SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE DEUXIÈME. — PÉRIODE DE TRANSITION — LA CITÉ CONTRE LA FAMILLE.

CHAPITRE III. — CONCILATION DE LA RESPONSABILITÉ PERSONNELLE ET DE LA PROPRIÉTÉ FAMILIALE.

 

 

Par cela même que les grecs se hâtèrent vers la suppression de la solidarité passive, sans aller à la destruction de la solidarité active avec la même vitesse, il se produisit dans leurs sociétés une rupture d’équilibre qui devait les mettre en présence d’un problème singulièrement délicat. Comment accorder la responsabilité personnelle avec le régime de la propriété familiale ? Ce régime subsista bien longtemps après la disparition de la solidarité primitive en matière d’obligations réelles. Voilà donc des gens à qui l’on pouvait dire, comme dira Platon : Je ne vous regarde, ni vous ni vos biens, comme étant à vous-mêmes ; c’est à toute votre famille qu’ils appartiennent, à vos ancêtres et à vos descendants[1]. Comment un de ces copropriétaires pouvait-il se libérer d’obligations individuelles sans engager les biens communs ?

Jadis le criminel qui ne possédait pas en acquêts personnels de quoi parer la ποινή était réduit par l’abandon noxal à la servitude. Mais cette coutume de la servitude pénale, qui avait cité un bienfait à l’origine, devenait de plus en plus une calamité, parce qu’elle apparaissait de plus en plus comme une injustice. Imaginée pour dégager la responsabilité de la grande famille, elle ne s’en était pas moins imprégnée de solidarité passive. Quand le coupable est plongé dans un esclavage définitif, il va sans dire que ses enfants nés ou à naître partagent son sort. Au cas où l’offenseur insolvable paie la ποινή en travail. Cette situation provisoire ne lui est pas toujours exclusivement personnelle : quand la dette est trop forte pour être jamais payée par le travail d’un seul, le pire engage les siens avec lui[2] ; il peut aussi se faire remplacer[3], et, tout comme Athènes envoie à Minos un tribut de garçons et de filles[4], la famille compromise peut avoir a livrer un ou plusieurs de ses enfante. Ainsi, l’esclavage pénal, qui avait rompu la solidarité pénale entre les familles du γένος, la maintenait entre les membres de la famille. Il multipliait les misères.

Et pourtant celui qui perdait sa liberté faute de paiement n’était pus toujours dénué de ressources : il avait un droit de copropriété sur le patrimoine commun de la famille. Un moment vint où la terre ne fut plus absolument indivisible et inaliénable. Dés lors, le condamné ne pouvait-il pas échapper au sort cruel qui l’attendait, en mobilisant sa part ?

La loi de Gortyne répond à celle question[5]. Le père, dit-elle, est le mettre des enfants et des biens, et il est libre d’en faire le partage ; de même la mère, pour ses biens maternels. Tant que vivent les parents, le partage ne peut être exigé. Toutefois, si un des enfants est frappé d’une condamnation pécuniaire, il sera apportionné des biens suivant ce qui est écrit plus bas (suivant la loi de succession). Le principe qui domine à Gortyne est celui des anciens temps : la terre est soumise au régime de la communauté familiale, et les enfants, quoique copropriétaires avec le père et la mère, ne peuvent pas exiger le partage de la présuccession. Cette règle souffre une seule exception : le fils condamné à l’amende peut la faire payer par la communauté, jusqu’à concurrence de la part qui lui revient. C’est ainsi que le régime de la propriété familiale, tel que l’a connu la Grèce, se concilie avec la responsabilité personnelle. Par là, on obtient un double avantage. Le condamné, une fois autorisé à exiger l’avance d’hoirie, peut échapper à la servitude, conséquence de l’abandon noxal, à condition toutefois que le montant (le sa part ne soit pas inférieur à celui de la condamnation. D’un autre côté, les parents du condamné ne sont obligés par son délit que dans les limites de sa part légitime[6]. Le coupable paie sa faute sur ses biens propres ; la famille n’est pas responsable pour chacun de ses membres.

Le législateur de Gortyne montre par un exemple comment la règle qu’il instaure doit s’appliquer en droit criminel. Les dispositions sur l’adultère admettent que le coupable soit mis à rançon. L’offensé, dit la loi, déclarera par devant trois témoins aux parents du séducteur pris par lui qu’ils ont à le racheter dans les cinq jours[7]. Mais ce rachat n’est pas obligatoire ; il ne déroge pus au principe de l’apportionnement noxal. La loi ajoute, en effet : Si le coupable n’est pas racheté, ceux qui l’auront pris pourront en faire leur volonté[8]. Pas plus que dans l’Odyssée, les μοιχάγρια n’engagent ici les parents de l’offenseur : on leur demande seulement ails veulent lui remettra sa part, et, en cas de besoin, y ajouter du leur. La loi propose, tout au plue, un emploi de la solidarité passive ; elle ne l’impose pas. C’est déjà beaucoup qu’elle le mentionne explicitement : de ce chef, elle présente une procédure manifestement plus archaïque que celle de l’Odyssée, ce qui ne signifie pas que les plus récente des poèmes homériques soient postérieurs à la rédaction des coutumes gortyniennes, mais que Gortyne avait moins altéré quelques-unes des vieilles coutumes, au moment où elle les codifia, que la plus grande partie de la Grèce dès la fin de l’époque homérique[9].

Il serait d’un grand intérêt de savoir à quelle époque les Gortyniens ont pour la première fois admis le partage, anticipé pour cause de condamnation pécuniaire. Malheureusement, il est impossible de rien avancer. La date de l’inscription, d’ailleurs incertaine[10], ne donnerait aucune indication sur la date des diverses prescriptions qu’elle perpétuait. Est-il du moins possible de voir si la disposition que nous venons d’examiner a été transcrite parle rédacteur d’après la coutume, ou imaginée par lui comme correctif de la coutume ? Dareste[11] a soutenu que le droit primitif permettait toujours au fils de demander le partage, et que la toi de Gortyne, en lui ôtant cette faculté, maintient cependant l’ancien droit pour un cas, celui où un des coparçonniers vient à être condamné à une amende pour un délit. Guiraud[12] a montré que cette interprétation est inadmissible, parce qu’elle entraînerait à supposer qu’à Gortyne, avant la reforme, le père n’était pas le maître des enfants. Mais il se trompe à son tour, quand, après avoir rappelé le caractère primitif de la puissance paternelle et, par conséquent, la souveraineté primordiale du père sur ses biens, il attribue à notre législateur l’initiative d’une réforme partielle, de l’exception faite pour le cas de l’amende. Ainsi que l’a très bien dit Guiraud lui-même, la loi de Gortyne, comme tous les codes, ne se borne pas à énumérer des innovations. Les règles juridiques qu’elle proclame ne sont pas forcément des dérogations aux règles du passé ; elles ne font souvent que reproduire et confirmer ces dernières. Les Crétois ont beau s’être retranchés obstinément dans leur île et dans la tradition ; il n’est pas croyable qu’ils aient attendu la seconde moitié du Ve siècle pour porter la première atteinte au vieux principe de la communauté familiale et se mettre enfin à l’unisson de la Grèce entière.

Ce qui montre que la disposition de Gortyne remonte à une haute antiquité, c’est qu’elle cadre admirablement avec une prescription édictée ailleurs à une époque très reculée. On a trouvé en Argolide une tablette de bronze qui date du VIe et peut-être même du VIIe siècle. Elle porte une loi pénale d’après laquelle les biens du proscrit doivent être confisqués et mis en vente, Mais sur ces biens les plus proches parents ont un droit de préemption[13]. Pourquoi ? Parce qu’il fallait permettre au γένος de conserver intact le patrimoine indivis, à condition de racheter en argent monnayé la part du condamné. La déesse Héra, au profit de qui était prononcé le jugement, était désintéressée de sa créance par les coparçonniers du débiteur mis en dehors de l’indivision.

Il nous a été assez facile de voir à quelles conditions le patrimoine de la famille a pu être sauvé en cas de faute individuelle. Mais qu’advient-il de l’héritage laissé par un débiteur non libéré ? Quand on admit que chacun est responsable de ses actes sur es part, ce principe dut être également appliqué au débiteur de son vivant et après sa mort. C’est la seule solution qui semble logiquement possible ; c’est bien celle qu’adopte, comme nous Je verrons, la loi de Gortyne. Pourtant on n’y est pas arrivé par une voie rectiligne.

Partout, au temps où le principe de la copropriété familiale avait toute sa rigueur et où il n’y avait que des obligations à cause délictuelle, la mort de l’offenseur, fût-elle naturelle et non pas due à la vengeance, produisait les mêmes effets que l’exil ou l’abandon noxal ; elle soustrayait la famille aux revendications matérielles. Le défunt, comme le proscrit, ne devait plus du ποινή et ne laissait point par devers lui de fortune personnelle : ses parents n’avaient rien à craindre pour leur bien commun. Partout aussi, quand la propriété individuelle commença à se constituer à côté de la propriété familiale, les obligations contractuelles naquirent, et, formées à l’image des obligations délictuelles, elles se conformèrent aux mêmes règles[14]. C’est ainsi que s’établit dans les coutumes très anciennes l’intransmissibilité des dettes.

On ne peut pas prouver directement que les Grecs aient à un moment quelconque dispensé les héritiers d’acquitter le passif de la succession. Mais il est bien difficile que le régime de la vengeance privée et de la propriété familiale n’ait pas abouti chez eux au même résultat que chez les Romains[15] et les Germains[16]. Autrement, le créancier n’aurait pas eu besoin, en Grèce, de recourir à des moyens détournés pour faire passer l’obligation du débiteur mort sur la tête des héritiers.

En droit comparé, le subterfuge qui réussit d’ordinaire au créancier consiste à priver de sépulture le débiteur défunt[17]. Si le malheureux était prisonnier ou esclave pour insolvabilité, on retient le cadavre ; sinon, on l’exige, parce que ni la contrainte par corps ni l’abandon noxal ne se restreint nécessairement aux vivants[18]. De toute façon, la famille du débiteur est mise dans l’alternative de racheter la mort ou de le laisser par une avarice impie en proie aux chiens et aux vautours.

Les éléments constitutifs de l’institution ainsi définie sont la survivance de la responsabilité et le rachat du cadavre. Ils se retrouvent en Grèce. On y croyait sans aucun doute qu’il restait après la vie assez d’âme attachée à l’enveloppe matérielle pour que la vengeance y trouvât de quoi s’y prendre : entre le guerrier qui mutile nu livre aux bêtes le corps d’un ennemi et l’État qui exhume un criminel pour le condamner ou prive un condamné des honneurs funèbres[19], se place forcément le vengeur nu le créancier qui se paie sur le corps inanimé de gon adversaire[20]. Libre à lui, si la famille offre une rançon, de l’accepter ou de préférer une satisfaction plus cruelle : les άποινα ne sont pas obligatoires[21], et, pour fléchir Achille, pour lui faire agréer les plus magnifiques présents[22] en échange de ce qui fut son fils, Priam en vient à baiser la main du meurtrier[23]. Mais refuser est mal[24] : les dieux n’aiment pas cela[25]. Si Achille lui-même cède, pour leur obéir[26], c’est que déjà, dans la vie ordinaire, la religion et la coutume imposaient au vengeur ou au créancier la transaction proposée. D’autre part, on conçoit que la possession d’un cadavre soit devenue pour lui un moyen d’exercer une pression sur une famille irresponsable. On pouvait être tenté par intérêt d’y mettre de la mauvaise volonté, de chicaner sur la somme. Mais le fils avait pour devoir absolu de rendre au père les derniers honneurs. Pour que l’âme du débiteur mort insolvable fût en paix, il fallait la libérer de la servitude pénale. Ce sentiment devait être bien tort dans la conscience des Grecs, pour empêcher encore dans la Rhodes impériale la renonciation aux successions onéreuses et y réprouver le bénéfice d’inventaire[27]. Ainsi, les dettes, sans être transmissibles en droit, commençaient à le devenir en fait.

Les premiers codes rédigés au nom de l’État ne purent donc déclarer la transmission du passif obligatoire. Ils ouvrirent seulement au créancier un recours pour faire reporter la dette du défunt sur les héritiers. La façon même dont s’établit en principe la transmission passive des obligations rappelle encore lu période antérieure où ce principe n’existait pas. La loi de Gortyne prescrit des formalités assez compliquées au créancier qui ne veut pas que la mort du débiteur vaille quittance. Quelle que soit la source de l’obligation, cautionnement, jugement de condamnation, contrat de gage, pacte de constitut, etc., le titre du créancier est périmé, s’il n’est pas renouvelé en justice dans l’année, sur déclaration conforme des témoins, après serment prête par les témoins et le demandeur[28]. Les commentateurs des Inscriptions juridiques grecques disent cette procédure nécessaire dans une société où l’écriture n’est pas d’un usage courant[29]. Ils expliquent ainsi qu’elle se soit conservée longtemps ; ils n’en font pas comprendre les origines. Si le premier législateur ne s’était pas trouvé en présence d’un vieux préjugé contre la transmission des obligations, il lui aurait suffi d’édicter cette procédure pour le cas de contestation litigieuse, sans demander que l’affaire aille au tribunal en tout état de cause et surtout sans fixer un délai de prescription aussi court. Dans la société de ces temps-là, on pensait encore, comme s’expriment les vieux coutumiers de France, que toutes exécutions cessent par la mort de l’obligé[30] : la transmission passive était obtenue par un jugement de condamnation, parce qu’elle n’allait pas de soi.

Voilà aussi pourquoi la responsabilité des héritiers a eu des limites dès le début, dans la loi de Gortyne, les ayants droit à la succession d’un débiteur, ont le choix entre deux partis : entrer en possession de l’actif moyennant le règlement du passif, ou abandonner la succession aux créanciers sana avoir à répondre à l’excédent du passif sur l’actif[31]. C’est le bénéfice d’inventaire. Celte exception à la transmission des dettes n’est pas une réserve dictée après coup par la philanthropie d’une civilisation avancée ; elle est, au contraire, la survivance d’un régime entièrement opposé à cette transmission. Le bénéfice d’inventaire est une solution alternative, comme l’abandon noxal, précisément parce qu’à l’origine il n’était que l’abandon noxal d’un patrimoine.

Pour venir à bout de la responsabilité collective qui semblait pourtant répondre à l’état de la propriété, les Grecs ont donc témoigné de bonne heure leur ingéniosité juridique. Entendons-nous bien. Les procédés auxquels ils ont eu recours ont été trouvés ailleurs. Ce qui est remarquable, c’est qu’ils se soient obligés, pour ainsi dire, à les imaginer sitôt après la période homérique. Le fait sur lequel il convient d’insister et dont celui-là n’est que la conséquence, nous l’avons déjà constaté : en Grèce, l’offenseur cessa d’obtenir le concours des siens, tandis que l’offensé pouvait toujours y compter. La distinction peut paraître aujourd’hui toute naturelle. Elle fait cependant grand honneur au sens moral de la race hellénique et prouve une finesse rare.

La plupart des peuples ont renoncé très tard à la solidarité de la famille dans le paiement des compositions[32]. Chez les Germains, à ce qu’il semble, les deux formes de la solidarité ont subi les mêmes variations. Au temps de Tacite, tous les membres d’une même famille étaient solidaires pour recevoir comme pour payer la composition... A l’époque où fut rédigée la loi salique, cette solidarité ne s’appliquait plus qu’au cas de meurtre. Elle fut... complètement abolie par les premiers rois mérovingiens[33]. D’après les anciennes lois de la Norvège, le prix du sang dû à tous les parents de la victime et même variable suivant leur nombre, est acquitté par tous les parents du meurtrier classés par anneaux[34]. Dans le pays de Galles[35], la solidarité passive a persisté assez longtemps pour que la coutume fixât des quotes-parts dans le paiement du galana selon les degrés de parenté. Une première répartition mettait un tiers du total à la charge du meurtrier et de sa maisonnée, un tiers du reste (deux neuvièmes) à la charge du clan maternel, et le second reste (quatre neuvièmes) à la charge du clan paternel. Chacune de ces trois fractions se subdivisait. A la première, le père contribuait deux fois plus que la mère, et le frère apportait le double de la sœur. Pour les deux autres, on distinguait dans le clan trois parentèles : la première (le grand-père et ses descendants) fournissait le double de la deuxième (le bisaïeul et ses descendants), et celle-ci le double de la troisième (les descendants du trisaïeul)[36]. Pour que des précisions aussi méticuleuses s’introduisent dans la pratique de la solidarité passive, il faut manifestement qu’une société soit déjà très vieille et qu’elle n’éprouve cependant aucune répugnance pour les responsabilités collectives.

Les Grecs ont eu le môme point de départ que les autres peuples de la souche aryenne ; mais ils ont parcouru plus vite les grandes étapes de la civilisation. Compares-les aux peuplades germaniques ou celtiques ; le contraste est double : dans leurs conceptions économiques, ils en sont encore à l’évaluation par têtes de bétail, que déjà, dans leurs conceptions morales et leur droit commun, ils ont rejeté en principe la règle de ta responsabilité collective.

 

 

 



[1] Platon, Lois, XI, p. 923 A. Sur la durée de la propriété familiale, voir Guiraud, p. 46-63, surtout p. 53 ss., 60 ss.

[2] Il en est encore ainsi dans l’Attique avant Solon pour les débiteurs des Eupatrides : άγώγιμοι καί αύτοί καί οί παϊδες έγίγνοντο (Aristote, Const. des Ath., 2). Il n’en peut être différemment en des siècles plus reculés, quel que soit la fondement de l’obligation.

[3] On trouve un exemple d’une pareille substitution dans la légende d’Héraclès. Dans la version la plus accréditée, le héros se soumet aux ordres d’Eurysthée pour se racheter de ses crimes (Apollod., II, 4, 12, 2) ; mais, d’après une tradition moins répandue, il accomplit ses travaux afin à éviter une peine méritée à Amphitryon, meurtrier d’Electryon (Euripide, Her. fur., 16-20). C’est ainsi qu’en droit babylonien, la femme, le fils ou la fille du débiteur le libèrent par trois ans de servitude (Dareste, Hammourabi, p. 527).

[4] Plutarque, Thésée, 15-16. Voir d’autres légendes dans Anton. Liber., VIII, X, XII, XXV.

[5] Loi de Gortyne, IV, 23-31, trad. Dareste-Haussoullier-Th. Reinach. Voir le commentaire des I. J. G., t. I, p. 462 ; cf. Bübeler-Zitelmann, p. 130.

[6] Les auteurs du Rec. des inscr. jur. gr., l. c., n. 3, rappellent des dispositions semblables insérés dans la coutume du Nivernais et le code du Monténégro. On en trouve encore d’analogues dans les codes brahmaniques, par exemple, les Institutes de Narada (cf. Dareste, Et. d’hist. du dr., p. 91). Dans la loi de Vestrogothie (Livre des successions, XXVIII, trad. Beauchet, p, 317), le père répond des amendes encourues par son fils vivant avec lui, jusqu’a une limite fixe de cent marks, et les paie sur les biens indivis. Mais rien ne vaut, pour commenter le texte de Gortyne, cette disposition, qu’on trouve dans les statuts d’Avignon publiés par R. de Maulde (Cout. et règl. de la Rép. d’Avignon au XIIIe siècle, dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., I, 1877, statut LXIV, p. 558-559) : Item statuimus quod patres filiorum culpis teneantur, dum sunt in potestate putris filii, nive emancipati, et cum patribus morantibus ; alius patres non teneantur in pecuniariis causis tantum usque ad legitimul filii et non in plus : secundum autem qualitatem delicti infra legitimum teneantur ; in corporalibus autem pœnis, pro sua culpa quilibet teneatur.

[7] II, 28-31.

[8] II, 33-36.

[9] Sur un autre point, le code de Gortyne, tout en maintenant le régime individualiste, rappelle la solidarité primitive. Il admet que certaines personnes ont l’obligation de racheter l’homme libre vendu à l’étranger, sur réquisition de l’intéressé (VI, 46 ss.). Les personnes en question ne peuvent être que les membres de la famille et, à leur défaut, les membres de la même hétairie. Mais le racheteur a un droit de rétention sur le racheté jusqu’à ce qu’il ait obtenu le remboursement de lu rançon i rangés (Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 4118). La loi prévoit même la procédure à suivre, en cas de désaccord sur la question de chiffre ou de titre. Il ne reste donc de la solidarité familiale que l’obligation, plus morale que légale, de consentir à un prix, aux conditions normales et avec toutes les garanties d’usage, y compris le droit d’exécution sur la personne.

[10] On ne la fait plus aujourd’hui remonter plus haut que le milieu du Ve siècle (voir Kirchhoff, Stud. z. Gesch. d. gr. Alphabets, 4e éd., 1887, p. 78 ; Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 437-440).

[11] Dareste, dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., X (1889), p. 19-20.

[12] Op. cit., p. 99-100, cf. 226.

[13] Amer. journ. of arch., V (1901), p. 159 ss., l. 8-9. Sur la question de date on peut admettre les explications données par J.-D. Rogers, p. 162.

[14] Une coutume de Crète rappelle d’une façon saisissante que les deux sortes d’obligations ont eu la même origine. Chez les Cnossiens, l’emprunteur enlevait par violence l’argent dont il avait besoin (Plutarque, Quæst. gr., 53, p. 303 C). Inutile de chercher longtemps, avec Plutarque, les avantages de cette formalité (voir Caillemer, art. Fœnus, dans le Dict. des ant., p. 1219) : il suffit de rapprocher l’emprunt par rapt du mariage par rapt, pour y trouver les vestiges d’un passé lointain.

[15] Cf. Ed. Cuq, Rech. hist. sur le test. par æs et libram, dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., X (1886), p. 542 ss., 348 ss. ; Esmein, L'intransmissibilité prem. des créances et des dettes, ibid., XI (1887), p. 48 ss.

[16] Cf. Heusler, Inst. d. deutsch. Privatrechts, II, p. 536, 541.

[17] Voir Kohler, Shakesp., p. 19-20 ; Esmein, Mél., p. 245-266.

[18] A Rome, le droit privé admet que le fils de famille soit livré par abandon noxal après la mort, de même que le droit des gens autorise l’extradition posthume (cf. Gaius, Instit., IV, 1 ; Tite-Live, VIII, 39, voir Dareste, Fragm. d’une paraphr. des Inst. de Gaius, dans le Journ. des sav., 1899, p. 731).

[19] Voir plus bas, liv. III, ch. IV.

[20] On sait ce qu’est, dans l’Iliade, la lutte autour d’un cadavre sur le champ de bataille. La vendetta donne lieu à une lutte analogue, où la ruse aide la force ; d’un côté, on cherche à déterrer le mort ou à le garder ; de l’autre, on monte la garde autour de la tombe, pour éviter la τυμβωροχία (Démosthène, C. Everg., 69), ou bien on tâche de dérober le corps, pour l’ensevelir (Odyssée, XXIV, 24, 109).

[21] Quand Achille annonce à Hector terrassé qu’il le fera déchirer immédiatement par les chiens et les vautours, le moribond le conjure d’accepter l’airain et l’or qu’un père et une mère éplorés lui offriront pour un cadavre. La réponse d’Achille est sauvage, foudroyante : Chien ! s’écrie-t-il... Ah ! que n’ai-je la force et le courage de déchirer moi-même tes chairs et de les manger, pour ce que tu m’as fait ! Mais il n’y a personne au monde qui puisse préserver ta tête des chiens, dût-on apporter et déposer là dix, vingt rançons, et en promettre davantage, dût Priam offrir ton poids d’or ! (Iliade, XXII, 335-354).

[22] Iliade, XXII, 229-134.

[23] Iliade, XXII, 606.

[24] Iliade, XXII, 32.

[25] Iliade, XXII, 711 ss., 113 ss., 134 ss.

[26] Iliade, XXII, 140, cf. 110.

[27] Sext. Empir., Hypotytp., I, 149.

[28] IX, 24-40.

[29] I, p. 477-478.

[30] C’est Caillemer, art. Fænus, dans le Dict. des ant., p. 1218, qui a cité cet adage pour interpréter la loi de Gortyne.

[31] XI, 31, 45.

[32] Cf. Post, Studien, p. 129 ss. ; Anfäge, p. 189-198 ; Bausteine, I, p, 103. Pour les Slaves du Sud, voir Wesnitch, p. 440 ; pour les Arabes, Smith, Early Arabia, p. 22-23, 263 ; Procksch, p. 56-57 ; Kohler, Neue Reitr. zum Islamrecht, dans la Zeitschr. f. vergl. Rechtswiss, XII (1895), p. 89 ; pour les Kirghiz, Dingelstedt, p. 67, 81 ; pour les Cambodgiens, Dareste, Nouv. ét., p. 328. Dans certaines parties du Caucase, la famille est encore solidairement obligée au paiement de la composition ou de toute autre dette (Id., ibid., p. 243, 245, 260, 264).

[33] Dareste, Et. d’hist. du dr., p. 381 ; cf. 411 ; voir Thonissen, La loi Salique, p. 171-172, 225-227. Tacite parle dans deux passages de la solidarité active. Il dit une première fois ; (Pro levioribus delictis) equorum pecorumque numero convicti multantur. Pars multæ regi vel civitati, pars ipsi qui vindicatur vel propinquis ejus exsolvitur (De mors. Germ., 12). Il ajoute plus loin (§ 21) : Luitur etiam homicidium certa armentorum ac perorum numero, recipitque satisfactionem universa domus. Mais, si Tacite est muet sur la solidarité passive, la loi Salique permet de compléter sur ce point le second des textes cités et, par conséquent, le premier : le titre LVIII de cette loi, De chrene cruda, décrit les formalités par lesquelles le débiteur d’une composition déclare qu’il ne lui reste plus rien ni sur terre ni sous terre et fait passer sa dette sur son plus proche parent, avec une poignée de terre lancée par-dessus son épaule. Des règles analogues à celles des Francs sont connues chez les autres peuples d’origine germanique (voir Wilda, p. 370 ss., 393 ; Kœnigswarter, p. 124 ss. ; Brunner, I, p. 218 ss. ; Defacqz, p. 86-87). Chez les Goths, comme chez les Francs, le père n’est responsable du fils émancipé que dans le cas d’homicide (cf. Branner, I, p. 77).

[34] Dareste, op. cit., p. 324, ; A. du Boys, Hist. de dr. crim. des peuples mod., I, p. 160-166 ; Kovalewsky, p. 626.

[35] Voir Owen, IV, 3, p. 347 ; IX, 24, p. 522 ; X, 3, p. 348 ; XII, 11, p. 626.

[36] Voir R. de Kérallain, dans la Rev. gén. du dr., V (1881), p. 572. Ce système est général chez les Celtes. Chez les Irlandais, la dierbfine paie les trois quarts de la composition ; la iarfine les trois quarts du reste ; la indfine, le second reste. Cf. Kœnigswarter, p. 128 ; d’Arbois de Jubainville, Et. sur le dr. celt., I, p. 195-197 ; Cherry, Growth of erim. laws in anc. communities, p. 30 ss. ; Fr. Seebohm, p. 70 ss., 103 ss. ; Kohler, Shakesp., p. 147-149 ; Kovalewsky, p. 277-279.