DE LA MORALE DE PLUTARQUE

 

CHAPITRE II. — EXPOSITION CRITIQUE DE LA MORALE DE PLUTARQUE.

 

 

LE MUNICIPE.

C’est une opinion justement accréditée que les provinces saluèrent avec bonheur l’établissement de l’Empire[1]. Après ce que nous savons des exactions des magistrats de la République[2], comment les peuples n’auraient-ils pas attendu d’un pouvoir nouveau un meilleur gouvernement ? Le cri d’espérance s’éleva surtout de l’Orient, et c’est la langue grecque qui semble avoir servi de principal organe à ces protestations de soumission confiante[3]. Il était naturel qu’il en fût ainsi. On sait par Plutarque lui-même[4] à quel degré d’oppression l’Asie avait été réduite sous l’étreinte concertée des gouverneurs et des publicains ; et quand on calcule, d’après Cicéron, ce que la malheureuse province avait payé d’impôts ordinaires ou extraordinaires, depuis que Pompée, fermant ses ports aux flottes des pirates, les avait ouverts à l’invasion des compagnies de chevaliers, ou se demande, avec lui, ce qu’on doit le plus admirer de ses misères sans égales ou de son inépuisable fécondité. La Grèce n’avait pas été plus épargnée. Plus riche en monuments et en œuvres d’art qu’en ressources naturelles, elle était tout à la fois trop amollie et trop fière pour se faire une opulence à l’usage de ses vainqueurs. N’en pouvant rien tirer par le commerce ou presque rien, on la pillait.

Il serait injuste d’admettre, sans examen, les témoignages que nous a laissés l’antiquité sur les extorsions des publicains. L’imagination des historiens et l’éloquence des orateurs ont évidemment exagéré la gravité des faits. Heureusement pour l’humanité, les Verrès ont toujours été des exceptions. Mais il est des désordres passés dans les mœurs dont aucun contrôle ne peut atténuer le caractère. On frémit en lisant dans la vie de Sylla les horreurs du siège d’Athènes, bien innocente pourtant — des historiens latins en témoignent eux-mêmes[5] — du crime qu’on lui imputait : les trésors ravis et pillés ; les bois sacrés saccagés et coupés ; la ville mise à sac[6]. Cependant ces violences d’un jour ne semblent rien à côté du système de rapine organisé par Pison dans son gouvernement de la Macédoine[7]. Même en faisant comme il convient la part de l’entraînement oratoire dans le tableau que Cicéron nous trace des trois années d’abus de pouvoir de cet émule de Verrès, les faits qui ressortent de son plaidoyer attestent suffisamment les effroyables exactions don ; la Grèce entière avait été la victime ; et si les gouverneurs n’avaient pas tous la rapacité de Pison, il est clair qu’ils ne se piquaient pour la plupart d’aucun scrupule de douceur ni de probité.

A ces misères d’une administration oppressive étaient venues se joindre les calamités de la guerre civile ; et de toutes les régions de la Grèce, nulle peut-être n’avait eu plus à en souffrir que la Béotie[8]. Occupée simultanément ou tour à tour par les partis contraires, la Béotie avait été rançonnée jusqu’à l’épuisement. A la veille d’Actium, quand les prétendants à l’Empire renouvelèrent aux rois, nations et villes, depuis les bords de l’Euphrate jusqu’à l’Adriatique, l’ordre de subvenir aux besoins de leurs armées, elle n’avait plus ni hommes, ni argent, ni bêtes de somme. Le bisaïeul de Plutarque racontait qu’il avait vu ses concitoyens contraints, sous le fouet, de porter chacun une charge de blé au camp d’Antoine[9]. Ils allaient faire un second voyage, quand arriva la nouvelle qu’Octave était vainqueur. Aussitôt les commissaires et les soldats d’Antoine prirent la fuite, et les habitants de Chéronée, s’étant entendus, gardèrent le blé qu’ils portaient. Ils en étaient réduits à se partager leur bien comme un butin !

A la pensée de ces humiliations et de ces souffrances le cœur de Plutarque se serre. La paix est, à ses yeux, le premier des biens[10]. Le spectacle des luttes auxquelles l’étude du passé le ramène tient, pour ainsi dire, l’effroi de la guerre perpétuellement éveillé dans son âme. Venant à rencontrer sous sa plume un souvenir des massacres de Préneste : Prions les dieux, s’écrie-t-il, qu’ils nous préservent de ces temps malheureux et nous en donnent de meilleurs ![11]

Ces temps meilleurs étaient venus. Si, pour la société romaine, l’Empire marque l’anéantissement de la vie publique et des libertés, pour les provinces il est incontestable qu’à ne considérer que leur condition matérielle, l’administration impériale ouvrit une ère réparatrice d’ordre et de prospérité. Grâce à la révolution monarchique accomplie par Auguste, les liens de l’organisation administrative s’étaient reformés, les lois tombées en désuétude avaient été remises en vigueur et fortifiées[12]. Officiellement partagées en provinces de l’Empereur et en provinces du Sénat, mais, par le l’ait, réunies toutes sous la tutelle plus ou moins immédiate du prince, les provinces étaient devenues l’objet d’une active surveillance. Le rôle des gouverneurs avait été réduit à une fonction salariée[13] ; celui des fermiers de l’impôt, à une charge sévèrement contrôlée[14]. En même temps, les formes d’une justice plus attentive avaient mis lin aux abus de pouvoir. D’une part, le droit d’appel au prince et au sénat avait été reconnu[15] ; de l’autre, le droit d’accusation avait été maintenu et encouragé. Tibère voulait qu’on écoutât les alliés et il examinait lui-même leurs plaintes[16] ; aujourd’hui, disait-on sous son règne, les provinces sont vengées[17]. Néron avait établi pour les affaires des provinciaux un tour de faveur. Jamais, écrivait-on au temps de Domitien, les gouverneurs n’ont été plus modérés, plus justes[18].

Témoignage caractéristique, les provinces qui, dans la première organisation de l’Empire, formaient la part du sénat, la Grèce notamment et la Macédoine, avaient demandé à passer au nombre des provinces césariennes[19]. Les Césars, en effet, tenaient à honneur d’exercer leur patronage. Le précepteur et les serviteurs de l’un des fils d’Auguste ayant profité de la maladie du jeune prince, en Gaule, pour s’enrichir par de coupables concussions, Auguste les avait fait jeter à l’eau, une pierre au cou[20]. Au moyen d’un système de relais de poste régulièrement organisé, Roule avait été mise en rapport avec les provinces les plus lointaines ; mais, non content des informations qui lui arrivaient de tous les points de l’Empire, le vainqueur d’Actium s’était fait un devoir de promener les bienfaits de sa paix dans le monde entier[21] ; sauf l’Afrique et la Sardaigne, il n’était pas de province qu’il n’eût visitée, et son fils Caïus avait renouvelé, sous ses auspices, ces vigilantes tournées. Tous les ans, Tibère avait annoncé et préparé un grand voyage[22] ; c’est à Lyon que Caligula était entré en possession de son troisième consulat[23] ; Néron avait visité Alexandrie et séjourné en Grèce[24]. Pour les candidats à l’empire[25], c’était, en quelque sorte, une règle de commencer leur apprentissage de la vie publique en intercédant devant le sénat pour les habitants de la province. Galba[26], Othon[27], Vitellius[28], Vespasien[29], s’étaient distingués en Afrique et en Espagne par une équité exemplaire.

Cette sollicitude ne pouvait demeurer stérile pour le bonheur des provinces. Chemin faisant, Auguste avait rétabli dans les temples les ornements qu’Antoine en avait détournés[30], et libéralement répandu dans tout l’Empire les deniers de l’État pour encourager l’accroissement de la population, ranimer le commerce, soulager les villes obérées, rebâtir les villes détruites[31]. C’était un des souris de Tibère qu’aucune charge nouvelle ne portât l’effroi dans les provinces, et que les anciennes charges ne fussent pas aggravées par la cupidité des magistrats[32]. Pour ne pas laisser aux gouverneurs le temps de prendre pied, Auguste, suivant la politique de César, ne les avait jamais laissés dans la même charge plus de deux ans[33]. Par un système contraire, mais inspiré du même esprit de bienveillance, Tibère les avait presque indéfiniment maintenus dans les mêmes emplois[34]. A son avènement, Néron avait diminué pour les pays d’outre-mer les frais de transport de vin et de blé, protégé les contribuables contre les tentations des emprunts usuraires, supprimé certaines taxes illégales, aboli l’impôt du quarantième et du cinquantième ; et, si le sénat n’eût arrêté ses emportements de générosité, il aurait, du même coup, aboli toutes les redevances et fait au genre humain le plus magnifique des présents[35].

Enfin Rome avait ouvert ses portes, et le sénat ses rangs à la province. Claude avait prodigué le droit de cité et fait entrer les Gaulois dans la curie[36] ; Vespasien avait agrégé au sénat les plus honorables citoyens de tous les pays[37]. Le sénat, tête de l’Empire, est composé, disait Tacite[38], des illustrations de toutes les provinces. Les vieux Romains en étaient presque jaloux[39].

Que dans cette prospérité renaissante la majesté de la paix romaine couvrit encore bien des misères, trop de faits l’attestent pour qu’il soit possible de le méconnaître. La multiplicité des lois n’est pas toujours un signe de leur efficacité. Les principes que Cicéron recommandait à son frère Quintus sont les mêmes que ceux qu’Agricola travaille vainement à faire prévaloir dans sa province[40] ; et l’on trouverait difficilement, dans les Verrines, une page plus tristement éloquente que l’exposé de l’administration des procurateurs de la Judée, telle que nous la fait connaître l’historien Josèphe, dévoué pourtant à la cause de la domination romaine[41]. Pour quelles provinces plaidons-nous, disait, sous Vespasien, le fougueux avocat en dialogue des Orateurs, si ce n’est pour celles qu’on opprime ? et n’aimerait-on pas mieux n’avoir pas à se plaindre que d’être vengé[42] ? La vengeance elle-même n’était ni facile ni sûre. L’arbitraire régnait dans la pénalité comme dans la procédure[43]. Trop souvent, du moins, on était acquitté ou condamné par le sénat suivant le crédit dont on disposait[44]. Enfin, certains empereurs n’avaient-ils pas donné l’exemple des extorsions ? En arrivant à l’Empire, on avait besoin de la soumission du monde ; on n’avait pas encore subi la fascination de la toute-puissance : promesses intéressées ou sincères, on s’engageait à tout[45]. Quelques années s’étaient à peine écoulées, qu’on inventait des impôts[46], on vendait la justice[47], on pillait les temples[48].

Toutefois, malgré la persistance des abus, malgré la précarité des règlements destinés à y porter remède, la somme de bien produite par l’administration impériale était réelle, et le sentiment qui domine dans le monde romain au premier siècle de l’ère chrétienne est celui de l’apaisement, de la sécurité, de la gratitude. Ce ne sont pas seulement des historiens plus ou moins gagnés par les faveurs de la cour impériale qui en témoignent[49] ; ce sont les peuples eux-mêmes. Si dans l’excès de leur reconnaissance ils tombent parfois dans l’adulation, leur reconnaissance, du moins, ne se trompait pas d’adresse. Tandis que Caligula, tandis que Néron surtout avait été pleuré par la plèbe de Rome, hors de Rome, ils n’avaient laissé l’un et l’autre qu’un souvenir de terreur[50] ; et c’était le rétablissement de la paix après les guerres civiles d’Othon, de Galba et de Vitellius, qui avait valu à Vespasien les mêmes hommages qu’au vainqueur d’Actium[51]. Soumettez-vous à Rome, criait Josèphe à ses compatriotes : Dieu est pour elle. Sans le secours de Dieu, eût-elle vaincu l’univers, et tant de peuples belliqueux eussent-ils subi son joug ? Dieu, portant l’empire de nation en nation, est maintenant en Italie[52]... Et les nations semblaient accepter avec joie ce jugement de Dieu. Elles obéissaient en silence, aussi dociles que les cordes de la lyre sous le doigt de l’artiste, dit un rhéteur presque contemporain de Plutarque. Les villes étaient sans garnison ; une cohorte, un escadron suffisait à la garde d’une province : une simple lettre gouvernait le monde[53]... La paix romaine subsistait d’elle-même et sans le secours des armes, par l’acquiescement universel[54].

Mais cet acquiescement était-il absolu ? Dans ce sentiment de reconnaissante quiétude dont Plutarque lui-même nous fournit la sincère expression, faut-il voir un sentiment de satisfaction entière et de complet abandon ? Le bienfait de la paix romaine, tel que les Césars l’appliquaient à l’administration des provinces, suffisait-il au patriotisme éclairé d’un bon citoyen, sujet soumis et fidèle de l’Empire, mais resté bon citoyen ? C’est ici que les Traités de Plutarque nous apportent sur l’état des provinces de précieuses lumières.

Dans les œuvres qu’il a consacrées à ce qu’il n’est pas excessif d’appeler sa morale politique on peut faire deux parts : celle des dissertations abstraites, des thèses d’école, et celle des conseils pratiques, des directions appropriées aux besoins de son temps.

Il ne nous reste de ses leçons théoriques que les opuscules qui ont pour titre : De la Monarchie, de la Démocratie et de l’Oligarchie[55] ; Un philosophe doit surtout converser avec les princes ; À un prince ignorant ; de l’Exil. Encore quelques-uns de ces ouvrages sont-ils incomplets. Cependant les fragments qui subsistent permettent d’établir suffisamment la doctrine du sage de Chéronée.

Quelle était donc aux yeux de Plutarque la meilleure forme de gouvernement ?

Qu’il y ait une forme de gouvernement excellente entre toutes, c’est un point qu’il met tout d’abord hors de doute. Comme il est pour les particuliers des genres de vie différents, dit-il, de même il existe pour le gouvernement, qui est comme la vie des peuples, des formes diverses, et il importe de connaître celle qui vaut le mieux, afin que l’homme d’État lui donne la préférence, ou, s’il ne peut suivre cette préférence, qu’il choisisse entre les autres formes celle qui approche le plus de la meilleure[56].

Or Plutarque distingue trois sortes de gouvernement : le monarchique, l’oligarchique et le démocratique, qu’il définit, à sa manière, par des exemples tirés de l’histoire. Les Perses ont adopté la monarchie absolue, dit-il, les Spartiates, l’oligarchie aristocratique, les Athéniens, la démocratie pure[57]. Après cette définition, on s’attendrait à le voir attacher sa prédilection personnelle à la forme républicaine, oligarchique ou démocratique. La république était restée, dans la grande école stoïcienne, le système idéal de gouvernement. Les vieux Romains, Thraséas, Helvidius, Rusticus, Herennius Sénécion, n’ignoraient pas que l’étendue de l’Empire, non moins que l’état moral de la société romaine, n’en comportait pas le rétablissement ; mais c’était une chimère qu’ils se plaisaient à entretenir dans leurs patriotiques spéculations. Il semble que, nourrie aux mêmes sources, l’imagination de Plutarque dût se bercer des mêmes rêves. Telles ne sont pas ses conclusions. D’abord, l’étude de l’histoire lui a montré que toutes les formes de gouvernement ont leurs abus : la monarchie dégénère en tyrannie, l’oligarchie en despotisme, la démocratie en licence ; excès qui sont également éloignés de la raison[58]. L’expérience lui a fait reconnaître aussi qu’il en est des gouvernements comme des instruments de musique, et que tout dépend de la main qui les manie. Un sage administrateur maniera habilement l’oligarchie lacédémonienne, et saura vivre dans un parfait accord avec ceux de ses concitoyens qui lui sont égaux en pouvoir et en dignité ; il s’accommodera de même à la démocratie, malgré la variété des ressorts qui font mouvoir cette sorte de gouvernement[59]. Toutefois il est, à son gré, une forme supérieure à toutes les autres. Si on lui donnait le choix, comme à un musicien entre les divers instruments, laissant les épinettes, les sambuces, les psaltérions, pour s’en tenir à la lyre et à la harpe, il ne balancerait pas à opter pour la monarchie, parce que seule elle permet l’accord entre le pouvoir et la vertu. Dans tous les autres systèmes de gouvernement, l’autorité qui commande est elle-même commandée, et le magistrat est toujours plus ou moins le serviteur de ceux dont il tient le pouvoir ; il n’y a que le monarque qui ne dépende que de lui-même[60].

On l’a reconnu, et Plutarque le déclare d’ailleurs, cette doctrine est celle de Platon. C’est également de Platon que Plutarque tire les arguments sur lesquels il établit lei raisons de son choix. On connaît l’admirable théorie de Platon. Il la reprend et se l’approprie à sa façon. Qui est-ce qui commandera au prince ? dit-il. La loi ; la loi qui règne sur les mortels et sur les immortels ; non une de ces lois qu’on écrit dans des livres ou qu’on grave sur le bois, mais la loi innée, la loi qui vit au fond de la conscience de l’homme, la raison. Un des officiers du roi de Perse était chargé de lui dire chaque matin : Prince, levez-vous et vaquez aux affaires dont Mésoromasde vous a confié le soin. Tout prince doit ainsi entretenir au dedans de lui le moniteur secret qui lui trace ou qui lui rappelle son devoir[61].

Mais qui éclairera cette raison souveraine ? Ici devançant, pour ainsi dire, l’idée de la monarchie réalisée par Louis XIV, Plutarque répond : C’est pieu. Dieu a mis dans le ciel le soleil et la lune, comme des représentations brillantes de sa divinité. Tel est, sur la terre, le prince. Dieu s’irrite contre les rois qui osent imiter son tonnerre ou ses rayons ; filais ceux qui se proposent d’imiter sa vertu et qui s’efforcent de reproduire, dans leur conduite, son esprit de bienveillance et d’amour pour les hommes, ceux-là, il se plait à augmenter leur puissance, à les admettre au partage de sa raison ; il en fait ses représentants parmi les peuples[62]. Bossuet, Bourdaloue, Massillon, ont-ils conçu de la royauté de droit divin un idéal plus élevé ?

Le rapprochement peut être poursuivi dans le détail du développement, sans trop de désavantage pour Plutarque. Les vertus qui, à ses yeux, constituent, en quelque sorte, le pouvoir monarchique digne de ce nom, sont la justice, l’activité, la modération. Ce n’est pas de l’injustice ni de l’indolence qu’il redoute les plus graves dangers, c’est de l’emportement des passions[63]. Là est le danger, parce que là est la partie vulnérable dans le cœur du prince. Les simples particuliers, quand la folie est jointe en eux à la faiblesse, ne peuvent causer de grands maux ; il n’en est pas de même de ceux chez lesquels la puissance seconde les passions. Quel plus grand péril que d’être exposé à vouloir ce qu’on ne doit pas faire, lorsqu’on peut faire tout ce qu’on veut ![64] Il faut que, chez le prince, la raison ait acquis assez de force pour contenir la passion ; il faut que le prince imite le soleil qui, parvenu à sa plus grande élévation, se meut avec lenteur[65]. Cette majestueuse image ne semble-t-elle pas comme appropriée à l’emblème de Louis XIV, et l’expression ne paraîtrait-elle pas heureuse dans la bouche de Bossuet, cherchant à prévenir par ses conseils les excès qui précipitèrent le grand roi ?

On la similitude des points de vue achève de se marquer, c’est dans la direction que Plutarque s’efforce d’imprimer aux dépositaires de l’autorité monarchique. En effet, si la participation à cette lumière d’en haut est le privilège de ceux qui sont investis du pouvoir, ceux qui ont reçu la consécration du pouvoir ne se rendent pas toujours dignes de la participation à la raison divine. La plupart des princes imitent ces statuaires maladroits qui croient que leurs personnages paraissent plus grands, lorsqu’ils ont donné à leurs jambes une ouverture démesurée ; ils se figurent que la majesté consiste dans la hauteur de la taille, dans la rudesse de la voix, dans l’isolement. Non, ce n’est point là que réside l’autorité. L’autorité consiste dans la vertu. Il faut qu’un niveau soit ferme et droit, pour donner aux corps auxquels on l’applique sa rectitude. Ainsi faut-il qu’un prince commence par régner sur lui-même, pour qu’il puisse servir de modèle à ses sujets. S’il ne sait pas se conduire, comment saura-t-il conduire les autres ?[66] Or cette règle que l’évêque chrétien tirera de la religion, c’est à la philosophie que le moraliste païen l’emprunte. Nous avons déjà remarqué que Plutarque ne craint pas de comparer le philosophe au prêtre, et qu’il donne l’avantage au premier : le prêtre, dit-il, ne fait qu’implorer les bienfaits des dieux par ses prières, tandis que le philosophe inspire au prince les vertus qui font le bonheur des nations[67].

Mais plus il élève le caractère du philosophe, plus il accroît ses obligations. Ce devoir qu’il lui prescrit de prêter assistance à tous ceux qui réclament son appui, il en fait, à l’égard du prince, une sorte de ministère. Après avoir Établi qu’il est nécessaire que le prince soit éclaire, il pose en principe avec la même rigueur qu’il est nécessaire que le philosophe converse avec le prince plus qu’avec tout le monde, pour l’éclairer. Ce n’est pas assez qu’il se prête à donner les conseils qu’on lui demande ; il doit aller les offrir et les faire accepter.

La tâche certes est délicate. D’abord, on court le risque d’être traité d’ambitieux par la foule qui ne juge que d’après les apparences. Mais il serait peu digne de céder à un tel préjugé. Comprendrait-on que Panétius eût dit à Scipion : Si vous étiez un simple particulier qui, vous dérobant au tumulte des villes, voulussiez vivre ignoré dans un coin pour y résoudre des syllogismes et pâlir sur les livres, je nie donnerais à vous ; mais vous êtes le fils de Paul-Émile qui a deux fois exercé le consulat, et le petit-fils de Scipion l’Africain, le vainqueur d’Annibal : je ne veux point vous entretenir[68].

Plus grave est la difficulté venant de ceux auxquels le conseil doit s’adresser. Les habitants de Cyrène demandaient à Platon de leur tracer un plan de république. Platon refusa, en disant qu’il n’était point facile de leur faire des lois dans l’état de prospérité où ils vivaient. C’est pour la même raison qu’il est si malaisé de faire entendre des conseils aux princes. Il n’est ni agréable ni commode d’obliger les gens qui ne veulent pas qu’on les oblige. Mais, est-il besoin de le dire ? Plutarque n’est pas homme à user de violence ; et nous le retrouvons ici avec toutes les ressources de son talent de direction si souple et si ingénieux. II autorise, bien plus, il invite le philosophe à chercher le moment propice, la disposition favorable, faciles aditus et mollia fandi tempora. C’est l’opportunité du conseil qui le plus souvent en fait la valeur ; où elle ne la fait pas, elle la double. Point de discours oiseux, ni de sermons. Un mot bien placé suffit : c’est ainsi que l’on sème ; plus tard la moisson lèvera. Le conseil est-il repoussé ? Qu’on s’éloigne pour revenir[69]. Plutarque prévient le philosophe contre tous les déboires. Quels que soient les empêchements qu’il rencontre, il ne veut point qu’il se laisse rebuter. Il l’anime à cette grande œuvre par le sentiment du devoir, il y intéresse sa gloire. Les arguments jaillissent de source, et comme toujours, sous la forme de comparaisons. Un luthier ne travaillerait-il pas à une lyre avec plus de plaisir, s’il savait qu’elle fût destinée à un musicien qui dût, au son de cet instrument, élever les murailles d’une ville, comme autrefois Amphion bâtit celle des Thèbes, ou apaiser une sédition, comme Thalès fit à Lacédémone ? Un charron fabriquerait-il une charrue d’aussi bon cœur que les tablettes qu’un Solon lui aurait demandées pour graver ses lois ? Quels doivent donc être les sentiments d’un philosophe qui peut se dire que le prince qu’il éclaire travaillera au bien de tout un peuple, eu rendant la justice, en édictant des lois, en châtiant les méchants, en comblant les bons de ses faveurs ?... Un philosophe qui corrige les mœurs d’un prince, qui dirige ses pensées vers ce qui est sage, utile et grand, tient en quelque sorte une école publique de philosophie[70].

C’est dans un autre sentiment, sans doute, et en cherchant lieur appui hors de l’ordre des vérités purement humaines, que les prélats chrétiens pénètreront plus tard à la cour des empereurs et ries rois. Mais le caractère de leur action ne sera ni plus grave ni plus sensé. Ces portes du palais des princes que la religion, sous la grande figure des Chrysostome, des Ambroise, des Flavien, devait se faire ouvrir avec tant d’autorité, la philosophie avait commencé à les franchir.

Le traité de l’exil nous fait descendre de ces sphères élevées et nous ramène dans l’école. L’exil n’était pas cependant une de ces peines qui ne vécussent plus que dans l’imagination des rhéteurs. Tacite, au début de ses histoires, le place au premier rang parmi les misères dont il doit dérouler le tableau[71]. Plutarque avait vu lui-même s’agiter, au sein de sa petite patrie, l’esprit de discorde qui avait tant de fois découronné les plus florissantes cités de la Grèce : et celui auquel est adressé son traité en avait éprouvé dans Sardes les tristes effets[72].

Malheureusement, l’école offrait, sur ce sujet, un thème de convention. Les maux de l’exil y étaient groupés sous trois chefs qui fournissaient la matière de trois réfutations. Partant de cette idée que l’exil n’est qu’un mal d’opinion, on en discutait l’inanité, comme changement de lieu, comme cause de pauvreté et comme cause d’ignominie. C’est sur ce type qu’étaient composés les traités de Musonius et de Sénèque[73] ; Plutarque ne procède pas autrement qu’eux.

Or il est difficile de l’entendre sans sourire répéter comme les autres, à un malheureux banni de sa patrie : Il n’y a point de pays distincts... Socrate disait qu’il était citoyen du monde... La limite de notre patrie, c’est le ciel, qui, de toutes parts, nous environne... Qu’est-ce que ne plus résider dans la ville de Sardes ? Tous les Athéniens n’habitent pas le bourg de Colytte, ni tous les Corinthiens le bois de Cranium. Entre les îles où l’on envoie les coupables en exil, en est-il une seule qui ne soit plus étendue que le domaine de Scillonte où Xénophon passa si heureusement sa vieillesse ?... L’exil, c’est l’affranchissement. La nature nous met au large et en pleine liberté ; c’est nous qui nous chargeons de chaînes et qui resserrons notre domaine, c’est nous qui, par un attachement aveugle au Céphise, à l’Eurotas, au Taygète, nous rendons le reste de l’univers inhabitable[74]...

Quelle consolation pour un cœur atteint de ce noble mal qu’on appelle familièrement le mal du pays ! Eh ! qu’importe que le monde entier nous soit ouvert, si le seul point qui nous en est fermé est celui-là même où notre cœur a placé le bonheur’ qu’importe que nous puissions être plus heureux là où nous sommes que là où nous voudrions être ? La plus grande, la plus agréable des prisons n’est toujours qu’une prison ; la peine de l’exil est dans le sentiment même de l’exil. L’exilé partout est seul, a dit un penseur moderne dans une complainte pénétrée du souvenir des accents mélancoliques du poète Florentin[75]. Pour un exilé, disait la sagesse antique, — celle aux sources de laquelle Plutarque, d’ordinaire, aime si volontiers à puiser, — il n’est plus d’ami, plus de compagnon fidèle : chose, hélas ! plus douloureuse que l’exil même[76]. Ces chaînes dont Plutarque voudrait persuader à l’exilé qu’il se libère en incitant le pied sur un sol étranger sont les liens aimés qui t’attachent au sol de la patrie. Quand Socrate, dans un élan de pensée philosophique, se proclamait citoyen du monde, il habitait Athènes, qui l’avait vu naître. Qu’aurait pensé de ses propres arguments le sage de Chéronée, si on l’eût arraché à la petite ville à laquelle sa piété filiale l’attachait si étroitement ?

Plutarque ne nous semble pas s’être tiré plus heureusement du point de l’ignominie. Ce n’est pas seulement quand on est exilé, dit-il[77], qu’on a à supporter les ordres des puissants ; la crainte des violences fait bien plus souvent courber la tête sous une domination injuste, au sein de la patrie, que hors de la patrie. Mais dans la patrie, pourrait-on lui répondre, les affections dont on est entouré sont au moins une consolation. — Il n’y a que les sots, ajoute-t-il, qui fassent honte à un banni de son bannissement[78]. Mais les sots ne sont-ils pas partout les plus nombreux ? — Enfin, parce que d’illustres exilés ont trouvé sur la terre étrangère honneurs, crédit, puissance, est-ce une raison pour que les autres n’aient pas eu à souffrir de l’abandon ou du dédain[79] ? Qu’il vaille mieux d’ailleurs subir la violence que la faire, être Thémistocle que Léobat, Timothée qu’Aristophon, Cicéron que Clodius, cela est incontestable[80] ; mais la bonne conscience, pour être un élément nécessaire du bonheur, n’en est pas l’unique élément. Toute cette argumentation de Plutarque, qui repose sur un texte d’Euripide ingénieusement commenté[81], est d’une vivacité peu concluante, et l’élévation de sa péroraison sur la condition de l’âme transportée non de Sardes à Athènes, ni de Corinthe à Lemnos, mais du ciel, sa patrie véritable, sur la terre, ce séjour d’exil pour tous les hommes, ne suffit pas à en racheter les faiblesses.

Toutefois il n’est que juste de le reconnaître à la décharge de Plutarque, si parfois la pente du lieu commun l’entraîne, généralement son bon sens le retient, ou du moins, lorsque la déclamation l’a un moment égaré, il se remet vite en meilleure voie. Une des règles essentielles des Consolations, c’était pour le consolateur de tenir son propre cœur fermé à toute émotion[82]. Si vous voulez que je pleure, disait le poète[83], il faut pleurer vous-même. Pour sécher les larmes d’autrui, disait le philosophe[84], commencez par sécher les vôtres. D’autre part, les maîtres du genre recommandaient de chercher des arguments dans la situation de celui qu’il s’agissait de consoler. Il faut savoir gré à Plutarque de s’être en partie affranchi de la première règle, et d’avoir habilement tiré parti de la seconde. Le malheureux auquel il s’adresse jouissait, dans la peine dont il avait été frappé, de toutes les douceurs matérielles de la vie : il glisse sur le point de la pauvreté[85]. Une des Cyclades lui servant de retraite, il insiste sur les ressources que peut offrir le séjour des îles[86]. Mais ce qu’il faut remarquer surtout, c’est qu’en maint endroit il rachète la banalité de ses conseils par la justesse du sentiment. En effet, n’est-ce pas véritablement le cœur de l’homme qui parle, lorsque, fournissant, il est vrai, des arguments contre sa thèse, il proteste, avec une fermeté où l’on retrouve le fidèle habitant de Chéronée, qu’il n’est ni juste ni honnête de quitter volontairement sa patrie pour aller s’en faire une autre plus belle ?[87] Je crois, dès lors, à la sincérité comme à la sagesse de son langage, lorsque, dans le développement de la thèse contraire, il cherche des motifs d’allégement à la peine de l’exilé[88] : Je n’exerce plus de magistrature, dites-vous ; Je n’ai plus de place au Sénat, je ne préside plus les jeux publics ; il est vrai. Mais dites-vous aussi : je ne vis plus au milieu des partis, je ne me ruine plus en représentation ; peu m’importe si celui à qui est échu le gouvernement de la province est violent et despotique ; je n’ai plus à subir ces ordres insupportables : payez l’impôt, allez en députation à Rome, recevez le proconsul, remplissez cette charge publique... Vous regrettez le séjour des villes. Mais dans les villes les bavards et les curieux sont à épier nos occupations les plus secrètes ; les importuns nous arrachent de nos jardins et de nos maisons de plaisance, nous traînent de force sur la place publique et à la cour. Dans une île, il n’est personne qui nous sollicite, personne qui nous emprunte, qui nous réclame pour caution, qui nous oblige à appuyer ses brigues. C’est par affection que les meilleurs de nos amis et de nos parents viennent nous rendre visite ; et tout le reste du temps est comme inviolable, pour celui qui veut mettre à profil ce loisir[89]... L’île la plus favorisée du ciel est-elle vraiment ainsi à l’abri de tous les ennuis ? Le conseil est-il aussi efficace qu’il parait senti ? Bu moins faut-il convenir que le tableau de ces misères, que le moraliste résume avec force, pouvait, en quelque mesure, adoucir par la réflexion l’amertume des privations de l’exil, sinon en amortir le premier et douloureux coup.

On goûte mieux encore la simplicité du langage de Plutarque, quand, à côté de ces pages sensées et naturelles, ou relit quelques-unes de celles que Sénèque a consacrées au même sujet, dans la Consolation à Helvie. Arrêté par une accusation vraisemblablement injuste dans le cours de sa fortune, Sénèque a été relégué en Corse ; depuis deux ans, il habite un rocher abrupt, sauvage, affreux, malsain ; et il ne songe qu’à consoler sa mère, accablée, depuis sa naissance, par le malheur[90]. L’intention est excellente ; mais pour relever le courage de sa mère, ce fils dévoué ne trouve rien de mieux que de développer la thèse de l’école, ici par des métaphores subtiles où l’âme est comparée au feu dont l’essence est le mouvement perpétuel[91], là par une satire déclamatoire contre le luxe contemporain, ailleurs, enfin, par des tableaux empruntés à l’histoire, etc. Il le déclare tout d’abord avec une singulière ingénuité de rhéteur : Ce n’est pas dans son âme, c’est dans les monuments que les plus illustres génies ont laissés sur la douleur, qu’il a cherché l’inspiration de sa Consolation. Ce qui le préoccupe, c’est de trouver un langage tout neuf pour une infortune sans exemple[92]... J’indique la comparaison. Elle ne peut porter que sur le détail. Appliquée à l’ensemble, elle tournerait injustement contre Plutarque : il n’y a point d’analogie entre les situations. C’est de lui-même que parle Sénèque, et dans ses derniers chapitres notamment il a l’éloquence du cœur[93].

Quoi qu’il en soit, le traité de l’exil, on le voit, n’est pas sans intérêt. Il ajoute quelques traits à la physionomie que nous nous efforçons d’esquisser. Il nous montre, une Ibis de plus, l’homme dans le rhéteur, l’homme qui a été élevé dans la tradition de l’école, mais que la tradition n’enchaîne point ; et il éclaire de quelque lumière les mœurs politiques du temps.

Mais bien autrement instructifs sont, même dans leur ensemble incomplet, les traités sur la meilleure forme de gouvernement et sur les rapports des philosophes avec les princes. Ces opuscules expliquent, autant qu’une telle erreur est explicable, la légende accréditée par Suidas ; ils aident du moins à faire comprendre que Plutarque ait pu paraître capable de ce rôle de précepteur de Trajan que des imaginations complaisantes lui ont attribué.

Je remercie les dieux, écrivait Marc-Aurèle, de m’avoir donné de bons aïeuls, de bons parents, une bonne sœur, de bons maîtres[94]. Et à chacun de ces maîtres il faisait sa part de reconnaissance : à Diogénète, qui lui avait inspire ; l’horreur des occupations futiles ; à Rusticus, de qui il avait appris à réformer son caractère, à éviter les voies où l’auraient entraîné la rhétorique et la poétique des sophistes, à connaître les commentaires d’Epictète ; à Apollonius, à qui il devait un vivant exemple de l’accord possible, dans le même homme, de la fermeté et de la douceur ; à Sextus, dont les conseils lui avaient donné le goût de la bienveillance ; à Alexandre le grammairien, qui l’avait accoutumé à ne jamais reprendre personne qu’avec ménagement ; à Maximus, qui lui avait montré comment on devient maître de soi-même ; à tous ceux enfin qui lui avaient enseigné par leurs exemples, par leurs préceptes, par leur vie, à faire son métier d’empereur. Ce que Marc-Aurèle rapporte à ses maîtres, ses maîtres auraient pu le rapporter à Plutarque. Le sage de Chéronée est l’un des premiers qui ait fait entendre le mâle langage de la philosophie aux grands, en conviant les philosophes à ne leur point ménager les vérités utiles. Il est le digne ancêtre des précepteurs du plus grand des Antonins.

Cependant, quel que soit l’attrait de ces conseils didactiques, on sent que le cœur de Plutarque n’y est pas engagé ; ce ne sont que des sujets de méditation philosophique, et nous avons hâte d’arriver à ces -ouvres de direction vivante qui replacent le sage de Chéronée au milieu de ses concitoyens.

Comme pour toutes les questions qui sont la préoccupation journalière de Plutarque, sa pensée à cet égard est répandue dans ses divers ouvrages. Il en est peu où il ne fasse allusion aux devoirs qui s’imposent au citoyen. Mais cette pensée est plus particulièrement développée dans les deux traités considérables qui ont pour titre : le premier, Préceptes politiques ; le second, Quelle part le vieillard doit prendre à l’administration des affaires publiques. Ce sont donc ces deux traités que nous devons prendre pour fond de notre analyse, sauf à y rattacher les observations éparses qui se rapportent au mime sujet.

Les Préceptes politiques sont adressés ii un jeune homme touché de l’ambition de servir sa ville natale. Ce cadre n’est pas une fiction ; — Plutarque n’a pas de ces artifices, — et il lui permet tout d’abord de bien poser la question.

Mon cher Euphanès, écrit-il à son client, il n’y a point d’illusion à se faire. Pour l’homme qui se consacre aux affaires publiques, le temps n’est plus des guerres à engager, des alliances à conclure, des actions communes à soutenir, des grandes entreprises à former. Ce que vous avez à espérer de mieux pour signaler votre début, c’est d’instruire, devant les tribunaux, quelque affaire civile, de poursuivre les abus, de défendre le faible. Fous pourrez encore surveiller l’adjudication de l’impôt et l’intendance des ports et des marchés, ou remplir quelque emploi de police municipale. L’occasion s’offrira peut-être aussi de conduire avec une ville voisine ou avec un prince une de ces négociations qui ne rapportent ni grand profit, un grand honneur, mais qui sont bonnes à entretenir des relations d’État. La maturité de l’âge venue, vous aurez le droit d’aspirer à une mission auprès de l’empereur et à la magistrature suprême de votre pays. Mais à quelque rang que vous soyez élevé, ne l’oubliez pas, le temps n’est plus de vous dire comme Périclès, revêtant la chlamyde : Songes-y, Périclès, c’est à des hommes libres que tu commandes, c’est à des Grecs, à des Athéniens. Dites-vous bien, au contraire : Tu commandes, mais tu es commandé ; la ville que tu gouvernes est une ville sujette, une ville soumise aux lieutenants de l’Empereur. Il vous faut donc prendre une chlamyde plus courte ; il vous faut, du degré où vous siégez, avoir l’œil sur le tribunal du proconsul et ne pas perdre de vue les sandales qui sont au-dessus de votre couronne ; il vous faut faire enfin comme les acteurs qui prennent l’attitude et reproduisent les mouvements de leur rôle, mais qui ne se permettent aucun signe, aucun geste, aucun mot que n’ait, à l’avance, prescrit le souffleur. Nous rions des enfants qui s’amusent à chausser les souliers de leur père et à s’affubler de ses couronnes. Souvent aussi d’imprudents magistrats, exaltant aux yeux des peuples les hardiesses de leurs ancêtres, les lancent follement dans des entreprises qu’ils ne sauraient soutenir ; et d’eux on ne rit pas. Aujourd’hui, ce n’est point par les sifflets et les sarcasmes que les fautes s’expient : témoin Pardalus ; c’est par la hache ; à moins que les coupables ne soient devenus si méprisables par leur faiblesse, qu’on ne daigne même pas les frapper[95].

Telle était l’humble carrière qui demeurait ouverte au dévouement du citoyen dans sa ville natale, le lendemain de la mort de Domitien ; tel est l’avenir dont Plutarque rentrant dans Chéronée envisageait pour lui-même, sans doute, l’horizon borné, avec la modération du sage, mais non sans un sentiment de tristesse profonde et d’amer regret.

Plutarque, en effet, est Grec de cœur et d’âme. Pour lui, le peuple de la Grèce n’a pas cessé d’être le peuple chéri des dieux[96] ; c’est un Hellène ; il en a l’orgueil, les préjugés, les antipathies de race[97]. S’il revendique pour l’honneur des Grecs la gloire d’Alexandre, — le plus grand homme qu’ait vu le monde[98], — la Macédoine n’en demeure pas moins, à ses yeux, comme au temps de Miltiade et de Thémistocle, un pays hors du sol privilégié de la Grèce[99]. Partisan de Démosthène contre Philippe, d’Aratus contre Antigone, une victoire sur les Macédoniens prend aisément dans sa bouche comme dans celle du général vainqueur, le nom de sœur de Marathon[100].

Dans la partie commune il est un pays qu’il aime entre tous. Mais ce n’est pas d’un mesquin sentiment de patriotisme local que cette passion s’inspire. Ce qui l’émeut contre Hérodote en faveur de Thèbes, c’est que l’historien des guerres Médiques ait laissé planer sur la Béotie le soupçon d’une trahison. Ce qu’il exalte dans la gloire des Thébains, c’est que, devenus à leur tour les maîtres de la Grèce, ils en ont soutenu le rôle au dedans et au dehors, sur les champs de bataille et dans les négociations, en dulies héritiers des vertus de Sparte déchue et d’Athènes dégénérée. La Grèce vaincue à son tour, c’est, dans sa pensée, un honneur égal, sinon supérieur à toutes les victoires, d’avoir civilisé ses maîtres et conquis ses conquérants. Pour lui la grandeur de Rome ne date que du jour où elle a été éclairée des lumières du génie grec. Ceux-là seuls, parmi les Romains, lui paraissent avoir été véritablement grands, qui ont suivi et croûté les leçons d’Homère et de Platon[101].

Ce sentiment de patriotisme n’apparaît nulle part plus manifestement que dans les Parallèles. Montaigne se picque, pour Plutarque, qu’entre aultres accusations Jean Bodin ait dira qu’il a bien assorty de bonne foy les Romains aux Romains et les Grecs entre les Grecs, trais non les Romains aux Grecs : témoings Démosthènes et Cicéron, Caton et Aristide ; estimant qu’il a favorisé les Grecs de leur avoir donné des compaignons si dispareils[102] ; et il entreprend de le garantir de ce reproche de prévarication et de faulseté. Il pense, au rebours de Bodin, que Cicéron et le vieux Caton en doibvent de reste à leurs compaignons ; que, si Plutarque les compare, il ne les éguale pas pourtant ; que pour avoir simplement présenté les Romains aux Grecs, il ne peult leur avoir faict injure, quelque disparité qui y puisse estre ; et qu’au surplus il ne les contrepoise pas entiers, mais qu’il apparie les pièces et les circonstances l’une aprez l’aultre et les juge séparemment... A cette ingénieuse deffense de Montaigne on pourrait ajouter que, préoccupé avant tout d’une pensée morale, Plutarque va chercher le sujet de ses parallèles, non pas seulement chez les Romains et chez les Grecs, mais chez les Perses, partout où s’offre à son souvenir quelque bel exemple de vertu. Il conviendrait aussi de distinguer entre les comparaisons qui suivent les Vies et les Vies mêmes. S’il est vrai que, dans les comparaisons, l’équilibre n’est pas toujours irréprochable, dans les Vies, Plutarque se donne tout entier tour à tour à chacun de ses personnages ; il raconte leur histoire, comme s’il ne devait s’ensuivre aucune comparaison. Juger les Vies d’après les parallèles auxquels elles aboutissent, c’est juger le tableau d’après le cadre. Au reste, il suffit de rapprocher les Vies et les Traités, pour en reconnaître le commun esprit d’impartialité. Telle est l’équité naturelle de Plutarque à l’égard de tous les grands hommes, quelle que soit leur origine, qu’il est bien peu de pages des Traités où l’histoire romaine. ne lui fournisse un contingent d’exemple presque aussi considérable que l’histoire grecque. Entre les uns et les autres, il ne fait pas de différence ; les meilleurs, à ses yeux, sont ceux qui justifient le mieux la leçon qu’il veut en tirer. Nous nous associons donc sans peine à la deffense de Montaigne : et surtout nous ne saurions admettre, comme on a essayé de l’établir au dix-huitième siècle, que Plutarque ait composé ses Parallèles dans l’intention systématique d’abaisser les Romains à l’avantage des Grecs[103].

Mais ce serait le justifier contre l’évidence, et mal espouser son honneur, à notre sens, que de se refuser à croire que l’idée de trouver dans les Parallèles l’occasion de mettre les hommes illustres de la Grèce en balance avec ceux de Rome ait été indifférente à son patriotisme. L’historien sans cité ni pays de Lucien n’est pas son idéal. Il a, comme on l’a dit ingénieusement, la voile toujours tendue pour sa patrie, semper velificatur patriæ. Noble préoccupation, après tout, qui rendrait l’erreur même respectable. En effet, que Polybe, frappé de la grandeur lentement envahissante de Rome et de la décadence précipitée de la Grèce, analyse avec sang-froid les causes de ces révolutions contraires, et démontre par quelle conduite le peuple vainqueur de Corinthe et de Carthage a soumis l’univers entier à ses lois ; que Denys d’Halicarnasse expose avec l’insensibilité de l’antiquaire la prééminence des institutions romaines sur les institutions grecques : on ne peut qu’admirer la gravité de ces réflexions et apprécier l’utilité de ces recherches. Mais n’aimerait-on pas mieux que ces témoignages portés contre la légèreté[104], les fautes[105], la folie[106] des Grecs, eussent trouvé d’autres interprètes que des enfants de la Grèce ? Que pouvez-vous prétendre, semble dire incessamment Polybe à ses concitoyens, contre une nation qui nous surpasse bien moins encore par l’invincible supériorité de ses armes que par la force incomparable de son caractère et de ses lois ? Reconnaissez la légitime maîtresse du monde et ne vous appliquez qu’à mériter le bonheur qu’elle vous assure[107]. Sans doute le temps où Polybe écrivait ne comportait pas d’autres conseils ; et ce n’est pas sans raison que Bossuet prise si haut le sens politique de l’historien philosophe[108]. Mais est-ce tout à fait un honneur pour lui qu’on ait donné à son livre le titre d’Histoire des Romains[109] ? Ne pouvait-il présenter les mêmes vérités avec plus de ménagement pour ses compatriotes ? A pénétrer dans l’âme des deux écrivains, n’est-on pas tenté de se ranger du côté de Plutarque contre Bossuet exaltant le commensal des Scipion au détriment du sage de Chéronée ? N’y a-t-il pas quelque chose de touchant dans l’honnête pensée du moraliste passionné pour ses Grecs, qui, non moins clairvoyant sur les misères présentes de sa patrie, mais fidèle aux souvenirs de sa grandeur passée, se plait à relever sa gloire à la hauteur d’une gloire rivale[110] ?

Ce patriotisme, aussi bien, n’a rien d’aveugle. Plutarque n’est ni un rêveur, ni un frondeur. C’est en imagination qu’il se plait à converser avec les héros de la Grèce : dans la réalité, il vit avec les hommes de son temps. Il partage, en théorie, sans doute, les préférences de Platon pour la monarchie ; au fond, la question est de celles sur lesquelles il s’en remet à la direction souveraine des dieux[111] ; c’est dans ce sentiment qu’il s’incline devant la monarchie ; elle est pour lui une œuvre providentielle. Vous avez privé la Grèce de la liberté qui lui avait été rendue, écrivait avec hauteur Apollonius de Tyane à Vespasien, je ne suis plus des vôtres[112] ; et il se glorifiait d’avoir contribué au renversement de Néron[113], comme il devait se vanter plus tard d’avoir conspiré contre Domitien[114]. Plutarque est trop sage et trop sincère, il connaît trop bien son temps et son pays, pour concevoir l’idée d’un tel rôle et en prendre les airs arrogants. De quelque gracieuse image que le souvenir de la liberté de la Grèce flatte sa pensée, il n’oserait en appeler le retour. Contentons-nous, dit-il à ses concitoyens, de ce que les maîtres nous laissent ; nous ne gagnerions probablement pas à avoir davantage[115]. En cela le plus modeste de ses contemporains n’est pas plus modeste que lui.

Mais, et c’est ici qu’il se distingue de ses contemporains, ce peu que laissent les maîtres, il ne veut pas qu’on le perde, soit qu’on n’en use pas, soit qu’on en mésuse. II n’apprécie pas moins qu’Aristide[116], Épictète[117] et Dion Chrysostome[118], la liberté de pouvoir, à l’abri de la paix, aller et venir, travailler ou se reposer, parler ou se taire. Mais il n’entend pas, comme Épictète, que les devoirs de l’homme absorbent ceux du citoyen ; la liberté de philosopher ne lui tient pas lieu, comme à Dion, de toutes les autres libertés. Du règne incontesté de la paix romaine il attend quelque chose de plus. Il souffre de l’abaissement moral de son pays[119]. Si la grande vie politique est devenue impossible, il veut du moins que chacun travaille à conserver et à fortifier les franchises de la vie municipale.

Ce vœu était-il réalisable ?

Dans la savante hiérarchie établie par le sénat, on sait à quel degré était classé le municipe. Supérieur à la colonie, qui pouvait avoir ses magistrats, mais à qui s’imposaient les lois de la métropole dont elle n’était que le rejeton[120], le municipe ne conservait pas seulement la pleine direction de ses affaires, il jouissait de ses coutumes et de ses lois[121]. Pouvoir exécutif et délibératif, tout y était le produit de l’élection. L’Empire avait maintenu cet ordre institué par la République, et les magistratures municipales étaient restées une carrière. Cette carrière avait ses règles. Plutarque nous les l’ait connaître dans ses Préceptes politiques et dans le Traité où il examine la part que le vieillard doit prendre aux affaires de l’État.

Or, à s’en rapporter aux apparences, la vie municipale n’avait rien perdu de son activité passionnée. Pour arriver aux honneurs, pour gagner le suffrage de ses concitoyens, il n’était point de sacrifice qui parût trop grand. On construisait ou l’on réparait, à grands frais, des monuments publics, on dotait la cité d’une bibliothèque, d’une horloge, d’un établissement de bains, d’un aqueduc, d’une école, d’un temple ; on prodiguait les distributions, les fêtes et les jeux[122] : les plus riches s’y ruinaient[123]. Ce n’était pas seulement les charges que l’on se disputait[124] ; les moindres privilèges excitaient les ambitions : exemption d’impôts, préséance, place réservée au théâtre, buste, portrait, inscription[125]. Mais quel était, au fond, l’objet de ces compétitions ardentes ?

Rome était, en réalité, le point de mire unique ou le but suprême. On ne prétendait aux honneurs de la cité que pour s’en faire un marchepied[126]. On se serait cru déshonoré, à Chéronée, pour avoir pris à ferme la levée de l’impôt[127], si ce n’eût été le moyen d’aller, dans les antichambres des grands, disputer un cheval, un collier, des hochets, ou à la cour, mendier de grasses intendances[128]. On répudiait les noms de ses ancêtres ; on se parlait de noms latins[129] : des mots nouveaux étaient forgés pour exprimer ces nouveaux sentiments ; on se faisait appeler ami de César, comme autrefois on était appelé ami de Philippe ; et ces dénominations, jadis note infamante des traîtres, étaient devenues des marques enviées de distinction[130]. Trahis ou humiliés par leurs magistrats, les simples particuliers en étaient réduits à porter leurs affaires au tribunal du prince[131]. Les villes, désintéressées de leurs affaires, se désistaient de leurs privilèges ou renonçaient à leurs droits. Autrefois les colonies demandaient à être élevées au rang de municipes ; aujourd’hui les municipes aspiraient à devenir des colonies[132].

C’est à ce discrédit des vertus municipales que Plutarque entreprend de porter remède.

Embrassant dans ses deux Traités le développement complet de la vie du magistrat, il examine successivement, d’une part, comment il doit préalablement étudier le caractère de ceux qu’il est appelé à gouverner, et travailler à se corriger lui-même de ses défauts, en vue de la foule clairvoyante presque toujours et rarement indulgente[133] ; comment, le moment venu, il peut entrer dans la carrière, soit en s’y lançant de prime saut, soit en y paraissant d’abord sous les auspices d’un maître éprouvé[134] ; quels services il lui est permis de rendre à ses amis[135], quelle conduite modeste et conciliante il doit tenir à l’égard de ses ennemis[136] ; suivant quelle règle il doit se prêter à tous les emplois et s’aider de tous les appuis[137] ; comment enfin il doit traiter le peuple sans complaisance, niais sans rudesse, en cherchant à le relever, à ses propres yeux, par des récompenses bien choisies et bien placées[138]. D’autre part, il indique avec précision dans quelle mesure, parvenu à la vieillesse, le magistrat peut, sans détriment pour personne et à l’avantage de tout le monde, prolonger presque indéfiniment ses services ; quelles fonctions s’imposent à son zèle, quelle popularité doit lui être chère, sur quelles bases il convient de l’établir[139]. Le cadre est large, et Plutarque le remplit, avec son art accoutumé, de traits ingénieux et de conseils applicables à toutes les situations politiques. Mais, dans l’ensemble de ces règles de conduite générale, ce qui le domine, c’est la préoccupation des défaillances de ses concitoyens.

Au milieu des entraînements qui perdaient les magistrats des petites cités, il voyait chaque jour disparaître de la vie politique les principes de désintéressement, de dignité, de sage indépendance et de dévouement, sans lesquels c’en était fait, à ses yeux, des derniers restes d’une liberté qui lui était chère. Où était le péril, il se porte, et avec une franchise de sentiment remarquable.

Si ce n’est pas l’amour du bien public qui vous pousse vers l’administration, dit-il, retirez-vous ; vous n’êtes point digne d’y entrer ; il ne faut apporter aux affaires ni cupidité, ni amour des honneurs. Il y a des temples où il n’est permis d’entrer qu’après avoir déposé l’or qu’on porte sur soi. La tribune publique aussi est un autel sacré. S’y présenter avec la passion de l’argent est un sacrilège. Tout homme qui s’enrichit dans l’administration de son pays n’est pas moins coupable que celui qui volerait les objets du culte ou qui pillerait les tombeaux[140].

Plus honorable que la cupidité, sans doute, l’amour immodéré des honneurs ne lui parait pas, en réalité, une passion moins dangereuse pour le bonheur de la cité. Que le magistrat qui se voue aux intérêts de ses concitoyens en espère quelque récompense, rien n’est plus naturel ; Plutarque connaît la nature humaine ; il se garde bien de lui demander une vertu trop haute ! Mais on ne doit ni provoquer cette récompense, ni la chercher dans de fastueux insignes, peinture, buste ou statue, encore moins dans les distinctions obtenues d’un maître altier ; car ce sont là à ses yeux, des honneurs déshonorants. Un décret, un titre, une branche d’olivier comme celle qu’Épiménide reçut lorsqu’il eut purifié la ville d’Athènes : tels sont les seuls témoignages que peut légitimement ambitionner l’homme u qui combat dans l’arène de l’administration publique, comme dans les jeux sacrés, non pour de l’argent, mais pour la couronne. » Les honneurs doivent être, en un mot, non le salaire, ruais la marque du service rendu ; et le prix le plus glorieux auquel puisse aspirer l’homme d’État, c’est la confiance de ses concitoyens[141].

À ce désintéressement doit s’allier chez le magistrat le souci de sa dignité. Plutarque interdit au magistrat les moyens de popularité qui abaissent celui qui en use, non moins que ceux à l’égard desquels on les pratique. Il ne souffre aucune des largesses laites au peuple peur flatter sa paresse et sa sensualité. Il consent qu’un magistrat soit libéral, lorsque sa fortune lui permet de l’être ; il encourage même, il stimule cette générosité : c’est l’honneur du bon citoyen d’enrichir la cité qui l’a appelé à la diriger. Mais il exige que toutes les libéralités soient appliquées à un objet d’une utilité louable[142]. Il se défie de toutes les séductions, même des séductions de la parole[143]. Il admet que le magistrat ne monte à la tribune que préparé[144], et il rappelle que Périclès lui-même rte s’exposait jamais à parler on public, sans avoir médité ce qu’il avait à dire et sans demander aux dieux qu’il ne lui échappât aucun mot étranger à son sujet ; mais il ne veut pour le magistrat ni d’une éloquence pompeuse comme celle d’Éphore, de Théopompe et d’Anaximène, ni d’une éloquence hérissée d’enthymèmes ou chargée de périodes alignées au compas comme celle des sophistes, ni même d’une éloquence sentant l’huile comme celle de Démosthène[145]. Un langage naturel, sincère, paternel, cherchant sa force dans la justesse de la pensée, animé par l’emploi discret des traits d’histoire et des comparaisons, toujours conforme aux convenances, — ce qui n’exclut d’ailleurs ni la vivacité ni le mordant dans les réparties et les répliques : — voilà, dans sa pensée, le seul moyen d’autorité qui honore, dans la conduite d’une cité, et le magistrat qui l’emploie et la cité qui s’y soumet[146].

Plutarque se flattait-il de la pensée de voir renaître l’éloquence politique ? Sa confiance dans la puissance de la parole, au sein de ces petites cités en proie à toutes les brigues, n’est pas sans naïveté. On ne peut disconvenir du moins que le sentiment qui inspire ses conseils est profondément honnête, ni méconnaître quelle noble idée il se l’ait de la dignité du magistrat. Et quand il arrive à déterminer la mesure de l’indépendance dont il lui fait un devoir, cette honnêteté émue l’élève jusqu’à l’éloquence.

L’étude de l’histoire lui a dès longtemps appris quel danger il y a pour les peuples vaincus à ne jamais répondre non[147]. Mais les dieux ont prononcé sur le sort du monde. Soumis à la domination des Romains, Plutarque se résigne et détourne ses concitoyens de, toute pensée de rébellion. Il le dit, il le répète. Ceux qui s’entendent au gouvernement des abeilles affirment que la ruche où le bourdonnement est le plus fort est celle qui donne le meilleur essaim ; tout au contraire, le magistrat à qui Dieu a Confié le soin d’essaims politiques doit, regarder comme heureux entre tous celui qui est le plus paisible. Prévenir les séditions est le chef-d’œuvre de la science politique. Un incendie est si vite allumé ; il suffit d’une lampe qu’on néglige d’éteindre, de quelques brins de paille qu’on laisse brûler[148] ! Il a toujours présent à l’esprit le sort d’Edepse[149], de Sardes[150], de Pergame, de Rhodes, des Thessaliens si sévèrement punis de leurs dissensions et de leurs velléités de révolte[151]. Il recommande aussi au magistrat d’écarter de l’esprit du peuple tous les souvenirs qui, comme ceux de Marathon, de l’Eurymédon. de Platées, pourraient enfler ses pensées et lui inspirer un vain orgueil. Abandonnons, dit-il, l’éloge de ces exploits aux exercices des sophistes ! Il est tant d’autres exemples des Grecs d’autrefois qu’on peut utilement rappeler aux Grecs d’aujourd’hui, pour former et corriger leurs mœurs ! Tels le décret rendu par les Athéniens après l’expulsion des trente tyrans, l’amende imposée au poète Phrynicus pour sa tragédie de la Prise de Milet, la fête de la reconstruction de Thèbes par Cassandre, l’expiation du meurtre des Argiens, le sentiment de réserve qui arrêta les Athéniens, dans leur enquête au sujet de l’argent d’Harpalus, sur le seuil de la maison de deus nouveaux mariés : ce sont là les traits par lesquels il est possible d’imiter de glorieux ancêtres[152]. D’autre part, il ne craint pas d’engager tous ceux qui touchent aux affaires publiques à se ménager habilement, dans les puissances d’en haut, quelque protection qui devienne, au besoin, un appui pour la cité en défaut. Les Romains sont ainsi faits qu’ils obligent très volontiers leurs amis dans les affaires d’État. 0r quoi de plus honorable que de faire servir une grande amitié au bonheur de ses concitoyens ? Après la prise d’Alexandrie, Auguste entra dans la ville, tenant le philosophe Areus par la main et ne parlant qu’à lui seul parmi tous ceux de son escorte ; et comme les Alexandrins, s’attendant à être traités avec la dernière rigueur, imploraient leur grâce, le vainqueur annonça qu’il pardonnait, par respect pour la mémoire d’Alexandre, et aussi par égard pour Areus, son ami[153].

Mais, ces règles de prudence posées, Plutarque arrête le magistrat sur la pente d’une condescendance qui dégénérerait en faiblesse. Ces amitiés illustres qu’il conseille de rechercher, il entend qu’on ne les contracte qu’à des conditions honorables et justes ; il veut qu’elles servent à relever la cité, non à l’abaisser[154]. Que le magistrat maintienne pariai ses concitoyens un esprit de soumission, c’est son premier devoir. Mais c’est son devoir aussi, ajoute-t-il en un langage viril, de ne pas s’entendre avec le prince pour les réduire davantage, de ne pas leur mettre la chaîne au cou, quand déjà ils ont la jambe liée[155]. Les malades qui ont contracté l’habitude de ne prendre un bain ou un repas que sur ordonnance du médecin en arrivent à ne plus jouir même de ce que la nature leur a laissé de santé ; ainsi, ceux qui, pour le moindre décret, la moindre résolution, pour un détail d’administration, l’ont intervenir l’autorité du prince, le rendent d’abord plus maître d’eux qu’il ne le voudrait lui-même ; puis ils font perdre au sénat, au peuple, aux tribunaux, aux magistrats, à la cité, ce qui lui reste de franchise, ou plutôt ils lui enlèvent toute indépendance, ils la rendent pusillanime, impuissante, ils achèvent de l’efféminer, de la mutiler ; ils déshonorent la sujétion. L’honneur du magistrat est de terminer les affaires de la cité dans la cité, de guérir secrètement ses plaies, de s’exposer à un échec, à une disgrâce même, plutôt que de risquer, pour le plus triste des succès, de livrer son pays à la plus redoutable des oppressions. Que dis-je ! ce n’est pas assez de ne point soulever les tempêtes, il faut que le magistrat les prévienne ; ont-elles éclaté malgré lui, qu’il les contienne. Dans les heures de tourmente, il doit être l’ancre de salut. Si, plus fort que sa prévoyance et sa volonté, le mal vient à se produire, loin de trembler alors sur son propre sort, de fuir ou d’accuser les autres pour se disculper, c’est à lui de s’embarquer et d’aller dire, fût-il innocent : Voici le coupable[156].

Enfin, cet esprit de désintéressement et de dignité, ces sentiments de sage indépendance ne suffisent pas à Plutarque, s’ils ne sont soutenus par un dévouement de toute la vie.

Épicure disait : Le sage ne prendra point part aux affaires publiques, à moins que quelque chose ne l’y contraigne. Le sage ne prendra point part aux affaires publiques, disait Zénon, si quelque chose l’en empêche. Et pour peu que le sage crût manquer d’autorité, de force ou de santé, ces excuses étaient valables. Le sage avait mène le droit de ne se donner qu’à une république parfaite. Si bien qu’en réalité Épicuriens et Stoïciens, partis de principes opposés, aboutissaient au même but : nul, dans leur doctrine, n’était obligé de s’intéresser aux affaires de son pays[157]. Mieux inspiré par son bon sens, Plutarque veut que le bon citoyen apporte à l’administration des affaires de la cité sa part de lumières et d’utiles exemples, jusqu’au dernier souffle. Par là il n’entend pas, sans doute, que le vieillard recherche la présidence de toutes les assemblées et de tous les tribunaux, sollicite toutes les ambassades et toutes les missions, en un mot, attire à lui les honneurs et les charges, comme ces vieux arbres qui épuisent les sucs de la terre et qui empêchent les jeunes rejetons de croître alentour[158]. Quand Bucéphale commença à prendre de l’âge, dit-il, Alexandre montait sur d’autres chevaux, four passer la revue des troupes et les ranger en à bataille ; le mot de ralliement donné, il s’élançait sur Bucéphale et courait avec lui à l’ennemi[159]. Tel, dans sa vieillesse, l’homme d’État, mettant un frein à son ambition, doit laisser les jeunes gens remplir les emplois de tous les jours, et ne descendre dans l’arène que dans les conjonctures graves[160]. Mais ce rôle aussi ferme que discret s’impose à son patriotisme. Plutarque y attache le vieillard par le sentiment de l’honneur[161] : vit-on jamais une abeille, en vieillissant, devenir bourdon ? Il l’y intéresse par l’attrait des satisfactions les plus douces[162] : quel plus noble plaisir que de jouir du bien que l’on fait, en ne discontinuant pas d’en faire ? Il l’y enchaîne enfin par les liens du devoir[163] : la vieillesse, dit-il, insistant particulièrement sur ce dernier point, apporte moins de défaillance au corps que de vigueur à l’esprit. Agamemnon avait assez d’un Ajax, et il demandait au ciel dix Nestor. A Roule, le service des vestales est divisé en trois périodes : la première est consacrée à apprendre les fonctions, la seconde à les exercer, la troisième à les enseigner. Ainsi l’Homme d’État qui a commencé par s’initier aux devoirs de l’administration, puis qui les a remplis, doit finir par y former ses successeurs. Éclairer les jeunes gens, aiguillonner et diriger leur ardeur[164], telle est l’occupation qui incombe au vieillard, sain de corps et d’esprit. Or cette occupation n’est pas l’œuvre d’une fonction, le ministère d’un jour ; c’est une œuvre permanente, un ministère à vie. Il ne suffit pas d’avoir dit la vérité et observé la justice ; il faut dire la vérité et observer la justice toujours. De même, il ne suffit pas d’avoir servi son pays ; il ne faut pas cesser de le servir[165]. S’il n’est pas vrai, comme le disait Denys, que la tyrannie soit un tombeau honorable, il est certain qu’il n’y a point de plus glorieux linceul que l’administration des affaires publiques pour un homme qui, dévoué au bien de ses concitoyens, leur donne, jusqu’à son dernier soupir, le double exemple d’obéir et de commander : sa mort met à sa vie le sceau de l’honneur[166].

Plutarque se sent d’autant plus à l’aise dans l’expression de ces conseils si pressants qu’il n’avait Pas à craindre, en les développant, d’être accusé d’inconséquence. Le Traité dans lequel il examine quelle part le vieillard doit prendre à l’administration des affaires publiques est adressé à un de ses amis, Euphanès. Euphanès avait, à ce qu’il paraît, songé à abdiquer la présidence de l’Aréopage et l’intendance du conseil amphictyonique dont il était investi. Parce que je remplis depuis plusieurs Pythiades le ministère de prêtre d’Apollon, lui écrivait-il avec une certaine vivacité, me diriez-vous : Plutarque, vous avez offert assez de sacrifices, assez conduit les processions et les chœurs de danse : il est temps de déposer la couronne et de renoncer à la direction de l’oracle ?[167] La seule pensée qu’on pût songer à l’écarter de l’administration des intérêts politiques ou religieux de sa ville natale était pour lui une offense.

Mais ces conseils et ces exemples, eussent-ils convaincu ceux auxquels ils s’adressaient, n’auraient pas arrêté les peuples sur la pente qui les entraînait. Le mal avait des racines profondes. Il tenait à l’esprit même de l’administration impériale, disons mieux, à l’esprit de la conquête romaine.

L’empire de Rome, disait Cicéron sous la république, est moins une domination qu’une tutelle[168]. Et on se laisse volontiers séduire à ce noble langage, quand on considère, dans son ensemble, le vaste concert de la République romaine. En effet, quel peuple a fait plus de conquêtes et semé moins de ruines ? Deux pays, le Samnium et l’Épire, trois villes, Numance, Corinthe, Carthage, avaient pays la peine de leur résistance indomptable ou de leur hostilité acharnée. Le reste du monde avait conservé, dans sa soumission, tous les dehors de l’indépendance. Point de contrainte, point de titre qui fit rougir les vaincus. Les rois- et les peuples étaient des tributaires ; les villes, des villes fédérées, des villes alliées, des villes libres. Leurs mœurs, leur langue, leur religion, leurs lois, leur autonomie leur demeurait. Parfois même, la conquête avait paru les affranchir[169]. Bien plus, on les honorait, on les relevait dans leur dignité[170]. Et les deux seules choses qu’on leur demandât en retour de ces bienfaits, c’était de n’avoir d’autres amis, d’autres ennemis que le peuple romain, et de respecter, comme il convenait, sa majesté[171].

Mais jamais liens plus souples, en apparence, ne furent, dans la réalité, plus étroits. Du jour où le vainqueur avait mis le pied sur le terrain conquis, dans la crainte que la communauté de fortune n’engendrât entre les vaincus la communauté des sentiments, les associations naturelles étaient rompues, les traditions d’alliance brisées[172]. Entre chaque province, entre chaque cité, s’élevait une barrière. Droits et charges, tout était divers pour les divers pays. Dans une même ville, des citoyens pouvant vivre sous le même toit n’étaient pas soumis aux mimes lois. Plus les historiens sages font voir de dessein dans les conquêtes de Rome, dit Bossuet, plus ils montrent d’injustice[173]. Semer la division, anéantir tout esprit d’indépendance, telle était la politique fondamentale du Sénat. Au peuple-roi appartenait, du droit de la raison et par la volonté des dieux, le pouvoir de donner et d’ôter, d’abattre et de relever[174]. Pitié pour les vaincus ; mais malheur aux rebelles[175] ! Le vrai Romain, ce n’est pas César qui songe à reconstruire Carthage en ruines, c’est la vieux Caton, qui, sans repos ni trêve, en réclame le destruction[176].

S’il faut en croire Plutarque[177], César avait conçu le généreux dessein de ranimer la vie politique des provinces. Ce dessein, fût-il réel, ne pouvait être réalisé par un seul homme. On ne modifie pas, en quelques années, ‘un système de gouvernement créé, affermi, consacré par des siècles d’efforts héroïques et de persévérance inflexible. Pour changer à fond la politique sur laquelle le Sénat avait établi la grandeur de Rome, il eût fallu, chose rare, une succession ininterrompue de princes dévoués à une même pensée. Les provinces, au surplus, n’aspiraient qu’au repos. Ce que les Césars pouvaient le plus naturellement souhaiter pour la constitution de leur pouvoir était précisément ce qui répondait le mieux à l’état moral du monde. Fermer le temple de Janus, maintenir la paix romaine, tel était le cri universel, et tel est l’objet de la politique d’Auguste. Tandis qu’à Rome même il ramène en sa main et rassemble les rênes de l’autorité, dans les provinces il étouffe tous les germes d’indépendance, tous les éléments de la vie publique. Dès son avènement, le droit de cité est restreint[178], le droit de paix et de guerre retiré, le droit d’association interdit[179]. L’Empire est tout entier sous la dépendance du Sénat ou sous la sienne, et le Sénat n’ayant qu’un simulacre d’autorité, rien n’existe qu’avec César et par César. Aucun détail de ce pouvoir sans limite ne lui est indifférent ; il intervient pour une concession de trois pieds de terrain faite à des portefaix[180]

Cette règle de la politique d’Auguste devient après lui la doctrine de l’administration impériale. Tibère, Claude, Néron, la suivent avec un respect pieux. A la suite des guerres de Galba, d’Othon et de Vitellius, Vespasien la reprend comme une charge sacrée de l’héritage de César. L’empereur est le maître du monde, au même titre que l’âme est maîtresse du corps qu’elle anime[181]. A toi, lui disait-on, le droit de vie et de mort sur les peuples ; à toi d’envoyer d’un mot L’allégresse ou le deuil au sein des cités ; à toi de faire rentrer dans le fourreau ou d’en tirer, d’un signe de tête, des milliers de glaives ; à toi de décider quelles nations seront ruinées ou affranchies, quel roi va courber la tête sous le joua, quel esclave ceindre le bandeau royal, quelles villes doivent naître on mourir[182].

Ce que n’a%aient pu faire Auguste et ses successeurs, peut-être aurait-on pu l’espérer des Antonins. Les guerres civiles avaient cessé ; l’univers était en paix ; Nerva, Trajan, Adrien, Antonin, Marc-Aurèle, allaient successivement occuper le trône pendant prés de deus siècles ; il ne manquait pas d’hommes dans les provinces — Plutarque nous en offre un admirable exemplaire — prêts à seconder de leurs conseils et de leur action un réveil intelligent de la vie municipale ; tout, même dans le caractère des princes, imbus des maximes de la philosophie, tout paraissait conspirer à faire pénétrer dans le gouvernement du monde des principes plus sages. Je vous recommande les provinces est le dernier mot d’ordre donné par Trajan à son successeur[183]. Les provinces seront, en effet, le principal souci d’Adrien. Mais le caractère de l’administration ou, comme on dirait aujourd’hui, de la centralisation impériale, n’en est pas changé. Il semble même que, plus l’empereur est éclairé, plus le mal s’aggrave.

Pline, dans son Panégyrique, ne trouve pas d’exclamations assez vives pour caractériser, à son gré, le bonheur de l’univers à l’avènement de Trajan[184] ; et le trait le plus saillant de ses descriptions renouvelées de l’âge d’or, c’est que la sollicitude impériale, s’étendant à toutes les cités, semble ne couvrir chacune d’elles que pour lui mieux assurer la jouissance de ses libertés : Trajan professe pour règle de maintenir à chacun son droit[185]. Mais comment cette règle était-elle comprise de ceux qui étaient chargés de l’appliquer ? Il suffit d’ouvrir le recueil des Lettres de Pline lui-même pour s’en faire une idée.

Pline est un magistrat distingué, qui, envoyé comme proconsul en Bithynie pour réformer l’administration vicieuse de la province[186], s’acquitte avec loyauté de sa mission. Il rétablit l’ordre dans les finances des villes ; il s’attache à démêler les intérêts communs et les protège ; il remet en vigueur les règles de la justice[187]. Mais, à vrai dire, ce n’est pas Pline qui administre la Bithynie, c’est Trajan. Il ne se remue pas un homme, pas un sesterce, pas une pierre, à Pruse, à Nicomédie, à Nicée, que le gouverneur ne se fasse scrupule d’en référer au prince. Le choix d’un arpenteur est une affaire. Il n’oserait rien prendre sur lui, rien décider[188].

Trajan sourit parfois de ses scrupules ; parfois aussi il parait s’en fâcher. Au fond, Pline, qui le sait bien, sert la politique du prince[189]. Si Trajan semble vouloir se dessaisir du soin de certains détails, il laisse subsister le principe d’une administration démesurément agissante ; et, quand des arbres sauvages croissent pour la perte des hommes, disait un sophiste, à quoi sert de couper les branches, si on laisse les racines[190] ? Source de la toute-puissance et n’en laissant arriver à ses délégués que quelques maigres filets, comme écrivait Pline en s’extasiant l’admiration ; tête, cœur et bras de l’Empire, Trajan surveille tout, règle tout[191]. Il prend la plume pour défendre le déplacement de deux soldats, pour autoriser la translation des cendres d’un mort, pour récompenser un athlète[192]. S’il ne veut pas qu’on porte atteinte aux privilèges acquis, il défend d’en laisser s’établir de nouveaux[193]. Tout ce qui manifeste et par là même excite la vie des peuples, il l’interdit formellement. L’esprit de corporation le plus inoffensif lui fait peur ; des réunions de famille l’inquiètent[194]. Le Sénat, sous la République, laissait les Grecs voter des lois sans portée et jouer à la liberté[195]. Ce sont ces vains simulacres dont on flatte encore leurs passions. On les laisse élire leurs magistrats et se livrer à toutes les compétitions[196], pourvu que le sang ne coule pas[197] ; mais en même temps où leur envoie des gouverneurs qui ne savent même pas leur langue[198] ; et en moins de six ans, de Néron à Domitien, on les fait passer de la sujétion à l’autonomie, et de l’autonomie à la sujétion[199]. On leur permet de se réunir à certains jours de fête ; on les laisse se donner entre eux, de cité à cité, des rangs de préséance ; on les encourage à décerner des statues à leurs grands hommes[200]. Union factice, activité superficielle, émulation stérile, uniquement propre à entretenir un funeste esprit de rivalité. L’union efficace, l’activité réelle et féconde, sont proscrites comme un danger public. Qu’un jour un attentat se produise par la main d’un habitant de la province contre le souverain, il sera défendu à tout habitant de la province d’exercer des fonctions politiques dans son pays[201] ; et bientôt, tel est l’oubli où seront tombés les droits des municipes, qu’il deviendra presque impossible de les exercer, faute de les connaître[202].

Le régime municipal, sincèrement constitué, aurait pu retarder la décadence de l’Empire. Appliqué avec cet esprit de défiance jalouse, il la précipita. Que la faute en soit, en partie, aux provinces elles-mêmes, Plutarque ne nous le laisse pas ignorer. Habituées à tenir leurs regards attachés sur César, elles allaient au-devant de la servitude. On a d’abord appelé l’empereur comme malgré lui, dit énergiquement le grave et généreux moraliste ; on l’a rendu plus maître de soi qu’il ne le voulait lui-même[203] : appel dangereux, abdication fatale ; on ne fait pas au pouvoir absolu sa part : dès qu’il est entré dans le gouvernement des libertés locales, il l’envahit tout entier. Mais n’eût-il pas été de l’intérêt, comme il était du devoir d’un pouvoir clairvoyant, de résister aux entraînements des peuples en même temps qu’à l’exagération de son propre principe ? Appelées sérieusement à la direction de leurs affaires, unies entre elles par des associations provinciales, les cités auraient formé autour du peuple-roi un corps de défense. Incomplètement livrées à elles-mêmes, violemment séparées les unes des autres, ne tenant à home que par les chaînes d’une sujétion pesante ou par le lien fragile de la vanité, elles apprirent, chaque jour davantage, à se désintéresser ne la grandeur et du salut de l’Empire. Le besoin de la paix ferma les yeux, sous les Césars, à tous les autres dangers. L’influence personnelle des premiers Antonins, leur activité infatigable, empêchèrent de voir ce qu’il y avait de menaçant dans ce système de centralisation dissolvante. Mais, quand leur main se fut retirée, quand aux bons empereurs succédèrent les mauvais princes, le système fut poussé à ses conséquences extrêmes, et, l’heure du danger venue, on vit clairement ce qu’il avait fait de l’Empire romain : un colosse de grains de sable.

Passant entre les villes comme à travers des brèches ouvertes, les Barbares pénétrèrent jusqu’à Rome, sans qu’aucun peuple songeât à verser une goutte de sang pour la défense d’un voisin ou pour la sécurité de la métropole commune. Il semble, écrit Montesquieu, que les Romains n’avaient conquis le monde que pour l’affaiblir et le livrer sans défense aux barbares[204]. Le monde, par de justes représailles, laissa Rome en proie aux barbares victorieux. Les conséquences de sa politique éclatèrent dans son châtiment.

Du sein de la cité, Plutarque tenait son regard trop étroitement attaché aux besoins du présent et aux souvenirs du passé pour voir si loin dans l’avenir. Mais, tandis que les passions de la petite ville qu’il excellait à décrire auraient pu suffire à occuper son talent de directeur de conscience, c’est son honneur d’avoir porté plus haut sa pensée et vivement senti, au milieu des douceurs de la paix romaine, le malaise d’une dépendance trop absolue ; c’est son honneur surtout, quand, autour de lui, l’esprit d’adulation conspirait, avec toutes les ambitions mauvaises, à resserrer les liens de cette étroite dépendance, d’avoir, sans illusion comme sans aigreur, mais non sans fermeté, cherché un remède à l’inertie de ses concitoyens dans le réveil de l’énergie municipale, et de s’être personnellement dévoué, avec autant de mesure que de zèle, à appliquer ce remède à sa patrie.

 

 

 



[1] Neque provinciæ illum rerum statum abnuebant, suspecto senatus populique imperio ob certamina potentium et avaritiam magistratuum, invalido legum auxilio quæ ui ambitu postremo pecunia turbabantur (Tacite, Annales, I, 2). Cf. J. Lipse : De magnitudine Romana, liv. IV, ch. VIII ; Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain ; Amédée Thierry, Tableau de l’Empire romain ; Zeller, les Empereurs romains ; Duruy, Histoire des Romains, t. V, chap. LVII.

[2] Cicéron, Verrines ; Discours contre Pison et pour Flaccus, Lettres à Quintus et Lettres de Cilicie ; Tite-Live, XXXIX, 42 ; Salluste, Catilina, 10, 12 ; Aulu-Gelle, Nuits attiques, X, 3.

[3] Josèphe, Antiq. Jud., XIV, X, 22-23 ; Philon, Legat. ad Caium, 21, 22, 39, 40 ; Appien, Hist., préface, 7 ; Ælius Aristide, Éloge de Rome.

[4] Plutarque, Vie de Lucullus, 20.

[5] Velleius Paterculus, Hist., II, 23.

[6] Vie de Sylla, 12, 14.

[7] Cicéron, Contre Pison, 34 à 37, 46.

[8] Vie de Sylla, 16 à 18.

[9] Vie d’Antoine, 68.

[10] De la Tranquillité de l’âme, 6 ; Préceptes politiques, 32, De la Cessation des oracles, 26, 28. Cf. Épictète, Dissertations, III, 13.

[11] Préceptes politiques, 19. Cf. Vie de César, Vie d’Antoine, Vie de Marius, Vie de Sylla.

[12] Suétone, in Auguste, 24, 36 ; Dion, LIII, 15 ; LX, 25 ; LXXI, 51 ; Tacite, Annales, III, 33 et 54 ; IV, 20, XIV, 31 ; Pline, Épîtres, IV, 9 ; Juvénal, Satires, VIII, 127 et suiv.

[13] Strabon, XVII, 3, § dernier ; Dion Cassius, LIII, 12, 14, 15, 17, 18, 52 ; LV, 28 ; LVIII, 23 ; Suétone, in Auguste, 47 ; Tacite, Annales, I, 2, 76. Cf. La Boulaye, Essai sur les lois criminelles des Romains, p. 403 ; Naudet, Des changements opérés dans toutes les parties de l’administration de l’Empire romain sous le règne de Dioclétien et de Constantin et de leurs successeurs jusqu’à Julien, t. I, p. 10 et suiv.

[14] Dion, LIII, 15 ; LVII, 32 ; LV, 27 ; Tacite, Annales, IV, 15 ; Suétone, in Tibère, 15. Cf. La Boulaye, ouv. cité, p. 405.

[15] Dion, LI, 19 ; LII, 33 ; LIX, 8. Suétone, in Néron, 17 ; Tacite, Annales, XIII, 4.

[16] Tacite, Annales, IV, 13.

[17] Velleius Paterculus, Hist., II, 120. Cf. 129.

[18] Suétone, in Domitien, 8.

[19] Tacite, Annales, I, 76 ; Cf. V, 6. Suétone, in Auguste, 67. Cf. 3.

[20] Id., in Auguste, 49. Cf. Pline, Épîtres, X, 14, 121, 122.

[21] Aberat in ordinandi Asiæ Orientisque rebus Cæsar, circumferens terrarum orbi præsentia pacis suæ bona (Velleius Paterculus, II, 92, 101). Cf. Suétone, in Auguste, 26, 47.

[22] Tacite, Annales, I, 47 ; IV, 4.

[23] Suétone, in Caligula, 17.

[24] Id., in Néron, 19.

[25] Id., in Tibère, 8 ; in Claude, 25. Cf. Tacite, Annales, XI, 58.

[26] Tacite, Histoires, I, 49. Cf. Suétone, in Galba, 7, 9.

[27] Suétone, in Othon, 3.

[28] Id., in Vitellius, 5. Cf. Tacite, Histoires, II, 97.

[29] Suétone, in Vespasien, 1.

[30] Strabon, XIII, 1, 36 ; Dion, XLVIII, 12. Suétone, in Caligula, 3. Cf. le Testament d’Ancyre ; V. Egger, Examen critique des Historiens anciens de la vie et du règne d’Auguste, p. 226.

[31] Tacite, Annales, II, 47 ; IX, 13 ; Velleius Paterculus, Hist., II, 126, Cf. Suétone, in Auguste, 46, 47, 18 ; in Vespasien, 17.

[32] Tacite, Annales, IV, 6.

[33] Dion, XLIII, 25.

[34] Tacite, Annal., I, 80 ; Dion, LVIII. 23. Cf. Duruy, thèse latine : De Tiberio imperatore, p. 76.

[35] Tacite, Annal., XIII, 50, 51 ; Suétone, in Néron, X. Cf. Montesquieu, Esprit des lois, liv. XIIL, ch. XIX.

[36] Tacite, Annal., XI, 24 ; Dion Cassius, LX, 17 ; Sénèque, Apocolkyntose, 3 ; Cf. Des Bienfaits, VI, 19.

[37] Suétone, in Vespasien, 9.

[38] Caput imperii et decora omnium provinciarum. Annales, III, 55.

[39] Colimus externos et adulamur, dit Thraséas dans le sénat (Tacite, Annales, XV, 21 et suiv.).

[40] Vie d’Agricola, 19, 20. Cf. 13, 15. Cf. Juvénal, Satires, VIII, 88 et suivants.

[41] Josèphe, Guerre des Juifs, II, 14 ; Histoires des Juifs, I, 20 ; II, 1. Cf. Tacite, Annales, II, 43 ; III. 34, 58, 71 ; IV, 7, 23, 46, 72 ; VI, 32, 40 XII, 58 ; XIV, 18, 38 ; XV, 19 ; XVI, 13 ; Histoires, I, 2 ; II, 57, ; III, 25, 50 ; IV, 14 ; Agricola, 9, 13, 19 ; Pline, Hist. natur., XXXVII, 11 ; Pline, Lettres, II, 11 ; X, 29, 38 ; Panégyrique de Trajan, 29 ; Suétone, in Tibère, 11, 37, 52, 62 ; in Caligula, 58 ; in Néron, 37 ; in Galba, 3 ; Sénèque, Des Bienfaits, I, 9 ; IV, 35 ; Pausanias, VII, 17 ; Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane, V, 14, 36 ; Plutarque, De l’exil, 12 ; Préceptes politiques, 12 : De l’Amour fraternel, 11 ; De l’Amour des richesses, 7, etc.

[42] Tacite, Dialogue des Orateurs, 41. Cf. St Jean, Évangile, XI, 47, 48 ; Tacite, Annales, V, 10.

[43] Tacite, Annales, II, 29, 30, 31, 50 ; III, 10, 17, 48, 23, 66, 68, 96, 70 ; IV, 28, 31, 42 ; XII, 22 ; XVI, 48, 50, 62 ; XVI, 11, 24 ; Suétone, in Claude, 14, 23 ; in Caligula, 55 ; Dion Cassius. LVIII, 3 ; LIX, 19. Cf. Laboulaye, ouvrage cité, p. 439 à 449.

[44] Tacite, Annales, XIII, 23, 52 ; XIV, 28 ; Suétone, in Othon, 2.

[45] Suétone, in Claude, 7. Caligula secundam existimationem circa initia imperii omnibus lenociniis colligente. Tacite (Histoires, I, 78), parlant de quelques faveurs faites aux provinces par Othon, ajoute : concessions faites plutôt pour éblouir que pour durer : Ostentui magis quam mansura.

[46] Suétone, in Caligula, 40 ; in Néron, 32 ; in Vespasien, 16, 24 ; in Galba, 12 ; in Domitien, 12 ; Tacite, Annales, III, 40 ; IV, 45 ; Histoires, II, 84 ; Juvénal, Satires, VIII, 87 et suiv.

[47] Suétone, in Vespasien, 16 : Nec candidatis quidem honores reisve, tam innoxiis quam nocentibus, absolutiones venditare cunctatus est. Cf. in Titus, 7.

[48] Tacite, Annales, XV, 43.

[49] Appien, Préface, 7 ; Cf. J. Lipse, De magnitudine romana, liv. IV, ch. XII.

[50] Tacite, Annales, I, 78 ; IV, 37, 55, 50 ; Suétone, in Auguste, 52. 57, 59, 98 ; in Claude, 1.

[51] Plutarque, du Bavardage, 7 ; du Flatteur et de l’Ami, 19 ; des Délais de la justice divine, 22, Préceptes politiques, 14. Cf. Tacite, Hist., II, 8 ; Suétone, in Néron, 40.

[52] Josèphe, Guerre des Juifs, VII, 4 ; Cf. Id., ibid., V, 9 ; II, 16 ; V, III, 8.

[53] Aristide, Éloge de Rome. Cf. Velleius Paterculus, Hist., II, 107.

[54] Josèphe, Guerre des Juifs, II, 10.

[55] De la Monarchie, de l’Oligarchie et de la Démocratie, 1.

[56] De la Monarchie, etc., 1.

[57] Ibid., 3.

[58] Ibid., 3.

[59] De la Monarchie, etc., 4.

[60] Ibid., 4.

[61] A un prince ignorant, 3.

[62] Ibid., 3.

[63] Ibid., 4, 5.

[64] A un prince ignorant, 6.

[65] Ibid., 7.

[66] Il faut que le philosophe converse surtout avec les princes, 1.

[67] Ibid., 4.

[68] Il faut que le philosophe converse surtout avec les princes, 3.

[69] Ibid., 1, 2.

[70] À un prince ignorant, 1 ; Il faut que le philosophe converse surtout avec les princes, 2.

[71] Histoires, I, 2 : plenum exiliis mare.

[72] De l’Exil, 2.

[73] Sénèque, Consolation à Helvie, 6.

[74] De l’Exil, 5, 6, 10, 12.

[75] De Lamennais, Paroles d’un croyant, 41.

[76] Théognis, Sentences.

[77] De l’Exil, 16.

[78] Ibid., 17.

[79] Ibid., 17.

[80] Ibid., 15.

[81] De l’Exil, 16.

[82] Tusculanes, III, 34 à 34.

[83] Horace, Art poétique, 102.

[84] De l’Exil, 1.

[85] Ibid., 3. Cf. Sénèque, qui s’y appesantit longuement en parlant de lui-même, bien qu’il eût conservé dans son exil un luxe de sénateur (Consolation à Helvie, II, 12).

[86] Ibid., 8 à 11.

[87] De l’Exil, 8. Cf. 3.

[88] Ibid., 8, 12.

[89] De l’Exil, 8 à 11.

[90] Ibid., 1.

[91] Ibid., 6.

[92] Sénèque, De l’Exil, 9 à 11.

[93] Voir, sur les Consolations, Paul Albert, Variétés morales et littéraires.

[94] Pensées de Marc-Aurèle, 1 à 17.

[95] Préceptes politiques, 10, 13, 17, 18, 32. Cf. Quelle part le vieillard doit prendre à l’administration des affaires publiques, 18, 19 ; Du Progrès dans la vertu, 6 ; De l’Exil, 12. Voir Naudet, ouvrage cité, p. 204.

[96] Des Délais de la justice divine, 22.

[97] De la Malignité d’Hérodote, 12, 15, 20, 34, 43 ; d’Isis et d’Osiris, 61 ; des Délais de la justice divine, 13, 22 ; de la Face qui parait dans la lune, 26 ; Préceptes de santé, 20 ; de l’Amour fraternel, 18 ; Consolation à Apollonius, 22 ; du Bavardage, 18 ; de la Manière d’entendre les poètes, 10 ; Vie de Thémistocle, 8 ; Vie d’Alexandre, 35, 38 ; Questions romaines, 5, 6, 10, 11, 37, 44, 52, 67, 83, 84, 94, 104, 112, etc.

[98] De la fortune et de la vertu d’Alexandre, 3. Cf. 8, 9, 11.

[99] Vie d’Aratus, 16.

[100] Vie de Démosthène, 18, 22.

[101] Vie de Caton l’Ancien, 23 ; Vie de Marius, 2 ; Vie de César, 55 ; Vie de Brutus, 2, 4, 21, 40, 51 ; Vie de Flamininus, 5.

[102] Essais, II, 32.

[103] Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1724-1725, t. VI, p. 52 et suiv., 155 et suiv. Discours de l’abbé Sallier. Cf. Trenth, qui défend Plutarque aussi contre cette accusation, p. 84.

[104] Polybe, Histoires, VI, 56. Cf. XXVIII, 6 ; XXVII, 7.

[105] Id., ibid., XXXVIII, 1.

[106] Id., ibid., XL, 3.

[107] Id., ibid., VI, 11 et 18.

[108] Bossuet, Histoire universelle, III, VI.

[109] Pausanias, VIII, 30.

[110] Dans toute cette série de Vies, je ne crois pas qu’il y ait un seul mot de servilité ou de flatterie, de dédain ou de vanité, d’humiliation ou de triomphe. Merivale, Histoire des Romains (VII, p. 487).

[111] Vie de Pompée, 75 ; Vie de Démosthène, 19 ; de l’Exil, 9 ; de la Fortune des Romains, 1.

[112] Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane, V, 41, traduction Chassant, p. 216-7.

[113] Id., ibid., V, 10. Cf. VII.

[114] Id., ibid., VII. Cf. VIII, 7.

[115] Préceptes politiques, 32.

[116] Éloge de Rome, passim.

[117] Entretiens d’Arrien, III, 13.

[118] Dion Chrysostome, Discours, 80.

[119] De la Cessation des oracles, 8. — Voir Volkmann, 2e partie, chap. VI.

[120] Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVI, 13. Non enim... suis radicibus nituntur (colonnæ), sed ex civitate quasi propagatæ sunt, et jura institutaque omnia populi Romani, non sui arbitrii habent.

[121] ... Municipes, qui ea conditione cives Romani fuissent, ut semper rempublicam a populo Romano separatam haberent (Festus, voc. Municipes). — Legibus suis suo jure utentes, muneris tantum cum populo Romano honorarii participes, a quo munere capessendo appellati videntur, nullis aliis necessitatibus, neque ulla populi Romani lege adstricti, quum nunquam populus eorum fundus factus est. (Aulu-Gelle, ibid.)

[122] Plutarque, Préceptes politiques, 5, 30, 31. Cf. le recueil des Inscriptions latines : Gruter, 354, 404, 444, 484, 496 ; Orelli, 780, 1172, 5994, 4034, 4051, etc., et les inscriptions de Pompéi. Cf. Pline, Épîtres, IV, 1 ; V, 7 ; VI, 2 ; VII, 8 ; IV, 39 ; X, 24.

[123] 2. Plutarque, de l’Usure, 7 ; Préceptes politiques, 30, 31 ; de l’Exil, 12.

[124] Sur les intrigues des élections municipales, voir Tertullien, de Pœnitentia, 12 ; de Pallio, 8. Voir aussi un substantiel et piquant article de M. Boissier sur Pompéi et la vie des provinces dans l’Empire romain (Rev. des Deux Mondes, 1er avril 1860).

[125] Bœckh, Inscriptions grecques, 1625, 2282, 2285, 2329, 2332, 2335, 2347, 2450, 2854, 2812, 2953, 3424. Keil, Inscr. Bœot., n° 31. Cf. E. Egger, Mémoires d’histoire ancienne et de philologie, II : des Honneurs publics chez les Athéniens, p. 75 ; Voy. Duruy, tome V, chap. LVII.

[126] Préceptes politiques, 26 à 39. Cf. Tacite, Annales, XV, 20 ; Pline, Épîtres, X, 56.

[127] De l’Usure, 4.

[128] Préceptes politiques, 18, 19 ; de la Tranquillité de l’âme, 10, 11, 13 ; Si le vice suffit à rendre malheureux, 1 ; Continent on peut se louer soi-même, 19 ; de la Mauvaise honte, 15 ; de l’Exil, 12 ; du Progrès dans la vertu, 6, etc.

[129] Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane, IV, 5, p. 143-144, traduction Chassang. Cf. Lettres, 55, 71, 72.

[130] Bœckh, Corpus inscript. græcarum, 357, 358, 2108, 2121, 2464, 2975.

[131] Préceptes politiques, 19.

[132] Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVI, 13. Cf. Spanheim, Orbis romanus, 13.

[133] Préceptes politiques, 3, 4.

[134] Ibid., 10 à 12.

[135] Ibid., 13, 14.

[136] Ibid., 15 à 17.

[137] Ibid., 24 à 66.

[138] Quelle part le vieillard doit prendre à l’administration des affaires publiques, 8 à 17.

[139] Ibid., 18 à 27.

[140] Préceptes politiques, 26.

[141] Préceptes politiques, 27 à 29. Cf. De l’utilité des ennemis, 11.

[142] Ibid., 30, 31. Cf. 24.

[143] Préceptes politiques, 5.

[144] Ibid., 8.

[145] Ibid., 6.

[146] Ibid., 6 à 9.

[147] De la Mauvaise honte, 10.

[148] Préceptes politiques, 32. Cf. De l’Amour fraternel, 17.

[149] De l’amour fraternel, 17.

[150] Préceptes politiques, 17, 32.

[151] Ibid., 19.

[152] Préceptes politiques, 17.

[153] Ibid., 48. Cf. Du Commerce que les philosophes doivent avoir avec les princes, 1.

[154] Préceptes politiques, 18.

[155] Ibid., 99.

[156] Préceptes politiques, 19. Cf. de l’Utilité des ennemis, 11.

[157] Sénèque, Du Repos du Sage, 32. Cf. 31.

[158] Contre Colotès, 32, 33 ; du Bonheur dans la doctrine d’Épicure, 17 ; de la Vie cachée, 4 ; des Contradictions des stoïciens, 3, 4 ; préceptes politiques, 29 ; Quelle part le vieillard, etc., 1, 5, 6.

[159] Quelle part le vieillard, etc., 18.

[160] Ibid., 19 à 21.

[161] Préceptes politiques, 17, 18.

[162] Ibid., 1 à 8.

[163] Ibid, 8 à 17. Cf. 26, 27.

[164] Quelle part le vieillard, etc., 24.

[165] Ibid., 25.

[166] Préceptes politiques, 3. Cf. 1.

[167] Quelle part le vieillard, etc., 17.

[168] Illud patrocinium orbis terrie verius quam imperium polerat nomirari. Des Devoirs, II, 8.

[169] Ut omnibus gentibus appareret et arma populi Romani non liberis servitutem, sed contra servientibus libertatem afferre. Tite-Live, XLV, 18. Cf. Sénèque, de la Colère, II, 34 ; Aristide, Éloge de Rome, Rome est au milieu du monde comme une métropole au milieu de sa province. De même que la mer reçoit tous les fleuves, elle reçoit dans son sein les hommes qui lui arrivent du sein de tous les peuples.

[170] Populi Romani hanc esse consuetudinem (Cæsar commemoravit), ut socios atque amicos non modo sui nihil deperdere, sed gratia, dignitate, honore auctiores velit esse. Guerre des Gaules, I, 43. Cf. Ibid., 44, 45.

[171] Eosdem quos populus Romanus hostes et amicos habeant. Majestatem populi Romani comiter conservanto. Cicéron, Pour Balbus, 16. Cf. Dion, LXXIII, 9.

[172] Tite-Live, XLV, 18, 26 et 29 ; Pausanias, VII, 16. Le droit de commerce entre deux villes voisines est cité comme une exception. Cicéron, Verrès, III, 40.

[173] Bossuet, Histoire universelle, III, 6.

[174] De jure libertatis et civitatis suum putat populus Romanus esse judicium, et bene putat. Cicéron, Verrès, I, 1. Diis placitum est arbitrium penes Romanos manere, quid darent vet quid adimerent, neque alios nisi seipsos judices paterentur. Tacite, Annales, XIII, 56.

[175] Virgile, Énéide, VI, 854.

[176] Tite-Live, Épitomé, 49 ; Plutarque, Vie de Caton, 39.

[177] Plutarque, Vie de César, 58, 59 ; Cf. Suétone, in Cæsar, 40 à 44, 48 ; Dion Cassius, Discours de Mécène, 41.

[178] Suétone, in Auguste, 40. Cf. Sénèque, Apokolokintose, 5.

[179] Strabon, XIV. Cf. Suétone, in Auguste, 32.

[180] Orelli, Inscriptions, n° 575. Cf. Egger, Recherches sur les fonctions de secrétaire, etc., p. 234.

[181] Animus reipublicæ tu es, illa corpus tuum. Sénèque, de la Clémence, I, 5. Cf. I, 4.

[182] Sénèque, de la Clémence, I, 6.

[183] Œl. Spariantus, Vie d’Adrien, 4.

[184] Pline, Panégyrique de Trajan, 20, 34, 44. Cf. Épîtres, II, 11, 12 ; III, 9 ; IV, 9.

[185] Pline, Épîtres, X, 114, 116. Cf. 56, 57, 66, 74. 78, 110, 112.

[186] Id., ibid., X, 41. Cf. 118.

[187] Id., ibid., X, 28-29, 38-39, 52-53, 56-57, 62-63, 69-70, 75-76.

[188] Id., ibid., X, 34-3-55, 40-41, 46-17, 48-49, 50-51, 58-59,75-76, 91-92, 99-100.

[189] Id., ibid., 49. Cf. Dion, Discours, 33, 39, 40, 42, 46, 48.

[190] Lettres d’Apollonius de Tyane, traduction de Chassang, p. 405.

[191] Pline, Épîtres, III, 30. Cf. IV, 25 ; V, 14. Cf. Lettres de Marc-Aurèle et de Fronton. Cæsareum est in senatu quæ e re sunt suadere, populum de plerisque negotiis in concione appellare, jus injustum corrigere, per orbem terræ litteras missitare, leges ; — Angelo Maï propose de lire reges, et M. Egger, legatos (Recherches sur les fonctions de secrétaire des princes, Mémoires d’histoire ancienne, p. 245) — cæterarum gentium compellare, sociorum culpas dictis cœrcere, benefacta laudare, seditiosos compescere, feroces territare ; omnia ista profecto verbis sunt ac litteris agenda. Sur l’Éloquence, Cette lettre se trouve en tête du 2e vol. de l’édit. Cassas.

[192] Pline, Épîtres, X, 32-33, 36-37 ; 75-74 ; 119-120.

[193] Id., ibid., X, 54-55, 81-82, 93-94, 111-112, 115-116.

[194] Id., ibid., 42-43, 117-118. Cf. 93-94.

[195] Cicéron, Pour Flaccus, 6, 7, 8, 10, 15, 16, 22, 31.

[196] Voir les tables de Salpensa et de Malaga.

[197] Tacite, Annales, XIV, 17.

[198] Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane, V, 53.

[199] Pausanias, VII, 17.

[200] Idem, ibid., 16 ; Strabon, XIV.

[201] Dion, LXXI. Cf. Pline, Epîtres, X, 64. 115.

[202] Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVI, 13.

[203] Plutarque, Préceptes politiques, 19.

[204] Esprit des lois, liv. XXIII, ch. XXIII. Cf. Ibid., ch. XI.