SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE TROISIÈME. — PÉRIODE CLASSIQUE. — LA CITÉ SOUVERAINE.

CHAPITRE IX. — LA RESPONSABILITÉ COLLECTIVE DANS LA RELIGION.

 

 

I. Les croyances.

Si le principe de la responsabilité collective a presque complètement disparu de la législation criminelle à Athènes, il a été maintenu sans réserve et dans toute la Grèce par le droit religieux, ce résidu de la θέμις.

Les dieux, comme les hommes, en restèrent des siècles durant au pur régime de la vengeance privée. Ils autorisaient les représailles chez les hommes ; ils en exerçaient aussi pour leur compte. Dans ces παλίντιτα έργα[1], leur toute-puissance sévissait sans mesure. Elle appliquait avec une rigueur inflexible la règle de la responsabilité collective. Niobé insulte Lêtô : les enfants de Lêtô percent de leurs flèches tous les enfants de Niobé[2]. Le plus souvent, la famille du coupable ne suffit pas au ressentiment des dieux ; ils étendent leurs filets mortels sur sa patrie. Argos ne se rappelait que trop une de ces vendetta. Un enfant d’Apollon avait été dévoré par les chiens. Conformément aux coutumes, le père de la victime rendit le maître responsable pour ses bêtes, et la ville entière pour un homme ; un monstre, la Ποινή, vint dans Argos arracher les enfants au sein de leur mère. Un héros tua le montre ; le dieu riposta en déchaînant la peste. Lorsqu’il eut assez de victimes, il consentit à composer, moyennant l’érection d’un temple, prix du sang et symbole d’alliance[3]. Même sévérité, quand les dieux n’ont à venger qu’un dommage matériel ou un outrage. Poseidon n’a pas reçu de Laomédon le salaire promis : un monstre marin massacre tout dans les campagnes de Troie, jusqu’à ce que l’offenseur livre une de mes filles, et la vierge, délivrée par Héraclès, n’ose pas revenir chez son père, de peur que les représailles ne recommencent[4]. Artémis se trouve lésée dans son bien et blessée dans son honneur, parce qu’une jeune prêtresse, dont la virginité lui appartenait, s’est donnée à un amant en plein temple : de colère, elle dépeuple l’Achaïe par la famine et les épidémies ; pour l’apaiser, il lui faut, avec la vie des deux coupables, un tribut annuel de victimes humaines[5]. Ce ne sont pas seulement leurs offenses et celles de leur famille que les dieux vengent sur toute une communauté, main encore celles des personnes placées sous leur patronage. Quand le Dorien Hippotès tue le devin Carnos, quand Agamemnon refuse au prêtre Chrysès de lui rendre sa fille à rançon, Apollon furieux lance ses traits et la peste dans le camp des armées responsables[6]. Enfin, les attentats commis dans les sanctuaires, demeures inviolables des dieux, entraînent encore des sanctions collectives. Héra le fait bien voir aux Locriens, après le traitement infligé par Ajax à Cassandra[7], et Athéna aux Athéniens, après les violences faites aux Cylonides[8]. Ainsi, un dieu offensé n’hésite jamais à faire retomber la faute d’un seul sur toute une famille ou tout un peuple.

Mais il faut, dans les siècles héroïques, que les dieux aient subi une offense personnelle, pour qu’ils punissent ensemble coupables et innocents[9]. Ils interviennent contre l’auteur d’un parjure, contre sa famille, contre sa cité, parce qu’ils ont été pris à témoin du serment : tromper les hommes dans ces conditions, c’est insulter les dieux. Quand Zeus consent à châtier le crime de Paris par la destruction de Troie, il semble le défenseur désintéressé de la morale ; mais c’est sa cause qu’il soutient : il agit comme protecteur des hôtes, comme ξένιος. Si Pâris avait enlevé Hélène par la force des armes, une querelle aurait surgi entre deux hommes ou deux nations, sans rien de plus ; mais il s’est fait recevoir en ami dans la maison de Ménélas, pour lui enlever sa femme, et voilà pourquoi Zeus prend l’affaire en mains[10]. Enfin, l’idée même que Zeus hait les iniquités et qu’il les fait payer cher aux cités où elles se commettent, cette idée qui restera toujours fixée dans la conscience des Grecs, n’a pu s’y loger, à l’origine, qu’avec un sens spécial : dans l’Iliade, Zeus considère encore comme coupables de désobéissance ceux de ses nourrissons qu’il a investis du sceptre, à charge de maintenir l’ordre fondé par lui, et qui abusent de ses θέμιστες contre sa volonté[11].

Tout en continuant de châtier des innocents, le dieu qui venge ses injures est devenu graduellement le champion de la justice universelle. La transition entre les deux conceptions se dessine vaguement dans Homère ; elle est déjà plus nette dans Hésiode. Ici va dominer l’idée moderne. D’abord est posée en principe la responsabilité collective à raison des crimes individuels, quels qu’ils soient. Souvent une cité entière paie les fautes et les attentats d’un homme pervers. Le fils de Cronos envoie du haut des cieux de grands fléaux, la famine avec la peste. Les peuples périssent ; les femmes n’enfantent plus : les familles décroissent. Ainsi l’a décidé Zeus l’Olympien[12]. Cette règle générale trouve son application dans le cas particulier de l’iniquité. Mais au contrôle exercé sur les juges Zeus ne fait que présider de haut. Ô rois, vous aussi, souvenez-vous de cette juste sanction ; car il est au milieu des hommes des êtres immortels qui observent de près ceux qui par des actes obliques se nuisent les uns aux autres, oublieux du respect dû aux dieux. Ils sont trente mille sur la terre nourricière, les envoyés de Zeus, immortels surveillante des hommes mortels : ils ont l’œil ouvert sur les actes justes et les méfaits vêtus d’air, parcourant le monde en tout sens[13]. L’idée ancienne, celle du dieu jaloux chez qui l’amour même de la justice est encore de l’égoïsme, semble donc avoir fait son temps. Toutefois elle se retrouve dans le rôle assigné à Diké, fille de Zeus, incarnation toute récente de la justice. Quand elle se sent injurieusement, lésée par un outrage, aussitôt elle monte s’asseoir auprès de son père, Zeus, fils de Cronos, et lui rapporte les iniquités des hommes, pour qu’il fasse payer aux peuples les fautes des rois dont la pensée funeste a fait dévier la justice par des arrêts obliques[14]. Si donc le régime de la vengeance privée a fait place dans lu religion il la justice, sa disparition n’a pas été assez rapide pour qu’il n’ait pu se survivre à lui-même en son principe essentiel, la responsabilité collective et héréditaire des familles et des cités.

Pour la justice divine, l’individu n’existe pas ; la famille, voilà l’être agissant et responsable. Le même homme se prolonge dans le temps et se survit à lui-même de génération en génération[15]. Le fils est lié au père et, tant qu’il y en a, les descendants sont liés à l’ancêtre par une chaîne que rien ne saurait briser. Nulle faute ne peut donc demeurer impunie. Le châtiment mérité arrive toujours au bon moment. S’il tarde, il est inévitable[16] ; s’il ne frappe pas l’auteur du crime, il est réservé aux enfants nés du sang criminel[17]. La vengeance des dieux peut bien planer sur sa proie avant de s’abattre. Parfois le ciel de justice se voile et reste obscurci de vapeurs qui s’amoncellent ; mais Zeus est là qui veille : soudain se précipite un ouragan qui balaie les nuées. Cette image grandiose est de Solon ; il en donne l’explication : Si les coupables échappent eux-mêmes à la punition, si la vengeance divine lancée à leur poursuite ne les atteint pas, elle viendra en temps et lieu. Les innocents paieront pour les coupables, peut-être les enfants, peut-être seulement la postérité[18]. Les fautes des parents retombent sur les enfants : il n’y a pas d’idée morale qui soit plus fréquemment exprimée dans la littérature grecque[19].

Les fêtes religieuses témoignent parfois de l’obstination avec laquelle cette idée se maintenait dans les temples. A Orchomène, le jour des Agrionia, le prêtre de Dionysos poursuivait, une épée à la main, les femmes d’un γένος. Ainsi était vengé l’infanticide attribué aux filles du héros légendaire Minyas. Et cette cérémonie n’était pas purement symbolique, puisqu’au temps de Plutarque une femme atteinte par le prêtre fut tuée[20].

Les oracles, exégètes attitrés du droit religieux et, par conséquent, conservateurs officiels de la θέμις, ont toujours autorisé, toujours imposé le principe de la responsabilité familiale. Apollon delphien s’est fait résolument le champion de la terrible coutume[21]. En expiation d’un sacrilège, la tête du coupable ne lui suffit pas ; il lui faut encore la tête de sa femme, de sa concubine[22]. Sur son ordre, pour un crime de l’époque légendaire, les gens d’Alos en Phthiotide repoussèrent éternellement de leur prytanée les aînés de deux familles[23]. Quand le Spartiate Glaucos essaya de nier un dépôt, il fut effrayé par les menaces de la Pythie lui prédisant l’anéantissement de sa race et de son foyer[24]. L’oracle admet quelquefois la transmission du châtiment avec une rigueur vraiment ingénue. Après le meurtre de Candaule, il donna l’absolution et le trône à Gygès, le meurtrier, mais annonça que les Héraclides seraient vengés sur son cinquième descendant. Et le dieu, malgré sa bienveillance pour la victime promise au destin, l’abandonna : Crésus expia le crime de son cinquième aïeul[25]. Thémis avait précédé Apollon sur le trépied ; elle inspira toujours les réponses de son successeur.

Si parfois le droit religieux maintient de siècle en siècle la responsabilité collective de certaines corporations[26], c’est parce que ces corporations sont des γένη à forme de castes qui ont conservas la solidarité primitive par lu vertu d’une spécialité héréditaire[27]. A Ténédos, défense est Lits aux joueurs de Ilote d’entrer dans le sanctuaire, sous prétexte que dent les siècles légendaires le joueur de flûte Molpos fût complice d’une tentative d’homicide[28]. Evidemment ces artistes appartenaient tous à une famille sacerdotale, et la peine prononcée contre eux est semblable à celle dont sont frappées pour un motif semblable deux familles d’Alos[29]. A Athènes, les grands γένη investis de sacerdoces héréditaires, tels que les Kérykes, sont responsables solidairement devant l’État[30]. Cette responsabilité collective ne subsiste dans la période historique que dans des cas limités et surtout pour la reddition des comptes[31] ; mais s’est une survivance intéressante. On voit là un vestige de la solidarité passive qui unit jadis le γένος des hérauts éleusiniens, de même qu’on constate dans l’histoire du Ve siècle l’existence d’une solidarité active entre les hérauts spartiates, les Talthybiades[32].

Comme dans le passé le plus lointain, la divinité étend la responsabilité pénale bien au delà de la famille. C’est une contagion qui gagne tous ceux qui ont des rapports, même fortuits, avec la personne contaminée. Un mariage impur offre un danger redoutable. Le sage ne doit pas meuler un sang criminel au sang innocent... ; car Dieu, confondant les destins, fait retomber les malheurs du coupable sur celui qui n’a point failli[33]. Gare à l’assemblée[34], gare à l’armée[35] dont les rangs se sont ouverts à l’homme qui porte le stigmate de la malédiction divine ! Gare au navire où il s’embarque ! Gare au peuple qui n’écarte pas des autels la souillure du crime ou qui le laisse impuni, même par ignorance[36] !

Qu’une ville soit châtiée sans retard pour la faute d’un citoyen ou d’un roi[37], cela n’eut que juste et se conçoit aisément. L’Etat, responsable devant les dieux, n’avait qu’à se libérer par une mesure de salut public, un abandon noxal par la mort ou l’exil. Prusias de Bithynie commet des sacrilèges : son armée est décimée par la maladie, sa flotte brisée par la tempête[38]. Ce qui est plus extraordinaire et démontre plus fortement la puissance vindicative de la divinité, c’est le châtiment qui épargne les individus coupables et va frapper un peuple innocent à plusieurs générations d’intervalle. Les Sybarites, ayant tué un citharède sur un autel, consultèrent la Pythie, qui leur répondit : Le châtiment retombera sur vos têtes et celles de vos enfants ; malheurs sur malheurs viendront dévaster vos maisons, et Sybaris fut anéantie par Crotone[39]. Si Alexandre détruisit la ville des Branchides et passa ses habitants au fil de l’épée, c’est que laure ancêtres avaient livré le temple du Milet[40]. Antipater fut l’agent de la vengeance divine contre les villes dont les citoyens avaient pris part au pillage du territoire sacré[41]. Au temps de Plutarque, un tremblement de terre ruina Phénée en Arcadie : cette ville passait pour avoir reçu Héraclée avec le trépied de Delphes ; nul doute, c’était Apollon qui se vengeait[42]. Cette solidarité à travers les âges, on parvenait à la justifier. « Une cité est une chose douée d’une existence une et continue, pareille à un être vivant qui ne sort pas de son individualité, malgré les modifications de l’âge, et ne devient pas autre avec le temps : elle garde toujours ses sentiments et sa nature propres ; elle a toute la responsabilité comme tout le mérite des actes accomplis en commun dans le présent ou le passé, aussi longtemps que la communauté, dont l’unité est maintenue par des liens complexes, conserve bon identité, l’aire d’une cité par des distinctions chronologiques un grand nombre ou plutôt un nombre infini des cités, c’est vouloir faire d’un homme plusieurs hommes, sous prétexte que, vieillard aujourd’hui, il a été auparavant un homme jeune et en des jours plus reculés un petit garçon... On dit cependant que c’est le même homme de la naissance à la mort. On doit admettre également qu’une cité, qui reste la même dans la durée, subit l’opprobre hérité des ancêtres au même titre qu’elle profite de leur gloire et de leur puissance[43].

Les lois divines étaient donc toujours là pour recommander aux lois humaines les principes du passé le plus lointain. Ainsi qu’en témoigne la constante association des crimes d’impiété et de trahison, la cité prend en main la cause des dieux, les dieux soutiennent les règles essentielles de la vie sociale, et toujours les dieux et les hommes s’entendent pour compléter la proscription par la malédiction[44], partager les biens confisqués[45] et faire retomber le châtiment sur les têtes qui sent coupables de parenté avec le coupable[46]. A Mantinée, dans la première moitié du Ve siècle, certaines affaires de sacrilège sont jugées par un tribunal mi-parti où siègent des juges civils et la déesse représentée par ses prêtres ; la sentence, qui doit être ratifiée par l’oracle pour devenir exécutoire, porte que les condamnés seront exclus du temple, eux et leurs descendants en ligne masculine à perpétuité[47]. Dans un décret de Téos, tout auteur de proposition illégale est déclaré sacrilège et passible de toutes les pénalités inscrites dans les lois sur le sacrilège[48] ; avec lui, la famille entière est enveloppée dans une commune exécration. Chaque fois qu’elle demandait ou prêtait appui à la justice humaine, la justice divine lui rappelait, en même temps que leur commune origine, la vieille règle de la solidarité entre toutes les générations d’une famille. Aussi le principe de la responsabilité héréditaire, lors même qu’il est appliqué pur les hommes à une matière aussi purement humaine que l’homicide, est-il devenu de droit divin, et demander qu’un crime déjà expié deux fois par la famille du criminel, le soit une troisième fois au bout de deux cents ans, c’est venger la majesté des dieux[49].

Le recours formel à la juridiction pénale des divinités, soit qu’il accompagne, soit qu’il supplée le recours à la juridiction pénale des hommes, c’est là ce qui s’appelle proprement l’imprécation[50]. Or, les crimes, tombant ou non sous une définition juridique, dont la punition est totalement ou partiellement abandonnée par une imprécation aux puissances supérieures, deviennent par là même imputables à la famille du criminel, vivante ou à naître. On a trouva au fond de la Cilicie une inscription d’une basse grécité, mais où la nature de l’imprécation est exprimée avec l’exactitude d’une bonne définition. C’est la malédiction suprême qu’un malheureux, dépouillé par son frère, mort de privations, lance de sa tombe : J’invoque contre Tryphon, mon frère, et contre ses enfants les dieux du ciel et ceux de l’enfer ; puissent une imprécation sans pitié et une colère éternelle les poursuivre durant toute leur vie ![51] A aucune époque, les Grecs n’auraient désavoué ce cri de haine contre les enfants d’un ennemi exécré.

Ils savaient comment l’imprécation atteint les générations) successives. L’άρά lancée au nom des dieux s’anime et devient une puissance divine. Formidable, irrésistible, elle va semant les ruines et la mort, sans connaître de limites dans l’espace ni dans le temps. Elle peut se jeter sur sa proie, rapide et irrévocable comme la foudre[52] ; elle peut attendre son heure. Mais pour qu’elle s’arrête, il faut que la race contre laquelle elle est déchaînée ait disparu jusqu’au dernier homme. C’est bien ce qui rend si tragiques les malédictions proférées par un père ou une mère contre son enfant. Quand Amyntor invoque contre Phoinix les Erinyes, il sait que jamais sur ses genoux ne viendra s’asseoir un fils né de son fils, et sa haine ne recule pas devant un pareil vœu[53]. Parfois le démon de l’imprécation reste trop longtemps sans achever son œuvre d’extermination : alors, comme s’il allait perdre de sa force, il se reproduit lui-même ; une nouvelle άρά remplace l’Ancienne, prête à fondre sur les nouvelles générations. Après la malédiction de Myrtilos contre Pélops[54], celle de Pélops contre Atrée et Thyestes[55], plus meurtrière encore ; puis celle de Thyestes contre Atrée[56], la plus meurtrière de toutes.

C’est surtout lorsqu’un crime est commis contre les dieux qu’intervient l’imprécation[57]. Tantôt elle retombe spontanément sur le violateur des lois religieuses ; tantôt elle est proclamée par la voix des prêtres à la suite d’une condamnation en forme[58]. De toute façon, elle appelle sur la tête de l’offenseur la colère des offensés, et cette consecratio capitis est héréditaire : si le coupable y échappe, sa postérité répond pour lui[59]. Partout la formidable menace éclate sur les inscriptions placées à l’entrée des lieux saints. Ici, elle fait respecter un droit d’asile[60] ; là, elle protège l’enceinte d’un temple[61]. L’άρά lancée à Delphes par les Amphictyons proclame l’inviolabilité du territoire sacré sous peine de subversion totale pour les coupables, leurs maisons et leur race[62]. La même sanction se retrouvait sans doute à Olympie, dans l’άρά qui déclarait obligatoire la trêve du dieu[63], à Eleusis dans l’άρά qui consacrait le code de Bouzygès[64]. Car la punition qui vient des dieux n’a pas de terme : les êtres éternels se vengent éternellement.

L’usage de l’imprécation en droit publie est un des traits les plus originaux qui soient à signaler dans les cités grecques. Chacune semble avoir eu son imprécation officielle, la πολιτική άρά[65]. C’était une malédiction solennelle lancée au nom de i’Etat contre quiconque attenterait à la constitution. Les lois fondamentales, que les citoyens juraient d’observer[66], étaient encore protégées par la terreur sacrée que répandaient les sinistres formules proférées par les magistrats ou les hérauts[67]. Les imprécations et les lois, άραί καί νόμοι, voilà pour Démosthène la base d’une société bien ordonnée[68]. En effet, l’imprécation rappelait et confirmait le serment que les Athéniens avaient prêté à la législation de Salon[69], celui que les Spartiates étaient censés avoir prêté à la législation de Lycurgue[70] ; elle donnait un appui moral à la législation de Charondas[71]. L’imprécation qui s’attachait à la personne du proscrit défendait aussi le décret de proscription contre toute tentative de révision[72]. Au fur et à mesure qu’aux attentats énormes, tels que haute trahison, tyrannie, lèse-majesté, sacrilège, on assimilait des crimes de moins en moins graves, l’imprécation se vulgarisait avec l’atimie[73]. A l’άρά traditionnelle, l’άρά par excellente (πρός τήι αράι)[74] venaient se joindre toutes sortes d’έπαραί. A Argos, dès le VIIe siècle peut-être, elle confirmait une loi pénale[75]. A Téos, elle sanctionnait des dispositions relatives à la piraterie et au brigandage, à la forfaiture, à l’empoisonnement, aux manœuvres destinées à empêcher le ravitaillement[76], voire l’emploi d’une donation[77]. A Sparte, elle consacrait la loi contre les hilotes[78] ; à Athènes, des lois prohibant l’exportation de certains produits ou supprimant la rétribution des charges publiques[79] ; à Gambreion, une loi sur le deuil[80], à Cyzique, un tarif maximum[81] ; à Cibyra, un règlement de gymnasiarchie[82] ; à Chios, des contrats[83] ; à Ilion et à Hécatonnèsos des décrets honorifiques[84]. Partout elle servait de sauvegarde aux tombeaux des familles[85], aux lieux d’asile[86], aux dernières volontés des mourants[87]. L’imprécation en arrivait à se confondre si intimement avec la sanction pénale des lois, que la sanction pénale, même lorsqu’elle est purement afflictive ou pécuniaire, reçoit dans les documents archaïques l’appellation officielle d’άρά ou d’έπαρή[88]. Et continuellement l’έξώλεια, la πανώλεια comminée contre le coupable doit l’atteindre, lui et tous les siens, a lui et sa race[89]. Après le sacrifice qui prélude citez les Athéniens a chaque assemblée du peuple, à chaque séance du conseil, le héraut voue à fa perdition quiconque desservirait la patrie, et avec lui sa race et sa maison[90]. En menaçant des peines les plus terribles le violateur éventuel d’une tombe, une inscription de Carie le déclare έπάρατος καί άσεδής et le prévient que sa progéniture sera exterminée et qu’il n’en naîtra ras d’autre de sa race[91]. Les inscriptions lyciennes vouent le coupable aux châtiments de Lêtô et de ses enfants[92]. Enfin, dans un accès d’indignation quelque peu déclamatoire, une inscription de la Cilicie occidentale annonce que le coupable aura contre lui le ressentiment de toutes les divinités et des odieuses Érinyes et goûtera un jour le foie de son propre enfant[93].

Dans son emploi le plus ordinaire, l’imprécation est la sanction d’un serment, comme la sanction d’une loi en est l’imprécation. En ce cas encore, la solidarité passive de la famille est sous-entendue, quand elle n’est pas explicitement proclamée. A Érythrées, les membres du conseil[94], en Paphlagonie tous les citoyens[95], à Athènes, les jurés[96] et les parties[97], parfois même les témoins[98], prononcent les imprécations les plus solennelles contre eux-mêmes et contre leurs enfante. Dans la διωμοσία des procès en homicide, l’accusateur et l’accusé jurent κατ' έξωλείας αύτοΰ καί γένους καί οίκίας[99], et celui qui l’emporte renouvelle ce serment avec cette imprécation[100]. Continuellement les formules des inscriptions se terminent par des mots tels que ceux-ci : Qu’ils périssent misérablement, les misérables, eux et leur race[101]. De toutes les calamités annoncées aux parjures, nulle ne l’est plus souvent que la stérilité des femmes, l’extinction du foyer[102]. Un serment de fidélité prêté à l’empereur Auguste se termine par l’imprécation suivante : Si l’un de mes actes est contraire à ce serment ou n’est point conforme à ce que j’ai juré, je me voue moi-même et mon corps et mon âme et ma vie et mes enfants et toute ma race et mes biens à l’extermination et à l’anéantissement jusqu’à ma dernière descendance et celle de ceux qui seront issus de moi ; et que ni la terre ni la mer ne reçoivent les corps des miens et de ma postérité et qu’elles ne produisent point de fruits pour eux ![103] Et ce ne sont pas là simples phrases de protocole, pour procédures et actes publics ; elles sont de mise aussi dans la via privée[104]. Le jureur désigne de la main ou touche à la tête[105] les personnes dont la vie devient l’enjeu de son serment[106]. Ce symbolisme si expressif est d’une naïveté antique. C’est ainsi qua, dans l’Iliade, Agamemnon, versant sur le sol le vin de la libation sacramentaire, s’écrie : Zeus très glorieux, très grand, et vous, dieux immortels, ceux qui les premiers transgresseraient leur serment, que leur cervelle et celle de leurs enfants soient répandues à terre comme ce vin ; que leurs femmes passent à d’autres hommes ![107]

La peine du parjure est donc déterminée par l’imprécation ; car le parjure est l’un de ces attentats contre la religion qui ne rentrent dans aucune définition juridique et que ne réprime aucune loi pénale[108]. Ce sont les dieux[109] invoqués à tort qui se chargent de venger l’outrage fait à leur nom et l’atteinte portée à l’ordre immuable des choses. L8 surtout le châtiment est certain, parce que là surtout la charge du crime se transmet de génération en génération. Sur ce point les croyances des Grecs n’ont jamais varié. Pour l’homme du IVe siècle, le parjure se met en état du guerre avec les dieux[110] ; si, par impossible, il se dérobe à leur prise sur terre, il est atteint après la mort[111], et toute sa lignée reste là pour fournir une proie à leur vengeance[112]. De même, pour le contemporain d’Homère et d’Hésiode[113], Zeus et Horcos lancent les Erinyes sur la trace du coupable[114] jusque dans les enfers[115] et n’épargnant ni sa femme ni ses enfants ni sa plus lointaine postérité[116]. La Pythie était l’interprète de toute la Grèce, hommes et dieux, lorsqu’elle disait, dans sa foudroyante réponse à Glaucos : Horcos a un fils sans nom, qui n’a ni mains ni pieds, mais dont l’ardente poursuite ne cesse que lorsqu’il a saisi la race entière et détruit toute la maison[117].

Que l’homme le veuille ou non, le châtiment se transmet de père en fils, parce que les dieux le veulent. C’est une loi de nature. Ceux-là mêmes qui la jugent immorale admettent qu’elle existe. Voici comment Théognis[118] s’en prend à l’injustice de la divinité : Zeus, ô père, pourquoi les dieux, en laissant les scélérats se plaire à la violence, n’ont-ils pas trouvé bon en leur cœur que les auteurs volontaires des forfaits commis sans souci des dieux en subissent bientôt le châtiment sur leur propre personne, que les crimes des pères ne fissent pas plus tard le malheur des fils, que les enfants, nés d’un père injuste, qui auraient la justice au cœur, qui la pratiqueraient par crainte de ta colère, fils de Cronos, qui de tout temps se seraient distingués par leur amour de la justice entre leurs concitoyens, ne fussent point condamnés à expier les attentats de leur père ? pourquoi les dieux ne l’ont-ils pas voulu ainsi ? Aujourd’hui le coupable échappe, et c’est un autre qui porte la peine de son crime. Longtemps après Théognis, Bion le Borysthénite disait que la divinité était plus ridicule de châtier les enfants des coupables qu’un médecin ne le serait de droguer le fils ou le petit-fils pour guérir le père ou l’aïeul[119] : ridiculiser un fait, c’est encore le reconnaître. Quant aux hommes pieux, ils voyaient dans le caractère incompréhensible, mystérieux, de certains châtiments une preuve évidente de l’intervention divine. Voyez Hérodote, type de brave homme qui accepte les idées moyennes avec une intelligence très éveillée. Sa conscience est cruellement tourmentée par l’étrange destinée de deux innocents. Nicoleôs et Anèristos étaient fils de ces deux nobles Spartiates qui avaient accepté de mourir pour expier la mort des hérauts mèdes et sauver leur patrie, mais qui furent épargnés par Xerxès. La vengeance à laquelle s’étaient vainement offerts les pères, saisit les fils. Cela parait à l’historien particulièrement divin. Car, dit-il, que la colère de Talthybios... ne se soit pas apaisée avant d’avoir eu son effet, la justice le comportait ; mais qu’elle soit retombée sur les enfants de ces hommes qui s’étaient rendus chez le roi pour la fléchir..., c’est ce qui rend manifeste à mes yeux que les suites de cette colère ont eu quelque chose de surnaturel[120]. La transmission des peines était une loi suprême que seuls les superstitieux ou les exploiteurs de la superstition populaire espéraient ou prétendaient conjurer[121]. Il y a donc là pour les anciens une réalité d’en haut, qu’on ne nie point alors même qu’on s’en indigne ou qu’on s’en moque, une fatalité qu’on peut déclarer révoltante et stupide, mais qui est inéluctable, et qu’on admet alors même qu’on essaie de s’en dégager par une contradiction misérable. On proteste quelquefois, on ne conteste jamais. Ce n’est que dans un pays d’utopie, dans une Égypte idéale, qu’on peut avoir cette idée chimérique, que chaque homme est puni pour ses fautes, sans qu’il puisse les cacher sur le moment et sans que le châtiment soit reporté sur ses enfants[122].

II. Les doctrines.

Ce principe que les Grecs trouvaient inné au fond de leur conscience et croyaient voir appliqué dans le monde, comment arrivaient-ils à le justifier ? Tant qu’on fit consister l’unité humaine dans la famille et non pas dans l’individu, tant qu’on crut que tous les êtres qui se transmettaient de génération en génération le même sang formaient un seul et même être, nul ne put élever le moindre doute sur l’équité de la responsabilité héréditaire envers les dieux. Mais quand les idées sociales eurent changé, il fallut bien réfléchir sur la valeur d’un dogme qui ne concordait plus avec les maximes du droit humain. Comment dissiper l’angoisse respectueuse d’un Théognis, on réduire au silence l’ironie sardonique d’un Bion ?

Les anciens voyaient bien la portée des objections soulevées par leurs croyances. Ise spectacle de la vertu malheureuse et du vice triomphant blesse le sentiment naturel d’équité. La répartition actuelle des biens et des maux parait profondément injuste. Déjà dans l’Iliade, Zeus reste sourd aux appels réitérés de l’offensé qui voudrait trouver dans un combat un arbitrage[123]. La victoire est aux mains des dieux immortels[124] ; mais il ne leur convient pas de l’accorder toujours à la bonne cause, et c’est parce qu’il n’y a pas à compter sur eux que les Grecs n’ont pas introduit dans leur législation la preuve par bataille. Plus tard, le poète que scandalise la transmission des châtiments se demande comment Zeus peut bien traiter également l’homme criminel et le juste[125]. Qu’en résulte-t-il ? Que la divinité n’envoie aux mortels aucun signe manifeste ni ne leur indique la route qu’on doit suivre pour leur plaire[126]. Rien ne déprime plus l’âme humaine que cette incertitude. Tandis que les méchants jouissent d’une inaltérable prospérité, ceux qui gardent leur cœur des actions mauvaises ont cependant pour lot la pauvreté, mère de l’impuissance, qui enchaîne leur amour pour la justice, pousse l’esprit de l’homme au mal et, par la faute de la nécessité, trouble son cœur en sa poitrine[127]. On en vient à douter, non pas seulement de toute morale, mais des dieux mêmes. En face de pareils exemples, qui donc révérerait encore les immortels ? Que penser, quand l’homme injuste et criminel, sans crainte des hommes ni des dieux, se livre à la violence.., et que les justes s’affligent ?[128]

Mais l’iniquité n’est qu’apparente. Voici comme Pindare répond à Théognis. Il faut détacher ses regards d’accidents passagers qui ne s’expliquent point par eux-mêmes, pour s’élever à la contemplation des causes et des effets. L’innocent souffre ? Remontez à ses aïeux. Le coupable rit de son impunité ? Attendez que viennent ses descendants. La divine Némésis dispense à toutes les races une moyenne de bonheur : chacune d’elles est un champ qui passe par des alternatives annuelles d’exubérance et de repos[129]. La famille qui se plaint de n’avoir pas sa juste part sur le moment ne fait que rétablir l’équilibre rompu dans le passé ou se prépare une compensation dans l’avenir ; l’homme dont la fortune dépasse le mérite récolte les fruits ou jette la semence d’infortunes imméritées. De là, dans la destinée des individus, ces variations qui semblent exclure de la direction du monde toute idée de justice. On les impute au caprice du mort ou à la passion malfaisante d’un dieu ; mais, si l’on pouvait remonter le cours des temps et faire dans les générations précédentes le compte des joies et des erreurs, on reconnaîtrait dans les épreuves actuelles de cette existence, qui parait opprimée ou abandonnée au hasard, les effets réunis d’une loi naturelle, qui contient l’humanité dans des limites fixées dés l’origine, et d’une loi morale, qui veut que toute faute ait son châtiment sur la terre[130]. Comme le disait Solon, à la fin vient toujours le triomphe de l’équité[131] ; comme le dit Eschyle, les Érinyes ont la mémoire fidèle[132].

Cette conception sereine et grandiose n’est, au fond, que le principe qui interdit à l’homme d’aspirer à une félicité surhumaine ; mais elle étend ce principe au delà des bornes étroites d’une vie humaine... Toujours le principe de la solidarité familiale qui reparaît ! L’individu n’existe toujours dans la communauté naturelle que comme un membre dans un corps ! Le père revit toujours dans le fils, et les aïeux sont récompensés ou punis dans les enfants qui les perpétuent ! Le poète philosophe, impassible et superbe, dédaigne les souffrances infligées par la loi qu’il déroule dans l’éternité ; mais le malheureux que cette loi meurtrit dans sa chair et dans son âme crie et ne trouve pas cela juste. La consolation qu’on lui offre était bonne pour des hommes qui avaient à peine conscience de leur existence personnelle. Les maximes de la tradition ne rassurent plus même let spectateurs désintéressés, parce qu’ils les répètent sacs les sentir au fond du cœur. Il faut autre chose.

Déjà dans Eschyle on croit poindre une nouvelle explication de la fatalité héréditaire. La Némésis n’est plus une déesse obstinément jalouse, infailliblement nuisible : elle perd le pouvoir de faire sortir le mal indifféremment du mal et du bien.. L’hérédité du vice et du malheur se justifie par l’hérédité de la vertu et du bonheur : la responsabilité a pour contrepartie le droit à une récompense et pour fondement une faute personnelle. Il est, dit le poète, une antique parole, toujours répétée parmi les mortels, c’est que la félicité d’un homme, parvenue à son comble, devient féconde, qu’elle ne meurt pas sans enfants, que la fortune prospère a pour rejeton l’irréparable misère. Moi seul, je pense autrement. L’action impie en met au monde dans la suite plusieurs autres, dignes de leur race ; mais dans la maison du juste, le bonheur a toujours une belle lignée[133]. Cette fois il semble que le sentiment du droit individuel reçoive satisfaction. Du moins les dieux ne châtient pas le fils pour la faute du père, &aria le rendre coupable à son tour. Les crimes des ancêtres le livrent aux Erinyes[134].

Cette théorie devint celle de la tragédie grecque, avec plus de tranquillité religieuse chez Sophocle, plus de précision philosophique chez Euripide[135]. Le peuple crut à la transmission de la faute, sans cesser de croire en théologie à la responsabilité de l’innocent[136] ! Les philosophes se sentirent à l’aise pour défendre le principe des sanctions héréditaires. Platon protesta bien contre les aberrations doctrinales qui portent atteinte à la majesté divine, il n’admet pas que Dieu inspire un crime aux mortels quand il veut détruire une maison jusque dans ses fondements[137] ; mais ce principe dont il combat les conséquences exagérées, il voudrait le faire passer dans les lois positives. Il est plus sévère dam la législation de la cité idéale que les Athéniens de son temps ne l’étaient dans la réalité : il déclare qu’une hérédité constatée dans trois générations successives est indéracinable et proscrit, dans ce cas, les enfants des condamnés à mort[138]. Après lui, les stoïciens ne peuvent jamais, dans la logique de leur système, que constater une loi naturelle et s’y conformer : ils constatent celle-là, comme les autre, sans récrimination inutile[139].

La théologie ancienne a donc tiré parti des phénomènes que la science moderne étudie sous le nom d’atavisme. On ne pouvait faire autrement que de remarquer dans les familles les ressemblances des traits et des caractères. On observait la transmission de certaines maladies, de la folie, des verrues et des taches[140] ; comment n’aurait-on pas observé l’hérédité des tares morales ? Le fils ne se détache pas du père, comme l’œuvre de l’ouvrier : il renferme une partie de son auteur. Les méchants font passer dans leurs enfants les éléments essentiels de leur personnalité, et ces éléments ne restent pas inactifs : qui les a reçus en vit, s’en nourrit et y trouve la substance de ses pensées et le mobile de ses actes[141]. Dès lors, quoi de plus juste que la responsabilité familiale ? Il est vrai que le châtiment divin épargna parfois, non pas seulement le coupable, mais encore ses descendants immédiats, pour retomber sur un de ses arrière-neveux : ce sont ces coups de foudre frappant à brande distance qui bouleversaient si fort l’honnête Hérodote[142]. Mais on voit de même les particularités physiologiques sauter une ou plusieurs générations. Les affections de l’âme qui se perpétuent dans une lamine peuvent donc rester cachées très longtemps ; tout à coup elles sortent de leurs profondeurs, ώσπερ έκ βυθοΰ, pour pousser un homme au crime et au châtiment[143].

Si l’un était borné à constater sans idées préconçues une loi naturelle, il aurait fallu reconnaître qu’elle n’exerce son empire que dans certaines limites, On n’aurait pas pu lui donner une portée infinie, en faire une loi divine. Le préjugé des causes finales lui conféra une valeur absolue. Sans doute on trouverait quelques réserves dans Eschyle et dans Platon. Quand, après les meurtres qui ont par trois fois ensanglanté la race de Pleisthénès, le spectateur oppressé se demande avec le chœur et le courroux de la fatalité ne sera pas assouvi enfin, la poète trouve juste qu’un terme soit mis à la succession jusque-là inéluctable des malheurs. Mais dans ce dénouement l’art dramatique a autant de part que la philosophie. Cette rédemption n’empêche pas Oreste d’avoir longtemps expié les fautes qu’il n’avait pas commises ; ces nouvelles lois laissent les Euménides continuer à régir les familles. Quant à l’auteur des Lois, s’il admet comme possible l’affranchissement de l’hérédité morale, il le considère comme une merveille de volonté virile, au point de demander gloire et louanges pour celui qui s’est ainsi évadé du mal[144] ; mais, au reste, il ne croit pas que le criminel, fils et petit-fils de criminel, puisse faire souche d’honnêtes gens, que le vice trois fois congénital puisse se transformer en vertu[145]. La nature n’admet pas que des enfants vertueux naissent de pères vicieux, ni des enfants bons de pères méchants : voilà en quels termes Denys d’Halicarnasse formule la conception grecque, qu’il oppose à la conception romaine, sans oser faire un choix[146]. Les arguments imaginés par l’apologétique païenne pour justifier le dogme indiscuté sont développés avec ampleur dans le traité de Plutarque sur les Délais de la vengeance divine[147]. Les dieux, qui connaissent les prédispositions de chaque homme, n’attendent pas toujours qu’elles se manifestent, mais en préviennent les funestes effets. Lorsqu’ils semblent à notre courte intelligence frapper un innocent, ils empêchent un crime en puissance de passer à l’acte, un scorpion de piquer, une vipère de mordre. Ce que l’humaine ignorance appelle injustice aveugle est prévoyance suprême et suprême équité[148]. D’ailleurs, quelle leçon porte avec elle cette terrifiante pensée, qu’en faisant le mal, un père fait par avance le malheur de ses enfants et lègue à toute sa lignée un héritage nécessaire d’expiations indéfinies ! Cette idée fausse avait donc, comme il arrive souvent, une grandeur apparente et une portée morale qui séduisirent le génie grec aux prises avec un des plus difficiles problèmes que puisse se poser l’esprit humain[149].

En poussant à bout leur principe, les Grecs arrivèrent à la doctrine du péché originel. Puisque tout homme est exposé par le seul fait de sa naissance au crime et au malheur, il faut bien que l’acte de génération, qui crée un être responsable de plus, soit en lui-même une souillure capable de motiver cette responsabilité nouvelle. Pressentie peut-être par Hésiode[150], cette doctrine s’est précisée dans les hymnes orphiques et a pris une place capitale dans l’œuvre d’Onomacritos. Elle a placé à l’origine nième de l’humanité une cause de déchéance universelle. Elle a cherché son point d’appui dans la mythologie. Les hommes sont issus de la cendre des Titans foudroyés : leurs ancêtres à toue sont les meurtriers de Zagreus : ils portent tous la peine de l’antique déicide[151], et ceux-là seuls peuvent aspirer au bonheur qui se sont purifiés du παλαιόν πένθος[152]. Ainsi, chez les Hellènes comme cher les Juifs, la théorie du péché a précédé celle de la chute[153] : on a longtemps considéré le fils de la femme comme un être abominable et corrompu qui boit l’iniquité comme l’eau[154], avant de remonter à la source même de toute corruption. Loin d’être le propre du judaïsme et du christianisme, le fameux dogme n’a pris sa forme définitive en Palestine qu’après avoir paru en Grèce depuis quatre siècles au moins. Il est vrai qu’il ne devint pas populaire dans la Grèce païenne et y resta confiné en un cercle étroit d’initiés ; mais il en fut de même durant quatre cents ans chez les chrétiens d’Orient[155].

Dans toutes ces variations de la même doctrine, celle qui fonde la responsabilité collective de la famille sur sa continuité, l’éthique et la théodicée ne firent que raffiner après coup sur la justification d’un principe admis depuis de longs siècles par la conscience hellénique. Quand une philosophie subtile, épurée, affirmait que la doctrine du châtiment héréditaire prenait sa source dans un sentiment élevé da la justice divine, elle ne se doutait pas que la religion se bornait à perpétuer le droit de l’époque primitive et que les dieux de la Grèce civilisée imitaient sans le savoir ces plus barbares ancêtres.

Mais, tandis qu’il s’accordait tant bien que mal avec le dogme de la responsabilité héréditaire, le principe de la responsabilité individuelle, de plus en plus fort, suggérait des théories nouvelles par où il se faisait franchement sa place dans la théologie, comme dans la législation. Il y eut ainsi en présence des systèmes très différents et même contradictoires. Ce n’est pas une raison pour qu’ils n’aient pas été contemporains et ne se soient pas conciliés dans les mêmes esprits, par un effet de cette tolérance pratique, de cet éclectisme non réfléchi qui est de tous les temps et de tous les pays. La croyance à la transmission des châtiments en ce monde n’empêchera pas les Grecs de croire à l’expiation personnelle des fautes dans le monde infernal.

La plupart des ethnologistes posent en fait que l’homme primitif ne conçoit pas une vie future où sont réparées les injustices de la vie terrestre, où les bons sont récompensés et les méchants punis[156]. Cependant, d’après un très distingué représentant de l’école, cette idée ferait son apparition chez les peuples les plus sauvages et serait contraire à l’hypothèse animiste qui admet la continuation pure et simple de la vie après la mort[157]. L’exemple des Grecs semble prouver que la croyance au châtiment posthume est aussi vieille que la croyance au châtiment héréditaire, mais que, loin d’être en opposition avec, la doctrine de la continuation, elle en est dans certains cas la conclusion naturelle. Puisque les règles de la vendetta mettent l’offenseur et sa famille à la discrétion de l’offensé, puisqu’elles s’appliquent aussi bien aux relations entre les dieux et les hommes qu’à la vie sociale, puisqu’enfin le mort conserve assez de sensibilité pour combattre encore et souffrir avec les siens, le dieu qui a une raison d’en vouloir à un homme peul aussi bien se venger sur son ombre que sur ses fils vivants. La mort de l’adversaire n’éteint pas la colère du guerrier vainqueur ni du meurtrier : la privation de sépulture, la mutilation du cadavre prolongent la vengeance humaine. Le dieu a seulement cet avantage, de pouvoir satisfaire sa haine sur le fantôme de son ennemi. A l’origine, on ne connaît même pas encore de séjour souterrain où se rendent tous les morts : la roue ailée à laquelle Zeus a fait attacher Ixion a longtemps roulé dans les airs, avant de tourner sur place en enfer[158] ; longtemps le Tartare est resté le gouffre où se tiennent avec Cronos les Titans déchus[159].

Il fallut que la Grèce eût déjà de grandes agglomérations d’hommes vivant dans des cités et enterrés dans des nécropoles, pour se représenter la demeure d’Hadès comme une immense cité des morts. Mais dans l’empire souterrain, tel que le décrivent les parties anciennes de la Nékya homérique, les ombres falotes vivent, avec moins d’intensité, comme elles ont vécu en haut[160]. Ni châtiments ni récompenses. Toujours la vengeance privée[161]. Si l’enfer est déjà dans des passages interpolés[162] un lieu de supplices, il ne possède pas encore de tribunal chargé de juger tous les morts. Minos, le sceptre à la main, rend des arrêts à des âmes de plaideurs qui lui demandent justice les unes contre les autres : c’est qu’il continue à exercer la fonction qui le rendait célèbre sur terre, tout comme le chasseur Orion, la massue à la main, chasse encore dans la plaine d’asphodèles les bêtes fauves qu’il trait jadis sur les montagnes. Tityos a le foie déchiré par d’insatiables vautours, parce qu’il a outragé Lêtô[163] ; Tantale est condamné à une soif inextinguible, parce qu’il a dérobé aux dieux le nectar et l’ambroisie[164] ; Sisyphe roule éternellement son rocher, parce qu’il a osé combattre Zeus[165]. Aux yeux des Grecs, les peines infernales n’ont été d’abord que des actes de vengeance personnelle, accomplis par la main des dieux ou des Erinyes[166].

Mais la punition des morts, une fois localisée dans le royaume des ténèbres, y a pris rapidement un caractère nouveau. Les phases de cette évolution sont telles pour la Grèce qu’elles ont été déterminées pour d’autres pays dans ces lignes de Léon Marillier : Le châtiment des crimes semble tout d’abord une affaire privée dans l’autre monde comme en ce monde-ci. Mais bientôt une confusion s’établit. L’autorité des dieux s’accroît, comme aussi celle des chefs, leurs fonctions se multiplient ; non contents de châtier les crimes qui les atteignent directement, ils châtient ceux dont sont victimes leurs serviteurs dévoués, leurs adorateurs fidèles. Peu à peu ils apparaissent, les dieux du moins qui habitent le pays des morts, comme des juges qui étendent leur juridiction sur tous les actes des hommes et punissent même celles de leurs fautes qui ne les lèsent point eux-mêmes. L’idée alors s’est créée du dieu juge... Les dieux se sont moralisés en même temps que se moralisaient les hommes[167]. Il y a donc un rapport constant des idées sur la vie future aux idées sur l’urbanisation sociale et la responsabilité. L’eschatologie, c’est encore du droit.

En Grèce, la justice des dieux n’a pas seulement suivi de loin dans ses progrès la justice de l’État ; elle l’a encore imitée dans ses procédés. Sur terre, on a commencé à ne condamner le coupable. Sans attendre la plainte de l’offensé, que dans, les cas spéciaux où celui-ci était incapable, de demander satisfaction : la γραφή n’a pas eu d’autre objet à ses débuts, dans la première partie du VIe siècle, et son premier emploi, comme on l’a vu, a dû être la répression de la κάκωσις γονέων. Il en a été de même aux enfers. Là, les Erinyes ont exercé le ministère public au profit des dieux, comme jadis, mais aussi au profit des parents maltraités par leurs enfanta ou des suppliants repoussés par leurs hôtes[168]. C’est par l’extension des γραφαι que Minos a cessé d’être un Perrin Dandin s’obstinant à rendre des sentences après la mort, pour constituer avec Rhadamanthe, champion du talion, et Aiacos, représentant de l’équité, le tribunal suprême qui avait pour mission de réparer toutes les injustices de la vie en traitant chacun selon ses œuvres[169].

La doctrine de la rémunération posthume s’oppose donc par ses origines mêmes à toutes les solidarités de famille. Elle devait convenir à la théologie de l’époque solonienne, à l’orphisme[170]. Les poètes orphiques ont, en effet, tracé avec prédilection ces sujets, la Descente aux enfers, l’Evocation des morts[171] : ils y cherchaient, non pas un simple prétexte à catalogues épiques, mais un motif à descriptions mystiques et à méditations morales. Leur hostilité contre les vieilles traditions, tendait à faire prévaloir dans la société le principe de responsabilité personnelle ; c’était le justifier et en même temps la compléter que d’y soumettre la république d’outre-tombe. Les mêmes raisons de politique ont fait que le VIe siècle vit triompher l’orphisme et que l’orphisme donna pour la première fois un grand développement à la conception morale de l’autre monde. Aussi les philosophes qui se sont le plus inspirés de l’enthousiasme orphique, les pythagoriciens, ont-ils ramené la justice au talion, pour l’appliquer uniquement au coupable, non plus à sa famille[172], et fait régner sur toutes les âmes éparses dans les mondes l’infaillible loi de Rhadamanthe[173].

Il y avait donc quelque chose de révolutionnaire dans la croyance aux peines infernales. Cependant les orphiques n’entendaient pas s’insurger contre la loi de l’hérédité : ils voulaient l’expliquer. C’est pour montrer, sous tes apparences de la responsabilité collective et transmissible, la réalité persistante de la responsabilité personnelle qu’ils élaborèrent la théorie de la migration des âmes et de la métempsycose.

Cette théorie n’était pas sans présenter des analogies avec les plus vieilles conceptions de la race grecque. On avait toujours cru pour des raisons physiologiques à une identité partielle du père et du fils, à une espèce de filiation par scissiparité : on pouvait rendre cette identité absolue en la spiritualisant et se dire, comme se sont dit bien des peuples, que l’âme coupable de l’aïeul ressuscite dans le descendant pour être punie[174]. On avait toujours admis dans la mythologie que certains êtres, des dieux et même des hommes, possédaient le don de métamorphose : ce qu’on avait pris pour un privilège surnaturel était le lot commun. On venait encore, dans l’école des philosophes ioniens, de démontrer l’éternel écoulement des choses et les transformations infinies des mêmes éléments : il suffisait d’appliquer la loi universelle à l’homme. La raison et l’imagination des Grecs étaient donc préparées à recevoir la métempsycose. Elle leur vint peut-être tout de même de l’étranger. De l’Inde, de l’Egypte ou de la Thrace ? On pencha de nos jours pour l’opinion d’Hérodote, favorable aux Egyptiens[175]. En ce cas, les Grecs acceptèrent la théorie de la migration dans la pensée où elle a été créée ; car les Égyptiens étaient convaincus, selon Isocrate[176], que tout crime est expié par le coupable lui-même et ne retombe pas sur sa postérité.

Il y eut donc en Grèce des gens pour croire que la vie terrestre est une expiation et que l’âme est obligée de reprendre un corps après un autre, de parcourir douloureusement un cycle infini d’existences, jusqu’à ce que par la souffrance elle ait reconquis la pureté et par la pureté la vie éternelle de l’au-delà. Ceux qui par l’esprit et le cœur pouvaient s’élever à la hauteur de ce dogme devaient y trouver un grand réconfort. Ils s’expliquaient qu’un être fût malheureux pour une faute commise avant sa naissance, puisqu’il était, lui en personne, l’auteur de cette faute. Ils comprenaient qu’un criminel échappât sur le moment à la punition, puisqu’il était puni, lui en personne, sous une autre forme[177]. Ils savaient que ce qu’on appelle communément la vie est une mort, mais s’enchantaient à la pensée que l’âme, enfermée dans la chair comme dans une prison ou dans une tombe[178], peut, par la grâce de Dieu[179], se délivrer du cycle et respirer affranchie de la misère[180].

Cette doctrine dut se répandre en Grèce vers le milieu du vie siècle. Son histoire se confond avec celle de l’orphisme[181]. Sans doute les ‘plus anciens des documents mystiques sur la transmigration pénale, ces fragments d’un Livre des Morts qu’on a trouvés sur des feuilles d’or dans la Grande-Grèce datent du IVe siècle seulement : avant cette époque, la métempsycose ne s’est pas incorporée à la tradition orphique comme un dogme[182]. Ce ne sont pourtant pas les pythagoriciens qui ont fonda la doctrine qu’ils ont illustrée. Née spontanément ou acclimatée en pays grec, elle y a poussin sous le même souffle d’idées que l’orphisme et les mystères. Elle n’a point passé des philosophes aux prêtres, a dit Zeller[183], mais des prêtres aux philosophes. Les prêtres eux-mêmes n’ont fait que formuler en système les mots que quelques gens du peuple, sous l’empire d’un sentiment puissant, avaient balbutiés pour la première fois ou recueillis sur des lèvres étrangères. La croyance à la métempsycose sortit assez naturellement d’un milieu d’où se dégageait sous toutes les formes l’idée de la personnalité humaine.

Quoique conformes à un sentiment de plus en plus général, les théories favorables a la responsabilité personnelle ne l’emportèrent pas sur la vieille doctrine de la responsabilité collective et transmissible. Elles n’entrèrent jamais comme partie intégrante dans le fonds dogmatique de la religion grecque. Elles auront toujours contre elles l’indifférence, sinon l’hostilité, de Delphes[184]. Le docte auteur de la Nékyia regrette qu’on ne sache à peu près rien de l’influence exercée par Delphes sur les représentations de l’Hadès[185]. La chose est cependant assez compréhensible. L’oracle pythien n’enseignait pas la doctrine de l’Hadès. Quand il lançait contre des criminels ses terrifiantes prédictions, il menaçait du châtiment divin leur descendance ou leur patrie : pas même aux parjures comme Glaucos il n’inspirait la peur des peines infernales. On trouverait bien à mentionner le cas de Phlégyas. Ce personnage avait incendié le temple de Delphes[186] : c’est là probablement qu’a été inventé son supplice[187]. Mais cette légende est mentionnée nulle part avant Virgile. D’ailleurs, elle ne présente qu’un exemple de vengeance personnelle exercée sur un mort. Le sacerdoce pythique admit l’idée de l’enfer, telle qu’elle se trouve dans les interpolations de l’Odyssée ; il n’alla pas plus loin.

La croyance à la juridiction d’Hadès et à la migration des âmes resta cantonnée dans quelques sectes philosophiques et religieuses. Elle ne se répandit que dans les cercles restreints que lui ouvrit l’orphisme. Sa vogue fut ésotérique.

Les pythagoriciens ont eu ce grand mérite de poser pour la première fois le problème de la personnalité humaine[188]. Mais ils ne faisaient rien pour donner à leur solution un charme consolateur : ils s’adressaient à la raison pure. Pythagore déclarait avoir vu dans le Tartare l’ombre d’Homère pendue à un arbre et celle d’Hésiode attachée à une colonne d’airain, en expiation de tout ce qu’ils avaient dit d’injurieux pour la divinité[189]. Empédocle savait qu’il avait, comme tant d’autres, commis un meurtre dans une existence antérieure et que de là résultait pour lui la nécessité d’errer loin des dieux, ballotté du ciel à la mer, de la mer à la terre, de la terre au soleil. Il n’y avait pas là de quoi rendre aimable une doctrine qui poussait vers le sentiment le plus contraire peut-être au génie hellénique, le désir du néant.

C’est encore par les mystères que le dogme nouveau avait le plus de chance de recruter des adeptes : Eleusis s’en faisait un instrument politique, uns incomparable réclame. Il suffit d’être initié pour avoir droit à l’éternel bonheur par l’intercession de Perséphonè, d’Eubouleus et de toutes les puissances dont la protection est acquise aux mystes[190]. On est sûr, en arrivant aux régions infernales, à y trouver soit Orphée, soit Triptolème, qui reconnaît les siens à la couronne de myrte et les fait recevoir dans le royaume des bienheureux[191]. Les plus belles espérances[192] adoucissent la mort quand, par lustrations, extases et abstinences, on a pris rang parmi les bons, les justes, les purs, les saints. Au contraire, quiconque a gardé la souillure originelle ne peut échapper aux châtiments d’enfer. Cette émouvante alternative de béatitude certaine ou d’inévitable misère se pose sans ambages devant tous les hommes. Ô trois fois heureux les mortels qui ont contemplé ces mystères avant de descendre citez Hadès ! Seuls ils y trouvent la vie ; aux autres tout est souffrance. Ainsi s’écrie Sophocle, et l’exclamation est déjà traditionnelle, liturgique[193]. Une des scènes peintes par Polygnote dans la Lesché de Delphes représentait la barque de Charon entraînant, loin des rives où les suppliciés gémissent, une troupe d’initiés que le ciste de Déméter voue à la félicité sans fin[194] ; comme pendant, on voyait des femmes non initiées portant de l’eau dans des cruches brisées ou en versant, comme les Danaïdes, dans un pithos sans fond[195]. Platon place les initiés dans la société des dieux et fait croupir les non-initiés dans un bourbier[196]. Selon Plutarque, après les craintes, les terreurs, les frémissements, les pleurs d’angoisse qui précédent la mort, les âmes des uns passent dans des prairies délicieuses, pour y respirer l’air le plus pur, écouter des concerts et des discours sacrés contempler des visions célestes et célébrer dans la pleine possession d’elles-mêmes les plus augustes des mystères, tandis que les âmes des autres s’enlisent dans la boue au milieu de profondes ténèbres[197]. Bon nombre de Grecs devaient donc se dire qu’il y avait tout avantage à se faire initier : si la doctrine des mystères était fausse, on ne risquait rien ; si elle était vraie, on s’assurait une place aux Champs-Élysées, précaution toujours bonne à prendre.

Aux adhésions qu’obtient une doctrine servant d’appât il se mêle quelque peu de scepticisme. Diogène ne voulait pas admettre que le brigand Pataikiôn eût dans l’autre vie, parce qu’il était initié, un meilleur sort qu’Épaminondas, qui ne l’était pas[198]. Bien des gens aussi croyaient sincèrement à la justice d’outre-tombe, sans être conséquents avec eux-mêmes, sans croire que le châtiment du coupable libérait sa postérité. Les doctrines opposées faisaient bon ménage dans les esprits. Ces contradictions ne choquaient pas les intelligences les plus déliées. Polygnote plaçait sa grande composition de l’Enfer à Delphes, où la théorie des peines infernales n’avait pas cours ; il y montrait les ombres récompensées ou punies d’après la règle orphique ou dionysiaque ; enfin il se conformait aux idées homériques, telles qu’elles se présentaient dans l’Odyssée connue de son temps, en figurant les supplices infligés sur les rives de l’Achéron comme des vengeances de dieux ou même d’autres ombres[199]. Pindare non plus ne se sent gêné par de semblables antinomies. Il dépeint, on sait par quelles images frappantes, la série des existences qui s’enchaînent dans une race, la fatalité des compensations s’imposant aux générations successives, et le παλαιόν πένθος, le vieux péché qu’expie l’humanité entière. Ce même homme a pu être donné pour un pythagoricien[200], et, en tout cas, qu’il ait été initié ou non, il a subi l’influence de l’orphisme et des mystères[201]. Comme Théron d’Agrigente, à qui est dédiée la deuxième Olympique, il a connaissance de la vie future. Il sait qu’aussitôt après la mort, les âmes ont à expier leurs fautes, que les crimes commis ici dans l’empire de Zeus trouvent sous la terre un juge sévère aux sentences inévitables. Il sait que dans le séjour des justes un soleil qui brille de nuit comme de jour éclaire une vie facile et sans larme, passée près de divinités augustes, cependant que le séjour des méchants présente un spectacle de supplices insupportables à voir. Il sait même qu’il faut, trois fois dans l’un et l’autre séjour, avoir su garder son âme de toute injustice, pour parvenir au terme où mène la route de Zeus, au palais de Cronos, dans les Iles des Bienheureux, parfumées par les brises de l’Océan et fertiles en fleurs d’or qui s’offrent à être tressées en guirlandes ou couronnes[202]. Le poète, comme le peintre, use d’un lange syncrétisme. Il a senti passer sur son âme les souffles nouveaux qui se sont exhalés d’Eleusis et des cénacles orphiques ; il n’en est pas moins resté fidèle aux conceptions d’Homère et d’Hésiode, il n’en a pas moins conservé la vieille idée de la responsabilité héréditaire.

L’harmonie de la vie hellénique exigeait cependant qu’à l’époque où le principe du châtiment personnel l’emportait devant la justice humaine, la théodicée se mit autant que possible à l’unisson. Alors parut Platon. A maintes reprises, dans le Phèdre (p. 248), le Timée (p. 28 ss.), et le Gorgias (p. 523), dans la République[203] et les Lois[204], il décrit la destinée de l’âme[205]. D’essence divine et naturellement autonome, elle est déchue du montent qu’elle est unie à un corps, et la chute s’explique soit par la révolte des appétits contre la raison, soit par la volonté du Démiurge. Par la mort elle reprend sa liberté. Nue, elle comparait devant des juges nus : rien ne doit altérer la sincérité de la sentence à rendre. La route qu’elle a suivie bifurque au carrefour du tribunal. A droite, un chemin qui monte, pour les élus ; à gauche, un sentier qui descend, pour les damnés. Aux uns est réservée l’ascension glorieuse vers les régions supra-célestes ; les autres sont plongés dans des fleuves de feu et de bourbe. Entre ces deux catégories se trouvent les âmes qui ne sont ai complètement souillées ni parfaitement pures. Elles se rendent dans un purgatoire, d’où elles sortent après mille ans révolus, pour rentrer dans une prison charnelle : nouvelle épreuve qui leur permet de s’affranchir par la vertu, de se rédimer par l’effort. Comme on le voit, l’eschatologie de Platon présente une grande cohésion. Mais elle n’a d’originalité que dans le détail et par le style. Elle vient toute de l’orphisme. Platon, a dit Henri Weil (p. 62), s’est plu à redire à sa façon, c’est-à-dire en poète, les mythes des théologiens orphiques ; mais il les donne pour des mythes, non pour des vérités démontrées. Or, si de pareilles idées n’avaient pu pénétrer profondément dans le peuple sous la forme religieuse et dramatique des mystères, elles ne pouvaient pas exercer une plus grande action sous la forme d’une hypothèse philosophique où la majesté se tempère d’ironie.

C’est dans Homère, ce n’est pas dans Platon, que les Grecs puisaient leurs idées sur l’Hadès : le philosophe n’avait pas tort d’en vouloir au poète dont les vers étaient devenus la Bible de la nation[206]. On imaginait toujours que les morts se retrouvent dans la demeure souterraine et y continuent avec une vitalité moindre la vie terrestre. Là-bas, parmi les asphodèles, les ombres errantes conservent les pansions d’autrefois, un peu amorties. L’amour persiste : les parents et les enfants, les frères et les sœurs seront heureux d’être réunis après l’inévitable séparation et de s’embrasser encore une fois[207]. A l’heure du suprême adieu, l’époux recommande à l’épouse qui part de préparer la maison où s’abritera leur bonheur renouvelé[208]. Amants, veuves, orphelins se sont souvent donné la mort pour ne pas attendre et ne pas se faire attendre[209]. La honte aussi reste attachée au criminel, et à la victime du crime la haine vengeresse[210]. Socrate lui-même, après sa condamnation, n’était pas léché à l’idée de converser chez Hadès avec Palamède et d’autres héros tués par la calomnie[211].

Il est vrai que les Grecs, avant la période alexandrine, ne distinguaient pas dans la Nékyia homérique les passages authentiques et les interpolations : ils ne mettaient pas de lunettes critiques pour lire leur poète[212]. Ils lisaient, d’une part, le récit des supplices infligés aux ennemis des dieux, d’autre part, les vers où Minos rend la justice aux mânes qui se pressent à son tribunal. Par une confusion bien naturelle, ils retrouvaient dans l’Odyssée une conception analogue à celle que leur faisaient connaître l’orphisme et les mystères. Tout cela se mêlait dans les compositions de Polygnote, dans les vers de Pindare et d’Eschyle : comment n’en eût-il pas été de même en des intelligences moins relevées ? A partir du IVe siècle, la doctrine de la justice infernale commence à se répandre dans le peuple. On s’en aperçoit surtout au langage usité devant les tribunaux athéniens[213] Déjà Socrate oppose aux prétendus juges qu’il a devant lui les vrais juges devant lesquels il doit comparaître[214]. Isocrate munit dans un commun éloge les trois noms de Minos, de Rhadamanthe et d’Aiacos[215]. Démosthène demande aux héliastes de condamner Timocratès à mort, pour qu’il aille chez Hadès porter sa loi scélérate aux impies[216].

Cependant la croyance à la justice de l’au-delà ne fut jamais véritablement populaire en Grèce. Tout ce qu’on peut admettra, c’est qu’elle gagnait du terrain, tout en étant flottante, incertaine, sans forme arrêtée[217]. Mais on voit à bien des signes qu’elle ne conquit pas la conscience hellénique.

Quand Platon parle de jugement suprême, il invoque les autorités sacrées du vieux temps[218]. Les lois ne cessèrent pas d’ajouter la privation de sépulture aux peines prononcées contre les grands criminels, loin de les précipiter au plus tôt en enfer[219]. Dans le langage vulgaire, on envoyait aux corbeaux, non au diable. C’est à peine si quelques peintures de vases représentent les supplices infernaux ; encore ces monuments, trouvés dans l’Italie méridionale, datent-ils du IIIe siècle, et le sujet, toujours emprunté à des fables mythologiques, y est traité d’après des tableaux fameux, comme celui de Polygnote[220]. On a remarqué la rareté des inscriptions sépulcrales qui font mention de la vie future, de ses peines et de ses récompenses[221]. Un fait connu indique mieux que tout le reste qu’aux plus beaux siècles de leur histoire les Grecs n’avaient pas grande opinion du bonheur dont pourraient jouir les ombres... Les orateurs chargés de faire l’éloge des citoyens morts pour la patrie, quand ils adressaient des consolations aux familles en deuil, ne faisaient aucune allusion ni à un revoir ni à une félicité d’outre-tombe. L’immortalité qu’ils promettaient aux victimes de la guerre est celle du nom, de la gloire, du souvenir de la postérité... Platon lui-même, dans son Ménéxène, ne perd guère de vue le monde des vivants ; c’est que, tout est donnant un modèle du genre, il veut se conformer aux traditions oratoires, qui répondent aux croyances de la majorité[222]. Henri Weil, à qui nous empruntons cette observation, l’explique uniquement par l’influence d’Homère. Un ancien en a cependant donné une autre explication qui laisse subsister celle-là, mais qui est plus pénétrante. Plutarque admet comme l’opinion la plus probable la survivance de l’âme et le jugement posthume : il considère, pour sa part, la vie terrestre comme une lutte après laquelle chacun obtient la palme ou fa correction qu’il a méritée. Ce qui empêche cette croyance de se répandre davantage, c’est, croit Plutarque, la croyance à la responsabilité héréditaire. Les sanctions personnelles de l’enfer restent ignorées : voilà pourquoi l’on ne s’en fait guère de souci et l’on n’y ajoute foi qu’à moitié. Au contraire, les châtiments qui frappent les enfants du coupable et toute sa race sont choses visibles dès cette vie : comment une pareille certitude n’agirait-elle pas sur l’esprit[223] ?

Plutarque a raison. L’instinct de la justice n’avait pas besoin de s’attacher à la pensée de la vie future et de ses supplices, parce qu’il se satisfaisait, en dépit de quelques doutes. A la vue des châtiments transmis des pères aux fils[224]. Et ainsi, dans les temps de la civilisation la plus raffinée, il suffisait aux Grecs de constater certains phénomènes d’hérédité, pour entretenir dans leur cœur le principe de solidarité familiale, qui leur venait de la barbarie primitive. Prêtres, poètes et philosophes dissertaient avec élégance et conviction sur la puissance divine et la responsabilité humaine, ils employaient toutes les ressources de l’imagination la plus vive et de la dialectique la plus agiles à suivre le vol des âmes d’un monde à l’autre monde : ils croyaient leur parade suprêmement libre... Ils répétaient inconsciemment des axiomes ataviques. Ils attribuaient à la divinité un droit qui avait été celui de leurs aïeux et dont eux-mêmes ne voulaient plus.

 

 

 



[1] Odyssée, I, 319 ; XVII, 51.

[2] Iliade, XXIV, 602-617 ; Apollod., III, 5, 6, 3-4.

[3] Pausanias, I, 43, 7-8. Poseidon ne fait par moins pour venger un fils mutilé : à l’appel du Cyclope, il frappe tant qu’il peut les compagnons d’Ulysse (Odyssée, I, 21-22, 68-73 ; IX, 526-536), puis les Phéaciens, ses protecteurs (XIII, 96-187).

[4] Diodore, IV, 42, 2-6. Si Héraclès laisse Hésionè chez son père, c’est comme dépôt : il ne la restitue pas (Ibid., 7).

[5] Pausanias, VII, 19, 2-5. La même Artémis punit la négligence injurieuse d’Oineus en faisant ravager le territoire de Calydôn par un sanglier et massacrer les Étoliens par les Curètes (Iliade, IX, 533 ss.).

[6] Pausanias, III, 13, 4 ; Iliade, I, 8 ss., 37 ss., 93 ss., 141 ss., 370 ss., 438 ss.

[7] Plutarque, Des délais de la veng. div., II, p. 557 D ; Polybe, XII, 5, 7.

[8] Plutarque, Solon, 12.

[9] Cette règle n’est violée qu’à une époque relativement récente. Dans le mythe de Pélops, le meurtre de l’Acadien Stymphalos a pour conséquence de rendre stérile la Grèce tout entière (Apollod., III, 14, 6, 10 ; Pausanias, II, 29, 7). Evidemment, ce meurtre n’est pas un attentat contre une divinité ; mais aussi la solidarité panhellénique est le contraire d’un archaïsme.

[10] Iliade, XIII, 623-627 ; cf. Eschyle, Ag., 362 ss., 399 ss.

[11] Iliade, XVI, 384-399. Au tableau des malheurs entraînés par l’injustice s’oppose (Odyssée, XIX, 109 ss.) celui des félicités que la justice répand dans tout pays.

[12] Œuvres et jours, 240-245.

[13] Œuvres et jours, 248-255.

[14] Œuvres et jours, 258-262 ; cf. 222, 224.

[15] Cf. Plutarque, Des délais de la veng. div., 16, p. 559 D-E.

[16] Iliade, LV, 160-161 ; Solon, IV (XII), 15 ss. (Bergk, II, p. 35 ss.) ; Eschyle, Suppl., 732-733 ; Ag., 15 ss. ; Choéph., 382 ss., 646 ss. ; Sophocle, Œd. Col., 1536 ; Euripide, Bacch., 882-890 ; fragm. 86 et 837 (éd. Didot, p. 640, fr. XIX ; p. 825, fr. II). Cf. Nägelsbach, Nachhom. Theol., p. 28-33 ; Nitzsch, Die Sagenpoesie der Gr., Braunschweig, 1852, p. 511-513 ; L. Schmidt, I, p. 69-71 ; Rohde, II, p. 228 ; Lévy-Bruhl, L’idée de resp., p. 152-154.

[17] La justice divine n’hésite pas à punir le père dans ses enfants avant de le punir en personne (Diodore, XX, 70, 3 ; Ellen, Hist. var., XIII, 2 ; Pausanias, IX, 5, 9).

[18] Solon, XIII (IV), 17 ss., 29-32 (Bergk, II, p. 41 ss.).

[19] Theognis, 202-208 ; Eschyle, Suppl., 434-437 ; Eum., 934 s. ; Euripide, Hér. fur., 1264-1265 ; Hipp., 831-832, 1340-1341, 1378 ss. ; fragm. 949 ; (Lysias), C. Andoc., 110 ; Xénophon, Hell., VI, 4, 84. Voir Nägelsbach, op. cit., p. 34-35. L. Schmidt, l. c., p. 71-73. Il faut que l’impiété soit exceptionnellement monstrueuse, pour que les dieux frappent le coupable en personne (Lysias, ύπέρ Φανίου παρενόμων, dans Athénée, XII, 75, p. 552 A = Or. att., Didot, II, p. 278, fr. 140). Cf. Isocrate, C. Callim., 3.

[20] Plutarque, Quæst. gr., 38, p. 299 E-F ; cf. Frazer, The golden bough, II, p. 36-37. Voir encore Pausanias, VIII, 53, 3 ; Aristote, De mirab. auscult., 106 ss.

[21] Cf. Nitzsch, op. cit., p. 515.

[22] Les femmes des chefs phocidiens qui avaient trempé dans le pillage de Cirrha furent frappées de mort pour avoir porté des colliers provenant du trésor sacré (Diodore, XVI, 64, 2). La concubine de Philomélos, Pharsalia, fut mise en pièces à Métaponte par des devins (Théop., dans Athénée, XIII, 83, p. 604 C = F. H. G., I, p. 308, fr. 182).

[23] Hérodote, VII, 197 ; cf. O. Müller, Orchom. und die Minyer, 2e éd. p. 156 ss.

[24] Id., VI, 116 ; Pausanias, II, 18, 2.

[25] Hérodote, I, 13, 91. C’est encore Apollon qui exclut de son temple à Ténédos les joueurs de flûte (Héraclide du Pont, VII, 1, dans les F. H. G., II, p. 213 ; Diodore, V, 83, 5 ; Plutarque, Quæst. gr., 28, p. 297 E ; Étienne de Byz., s. v. Τένεδος. Cf. Iliade, I, 38 ; Strabon, XIII, 46, p. 604 ; Pausanias, I, 37, 6-7 ; 43, 7-8, III, 13, 4 ; Plutarque, Des délais de la veng. div., 12, p. 557 D).

[26] On constate la solidarité passive de la corporation chez d’autres peuples que les Grecs. Elle est admise, par exemple, dans la législation criminelle des Arabes (cf. Dareste, Ét. d’Hist. du dr., p. 64).

[27] Il faut lire le passage d’Hérodote (VI, 66) sur les familles de hérauts, de joueurs de flûtes et de cuisiniers à Lacédémone. On connaît aussi dans la Grèce primitive ou classique des familles d’aèdes, d’artisans, de devins et de médecins. Voir Guiraud, La main d’œuvre ind. dans l’anc. Gr., p. 20-21, 65-66 ; Francotte, L’ind. dans la Gr. anc., I, p. 298-299 ; C. Bouglé, Rem. sur le rég. des castres, dans l’Année sociol., IV (1901), p. 8-9 ; S. Reinach, art. Medicus, dans le Dict. des ant., p. 1673.

[28] Voir note 25. L’explication donnée par O. Müller, Dorier, I, p. 344 (Apollon ennemi de la flûte), ne convient pas à une aussi vieille légende et néglige les circonstances les plus importantes du fait.

[29] Hérodote, VII, 197. La ressemblance est frappante entre la légende d’Alos et celle de Ténédos. Phrixos et Hellê, menacée par leur père Athamas à l’instigation de leur belle-mère Ino, ont pour prête-noms Tennès et Leucothéa, exposée à la mort par leur père Kyknos sur la plainte de leur belle-mère Phylonomè (cf. Preller-Robert, Gr. Myth., 4e éd. p. 603). Une πρόρρησις identique frappe à Mantinée des familles de meurtriers sacrilèges (voir Fougères, Mantinée et l’Arc. Or., p. 525, l. 26-27).

[30] Eschine, C. Ctés., 18.

[31] Cf. Dittenberger, Die Eleus. Keryken, dans l’Hermès, XX (1885), p. 31 ; Töpffer, Att. Geneal., p. 67 ; Beauchet, I, p. 17.

[32] Hérodote, VII, 131, 136, 137 : cf. Pausanias, I, 36, 3. A l’époque de Plutarque (Quæst. gr., 38, p. 299 F), les Orchoméniens punirent la faute d’un prêtre en retirant à sa famille le monopole du sacerdoce.

[33] Euripide, Suppl., 223-228.

[34] Démosthène, C. Lept., 158 ; C. Aristocr., 80.

[35] Euripide, l. c., 229 ss., 591 ss. Lysias, C. Agor., 79-81.

[36] Démosthène, l. c.

[37] Cf., en général, L. Schmidt, I, p. 66-68 ; Nägelsbach, Nackhom. Theol., p. 31-32 ; van Limburg Brouwer, VI, p. 90 ss.

[38] Polybe, XXXII, 27 ; Diodore, XXXI, 35. Cf. id., ibid., 45.

[39] Elien, Hist. var., III, 43 ; cf. Plutarque, Des délais de la veng. div., 12, p. 557 D.

[40] Plutarque, l. c., B.

[41] Diodore, XVI, 64.

[42] Plutarque, l. c., 11. Pausanias attribue au ressentiment des dieux, jadis irrités par un crime, la malchance qui poursuivait encore Mégare au temps d’Hadrien (I, 36, 3 ; voir aussi VII, 15, 6). Il est un genre analogue de responsabilité collective qui se perpétue partout dans les préjugés populaires : on fait retomber moralement la faute d’un homme sur sa ville, sur son pays. Les Grecs, qui sont aujourd’hui dans le langage des Occidentaux les victimes de ces injustes généralisations, ne s’en privaient pas jadis. On en trouve la preuve dans Hérodote, VIII, 128.

[43] Plutarque, l. c., 15, p. 559 A-C. Cf. Isocrate, Sur la paix, 120.

[44] Les rapts άτιμος et κατάρατος ou έπάρατος sont souvent rapprochés et deviennent synonymes, Voir Michel, n° 363, B, l. 50-52 (Nèsos) ; I. J. G., n° XXVII, A, l. 22-23 (Érésos) ; cf. Rev. des ét. gr., VI (1893), p. 8 s., l. 23-25 (Cyzique) ; Plutarque, Cum princip. philos., III, 5, p. 778 E.

[45] A Athènes, la dîme est prélevée en faveur d’Athéné sur les biens des traîtres et assimilés (Plutarque, Vie des dix orat., I, Antiphon, 27 ; Scol. d’Aristophane, Lysias, 313 ; Andocide, Sur les myst., 96 ; Xénophon, Hell., I, 7, 10 et 20 ; Michel, n° 72, l. 24-25 ; 86, l. 56-37 ; Dittenberger, n° 87, l. 13-14 ; B. C. H., XII, 1888, p. 159, l. 25-26). A Chalcis, elle l’est en faveur de Zeus Olympien (Dittenberger, n° 10, l. 34-35) ; A Amphipolis, en faveur d’Apollon (Michel, n° 324, l. 11-15). A Délos, les inventaires des administrateurs et des hiéropes mentionnent parmi les biens du dieu de nombreux immeubles qui sont le produit de la dîme (Michel, n° 377, B, l. 31 ss. ; 594, l. 16 ss. ; B. C. H., VI, 1882, p. 18, l. 140 ; cf. Homolle, dans le B. C. H., XIV, 1890, p. 434-435). A Mantinée, l’État partage par moitiés égales avec la déesse Aléa (Fougères, Mantinée et l’Arc, Or., p. 526, n° 20) ; à Thasos, avec Apollon Pythien (Michel, n° 354, l. 14). La même règle est appliquée dans la Grèce Septentrionale, à Daulis, à Hyampolis, à Tithora (I. G. S., III, n° 66, l. 14 s. ; 86, l. 13 s., 192, l. 19 s.). Quelquefois on a été plus loin : en Lydie, Crésus consacra aux dieux tous les biens d’un conspirateur (Hérodote, I, 92) ; à Argos, tous les biens du proscrit appartiennent à Héra (Amer. Journ. of arch., V, 1891, p. 159 ss., l. 3-4) ; à Thasos, tous les biens confisqués par ordres des Trois Cents sont consacrés à Apollon (A. M., XIII, 1897, p. 113 ss., n° 5) ; à Érétrie, tous les biens de la famille décrétée d’atimie reviennent à Artémis (I. J. G., n° IX, l. 32, 57) ; à Mylasa, l’amende pour contravention à un décret est à payer au naos (inscription citée par Ziebarth, dans l’Hermès, XXXII, 1897, p. 616, n. 3). Pour éviter les abus de la confiscation, Aristote, Pol., VII (VI), 3, 2, voulait ériger en principe cette consécration générale aux temples. Voyez sur cette question de la dîme Caillemer, art. Demioprata, dans la Dict. des ant., p. 66 ; Guiraud, p. 363 -364.

[46] Lysias, ύπέρ Φανίου παρανόμων, l. c.

[47] Fougères, op. cit., p. 525, l. 18-22, 26-27.

[48] Michel, n° 498, B, l. 49-50. Platon aussi assimile la haute trahison au sacrilège (Lois, IX, p, 858 C). A Cibyra, l’auteur d’une proposition illégale est assimilé au meurtrier impur, lui et sa famille.

[49] Thucydide, I, 121.

[50] Sur l’imprécation, voir Blanchard, Des impréc. publ. ses anc., dans les Mém. de l’Ac. des inscr., XVI (1751), p. 38-42 ; E. von Lasaulx, Der Fluch bei den Gr. und Röm., dans ses Stud. des class Att., Regensburg, 1854, p. 152-170 ; L. Schmidt, I, p. 85-92 ; Ziebarth, Der Fluch im gr. Recht, dans l’Hermès, XXX (1895), p. 57-70 : Bouché-Leclercq, art. Devotio, dans le Dict. des ant. ; Glotz, art. Jusjuraudam, dans le Dict. des ant., p. 752-753. En semant à profusion sur cette coutume les mots de lächerlich et Lächerlichkeit, Burckhardt, I, p. 251-253, a manifesté une fois de plus un don très rare d’inintelligence historique.

[51] Lebas-Waddington, n° 1499 (Mopsuestia).

[52] Polynice, saisi par l’imprécation d’Œdipe, court au-devant du destin et n’a plus qu’à demander comme grâce les honneurs funèbres (Sophocle, Œd. Col., 1404, 1409 ss., 1432 ss.). Cf. Euripide, Hipp., 1167.

[53] Iliade, IX, 454-456. Voir aussi 566-571 ; Odyssée, II, 134-136 ; Eschyle, Prom., 910 ss. ; Euripide, l. c. ; Hallan., dans le Scol. de l’Iliade, II, 105 (F. H. G., I, p. 50, fr. 42) ; Eschyle, Choéph., 912 ; cf. Platon, Lois, XI, p. 931 B-C. La malédiction d’Œdipe (Thébaïs, dans Athénée, XI, 14, p. 465 E-466 A = Kinkel, Epic. gr. fragm., I, p. 11, fr. 2 ; cf. Eschyle, Sept, 785 ss. ; Sophocle, Œd. Col., 1383 ss., Euripide, Phén., 624 ss.) fournissait à l’antiquité une expression proverbiale pour désigner le plus grand des malheurs.

[54] Euripide, Or., 996 ss. et Scol. ; et Sophocle, El., 508 ss. et Scol. ; Phérék., fragm. 93 (F. H. G., I, p. 93).

[55] Hellan., l. c.

[56] Eschyle, Ag., 1600-1602.

[57] Cf. Ziebarth, l. c., p. 57-60.

[58] Lorsque Alcibiade eut été condamné à mort par contumace dans l’affaire des Hermocopides, ordre fut donné à tous les prêtres et prêtresses de proférer des άραί contre l’impie (Plutarque, Alc., 22, 33 ; Quæst. rom., 44, p. 273 D ; Diodore, XIII, 69, 2).

[59] (Lysias), C. Andoc., 20.

[60] Michel, n° 804 (Tralles).

[61] Anc. gr. inscr, in the Brit. Mus., III, 520 (Ephèse).

[62] Eschine, C. Ctés., 111.

[63] Strabon, VIII, 33, p. 358. Pour ne pas exposer à l’άρά, sanction de l’έκεχειρία, les Eléens interdirent pendant des siècles l’accès des jeux isthmiques (Pausanias, VII, 2 ; Phérék., fragm. 36, et Istros, fragm. 46, dans le F. H. G., I, p. 52 et 424).

[64] Parœm. gr., I, p. 388. Sur l’άρά lancée par le prêtre de Bouzygès voyez encore Eupolis, Δήμοι, dans Aristide, XI.VI, p. 15 (Kock, Com. att. fragm., I, p. 283) ; Cicéron, De of., III, 13 ; Clément d’Alex., Strom., II, p. 503 ; cf. Hesychius, s. v. Βουζύγης ; Scol. d’Aristide, l. c. ; C. I. A., III, n° 71. Sur les lois de Bouzygès, destinées à régler les relations de bon voisinage et les devoirs d’hospitalité, il faut consulter, outre les textes des Parœmiographes et de Cicéron, Diphile, Παράσιτος, dans Athénée, VI, 35, p. 438 R (Kock, II, p. 561) ; Scol. de Sophocle, Antig., 255 ; Elien, Hist. var., V, 14 ; Philon le Juif, dans Eusèbe, Prép. év., 8, p. 358 D-359 A ; cf. Haupt, dans l’Hermès, V (1879), p. 36 ; Bernays, dans les Monatsber. d. Ak. d. Wiss. zu Berl., 1876, p. 604-609 ; Töpffer, Att. Geneat., p. 139-140.

[65] Stobée, Florilèges, XLIV, 40.

[66] Voir l’art. Jusjurandum, p. 753-754. A l’exempte de la cité, les phratries et corporations avaient leur serment et leur imprécation, dont elles faisaient remonter l’institution à leur fondateur. C’est ainsi que dans un décret du κοινόν des Eicadéens, à Athènes, le serment et l’imprécation sont mentionnés conjointement, et la formule de celle-ci est attribuée à un prétendu Eieadeus (Michel. N° 974, l. 2-3). A Chios, un décret de la phratrie des Clytides (id., n° 997, l. 35-36) porte cette sanction : ταΐς έκ τών νόμων άρπΐς ένοχος έστω.

[67] A Téos, l’άρά était lancée par les timouques (Michel, n° 1318, B, l. 29 ss., 499, l. 60-64 ; cf. Ziebarth, l. c., p. 65-66). Pour les lois spéciales, l’άρά est lancée par le magistrat compétent : on en a des exemples pour l’archonte à Athènes au temps de Solon (Plutarque, Sol., 14), pour le gynéconome à Gambréion (I. J. G., n° 111, l. 17-25), pour le roi à Chios (Michel, n° 1383, C., l. 7-9). Les hérauts tout chargés de ce soin dans l’Athènes classique (Démosthène, Sur la fausse amb., 71). Certaines άραί extraordinaires sont lancées par les prêtres ou les prêtresses, qui, pour symboliser l’έξώλεια, se tournent vers à couchant et agitent leurs robes de pourpre (Lysias, C. Andoc., 51 ; Plutarque, Alcib., 22. 23 ; Arist., 10).

[68] Démosthène, C. Leptine, 107.

[69] Pour l’άρά, voir Dion Chrysostome, LXXII, 6 (éd. de Armim, II, p. 224) ; pour le serment, Aristote, Const. des Ath., 7 ; cf. Hérodote, I, 29 ; Plutarque, Solon, 25.

[70] Pour l’άρά, voir (Plutarque), Inst. lacon., 41, p. 239 E ; pour le serment, ibid., 42, p. 239 F ; Plutarque, Lycurgue, 27 ; Just., III, 3, 4.

[71] Au moins d’après le préambule apocryphe cité par Stobée, Floril., XLIV, 40.

[72] Michel, n° 471, I, l. 12-16 ; II, l. 28-31 ; III, l., 46-51 (Mylasa) ; I. J. G., n° XXVII, A, l. 24-29 (Érésos) ; cf. Plutarque, Cum princip. philos., III, 5, p. 778 E. Voir Ziebarth, l. c., p. 62 ss.

[73] À l’άρά on faisait aussi des additions extraordinaires et momentanées. Voir, pour Athènes, Plutarque, Arist., 10 (cf. Isocrate, Panég., 157 ; Aristophane, Thesm., 337) ; Tite-Live XXXI, 44. Pour Milet, voir Isocrate, l. c., 156 ; pour Érésos, I. J. G., n° XXVII, A, l. 26-29 ; pour Chios, Michel, n° 1383.

[74] Michel, n° 498, l. 60 (Téos) ; cf. 1363, C, l. 7-9.

[75] Amer. Journ. of arch., V (1901), p. 169 ss., l. 2, 10-11.

[76] Michel, n° 1818.

[77] Michel, n° 498, l. 60-64. Cf. I. G. S. I., n° 422, l. 4 (Tauroménion).

[78] (Plutarque), Instit. lacon., 41, p. 239 E ; cf. Fustel de Coulanges, Nouv. rech., p. 67, n. 5 ; Guiraud, p. 411.

[79] Plutarque, Solon, 24 ; Thucydide, VIII, 97. Dans les Lois de Platon (V, p. 742 B ; IX, p. 871 B, 881 D), est déclaré passible de l’άρά légale quiconque ne dénonce pas l’auteur d’un détournement commis au préjudice de l’État, ne concourt pas dûment aux poursuites contre un meurtrier, ou ne se porte pas à la défense d’un père maltraité par son fils.

[80] I. J, G., n° I, III, l. 17-23.

[81] Rev. des Ét. gr., VI (1893), p. 6 s., l. 23 -25.

[82] Lebas-Waddington, n° 1213, C, l. 2-5.

[83] Michel, n° 1383 ; cf. n° 997, l. 35-36. Là aussi, les magistrats, en cas de forfaiture, devaient être έν έπαρή.

[84] Id., n° 527, l. 21-22 ; 363, B, l. 34.31. Dans ce dernier décret, l’assimilation de délit réprimé au crime de haute trahison est formelle (l. 32-58).

[85] Voir C. I. A., III, n° 1417-1421, 1423, 1424 ; cf. 1422, 1425-1428 (Athènes) ; C. I. G., n° 2140 b (Egine) ; A. M., XVIII (1893), p. 211 (Crète), Paton-Hicks, Inscr. of Cos, n° 381, l. 10-11 (Cos) ; C. I. G., n° 2260 (Samos) ; 2264 (Cnide) ; 2667 (Halicarnasse) ; 2831, 2826 ; cf. 2824, 2827, 2830, 2834, 2839, 2843, 2848, 2850 b, c add. (Aphrodisias) ; 4224 f, 4259 (Lycie) ; Rev. des Ét. gr., XIII (1900), n° 498, n° 2 (Magnésie du Sipyle) ; Lebas-Waddington, n° 1683 (Hiérapolis) ; C. I. G., n° 3863, 3873, 3990 k, 4000 ; Kaibel, Epigr. lapid., p. 149 ; Papers of the Amer. school of class. stud. at Ath., II, p. 168 ; B. C. H., XVII (1893), p. 272, n° 62 (Phrygie) ; Journ. of hell. stud., XII (1891), p. 227, n° 4, l. 10-11 ; p. 231, n° 11, l. 11 ; p. 267, n° 59 (Cilicie Occidentale) ; XVII (1897), p. 277, n° 28 (Mysie). Il y a aussi une άρά sur un lécythe trouvé à Cumes (I. G. S. I., n° 865). L’assimilation au sacrilège est formelle dans certaines inscriptions ; C. I. G., n° 1933 (Corcyre) ; 4207, 4290, 4292 (Lycie) ; Journ. of hell. stud., l. c., p. 231 ; B. C. H., XV, p. 568, n° 11 (Thessalie). En somme, les inscriptions sépulcrales à clauses pénales et à imprécations sont rares dans la Grèce continentale, excepté en Thrace et en Macédoine ; mais elles abondent en Asie. Là, cette coutume s’est conservée chez les chrétiens (voir Journ. of hell. stud., IV, 1 83, p. 408, n° 24), et alors l’imprécation est devenue l’anathème (cf. S. Reinach, Traité d’epigr. gr., p. 430, n. 3 ; Rohde, II, p. 342). En général, on peut consulter sur la question : S. Reinach, op. cit., p. 429-430 ; Rohde, II, p. 341-343, n., 630-631 ; Vidal-Lablache, Comm. de tit. fun. gr. in As. Min., Lut. 1872, p. 52-58 ; Merkel, Ueb. die sogenannten Sespulcramulten, dans la Festyabe f. Ihering, Götting., 1892, P. 20 ss., 109.

[86] Michel, n° 804, l. 11-12 (Tralles).

[87] A Athènes, on insérait des άραί dans les testaments écrits (Démosthène, P. Phorm., 52).

[88] Cf. Michel, n° 1, l. 9 ; n° 1383, A, l. 20-21 (Chios) ; Amer. journ. of arch., l. c. (Argos).

[89] Les formules proviennent des inscriptions déjà citées de Mylasa, Téos, Érésos, Samos, Mysie, etc.

[90] Démosthène, Sur la fausse amb., 71 ; Aristophane, Thesm., 349-350 ; cf. Dinarque, C. Aristog., 16. Voir von Willamowitz, II, p. 345-352.

[91] C. I. G., n° 1826, cf. 5831. Vidal-Lablache, op. cit., p. 53, définit cette notion de l’άσέβεια.

[92] C. I. G., n° 4259, 4303, 4303 e. Cf. Vidal-Lablache, op. cit., p. 56.

[93] Journ. of hell. stud., XII (1892), p. 267, n° 59. Les Érinyes protégent les tombes (I. G. S. I., n° 1389, II, l. 39) Elles sont aussi invoquées dans la sanction des décrets (Nägelsbach, Nachhom. Theol., p. 346 ss.).

[94] Dittenberger, n° 2, l. 15-16 ; cf. C. I. A., I, n° 13, l. 20-21 (Colophon).

[95] Revue des ét. gr., XIV (1901), p. 29, l. 26 35.

[96] Démosthène, C. Timocr., 151 ; Andocide, Sur les myst., 31 ; cf. Platon, Critias, p. 119 E (les juges de l’Atlantis).

[97] Démosthène, C. Con., 41 ; Eschine, C. Tim., 114 ; Andocide, l. c., 126 ; Dinarque, C. Dem., 71 ; Platon, Lois, XII, p. 949 B.

[98] (Démosthène), C. Euboulos, 22, 53.

[99] Démosthène, C. Aristocr., 67 ; C. Néair., 10 ; Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 11 ; cf. le Scol. de Patmos, dans le B. C. H., I, (1877), p. 137. La formule est la même que dans l’άρα des Amphictyons et de l’έκκλησία. Elle est évidemment d’une très haute antiquité ; car elle sert encore (sauf une légère modification), pendant la fête des Apatouria, à la déclaration ou au désaveu de paternité (Andocide, l. c., 126). Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait pris place dans le serment des héliastes (Démosthène, C. Timocr., 161). Voir encore ce que nous avons dit sur l’abatis de maison.

[100] Eschine, Sur la fausse ambassade, 87.

[101] Michel, n° 1317, l. 47-48 (Itanos). Même expression dans Démosthène, C. Zénoth., 6. Cf. Michel, n° 1316, l. 53-55 ; n° 19, l. 69, 78.

[102] Cf. C. I. G., n° 2555, l. 22 ss.

[103] Revue des ét. gr., XIV (1901), p. 31, trad. Franz Cumont.

[104] Cf. Lysias, C. Erat., 10 ; C. Diog., 13 ; Démosthène, Sur la fausse amb., 172.

[105] Cf. article Jusjurandum, l. c., p. 782.

[106] Démosthène, C. Con., 40 ; C. Aphob., III, 26, 54 ; Lysias; C. Diog., l. c. ; Lucien, Philops., 27 ; Hymne à Aphrod., 27 ; Libanius, I, p.227, i ; Euripide, Hél., 835.

[107] Iliade, III, 295-301 ; cf. IV, 164. Voir encore, XV, 35 s. ; Hymne à Hermès, 274.

[108] Sur la prétendue γραφή έπιορκίας, admise par Platner, I, p. 918 et E. von Lasaulx, Der Eid bei den Gr., p. 199, voir Schömann-Galuski, II, p. 339-340 ; Rohde, I, p. 64 s. ; art. Jusjurandum, l. c., p. 769.

[109] On a recours aux tablettes magiques pour se venger d’un parjure (voir l’épode publiée dans les Sitzungsber. d. Berl. Ak. d. Wiss., 1899, p. 857, l. 13-14).

[110] Xénophon, Anabase, II, 5, 7-8.

[111] Platon, Gorgias, p. 524 E.

[112] Lycurgue, C. Léocr., 79 ; Lysias, ύπέρ Φανίου παρανόμων (Or. att., Didot, II, p. 278, fr. 140) ; Démosthène, C. Aristocr., 68 ; cf. Isocrate, C. Callim., 3.

[113] Cf. Thonissen, p. 30 ; Nägelsbach-Autenrieth, p. 220 ; Buchholz, III, I, p. 96 ; II, p. 325-326.

[114] Iliade, IV, 160-161 ; XIX, 264-265 ; Hésiode, Théogonie, 231-232 ; Œuvres et jours, 803-804.

[115] Iliade, III, 278-279 ; XIX, 259-260.

[116] Iliade, IV, 161-162 (cf. 270-271) ; Œuvres et jours, 284.

[117] Hérodote, VI, 86 ; cf. Pausanias, II, 18, 2. Pausanias rappelle cet exemple, lorsqu’il attribue lui-même aux parjures du roi Philippe les malheurs de sa race (VIII, 7, 5-8), D’après les Ossètes, quand un homme se rend coupable de parjure, des tourments sans fin attendent ses ancêtres au-delà de la tombe et tous les malheurs menacent sa femme, ses enfants et tous ses proches (Kovalewsky, p. 324).

[118] V. 731-742.

[119] Plutarque, Des délais de la veng. div., 19, p. 561 C.

[120] VII, 137 ; Thucydide, II, 67. Voir aussi Pausanias, II, 18, 2 ; Diodore, XX, 70, 3.

[121] Les devins, dit Platon (Rép., II, p. 364 B), font colporter leurs boniments chez les riches et leur persuadent qu’ils ont reçu des dieux le pouvoir de les préserver.

[122] Isocrate, Busir., 25.

[123] Iliade, III, 314-368 ; XIII, 631 ss.

[124] Iliade, VII, 101-102.

[125] Théognis, 373 ss.

[126] Théognis, 361-362 ss.

[127] Théognis, 363 ss.

[128] Théognis, 743 ss.

[129] Ném., VI, 9-13 ; XI, 37-43.

[130] J. Girard, p. 274.

[131] Sol., V, 8.

[132] Prom., 116.

[133] Ag., 450-769.

[134] Euménides, 934-936.

[135] Euripide, Alcmène, dans Stobée, Floril., XC, 2, p. 638, fr. X (77) éd. Didot.

[136] La théorie de l’hérédité morale est nettement formulée avec ses conséquences juridiques dans le plaidoyer de Lysias Pour Polystratos, 34, et dans le prétendu préambule des lois de Charondas (Stobée, Floril., XLIV, 40). Mais cette justification de la fatalité laissera Pausanias très perplexe (II, 18, 2).

[137] République, II, p. 380 A.

[138] Lois, IX, p. 836 C-D.

[139] Cicéron, De nat. deor., III, 38.

[140] Platon, Phèdre, p. 144 E ; Plutarque, Des délais de la veng. div., 21, p. 563 E.

[141] Plutarque, l. c., 16, p. 559 D-F.

[142] Hérodote, VII, 137 ; I, 13, 91.

[143] Plutarque, l. c., 21, p. 563 B.

[144] Lois, IX, p. 855 A.

[145] Lois, IX, p. 856 C-D.

[146] Ant. rom., VIII, 80.

[147] §§ 19-21, p. 561 C-563 B.

[148] Héraclite disait déjà : Pour Dieu toutes choses sont belles et justes ; c’est la pensée humaine qui mêle l’injustice à la justice (Scot. de l’Iliade, IV, 84).

[149] Decharme, p. 32.

[150] Théogonie, 155.

[151] C’est Onomacritos qui mit en valeur le mythe de Zagreus déchiré par les Titans (Pausanias, VIII, 31, 5). Du πάθος Διονύσου procéda tout l’enseignement des mystères et de l’orphisme (cf. Lobeck, Aglaoph., p. 335 ; Schömann-Galuski, II, p. 443 ; Rohde, II, p. 112, 117 ss.). On en tira particulièrement le dogme du péché originel. Sur ce dogme, voir Olympiodore, Comment. sur le Phédon, p. 68, éd. Finckh ; Dion Chrysostome, Or., XXX, p. 333 ; Hymn. Orph., XXXVII ; Plutarque, De esu carn., I, 7, p. 996 G ; Ovide, Mét., I, 156 ss. Cf. Lobeck, op. cit., p. 585 ss. ; Bouché-Leclercq, Placita Græcorum de orig. gen. hum., Lut., 1871, p. 16-17 ; art. Lustratio, dans le Dict. des ant., p. 140 ; Rohde, II, p. 119 ; Tannery, Orphica, dans la Rev. de philol., XXIII (1899), p. 128-129.

[152] Pindare, Thrènes, fragm. 4, dans Platon, Ménon, p. 81 B (Bergk, fr. 110) ; cf. I. G. S. I., n° 641. Voir H. Weil, p. 36-39.

[153] Le dogme de la chute n’apparaît dans le judaïsme qu’au IIe siècle as. J.-C., sous l’influence de la Thorah (cf. J. Turmel, Le dogme du péché orig. dans la Rev. d’hist. et de litt. rel., V, 1900, p. 504).

[154] Job, XV, 14.

[155] Les pères grecs des quatre premiers siècles n’ont pas attaché d’importance au dogme de la chute, et les exégètes qui voudraient les rattacher à la tradition latine reconnaissent pourtant qu’un bon nombre de leurs textes donnent une impression contraire (J. Turmel, l. c., p. 525). Même en Occident, le dogme en question ne prit de valeur qu’après 170 (Id., ibid., p. 510) : il fallut qu’Irénée, puis Tertullien combattissent les gnostiques, qui précisément se faisaient les intermédiaires entre le christianisme et la philosophie grecque, dans laquelle ils étudiaient le problème du mal.

[156] Tylor, Prim cult., trad., II, p. 97 ss., 107 ss. ; A. Réville, Les rel. des peuples non civilisés, Paris, 1883, I, p. 253 ss., 298 as., 327, 354 ; II, p. 91 ss., 155 ss., 207 es. ; L. Marillier, La surviv. de l’âme et l’idée de jur. chez les peuples non civilisés, dans la Bibl. de l’Éc. des Hautes Et., 1804, p. 1 ss. ; Letourneau, La sociol. d’après l’ethnogr., p. 236-260 ; Wilken, Het Animissme bij de Volkern van den Indisches Archipel, dans les Indische Gids, Leyde, 1884, p. 968 ; Maass, p. 291-293. D’après Renan, Hist. du peuple d’Isr., IV, p. 313-332, la nécessité des récompenses d’outre-tombe se fit sentir tard chez les Juifs : c’est qu’il a toujours existé chez eux un rapport étroit entre la doctrine de l’au-delà et les institutions sociales, comme le démontre l’ouvrage de R. H. Charles, A critical hist. of the doctrine or a fut. life in Isr., Judaism and in Christianity, or Hebrew, Jewish and Christian eschatology from preprophetie times till the close of the New Test. Canon, Lond., 1900.

[157] Steinmetz, Continuitæt od. Lohn und Strafe im Jenseits der Wilden, dans l’Archiv f. Anthrop., 1891, p. 597-608. Nathan Söderblom (La vie fut. d’après le mazdéisme, à la lumière des croy. parallèles dans les autres rel., dans les Ann. du Musée Guimet, 1901, p. 42 ss., 150 ss.) prend une position intermédiaire : d’après lui, l’homme croit d’abord à la simple persistance de l’âme, mais arrive très tôt à la doctrine de la rétribution.

[158] Voir Decharme, p. 531.

[159] Iliade, VIII, 478 ss. ; XIV, 279 ; Hésiode, Théogonie, 717 ss.

[160] Sur la Nékyia homérique, voir Rohde, I, p. 49 ss., 61 ss.

[161] Les Grecs ont toujours cru qu’aux enfers les morts vengent les offenses des vivants. Voir Pausanias, X, 28, 4-5 ; Lucien, Dial. des morts, XIX, 1. Cf. Dieterich, p. 51-62 ; Ernst Maass, Orpheus, Munch. 1895, p. 268.

[162] Odyssée, XI, 566.827. Voir, sur la question d’interpolation, von Willamowitz, Hom. Unters., p. 199-225.

[163] Odyssée, XI, 380 ss.

[164] Pindare, Ol., I, 55 ss.

[165] Apollod., I, 9, 3, 2 ; III, 12, 6, 6. D’après la légende thébaine, Amphion expie dans la demeure d’Hadès les insultes dont il accabla Lêtô, et sa faute ne laisse pas d’être payée sur terre par ses descendants (Pausanias, IX, 5, 8 ss.).

[166] Iliade, III, 279 ; XIX, 239. Voir Rohde, I, p. 64-0 ; H. Weil, Culte des âmes et croy. à l’immort. chez les Gr., dans le Journ. des sav., 1890, p. 633-634 (cf. Et. sur l’ant. Gr., p. 92).

[167] L. Marillier, op. cit., p. 44 s.

[168] Cf. Pausanias, X, 28, 3-4. Sur la mission des Erinyes aux enfers, voir Dieterich, p. 34 ss., 163 ss. ; Maass, Orph., p. 228 ss., 263 ss.

[169] Platon, Apol., p. 41 A ; Gorg., p. 523 E ; Axioch., p. 371 B ; Isocrate, Panath., 203. Cf. Rohde, I, p. 310 ss. ; H. Weil, p. 81.

[170] Cf. Th. Gomperz, Gr. Denker, I, p. 68 ; Dieterich, p. 74.

[171] Voir J. Girard, p. 259-263 ; Rohde, I, p. 308 ss.

[172] Le talion a gardé ce caractère personnel dans la littérature classique (cf. Eschyle, Choéphores, 306 ss. ; Démosthène, C. Timocr., 140).

[173] Aristote, Mor. à Nic., V, 8 ; Gr. Mor., I, 34 ; cf. Dieterich, p. 206 ss.

[174] Cf. Taylor, op. cit., II, p 12 ss. ; Robinsohn, Psych. d. Naturvölk., p. 67. La migration des âmes existait chez les Celtes, d’après César, De bell. gall., VI, 14, 5 ; Diodore, V, 28, 6 ; Ammien Marcellin, XV, 9, 8 ; cf. Clément d’Alex., Stromates, I, p. 304 B.

[175] Hérodote, II, 81, 123. Voir surtout Zeller, Phil der Gr., trad. Boutroux, I, p. 67 ; Maass, Orph., p, 164 ss. ; Gomperz, l. c., p. 101-109. On trouvera quelque contradiction dans H. Weil, p. 45 et 59. Sur la métempsycose en Égypte, consultez Maspero, Bibl. égypt., I, p. 343 ; II, p. 458-467, 469 as, ; Hist. anc., p. 191. — Dans l’Inde, la doctrine de la migration est antérieure au Bouddha, qui vivait au VIe siècle (cf. Jacob, A manual of Hindu pantheism., 2e éd., p. 25). — Pour Rohde, II, p. 6 ss., 134 ss., l’orphisme avec, tous ses dogmes vient de Thrace. — Les hypothèses favorables à une importation étrangère ont été combattues de nos jours par Alfr. Nutt, The voyage of Bran, son of Febal, to the Land of Living, 2 vol., Lond., 1895-1897, II, p. 157.

[176] Busir., 25.

[177] Le meurtrier et le parjure sont, pour Empédocle, les criminels qu’une loi fatale exile durant trente mille saisons dans le monde de misère et que les éléments rejettent tour à tour avec horreur (Plutarque, Sur l’exil, 17, p. 607 C ; Isis et Osiris, 26, p. 361 C ; voir Tannery, Pour l’hist. de la sc. hellène, p. 388 ; J. Girard, p. 241 ; E. Navet, Le christ. et ses orig., I, p 141 ; H. Weil, p. 60-61). D’après Platon (Lois, IX, p. 872 E), les anciens prêtres auraient surtout vu dans la métempsycose la certitude du châtiment pour le parricide et la justification du sort infligé à sa victime. Pour le parjure, voir encore Pindare, Ol., II, 12 ss. ; pour le fils coupable, Pausanias, X, 28, 4.5 ; Orphica, fr. 154, Abel.

[178] Platon, Cratyle, p. 400 C, Σώμα σήμα, telle est la maxime orphique.

[179] Orphica, fr. 208, 224 ; cf. 76.

[180] Orphica, fr. 226 ; cf. fr. 208 ; I. G. S. I., n° 638, 641, 648. Voir Lobeck, op. cit., p. 809 ss. ; Rohde, II, p. 124 ; Tannery, Orphica, l. c. ; H. Weil, p. 37-44.

[181] Lobeck, op. cit., p. 69 ss. ; Zeller, l. c., p. 64 ss.

[182] Tannery, l. c., p. 127.

[183] L. c., p. 69.

[184] Cf. von Willamowitz, Gr. Trag. übersetzt, II, p. 24-25.

[185] Dieterich, p. 61.

[186] Servius, ad Æn., VI, 618.

[187] H. Weil, p. 93.

[188] Cf. de Ridder, De l’idée de la mort en Grèce à l’époque classique, p. 100-107.

[189] Diogène Laërce, VIII, 1, 21.

[190] Cf. H. Weil, p. 41.

[191] Pour Orphée, voir les vases publiés par Kuhnert, Unterital. Nekyien, dans le Jahrb. d. arch. Inst., VIII (1893), p. 144 ss. Pour Triptolème, voir F. Lenormant, art. Eleusinia, dans le Dict. des ant., p. 580.

[192] Isocrate, Panég., 28. Les Champs-Élysées sont décrits dans Aristophane, Grenouilles, 162 ss. ; Diogène Laërce, VI, 39 ; Axioch., p. 371 D.

[193] Sophocle, dans Plutarque, De aud. poet., 4, p. 21 F ; cf. Hymne à Déméter, 480-488 ; Pindare, Thrènes, fragm. 114.

[194] Pausanias, X, 28, 3.

[195] Pausanias, X, 31, 11 ; cf. F. Lenormant, l. c., p. 580-581 ; H. Weil, p. 72-73.

[196] Platon, Phédon, p. 69 C ; cf. Axiaoch., l. c., E.

[197] Plutarque, Fragm. de anima, VI, 2, 6-7, p. 726.

[198] Plutarque, De aud. poet., l. c.

[199] Polygnote représentait les supplices infligés à Tityos (Pausanias, X, 29, 3), à Sisyphe (31, 10) et à Tantale (31, 12), aux profanateurs de l’empire infernal, Thésée et Pirithoos (29, 9). Sur les bords de l’Achéron on voyait l’auteur d’un vol sacrilège abreuvé de poisons et un mauvais fils étranglé par son père (28, 4-5).

[200] Clément d’Alex., Stromates, V, 14.

[201] Voir J. Girard, p. 285 ss., 270 ss. ; Maass, Orph., p. 971 ss. ; de Ridder, op. cit., p. 108-110 ; H. Weil, p. 25 ss.

[202] Ol., II, 62 ss. On observe le même éclectisme dans Eschyle : nous avons exposé plus haut ses idées sur l’hérédité des fautes ; il croit aussi à la justice d’Hadès (Eum., 186 ss., 973 ; Suppl., 230 ; cf. Maass, Orph., p. 107, 261 ss.).

[203] II, p. 383 ss. ; X, p. 616 ss.

[204] X, p. 904 ss.

[205] L’eschatologie de Platon est exposée avec une remarquable précision par H. Weil, p. 63-74. Pour les néo-platoniciens, voir Günther, p. 108.

[206] H. Weil, p. 79. Sur l’hostilité de Platon contre les poètes, voir Girard, L’éduc. ath., p, 142-143.

[207] Eschyle, Agamemnon, 1553-1559 ; Sophocle, Antigone, 898-899.

[208] Euripide, Alc., 364-365.

[209] Platon, Phédon, p. 68 A.

[210] Sophocle, Œdipe roi, 1371 ; Pausanias, X, 48, 4-5 ; Lucien, Dial. des morts, XIX, 1.

[211] Platon, Apol., p. 41 B.

[212] H. Weil, p. 81.

[213] Il est bon aussi de rappeler les craintes qu’exprime si joliment dans la République de Platon (I, p. 330 D-E) le sage vieillard Képhalos.

[214] Platon, Apol., p. 41 E.

[215] Panath., 205.

[216] C. Timocr., 104. Cf. C. Aristog., I, 53 (l’auteur de ce discours se donne pour un sectateur d’Orphée ; voir § 11).

[217] H. Weil, p. 23-23 ; cf. de Ridder, op. cit., p. 3-4, 93-98. Le même phénomène s’observe en Palestine : la proclamation de la responsabilité personnelle par les prophètes ne suffit pas à faire disparaître la croyance à la réversibilité des fautes (voir Matthieu, VII, 16-18 ; XII, 33-34 ; XXIII, 31-36 ; Luc, VI, 43-44 ; XIX, 44 ; cf. E. Havet, Le christ. et ses orig., III, p. 229).

[218] Lois, IX, p. 972 E ; cf. Lettres, VII, p. 335 A. Voir Rhode, I, p. 310.

[219] La légende montre assez qu’avec la croyance à l’enfer le criminel ne souhaite rien tant que d’échapper au châtiment par la privation de sépulture. Sisyphe commence par enchaîner Thanatos, qui lui a été envoyé par Zeus. Quand Arès a délivré Thanatos, Sisyphe, entraîné chez Hadès, supplie sa femme Méropé de ne pas lui rendre les honneurs funèbres. Elle lui désobéit : il obtient la permission de la punir, revient sur terre et refuse de s’en retourner (Phérék., dans le Scol. de l’Iliade, VI, 153 = F. H. G., I, p. 91, fr. 78 ; Scol. de Pindare, Ol., I, 97).

[220] Voir les références et figures données par Decharme, p. 400-401. Cf. Rohde, I, p. 318, n. 4. Depuis Polygnote, les supplices de l’enfer étaient un sujet familier à la grande peinture (Plaute, Captifs, V, 4, 1). Sur les vases, particulièrement les lécythes, on préfère montrer le mort en présence de Charon (de Ridder, op. cit., p. 168-172).

[221] Percy Gardner, Sculptured tombs of Hellas, Lond., 1896, p. 401 ; Rohde, II, p. 381-396 ; C. M. Kaufmann, Die Jenseitschoffnungen der Gr. und1 Röm. nach den Sepulcralinschr., Freib. i. Br., 1897, p. 8-32, 72 ss., surtout p. 16 ss., 20 ss..

[222] H. Weil, p. 74.

[223] Des délais de la veng. div., 19, p. 560 F-561 A.

[224] Cicéron, pétri de principes helléniques, ne connaît qu’une réponse à ceux qui opposent la prospérité des méchants à l’idée d’une providence divine : c’est l’hérédité de la peine (De nad. deor., III, 38).