SAINT POTHIN ET SES COMPAGNONS MARTYRS

 

LIVRE PREMIER. — FONDATION DE L'ÉGLISE DE LYON.

CHAPITRE IV. — Débuts de la prédication à Lugdunum.

Facilités et obstacles rencontrés par Pothin et ses auxiliaires. — Trois langues parlées à Lugdunum. — Constitution de la famille romaine ; difficulté d'y faire pénétrer la vérité. — Droits du père et de l'époux. — Situation de l'épouse et des enfants. — Les esclaves, les clients, les ouvriers. — Les déshérités de ce monde offrent plus de prise que les autres à l'action du christianisme. — Le travail et la pauvreté réhabilités par la religion du Christ. — Agents de propagande chrétienne à Lugdunum. — Le don des miracles y favorise la propagation de l'Évangile. — Église de Saint-Jean sur la montagne.

 

Ériger un autel au vrai Dieu sur les bords de la Saône, y poser le culte du divin Crucifié en face du culte rendu aux divinités romaines, c'était faire un grand pas, obtenir un grand résultat. Toutefois, cette installation première marquait seulement l'ouverture, le début de la mission chrétienne à Lugdunum. Ces préliminaires terminés, il fallait prêcher la vérité, la faire pénétrer jusqu'au fond des cœurs ; il fallait attirer au Christ, détacher de leurs erreurs funestes, les adorateurs des faux dieux. Or, sur ce terrain, des obstacles de plus d'une sorte allaient surgir, devant les disciples de Polycarpe, de l'organisation même de cette société qu'ils allaient disputer au paganisme. Pour nous rendre un compte exact des labeurs du bienheureux Pothin, pour apprécier les succès qui couronnèrent ses efforts, il nous faut examiner de plus près les éléments sur lesquels il devait agir, passer en revue les instruments et les moyens d'action dont il pouvait disposer d'une part, et de l'autre les obstacles, les difficultés qui se dressaient devant lui.

Les deux langues parlées à Lugdunum dispensaient Pothin et ses auxiliaires de l'étude ingrate à laquelle sont condamnés les missionnaires qui, de nos jours, vont porter l'Évangile sur des plages lointaines. Maîtres du grec, leur langue maternelle ; familiers avec le latin, qu'ils avaient appris par l'étude et l'usage, les premiers apôtres de Lugdunum pouvaient, dès leur arrivée, se mettre en communication de pensées avec les habitants de la ville et sa population flottante.

Par un privilège dont il était redevable à sa -richesse, à son harmonie, et surtout à ses trésors littéraires, l'idiome des Hellènes n'avait point subi les effets de la conquête romaine. Sans rien perdre, en Orient, de sa popularité comme idiome parlé, il conservait partout une suprématie incontestée dans le domaine de la philosophie, des sciences et des arts. Par déférence pour le génie de la Grèce et ses immortels ouvrages, les Romains ne lui disputèrent pas sa belle langue, ils lui permirent de conserver ce précieux élément de sa nationalité. Bien plus, ils poussèrent la condescendance, ou plutôt le bon goût, jusqu'à parler eux-mêmes le grec et l'admettre dans les rapports ordinaires de la vie. La langue grecque avait été si bien adoptée par les Romains, que Claude pouvait dire à un Barbare qui s'exprimait en latin et en grec : Tu parles nos deux langues[1]. Les conversations, les correspondances, les ouvrages de longue haleine, étaient émaillés d'expressions grecques, de vers, de passages empruntés aux auteurs de la Grèce ; témoin les Lettres de Cicéron, les Épigrammes de Martial, les Césars de Suétone. La langue d'Homère, en grande faveur à Rome, y était parlée par les femmes elles-mêmes[2]. Dans tout l'Empire, elle était écrite avec pureté, avec distinction, par tout ce qui se piquait de grande culture et d'éducation soignée. Des écrivains l'employaient de préférence à la langue latine ; ainsi Claude se servait du grec pour composer ses Mémoires[3], Marc-Aurèle pour écrire ses Pensées.

Dans les villes grecques de la Narbonnaise, le grec dominait comme langue indigène ; elle y était usuelle comme à Smyrne ou à Phocée. A ce point de vue, comme à tous les-autres, Marseille pouvait passer pour l'Athènes des Gaules. De la cité phocéenne et de ses colonies, la langue grecque avait remonté le Rhône. A Lugdunum, cette langue était parlée à l'égal du latin ; elle était popularisée dans cette ville par les marchands, les grammairiens, les sophistes, les esclaves, venus d'Orient ou des villes grecques assises sur les rivages méditerranéens[4].

Inférieur au grec comme langue littéraire, le latin reprenait ses avantages sur le terrain de l'administration et des affaires politiques. Dans ce double domaine, sa jalousie ne reconnaissait pas d'égal ; il dominait les autres idiomes, vaincus avec les peuples qui les parlaient. Propagé dans toutes les provinces, à la suite des armées romaines, il avait été partout établi, imposé comme langue officielle. Dans cette sphère réservée, le latin seul était admis à l'exclusion des autres idiomes, même du grec, le plus favorisé de tous. Le droit, la justice, l'administration, la conduite des armées, tout devait parler latin, sous peine de condamnation, et quelquefois de déchéance, pour les agents infidèles à la langue de Rome[5].

En Occident, le latin n'était pas resté confiné dans les régions administratives ; la politique du pouvoir aidant, il n'avait pas tardé à descendre jusqu'aux indigènes, à se faire adopter par plusieurs pour les usages ordinaires de la vie. Rome, en effet, n'avait aucun ménagement à garder avec des idiomes barbares que ne recommandait aucune œuvre littéraire, suspects même à ses yeux, en proportion de l'énergie des peuples qui les parlaient, de l'attachement de ces peuples à leur ancienne nationalité. Sans qu'il fût besoin de les proscrire, ces tangues indigènes ne pouvaient, dans les grands centres administratifs, lutter avec celle des vainqueurs. Une langue qui avait à son service, comme moyens de propagation, et sa suprématie officielle, et le contact habituel des indigènes avec une population parlant latin, et les mille influences d'une civilisation qui touchait à tout et s'exprimait en latin, cette langue ne pouvait manquer de devenir prépondérante dans les grandes cités.

Le latin et le grec étaient donc parlés à Lugdunum ; l'une et l'autre langue y servait d'instrument au commerce ordinaire de la vie et à l'activité littéraire.

Quant à l'idiome celtique, deux siècles écoulés à peine depuis la conquête des Gaules n'avaient pu suffire à le faire disparaître de la ville, encore moins des bourgs habités par les Ségusiaves. Cette langue, tenace et forte comme les peuples qui la parlaient, devait dominer au IIe siècle dans les campagnes. Sur les deux collines de Lugdunum et dans la région du delta, elle était parlée encore par les Ségusiaves fixés en ces lieux, et par les Gaulois des autres peuplades, que des affaires publiques ou privées amenaient dans la métropole de la Lugdunaise. A l'appui de cette conclusion, nous pouvons invoquer un passage de saint Irénée. Dans la préface de son grand ouvrage contre les hérésies, ce saint docteur demande grâce pour son style : il ne veut point qu'on y cherche un art incompatible avec son séjour parmi les Celtes, avec l'étude de leur idiome barbare, à laquelle il s'adonne[6].

Ainsi, entre les premiers apôtres de Lugdunum et les Ségusiaves étrangers au latin et au grec, les rapports suivis étaient à la condition que Pothin ou quelques uns de ses auxiliaires arriveraient à entendre et à parler le celtique. A en juger par les noms des premiers martyrs lyonnais, dont aucun ne présente une physionomie celtique, le bienheureux Pothin se sera d'abord adressé, comme tout semblait l'y inviter, aux habitants qui comprenaient le grec ou le latin. Ne pouvant agir sur tous les points à la fois, il aura ajourné à plus tard la conversion des indigènes ignorant les deux langues classiques. S'exprimer en latin et en grec était un premier avantage pour les missionnaires de Lugdunum ; appartenir à la race hellénique leur en ménageait un autre. L'exemple de Rome, en effet, avait mis partout à la mode, avec la langue et la littérature de la Grèce, ses grammairiens, ses philosophes, ses artistes, jusqu'à ses esclaves. A l'enfant qui venait de naître, la noble matrone donnait de préférence une nourrice grecque. Sorti du maillot, l'enfant passait des bras de la nourrice aux mains de maîtres grecs. A son tour, le citoyen opulent se passait la coûteuse fantaisie d'acheter à beaux deniers des esclaves grecs, capables de lui servir de secrétaires, de médecins, destinés à charmer ses loisirs par la musique ou la poésie. A Lugdunum donc, Pothin et ses auxiliaires durent rencontrer des Hellènes antre part que dans les rangs des marchands asiatiques. Cette faveur pour tout ce qui venait de la. Grèce, ils pouvaient la faire tourner au profit de leur mission auprès des citoyens de race latine. D'autre part, un accès plus facile leur était ouvert auprès des habitants de Lugdunum, libres ou esclaves, de race hellénique comme eux. Car enfin la fusion n'avait pu être si complète entre les peuples divers qui composaient l'Empire romain, que nulle trace du sentiment national ne fat restée au fond des cœurs, qu'un Hellène ne se sentit attiré vers un Hellène sur les bords du Rhône et de la Saône, comme un Gaulois vers un autre Gaulois sur les bords du Tibre ou de l'Oronte. Mais ces avantages, résultant de la communauté de langue et de race, étaient amoindris, annulés même, dans la plupart des cas, par l'organisation de la société chez les Romains.

Par sa constitution légale, la famille romaine ne donnait pas facile ouverture à la propagande chrétienne. Image en petit de la cité, elle avait son régime, son administration spéciale, son culte domestique, son autorité suprême. La maison du citoyen avait quelque chose du palais, du tribunal, du temple ; la prison même ne lui faisait pas défaut. Gardien du foyer domestique, prêtre des dieux lares, arbitre souverain de tout ce qui touchait aux intérêts de la famille, ayant droit de vie et de mort sur ses esclaves, sur ses enfants eux-mêmes, le chef de famille régnait sous son toit, il tenait de la loi une autorité à peu prés absolue sur tous les siens.

En lui l'épouse voyait un maître plutôt qu'un époux. Unie à son mari sans être son égale, elle prenait rang dans la famille parmi ses propres enfants, avec lesquels la loi la confondait dans la plupart de ses dispositions. Fondé sur l'omnipotence du chef de famille, et non sur la réciprocité des devoirs, le mariage romain plaçait la femme aux pieds de son mari, à une trop grande distance de son cœur, sur le même niveau que les fils et les tilles. Or, cette infériorité avait un double inconvénient : d'abord, elle froissait profondément les sentiments de l'épouse ; ensuite, elle annulait l'autorité de la mère, confondue avec ses enfants devant leur maitre commun. De quelque manière qu'elle entrât dans la famille de son époux, la femme ne s'appartenait pas à elle-même, elle relevait d'un autre. Elle se mariait tout en restant sous puissance paternelle, ou bien elle était achetée par son mari, suivant la crudité du langage consacré par le droit (in manum coemptio). Dans le premier cas, elle demeurait sous l'autorité du père, qui ne s'était pas dessaisi ; dans le second, elle passait sous la puissance de son mari, qui l'avait acquise. C'était là une union d'une révoltante inégalité, mi tous les droits étaient mis d'un côté, et tous les devoirs de l'autre. Et pour comble, ce mariage n'avait aucune garantie de stabilité, eût-il été contracté avec des formes religieuses et solennelles (confarreatio). Fragile comme le cœur d'un païen et d'une païenne, celte union était à la merci de leurs passions ; elle était exposée à être brisée par le divorce, dont le bénéfice pouvait être invoqué par les deux conjoints.

Le droit du père de famille pesait d'un poids plus écrasant encore sur les enfants que sur l'épouse. Le père était effacé par le maitre ; son autorité légale étouffait trop souvent en lui le sentiment paternel. En voici des preuves :

Après sa naissance, le nouveau-né était apporté à son père, déposé à ses pieds comme devant un tribunal. Inspection faite de l'innocente créature, sur le simple grief d'une difformité physique, ou pour des causes moins avouables encore, l'enfant était rejeté, condamné à mourir[7]. Des esclaves, exécuteurs de la terrible sentence, attendaient les ombres de la nuit pour l'exposer au coin de quelque rue, ou le noyer dans les eaux[8].

A Lugdunum, comme à Rome, combien d'enfants périrent de la sorte I combien furent exposés dans les carrefours de la ville, jetés au courant du Rhône ou de la Saône t Le bienheureux Pothin et les fidèles de son Église durent recueillir plusieurs de ces tendres victimes, les réchauffer dans les bras de leur charité, les appeler à la double vie de l'âme et du corps. C'est ainsi qu'ils préludaient, dès les premiers jours du christianisme, à cette Œuvre admirable de la Sainte-Enfance, que la même barbarie et les mêmes besoins devaient faire organiser plus tard en faveur des petits enfants du Céleste Empire.

Que si le nouveau-né avait trouvé grâce aux yeux de son père, il était élevé de terre ; il était admis à vivre, et cela par concession paternelle. La suite de son existence répondait à ces commencements. Courbé sous un joug dur et sévère, n'ayant aucune initiative dans les affaires de la famille, le fils devait vivre dans une soumission entière, absolue ; autrement il pouvait être déshérité par son père.

Tel était le sort fait à la mère et à l'enfant par la loi des Douze Tables, cette loi si vantée, qui avait organisé la famille romaine.

Pour les esclaves, c'était un vil troupeau, des êtres bien au dessous de la femme et des enfants. Parias de la société ancienne, ils étaient rangés dans la catégorie des animaux domestiques. Placés sous les pieds de la famille, foulés par le père, la mère et les enfants, les esclaves étaient destinés à les servir dans leurs besoins, leurs plaisirs, leurs caprices ; à les dispenser du travail, de la peine, de la sueur déshonorante. A ce vil rebut de l'espèce humaine, le mépris, les dédains, les fouets, les entraves, le gibet. Avec eux, était-il besoin d'user de ménagements ? Ces êtres que l'on vendait comme bêtes de somme, que l'on entassait, la nuit, dans des souterrains comme un troupeau dans une étable, dont les unions n'étaient pas plus reconnues par la loi que les conjonctions des animaux, ces êtres vils et méprisables pouvaient-ils être de même nature, de même espèce, de même sang que leurs maîtres ? Avec le grave Aristote[9] et le divin Platon[10], ne fallait-il pas voir en eux une espèce inférieure, des hommes mis par la nature au dessous des autres hommes ? Conformément à cette belle théorie, dont tout l'honneur revient aux philosophes et à la religion qui les inspirait, l'esclave ne relevait guère que du bon plaisir, ou mieux encore de l'intérêt de son maître, lequel pouvait toujours répéter, en manière de considérant, ce vers si connu de Juvénal :

Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas[11].

Ainsi, au seuil des maisons de Lugdunum, le bienheureux Pothin rencontrait un maître, un juge, une sorte de prêtre, une autorité dont le pouvoir exorbitant et sacrilège était condamné par la religion du Christ.

Il est vrai, la tyrannie de ce régime, fondée sur la loi des Douze Tables, avait été tempérée par le progrès du temps et l'adoucissement des mœurs. La nature méconnue, violée dans ses meilleurs sentiments, avait réclamé contre les rigueurs de ce code barbare, contre les droits excessifs qu'il conférait au chef de famille. Ces réclamations, bien qu'elles n'eussent pas reçu satisfaction complète, n'avaient pas laissé d'être entendues. Grâce à une jurisprudence qui s'accuse de plus en plus à partir de l'époque impériale, les textes qui fondent l'autorité paternelle, sans être rapportés, reçoivent des interprétations plus bénignes. L'autorité du père n'est pas contestée en principe, mais elle est modérée dans la rigueur de ses applications, mais elle cesse d'absorber tous les droits, de s'armer de la hache pour frapper la tête d'un enfant. Toutefois, ces modifications, si précieuses qu'elles fussent, n'avaient pu réformer l'esprit de la famille romaine au point de ramener le père et l'époux à son rôle naturel, à faire remonter l'épouse et les enfants à leur place légitime.

Ce n'est pas tout encore. Un chef de famille ayant de la fortune ou une grande position, exerçait un genre d'influence qui pouvait servir ou contrarier l'action du christianisme. Au citoyen opulent de Lugdunum se rattachaient, par les liens de la clientèle, des affranchis, des misérables, gens empressés à venir dès le matin saluer leur patron, à lui faire cortège dans les rues, à lui former une petite cour dont les serviles flatteries ne reculaient devant aucune bassesse. De maigres sportules jetées à leur avidité, quelques services rendus dans l'occasion, l'intervention du patron en faveur de ses clients devant les tribunaux, il n'en fallait pas davantage pour attacher à un homme riche une foule de prolétaires habitués à vivre sous sa dépendance, à se modeler sur lui, à ne pas ménager leur admiration à ses moindres actes, leurs applaudissements à ses paroles, fussent-elles des sottises colossales ou de monstrueuses turpitudes. Ces rapports d'un nouveau genre, en diminuant la liberté des clients, les courbait à une sujétion qui n'excluait pas plus la religion qu'autre chose ; leur servilisme était disposé à faire bon marché de toute croyance, pourvu qu'à ce prix, à leurs yeux fort médiocre, ils parvinssent à gagner les bonnes grâces de leur patron.

Suivant les habitudes grecques et romaines, à Lugdunum, le chef de famille, il est vrai, menait une vie fort répandue au dehors, une existence qui ne s'écoulait guère à l'ombre du foyer domestique Mais, en son absence, des esclaves de confiance veillaient à la porte et dans l'intérieur de la maison, avaient les oreilles et les yeux ouverts du côté de la rue et du côté du gynécée, afin de rendre un compte exact à leur maître de tout ce qui s'était passé loin de ses regards.

On le voit, il n'était pas facile au bienheureux Pothin de se ménager un accès dans des maisons si bien closes, dans des familles si jalousement fermées ; de délier le faisceau serré par le despotisme paternel ; d'amener la mère, les enfants ou les esclaves à quitter le culte des dieux lares, à déserter les autels de Rome et d'Auguste. Comment aborder ces familles païennes ? A qui s'adresser en premier lieu ? Au chef de famille ? Il est vrai, le père gagné, sa conversion pouvait déterminer celle de la mère, des enfants, des esclaves et des clients ; mais le père semblait plus éloigné du royaume de Dieu que les autres membres de la famille. Effectivement, renoncer aux idoles équivalait pour lui à une sorte d'abdication, à l'abandon d'une position qui flattait son orgueil, d'une autorité dont il se montrait jaloux à l'excès. Or, échouer contre un chef de famille, c'était se fermer la porte de sa maison, c'était se rendre plus difficile l'accès auprès des siens, ou bien condamner aux tracasseries et aux sévices d'une persécution domestique ceux d'entre eux qui auraient le courage d'obéir à Dieu plutôt qu'à un homme.

A l'inverse de son époux, la femme, loin d'avoir des sacrifices à faire comme épouse et comme mère, avait tout à gagner, sous ce double rapport, en embrassant la religion du Christ.

En effet, sans détruire ce que le contrat légal renfermait d'utile, le christianisme élevait le mariage à la hauteur d'un sacrement ; il lui donnait pour type l'union de Jésus-Christ avec son Église, le rappelait à l'unité et à l'indissolubilité primitives. Contractée devant les saints autels, l'alliance de l'homme et de la femme y recevait un caractère religieux, une consécration solennelle. Ces liens, formés par la religion, étaient noués dans le domaine intérieur de la conscience ; l'Église y apposait un sceau que la mort seule pouvait briser. Grâce à ce sacrement et aux conséquences qui en étaient déduites par l'enseignement chrétien, la femme, relevée de son infériorité, allait s'asseoir dans la famille à son rang légitime. Compagne de son époux, elle prenait place à ses côtés, au dessus de ses enfants, en un lieu également favorable à la tendresse de l'épouse et à l'autorité de la mère. Associés ensemble pour porter le fardeau de la vie, pour donner des membres nouveaux à la famille et à l'État, à l'Église des enfants spirituels, et par l'Église des saints au ciel, les deux conjoints étaient appelés à mettre en commun leurs joies et leurs peines, à n'être qu'un cœur et qu'une âme comme ils ne formaient qu'un seul corps. Ce que l'épouse gagnait à cette réhabilitation, à cette transfiguration du mariage par la vertu du sacrement, elle était 'en position de le sentir, de l'apprécier mieux que personne. Pourvu donc que tout sentiment d'honneur n'eût pas péri dans elle, que la flétrissure du désordre ne l'eût pas pénétrée jusqu'à la moelle des os, elle devait être attirée vers une doctrine soucieuse à ce point de son bonheur et de sa dignité. Autant il en faut dire à proportion de ces affranchies, de ces femmes de condition libre que le célibat systématique d'un grand nombre d'hommes exposait à devenir la proie d'un libertinage effréné. Mais si l'épouse ne venait au devant de la vérité, comment la faire parvenir à ses oreilles ? Là se trouvait la difficulté.

A l'exemple de Jésus-Christ et des apôtres, pour le bienheureux Pothin et ses auxiliaires, le mieux était d'attaquer la société païenne par en bas, de s'adresser d'abord aux pauvres et aux petits de Lugdunum. Nulle part l'Évangile ne devait trouver plus d'écho, plus de sympathie, que parmi les déshérités de ce monde, parmi les esclaves, les ouvriers, les gens de peine et de labeur. Par une compensation providentielle, l'iniquité de leur condition prédisposait ces hommes à bien accueillir les envoyés de Jésus-Christ ; à tous les points de vue, l'Évangile leur était une bonne nouvelle.

Ces esclaves exclus de la famille humaine, mis hors l'humanité par une philosophie superbe et une société sans entrailles, le christianisme leur tendait la main pour les relever de leur abjection ; il les appelait à la liberté de l'esprit, gage pour l'avenir de la liberté civile ; à la filiation divine, à une sainte égalité dans le Christ. Fidèle écho de saint Paul, le bienheureux Pothin disait aux esclaves de Lugdunum : Votre Père céleste est un[12]. Et encore : Dans le Christ il n'y a plus de Juif ni de Grec, de circoncis ni d'incirconcis, d'esclave ni de libre, d'homme ou de femme ; mais tous sont un, et le Christ est en tous[13]. Ainsi les titres de leur céleste origine, confisqués par l'orgueil des philosophes, étaient rendus aux esclaves. A la lumière de cette précieuse révélation, ils sentaient qu'ils étaient hommes aussi bien que les ingénus, qu'ils avaient une âme de création divine, qu'ils étaient appelés à d'immortelles destinées. Enfin ils pouvaient relever la tête, et, avec tout l'enthousiasme d'une récente découverte, saluer leur Père céleste. Enfin ils pouvaient prendre possession de cette conscience que de tristes préjugés voulaient réduire à un pur instinct, démêler le sens de cette voix intime, incomprise jusque là de leur ignorance, ou bien étouffée par la grossièreté de leurs penchants.

En le relevant à ses propres yeux, la parole chrétienne préparait l'esclave à une vie nouvelle, à laquelle il serait enfanté par la maternité spirituelle de l'Église. Pour lui spectacle inouï, langage attendrissant, une société religieuse lui tendait les bras avec amour, lui faisait entendre une voix amie, lui parlait de ce Dieu qui l'avait créé, de son Fils Jésus-Christ, mort pour le salut de tous sans exception, expiré sur la croix, instrument destiné au supplice des esclaves. Et ce magnifique enseignement, il en éprouvait la réalisation sublime dès que par le sacrement de l'initiation il était admis dans la famille chrétienne. De ce jour, lui, l'esclave, il était salué du beau nom de frère, il échangeait avec les fidèles le baiser fraternel ; il s'agenouillait au pied du même autel avec l'homme libre ; le citoyen de naissance sénatoriale ; il communiait avec eux au corps du Sauveur, s'asseyait à leurs côtés à la table des agapes chrétiennes. A Lugdunum, plus d'un esclave dut donner son nom à une religion si bienfaisante. Les jours de la persécution venus, l'esclave Blandine devait se signaler dans l'arène sanglante, briller du plus vif éclat parmi les martyrs de Lugdunum, s'élever au premier rang dans l'admiration et les hommages des fidèles.

Au dessus de l'esclave, venait l'ouvrier de naissance libre, ou bien arrivé à la liberté par la voie de l'affranchissement. Le christianisme se recommandait à l'ouvrier par sa doctrine sur le travail ; la religion du Christ devait être bienvenue auprès du prolétaire, de tout homme obligé de demander à ses bras sa nourriture de chaque jour. Dans la société païenne, en effet, le travail était flétri par l'opinion publique ; il était réputé indigne de l'ingénu, du citoyen, et partant renvoyé aux esclaves et aux hommes de peu. L'oisiveté constituait une sorte de privilège en faveur de la naissance et de la fortune ; le travail, avec ses sueurs et ses fatigues, demeurait le lot de l'esclavage et de la pauvreté. Aussi la trace qu'il laissait sur les membres de l'artisan était-elle regardée comme un flétrissant stigmate, la tunique courte de l'ouvrier comme une marque déshonorante. A l'encontre de ces fausses idées, le christianisme rendait au travail son caractère véritable ; il prêchait sa valeur, sa dignité ; il le lavait de la flétrissure que les théories sociales du paganisme lui avaient imprimée, et par là il relevait les classes ouvrières de leur injuste abaissement. Ravivant les souvenirs oubliés de notre origine, il représentait le travail comme une conséquence de la chute originelle, comme un châtiment imposé à tous les enfants d'Adam. Bien plus, il le recommandait comme un moyen d'expiation personnelle, comme une source de mérite pour le chrétien qui l'embrasse avec l'humilité du repentir et le courage de la résignation.

Et puis, comme le travail avait été honoré dans l'atelier de Nazareth ! En maniant les instruments du charpentier, Jésus avait ennobli le travail ; en se faisant ouvrier, il avait réhabilité les classes laborieuses, il les avait vengées de l'injuste mépris que les classes supérieures laissaient tomber sur elles. Une leçon si salutaire ne devait pas être perdue pour l'humanité ; elle faisait partie de la bonne nouvelle, elle entrait comme point important dans la doctrine que le bienheureux Pothin venait annoncer à Lugdunum. Cet enseignement devait sourire à l'ouvrier ; l'homme de peine devait être incliné à saluer comme libératrice une religion qui le réconciliait avec sa condition, changeait en honneurs les affronts auxquels il était exposé, lui apprenait à exploiter ses labeurs et ses fatigues en vue des récompenses éternelles.

Autre avantage qui résultait de la position de tous les déshérités du siècle : les pauvres, les artisans, qu'ils fussent membres d'une corporation d'ouvriers ou bien qu'ils fussent libres de tout engagement, étaient plus facilement abordables que les membres des hautes classes de la société. Ce motif, joint à tous les autres, dut engager Pothin et ses auxiliaires à s'adresser d'abord aux hommes de peu, aux petits de ce monde.

Cependant rien ne favorisait la mission de l'évêque de Lugdunum comme l'appui qu'il trouvait dans les marchands chrétiens de cette ville. Ces marchands, qui constituaient le noyau de l'Église naissante, prirent une pari très-active à ses développements et à ses progrès. La ferveur de leur zèle, leurs relations commerciales les rendaient très-propres à seconder l'action du bienheureux Pothin, à devenir, sous sa direction, d'utiles auxiliaires de la propagande chrétienne. Sans éveiller l'ombre d'un soupçon, ces négociants grecs pouvaient sonder le terrain, étudier l'esprit des écoles et des corporations ouvrières, les dispositions des familles et des particuliers ; en un mot, préparer les voies à la prédication évangélique. Outre ce rôle d'éclaireurs, ceux que la fermeté de leur croyance et la culture de leur esprit rendaient propres à ce ministère, étaient autorisés à faire de la prédication intime et familière. Bientôt leur maison devenait pour le christianisme un centre secondaire, dont le rayon s'étendait plus ou moins loin, s'élevait plus ou moins haut, suivant leur position de naissance ou de fortune dans la société.

Sans sortir de son domaine, un chef de famille devenu chrétien trouvait autour de lui un assez beau champ ouvert à son zèle. Son influence atteignait immédiatement tous ceux qui lui étaient unis par les liens du sang, et de plus, les esclaves, les clients, tous les ouvriers dont il occupait les bras. Ainsi, toute conversion, quand elle avait été menée à bonne fin, couronnée par le saint baptême, déterminait autant d'actions inférieures, ayant chacune leur sphère propre et leur genre de persuasion. Un esclave gagné à Jésus-Christ, par exemple, ne pouvait garder pour lui seul le trésor qui lui avait été confié. Pressé par la charité, cette vertu qui constitue la force d'expansion ; du christianisme, il devenait, à son tour, missionnaire auprès de ses compagnons d'esclavage ; il leur parlait de cette société religieuse où le maitre n'est pas distingué de l'esclave, où tous les deux sont appelés également à la liberté des enfants de Dieu. L'ouvrier devenu néophyte se faisait, lui aussi, messager de la bonne nouvelle. Cet homme portant l'humble tunique, au visage noirci, aux mains calleuses, répandait parmi la population des ateliers une doctrine amie de l'artisan, qui rendait au travail son caractère véritable, aux travailleurs leur importance religieuse et sociale. De son côté, la femme, cet être si faible, à qui la loi était si dure, qui ne trouvait pas plus de garanties pour l'honneur de son sexe dans le culte des dieux que dans les mœurs dépravées qui en dérivaient, la femme admise clans la société chrétienne, pouvait-elle s'en taire complètement auprès de ses confidentes, dans les conversations intimes et les épanchements de l'amitié ? La matrone, à qui les portes des gynécées étaient ouvertes, pouvait-elle n'y pas porter quelques rayons de cette lumière qui avait brillé à ses yeux, ne pas murmurer à l'oreille de ses amies quelque chose d'une religion si favorable à la pureté de la jeune vierge, à la dignité de l'épouse, à l'autorité de la mère ?

Plus élevée était la position d'un chrétien, plus grande était son influence, et plus il devenait un instrument utile à la propagation de l'Évangile. Voilà pourquoi, tout en commençant par les simples et les ignorants, le christianisme n'attachait pas une médiocre importance à la conquête d'un orateur habile, d'un grammairien en renom, d'un médecin, d'un magistrat, d'un syndic de corporation. Gagner un de ces personnages, c'était mettre au service de la vérité l'influence attachée au savoir, à la réputation, au pouvoir, à la fortune et aux bienfaits. Pour ne parler que de la médecine, puisque cet art est représenté par saint Alexandre dans la liste des premiers martyrs de Lyon, quel avantage un médecin ne pouvait-il pas tirer de sa profession pour faire connaître le vrai Dieu ? Grâce à lui, la vérité pouvait pénétrer partout ; pas de porte qui lui fût fermée, pas de seuil qu'elle ne pût franchir. Avec le passeport de son art, le médecin chrétien pouvait avoir libre accès dans les maisons païennes. Tout en donnant des soins au corps, rien ne l'empêchait de songer au salut des âmes. En bien des circonstances, il pouvait verser l'eau du baptême sur la tête des petits enfants moribonds ; les maladies et leurs conséquences extrêmes lui fournissaient une occasion naturelle d'amener sur le tapis les questions religieuses ; il pouvait se prévaloir des graves pensées évoquées par la mort d'un client, pour éclairer les obscurités de la tombe aux yeux des parents et des amis du défunt, parler à une famille en deuil des destinées futures de l'homme. A n'en pas douter, c'est à quoi s'employait le médecin Alexandre, ce martyr à qui les Actes rendent ce glorieux témoignage : C'était un médecin connu de tous pour son ardent amour de Dieu et l'intrépidité de son zèle à prêcher la vérité, car il avait reçu du ciel communication de l'esprit apostolique[14].

Favorisée par ces influences diverses, la benne doctrine était mise en circulation sur les deux collines et dans la presqu'île formée par le Rhône et la Saône ; elle pénétrait, elle s'infiltrait surtout dans les couches inférieures de la société, où elle trouvait plus d'ouverture. De la sorte il s'opérait à Lugdunum, au profit de l'Évangile, un travail latent, souterrain, qui minait insensiblement la société païenne. De ses yeux d'évêque et de son cœur de père, le bienheureux Pothin suivait attentivement ce mouvement de propagande ; il lui donnait l'impulsion de son zèle, la direction de ses conseils.

Cette prédication intime, faite tout bas à l'oreille, ou dans des cercles restreints, préparait les voies à la prédication publique, à celle qui devait retentir sur les toits, suivant la parole du Sauveur. Il appartenait à Pothin et à ses prêtres de produire l'Évangile au grand jour, de lui donner cette publicité éclatante qui compte parmi les droits imprescriptibles de la vérité. L'évêque de Lugdunum et ses auxiliaires se faisaient entendre dans les ateliers, après les heures de travail ; sur les bords du Rhône et de la Saône, parmi les bateliers faisant cercle autour d'eux ; dans les rues et les places publiques, aux désœuvrés s'attroupant autour des missionnaires ; dans les salles où poètes et orateurs venaient mendier les applaudissements pour leurs vers creux ou leurs déclamations puériles ; dans tous les lieux où ils pouvaient trouver des gens disposés à les écouter. Loin de nous la pensée d'exagérer l'action des causes favorables à la prédication du bienheureux Pothin, d'attribuer à ces causes des résultats qu'elles étaient impuissantes à produire. Ces moyens, ces agents divers, étaient des instruments extérieurs mis en jeu par la divine Providence, concourant dans une certaine mesure à la mission de Lugdunum. A ce titre, nous avons cru devoir signaler leur part d'influence. Mais, en définitive, il faut renvoyer à la grâce et à sa puissance décisive l'honneur des conquêtes particulières comme du succès général. Seul le Iras de Dieu était assez fort pour vaincre les formidables difficultés qui s'opposaient à l'œuvre du bienheureux Pothin. Il fallait qu'un poids céleste pesât dans la balance de ces cœurs païens, pour les faire pencher du côté du Christ et de sa religion. Aussi Dieu, qui mesure toujours les secours accordés à la grandeur de la lutte où les siens se trouvent engagés, intervenait-il par des opérations miraculeuses en faveur des premiers apôtres de Lugdunum, appuyant l'action intérieure de sa grâce par les signes extérieurs de sa puissance. Les prodiges guenons verrons plus tard 'éclater dans les prisons de Lugdunum, nous permettent de conclure, par induction, que le ciel autorisa la prédication de Pothin par des miracles. Au reste, le passage suivant de saint Irénée en témoigne d'une manière positive :

De nos jours, dit ce grand docteur, il est arrivé plus d'une fois qu'une Église réunie et demandant à Dieu, avec des jeûnes et. des !prières, de ressusciter l'un de nos frères, on vit le cadavre et la mort rendu aux vœux des saints. Et qu'on me dise pas que ce sont là de vains prestiges ou des opérations démoniaques, car nous en appellerions au témoignage des prophètes qui ont prédit que tout cela devait arriver pour démontrer la divinité de Jésus-Christ. C'est au nom du Fils de Dieu que ses vrais disciples exercent, chacun selon la grâce qu'il a reçue, le pouvoir de faire des miracles. Les uns délivrent très-réellement les possédés du démon ; d'autres sont favorisés de visions divines, de la prescience de l'avenir et du don de prophétie ; d'autres enfin guérissent les malades et leur rendent la santé par l'imposition des mains ; ils ressuscitent des morts, et j'ai vécu moi-même de nombreuses années avec quelques-uns de ces ressuscités., Enfin il serait impossible d'énumérer toutes les grâces extraordinaires obtenues dans l'univers entier par les membres de l'Église, au nom de Jésus-Christ, crucifié sous Pilate. Ces dons gratuits sont gratuitement exercés ; notre Dieu les accorde comme il lui plaît, et ses ministres les dispensent sans rétribution aucune[15].

Ces lignes ont été écrites à Lugdunum par saint Irénée ; il est donc tout naturel d'en faire l'application à l'Église de cette ville.

Le nombre toujours croissant des fidèles rendit bientôt insuffisant l'oratoire des bords de la Saône. Il fallut donc songer à trouver un nouveau point de réunion. Au midi de Lugdunum, sur le prolongement de la colline, non loin d'un lieu consacré aux sépultures romaines, une grotte, ou excavation naturelle, s'ouvrait dans les flancs du rocher. Le bienheureux Pothin fit choix de cette grotte et la convertit en un lieu de prière. Par sa proximité de la ville, ce nouvel oratoire offrait de. grands avantages au ministère des diacres et des prêtres, ainsi qu'à la piété des fidèles qui habitaient sur la hauteur. Il n'était pas, il est vrai, sans danger de se réunir dans le voisinage de la ville, à quelques pas d'une voie romaine. Mais d'abord, les chrétiens se trouvaient protégés par le respect dont les païens entouraient les tombeaux ; ensuite, il est permis de croire que, pour plus de sûreté, la grotte fut prolongée sous terre et convertie en chapelle souterraine. Pothin y fit creuser un puits, dont les eaux devaient servir à conférer le baptême. La crypte de la montagne fut placée sous le vocable de saint Jean l'évangéliste : l'Église de Lugdunum voulait par là témoigner de la glorieuse filiation qui, par saint Polycarpe, la rattache au disciple bien-aimé.

 

 

 



[1] Suétone, in Claudio.

[2] Juvénal, Satires, VI, 195.

[3] Suétone, ibidem.

[4] Dans un ordre supérieur, la langue grecque avait rendu et rendait encore des services qui la recommandaient au respect du chrétien. Pliée par les Septante à l'expression des vérités religieuses, elle partageait avec l'hébreu l'honneur d'être une langue scripturaire, d'avoir été employée par plusieurs écrivains inspirés. Elle avait encore l'avantage d'être adoptée comme langue liturgique par les Églises d'Orient.

Sous le rapport liturgique, la langue latine ne devait rien avoir à envier à la langue grecque. L'Église romaine, en adoptant le latin pour sa langue officielle, lui donnerait le gage d'une impérissable durée. Son immense diffusion d'une part, et de l'autre son caractère positif comme le génie des Romains, vaudraient à cet idiome l'honneur du choix qui devait en faire la langue de l'Église. La fermeté du latin, sa précision, sa netteté, sa gravité, toutes ces qualités le rendaient merveilleusement propre à exprimer l'austérité de la morale chrétienne, à fixer le dogme dans des symboles dont la clarté frappât les yeux qui voudraient voir, à tracer avec autant de simplicité que de rigueur les lois canoniques et les règles disciplinaires, à formuler des prières faites pour l'esprit et le cœur, non pour l'imagination ; enfin à exprimer la vérité dans la multiplicité de ses manifestations par la parole.

[5] Suétone, in Claudio.

[6] Non autem esquires a nobis qui apud Celtas commoramur, et in barbarum sermonem plerumque vacamus, orationis artem. (Irénée, Contra hœreses, prologus.)

[7] Liberos, si debites monstrosique editi sunt, mergimus. (Seneca, De ira, I, XIV.)

[8] Quot vultis ex his circumstantibus et in christianorum sanguinem hiantibus, ex ipsis etiam vobis justissimis et severissimis in nos præsidibus apud conscientias pulsem, qui natos sibi liberos enecent ? Siquidem et de genere necis differt, utique crudelius in aqua spiritum extorquetis, aut frigori, et fami, et canibus ex ponitis (Tertullien, Apologétique).

[9] Aristote, Polit., l. I.

[10] Platon, De leg., l. VI.

[11] Satires, VI, vers. 219.

[12] Matthieu, XIII, 9.

[13] Ad Galat., X, 28.

[14] Epist. Eccl. Vienn. et Lugd.

[15] Apud Eusèbe, Hist. ecclés., l. V, c. VII.