SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE TROISIÈME. — PÉRIODE CLASSIQUE. — LA CITÉ SOUVERAINE.

CHAPITRE IV. — LA PEINE DE MORT COLLECTIVE.

 

 

Les Grecs de l’époque historique ont appliqué le principe de la solidarité passive dans sa forme la plus brutale. Ils n’ont pas craint, en général, de faire mourir les fils avec le père au nom de l’intérêt public.

Les guerres civiles qui ensanglantèrent toutes les villes de la Grèce sont intéressantes à étudier à ce point de vue. Très souvent le parti vainqueur, en se vengeant du parti vaincu, massacre les enfants avec les parents. A Thèbes, en un jour de folie sanglante, les partisans de Lacédémone sont égorgés avec leurs familles[1]. A Milet, les démocrates font écraser par des boeufs les enfants des bannis ; puis les riches font enduire de poix et baller comme des torches les démocrates avec leurs enfants[2]. Dans ces tueries, on distingue une idée qui n’apparaît pas toujours dans les scènes analogues de l’histoire chez les autres peuples. Partout on voit à certains moments des bêtes humaines se griser des jouissances sauvages que leur donne le sang répandu et s’efforcer d’anéantir une race ennemie, un groupe détesté. Ce qui est particulier aux Grecs dans ces moments-là, c’est qu’ils ne veulent pas que leurs victimes aient un jouir des vengeurs. De génération en génération, ils se souviennent que c’est un bonheur pour un homme tué de laisser un enfant ; ils ne cessent pas de se répéter la vieille maxime : Insensé qui, ayant tué le père, laisse vivre les enfants ! Voyez ce qui se passe à Cumes, au début du Ve siècle. Un tyran, Aristodémos, qui a consolidé son pouvoir en égorgeant ses adversaires, prend peur longtemps après, quand les fils de ses victimes sont devenus grands. Il veut les faire périr tous le même jour ; on l’en empêche, il se borne à les chasser. Mais sa haine est faite de terreur et jusqu’à sa mort il rumine des projets homicides[3]. Deux siècles après, Agathoclès fit disparaître tous les parents des Syracusains qui avaient été ses ennemis. Il envoya à la mort, non seulement les frères, pères et fils qui étaient dans la force de l’âge, mais aussi les grands-pères et, s’il s’en trouvait encore vivante, les pères de ceux-ci, vieillards décrépits et tombés dans l’inconscience, et même les petits-enfants portés dans les bras et insensibles à leur malheur, enfin toutes les femmes que désignaient des liens quelconques d’alliance ou de parenté[4].

Dans tous ces cas, la responsabilité familiale n’existe qu’en fait. Il n’en est plus tout à fait de même, lorsqu’un acte personnel de trahison soulève contre une seule famille un peuple ou une armée. Au VIe siècle, les mercenaires grecs et cariens de Psammétik III saisirent les enfants de Phanès, qui avait servi de guide aux Perses, et les égorgèrent sous les yeux de leur père[5]. Dira-t-on que ce sont des mœurs égyptiennes ? En 479, le bouleute Lykidas, pour avoir voulu accepter les propositions du Mède, fut lapidé par les Athéniens avec sa femme et ses enfants[6]. De pareilles exécutions, sans doute, n’étaient point précédées de sentences régulières. Aucune loi ne les autorisait. On ne se décidait pas de sang-froid à tuer des innocents. Dans la même année où périt la famille de Lykidas, le chef de l’armée confédérée, Pausanias, fit mettre a mort sans jugement les Thébains coupables de médisme ; mais l’un d’eux, Attaginos, ayant réussi à s’échapper, le Spartiate fit grâce à ses enfants, en disant qu’ils n’avaient pas à répondre du crime commis par leur père[7]. Et cependant, ces exécutions collectives n’étaient pas de simples actes de fureur homicide. C’étaient des actes de justice sommaire à l’usage des traîtres et des impies[8], la mise en œuvre de la θέμις au nom du peuple. C’étaient même, en un sens, des châtiments personnelles ; le coupable ne devait pas se survivre à lui-même ; sa race devait être éteinte, son nom aboli, ses mânes privés d’honneurs[9].

La responsabilité collective est appliquée de droit et sans limites, par le peuple à la famille du tyran. Aux yeux des Grecs, le tyran était un être qui se plaçait de lui-même hors la loi, hors l’humanité ; contre le tyran, comme contre le traître, tout était permis, au moins par les lois non écrites ; mais on avait plus d’intérêt encore et l’un croyait avoir plus de droits à faire disparaître la famille du tyran que celle du traître, parce qu’il en pouvait surgir à chaque instant quelque tyran nouveau. On se croyait ainsi autorisé, lors même qu’on n’était pas en état de représailles, à solidariser avec le crime du tyran sa famille entière et à tuer n’importe lequel de mes parents ou alliés avec lui ou sans lui[10]. On ne s’en fit pas faute. Des bannis tuent le roi de Cyrène Arcésilas avec son beau-père le roi de Barca Alazeir[11]. Le peuple d’Ephèse lapide le chef de l’oligarchie Syrphax, et en même temps son fils et ses neveux[12]. Les Eléens, après avoir égorgé Aristotimos, accordent à ses filles la grâce de s’étrangler elles-mêmes[13]. Dans la Grande-Grèce et surtout en Sicile, pendant les luttes abominables que se livrent les tyrans et les peuples ou les tyrans entre eux, les exécutions de ce genre sont innombrables. Quand les proscrits de Cumes descendent de la montagne et surprennent Aristodèmos avec tous les siens, ils se gardent bien de commettre la faute à laquelle ils doivent la vie : ils n’épargnent ni enfants ni femmes ni collatéraux ; toute une famille est exterminée[14]. Les Locriens égorgent la femme et les filles de Denys le Jeune[15]. Hikétas fait précipiter dans les Ilote la femme de Dion, son fils et sa sœur[16] ; Timoléon fait tuer Hikétas et son fils comme tyrans et traîtres, puis laisse condamner à mort sa femme et ses filles[17]. Quand le vieil Agathoclès tombe du pouvoir, il n’a que le temps d’embarquer sa femme et ses deux jeunes enfants[18]. Après la mort du jeune Hiéronymos, en 215, le peuple de Syracuse, réuni en assemblée, rend un décret aux termes duquel tous les parents du tyran, hommes et femmes, doivent être mis à mort, de façon à ce que la famille soit anéantie à jamais[19] : ici le droit populaire s’exerce en la forme, et la θέμις s’accommode aux exigences d’une justice plus moderne.

Mais c’est toujours elle qui condamne à mort les parents des coupables. Il est remarquable que la responsabilité collective aille très souvent de pair avec la lapidation et la noyade. La coïncidence s’explique par des survivances simultanées[20]. Ephore fournit à ce sujet un renseignement précieux et d’autant plus probant que Strabon s’en sert justement pour commenter le supplice infligé à la famille de Denys le Jeune[21]. Avant Zaleucos, dit-il, le droit criminel de Locres ne connaissait pas de sanctions déterminées, et c’était aux juges de fixer arbitrairement la peine afférente à chaque espèce. Cela signifie que jusqu’au VIIe siècle les Locriens restèrent soumis, en ce qui concerne les pénalités, à l’empire absolu de la θέμις ; mais Zaleucos lui-même n’abolit pas ce régime, il rédigea la coutume[22] en la sanctionnant des peines les plus sévères[23]. Dans la plus conservatrice peut-être des villes grecques, quiconque avait lésé le peuple était abandonné à la vengeance populaire, avec ceux de sa famille. Tous ensemble, ils devenaient άτιμοι, ils étaient déclarés ennemis : ils pouvaient être tués par n’importe qui, n’importe où, n’importe comment.

La haute antiquité de la coutume qui autorisait ces condamnations sommaires se reconnaît encore à ce fait, que la mort mime du coupable et de ses proches n’épuisait pas la vengeance du peuple. Une loi universellement admise en Grèce privait de sépulture les tyrans, les traîtres et les sacrilèges[24] : on jetait les cadavres maudits hors des frontières. Cette loi était susceptible d’une application doublement posthume : on exhumait et l’on traînait sur la terre d’infamie le cadavre de quiconque était convaincu de tyrannie, de trahison ou d’impiété après sa mort[25]. Comme la peine principale et afflictive, cette peine subsidiaire et ignominieuse pouvait être infligée solidairement à toutes les personnes d’une famille. Elle pouvait atteindre sur-le-champ les victimes d’une exécution collective. Après avoir tué la femme et les filles de Denys le Jeune, les Locriens ramassèrent leurs membres déchirés ou leurs ossements broyés à la meule, pour les jeter à la mer. Ce qui est plus curieux et montre mieux la logique effrayante de l’ancien droit, c’est que l’exhumation elle-même n’était pas strictement personnelle. Le décret de bannissement lancé par Athènes contre tous les Alcméonides n’exceptait pas les morts et fut exécuté deux fois[26]. L’exemple est bien connu ; il n’est pas isolé. En 583/2, les Corinthiens ouvrirent les tombes de tous les Kypsélides et firent subir à leurs restes le même mort qu’au corps sanglant de Psammétichos[27]. On se vengeait sur le γένος entier, vivants et morts.

Notre conclusion sur l’origine des exécutions collectives paraîtra plus sûre, si l’on considère un instant les Grecs attardés des régions barbares. Dans la Chersonèse de Thrace, à plus d’un siècle d’intervalle, se sont produits deux faits presque identiques. En 479, après la prise de Sestos par les Athéniens, les Elæousiens demandèrent la mort de l’ancien gouverneur perse, Artayctos, pour le punir de ses sacrilèges : il fut mis en croix, et son fils lapidé sous ses yeux[28]. En 359, un petit roi de Thrace qui s’était compromis pour les Athéniens, Miltokythès, fut livré aux habitants de Cardia : ceux-ci menèrent leur prisonnier et son fils en pleine mer, égorgèrent le fils sous les yeux du père, puis précipitèrent le père dans les flots[29]. Voilà encore une fois la coutume de la lapidation et celle du καταποντισμός qui se présentent dans un rapport étroit avec le principe de la responsabilité familiale. Démosthène nous apprend pourquoi[30]. Il dit que si Miltokythès ne fut pas remis au roi Kersobleptès par Charidèmos qui voulait sa perte, c’est que la loi n’autorisait pas les Thraces à se condamner à mort entre eux. Faut-il donc attribuer aux Thraces une insurmontable horreur pour les exécutions capitales ? C’est impossible : ce peuple avait, au contraire, une réputation bien justifiée de férocité sanguinaire[31]. En réalité, la phrase de Démosthène sur les Thraces veut être comparée avec celle d’Ephore sur les Locriens. La peine de mort n’existait pas en Thrace dans le sens où devaient l’entendre les Athéniens du IVe siècle : elle n’était formulée dans aucune loi. Mais les autorités publiques pouvaient commander la mise à mort d’un Thrace ennemi[32] aussi bien que d’un étranger[33], et le mode d’exécution était arbitraire[34]. Dès lors, on conçoit aisément pourquoi Charidèmos remit Miltokythès aux habitants de Cardia, et non pas à Kersobleptès : dans un pays où il ne pouvait pas obtenir de sentence capitale selon les formes du droit grec, il ne voulait ni que son ennemi eût la vie sauve, ni que le jeune roi dont il était le ministre tout-puissant[35] prit sur lui de condamner un fidèle allié d’Athènes, à un moment où il convenait de ménager les Athéniens[36] ; il aimait bien mieux qu’une colonie grecque lui procurât sa vengeance et en gardât la responsabilité. Mais, si le droit criminel chez les Thraces s’inspire encore des idées qui avaient prévalu chez les Locriens avant Zaleucos, il en était de même chez les Grecs voisins des Thraces, sauf qu’ils avaient dit codifier les vieux usages et ne reconnaissaient pas à un seul homme le droit de mettre hors la loi. Colons et indigènes exécutaient les άτιμοι selon les moyens que l’inspiration du moment cherchait dans la tradition. Tandis que les Elæousieus crucifiaient Artayctos et lapidaient son fils, les Thraces-Apsinthiens sacrifiaient Oiobazos à leur dieu national selon les rites et tuaient autrement ses compagnons[37]. Les uns tuent à coups de pierres, les autres à coups de javelots[38], deux variétés du même supplice[39]. Si Miltokythès est noyé en pleine mer par les Grecs de Cardia, il semble bien qu’Euripide, dans l’Hécube, parle du καταποντισμός comme d’une coutume thrace[40] et que la persistance de cette coutume soit expliquée par Thucydide, lorsqu’il observe que les Thraces ne savent pas nager[41]. Ainsi, les colons grecs de Chersonèse, sous l’influence de la barbarie thrace, conservaient les coutumes antiques, quand, punissant un traître, ils lapidaient ou noyaient son fils[42]. Faute de loi positive ou d’après une toi positive, ils se conformaient à la θέμις en associant aux modes primitifs d’exécution le principe de la solidarité familiale.

Le droit primitif des Grecs se reconnaît quelquefois plus facilement en Macédoine qu’en Grèce même. C’est que les Macédoniens le pratiquèrent plus longtemps avant de donner à la juridiction criminelle une organisation sociale : la coutume, fixée très tard, eut moins de temps pour se modifier. Donc, si l’on a pu présenter, à plus de vingt-cinq siècles de distance, l’Albanie contemporaine comme l’image de la Grèce homérique[43], ou peut bien chercher des traits de la Grèce posthomérique dans la Macédoine d’à y a seize cents ans. Précisément, en ce qui concerne la mise à mort des criminels, les traits de la θέμις sont reproduits dans la loi macédonienne avec une fidélité merveilleuse. La lapidation, more patrio[44], devint là un mode d’exécution légale après jugement rendu. En même temps subsiste, sous la forme active et passive, la solidarité de la famille dans les causes capitales. Condamnée par l’assemblée du peuple, Olympias est livrée aux parents de ceux qu’elle avait fait tuer et tuée par eux[45]. Le vengeur du sang ou, plus généralement, l’accusateur a probablement le privilège de jeter la première pierre[46]. D’autre part, Quinte-Curce mentionne une loi des Macédoniens aux ternies de laquelle les proches de ceux qui avaient conspiré contre le roi seraient mis à mort avec eux (legem Macedonum... qua cautum erat ut propinqui eorum qui regi insidiati erant cum ipsis necarentur)[47]. Admettons, ce qui n’est pas sûr, que l’application collective de la peine de mort se soit bornée en Macédoine au crime de lèse-majesté[48]. Ce fait n’au confirmerait pas moins l’existence prolongée, dans la Grèce historique, d’une justice tumultuaire qui empruntait il la §liste le droit d’exécuter sommairement les ennemis de la communauté avec toute leur famille.

Les Grecs se rattachaient donc par un lien continu à leurs plus lointaine ancêtres, en mettant à mort les innocents avec les coupables. Si les exemples d’exécutions collectives sont rares dans les pays où les Grecs n’étaient pas en contact avec les barbares, fréquentes ont été les menaces, Nous avons, pour en juger, un décret où, dans un moment de crise, Téos prend d’énergiques mesures de répression et fait lugubrement retentir à la fin de chaque disposition, avec une monotonie implacable, la formule de mort : Άπόλλυσθαι καί σύτόν καί γένος τό έκείνου[49]. Si ce document ne datait pas du Ve siècle, si cette sanction ne frappait pas des crimes tais que la trahison et le brigandage, on serait tenté de ne voir dans ces mots qu’une imprécation religieuse, qu’un recours à la justice divine, comme dans les mots qui assurent, deux siècles plus tard, tome exécutoire à un autre décret de Téos : Έξώλης εΐη<ι>καί αύτός καί γένος τό έκείνου[50]. Mais le soin d’accomplir l’έξώλεια, généralement confié aux dieux vers le IVe ou le IIIe siècle, a été longtemps revendiqué par le bras séculier. La même formule dont te sens s’est émoussé peu à peu et idéalisé a eu d’abord un principe juridique. En 583/2, après la chute des Kypsétides, Corinthe fit graver sur le socle d’une statue, consacrée à Olympie par l’un des tyrans, une inscription que nous ont conservée les grammairiens : Έξώλης εΐη Κυψελιδών γενεά[51]. Cette formule d’exécration, qui remplaçait une dédicace, résumait évidemment un décret contemporain, et lés Corinthiens venaient de montrer, par le traitement infligé à Psammétichos et à tous ses ascendants morts, qu’ils n’étaient pas d’humeur à réserver aux dieux l’exécution de leur décret. Avant d’être une imprécation bure et simple, la menace d’έξώλεια fut longtemps une condamnation à mort collective[52].

Il est impossible de fixer le moment où la transformation, qui se fit graduellement par l’intermédiaire de la proscription, a été achevée dans l’ensemble des citée grecques. On ne connaît pas assez l’histoire des institutions judiciaires dans une ville comme Mylasa, par exemple, pour affirmer en toute certitude quelle est la sanction de trois décrets relatifs, à des faits de lèse-majesté, rendus successivement de 367/6 à 355/4 et qui se terminent également par Εί δέ τις ταΰτα παραβαίνοι, έξώλη γένεσθαι καί αύτόν καί τούς έκείνου πάντας[53]. Ce qui ajoute à la difficulté, c’est la redoutable exception qu’on admit toujours contre les familles des tyrans[54]. Mais pour Athènes, du moins, les renseignements sont plus abondants et assez précis. On peut se gendre compte de la façon dont la peine de mort pour trahison y est devenue, de collective, personnelle.

Entre 464 et 457 fut conclue la convention par laquelle Athènes dicte aux Érythréens, en s’inspirant de ses propres lois, la constitution qui désormais fonctionnera chez eux[55]. Dans cette constitution il est dit :

Quiconque sera convaincu d’avoir livré la ville des Erythréens aux tyrans sera mis à mort, lui et les enfants nés de lui, à moins que les enfants nés de lui n’aient fait preuve de [dévouement] envers le peuple d’Erythrées et celui d’Athènes[56].

La règle, c’est donc que les enfants sont exécutés avec le père coupable[57] ; ils ne peuvent être épargnés que par une exception qui doit se justifier. C’est ainsi que, bien plus tard, la loi macédonienne condamnait à mort pour crime de lèse-majesté les proches parents du coupable, sauf le cas où le roi leur accordait des lettres expresses de grâce[58]. C’est ainsi qu’à Rome les enfants de Sp. Cassius devaient être tués, eux aussi, par application de la lex perduellionis et ne furent sauvés que par un acte formel de clémence, un sénatus-consulte qui constitua un précédent presque obligatoire[59]. Chez les Athéniens du Ve siècle, ce qui était l’exception en droit devint la règle en fait. On n’eut qu’à ne pas se montrer difficile sur le certificat de civisme[60]. On avait commencé par exiger la preuve positive d’un service rendu ; on finit par se contenter de ce fait négatif, l’innocence avérée.

Ce progrès fut rapide à Athènes. En tout cas, dès 411/0 on n’y voit plus la peine capitale appliquée aux enfants des traîtres. Cette année-là, le parti démocratique eut à se venger des excès commis par les Quatre Cents. Un décret livra aux Onze deux chefs de la faction oligarchique, Antiphon et Archeptolémos. Quant à leurs enfants, il se contenta de leur infliger l’atimie et de les châtier indirectement par la confiscation des biens[61]. Pour que dans une tourmente politique le peuple athénien n’osât pas taire exécuter les fils en même temps que les pères, il fallait que l’horreur de cette solidarité l’eût frappé depuis assez longtemps et que la clémence fût déjà eue tradition. A un an de distance, on fait la même constatation, non plus dans un décret-jugement, mais dans un décret-loi. Sur la proposition de Démophantos, fut votée la disposition suivante : Quiconque tentera de renverser la démocratie athénienne sera ennemi des Athéniens et pourra être mis à mort impunément[62]. Rien sur les enfants du traître. Nul ne soutiendra que la solidarité dans la peine de mort puisse être sous-entendue. Il n’y a pas omission, mais silence volontaire ; car, sauf sur ce point, la formule de la sanction reproduit, comme on l’a démontré[63], de très vieilles formules qui, elles, impliquaient expressément les enfants dans le crime et le châtiment paternels. Dans la loi du VIe siècle, comme dans le décret du Ve, la peine est la même, a-t-on dit[64]. Pour le coupable, oui ; mais non pour sa famille. C’est donc entre 464 et 411, sans doute vers le milieu du siècle, que les Athéniens s’astreignirent dans leur droit public à ne plus condamner à mort les fils d’un traître.

Ce fut une conquête définitive. On a vu qu’après la chute des Quatre Cents, le peuple athénien ne voulut mettre en cause que les responsabilités personnelles. Bien que les Trente, en persécutant les fils des bannis[65], eussent ouvert la voie à tous les excès, il refusa de prêter l’oreille à certaines suggestions. Il y eut des hommes politiques et des orateurs pour demander qu’on mit à mort les Trente avec leurs enfants[66], ou que le jeune Alcibiade périt moins pour ses propres fautes que pour celles de son père[67]. Mais rien n’indique qu’ils aient aussi ; tout prouve le contraire, tant l’amnistie de 403 que l’éloge pompeux décerné par Aristote à l’extraordinaire mansuétude du peuple athénien[68].

Et cependant un siècle après l’époque où nous constatons la disparition ale la solidarité dans la peine de mort, voilà que tout à coup, en une occasion unique, elle reparaît. Dans le premier des discours contre Aristogiton classés parmi les œuvres de Démosthène, l’orateur, parlant de la magicienne Théôris, dit aux Athéniens : Vous l’avez mise à mort, elle et toute sa race[69]. Pas de doute sur les faits de la cause ai sur l’incrimination juridique : on sait par une autre source[70] que Théôris succomba à une action en ασέβεια pour empoisonnement et sorcellerie, action qui effectivement entraînait la même pénalité que la trahison. Mais, si l’exécution de la coupable est certifiée par tous les textes, celle de ses enfants n’est mentionnée que dans le plaidoyer contre Aristogiton. Avec un document dont l’authenticité et l’attribution fussent incontestables, il n’y aurait aucune difficulté : Démosthène, qui prit une part personnelle à ce procès comme accusateur, était certes qualifié pour garantir un détail passé sous silence par Philochore et Plutarque. Tout seyait dit : il faudrait reconnaître que les Athéniens n’ont jamais renoncé à déclarer les enfants solidaires de leurs parents jusqu’à le peine de mort inclusivement. Mais il s’agit d’un discours[71] que déjà dans l’antiquité la critique retirait à Démosthène et qui aujourd’hui est généralement tenu pour apocryphe en raison tant de la forme que du fond[72]. Dès lors il est impossible d’ajouter foi à un renseignement qui, non seulement reste isolé, mais est en contradiction absolue avec les idées morales et la législation des Athéniens. Le premier discours contre Aristogiton ne peut être l’œuvre ni de Démosthène ni d’Hypéride ni d’aucun parmi leurs contemporains ; il a été fabriqué par un rhéteur mal informé et qui pour la couleur locale se trompait d’un bon siècle. Personne de nos jours n’est tenté d’attribuer la moindre importance à use loi, mise par les rhéteurs au compte des Athéniens, d’après laquelle le citoyen condamné pour attentat contre la démocratie devait être tué avec ses enfants et, en outre, cinq de ses plus proches parente, ni plus ni moins[73]. Il n’y a pas plus de cas à faire de la sentence imaginée dans quelque école alexandrine ou asiatique pour le cas de Théôris. Longtemps avant le commencement du IVe siècle, la culture raffinée d’Athènes et fie perfectionnement des institutions démocratiques ne permettaient plus d’appliquer le principe primitif de la responsabilité familiale dans ses excès les plus cruels. Et, à notre avis, l’une des preuves les plue fortes qu’on puisse donner pour démentir l’authenticité du premier discours contre Aristogiton, c’est ce conte bleu brodé sur une histoire véridique, l’aventure horrifique de Théôris exécutée avec toute sa famille.

La vérité historique est à l’opposé de cette invention. A partir d’un certain moment, les Grecs, les Athéniens en particulier, évitèrent avec si grand soin d’exécuter les innocents avec les coupables, et précisément les enfants avec la mère, que la femme condamnée à mort et qui se déclarait enceinte ne subissait sa peine qu’après l’accouchement. On se vantait d’avoir emprunté cette loi de clémence à la sagesse égyptienne. On l’expliquait en disant que c’eut été une injustice criante de faire partager le châtiment d’une criminelle à un être pur de tout crime, de prendre la vie de deux personnes en expiation de la faute commise par une seule[74]. La plupart des cités, il est vrai, oubliaient le principe de la responsabilité individuelle quand elles luttaient contre la tyrannie ou se vengeaient de la trahison. Mais Athènes, depuis Ve siècle, a eu la bonne fortune de n’avoir plus à condamner de tyrans, et la sagesse de ne plus se défendre contre les traîtres par des exécutions collectives. Denys d’Halicarnasse, dans un parallèle entre Rome et la Grèce, déclare que l’une se fit une réglo d’épargner les enfants des pires criminels et n’y manqua que pendant les proscriptions de Sylla, tandis que l’autre invoquait la doctrine de l’hérédité morale pour mettre à mort ou tout au moins bannir la famille des tyrans[75]. C’est trop généraliser. La différence que Denys fait entre les Romains et les Grecs aurait dû être faite aussi entre Athènes et le reste de la Grèce[76]. Sur Rome même, Athènes présente cette supériorité, qu’elle n’a pas pour seul garant de ses progrès précoces dans la justice un historien dénué de cens critique, ut qu’en tout ceci elle n’a pas produit de Sylla pour rompra misérablement avec une tradition de quatre siècles.

 

 

 



[1] Xénophon, Helléniques, V, 4, 12.

[2] Héraclide du Pont, dans Athénée, XII, 26, p. 524 A.

[3] Denys d’Halicarnasse, Ant. rom., VII, 9-10, a emprunté son récit à Timée, d’après Fr. Reuss, dans le Philol., XLIV (1886), p. 271 ss. Voir cependant Ed. Meyer, II, p. 809.

[4] Diodore, XX, 72, 1-2.

[5] Hérodote, III, 11.

[6] Démosthène, P. la cour, 206, Lycurgue, C. Léocr,, 122 : cf. Hérodote, IX, 5 ; Cicéron, De Off., III, 11. Voir Grote, V, p. 9 ; Busolt, Gr. Gesch., II, p. 723-724. Pour se prononcer sur la légalité de ce massacre, il faudrait en mieux connaître ses circonstances. On aurait à l’apprécier différemment, selon qu’on démontrerait qu’il a précédé ou suivi le décret d’Aristide enjoignant aux prêtres de lancer des imprécations contre les partisans des Mèdes et leurs familles (Plutarque, Aristide, 10 ; Isocrate, Panég., 157 ; Cf. Aristophane, Thesm., 337).

[7] Hérodote, IX, 88.

[8] Le droit de faire mourir sur-le-champ et sans forme de procès les traîtres et les sacrilèges est souvent revendiqué dans les cités grecques. Voir, par exemple, Xénophon, Helléniques, VII, 3, 7.

[9] Cette idée explique de nos jours la cruauté dont use la loi chinoise envers le coupable de haute trahison et, en général, de crime capital et qualifié (voir Kohler, Chin. Stratr., p. 8, 4, 10, 21-23), Sa famille est exterminée, jusqu’au degré d’oncle et de cousin germain, parce que l’extinction de la famille rend impossibles les sacrifices aux ancêtres ; c’est l’anéantissement dans l’autre monde aussi bien que dans celui-ci (Ed. Chavannes, dans la Rev. crit., 1900, I, p. 442).

[10] Cf. Sol., XXXIII, 8.7 (Bergk, II, p. 434) ; Platon, Gorgias, p. 473 D I Denys d’Hal., Ant. rom., VIII, 80 ; Cicéron, De inv. rhet., II, 19 ; Lucien, Le tyrannicide. Voir encore les rhéteurs cités par Meursius, II, 15.

[11] Hérodote, IV, 164.

[12] Arrien, Anabase, I, 17, 12.

[13] Plutarque, De mul. virt., 15, p. 253 B-E.

[14] Denys d’Halicarnasse, Ant. rom., VII, 11.

[15] Cléarchos, dans Athénée, XII, 58, p. 541 E (F. H. G., II, p. 307, fragm. 10) ; Strabon, VI, 1, 8, p. 259 ; Plutarque, Timol., 13 ; Préc. pour gouv. la rép., XXVIII, 7, p. 821 E ; Ælien, Hist. var., VI, 12.

[16] Plutarque, Dion, 58 ; Timol., 33.

[17] Plutarque, Dion, 58 ; Timol., 32-33.

[18] Justin, XXIII, 2 ; voir Grote, XII, p. 373.

[19] Diodore, XXVI, 15, 2 ; Tite-Live, XXIV, 25-26. De Pastoret (XI, p. 153) a pu dire, en parlant de la Sicile : La transmission de la peine aux enfants est dans l’esprit de la loi.

[20] Sur la lapidation dans les temps primitifs de la Grèce, voyez Rubino, Untersuchungen üb röm. Verfass. und Gesch., p. 479-480 ; Gilbert, Beitr., p. 462, et mon art. Lapidatio, dans le Dict. des Ant. Sur la noyade je renvoie à mon art. Katapontismos, ibid.

[21] Ephore, dans Strabon, l. c. (F. H. G., I, p. 248, fragm. 47).

[22] Cf. Aristote, Politique, II, 9, 5-9.

[23] On disait que, pour proposer une loi nouvelle à Locres, il fallait parler la corde au cou et que dans un espace de deux cents ans une seule loi nouvelle y passa (Démosthène, C. Timocr., 139-141 ; Polybe, XII, 16 ; Diodore, XII, 17 et 18 ; Stobée, Floril., XXXIX, 36).

[24] Pour les Grecs en général, voir Diodore, XVI, 15,2 ; cf. Dion Chrysostome, XXXI, 85 ; pour les Arcadiens, Pausanias, IV, 21, 4 ; pour les Corinthiens, Éphore, dans Nicol. de Damas, fragm. 60 (F. H. G., III, p. 394) ; pour les Syracusains, Diodore, XX, 74, 4 ; pour les Macédoniens, Id., XVIII, 47, 3 ; pour les Athéniens, Xénophon, Hell., I, 7, 22 ; Thucydide, I, 131 ; (Plutarque) Vie des dix orat., I (Antiph.), 28, p. 834 B ; IX (Hypér.), 13, p. 849 B ; Hypéride, P. Euxénippos, 18 ; Lycurgue, C. Léocr., 89 ; Lysias, C. Erat., 96, Sur les biens d’Aristoph., 7 ; Plutarque, Phocion, 37 ; Des délais de la veng. div., 2, p. 849 A ; Télès, dans Stobée, Floril., XL, 8 ; Michel, n° 66, l. 61-63 ; Platon, Lois, IX, p. 854 E, 873 B, 874 B ; X, p. 909 C ; XII, p. 960 B ; Eschyle, Sept, 1014 ; Quintilien, Décl., 274. On peut lire à ce sujet Meursius, II, 8 ; Vischer, dans la Rhein. Mus., XX (1865), p. 445-452 ; L. Schmidt, II, p. 103 ss., 107 ss.

[25] Bien connues à Athènes (Lycurgue, C. Léocrate, 113-115 ; Plutarque, Alcibiade, 23 ; Andocide, dans Plutarque, Thémistocle, 32 = Or. att. Didot, II, p. 248, fragm. 4), ces exécutions posthumes se retrouvent dans d’autres cités, à Syracuse (Plutarque, Des délais de la veng. div., 16, p, 559 E), à Éphèse (Arrien, Anabase, I, 17, 11). En Égypte, le cadavre de Cléoménès est mis en croix par ordre de Ptolémée IV (Plutarque, Cléom., 38). Les peines posthumes étaient très fréquentes dans l’ancienne France (voir J. Brégeault, Procès contre les cadavres dans l'anc. dr., dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., III, 1879, p. 619-644), et l'art 2 de notre Code d’instruction criminelle, qui les interdit, est une innovation.

[26] Thucydide, I, 126 ; Aristote, Constitution des Athéniens, 1 ; Plutarque, Solon, 12 ; Des délais de la veng. div., 2, p. 540 B ; Isocrate, De bigis, 26. Certains auteurs ne veulent pas admettre que l’exhumation des Alcméonides se soit faite deus fois, au VIIe siècle et au VIe, sous prétexte que l’exhumation a pour résultat la disparition des ossements. Mais n’est il pas probable, au contraire, que ses ossements transportés sur le territoire étranger par autorité de justice ont été pieusement recueillis par les Alcméonides en exil et sont revenus avec eux dans la patrie ? Ainsi, l’exhumation ne prouve rien contre la double condamnation des Alcméonides (cf. Fr. Cauer, Parteien und Politiker in Meg. und Ath., Stuttg., 1890, p. 64 s.), et il est inutile, en même temps que contraire aux saines notions de l’évolution historique, de supposer que c’est seulement la seconde condamnation des vivants qui a été appliquée solidairement aux morts (cf. G. W. Botsford, The trial of the Alcmeonidæ and the Cleisthanean constit. reforms, dans les Harvard stud. in class. philol., VIII, 1897, p. 21, n. 2).

[27] Éphore, dans Nicolas de Damas, l. c.

[28] Hérodote, IX, 120 ; cf. Grote, V, p. 56.

[29] Démosthène, C. Aristocr., 169.

[30] Démosthène, C. Aristocr., 169.

[31] Il n’y a pas, dit Thucydide dans le récit du sac de Mycalessos (VII, 29), de peuple barbare plus sanguinaire que les Thraces, tant qu’ils sont dans l’ivresse du carnage. Cf. Xénophon, Anabase, VII, 5, 13 ; Diodore, XXXIII, 14-15. Grote, X, p. 138, suppose, pour expliquer le passage de Démosthène, que les Thraces avaient coutume de s’épargner dans leurs querelles intestines. Mais l’abolition de la peine de mort en matière politique chez les Thraces, c’est encore une conclusion assez paradoxale pour qu’elle étonne le sens critique de celui-là même qui l’a trouvée. Il dit, en effet : We remark with surprise a practice milder than that of Greece amidst a people decidedly more barbarous and bloodthirzty than the Greeks. Cf. Grote, III, p. 436-438 ; W. Tomaschek, Die alten Thraker, dans les Sitzungsber. der Ak. der Wiss. in Wien, Philos.-hist. Classe, CXXVIII (1893), fasc. IV, p. 124.

[32] Xénophon, Anabase, VII, 4, 6-10 ; cf. Hérodote, VIII, 116. Les Thraces de deux États différents ne tenaient pas compte de leur communauté ethnique et se considéraient comme étrangers (cf. Hérodote, V, 3 ; Xénophon, Anabase, VII, 3, 34).

[33] Hérodote, IX, 119.

[34] Ceux qui étaient punis pour les mêmes faits ne périssaient pas toujours de la même façon (Hérodote, l. c.). L’office de bourreau revenait soit au peuple en masse, soit au roi en personne : Xénophon (Anabase, VII, 4, 6-10) nous montre Seuthès perçant de sa propre main les paysans thraces.

[35] Kersobleptès était μειρακύλλιον, et Charidimos τών πραγμάτων κύριος (Démosthène, C. Aristocr., 163).

[36] Démosthène, C. Aristocr., 170.

[37] Hérodote, l. c.

[38] Xénophon, l. c.

[39] Voir l’art. Lapidatio, dans le Dictionnaire des antiquités, p. 929.

[40] Hécube, 1259-1292 ; cf. 26.

[41] Thucydide, VII, 30.

[42] L’influence de la barbarie sur la civilisation grecque en matière de responsabilité collective peut s’observer ailleurs. Qu’on voie, par exemple, la conduite des Mysiens dans le massacre de l’an 88 (Appien, Guerre de Mithr., 23) : elle doit être rapprochée de l’inscription dans laquelle Mithridate met à prix la tête de Chaicémon et de ses deux fils, en n’alléguant que des griefs politiques contre le père (Michel, n° 50).

[43] C’est ce qu’a voulu faire Alb. Dumont, Le Balkan et l’Adriatique, p. 282 ss., 347 ss.

[44] Quinte-Curce, VI, 11, 38 ; cf. 9 : more Macedonum ; Diodore, XVII, 80, 1 : κατά τό τών Μακεδόνων ίθος. Voy. Rubino, op. cit., p. 480, n. 3 ; Gilbert, Beitr., p. 463. Pour les exemples (Philotas, Hermolaos et ses complices, Olympias), je renvoie à l’art. Lapidatio, l. c.

[45] D’après Pausanias, IX, 7, 2, elle fut lapidée. Diodore, XIX, 51, 1, parle de strangulation. Cf. Justin, XIV, 6, 11.

[46] Quinte-Curce, VI, 9, 31 ; cf. Tzetz., ad Lycophr., 1030.

[47] VI, 11, 9. Cf. VIII, 6, 28 : Macedorum more perire debebant, omnium devotis capitibus, qui sanguine contigissent eos. La père de Philolaos est enveloppé dans la même accusation que lui (id., VI, 10, 30) ; ses proches se donnent la mort ou prennent la fuite (VI, 11, 9). Quand Hermolaos parle de façon à se faire condamner, son père l’appelle parricide (VIII, 7, 1). Cf. de Pastoret, VIII, p. 307-308.

[48] Après la mort de Perdiccas, les Macédoniens condamnèrent à mort son frère Alkétas et sa sœur Atalantè, avec un grand nombre de ses amis et partisans (Diodore, XVIII, 37, 2 ; cf. 44, 7 ; 47, 3). Perdiccas appliquait la même règle en temps de guerre : vainqueur d’Ariarathès II, il le fit mettre en croix avec toute sa famille (Id., ibid., 16, 3). Les Épirotes ne différaient pas de leurs voisins : on les voit mettre à mort le roi Alkétas avec deux de ses fils, enfants en bas âge (Id., XIX, 89, 3).

[49] Michel, n° 1318, A, l. 4-5, 11-12 ; B, l. 6-8, 27-28, 39-41.

[50] Michel, n° 408, B, l. 64.

[51] Photius, Suidas, s. v. Κυψελιδών άνάθημα.

[52] Éphore, dans Nicolas de Damas, fragm. 60 (F. H. G., III, p. 394).

[53] Michel, n° 471, I, l. 14-16 ; II, l. 29-31 ; III, l. 49-50.

[54] Voir Denys d’Halicarnasse, Ant. rom., VIII, 80.

[55] Guiraud, De la condit. des alliés pendant la prem. conféd. ath., dans les Ann. de la Fac. des lettres de Bord., V (1883), p. 193 ; cf. H. Gäbler, Erythræ, Berl., 1842, p. 11.

[56] Dittenberger, n° 2, l. 31-35. Rec. des inscr. jur., II, p. 52.

[57] C’est la règle appliquée en 470 aux enfants de Lykidas. Les Athéniens l’auraient appliquée aussi en 511/0 aux fils des Pisistratides, s’ils n’avaient préféré se servir d’eux comme d’otages, pour imposer leurs conditions par une όμολογία έπί τή τών παίδων σωτηρία (Aristote, Const. des Ath., 19, Hérodote, v, 65).

[58] Quinte-Curce, VI, 11, 9 : Legem Macedonum... qua cautum erat ut propinqui eorum qui regi insidiati erant cum ipsis necarentur,... donec rex legem se... remittere edixit. Cf. VIII, 8, 18.

[59] Denys d’Halicarnasse, Ant. rom., VIII, 60 ; cf. Rubino, op. cit., p. 480, n. 2. Le sénatus-consulte eut un effet immédiat : άφεΐσθαι τά μειράκια τής τιμωρίας, καί έπί πάση άδεία ζήν μήτε φυγή μήτε άλλη συμφόρα ζημιωθέντα. Il eut aussi, par l’έθος qu’il établit, un effet durable : άφεΐσθαι τιμωρίας άπάσης τούς παΐδας ών άν οί πατέρες αδικήσωσιν. Notre hypothèse se justifie encore en droit comparé, par des arguments pris en dehors de l’antiquité classique. Ce sont des lettres royaux de rémission qui, en France et en Angleterre, ont longtemps soustrait à la rigueur des lois l’auteur d’un homicide per infortunium vel se defendendo (cf. Esmein, Hist. de la procéd. crim. en Fr., p. 255 ; Pollock-Maitland, II, p. 484). En Chine et en Annam, comme dans les États antiques, les parents de l’homme condamné pour haute trahison n’échappent à la peine de mort que par un acte exprès de l’empereur, acte prévu par la loi (Aubaret, Hoang-viet-luat-lé, Code annamite, lois et règlements du roy. d’Annam, Paris, 1865, p. 537 s. ; cf. P. Fauconnet, dans l’Année sociol., IV, 1901, p. 400-401). De plus, comme en France et en Angleterre, les criminels par accident, les enfants et les vieillards obtiennent exemption partielle ou toute de la peine en vertu de révisions obligatoires et réglées par la coutume (Kohler, Chin. Strafragm., p. 7-8, 19, 21 ; P. Fauconnet, l. c.). En Chine, le rachat de la peine afflictive, cest-à-dire son remplacement par une amende d’après un tarif légal, doit être également autorisé par lettres de grâce (Letourneau, Evol. jurid., p. 164).

[60] Il n’est pas inutile de rappeler à ce propos les subterfuges qui servaient aux Athéniens à faire exceptionnellement remise des amendes (voir Böckh-Fränkel, Staatsh., II, p. 463-464).

[61] (Plutarque) Vie des dix orateurs, I (Antiphon), 27-28, p. 834 A-B.

[62] Andocide, Sur les mystères, 96.

[63] Voir Stahl, Zum Pseph. des Demophantos, dans le Rhein. Mus., XLVI (1891), p. 614-617 ; cf. P. Gantser, Verfassungstund Gesetzrevision in Ath. vom Jahre 411 bis auf das Arch. des Eukleides, diss in., Halle, 1894, p. 35 ; Dareste-Haussoullier-Th Reinach, II, p. 55.

[64] Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, l. c.

[65] Isocrate, De bigis, 45 ; cf. (Lysias), C. Alcibiade, I, 17.

[66] Lysias, C. Erat., 38, 83.

[67] (Lysias), C. Alcibiade, l. c.

[68] Const. des Ath., 40.

[69] § 79.

[70] Philochore, l. VIII, dans Harpocration, s. v. Θέωρις (F. H. G., I, p. 407, fragm. 136) ; cf. Plutarque, Démosthène, 14. Sur l’incrimination, voir Lipsius, Att. Proc., 2e éd., p. 370 ; p. 383, n. 530 ; Thonissen, p. 191. A. Schæfer, Dem. und seine Zeit, 2e éd., II, p. 533, croit à tort que Théôris fût condamnée pour menées politique.

[71] L’authenticité du discours en question est admise par Pline le Jeune (II, 26), par Hermogène (περί ίδεών, I, 6, p. 221, 226, 2.1t ; N. p. 240 ; 11, 10, p. 367), par Plutarque (Démosthène, 15) et par l’auteur du Traité du sublime (XXVII, 3) ; mais elle est contestée par Denys d’Halicarnasse (Sur la force du style de Démosthène, 57, p. 1126, 1). Voir encore l’argument de Libanius placé en tête du discours (p. 769) et Photius, Bibl., 263, p. 491, 29. Harpocration, qui ne marque aucune défiance dans plusieurs gloses par exemple au mot ένδειξις, emploie deux fois la formule de εί γνήσιος (aux mots Θέωρις et νεαλής).

[72] L’attribution à Démosthène n’est guère soutenue que par C. E. A. Schmidt, dans son édition de Dinarque, p. 110, et par H. Weil, qui s’en est expliqué à maintes reprises (Rev. de philol., VI, 1882, p. 1-21 ; L’auteur du premier disc. c. Aristog. est-il bien informé des instit. d’Ath. ? dans les Mél. Rénier, fasc. 13 de la Bibl. de l’Éc. des Hautes Ét., 1887, p. 19-25 ; Plaid. pol. de Démosthène, 2e série, p. 292-299). Cependant Blass d’abord opposé à cette hypothèse, sauf pour les §§ 54-61, 69-74 (Att. Bereds., III, 1, 1re éd., p. 360 ss.), s’y est rallié plus tard (Ad Henricum Weil epistula de orat. in Aristog. priore, dans la Rev. de Philol., XI, 1887, p. 120-141 ; Att. Bereds., l. c., 2e éd., p. 410-411 ; cf. H. Weil, Plaid. pol., p. 299). D’autre part, Reiske, puis H. Braun (De duab. adv. Aristog. orat., Gryphisw., 1873) et Cobet (Noræ lect., p. 225 ; Misc. crit., p. 559 ss.), veulent que l’auteur du plaidoyer soit un contemporain de Démosthène ou y reconnaissent même la marque d’Hypéride. Cette solution irait contre notre thèse, comme la précédente ; elle est également réfutée par notre argumentation, qui corrobore la solution préconisée, après Casabon, Taylor et Debree (Adr. crit., p. 484), par Westermann, De lit. quas Dem. oravit ipse, Lips., 1834, p. 65 ss. ; Quæst. Dem., III, p. 94 ss. ; Böckh-Fränkel, Staatsh., I, p. 46 ; Böckh, Urk. über das Seewesen, p. 536 ss. ; Meier-Schömnann-Lipsius, p. 868 ; A. Schæfer, l. c., Beitage V, p. 113-126 ; von Willamowitz, Ind. lect. Gryphisw, 1879-80 ; R. Wagner, De priore quæ Dem. fertur adv. Aristog. orat., Corvimontii, 1883 ; Lipsius, Ueb. die Unæchkeil der erat. Rede geg. Aristop., dans les Leipz. Siwl., VI (1883), p. 319-331 ; H. Stier, De script. priore adv. Aristog. orat. quæ Dem. esse fertur, Halis Sex., 1884.

[73] Cicéron, De inv. reth., II, 49 ; Libanius, t. IV, p. 798-817 éd. Reiske ; cf. Meursius, II, 15.

[74] Diodore, I, 77, 9 ; Plutarque, Des délais de la veng. div., 7, p. 552 E ; Ælien, Hist. var., V, 18 ; cf. Quintilien, Décl., 277. Aux raisons données en faveur de cette loi Diodore en ajoute une, qu’il déclare la plus grave de toutes : on n’a pas le droit, pour punir la femme enceinte, de tuer l’enfant qui appartient en commun au père et à la mère. On voit par ces considérants que les Grecs n'ont pas eu besoin d’emprunter aux Egyptiens une règle que bien d’autres peuples ont trouvée à eux seuls, depuis les Romains jusqu'aux Chinois et aux Japonais (Digeste, XLVIII, 19, 3 ; Köhler, Chin. Staft., p. 16, n. 3 ; G. Appert, Un code jap. au VIIIe siècle, dans la Nouv. rev. hist. de dr. fragm. et étr., XVII, 1893, p. 737).

[75] Ant. rom., VIII, 80.

[76] Le texte même de Denys (ένίοις) prouve qu’il généralise trop. D’ailleurs, ce Grec d’Asie montre la distance qui existait entre la moralité de ses compatriotes et celle des Athéniens, en n’osant même pas prendre parti pour le principe de responsabilité individuelle, et cela vers la fin du Ier siècle avant J.-C.