SAINT POTHIN ET SES COMPAGNONS MARTYRS

 

LIVRE PREMIER. — FONDATION DE L'ÉGLISE DE LYON.

CHAPITRE III. — Plan suivi par les apôtres dans la prédication de l'Évangile.

Situation générale de l'Église sous les Antonins. — Lettre de l'empereur Adrien à Minucius Fundanus. — Antonin-le-Pieux ; caractère de ce prince. — Première Apologie de saint Justin. — But et résultat de cette Apologie. — Lettre d'Antonin aux villes d'Asie. — Le temps était venu d'envoyer un évêque à Lugdunum. — Situation religieuse des chrétiens attirés par le commerce dans celte ville. — Pothin s'installe sur la rive gauche de la Saône. — Crypte de Saint-Nizier. — Ce qu'il faut penser de l'image de la Vierge apportée d'Orient par saint Pothin.

 

Une cité aussi importante que Lugdunum ne pouvait échapper longtemps au prosélytisme chrétien. Sans parler de son Mat, littéraire et de son mouvement commercial, le rang qu'elle occupait parmi les autres villes de la Gaule suffisait à la mettre en relief, à la signaler aux évêques de Rome. De ce poste suprême où la Providence les avait élevés pour dominer religieusement le monde, impossible que leurs regards ne se soient arrêtés sur la colonie de Plancus, que leur pensée ne se soit préoccupée du sort religieux de cette ville.

Depuis la mort des apôtres, à l'évêque de Rome surtout appartenait l'initiative des conquêtes évangéliques ; à lui de diriger, de régulariser celte propagande chrétienne dont le centre, établi d'abord à Jérusalem, puis à Antioche, avait été déplacé par saint Pierre pour être transféré sur les bords du Tibre, dans la ville éternelle. Les voies à suivre dans ces pacifiques conquêtes semblaient avoir été tracées par les disciples du Sauveur ; la marche adoptée par eux dans l'établissement des premières Églises présentait tous les caractères d'un plan concerté d'avance : c'était comme le système, comme la tactique de l'apostolat chrétien. Dès le principe, les apôtres s'étaient adressés aux grands centres, aux métropoles, aux cités les plus considérables par leur renommée, leur importance politique et le nombre de leurs habitants. Dirigeant sur ces villes toutes les ressources du zèle, tous les efforts de la prédication, ils ne négligeaient rien pour y implanter la doctrine évangélique, pour en faire des places fortes de la vérité. De ces cités gagnées à Jésus-Christ, la lumière rayonnerait ensuite comme d'autant de foyers ; au moyen d'une hiérarchie fortement constituée, le prosélytisme s'étendrait graduellement, gagnerait de proche en proche les bourgs et les campagnes des environs.

Ainsi, de Jérusalem, berceau du christianisme, saint Pierre se transporte à Antioche, métropole de la Syrie. Après avoir formé dans cette dernière ville une Église florissante, il part et s'achemine vers Rome, où il s'établit d'une manière définitive. De la capitale politique du monde, il fait la capitale religieuse du christianisme ; à quelques pas du Capitole, il élève cette chaire de vérité contre laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront jamais. Bientôt Alexandrie attire les regards du prince des apôtres. Cette autre Horne, assise de l'autre côté de la Méditerranée, cette ville, rendez-vous du commerce, des arts, des idées et des races de l'Orient, sans retard il faut l'agréger au royaume du Christ, et Pierre se hâte d'y envoyer Marc son disciple. Ainsi firent les autres apôtres : Jean, qui fixa sa résidence à Éphèse, pour diriger de cette grande ville les Églises d'Asie ; Paul, qui prêchait à Athènes, à Corinthe, à Philippes, aux plus grandes villes de l'Empire. La même marche avait été suivie dans le midi des Gaules pour la propagation de l'Évangile. Narbonne, Aix, Arles, Vienne, c'est-à-dire les cités les plus importantes par leur population, leur activité commerciale et intellectuelle, avaient été les premières à recevoir des ouvriers évangéliques.

Lugdunum, qui ne le cédait en rien à ces villes, demeura jusqu'au milieu du lie siècle en dehors de la sphère où s'exerçait l'action évangélique. Aucun évêque, aucun ministre du Christ ne lui était venu de cette Rome qui lui envoyait des présidents, des procurateurs, et tous les autres représentants de la puissance impériale. Comment expliquer que les pontifes de Rome n'eussent point encore dirigé de missionnaires vers une ville si considérable ?

L'explication de ce retard est fournie en partie par l'incendie qui détruisit Lugdunum sous Néron, par les guerres où les compétiteurs à l'Empire engagèrent les Gaules après la mort de ce prince, surtout par les persécutions générales ou locales qui agitèrent les Églises d'au delà des Alpes[1]. Toutefois, ces causes, si graves qu'elles soient, ont dû se compliquer d'autres difficultés dont l'histoire n'a pas gardé le souvenir. Cette conjecture paraît d'autant plus vraisemblable, que l'Évangile avait été déjà prêché dans les Gaules à des villes de moindre importance que Lugdunum[2]. Peut-être aussi la position déjà prise à Vienne par le christianisme fit-elle ajourner l'envoi d'une troupe apostolique dans la cité de Plancus. Distante de quinze milles seulement de cette dernière ville, Vienne semblait être un poste avancé, d'où la doctrine évangélique pouvait s'insinuer peu à peu à Lugdunum. En attendant des temps meilleurs, les prêtres ou les diacres de Vienne pouvaient remonter jusqu'au confluent du Rhône et de la Saône, étudier le terrain, puis faire parvenir à Rome le résultat de leurs explorations.

Si les troubles politiques et les persécutions religieuses qui agitèrent l'Empire et l'Église à la fin du Ier siècle et au commencement du IIe, mirent obstacle à toute entreprise chrétienne sur Lugdunum, les difficultés de ce genre disparurent sous le règne d'Antonin, et, par suite, les voies s'ouvrirent à la religion du Christ pour pénétrer dans la métropole de la Lugdunaise. Pour nous rendre un compte exact de ce fait, il est besoin d'esquisser à grands traits la situation du christianisme au ne siècle.

Lorsque la persécution se déchaînait contre les fidèles, l'Église de Jésus-Christ se repliait sur elle-même, elle cachait sa vie aux entrailles de la terre, dans l'obscurité des catacombes. Muette et courbant la tête, elle ne savait que souffrir et prier, attendant en patience la fin de l'orage. Jusqu'à l'année 127, elle se renferma dans le silence de la résignation et le courage du martyre. Sous Adrien, nous la voyons sortir de ce rôle passif, faire monter sa voix vers le pouvoir pour revendiquer les droits de la vérité, réclamer pour elle et ses enfants une place au soleil. Aristide et Quadratus[3], qui ouvrent la brillante série de nos apologistes, ne craignirent pas de s'adresser à l'empereur Adrien, de plaider auprès de ce prince la cause du christianisme, condamné jusque là sans avoir été entendu. Selon toutes les apparences ; leurs réclamations ne furent pas étrangères à la lettre adressée par ce prince à Minucius Fundanus, proconsul d'Asie, lettre que saint Justin produisit dans sa deuxième Apologie[4], et qui nous a été conservée par Eusèbe[5]. Voici la traduction de cette pièce si curieuse à tous égards :

A Minucius Fundanus.

J'ai reçu la lettre de l'illustre Serenius Granianus, ton prédécesseur. L'affaire doit être examinée, afin de calmer les esprits et d'enlever aux calomniateurs des occasions de faire le mal. Si, à l'appui de leurs accusations, les habitants de la province peuvent faire valoir des griefs susceptibles d'être produits en justice, qu'ils portent l'affaire devant le tribunal, et qu'ils ne s'en tiennent pas à des accusations en l'air ou à de vaines clameurs. Bien mieux vaut qu'un accusateur se présente et que tu connaisses de l'accusation. Si un accusateur paraît devant toi, et s'il prouve que les chrétiens sont en contravention avec la loi, statue selon la gravité du délit. Mais aussi, par Hercule ! si on n'a cherché qu'un prétexte à calomnie, instruis sur ces manœuvres cruelles, et prends soin de les punir.

C'est la première fois qu'un proconsul reçoit d'un empereur l'ordre de sévir contre les calomniateurs des chrétiens. Comme on le voit, il y a loin de cette lettre à la réponse faite à Pline par Trajan. Depuis la mort de ce dernier empereur, l'Église avait gagné du terrain, elle commençait à trouver un peu d'équité dans les régions du pouvoir. A son tour, l'opinion publique, qui se règle toujours plus ou moins sur les idées du prince, ne pouvait manquer de subir cette haute influence, de se détendre à l'égard du christianisme.

Une preuve évidente du terrain conquis par la religion du Christ, c'est le livre de Celse intitulé : Discours ami de la vérité[6]. Jusque là, les chrétiens avaient été mis hors la loi ; un jugement sommaire, une mort cruelle, en un mot, la force brutale était l'unique réponse que l'on daignât leur faire. Maintenant que le christianisme avait grandi de manière à frapper les regards, à préoccuper les intelligences, Adrien l'admettait à la protection des formes légales. De son côté, Celse, un épicurien, un bel esprit du paganisme, ne dédaignait pas de prendre la plume et de discuter avec les chrétiens ; de quelle manière, il importe peu. Ce qu'il est bon de signaler, c'est un changement de procédé à l'égard du christianisme ; c'est l'adoption d'une arme nouvelle de la part des païens : la plume remplaçait le glaive, la discussion était substituée aux arrêts de mort. Enfin, la religion du Christ était prise au sérieux ; elle avait amené ses adversaires à compter avec elle, à lui faire l'honneur de la combattre avec des armes autres que la violence.

Cette situation, conquise au prix des sacrifices et des vertus que l'on connaît, l'Église la vit s'améliorer encore sous le successeur d'Adrien. Fils adoptif de ce dernier, prince d'une simplicité antique, d'une modération peu commune sur le trône des Césars, Antonin s'attacha moins à reculer les limites de l'Empire qu'à les faire respecter, à étendre qu'à conserver les possessions romaines. Sa politique, toute d'apaisement et de pacification, consistait à faire fleurir l'union et la concorde entre les citoyens, à entretenir avec les princes étrangers une paix honorable, plus profitable à l'Empire que de nouvelles conquêtes. Interprète de la reconnaissance publique, le sénat lui décerna le surnom de Pieux, appellation touchante qui caractérise la douceur de l'homme aussi bien que la clémence du souverain.

Dans la trop courte notice qu'il nous a laissée d'Antonin-le-Pieux, Capitolin relève plusieurs faits où se révèlent l'humanité de ce prince, sa bonté d'âme, son horreur du sang. On dirait que cet abréviateur n'a pas eu d'autre but que de légitimer l'épithète accolée au nom patronymique d'Antonin. Cette esquisse biographique se termine par un trait utile à recueillir, à cause de son rapport avec notre sujet. Seul peut-être entre tous les princes, dit Capitolin, il (Antonin) vécut sans répandre une goutte de sang que l'on puisse faire retomber sur sa tête, sang d'un citoyen ou sang d'un ennemi[7].

Sous un tel prince, l'Empire ne fut pas seul à jouir des bienfaits de la paix ; le christianisme, de son côté, put respirer à l'aise, bénéficier de cet apaisement général. Cette politique, à laquelle Antonin se trouvait incliné par la douceur de son caractère, lui devenait d'une application d'autant plus facile à l'égard des chrétiens, qu'elle pouvait s'appuyer sur la lettre d'Adrien à Minucius Fundanus. Doux, humain, ennemi des partis extrêmes, Antonin n'était pas prince à tirer de nouveau le glaive, à rouvrir l'ère des persécutions. Les martyrologes, il est vrai, font mention de quelques chrétiens immolés sous son règne ; mais rien ne prouve que leur mort doive lui être attribuée plutôt qu'à l'arbitraire des proconsuls ou à l'aveugle fureur des multitudes. Le texte de Capitolin cité plus haut semble le laver pleinement de ces immolations. Sulpice-Sévère est encore plus formel sur ce point. D'après cet historien, une ère de tranquillité commença pour l'Église avec le règne d'Antonin[8].

Précieuse pour le présent, cette paix n'offrait pourtant aucune garantie pour l'avenir. Sous le régime du bon plaisir inauguré par Auguste, le caprice d'un empereur pouvait ramener les chrétiens aux plus. mauvais jours de Néron ou de Domitien. Tout pouvait être remis en question sur un mot d'Antonin, sur l'ordre d'un successeur moins tolérant que ce prince. En fait, les anciens édits de persécution n'ayant pas été rapportés, les gouverneurs de province ne se faisaient pas faute de les invoquer pour persécuter les adorateurs du Christ. Cette situation était trop précaire pour que l'on pût y compter, trop indécise pour qu'elle inspirât espoir et confiance. Il était à désirer qu'elle fût mieux dessinée, plus nettement tranchée ; que l'empereur Antonin fût amené à s'expliquer officiellement sur le compte des chrétiens, à indiquer la ligne de conduite qu'il entendait suivre à leur égard. Un mot officiel de sa part, en l'engageant lui-même, imposerait aux gouverneurs de province ; il constituerait un titre que l'on pourrait invoquer plus tard en faveur du christianisme.

Voilà pourquoi de Rome, où il avait ouvert une école de philosophie chrétienne, saint Justin éleva la voix en faveur du christianisme. C'était le cas de plaider à fond cette cause jusque là pendante, d'éclairer pleinement la conscience du juge, de fournir à Antonin toutes les pièces de ce grand procès. La solennité du débat, la gravité des intérêts engagés, parurent au vigoureux apologiste des motifs suffisants de s'affranchir de la loi disciplinaire du secret. Justin écarta donc le voile qui cachait aux profanes les mystères chrétiens ; il ne craignit pas de révéler ces mystères au grand jour, afin de pouvoir mieux les défendre devant l'empereur auquel il s'adressait. A la vigueur du ton, à l'intrépidité du langage, on sent que le philosophe chrétien veut provoquer une grande solution, amener une sentence définitive. Il fallait que Justin connût bien le caractère d'Antonin, qu'il comptât beaucoup sur l'impartialité de ce prince, sur le calme et la modération de son âme, pour s'abandonner à cette rude franchise, à cette liberté d'allure qui frappe dans sa première Apologie. La suite des événements lui donna raison.

A cet énergique appel, qui contrastait si fort avec ce qu'il avait coutume de lire et d'entendre, Antonin ne répondit par aucune mesure défavorable. Au contraire, tout porte à croire que le christianisme eut gain de cause devant lui, que Justin avait frappé aussi juste que fort sur cette âme dont il connaissait la droiture. Suivant Zonaras, il faudrait attribuer à l'impression produite par la première Apologie du philosophe chrétien le rescrit adressé par Antonin à l'assemblée des villes d'Asie[9]. Voici cette pièce trop précieuse à notre histoire pour ne pas trouver ici sa place :

L'empereur César Titus Ælius Adrianus Antoninus Pius, grand pontife, revêtu pour la quinzième fois de la puissance tribunitienne, trois fois consul, à la communauté d'Asie, salut.

C'est aux dieux à veiller à ce que les hommes comme ceux que vous dénoncez ne restent pas impunis ; c'est aux dieux, mieux qu'a vous, qu'il appartient de châtier ceux qui refusent de les adorer. Ces hommes, vous vous élevez contre eux, vous les accusez d'athéisme, et tout cela n'a d'autre effet que de les affermir dans leurs idées et leurs sentiments. En effet, mourir victimes de vos accusations, mourir pour leur Dieu, est pour eux un sort plus désirable que de vivre sains et saufs. C'est ainsi qu'ils triomphent de vous lorsqu'ils font le sacrifice de leur vie plutôt que d'obéir à vos ordres. Quant aux tremblements de terre qui ont eu lieu et qui se renouvellent encore, il est bon de vous en dire quelque chose, à vous qui vous laissez abattre à la vue de ces malheurs, et qui cependant vous comparez, vous et votre culte, à ces hommes. Dans ces circonstances, ils redoublent de confiance en leur Dieu. Vous, au contraire, au milieu de ces calamités qui vous troublent, vous négligez le culte des dieux, et vous n'en êtes pas plus zélés pour le culte de l'Immortel, puisque vous haïssez ceux qui l'adorent et les poursuivez jusqu'à la mort. Déjà plusieurs gouverneurs de province avaient écrit à mon divin père (Adrien) au sujet de ces hommes. Il leur répondit de ne pas les inquiéter, à moins qu'on ne les trouvât coupables de complots contre la souveraineté romaine. Questionné sur ce point par plusieurs gouverneurs, j'ai répondu dans le même sens. Si donc une accusation. est encore portée contre un de ces hommes, à raison de la secte à laquelle il appartient, qu'il soit, même au cas où le fait serait établi, déchargé de toute poursuite, et que son accusateur ne demeure pas impuni[10].

A la lecture de cette lettre, on serait tenté de croire que l'empereur Antonin devait se montrer fort indifférent au culte officiel. Par une contradiction plus apparente que réelle, c'est le contraire qui est la vérité. Grand pontife, représentant suprême de la religion de l'Empire, ce prince prenait au sérieux son rôle sacerdotal. Économe du sang humain, il n'épargnait pas celui des victimes ordinaires en l'honneur des dieux. Conservateur du rituel païen, tout ce qui tenait aux Mies, aux sacrifices, aux cérémonies de l'ancien culte, il y pourvoyait avec un soin, une magnificence qui le firent comparer au religieux Numa. Son épouse morte, cette Faustine qui n'avait été ni l'honneur ni la joie de sa vie, il n'hésita pas à lui décerner les honneurs divins, à lui ouvrir les portes de l'Olympe romain. Cette impudence, cette liberté de 'mœurs dont parle Capitolin[11], ne pouvaient y mettre obstacle ; il n'était pas question de mettre Faustine en bonne compagnie, en l'associant à Vénus, à Junon et autres déesses de cette sorte.

Ses fonctions religieuses, Antonin semble les avoir remplies pour l'acquit de sa conscience politique. Pour lui, c'était affaire de forme, de règlements extérieurs, d'utilité publique, et pas autre chose. Quant à une conviction profonde, à une croyance sérieuse, il ne saurait en être question de la part d'un prince qui, suivant Marc-Aurèle, son fils adoptif, n'était pas superstitieux envers les dieux[12]. De ce côté donc, rien qui pût contrarier les sentiments d'équité que les chrétiens pouvaient lui inspirer. Ainsi s'explique l'apparente contradiction qui semble exister entre la lettre d'Antonin aux villes d'Asie et le zèle de ce prince pour le culte officiel.

Telle était la situation de l'Église sous Antonin-le-Pieux. L'Empire jouissait alors d'une paix profonde ; les chrétiens étaient protégés contre l'arbitraire des proconsuls par la tolérance de l'empereur ; le temps semblait venu pour l'Église dé reprendre son mouvement d'expansion, arrêté aux portes de Lugdunum.

Le caractère d'Antonin étant donné, l'affection que ce prince professait pour les Gaules ne pouvait créer aucune difficulté aux missionnaires qui seraient dirigés vers la cité de Plancus. Après l'Italie, nulle partie de l'Empire n'était plus chère que les Gaules au fils adoptif d'Adrien. Antonin ne pouvait l'oublier, lui qui avait à un si haut point le culte des aïeux, sa famille était sortie de Nîmes (Nemausus). Aussi les villes de la Narbonnaise, de l'Aquitaine et de la Lugdunaise eurent-elles une part spéciale à ses faveurs. L'autel élevé, suivant quelques auteurs, au pied de la colline de Fourvière, en l'honneur du fils d'Adrien[13] ; le monument taurobolique découvert, en 1704, non loin de l'emplacement occupé par le forum de Trajan[14], montrent que Lugdunum avait eu aussi à se louer d'Antonin-le-Pieux.

Les circonstances historiques que nous venons d'indiquer, jointes aux raisons alléguées dans un autre endroit[15], nous font placer la mission du bienheureux Pothin entre les années 142 et 145. A cette époque, le caractère d'Antonin était assez connu, ses tendances religieuses étaient assez prononcées, pour que l'Église pût avec confiance donner plus d'extension à ses expéditions lointaines. Tout semblait l'inviter à profiter des dispositions favorables de l'empereur, à fortifier les positions déjà prises, à étendre le cercle de l'apostolat chrétien. En l'année 142, Pie Ier venait de monter sur le siège de Pierre. D'après cette chronologie, les premiers apôtres de Lyon auraient reçu leur mission de ce pontife, dont la vie s'étendit jusqu'à l'an 157.

Nous avons laissé Pothin et sa petite troupe aux portes de Lugdunum, pour nous représenter cette cité telle qu'elle pouvait être au IIe siècle, pour nous rendre compte de la situation du christianisme sous le règne d'Antonin. Il est temps de revenir à ces missionnaires, de les suivre à la trace qu'ils ont laissée sur la terre défrichée par leurs mains, et aussi dans les traditions locales.

Enfin le bienheureux Pothin et ses auxiliaires étaient arrivés à Lugdunum, but de leur mission, terme de leurs désirs. Lorsqu'ils pénétrèrent dans les murs de cette ville, ce qui se passa au cœur de ces étrangers, vêtus de la toge romaine ou du manteau grec, il est plus facile de le concevoir que de l'exprimer. Après un long et pénible voyage accompli par terre et par mer, être enfin rendus dans le champ assigné à leur zèle par le Père de famille ; entrer dans une ville qu'ils avaient mission d'arracher au culte des faux dieux pour la prosterner aux pieds de Jésus-Christ ; se trouver au milieu d'un peuple qu'ils venaient appeler des hontes et des ténèbres de l'idolâtrie à la pureté de la morale évangélique, aux clartés de la lumière répandue sur le monde par le Soleil de justice, quelle source d'émotions ! quel motif de sainte joie t quel aiguillon pour le zèle apostolique !

Le Dieu que Pothin et ses auxiliaires venaient annoncer à Lugdunum n'était pas inconnu dans cette ville comme il l'était à Athènes, lorsque saint Paul prêchait devant l'Aréopage. En effet, sans parler de l'influence chrétienne exercée sur la cité de Plancus par le voisinage de Vienne, le commerce, l'administration, le passage et le séjour des légionnaires, une multitude de causes contribuaient à une propagation lente et insensible du christianisme sur les bords du Rhône et de la Saône. Le personnel mis en mouvement par les intérêts divers dont Lugdunum était le centre, pouvait y introduire la vérité avec le négociant, le chevalier, le médecin, le grammairien, même avec les personnages qui composaient l'officium du président de la Lugdunaise. Les rivages de la Méditerranée étant bordés de toute part d'Églises florissantes, nul doute qu'il n'y eût des chrétiens parmi les trafiquants qui se rendaient aux foires célèbres de Lugdunum, que la religion du Christ ne comptât quelques adeptes parmi cette population fixe ou flottante que le commerce attirait au confluent des deux rivières. Sur ces mêmes barques qui apportaient à Lugdunum les riches produits de l'Orient, la vérité lui arrivait de Rome, de Corinthe, de Smyrne, d'Alexandrie, de Carthage ; elle abordait à Marseille avec des marchands romains, grecs, asiatiques, égyptiens, maures et autres ; elle remontait le Rhône jusqu'à la métropole de la Lugdunaise avec ces chrétiens venus de différents côtés.

Avant le règne d'Antonin, l'Église de Vienne, continuellement agitée par la persécution, se trouvait dans l'impuissance de porter régulièrement des secours religieux à la ville de Plancus. A moins donc de descendre le Rhône jusqu'à Vienne, d'aller, au jour du Seigneur, s'y unir à l'assemblée des fidèles présidée par l'évêque de cette ville, pour les chrétiens de Lugdunum aucun moyen régulier de retremper leur âme aux sources sacrées, de participer aux saints mystères, de recevoir le pain de la divine parole. Dénués de ce qui fait tout à la fois la force et la douceur de la vie chrétienne, ces fidèles, fervents comme on l'était alors, ne pouvaient que gémir sur leur isolement religieux, sur les privations auxquelles ils se trouvaient condamnés, faute d'un clergé local. Ils appelaient de leurs vœux un ancien, un évêque qui devint leur père, leur pasteur, qui eût mission de les organiser en communauté chrétienne, de les constituer en Église régulièrement établie. Ces vœux, ils ne manquaient pas de moyens pour les faire parvenir jusqu'à l'évêque de Rome. D'autre part, plus d'un Grec asiatique, de retour à Smyrne, après les foires du confluent, pouvait s'en faire l'interprète auprès de Polycarpe. La situation de ces chrétiens, perdus au milieu d'une cité païenne, était de nature à toucher l'évêque de Rome et celui de Smyrne. Quelques années après l'avènement d'Antonin au trône des. Césars, les circonstances politiques étant favorables, Polycarpe s'était entendu, comme nous l'avons dit, avec le pontife romain pour envoyer une colonie chrétienne à Lugdunum.

Donc, à son arrivée, le bienheureux Pothin, l'évêque désiré à Lugdunum, savait à quelle porte frapper, à quel seuil s'adresser, pour rencontrer des visages amis dans le Christ. Pour ces chrétiens jusque là sans pasteur, ce fut un beau jour que celui où il leur fut donné de recevoir et d'accueillir le père réclamé par eux, de lui souhaiter la bienvenue, de verser l'eau sur ses pieds poudreux du voyage, de recevoir de ses lèvres bénies le salut de paix et le saint baiser.

Le temps était précieux. Avant toute chose, il fallait arrêter l'emplacement où établir le lieu de la prière, l'enceinte qui réunirait les fidèles, l'oratoire qui protégerait l'autel saint et cacherait les mystères. Dans le choix du local, la prudence conseillée par l'Évangile devait parler plus haut que l'ardeur du zèle ou les entraînements de la charité. S'installer sur la hauteur, non loin du forum, au milieu d'une ville païenne, c'était se mettre en trop grande évidence, s'exposer trop aux regards d'une population ennemie du Christ, et par là compromettre inutilement l'existence de la fondation nouvelle. A l'exemple des évêques de Rome, mieux valait chercher l'ombre et la solitude. Inspection faite des lieux, le bienheureux Pothin eut bientôt arrêté son choix.

Avant de réunir leurs eaux derrière le temple d'Auguste, le Rhône et la Saône traçaient de leurs deux lignes convergentes un delta, dont la base était formée par la colline appelée aujourd'hui colline de Saint-Sébastien : terrain bas et humide, exposé aux inondations des deux rivières, coupé de canaux qui le fractionnaient en plusieurs petites îles. Ce vaste triangle. nous est représenté, dans la partie du milieu surtout, couvert de joncs, de saules, d'arbres amis des eaux. Le nom que porte encore une des rues de Lyon (la rue Dubois), confirme cette description topographique tracée par les vieux annalistes lyonnais. Au point de vue des intérêts chrétiens, un autre avantage recommandait ces lieux au bienheureux Pothin : leur indépendance de la curie lugdunaise. Propriété des provinces de la Gaule et de quelques agrégations commerçantes, cette région, comme nous l'avons dit plus haut, ne dépendait nullement du sénat de Lugdunum. C'est ce qui résulte de plusieurs monuments épigraphiques[16].

Ce quartier, peu habité, peu fréquenté, exempt de la juridiction municipale, parut réunir les meilleures conditions pour l'installation du culte chrétien. Le bienheureux Pothin s'établit donc sur la rive gauche de la Saône, en face de la colline où la ville était assise, assez loin du temple d'Auguste, également à portée des trois groupes de population qui composaient l'agrégation lugdunaise. On dirait que l'intuition de l'avenir fut aussi pour quelque chose dans le choix du saint évêque. En effet, la force nouvelle qui allait se faire sentir sur les bords de la Saône, contribuerait plus tard, avec d'autres causes, à déplacer le centre d'action, alors sur la hauteur. Après le triomphe définitif du christianisme, l'attraction exercée par la religion du Christ ferait descendre graduellement Lugdunum dans la plaine ; elle grouperait les habitants de la cité, devenue chrétienne, autour du sanctuaire de Pothin, comme le forum de Trajan avait réuni autour de ses temples et de ses basiliques les maisons de la ville païenne. Par suite de ce mouvement, la colline désertée se couronnerait d'un temple élevé à Marie, sur l'emplacement et avec les débris du forum romain. Ainsi, la, colline de Fourvière était prédestinée à devenir un immense piédestal, d'où la Vierge immaculée dominerait Lyon, alors que cette ville, assise entre le Rhône et la Saône, déborderait de cette enceinte devenue trop étroite pour sa nombreuse population.

Au dire des historiens de Lyon, saint Pothin aurait trouvé ou fait ouvrir une crypte sur les bords de la Saône ; il l'aurait consacrée au Seigneur, et, sous ses voûtes protectrices, il aurait dressé un autel au vrai Dieu. Cette crypte, il nous est impossible de l'admettre, si l'on donne à ce vocable sa signification ordinaire. Outre qu'il n'en est fait aucune mention dans les auteurs anciens, cette crypte né peut se concilier avec la nature du sol dans lequel elle aurait dû être pratiquée. Un terrain d'alluvion, bas, humide, exposé aux inondations des deux rivières, pénétré par les infiltrations des eaux, pouvait-il recevoir une substruction de ce genre ? Les catacombes de Rome, les cryptes, les grottes et retraites semblables, où prêtres et fidèles se réfugiaient, où les évêques célébraient les saints mystères en temps de persécution, auront sans doute fait supposer d'abord, puis affirmer l'existence d'une crypte que Pothin aurait consacrée au vrai Dieu sur les bords de la Saône. Mais cette induction n'a pas plus de solidité que la terre détrempée où l'on place cette excavation.

La crypte actuelle, qui s'étend sous le chœur de l'église de Saint-Nizier, loin d'appuyer cette induction, en montre à découvert le peu de fondement. Cette chapelle souterraine, qui a servi de cathédrale aux premiers évêques de Lyon, s'enfonce jusqu'au niveau du sol romain, et pas plus bas. Bâtie à ciel ouvert et dans les conditions ordinaires, elle a donc été enterrée par l'exhaussement du sol.

Tous les historiens anciens et modernes de Lyon, dit un juge compétent, ont considéré cette crypte comme creusée par saint Pothin, erreur qu'ils n'auraient pas commise s'ils avaient visité les lieux. Ils auraient vu que le sol de la crypte n'était qu'à dix pieds de profondeur, et le sol antique exactement à dix pieds aussi. La chapelle souterraine est précisément sur le sol antique....

La voûte de la crypte dépasse le sol de la place de dix pouces de hauteur. Ce lieu célèbre n'a donc point été sous Pothin un lieu souterrain, puisqu'il ne l'est pas complètement aujourd'hui[17].

L'existence d'une crypte primitive, où saint Pothin aurait réuni les fidèles, disparaît devant ces détails topographiques.

Suivant quelques auteurs, dont le sentiment nous paraît fort probable, le bienheureux Pothin ne trouvant aucun abri naturel entre le Rhône et la Saône, aurait converti en oratoire une des maisons éparses entre les deux rivières, celle-là peut-être où il avait déposé le bâton du voyage, où il avait reçu la première hospitalité. Au surplus, les précédents de ce genre ne manquaient pas. Pour n'en citer qu'un seul, ainsi avait fait saint Pierre à Rome ; il avait dédié au culte du vrai Dieu le palais du sénateur Pudens.

Cette maison transformée en chapelle chrétienne, le bienheureux Pothin la consacra à la sainte Vierge. Cette humble enceinte allait devenir le berceau de l'Église nouvelle. C'est là, c'est au pied d'un modeste autel, que Pothin réunit les premiers chrétiens de Lugdunum, brebis jusque là sans pasteur. Avant de les admettre à la participation des mystères, l'évêque de Lugdunum se devait à lui-même comme aux intérêts de l'Église naissante, d'éprouver la foi de ceux qui devaient former le noyau de cette Église. Donc, suivant les règles prescrites à l'égard des néophytes, il leur demanda le symbole, s'assura qu'ils étaient tous illuminés dans le Christ, qu'ils s'accordaient tous avec lui dans l'unité d'une même croyance. Après avoir pris ces gages, il célébra les mystères devant ces fidèles émus, attendris ; il leur distribua sous les deux espèces le corps et le sang du Sauveur, inaugurant sur les bords du Rhône et de la Saône cette liturgie orientale qui venait des apôtres. C'était peut-être la première fois que le sacrifice du Calvaire était offert dans la cité de Plancus.

De ce jour date la naissance de l'Église de Lyon. Elle est née au pied de l'autel érigé par saint Pothin, dans l'oratoire consacré par lui au vrai Dieu, à l'endroit occupé aujourd'hui par l'église de Saint-Nizier.

En digne disciple de Polycarpe, qui l'avait été de Jean, le bienheureux Pothin s'empressa de faire connaître la Vierge-Mère aux habitants de Lugdunum. Avec tous les autres éléments de la bonne semence, il apporta sur les bords du Rhône et de la Saône cette dévotion à Marie, qui devait jeter de si profondes racines en ces lieux, faire une des principales gloires de l'Église de Lyon. Dans une bulle d'Innocent IV, conservée par le chapitre de Saint-Nizier, auquel elle était adressée, et reproduite par Severt, nous lisons que l'autel dédié par saint Pothin est le premier monument élevé à la sainte Vierge en deçà des monts. Voici cette pièce, qui se rattache à la fois aux origines de l'Église de Lyon et à celles du culte de Marie dans cette cité :

Puisque votre Église, qui est la première de Lyon, possède l'autel consacré par le bienheureux Pothin, le plus ancien de vos archevêques, monument des honneurs rendus pour la première fois à la sainte Vierge en deçà des monts[18], source, comme on l'assure, de grands et nombreux prodiges ; désirant que ce sanctuaire où éclate la piété des fidèles envers Marie, les samedis surtout, voie augmenter leur nombre par des honneurs dignes d'un tel concours, nous accordons à tous ceux qui, véritablement repentants, et ayant confessé leurs péchés, visitent dévotement cette église, quarante jours d'indulgence pour la pénitence qui leur a été imposée[19].

Il n'entre pas dans notre plan d'examiner si l'église de Saint-Nizier a véritablement possédé le premier monument élevé dans les Gaules en l'honneur de Marie. Quoi qu'il en soit de cette question, ce qui ressort de la bulle d'Innocent IV, c'est, dans la ville de Lyon, l'antiquité d'un culte que ce pape rattache à l'autel érigé sur les bords de la Saône par le bienheureux Pothin. On ne saurait récuser sur ce point le témoignage d'un pontife renommé par son savoir, fort au courant des traditions de l'Église de Lyon, à raison du long séjour qu'il avait fait dans cette ville.

D'après une tradition très en faveur auprès de la piété lyonnaise, saint Pothin aurait apporté d'Orient une image de la Vierge, et l'aurait exposée à la vénération des fidèles dans l'oratoire primitif, dont elle aurait fait, après la croix du Sauveur, le principal ornement. Cette tradition, recueillie par de graves auteurs, présente tous les caractères d'une tradition respectable. Nous l'admettons donc, avec la seule réserve que l'effigie de la Vierge apportée par le bienheureux Pothin n'était pas une statue. Voici pourquoi :

Dans les premiers siècles, l'Église excluait généralement les statues de ses temples. A ses yeux, la statuaire semblait être entachée de paganisme ; elle tenait une trop grande place dans le culte païen, pour qu'il fût prudent de faire servir ses productions au culte chrétien. Il fallait ne pas donner lieu à de funestes méprises, faire en sorte que l'assimilation ne fût pas plus possible entre les symboles qu'entre les croyances du christianisme et du paganisme. Aussi les statues étaient-elles ordinairement écartées des temples chrétiens ; c'était, bien entendu, simple mesure de prudence. Aujourd'hui encore, les Églises orientales ne se sont pas pleinement réconciliées avec la statuaire. Tout en admettant les mosaïques et les images sans relief, elles ont peu de goût pour les figures de ronde bosse, elles les emploient moins volontiers que les Églises occidentales pour les usages du culte. L'effigie de Marie, apportée de Smyrne à Lugdunum par saint Pothin, était donc un tableau, une image peinte, que l'on pourrait dire semblable à celles que l'on attribue à saint Luc, s'il était prouvé que cet évangéliste a pratiqué la peinture[20].

M. Martin-Daussigny a donné de la crypte actuelle une description architectonique que nous nous plaisons à placer sous les yeux du lecteur.

Cette crypte intéressante, dit M. Martin-Daussigny, est placée sous le chœur et derrière le maître-autel de Saint-Nizier. On y descend par deux escaliers en serpent, placés l'un à droite, l'autre à gauche de la barrière du chœur. Ils se composent chacun de dix-neuf marches, formant ensemble une profondeur de 3 mètres 418 millimètres. Le pavé de la crypte est à dix pieds sous le sol actuel. Le plan de cet oratoire est une croix grecque ; les bras en sont arrondis en cul-de-four, formant quatre absides, ayant d'une extrémité à l'autre 7 mètres 400 millimètres. La voûte en arête, fortement surbaissée, a 3 mètres 1 centimètre d'élévation. L'autel, de la forme la plus simple et d'une haute ancienneté, est en pierre brute. Le dessus de l'autel est marqué de quatre croix grecques creusées grossièrement. La pierre sacrée est aussi marquée de croix grecques, au nombre de cinq. Du même côté, mais à la hauteur de 1 mètre 750 millimètres, et en arrière, est appliqué contre le fond de l'abside, et encastré par les angles, un sarcophage en pierre brute[21], où fut déposé, dit-on, le corps de saint Ennemond, au VIIe siècle[22].

Dès le principe, l'oratoire de saint Pothin fut à Lyon le centre de la dévotion à Marie. Au moyen âge, les dévots à la sainte Vierge s'en éloignent graduellement pour entourer l'autel de Notre-Dame de la Platière, se rendre à l'Ile-Barbe, à la chapelle construite par l'abbé Hogier. Dès le commencement du XVIe siècle, les nombreux prodiges opérés à Fourvière attirent et fixent décidément la foule au sanctuaire de la colline[23].

 

 

 



[1] Les premiers évêques de Vienne, les saints Crescent, Zacharie, Martin, Verus, Justus, souffrirent tous la mort pour Jésus-Christ : preuve manifeste de la situation difficile où se trouvaient, aux Ier et IIe siècles, les Églises de la vallée du Rhône. Voir Adon, Chron.

[2] Martial avait déjà prêché à Limoges, Gatien à Tours, Front à Périgueux, Austremoine à la ville d'Auvergne (Clermont), Denys à Paris, Ursin à Bourges...

Nous suivons sur ce point les anciennes traditions de l'Église de France, traditions noblement vengées par l'érudition moderne contre l'école de Lannoy et Baillet. Voir, entre plusieurs autres, l'abbé Faillon, Monuments inédits ; l'abbé Arbelot, Dissertation sur l'apostolat de saint Martial ; l'abbé Darras, Saint Denys et l'Aréopagitisme.

[3] Eusèbe, Hist. ecclés., l. IV, c. III. — Hiéron., De viris illustr., cap. XIX et XX.

[4] Apolog. 2e, versus finem.

[5] Hist. ecclés., IV, IX.

[6] Apud Origenem.

[7] Capitolin, in Antonino Pio.

[8] Post Adrianum, Antonino Pio imperante, pax Ecclesiis fuit. (Sulp. Sever., Hist. sacra, II, XLVI.)

[9] Justin présenta une Apologie en faveur des chrétiens à Antonin-le-Pieux. Cet écrit détermina l'empereur à adresser aux villes d'Asie un décret défendant de mettre à mort les chrétiens pour cause de religion. Celui qui serait accusé pour ce chef devait être renvoyé absous, et l'accusateur puni (Zonaras, Annales, t. I, p. 594.)

[10] Cette traduction a été faite sur le texte d'Eusèbe (Hist. ecclés., l. IV, XIII). Il existe deux textes de ce rescrit, l'an donné par l'évêque de Césarée, l'autre ajouté vraisemblablement par un copiste à la suite de la deuxième Apologie de saint Justin. Conformes pour le fond, ces deux leçons présentent quelques variantes. Nous avons donné la préférence au texte d'Eusèbe, sur lequel nous avons traduit, comme plus ancien et plus autorisé.

Le titre rapporté par l'évêque de Césarée attribue cette lettre à Marc-Aurèle. C'est une erreur manifeste échappée à cet historien, on bien à quelque copiste. An nom de Marc-Aurèle nous avons substitué celui d'Antonin, le véritable auteur de ce rescrit.

On a élevé quelque doute sur l'authenticité de ce rescrit, parce qu'il semble trop favorable aux chrétiens. Cette raison ne saurait prévaloir sur l'autorité d'Eusèbe, qui a inséré ce rescrit dans son Histoire. Au reste, dans la conduite subséquente d'Antonin, rien qui soit venu démentir le contenu de cette lettre.

[11] Capitolin, in Antonino.

[12] Pensées de Marc-Aurèle, l. I, XVI.

[13] Colonia, Hist. litt., t. I, p. 179. — Il faut dire qu'on a élevé des doutes fondés sur l'existence de cet autel ou de ce temple.

[14] Ce monument est un autel commémoratif d'un sacrifice taurobolique offert pour la santé d'Antonin-le-Pieux et la prospérité de la colonie lugdunaise. Ce précieux monument se trouve au musée épigraphique de Lyon.

Les taurobolies étaient des sacrifices expiatoires et régénérateurs, dont l'origine ne remonte pas plus haut que le lia siècle de notre ère.

Sur le monument taurobolique d'Antonin, voir Colonia, Hist. litt., t. I, p. 168. — Gros de Boze, Mémoires de l'Acad., t. II, p. 475. — Montfaucon, Antiq. expliq., t. II, p. 74. — Mémoires de Trévoux, année 1705. — De Boissieu, Inscript. antiq., p. 23 et 24.

[15] Voir ch. Ier.

[16] De Boissieu, Inscript. ant., passim.

[17] Martin-Daussigny, Revue du Lyonnais, 2e série, t. VII.

[18] Innocent IV se trouvait à Lyon, où il venait de présider le premier concile tenu dans cette ville, lorsqu'il donna cette bulle.

[19] Cartulaire de Saint-Nizier, aux archives départementales. — Severt, Chron. hist., p. 7.

[20] Les tableaux de la Vierge attribués à saint Luc ne sont rien moins qu'authentiques. Il n'est pas du tout certain que cet évangéliste ait cultivé la peinture. Voir sur cette question la dissertation de l'abbé Greppo intitulée : Sur l'origine et la valeur des traditions qui attribuent la peinture à saint Luc. Lyon, Périsse, 1811.

[21] Ce sarcophage est probablement celui que l'on croyait renfermer le corps de saint Ennemond, et qui en réalité renfermait celui de saint Delphin, son frère.

[22] Revue du Lyonnais, 2e série, t. VII.

En quelques mots, voici les phases principales par lesquelles a passé l'église de Saint-Nizier.

L'oratoire de saint Pothin fut remplacé par une église en forme de croix grecque. A la paix donnée à l'Église par Constantin, ce sanctuaire détruit fut relevé sur les mêmes fondations et dédié par l'évêque Vocius aux Saints-Apôtres. Ce monument, bâti par les architectes inhabiles de cette époque, nécessita, un siècle après, une reconstruction nouvelle. Au Ve siècle, saint Eucher édifiait donc une église sur de plus vastes proportions. Dans cette reconstruction, l'oratoire de saint Pothin était rétabli dans son état primitif ; il communiquait avec l'église nouvelle, à laquelle il servait probablement de baptistère. Saint Nizier, mort en 575, ayant été inhumé dans cette église, son tombeau devint célèbre par un grand nombre de miracles. Voilà pourquoi cette église, placée d'abord sous le vocable des Saints-Apôtres, prit le nom de Saint-Nizier. Le monument élevé par saint Eucher subsista jusqu'à l'invasion des Sarrasins (732), qui le renversèrent de fond en comble. En 800, Leydrade le releva de ses ruines. L'œuvre de ce grand évêque, ami de Charlemagne, dura jusqu'à la fin du mue siècle. La construction de l'église que nous voyons aujourd'hui fut commencée en 1303. Les travaux plusieurs fois interrompus, faute de fonds, durèrent jusqu'au XVIIe siècle. Ces intermittences expliquent les variétés de style que l'on remarque dans ce monument.

Il est à regretter que les travaux exécutés au XVe siècle aient altéré le caractère de la crypte, altération aggravée de nos jours par des restaurations inintelligentes.

[23] Depuis longtemps la crypte de saint Pothin est abandonnée, oubliée ; aujourd'hui la plupart des habitants de Lyon ignorent jusqu'à son nom. Cet oratoire ne s'ouvre qu'une seule fois l'année, le jour de la fête de saint Ennemond. Pendant plusieurs siècles, la reconnaissance des Lyonnais se traduisit par de fréquentes visites à ce sanctuaire. Espérons que l'initiative du clergé fera reprendre ces visites trop longtemps interrompues.