HISTOIRE DE LA SECONDE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

1848 - 1852

TOME SECOND

 

LIVRE TREIZIÈME. — LES ÉLECTIONS À L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

 

 

I

Pendant que l'Italie était le théâtre des événements que nous venons de raconter, que se passait-il en France ?

Nous avons vu que l'Assemblée constituante avait accepté le 14 février la proposition Rateau amendée par M. Lanjuinais, et avait ainsi fixé le terme de son pouvoir. En se condamnant à une disparition prochaine, elle avait tenu à régler son ordre du jour et avait décidé qu'elle voterait avant de se séparer la loi électorale, la loi sur la responsabilité du président et de ses ministres, la loi sur le conseil d'État et enfin le budget de 1549.

Fidèle à ce programme, elle avait achevé sans retard la loi sur le conseil d'État qui avait déjà subi l'épreuve des deux premières lectures. Aux termes de cette loi, les conseillers devaient être, non plus choisis par le pouvoir exécutif, mais élus par l'Assemblée. Les maîtres de requêtes seuls étaient nommés par le chef de l'État. Les auditeurs se recrutaient par la voie du concours. Le service extraordinaire était supprimé. Tous les projets de loi émanés de l'initiative gouvernementale, sauf les lois de finances et les lois déclarées urgentes, devaient être soumis à l'examen préalable du conseil. Quant aux propositions dues à l'initiative parlementaire, elles ne lui étaient déférées qu'autant que l'Assemblée l'ordonnait. Le conseil se divisait en trois sections : la section de législation, la section d'administration, la section du contentieux, et cette dernière section devint un véritable tribunal administratif rendant des décisions exécutoires par elles-mêmes. Dans cet accroissement des attributions du conseil d'État on retrouvait la pensée des auteurs de la Constitution qui avaient voulu, à défaut de haute Chambre, transformer ce corps en une sorte de pouvoir modérateur. Mais il était visible que cette pensée elle-même demeurerait vaine : car on ne pouvait compter que les conseillers, issus du suffrage de l'Assemblée et attendant d'elle leur réélection, fussent capables de la contrôler ou de la contenir. — La loi sur le conseil d'État une fois votée, on s'occupa aussitôt de la loi électorale. Cette loi ne faisait guère que confirmer le décret du gouvernement provisoire qui avait institué le suffrage universel. Le droit de suffrage était accordé à tout Français non frappé d'indignité et ayant un domicile établi par six mois de résidence. Le vote au canton était maintenu : seulement, pour faciliter l'exercice du devoir civique, le canton pouvait être divisé en plusieurs circonscriptions électorales. Les militaires en activité de service demeuraient électeurs, sauf une exception pour les corps d'armée en campagne. Enfin, soit défiance naturelle, soit réaction contre le régime de Juillet, de nombreuses catégories de fonctionnaires étaient frappées d'inéligibilité. Votée le 15 mars, la loi électorale fut promulguée le 19. Presque aussitôt, on commença la discussion du budget.

 

II

Si graves que fussent ces débats, le pays y était pourtant inattentif, et les représentants eux-mêmes n'y prêtaient souvent qu'une oreille distraite. C'est que déjà l'intérêt se détachait de cette Assemblée qui allait mourir. Les regards se tournaient, non vers le Palais-Bourbon, mais vers la nation elle-même, et chacun interrogeait avidement l'opinion publique, dans l'espoir de surprendre le secret des élections prochaines. Or, pour tout observateur avisé, il était clair que deux tendances diamétralement contraires se disputaient le pays, l'une qui visait à le ramener jusque vers le passé, l'autre qui le poussait violemment vers la démagogie : ces deux tendances extrêmes étaient tellement dominantes qu'elles ne laissaient place à aucun effort intermédiaire.

Diverses causes avaient contribué depuis quelque temps à discréditer la République de Février et à rejeter en arrière l'opinion publique attristée ou déçue.

Parmi ces causes, l'une des principales était les nombreux procès qui avaient montré sous leur véritable jour les derniers événements. Les chefs de l'insurrection de Juin ayant été traduits devant les conseils de guerre, les épisodes de la lutte civile s'étaient répétés à quelques mois de distance avec l'implacable fidélité des dépositions judiciaires. Ces lugubres débats avaient rempli l'automne de 1848 et se prolongeaient encore Ou avait vu comparaître les uns après les autres devant la juridiction militaire des officiers infidèles tels que le commandant Constantin, des magistrats municipaux faibles jusqu'à la trahison tels que Pinel-Grandchamp, d'anciens meneurs des clubs tels que Lacollonge : puis avait suivi le lamentable défilé des vieux soldats d'Afrique oublieux de leurs anciens services, des ouvriers trompés par les pernicieuses doctrines, des 'officiers de la garde nationale prêtant leur autorité h l'émeute. Les assassins du commandant Masson, ceux du lieutenant loch, étaient venus à leur tour répondre de leur crime. Ces procès amenaient dans l'enceinte agrandie des conseils de guerre une affluence inaccoutumée et étaient aussitôt reproduits par la presse. Parfois certains témoignages, qui révélaient une cruauté raffinée ou des haines implacables, soulevaient dans l'auditoire des murmures d'indignation et de dégoût. Bientôt une cause plus grave encore par la grandeur du forfait et par le rang de la victime fournit un nouvel aliment h la curiosité publique. Le 15 janvier, les meurtriers du général Bréa comparurent devant le conseil de guerre. On aurait cru que les auteurs du crime, confondus dans une foule égarée ou hostile, demeureraient ignorés. Huis les coupables, dans leur orgueil, avaient publié leur œuvre, et leurs confidences avaient permis h la justice de les saisir. De nombreux témoignages reconstituèrent dans tous ses détails cette scène plus honteuse encore qu'atroce dont la commune de Gentilly avait été le théâtre. Les noms des principaux accusés, Daix, Lahr, Vappereau, Choppart, Nourrit, acquirent une célébrité sinistre. Cinq condamnations mort furent prononcées : deux furent mises exécution. Mais l'enseignement de ces terribles procès ne fut. pas perdu : et plusieurs, en voyant quels mon st ru eux excès les révolus ions enfantent, se prirent à regretter ces révolutions elles-mêmes. Ce n'était pas seulement dans le prétoire de la justice militaire que se déroulait par fragments successifs l'histoire véridique de l'année qui expirait. Vers le même temps, la cour d'assises du Calvados jugeait les fauteurs de l'insurrection qui avait, en avril 1848, ensanglanté Rouen. Sur un autre point du territoire, la cour d'assises de la Haute-Vienne jugeait les auteurs des troubles qui, à la même époque, avaient éclaté à Limoges. Ces débats mettaient en pleine lumière ce qu'on avait essayé jusque-là de démentir ou de voiler : les perpétuels conflits d'autorité, l'incapacité des commissaires, les clubs en révolte continuelle contre la loi, l'anarchie à peine contenue et toujours à la veille d'éclater. Soit franchise, soit naïveté, quelques-uns des agents du pouvoir, appelés en témoignage, n'hésitèrent pas à confesser eux-mêmes leurs déboires et détruisirent ainsi cette légende républicaine que Lamartine et ses amis avaient réussi d'abord à accréditer.

Sous ces impressions, un retour sensible vers les principes d'ordre se produisit, et l'on ne tarda pas à en avoir la preuve. L'anniversaire du 24 février ayant été célébré par des réjouissances officielles et ayant été marqué sur certains points par des incidents tumultueux, il ne manqua pas de voix pour rappeler que les fêtes ne consacrent que ce qui est sacré par soi-même, et qu'elles ne peuvent rendre heureux ce qui est triste, ou bon ce qui est mauvais. La République, disait le Journal des Débats, s'est échappée par surprise, il y a un an, des mains ignorantes et innocentes qui se vantent aujourd'hui de l'avoir fondée... L'anniversaire de Février peut être une fête de famille, mais ne sera jamais une fête nationale[1]. Chose digne de remarque ! ce langage qu'on n'eût point toléré quelques mois auparavant était accueilli non seulement sans colère, mais, avec faveur. Dans les théâtres, dans les lieux publics, la bourgeoisie ne laissait passer aucune occasion de marquer son hostilité contre les artisans de désordre. L'opinion enfin se montrait moins indulgente pour les écarts de la presse démagogique. C'est ainsi que Proudhon ayant été condamné par la cour d'assises de la Seine à trois ans de prison, cette condamnation, malgré son extrême sévérité, fut jugée plus opportune encore que rigoureuse.

Sur ces entrefaites, un grand procès politique vint compléter le dossier judiciaire de l'année 1848. La Constitution du 4 novembre avait établi, on s'en souvient, une haute Cour composée de cinq juges pris dans la Cour de cassation et de trente-six jurés tirés au sort parmi les conseillers généraux des départements. Ce tribunal était appelé à juger non seulement le président et ses ministres, mais encore toutes personnes que l'Assemblée renverrait devant lui du chef de complot contre la sûreté de l'État. Le 17 janvier, le ministère demanda que les auteurs et complices de l'attentat du 15 mai fussent renvoyés devant cette juridiction, et le renvoi fut prononcé. — Les accusés du 15 mai, au nombre de treize, comparurent donc le 7 mars devant la haute Cour qui s'était réunie à Bourges. C'étaient Barbès, Albert, Blanqui, Raspail, Sobrier, Flotte ; puis le général Courtais, coupable d'impéritie plutôt que de trahison ; enfin quelques comparses obscurs que la justice avait saisis comme au hasard dans la tourbe des factieux. Louis Blanc et Caussidière furent jugés par contumace, n'ayant pas voulu renoncer à la liberté de l'exil. Les poursuites politiques grandissent souvent ceux qu'elles frappent. Les auteurs de l'attentat du 15 mai n'eurent pas cette fortune. Tort leur manqua à la fois. Les débats s'ouvrirent dans une ville éloignée et paisible, gardée par une force imposante et où les passions politiques venaient expirer. A part Bethmont qui défendait le général Courtais, aucun avocat notable ne se présenta à la barre. On vit les principaux accusés protester contre la compétence de la Cour et déclarer qu'ils garderaient le silence, puis parler ou se taire tour à tour suivant les besoins de leur cause, attitude peu digne qui les compromettait sans les saliver. Quand on arriva aux dépositions, on n'observa pas sans surprise les réticences embarrassées de quelques-uns des témoins les plus illustres : Lamartine jugea que le 15 mai n'était, qu'un attentat d'occasion ; Ledru-Rollin ne fut pas moins indulgent : on eût dit qu'ils craignaient l'un et l'autre de rompre le faisceau déjà si lâche des forces républicaines. Un tel scrupule n'arrêta point les accusés : ils ne s'épargnèrent ni les reproches ni les invectives : Barbès rappela les prétendues dénonciations de Blanqui ; Flotte menaça Barbès ; l'excès des colères faisant taire toute retenue, l'intervention des gendarmes devint nécessaire pour prévenir les violences. — Après vingt-cinq jours de débats, le jury rendit son verdict. Six des accusés furent acquittés, entre autres le général Courtais. Barbès, Albert, Raspail, Sobrier, Blanqui, Quentin, Flotte furent condamnés, les deux premiers à la déportation, les autres à la peine de la détention[2]. Ils ne tombèrent pas seuls ; mais, dans leur misérable chute, ils entraînèrent avec eux leur parti. On mesura à leur véritable valeur les hommes qu'un caprice de la fortune avait un instant arrachés à l'obscurité : on s'étonna de les avoir supportés : on se reprocha surtout de les avoir applaudis ; et, par une extension injuste, on enveloppa dans une réprobation presque égale les personnages qui, comme Lamartine, hésitaient à les flétrir ou à les désavouer.

On s'entretenait encore du procès de Bourges, lorsqu'un document, non plus judiciaire, mais politique, acheva de jeter la lumière sur les désordres de l'administration républicaine. L'Assemblée, par décret du 24 octobre 1848, avait invité le ministre des finances à lui présenter un compte spécial des dépenses du gouvernement provisoire. Ce compte avait été soumis à l'examen d'une commission parlementaire qui choisit M. Ducos pour rapporteur. Or, il se trouva que le rapport de M. Ducos fut un nouveau démenti aux emphatiques témoignages que les hommes du 24 février s'étaient libéralement décernés. Ce n'était pas que leur probité ne sortit intacte de cette épreuve : nul au contraire n'hésitait à la proclamer. Ji ais partout se révélait l'oubli des règles les plus élémentaires : nul respect de la spécialité des crédits ; un emploi abusif des fonds secrets ; les ressources du trésor public mises à la disposition des agents les plus indignes ; les ateliers nationaux devenant l'origine d'un gaspillage inouï. L'action électorale des commissaires se révélait par les dépenses qu'ils avaient faites, soit. pour des impressions de bulletins ou d'affiches, soit pour des distributions de brochures ou pour des conférences démocratiques. Certaines pages du rapport auraient pu fournir les éléments d'une vraie comédie politique. On apprit que certains départements avaient eu le privilège de compter en même temps trois ou quatre commissaires qui touchaient tous une indemnité journalière de quarante francs. On connut par le menu la série des fonctionnaires de tout ordre qui s'étaient abattus sur les provinces : commissaires généraux, commissaires adjoints, délégués extraordinaires, délégués du Club des clubs, inspecteurs généraux de la République. L'un de ces inspecteurs, du nom de Fanjat, devint tout à coup fameux par ses prodigalités : l'une de ses missions, qui avait duré cinquante-trois jours, avait coûté plus de douze mille francs : il ne devint pas moins célèbre par ses disgrâces ; car on sut en même temps que, tandis qu'il semait de ville en ville l'évangile démocratique, un huissier n'avait cessé de le suivre, déposant des actes de saisie-arrêt ou des oppositions au nom de ses créanciers. Le plus magnifique de ces étranges personnages était sans contredit le sieur Gouache, commissaire du Loiret, qui, lorsqu'il se rendait à Paris, requérait à cet effet un train spécial[3]. Toutes ces anecdotes, accompagnées de mille commentaires, firent le tour de la presse : la malignité publique les accueillit : les partis s'en emparèrent, et le prestige des hommes de Février, déjà si rudement atteint, ne résista guère à cette épreuve du ridicule.

L'esprit de réaction, favorisé par tant de révélations successives, trouvait d'ailleurs dans le pouvoir lui-même d'énergiques encouragements. Trois hommes surtout s'appliquaient alors à constituer le parti de tordre et à lui inspirer une attitude militante ; c'étaient le maréchal Bugeaud, M. Léon Faucher et enfin le général Changarnier.

Épris avant tout de régularité et de discipline, le maréchal Bugeaud n'avait pas vu sans une extrême émotion le spectacle des désordres civils. Dans le département de la Dordogne où il était né et où il se plaisait aux travaux de l'agriculture, son influence avait été méconnue, sa personne menacée, et une telle ingratitude de son pays natal avait encore accentué ces dispositions de son âme. Son esprit, si impressionnable quoique très ferme, était vivement frappé de l'image des prochains périls. Quand il fut appelé, à la fin de 1848, au commandement de l'armée des Alpes, il considéra que ses troupes, échelonnées dans les départements de l'Est et du Sud-Est, étaient destinées à la répression des troubles du dedans plus encore qu'à la guerre coutre l'étranger. Tous ses efforts tendirent donc à affermir, dans les populations comme parmi ses soldats, l'esprit de résistance à l'anarchie. En se rendant à Lyon où était établi son quartier général, il s'arrêta à Bourges, et réunissant les autorités à la préfecture, il leur recommanda avec une extrême insistance l'union et la fermeté. Pour moi, leur dit-il, je suis bien résolu à consacrer tout ce qui me reste de vie et de force à la défense de l'ordre. Une fois à Lyon, il ne perdit pas une occasion de multiplier les conseils. Dans une entrevue avec les délégués du commerce et de l'industrie, il les exhortait à abjurer les haines de classe à classe et à se grouper pour le salut commun. Recevant les magistrats, il s'élevait, non sans quelque intempérance de langage, contre la faiblesse du jury dans les procès politiques. S'adressant aux officiers de ses régiments, il ne se lassait pas de répéter que l'armée était la sauvegarde de la société. Voyez l'Autriche, ajoutait-il ; si elle n'a pas sombré au milieu des périls, c'est à son armée qu'elle le doit. Lui-même était bien de l'école de ces rudes et vaillants hommes de guerre qui, à l'exemple de Radetzky et, de Windischgratz, venaient de relever sur le Mincio et dans les États héréditaires la fortune de l'empire. Bientôt le maréchal, quittant Lyon, se rendit, sons prétexte de tournée militaire, dans le département de la Loire, l'un des plus infestés par les passions anarchiques. Là, on le vit passant en revue les troupes, parcourant les rangs de la garde nationale, s'entretenant familièrement avec les vieux soldats qu'il avait connus en Espagne et en Afrique, polissant volontiers -son cheval jusqu'au milieu des groupes hostiles pour essayer de les ramener, désarmant les uns par sa bonhomie, déconcertant les autres par sa fermeté, rendant surtout courage aux timides, véritable missionnaire de la cause de l'ordre, missionnaire infatigable et parfois même compromettant, tant étaient Grands les écarts de sa rude franchise !

M. Léon Faucher n'était pas un champion moins déterminé du parti de la résistance. Appelé, comme on l'a vu, au ministère de l'intérieur par suite de la démission de M. de Malleville, il avait aussitôt consacré tous ses soins à rétablir dans l'administration le sentiment de la discipline et de la hiérarchie. Seulement, tandis que le maréchal Bugeaud, jusque dans ses plus grandes ardeurs, tempérait par une sorte de bonhomie militaire les excès même de son zèle, M. Léon Faucher ignorait l'art d'adoucir par la courtoisie des procédés les rigueurs nécessaires. Insensible aux considérations personnelles, dur aux autres comme à lui-même, incommode à ses ennemis et souvent à ses amis, il devait recueillir dans l'exercice de sa charge des inimitiés qui ne lui pardonnèrent pas. Il est juste d'ajouter que cette âpreté de commandement, peu tolérable en un temps normal, avait alors le double avantage d'affermir dans le devoir les fonctionnaires fidèles et de pousser à la résistance contre l'anarchie les populations qui se sentaient soutenues. Destituer les préfets complaisants pour le désordre ou seulement timides, révoquer les maires suspects, dissoudre les gardes nationales factieuses, briser les conseils municipaux hostiles, abattre partout les emblèmes séditieux, telle fut l'œuvre à laquelle se dévoua M. Léon Faucher et dont il revendiqua hautement la responsabilité. Dans ses instructions à ses agents, le ministre de l'intérieur leur recommandait surtout d'agir sans détour et d'attaquer de front les passions démagogiques :ce qu'il excusait le moins, c'étaient les transactions avec le désordre[4] : en cela se révélait son courage dédaigneux et provocateur, courage qui avait bien son prix, car peu à peu il le communiquait autour de lui.

Le général Changarnier était enfin, avec Bugeaud et Léon Faucher, le plus redoutable des adversaires de l'anarchie. En dépit de la loi de 1831, le double commandement des gardes nationales de la Seine et des troupes de la première division militaire lui avait été confié, et ce commandement mettait à sa disposition une force immense. C'était lui qui, à Paris, répondait de la paix publique : et il remplissait ce rôle avec cette assurance un peu présomptueuse qui était le fond de sa nature. Sa résolution rendait confiance aux honnêtes gens et rassurait les intérêts. Tel était son crédit que ses adversaires n'hésitaient pas à le dénoncer comme l'instrument d'un prochain coup d'État, et ses allures presque arrogantes vis-à-vis de l'Assemblée n'étaient pas faites pour démentir cette croyance.

C'est ainsi que le pays, éclairé sur le régime de Février par d'accablantes révélations, se sentant, d'ailleurs, soutenu par un pouvoir énergique, revenait, à l'approche des élections, vers les idées de conservation sociale ; ce courant était désormais assez fort pour qu'il fût impossible de le méconnaître ou de l'ignorer.

Tandis que se formait ce grand parti de l'ordre et du bon sens, un parti tout opposé grandissait, moins nombreux sans doute, compact cependant et résolu, c'était le parti socialiste.

Le parti socialiste n'était pas nouveau. On l'avait vu, après la révolution de Février, grouper ses diverses fractions autour de Louis Blanc, de Raspail, de Cabet, de Pierre Leroux. Il était en ce temps-là plus dangereux en apparence qu'en réalité, d'abord parce qu'il reposait sur des doctrines peu accessibles aux masses ; en second lieu, parce qu'il se divisait en un nombre infini de sectes rivales. Vers la fin de 1848, ce parti, par une habile transformation, élargit ses cadres et, en changeant de tactique, se créa une armée. On renonça à exposer des théories incompréhensibles ou contradictoires. On entreprit de spéculer, non plus sur les intelligences, mais sur les instincts. Aux livres succédèrent les brochures, les petites feuilles, les almanachs surtout, que les colporteurs répandirent en nombre infini. Au lieu de s'adresser exclusivement aux ouvriers, devenus sceptiques en matière de promesses, on se retourna vers les campagnards, moins endurcis contre les sophismes. On les séduisit, non par des prédications vagues, mais par l'appât grossier de l'intérêt : on excita surtout chez eux l'avidité, cette passion maîtresse du paysan français : on leur promit le remboursement du milliard des émigrés, la restitution des 45 centimes ; dans les pays de grands domaines, on leur montra les terres de la noblesse comme une proie à partager ; on ameuta le prolétaire contre le petit propriétaire et le petit propriétaire contre le grand. De plus, comme on savait que le désordre ne peut triompher s'il ne trouve des complices dans la force publique, on se glissa dans les casernes et l'on y répandit à profusion les journaux et les brochures qui excitaient à l'indiscipline.

Les agents de ce socialisme nouveau, c'étaient, dans les villes du Centre et du Midi, les membres des cercles démocratiques ; c'étaient, dans les régiments, les sous-officiers, placés à une sorte de rang intermédiaire, assez ambitieux pour jalouser leurs chefs, assez intelligents pour entraîner leurs subordonnés ; c'étaient, dans les plus petites bourgades, les négociants besogneux, les employés secondaires , les officiers ministériels ne tirant de leurs maigres charges que des revenus insuffisants ; c'étaient, dans les campagnes, les instituteurs, les contremaîtres, les agents voyers ; c'étaient, en un mot, tous ceux que leurs occupations journalières mêlent aux niasses et qui, se croyant supérieurs à la destinée commune, deviennent par la force même des choses des artisans de nouveautés.

Les effets de cette propagande ne tardèrent pas à se révéler. Ils furent surtout surprenants dans les provinces les plus éloignées. L'anniversaire du 24 février avant été accueilli à Paris par le dédain des conservateurs et avant été célébré par beaucoup de républicains eux-mêmes avec un découragement mal déguisé, on fut stupéfait d'apprendre que, dans certains départements, cette date était devenue le prétexte de manifestations tumultueuses. A Toulouse, à Clamecy, à Narbonne, sur d'autres points encore, quelques troubles avaient éclaté. Ici, on avait crié : Vive la guillotine ! A bas les riches ! Là, on avait glorifié les insurgés de Juin. Ailleurs, on avait inimité, par d'ignobles mascarades, la personne du président de la République. Quelques jours auparavant, l'enlèvement des bonnets rouges et autres emblèmes séditieux avait donné lieu, à Cette, à des désordres assez graves. Vers le même temps, on signalait des essais de mutinerie dans quelques régiments, des attaques multipliées contre les sergents de ville, des tentatives contre les soldats isolés qui étaient tantôt assaillis dans les rues, tantôt circonvenus dans les cabarets.

A l'Assemblée, les socialistes trouvaient leurs chefs naturels dans les députés de la Montagne qui, à leur tour, saluaient en eux leurs futurs électeurs. Ils rencontraient, en outre, des complices dans quelques-uns des hommes de Février qui se ralliaient à eux par ambition à la veille du scrutin. Tel était surtout Ledru-Rollin. Étranger jusque-là à la République sociale, Ledru-Rollin avait, depuis quelque temps, préparé son évolution. Dès le mois de septembre 1848, il avait, au banquet du Chalet, proclamé la solidarité de tous les républicains ; depuis, il s'était avancé davantage encore dans cette voie ; il ne visait à rien moins qu'à devenir le chef suprême de la démagogie, et la démagogie elle-même l'acceptait, sinon avec une entière confiance, au moins faute de personnalité plus marquante. En dehors de ces soutiens, la faction socialiste trouvait enfin des auxiliaires ou du moins des complaisants dans un certain nombre de députés modérés à qui l'antipathie contre le président, la crainte d'un coup d'État, le dépit de disparaître bientôt faisaient perdre tout sang-froid et toute équité. — C'est cette coalition de radicaux incorrigibles et de mécontents aigris qui imaginait chaque jour de nouvelles interpellations, soit par hostilité contre le ministère, soit dans l'espoir de capter la faveur publique. Tantôt elle dénonçait, avec de grands élans d'indignation, les allocutions du maréchal Bugeaud ; tantôt, à propos d'un banquet dit Banquet des Écoles, elle protestait contre l'intervention d'un commissaire de police qui, en se fondant sur la loi de 1790, avait affirmé son droit de pénétrer dans la salle du festin. A peu de temps de là, un débat très acerbe s'élevait au sujet des frais de représentation du président, et telle fut l'ardeur de l'attaque, que l'allocation proposée, qui était de cinquante mille francs par mois, ne fut votée qu'à une majorité de 77 suffrages. Le vote du budget, survenant sur ses entrefaites, permit surtout aux députés de la Montagne et à leurs alliés d'étaler leur zèle pour les intérêts populaires. M. Mathieu de la Drôme, entendu dans la discussion générale, demanda au nom de ses amis l'abolition complète de l'impôt du sel qui était encore de 10 centimes par kilogramme, la suppression de l'impôt sur les boissons, le remboursement, au moyen d'un emprunt, de la contribution des 45 centimes. Ces réclamations ne demeurèrent pas tout à fait vaines ; car, un peu plus tard, l'Assemblée décida, à une majorité de 34 voix, que l'impôt sur les boissons serait aboli, à partir du 1er janvier 1850, et priva ainsi le Trésor d'un revenu de plus de cent millions. L'extrême gauche trouva bientôt une autre occasion d'affirmer avec éclat ses répugnances. A propos du budget du ministère de l'intérieur, Ledru-Rollin vint demander la suppression du crédit affecté an commandant des gardes nationales de la Seine. Ce commandant était, comme on sait, le général Changarnier. Changarnier, par son attitude, avait éveillé les ombrages de l'Assemblée : on savait que son double commandement était contraire à la loi. Les modérés s'unirent en grand nombre aux Montagnards, et, le crédit fut rejeté par 301 voix contre 304. Le général s'émut peu de cette malveillance : Qu'importe ! dit-il gaiement ; je les battrai gratis.

 

III

Telle était la situation au moment où s'ouvrit la période électorale. Deux partis bien tranchés et nettement opposés se disputaient le pays : sur eux seuls se concentra tout l'intérêt de la lutte. Ce n'était pas que d'autres fractions politiques ne fissent effort pour se produire. Les vieux républicains de l'école libérale répugnaient à se laisser écraser entre les monarchistes et les radicaux. D'un autre côté, le président de la République ne se résignait pas volontiers à subir une Assemblée mi l'élément réactionnaire serait surtout représenté par des parlementaires ou des royalistes : cela est si vrai que des comités napoléoniens, plus ou moins avoués, se créaient dans le but de pousser les amis personnels du prince : des circulaires, signées par un personnage fort inconnu, M. Aristide Ferrère, et expédiées dans les départements, formulaient même déjà un programme politique qui reposait sur le suffrage universel et l'établissement d'un Empire électif et décennal[5]. Mais les anciens républicains libéraux étaient démodés, les bonapartistes trop nouveaux. Il n'y avait vraiment de place que pour les conservateurs et les socialistes : et toutes les nuances intermédiaires furent contraintes ou de s'effacer, ou de se fondre dans l'un ou l'autre des deux partis.

Les députés du parti de l'ordre avaient pris l'habitude de se grouper dans la réunion parlementaire de la rue de Poitiers. Un comité créé par eux entreprit de centraliser pour toute la France l'action conservatrice. Les noms d'origine diverse qui composaient ce comité disaient assez la pensée conciliante qui avait présidé à sa formation. Tous les chefs parlementaires. M. Molé, M. Thiers, M. Berryer, M. de Broglie, M. de Montalembert, y figuraient : on y voyait d'anciens membres de l'opposition dynastique, tels que M. Duvergier de Hauranne et M. de Malleville ; des légitimistes avoués, tels que M. de Riancey, M. de la Rochette, M. de Kerdrel ; des personnages à opinion alors un peu indécise, tels que M. de Morny et M. Rouher ; enfin, des amis personnels du prince, tels que M. de Persigny et le général Piat. En outre, un manifeste publié le 16 mars prit soin de marquer à quelle inspiration de large tolérance on obéirait. En présence des graves événements auxquels la France a été exposée dans ces derniers temps, disait ce manifeste, des hommes de toute opinion se sont réunis pour défendre en commun la société menacée. Quoique rangés autrefois dans des partis différents, ils ont oublié leurs anciennes divisions pour s'unir contre l'anarchie, et, s'ils n'ont pas toujours réussi à faire le bien, ils ont du moins contribué souvent à empêcher le mal... Le danger qui nous menace aujourd'hui n'est pas moins grand. En présence de ce danger, il importe de nous unir sans distinction de parti pour la défense de l'ordre social. Le comité déclinait, d'ailleurs, toute prétention à dicter ou même à suggérer des choix aux départements, justement jaloux de leur indépendance. Son rôle se bornait à créer un centre commun où l'on pût trouver des informations, des conseils, des encouragements et surtout, en cas de désunion, une intervention amicale, propre à ramener l'harmonie.

Ce programme fut fidèlement suivi. Le comité de la rue de Poitiers s'employa avec un zèle extrême à désarmer les amours-propres et surtout à apaiser les divergences qui étaient parfois fort vives. Dans sa correspondance avec les départements, il insistait pour qu'on ne demandât aux candidats d'autre engagement que celui de défendre l'ordre social. Il convenait du reste, disait-il, de porter sur la même liste des légitimistes, des orléanistes, des bonapartistes ; parmi ces derniers, on ne faisait exception que pour les napoléoniens de gauche, dont le prince Napoléon, fils de Jérôme, semblait dès lors le chef et avec lesquels aucune alliance ne paraissait possible[6]. La crainte d'effrayer les électeurs portait aussi à écarter les plus compromis des serviteurs de Louis-Philippe, et en particulier les derniers ministres de la monarchie de Juillet. Les candidatures de M. de Salvandy et de M. Hébert, d'abord mises en avant, furent retirées. Dans cet ordre d'idées, un nom surtout éveillait une extrême perplexité, c'était celui de M. Guizot. L'exclure était difficile ; l'accepter pouvait être dangereux. L'illustre homme d'État vivait en Angleterre depuis la révolution de Février : toujours fidèle à ses habitudes laborieuses, il venait de publier, sous le titre de la Démocratie en France, un livre où il avait démasqué, avec une éloquence pleine d'autorité, les théories nouvelles : il se disposait à revenir dans son pays. Le porterait-on dans le Calvados, où il avait, depuis 1830, fixé son domicile électoral ? On n'ignorait pas qu'au ministère de l'intérieur M. Léon Faucher désapprouvait ce choix comme inopportun[7]. Quant à M. Guizot, il avait très noblement déclaré qu'il demeurait à la disposition de ses compatriotes, également prêt à vivre dans la retraite ou à rentrer dans la vie publique. Dans la réunion de la rue de Poitiers, beaucoup se refusaient à proscrire un tel personnage ; d'autres, impressionnés par de récents souvenirs, objectaient que jamais, après 1830, on n'aurait songé à faire entrer dans le Parlement les derniers ministres de Charles X. On se tira d'embarras en laissant aux comités locaux le soin de décider. En fin de compte, la candidature de M. Guizot fut écartée.

Toute propagande électorale est coûteuse : pour faire face aux dépenses nécessaires, le comité de la rue de Poitiers imagina d'ouvrir une souscription qui, le 20 avril, s'élevait à plus de 200.000 francs. Il importait, de plus, d'avoir des correspondants, des agents actifs et sûrs. M. de Montalembert mit à la disposition de ses alliés les cadres des anciens comités de défense religieuse, et nul ne s'effraya de tels auxiliaires, tant la peur avait dissipé les préjugés, même chez les plus endurcis ! Enfin, pour combattre les doctrines socialistes, on estima que la presse était l'arme la plus efficace : dans cette pensée, on fit un chaleureux appel aux publicistes et on les invita à condenser dans des traités courts et clairs les vrais principes outragés ou méconnus. Cet appel fut entendu, et une foule de brochures se succédèrent en quelques jours. Les hommes les plus autorisés, M. Adolphe Baudon, M. Veuillot, M. Wallon, le maréchal Bugeaud lui-même, prirent part à cette croisade de la vérité contre le sophisme. Ces brochures, qui toutes avaient un but commun, la défense de la propriété, de l'ordre et de la famille, furent répandues à profusion dans les campagnes et dans les ateliers ; on en distribua cinq cent cinquante mille exemplaires : et cette action, sans être aussi efficace qu'on aurait pu l'espérer, ne demeura point tout à fait sans fruit.

En face du parti conservateur, le parti socialiste employait les mêmes moyens au service d'une cause contraire. Lui aussi, il avait ses comités ; lui aussi, il distribuait en abondance ses brochures ou ses journaux dans les casernes, dans les usines, dans les chaumières ; lui aussi, il prenait des peines infinies pour combiner ses listes. Il s'attachait surtout à mêler à des noms relativement modérés d'autres noms choisis avec art pour capter la faveur populaire : ces candidats nouveaux étaient tantôt des ouvriers, tantôt des sous-officiers, plus souvent aussi des instituteurs ; et ceux-ci méritaient bien cette préférence, car ils étaient alors les agents les plus actifs de la politique radicale. A cette propagande ardente, mais licite, s'ajoutaient des manœuvres moins loyales. Un jour on annonçait que le président de la République et ses ministres avaient été mis en accusation ; un autre jour on affirmait que, sous les murs de Ruine, une partie des troupes françaises avait passé à l'ennemi ; ailleurs on répandait le bruit que le général Changarnier avait été fusillé. Dans les Pyrénées-Orientales, dans les Hautes-Pyrénées, dans le Haut-Rhin, les préfets signalaient, non sans inquiétude, ces rumeurs répandues avec persistance au sein des populations ignorantes[8].

Entre les deux factions rivales, le gouvernement se dissimulait ou affectait la neutralité. Le 26 avril, M. Léon Faucher adressait une circulaire aux préfets pour les éclairer sur la conduite à tenir. — Le gouvernement, leur disait-il, est non indifférent, mais impartial. Vous serez sûrement consultés, ajoutait-il ; le seul conseil qu'il convienne de donner, c'est d'exhorter tous les partis modérés à s'unir en une liste commune. Mais vous ne devez, d'ailleurs, exercer aucune action directe ou indirecte. — Fidèle à ces principes, le ministre de l'intérieur n'hésitait pas à désavouer ceux de ses subordonnés qui convoquaient les maires pour leur donner des instructions, qui s'employaient à propager des listes, qui expédiaient, par la filière de leurs bureaux, les circulaires émanées de la rue de Poitiers[9]. La probité de M. Léon Faucher aurait suffi à expliquer cette réserve. Mais elle trouvait encore son explication dans un autre motif. Le président de la République, ne pouvant assurer à ses amis personnels la place prépondérante qu'il aurait souhaitée, se souciait peu de se compromettre au profit des parlementaires ou des monarchistes ; et, tout en se préparant à profiter de leur succès, il prenait Grand soin de ne pas solidariser tout à fait sa cause avec la leur.

 

IV

On atteignit ainsi l'époque des élections. On eôt cherché en vain ces espérances enthousiastes, cette confiance un peu naïve qui s'étaient manifestées un an auparavant, quand l'Assemblée constituante avait été nommée. C'est que, depuis un an, l'esprit public avait parcouru tout le cercle des illusions. Ces déceptions avaient produit dans les âmes deux résultats contraires, les uns se rejetant en arrière, les autres s'exaspérant dans la poursuite de leurs convoitises. Tout conspirait, d'ailleurs, pour assombrir ces jours de lutte : les nouvelles venues du dehors ; — une épidémie s'abattant sur la capitale ; — enfin, les divisions et les scandales croissant dans l'Assemblée.

Les dépêches apportées à Toulon venaient d'annoncer l'échec d'Oudinot. L'événement avait été publié avec de grands élans d'indignation par les Montagnards. Il avait été ressenti vivement par tous les cœurs patriotes. Les esprits les plus avisés eux-mêmes n'avaient pas appris sans anxiété cet insuccès de nos armes : ils se demandaient quelles surprises nous réservait encore cette malheureuse question italienne : ils se demandaient surtout si notre politique pourrait échapper a toutes ces complications successives sans que de l'une d'elles surgit la guerre générale.

Vers le même temps, le choléra, cet hôte terrible, qui, en 1832, avait exercé de si épouvantables ravages, reparaissait à Paris. L'année précédente, il avait déjà visité plusieurs pays de l'Europe, et, depuis le mois d'octobre, sévissait dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Au commencement de mars, les premiers cas furent signalés dans notre capitale. Le fléau, d'abord, ne parut pas bien redoutable ; il porta ses premiers coups sur l'hospice de la Salpêtrière ; comme cet hospice était peuplé de vieillards infirmes ou incurables, chacun, se sentant plein de force, se rassura pour soi-même. Vers le milieu d'avril, l'épidémie gagna les hôpitaux militaires, puis se répandit en ville. Peu après, une légère amélioration ayant été constatée, les journaux s'empressèrent de la proclamer. Bientôt le niai s'étendit et se mit à frapper, quoique inégalement, dans tous les quartiers de la cité, et parmi les hommes de tout rang et de tout âge. Le sentiment général ne fut pas, comme en 1832, celui de l'épouvante : on se flattait de connaître la maladie et l'on s'appliqua à la combattre ; mais si le sang-froid était plus grand, le deuil n'était guère moindre ; car le fléau allait toujours croissant. Durant la seconde quinzaine de niai, le nombre des décès s'éleva à deux cents par jour, et tout faisait prévoir que l'épidémie n'avait pas atteint sa plus grande intensité.

Les divisions de l'Assemblée ajoutaient à toutes les tristesses. Souvent, au début des séances, on apprenait la mort de quelqu'un des représentants, emporté par l'épidémie régnante ; car la maladie trouvait une proie facile dans ces hommes enfiévrés par la lutte ou dévorés par l'ambition. Au moment où le président annonçait la lugubre nouvelle en y ajoutant l'éloge accoutumé, un mouvement de sympathie douloureuse se produisait et peut-être aussi d'inquiétude, ne f(it-ce que par un retour de chacun sur sa propre destinée. Mais bientôt la passion, dominant tout le reste, imposait silence à la crainte et faisait oublier les morts. C'est que l'Assemblée était d'autant moins maîtresse d'elle-même qu'elle approchait davantage du terme. Tout devenait matière à des débats irritants. C'était Ledru-Rollin qui, s'étant rendu à Moulins pour y provoquer une manifestation radicale et y ayant rencontré une démonstration contraire, dénonçait les violences exercées sur sa personne : c'étaient des représentants qui, ayant été arrêtés sur les boulevards au milieu des rassemblements, revendiquaient avec amertume le privilège de leur inviolabilité : c'étaient des réclamations à propos de prétendues entraves apportées aux réunions électorales. La question romaine enfin fournissait aux interpellations une mine inépuisable. Ajoutez à cela les voies de fait entre députés, les duels, les injures devenues chose commune, et l'on aura une idée de la turbulence de cette Assemblée et du discrédit où elle était tombée. — Comme si l'esprit de violence eût été contagieux, le gouvernement lui-même ne résistait pas toujours à la tentation des représailles. Un incident révéla surtout l'ardeur des mutuels dissentiments. C'était deux jours avant les élections. L'Assemblée venait de repousser une demande de mise en accusation introduite contre le président et ses ministres à propos des affaires d'Italie. M. Léon Faucher ne se contenta pas d'envoyer une dépêche aux préfets pour leur faire connaître la victoire ministérielle ; à cette dépêche il ajouta le commentaire suivant : Les agitateurs n'attendaient qu'un vote hostile pour courir aux barricades et renouveler les affaires de Juin. Il fit plus, et, oubliant la stricte réserve qu'il avait observée jusque-là, il désigna nominativement à chaque préfet ceux des députés de son département qui avaient voté pour ou contre l'ordre du jour ou qui s'étaient abstenus. Cette fois, la droite elle-même trouva que c'était trop ; et M. Faucher, atteint par un blâme presque unanime, désavoué au surplus par ses collègues eux-mêmes, donna sa démission le 14 mai.

 

V

La veille de la retraite du ministre, les élections avaient eu lieu. Il fut bientôt permis de démêler les conséquences politiques du vote.

Un premier fait apparut, clair, indéniable, c'était l'écrasement des hommes de Février. Lamartine, qui avait été, l'année précédente, élu par dix départements et qui avait recueilli à Paris 259.000 suffrages, était exclu de l'Assemblée législative. Il en était de même de Marrast, Marie, Garnier-Pagès, Flocon, Dupont de l'Eure. Si l'on ajoute que Louis Blanc était en exil et Albert en prison, on voit que, sur les onze membres du gouvernement provisoire, trois seulement, Arago, Crémieux, Ledru-Rollin, surnageaient dans le commun naufrage. Bastide, Carnot, Goudchaux, Buchez, Trélat, Martin de Strasbourg, Jules Favre, Sénard étaient, eux aussi, parmi les vaincus du scrutin. Tous ces personnages, qui se flattaient naguère d'une si robuste popularité, n'avaient obtenu qu'un nombre de voix insignifiant : ils venaient, parmi les non élus, à un rang infime, après les plus compromis des conservateurs, après les plus obscurs des socialistes. Le parti de la République modérée essuyait dans la personne de Lamartine et de ses amis la plus mortelle des défaites : il ne devait guère compter dans la nouvelle Chambre plus de 70 ou 75 représentants.

Un second enseignement ressortait du scrutin : La République, considérée comme symbole purement politique, ne rencontrait que l'indifférence : en revanche, la République socialiste et radicale triomphait, sinon par le nombre de ses élus, au moins par l'éclat de quelques-unes de ses victoires. Ledru-Rollin était élu le second dans le département de la Seine avec 129.000 voix et était honoré de quatre autres élections : Félix Pyat était élu trois fois : M. Théodore Bac, le sous-officier Commissaire, M. Michel de Bourges, M. Mathieu de la Drôme étaient élus deux fois. Le socialisme, battu dans le Nord, dans l'Ouest, dans le Sud-Ouest, avait conquis plusieurs départements dans le Centre : c'étaient la Corrèze, l'Allier, le Cher, la Nièvre, la Creuse, la Dordogne, la Haute-Vienne. En Alsace, il avait fait passer presque tous ses candidats. Enfin il était presque maitre de la vallée de la Saône et du Rhône : à part les départements du Vaucluse, du Gard, des Hautes-Alpes, de l'Hérault, des Bouches-du-Rhône, toute cette région lui appartenait. C'est dans ces provinces du Centre et du Sud-Est que nous verrons se produire les mouvements qui éclateront plus tard.

Cependant les sièges acquis ou conservés par les socialistes ne dépassaient pas cent quatre-vingts : les républicains modérés avaient fait passer environ soixante-dix de leurs candidats. L'Assemblée se composant de plus de sept cents membres, il résultait de ce calcul que les conservateurs comptaient près de cinq cents représentants et disposaient par suite d'une importante majorité. Ce succès éclatant des hommes d'ordre était, à tout prendre, le caractère dominant des élections. Parmi ces cinq cents députés conservateurs, près de deux cents appartenaient au parti légitimiste. Le reste se composait d'anciens amis de la monarchie de Juillet, tels que MM. de Broglie, Vitet, Lacave-Laplagne, du petit groupe de catholiques rassemblés autour de M. de Montalembert, enfin d'un grand nombre d'hommes sans antécédents politiques, à la nuance un peu indécise, cherchant encore leur voie. MM. de Persigny, Lucien Murat, Ney de la Moskowa et quelques autres formaient le noyau bonapartiste du Parlement : autour d'eux devaient peu à peu se rallier les hommes nouveaux, les hésitants, les ambitieux ; et tous ensemble étaient appelés à composer le parti qu'on appela plus tard le parti de l'Élysée.

Telle apparaissait, d'une façon générale, la composition future de la nouvelle Assemblée.

A la suite des élections, tout le monde d'ordinaire affecte d'être satisfait, les vainqueurs dans le dessein de grossir leur triomphe, les vaincus dans l'espoir de pallier leur défaite. Le scrutin du 13 mai amena une première impression toute contraire et eut pour premier résultat de ne satisfaire personne.

Les conservateurs, enhardis par l'élection du 10 décembre, se flattaient d'une victoire plus décisive encore. L'éclatant succès de Ledru-Rollin à Paris, celui de la liste ultra-démocratique A Lyon, provoquèrent un véritable mouvement d'effroi : la Bourse refléta ces appréhensions : en deux jours, la rente 5 pour 100 baissa de près de cinq francs. La déconvenue des partis est grande, écrivait Berryer à ses amis de province... Nous allons nous trouver face à face avec le socialisme et le communisme. Que Dieu soit avec nous[10]. Quelques jours s'écoulèrent avant que le résultat complet fût connu : alors seulement, on comprit que les hommes d'ordre avaient lieu de se féliciter, non de se plaindre.

A l'Élysée, la première impression fut aussi la mauvaise humeur presque autant que la joie. Dans cette Chambre nouvelle, il y avait trop de légitimistes, trop de parlementaires, trop d'orléanistes. A la vérité, M. de Persigny avait eu le privilège d'une double élection, et M. Lucien Murat, par un assez singulier caprice de la fortune, avait été élu le premier à Paris. Nonobstant ces avantages, les amis étaient trop clairsemés, et le président, qui, avec l'Assemblée constituante, redoutait de verser dans la République, se prit aussitôt à craindre de verser dans la monarchie.

Si, dans le parti de l'ordre et à l'Élysée, on tre rivait matière à regret, quel ne devait pas être l'abattement des hommes de Février, proscrits en masse par le suffrage universel ! Les socialistes eux-mêmes, un instant étourdis par quelques bruyantes victoires, ne tardèrent pas à comprendre l'inanité de leurs succès partiels. La vérité, c'est que la majorité était désormais fi droite. Les divisions probables de cette majorité étaient pour la République la seule chance de salut.

L'Assemblée constituante, sur le point d'expirer, recueillit ces inquiétudes des amis de la République et les exhala avec amertume. La crainte d'une réaction violente indignait les Montagnards : l'humiliation de la défaite exaspérait les hommes de Février. Sous l'empire de ce sentiment, les uns et les autres, s'unissant dans une coalition suprême, remplirent de bruit et de scandales les derniers jours de leur vie politique. On vit cette malheureuse Assemblée se cramponner au pouvoir, mettre une sorte d'acharnement puéril à jouir des restes de son autorité, s'irriter de la moindre allusion à sa fin prochaine, se compromettre par des excès de langage inouïs. Avec une ardeur qui ressemblait à un caprice de malade, elle décida qu'elle siégerait jusqu'à l'installation de l'Assemblée nouvelle : elle refusa même aux questeurs les trois jours de répit nécessaires pour les travaux d'appropriation du palais. Les bruits de coup d'État surtout la hantaient, et elle les accueillait avec toute la crédulité de la passion : en quoi elle s'abusait sur sa propre importance ; car on n'immole pas ceux qui vont périr.

Les quatre dernières séances, du 23 au 26 mai. ne furent que l'agonie convulsive d'un grand corps non résigné à mourir. Le journal de M. Considérant, la Démocratie pacifique, avait signalé les prétendus complots de l'Élysée contre le pouvoir législatif ; M. Crémieux, le 23 mai, porta ces accusations à la tribune. Concentration de troupes à Paris, formation d'un ministère Bugeaud, Falloux, Faucher, conciliabules dans l'entourage du prince, rien ne manquait à la dénonciation. M. Considérant ayant affirmé l'exactitude des nouvelles publiées dans son journal : Vous en avez menti ! lui crie M. Pierre Bonaparte. Certains républicains eux-mêmes s'attristaient de ces débats sans dignité. Peut-on entretenir l'Assemblée de tels bavardages ? s'écriait M. Marrast. Cependant Ledru-Rollin prit la parole. Plus habile que ses collègues de la Montagne, il s'attacha à dénoncer le général Changarnier et à solliciter une enquête sur sa conduite ; par là, il était sûr de conquérir l'attention de l'auditoire ; car les procédés du général avaient souvent blessé le Parlement. La discussion se poursuivit le lendemain. Il était difficile d'attribuer au chef du cabinet, M. Odilon Barrot, scrupuleux observateur de la légalité, des projets de coup d'État. Ledru-Rollin le sentit ; aussi, s'adressant au président du conseil : Je ne vous fais pas l'injure de croire que vous voulez confisquer les libertés publiques. Vous nous dites : Nous veillons. Soit, mais vous n'y voyez pas. (Rires et rumeurs.)... Un homme, quel qu'il soit, ajoutait Ledru-Rollin avec un redoublement d'ironie, ne refait pas sa nature. Est-ce la première fois que vous avez été trompé ? Ç'a été votre rôle dans l'ancienne Chambre pendant dix-huit ans... Je ne dis pas que vous êtes un conspirateur ; je dis que vous êtes un aveugle. La Montagne affectait d'établir une distinction entre M. Barrot, dont on proclamait la probité, et quelques-uns de ses collègues qu'on affectait de ne pas nommer. M. de Falloux était, parmi tous les ministres, l'un de ceux que ce silence désignait le plus. Il se dirigea vers la tribune et, dans un discours hautain jusqu'à la provocation, rendit à ses adversaires blessure pour blessure. Il marqua avec une précision cruelle le sens des élections récentes : La France, dit-il, a fait connaître ce qu'elle voulait. La France ne veut plus des trembleurs, mais elle ne veut pas de ceux qui font trembler... La France ne veut plus des hommes qui l'ont a étonnée par leur inexpérience et leur incapacité... La France ne veut ni des hommes qui ne sont capables de rien, ni des hommes qui sont capables de tout... Sous cette flétrissure brûlante, la gauche bondit. A droite, les applaudissements éclatèrent, et ils se prolongèrent longtemps jusque dans les couloirs où se tenaient les nouveaux représentants, avides de prendre la place de leurs devanciers.

Les deux dernières séances reproduisirent, en y ajoutant encore, les désordres des précédentes. Plus d'ordre du jour, plus de cadre déterminé pour la discussion ; rien qu'un puéril échange de récriminations et d'injures. On reproche à M. de Falloux ses discours, ses livres, ses brochures ; d'autres rappellent à un représentant de la gauche, M. Joly, ses opinions royalistes en 1630 : les partis se rejettent l'un sur l'autre la responsabilité des ateliers nationaux et celle de l'insurrection de Juin. Chacun semble n'avoir d'antre souci que de régler le compte définitif de ses rancunes et de ses colères. Dans les tribunes, on entendait les exclamations dédaigneuses des représentants nouvellement nommés. Vous étés bien pressés ! s'écrient les députés de la Montagne en se tournant vers eux. — Terminons, dit M. Victor Lefranc : nous ne pouvons finir comme cela ; nous allons mourir sous le ridicule.

Cette malheureuse Assemblée ne reprit un peu de calme qu'à la fin de la séance du 26 mai, quand son président, M. Marrast, se levant du milieu de ses collègues, prononça, en quelques paroles d'une gravité mélancolique, l'oraison funèbre de ceux qui allaient disparaître. L'Assemblée nationale, dit-il, a eu cette singulière destinée d'exciter à ses a premiers et à ses derniers jours les défiances et les injustices des  partis extrêmes. Regrettée aujourd'hui peut-être par ceux qui l'attaquèrent à son début, elle est chaque jour attaquée par ceux qui l'appelaient alors avec le plus d'ardeur et d'espoir. C'est le sort de tous les pouvoirs modérateurs..... M. Marrast rappela alors, non sans dignité, l'œuvre de la Constituante, sa volonté de fonder la République, son zèle pour l'ordre et la liberté, les réformes qu'elle avait accomplies, les réformes plus nombreuses qu'elle avait tentées. Il flétrit, aux applaudissements de la droite, ces théories superbes qui renferment plus de déceptions qu'elles ne montrent de suffisance. En entendant ce langage, en voyant pour la dernière fois au fauteuil ce personnage dont les traits fatigués et les cheveux blanchis semblaient révéler les désillusions, en écoutant ce suprême témoignage que les hommes de Février se rendaient à eux-mêmes avant de rentrer dans la retraite, on se souvint des scènes enthousiastes de l'année précédente, et un tel délaissement succédant à une telle faveur impressionna toutes les âmes. L'émotion s'accrut quand M. Marrast, faisant allusion A la guerre civile de Juin, salua d'un dernier hommage les représentants tombés dans la lutte. Elle augmenta encore quand, avec une insistance qui répondait aux pressentiments d'un grand nombre, il ajouta : Je fais en votre nom les vœux les plus ardents pour que la loi suprême de la Constitution inspire à tous les partis le respect. Malheur à qui tenterait de la violer... Ayons foi les uns et les autres, continuait le président, dans les nobles destinées de la République... Que la sagesse de nos successeurs vienne réparer ce qu'il a pu y avoir de fautes, d'erreurs et de douloureuses nécessités dans notre laborieuse carrière. Puissent-ils se garder eux-mêmes des passions violentes et des funestes ci entraînements. — Le surlendemain 28 mai, M. Marrast, entouré des vice-présidents et des secrétaires, voulut recevoir dans l'une des salles du Palais-Bourbon le bureau provisoire de la nouvelle Assemblée, afin qu'il fût bien établi qu'il ne saurait y avoir d'intermittence dans le pouvoir législatif. Avant de remettre l'autorité a ses successeurs, il renouvela en quelques paroles attristées le vœu qu'il avait déjà formulé l'avant-veille : Plus heureux que nous, dit-il, puissiez-vous éviter les horreurs de la guerre civile !

Ainsi finit l'Assemblée constituante. — De cette Assemblée, l'histoire dira qu'elle fut loyale dans ses intentions, désintéressée dans ses vues, courageuse le 15 mai en face de l'anarchie, ferme pendant l'insurrection de Juin. Elle ajoutera cependant que, appelée à voter la Constitution, elle commit la double faute de repousser le système des deux Chambres et de faire du the !' de l'État, non l'auxiliaire, mais le concurrent fatal du pouvoir législatif. A cette Assemblée elle reprochera surtout de n'avoir point su finir avec dignité. Il en est des corps politiques comme des individus : on les juge surtout d'après leurs dernières heures, et c'est pourquoi il importe que ces dernières heures soient irréprochables. La Constituante n'eut point cette suprême sagesse. Elle donna, à la fin de sa carrière, un spectacle qui réjouit ses adversaires et découragea ses amis. Une telle conduite serait impardonnable, si elle n'eût été que le dépit du pouvoir perdu. Ajoutons que chez plusieurs elle était inspirée par le regret de laisser la 'République sous la garde d'un prince dont on pressentait les desseins. C'est la seule excuse des emportements que nous venons de raconter.

L'Assemblée législative succéda sans interruption à sa devancière. Elle témoigna aussitôt de ses dispositions en nommant pour président M. Dupin, ancien conseiller de la monarchie déchue. Le prince, pour rassurer le parti libéral, modifia son ministère. MM. de Tocqueville, Dufaure, Lanjuinais, dont les sentiments étaient anciens et bien connus, reçurent les portefeuilles des affaires étrangères, de l'intérieur et de l'agriculture, en remplacement de MXI. Drouyn de Lhuys, Faucher, Buffet. Malgré cette satisfaction donnée à l'opinion constitutionnelle, il était clair que désormais le gouvernement appartenait à la droite. — Ce changement devait produire deux conséquences opposées. D'un côté, le parti démagogique, n'ayant plus rien a espérer par les voies légales, résolut de recourir aux armes : de là l'émeute du 13 juin. D'un autre côté, la majorité parlementaire, n'ayant plus rien à ménager, résolut de pousser vers un dénouement décisif l'intervention dans les États pontificaux : de là le siège de Rome. Ce sont ces deux événements, l'un de l'ordre intérieur, l'autre de l'ordre extérieur, mais étroitement mêlés l'un à l'autre, que nous avons le devoir de retracer.

 

 

 



[1] Journal des Débats, 3 mars 1849.

[2] Quant aux contumaces, tels que Louis Blanc et Caussidière, ils furent condamnés à la peine de la déportation. (Arrêt de la haute Cour, 3 avril 1849.)

[3] Moniteur du 26 avril 1849, rapport de M. Ducos, passim.

[4] Léon FAUCHER : circulaire du 3 mars, lettres diverses. (Œuvres parlementaires, t. Ier, p. 245 ; t. II, p. 184.)

[5] Voir la brochure intitulée : Empire électif et décennal, par Aristide FERRÈRE (Circulaires des 2 et 17 janvier, 19 février, 4 mars, 5 avril et 1er mai 1849.)

[6] Lettres inédites de Berryer et de M Barthelemy au Comité de Metz.

[7] Lettre de M. Faucher au préfet du Calvados. — (Moniteur de 1849, p. 2012.)

[8] Moniteur de 1849, p. 2002.

[9] Moniteur de 1849, p. 2002.

[10] Lettre inédite de M. Berryer, 20 mai 1849.