HISTOIRE DE LA GRÈCE

TROISIÈME VOLUME

CHAPITRE I — GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE ET LIMITES DE LA GRÈCE.

 

 

La Grèce propre est située entre le 36e et le 40e parallèle de latitude nord, et entre le 21e et le 26e degré de longitude est (du 18e au 23e méridien de Paris) ; sa plus grande longueur, du mont Olympos au cap Tænaros, peut être fixée à 250 milles anglais (400 kilom.) ; sa plus grande largeur, de la côte occidentale de l’Akarnania à Marathôn en Attique, à 180 milles (290 kilom.) ; et la distance à l’est, à partir d’Ambrakia, par le Pindos, jusqu’au mont Magnésien Homolê et l’embouchure du Pêneios, a environ 120 milles (194 kilom.). En tout, sa superficie est un peu moins grande que celle du Portugal[1]. Toutefois, par rapport à toute tentative faite pour déterminer les limites exactes de la Grèce propre, nous pouvons faire remarquer, d’abord, que ces limites semblent n’avoir pas été définies d’une manière bien précise même parmi les Grecs, et, en second lieu, qu’un si grand nombre d’Hellênes étaient répartis dans les îles et les colonies, et qu’une si grande partie de leur influence sur le monde en général était exercée par ces colonies, qu’il est relativement peu important de vérifier l’étendue de leur domicile primitif.

La chaîne appelée Olympos et les monts Cambuniens, allant de l’est à l’ouest et commençant à la mer Ægée ou au golfe de Therma, vers le 40e degré de latitude nord, se prolongent sous le nom du mont Lingôn jusqu’à ce qu’ils touchent la mer Adriatique et le promontoire Akrokéraunien. La contrée située au sud de cette chaîne comprenait tout ce qui, dans les temps anciens, était considéré comme Grèce ou Hellas propre, niais elle comprenait aussi quelque chose de plus. La Hellas propre[2]  — ou la Hellas continue, pour employer les termes de Skylax et de Dikæarque — commençait, selon l’opinion générale, à la ville et au golfe d’Ambrakia ; de là vers le nord, jusqu’au promontoire Akrokéraunien, s’étendait le pays appelé par les Grecs Epeiros (Épire), occupé par les Chaoniens, les Molosses et les Thesprôtiens, qu’on appelait Epirotes et que l’on ne considérait pas comme appartenant à l’agrégat hellénique. Telle était du moins l’idée générale, bien que les Ætoliens et les Akarnaniens, dans leurs sections plus reculées que les autres, ne semblent pas avoir moins différé du type complet de l’hellénisme que les Epirotes, tandis qu’Hérodote incline à regarder comme hellènes même les Molosses et les Thesprôtiens[3].

A un point situé environ à mi-chemin entre la mer Ægée et la mer Ionienne, l’Olympos et le Lingôn sont traversés presque à angles droits par la chaîne encore plus longue et plus large appelée Pindos, qui s’étend en une lige presque ouest-nord-ouest et part du rameau septentrional de la chaîne de l’Olympos. Le système auquel appartiennent ces montagnes semble commencer aux masses élevées- de diorites comprises sous le nom de mont Skardos ou Skordos (Scardagh)[4], qui n’est séparé des calcaires des Alpes d’Albanie que par la fente étroite contenant la rivière Drill : Du côté méridional de l’Olympos, le Pindos s’avance à peu prés vers le sud, formant la limite entre la Thessalia et l’Epeiros, et projetant vers le 39e degré de latitude la chaîne latérale de l’Othrys, qui se dirige vers l’est, et atteint la mer entre la Thessalia et la côte septentrionale de l’Eubœa. Au sud de l’Othrys, la chaîne du Pindos, sous le nom de Tymphrêstos, se prolonge encore, jusqu’à ce qu’une autre chaîne latérale, appelée Œta, en descende vers l’est, formant la côte élevée immédiatement au sud du golfe Maliaque, arec la route étroite des Thermopylæ entre les deux, et se terminant au détroit Eubœen. A son point de jonction avec l’Œta, la chaîne du Pindos se bifurque en deux branches, l’une se dirigeant à l’ouest-sud-ouest, et arrivant à travers l’Ætolia, sous les noms d’Arakynthos, de Kourios, de Korax et de Taphiassos, au promontoire appelé Antirrhion, situé du côté septentrional de l’entrée étroite du golfe de Corinthe, en face du promontoire correspondant de Rhion dans le Péloponnèse ; l’autre allant vers le sud-est, et formant le Parnassos Melikôn et le Kithærôn ; en effet, l’Ægaleus et l’Hymettos, même jusqu’au cap le plus méridional de l’Attique, Sunion, peuvent être considérés comme une continuation de cette chaîne. De l’extrémité orientale de l’Œta, aussi, une chaîne de collines, inférieure en hauteur à la précédente, prend son point de départ dans la direction du sud-est, sous les divers noms de Knêmis, de Ptôon et de Teumêssos. Elle est jointe au Kithærôn par la communication latérale, allant de l’ouest à l’est, appelée Parnês ; tandis que le célèbre Pentelikos, abondant en carrières de marbre, forme l’anneau, qui la rattache, au sud du Parnês, à la chaîne du Kithærôn jusqu’au cap Sunion.

Du promontoire Antirrhion, la ligné de montagnes traverse dans le Péloponnèse, et s’étend dans une dilection méridionale jusqu’à l’extrémité de la Péninsule appelée Tænaros, aujourd’hui le cap Matapan. Formant la limite entre l’Elis et la Messênia d’un côté, l’Arkadia et la Laconie de l’autre, elle porte successivement les noms de Olenos, Panachaikos, Pholoê, Erymanthos, Lykæos, Parrhasios et Têygetês (Taygète). Une autre suite de montagnes part du Kithærôn en se dirigeant vers le sud-ouest, constituant sous les noms de Geraneia et d’Oneia le territoire élevé qui d’abord, en subissant une dépression, forme l’isthme de Corinthe, et se relève ensuite pour s’étendre dans le Péloponnèse. L’une de ses branches se dirige à l’ouest le long du nord de l’Arkadia, comprenant l’Akrokorinthos ou citadelle de. Corinthe, le pic élevé de Kyllênê, les monts Aroanii et Lampeia, et touchant enfin aux monts Erymanthos et Pholoê, tandis que l’autre branche va au sud vers le cap situé au sud-est du Péloponnèse, le redoutable cap Malea ou Saint-Angelo, et se présente sous les noms successifs d’Apesas, d’Artemision, de Parthenion, de Parnôn, de Thornax et de Zarêx.

A partir de l’extrémité orientale de l’Olympos, dans une direction presque est-sud-est, s’étend la chaîne de montagnes appelée d’abord Ossa et ensuite Peliôn, jusqu’à l’extrémité sud-est de la Thessalia. On peut considérer l’épine dorsale longue, élevée et nue de l’île d’Eubœa comme une continuation et de cette chaîne et de celle de l’Othrys. La ligne se prolonge plus loin par une série d’îles dans l’Archipel, Andros, Tênos, Mykonos et Naxos, appartenant au groupe appelé Cyclades, ou îles entourant le centre sacré de Dêlos. Parmi ces Cyclades, d’autres sont de la même manière une continuation de la chaîne qui s’étend jusqu’au cap Sunion ; Keôs, Kythnos, Seriphos et Siphnos s’unissent à l’Attique, comme Andros à l’Eubœa. Et nous pourrions même considérer la grande île de Krête comme une prolongation du système de montagnes qui résiste aux vents et aux flots au cap Malea, l’île de Kythêra formant l’anneau intermédiaire entre ces deux points. Skiathos, Skopelos et Skyros, au nord-est de l’Eubœa, se montrent aussi comme pics avancés de la chaîne qui comprend Peliôn et l’Eubœa[5].

Par cette brève esquisse, que le lecteur comparera naturellement avec l’une des cartes modernes du pays, on verra que la Grèce propre est un des territoires les plus montagneux de l’Europe. Car bien qu’il convienne, en donnant une vue systématique de l’aspect de la contrée, de grouper le grand nombre des montagnes en certaines chaînes ou suites, fondées sur une uniformité approximative de direction, cependant en réalité il y a tant de ramifications et de pics dispersés, si grand est le nombre des collines et des rochers de grandeur et d’élévation différentes, qu’une proportion relativement petite de la surface reste au pays plat. Il n’existe d’un bout à l’autre de la Grèce propre que peu de plaines continues et même que peu de vallées continues. C’est en Thessalia, en Ætolia, dans la partie occidentale du Péloponnèse et dans la Bœôtia que l’on voit les espaces les plus considérables de pays plat ; mais des montagnes irrégulières, des vallées, fréquentes mais isolées, des bassins fermés par des terres, ainsi que des pentes, qui se rencontrent sauvent, mais sont rarement d’une grande étendue, voile ce qui forme le caractère du pays[6].

Les îles des Cyclades, l’Eubœa, l’Attique, la Laconie, consistent dans leur plus grande partie en schiste micacé, combiné avec de la pierre calcaire granulaire cristalline qui souvent le couvre[7]. Le centre et l’ouest du Péloponnèse, aussi bien que le pays situé au nord du golfe de Corinthe depuis le golfe d’Ambrakia jusqu’au détroit de l’Eubœa, présentent une formation calcaire variant dans différentes localités quant a la couleur, la, consistance et la dureté, mais en général appartenant a la craie ou s’en rapprochant ; elle est souvent très compacte, mais elle se distingue d’une manière marquée de la pierre calcaire cristalline mentionnée plus haut. Les deux sommets les plus élevés en Grèce[8] — tous deux cependant plus bas que l’Olympos, qu’on estime avoir 9.700 pieds = 2.957 mètres — offrent cette formation, le Parnassos qui atteint 8.000 pieds (2.438 mètres), et le sommet du Saint-Elias dans le Têygetês, qui n’a pas moins de 7.800 pieds (2.377 mètres). On trouve dans beaucoup de parties du schiste argileux et des conglomérats de sable, de chaux et d’argile ; un conglomérat serré et solide de chaux compose l’isthme de Corinthe ; des dépôts peu compactes de galets et de brèche calcaire occupent aussi quelques portions du territoire. Mais les éléments les plus importants et les plus essentiels du sol grec consistent en formations, de diluvion et d’alluvion, qui remplissent les cuvettes et les bassins et résultent de la décomposition des roches voisines plus anciennes. C’est dans ces formations que résident les forces productives du pays, et c’est d’elles que dépendent les grains et les végétaux nécessaires à la subsistance du peuple. Les régions montagneuses sont à un haut degré stériles, dénuées à présent de bois ou de toute végétation utile, bien qu’il y ait des raisons pour croire qu’elles étaient mieux boisées dans l’antiquité : dans beaucoup d’endroits cependant, et particulièrement en Ætolia et en Akarnania, elles fournissent du bois de construction en grande quantité, et partout des pâturages pour le bétail pendant l’été, au moment où les plaines sont complètement brûlées[9].

Pour les autres espèces de subsistances, on dépend des vallées, qui sont parfois d’une singulière fertilité. Les terres basses de la Thessalia, la vallée du Kêphisos et les bords du lac Kôpaïs en Bœôtia, la portion occidentale de l’Elis, les plaines de Stratos sur les confins de l’Akarnania et de l’Ætolia, et celles qui avoisinent le fleuve Pamisos en Messênia, sont maintenant et étaient dans les anciens temps remarquables par l’abondance de leurs productions.

Outre la rareté du bois de chauffage, il y a encore un autre inconvénient sérieux auquel sont exposées les basses terres de la Grèce : c’est le manque d’un approvisionnement d’eau à la fois suffisant et régulier[10]. Il tombe beaucoup de pluie pendant les mois d’automne et d’hiver, peu ou point durant l’été ; tandis que la pierre calcaire nue des nombreuses collines n’absorbe ni ne retient l’humidité, de sorte que la pluie s’écoule aussi rapidement qu’elle tombe. Il y a peu de sources[11]. La plupart des rivières sont des torrents au commencement du printemps, et sont desséchées avant la fin de l’été : les nombreuses combinaisons de l’ancienne langue désignaient le torrent d’hiver par un mot spécial et séparé[12]. Les fleuves les plus considérables du pays sont le Pêneios, qui emporte toutes les eaux de la Thessalia, trouvant, pour aller se jeter dans la mer figée, une issue à travers le défilé étroit qui sépare l’Ossa de l’Olympos, et l’Achelôos, qui coule en partant du Pindos dans une direction sud-ouest, séparant l’Ætolia de l’Akarnania, et se déchargeant dans la mer Ionienne ; l’Euênos prend aussi naissance dans une partie plus méridionale de la même chaîne de montagnes et tombe dans la même mer plus à l’est. Les rivières placées plus au sud ont un cours inégal et moins considérable.

Le Kêphisos et l’Asôpos en Bœôtia, le Pamisos en Messênia, conservent chacun un courant languissant pendant tout l’été ; tandis que l’Inachos près d’Argos, le Kêphisos et l’Ilissos près d’Athènes, sont en réalité de chétifs cours d’eau, encore plus au-dessous de leur grande célébrité poétique. L’Alpheios et le Spercheios sont des fleuves considérables ; l’Achelôos est encore plus important[13]. La quantité de vase entraînée et déposée par son courant bourbeux produisit un accroissement sensible de la terre à son embouchure, pendant le temps que Thucydide put l’observer[14].

Mais la disposition et les propriétés du territoire grec, bien que ne conservant pas de rivières permanentes, sont favorables à la multiplication des lacs et des marais. Il y a de nombreux bassins creux et fermés, d’où l’eau ne peut s’échapper en débordant, et où, si elle ne se fait elle-même un passage souterrain par des fentes dans les montagnes, elle reste, soit comme marais, soit comme lac, selon la saison. En Thessalia nous trouvons les lacs Nessônis et Bœbêis ; en Ætolia, entre l’Achelôos et l’Euênos, Strabon mentionne le lac de Trichônis, outre plusieurs autres lacs, dont il est difficile clé constater l’identité individuellement, quoique la quantité de terrain couverte par le marais ou le lac soit au total très considérable. En Bœôtia sont situés les lacs Kôpaïs, Hylikê et Harma ; le premier des trois formé surtout par la rivière Kêphisos, coulant du Parnassos au nord-ouest, et se faisant un cours sinueux à travers les montagnes de la Phokis. Au nord-est et à l’est, le lac Kôpaïs est borné par les hautes terres du mont Ptôon, qui intercepte sa communication avec le détroit de l’Eubœa. A travers la pierre calcaire de cette montagne l’eau a trouvé ou s’est ouvert de force plusieurs cavités naturelles, par lesquelles elle obtient une sortie partielle de l’autre côté de la colline rocheuse, pour couler ensuite dans le détroit. Les Katabothra, comme on les appelait dans l’antiquité, existent encore, mais dans un état imparfait et à moitié obstrués. Cependant, même dans l’antiquité, ils ne suffisaient pas complètement à emporter l’excédent des eaux du Kêphisos ; car on trouve encore les restes d’un tunnel artificiel, percé à travers toute la largeur du rocher, ayant des ouvertures perpendiculaires à intervalles convenables pour y faire pénétrer l’air d’en haut. Ce tunnel, un des restes les plus intéressants de l’antiquité, puisqu’il doit dater du temps de la prospérité de l’ancienne Orchomenos, avant son absorption dans la ligue bœôtienne aussi bien qu’avant la prépondérance de Thèbes, est aujourd’hui obstrué, et dès lors inutile. Il peut avoir été bouché à dessein par la plain d’un ennemi. Le projet d’Alexandre le Gland ; qui chargea un ingénieur de Chalkis de le rouvrir, échoua d’abord à cause de mécontentements survenus en Bœôtia, et finalement par suite de la mort prématurée[15] du roi.

Les Katabothra du lac Kôpaïs sont un spécimen du phénomène si fréquent en Grèce des lacs et des rivières se faisant des passages souterrains à travers lest cavités dans des roches calcaires, et même poursuivant leur course invisible jusqu’à une distance considérable avant de reparaître a la lumière du ,jour. En Arkadia particulièrement, on trouve plusieurs exemples remarquables de communication souterraine pour les eaux : cette région centrale du Péloponnèse présente un groupe de vallées et de bassins ainsi complètement entourés[16].

On verra par ces circonstances que la Grèce, à considérer son étendue totale limitée, n’offre que peu de motifs, et encore moins de moyens commodes pour une communication intérieure entre les divers habitants[17]. Chaque village ou municipe, occupant sa plaine avec les montagnes qui l’entouraient[18], pourvoyait à ses propres besoins principaux, tandis que le transport de denrées par terre était assez difficile pour décourager beaucoup tout commerce régulier avec des voisins. En ce qui concernait l’aspect de l’intérieur du pays, il semblait que la nature avait voulu, dès le principe ; tenir la population de la Grèce désunie au point de vue social et politique, en établissant tant de murs de séparation et tant de bornes, généralement difficiles, quelquefois impossibles, à franchir. Cependant une seule cause spéciale de relations naissait de cette même constitution géographique du pays et de cette succession continue dé montagnes et de vallées. La différence de climat et de température entre les hautes et les basses terres est très grande ; la moisson est rentrée dans un endroit avant qu’elle soit mûre dans un autre, et le bétail trouve pendant la chaleur de l’été abri et pâture sur les collines, dans un temps où les plaines sont entièrement brûlées[19]. L’usage de faire passer les troupeaux des montagnes dans la plaine selon le changement de saison, encore observé comme dans les temps anciens, se rattache intimement à la structure du pays, et doit depuis l’époque la plus reculée avoir amené des communications entre des villages désunis autrement[20].

Toutefois ces difficultés dans le transit intérieur par terre étaient largement contrebalancées par la proportion considérable de côtes et la facilité que donnait la mer d’aborder dans le pays. Les saillies et les dentelures que présente la ligne des côtes de la Grèce ne sont guère moins remarquables que le grand nombre de hauteurs et de dépressions qui marquent partout la surface[21]. Les géographes anciens comparaient à la feuille d’un platane la forme du Péloponnèse, avec ses trois golfes au sud (Argolique, Lacanien et Messénien) : le golfe de Pagasæ à l’est de la Grèce, et celui d’Ambrakia à l’ouest, avec leur entrée étroite et leur superficie considérable, sont équivalents à des lacs intérieurs : Xénophon vante la double mer qui embrasse une si grande partie de l’Attique, Ephore, la triple mer qui rend la Bœôtia accessible à l’ouest, au nord et au sud, le détroit de l’Eubœa ouvrant une longue ligne de pays des deux côtés à la navigation le long des côtes[22]. Mais les plus importants de tous les golfes grecs sont le golfe de Corinthe et le golfe Saronique, baignant les rivages nord et nord-est du Péloponnèse, et séparés par l’étroite barrière de l’isthme de Corinthe. Le premier, particulièrement, laisse l’Ætolia, la Phokis et la Bœôtia, aussi bien que toute la côte septentrionale du Péloponnèse, ouvertes à l’accès par eau. Corinthe, dans l’antiquité, servait d’entrepôt pour le commerce entre l’Italie et l’Asie Mineure, les marchandises étant débarquées à Lechæon, le port sur le golfe de Corinthe, et transportées par terre à travers l’isthme jusqu’à Kenchreæ, le port sur le golfe Saronique : en effet, les navires marchands eux-mêmes, quand ils n’étaient pas très grands[23], étaient transportés par la même route. On regardait comme un énorme avantage d’échapper à la nécessité de doubler le cap Malea, et les vents et les courants violents qui, ainsi que l’atteste l’expérience moderne, règnent autour de ce promontoire formidable sont bien suffisants pour justifier les appréhensions du marchand grec de l’antiquité, avec son appareil imparfait de navigation[24].

On verra ainsi qu’il n’y avait aucune portion de la Grèce propre qui pût être considérée comme hors de la portée de la mer, tandis que la plupart de ses parties étaient d’un accès commode et aisé. Effectivement, les Arkadiens étaient la seule section considérable du nom hellénique — nous pouvons ajouter la Tetrapolis dôrienne et les montagnards le long de la chaîne du Pindos et du Tymphrêstos — qui manquât entièrement de port de mer[25]. Mais la Grèce propre ne formait qu’une fraction du monde hellénique entier pendant l’époque historique. Il y avait des îles nombreuses, et des colonies continentales encore plus nombreuses, toutes indépendantes et établies par intrusion sur des points distincts de la côte[26], dans le Pont-Euxin, la mer Ægée, la Méditerranée et l’Adriatique, et éloignées les unes des autres par la distance qui sépare Trébizonde de Marseille. Toutes ces diverses cités étaient comprises dans le nom de Hellas, qui n’impliquait pas une continuité géographique ; toutes se glorifiaient d’être Hellênes par le sang, le nom, la religion et les ancêtres mythiques. De même qu’elles ne pouvaient communiquer entre elles que par mer, de même cet élément, même si important à ne considérer que la Grèce propre exclusivement, était le seul canal qui permît de transmettre les idées et les améliorations, aussi bien que d’entretenir (les sympathies, sociales, politiques, religieuses et littéraires, dans tous ces membres éloignés de l’agrégat hellénique.

Les philosophes et les législateurs anciens furent vivement frappés du contraste qui existe entre une ville de l’intérieur et une ville maritime : dans la première, simplicité et uniformité de vie, attachement tenace aux anciennes habitudes et éloignement pour tout ce qui est- nouveau et étranger, grande force de sympathie exclusive et horizon étroit aussi bien pour les choses que pour les idées ; dans la dernière, variété et nouveauté de sensations, imagination expansive, tolérance, et par occasion préférence pour des coutumes étrangères, plus grande activité dans l’individu et mutabilité correspondante dans l’état. Cette distinction est prononcée dans les nombreuses comparaisons établies entre l’Athènes de Periklês et l’Athènes des temps plus anciens jusqu’à Solôn. Platon et Aristote insistent tous deux expressément sur ce point ; et particulièrement le premier, dont le génie concevait le vaste projet de prescrire à l’avance et d’assurer en pratique toute la marche de la pensée et du sentiment individuels dans sa communauté imaginaire, regarde la communication par mer, poussée au delà des limites les plus étroites, comme fatale au succès et à la durée de tout plan sage d’éducation. Il est certain qu’il existait une grande différence de caractère entre les Grecs qui se mêlaient beaucoup d’affaires maritimes et ceux qui ne le faisaient pas. L’Arkadien peut être pris comme type de l’homme de terre grec pur, avec ses habitudes rustiques et illettrées[27], son régime de châtaignes douces, de gâteaux d’orge et de porc — comparé avec le poisson qui formait le principal assaisonnement pour la nourriture d’un Athénien —, sa patience et son courage supérieurs, son respect pour l’autorité suprême des Lacédæmoniens comme influence ancienne et habituelle, la stérilité de son intelligence et de son imagination aussi bien que sa négligence dans une entreprise, sa grossièreté invariable dans ses rapports avec les dieux, qui l’amenait à flageller et à piquer Pan s’il revenait de la chasse les mains vides ; tandis que l’habitant de Phokæa ou de Milêtos représente le marin grec ardent à la recherche du gain, actif, adroit et audacieux en mer, mais inférieur en fermeté et en bravoure sur terre, ayant une imagination plus facile à exciter aussi bien qu’un caractère plus changeant, magnifique dans les dépenses et dans la pompe des manifestations religieuses en l’honneur d’Artémis d’Ephesos ou d’Apollon de Branchidæ ; avec un esprit plus ouvert aux variétés de l’énergie grecque et à l’action purifiante de la civilisation grecque. Les Péloponnésiens en général, et les Lacédæmoniens en particulier, se rapprochaient du type arkadien, tandis que les Athéniens du cinquième siècle avant J.-C. étaient les premiers modèles de l’autre type, en y ajoutant toutefois une délicatesse de goût et une supériorité de sympathie et de jouissances intellectuelles qui semblent leur avoir été particulières.

La configuration du territoire de la Grèce, si semblable sous bien des rapports à celui de la Suisse, produisit deux effets d’une grande importance sur le caractère et l’histoire du peuple. D’abord elle fortifia considérablement leurs moyens de défense : elle ferma le pays à ces invasions venant de l’intérieur qui subjuguèrent successivement toutes leurs colonies continentales ; en même temps elle faisait que chaque fraction était moins facilement attaquée par le reste, et elle exerçait une certaine influence conservatrice en assurant le droit des possesseurs actuels ; car le défilé des Thermopylæ entre la Thessalia et la Phokis, celui du Kithærôn entre la Bœôtia et l’Attique, ou la chaîne des monts Oneion et Geraneia le long de l’isthme de Corinthe, étaient des positions qu’un nombre inférieur d’hommes braves pouvait défendre contre des forces assaillantes beaucoup plus considérables. Bais, en second’ lieu, si cette configuration tendait à protéger chaque section des Grecs contre le danger d’une conquête, elle les tenait aussi désunis politiquement et perpétuait leur autonomie séparée. Elle entretenait ce principe puissant de répulsion qui disposait même le plus petit municipe à former lui-même une unité politique séparément du reste, et à résister à toute idée d’union avec d’autres, soit volontaire, soit obligatoire. Pour un lecteur moderne, accoutumé aux agrégats politiques considérables et aux garanties de bon gouvernement que présente le système représentatif, il faut un certain effort d’esprit pour se transporter en arrière à une époque où la ville même la plus petite tenait si fortement au droit de se donner elle-même ses lois. Néanmoins tels étaient en général l’habitude et le sentiment de l’ancien monde, d’un bout à l’autre de l’Italie, de la Sicile, de l’Espagne et de la Gaule. Parmi les Hellênes, ce fait est plus apparent, pour plusieurs raisons : d’abord, parce qu’ils semblent avoir poussé la multiplication d’unités autonomes à un point extrême, si l’on considère que, même des îles pas plus grandes que Peparêthos et Amorgos, avaient deux. ou trois municipes séparés[28] ; en second lieu, parce qu’ils produisirent, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des penseurs ingénieux et systématiques en fait de questions de gouvernement, qui tous acceptaient comme base indispensable de toute spéculation politique l’idée de la cité autonome ; en troisième lieu, parce, que cette subdivision irrémédiable devint finalement la cause de leur ruine, malgré leur supériorité intellectuelle marquée sur leurs conquérants ; et enfin parce que l’impossibilité d’une union politique n’empêcha pas une sympathie puissante et étendue d’exister entre les habitants de toutes les villes séparées, avec une tendance constante à fraterniser pour de nombreux besoins sociaux, religieux, intellectuels, esthétiques, ‘et aussi de plaisir. D’après ces raisons, la multiplication illimitée de villes autonomes, bien qu’elle soit en réalité un phénomène commun à l’ancienne Europe, quand on le compare aux monarchies immenses de l’Asie, parait plus marquée chez les anciens Grecs qu’ailleurs ; et on ne peut douter qu’ils ne le doivent, dans une large mesure, à la multitude de limites qui les isolaient et que présentait la configuration de leur pays.

II n’y a pas non plus de témérité à supposer que les mêmes causes peuvent avoir contribué à favoriser ce développement intellectuel original qui les rend si remarquables. Des conclusions générales tirées de l’influence du climat et de l’action physique sur le caractère peuvent en effet tromper ; car la connaissance que nous avons du globe est suffisante aujourd’hui pour nous apprendre que le chaud et le froid, la montagne et la plaine, la mer et la terre, l’atmosphère humide et sèche, en un mot, que toutes ces circonstances peuvent se concilier avec les plus grandes variétés parmi les hommes qui l’habitent ; en outre, le contraste qui existe entre la population de la Grèce elle-même, pendant les sept siècles précédant l’ère chrétienne, et la Grèce d’une époque plus moderne, suffit seul pour inspirer de la réserve dans de pareilles spéculations. Néanmoins nous pouvons nous permettre de signaler certaines influences propres à favoriser les progrès, se rattachant d leur position géographique, dans un temps où ils n’avaient ni livres à étudier, ni prédécesseurs plus avancés à imiter. Nous pouvons faire remarquer, d’abord, que leur position en faisait à la fois des montagnards et des marins, leur procurant ainsi une grande variété d’objets, de sensations et d’aventures ; ensuite, que chaque petite communauté, retirée à part au milieu de ses rochers comme dans un nid[29], était suffisamment séparée du reste pour avoir une vie individuelle et des attributs particuliers, sans l’être toutefois assez pour qu’elle fût soustraite aux sympathies des autres communautés ; de sorte qu’un Grec observateur, dans ses relations avec une grande diversité de demi-concitoyens dont il comprenait la langue et pouvait apprécier les tempéraments particuliers, avait accès à une masse plus considérable d’expérience sociale et politique que tout autre homme n’en pouvait acquérir personnellement à une époque si peu avancée. Le Phénicien, supérieur au Grec à bord de son navire, traversait de plus vastes espaces et voyait une plus grande quantité d’étrangers, mais il n’avait pas les mêmes moyens de commerce intime avec un’ aussi grand nombre d’hommes unis par le sang et le langage. Ses rapports, se bornant à acheter et à vendre ; ne comprenaient pas cette action et cette réaction mutuelles qui pénétraient la foule dans une fête grecque. La scène qui dans cette circonstance frappait les yeux était un mélange d’uniformité et de variété, puissant stimulant pour les facultés observatrices d’un homme de génie, qui en même temps, s’il songeait à communiquer aux autres ses impressions personnelles, ou à agir sur cet auditoire composé d’éléments mêlés et divers, était forcé de se défaire de ce qui était particulier à sa propre ville ou à sa communauté, et d’exposer un sujet en harmonie avec les sentiments de tous. C’est ainsi que nous pouvons expliquer en partie cette intelligence profonde de la vie et du caractère de l’homme, et ce pouvoir d’éveiller des sympathies communes à tous les âges et à toutes les nations, qui nous étonnent tant dans les auteurs illettrés de l’ancienne épopée. De telles relations réciproques et périodiques entre frères habituellement isolés les uns des autres était le seul moyen alors ouvert de procurer au barde une sphère variée d’expérience et un auditoire aux mille nuances ; et c’était, dans une large mesure, le résultat de causes géographiques. Peut-être pouvait-il s’être trouvé chez d’autres nations de pareilles circonstances favorables ; cependant elles n’ont produit aucun résultat comparable à l’Iliade et à l’Odyssée. Néanmoins, Homère dépendait des conditions de son époque, et nous pouvons du moins signaler ces particularités dans l’ancienne société grecque sans lesquelles Homère, le poète par excellence, n’aurait jamais existé : la position géographique d’une part, et la langue de l’autre.

La Grèce ne se distinguait pas en richesses minérales et métalliques. On obtenait de l’or en quantité considérable dans l’île de Siphnos, qui, pendant tout le sixième siècle avant J.-C., fut au nombre des plus opulentes communautés de la Grèce, et possédait à Delphes un trésor distingué pour la richesse de ses offrandes votives. A cette époque, l’or était si rare en Grèce, que les Lacédæmoniens furent obligés d’envoyer vers le Lydien Crésus, afin de s’en procurer la quantité nécessaire pour dorer une statue[30]. Il paraît avoir été plus abondant en Asie Mineure ; et ce qui en multiplia beaucoup la quantité ‘en Grèce, ce fut l’ouverture de mines en Thrace, en Macedonia, dans l’Epeiros, et même dans quelques parties de la Thessalia. Dans l’île de Thasos aussi, on rouvrit avec un résultat profitable quelques mines que des colons phéniciens d’un siècle antérieur avaient commencé primitivement à exploiter, et qu’ils avaient abandonnées ensuite. De ces mêmes districts on retira également une quantité considérable d’argent ; tandis que, vers le commencement du cinquième siècle avant J.-C., il semble qu’on commença réellement pour la première fois à tirer parti du riche district méridional de l’Attique, appelé Laureion. On obtenait du cuivre dans diverses parties de la Grèce, particulièrement à Cypros et dans l’Eubœa ; et, dans cette dernière île, on trouvait aussi la terre appelée Cadmia, employée pour purifier le minerai. Les Grecs employaient du bronze pour une foule d’objets que l’on fabrique aujourd’hui en fer, et même les armes des héros homériques — différents sous ce rapport des Grecs historiques postérieurs — sont faites de cuivre, trempé par un procédé qui lui donne une dureté étonnante. On trouvait du fer en Eubœa, en Bœôtia et à Mêlos, mais encore plus abondamment dans la région montagneuse du Têygetès Laconien. Il n’y a cependant pas de partie de la Grèce où les restes de la métallurgie ancienne paraissent aujourd’hui aussi évidents que l’île de Seriphos. Tout le monde connaît la supériorité et les variétés du marbre de Pentelikos, de l’Hymettos, de Paros, de Karystos, etc., et d’autres parties du pays, si essentiel pour les besoins de la sculpture et de l’architecture[31].

Située sous les mêmes parallèles de latitude que la côte de l’Asie-Mineure et que les régions les plus méridionales de l’Italie et de l’Espagne, la Grèce produisait du froment, de l’orge, du lin, du vin et de l’huile, aux époques les plus anciennes dont nous ayons connaissance, bien que les raisins de Corinthe, le maïs, la soie et le tabac que le pays présente aujourd’hui soient une addition due à des temps plus récents. Théophraste et d’autres auteurs attestent amplement le caractère observateur et industrieux de l’agriculture, qui prévalait chez les anciens Grecs, aussi bien que le soin avec lequel on mettait à profit les diverses productions naturelles (lu sol, comprenant une grande diversité de plantes, d’herbes et d’arbres. Il semble qu’on s’occupait tout particulièrement de la culture de la vigne et de l’olivier, ce dernier étant indispensable à la vie ancienne, non seulement pour les besoins auxquels il sert aujourd’hui, mais aussi à cause de l’habitude constante, dominant alors, de se frotter le corps d’huile ; et les nombreux et divers accidents de sol, de niveau et d’exposition, que l’on pouvait trouver non seulement dans la Hellas propre, mais encore dans les établissements grecs dispersés, fournissaient aux cultivateurs attentifs matière à étude et à comparaison. Le gâteau d’orge semble avoir été mangé plus généralement que le pain de froment[32] ; mais l’un ou l’autre, avec des légumes et du poisson (quelquefois frais, mais plus souvent salé), était la nourriture commune de la population ; les Arkadiens mangeaient beaucoup de porc, et les Spartiates aussi consommaient de la nourriture animale ; mais les Grecs, en général, semblent s’être peu nourris de viande fraîche, excepté dans les fêtes et les sacrifices. Les Athéniens, le peuple le plus commerçant de la Grèce propre, bien qu’ils retirassent de l’orge excellente de leur sol léger, sec et relativement pauvre, ne cultivaient pas néanmoins assez de blé pour leur consommation ; ils importaient des provisions considérables de blé de Sicile, des côtes du Pont-Euxin et de la Chersonèse Taunique, ainsi que du poisson salé de la Propontis et même de Gadès[33]. La distance d’où venaient ces approvisionnements, si nous prenons en considération l’étendue des beaux champs de blé de la Bœôtia et de la Thessalia, prouve combien il y avait peu de commerce intérieur entre les diverses régions de la Grèce propre. Les exportations d’Athènes consistaient en figues et autres fruits, en olives, en huile, toutes productions pour lesquelles elle était renommée, conjointement avec la poterie, des objets d’ornements manufacturés, et l’argent de ses mines de Laureion. Sans doute le poisson salé s’introduisait plus ou moins dans toute la Grèce[34] ; mais la population d’autres États de la contrée vivait plus exclusivement de ses propres produits que les Athéniens, en achetant et en vendant moins[35], genre de vie favorisé par la simple économie domestique dominant universellement, où les femmes non seulement cardaient et filaient toute la laine, niais encore en tissaient les vêtements et le coucher employés dans la famille. Tisser était alors considéré comme l’occupation d’une femme aussi bien que filer, et le même sentiment et les mômes habitudes dominent encore à présent dans la Grèce moderne, où l’on voit constamment dans les chaumières des paysans le métier auquel ne travaillent jamais que les femmes[36].

Le climat de la Grèce parait être en général décrit par des voyageurs modernes en termes plus favorables qu’il ne l’était par les anciens, ce qui peut facilement s’expliquer par l’intérêt classique, les beautés pittoresques et l’atmosphère transparente, si vivement appréciés par des yeux anglais ou allemands. Hérodote[37], Hippocrate et Aristote regardent le climat de l’Asie comme exerçant une influence beaucoup plus fécondante et plus favorable è, la fois sur la vie animale et sur la vie végétale, mais en même temps plus énervante que celui de la Grèce ; ils parlent de ce dernier surtout sous le rapport de son caractère changeant et des diversités de température locale, qu’ils considèrent comme un puissant stimulant pour l’énergie des habitants. Il y a lieu de conclure que l’ancienne Grèce était beaucoup plus saine que le même territoire ne l’est à présent, en ce qu’elle était cultivée d’une manière plus industrieuse, et que les villes étaient à la fois administrées avec plus de soin et mieux fournies d’eau. Mais les différences quant à la salubrité, entre une portion de la Grèce et une autre portion, paraissent toujours avoir été considérables ; et cette circonstance, aussi bien que les variétés de climat, influa sur les habitudes locales et le caractère des sections particulières. Non seulement il y avait de grandes différences entre les montagnards et les habitants des plaines[38], entre les Lokriens, les Ætoliens, les Phokiens, les Dôriens, les Œtæens et les Arkadiens d’un côté, et les habitants de l’Attique, de la Bœôtia et de l’Elis de l’autre ; mais chacune de ces diverses tribus qui concourait à composer ces catégories avait ses particularités ; et l’on supposait que le contraste marqué qui existait entre les Athéniens et les Bœôtiens était représenté par l’atmosphère légère et lourde qu’ils respiraient respectivement. Ce n’était pas tout non plus ; car, même dans l’agrégat bœôtien, chaque ville avait ses propres attributs séparés, physiques aussi bien que moraux et politiques[39]. Les Bœôtiens connaissaient Orôpos, Tanagra, Thespiæ, Thèbes, Anthêdôn, Haliartos, Korôneia, Onchêstos et Platée, chacune par sa propre épithète caractéristique, et Dikæarque même signale une distinction marquée entre les habitants de la cité d’Athènes et ceux du pays de l’Attique. Sparte, Argos, Corinthe et Sikyôn, bien qu’elles soient toutes appelées Dôriennes, avaient chacune leur dialecte et leur caractère particuliers. Toutes ces différences, dépendant en partie du climat, de la situation et d’autres considérations physiques, contribuaient à nourrir des antipathies et à perpétuer cette cohésion imparfaite, qui a déjà été mentionnée comme un trait indélébile de la Hellas.

Les tribus des Épirotes, voisines des Ætoliens et des Akarnaniens, remplissaient l’espace qui est entre le Pindos et la mer Ionienne pour rejoindre au nord le territoire habité par les puissants et barbares Illyriens. C’est de ces Illyriens que paraissent avoir fait partie, comme section éloignée, les tribus macédoniennes indigènes, habitant au nord de la Thessalia et du mont Olympos, à l’est de la chaîne qui continue le Pindos, et à l’ouest de la rivière Axios. Les Épirotes étaient compris sous les diverses dénominations de Charniens, de Molosses, de Thesprotiens, de Kassopæens, d’Amphilochiens, d’Athamânes, d’Æthikes, de Tymphæi, d’Orestæ, de Paroræi et d’Atintânes[40], la plupart de ces derniers formant de petites communautés dispersées dans la région montagneuse du Pindos. Il y avait cependant une grande confusion dans l’application du nom compréhensif d’Épirote, qui était un titre donné exclusivement par les Grecs, et donné purement d’après des considérations géographiques, et non ethniques. L’Epeiros semble d’abord avoir été opposée au Péloponnèse, et avoir signifié en général la région située au nord du golfe de Corinthe, et dans ce sens primitif il comprenait les Ætoliens et les Akarnaniens, dont des portions parlaient un dialecte difficile à comprendre, et s’éloignaient des habitudes helléniques tout autant que les Épirotes[41].

Le point d’union entre les Grecs et les Épirotes était anciennement l’oracle de Dôdônê, qui fut remplacé par Delphes à mesure que la civilisation de la Hellas se développa. Il n’est pas non plus moins difficile de distinguer les Épirotes des Macédoniens d’un côté, que des Hellênes de l’autre, la langue, le vêtement et la manière de porter les cheveux étant souvent analogues, tandis qu’on comprenait très inexactement les limites parmi des hommes grossiers et dans des pays inexplorés[42].

En décrivant les contrées occupées par les Hellênes en 776 avant J.-C., nous ne pouvons pas encore tenir compte des importantes colonies de Leukas et d’Ambrakia, établies postérieurement par les Corinthiens sur la côte occidentale de l’Épeiros. Les pays habités par les Grecs de cet ancien temps semblent comprendre les îles de Kephallenia, de Zakynthos, d’Ithakê et de Dulichion, mais il parait qu’il n’y avait aucun établissement situé plus vers le nord, soit dans l’intérieur des terres, soit dans des îles.

Ils renfermaient en outre, en nous limitant à l’an 776 avant J.-C., la grande quantité d’îles qui se trouvent entre la côte de la Grèce et celle de l’Asie-Mineure, de Ténédos au nord, jusqu’aux îles de Rhodes, de Krête et de Kythêra au sud ; et les grandes îles de Lesbos, de Chios, de Samos et d’Eubœa, aussi bien que les groupes appelés les Sporades et les Cyclades. Quant aux quatre îles considérables plus voisines des côtes de la Macedonia et de la Thrace, Lemnos, Imbros, Samothrace et Thasos, on peut douter qu’elles fussent devenues helléniques à cette époque. Le Catalogue de l’Iliade comprend, sous les ordres d’Agamemnôn, des contingents d’Ægina, d’Eubœa, de Krête, de Karpathos, de Kasos, de Kôs et de Rhodes ; dans le plus ancien témoignage épique que nous possédions, ces îles paraissent ainsi habitées par des Grecs ; mais les autres ne se rencontrent pas dans le Catalogue, et ne sont jamais mentionnées de manière è, nous permettre de tirer une conclusion quelconque. On devrait peut-être considérer l’Eubœa plutôt comme une portion du continent grec — dont elle n’est séparée que par un détroit assez peu large pour que l’on puisse y jeter un pont — que comme une île. Mais les cinq dernières îles nommées dans le Catalogue sont toutes dôriennes, soit complètement, soit partiellement : on n’y voit pas d’île ionienne ni æolienne ; ces dernières, bien que ce fût au milieu d’elles que chantait le poète, paraissent être représentées par leurs ancêtres héroïques qui viennent de la Grèce propre.

Le dernier élément à comprendre comme contribuant à compléter la Grèce de 776 avant J.-C. est la longue chaîne d’établissements dôriens, ioniens et æoliens sur la cote de l’Asie Mineure, occupant un espace borné au nord par la Troade et la région de l’Ida, et s’étendant au sud jusqu’à la péninsule de Knidos. Douze cités continentales, en outre les -les de Lesbos et de Tenedos, sont mentionnées par Hérodote comme d’anciennes fondations æoliennes ; ce sont Smyrna, Kymâ, Larissa, Neon-Teichos, Témnos, Killa. Notion, Ægirœssa, Pitana, Ægæ, Myrina et Gryneia. Smyrna, qui avait d’abord été æolienne, fut ensuite acquise au moyen d’un stratagème par des habitants ioniens, et resta ionienne d’une manière permanente. Phokæa, le plus septentrional des établissements ioniens, confinait à l’Æolis : Klazomenæ, Erythræ, Teôs, Lebedos, Kolophôn, Priênê, Myous et Milêtos prolongeaient au sud le nom ionien. Ces villes, conjointement avec Samos et Chios, formaient la fédération Panionienne[43]. Au sud de Milêtos, après un intervalle considérable, se trouvaient les établissements dôriens de Myndos, d’Halikarnassos et de Knidos ; les deux derniers, avec l’île de Kôs et les trois municipes dans Rhodes, constituaient l’Hexapôlis dôrienne, ou société de six villes, formée dans l’origine en vue de besoins religieux, mais amenant un résultat secondaire analogue à une fédération politique.

Telle est donc l’étendue de la Hellas, comme elle était au commencement des Olympiades constatées. Pour faire un tableau même à cette date, nous n’avons pas de matériaux authentiques, et nous sommes obligés d’antidater des renseignements qui appartiennent à une époque postérieure ; et cette considération seule pourrait suffire pour montrer combien sont peu prouvées toutes les descriptions de la Grèce de 1183 avant J.-C., l’époque supposée de la guerre de Troie, quatre siècles auparavant.

 

 

 



[1] Cf. Strong, Statistics of the Kinsdom of Greece, p. 2 ; et Kruse, Hellas, vol. I, eh. 3, p. 196.

[2] Dikæarque, 31, p. 469, éd. Fuhr.

[3] Hérodote, I, 116 ; II, 56. Le Molosse Alkôn passe pour Hellêne (Hérodote, VI, 127).

[4] Les systèmes de montagnes dans l’ancienne Macedonia et dans l’Illyricum, au nord de l’Olympos, n’ont été jusqu’ici qu’imparfaitement examinés : V. Dr Griesebach, Reise durch Rumelien et nach Brassa im Iahre 1839, vol. II, ch. 13, p. 113 sqq. (Goetting, 1841), qui renferme beaucoup de renseignements relatifs aux rapports réels de ces montagnes, si on les compare aux idées et aux descriptions différentes qu’on en a données. Les mots par lesquels Strabon (liv. VII, Excerpt., 3, éd. Tzschucke) nous apprend que les monts Skardos, Orbêlos, Rhodopê et Hæmos s’étendent en ligne droite de l’Adriatique au Pont-Euxin, sont inexacts.

V. Travels in Northern Greece de Leake, vol. I, p. 335 : le défilé de Tschangon près de Castoria (par lequel le fleuve Devol passe en venant de l’est pour se jeter dans l’Adriatique à l’ouest) est la seule fente dans cette longue chaîne depuis la rivière Drin au nord jusqu’au rentre de la Grèce.

[5] Pour l’esquisse générale du système de montagnes de la Hellas, v. Kruse, Hellas, vol. I, eh. 4, p. 280-290 ; Dr Cramer, Geography of ancient Greece, vol. I, p. 3-8.

Relativement aux régions septentrionales, l’Epeiros, l’Illyria et la Macedonia, on peut consulter avec fruit le court, mais excellent, traité de O. Müller, Ueber die Makedoner, p. 7 (Berlin, 1825). Ce traité est annexé à la traduction anglaise de son Histoire des Dôriens, due à sir G. C. Lewis.

[6] Des 47.600.000 stremas (= 12 millions acres anglais ou 4.856.000 hectares) compris dans le royaume actuel de Grèce, 26.500.000 sont occupés par des montagnes, des rochers, des rivières, des lacs et des forêts, et 21 millions par la terre arable, les vignes, les oliviers, les champs de raisins de Corinthe, etc. Par terre arable on entend une terre propre à la culture ; car une portion relativement petite en est réellement cultivée a présent (Strong, Statistics of Greece, p. 2, London, 1842).

Le royaume moderne de Grèce ne renferme pas la Thessalia. L’épithète xοιλός (creux) est appliquée à plusieurs des principaux États grecs - Strabon, VIII, p. 381. — La fertilité de la Bœôtia est mentionnée dans Strabon, IX, p. 400, et dans le précieux Fragment de Dikæarque, Βίος Έλλάδος, p. 140, éd. Fuhr.

[7] Pour le caractère géologique et minéralogique de la Grèce, voir les travaux topographiques entrepris par le Dr Fiedler, d’après l’ordre du gouvernement de Grèce, en 1834 et dans les années suivantes (Reise durch alle Theile der Konigreichs Griechenland in Auftrag der K. G. Regierung in den Jahren 1834 bis 1837, particulièrement vol. II, p. 512-530).

[8] Griesebach, Reisen durch Rumelien, vol. II, eh. 13, p. 124.

[9] En traversant la vallée qui est entre l’Œta et le Parnassos, pour se rendre vers Elateia, Fiedler remarque le changement frappant dans le caractère du pays : La Roumélie (i. e. l’Akarnania, l’Ætolia, la Lokris Ozolienne, etc.), boisée, bien arrosée, et couverte d’un bon sol, cesse tout à coup et d’une manière abrupte ; tandis que des montagnes de pierre calcaire rocailleuse d’un gris blanc offrent le caractère froid de l’Attique et de la Morée. (Reise, I, p. 213.)

L’hymne homérique à Apollon représente même le πέδιον πυρήφορον de Thèbes comme ayant été dans son état primitif couvert de bois (v. 227). — Le meilleur bois de construction employé par les anciens Grecs venait de Macedonia, du Pont-Euxin, et de la Propontis : celui du mont Parnassos et de l’Eubœa était regardé comme très mauvais ; celui de l’Arcadia comme meilleur (Theophr., V, 2, 1 ; III, 9).

[10] V. Fiedler, Reise, etc., vol. I, p. 84, 219, 362, etc.

Fiedler et Strong (Statistics of Greece, p. 169) insistent avec beaucoup de raison sur l’inestimable valeur de puits artésiens pour le pays.

[11] Ross, Reise auf den Griechischen Inseln, vol. I, lettre 2, p. 12.

[12] La langue grecque semble être la seule qui ait le terme χειμαρροΰς - les Wadis d’Arabie font voir également une abondance et une violence extrêmes des eaux pendant un temps, alternant avec une sécheresse absolue (Kriegk, Schriften zur allgemeinen Erdkunde, p. 201, Leipzig, 1810).

[13] La plupart des Echinades sortent aujourd’hui de la terre sèche qui s’est accumulée à l’embouchure de l’Achelôos.

[14] Thucydide, II, 102.

[15] Strabon, IX, p. 497.

[16] Le colonel Leake fait remarquer (Travels in Morea, vol. III, p. 45, 153-159) : La plaine de Tripolitza (anciennement celle de Tegea et de Mantineia) est de beaucoup la plus grande dans ce groupe de vallées qui se trouvent au centre du Péloponnèse, dont chacune est si hermétiquement fermée par les montagnes qui se coupent, que les eaux ne trouvent d’issue qu’à travers les montagnes elles-mêmes, etc. Relativement à Orchomenos d’Arkadia et à son lac entouré ainsi qu’à ses Katabothra, voir le même ouvrage, p. 193 ; et aussi pour les immenses plateaux dans les montagnes près de Corinthe, p. 263.

Cette disparition temporaire des fleuves était familière aux anciens observateurs (Aristote, Meteorolog., II, 13. Diodore, XV, 49. Strabon, VI, p, 271 ; VIII, p. 389, etc.). — L’habitude qu’ils avaient de voir ce phénomène fut en partie la source de quelques suppositions géographiques, qui aujourd’hui nous paraissent extravagantes, relativement au long cours souterrain et sous-marin de certains fleuves et à leur réapparition à des points très éloignés. Sophocle disait que l’Inachos de l’Akarnania rejoignait l’Inachos de l’Argolis ; le poète Ibykos affirmait que l’Asôpos près de Sikyôn avait sa source en Phrygia ; le fleuve Inôpos de la petite île de Dêlos émanait, selon d’autres, du puissant Nil ; et le rhéteur Zoïle, dans un panégyrique adressé aux habitants de Ténédos, alla jusqu’à leur assurer que l’Alpheios de l’Élis avait sa source dans leur île (Strabon, VI, p. 271). Non seulement Pindare et d’autres poètes (Antigon. Caryst., ch. 155), mais encore l’historien Timée (Timæi, Fragm. 127, éd. Goeller), et Pausanias aussi avec la plus grande confiance (V. 7, 2), croyaient que la fontaine Arethousa à Syracuse n’était autre chose que le fleuve Alpheios venu du Péloponnèse qui reparaissait ; ce qui le prouvait, c’était le fait réel d’un gobelet ou coupe qui, jeté dans l’Alpheios, était ressorti de la fontaine syracusaine, ce que Timée déclarait avoir vérifié ; mais même les arguments à l’aide desquels Strabon se défend de ne pas croire à ce conte, montrent avec quelle puissance les phénomènes des fleuves grecs agissaient sur son esprit. Si (dit-il, l. c.) l’Alpheios, au lieu de couler dans la mer, tombait dans quelque abîme de la terre, il y aurait quelque plausibilité à supposer qu’il continuait sa course souterraine aussi loin que la Sicile sans se mêler à la mer ; mais puisque sa jonction avec la mer est un fait observé, et qu’il n’y a pas d’ouverture visible près du rivage pour absorber l’eau du fleuve, il est évident que l’eau ne peut rester séparée et douce, tandis que la source Arethousa est parfaitement bonne à boire. J’ai traduit ici le sens plutôt que les mots de Strabon ; mais le phénomène de rivières tombant dans des trous et absorbées entièrement pour un temps, c’est exactement ce qui arrive en Grèce. Il ne paraissait pas impossible à Strabon que l’Alpheios pût traverser une si grande distance sous terre ; nous ne nous en étonnons pas non plus quand nous apprenons qu’un géographe plus habile que lui (Ératosthène) supposait que les marais de Rhinokolura, entre la mer Méditerranée et la mer Rouge, étaient formés par l’Euphrate et le Tigre, qui coulaient sous terre dans une longueur de 6.000 stades ou furlongs (1,206 kil. 986 mèt.) (Strabon, XVI, p. 741 ; Seidel, Fragm. Ératosthène, p. 194) ; Cf. le récit au sujet de l’Euphrate qui passe sous terre et reparaît en Ethiopia, en devenant le Nil (Pausanias, II, 5, 3). Cette disparition et cette réapparition de rivières se rattachaient, dans l’esprit des anciens philosophes naturalistes, à la supposition de vastes réservoirs d’eau dans l’intérieur de la terre, qui étaient poussés à la surface par quelque force gazeuse (V. Sénèque, Nat. Quæst., VI, 8). Pomponius Mela nous fait connaître une idée de quelques écrivains qui croyaient que la source du Nil devait se trouver, non dans la section du globe que nous habitons, mais dans l’Antichthon, ou continent méridional, et qu’il coulait sous l’Océan pour sortir en Ethiopia (Mela, I, 9, 55). — Ces idées des anciens, ayant évidemment pour base l’analogie fournie par les rivières grecques, sont exposées parts. Letronne dans un mémoire sur la situation du Paradis terrestre, telle que la représentaient les Pères de l’Église ; cité par A. von Humboldt, Examen critique de l’Histoire de la Géographie, etc., vol. III, p. 118-130.

[17] À l’arrivée du roi et de la régence en 1833 (fait observer M. Strong), il n’existait pas de routes carrossables en Grèce ; le besoin, il est vrai, ne s’en faisait pas non plus beaucoup sentir auparavant, vu que jusqu’à cette époque on ne pouvait trouver dans tout le pays ni voiture, ni chariot, ni charrette, ni aucun autre sorte de véhicule. Les objets de trafic en général étaient transportés par des bateaux, auxquels donnaient toute facilité la longue ligne dentelée du littoral grec et ses îles nombreuses. Entre les ports de mer et l’intérieur du royaume, la communication se faisait au moyen de bêtes de somme, telles que mulets, chevaux et chameaux (Statistics of Greece, p. 33).

Ceci montre une marche rétrograde dans un certain point inférieure à la description de l’Odyssée, où Telemachos et Peisistratos conduisent leur char de Pylos à Sparte. On voit encore dans beaucoup de parties de la Grèce les restes des anciennes routes (Strong, p. 34).

[18] La description du Dr Clarke mérite d’être signalée, bien que les éloges enthousiastes qu’il fait de la fertilité du sol, pris en général, ne soient pas confirmés par des observateurs plus récents : Les phénomènes physiques de la Grèce, différant de ceux do tout autre pays, présentent une série de belles plaines, successivement entourées de montagnes calcaires, qui ressemblent aux cratères des champs phlegræens, bien qu’elles aient de plus grandes dimensions et qu’on y trouve rarement de produits volcaniques. Partout leurs surfaces unies semblent avoir été déposées par l’eau, qui s’est graduellement retirée ou évaporée ; elles ont pour la plupart le sol le plus riche, et leurs produits sont encore d’une abondance proverbiale. C’est ainsi qu’étaient placées les villes d’Argos, de Sikyôn, de Corinthe, de Megara, d’Éleusis, d’Athènes, de Thêbes, d’Amphissa, d’Orchomenos, de Chæroneia, de Lebadea, de Larissa, de Pelta, et beaucoup d’autres (Dr Clarke’s, Travels, vol. II, eh. 4, p. 74).

[19] Sir W. Gell trouvait, au mois de mars, l’été dans les plaines basses de la Messênia, le printemps en Laconie, l’hiver en Arkadia (Journey in Greece, p. 355-359).

[20] La froide, région centrale (ou plateau - δροπέδιον) de Tripolitza diffère sous le rapport du climat des régions maritimes du Péloponnèse, autant que le sud de l’Angleterre diffère du sud de la France... Il n’y a pas d’apparence de printemps sur les arbres près de Tegea, bien qu’elle ne soit pas éloignée d’Argos de plus de vingt-quatre milles (38 kilom.)... Chaque printemps, on envoie de là le bétail aux plaines maritimes d’Elos en Laconie (Leake, Trav. in Morea, vol. I, p. 88, 98, I97). La pâture sur le mont Olono (borne de l’Élis, de l’Arkadia et de l’Achaïa) n’est pas salubre avant juin (Leake, vol. II, p. 119) ; cf. p. 348, et Fiedler, Reise., I, p. 314.

V. aussi l’instructive Inscription d’Orchomenos, dans Bœckh, Staatshaushaltung der Athener, t. II, p. 380. — L’usage de faire passer le bétail appartenant à des propriétaires d’au pays dans un autre pays, pour y paître pendant un temps, est aussi ancien que l’Odyssée, et est marqué par divers incidents explicatifs ; voir la cause de la première guerre de Messênia (Diodore, Fragm. VIII, vol. IV, p. 23, éd. Wess. Pausanias, IV, 4, 2).

[21] Universa autem (Peloponnesus), velut pensante æquorum incursus naturâ, in montes 76 extollitur. (Pline, H. N., IV, 6.)

Strabon parle incidemment, dans un passage frappant (II, p. 121-123), de l’influence que la mer exerce en déterminant la forme et les limites de la terre ; il fait des observations remarquables au sujet de la grande supériorité de l’Europe sur l’Asie et l’Afrique par rapport aux terres que coupent Ies eaux de la mer et au milieu desquelles elles pénètrent. Il ne nomme pas spécialement la côte de la Grèce, bien que ses remarques se rapportent plus exactement à ce pays qu’à tout autre. Et nous pouvons copier un passage de Tacite (Agricola, c. 10), écrit relativement à la Bretagne, qui s’applique bien plus exactement à la Grèce : Nusquam latius dominari mare...., nec litore tenus accrescere aut resorberi, sed influere penitus et ambire, et jugis etiam atque montibus inseri velut in suo.

[22] Xénophon, De Vectigal., c. I ; Éphore, Fragm. 67, éd. Marx ; Stephan. Byz., Βοιωτία.

[23] Pline, H. N., IV, 5, au sujet de l’isthme de Corinthe : Lechææ hinc, Cenchreæ illinc, angustiarum termini, longo et ancipiti navium ambitu (i. e. autour du cap Malea), quas magnitudo plaustris transvehi prohibet ; quam ob causam perfodere navigabili alveo angustias eas tentavere Demetrius rex, Dictator Cæsar, Caïus princeps, Domitius Nero, infausto (ut omnium exitu patuit) incepto.

Le διολxός, d’une largeur de moins de quatre milles (6 kilom. et demi), par lequel on traînait les vaisseaux à travers l’isthme, si leur grandeur le permettait, s’étendait de Lechæon, surie golfe de Corinthe, jusqu’à ; Schœnos, un peu à l’est de Kenchreæ, sur le golfe Saronique (Strabon, VIII, p. 380). Strabon (VIII, p. 335) estime à quarante stades la largeur du διολxός (environ 4 3/4 milles anglais, 7 kilom. 6,14 mèt.) ; la réalité, selon Leake , est 3 1/2 milles anglais, 4 kilom. et demi (Travels in Morea, vol. III, ch. 29, p. 97).

[24] Le vent du nord, le vent étésien des anciens, souffle avec force dans la mer Ægée presque tout l’été et avec une violence particulièrement dangereuse à trois points : au-dessous de Narystos, le cap méridional de l’Eubœa, auprès du cap Malea, et dans le détroit resserré qui se trouve entre les îles de Tênos, de Mykonos et de Dêlos (Ross, Reisen auf den Griechischen Inselu, vol. I, p. 20). V. aussi ce que dit le colonel Leake de la terreur qu’inspirent aux marins grecs les vents et les courants autour du mont Athos : le canal ouvert par Xerxès à travers l’isthme était justifié par des raisons sérieuses (Travels in Northern Greece, vol. III, c. 24, p. 145).

[25] Le Périple de Skylax énumère chaque section des noms grecs, avec les exceptions insignifiantes signalées dans le texte, comme partageant entre elles la ligne de côte ; il mentionne même l’Arkadia (c. 45), parce que, à cette époque, Lepreon avait secoué la suprématie d’Elis,’et était confédérée avec les Arkadiens (vers 360 av. J.-C.) ; Lepreon possédait environ douze milles (19 kilom.) de côtes, qui par conséquent comptent comme arkadiennes.

[26] Cicéron (De Republica, II, 2-4, dans les Fragments de ce traité perdu, éd. Maii) signale expressément et la facilité d’aborder aux villes grecques par mer en général, et les effets de cette circonstance sur le caractère grec : Quod de Corintho dixi, id haut scio an liceat de cuncta Græcia verissime dicere ; nam et ipsa Peloponnesus fere tota in mari est, nec præter Phliasios ulli sunt quorum agri non contingant mare, et extra Peloponnesum ænianes et Doris et Dolopes soli absunt a mari. Quid dicam insulas Græciæ ? quæ fluctibus cinctæ natant pæne ipsæ simul cum civitatum institutis et moribus. Atque hæc quidem ut supra dixi veteris sunt Græciæ. Coloniarum vero quæ est deducta a Graiis in Asiam Thracam Italiam Siciliam Africam præter unam Magnesiam, quam unda non adluat ? Ita barbarorum agris quasi adtexta quædam videtur ora esse Græciæ.

Cf. Cicéron, Epistol. ad Atticus, VI, 2, avec l’allusion à Dikæarque, qui admettait dans une grande mesure les objections de Platon contre une situation sur mer (De Leg., IV, p. 705 ; et Aristote, Politique, VII, 5-6). La mer (dit Platon) est en effet un voisinage salé et amer, bien que commode pour des besoins d’un usage journalier.

[27] Hécatée, Fragm. Hérodote, I, 66. Théocrite, Id., VII, 106.

Le changement du mot Χΐοι, évidemment déplacé, dans les Scholies sur ce passage, en ένιοι, parait incontestable.

[28] Skylax, Peripl., 89.

[29] Cicéron, de Orat., I. 41. Ithacam illam in asperrimis saxulis, sicuti nidulum, affixam.

[30] Hérodote, I, 52 ; III, 57 ; VI, 46-125. Bœckh, Public Economy of Athens, vol. I, eh. 3 (trad. angl.).

Les offrandes d’or et d’argent envoyées au temple de Delphes, même dans les temps homériques (Iliade, IX, 405) et dans la suite, étaient nombreuses et précieuses ; surtout celles que dédia Crésus, qui (Hérodote, I, 17-52) semble avoir surpassé tous les donateurs antérieurs.

[31] Strabon, X, p. 447 ; XIV, p. 680-684. Stephan. Byz., v. Αϊδηψος, Ααxεδαίμων. Kruse, Hellas, ch. 4, vol. I, p. 328. Fiedler, Reisen in Griechenland, vol. II, p.118-559.

[32] Au repas fourni aux frais du public à ceux qui dînaient dans le Prytaneion d’Athènes, Solôn ordonna des gâteaux d’orge pour les jours ordinaires, du pain de froment pour les fêtes (Athénée, IV, p. 137)

Le lait de brebis et de chèvre était, dans l’ancienne Grèce, préféré à celui de vache (Aristote, Hist. anim., III, 15, 5-7) ; à présent encore, en Grèce, on regarde le lait de vache et le beurre comme malsains, et on n’en mange que rarement ou jamais (Kruse, Hellas, vol. I, ch. 4, p. 368).

[33] Théophraste, Caus. Pl., IX, 2 ; Démosthène, adv. Leptine, c. 9. On voit par un fragment du Marikas d’Eupolis que du poisson salé de la Propontis et de Gadès se vendait dans les marchés d’Athènes pendant la guerre du Péloponnèse (Fragm. 23, éd. Meineke ; Stephan. Byz., v. Γάδειρα).

Les marchands phéniciens qui apportaient le poisson salé de Gadès remportaient avec eux de la poterie attique pour la vendre chez les tribus africaines de la côte du Maroc (Skylax, Peripl., c. 109).

[34] Simonide, Fragm. 109, Gaisford.

L’Odyssée mentionne un certain peuple de l’intérieur qui ne connaissait ni la mer, ni les vaisseaux, ni le goût du sel : Pausanias le cherche dans l’Epeiros (Odyssée, XI, 121 ; Pausanias, I, 12, 3).

[35] Voir le discours de Periklês aux Athéniens au commencement de la guerre du Péloponnèse, Thucydide, I, 141-142.

[36] En Égypte les hommes restaient au logis et tissaient, pendant que les femmes vaquaient aux travaux extérieurs ; l’une et l’autre de ces coutumes excitent la surprise et d’Hérodote et de Sophocle (Hérodote, Il, 35 ; Sophocle, Œdipe Col., 340).

Au sujet des paysannes grecques modernes occupées à filer et à tisser, V. Leake, Trav. Morea, vol. I, p. 13, 18, 223, etc. ; Strong, Stat., p. 185.

[37] Hérodote, I, 142 ; Hippocrate, De Aete, Loc. et Aq., c. 12-13 ; Aristote, Politique, VII, 6, 1.

[38] Les montagnards de l’Ætolia ne peuvent, dans ce temps-ci, descendre dans la plaine marécageuse de Wrachori, sans être malades après peu de jours (Fiedler, Reise in Griech., I, p. 184).

[39] Dikæarque, Fragm. p. 145, éd. Fuhr.

Relativement à la distinction entre Άθηναίοι et Άττιxοί, v. le même ouvrage, p. 11.

[40] Strabon, VII, p. 323, 324, 326 ; Thucydide, II, 68. Théopompe (ap. Strabon, l. c.) comptait 14 έθνη chez les Épirotes.

[41] Hérodote, I, 146 ; II, 56, VI, 127.

[42] Strabon, VII, p. 327.

Plusieurs des tribus des Épirotes étaient δίγλωσσοι, parlant le grec en outre de leur langue maternelle. — Voir, au sujet de tous les habitants de ces régions, l’excellente dissertation de O. Müller citée plus haut, Ueber die Makedoner, et annexée au premier volume de la traduction anglaise de son histoire des Doriens.

[43] Hérodote, I, 143-150.