HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

 

SIXIÈME SIÈCLE.

 

 

KHLODOWIGH était le seul roi catholique d'Occident. Assuré de l'appui des orthodoxes Gallo-Romains, il ne songea plus qu'à consolider la domination de sa race.

Victorieux des Burgundes, le roi des Franks revint dans ses états. A peine fut-il éloigné que Gundebald marcha contre Godegisèle qui fut égorgé dans une église de Vienne avec l'évêque qui lui avait donné asile (501). Khlodowigh fit attaquer Gundebald par le roi des Ostrogoths, Théodorik. Ce dernier occupa les passages des Alpes, et, pour prix de son assistance, obtint la cession de la province de Marseille.

Les Wisigoths, dont la puissance avait beaucoup grandi depuis quelques années, inquiétaient Khlodowigh. Il résolut de leur déclarer la guerre. Les évêques furent les instigateurs de cette croisade contre une race arienne, et les populations franke, gauloise et romaine y prirent une part active. La bataille se livra dans la plaine de Vouglé, près Poitiers ; les Franks furent vainqueurs, et Alarik périt, dans la mêlée, de la main même de Khlodowigh (507). Les vaincus abandonnèrent toutes leurs possessions depuis la Loire jusqu'aux Pyrénées et aux Cévennes, au delà desquelles, cependant, ils conservèrent la Septimanie. Vers cette époque, Khlodowigh reçut d'Anastase, empereur d'Orient, une couronne et les titres de consul, de patrice et d'Auguste. Il en revêtit solenlicitement les insignes dans l'église de Saint-Martin de Tours. Cette cérémonie, sans importance apparente, contribua puissamment à lui assurer le dévouement des Gallo-Romains qui, le voyant combattre les Barbares avec le costume d'un patrice de l'Empire, lui décernèrent le titre de Libérateur des Gaules.

Après la défaite d'Alarik, Khlodowigh abandonna Soissons et résida à Paris. Il employa la fin de son règne à se débarrasser, par la trahison et le meurtre, des petits souverains, ses alliés et ses parents pour la plupart, qui régnaient sur les autres tribus frankes. Il fit assassiner Sighebert, roi de Cologne, et Khlodérik, son fils. Les autres chefs établis à Tournai, à Cambrai, au Mans, eurent le même sort. Regnaker, Riker, Kararik, Rignomer ayant été ainsi égorgés, il rassembla ses soldats et leur parla en ces termes : Malheur à moi qui suis resté comme un voyageur au milieu des étrangers ! Je n'ai plus de parents qui puissent me secourir si l'adversité vient. — Ces lamentations laisseraient croire qu'il était innocent ; mais Grégoire de Tours a pris soin de nous éclairer à cet égard Khlodowigh, écrit-il, disait cela par ruse et non par douleur de leur mort, pour voir si, par hasard, il pourrait encore trouver quelqu'un des siens afin de le tuer également. Ces choses étant faites, il mourut.

Quelque temps avant la fin de ce règne eut lieu le concile d'Orléans qui réalisa les conventions tacites, passées depuis Tolbiac entre le roi Frank et le clergé. Décoré par le Saint-Siège du titre de Champion du Seigneur, par le concile d'Orléans du titre de protecteur de l'Eglise, Khlodowigh concéda aux évêques d'importants privilèges. Beaucoup de temples catholiques furent bâtis et richement dotés. Déjà, sur le mont Lucotius, aujourd'hui Montagne-Sainte-Geneviève, s'élevait une basilique dédiée par le Frank à saint Pierre et à saint Paul. En échange de toutes ces immunités, les évêques lui accordèrent les droits de Régale, et, par ces concessions réciproques, fut cimentée l'alliance du clergé Gallo-Romain et de la royauté Mérovingienne.

Khlodowigh expira le 27 novembre 511, à l'âge de quarante-cinq ans, après trente années de règne. Le royaume du conquérant de la Gaule fut partagé entre ses quatre fils, suivant la coutume germanique. Théoderik (Thierry) fut roi de Metz ; Khloter, de Soissons ; Hildebert, de Paris ; Khlodomir, d'Orléans ; chacun d'eux ayant une portion de l'Aquitaine.

On peut saisir, à cette époque, les premiers symptômes de séparation entre les Franks orientaux ou Austrasiens et les Franks occidentaux ou Neustriens. Les uns, plus voisins de la Germanie, conservèrent longtemps leurs mœurs rudes et barbares, les autres, établis au sein de la civilisation romaine, en subissaient déjà l'influence.

En 523, Khloter, Hildebert et Khlodomir firent une expédition chez les Burgundes, battirent Sigismund, fils de Gundebauld, et le jetèrent dans un puits avec toute sa famille. Khlodomir ayant été tué dans une embuscade, ses frères Hildebert et Khlother se partagèrent ses Etats, après avoir massacré deux de ses fils et relégué le troisième dans un monastère. En 534e ils marchèrent de nouveau contre les Burgundes qui, cette fois, furent réunis à l'empire frank et obligés d'embrasser le catholicisme. Sous prétexte qu'Amalarik maltraitait leur sœur Khlothilde qu'il avait épousée, Hildebert et Khlother attaquèrent les Wisigoths et gagnèrent sur eux, près de Narbonne, une bataille dans laquelle fut tué leur beau-frère (531). Ils entreprirent une nouvelle campagne contre ce peuple en 542 et furent moins heureux ; car, bien qu'ayant pénétré jusqu'à Saragosse, ils durent repasser les Pyrénées, poursuivis par le goth Theude, premier roi élu des Wisigoths, depuis leur établissement dans la péninsule Ibérique.

Le même goût de batailles et surtout de pillage se retrouvait chez les diverses tribus frankes. Le roi d'Austrasie Théoderik (Thierry), par la conquête de la Thuringe, étendit sa domination jusqu'aux frontières de Bohême (530). L'Auvergne s'étant révoltée, il livra cette riche contrée à la dévastation. Thierry mourut en 534. Son royaume comprenait, outre les provinces transrhénanes, tous les pays situés entre le Rhin, la Meuse et l'Escaut, plusieurs villes de Champagne, telles que Reims, Châlons, Troyes, etc., l'Auvergne, le Gévaudan, Cahors, Albi, Uzès, une partie du Rouergue, du Limousin et du Vivarais.

Son fils Théodebert, hardi capitaine et politique habile, conduisit ses soldats en Italie, s'allia successivement avec les Grecs et les Ostrogoths qui se disputaient cette riche contrée, et les battit tour à tour, sans autre mobile qu'une double chance de butin. L'admiration des Franks pour ce descendant de Khlodowigh leur fit supporter les impôts excessifs dont les accabla Parthénius, son ministre, lequel fut toutefois lapidé par le peuple de Trèves, aussitôt après la mort du roi (548). Sous Théobald, son fils, les Austrasiens entreprirent une nouvelle expédition en Italie, conduits par les deux frères Bucelin et Leutharis. Rien n'arrêta d'abord leur marche sur Rome ; mais, ayant eu l'imprudence de diviser leurs forces, ils furent vaincus séparément et chassés de la Péninsule par Narsès en 554.

Théobald était mort sans enfants, Khlother, roi de Soissons, son grand-oncle, hérita du royaume d'Austrasie auquel il joignit bientôt la succession de Hildebert, roi de Paris (558). Khlother, seul maître dès lors de toute la nation franke, s'empara des trésors de ses parents et se mit à poursuivre son fils aîné Khramn, qui s'était révolté contre lui. Arrêté et chargé de chaînes, celui-ci fut amené au roi qui le condamna à être brûlé en compagnie de sa famille. On l'enferma, raconte Grégoire de Tours, dans la chaumière d'un pauvre homme. Khramn fut couché et lié sur un escabeau avec le linge de l'autel, qu'on nomme l'oraire. Après quoi, on mit le feu à la maison dans laquelle il périt, ainsi que sa femme et ses deux filles, en 560. La guerre ne fut pas favorable à Khlother. Il fut battu par les Saxons. Il compensa d'ailleurs ses défaites par de nombreux mariages, épousant successivement Radegunde, fille d'un roi thuringien ; Gundisque, veuve de son frère Khlodomir ; Wultrade, veuve de Théobald ; enfin, Khemsène, Ingunde, Aregunde, sœur de la précédente, et plusieurs autres dont les noms sont moins connus. Le remords l'ayant saisi dans sa vieillesse, il se rendit à Tours et se présenta avec de riches présents aux portes du temple de Saint-Martin. Il s agenouilla auprès du tombeau de cet évêque et confessa ses fautes en gémissant. Il mourut quelque temps après, à la suite d'une partie de chasse, et fut enseveli dans la basilique de Saint-Médard, en 561.

Le royaume des Franks, qui, depuis trois ans, s'était de nouveau trouvé sous une seule domination, fut partagé entre les quatre fils de Khlother et redevint une tétrarchie. Karibert fut roi de Paris ; Gunthramn, d'Orléans et de Burgundie ; Sighebert, d'Austrasie ; Hilpérik, de Soissons. Chacun d'eux, comme en 511, eut une part dans le Midi. A la mort de Karibert, en 567, ses trois frères s'entendirent pour se partager ses Etats et convinrent que Paris resterait indivis.

Dès l'année suivante, le roi d'Austrasie, Sighebert, dut repousser une armée d'Avars qui venait d'envahir la Gaule. Il battit ces Barbares, près de Ratisbonne, et reprit, au retour, les places que son frère Hilpérik lui avait traîtreusement enlevées pendant son absence. Il fut moins heureux, quatre ans après, contre les Avars unis aux Thuringiens. Prisonnier de ces peuples, il dut payer rançon pour obtenir sa liberté.

Sighebert avait épousé Brunehilde, fille d'Athanagild, roi des Wisigoths d'Espagne, tandis que Hilpérik ne s était encore allié qu'à des femmes de condition inférieure, comme Frédégunde. Le Neustrien voulut également avoir une épouse de sang royal et fit demander Galswinthe, sœur ainée de Brunehilde. Athanagild lui envoya sa fille et Hilpérik l'aima d'abord, dit Grégoire de Tours, d'autant plus tendrement qu'elle lui avait apporté de grandes richesses. Mais bientôt Frédégunde u ;i instant délaissée reconquit tout sou empire sur le roi, et Galsv.,inthe, soumise aux affronts journaliers de la concubine, demanda à retourner dans son pays. Hilpérik essaya de dissimuler et de l'apaiser en lui parlant avec douceur ; puis, il la fit étrangler, et il épousa Frédégunde.

Le meurtre de Galswinthe amena de nouvelles hostilités entre l'Austrasie et la Neustrie. Brunehilde voulut venger sa sœur, et, surtout, lutter contre une rivale. Elle avait trop d'ascendant sur l'esprit de Sighebert pour que celui-ci hésitât ; la paix fut cependant rétablie par la médiation de Gunthramn, sous condition que Hilpérik abandonnerait à Brunehilde les villes qu'il avait reçues d'Athanagild pour le-douaire de Galswinthe. La haine implacable qui existait entre les deux reines ralluma la discorde, bien que Gunthramn eût proposé de soumettre le différend à l'arbitrage des évêques réunis en concile national. Théodebert, fils aîné de Hilpérik, se jeta sur l'Aquitaine, commit d'horribles ravages dans laTouraine, le Poitou le Limousin, le Quercy. Sighebert appela les nations trans-rhénanes à son aide. Le débordement de ces Barbares inspira tant de terreur que Gunthramn s'unit à Hilpérik pour leur résister ; mais Sighebert le ramena en le menaçant d'attaquer la Burgundie. Les villages échelonnés sur les deux rives de la Seine furent brûlés par les Germains, et leurs habitants emmenés en captivité. Enfin, les seigneurs de Neustrie et d'Austrasie contraignirent les deux rois de conclure la paix.

A peine l'armée germanique eut-elle repassé le Rhin, que Hilpérik, tout en négociant avec Gunthramn, s'avança jusqu'à Reims. Sighebert revint à la tête de ses Barbares, envoya deux de ses lieutenants attaquer, en Touraine, Théodebert qui fut tué par l'un d'eux, et força Hilpérik de se réfugier dans les murs de Tournai, avec sa femme et ses enfants. Les Neustriens, abandonnant leur roi, proclamaient déjà son frère, lorsqu'au moment même où oh élevait Sighebert sur le pavois, à Vitry-sur-la-Scarpe, il fut assassiné par deux domestiques de Frédégunde (575). Aussitôt, l'armée austrasienne fit sa soumission au roi de Neustrie qui reprit possession de Paris. Brunehilde tomba au pouvoir de son ennemi, avec son fils, Hildebert II, qu'un leude parvint toutefois à enlever. Hildebert n'étant âgé que de cinq ans, les seigneurs d'Austrasie investirent un d'entre eux de l'autorité, pour le temps de la minorité du roi. C'est à ce moment qu'apparaît cette dignité de Maire du Palais, qui devait absorber si vite la royauté.

Cependant, Brunehilde, grâce à l'abandon de ses trésors, se vit traitée avec douceur par Hilpérik qui lui donna Rouen pour résidence. Comptant peu sur la durée de cette mansuétude, elle eut l'habileté de séduire le fils du roi, Mérowigh. Il en résulta bientôt un mariage que bénit l'évêque Pretextatus. La veuve de Sighebert profita de ces noces clandestines pour fuir et gagner l'Austrasie (576). Mais les seigneurs de ce pays. ne la virent pas sans impatience revenir dans ses Etats pour gouverner au nom de son fils comme elle avait gouverné au nom de son époux. Ils se disposèrent donc à lutter contre elle pour la conservation de leur indépendance. Ses tentatives de restauration de l'administration impériale, ses faveurs prodiguées aux Gallo-Romains dont elle aimait à s'entourer au milieu d'un peuple encore sauvage, furent des motifs suffisants pour soulever les mécontents. Son pouvoir fut même si peu reconnu qu'elle ne put donner asile à son jeune mari, Mérowigh, Ce fils de Hilpérik, poursuivi avec fureur par son père, se donna la mort pour échapper à la vengeance de sa marâtre.

L'influence de Frédégunde sur le roi neustrien était devenue si absolue qu'elle lui fit sacrifier, les uns après les autres, tous les fils qu'il avait eus d'autres femmes. Quant à ses rivales et à ses ennemis, elle les traqua jusqu'à la mort. Hilpérik était pourtant un barbare lettré, amoureux de vers, de grammaire et de théologie. Il aimait la controverse et il proposa une explication de la Trinité, à laquelle les évêques refusèrent leur approbation. Après quelques petites guerres dans lesquelles il soutint la rébellion des nobles franks contre Brunehilde, le roi de Neustrie signa la paix avec Gunthramn. Il résida au château de Chelles, près de Paris, et se livra avec ardeur à sa passion pour la chasse. Il rentrait, un soir, et descendait de cheval, lorsqu'un inconnu le frappa d'un coup de couteau sous l'aisselle, et d'un second coup lui ouvrit le ventre. Le meurtrier disparut, et Hilpérik rendit l'âme. Cet assassinat fut imputé par les uns à Frédégunde, dont la liaison adultère avec le courtisan Landérik venait d'être révélée au roi ; d'autres n'y virent qu'un acte de vengeance de Brunehilde (584).

Gunthramn eut la tutelle de Khlother II, fils de Hilpérik et de Frédégunde. Sur ces entrefaites, un enfant naturel de Khlother Ier, retiré à Constantinople, Gondowald, avait été appelé et' proclamé roi d'Aquitaine par les seigneurs du Midi, le duc Gunthramn-Boson, le duc de Toulouse et le patrice Mummolus, le vainqueur des Lombards expulsés de la Provence, de 572 à 576. Ce prétendant fut bientôt trahi par ges propres défenseurs. A peine cette tentative de révolte était-elle apaisée dans le Midi, qu'une sorte de coalition se forma dans le Nord contre la prépondérance des rois franks. Les leudes, les évêques d'Austrasie, appuyés sur les mécontents de Neustrie, s'entendirent pour restreindre les prétentions de la royauté qui, s'inspirant des traditions du gouvernement impérial, tendait à l'autocratie. Les rois franks, effrayés, sentirent la nécessité de suspendre leurs querelles personnelles, afin de maîtriser les exigences de leurs sujets. En 587, ils signèrent le traité d'Andelot par lequel ils se garantirent aide et protection mutuelles. Le roi de Burgundie, n'ayant pas d'enfants, institua héritier de ses possessions son neveu Hildebert II. Néanmoins, les. leudes obtinrent l'entière propriété des bénéfices. dont ils n'avaient eu jusqu'alors que la jouissance temporaire. Le droit même de transmission à leurs descendants leur fut concédé d'une manière générale ; de sorte que ce traité fut la base de l'hérédité des fiefs et le premier pas dans la voie qui aboutit au régime féodal.

Brunehilde parvint alors à raffermir son autorité. Remise en possession du douaire de Galswiilthe qui comprenait les villes de Cahors, Bordeaux, Limoges et celles de Béarn et de Bigorre aujourd'hui détruites, elle s'appliqua à augmenter la prospérité et l'éclat de son gouvernement.

A la mort de Gunthramn (593), Hildebert, ayant hérité de la Burgundie, se jeta sur les Etats du jeune Khlother qu'il espérait pouvoir aisément dépouiller. Mais Frédégunde suppléa au nombre par la hardiesse et la promptitude. Elle courut attaquer Hildebert à Trucy (593), emporta les retranchements de son ennemi qu'elle força de battre en retraite. Profitant de cette victoire rapide, elle recouvra successivement Paris et les villes de la Seine tombées au pouvoir de l'Austrasien ; puis, allant à la rencontre de l'armée de Brunehilde, elle la mit en pleine déroute.

Inquiété par les mouvements des Barbares sur les frontières, Hildebert renonça à tirer vengeance de ces défaites. Il combattit avec plus de sûreté les Warnes, nation germanique qui essaya de secouer la domination franke et fut anéantie en 595. L'année suivante, le poison 1 eut raison de Hildebert II qui laissa l'Austrasie à Théodebert, et la Burgundie à Théodorik (Thierry), ses deux fils. Pendant que Brunehilde tentait par tous les moyens d'exercer le pouvoir au nom de son petit-fils Théodebert, Frédégunde mourait à Paris, en 597, et était inhumée dans l'église Saint-Germain-des-Prés, à côté du roi Hilpérik.

Deux ans après, Théodebert chassa Brunehilde de l'Austrasie. La vieille reine se réfugia en Burgundie auprès de son autre petit-fils. Dans cette nouvelle cour, elle souilla ses cheveux blancs de débauches inconnues à-sa jeunesse ; elle fit maire du palais le romain Protadius, son amant ; elle s'ingénia à procurer des concubines au jeune roi Thierry, afin de conserver l'influence qu'elle avait sur lui (599). Par ses conseils, les hostilités recommencèrent contre la Neustrie. Théoderik et Théodebert attaquèrent le fils de Frédégunde, dont l'armée fut écrasée à la bataille de Dormeille (600). Khlother, obligé de fuir à travers l'épaisse forêt d'Avelaune (Fontainebleau), se trouva dépouillé de la plus grande partie j de son royaume.

Vers cette époque, l'invasion germanique, s'étendant sur presque toute la Grande-Bretagne, y fondait le dernier des sept royaumes connus sous le nom d'Heptarchie. La lutte avait été rude et longtemps indécise avec les Bretons occidentaux que protégeaient des montagnes souvent inaccessibles. Guidés par Arthur, prince des Silures de Kaërléon, le héros des légendes galloises, le chef des chevaliers de la Table-Ronde, les Kambriens résistèrent aux hordes saxonnes. Arthur les vainquit, selon la tradition, en douze batailles dont la plus célèbre est celle de Badon-hill, qui sauva un moment l'indépendance d'une partie de la Bretagne et suspendit pendant trente ans les hostilités entre les étrangers et les insulaires. Arrêtés à l'ouest, les envahisseurs se firent, au nord du pays de Kent, sous le chef Erkenwin, un état indépendant qui prit le nom d'Essex (526), dont la capitale fut Londres (Lon-din, la ville aux vaisseaux).

La fondation des quatre royaumes occupés par les Saxons et les Jutes réunis semblait avoir arrêté la conquête, lorsque la Bretagne septentrionale fut brusquement attaquée par les Angles, en 547. Commandée par Idda, et ses douze fils, cette peuplade germaine, partie de l'isthme Kymrique, prit terre à Flamborough, s'allia avec les Piktes et s'empara de tout le pays situé entre l'Humber et le Forth. Idda, surnommé le Brandon de feu, mourut en combattant les Kambriens (559). Ses fils vengèrent sa mort par une éclatante victoire qui assura l'établissement définitif de l'invasion anglo-saxonne. En 590, Ethelfrid réunit toutes les provinces conquises par son aïeul pour en former le royaume de Northumberland. Déjà, en 571, Offa, qui gouvernait sur la côte orientale une grande colonie d'Angles, avait pris le titre de roi d'Est-Anglie, avec Norwik pour capitale. Enfin, Krida, sur le territoire compris entre l'Est-Anglie et le pays des Kambriens, fonda un Etat considérable qui, de sa position sur la frontière, reçut le nom de Merk ou Mercie.

Les quatre royaumes saxons et les trois royaumes angles, Kent, Sussex, Wessex, Essex, Northumberland, Est-Anglie et Mercie, composèrent l'Heptarchie et se donnèrent pour centre fédéral une Diète appelée Wittenagemot ou Assemblée des Sages. Il ne resta en dehors de l'Heptarchie que les neuf dixièmes de l'Ecosse et de l'Irlande, le pays de Galles et celui de Kornouailles où se réfugia la vieille race des Bretons déjà convertie à la religion chrétienne. Partout ailleurs la domination des pirates germains s'établit sur des monceaux de cadavres ; car ni les Huns, ni les Vandales n'approchèrent de la férocité de ces conquérants anglo-saxons qui érigeaient en système l'a destruction et le massacre. Parmi les vaincus, les Logriens méridionaux s'exilèrent les premiers pour échapper à l'asservissement. Ils cherchèrent un asile au delà de la mer, sur le rivage armoricain, où ils conservèrent le nom de Bretons qu'ils avaient perdu dans leur patrie. La première colonie fut renforcée à diverses reprises par de nouveaux émigrants. Ces fugitifs devenus nombreux ne tardèrent pas à inquiéter leurs voisins de Gaule. Khlodowigh dut recourir aux armes pour leur imposer sa souveraineté. Il fallut même instituer des gouverneurs franks ou frisons dans les villes de Nantes, de Vannes et de Rennes. Cette indomptable population ne put souffrir longtemps cette dépendance. Avec le secours de nouveaux réfugiés, Rioval (le roi Hoël) chassa de ses terres les Frisons auxiliaires des Franks, et devint l'allié de Khlother, sans subir toutefois la domination mérovingienne.

Au commencement du siècle, en Orient, la guerre s'était rallumée entre la Perse et l'Empire. Le Sassanide Khobad, vainqueur des Huns Nephtalites, s'était mis e ravager l'Arménie et la Mésopotamie, en 502. Le vieil empereur Anastase, n'obtenant dans cette lutte que des échecs consécutifs, acheta la paix à prix d'argent (505). Justin Ier, préfet du Prétoire, lui succéda en 518. Ce thrace, qui ne savait ni lire ni écrire, se fit vendre le trône vacant par les gardes impériales. Zélé catholique, il se déclara pour le concile de Chalcédoine, demanda un formulaire au pape Hormisdas et réunit ainsi momentanément les églises d'Orient et d'Occident. Afin de complaire aux consubstantialistes que favorisait son neveu Justinien, Justin priva les ariens de leurs temples et les persécuta sans relâche. La faction des Bleus, dont l'héritier du trône encourageait les excès, remplit pendant trois ans la capitale de l'Empire de meurtres et de rapines. Justin Ier mourut le 1er août 527, à soixante-dix-sept ans, léguant à son neveu les troubles sanglants du cirque et la guerre contre la Perse.

Justinien, comme son prédécesseur, était né dans une chaumière, en Thrace, ou en Illyrie. Adopté tout jeune par son oncle Justin, il fut successivement investi du consulat, du patriciat, du comitiat, du nobilissimat, et créé César, aux calendes d'avril 527. Quatre mois après, il régna seul, âgé de quarante-cinq ans. Avec lui monta sur le trône la comédienne. Théodora qui avait habité le fameux portique de prostitution, l'Embolum, et qu'il avait épousée dans tout l'éclat de ses débordements. Lui-même n'avait hésité devant aucun moyen pour satisfaire son ambition. Passionné pour les querelles du cirque, il avait embrassé avec ardeur le parti des Bleus contre les Verts. On nommait ainsi deux factions rivales composées de conducteurs de chars qui avaient succédé aux gladiateurs et se disputaient le prix dans les jeux publics. La capitale elle-même s'était divisée entre les deux factions dont les conflits prirent peu A peu un caractère politique.

Malgré ces tristes origines, le règne de Justinien devait être remarquable par les guerres, les travaux d'architecture, lés œuvres de législation ; mais jamais la grandeur d'une époque ne dut moins à sa moralité.

La première année du nouveau règne était à peine écoulée que les Perses ouvrirent les hostilités (528). Leur roi Khobad entra en Syrie et Bélisaire fut envoyé contre lui. Paysan thrace devenu soldat, puis officier, enfin général de l'Empereur, Bélisaire rendit à l'armée la discipline et le courage. N'ayant que vingt mille hommes à opposer au Sassanide, il sut l'arrêter par de savantes dispositions et le forcer à la retraite. Combattant lui-même à la tête des troupes, nul n'était meilleur soldat ni meilleur capitaine. Dans l'impossibilité de vaincre complètement un ennemi très-supérieur en nombre, il sut le contenir et le fatiguer en lui disputant les provinces asiatiques. Khosrou-Anoushirvan, qui succéda en 53I à son père Khobad, consentit à traiter. On lui abandonna les villes laziques, cause de la guerre, avec une indemnité de dix mille pièces d'or, et la paix fut momentanément signée, en 533.

Bien que l'empire de Constantinople, resserré à l'Orient par les Perses, menacé au nord par les Sarmates et les Tatars, semblât n'avoir d'autre souci que de se tenir sur la défensive, Justinien conçut le projet de reconstituer sous son unique domination les deux parties de l'Empire romain. Il discernait, sous les apparences de la force et de la solidité, la rapide décadence des royaumes barbares fondés en Espagne, en Afrique et en Italie ; les influences climatériques, les habitudes d'intempérance, les dissensions intestines avaient énervé ces conquérants venus du Nord. Pour anéantir à jamais leur puissance sourdement minée, peut-être ne fallait-il que de l'audace. Les événements survenus en Afrique fournirent l'occasion désirée.

Un successeur de Gensérick, Hildérik, descendant par sa mère de Théodose, venait d'être renversé et tué par Gélimer qui l'avait remplacé sur le trône. Sous prétexte de punir l'usurpateur, Justinien résolut d'entreprendre une expédition contre les Vandales. Bélisaire partit avec une armée, écrasa Gelimer à la bataille de Tricaméro et le fit prisonnier (534) ; puis, il entra à Carthage et prit possession de l'Afrique, de la Sardaigne et des îles Baléares. Le royaume des Vandales devint une province de l'Empire, après avoir subsisté cent quatre ans depuis sa fondation, par Gensérick. Accusé par les courtisans de vouloir garder cette conquête pour lui-même, Bélisaire n'hésita pas à revenir en Orient, afin de dissiper les soupçons par sa présence. A sa rentrée à Constantinople, il obtint les honneurs du triomphe réservés uniquement, depuis Tibère, aux Césars victorieux. Le dernier roi des Vandales suivit le char du triomphateur. Cependant le courage dont il avait fait preuve dans Iji lutte et sa résignation dans la défaite lui acquirent le respect des vainqueurs. L'Empereur lui donna un vaste domaine en Galatie où Gélimer termina paisiblement sa vie.

Pendant que l'autorité impériale était rétablie en Afrique, des événements d'une certaine gravité attiraient l'attention sur l'Italie. A la mort de Théodorik Ier, en 526, son petit-fils Athalarik lui avait succédé sous la tutelle de sa mère Amalasuintha. Exténué par de précoces débauches, Athalarik s'éteignit à l'âge de dix-sept ans. Amalasuintha dut alors épouser son cousin Théodat, qui la fit étrangler aussitôt après leur union (534). Ce meurtre servit de prétexte à Justinien pour mettre à exécution ses projets sur l'Italie. Bélisaire pénétra dans la Sicile, prit Naples en 535 et entra dans Rome, au mois de novembre 536. Théodat, massacré par ses soldats, avait été remplacé par Vitigès. En mars 537, ce nouveau roi, suivi de cent cinquante mille Goths, vint camper devant l'ancienne capitale du monde. A la suite de plusieurs "assauts que Bélisaire repoussa en personne avec un courage héroïque, Vitigès fut contraint de battre en retraite et de se réfugier dans Ravenne. Dans l'intervalle, la Perse ayant été excitée à faire une diversion contre l'empire byzantin, Justinien effrayé prescrivit à son général de traiter immédiatement (540). Bélisaire, qui venait de refuser la couronne que lui offraient les Goths, osa désobéir et déclara qu'il ne déposerait les armes qu'après la prise de Ravenne. Il tint parole, s'empara de la ville assiégée, ainsi que de Vitigès qu'il ramena captif. Il fut disgracié, et malgré l'admiration enthousiaste dont il était entouré, il pleura amèrement la faveur perdue. Elle lui fut rendue lors d'une nouvelle invasion de la Syrie par les Perses. Bélisaire essaya de repousser le roi Khosrou, et, s'il ne put reprendre l'Arménie, il empêcha du moins de nouvelles conquêtes (542). Une trêve fut signée en 544.

L'absence du grand capitaine avait fait perdre en Italie tout le fruit de ses victoires. Les Goths, chassés au delà du Pô, s'étaient donné pour roi Ildebald qui reconquit en quelques mois les provinces transpadanes et la Ligurie. Son successeur Totila, profitant de l'incapacité des généraux de Justinien, entreprit vaillamment de relever la monarchie ostrogothique. Il entraîna tout ce qui restait de sa nation et remporta près de Faenza une grande victoire qui lui donna Naples, Rome et les contrées méridionales de la Péninsule (546). Il fallut de nouveau avoir recours à Bélisaire. Le vieux guerrier revint, mais avec des forces insuffisantes. Il profita du départ des Goths pour rentrer dans Rome, dont les fortifications avaient été détruites et les habitants dispersés. Il se hâta de relever une partie des remparts et parvint à repousser trois fois Totila, revenu de la Pouille pour recouvrer cette position décisive. Ce fut là son dernier succès. Sans armes, sans troupes, sans secours de Byzance, il sollicita son rappel, las d'être le témoin passif des progrès de Totila qui, après avoir repris Rome, venait de soumettre la Sardaigne et la Corse (548).

L'Empereur donna pour successeur au conquérant de l'Afrique son neveu Germanus, qui mourut en route, et fut remplacé par l'eunuque Narsès. Ce favori de cour, à qui on avait prodigué les dernières ressources de l'Empire, pénétra en Illyrie avec une puissante armée où dominaient les Barbares, Huns, Hérules, Lombards et Slaves. Il arriva à Ravenne, marcha au-devant de l'ennemi, le rencontra à Lentagio, non loin de Nocera, et battit Totila qui fut tué dans la mêlée (552). L'année suivante, Narsès remporta une autre victoire sur Theïas, successeur de Totila, qui périt également dans cette bataille livrée sur les bords du Draco, près de Cumes. L'armée de secours, envoyée d'Austrasie, arriva trop tard ; de plus, les généraux franks, Leutharis et Bucelln, ayant divisé leurs forces, furent écrasés successivement, La monarchie des Goths orientaux cessa d'exister. Le frère de Theïas, Aligern, et les antres chefs de la nation négocièrent la paix avec Narsès. Les vaincus, peu nombreux, qui survivaient, obtinrent la permission d'emporter leurs richesses, à la condition de s'exiler.

Dans le temps même où Narsès reprenait possession de l'Italie, les Goths d'Espagne se trouvaient entièrement livrés à des discordes intestines. Après la mort de Theudis, Athanagild, compétiteur d'Agila à la couronne, demanda l'appui de Justinien qui lui envoya une flotte commandée par le patrice Liberius. En récompense de ce service, le roi wisigoth céda à l'Empereur Valence et la Bétique orientale, de sorte qu'à ce moment on put croire, à Constantinople, avoir ressaisi la domination des deux bassins de la Méditerranée.

Les conquêtes de Justinien en Occident avaient alarmé le roi de Perse, Khosrou. A l'expiration de la trêve de 544, il s'était emparé de la forteresse de Petra et songeait à transplanter les inconstants Laziques, lorsque la défection de Gulaze, roi de Colchide, rendit sa position critique (548). Les légions impériales, sous les ordres de Dagisteus, remportèrent de nombreux succès à l'embouchure du Phase. Les Perses perdirent du terrain et durent se résoudre à abandonner la Colchide (555). Enfin des négociations amenèrent un traité qui rétablit les anciennes limites des deux empires. Justinien stipula la liberté de conscience en faveur des chrétiens de la Perse, et s'engagea, sous cette condition, à payer au roi Khosrou un tribut de trois mille pièces d'or (562).

Pendant ce repos momentané de l'Orient, des hordes d'Avars, poursuivies par les Turks, arrivaient sur les côtes septentrionales de la mer Noire, sous la conduite de Baran, demandant la permission de combattre les ennemis de l'Empire. Justinien se hâta d'accorder sa protection à ces alliés volontaires, croyant garantir ses frontières contre les Barbares des bords du Danube (558). Tout à coup, une invasion formidable eut lieu. Les Bulgares du Volga, établis récemment dans la Dacie, entraînant avec eux les Slaves, avaient passé le Danube sur la glace pour venir ravager la Thrace. Sous les ordres de Zaberghan, ils s'avancèrent jusqu'au delà du mur d'Anastase, menaçant la capitale. Bélisaire, toujours en faveur dans les instants de danger, se mit à la tête des gardes du palais et des habitants de la ville, armés en toute hâte. Les Bulgares furent rejetés au-delà du Danube (559). Le sauveur de l'Empire ; dès que tout péril eut disparu, rentra dans la retraite. Deux ans après, il fut accusé d'avoir pris part à une conspiration contre la vie du souverain. Ses biens furent séquestrés et ses envieux triomphèrent. Il mourut au bout de huit mois. La fable éditée sur les infortunes de ce héros, devenu aveugle et mendiant, n'a d'autre fondement que le témoignage sans valeur d'un moine du XIIe siècle nommé Tzetzès.

Justinien mourut en 565, après un règne de trente-huit ans qui ne fut point exempt de calamités. Des tremblements de terre bouleversèrent l'Orient ; la peste fit de tels ravages que plus de quatre cent mille personnes périrent à Constantinople ; enfin la famine dépeupla des contrées entières. Quant à cet empereur, dont le nom est arrivé à la postérité, entouré d'un certain prestige, il ne fut ni bon, ni grand, ni honnête, ni juste. Tribonien présida à la confection de ses codes, Bélisaire et Narsès vainquirent pour lui. La mauvaise conduite de Justinien, dit Montesquieu, ses profusions, ses vexations, ses rapines, sa fureur de bâtir, de changer, de reformer, son inconstance dans ses desseins, un règne dur et faible, devenu incommode par une longue vieillesse, furent des malheurs réels mêlés à des succès inutiles et à une vaine gloire. Il s'intéressa aux jeux du cirque jusqu'à l'oubli de toute dignité ; excitant entre les Bleus et les Verts des animosités qui aboutirent à la sédition Nika, dans laquelle périrent trente mille citoyens. Les mutins proclamèrent un neveu de l'empereur, nommé Hypatius. Le danger fut tel que Justinien ne dut son salut qu'à l'audace de sa femme et au dévouement de Bélisaire. Il accabla l'Empire d impôts exorbitants, épuisant les masses d'or ainsi accumulées, soit en tributs aux Barbares, soit en édifices. C'est ainsi que fut élevée la basilique de Sainte-Sophie, aujourd'hui changée en mosquée.

L'œuvre de réforme législative confiée au questeur Tribonien, jurisconsulte d'une érudition égale à son impudente vénalité, se compose des quatre collections suivantes : Le Code, recueil en douze livres, de constitutions ou édits impériaux, publié en 528 et complété en 534 ; les Institutes, réduction en principes élémentaires du système de la jurisprudence romaine (533) ; les Pandectes ou Digeste, compilation prodigieuse de tous les travaux antérieurs de législation, divisée en cinquante livres ; les Novelles ou Authentiques, recueil de lois rendues depuis la publication du Code (534-565). Ces œuvres de droit furent composées ou recueillies dans l'intérêt du pouvoir absolu ; la puissance législative fut attribuée à l'Empereur, bien qu'on reconnût l'égalité des citoyens devant la loi, caractère commun aux législations des peuples libres et des gouvernements absolus. En somme, des guerres entreprises par cet empereur il n'est rien resté ; de son architecture subsistent quelques monuments ; mais ses lois ont régi le monde et forment encore la base des législations européennes.

Justin II, neveu de Justinien, succéda à son oncle, mort sans enfants. A l'instigation de sa femme, l'impératrice Sophie, le nouvel empereur s'empressa de remettre au peuple les impôts arriérés, paya les dettes de son prédécesseur et rappela les évêques exilés, car Justinien, longtemps orthodoxe, avait fini par tomber dans l'hérésie des Incorruptibles. L'influence de l'impératrice ne tarda pas à s'exercer d'une autre façon. Un cousin de son mari lui ayant déplu, elle mit tous ses soins à obtenir l'assassinat de ce jeune homme. Justin hésita, puis céda (566). Toujours prête à s'immiscer dans les affaires d'Etat, Sophie appuya les plaintes de toute l'Italie en proie, il est vrai, depuis treize-ans à l'insatiable rapacité de Narsès. Le rappel de ce dernier fut résolu, et Longin fut envoyé pour le remplacer avec le titre d'Exarque. L'impératrice accentua la disgrâce de l'eunuque par l'envoi d'une quenouille, d'un fuseau et d'une lettre contenant ces quelques mots : Revenez sans délai ; je vous donne la surintendance des ouvrages de mes femmes ; c'est la place qui vous convient : il faut être homme pour avoir le droit de manier les armes et de gouverner des provinces. Narsès outragé invita le roi des Lombards, Alboin, à conquérir l'Italie, en l'assurant que sa marche ne serait arrêtée par aucun obstacle. Puis, il sortit de Rome et se retira à Naples. Bientôt il se repentit et revint ; mais il était trop tard pour conjurer le danger : l'invasion commençait et rien n'était préparé pour la défense. Affaibli par l'âge et dévoré de remords, Narsès mourut, dit-on, en pleurant sa longue gloire ternie par un moment de colère.

Depuis leur expatriation des bords de l'Elbe et de l'Oder, les Lombards (Longobardi) avaient occupé le pays des Rugiens, puis les terres des Hérules et s'étaient enfin établis dans la Pannonie et la Norique, contrées qui semblaient destinées à servir de camp d'observation aux Barbares qu'attiraient les richesses du midi de l'Europe f527). Renforcés par des hordes d'Avars venues d'Asie, les Lombards entreprirent, sous la conduite d'Alboin, une guerre d'extermination contre les Gépides de la Dacie. Le roi de ces peuples, Hunimund, fut vaincu et tué dans une bataille (566) ; son royaume fut anéanti et sa fille Rosamunde, forcée d'épouser le chef victorieux, devint reine des Lombards.

Ces événements venaient de s'accomplir, quand Alboin reçut de Narsès l'invitation de descendre en Italie. Toute la nation des Lombards, grossie de nombreuses bandes de Bulgares, de Saxons, de Bavarois, de Suèves, de Sarmates, se mit en marche avec l'ardeur que devait inspirer l'espoir d'une conquête riche et facile (568). Les Alpes Juliennes furent traversées sans combat, ainsi que la Carniole et l'Istrie ; les habitants d'Aquilée s'enfuirent épouvantés, et cet exemple fut suivi par ceux de Friuli, ville qui devint la capitale du duché de Frioul donné par Alboin à son neveu Gisulf (569).

A la fin de l'hiver de cette année, les villes de la Vénétie ouvrirent leurs portes. Elles restèrent sous la garde de chefs qui en furent les premiers ducs. Les vainqueurs s'emparèrent ensuite de Milan où ils proclamèrent sur le pavois leur chef Alboin roi d'Italie. Puis, passant le Pô, ils pénétrèrent dans l'Ombrie. Féroald fut nommé duc de cette province et fixa sa résidence à Spoleto (570). L'invasion s'avança vers le sud et Jotton devint duc de Bénévent (571). Pavie, qui résistait depuis deux ans, dut céder à la famine (572) ; elle se rendit à discrétion. Alboin se montra clément envers les habitants, reçut leurs serments dans le palais de Theodorik et fit de Pavie la capitale de son nouveau royaume.

L'Italie tomba donc au pouvoir des Lombards, à l'exception des provinces littorales, depuis l'embouchure du Pô jusqu'à celle du Tibre et de l'Arno. L'exarque de Ravenne eut le gouvernement des contrées non conquises qui, outre la Sicile et les îles adjacentes, comprenaient Bologne, Faënza, Imola, Ferrare, Adria, Forli, Césène et la Pentapole, avec Ancône, Rimini, Pesaro, Fano et Sinigaglia. Plusieurs villes considérables, telles que Rome, Gaëte, Naples, Amalfi, Tarente, Syracuse, Venise, Cagliari, etc., furent administrées par des maîtres de la milice, placés sous la surveillance de l'exarque délégué de l'Empereur.

Conformément aux habitudes germaniques, les territoires conquis furent partagés entre les chefs lombards. Sous la suzeraineté royale, trente-six ducs gouvernèrent chacun la ville de leur résidence et le pays environnant. Au-dessous des ducs venaient les Gastalds ou comtes ; au-dessous des comtes les Scultètes ou juges de districts. Comme dans les autres Etats barbares, chaque fraction de la nation tenait des assemblées particulières qui se concentraient en une diète générale, dont les décisions souveraines limitaient même la volonté du roi.

La prise de Pavie fut le dernier succès d'Alboin dont la marche victorieuse n'avait guère été entravée, d'ail-1enrs, par l'exarque Longin venu sans armée et probablement sans argent. A la suite d'un banquet où Rosamunde avait été contrainte de boire dans le crâne de son père, le roi lombard fut assassiné au pied de son lit par un officier du palais, nommé Helmichild, amant de la reine (573).

Kleph, successeur élu d'Alboin, étendit sa domination jusques aux portes de Rome et de Ravenne. Après un règne violent et capricieux de dix-huit mois, Kleph fut égorgé par un de ses officiers (575). Les ducs ne lui donnèrent pas de successeur et laissèrent le trône vacant. La transformation du gouvernement en oligarchie militaire produisit des divisions qui compromirent la conquête. Alarmés par les attaques des Grecs et des Franks, les Lombards rétablirent la royauté au profit d'Autharis, fils de Kleph. Le nouveau roi regagna le terrain perdu. Par une brusque incursion dans le Samnium, il arrêta complètement les tentatives belliqueuses de l'exarque et consolida les duchés de Bénévent et de Capoue qui furent réunis plus tard (585). Les Franks, ayant voulu recommencer la guerre, à l'instigation de Constantinople, furent entièrement défaits (588). En 590, le roi d'Austrasie, Hildebert II, qui avait envahi l'Italie, repassa les Alpes sans autre profit que d'avoir ravagé la vallée du Trentin. Par son habileté, sa prudence, son activité, Autharis affermit et régularisa la conquête lombarde ; il astreignit ses feudataires à l'assister de tous leurs efforts en temps de guerre, à verser au trésor royal la moitié de leurs revenus, et, à ces conditions, leur garantit la possession héréditaire de leurs bénéfices, sauf le cas de félonie. Il fixa les conditions de la propriété, publia des lois contre le meurtre, le vol, l'adultère et se convertit à l'arianisme. Il mourut en 591. Les Lombards donnèrent la couronne au duc de Turin, Agilulf, qu'épousa Théodelinde, veuve d'Autharis. Ce prince sut maintenir les ducs dans le devoir et repousser les attaques incessantes des Grecs et des Franks (595-600). Sur les instances du pape Grégoire 1er et de Théodelinde, Agilulf se rallia au catholicisme. La plupart des siens, touchés de la même grâce, suivirent son- exemple.

Pendant que l'Italie subissait une nouvelle domination barbare, la guerre se poursuivait toujours indécise entre la Perse et l'empire. Justin II, miné par une maladie incurable, avait résigné la puissance suprême à un capitaine des gardes nommé Tibère (578). Peu après cette abdication, il mourut quelques mois avant son ennemi, le perse Khosrou Ier, à qui succéda son fils Hormuz ou Hormisdas IV (579), Tibère II s'occupa activement, dès son avènement, de renforcer les armées impériales qui opéraient en Orient. Il y envoya Justinien qui remporta, près de Mélitène, dans la Cappadoce, une grande victoire et pénétra jusque dans l'Assyrie (579). Khosrou fut profondément affecté par ses revers ; la douleur de ne pouvoir les réparer fut la principale cause de sa fin. Son successeur Hormisdas s'obstina à refuser la paix que lui offrait Tibère. Il voulut reprendre les hostilités, mais ses défaites précédentes furent confirmées à la bataille de Constantine par la victoire du général impérial Maurice. Ce dernier, marié à une fille de l'empereur, fut créé césar au retour de cette expédition (581).

Une frontière affermie, une autre était menacée ; les Perses vaincus, les Avars, dont la puissance s'était beaucoup accrue sur la rive gauche du Danube, dévastèrent la Mésie et la Thrace, sous les ordres de Baïan. Ils prirent Sirmium, Singidunum, et se dirigèrent sur Constantinople. L'empereur détourna l'invasion, au prix de sommes énormes, et mourut le I4 août 582, laissant la couronne il Maurice.

Celui-ci continua la guerre contre les Perses avec une alternative de succès et de défaites. Pendant qu'il cherchait à refréner l'indiscipline de ses troupes, une révolte éclata à Ctésiphon, et Hormisdas, déposé par ses sujets, fut remplacé par son fils Khosrou II (590). Ce dernier, bientôt détrôné par le satrape Bahram, dut se réfugier en Syrie et implorer l'appui de l'empire. Maurice lui donna une armée pour renverser l'usurpateur ; Khosrou, à l'aide de ce secours, rétablit son autorité, et épousa une fille de l'empereur, à qui il restitua Dara, Martyropolis, et toute la Persarménie (591).

Tranquille du côté de l'Orient, Maurice résolut d'en finir avec les Avars dont les incursions étaient une cause perpétuelle de dangers ou d'humiliations. Une grande armée fut organisée sous le commandement de Priscus qui livra cinq batailles dans lesquelles périrent soixante mille Barbares (598). Les Avars, dans leurs courses, avaient fait douze mille prisonniers. Ils offrirent de les rendre moyennant rançon. Sur le refus de l'empereur, on les massacra. La population de Constantinople indignée accusa Maurice de cruauté et d'avarice. L'armée, déjà mécontente de prendre ses quartiers d'hiver dans le pays reconquis, profita de l'occasion pour se révolter (600). Un centurion, promu rapidement aux plus hauts grades, Phocas, fut proclamé empereur. Poursuivant Maurice jusqu'à Chalcédoine, il le fit massacrer avec cinq de ses fils.

Le VIe siècle, qui vit l'établissement de nouveaux Barbares en Occident, fut surtout remarquable par les changements introduits dans les mœurs et les institutions politiques, suite naturelle du mélange plus intime des -Romains et des peuples germaniques. Après la conquête et les désordres de l'invasion, les chefs de nation sentirent la nécessité de codifier les anciennes coutumes en y ajoutant les dispositions que rendaient indispensables les nouveaux rapports entre vainqueurs et Vaincus. La loi salique, rédigée d'abord en langue tudesque au delà du Rhin, et traduite plus tard en latin, fut successivement amendée par les rois mérovingiens. L'article VI du titre XII de cette loi porte qu'aucune portion de la terre salique ne passera en héritage aux filles. Il n'y est point question de l'exclusion du trône ; les femmes, d'ailleurs, n'y étaient admises par aucune nation barbare. Les lois des Ripuaires, des Burgundes, des Wisigoths, des Lombards, des Ostrogoths, pas plus que la loi salique, n'étaient des constitutions politiques, mais simplement des codes civils, surtout criminels, qui attachaient plus d'importance à la conservation des animaux domestiques qu'à la dignité des personnes. Toutes ces lois avaient pour caractère distinctif d'être individuelles et non territoriales, et d'admettre originairement la commutation des peines en une somme d'argent. La justice, rendue par Tes hommes de race libre qui formaient le tribunal du comte, s'éclairait au moyen des preuves écrites, des témoins, des conjurateurs qui affirmaient sous serment la sincérité de l'accusé, des épreuves judiciaires, ou ordalies, comprenant le jugement de Dieu par le feu, l'eau ou la croix et le combat judiciaire qui laissait à la force ou à l'adresse le soin de décider de l'innocence du prévenu. Les peines étaient la mort, dont la loi salique, cependant, ne fait pas mention, la composition et l'amende. La première compensation était l'amende dont l'étymologie (Friede, paix) indique qu'elle était le prix de la tranquillité publique ; la composition (Wehrgeld, argent de la défense) était la compensation payée à l'offensé ou à sa famille. Il existait des tarifs minutieux pour tous les crimes et délits, depuis l'assassinat jusqu'au geste brutal et à la parole injurieuse. Entre la composition pour le meurtre d'un évêque, évaluée neuf cents sous d'or, et celle d'un esclave bavarois, fixée à vingt sols, se plaçaient les compositions pour tous les meurtres possibles, dont la proportion s'élevait en raison de la dignité des personnes. Ces lois subirent des modifications avec le temps et restèrent plus ou moins grossières, selon que le peu pie qui les adoptait était plus ou moins éloigné du foyer de la civilisation romaine.

Au milieu de ces tentatives de reconstitution sociale, l'Eglise se développait lentement, gagnant sans cesse en puissance et en étendue. L'ordre des Bénédictins, fondé au mont Cassin en 529 par saint Benoît de Nursia, fut le plus savant de tous les ordres religieux. On lui doit, depuis le VIe siècle, de très-remarquables travaux d'histoire civile et ecclésiastique, entre autres la collection des histoires de France, œuvre des Bénédictins de Saint-Maur. En 553, eut lieu le concile général de Constantinople, et, en 579, le concile de Châlons-sur-Saône. En 590, le diacre Grégoire monta sur le trône pontifical.

Il se montra pasteur vigilant, prudent et charitable. Il s'appliqua à combattre l'ignorance, à réprimer les désordres du clergé. Il adressa aux princes corrompus ou hérétiques de sévères réprimandes, il agrandit par la conversion le domaine de l'Eglise catholique. Son pontificat offrit à l'Europe le premier modèle du gouvernement théocratique. Grégoire le Grand annonce et prépare les Grégoire VII et les Innocent III.