une appréhension particulière de la part des éphores, et, s’il était possible, on les employait dans un service étranger[4] ou on les établissait comme colons sur quelque terre étrangère. A quoi s’occupaient ces hommes libres, c’est un peint pour- lequel nous ne trouvons pas de renseignement distinct ; mais nous ne pouvons guère douter qu’ils ne quittassent le village et le champ des Ilotes, en même temps que le costume rustique (le chapeau de cuir et la peau de mouton) que l’Ilote portait ordinairement, et dont le changement l’exposait a un soupçon, sinon à une punition, de la part de ses maîtres jaloux. Probablement comme les citoyens spartiates qui avaient perdu leurs privilèges (appelés hypomeiones ou inférieurs), ils étaient rassemblés- à Sparte, et trouvaient de, l’emploi soit dans divers commerces, soit au service du gouvernement.

Il a été nécessaire de présenter cette brève esquisse des classes d’hommes qui habitaient la Laconie, afin de pouvoir comprendre les renseignements donnés au sujet de la législation de Lykurgue. Les dispositions attribuées à ce législateur, telles que Plutarque les décrit, présupposent niais ide créent pas les trois ordres des Spartiates, des Periœki et des Ilotes. Plutarque nous dit que les désordres que Lykurgue trouva existants dans l’État provenaient en majeure partie de la révoltante inégalité dans la propriété, ainsi que du penchant au luxe et de la rapacité éhontée des riches, qui s’étaient approprié la portion la plus considérable des terres du pays, laissant une grande multitude de pauvres, sans un lot de terre, dans une misère et une dégradation désespérantes. Pour obvier à cette inégalité (suivant Plutarque) le législateur opérant ses réformes employa une mesure rigoureuse. Il distribua de nouveau tout le territoire appartenant à Sparte, aussi bien que le reste de la Laconie ; le premier en neuf mille lots égaux, un pour chaque citoyen spartiate ; le second en trente mille lots égaux, un pour chaque Periœkos. Je parlerai tout à l’heure plus en détail de cette prétendue distribution. De plus, il bannit l’usage de la monnaie d’or et d’argent, ne tolérant sous la forme d’agent de circulation que des pièces de fer, lourdes et difficiles à porter ; et il interdit[5] au citoyen spartiate toute espèce d’industrie ou de travail visant à l’argent, y compris l’agriculture. En outre, il établit les Syssitia ou repas publics, non sans une vigoureuse opposition, dans le cours de laquelle, frappé par un jeune homme violent, nommé Alkander, on dit qu’il perdit un oeil. On fournit un certain nombre de tables communes, et on obligea chaque citoyen d’appartenir à l’une d’elles et d’y prendre habituellement ses repas[6], aucun nouveau membre n’étant admissible sans un vote unanime donné en sa faveur par les premiers occupants. Chacun fournissait de son lot de terre une quote-part spécifiée de farine d’orge, de vin, de fromage et de figues, et une petite contribution en argent pour les assaisonnements, on se procurait de plus du gibier en chassant dans les forêts publiques de l’État, tandis que toute personne qui sacrifiait aux dieux[7] envoyait à la table commune dont il faisait partie une portion de la victime immolée. Depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, chaque citoyen spartiate prenait ses sobres repas à cette table publique, à laquelle tous avaient une part égale ; et l’on ne permettait de distinction d’aucune sorte, excepté dans des occasions signalées de services rendus à l’État par un citoyen individuellement.

Ces Syssitia publics, sous la direction des polémarques, se, rattachaient à la distribution militaire, à la constante éducation gymnastique et à la rigoureuse discipline de détail imposées par Lykurgue. Depuis l’âge tendre de sept ans, pendant tout le cours de sa vie, comme jeune homme et homme fait non moins que comme enfant, le citoyen spartiate vivait habituellement en public, prenant toujours part aux exercices gymnastiques et militaires, soit en personne, soit comme spectateur, et juge des autres, toujours soumis aux pratiques et aux entraves d’une règle en partie militaire, en partie monastique, éloigné de l’indépendance d’une demeure séparée, voyant sa femme, pendant les premières années de son mariage, seulement à la dérobée, et n’entre-, tenant que peu de relations particulières avec ses enfants. La surveillance non seulement de ses concitoyens, mais encore de censeurs ou capitaines autorisés et nommés par l’État, s’exerçait perpétuellement sur lui : sa journée se passait en exercices et en repas publics, ses nuits dans la caserne publique à laquelle il appartenait. Outre l’exercice militaire particulier qui le familiarisait dès sa jeunesse avec les mouvements compliqués nécessaires à un corps d’hoplites lacédæmoniens en campagne, il était aussi soumis à une sévère discipline corporelle d’autre sorte, calculée pour donner de la force, de l’activité et de la patience. Manifester un esprit hardi et belliqueux, supporter sans sourciller la plus grande douleur corporelle, endurer la faim et la soif, le chaud, le froid et la fatigue, fouler nu-pieds le plus mauvais terrain, porter le même vêtement l’hiver et l’été, supprimer toute manifestation extérieure de sentiments, et montrer en public, quand l’action n’était pas exigée, un maintien réservé, silencieux et immobile comme une statue, voilà quelles étaient toutes les vertus d’un jeune, Spartiate accompli[8]. Souvent on opposait deux troupes égales l’une à l’autre pour combattre (sans armes) dans le petit espace en forme d’île appelé le Platanistès, et ces luttes étaient poussées, sous l’œil des autorités, jusqu’à la dernière limite de la fureur. Ils ne mettaient pas non plus dans leur rivalité moins d’obstination à supporter sans murmure les cruelles flagellations infligées devant l’autel d’Artemis Orthia, traitement que l’on supposait être très agréable à la déesse, bien que parfois il se terminât même par la mort du patient, qui ne faisait entendre aucune plainte[9]. Outre les divers genres de luttes gymnastiques, les jeunes gens étaient formés à des danses choriques en usage dans les fêtes des dieux, danses qui contribuaient à leur donner des mouvements méthodiques et harmonieux. On encourageait la chasse dans les bois et les montagnes de la Laconie, comme moyen de les endurcir à la fatigue et aux privations. La nourriture fournie aux jeunes Spartiates était à dessein insuffisante ; mais on leur permettait de compléter ce qui manquait non seulement en chassant, mais encore en dérobant tout ce qu’ils pouvaient saisir, pourvu qu’ils ne se laissassent point prendre sur le fait, auquel cas ils étaient sévèrement châtiés[10]. Eu égard simplement aux résultats corporels[11], l’éducation à Sparte était excellente, en combinant la force et l’agilité avec une aptitude et une patience bonnes dans tous les cas, et en se garantissant de cette erreur par laquelle Thèbes et d’autres villes détruisirent l’effet de leur gymnastique, — la tentative faite pour créer une disposition athlétique appropriée aux jeux, mais inutile partout ailleurs.

De tous les attributs de cette remarquable communauté, il n’y en a aucun de plus difficile à expliquer clairement que la condition et le caractère des femmes spartiates. Aristote affirme que, de son temps, elles étaient impérieuses et intraitables, sans être réellement aussi braves et aussi utiles dans les moments de danger élue d’autres femmes grecques[12] ; qu’elles possédaient une grande influence suri les hommes, et même exerçaient beaucoup d’ascendant sur le cours des affaires publiques ; et que près de la moitié des propriétés foncières de la Laconie avait fini par leur appartenir. L’exemption de tout contrôle dont jouissaient les femmes formait, à ses yeux, un contraste marqué avec la rigoureuse discipline imposée aux hommes, et un contraste à peine moins signalé avec la condition des femmes dans d’autres cités grecques, où celles-ci étaient habituellement enfermées dans l’intérieur de la maison et paraissaient rarement en public. Tandis que le mari spartiate accomplissait sa vie ascétique dans ses pénibles détails, et dînait de la manière la plus simple au Pheidition ou table commune, l’épouse (à ce qu’il paraît) tenait sa maison sur un pied de luxe et d’abondance, et le désir de pourvoir à une telle dépense était une des causes de cet amour pour l’argent dominant chez des hommes auxquels il était interdit d’en jouir par les moyens ordinaires. Pour expliquer cette différence entre le traitement des deux sexes à Sparte, on apprit à Aristote que Lykurgue avait essayé dé soumettre les femmes non moins que les hommes à un système de discipline, mais qu’elles firent une résistance si obstinée qu’elles le forcèrent d’y renoncer[13].

Il n’est pas facile de concilier l’exposé donné ici par le philosophe, et méritant naturellement une scrupuleuse attention, avec celui de Xénophon et de Plutarque, qui regardent les femmes spartiates par un côté différent, et les représentent comme des compagnes dignes des hommes et de même nature qu’eux. Le système de Lykurgue (tel que ces auteurs l’exposent), considérant les femmes comme une partie de l’État, et non comme une partie de la maison, les soumettait à une éducation à peine moins dure que celle des hommes. Le grand but qu’il se proposait, celui de maintenir une race vigoureuse de citoyens, détermina à 1a fois et le traitement des jeunes filles et les règlements relatifs aux rapports entre les deux sexes. Des femmes esclaves sont assez bonnes (pensait Lykurgue) pour rester au logis occupées à filer et à tisser ; mail qui peut attendre de beaux enfants, mission et devoir propres d’une femme spartiate libre à l’égard de sa patrie, de mères élevées dans de telles occupations[14] ? Conformément à ces principes, les jeunes filles spartiates étaient soumises à une éducation physique analogue à celle des jeunes gens, étant régulièrement exercées, et luttant entre elles à la lutte, au combat corps à corps et au pugilat, selon les formes des agônes grecs. Elles paraissent avoir porté une légère tunique ouverte au bas, de manière à laisser les membres à la fois libres et exposés à la vue ; c’est pour cela que Plutarque dit qu’elles étaient complètement sans vêtements, tandis que d’autres critiques, dans différentes parties de la Grèce, adressaient un semblable reproche à cet usage, comme si c’eut été une nudité absolue[15]. La présence à ces exercices des jeunes gens spartiates, et même des rois et du corps des citoyens, prêtait de l’animation à la scène. Les jeunes femmes également marchaient dans les processions religieuses, chantaient et dansaient à des fêtes particulières, et assistaient comme spectatrices aux exercices et aux luttes des jeunes gens ; ainsi les deux sexes étaient perpétuellement entremêlés en public, d’une manière étrangère aux’ habitudes aussi bien que contraire aux sentiments d’autres États grecs. Nous pouvons bien concevoir qu’une telle éducation donnât aux femmes un caractère démonstratif, et leur inspirât en même temps un vif intérêt pour les qualités mâles, de sorte que l’expression de leur éloge était le plus fort aiguillon, et celle de leur reproche l’humiliation la plus amère pour la troupe des jeunes gens qui l’entendait.

L’âge du mariage — qui dans quelques-unes des villes grecques non soumises à de telles règles était assez prématuré pour détériorer visiblement la race des citoyens[16] — fut reculé par la loi spartiate, pour les femmes aussi bien que pour les hommes, jusqu’à l’époque que l’on supposait être la plus compatible avec la perfection des enfa4ts. Et quand nous lisons la restriction que la coutume spartiate imposait aux relations même entre personnes mariées, nous conclurons sans hésitation que le mélange public des sexes, tel que flous renons de l’exposer, n’amenait pas aux libertés, entre personnes non mariées, qu’il eût pu vraisemblablement faire naître dans d’autres circonstances[17]. Le mariage était presque universel parmi les citoyens, imposé par l’opinion générale du moins, sinon par la loi. Le jeune Spartiate emmenait son épouse par un enlèvement simulé ; mais il semble que, pendant quelque temps du moins, elle continuait à résider dans la famille, visitant sols époux dans sa caserne, déguisée sous un costume d’homme, furtivement et dans de courtes occasions[18]. Il arriva à quelques couples mariés, suivant Plutarque, d’avoir été mariés assez longtemps pour avoir deux ou trois enfants, tandis qu’ils s’étaient à peine vus seuls pendant le jour. Une intrigue secrète de la part de femmes mariées était inconnue à Sparte ; mais les citoyens regardaient comme désirable, et le législateur comme un devoir, d’unir les plus beaux couples. Un sentiment personnel ou de jalousie de la part du mari ne trouvait de sympathie auprès de personne, et il permettait sans difficulté, et encourageait quelquefois activement, de la part de son épouse, des complaisances conformes à cet objet généralement admis. On poussa si loin une telle tolérance, qu’il y eut plusieurs femmes mariées qui furent reconnues comme maîtresses de deux maisons[19] et mères de deux familles distinctes, sorte de bigamie strictement interdite aux hommes, et qui ne fut jamais autorisée, si ce n’est dans le cas remarquable du roi Anaxandridês, lorsque la ligne royale Hêraklide d’Eurysthenês fut en danger de s’éteindre. L’épouse d’Anaxandridês étant sans enfant, les éphores le pressèrent vivement, sur des motifs de nécessité publique, de la répudier et d’épouser une autre femme. Mais il refusa de renvoyer fine épouse qui ne lui avait donné aucun sujet de plainte ; alors, le trouvant inexorable, ils le prièrent de la garder, mais de prendre en outre une autre épouse, pour qu’en tout cas il pût naître des enfants a la ligne Eurysthénide. Ainsi (dit Hérodote) il épousa deux femmes et habita deux foyers, usage inconnu à Sparte[20] ; c’était cependant le même privilège dont, selon Xénophon, jouissaient quelques femmes spartiates sans recevoir de reproches de personne ; et avec une harmonie parfaite entre les habitants de leurs deux maisons. O. Müller[21] fait remarquer (et il est justifié, autant que nous pouvons le savoir, par l’évidence) que les mariages d’amour et l’affection sincère à l’égard d’une épouse étaient plus familiers à Sparte qu’à Athènes ; bien que dans la première la jalousie d’un mari ne fût ni permise ni reconnue, tandis que dans la seconde elle était vive et universelle[22].

Pour concilier la soigneuse éducation gymnastique que mentionnent Xénophon et Plutarque avec, ce luxe sans contrôle et ce relâchement qu’Aristote condamne dans les femmes spartiates, nous pouvons supposer qu’à l’époque de ce dernier les femmes d’une haute position et d’une grande fortune s’étaient arrangées pour se soustraire à l’obligation générale, et que c’est de ces cas particuliers qu’il parle surtout. Il insiste spécialement sur la tendance croissante à accumuler la propriété dans les mains des femmes[23], tendance qui semble avoir été encore plus manifeste un siècle après, sous le règne d’Agis III. Et nous pouvons imaginer sans peine que l’un des emplois de la richesse ainsi acquise consistait à acheter l’exemption de laborieux exercices, ce qu’elles pouvaient accomplir plus facilement que les hommes, dont l’État réclamait les services comme soldats. Il nous explique en partie par quels moyens les femmes en vinrent à posséder une proportion aussi considérable que les deux cinquièmes de la propriété foncière de l’État. Il y avait (dit-il) beaucoup d’héritières filles uniques — les dots données par les pères à leurs filles étaient très considérables —, et le père avait un pouvoir illimité de faire des legs testamentaires, pouvoir dont il était disposé à user plutôt en faveur de sa fille que de son fils. Une égalité parfaite de legs ou d’héritage entre les deux sexes, sans aucune préférence pour les femmes, pouvait faire beaucoup ; mais, en outre, Aristote nous dit qu’il y avait dans l’esprit spartiate à l’égard des femmes une sympathie particulière et une complaisance qu’il attribue au caractère belliqueux et du citoyen et de l’État — Arès portant le joug d’Aphroditê[24]. Mais, en dehors d’une telle considération, si nous supposons de la part d’un père spartiate opulent la simple disposition à traiter également ses fils et ses filles quant aux legs, près d’une moitié de la masse des propriétés échues en héritage se fût naturellement trouvée entre les mains des filles, puisque, dans une moyenne de familles, le nombre des naissances d’enfants des deux sexes est presque égal. D’ans la plupart des sociétés, ce sont les hommes qui font de nouvelles acquisitions ; mais ceci n’arrivait que rarement ou jamais pour les hommes spartiates, qui dédaignaient toutes les occupations entreprises dans le but de gagner de l’argent.

Xénophon, chaud panégyriste des mœurs spartiates, signale avec quelque orgueil la race de citoyens grands et vigoureux que les institutions de Lykurgue avaient produite. La beauté des femmes lacédæmoniennes était notoire dans toute la Grèce, et Lampitô, la femme lacédæmonienne introduite dans la Lysistrata d’Aristophane, est représentée comme recevant les plus grands compliments pour sa belle taille et sa mâle vigueur[25]. Nous pouvons faire remarquer que, sur ce point aussi bien que sur d’autres, Xénophon insiste expressément sur le caractère particulier des institutions spartiates,’ contredisant ainsi les idées de ceux qui les regardent simplement comme quelque chose de dôrien un peu exagéré. En effet, ce caractère particulier ne semble jamais avoir été contesté dans l’antiquité, soit par les ennemis, soit par les admirateurs de Sparte. Et ceux qui critiquaient les exercices masculins et publics des jeunes filles spartiates, aussi bien que la liberté tolérée chez les femmes mariées, accordaient en même temps que les sentiments des unes et des autres s’identifiaient activement avec l’État à un degré à peine connu en Grèce ; que le patriotisme des hommes dépendait beaucoup de la sympathie des femmes ; qui, en se manifestant publiquement d’une manière incompatible avec la vie retirée des femmes grecques en général, exaltait le brave aussi bien qu’elle humiliait le lâche, et que la noble attitude des mères spartiates dans la perte d’un membre de leur famille était un secours sérieux pour l’État dans la tâche de résister à des revers publics. Revenez avec ou sur votre bouclier, telle était l’exhortation qu’elles adressaient à leurs fils quand ils partaient pour servir au dehors ; et, après la fatale journée de Leuktra, les mères qui eurent à bien accueillir dans leurs foyers leurs fils survivant au déshonneur et à la défaite furent celles qui souffrirent amèrement, tandis que celles dont les fils avaient péri conservèrent un maintien relativement joyeux[26].

Tels étaient les points principaux de la mémorable discipline Spartiate, fortifiée dans son action sur les âmes par l’absence de communication avec les étrangers. Car aucun Spartiate ne pouvait quitter sa patrie sans autorisation, et les étrangers n’avaient pas non plus la permission de rester à Sparte ; ils ‘y venaient, à ce qu’il semble, par une sorte de tolérance, mais ils pouvaient toujours en être éloignés par ce procédé si discourtois appelé Xenêlasia[27], et il ne pouvait pas s’élever à Sparte cette classe d’étrangers résidants ou metœki qui constituaient une partie considérable de la population d’Athènes, et semblent s’être trouvés dans la plupart des autres villes grecques. C’est dans cet enseignement, cette éducation et ces exercices universels, imposés également aux jeunes garçons et aux hommes, aux jeunes gens et aux jeunes filles, aux riches et aux pauvres, que l’on doit chercher l’attribut distinctif de Sparte, et non dans ses lois ou dans sa constitution politique.

Lykurgue (ou l’individu, quel qu’il soit, auquel est dû ce système) est le fondateur d’une confrérie guerrière plutôt que le législateur d’une communauté politique ; ses frères vivent ensemble comme des abeilles dans une ruche (pour emprunter une comparaison de Plutarque), avec tous leurs sentiments engagés dans l’État, et séparés de la maison et du foyer[28]. Loin de contempler la société comme un tout, avec ses besoins et ses conditions multiples, il interdit à l’avance, par une des trois Rhetræ primitives, toute loi écrite, c’est-à-dire tout acte législatif formel et prémédité sur un sujet spécial quelconque. Quand il faut arranger des différends ou que l’intervention du juge est nécessaire, le magistrat doit décider d’après son propre sentiment d’équité ; on suppose que le magistrat ne s’écartera pas des coutumes établies ni des desseins reconnus de la cité, d’après la discipline personnelle €la, laquelle lui et le corps d’élite auquel il appartient ont été soumis. C’est sur ce corps d’élite, entretenu par le travail d’autrui, que Lykurgue veille exclusivement, avec l’œil prévoyant d’un instructeur, dans le but de l’amener par la discipline a être dans l’état et la condition d’un régiment[29], à obéir comme un seul homme, à avoir une activité et une patience corporelles, de telle sorte qu’il puisse être toujours prêt et disposé à la défense, à la conquête et à la domination. On trouvera le pendant des institutions de Lykurgue dans la République de Platon, qui approuve le principe spartiate de gardiens choisis, dressés avec soin et administrant la communauté selon leur volonté ; avec cette, différence, importante à la vérité, que le caractère spartiate[30] formé par Lykurgue est d’un type bas, rendu sauvage et farouche par une discipline corporelle exclusive et outrée, manquant même des éléments des lettres, plongé dans ses propres spécialités étroites et instruit à mépriser tout ce qui est au delà, possédant toutes les qualités nécessaires pour se procurer la domination, mais aucune des qualités propres à rendre la domination populaire ou salutaire aux sujets, tandis que les habitudes et les attributs des gardiens, tels que Platon les esquisse, sont étendus aussi bien que philanthropiques ; ils les rendent aptes non seulement à gouverner, mais à gouverner pour des buts élevés de protection et de conciliation. Platon et Aristote conçoivent tous les deux comme la perfection sociale quelque chose du type spartiate, un corps choisi de citoyens jouissant de privilèges égaux, affranchis d’occupations laborieuses et soumis à des exercices publics et uniformes. Tous deux ils admettent (avec Lykurgue) que le citoyen n’appartient ni à lui-même ni à sa famille, mais à sa cité ; tous deux en même temps ils signalent avec regret que l’éducation spartiate ne fût dirigée que sur une seule partie de la vertu humaine, celle à laquelle il est fait appel dans un état de guerre[31] ; les citoyens étant changés en une sorte de garnison, toujours à l’exercice, et toujours prêts à être appelés soit contre les Ilotes à l’intérieur, soit contre les ennemis du dehors. Cette tendance exclusive paraîtra plains étonnante si nous considérons l’époque très reculée et privée de toute sécurité à laquelle naquirent les institutions de Lykurgue, alors qu’aucune de ces garanties, qui dans la suite assurèrent la paix du monde hellénique, n’était encore jusqu’à ce moment devenue efficace, qu’il n’y avait nulle part ni habitudes constantes de commerce, ni usage de se réunir en Amphiktyonie, en venant des parties éloignées dé la Grèce, ni fêtes communes ou fréquentées par une foule considérable, ni multiplication de proxénies (ou billets permanents d’hospitalité) entre les cités importantes, ni habitudes pacifiques ou industrieuses. Quand nous considérons le défaut général de sécurité dans la vie grecque au neuvième ou au huitième siècle avant l’ère chrétienne, et particulièrement la condition précaire d’une petite bande de conquérants dôriens, à Sparte et dans son district, avec les Ilotes soumis sur leurs propres terres et les Achæens non soumis tout autour d’eux, nous ne serons pas surpris que les paroles que Brasidas dans la guerre du Péloponnèse adresse à son armée, en rappelant l’établissement spartiate primitif, se présentassent d’une manière plus puissante encore à l’esprit de Lykurgue quatre siècles auparavant : Nous sommes un petit nombre au milieu d’une foule d’ennemis ; nous ne pouvons nous maintenir qu’en combattant et en étant vainqueurs[32].

Dans de telles circonstances, on comprend aisément le but exclusif que se proposait Lykurgue ; mais ce qui est vraiment surprenant, c’est la violence des moyens qu’il employa et le succès qu’il obtint. Il réalisa son projet de créer dans les huit mille ou les neuf mille citoyens spartiates des habitudes incomparables d’obéissance, d’audace, d’abnégation et d’aptitude militaire, une soumission complète de la part de chaque individu à l’opinion publique locale et la volonté de mourir plutôt que de renoncer aux maximes spartiates, rune extrême ambition de la part de chacun de se distinguer dans la sphère tracée des devoirs, avec peu d’ambition pour toute autre chose. De quelle manière un système si rigoureux d’éducation individuelle peut-il avoir été, pour la première fois, introduit dans une communauté quelconque, maîtrisant le cours des pensées et des actions depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, — œuvre beaucoup plus difficile que toute révolution politique, — c’est ce qu’il ne nous est pas permis de découvrir. Même l’influence d’un Hêraklide ardent et énergique, secondée et appuyée par l’action encore plus puissante du dieu de Delphes sur la forte sensibilité religieuse de l’esprit spartiate, ne suffit pas non plus pour expliquer un phénomène si remarquable dans l’histoire de l’humanité, à moins que nous ne les supposions -aidées par quelque combinaison et quelque concours de circonstances que l’histoire ne nous a pas transmises[33], et précédées de désordres si extrêmes que les citoyens furent heureux d’y échapper à tout prix.

Relativement à Sparte, avant Lykurgue, nous n’avons de renseignement positif d’aucune sorte. Mais, bien que cette malheureuse lacune ne puisse être comblée, nous pouvons cependant dominer les probabilités négatives du cas, assez pour voir que dans ce que Plutarque nous a dit — et c’est de Plutarque qu’ont été tirées les opinions modernes jusqu’à une époque récente — il y a à la vérité une base de réalité, mais qu’il y aussi une vaste superstructure de roman, dans beaucoup de particularités essentiellement trompeuses. Par exemple, Plutarque parle de Lykurgue comme introduisant ses réformes à une époque où Sparte était maîtresse de la Laconie, et comme distribuant l’ensemble de ce territoire entre les Periœki. Or, nous savons que la Laconie n’appartenait pas alors à Sparte, et que ce partage de Lykurgue, en admettant qu’il fût réel, n’aurait pu être appliqué qu’à la terre située dans le voisinage immédiat de cette dernière ville. Car même Amyklæ, Pharis et Geronthræ n’étaient pas conquises avant le règne de Têleklos, postérieur à toute époque que nous pouvons raisonnablement assigner à Lykurgue : une telle distribution de la Laconie ne peut pas non plus avoir eu lieu réellement. De plus, on nous dit que Lykurgue bannit de Sparte l’or et l’argent monnayés, les professions et les frivolités inutiles, une ardente poursuite du gain et un fastueux étalage. Sans insister sur ce qu’a d’improbable qu’aucun de ces caractères antispartiates ait existé à une époque aussi reculée que le neuvième siècle avant l’ère chrétienne, nous pouvons du moins être certains qu’on ne peut trouver alors d’argent monnayé ; puisqu’il fut introduit pour la première fois en Grèce par Pheidôn d’Argos dans le siècle suivant, comme nous l’avons dit dans, le précédent chapitre.

Mais de tous les points présentés par Plutarque, celui qui est de beaucoup le plus suspect et le plus trompeur, parce qu’il a servi de base à des calculs sans fin, c’est le nouveau partage prétendu de la propriété foncière. Il nous dit que Lykurgue trouva une effrayante inégalité dans les biens fonciers des Spartiates, presque tout le pays entre les mains d’un petit nombre, et une grande multitude sans aucune terre ; qui il remédia à ce mal par une nouvelle division du district spartiate en 9.000 lots égaux, Fet le reste de la Laconie en 30.000, donnant à chaque citoyen ce qui lui produirait une quotité donnée d’orge, etc. ; et qu’il aurait désiré, de plus, diviser la propriété mobilière sur des principes semblables d’égalité, mais qu’il en fut détourné par la difficulté de mettre en exécution son projet.

Or, nous trouverons, après examen, que ce partage nouveau et égal des terres par Lykurgue est encore plus en opposition avec le fait et la probabilité que les deux premiers actes allégués. Toutes les preuves historiques montrent des inégalités prononcées de propriété entre les Spartiates, inégalités qui tendaient constamment à s’accroître ; en outre, les auteurs plus anciens ne conçoivent pas ce mal comme né par suite d’abus d’un système primitif d’égalité parfaite, et ils ne savent non plus rien du nouveau partage égal fait dans l’origine par Lykurgue. Même à une époque aussi reculée que celle du poète Alcée (600-580 av. J.-C.) nous trouvons des plaintes amères sur l’ascendant oppressif de la richesse et la dégradation du pauvre, citées comme fuyant été proférées par Aristodêmos à Sparte : La richesse, dit-il, fait l’homme : aucune personne pauvre n’est considérée comme bonne ni honorée[34]. Ensuite, l’historien Hellanicus ne connaissait certainement rien du nouveau partage de Lykurgue, car il attribuait toute la constitution spartiate à Eurysthenês et à Proklês, les premiers fondateurs, et signalait à peine Lykurgue. De plus, dans la courte mais frappante description que fait Hérodote du législateur spartiate, il fait allusion à plusieurs autres institutions, mais il ne dit rien d’un nouveau partage des terres ; et ce dernier point est en lui-même d’une importance si considérable, et il était tellement reconnu par tous les penseurs grecs, que l’omission est presque une preuve d’ignorance. Thucydide, à coup sûr, ne pouvait pas avoir cru que l’égalité de propriété fût un trait original du système de Lykurgue ; car il dit qu’à Lacédæmone les hommes riches s’assimilaient beaucoup, sous le rapport du vêtement et des habitudes générales d’existence, à la simplicité des pauvres, et donnaient ainsi un exemple qui était suivi en partie dans le reste de la Grèce remarque qui implique à la fois l’existence de propriétés inégales, et donne une juste appréciation de l’action réelle des institutions de Lykurgue[35]. C’est aussi le sentiment de Xénophon[36] : il fait observer que les riches, à Sparte, ne tiraient pas grand profit de leur fortune sous le, rapport d’un bien-être supérieur, mais jamais il ne jette un regard sur une mesure originale quelconque appliquée par Lykurgue à une égalisation des propriétés. Platon[37] aussi, en signalant le grand avantage qu’avaient les Dôriens, immédiatement après leur conquête du Péloponnèse, de pouvoir répartir la terre d’une manière convenable entre tous, ne donne jamais à entendre que cette première distribution ait dégénéré en abus, et que Lykurgue ait eu dans la suite recours à un entier et nouveau partage ; de plus, il a lui-même le profond sentiment des dangers d’un acte aussi formidable. Enfin, Aristote évidemment ne croyait pas que Lykurgue eût de nouveau partagé le sol ; car il nous apprend d’abord que, et à Lacédæmone et en Krête, le législateur avait rendu la jouissance de la propriété commune au moyen de l’établissement des Syssitia ou repas publics[38]. Or, nous verrons que cette remarque, si nous lisons dans le chapitre dont elle fait partie une réfutation du plan de communisme proposé pour les gardiens choisis de la République de Platon, dit peu de chose pour le point qu’elle concerne, si nous admettons que Lykurgue égalisa en même temps toutes les possessions individuelles. Si Aristote avait connu ce fait, il n’aurait pas pu ne pas le signaler ; il n’aurait pas non plus assimilé les législateurs de Lacédæmone et de Krête, vu que personne ne prétend qu’aucune égalisation pareille ait jamais été opérée dans cette île. Ensuite, non seulement Aristote insiste sur l’inégalité réelle des propriétés à Sparte comme sur un mal public sérieux, mais il ne l’indique nulle part comme étant née d’un système d’égalité absolue jadis décrétée par le législateur et faisant partie de la constitution primitive ; il mentionne expressément l’inégalité des biens jusqu’à une époque aussi avancée que la seconde guerre de Messênia. En outre, dans cet excellent chapitre de sa Politique, où il discute le plan d’une égalité de possessions, il cite formellement Phaleas de Chalkedôn comme en étant le premier auteur, excluant ainsi Lykurgue indirectement[39]. Le seul silence d’Aristote est dans cette discussion un argument négatif du plus grand poids. Isocrate[40] aussi parle beaucoup de Sparte en bien et en mal ; il mentionne Lykurgue comme ayant établi une constitution politique ressemblant beaucoup à celle des plus anciens temps d’Athènes ; il loue les gymnases et la discipline, et félicite les Spartiates d’avoir passé tant de siècles sans séditions violentes, sales abolition des dettes et sans nouveau partage des terres, ces « maux terribles, „ comme il les appelle. S’il avait considéré Lykurgue comme étant lui-même l’auteur d’un nouveau et complet partage de terres, il n’aurait guère pu éviter d’y faire quelque allusion.

On voit donc qu’aucun auteur jusqu’à Aristote n’attribue à Lykurgue un nouveau partage des terres, soit de Sparte, soit de la Laconie. Le renseignement que donne Plutarque à ce sujet, avec de grands détails et une spécification précise de nombre et de produit, doit avoir été emprunté de quelque auteur postérieur à Aristote ; et je pense que nous pouvons en retrouver la source en étudiant la biographie de Plutarque conjointement avec celle d’Agis et de Kleomenês. Le renseignement est pris dans des auteurs du siècle qui suit Aristote ; soit dans la période, soit peu avant le temps où ces deux rois essayaient des mesures extrêmes pour renouveler l’État déclinant : le premier, par un changement complet de système et de propriété, proposé toutefois et accepté selon des formes constitutionnelles ; le second, par des projets semblables en substance, avec la violence pour les imposer. L’accumulation de la propriété foncière dans un petit nombre de mains, la multiplication des pauvres et la diminution des citoyens, qu’Aristote dépeint comme des maux considérables, s’étaient beaucoup aggravées pendant le siècle qui est entre ce philosophe et Agis. Le nombre des citoyens, qu’Hérodote portait à 8.000 à l’époque de l’invasion des l’erses, était tombé à 1.000 du temps d’Aristote et à 700 du temps d’Agis ; et de ce dernier nombre 100 seulement possédaient la plus grande partie de la propriété foncière de l’État[41]. Or la qualité requise pour être citoyen, en vertu de l’ancienne règle de Lykurgue, consistait dans les moyens de fournir à la table publique la quote-part prescrite, obligatoire pour chaque individu : aussitôt qu’un citoyen devenait trop pauvre pour répondre à cette obligation, il perdait son privilège et son éligibilité aux charges[42]. Les lots de terre plus petits, bien qu’il fût tenu pour déshonorant de les acheter ou de les vendre[43], et que quelques auteurs aient affirmé (sans fondement, à mon avis) qu’il était interdit de les diviser, ces lots, disons-nous, devinrent insuffisants pour des familles nombreuses, et semblent avoir passé par quelque moyen indirect entre les mains des riches ; toute occupation laborieuse étant interdite à un citoyen spartiate, et de plus étant réellement incompatible avec sa rigoureuse discipline personnelle, il n’avait pas d’autre moyen de fournir sa quote-part que le lot de terre. On peut juger de la gêne qu’on éprouvait par rapport à ces petits lots de terre par le fait dont parle Polybe[44], que trois ou quatre frères spartiates n’avaient souvent qu’une seule et même épouse, le patrimoine suffisant tout juste à fournir des contributions pour tous à la table publique, et ainsi à conserver intacts les droits de citoyen pour tous les fils. La tendance qu’avait à diminuer le nombre ; des citoyens spartiates semble avoir marché sans interruption depuis le temps de la guerre des Perses, et doit avoir été augmentée par la fondation de Messênê, avec le territoire indépendant qui l’entourait, après la bataille de Leuktra, événement qui enleva aux Spartiates une portion considérable de leurs propriétés. En dehors de ces causes spéciales, on a de plus souvent observé comme un fait statistique qu’une corporation formée de citoyens, ou un petit nombre (le familles quelconque, dont les membres se marient habituellement entre eux, ne recevant pas du dehors de forces nouvelles, a ordinairement une tendance à diminuer.

Ce n’est pas actuellement le moment d’entrer longuement dans cette combinaison de causes qui en partie sapèrent, en partie renversèrent et les institutions de Lykurgue et le pouvoir de Sparte. Mais, en prenant cette ville dans l’état où elle était du temps d’Agis III (à peu près vers 250 av. J.-C.), nous savons que ses citoyens étaient devenus peu nombreux, la majorité d’entre eux misérablement pauvre, et que toute la terre était concentrée dans un petit nombre de mains. L’ancienne discipline et les repas publics (en ce qui concernait les riches) avaient dégénéré en simple formalité ; un corps nombreux d’étrangers ou d’hommes n’étant pas citoyens — l’ancienne Xenêlasia, ou interdiction de résidence pour les étrangers ayant cessé depuis longtemps — étaient domiciliés dans la ville, formant un pouvoir riche et influent ; et en dernier lieu, la dignité et l’ascendant de l’État parmi ses voisins étaient complètement ruinés. C’était une pensée insupportable pour un jeune enthousiaste comme le roi Agis, aussi bien que pour beaucoup d’esprits, ardents parmi ses contemporains, que de comparer cette dégradation avec l’ancienne gloire de leur patrie ; ils ne virent pas non plus d’autre moyen de reconstruire l’antique Sparte que d’y admettre de nouveau les citoyens pauvres privés de leurs privilèges, de faire un nouveau partage des terres, d’annuler toutes les dettes, et de rétablir les repas publics et les exercices militaires dans toute leur rigueur. Agis s’efforça de faire triompher ces mesures subversives — telles qu’aucun démagogue dans la démocratie extrême d’Athènes n’aurait jamais osé en imaginer de pareilles — avec le consentement du sénat et de l’assemblée publique, et l’acquiescement des riches. Sa sincérité est attestée par ce fait, que ses propres biens et ceux des femmes de sa famille, qui étaient au nombre des plus considérables dans l’État, furent abandonnés comme premier sacrifice pour former le fonds commun. Mais il devint la dupe d’hommes sans principes qui l’aidaient dans son entreprise, et périt dans la tentative inutile qu’il fit pour réaliser son plan par la persuasion. Son successeur Kleomenês accomplit ensuite à l’aide de la violence un changement semblable en substance, bien que l’intervention d’armes étrangères renversât promptement et lui-même et ses institutions.

Or, ce fut dans cet état de sentiment public qui donna naissance à ces projets d’Agis et de Kleomenês à Sparte que gagna d’abord du terrain la fausse idée historique, inconnue à Aristote et à ses prédécesseurs, d’une égalité absolue de propriétés considérée comme une institution primitive de Lykurgue. Il est inutile de signaler combien une telle opinion favorisait les plans d’innovation, le fait est trop évident par lui-même ; et sans supposer aucune imposture calculée, nous ne pouvons nous étonner que les prédispositions de patriotes enthousiastes interprétassent conformément à leurs prédilections une ancienne législation qui n’était appuyée par aucun texte et dont ils étaient séparés par plus de cinq siècles. La discipline de Lykurgue tendait forcément à suggérer à l’esprit des citoyens l’idée d’égalité entre les citoyens, c’est-à-dire la négation de toute inégalité non fondée sur quelque attribut personnel, en tant qu’elle assimilait les riches aux pauvres sous le rapport des habitudes, des jouissances et des qualités ; et l’égalité, qui existait ainsi en idée et ‘en tendance, et que semblait proclamer le désir du fondateur, les réformateurs postérieurs l’outrèrent au point d’en faire une institution positive qu’il avait d’abord réalisée, et dont s’étaient éloignés ses successeurs dégénérés. Ce fut ainsi que les imaginations, les aspirations et les suggestions indirectes du présent prirent le caractère de souvenirs tirés d’un passé historique ancien, obscur et éteint. Il est possible que le philosophe Sphærus de Borysthenês  — ami et compagnon de Kleomenês[45], disciple de Zénon le stoïcien et auteur d’ouvrages aujourd’hui perdus et sur Lykurgue et Socrate et sur la constitution de Sparte — ait été un do ceux qui donnèrent cours à cette hypothèse. Et nous croirons sans peine que, une fois mise en avant, elle trouvât une foi aisée et sincère, en nous rappelant combien d’illusions semblables ont obtenu de vogue dans les temps modernes, bien plus favorables à l’exactitude historique, combien de fausse couleur le sentiment politique d’une époque récente a jeté sur des faits de l’histoire du temps passé, tels que L’institution saxonne Witenagemote, la Grande Charte, la naissance et le développement de la Chambre des Communes anglaises, ou même la loi des Pauvres d’Élisabeth..

En lisant le partage des terres réellement proposé par le roi Agis, nous trouvons que c’est une copie très exacte du partage primitif attribué à Lykurgue. Il divise les terres bornées par les quatre limites de Pellênê, de Sellasia, de Malea et du Têygetês, en 4.500 lots, un pour chaque Spartiate : et les terres situées au delà de ces limites en 15.000 lots, un pour chaque Periœkos ; et il propose d’établir à Sparte quinze Pheiditia ou tables pour les repas publics, quelques-uns, comprenant 400 individus, d’autres 200, fournissant ainsi une place à chacun de ses 4.500 Spartiates. Relativement au partage attribué dans l’origine à Lykurgue, il y avait divers récits. Quelques-uns pensaient.- :qu’il y était assigné 9.000 lots pour le district de Sparte et 30,000 pour le reste de la Laconie[46] ; d’autres affirmaient que 6.000 lots avaient été donnés par Lykurgue, et 3.000 ajoutés plus tard par le roi Polydôros ; un autre récit disait que Lykurgue avait assigné 4.500 lots, et le roi Polydôros une fois autant. Ce dernier plan ressemble beaucoup à ce qui fut réellement proposé par Agis.

Dans la discussion précédente relative au nouveau partage des terres attribué à Lykurgue, j’ai pris cette mesuré telle qu’elle est décrite par Plutarque. Mais quelques habiles écrivains modernes, tout en admettant en général le fait de ce nouveau partage, ont eu une tendance à rejeter dans quelques-unes de ses circonstances principales le récit donné par Plutarque. Ce qui, par exemple, est le trait capital de la narration de cet écrivain, et ce qui donne de la vie et un sens au portrait qu’il fait du législateur, l’égalité du partage, est maintenant repoussé par beaucoup d’autres comme inexact, et l’on suppose que Lykurgue fit quelques nouveaux règlements agraires tendant à une égalité générale de la propriété foncière, mais non un partage entièrement nouveau ; qu’il peut avoir repris à des hommes riches des terres dont ils s’étaient injustement emparés sur les Achæens conquis, et qu’ainsi il procura des lots et aux citoyens pauvres et aux Laconiens soumis. Telle est l’opinion du docteur Thirlwall, qui en même temps admet qu’il est difficile de préciser la proportion exacte de la distribution opérée par Lykurgue[47]. Je ne puis que considérer différemment le renseignement fourni par Plutarque. Dés que nous abandonnons cette, règle d’égalité, qui est marquée d’une manière si saillante dans sa biographie de Lykurgue, nous entrons dans un champ illimité de possibilités, où il n’y a rien qui nous détermine à un point plus qu’à, un autre. La conjecture mise en avant par le docteur Thirlwall, de terres prises injustement par d’opulents propriétaires spartiates aux Achæens conquis, est complètement gratuite ; et en accordant qu’elle soit exacte, il nous reste encore à expliquer comment il se fit que cette réforme d’une injustice partielle en vint à être transformée en une mesure compréhensive et systématique, telle que la décrit Plutarque ; et à, expliquer, en outre, d’où vient qu’aucun des auteurs antérieurs à. cet auteur ne mentionne Lykurgue comme ayant égalisé les terres. Ces deux difficultés restent encore, même si nous fermons les yeux sur la nature gratuite de la supposition du docteur Thirlwall, ou de toute autre supposition que l’on peut avancer relativement à la mesure réelle de Lykurgue que Plutarque, assure-t-on, a dénaturée.

Il me semble que la meilleure manière d’obvier à ces difficultés est d’adopter une règle différente d’interprétation historique. Nous ne pouvons accepter comme réelle la division des terres par Lykurgue décrite dans la vie du législateur ; mais en prenant ce récit pour une fiction, nous avons devant nous deux moyens de procéder. Nous pouvons ou bien considérer la fiction, telle qu’elle est maintenant, comme l’exagération et l’explication forcée de quelque fait peu important, et alors essayer de conjecturer, sans aucun autre secours, quel était le petit fait ; ou bien nous pouvons la regarder comme une fiction d’un bout à l’autre, et comme l’expression de quelque grande idée et de quelque grand sentiment assez puissants dans leur action sur l’esprit des hommes à un moment donné, pour les engager à lui faire une place parmi les réalités du passé. Or la dernière supposition, appliquée au temps d’Agis III, s’accorde le mieux avec le fait qui nous occupe. Le huitième chapitre de la vie de, Lykurgue par Plutarque, en racontant le partage des terres, décrit le rêve du roi Agis, dont l’esprit est plein de deux sentiments, la douleur et la honte que lui inspire la condition actuelle de son pays, avec le respect qu’il ressent pour sa gloire passée, aussi bien que pour le législateur dont les institutions avaient créé cette gloire. Absorbé par ce double sentiment, Agis fait remonter ses rêves jusqu’à l’antique Sparte, avant Lykurgue, telle qu’elle était plus de cinq siècles auparavant. Il voit par la pensée les mêmes maux et les mêmes désordres que ceux qui affligent sa vue, de grandes inégalités dans les biens, avec un petit nombre de riches insolents et adonnés au luxe, une foule de pauvres mutins et accablés de maux, et rien autre chose qu’une antipathie farouche régnant entre ces deux classes. Au milieu de cette communauté perverse, sans lois, troublée, s’avance le vénérable envoyé de Delphes ; il fait naître dans les esprits des hommes de nouveaux mouvements et une impatience de se dépouiller du vieil homme social et politique, et persuade aux riches de renoncer volontairement à leurs avantages temporels, et à accueillir avec plaisir un nouveau système où il ne sera reconnu aucune distinction, si ce n’est celle de la vertu ou du vice[48]. Avant ainsi régénéré l’esprit national, il partage le territoire de la Laconie en lots égaux, ne laissant de supériorité à personne. Une fraternelle harmonie devient le sentiment dominant, tandis que les moissons qui s’élèvent présentent l’agréable spectacle d’un héritage paternel récemment divisé, et de frères contents, modestes et dociles. C’est à l’aide de ce tableau que le malfaisant Oneiros égare l’imagination du patriotique Agis, en murmurant à son oreille le message fallacieux que les dieux lui ont promis le succès dans une semblable tentative, et en l’entraînant ainsi dans cette fatale carrière de révolution qui doit l’amener, lui, son épouse et sa vieille mère jusqu’au cachot et au gibet[49].

Il est certain que ce rêve doré que nous venons de décrire fut celui de quelques patriotes spartiates, puisqu"il est consigné dans Plutarque ; et je me suis déjà efforcé de démontrer que ce rêve n’avait pas été conçu par les auteurs des siècles qui précédaient Agis ; en outre, les sentiments ardents qui remplissaient l’aime des deus réformateurs, Agis et son frère, à savoir, le dégoût inspiré par le présent et le désir d’un avenir meilleur revêtu des couleurs d’un passé rétabli, combinés avec la tendance à niveler la situation des riches et des pauvres inhérente à la discipline de Lykurgue ; ces sentiments, dis-je, étaient amplement suffisants pour faire naître un tel rêve et pour lui procurer une place parmi les actes glorieux de l’antique législateur, si vénéré et si peu connu ; c’est ce qui aussi me parait incontestable. S’il y avait eu quelque preuve servant à démontrer que Lykurgue s’était immiscé dans la propriété privée, dans la mesuré limitée qu’imaginent le docteur Thirlwall et d’autres habiles critiques, c’est-à-dire qu’il avait repris certaines terres injustement usurpées par les riches sur les Achæens, j’aurais été heureux de le constater ; mais ne trouvant pas (le preuve pareille, je ne puis croire qu’il soit nécessaire de supposer simplement le fait pour expliquer le récit de Plutarque[50].

.Les divers points de ce récit se rattachent tous les uns aux autres et doivent être considérés comme formant les parties d’un même fait compréhensif, ou d’une même idée compréhensive. Le total fixe de 9.000 lots spartiates et de 30.000 lots laconiens[51], l’égalité entre eux, et le revenu qui en provenait représenté par une quantité donnée de produits liquides et secs, toutes ces particularités sont également vraies et également dépourvues de preuves.. Au sujet des divers nombres donnés ici, beaucoup d’auteurs ont dressé, relativement à la population et au produit de la Laconie, des calculs qui me paraissent dénués de tout fondement digne de foi. Ceux qui admettent l’histoire racontant que Lykurgue établit les nombres ci-dessus mentionnés et de citoyens et de lots de terre, et qu’il eut en vue de maintenir ces deux nombres dans une proportion invariable, sont embarrassés pour déterminer les moyens qui servirent à conserver cet arrangement tel qu’il avait été établi. Ils ne sont pas non plus un grand secours pour résoudre ce problème embarrassant dans le renseignement de Plutarque, qui nous dit que le nombre fixé resta de lui-même, et que la succession passa de père en fils sans réunion ni multiplication de parties, jusqu’à l’époque où la richesse étrangère afflua à Sparte comme conséquence de l’heureuse issue de la guerre du Péloponnèse. Peu après ce temps (nous dit-il), un citoyen nommé Epitadeus devint éphore ; c’était un homme vindicatif et méchant, qui, ayant eu une querelle avec son fils et désirant l’évincer de le succession, introduisit et fit sanctionner une Rhêtra nouvelle, par laquelle le pouvoir était accordé à tout père de famille, soit de céder pendant sa vie, soit de léguer après sa mort sa maison et son bien à qui bon lui semblait[52]. Mais il est évident que cette histoire — quelle que soit la vérité quant à la querelle de famille d’Epitadeus — ne nous aide pas à sortir d’embarras. Depuis l’époque de Lykurgue jusqu’à celle de cet éphore qui déshérite son fils, on doit compter plus de quatre siècles : or, s’il y avait eu à l’œuvre des causes réelles suffisantes pour conserver intact le nombre identique de lots et de familles pendant cette longue période, nous ne voyons pas pourquoi la nouvelle loi, qui ne faisait que permettre et rien de plus, l’aurait détruit. Plutarque ne nous dit pas quelle était la loi de succession antérieure à Epitadeus. Si la loi assignait tout le bien à un seul fils de la famille ; que devenaient les autres fils, auxquels tout travail laborieux en tout genre était odieux aussi bien qu’interdit ? Si, d’autre part, le bien était divisé également entre les fils (comme il l’était en vertu de la loi de succession à Athènes), comment pouvons-nous soutenir le maintien d’un nombre collectif invariable de parties ?

Le docteur Thirlwall, après avoir admis que Lykurgue s’était immiscé jusqu’à tin certain point d’ans la propriété privée, de manière à exiger des riches un certain sacrifice en vue de créer des lots pour les pauvres et d’effectuer quelque chose d’approchant de lots d’un produit égal pour tous, fait observer : Le chiffre moyen de la rentepayée par les Ilotes cultivateurs pour chaque lotne semble pas avoir dépassé ce qui était nécessaire pour la nourriture frugale d’une famille composée de six personnes. Le droit de transfert était aussi rigoureusement limité que le droit de jouissance’ : le patrimoine était indivisible, inaliénable et revenait au fils aîné ; à défaut d’héritier mâle, à la fille aînée. Il semble qu’ors avait pour objet que, une fois le nombre des lots fixé ; chacun fût constamment représenté par un seul chef de famille. Mais la nature des moyens employés pour atteindre ce but est un des points Ies plus obscurs du système spartiate... Dans les temps meilleurs de la république, il semble qu’on l’a effectué principalement au moyen d’adoptions et d’alliances avec des héritières, ce qui pourvoyait aux mariages des fils cadets dans des familles trop nombreuses pour âtre entretenues par leurs propres biens héréditaires. Il était dols` sans doute rarement nécessaire que I’État intervint pour enjoindre un chois convenable au possesseur d’un bien sans enfants ou au père d’une riche héritière. Mais dominé toute adoption exigeait la sanction des rois, et qu’ils disposaient aussi de la main d’orphelines héritières, l’on ne peut douter que le magistrat n’eût le pouvoir d’intervenir dans de pareilles occasions, inè1ne contrairement aux désirs des individus, pour soulager la pauvreté et faire obstacle à l’accumulation des richesses. (Hist. of Gr., ch. VIII, vol. I, p. 367.)

Je ne puis partager l’idée que le docteur Thirlwall se fait ici de l’état de la propriété ou des dispositions relatives à sa transmission dans l’ancienne Sparte. L’on ne peut démontrer que les possessions modestes et égales qu’il suppose, ni les précautions prises pour les perpétuer, aient jamais existé chez les élèves de Lykurgue. Nos renseignements les plus anciens impliquent l’existence de riches à Sparte ; l’histoire du roi Ariston et d’Agêtos, dans Hérodote, nous présente ce dernier comme un homme que l’on ne peut supposer n’avoir possédé que juste assez pour nourrir frugalement six personnes ; tandis que sa belle épouse, qu’Ariston convoitait et qu’il lui prit, est formellement représentée comme fille de parents opulents. Sperthiês et Bulis les Talthybiadæ sont désignés comme appartenant à une race distinguée et faisant partie des hommes les plus riches de Sparte[53]. Démarate était le seul roi spartiate, du temps d’Hérodote, qui eût jamais gagné une victoire aux courses de char dans les jeux olympiques, mais notre savons par l’exemple de Lichas, pendant la guerre du Péloponnèse, d’Evagoras et d’autres, que de simples citoyens de Sparte furent également heureux[54] : et pour un Spartiate qui gagnait le prix il a dû naturellement y avoir un grand nombre d’entre eux qui élevaient leurs chevaux et faisaient courir leurs chars sans réussir. Il est à peine nécessaire de faire remarquer que la lutte des chars à Olympia était une des preuves les plus significatives de la richesse d’une maison ; il ne manquait pas non plus de Spartiates qui avaient des chevaux et des chiens sans aucune vue exclusive pour les jeux. Nous savons par Xénophon qu’y l’époque de la bataille de Leuktra, les très riches Spartiates fournirent les chevaux qui devaient servir a la cavalerie de la république[55]. Ces preuves et d’autres encore de l’existence d’hommes riches à Sparte ne s’accordent pas avec l’idée d’un corps de citoyens possédant chacun ce qui était tout juste nécessaire pour la nourriture frugale de six personnes et pas plus.

De même que nous ne trouvons pas que tel ait été en pratique l’état de la propriété dans la communauté spartiate, de même nous ne pouvons découvrir que le législateur ait jamais essayé de l’établir ou de le conserver. Ce qu’il fit, ce fut d’imposer une discipline publique rigoureuse avec un costume et une chère simples, obligatoire également pour les riches et pour les pauvres — ce fut son présent spécial fait à la Grèce, selon Thucydide[56], et son grand point de contact avec la démocratie, selon Aristote — ; mais il rie s’inquiéta ni d’arrêter l’enrichissement des uns, ni de prévenir l’appauvrissement des autres. Il s’occupa peu de la distribution de la propriété, et cette négligence est une des lacunes capitales qui lui valurent le blâme’ d’Aristote. Ce philosophe nous dit, en effet, que, d’après la loi spartiate, il était déshonorant (il ne dit pas : péremptoirement interdit) d’acheter ou de vendre des biens fonciers, et qu’on avait la liberté la plus complète et de les donner et de les léguer ; et la pratique tolérée produisait (comme il le fait justement observer) des résultats analogues à ceux qu’aurait produits la pratique réprouvée, puisqu’il était facile de déguiser une vente réelle sous une donation ostensible. Il signale formellement la tendance qu’avait à Sparte la propriété à se concentrer dans un plus petit nombre de mains, et à laquelle ne s’opposait aucun empêchement légal : les pères mariaient leurs filles à qui ils voulaient et donnaient des dots selon leur bon plaisir, et en général très considérables ; en outre, les membres des familles riches se mariaient entre eux habituellement et sans restriction. Or, toutes ces questions sont indiquées par Aristote comme des cas dans lesquels la loi aurait pu intervenir et aurait dû le faire, mais ne le fit pas, dans le grand but de disséminer autant que possible les avantages de la propriété foncière dans .lamasse des citoyens. Il nous dit encore que la loi : encourageait la multiplication de la progéniture et accordait des immunités -à ceux des citoyens qui avaient trois ou quatre enfants, mais qu’elle ne s’inquiétait pas de la manière dont les familles nombreuses des citoyens plus pauvres pourraient vivre ou conserver leur droit de prendre part aux repas publics, la plus grande partie des terres de l’État étant entre les mains des riches[57]. Nous avons déjà fait observer qu’il mentionne et condamne cette loi qui faisait dépendre le droit d’un citoyen spartiate de son assiduité à fournir sa quote-part à la table publique, aussi bien que le puissant amour pour l’argent[58] qu’il remarque dans le caractère spartiate, et qui doit avoir tendu continuellement à faire un corps des familles plus riches : tandis que, dans une communauté où l’industrie était inconnue, aucun citoyen pauvre ne pouvait jamais s’enrichir.

Si nous pesons ces preuves scrupuleusement, nous verrons que l’égalité de biens n’existait lias en fait, et if entra non plus ni dans le plan, ni dans les tendances : du législateur de Sparte. Et le tableau que le docteur Thirlwall[59] a tracé d’un corps de citoyens possédant chacun un lot de terre à peu près suffisant pour la nourriture frugale de six personnes, — d’adoptions et de mariages d’héritières arrangés dans le dessein calculé de pourvoir les cadets dé familles nombreuses — de l’intervention de la part des rois en vue d’assurer cet objet, — d’un nombre fixe de lots de terre, représentés chacun par un seul chef de famille, — ce tableau est un de ceux dont on ne doit pas chercher la réalité sur les bords de l’Eurotas. Les temps meilleurs de la république, auxquels il s’en réfère, peuvent avoir existé dans l’ardente imagination d’Agis, dont les regards se portaient en arrière, mais ne sont pas reconnus dans la sobre appréciation d’Aristote.

Le philosophe nous dit que les citoyens étaient beaucoup plus nombreux dans les temps anciens, et nous savons aussi que la communauté avait, à son époque, beaucoup perdu de son pouvoir : dans ce sens les temps de Sparte avaient sans doute été meilleurs jadis. Nous pouvons même concéder que, pendant les trois siècles qui suivirent Lykurgue, où ils acquéraient continuellement de nouveaux territoires, et où l’on avait dit à Aristote qu’ils avaient admis à l’occasion de nouveaux citoyens, de sorte que le nombre total s’en était élevé jadis jusqu’à dix mille ; nous pouvons concéder, disons-nous, que dans ces siècles antérieurs la distribution des terrés avait été moins inégale, de sorte que la disproportion qui existait entre les grandes dimensions du territoire et le petit nombre des citoyens n’était pas si marquée qu’elle Pétait devenue à l’époque que le philosophe vit personnellement ; car les causes tendant à augmenter l’inégalité étaient constantes et non interrompues dans leur action. Mais cette concession nous laissera encore bien loin de l’esquisse tracée par le docteur Thirlwall, qui dépeint la Sparte de Lykurgue comme prenant pour point de départ un nouveau plan agraire peu éloigné de l’égalité de la propriété foncière, les citoyens comme spontanément disposés à maintenir cette égalité en accordant à des hommes non pourvus le bienfait d’adoptions et de mariages avec des héritières, et le magistrat comme intervenant pour imposer cette dernière condition, même dans les cas où les citoyens y étaient eux-mêmes opposés. Toutes les preuves que nous avons nous montrent à la fois l’inégalité prononcée de biens et les dispositions de la part des riches entièrement contraires à celles qu’indique le docteur Thirlwall ; et l’on ne verra pas non plus que le pouvoir d’intervenir qu’il attribue au magistrat soit justifié par le chapitre d’Hérodote sur lequel il semble l’appuyer[60]. Ainsi donc, pour concevoir exactement le système de Lykurgue, autant que le permettront l’obscurité et le défaut de preuves, il me semblé qu’il y a à écarter deux faussés conceptions qui ont cours. L’une est que le système renfermait un nouveau partage de la propriété foncière, d’après les principes d’une égalité exacte ou approximative — distincte de cette appropriation qui appartenait à la conquête et à l’établissement des Dôriens —, et des précautions pour perpétuer le nombre de lots séparés et égaux ; l’autre est qu’il fut complètement appliqué pour la première fois quand les Spartiates furent maîtres de toute la Laconie. Les illusions créées par l’antique légende, qui dépeint la Laconie comme ne formant .qu’un seul pays, et comme conquise entière d’un seul coup, survivent encore après que la légende elle-même a été écartée comme preuve mauvaise. Nous ne pouvons concevoir Sparte comme subsistant par elle-même sans exercer la domination sur la Laconie, ni Amyklæ, Pharis et Geronthræ comme réellement et vraiment indépendantes de Sparte. Toutefois, si ces villes étaient, indépendantes du temps de Lykurgue, on peut avec bien plus de confiance affirmer la même indépendance pour les parties de la Laconie qui étaient situées au-dessous d’Amyklæ en descendant la vallée de l’Eurotas, aussi bien que pour la côte orientale qui, comme le dit expressément Hérodote, avait été dans l’origine rattachée à Argos.

En écartant donc ces deux suppositions, nous avons à considérer le système de Lykurgue comme complètement appliqué à Sparte et dans son district circonvoisin et immédiat, séparément du reste de la Laconie, et comme ne touchant pas systématiquement au partage de la propriété, quelle qu’ait pu être celle que les conquérants dôriens constituèrent lors de leur établissement primitif. Lykurgue n’essaie pas de faire les pauvres riches, ni les riches pauvres ; mais il impose aux uns et aux autres les mêmes exercices assujettissants[61], les mêmes habitudes de vie, d’oisiveté d’homme bien né et de vigueur illettrée ; il ordonne que toutes choyés soient les mêmes partout : chère, costume, travaux, privations, patience, châtiments, subordination ; c’est une leçon instructive du moins, bien que peu satisfaisante, pour les observateurs politiques, de voir qu’avec toute cette égalité de procédés il finit par créer une communauté dans laquelle non seulement l’amour de la prééminence, mais même l’amour de l’argent, se sont puissamment et spécialement développés[62].

Nous n’avons aucun moyen de déterminer jusqu’où s’étendait la propriété particulière de la Sparte primitive ; mais ses limites en descendant la vallée de l’Eurotas étaient certainement étroites, en tant qu’elle n’allait pas si loin qu’Amyklæ. Nous ne pouvons pas non plus dire quels principes les conquérants dôriens peuvent avoir suivis pour la distribution primitive des terres dans les limites de ce domaine particulier. Un partage égal n’est pas probable, parce que tous les individus d’une bande conquérante ne sont pas considérés comme possédant des droits égaux ; mais quelle qu’ait pu être la division originelle, elle se conserva sans subir de trouble général ni avoué jusqu’à l’époque d’Agis III et de Kleomenês III. Ici donc nous avons la Sparte primitive, renfermant des guerriers dôriens avec leurs sujets ilotes, mais non des Periœki. Et c’est à ces Spartiates séparément, peut-être après la période de graves désordres et d’extrême licence mentionnée par. Hérodote et Thucydide, que doit avoir été appliquée dans l’origine la pénible, mais fortifiante, discipline esquissée plus haut.

La conquête graduelle de la Laconie, avec l’acquisition de terres additionnelles et de nouveaux Ilotes, et la formation de l’ordre des Periœki, double conséquence de ce fait, doit être considérée comme postérieure à l’introduction du système de Lykurgue à Sparte, et comme résultant en partie de l’accroissement de force dû à ce système. La carrière de conquête, commençant à Têleklos ; dura environ trois siècles, avec quelques interruptions à la vérité, et dans le cas de la guerre Messênienne, avec une lutte désespérée et même précaire, de sorte que, du temps de Thucydide, et quelque temps avant, les Spartiates possédaient les deux cinquièmes du Péloponnèse. Et cette série de victoires et d’acquisitions nouvelles déguisèrent le point réellement faible du système spartiate, en rendant possible soit d’établir les citoyens pauvres comme Periœki dans un municipe conquis, soit de leur fournir des lots de terre dont ils pouvaient recevoir le produit sans quitter la cité, et ainsi leur nombre et leur force militaire ne purent décliner. Aristote affirme même que, dans ces temps anciens, ils augmentèrent le nombre de leurs citoyens en en admettant de nouveaux dans leurs rangs ; ce qui naturellement implique l’acquisition de lots de terre additionnels[63]. Mais le succès dans la guerre — pour employer une expression empruntée en substance de ce même philosophe — était nécessaire à leur salut : l’établissement de leur ascendant et de leur maximum de territoire fut suivi, après un intervalle assez peu considérable, de symptômes de décadence[64]. On verra ci-après qu’à l’époque de. la conspiration de Kinadôn (395 av. J.-C.), les citoyens jouissant de tous leurs droits (appelés Homoioi ou pairs) étaient de beaucoup moins nombreux que les Hypomeiones, ou Spartiates qui ne pouvaient plus remplir les conditions requises et avaient perdu leurs privilèges. Et la perte qui en résulta fut très imparfaitement réparée par la pratique admise à laquelle des riches avaient quelquefois recours, à savoir, d’associer à leurs propres enfants ceux de citoyens plus pauvres et de payer la contribution de ces derniers aux tables publiques, de manière à leur permettre de suivre la marche prescrite d’éducation et de discipline ; par là, ils devenaient citoyens (avec le titre ou sobriquet de Mothakes)[65], bien qu’ayant un certain cachet d’infériorité, et étaient cependant chargés quelquefois d’honorables commandements.

On affirmait que la Laconie, l’État et le territoire des Lacédæmoniens, à l’époque de sa plus grande extension, avait compris cent villes[66], ceci après la conquête de la Messênia, de sorte qu’elle comprenait toute la : portion méridionale du Péloponnèse, depuis Thyrea sur le golfe Argolique jusqu’à la rive méridionale du fleuve Nedon, à l’endroit où il se jette dans la mer Ionienne. Mais on distinguait de la Messênia la Laconie, plus rigoureusement appelée ainsi, et on comprenait qu’elle désignait la portion du territoire mentionné plus haut qui est situé à l’est du mont Têygetês. Nous parlerons tout à l’heure de la conquête de la Messênia par les Spartiates ; mais celle de la Laconie propre nous est racontée d’une manière très imparfaite. Jusqu’au règne de Têleklos, comme nous l’avons fait remarquer auparavant, Amyklæ, Pharis et Geronthræ étaient encore achæennes : c’est sous le règne de ce prince qu’elles furent conquises pour la première fois, et que les Achæens furent ou chassés ou subjugués. On ne peut douter qu Amyklæ n’ait été antérieurement une place de conséquence : en fait d’antiquité et de souvenirs héroïques, cette ville, aussi bien que Therapnæ, semble avoir surpassé Sparte. Et l’on représente la guerre des Spartiates contre elle comme une lutte de quelque importance ; et en effet, dans ces temps, une ville entourée de murs était longue et difficile à prendre. Timomachos, ægide de Thèbes[67], à la tête d’un corps de ses compatriotes, rendit un service essentiel aux Spartiates, dit-on, en les aidant à conquérir les Achæens d’Amyklæ ; et la vaillante résistance de ces derniers était rappelée par un monument élevé à Zeus Tropæos à Sparte, que l’on pouvait voir encore du temps de Pausanias[68]. Les Achæens de Pharis et de Geronthræ, alarmés par le destin d’Amyklæ, rendirent, dit-on, leurs villes après peu ou point de résistance : après quoi les habitants de ces trois villes, soit en totalité, soit en partie, s’exilèrent au delà de la mer, laissant place à des colons venus de Sparte[69]. Depuis ce temps, suivant Pausanias, Amyklæ continua d’exister comme village[70]. Mais comme les hoplites amyklæens constituaient une partie importante de l’armée spartiate, elle doit avoir été comptée parmi les cités des Periœki comme l’une des cent[71], la distinction entre une cité dépendante et un village n’étant pas très rigoureusement établie. La fête des Hyakinthia, célébrée dans le grand temple d’Apollon Amyklæen était au nombre des plus solennelles et des plus vénérées dans le calendrier spartiate.

Ce fut du temps d’Alkamenês, fils de Têleklos que les Spartiates conquirent Helos, ville maritime sur la rive gauche de l’Eurotas, et réduisirent à l’esclavage ses habitants, du nom desquels[72], selon divers auteurs, fait tiré le titre général d’Ilotes, appartenant à tous les serfs de Laconie. Mais quant à la conquête des autres villes de la Laconie, Gytheion, Akriæ, Therapnæ, etc., ou de la contrée orientale sur la côte du golfe Argolique, comprenant Brasiæ et Epidauros Limêra, ou de l’île de Kythêra, nous n’avons aucun renseignement.

Quelque peu abondantes que soient nos connaissances, elles suffisent pour nous permettre de reconnaître chez les Spartiates un accroissement progressif déforce et de domination, résultant de l’organisation de Lykurgue. On trouve une autre manifestation de ce progrès, outre la conquête des Achæens au sud par Têleklos et Alkamenês, dans leur opposition heureuse au grand pouvoir de Pheidôn l’Argien ; racontée dans un des chapitres qui précèdent. Nous arrivons maintenant aux longs et pénibles efforts à l’aide desquels ils accomplirent l’asservissement de leurs frères les Dôriens de Messênia.

 

 

 



[1] Plutarque, Lykurgue, c. 28 ; Héraclide, Pontic., p. 504, éd. Crag.

[2] Platon, Legg., I, p. 633 : les mots du Lacédæmonien Megillos désignent une coutume spartiate existante. Cf. le même traité, VI, p. 763, où Ast suspecte avec raison l’authenticité du mot κρυπτοί.

[3] Myron, ap. Athenæ, XIV, p. 657. Έπικόπτειν τούς άδρουμένους ne signifie pas rigoureusement ou nécessairement mettre à mort.

[4] Thucydide, V, 34.

[5] Xénophon, Rep. Lac., c. 7.

[6] Plutarque, Lykurgue, c. 15 ; confirmé en substance par Xénophon, Rep. Lac., c. I, 5.

[7] V. les auteurs cités dans Athénée, IV, p. 141.

[8] Xénophon, Rep. Lac., 2-3, 3-5, 4-6. Aristote (Politique, II, 615-16) insiste spécialement sur l’extrême peine prise dans le système spartiate pour imposer la καρτερία (courage et patience) ; cf. Platon, De Legibus, I, p. 633 ; Xénophon, De Laced. Republ., II, 9, — avec les exemples dans une note de Schneider ; — aussi Cragius, De Republ. Laced., III, 8, p. 325.

[9] Il est à remarquer que ces luttes violentes de jeunes gens, où ils se frappaient des pieds, se mordaient et s’arrachaient mutuellement les yeux, aussi bien que la διαμαστίγωσις ou lutte de flagellation devant l’autel d’Artemis, durèrent jusqu’aux derniers jours de Sparte et furent réellement vues par Cicéron, Plutarque et même Pausanias. Plutarque avait vu plusieurs personnes mourir sous la souffrance (Plutarque, Lykurgue, c. 16, 18-30 ; et Instituta Laconica, p. 239 ; Pausanias, III, 14, 9, 16, 7 ; Cicéron, Tuscul. Disp., II, 15).

Les tortures volontaires subies par les jeunes gens de la tribu des Indiens Mandanes lors de leur fête religieuse annuelle, en présence des plus figés de la tribu, expliquent d’une manière frappante tes mêmes tendances et les mêmes principes que cette διαμαστίγωσις spartiate. Elles sont endurées en partie sous l’influence de sentiments religieux, comme une offrande agréable au Grand Esprit, en partie comme un point d’émulation et de gloire de la part de jeunes gens qui cherchent à se montrer héroïques et indomptables aux yeux de leurs aînés. L’intensité de ces tortures est en effet effrayante à lire et dépasse de beaucoup sous ce rapport tout ce que l’on vit jamais à Sparte. Elle serait incroyable, si elle n’était attestée par un témoin oculaire digne de foi. V. M. Catlin’s Letters on the American Indians, Letter 22, vol. I, p. 157 sqq. — Ces cérémonies religieuses sont célébrées, en partie, dans le but de faire passer tous les jeunes gens de la tribu, à mesure qu’ils arrivent annuellement à la virilité, par une épreuve de privations et de tortures ; ce qui, en fortifiant leurs muscles, comme on le suppose, et en les préparant à supporter d’extrêmes douleurs, permet aux chefs, .spectateurs de la scène, de juger leur force et leur vigueur corporelles comparatives à endurer les privations et les souffrances les plus grandes, qui souvent sont le partage des guerriers indiens, et par là ils peuvent décider quel est le plus hardi et le plus capable pour conduire un parti de guerriers en cas d’événement. Et p. 173, etc. — La καρτερία ou pouvoir d’endurer (Aristote, Politique, II, 6, 5-16), qui formait un des points saillants de l’éducation de Lykurgue, se réduit à rien, si on la compare à celle des Indiens Mandanes.

[10] Xénophon, Anabase, IV, 6,- 14 ; et De Repub. Lac., c. 2, 6 ; Isocrate, Or. XII (Panath.) p. 277. C’est à ces expéditions de vol permises, je suppose, qu’Isocrate fait allusion, quand il parle de τής παίδων αύτονομίας à Sparte, qui dans son sens naturel serait le contraire de la vérité (p. 277).

[11] Aristote, Politique, VIII, 3, 3. La remarque est curieuse. Cf. la remarque dans Platon, Protagor., p. 342.

[12] Aristote, Politique, II, 6, 5 ; Plutarque, Agésilas, c. 31. Aristote fait allusion à la conduite des femmes spartiates à l’occasion de l’invasion de la Laconie par les Thébains, comme preuve de son opinion relativement à leur manque de courage. Sous ce rapport son jugement semble rigoureux à leur égard, et il s’était probablement formé des idées exagérées de ce que dans de telles circonstances aurait dû être leur courage, Comme résultat de leur éducation particulière. Nous pouvons ajouter que leurs violettes démonstrations dans cette occasion critique peuvent bien avoir pour cause tout autant la douleur de l’honneur blessé que la crainte, quand nous considérons quel événement était l’apparition d’une armée conquérante près de Sparte.

[13] Aristote, Politique, II, 6, 5, 8, 11.

[14] Xénophon, Rep. Lac., I, 3-4 ; Plutarque, Lykurgue, c. 13-14.

[15] Euripide, Andromaque, 598 ; Cicéron, Tuscul. Quæst., II, 15. L’épithète φαινομηρίδες aussi ancienne que le poète Ibycus, montre que les femmes spartiates n’étaient pas sans vêtements (V. Julius Pollux, VII, 55).

Il est à peine utile de mentionner les allusions poétiques d’Ovide et de Properce. — On peut voir par les injonctions que fait Platon dans sa République combien il approuvait l’usage d’une éducation gymnastique et militaire pour les jeunes femmes, analogue à celle de l’autre sexe.

[16] Aristote, Politique, VII, 14, 4.

[17] Il est certain (fait observer M. Thirlwall, en parlant des femmes Spartiates non mariées), que sous ce rapport, la moralité spartiate était aussi pure que celle de tout peuple ancien, peut-être de tout peuple moderne. (History of Greece, c. VIII, vol. 1, p. 371.)

[18] Plutarque, Lykurgue, c. 15 ; Xénophon, Rep. Lac., I, 5. Xénophon ne parle nullement de l’enlèvement comme d’une coutume générale. Il se rencontrait des cas où il était réel et violent

V. Hérodote, V, 65. Démarate enleva et épousa la fiancée de Léotychidês.

[19] Xénophon, Rep. Lac., I, 9.

[20] Hérodote, V, 39-40.

[21] Müller, Hist. of Dorians, IV, 4, 1. Les récits que fait Plutarque (Agis, c. 20 ; Kleomenês, c. 37-33) de la conduite d’Agesistrata et de Kratesikleia, épouses d’Agis et de Kleomenês, et de l’épouse de Panteus (qu’il ne nomme pas) à l’occasion de la mort de leurs époux respectifs, jettent une grande lumière sur la forte affection conjugale d’une femme spartiate et sur son attachement dévoué et son courage à partager avec son mari les dernières extrémités de la douleur.

[22] V. le Discours de Lysias, De Cædo Eratosthenis, Orat. I, p. 94 sqq.

[23] Plutarque, Agis, c. 4.

[24] Aristote, Politique, II, 6, 6 ; Plutarque, Agis, c. 4.

[25] Aristophane, Lysistrata, 80.

[26] V. le remarquable récit dans Xénophon, Helléniques, IV, 16 ; Plutarque, Agésilas, c. 29 ; un des incidents les plus frappants de l’histoire grecque. Cf. aussi la série de mots attribués à des femmes Lacédæmoniennes, dans Plutarque, Lac. Apophth., p. 241, sqq.

[27] Nous pouvons voir par les discours de Periklês dans Thucydide combien paraissait choquante aux Grecs la Xenêlasia lacédæmonienne ou expulsion des étrangers (I, 144 ; II, 39). Cf. Xénophon, Rep. Lac., XIV, 4 ; Plutarque, Agis, c. 10 ; Lykurgue, c. 27 ; Platon, Protagoras, p. 348.

Aucun Spartiate ne quittait le pays sans permission ; Isocrate, Orat. XI (Busiris), p. 225 ; Xénophon, ut sup.

Ces deux règles finirent par se relâcher beaucoup après la fin de la guerre du Péloponnèse.

[28] Plutarque, Lykurgue, c. 25.

[29] Plutarque fait observer avec justesse, au sujet de Sparte sous la discipline de Lykurgue, que c’était non le régime politique d’une cité, mais la vie d’un homme exercé et habile (Plutarque, Lykurgue, c. 30).

Touchant l’habitude absolue d’obéissance à Sparte, v. Xénophon, Memorab., III, 5, 9, 15-IV, 4, 35, las grandes qualités de Sparte aux yeux de ses admirateurs (Isocrate, Panath., Or., XII, p, 256-278).

[30] Aristote, Politique, VIII, 3, 3.

Isocrate dit expressément que les Spartiates ignoraient absolument les lettres et ne savaient pas lire (Panath., Or. XII, p. 277). — Isocrate préfère d’une manière si évidente la rhétorique à l’exactitude, que nous devons comprendre ses paroles avec quelque réserve ; mais, dans le cas actuel, il est clair qu’il entend littéralement ce qu’il dit, car dans un autre endroit du même discours il y a une expression qui lui échappe presque involontairement et qui vient à l’appui. Les plus raisonnables des Spartiates (dit-il) apprécieront ce discours, s’ils trouvent quelqu’un pour le leur lire (p. 285).

[31] Aristote, Politique, II, 6,22 ; VII, 13, 11 ; VIII, 1, 3 ; VIII, 3, 3. Platon, Legg., I, pages 626-629. Plutarque, Solôn, c. 22.

[32] Thucydide, IV, 126.

La circonstance la plus remarquable, est que ces paroles sont adressées par Brasidas à une armée composée en grande partie d’Ilotes affranchis (Thucydide, IV, 81).

[33] Platon parle du système de Lykurgue comme émanant d’Apollon Delphien, et de Lykurgue comme de son envoyé (Legg., I, p. 632).

[34] Alcæi, Fragm. 41, p. 279, éd. Schneidewin. Cf. le Schol. ad Pindare, Isthm., II, 17,`et Diogène Laërte, I, 31.

[35] Thucydide, I, 6. V. aussi Plutarque, Apophthegm. Lacon., p.210. A.-F.

[36] Xénophon, Republ. Laced., c. 7.

[37] Platon, Legg., III, p. 684.

[38] Aristote, Politique, II, 2, 10.

[39] Aristote, Politique, II, 4, 1, au sujet de Phaleas ; et relativement à Sparte et à la Krête en général, le sixième chapitre et le septième entiers du second livre ; et V. 6, 2-7.

Théophraste (ap. Plutarque, Lykurgue, c. 10) fait observer également que les repas publics et la simplicité générale des habitudes tendaient à rendre les richesses peu utiles à leur possesseur. Cf. Plutarque, Apophthegm. Lacon., p. 226 E. On n’avait donc pas formellement rompu avec la richesse dans l’opinion de Théophraste : il n’y avait pas une égalité positive de biens.

Les deux rois spartiates dînaient aux repas publics au même pheidition (Plutarque, Agésilas, c. 30).

Hêraklide de Pont ne fait mention ni de l’égalité des lots spartiates ni d’un nouveau partage des terres par Lykurgue (ad calcem Cragii, de Spartanorum Repub., p. 504), bien qu’il parle des lots spartiates et de la loi de succession aussi bien que de Lykurgue.

[40] Isocrate, Panathen., Or. XII, p. 266, 270, 278.

[41] Plutarque, Agis, c. 4.

[42] Aristote, Politique, II, 6, 21.

L’existence de cette condition d’une contribution à payer est le fait capital dans l’histoire de la constitution spartiate ; surtout si nous la rapprochons, de cet autre fait, qu’aucun spartiate n’acquérait rien par aucune sorte d’industrie quelconque.

[43] Héraclide de Pont, ad. calcem Cragii, de Republ. Laced., p. 504. Cf. Cragius, III, 2, p. 196.

Aristote (II, 6, 10) dit qu’il était déshonorant d’acheter ou de vendre un lot de terre, mais que ce lot pouvait être donné ou légué à volonté. Il ne parle pas de la défense de le diviser, il avance même un fait qui est en contradiction avec cette défense, c’est que c’était l’usage de donner une dot considérable quand la fille d’un homme riche se mariait (II, 6, 11). La sœur d’Agésilas, Xyniska, possédait de vastes propriétés, ce qui implique évidemment le partage des biens de son père (Plutarque, Agésilas, 30). — On peut bien douter qu’il y ait jamais eu quelque loi interdisant à un père de diviser son lot entre ses enfants. La Rhêtra de l’éphore Epitadeus (Plutarque, Agis, 5) accordait au possesseur un pouvoir illimité de disposer de son bien par testament, de sorte qu’il pouvait à son choix donner ou léguer sa terre à un étranger. On attribue de grands effets à cette : loi ; maie il est évident que la tendance a accumuler la propriété en un petit nombre de mains, et celle qu’avait à diminuer le nombre des citoyens ayant droit a ce titre, se manifestèrent sensiblement avant l’époque d’Epitadeus, qui, vint après Lysandre. Plutarque, dans un antre endroit, mentionne Hésiode, Xénocrate et Lykurgue comme s’étant rencontrés avec Platon pour penser qu’il était convenable de ne laisser qu’un seul héritier (Fragm., vol. 5, p. 777, Wittenb.). Mais Hésiode ne pose pas ceci comme une nécessité ou comme une règle universelle ; il dit seulement qu’un père est plus à son aise quand il n’a qu’un seul fils (Opp. Di., 374). Et si Platon avait pu citer Lykurgue comme autorité pour ce système d’un nombre invariable de κλήροι ou lots séparés, qu’il expose dans son traité des Lois (p. 740), il est extrêmement probable qu’il l’aurait fait. Aristote peut encore moins avoir supposé que Lykurgue ou le système spartiate ait assuré ou voulu assurer le maintien d’un nombre invariable de lots distincts de propriété ; car il mentionne expressément ce plan comme étant particulier à Philolaos le Corinthien, dans ses lois pour les Thêbains (Politique, II, 9, 7).

[44] Polybe, Fragm. ap Maii Collect. Vett. Script., vol. II, p. 384.

Il est possible, comme le fait remarquer 0. Müller, que ceci veuille seulement, signifier qu’aucun des frères, si ce n’est l’aîné, ne pouvait se permettre de se marier ; mais les sentiments des Spartiates au sujet du mariage étaient sous bien d’autres rapports si différents des nôtres, que nous ne sommes guère autorisés à rejeter le renseignement littéral (History of the Dorians, III, 10, 2), ce qui en effet est expliqué à la fois et rendu croyable par la permission accordée dans les lois de Solôn à une έπίκληρος demandée en mariage par un parent âgé (Plutarque, Solôn, c. 20). — Je puis faire observer que parmi les assertions de O. Müller, relatives aux lots de terre à Sparte, plusieurs sont dénuées de fondement et quelques-unes inexactes.

[45] Plutarque, Kleomenês, c. 2-11, avec la note de Schoemann, p. 175 ; et Lykurgue c. 8 ; Athenæ, IV, p. 141.

Phylarque aussi exposait les actes de Kleomenês vraisemblablement d’une manière favorable (Athenæ, ibid.) ; et Plutarque, Agis, c. 9.

Polybe pensait que Lykurgue avait introduit l’égalité des biens fonciers, et dans le district de Sparte et dans toute la Laconie : il empruntait probablement son opinion de ces mîmes auteurs, du troisième siècle avant l’ère chrétienne. Car il exprime sa grande surprise que les auteurs anciens les mieux informés, Platon, Xénophon, Ephore, Kallisthène, puissent comparer la constitution krêtoise à l’ancienne constitution lacédémonienne, leurs traits principaux étant (comme il le dit) si différents — égalité de propriétés à Sparte, grande inégalité de biens en Krête, entre autres différences (Polybe, VI, 45-48).

Cette remarque de Polybe montre combien l’opinion des écrivains plus anciens était différente, si on les compare à ceux du troisième siècle avant l’ère chrétienne. Les premiers mettaient en regard les institutions spartiates et krêtoises, parce qu’ils ne concevaient pas l’égalité des biens fonciers comme un trait de l’antique Sparte.

[46] Relativement à Sphærus, V. Plutarque, Lykurgue, c. 8 ; Kleomenês, c. 2. Athenæ, IV, p. 141 ; Diogène Laërte, VII, sect. 137.

[47] Hist. of Greece, c. 8, vol. I, p .344-347.

C. F. Hermann, au contraire, considère le partage égal de la Laconie en lots indivisibles et inaliénables comme une condition essentielle (eine wesentliche Bedingung) de tout le système de Lykurgue (Lehrbuch der Griechischen Staatsalterhümer, sect. 281.

Tittmann (Griechische Staatsverfassungen, p. 588-596) présente et semble admettre le partage égal comme un fait, sans aucun commentaire.

Waschsmuth (Hellenisch. Alterthumskunde, V, 4, 42, p. 217) suppose que les meilleures terres étaient déjà partagées, avant l’époque de Lykurgue, en lots de grandeur égale, correspondant au nombre des. Spartiates, qui dans la suite s’éleva jusqu’à neuf mille. Je ne connais aucune preuve à l’appui de cette assertion ; elle s’éloigne de Plutarque, sans rien mettre à la place qui soit mieux attesté ou plus plausible. Waschsmuth mentionne le partage de la Laconie entre les Periœki en 30.000 lots égaux, sans aucun commentaire, et vraisemblablement comme s’il n’y avait aucun doute à ce sujet (p. 218).

Manso aussi suppose qu’il y avait eu jadis un partage égal des terres antérieur à Lykurgue, qu’il avait dégénéré en abus, et que Lykurgue y remédia, en rétablissant, non une égalité absolue, mais quelque chose se rapprochant de l’égalité (Manso, Sparta, vol. I, p. 110-121). C’est la même supposition gratuite que celle de Waschsmuth.

O. Müller admet le partage tel qu’il est présenté par Plutarque, bien qu’il dise que le nombre total de 9.000 lots ne peut pas avoir été assigné avant la guerre Messénienne ; et il adhère à l’idée d’égalité telle qu’elle est contenue dans Plutarque ; mais il dit que l’égalité consistait dans une évaluation égale du produit moyen, et non dans des dimensions égales d’arpents. Il va jusqu’à avancer que les lots des Spartiates, qui nourrissaient deux, fois autant d’hommes que les lots des Periœki doivent au total avoir été deux fois aussi étendus (i. e. dans l’agrégat) ; chaque lot doit donc avoir été sept fois plus grand (cf. History of the Dorians, III, 3, 6 ; III, 10, 2). Il suppose aussi que de semblables partages de terres avaient eu lieu dès le temps de la première occupation de la Laconie par les Dôriens. Quiconque comparera ces diverses idées avec les preuves présentées à l’appui trouvera une fâcheuse disproportion entre la base et ce qui a été élevé dessus.

Les vues de Schoemann, autant que je puis le conjecturer d’après des termes assez vagues, semblent coïncider avec celles du Dr Thirlwall. Il admet cependant que l’égalisation supposée de Lykurgue est en opposition avec ce qu’expose Platon (Schoemann, Antiq. Jur. Pub., IV, I, 7, note 4, p. 115).

[48] Plutarque, Lykurgue, c. 8.

[49] Plutarque, Agis, c. 19-20.

[50] Je lis avec beaucoup de satisfaction, dans la Dissertation de M. Kopstadt, que la conclusion générale que je me suis efforcé d’établir, relativement au nouveau partage de propriétés attribué à Lykurgue, lui parait heureusement prouvée (Dissert. De Rerum Laconie. Const., sect. 18, p. 138).

Il suppose, et il est tout à fait dans le vrai, qu’à l’époque ci, la première édition de ces volumes fut publiée, j’ignorais que Lachmann et Kortüm eussent tous deux révoqué en doute la réalité du nouveau partage de Lykurgue. Quant au professeur Kortüm, j’ai connu le fait pour la première fois par la mention qu’il fit de ces deux volumes dans les Heidelberger Iahrbücher, 1846, n° 41, p. 649.

Depuis la première édition, j’ai lu le traité de Lachmann (Die Spartarische Staatsverfassung in ihrer Entwickelung und ihrem Verfalle, sect. 10, p. 170) où est discuté le nouveau partage attribué à Lykurgue. Il pense également que le récit considéré comme appartenant à l’histoire doit son origine aux sentiments sociaux et politiques qui avaient cours à l’époque d’Agis III et de Kleomenês III. Il signale aussi qu’il est en contradiction avec Platon et Isocrate. Mais les arguments qu’il emploie pour le réfuter se rattachent dans une large mesure à ses idées personnelles relatives à la constitution sociale et politique de Sparte, idées que je ne regarde comme ni vraies ni prouvées. En outre, il croit à l’inaliénabilité aussi bien qu’à l’indivisibilité des lots de terre séparés, ce que je crois justement aussi peu exact que leur égalité supposée.

Kopstadt pense que j’ai été trop loin en rejetant toute opinion moyenne. Il croit que Lykurgue doit avoir fait quelque chose, bien que ce soit beaucoup moins que ce que l’on affirme, tendant à réaliser une égalité dans la propriété individuelle.

Je ne dirai pas que ce soit impossible. Si nous avions de plus abondantes preuves, peut-être reconnaîtrait-on de pareils faits. Mais, dans l’état actuel des preuves, il n’y a absolument rien qui le démontre. Nous ne sommé pas non plus autorisés (à mon avis) à supposer qu’il en fût ainsi, dans l’absence de preuves, simplement en vue d’établir que le mythe de Lykurgue n’est qu’une exagération, et non une fiction d’un bout à l’autre.

[51] Aristote (Politique, II, 6, 11) fait marquer que le territoire des Spartiates pouvait nourrir 15.000 cavaliers et 30.000 hoplites, tandis que le nombre des citoyens était effectivement au-dessous de 1.000. Le Dr Thirlwall semble préférer la leçon de Goettling — 3.000 au lieu de 30.000 ; mais cette dernière semble mieux appuyée par les MSS. et la plus convenable.

[52] Plutarque, Agis, c. 5.

[53] Hérodote, VI, 61 ; VII, 134.

[54] Hérodote, VI, 70-103 ; Thucydide, V, 50.

[55] Xénophon, Helléniques, VI, 4, 11 ; De Rep. Lac., V, 3 ; Molpis ap. Athenæ, IV, p. 141, Aristote, Politique, II, 2, 5.

[56] Thucydide, I, 6 ; Aristote, Politique, IV, 7, 4, 5 ; VIII, 1, 3.

[57] Aristote, Politique, II, 6, 10-13 ; V. 6, 7.

[58] Xénophon le panégyriste de Sparte reconnaît bien la même chose relativement à cette ville telle qu’il la vit ; mais il soutient que l’état avait été meilleur dans les temps antérieurs (République Lacédémonienne, c. 14).

[59] La manière de voir du Dr Thirlwall s’accorde en général avec celle de Manso et d’O. Müller (Manso, Sparta, vol. I, p.118-128 ; et vol. II, Beilage, 9, p. 129 ; et Müller, History of the Dorians, vol. II, b. III, c. 10, sect. 2, 3).

Ces deux auteurs soutiennent la proposition avancée par Plutarque (Agis, c. 5, quand il parle de l’éphore Epitadeus, et de la nouvelle loi portée par cet éphore), à savoir, que le nombre des lots spartiates, presque égaux et rigoureusement indivisibles, se conserva avec peu ou point de changements depuis l’époque du partage primitif jusqu’au retour de Lysandre après l’issue victorieuse de la guerre du Péloponnèse. Tous deus ils avouent ne pas pouvoir comprendre par quels règlements cette longue invariabilité, si peu probable en elle-même ; fut maintenue ; mais tous deus ils affirment le fait positivement.

La période aura plus de 400 ans, si le partage primitif est rapporté à Lykurgue ; plus de 300, si l’on comprend que les 9.000 lots datent de la guerre Messênienne.

Si ce prétendu fait est réellement un fait, c’est quelque chose qui, pour ainsi dire, n’a pas de pendant dans l’histoire de l’humanité ; et avant que nous consentions à y ajouter foi, nous devons au moins être convaincu qu’il y a un nombre considérable de preuves positives en sa faveur, et peu qui lui soient contraires. Mais, en examinant Manso et Müller, on verra que non seulement les preuves favorables sont très faibles, mais que la balance des preuves lui est décidément opposée.

La preuve que l’on produit pour démontrer l’indivisibilité du lot spartiate est un passage d’Héraclide de Pont, c. 2 (ad calc. Cragii, p. 504). La, première partie de cette assertion est confirmée par Aristote, et probablement elle lui est empruntée ; il dit la même chose presque dans les mêmes termes : la seconde partie de la pensée, selon toutes les règles raisonnables d’explication, devrait être comprise en rapport avec la première partie, c’est-à-dire avec la vente du lot primitif. Vendre sa terre est tenu pour honteux parmi les Lacédæmoniens, et il n’est pas non plus permis de séparer aucune portion du lot primitif, i. e. pour la vendre. Héraclide ne parle pas ici de la loi de succession des biens à Lacédæmone, et nous ne pouvons pas non plus conclure de ses paroles que tout le lot fut transmis entier à un seul fils. Müller et Manso ne fournissent pas d’autre preuve que cette pensée, très étrangère à la question, pour justifier leur assertion primitive, que le lot de terre spartiate était indivisible par rapport à l’héritage.

Ayant ainsi déterminé la transmission indivisible des lots à un seul fils d’une famille, Manso et Müller supposent, sans aucune preuve, que ce fils devait être l’allié ; et Müller en arrive à’ avancer quelque chose qui, également, n’est appuyé par aucune preuve : Toutefois ses droits se bornaient peut être à être considéré comme maître de la maison et du bien ; tandis quo les autres membres de la famille avaient un droit égal à en jouir... Le maître de la famille était donc obligé de contribuer pour eux tous aux Syssitia, contribution sans laquelle personne n’était admis. p. 199, 200.

Tout ceci est complètement gratuit, et il en résulte, comme on le verra, autant de difficultés en un sens qu’il en est écarté en un autre.

La loi suivante, relative à la transmission de la propriété, qui, selon Manso, avait prévalu, est que toutes les filles devaient se marier, sans recevoir de dot, — le cas d’une fille unique est excepté ici. A l’appui de cette assertion, il cite Plutarque, Apophthegm. Lacon., p. 227 ; Justin, III, 3 ; Élien, V. H., VI, 6. Ces auteurs affirment certainement qu’il y a un règlement pareil, et Plutarque et Justin donnent tous les deux des raisons à l’appui de ce fait, réel ou supposé. On demandait à Lykurgue pourquoi il ordonnait que les jeunes filles fussent mariées sans dot : C’est afin, répondit-il, que les filles des familles pauvres ne restent pas sans époux, et que le caractère et la vertu puissent exclusivement diriger dans le choix d’une femme. Justin donne la même raison générale. Or la raison avancée ici quant à la prohibition de la dot tend indirectement à prouver qu’il n’existait pas une loi pareille de succession générale, telle que celle dont on avait parlé auparavant, à savoir, l’indivisibilité sacrée du lot primitif ; car si cette dernière avait été reconnue, la raison pour laquelle les filles ne pouvaient recevoir de dot aurait été évidente : tous les biens fonciers du père (et un Spartiate ne pouvait guère en avoir d’autres, puisqu’il n’acquérait jamais rien au moyen de l’industrie) revenaient à son fils aîné d’après l’ordre de succession le plus rigoureux. Si donc Plutarque et Justin, dans leur assertion relative au fait en question, justifient Manso en affirmant la prohibition de la dot (quant à ce fait, nous en parlerons bientôt plus au long), la raison qu’ils donnent s’oppose à sa première supposition concernant l’indivisibilité des lots de famille primitifs. — En troisième lieu, Manso comprend qu’Aristote (Politique, II, 6, 11), par l’emploi de l’adverbe νΰν, affirme quelque chose qui regarde spécialement sa propre époque, et implique en même temps que l’ancienne coutume avait été le contraire. Je ne pense pas que l’adverbe, comme Aristote l’emploie dans ce passage, admette une pareille explication : νΰν δέ ne signifie pas là le présent en tant qu’opposé au passé, mais l’antithèse entre la coutume existant alors et celle qu’Aristote déclare être avantageuse. Aristote n’indique pas qu’il sache qu’aucun changement considérable quelconque ait été fait dans les lois de succession à Sparte ; c’est une des circonstances qui lui ont valu la critique et de Manso et de Müller, qui tous les deux croient à la révolution extraordinaire causée par la loi de l’éphore Epitadeus, loi qui tolérait seulement.

Manso pose trois autres principes relatifs aux lois de propriété à Sparte. 1° Un homme pouvait donner ou léguer sa terre à qui il voulait. 2° Mais on ne pouvait le faire que si l’on n’avait pas d’enfants. 3° La terre ne pouvait être donnée ou léguée qu’à des citoyens qui n’en possédaient pas personnellement. De ces trois règlements, le premier est distinctement affirmé par Aristote, et l’on peut s’y fier ; le second est une restriction que ne mentionne pas Aristote, et qui n’est appuyée par aucune autre preuve que par celle qui ressort de l’histoire de l’éphore Epitadeus, qui, dit-on, ne pouvait déshériter son fils sans faire passer une nouvelle loi ; le troisième est une pure imagination.

Voilà pour la preuve positive sur la foi de laquelle Manso et Müller affirment le fait étonnant, que les lots de terre à Sparte restèrent distincts ; indivisibles et invariables en nombre, jusqu’à la fin de la guerre du Péloponnèse. J’ose dire que cette preuve positive est beaucoup trop faible pour appuyer une affirmation en elle-même si poil probable, même quand il n’y aurait pas, d’autre part, de preuve qui la contredit. Mais dans ce cas il y a une puissante preuve contradictoire.

D’abord, les assertions de ces auteurs sont distinctement en opposition avec Aristote, dont ils s’efforcent d’invalider l’autorité en disant qu’il parlait absolument par rapport à ce qui se passait à Sparte à. son époque, et qu’il comprenait mal la constitution primitive de Lykurgue. Or, cela serait un motif raisonnable de présomption coutre la compétence d’Aristote, Si les témoins produits d’autre part étaient plus anciens que lui. Mais il se trouve que chacun des témoins produits par Manso et Müller est postérieur à Aristote : Héraclide de Pont, Plutarque, Justin, Élien, etc. Il n’est pas non plus démontré que ces auteurs aient copié une autorité quelconque : plus ancienne qu’Aristote ; car on ne peut contredire son témoignage à l’aide d’inductions tirées d’Hérodote, de Thucydide, de Xénophon, de Platon, d’Isocrate ou d’Ephore. Aucun de ces écrivains antérieurs à Aristote ou contemporains de ce philosophe, ne justifie la fausse idée de lots égaux, indivisibles, perpétuels, ni celle de la prohibition de dots.

Le fait est qu’Aristote est non seulement notre meilleur témoin, mais encore notre témoin le plus ancien, relativement aux lois de propriété dans la république spartiate. J’aurais désiré, en effet, que des témoignages plus anciens eussent existé, et j’admets que l’observateur même le plus sagace de 340 à 330 avant J.-C. soit sujet à se tromper quand il parle d’un ou de deux siècles avant lui. Mais si Aristote n’est point digne de foi relativement, à des dates récentes, que devons-nous dire de Plutarque ? Insister sur la supériorité intellectuelle d’Aristote serait superflu ; et sur ce sujet c’est nu témoin d’autant plus précieux qu’il avait fait des recherches minutieuses, laborieuses et personnelles sur les gouvernements grecs en général, et entre autres sur celui de Sparte, le grand point de mire pour les anciens politiques spéculatifs.

Or, les renseignements que fournit Aristote excluent distinctement l’idée de lots égaux, indivisibles, inaliénables, perpétuels, et d’une prohibition de dots. Il signale particulièrement l’habitude de donner des dots très considérables, et la tendance constante des lots de terre à se concentrer dans un nombre de mains de plus en plus petit. Il ne nous dit rien sur ce sujet qui ne soit parfaitement logique, intelligible ; rien de ce qu’il affirme n’a jamais été contredit par des assertions connues appartenant à son époque ou aux temps antérieurs. Mais la raison qui fait qu’on refuse de le croire, et que l’on écarte son témoignage ou qu’on le fait disparaître à force d’explications, c’est qu’on se met à l’étude avec l’esprit plein de la division de la propriété foncière attribuée à Lykurgue par Plutarque. Je concède volontiers que dans cette occasion, nous ayons à choisir entre Plutarque et Aristote. Nous ne pouvons les concilier que par des suppositions arbitraires, dont chacune brise la simplicité, la beauté et la symétrie de l’idée agraire de Plutarque, et laisse encore sans explication la perpétuité des lots primitifs. Et je n’hésite pas à préférer l’autorité d’Aristote comme étant un témoin meilleur en tout point ; d’ailleurs, il est en parfaite harmonie avec ce que nous recueillons indirectement dans les ouvrages d’autres auteurs, ses contemporains et ses prédécesseurs ; et je rejette le renseignement de Plutarque, et je le rejette complètement avec toutes ses conséquences.

Mais l’autorité d’Aristote n’est pas le seul argument que l’on puisse fournir pour réfuter la supposition que le nombre des lots spartiates distincts resta invariable jusqu’à l’époque de Lysandre. Car si le nombre des lots distincts resta sans diminution, celui des citoyens ne peut avoir beaucoup diminué. Or la conspiration de Kinadôn tombe pendant la vie de Lysandre, dans les dix premières années qui suivent la fin de la guerre du Péloponnèse ; et dans le récit que fait Xénophon de cette conspiration, la paucité du nombre des citoyens est présentée de la manière la plus claire et la plus formelle. Et ceci doit être avant l’époque où la nouvelle loi d’Epitadeus passa, dit-on, du moins, avant que cette loi eût pu avoir le temps de produire quelques effets sensibles. Si donc les anciens 9.000 lots restaient encore tous séparés, sans consolidation ni subdivision, comment devons-nous expliquer le petit nombre de citoyens à l’époque de la conspiration de Kinadôn ?

Cet examen des preuves (qui m’a obligé de prolonger la présente note) montre : 1° Que l’hypothèse de lots indivisibles, inaliénables, conservés à Sparte pendant une longue période sans diminution de nombre, est non seulement appuyée par le minimum lui- même de preuves affirmatives, mais encore qu’elle est contredite par de très bonnes preuves négatives. 2° Que l’hypothèse qui représente comme interdites par une loi des dots b dorme, aux filles est en effet confirmée par Plutarque, Élien et Justin, mais qu’elle est contredite par l’autorité meilleure d’Aristote.

L’édition récente d’Héraclide de Pont, publiée par Schneidewin en 1817 depuis, ma première édition, présente nu texte corrigé qui vient entièrement à l’appui de mon explication. Son texte, qui résulte d’une comparaison plus complète des MSS. existants, aussi bien que d’une meilleure appréciation critique, est (V. ses Prolégomènes, c. 3, p. 51) : Πωλεϊν δέ γήν Λακεδαιμονίοις αίσχρόν νενόμισται . τής δέ άρχαίας μοίρας ούδέ έξεστιν (p. 7). Il est évident que tout ce passage est, relatif des ventes de terres et non à une transmission héréditaire, ni à une succession, ni à un partage. Voici ce qui est certain négativement parlant et Schneidewin fait remarquer dans sa note (p. 53) que cela contredit Müller ; Hermann et Schoemann, ajoutant que la distinction établie est entre la terre obtenue par héritage et provenant de lots de famille primitifs, et entre la terre acquise par d’autres voies, comme par donation, legs, etc. Vendre la première était absolument illégal : vendre la dernière était déshonorant, sans toutefois être absolument illégal. Aristote, dans sa Politique (II, 8,10), ne signale aucune distinction pareille, entre un bien reçu par héritage et composé des lots primitifs, et entre un bien acquis par d’autres moyens. Il n’y avait peut-être pas non plus une ligne bien définie de distinction, dans un pays de coutumes non écrites comme Sparte, entre ce qui était simplement déshonorant et ce qui était positivement illégal. Schneidewin, dans sa note, cependant, admet l’égalité primitive des lots comme certaine en elle-même, et comme étant le cause de la prohibition : aucun de cas deux points ne me paraît vrai.

Je parle de cette compilation confuse encore sous le nom d’Héraclide de Pont, sous lequel elle est communément connue ; bien que Schneidewin, dans le second chapitre de ses Prolégomènes, ait démontré par des raisons suffisantes qu’il n’y a pas d’autorité pour la rattacher au nom d’Héraclide. Il essaye d’établir que l’ouvrage consistait en Excerpta du traité perdu d’Aristote, Περί Πολιτειών ; ce qui est bien démontré quant à quelques parties, mais non assez pour justifier la conséquence qu’il tire relativement au tout. L’article où Welcker soutient l’idée que l’ouvrage est dû à un abréviateur d’Héraclide, est peu satisfaisant (Kleine Schriften, p. 451).

En dehors de ce passage étranger à la question et emprunté à Héraclide de Pont, Müller et Manso ne produisent pas d’autres preuves pour justifier leur assertion primitive, à savoir, que le lot de terre à Sparte était indivisible sous le rapport de l’héritage.

[60] Hérodote, VI, 57, en énumérant les privilèges et émoluments du roi – Lorsque les rois ne se trouvent point au repas public, on leur envoie à chacun deux chénices de farine d’orge avec une cotyle de vin. Lorsqu’ils y vont, on leur sert une double portion. Si un particulier les invite à un repas, il leur rend les mêmes honneurs..... Les affaires suivantes sont les seules qui soient soumises à la décision des rois, et ils sont les seuls qui puissent les juger. Si une héritière n’a point encore été fiancée par son père, ils décident à qui elle doit être mariée. Les chemins publics les regardent ; et si quelqu’un vent adopter un enfant, il ne peut le faire qu’en leur présence.

Il semble curieux que πατροΰχος παρθένος puisse signifier une jeune fille qui n’a pas de père (c’est littéralement lucus a non lucendo) ; mais je suppose que nous devons accepter ici cette idée sur l’autorité de Julius Pollux et de Timée. Poursuivant cette interprétation, Walckenaer donne le sens du passage d’une manière très juste : Orbe nuptias, necdum a patte desponsatæ, si plures sibi vindicarent, fieretque ή έπίκληρος, ut Athenis loquebantur, έπίδικος, Spartæ lis ista dirimebatur a regibus solis. — Or, la fonction judiciaire ici décrite est une chose bien différente de ce que dit le Dr Thirlwall, à savoir que, les rois avaient le droit de disposer de la main d’héritières orphelines dans les cas oit le père n’avait pas signifié sa volonté. Un tel droit se rapprocherait en quelque sorte de l’omnipotence que, dans Aristophane (Vesp., 585), le vieux Philokleon réclame pour les dikastes athéniens (exagération bien calculée pour servir le but du poète, qui veut montrer les dikastes comme des monstres de caprice et d’injustice), et serait analogue au pouvoir dont les rois anglais jouissaient il y a trois siècles comme tuteurs féodaux des pupilles. Mais le langage d’Hérodote ne s’accorde pas avec l’idée que les rois choisissaient un époux pour une héritière orpheline. Elle était réclamée comme de droit par des personnes qui lui étaient parentes à certains degrés. La loi relative à l’άγχίστεια (affinité entraînant des droits légaux) était-elle la même qu’à Athènes ? c’est ce que nous ne pouvons pas dire ; mais la question soumise a la décision des rois à Sparte,des dikastéries à Athènes, était certainement la même, conformément à la note de Walckenaer citée plus haut ; c’était de savoir à qui, parmi les divers prétendants, appartenait réellement le meilleur titre légal. Il est, en effet, assez probable que les deux descendants royaux d’Héraclès pouvaient abuser de leur fonction judiciaire, comme il y a divers exemples connus dans lesquels ils se laissèrent corrompre ; mais il n’était pas vraisemblable qu’ils en abusassent en faveur d’un jeune homme non pourvu. — Ensuite, quant à l’adoption : Hérodote nous dit que la cérémonie de l’adoption était accomplie devant les rois : il est assez probable qu’il y avait quelque honoraire payé pour cela. Mais il n’en résulte aucune raison pour supposer, qu’ils fussent jamais intervenus pour déterminer la personne que le père sans enfants devait adopter. Selon la loi attique relative à l’adoption, il y avait des conditions à remplir, des consentements à obtenir, une fois l’absence dé circonstances rendant incapable vérifiée, etc. ; et il était indispensable qu’il y eût quelque autorité devant laquelle tout cela se fit (V. Meier et Schoemann, Attisch. Prozess, III, c. II, p. 436). A Sparte, une ancienne coutume investissait le roi de cette autorité ; mais on ne nous dit pas, et il n’est pas non plus probable qu’il pût intervenir, contrairement aux désirs des individus, pour soulager la pauvreté, comme le suppose le Dr Thirlwall.

[61] Simonide ap. Plutarque, Agésilas, c. 1.

[62] Aristote, Politique, II, 6, 9, 19, 23.

[63] Aristote, Politique, II, 6, 12.

[64] Aristote, Politique, II, 6, 22. Cf. aussi VII, 13, 15.

[65] Plutarque, Kleomenês, c. 8 ; Phylarch. ap. Athenæ, VI, p. 271.

Les étrangers appelés Τρόφιμοι, et les fils illégitimes de Spartiates, que Xénophon mentionne avec éloge, comme ayant participé à l’honorable éducation de la cité, doivent probablement avoir été introduits de la même manière, par l’appui particulier des riches (Xénophon, Helléniques, V, 3, 9). La Xenêlasia doit donc s’être fort relâchée en pratique, sinon éteinte.

[66] Strabon, VIII, p. 362 ; Steph. Byz., Αϊθεια.

En expliquant le mot πόλεις d’une manière étendue, de manière à y comprendre les petits municipes aussi bien que les grands, cette estimation est probablement inférieure à la vérité ; même puisque, dans les temps d’oppression de la Grèce moderne, une fraction de l’ancienne Laconie (la Messênia comprise dans ce terme) présentait beaucoup plus de 100 bourgs. — Par rapport seulement au territoire appelé Menu, entre Calamata, dans le golfe Messênien, et Capo di Magna, la partie occidentale de la péninsule du Tænaros, V. une curieuse lettre adressée au duc de Nevers en 1618 (à l’occasion d’un mouvement projeté pour délurer la Morée des Turcs, et pour lui en assurer la souveraineté, comme descendant des Paléologues) : cette lettre avait été écrite par un agent de confiance que le due y avait envoyé, M. Chateaurenaud, qui lui fait parvenir une sorte de tableau statistique du Magne, où sont énumérés 125 bourgs ou villages renfermant, 4.913 feux, et pouvant fournir 10.000 combattants, dont 4.000 armés, et 6.000 sans armes (entre Calamatta et Capo di Magna), (Mémoires de l’Académie des inscriptions, tom. XV, 1.842, p. 329. Mémoire de M. Berger de Xivrey). — Cette estimation ne s’éloigne pas beaucoup de celle que fit au commencement de notre siècle le colonel Leake, qui considère qu’il y avait alors dans le Mena (le même territoire) 134 villes et villages ; et ceci également dans un état de société excessivement troublé et privé de toute sécurité, où l’on voyait partout des querelles privées et des tours particulières (ou pyrghi) pour la défense, et dans des parties de laquelle le colonel Leake dit : Je vis des hommes préparant le sol pour le coton, avec un poignard et des pistolets à leur ceinture. Telle semblent être les armes ordinaires du cultivateur quand il ne soupçonne pas de danger particulier : le berger est presque toujours armé d’un fusil... Les Maïnotes estiment que leur population est de 30.000 hommes, et qu’ils ont 10.000 fusils (Leake, Travels in Morea, vol. I, c. 7, p. 243, 263-266). — Or, sous la domination de sparte, toute la Laconie jouissait sans doute d’une sécurité intérieure complète, de sorte que l’idée du cultivateur labourant son champ en armes devait être inconnue. En prenant pour base ce qui vient d’être dit au sujet de la population maïnote et du nombre des municipes, 100 πόλεις pour toute la Laconie est un calcul très modéré.

[67] Aristote, Λακων Πολιτεία, ap. Schol. Pindare, Isth., VII, 18.

Je partage l’opinion de M. Bœckh, qui pense que Pindare lui-même identifie cette marche des Ægides sur Amyklæ avec la conquête hêraklide primitive du Péloponnèse (Notæ Criticæ ad Pindare, Pyth., v. 74, p. 479).

[68] Pausanias, III, 2, 6 ; III, 12, 7.

[69] Pausanias, III, 22, 5.

[70] Pausanias, III, 19, 5.

[71] Xénophon, Helléniques, IV, 5, 11.

[72] Pausanias, III, 2, 1 ; III, 20, 6. Strabon, VIII, p.363.

S’il est vrai (comme le dit Pausanias) que les Argiens aidèrent Helos à résister, leur secours doit probablement avoir été donné par mer ; peut-être d’Epidauros Limêra, ou de Prasiæ, quand ces villes faisaient partie de la fédération argienne.