HISTOIRE DE LA GRÈCE

PREMIER VOLUME

CHAPITRE I — LÉGENDES CONCERNANT LES DIEUX (suite)

 

 

L’influence de la religion thrace sur celle des Grecs ne peut être retracée en détail, mais les cérémonies qu’elle renfermait avaient un caractère de violence et de férocité semblable à celui de la religion phrygienne, et agirent sur la Hellas dans le même sens général que celle-ci.

Et l’on peut dire la même chose de la religion égyptienne dont l’action dans ce cas fut plus efficace d’autant que tous les Grecs, d’un esprit cultivé, étaient naturellement poussés à aller visiter les merveilles qui se trouvaient sur les rives du Nil ; l’effet puissant produit sur eux est attesté par de nombreux témoignages, mais surtout par l’intéressant récit d’Hérodote. Or, on voyait dans les cérémonies égyptiennes à la fois plus de licence et une effusion plus abondante de joie et de douleur que dans celles des Grecs[1]. Mais une différence plus grande encore résulte du pouvoir extraordinaire, du genre de vie séparée, des observances minutieuses et de l’organisation compliquée de la caste des prêtres. Les cérémonies égyptiennes étaient très nombreuses, et les légendes qui Ies concernaient étaient composées par le prêtre, et, en règle générale, à ce qu’il semble, les prêtres seuls les connaissaient : du moins on ne voulait pas que personne en parlât en public, pas même les hommes pieux. C’étaient de saintes histoires qu’on ne devait pas mentionner publiquement sous peine de faire un sacrilège, et qui, par suite de cette défense elle-même, ne s’emparèrent que plus fortement de l’esprit des voyageurs grecs qui les entendirent. Et c’est ainsi que l’élément du secret et du silence mystique, — étranger à Homère, et auquel Hésiode ne fait qu’une légère allusion, — s’il n’est pas originairement venu d’Égypte, a du moins reçu de cette contrée son plus grand stimulant et sa propagation la plus étendue. Le caractère des légendes elles-mêmes, de publiques devenant secrètes, fut naturellement modifié par ce changement. Si les légendes secrètes étaient révélées, elles justifiaient naturellement par leur propre contenu la défense faite de les divulguer ; tandis qu’étant adaptées, comme les mythes homériques, aux sympathies universelles et à l’intérêt sincère d’une foule d’auditeurs, elles tiraient leur pouvoir d’agir sur les âmes du caractère tragique, lamentable, extravagant ou terrible des incidents[2]. Une telle tendance, qui paraît vraisemblable et explicable, même par des causes générales, le goût grossier des prêtres égyptiens la rendait dans ce cas particulier plus certaine encore. Une doctrine secrète quelconque, religieuse ou philosophique, se rattachait-elle aux mystères on était-elle renfermée dans les saintes histoires ? C’est ce qui n’a jamais été démontré, et ce n’est guère probable, bien que des savants l’aient affirmé.

Hérodote semble avoir cru que le culte et les cérémonies de Dionysos en général furent tirés d’Égypte par les Grecs, apportés par Kadmos, et enseignés par celui-ci à Melampe. Et ce dernier parait dans le Catalogue hésiodique comme ayant guéri les filles de Prœtos, atteintes de folie, mal dont elles avaient été frappées par Dionysos pour avoir rejeté son rituel. Il les guérit en introduisant la danse bachique et les transports frénétiques : cet incident mythique est la plus ancienne mention des solennités dionysiaques présentées avec le même caractère que celui qu’elles ont dans, Euripide. C’est la tendance générale d’Hérodote d’appliquer, d’une manière beaucoup trop étendue, aux institutions grecques la théorie qui les fait dériver de l’Égypte ; ce n’est pas de ce pays que les orgies de Dionysos furent primitivement empruntées, bien qu’elles puissent avoir été fort modifiées par les rapports avec l’Égypte aussi bien qu’avec l’Asie. Ce remarquable mythe composé par Onomacrite, relativement à Zagreus mis en morceaux, reposait sur un conte égyptien tout à fait semblable concernant le corps d’Osiris, que l’on supposait être le même que Dionysos[3]. Il ne s’accordait pas mal non plus avec l’insouciante fureur des bacchantes pendant leur état de transport momentané, fureur qui trouva une expression encore plus terrible dans le mythe de Pentheus, déchiré pendant la cérémonie par sa propre mère Agavê, à la tête de ses compagnes, pour s’être. introduit au milieu des rites réservés eus femmes, aussi bien que pour s’être moqué du dieu[4] : Un passade de l’Iliade (dont l’authenticité a été contestée, mais qui même comme interpolation doit être ancien)[5], raconte aussi comment Lykurgos a été frappé de cécité par Zeus, pour avoir chassé avec un fouet les nourrices de Dionysos en délire, et forcé le dieu lui-même effrayé à se jeter dans la mer et à chercher un refuge dans les bras de Thetis : tandis que ce fait, que Dionysos est si souvent représenté dans ses mythes comme rencontrant de l’opposition et punissant les esprits rebelles, pourrait faire croire que son culte, sous sa forme extatique, fut un phénomène postérieur et qui ne fut pas introduit sans difficulté. Le nom mythique d’Orphée le Thrace est attaché comme Éponyme à une nouvelle secte, qui semble avoir célébré les cérémonies de Dionysos avec une ferveur, une minutie et un soin particuliers, observant en outre des règles différentes par rapport à la nourriture et aux vêtements. Hérodote pensait que ces règles, aussi bien que celles des pythagoriciens, étaient empruntées de l’Égypte. Mais, qu’il en soit ainsi ou lion, la confrérie orphique est elle-même à la fois une preuve et une cause de l’importance que le culte de Dionysos acquit, fait attesté en effet par les grands poètes dramatiques d’Athènes.

Toutefois les hymnes homériques nous présentent les idées et les légendes religieuses des Grecs à une époque plus reculée, où les tendances enthousiastes et mystiques n’avaient pas encore atteint leur complet développement. Bien qu’on ne puisse les rapporter au même temps ni n’u même auteur que l’Iliade ou que l’Odyssée, ils suivent assurément dans une certaine mesure le même courant de sentiment, et conservent le même ton, la même couleur mythiques que ces poèmes, en n’offrant que peu de preuves d’altérations venues d’Égypte, d’Asie ou de Thrace. La différence est frappante entre le dieu Dionysos de l’hymne homérique et celui des Bacchæ d’Euripide.

L’hymnographe le dépeint comme se tenant sur le rivage de la mer, sous les dehors d’un beau jeune homme, richement vêtu, lorsque soudain abordent des pirates tyrrhéniens : ils le saisissent, le lient et le traînent de force à bord de leur vaisseau. Mais les liens qu’ils emploient éclatent d’eux-mêmes et laissent le dieu en liberté. Le timonier, s’en apercevant avec effroi, montre à ses compagnons qu’ils ont, sans le savoir, mis la main sur un dieu, — peut-être est-ce Zeus lui-même, ou Apollon, ou Poseidôn. Il les conjure de renoncer à leur projet et de replacer avec respect Dionysos sur le rivage, de peur que dans sa colère il ne déchaîne contre le navire le vent et l’ouragan ; mais l’équipage se rit de ses scrupules, et Dionysos est amené captif en pleine mer sur le vaisseau qui vogue à pleine voile. Des circonstances miraculeuses attestent bientôt et sa présence et son pouvoir. On voit du vin odorant couler spontanément sur le navire ; la voile et le malt apparaissent ornés de feuilles de vigne et de lierre, et les chevilles des rames de guirlandes. L’équipage maintenant terrifié, supplie trop tard le timonier de diriger sa course vers le rivage, et se presse autour de lui sur la poupe pour avoir sa protection. Mais leur perte approche : Dionysos prend la forme d’un lion, — un ours est vu debout à ses côtés ; — cet ours se précipite avec un grondement terrible sur le capitaine, tandis que les matelots, dans les angoisses de la terreur, s’élancent par-dessus le bord et sont changés en dauphins. Il ne reste plus que le prudent et pieux timonier, auquel Dionysos adresse des paroles d’affection et d’encouragement, et révèle son nom, sa naissance et son rang[6].

Cet hymne, produit peut-être à la fête de Dionysos à Naxos, et antérieur à l’époque où le chœur dithyrambique devint le mode usité pour chanter les louanges et la gloire de ce dieu, est conçu dans un esprit complètement différent de celui des Teletæ bachiques, ou rites spéciaux que les Bacchæ d’Euripide exaltent avec une verve si abondante ; ces rites avaient été apportés d’Asie par Dionysos lui-même, à la tête d’un thiase ou troupe de femmes agitées d’une fureur divine ; ils enflammaient d’un délire momentané l’esprit des femmes de Thêbes, ne pouvaient être communiqués qu’à ceux qui s’en approchaient en pieux adorateurs, et amenaient les résultats les plus tragiques pour tous ceux qui luttaient contre le dieu[7]. Les Teletæ bachiques et le délire bachique éprouvé par les femmes étaient des importations du dehors, comme Euripide les représente, greffées sur la joie vues Dionysiaques grecques primitives. Selon toute probabilité, elles provenaient de plus d’une source, et avaient été introduites par plus d’une voie, entre autres par la vie ou confrérie orphique. Strabon attribue à cette dernière une origine thrace, considérant Orphée, Musée et Eumolpe comme ayant été tous Thraces[8]. Il est curieux d’observer comment, dans les Bacchæ d’Euripide, les deus idées distinctes et même opposées de Dionysos se présentent alternativement ; parfois l’antique idée grecque du dieu du vin, gai et inspirant la joie, — mais plus souvent l’idée moderne et étrangère du dieu redoutable et irrésistible qui dérange la raison, et dont l’œstros ne peut être calmé que par une obéissance volontaire, bien que momentanée. Dans le transport fanatique qui animait les adorateurs de la Rhea ou Kybelê asiatique, ou de Kotys de Thrace, il n’y avait aucune trace de joie spontanée ; c’était un délire sacré, pendant lequel l’âme paraissait livrée à un stimulant extérieur et accompagnée d’une force surnaturelle et d’un sentiment momentané de puissance[9], — sentiment tout à fait différent de la gaieté sans contrainte des Dionysiaques primitives, telles que nous les voyons dans les dêmes ruraux de l’Attique, ou dans la joyeuse cité de Tarentum. Il y avait à la vérité un côté par lequel ces cieux sentiments offraient quelque analogie, en ce que, conformément au point de vue religieux des Grecs, même la joie spontanée de la fête des vendanges était due à la faveur et animée par la société de Dionysos. C’est cette analogie que suivirent les auteurs des orgies bachiques ; mais ils n’en défigurèrent pas moins le caractère véritable des vieilles fêtes grecques en l’honneur de Dionysos.

Dans la conception de Pindare Dionysos est le Paredros ou l’associé au culte de Dêmêtêr[10]. Le culte et la considération religieuse de la dernière ont subi, à cette époque, un aussi grand changement que celui qu’avait éprouvé Dionysos sous les mêmes rapports, si nous prenons notre comparaison dans la courte description d’Homère et d’Hésiode : elle a acquis[11] beaucoup des attributs de la Phrygienne Kybelê, attributs redoutables et portant le trouble dans l’âme. Dans Homère, Dêmêtêr est la déesse du champ de blé, elle devient éprise du mortel Jasiôn ; union funeste, puisque Zeus, jaloux des relations entre hommes et déesses, le met à mort. Dans la Théogonie hésiodique, Dêmêtêr a Persephonê de Zeus, qui permet à Hadês d’enlever cette dernière comme épouse ; de plus Dêmêtêr a en outre de Jasiôn un fils appelé Plutos, né en Krête. Même d’Homère à Hésiode, la légende de Dêmêtêr a été étendue et sa dignité agrandie ; selon la tendance habituelle de la légende grecque, l’épanouissement va encore plus loin. Par Jasiôn, Dêmêtêr est rattachée aux mystères de Samothrace ; par Persephonê, à ceux d’Éleusis. Il est difficile de suivre en détail le premier rapport, mais le second est expliqué et suivi jusqu’à son origine dans l’hymne homérique à Dêmêtêr.

Bien que la date aussi bien que l’origine des mystères d’Éleusis aient été présentées diversement, cependant la croyance populaire des Athéniens et l’histoire, qui trouva faveur à Éleusis, les attribuaient à la présence de la déesse Dêmêtêr elle-même qui les aurait dictés ; exactement de même que les rites bachiques ont, d’après les Bacchæ d’Euripide, été communiqués pour la première fois et imposés aux Grecs par la visite personnelle de Dionysos à Thèbes, la métropole des cérémonies bachiques[12]. Dans la légende d’Éleusis, conservée par l’auteur de l’hymne homérique, elle vient volontairement et s’identifie avec Éleusis, son ancien séjour en Krête étant brièvement indiqué[13]. Sa visite à Éleusis se rattache au profond chagrin que lui cause la perte de sa fille Persephonê, qu’a saisie Hadês, pendant qu’elle cueillait des fleurs dans une prairie avec les nymphes océaniques, et qu’il a enlevée pour en faire son épouse dans les enfers. En vain Persephonê résiste en poussant des cris et invoque l’aide de son père Zeus : il avait consenti à la donner à Hadès, et ses cris n’étaient entendus que d’Hekatê et de Hêlios. Dêmêtêr était inconsolable de la disparition de sa fille, mais elle ne savait où la chercher : elle erra pendant neuf jours et neuf nuits, avec des torches, à la recherche de sa fille, mais sans succès. Enfin Hêlios, l’espion des dieux et des hommes, pour répondre à son instante prière, lui révéla le rapt de Persephonê, et la permission donnée à Hadês par Zeus. Dêmêtêr fut remplie de colère et de désespoir : elle renonça à Zeus et à la société de l’Olympe, s’abstint de nectar et d’ambroisie, et erra sur la terre accablée de douleur et jeûnant jusqu’à ce que sa personne ne fit plus reconnaissable. Dans cet état elle vint à Éleusis, gouvernée alors par le prince Keleos. Assise près d’un puits le long de la route, sous l’extérieur d’une vieille femme, elle fut trouvée par les filles de Iseleos, qui s’y rendaient avec leurs seaux de cuivre pour puiser de l’eau. Répondant à leurs questions, elle leur dit qu’elle avait été emmenée par des pirates de Krête à Thorikos, et qu’elle s’était échappée ; alors elle les supplia de la secourir et de l’employer à soigner la maison ou des enfants. Les jeunes filles persuadèrent leur mère Metaneira de la recevoir, et de confier à ses soins le jeune Dêmopho8n, leur frère, le dernier né, le fils unique de Keleos. Dêmêtêr fit reçue dans la maison de Metaneira, son noble corps courbé encore par la douleur ; elle resta longtemps assise en silence, et ne put être amenée, soit à sourire, soit à prendre de la nourriture, jusqu’au moment ou Iambê, la servante, pax ses facéties et sa gaieté, parvint à l’amuser et à l’égayer. Elle ne voulut pas goûter de vin, niais elle demanda un mélange particulier de farine d’orge avec de l’eau et de la menthe[14].

L’enfant Dêmophôon, soigné par Dêmêtêr, se développa et grandit comme un dieu, à la joie et à la surprise de ses parents : elle ne lui donnait pas de nourriture, mais elle le frottait d’ambroisie pendant le jour, et le soir elle le plongeait comme une torche dans le feu, où il restait sans être brûlé. Elle l’aurait rendu immortel, si elle n’en avait été empêchée par la curiosité et la crainte indiscrètes de Metaneira, qui regarda en secret le soir, et cria d’horreur à la vue, de son fils au milieu du feu[15]. La déesse indignée, déposant l’enfant à terre, révéla alors son vrai caractère à Metaneira ; son teint pâle et son air âgé disparurent, et elle montra la pure majesté de sa figure divine, répandant une lumière éclatante qui illumina toute la maison. Mère insensée, dit-elle, ton manque de foi a enlevé à ton fils la vie immortelle. Je suis la déesse glorifiée Dêmêtêr, à la fois le charme et la consolation des dieux et des hommes, je préparais un moyen d’exempter ton fils de la mort et de la vieillesse ; mais rien ne peut empêcher qu’il ne goûte de l’une et de l’autre. Cependant il sera toujours honoré, puisqu’il s’est assis sur mes genoux, et a dormi dans mes bras. Que le peuple d’Éleusis élève en mon honneur un temple et lin autel sur la colline que voilà au-dessus de la fontaine ; je leur prescrirai moi-même les orgies qu’il doivent religieusement accomplir pour obtenir ma faveur[16].

Metaneira terrifiée fut incapable même de relever son enfant de terre ; ses filles entrèrent à ses cris, et se mirent à embrasser et à soigner leur jeune frère, mais il avait du chagrin de la perte de sa divine nourrice et ne pouvait être calmé. Toute la nuit elles s’efforcèrent d’apaiser la déesse[17].

Exécutant strictement les injonctions de Dêmêtêr, Keleos convoqua le peuple d’Éleusis, et éleva le temple sur l’emplacement qu’elle avait indiqué. Il fut promptement terminé, et Dêmêtêr y établit son séjour, loin des autres dieux, encore consumée de douleur à cause de la perte de sa fille, et refusant son aide bienfaisante aux mortels. Elle resta ainsi une année entière, — adnée de désespoir et de terreur[18] en vain les bœufs tirèrent la charrue, — en vain la semence de l’orge fut jetée dans le sillon, — Dêmêtêr ne permit pas qu’il sortît de terre. La race humaine serait morte de faim, et les dieux auraient été privés et de leurs honneurs et de leurs sacrifices, si Zeus n’avait trouvé moyen de la calmer. Mais ce fut chose difficile, car Dêmêtêr résista aux prières d’Iris et de toutes les autres déesses et des dieux que Zeus lui députa successivement. Elle ne voulait qu’une chose, recouvrer sa fille. A la fin Zeus envoya Hermês à Hadês pour ramener Persephonê. Celle-ci obéit avec joie, mais Hadês la persuada avant son départ d’avaler un grain de grenade, qui devait lui rendre impossible de rester l’année entière loin de lui[19].

C’est avec transport que Dêmêtêr accueillit la fille qu’elle avait perdue, et la fidèle Hêkatê partagea la joie que toutes deux éprouvèrent de la réunion[20]. La réconcilier avec les dieux était maintenant une entreprise plus facile. Sa mère Rhea, envoyée exprès par Zeus, descendit de l’Olympe dans lei fertile plaine Rharia, alors frappée de stérilité comme le reste de la terre ; elle parvint à apaiser l’indignation de Dêmêtêr, qui consentit de nouveau à étendre sa main secourable. Les semences confiées à la terre vinrent en abondance, et le sol fut couvert de fleurs et de fruits. Elle aurait voulu conserver toujours Persephonê auprès d’elle, mais cela était impossible, et elle fut obligée de consentir à ce que sa fille descendit un tiers de chaque année dans la demeure de Hadês, et la quittât chaque printemps au moment des semailles. Alors elle retourna dans l’Olympe, pour séjourner de nouveau avec les dieux ; mais avant son départ elle fit connaître aux filles de Keleos, et d Keleos lui-même, en même temps qu’à Triptolemos, à Dioklês et à Eumolpos, le service divin et les solennités qu’elle voulait voir observer en son honneur[21]. Et ainsi commencèrent les vénérables mystères d’Éleusis, sur son ordre spécial : les petits mystères, célébrés en février, en l’honneur de Persephonê ; les grands, en août, en l’honneur de Dêmêtêr elle-même. Toutes cieux, elles sont conjointement les protectrices de la cité sainte et du temple.

Telle est la brève esquisse de la légende du temple d’Éleusis, présentée tout au long dans l’hymne homérique à Dêmêtêr. Ille est intéressante comme peinture de la Mater Dolorosa (dans la bouche d’un Athénien, Dêmêtêr et Persephonê étaient toujours la Mère et la Fille, par excellence) ; la mère souffre d’abord les angoisses de la douleur, puis finalement est glorifiée ; de son sentiment de bonté dépendent le bonheur et le malheur de l’homme. Cette esquisse intéresse encore comme servant à faire comprendre la nature et le développement de la légende grecque en général. Bien que nous lisions actuellement cet hymne comme une agréable poésie, les habitants d’Éleusis, pour qui elle fut composée, la regardaient comme de l’histoire véritable et sacrée. Ils croyaient à la visite de Dêmêtêr à Éleusis, et aux mystères qu’ils considéraient nomme une révélation faite par elle, aussi aveuglément qu’ils croyaient à son existence et à son pouvoir comme déesse. Le chantre d’Éleusis partage cette croyance avec ses compatriotes, et il l’enferme dans une narration continue, oit figurent les grandes déesses du lieu, aussi bien que les grandes familles héroïques, inséparablement unies. Keleos est le fils d’Éleusis, le héros Eponyme ; et ses filles, ave ; l’antique simplicité épique, portent leurs seaux au puits, pour avoir de l’eau. Eumolpos, Triptolemos, Dioklês, ancêtres héroïques des familles privilégiées qui continuèrent, durant les temps historiques d’Athènes. de remplir leurs fonctions héréditaires spéciales dans les solennités d’Éleusis, sont de ceux qui reçoivent immédiatement l’inspiration de la déesse ; mais elle favorise surtout Metaneira et son fils Dêmophôon, encore tout enfant, auquel elle réserve son plus grand bienfait, arrêté seulement par la faible foi de sa mère.

De plus, chaque incident dans l’hymne a une couleur locale et se rapporte spécialement à quelque fait. Le puits ombragé par un olivier auprès duquel s’était reposée Dêmêtêr, le ruisseau Kallichoros et la colline oit s’élevait le temple, étaient des endroits familiers et intéressants aux yeux de tout habitant d’Éleusis ; le breuvage particulier fait de farine d’orge et de menthe était toujours goutté par les Mystes (ou initiés) après un jeûne prescrit, comme faisant partie de la cérémonie ; — tandis que c’était aussi l’usage, à un endroit particulier de la marche processionnelle de permettre l’échange mutuel et libre de railleries et de plaisanteries personnelles sur les individus pour l’amusement général, et ces deux usages se rattachent aux incidents racontés dans l’hymne, à savoir que Dêmêtêr elle-même avait choisi le breuvage la première fois qu’elle rompit son long et pénible ,jeûne, et qu’elle avait été en partie distraite de ses tristes pensées par la jovialité grossière de la servante Iambê. Dans la représentation agrandie des cérémonies d’Éleusis, qui s’établit après l’incorporation d’Éleusis à Athènes, le rôle de Iambê elle-même fut rempli par une femme, ou par un homme en vêtements de femme, ayant l’esprit et l’imagination nécessaires ; postée sur le pont du Képhissos, elle adressait aux passants faisant partie de la procession[22], spécialement aux grands hommes d’Athènes, d’impertinentes railleries non moins mordantes, probablement, que celles d’ Aristophane sur le théâtre. Hêcatê, qui porte la torche, avait une part du culte dans les cérémonies nocturnes des Eleusinia : ce fait est aussi indiqué dans l’hymne, qui l’attribue à ses sentiments bienveillants et sympathiques à l’égard des grandes déesses.

Bien que les habitants d’Éleusis ajoutassent une foi sincère à tous ces incidents comme à l’histoire -véritable du passé et à la cause réelle de l’institution de leurs propres solennités, il est néanmoins certain que ce sont simplement des mythes- ou des légendes, et qu’il ne faut pas les traiter comme de l’histoire, soit réelle, soit exagérée. Ils ne naissent pas des réalités du passé, mais des réalités du présent, combinées avec l’imagination et le sentiment rétrospectifs, qui remplissent les lacunes du passé d’une manière à la fois plausible et frappante. Dans quelle proportion la légende peut-elle renfermer des faits, ou mène en renferme-t-elle, c’est, ce qu’il est impossible d’affirmer et inutile de chercher ; car l’histoire n’a pas trouvé créance parce qu’elle se rapprochait d’un fait réel, mais à cause de son accord parfait avec la foi et le sentiment des habitants d’Éleusis, et de l’absence de tout, type de crédibilité historique. La petite cité d’Éleusis tient toute son importance de la solennité des fêtes de Dêmêtêr, et l’hymne que nous ayons examiné (qui remonte probablement au moins à l’an 600 avant J.-C.) représente la ville telle qu’elle était avant son absorption dans l’unité plus vaste d’Athènes, d’où il semble qu’il résulta une altération dans ses légendes, et un accroissement de dignité dans sa grande fête. Pour un fidèle à Éleusis, les antiquités religieuses aussi bien que patriotiques de sa ville natale se rattachaient à cette solennité capitale. La légende divine des souffrances de Dêmêtêr et sa visite à Éleusis étaient pour lui ce que l’héroïque légende d’Adrastos et le siège de Thêbes étaient pour un Sikyonien, ou celle d’Erechtheus et d’Athênê pour un Athénien, — elle groupait dans la même scène et dans la même histoire la déesse et les ancêtres héroïques de la ville. Si nous avions des renseignements plus complets, nous trouverions probablement une foule d’autres légendes concernant les fêtes de Dêmêtêr : les Gephyræi d’Athènes, auxquels appartenaient les personnages fameux d’Harmodios et d’Aristogeitôn, et qui avaient des orgies spéciales de Dêmêtêr l’Affligée, auxquelles n’était jamais admis un homme étranger à cette famille, auraient raconté sans cloute des histoires non seulement différentes, mais contradictoires[23] ; et même dans d’autres mythes d’Éleusis nous voyons Eumolpos en qualité de roi d’Éleusis, fils de Poseidôn, et Thrace, différant complètement du caractère qu’il a dans l’hymne que nous avons sous les yeux[24]. Ni différences, ni manque de témoignages, par rapport à des antiquités affirmées, ne choquaient la foi d’un public peu versé dans l’histoire. Ce qu’ils demandaient, c’était une peinture du passé capable d’émouvoir leurs sentiments et plausible pour leur imagination ; et il est important pour le lecteur de se souvenir, pendant qu’il lit, soit les légendes divines que nous expliquons maintenant, soit les légendes héroïques auxquelles nous arriverons bientôt, qu’il a à faire à un passé qui ne fut jamais présent, — domaine essentiellement mythique, qui ne peut être abordé par le critique ni mesuré par le chronologiste.

Le conte concernant la visite de Dèmêtèr, qui fut répété par l’ancienne famille, appelée les Phytalides[25], au sujet d’un autre temple de Dèmêtèr, entre Athènes et Éleusis, et aussi par les Mégariens à propos d’un temple de Dêmêtêr voisin de leur ville, acquit sous les auspices d7Athènes une plus grande extension encore. On dit que la déesse avait communiqué pour la première fois à Triptolemos, à Éleusis. Fart de semer le blé, qui, grâce à son intervention, fut répandu sur toute la terre. Et ainsi les Athéniens se firent honneur d’avoir servi aux dieux d’intermédiaires pour faire part à l’homme de tous les inestimables bienfaits de l’agriculture qu’ils assuraient avoir paru pour la première fois dans la fertile plaine Rharia près d’Éleusis. De telles prétentions ne se trouvent pas dans le vieil hymne homérique. La fête des Thesmophoria, célébrée en l’honneur de Dêmêtêr Thesmophoros à Athènes, était tout à fait différente des Eleusinia, sous ce rapport essentiel aussi bien qu’à d’autres égards, que tous les hommes en étaient exclus et que les femmes seules étaient admises à y participer. le surnom de Thesmophoros donna lieu à de nouvelles légendes où la déesse était exaltée pour avoir doté la première l’humanité de, lois et de sanctions légales[26]. Cette fête, réservée exclusivement pour les femmes seules, était célébrée aussi à Thèbes, à Paros, à Ephesos et dans beaucoup d’autres endroits de la Grèce[27].

Dêmêtêr et Dionysos, comme faisant en Grèce le pendant des divinités égyptiennes Isis et Osiris, semblent, généralement parlant, avoir réuni tous les nouveaux rites sacrés empruntés de l’Egypte, avant que le culte d’Isis sous son propre nom fût introduit en Grèce : leurs solennités devinrent plus souvent retirées et mystérieuses que celles des autres divinités. On peut juger de l’importance qu’avait Dêmêtêr aux yeux de la nationalité collective de la Grèce d’après le fait que son temple s’élevait aux Thermopylæ, lieu où se tenaient les assemblées amphiktyoniques près du temple du héros Eponyme Amphiktyôn lui-même et sous le surnom de Dêmêtêr Amphiktyonique[28].

Nous passons maintenant à un autre personnage céleste non moins important, — Apollon.

Les légendes de Dêlos et de Delphes, comprises dans l’hymne homérique à Apollon, indiquent que ce dieu avait, non pas une plus grande dignité, mais du moins un culte répandu plus au loin même que Dêmêtêr. L’hymne est, effectivement, la réunion de deux compositions séparées, l’une émanant d’un barde ionien à Dêlos, l’autre de Delphes. La première détaille la naissance d’Apollon, la secondé sa puissance divine complète ; mais toutes deux présentent également le charme naïf aussi bien que les particularités caractéristiques du récit mythique grec. L’hymnographe chante, et ses auditeurs acceptent avec une bonne foi parfaite une histoire du passé ; mais c’est un passé, imaginé en partie comme une explication servant à les amener au temps présent, en partie comme le moyen de glorifier le dieu. L’île de Dêlos était le lieu de naissance reconnu d’Apollon, et c’est aussi le lieu où il se plaît surtout, où la grande et brillante fête ionienne se célèbre périodiquement en son honneur. Cependant c’est un rocher étroit, stérile et peu attrayant : d’où vient qu’un si glorieux privilège lui a été accordé ? C’est ce que le poète se charge d’expliquer. Lêtô, enceinte d’Apollon et persécutée par la jalouse Hêrê, ne pouvait trouver d’endroit où elle donnât naissance à son enfant. En vain elle s’adressa à une foule de localités en Grèce, sur la côte d’Asie et dans les îles intermédiaires ; toutes furent terrifiées de la colère de Hêrê et refusèrent de lui donner asile. En dernier ressort, elle s’approcha de Dêlos, cette île dédaignée et repoussante, et promit que, si un abri lui était accordé dans sa situation désespérée, file deviendrait le séjour choisi d’Apollon aussi bien que l’emplacement où s’élèverait son temple avec les riches solennités accompagnant son culte[29]. Dêlos consentit avec joie, mais non sans beaucoup d’appréhensions qu’Apollon, devenu puissant, ne méprisât son indignité, et non sans exiger un serment formel de Lêtô, qui obtint enfin la protection si désirée et accomplit convenablement son long et pénible travail. Bien que Diônê, Rhea, Themis et Amphitritê vinssent pour la calmer et la secourir, toutefois Hêrê retint la déesse qui préside aux accouchements, Eileithyia, et prolongea ainsi cruellement les angoisses de Lêtô. A la fin, Eileithyia arriva ; et Apollon naquit. A peine avait-il goûté, des mains de Themis, la nourriture immortelle, le nectar et l’ambroisie, qu’il brisa aussitôt ses langes et se montra sous une forme et avec une force divines et complètes, revendiquant ses attributs caractéristiques, l’arc et la lyre, et sa fonction privilégiée d’annoncer à l’avance à l’humanité les desseins de Zeus. La promesse faite par Lêtô à Dêlos fut fidèlement remplie : parmi les innombrables autres temples et bois sacrés que les hommes disposèrent pour lui, toujours il préféra cette île comme résidence constante, et c’est là que les Ioniens avec leurs femmes et leurs enfants, dans tous leurs beaux atours, se réunissaient périodiquement, venant de leurs villes pour le célébrer. La danse, le chant et des combats d’athlètes embellissaient la solennité, tandis que les vaisseaux sans nombre, l’opulence, la grâce de la multitude des Ioniens donnaient à cette assemblée l’air d’une réunion de dieux. Les vierges de Dêlos, servantes d’Apollon, chantaient des hymnes à la gloire du dieu, ainsi que d’Artemis et de Lêtô, entremêlés des aventures des hommes et des femmes des temps antérieurs, aux transports de la foule attentive. Le barde de Chios aveugle et errant (auteur de cet hymne appelé Homérique, et confondu dans l’antiquité avec l’auteur de l’Iliade), ayant trouvé considération et accueil à cette fête, se recommande lui-même, dans un adieu touchant, au souvenir et à la sympathie des vierges de Dêlos[30].

Mais Dêlos n’était pas un lieu où l’on rendit des oracles Apollon ne s’y manifestait pas comme révélateur des desseins futurs de Zeus. — Il fallait trouver un endroit où cette bienfaisante fonction, sans laquelle l’humanité périrait dans les doutes et les perplexités innombrables de la vie, pût être exercée et rendue praticable. Apollon lui-même descend de l’Olympe pour faire choix d’un endroit convenable : l’hymnographe tonnait mille autres aventures du dieu qu’il pourrait chanter, mais il préfère ce mémorable incident, la charte et le privilège de consécration accordés au temple de Delphes. Apollon visita bien des lieux différents : il examina le pays des Magnètes et des Perrhæbiens, vint à Iôlkos, et se rendit de là en Eubœa et dans la plaine de Lelanton. Mais même cet endroit fertile ne lui plut pas : il franchit l’Euripe pour se rendre en Bœôtia, passa par Teumêssos et Mykalêssos, et par la forêt alors inaccessible et non occupée où s’éleva plus tard la cité de Thèbes. Ensuite il se rendit à Onchêstos, mais le bois sacré de Poseidôn y était déjà établi ; puis traversant le Kêphissos, il arriva à Okalea, à Haliartos, à l’agréable plaine et à la fontaine si fréquentée de Delphusa ou Tilphusa. Ravi de ce lieu, Apollon se disposa à y établir son oracle, mais Tilphusa était fière de la beauté de son propre site, et il ne lui convenait pas que sa gloire fût éclipsée par celle du dieu[31]. Elle l’alarma en lui faisant craindre que la solennité de son oracle ne fût troublée par les chars qui luttaient dans sa plaine, et par les chevaux et les mulets qui venaient s’abreuver à sa fontaine ; et ainsi elle le décida à avancer plus loin vers le côté méridional du Parnassos, dominant le port de Krissa. Il y établit son oracle dans ce lieu montagneux, que ne fréquentaient ni les chars ni les chevaux, prés d’une fontaine, gardée toutefois par un immense et terrible serpent, qui jadis avait nourri le monstre Typhaôn. Apollon tua ce serpent d’une flèche, et laissa son corps pourrir au soleil : de là le nom de l’endroit, Pythô[32], et le surnom d’Apollon Pythien. Le plan étant tracé, le temple fut construit par Trophônios et Agamêdês, qu’aidait une foule d’auxiliaires empressés venus du voisinage. Cependant il découvrit alors avec indignation que Tilphusa l’avait trompé, et revint rapidement pour se venger. Ta fraude ne te réussira pas ainsi, dit-il, et tu ne conserveras pas tabelle eau : la gloire du lieu appartiendra à moi, et non à toi seule. Disant cela, il fit tomber un rocher sur la fontaine, et obstrua son limpide courant ; il établit un autel pour lui-même dans un bosquet tout près d’une autre source, où on l’adore encore comme Apollon Tilphusios ; à cause de la vengeance sévère qu’il tira de Tilphusa jadis si belle[33].

Apollon eut ensuite besoin de ministres choisis pour prendre soin de son temple et du sacrifice, et pour prononcer ses réponses à Pythô. Découvrant un vaisseau contenant beaucoup d’hommes bons qui était destiné à faire le négoce de Knossos (Gnosse) la ville de Minôs en Krête, à Pylos dans le Péloponnèse, il résolut de se servir pour son projet du vaisseau et de son équipage. Prenant la forme d’un immense dauphin, il fit jaillir l’eau et secoua le navire de manière à frapper les matelots de terreur, pendant qu’il envoyait un vent violent, qui poussa le vaisseau le long de la côte du Péloponnèse jusqu’au golfe de Corinthe, et enfin jusqu’au port de Krissa, où il s’échoua.

L’équipage effrayé n’osa pas débarquer ; mais on vit Apollon se tenant sur le rivage sous l’extérieur d’un vigoureux jeune homme, et il leur demanda qui ils étaient et ce qui les amenait. Le chef des Krêtois, pour réponse, racontait son voyage miraculeux, et forcé, quand Apollon lui-même s’en déclara l’auteur, disant qu’il avait tout combiné, et leur annonçant l’honorable fonction et le poste élevé auxquels il les destinait[34]. Sur son ordre ils le suivirent jusqu’aux rochers de Pythô sur le Parnassos, chantant le solennel Io-Pæan tel qu’il est chanté en Krête, tandis que le dieu lui-même marchait à leur tète avec sa taille élégante et d’un pas léger, en jouant de la lyre. Il leur montra le temple et la place de l’oracle, et leur enjoignit de l’adorer comme Apollon Delphinios, parce qu’ils l’avaient vu pour la première fois sous la forme d’un dauphin. Mais comment, demandèrent-ils, pourrons-nous vivre dans un lieu où il n’y a ni blé, ni vin, ni pâturages ? Ô vous, mortels simples ! répondit le dieu, vous qui n’attendez que des peines et des privations, sachez qu’un sort plus doux vous est réservé. Vous vivrez du bétail que la foule des pieux visiteurs amènera au temple. Vous n’aurez besoin que du couteau, afin d’être constamment prêts pour le sacrifice[35]. Votre devoir sera de garder mon temple, et d’officier comme ministres à mes fêtes : mais si vous vous rendez coupables de mal ou d’insolence, soit en parole, soit en action, vous deviendrez les esclaves d’autres hommes, et vous resterez à jamais dans cet état. Prenez garde à ces conseils et à cet avertissement.

Telles sont les légendes de Dêlos et de Delphes, suivant l’hymne homérique à Apollon. Lès fonctions spéciales du dieu et les principales localités de son culte, en même temps que les surnoms qui y étaient attachés, se trouvent ainsi expliqués historiquement, étant liés à ses actions et à ses aventures passées. Bien que ces légendes ne soient pour nous qu’une poésie pleine d’intérêt, cependant aux yeux de ceux qui les entendaient chanter, elles possédaient toutes les conditions voulues de l’histoire, et elles étaient crues complètement comme telles ; non parce qu’elles étaient fondées en partie sur la réalité, mais parce qu’elles se trouvaient en parfait accord avec les sentiments ; et tant que cette condition était remplie, ce n’était pas la mode à cette époque d’en discuter la vérité ou le mensonge. Le récit est purement personnel, sans aucune doctrine ou allégorie symbolisée quelconque, que lori puisse reconnaître en vue de servir comme but ultérieur supposé : les actions particulières attribuées à Apollon proviennent des préconceptions générales quant à ses attributs, combinées avec les réalités actuelles de son culte. Ce n’est ni de l’histoire ni de l’allégorie, ce sont de simples mythes ou de simples légendes.

Le culte d’Apollon est un des faits les plus anciens, les plus importants et les plus fortement marqués du monde grec, et il s’est répandu au loin dans toutes les branches de la race. Il est antérieur à l’Iliade et à l’Odyssée ; dans ce dernier poème, on trouve citées Pythô et Dêlos, bien que Dêlos ne soit pas nommée dans le premier. Mais l’Apollon ancien est, sous plus d’un rapport, différent de l’Apollon des temps plus modernes. Il est tout particulièrement le dieu des Troyens, hostile aux Grecs et spécialement à Achille : en outre ; il n’a que deus attributs primitifs, son arc et sa vertu prophétique, sans un lien distinct quelconque, soit avec la lyre, soit avec la médecine ou avec le soleil, attributs qu’à des époques postérieures il réunit tous. Il devient non seulement, comme Apollon Karneios, le principal dieu de la race dôrienne, mais encore (sous le surnom de Patrôos) la grande divinité protectrice du lien de famille entre les Ioniens[36] ; il est, de plus, un guide et un stimulant pour la colonisation grecque, jamais peut-être une seule colonie n’étant envoyée sans un encouragement et une direction venus de l’oracle de Delphes. Apollon Archegetês est un de ses grands surnoms[37]. Son temple donne un caractère sacré aux réunions de l’assemblée amphiktyonique ; il montre toujours une soumission filiale à son père Zeus, avec lequel il est dans un parfait accord : jamais on ne voit un conflit entre Delphes et Olympia. Dans l’Iliade, les chauds et ardents protecteurs des Grecs sont Hêrê, Athênê et Poseidôn : ici aussi Zeus et Apollon s’accordent ; car Zeus penche d’une manière décidée en faveur des Troyens, et ce n’est qu’en résistant qu’il les sacrifie à l’importunité des deux grandes déesses[38]. Le culte d’Apollon Sminthien, dans diverses parties de la Troade et du territoire voisin, est antérieur aux époques les plus anciennes de la colonisation æolienne[39] ; de là le zélé patronage de Troie, qui lui est attribué dans l’Iliade. Toutefois, la manière dont les dieux sont distribués et leurs prédilections telles que les présente ce poème diffèrent tout à fait de ce qu’elles devinrent dans des temps postérieurs, différence que nos moyens de connaître ne nous permettent pas d’expliquer d’une façon satisfaisante. Outre le temple de Delphes, Apollon avait de nombreux temples d’un bout à l’autre de la Grèce, et des oracles à Abæ, en Phôkis, sur le mont Ptôon, et à Tegyra, en Bœôtia, où l’on disait qu’il était né[40], à Branchidæ, près de Milêtos, à Klaros en Asie Mineure, et à Patara en Lykia. Il n’était pas le seul dieu qui prononçât des oracles. Zeus, à Dôdônê et à Olympia, donnait aussi des réponses : les dieux ou héros Trophônios, Amphiaraos, Amphilochos, Mopsos, etc., rendaient le même service, chacun dans son propre sanctuaire et de la manière particulière qui lui était prescrite.

Les deux légendes de Delphes et de Dêlos, mentionnées plus haut, ne sont naturellement qu’une fraction très insignifiante des récits qui existaient jadis au sujet du grand et vénéré Apollon. Elles servent seulement de spécimens, et de spécimens très anciens[41], pour faire comprendre la nature de ces mythes divins, et le tour de la foi et de l’imagination grecques. Le retour constant des fêtes des dieux provoquait sans cesse de nouveaux mythes concernant ces mêmes dieux, ou du moins des variétés et des, reproductions des vieux mythes. Même pendant le troisième siècle de l’ère chrétienne, à l’époque du rhéteur Ménandre, lorsque les vieilles formes du paganisme allaient déclinant et que le fonds des mythes existants était extrêmement riche, nous voyons ce besoin se faire sentir avec une grande force ; mais il était incomparablement plus actif dans ces temps reculés oit la veine créatrice de l’esprit grec conservait encore son ancienne et brillante richesse. Chaque dieu avait bien des surnoms divers, bien des solennités, bien des bois sacrés, bien des temples différents ; a chacun d’eux se rattachaient plus ou moins de récits mythiques, primitivement éclos dans l’imagination féconde et spontanée de voisins pleins de foi, pour être ensuite étendus, embellis et répandus par le chant du poète.

Le plus ancien sujet donné aux concurrents[42] à la grande fête d’Apollon Pythien consista en un hymne a chanter en l’honneur de ce dieu : d’autres agones furent ajoutés par la suite ; mais l’ode ou l’hymne constitua l’attribut fondamental de la solennité : les Pythia (jeux pythiens) à Sikyôn et ailleurs furent probablement établis sur une base semblable. De même dans les antiques et célèbres Charitêsia, ou fêtes des Charites, à Orchomenos, la lutte des poètes rivalisant dans leurs divers genres de composition commença et continua d’être le trait prédominant[43], et les inestimables trésors qui nous restent encore de la tragédie et la comédie athéniennes sont ce qui a été glané des drames si nombreux représentés jadis à la solennité des Dionysiaques. Les Ephésiens donnaient des récompenses considérables pour les meilleurs hymnes en l’honneur d’Artemis, qui devaient être chantés dans son temple[44]. Et les premiers poètes lyriques de la Grèce, bien que leurs écrits ne nous soient pas parvenus, consacraient leur génie dans une large mesure à de semblables productions, comme on peut le voir par les titres et les fragments conservés encore aujourd’hui.

Le christianisme et le mahométisme ont tous deux commencé pendant une époque historique, se sont propagés en partant d’un seul centre commun, et ont été élevés sur les ruines d’une foi préexistante différente. Aucune de ces particularités ne se rencontra dans le paganisme grec. Il prit tout simplement naissance à une époque d’imagination et de sentiment sans les entraves, comme aussi sans le secours d’écrits ou d’annales, de l’histoire ou de la philosophie. C’était, en règle générale, le produit spontané de beaucoup de tribus et de localités séparées, l’imitation et la propagation n’agissant que comme causes secondaires ; c’était de plus une foi primitive, autant que nos moyens de connaître nous permettent de le voir.

Ces considérations nous expliquent deux faits dans l’histoire de l’antique esprit païen. D’abord, les mythes divins, matière de leur religion, formaient aussi la matière de leur plus ancienne histoire ; ensuite, ces mythes ne s’accordaient entre eux que dans leurs types généraux, mais ils différaient d’une manière irrémédiable sous le rapport des incidents particuliers. Le poète qui chantait une aventure nouvelle d’Apollon, dont il pouvait avoir entendu le souvenir dans quelque localité écartée, prenait d’ordinaire soin qu’elle concordât avec les idées générales que ses auditeurs avaient au sujet du dieu. Il n’attribuait pas le ceste ni les influences amoureuses à Athênê ; il ne disait pas qu’Aphroditê portait l’égide ou se mêlait en armes aux combats des hommes ; mais pourvu qu’il conservât cette harmonie générale, il pouvait donner libre carrière à son imagination dans les événements particuliers de l’histoire[45]. Les sentiments et la foi de ses auditeurs l’accompagnaient, et il n’y avait pas de scrupules critiques pour les retenir : scruter la conduite affirmée des dieux était révoltant, et ne pas y ajouter foi était impie. Et c’est ainsi que ces mythes divins, bien qu’ayant leur racine simplement dans les sentiments religieux, et présentant, de grandes différences dans les faits, servaient néanmoins de matière historique primitive à un Grec des anciens temps : c’étaient les seuls récits, jadis publiquement accrédités et intéressants, qu’il possédât. A ces mythes divins se rattachaient les mythes héroïques (auxquels nous passerons tout à l’heure), et en vérité ces deus sortes de mythes sont inséparablement unis ; dieux, héros et hommes s’y montrant presque toujours dans le même tableau ; ils sont analogues, d’ailleurs, par leur structure et par leur origine, et diffèrent surtout par cette circonstance que les uns naissent du type d’un héros et les autres de celui d’un dieu.

Nous ne devons pas nous étonner si nous trouvons Aphroditê, dans l’Iliade, aille de Zeus et de Diônê, et si, dans la Théogonie d’Hésiode, elle est née de l’écume tombée sur la mer après la mutilation d’Uranos ; ni si, dans l’Odyssée, elle parait comme l’épouse d’Hêphœstos, tandis que dans la Théogonie celui-ci est l’époux d’Aglaia, et Aphroditê est représentée comme ayant eu trois enfants d’Arès[46]. L’hymne homérique à Aphroditê expose en détail la légende d’Aphroditê et d’Anchisês, qui est présupposé le père d’Æneas ; mais l’auteur de l’hymne, que l’on chantait probablement à l’une des fêtes d’Aphroditê à Cypre, représente la déesse comme honteuse de sa passion pour un mortel, et comme enjoignant à Anchisês avec des menaces sévères de ne pas révéler qui était la mère d’Æneas[47] ; tandis que dans l’Iliade elle n’a pas de scrupules à l’avouer publiquement, et qu’il passe partout comme son fils reconnu. Aphroditê est représentée dans l’hymne comme étant elle-même froide et insensible, mais occupée toujours à inspirer d’une façon irrésistible les sentiments amoureux aux dieux, aux hommes et aux animaux. Trois déesses sont mentionnées comme faisant une exception mémorable et échappant à son empire universel : Athênê, Artemis et Hestia ou Vesta. Aphroditê était une des plus importantes entre toutes les déesses du monde mythique ; car le nombre d’aventures pathétiques, intéressantes et tragiques que l’on peut tirer de la passion mal placée ou malheureuse est naturellement très grand ; et dans la plupart de ces cas l’intervention d’Aphroditê était habituellement mise en tête du récit, avec quelque légende pour expliquer pourquoi elle se manifestait. Sa sphère d’action s’étend dans les poètes épiques, lyriques et tragiques postérieurs plus loin que dans Homère[48].

Athênê, la déesse-homme[49] née de la tête de Zeus, n’ayant pas de mère et ne connaissant pas les sympathies féminines, contraste en partie avec Aphroditê, en partie avec l’efféminé Dionysos ou le dieu-femme. Celui-ci est une importation de l’Asie, mais Athênê est une conception grecque — le type de la force calme, majestueuse et inflexible. Toutefois, cette déesse semble avoir été conçue d’une manière différente dans différentes parties de la Grèce. Car nous trouvons dans quelques légendes qu’on lui donne pour attributs le travail et la vie sédentaire ; elle est représentée comme la compagne d’Hêphœstos, la protectrice des travaux manuels, habile à tisser et à manier le fuseau : les potiers athéniens l’adoraient en même temps que Promêtheus. De tels traits de caractère ne cadrent pas avec la formidable égide ni avec la lance massive et écrasante qu’Homère et la plupart des mythes lui attribuent. Il y avait sans doute primitivement au moins deux types différents d’Athênê, et dans leur fusion le moins marqué des deux a été effacé en partie[50]. Athênê est la constante et attentive protectrice d’Hêraklês : elle est aussi, dans certains endroits, identifiée avec le sol et le peuple d’Athènes, même dans l’Iliade. Erechtheus, l’Athénien, est né de la terre, mais Athênê l’élève, le nourrit et le loge dans son propre temple, où les Athéniens l’adorent annuellement au moyen de sacrifices et de solennités[51]. Il était absolument impossible de faire d’Erechtheus le fils d’Athênê, le type de la déesse s’y opposait : ceux qui créaient des mythes parmi les Athéniens, bien que trouvant l’obstacle infranchissable, s’efforcèrent d’en approcher aussi près que possible, et la description qu’ils donnent de la naissance d’Erichthonios, description aussi peu homérique qu’invraisemblable, présente quelque chose qui ressemble au fantôme de la maternité[52].

La chasseresse Artemis, en Arcadia et dans la Grèce propre, présente en général un type bien défini avec lequel s’accordent assez bien les légendes qui la concernent. Mais l’Artemis d’Ephesos, comme l’Artemis de Tauride, a plus du caractère asiatique, et a emprunté les attributs de la Grande Mère Lydienne aussi bien que ceux d’une Vierge Taurique indigène[53] : cette Artemis d’Ephesos passa aux colonies de Phokæa (Phocée) et de Miletos[54].

L’Artemis homérique partage avec son frère Apollon l’adresse à se servir de l’arc qui frappe au loin, et la mort soudaine est dépeinte par le poète comme infligée par sa douce flèche. La jalousie des dieux., causée par le refus des honneurs et des sacrifices qui leur sont dus, ou par la présomption de mortels osant entrer en lutte avec eux, — trait de caractère se reproduisant si fréquemment dans les types des dieux grecs — se manifeste dans les légendes d’Artemis. Le mémorable sanglier de Kalydôn est envoyé par elle comme châtiment infligé à Œneus, pour avoir omis de lui offrir un sacrifice, tandis qu’il honorait d’autres dieux[55]. L’héroïne arcadienne Atalantê est toutefois une reproduction d’Artemis, avec peu ou point de différence, et la déesse est quelquefois confondue même avec les nymphes ses compagnes.

Le puissant Poseidôn, qui ébranle la terre et gouverne la mer, n’est inférieur en pouvoir qu’à Zeus seul, mais il rie partage pas ces propriétés supérieures et royales que présente le Père des Dieux et des hommes. Il compte une progéniture héroïque nombreuse, habituellement des hommes d’une grande force corporelle, dont beaucoup appartiennent à la race Éolienne. La grande famille des Nélides de Pylos fait remonter jusqu’à lui son origine ; et il est aussi le père de Polyphêmos le Cyclôpe, dont il venge cruellement sur Odysseus la souffrance si bien méritée. Sa Dêlos est l’île de Kalaureia[56], où était tenue une ancienne assemblée amphiktyonique locale, dans le but de lui offrir à la fois des hommages et des sacrifices. L’isthme de Corinthe, Helikê en Achaïa et Onchêstos en Bœôtia sont aussi des résidences qu’il aime beaucoup, et où il est solennellement adoré. Mais le séjour qu’il choisit dans l’origine et spécialement pour lui-même était l’Acropole d’Athènes, où d’un coup de son trident il produisit un puits d’eau dans le rocher — Athênê tint après et réclama la place pour elle-même, plantant comme signe de prise de possession l’olivier qui s’éleva dans le bois sacré de Pandrosos ; et la décision soit de l’autochtone Cécrops, soit d’Erechtheus, lui donna la préférence, au grand déplaisir de Poseidôn. Pour cette raison, ou à cause de la mort de son fils Eumolpos, tué en soutenant les habitants d’Éleusis contre Erechtheus, les mythes attiques attribuaient à Poseidôn une grande inimitié contre la famille des Erechthides, qu’il finit, assure-t-on, par renverser. On dit que Theseus, dont le règne et les exploits glorieux succédèrent à cette famille, a été réellement son fils[57]. Dans plusieurs autres endroits, — à Ægina, à Argos et à Naxos, — Poseidôn avait disputé les privilèges de dieu protecteur à Zeus, à Hêrê et à Dionysos : il fut battu partout, mais supporta patiemment son échec[58]. Poseidôn subit un long esclavage, en compagnie d’Apollon, tout dieux qu’ils étaient[59], sous Laomedôn, roi de Troie, d’après l’ordre et la condamnation de Zeus : les deux dieux rebâtirent les murailles de la ville, qu’Héraclès avait détruites. Quand leur temps fut expiré, l’insolent Laomedôn leur refusa la récompense convenue, et accompagna même son refus d’épouvantables menaces ; et l’impression que fit sur le dieu cette injustice fut une puissante cause de son animosité ultérieure contre Troie[60].

De telles périodes de servitude, infligées à des dieux individuels, sont au nombre des plus remarquables parmi tous les incidents que contiennent les légendes divines. Dans une autre occasion nous trouvons Apollon condamné à servir Admêtos, roi de Pheræ, comme punition du meurtre des Cyclôpes, et Hêraklês aussi est vendu comme esclave à Omphalê. Même le fier Arès, vaincu et emprisonné pour un long temps par les deux Aloïdes[61], n’est à la fin délivré que par un secours étranger. De tels récits attestent l’essor vagabond que prenait l’imagination grecque en ce qui concernait les dieux, et le mélange complet qu’ils faisaient des choses et des personnes, tant divines qu’humaines, dans leurs conceptions du passé. Le dieu qui sert est dégradé pendant le temps de sa servitude, mais le Dieu suprême qui l’ordonne est rehaussé dans la même proportion, en même temps que l’idée d’une certaine sorte d’ordre et de gouvernement parmi ces êtres surhumains n’était jamais perdue de vue. Néanmoins les mythes ayant trait à la servitude des dieux furent plus tard, avec beaucoup d’autres, exposés à une critique sévère de la part des philosophes.

L’orgueilleuse, la jalouse, l’aigre Hêrê, — la déesse de Mykênæ (Mycènes) jadis puissante, le Fax et cocus de la guerre de Troie, et la protectrice toujours présente de Jason dans l’expédition des Argonautes[62], — tient une place absolument nécessaire dans le monde mythique. En qualité de fille de Kronos et d’épouse de Zeus, elle occupe tus trône d’où il ne peut la déplacer, et qui lui donne le droit de le gronder et de le contrarier sans cesse[63]. Sa jalousie sans bornes contre les favorites de Zeus, et son antipathie contre ses fils, particulièrement contre Hêraklês, a inspiré des mythes innombrables ; le type général de son caractère y est clairement marqué, comme procurant à la fois un stimulant et un guide a l’imagination qui crée les mythes. Les Noces sacrées, ou mariage de Zeus et de Hêrê, étaient familières aux auteurs d’épithalames longtemps avant de devenir un sujet pour l’habileté de critiques disposés à le spiritualiser.

Hêphæstos est fils de Hêrê, il n’a pas de père, et il est vis-à-vis d’elle dans le même rapport qu’Athênê vis-à-vis de Zeus ; son orgueil et son peu de sympathie, elle les a prouvés en le jetant jadis dehors à cause de sa difformité[64]. Il est le dieu du feu — particulièrement du feu dans ses applications pratiques aux travaux manuels — et comme bras droit et instruisent des dieux, ils ne peuvent se passer de lui. Son habileté et sa difformité paraissent tour à tour comme la source d’histoires mythiques : partout où l’on veut désigner une fabrication parfaite et achevée, Hêphæstos est annoncé comme en étant l’auteur, bien que sous ce rapport le type de son caractère soit reproduit dans Dædalos. Dans les légendes athéniennes, il parait uni intimement et à Promêtheus et à Athênê ; et il était adoré conjointement avec eux à Kolônos (Colone) prés d’Athènes. Lemnos était la résidence favorite d’Hêphæstos : et si nous avions plus de connaissances sur cette île et sur la ville Hêphæstias, nous trouverions sans doute d’abondantes légendes exposant en détail ses aventures et la manière dont il intervient dans les affaires des hommes.

La chaste, la tranquille et sédentaire Hestia, déesse du foyer domestique, a fourni bien moins de récits mythiques, malgré sa dignité bien supérieure, que Hermês`le dieu fourbe, au doux langage, fin et avide de gain. Sa fonction de messager des dieux l’amène continuellement sur la scène, et donne ample occasion de dessiner les traits de son caractère. L’hymne homérique à Hermês décrit la scène et les circonstances de sa naissance, et la manifestation presque instantanée, même dans son enfance, de ses attributs particuliers. II explique le bon pied sur lequel il était avec Apollon, l’échange mutuel entre eux de présents et de fonctions, et enfin la sécurité complète assurée aux richesses et aux offrandes dans le temple de Delphes, exposées comme elles l’étaient aux voleurs sans aucune protection apparente. Tels étaient l’adresse et le talent innés dans Hermês, que le jour oit il naquit il inventa la lyre, en tendant les sept cordes sur l’écaille d’une tortue[65], et de plus il déroba le bétail d’Apollon en Piéria, en tirant les animaux à reculons jusqu’à sa caverne en Arcadia, de telle sorte qu’on ne put découvrir leurs traces. Lorsque sa mère Maïa lui fait des remontrances et lui signale le danger qu’il court en offensant Apollon, Hermês répond qu’il aspire à être l’égal d’Apollon en dignité et eu fonctions parmi les immortels, et que si son père Zeus refuse de les lui accorder, il emploiera son talent de voleur à forcer le sanctuaire de Delphes, et à en tirer l’or et les vêtements, les trépieds et les vases précieux[66]. Bientôt Apollon découvre la perte de son bétail, et avec quelque difficulté il trouve le chemin de la caverne du mont Cyllêne, où il voit Hermês endormi dans son berceau. L’enfant nie le larcin avec effronterie, et même déclare le soupçon aussi impossible que ridicule : il persiste dans ces dénégations même devant Zeus, qui cependant découvre aussitôt la ruse et le force à révéler l’endroit oit il a caché le bétail. Mais la lyre était encore inconnue à Apollon, qui n’avait entendu que la voix des Muses et les sons du pipeau. Il est si fortement séduit en entendant les accents de la lyre produits par Hermês et si désireux de la posséder, qu’il est tout disposé aussitôt à pardonner le larcin et même à se concilier en outre l’amitié d’Hermês[67]. En conséquence, un marché est conclu entre les deux dieux et sanctionné par Zeus. Hermês abandonne la lyre à Apollon, il invente. pour son propre usage la syrinx ou flûte de Pan, et reçoit d’Apollon en échange la verge d’or de la richesse, avec l’empire sur les troupeaux de petit et de grand bétail aussi bien que sur les chevaux, les bœufs et les animaux sauvages des bois. Il insiste pour obtenir le don de prophétie, mais Apollon est contraint par un vœu spécial à n’accorder ce privilège à aucun dieu quel qu’il soit. Toutefois il apprend à Hermês le moyen de tirer des renseignements, dans une certaine mesure, des Mæræ ou Parques elles-mêmes, et il lui assigne, en outre, la fonction de messager des dieux vers Hadês.

Bien qu’Apollon ait acquis la lyre, l’objet particulier de ses désirs, il craint toujours qu’Hermès ne la lui dérobe encore, ainsi que son arc, et il exige un serment solennel par le Styx comme garantie. Hermês promet solennellement de ne soustraire aucune des choses que le dieu a acquises, ni d’envahir jamais le sanctuaire d’Apollon ; tandis que celui-ci s’engage de son côté à reconnaître Hermês comme l’ami et le compagnon de son choix, parmi tous les autres fils de Zeus, humains ou divins[68].

Telle fut, sous la sanction de Zeus, l’origine de la faveur marquée qu’Apollon montra à Hermês. Mais Hermês (dit en terminant l’hymnographe, avec une franchise inaccoutumée en parlant d’un dieu), Hermês fait très peu de bien : il profite de l’obscurité de la nuit pour frauder sans mesure les familles des mortels[69].

Ici les types généraux d’Hermès et d’Apollon, joints à la circonstance suivante, à savoir qu’aucun voleur n’approchait jamais des riches trésors de Delphes en apparence accessibles, donnent naissance à une série d’incidents propres à les faire connaître ; incidents mis sous une forme pour ainsi dire historique et exposant en détail comment il arriva qu’Hermès s’était engagé par une convention spéciale à respecter le temple de Delphes. Les types d’Apollon semblent avoir différé il différentes époques et dans des lieux différents en Grèce : dans quelques endroits on l’adorait comme Apollon Nomios[70], ou protecteur des pâturages et du bétail ; et cet attribut, qui ailleurs passa a son fils Aristæos, est par nôtre hymnographe volontairement abandonné à Hermês, conjointement avec la verge d’or de la fertilité. D’autre part, la lyre n’appartint pas dans l’origine au roi qui frappe au loin, et ce n’est nullement un inventeur : l’hymne explique et comment la lyre fut d’abord inventée, et comment elle vint en sa possession. Et l’importance des incidents sert ainsi en partie à exposer les choses, en partie à les expliquer, comme présentant en détail le caractère général préconçu du dieu de Cyllène.

On attribuait à Zeus plus d’amours qu’à aucun des autres dieux, — sans doute parce que les rois et les chefs grecs étaient particulièrement désireux de faire remonter leur lignage au plus élevé et au plus glorieux de tous, — chacun de ces amours ayant sur la terre sa progéniture qui le représentait[71]. De tels sujets étaient de ceux qui promettaient le plus d’agrément et d’intérêt pour les récits mythiques, et Zeus comme amant devint ainsi le père d’une foule de légendes, se ramifiant à l’infini et amenant un grand nombre d’interventions dont l’occasion était fournie par ses fils, tous personnages distingués, parmi lesquels beaucoup furent persécutés par Hêrê. Mais outre cela, les fonctions dominantes de Dieu suprême, judiciaires et administratives, s’étendant à la fois sur les dieux et les hommes, étaient un stimulant puissant pour l’activité de l’esprit créateur des mythes. Zeus a à veiller sur sa propre dignité, la première de toutes les considérations pour un dieu : de plus, comme Horkios, Xenios, Ktêsios, Meilichios (faible partie de ses mille surnoms), il garantissait les serments et punissait les parjures, il imposait le respect pour les lois de l’hospitalité, il gardait le trésor de la famille et la récolte faite pour l’année, et il accordait l’expiation au criminel repentant[72]. Toutes ces différentes fonctions créaient le besoin de mythes, comme moyen de traduire un pressentiment indistinct, mais sérieux, en une forme distincte, pouvant à la fois s’expliquer elle-même et se communiquer aux autres. Pour fortifier la sainteté du serment ou du lien de l’hospitalité, le plus puissant de tous les arguments était d’ordinaire une collection de légendes concernant les jugements de Zeus, Horkios ou Xenios : plus de telles légendes faisaient d’impression et inspiraient de terreur, plus leur intérêt était grand et moins qui que ce soit osait leur refuser créance. Elles étaient l’effusion naturelle d’un sentiment fort et commun, vraisemblablement sans aucune intention morale calculée : les préconceptions de l’action divine, développées dans la légende, formaient un produit analogue à l’idée de la symétrie et des traits divins, prenant corps dans la statue de bronze ou de marbre.

Mais ce n’était pas seulement le type général et les attributs des dieux qui contribuaient à exciter cette disposition des esprits à créer des mythes. Les rites et les solennités formant le culte de chaque dieu, aussi bien que les particularités de son temple et de la localité où ce temple se trouvait, furent une source féconde de mythes concernant ses exploits et ses malheurs, et qui pour le peuple qui les entendait faisaient l’office d’histoire du passé. Les exégètes, ou guides et interprètes locaux, appartenant à chaque temple, conservaient et racontaient aux étrangers curieux ces récits traditionnels, qui prêtaient une certaine dignité même aux pratiques minutieuses du service divin. D’un fonds de matériaux aussi riche, les poètes tiraient des collections individuelles, telles que les CausesΑϊτια  — de Callimaque, aujourd’hui perdues, et telles que sont les Fastes d’Ovide pour les antiquités religieuses des Romains[73].

C’était l’usage de n’offrir aux dieux en sacrifice que les os de la victime, enveloppés dans de la graisse. Comment s’est établi cet usage ? L’auteur de la Théogonie hésiodique a une histoire qui l’explique : Promêtheus dupa Zeus en l’engageant à un choix imprudent, à l’époque où les dieux et les mortels en vinrent pour la première fois à un arrangement au sujet de leurs privilèges et de leurs devoirs (à Mekôné). Promêtheus, le représentant et le protecteur de l’homme, partagea un grand taureau en deux parties : d’un côté il plaça la chair et les intestins, repliés dans l’épiploon et recouverts de la peau ; de l’autre il mit les os enveloppés dans de la graisse. Il invita alors Zeus à décider laquelle des deux portions les dieux préféreraient recevoir des hommes. Zeus à deux mains choisit et prit la graisse blanche ; mais il fut vivement irrité en trouvant qu’il n’avait au fond que des os[74]. Néanmoins le choix des dieux était dés lors fait d’une manière irrévocable : ils n’eurent droit à aucune partie quelconque de l’animal sacrifié, si ce n’est aux os et à la graisse blanche ; et l’usage existant est expliqué ainsi d’une façon plausible[75].

Je choisis cet exemple entre mille pour montrer comment la légende est née des pratiques religieuses. Dans la croyance du peuple, l’événement raconté dans la légende était la cause réelle d’où naissait la coutume ; mais quand nous venons à appliquer une saine critique, nous sommes forcé de traiter l’événement comme existant seulement dans la légende qui le raconte, et la légende elle-même comme ayant été, dans le plus grand nombre de cas, engendrée par la coutume, en renversant ainsi l’ordre supposé de production.

Quand on s’occupe des mythes grecs en général, il convient de les distribuer en mythes appartenant aux dieux et en mythes appartenant aux héros, selon que les uns ou les autres sont les personnages en relief. La première classe manifeste, d’une manière plus palpable que la seconde, l’origine réelle des mythes issus de la foi et des sentiments, sans aucune base nécessaire quelconque, soit de fait pratique, soit d’allégorie : de plus, ils jettent un jour plus direct sur la religion des Grecs, qui joue un rôle si important dans leur caractère à les considérer comme peuple. Mais effectivement la plupart des mythes nous présentent les Dieux, les Héros et les Hommes placés à côté les uns des autres. Et la richesse de la littérature mythique grecque résulte de l’infinie diversité de combinaisons ainsi révélées ; d’abord par les trois types formant classes, le Dieu, le Héros et l’Homme ; ensuite par la fidélité stricte avec laquelle sont traités chaque classe et chaque caractère séparés. Nous descendrons maintenant le cours de l’époque mythique, qui commence avec les Dieux, jusqu’aux légendes héroïques, c’est-à-dire jusqu’à celles qui concernent principalement les Héros et les Héroïnes ; car ces dernières tenaient une place tout aussi importante dans la légende que les premiers.

 

 

 



[1] Ægyptiaca numina fere plangoribus gaudent, græca plerumque choreis, barbara autem strepitu cymbalistarum et tympanistarum et choraularum. (Apulée, de Genio Socratis, v. II, p. 149, Oudend.)

[2] La légende de Dionysos et de Prosymnos, telle qu’on la lit dans Clément, n’aurait jamais trouvé place dans un poème épique. (Admonit. ad Gent., p. 22, Sylb.) Cf. p. 11 du même ouvrage, où, cependant, il confond tellement ensemble les mystères phrygiens, bachiques, et ceux d’Éleusis, qu’on ne peut les distinguer les uns des autres.

L’auteur appelé Démétrius de Phalère dit, à propos des légendes appartenant à ces cérémonies : — Διό xαί τά μνστήρια λέγεται έν άλληγορίαις πρός έxπληξέν xαί φρίxην, ώσπερ ιν σxότω xαί νυxτί. (De Interpretatione, c. 101.)

[3] V. le curieux traité de Plutarque, De Isid. et Osirid., c. 11-14, p. 355, et la tentative qu’il fait pour allégoriser la légende dans tous ses détails. Il semble s’être imaginé que le Thrace Orphée avait d’abord introduit en Grèce les mystères de Dêmêtêr et ceux de Dionysos, en les copiant sur ceux d’Isis et d’Osiris en Égypte, V. Fragm. 84 de l’un de ses ouvrages perdus, tome V, p. 891, cd. Wytrenb.

[4] Eschyle a mis sur la scène l’histoire de Pentheus aussi bien que celle de Lykurgos : une de ses tétralogies était la Lycurgeia. (Dindorf, Æsch. Fragm. 115). On trouve dans Eumenid., 25, une courte allusion à l’histoire de Pentheus. Cf. Sophocle, Antigone, 935, et les scholies.

[5] Iliade, VI, 130. V. les remarques de M. Payne Knight, ad loc.

[6] V. Homère, hymne V, περί τών έν Πλαταίαις Δαιδάλων. — Le drame satirique d’Euripide, le Cyclôpe, développe et étend cette vieille légende. Dionysos est emmené par les pirates tyrrhéniens, et Silênos, à la tête des Bacchantes, va partout à sa recherche (Eur., Cyc., 112). Les pirates sont excités contre lui par la haine de Hêrê, que l’on trouve souvent comme une cause de malheur pour Dionysos (Bacchæ, 286). Hêrê, dans sa colère, avait rendu fou le dieu encore enfant, et il avait erré en cet état dans toute l’Égypte et dans toute la Syrie ; à la fin il vint à Cybelê en Phrygia, fut purifié (xαθαρθείς) par Rhéa, et reçut d’elle des vêtements de femme (Apollod., III, 5, 1, et une note de Heyne). Telle semble avoir été la légende adoptée pour expliquer l’antique vers de l’Iliade, aussi bien que les attributs du dieu en général, attributs qui menaient à la folie.

Il existait une antipathie constante entre les prêtresses et les établissements religieux de Hêrê et de Dionysos. (Plutarque, περί τών έν Πλαταίαις Δαιδάλων, c. 2, tome V, p. 755, éd. Wytt.) Plutarque tourne en ridicule la raison légendaire communément donnée de ce fait, et il fournit une explication symbolique qu’il croit très satisfaisante.

[7] Euripide, Bacchæ, 325, 464, etc.

[8] Strabon, X, p. 471. Cf. Aristide, Or., IV, p. 28.

[9] Dans la pièce d’Eschyle, Xantriæ, aujourd’hui perdue, qui semble avoir compris le conte de Pentheus, paraissait la déesse Λύσσα, stimulant les Bacchantes, et produisant en elles des mouvements convulsifs de la tête aux pieds : Έx ποδών δ̕άνω Ύπέρχεται σπαραγμός είς άxρον xάρα, etc. (Fragm.155, Dindorf). Sa tragédie appelée Edoni offrait aussi nue représentation effrayante des Bacchanales et de la fureur qui y dominait, poussée à l’extrême par une musique donnant le délire : πίμπλησι μέλος, Μανίας έπαγωγόν όμοxλάν. (Fragm. 54.)

Tel est aussi le sentiment qui règne dans une grande partie des Bacchæ d’Euripide : il ressort d’une manière encore plus frappante dans le lugubre poème de Catulle, Atys :

Dea magna, Dea Cybele, Dindymi Dea, Domina,

Procul a mea tuus sit furor omnis, fiera, domo ;

Alios age, incitatos ; alios age rabidos !

Nous n’avons qu’à comparer cette redoutable influence avec la description de Dikæopolis, et de sa joie excessive dans la fête des Dionysiaques rurales (Aristophane, Acharn., 1051 seq. V. aussi Platon, Legg., I, p. 637), pour voir comme les innovations étrangères ont rendu son ancienne couleur an vieux Dionysos grec, — Διόνυσος πολυγηθής, qui parait ainsi dans la scène de Dionysos et d’Ariadnê, dans le Symposion de Xénophon, c. 9. Plutarque insiste sur la simplicité des anciennes processions Dionysiaques, de Cupidine Divitiarum, p. 527 ; et le dithyrambe primitif adressé par Archiloque à Dionysos est l’effusion d’une gaieté causée par l’ivresse. (Archil. Fragm. 69, éd. Schneid.)

[10] Pindare, Isthmiques, VI, 3, χαλxοxρότου πάρεδρον Δημήτερος, — nous voyons Dêmêtêr rapprochée de la Mère des Dieux par l’épithète  ή xροτάλων τυπάυων τ̕ίαχή, σύν τε Βρόμος αύλών Εΰαδεν (Isomère, Hymn. XII) ; — la Mère des Dieux était adorée par Pindare lui-même, en même temps que Pan ; de son temps elle avait son temple, ses cérémonies à Thêbes (Pyth., III, 78 ; Fragm. Dithyr. 5 et les schol, ad. loc.), aussi bien, vraisemblablement, qu’à Athènes. (Pausanias, I, 3, 3.)

Dionysos et Dêmêtêr sont aussi rapprochés dans le chœur de l’Antigone de Sophocle, 1072, μέδεις δέ παγxοίνοι Έλευσινίας Δηοΰς έν xόλποις ; et dans Callimaque, Hynm. Cerer., 70. Bacchus on Dionysos est, dans les tragiques attiques, constamment confondu avec Iacchos de la fête de Dêmêtêr, si différent dans l’origine, — personnification du mot mystique que criaient les initiés d’Éleusis. V. Strabon, X, p. 468.

[11] Euripide, dans son chœur d’Hélène (1320 sq.), donne à Dêmêtêr tous les attributs de Rhéa, et les réunit complètement toutes deux en une seule personne.

[12] Sophocle, Antigone, Βαxχάν μητρόπολιν Θήβαν.

[13] Homère, Hymn. Cerer., 123. L’hymne à Dêmêtêr a été traduit et enrichi de précieuses notes explicatives par J. H. Voss (Heidelb. 1826).

[14] Homère, Hymn. Cerer., 202-210.

[15] On a aussi raconté cette histoire en la rapportant à la déesse égyptienne Isis dans ses voyages. V. Plutarque, de Isid. et Osirid., ch. 16, p. 357.

[16] Homère, Hymn. Cerer. 274.

La même histoire est racontée au sujet d’Achille enfant. Sa mère Thétis prenait les mêmes mesures pour le rendre immortel, quand son père Pêleus intervint et l’empêcha d’achever. Immédiatement Thetis le quitta, transportée d’une grande colère. (Apollon. Rhod., IV, 866.)

[17] Homère, Hymn. 290.

[18] Homère, H. Cer., 305.

[19] Hymn. 375.

[20] Hymn. 443.

[21] Hymn. 475.

[22] Aristophane, Vesp., 1363. Hesych. v. Γεφυρίς. Suidas, v. Γεφυρίζων. Cf. sur les détails de la cérémonie Clemens Alex., Admon. ad Gent., p. 13. Une licence semblable d’humeur plaisante et sans frein parait dans les rites de Dêmêtêr en Sicile (Diodore, V, 4 ; V. aussi Pausanias, VII, 27, 4) et dans le culte de Damia et d’Auxesia à Ægina (Hérodote, V, 83).

[23] Hérodote, V, 61.

[24] Pausanias, I, 38, 3 ; Apollodore, III, 15, 4. Heyne, dans sa note, admet plusieurs personnages du nom d’Eumolpos. Cf. Isocrate, Panegyr., p. 55. Philocore, l’antiquaire athénien, n’avait pas pu recevoir la légende de l’hymne d’Éleusis, d’après le récit différent qu’il donna du rapt de Persephon (Philoch., Fragm. 46, éd. Didot), aussi concernant Keleos (Fragm. 28, ibid.).

[25] Phytalos, l’Éponyme ou parrain de cette famille, avait donné l’hospitalité à Dêmêtêr, dans sa maison, quand pour la première fois elle dota l’humanité du fruit du figuier (Pausanias, I, 37, 2).

[26] Callimach., Hymn. Cerer., 19 ; Sophocle, Triptolemos, Fragm. 1 ; Cicéron, Legg., II, 14, et la note de Servius ad Virgil., Æn., IV, 58.

[27] Xénophon, Helléniques, V, 2, 29 ; Hérodote, VI, 16, 134.

[28] Hérodote, VII, 200.

[29] D’après une autre légende, on disait que Lêtô avait été transportée du pays des Hyperboréens à Dêlos en douze jours, sous la forme d’une louve, pour échapper à l’œil jaloux de Hêrê. En rapport avec cette légende, on affirmait que toujours les louves ne mettaient au monde leurs petits que pendant ces douze jours de l’année (Arist., Hist. animal., VII, 35).

[30] Homère, Hymn. Apoll., I. 179.

[31] Homère, Hymn. Apoll., 262.

[32] Homère, Hymn., 363, πύθεσθαι, pourrir.

[33] Homère, Hymn. Apoll., 381.

[34] Homère, Hym. Apoll., 475. sqq.

[35] Homère, Hymn. Apoll., 535.

[36] Harpocration, V. Άπόλλων πατρώος et Έρxεΐος Ζεύς. Apollon Delphinios aussi appartient aux Grecs de l’Ionie en général. Strabon, IV, 179.

[37] Thucydide, VI, 3 ; Callimach., Hymn. Apoll., 56.

[38] Iliade, IV, 30-46.

[39] Iliade, I, 38, 451 ; Stephan. Byz., Ίλιον, Τένεδος. V. aussi Klausen, Eneas und die Penaten, b. I, p. 69. Le culte d’Apollon Sminthien et la fête appelée Sminthia à Alexandria Troas durèrent jusqu’au temps du rhéteur Ménandre, à la fin du troisième siècle après J.-C.

[40] Plutarque, Defect. Oracul., c. 5, p. 412 ; c. 8, p. 414 ; Steph. Byz., V. Τεγύρα. Le temple d’Apollon Ptôen avait acquis de la célébrité avant l’époque du poète Asius. Pausanias, IV, 23, 3.

[41] La légende que suivit Ephore au sujet de l’établissement du temple de Delphes était quelque chose de radicalement différent de l’Hymne Homérique (Ephori Fragm. 70, éd. Didot) ; son récit fit beaucoup pour donner à cette histoire un caractère politique et lui enlever son caractère fabuleux. La progéniture d’Apollon fut très nombreuse, et avait les attributs les plus divers ; il était père des Korybantes (Phérécyde, Fragm. 6, éd. Didot), comme d’Asklêpios (Esculape) et d’Aristæos (Schol. Apoll. Rhod., II, 500 ; Apollod., III, 10, 3).

[42] Strabon IX, p. 421. Ménandre le Rhéteur (Walz. Coll. Rhet., t. IX, p. 136) donne une classification complète et détaillée d’hymnes en l’honneur des dieux, qu’il divise en neuf classes. — La seconde classe se rapportait à l’absence temporaire ou au départ d’un dieu pour quelque endroit éloigné, ce qui était souvent admis dans l’ancienne religion. Sappho et Alkman dans leurs hymnes Klétiques invoquaient les dieux de bien des lieux différents. — Τήν μέν γάρ Άρτεμιν έx μυρίων μέν όρεων, μυρίων δέ πόλεων, έτι δέ ποτάμων, άναxαλεϊ, — de même Aphroditê et Apollon, etc. Tous ces chants étaient remplis d’aventures et de détails concernant les dieux, — en d’autres termes, de matière d’éléments légendaires.

[43] Pindare, Olymp., XIV ; Bœckh, Staatshaushaltung der Athener, Appendix, § XX, p. 357.

[44] Alexander Molus, ap. Macrobe, Saturnales, V. 22.

[45] La naissance d’Apollon et d’Artemis comme enfants de Zeus et de Lêtô est un des faits les plus généralement admis dans les légendes divines grecques. Cependant Eschyle ne se fit pas scrupule de représenter publiquement Artemis comme fille de Dêmêtêr (Hérodote II, 156 ; Pausanias, VIII, 37, 3). Hérodote pense qu’il copia cette innovation sur les Egyptiens, qui affirmaient qu’Apollon et Artemis étaient les enfants de Dionysos et d’Isis.

Le nombre et la différence des mythes concernant chaque dieu sont attestés par les efforts infructueux qu’ont faits des Grecs savants pour échapper à la nécessité d’en rejeter quelques-uns en multipliant les personnages homonymes : — trois personnages nommés Zeus ; cinq, Athênê ; six, Apollon, etc. (Cicéron, de Natur. Deor., III, 21 ; Clem. Alexand., Admon. ad Gent., p. 17.)

[46] Hésiode, Théogon., 188, 934, 945 ; Homère, Iliade, c. 371 ; Odyssée, VIII, 268.

[47] Homère, Hymn. Vener., 248, 286 ; Homère, Iliade, V. 320, 386.

[48] Une grande partie de l’épopée hésiodique avait trait aux exploits et aux aventures des femmes héroïques, — le Catalogue des Femmes et les Eoiai renfermaient une suite de tels récits. Hésiode et Stésichore donnaient pour cause de la conduite d’Helenê et de Clytæmnestra la colère d’Aphroditê, causée par la négligence de leur père Tyndareus à sacrifier à cette déesse (Hésiode, Fragm. 59, éd. Düntzer ; Stesich., Fragm. 9, éd. Schneidewin) ; l’irrésistible ascendant d’Aphroditê est montré dans l’Hippolyte d’Euripide non moins fortement que celui de Dionysos dans les Bacchæ. Le caractère de Daphnis le berger, bien connu par la première Idylle de Théocrite, et servant à démontrer la force destructive d’Aphroditê, semble avoir été introduit pour la première fois dans la poésie grecque par Stésichore (V. Klausen, Æneas und die Penaten, vol. I, p. 526-529. Cf. Welcker, Kleine Schriften, part. I, p. 189. Cf. un morceau frappant parmi les Fragmenta incerta de Sophocle (Fragm. 63, Brunck) et Euripide, Troad., 916, 995, 1048. Même dans les Opp. et Di. d’Hésiode, Aphroditê est conçue plutôt comme une influence nuisible et troublant l’homme (v. 65).

Adonis doit sa renommée aux poètes alexandrins et aux rois leurs contemporains (V. l’Idylle de Bion et les Adoniazusæ de Théocrite). Les favoris d’Aphroditê, même tels qu’ils sont énumérés par le soin de Clément d’Alexandrie, sont toutefois en très petit nombre (Admon. ad Gent, p. 12, Sylb.).

[49] Άνόροθέα δώρον... Άθάνα. Simmias Rhodins ; Πέλεxυς ap. Hephæstion, c. 9, p. 54, Gaisford.

[50] Apollod. ad. Schol. ad Sophocl., Ædip., col. 57 ; Pausanias, I, 24, 3 ; IX, 26, 3 ; Diodore, V. 73 ; Platon, Legg., IX, p. 920. Dans les Opp. et Di. d’Hésiode, le charpentier est le serviteur d’Athênê (429). V. aussi Phereklos le τέxτων dans l’Iliade, V. 61. Cf. VIII, 385 ; Odyssée, VIII, 493 ; et l’Hymne homérique à Aphroditê, v. 12. Le savant article de O. Müller (dans l’Encyclopédie de Ersch et Gruber, et publié de nouveau depuis dans ses Kleine Deutsche Schiften, p. 134 sqq.) Pallas Athênê présente réuni tout ce qu’on peut savoir sur cette déesse.

[51] Iliade, II, 546 ; VIII, 362.

[52] Apollod., III, 4, 6. Cf. le vague langage de Platon, Kritias, c. 4, et Ovide, Métamorphoses, II, 757.

[53] Hérodote, IV, 103 ; Strabon, XII, p. 534 ; VIII, p. 650. Au sujet de l’Artemis d’Ephesos, V. Guhl, Ephesiaca (Berlin, 1843), p. 79, sqq. ; Aristophane, Nub., 590 ; Autokratês in Tympanistis apud Ælian, Hist. animal., XII, 9 ; et Spanheim ad Callim., Hymn. Dian., 36. Les danses en l’honneur d’Artemis paraissent parfois s’être rapprochées du genre frénétique de la danse bachique. V. les mots de Timothée dans Plutarque, de Audiend. Pœt., p. 22, c. 4, et περί Δεισιδ, c. 10, p. 170, de plus Aristophane, Lysist., 1314. Elles semblent avoir été souvent célébrées dans les solitudes des montagnes, séjour favori d’Artemis (Callim., Hymn. Dian. 19), et ces όρειβάσιαι prédisposaient toujours à une agitation fanatique.

[54] Strabon, IV, p. 179.

[55] Iliade, IX, 529.

[56] Strabon, VIII, p. 37.1. Selon le vieux poème appelé Eumolpia, et attribué à Musée, l’oracle de Delphes appartenait dans l’origine conjointement à Poseidôn et à Gæa ; de Gæa il passa à Themis, et de Themis à Apollon, auquel Poseidôn aussi céda sa part comme compensation de l’abandon qui lui fut fait de Kalaureia (Pausanias, X, 5, 3).

[57] Apollod., III, 14, 1 ; III, 15, 3, 5.

[58] Plutarque, Sympos., VIII, 6, p. 741.

[59] Iliade, II, 716, 766 ; Euripide, Alceste, 2. V. Panyasis, Fragm. 12, p. 24, éd. Düntzer.

[60] Iliade, VII, 452 ; XXI, 459.

[61] Iliade, V, 386.

[62] Iliade, IV, 51 ; Odyssée, XII, 72.

[63] Iliade, I, 544 ; IV, 29-38 ; VIII, 408.

[64] Iliade, XVIII, 306.

[65] Homère, Hymn. Mercur., 18.

[66] Homère, Hymn. Merc., 177.

[67] Homère, Hymn. Merc., 442-454.

[68] Homère, Hymn. Merc., 504-520.

[69] Homère, Hymn. Merc., 574.

[70] Callim., Hymn. Apoll., 47.

[71] Callym., Hymn. Jov., 79.

[72] Hérodote, I, 44. Xénophon, Anabase, VII, 8, 4. Plutarque, Theseus., c. 12.

[73] Ovide, Fastes, IV, 211, à propos des fêtes d’Apollon : Priscique imitamina facti, Æra Deæ comites raucaque terra movent. Et Lactance, V, 19, 15 : Ipsos ritus ex rebus gestis (deorum) vel ex casibus vel etiam ex mortibus, natos. Pour le même but, Augustin, de Civit. D., VII, 18 ; Diodore, III, 56. Les Quæstiones Græcæ et Romaicæ de Plutarque sont remplies de contes semblables, prétendant expliquer des coutumes existantes dont beaucoup sont religieuses et liturgiques. V. Lobeek, Orphica, p. 675.

[74] Hésiode, Théog., 550.

Φή ρα δολοφρονέων ̇ Ζεύς δ̕άφθιτα μήδεα είδώς

Γνώ ρ̕ούδ̕ ήγνοίησε δόλον ̇ xαxα δ̕σσετο θυμώ

Θνητοϊς άνθρώποισι, τά xαί τελέεσθαι έμελλεν.

Χερσί δ̕όγ̕ άμφοτέρησιν άνείλετο λευxόν άλειφαρ

Χώσατο δέ φρένας, αμφι χόλος δέ μιν ϊxετο θυμόν,

Ώς ϊδεν όστεα λευxά Βοός δολίη έπί τέχνη.

Au second vers de cette citation, le poète nous dit que Zeus découvrit la fourberie, et fut trompé de son propre consentement, prévoyant qu’après tout les conséquences funestes de cette conduite retomberaient sur l’homme. Mais les derniers vers, et de fait la tendance entière de la légende, impliquent le contraire : Zeus fut réellement dupe, et par suite très fâché. Il est curieux d’observer comment les sentiments religieux du poète le poussent à sauver en paroles la prescience de Zeus, bien qu’en agissant ainsi il contredise et rende nul le trait saillant de l’histoire.

[75] Hésiode, Théog., 557.