LA CIVILISATION ÉGÉENNE

LIVRE III. — LA VIE RELIGIEUSE[1].

CHAPITRE PREMIER. — LE FÉTICHISME.

 

 

Rien n’est plus tentant, rien n’est plus dangereux dans l’état actuel de nos connaissances, que de chercher à établir un lien de filiation entre la religion des Égéens et celle des peuples qui vivaient à la même époque en Mésopotamie ou en Égypte.  Les rapports apparents avec la Babylonie et l’Asie Antérieure ne manquent pas. Certaines idoles sont du même type ; la prédominance d’un culte féminin est frappante des deux parts, ainsi que le rôle de la hache, de la colombe et du taureau. Mais, à mesure qu’on remonte le cours des âges, les ressemblances, qui devraient s’accentuer, deviennent fugaces ou s’évanouissent ; elles ne se précisent qu’à la fin, au temps où les Égéens implantent leur civilisation sur les côtes de l’Asie Mineure et de la Syrie, Quant à la religion égyptienne, les Crétois lui ont fait des emprunts manifestes. De très vieilles idoles proviennent de Haghia Triada, qu’on dirait modelées aux bords du Nil. Les démons crétois, revêtus d’une carapace, ont des affinités singulières avec Ta-ourt, la Déesse hippopotame, et la Déesse aux serpents semble apparentée à la Wazet adorée dans le Delta. Le cynocéphale aux bras levés en signe d’adoration n’a rien d’indigène. Les motifs des amulettes, les formes des vases rituels, les symboles parmi lesquels on remarque l’ankh, l’emploi du sistre dans les processions : tout révèle l’influence exercée par ceux qu’Hérodote appelle les plus religieux des hommes. Mais, en puisant dans l’imagerie pieuse et la symbolique des étrangers, les Égéens conservaient presque intacte l’originalité de leurs croyances. Si leur religion a de lointaines accointances avec celle des Asiates et présente fréquemment des rapports avec celle des Égyptiens, elle a ses caractères propres et vaut d’être étudiée en elle-même.

 

A l’origine de toutes les religions se trouve le fétichisme, l’adoration d’objets naturels ou d’animaux, d’armes ou d’instruments. Il a exercé une grande influence sur la vie morale des Égéens. Jamais ces peuples ne cessèrent, même lorsqu’ils donnèrent à leurs divinités la figure humaine, de vouer un culte, variable avec le temps, à la pierre brute ou taillée, à la hache et au bouclier, à toutes sortes d’arbres et de bêtes.

Les pierres sacrées. — Dans ses manifestations les plus grossiers d’apparence, la croyance fétichiste se prend aux pierres. Des blocs bruts, surtout sur les hautes cimes, passent pour être habités par des esprits. D’autres fois, l’homme fait subir quelque apprêt aux pierres sacrées : il les dégrossît et les dresse. Souvent il choisit dans la nature des roches qui présentent une vague ressemblance avec la forme humaine ou animale. Plus souvent encore, il recueille pieusement quelque pierre d’origine météorique, et d’un aérolithe il fait un bétyle, la demeure de Dieu. Toutes Ces variétés de fétichisme ont laissé des vestiges dont la Grèce historique : Zeus Kappôtas, le dieu tombé du ciel, et Zeus Kéraunos, le dieu foudre, étaient de simples pierres, et l’omphalos de Delphes passait pour la résidence d’un dieu. On trouve des exemples analogues chez les Préhellènes. Une idole néolithique voisinait, à Phaistos, avec une masse de fer magnétique[2]. Dans la grotte de Psychro les niches des stalagmites étaient remplies d’ex-voto[3]. Pendant ce temps, les Mycéniens dressaient sur les tombes des stèles qui remplaçaient peut-être des pierres levées ; ils voyaient les démons faire des libations sur des tas de pierres informes ou sur des piliers[4]. Aussi l’arrivée des Achéens en Crète rendit-elle leur ancienne rudesse à des croyances qui s’étaient affinées : dans le Petit Palais de Cnosse furent placées des concrétions pierreuses à forme animale ou humaine, un singe, une mère avec son enfant[5]. C’est alors que la contamination d’une mythologie à divinités anthropomorphes par les cultes aniconiques produisit la légende du petit Zeus dévoré par Cronos sous la forme d’une pierre emmaillotée.

Le pilier. — Si le bétyle n’apparaît nulle part en Crète et si, par conséquent, les autels bétyliques d’Evans[6] doivent être considérés jusqu’à nouvel ordre comme des tables saintes montées sur des colonnettes, il n’en reste pas moins que la Crête a connu le culte du pilier et de la colonne[7]. Mais ce culte n’a rien de commun avec celui des bétyles, qui possédaient une puissance divine par eux-mêmes. On ne petit même pas le faire remonter à une source unique, le culte des pierres levées. Avant d’être taillé dans la pierre, le pilier fut un tronc équarri, et en Crète la double hache est souvent fixée sur un poteau noueux, un tronc portant encore les traces du branchage. Le culte du pilier remonte donc à une double origine : la pierre levée et l’arbre sacré. Il a, par cela même, un caractère composite. — Il semble bien qu’en Crète, le pilier ne soit pas sacré de nature, indépendamment de sa destination. Ce n’est pas une divinité aniconique, mais un objet qui doit sa vertu à l’ensemble dont il fait partie, et surtout à un rite spécial. Sans doute il ne joue pas toujours en apparence un rôle architectural. Dans la sacristie de Cnosse, on a trouvé trois colonnes en terre cuite dressées sur une même base et sur montées chacune d’une colombe[8]. Sur un cylindre de Mycènes, un homme fait le geste d’adoration devant une rangée de colonnes[9]. Souvent, par exemple à la Porte aux lionnes, des animaux s’affrontent de part et d’autre d’un fût. Mais, dans tous ces cas, la partie est prise pour le tout : ailleurs, une simple colonne suffit à figurer la palestre ; ici elle figure l’édifice sacré. Les colonnes surmontées de colombes sont une abréviation de la chapelle aux colombes représentée sur une plaque d’or, tout comme la chapelle est en rapport avec la déesse aux colombes représentée sur une autre plaque[10]. Pareillement, le fût devant lequel s’affrontent les lions est souvent supporté ou remplacé par un autel, ou même remplacé par la déesse[11]. Faire le geste d’adoration en présence d’une colonne équivaut à le faire en présence de la déesse assise devant une colonne[12]. — Est-ce donc que le pilier n’a qu’un sens symbolique ? Non. D’abord la sainteté du monument se communique au support : il s’imprègne du fluide que dégagent la table à offrandes et les cornes de consécration posées au-dessus de lui, il s’assimile la force qui émane de la colombe perchée sur le chapiteau ou de la bipenne plantée dans l’échine. Bien mieux, il aune énergie propre qui s’exerce sur n’importe quel édifice ; car c’est une fonction vitale, un pouvoir magique, que d’assurer l’équilibre et la solidité d’une bâtisse. Les Grecs gravaient sur des cippes la formule d’incantation Héraclès habite là ; les Crétois, eux, croient la colonne liée par des nœuds suspendus à l’abaque ou par des cordes attachant des lions au fût[13]. On a beaucoup discuté sur le signe de la bipenne incisé dans les piliers. En voici deux qui se dressent dans le sanctuaire de Cnosse, formés chacun de quatre blocs : l’un porte la bipenne gravée sur chaque face de chaque bloc, l’autre sur trois faces consécutives ; et tous les deux la portent encore à la face horizontale des blocs supérieurs[14]. On se demande comment le signe pouvait avoir ici un sens religieux, puisqu’il était caché par le revêtement ou recouvert par l’étage supérieur. Mais t’est précisément lorsqu’il était enfermé qu’il gardait le mieux, invisible et présente, toute son efficace. Les piliers, comme les fondations et les portes, doivent leur caractère sacré à des rites de construction qu’on observe surtout dans les sanctuaires, mais aussi dans les simples maisons. Et, comme il faut renouveler sans cesse la, puissance tutélaire du pilier, sans cesse on l’entoure de soins pieux : idoles et socles à bipenne, tables à offrandes et vases sacrés, on dépose à ses pieds tout ce qui le renforce.

 

Le fétichisme utilitaire, dont le culte du pilier fournit un si bon exemple, amène au culte des armes, à l’hoplolâtrie.

La double hache. — Aux temps les plus reculés, les haches de pierre passaient pour des pierres à foudre tombées du ciel, sièges visibles dune puissance divine. Les Germains leur donnent le nom de Donnerkeile ; les Grecs les appellent, selon l’époque, kéraunia ou astropélékia. Cette vertu surnaturelle se transmit à la hache de bronze, surtout à la hache double, la labrys. Symbole de la foudre qui fend les arbres de la forêt[15], la bipenne est, avant tout, un engin de mort. Comme arme, elle communique au bras humain la force surhumaine de dompter, d’anéantir la vie. Comme instrument de sacrifice, elle est pleine de la divinité qu’elle fait communiquer avec les hommes, elle est l’ustensile sacré par excellence, et t0est pourquoi, même lorsque le fer était connu depuis longtemps, la hache de bronze continua d’être maniée par les sacrificateurs[16]. Dans la hache se concentre donc tout ce qu’il y a de divin dans l’orage, dans le sang humain et dans les victimes immolées[17].

Dès que les Crétois connurent le métal, ils fabriquèrent des doubles haches à destination religieuse. Au M. A. II, on enfermait dans des tombes des bipennes votives en cuivre et en plomb ; on en dédiait un grand nombre, en cuivre et en argent, dans une grotte sacrée[18]. Du fétiche où résidait l’esprit divin, l’anthropomorphisme fit l’image d’une divinité. La bipenne apparaît descendant du ciel, suspendue dans les airs : elle plane sur la déesse, au-dessous du soleil et de la lune, tandis qu’au loin se détache, comme un modeste pendant, une divinité armée de la lance et du bouclier. On la voit qui domine les odorantes et les offrantes[19], qui préside aux grandes cérémonies. L’importance de la labrys dans le culte divin se révèle partout au palais de Minos ; son importance dans le culte des morts est prouvée par une tombe voisine, qui fut creusée en forme de bipenne pour recevoir plus dignement les simulacres accoutumés[20].

Aussi la plupart des exemplaires parvenus jusqu’à nous proviennent-ils de lieux saints ou de sépulcres. C’étaient souvent des simulacres d’une taille et parfois d’une matière incompatibles avec un usage pratique. Il y en avait, non seulement en plomb et en argent, mais en stéatite. Dans la grotte de Psychro et dans le petit sanctuaire de Cnosse, ils étaient minuscules[21] ; dans le palais de Nirou-Khani il s’en trouvait un qui mesurait 1m,30 sur 0m,60, mais tout plat[22]. Ces doubles haches étaient fixées par le manche entre des cornes de consécration[23] ou dans un piédouche auquel on donnait volontiers la forme d’une pyramide à degrés[24].

L’association de la bipenne avec les autres éléments de la religion égéenne permet de suivre la dégradation progressive du fétiche en simple attribut de la divinité ou même en pur symbole. Un des faits les plus caractéristiques, c’est l’union de la double hache avec le pilier. Fétiche sur fétiche. Dans la grotte de Psychro, ce sont les stalagmites, piliers taillés par la nature, que garnît la double hache. Ailleurs, elle se dresse sur des poteaux, elle surmonte des colonnettes, elle est fichée dans les saillies des chapiteaux[25]. Quand elle n’est pas apparente, son image incisée se dissimule sous le revêtement. Au cas même où elle ne couvre pas le pilier, elle fait partie du mobilier sacré qui l’environne[26]. Quoique moins fréquents, les rapports de la douche hache avec le culte des arbres, des fleurs et des fruits sont encore très visibles.

Aussi le poteau qui la porte est-il parfois un tronc noueux, et la hampe pennelée qui l’emmanche se termine assez souvent par une touffe[27]. Les peintres de vases lui adjoignent le rameau d’olivier ou la montent sur une tige qui s’épanouit en fleur de lis[28]. Mais, bien plus encore, c’est au culte des animaux que se mêle le culte de la bipenne. A Cypre, elle est suspendue au-dessus du cheval. En Crète, elle accompagne le serpent ou le bouquetin, alterne avec le poisson ou le triton, sert de perchoir à l’oiseau sacré[29]. Enfin, elle est en relations particulièrement étroites avec le taureau.

Sa place, en effet, est presque toujours indiquée sur les rhytons à forme de taureau. Qu’ils représentent la bête entière ou seulement sa tête, ces vases à libations présentent entre les cornes un trou d’emplissage[30]. On le bouchait avec le pédoncule d’une double hache. C’est ainsi qu’est consacrée la protome de taureau sur les intailles[31], et dans la tombe mycénienne d’où est sortie une tête de taureau en argent au crâne percé se trouvaient par dizaines des têtes en or estampé surmontées de la bipenne[32]. Par le même schématisme qui résout parfois la bipenne en une croix de Saint André[33], la tête se simplifie en bucrane, et le bucrane en cornes ; mais cornes et bucrane gardent la parure traditionnelle[34]. C’est bien pourquoi les cornes de consécration sont également percées au milieu et portent J’instrument sacré sur tant d’images.

L’affinité avec le taureau, voilà dans le culte de la double hache, la conception dominante. Le Minotaure est l’animal sacré par excellence. L’arme qui répand son sang et dompte ses cornes lui prend la force guerrière, l’énergie génératrice, pour les transmettre aux hommes. Elle apparaît donc essentiellement comme douée de la puissance virile. Les personnages féminins qui portent la double hac1w ne sont pas des déesses ; ce sont des prêtresses faisant le geste de l’exaltation ou de l’offrande[35]. Si la fonction sacerdotale appartient généralement aux femmes, il se trouve qu’elles la partagent avec les hommes dans le culte de la double hache. Il est vrai qu’assez souvent la bipenne a une forme redoublée, avec deux tranchants à chaque aile. Fétiche bisexuel, a-t-on dît[36] : la hache géminée révèle une double présence. C’est donner une signification bien profonde à un détail de conformation. Objet de culte, la double hache était par cela même un objet d’art. On la voulait belle : on la faisait en argent, en or ou en bronze plaqué d’or[37], on la décorait de dessins variés[38], on en échancrait les bords[39] ; on pouvait tout aussi bien en dédoubler les tranchants par raison d’esthétique. A elle seule, la double hache ne suffit donc pas à manifester l’union du dieu et de la déesse. Elle est, en Crète comme en Asie, un dieu mâle ou l’attribut d’un dieu mâle. Mais à ce titre, elle est en rapports continuels avec la déesse. Elle se dresse à côté ou plane au-dessus de l’idole féminine. Sur la hache du dieu se perche l’oiseau de la déesse ; à la hache s’associent la robe votive et le nœud sacré[40]. Ce n’est pas la bipenne bifide qui symbolise le mariage sacré, c’est la bipenne nouée d’une bandelette[41], et elle a pour pendant le bouclier accolé d’une robe.

Adorée dans toute la Crète, la hache du taureau sacré avait pour séjour d’élection le palais-sanctuaire de Cnosse. Là était proprement la maison de la labrys, le labyrinthe[42]. Là régnait la dynastie du roi-prêtre qui servait le Minotaure. Elle aurait pu s’appeler, comme la famille sacerdotale de Delphes, les Labryades ou Labyades ; elle tirait son droit divin de la même arme qui désigna en Carie l’élu de Zeus Labrandeus.

Ce dernier rapprochement mérite quelque attention. En Asie, la bipenne garde sa signification religieuse avec une singulière persistance[43]. Elle arme le dieu de Carie et de Lydie[44] ; elle est brandie par le Teschoub des Hittites et le Zeus de Dolichè, dressés l’un sur un lion, l’autre sur un taureau[45] : tous ces dieux semblent ainsi apparentés à Hadad-Rammân qui, dans sa patrie, la Mésopotamie, a pour emblème la hache simple[46]. On pourrait dès lors être tenté de chercher l’origine de tous ces cultes dans la Babylonie proto-élamite[47] : les Lydiens et les Cariens l’auraient reçue des Hittites et transmise aux Crétois. Mais la Crète l’a connue bien avant qu’elle n’existe, à notre connaissance, dans les pays qui auraient pu servir d’intermédiaires. Il faudrait donc, pour établir un rapport direct entre le culte asiatique et le culte égéen, admettre la parenté ethnique des Crétois et des Chaldéens et faire remonter la communauté de leurs croyances pour le moins au IVe millénaire. En tout cas, le culte égéen se développa d’une façon indépendante. Même en Asie Mineure, il ne laissa pas, au temps des migrations, de contaminer le culte analogue qui s’y était répandu. Le Zeus Labrandeus de Mylasa et le Zeus Labranios de Cypre portent des noms venus par la voie maritime. Une légende nous montre un Courète crétois, Labrandos, dans le voisinage de Tralles, où ont été découverts en effet des simulacres de labrys[48] ; une autre, plus significative encore, mentionne à Mylasa même un Zeus Crétagénès[49].

Le bouclier[50]. — Sans avoir un passé aussi lointain, une destinée aussi brillante, le culte du bouclier ressemble à celui de la bipenne. Comme il eut d’abord pour objet le boucher bilobé en forme de 8, on a pu croire qu’il évoquait à l’origine l’idole en violon. Mais le froid symbolisme d’un attribut schématique n’aurait pas trouvé place dans les croyances populaires et n’eût jamais pu passer de la déesse au dieu. En réalité, nous n’avons là qu’un cas particulier d’hoplolâtrie. On voit le bouclier placé devant les adorants, près des chapelles, des arbustes et des animaux sacrés. Il couvre les anses des vases rituels et orne les rhytons en tête de taureau[51]. Comme simulacre, il sert d’ex-voto ou d’amulette dans les sanctuaires, les maisons et les tombes. Il est porté en chaton de bague ; il est peint sur les murs[52]. Au-dessus des batailles il plane dans les airs, et, quand il le faut, les incantations et les gestes rituels le font descendre du ciel. Au temps des cultes anthropomorphiques, quelle est la divinité qui s’empara du bouclier ? Sur une tablette peinte de Mycènes, elle a la peau blanche[53] : c’est la déesse, une déesse pareille à l’Athéna de Troie qui couvrait la ville de son Palladion. Mais, sur les sceaux qui représentent la déesse et le dieu de la guerre, lui seul porte le bouclier ; sur un sarcophage de Milalo, c’est un dieu, qui descend sur terre, les cheveux au vent, avec un bouclier d’une forme insolite[54]. Ce dernier monument, d’époque tardive, vient à point pour annoncer les Courètes frappant sur les boucliers sacrés et les Saliens exécutent la danse rituelle, avec les ancilia tombés du ciel.

Les arbres sacrés[55]. — Le culte des arbres, la dendrolâtrie, est un fait universel. Un arbre auquel on attribue un pouvoir singulier devient le symbole de la force végétative, le principe de toute existence. Les Crétois, qui adorent toutes les puissances de la nature, se gardent de négliger l’arbre de vie. Souvent un arbuste se dresse sur ou devant l’autel, ou bien s’associe aux cornes de consécration, aux piliers, aux animaux héraldiques. De pieux hommages sont rendus aux rameaux bénits[56]. Les démons à carapace arrosent de jeunes plants ; le Minotaure aime les arbrisseaux[57] ; même sur son bateau, la déesse marine est assise sous un épais feuillage. Plus souvent encore, les arbres sacrés sont en pleine terre. La Grande Mère, au pied d’un arbre, une fleur sur la tête, des fleurs dans la main, reçoit d’autres fleurs encore et des fruits que lui offrent des femmes et des jeunes filles. Isolés ou formant un bosquet, les arbres sacrés sont généralement entourés d’un péribole, flanqué parfois d’un édicule sacré : c’est devant un enclos de ce genre, devant des branches qui pendent au-dessus d’un mur et d’un autel, que les invocations, les sacrifices et les danses rituelles font apparaître la divinité[58]. Certains murs, bas et sans revêtement à l’intérieur devaient abriter jadis des arbres sacrés : on en a déblayé un à Haghia Triada, au bout d’une esplanade, tout près du sarcophage où est peinte la scène qui se passait peut-être là même ; un autre, à Goulas, est voisin d’une citerne où peut-être des prêtres déguisés en dénions allaient remplir les hydries pour l’arrosage des pousses[59].

Si les monuments figurés ne permettent pas toujours de dire à quelles espèces d’arbres s’adressaient les vœux des Minoens, on reconnaît pourtant le pin[60], le palmier[61], l’olivier[62]. Le figuier surtout étale ses larges feuilles au-dessus des périboles[63] : préférence dont semblent avoir hérité les cultes grecs de Gaia, de Déméter et de Dionysos et que perpétue le ficus ruminalis du forum romain. Le cyprès et le platane furent entourés d’hommages avant d’être consacrés à Rhéa et à la divine Europè. Des arbres et des arbustes, le culte dut s’étendre à certaines fleurs : le lis, emblème de la dignité royale, n’aurait pas pris de signification symbolique, S’il n’avait d’abord possédé une valeur religieuse.

Associée ou non au culte de la Grande Déesse ou du Minotaure, la dendrolâtrie donne lieu à des cérémonies variées. Devant les arbres sacrés, les fidèles ne se bornent pas au geste de l’adoration. Par la danse extatique, ils provoquent le travail de la végétation ; par l’arrosage des plants, lustration démoniaque, ils appellent la pluie ; par la cueillette solennelle des fruits et l’offrande des prémices, ils adressent des actions de grâce à et des vœux à la Terre féconde. Mais de tous les drames rituels, le plus expressif, c’est l’arrachage de l’arbuste sacré. Une fois, on voit le geste exécuté par une prêtresse : nue, en proie à la fureur orgiaque, elle ploie les branches et, par ses bonds, en fait tomber les fruits, cependant que d’un autel s’envole une colombe et que sur un autre se penche un homme à genoux[64]. Ailleurs, c’est l’homme qui s’accroche et courbe la ramure, et les femmes lui servent d’acolytes, dansant ou penchées sur la sainte table. Le rite a un caractère funèbre : ou célèbre la mort annuelle de la végétation, le deuil hivernal de la nature. Mais, en déracinant l’arbuste, on dégage par des incantations et des mouvements magiques les esprits qui permettront aux autres arbres de se reproduire éternellement.

Les animaux sacrés. — Sous des formes très diverses, la zoolâtrie a, laissé d’indéniables vestiges dans la religion préhellénique. La plus saisissante peut-être de ces formes est celle qui établit un lien direct entre l’homme et l’animal et se rapproche ainsi du totémisme[65]. Une peinture de Mycènes représente un défilé de personnages à tête d’âne : ce ne sont pas des monstres créés par une fantaisie d’artiste, mais des hommes affublés d’une dépouille sacrée pour l’accomplissement d’un acte rituel ; on les voit sur une plaquette de Phaistos, tenant la croix ansée d’une main et faisant de l’autre le geste d’adoration[66]. Les démons à peau de sauriens qui, debout sur deux pieds, aspergent des plantes ou portent des vases à libations[67], sont vraisemblablement des prêtres ou des fidèles. C’est ainsi que plus tard, en Attique, le culte d’Artémis Brauronia sera célébré par des jeunes filles déguisées en ourses. Ces mascarades rituelles ont pour but, à l’origine, de faire communier l’homme avec une divinité animale.

Inutile d’aller chercher au loin le berceau de ces croyances. Évidemment, la procession des génies portant la croix ansée pourrait être copiée sur une sculpture de Karnak, et la carapace des démons bipèdes rappelle la déesse-hippopotame Taouri. Mais il ne faut pas tirer de pareilles ressemblances des conclusions exagérées. Ces emprunts se bornaient à des détails d’importance secondaire et vite nationalisés. Les croyances essentielles, la Crète ne les devait qu’à elle-même. Elle n’a pas eu besoin d’imiter Wazet pour imaginer la Déesse aux serpents ; elle pratiquait depuis assez longtemps la zoolâtrie, pour en transformer la conception à sa manière, tout en suivant des lois universelles d’évolution religieuse.

Les différentes phases par où passa la divinité animale sont particulièrement bien marquées en Égéide par le culte de la colombe. Maints oiseaux y eurent de tout temps un caractère sacré, mais par-dessus tous le plus amoureux et le plus prolifique. Si la domestication peut s’expliquer par une idée purement utilitaire, celle de la colombe, en tout cas, suppose une période où les bêtes étaient épargnées et entretenues comme objets de culte. Dès l’âge néolithique, on modelait en Crète des colombes en terre cuite, et on continua jusqu’à la fin de la période préhellénique[68] : avant d’être des ex-voto symboliques, ces figurines furent de vraies idoles, à qui l’on offrait comme victimes expiatoires des fouines, ennemies des oiseaux [69]. En ces temps, la colombe avait assez d’efficace pour servir de talisman aux morts[70]. Au M. M., elle communique son pouvoir aux objets de culte et aux divinités aniconiques : elle s’étend sur les vases rituels ou allonge le col pour y boire[71] ; d’une taille surnaturelle, elle se perche sur l’arbuste sacré ou s’envole de l’autel[72] ; elle sanctifie les colonnes et les chapelles où elle se pose[73]. Mais unie, annexée à la Grande Déesse, elle n’apparaît plus que comme une émanation ; la déesse-colombe s’est absorbée dans la déesse à la colombe.

Quand l’association des animaux aux divinités aniconiques n’eut plus qu’une valeur de symbole, elle se prêta au procédé de l’affrontement. S’il est un motif qui semble venir de l’Égypte, c’est bien celui-là ; et cependant les groupes antithétiques étaient inconnus en Égéide au temps où ils florissaient aux bords du Nil, sous la douzième et la treizième dynasties, et ils avaient depuis longtemps disparu de l’art égyptien quand ils eurent la vogue en Crète[74]. Au M. R., les bêtes héraldiques figurèrent de part et d’autre de l’arbre sacré, du pilier, du socle ou de l’autel. Quelquefois ce sont des cerfs, des bouquetins, des taureaux, ou des griffons, des démons, des sphinx[75] ; le plus souvent ce sont des lions. On connaît les bêtes dressées à Mycènes au-dessus de la grande porte ; les images semblables abondent. Une des plus remarquables montre les bêtes liées à une colonne[76]. Mais, comme pour préciser les rapports qui existent entre toutes les catégories d’êtres divins, on remplace à la fin l’arbre et le pilier par la déesse et par le dieu dompteurs de fauves[77].

Toujours la zoolâtrie nous ramène à l’anthropomorphisme. C’est que toujours elle cache une croyance plus ou moins vague à la communauté de nature entre les animaux et les hommes. Dès l’origine, des divinités à forme humaine ont pris rang parmi les divinités à forme animale. Un moment vient où celles-ci le cèdent à celles-là. Mais alors la même croyance à la nature identique de tous les êtres permet aux animaux de garder leur place à côté des grandes déités ; il leur suffit de s’adapter à un rôle subordonné. Entre les cultes anthropomorphes et ce qui subsiste de la zoolâtrie, la démarcation serait aisée, dans une certaine théorie[78] : la face humaine désignerait les dieux, tout ce qui concerne la forme animale serait déchu au rang de démon ou d’acolyte. Distinction trop tranchante pour ne pas être artificielle, trop absolue pour être vraie, il n’y a pas de signe constant à quoi l’on reconnaisse les divinités et les démons. Le polydémonisme fait partie du polythéisme, et de l’un à l’autre le glissement est insensible, la confusion facile. Au-dessous des divinités principales, ont dû se constituer dans le panthéon crétois des groupes de divinités secondaires et tout un peuple de démons ; mais, comme il existe une infinité de stades intermédiaires, ils échappent souvent, par l’imprécision de leurs avatars, à une définition rigoureuse.

D’un côté, d’innombrables génies ont un caractère plus ou moins sacré, qui n’est pas forcément divin. Toute la Crète se peupla d’esprits bienfaisants ou malins, Chaque localité, chaque famille eut les siens. Génies des grottes et des monts, des bois et des sources, ce furent les Oréades, les Dryades, les Nymphes et les Silènes des peuples préhelléniques. A mesure que les familles s’unissaient entre elles, leurs génies en faisaient autant, prenant peu à peu des formes hétérogènes et composites. Ces figures hybrides se dépouillaient de leur valeur proprement religieuse et n’avaient plus qu’une vertu magique. Sur les cachets, c’étaient à la fois des talismans et des certificats d’identité : chaque individu demandait au répertoire sacré du règne animal sa marque personnelle. Les bêtes subirent ainsi, membre par membre, les métamorphoses les plus fantastiques.

D’autre part, les deux grandes divinités qui incarnent l’élément mâle et l’élément femelle de la nature revêtent la forme animale ou la forme mi-animale mi-humaine, avant de s’humaniser définitivement en s’adjoignant des animaux comme emblèmes. La déesse apparaît en chèvre allaitant l’enfant divin sous les auspices du svastika[79], ou en femme à tête d’oiseau faisant le geste de bénédiction ; puis, la voilà maîtresse de la colombe, charmeuse de serpents, dompteuse de lions et de bouquetins. Le taureau, qui a encore quelque chose du dieu sur les rhytons modelés à son image, devient l’homme-taureau, le Minotaure, qui lève les bras sur ses adorateurs[80]. Et l’on a eu raison de créer les noms de Minélaphos et de Minôcapros pour désigner l’homme-cerf et l’homme-sanglier qu’on voit avec les rameaux bénits et les cornes de consécration[81]. Zeus Velchanos était, avant les Grecs, un dieu-coq. Mais, comme la déesse, le dieu finit en vainqueur des félins et patron des animaux domestiques.

Ce qui resta de la zoolâtrie, réduite à l’état de survivance, c’est le caractère sacré qui semble s’attacher à certaines espèces d’animaux. La colombe volète sur les toits des sanctuaires sans rien craindre de l’homme. Le taureau ne peut être immolé à la déesse elle-même qu’après des cérémonies expiatoires. Chez ce peuple de marins, les coquillages sont déposés par quantités dans les sanctuaires et les tombes, l’image du poulpe cet reproduite inlassablement, et les nefs, qui ne s’aventurent pas sur les flots sans un poisson lié à la proue, n’ont pas de meilleur pilote que le dauphin.

 

 

 



[1] EVANS, XIII, XVIII ; G. KARO, Altkretische Kultslätten, ARW, 1901, 117-56 ; 1905, 51 ss. ; BURROWS, VI, 107-16 ; LAGRANGE, XLII ; HOGARTH, art. Aegean religion, ER, I, 141-8 ; H. PRINZ, Bemerkungen zur altkretischen Religion, AM, 1910, 149-76 ; DUSSAUD, XI, 327-413 ; HALL, XXXVII, 145-77.

[2] LVII, fig. 6.

[3] BSA, VI, 100, 109.

[4] XIII, fig. 12-3.

[5] BSA, XI, 10, fig. 4.

[6] XIII, 112 ss. ; XVII, 13 ss.

[7] EVANS, XIII, XVIII, 63 ss. ; cf. ROUSE, JHS, 1901, 268 ; DUSSAUD, XI, 350 ss. ; LAGRANGE, XLII, 169 ss. ; P. FOUCART, Mon. Piot, XVIII, 150 ss.

[8] BSA, VIII, 29, fig. 14.

[9] XIII, fig. 124.

[10] LXVII, fig. 111, 293.

[11] XIII, fig. 35-45.

[12] MA, l. c., fig. 51.

[13] XIII, fig. 39.

[14] BSA, VI, 32-3.

[15] FR. CUMONT, REA, 1906, 282.

[16] CARAPANOS, Dodone, pl. LIX ; FURTWÆNGLER, Olympia, pl. XXVI ; PERDRIZET, Fouilles de Delphes, V, 5, 120.

[17] Sur le culte de la double hache, voir EVANS, XIII, 106-12 ; LAGRANGE, l. c., 79 ss. ; BURROWS, l. c., 110 ss. ; DUSSAUD, l. c., 338 ss.

[18] LXXXII, 36, II, 46-7, fig. 12, ΑΔ, II, II 25 ss. ; BSA, XIX, 35 ss.

[19] JHS, XXII, 78, fig. 5.

[20] XVIII, fig. 71-3.

[21] BSA, VI, 109 ; VIIII 101, fig. 57-8 ; cf. IX, 280.

[22] XX, fig. 313.

[23] BSA, VIII, 97 fig. 55, pl. XVIII ; IX, 115, fig. 71.

[24] XX, fig. 314-5, 317 ; BSA, VIII, 300.

[25] BSA, VIII., pl. XVIII ; X, pl. II ; XX, fig. 320.

[26] XVIII, fig. 80 ; XX, 427.

[27] XL, pl. K, fig. 18 ; JUS, XXIII, 255, fig. 23-4 ; BSA, IX, 115, fig. 71.

[28] LXXXII pl. VII ; XL, pl. VIII, 26.

[29] MA, XIV, 444, fig. 55, 1 ; XVII, fig. 76 a ; BSA, VI, 101, fig. 34, 2 ; IX, 115, fig. 71 ; XLVII, III, fig. 514 ; DA, art. Securis, fig. 6272.

[30] Voir XVIII, 79-94.

[31] BSA, IX, 114, fig. 70.

[32] LXVII, fig. 398-49.

[33] BSA, VIII, 102, fig. 60.

[34] XIII, fig. 3 ; LXXXI, pl. VII.

[35] Έφ., 1900, pl. IV ; BSA, l. c., fig. 59.

[36] EVANS, XIII, 108 ; BSA, l. c., 101-2.

[37] BSA, l. c., 101, fig. 58 ; LXXII, fig. 368.

[38] BSA, VII, 53, fig. 15 a-d ; VIII, 117, fig. 65.

[39] XI, fig. 250 ; LXXXI, pl. VII, fig. 12.

[40] BSA, VIII, 102, fig. 59 ; JHS, XXII, 78, fig. 5 ; LXXII, fig. 541.

[41] Cf. XI, 340-1.

[42] Le mot parait exprimé sur un sceau (XVII, 164, fig. 64 c).

[43] Voir EVANS, XIII, 106-9 ; XX, 15 ; COOK, TCHR, II, 184-94 ; LAGRANGE, XLII, 79-81 ; P. FOUCART, l. c., 145-75.

[44] HÉRODOTE, V, 199.

[45] PERROT, t. IV, pl. VIII, fig. 279 ; Cf. FOUCART, l. c., 158-60.

[46] XLII, fig. 57.

[47] HEUZEY, Découv. en Chaldée par Ern. de Sarzec, 3e livr., pl. XLV, 5, 6 ; SCHEIL, Mém. de la délég. en Perse, VI, pl. I ; cf. XLII, pl. I.

[48] Etymologicum Magnum, s. v. Εύδωνος ; cf. PERROT, t. V, fig. 204, 206.

[49] LE BAS-WADDINGTON, Inscr. d’Asie Mineure, 338, cf. 394.

[50] AD. REINACH, RHR, 1909, II, 161 ss., 309 ss. ; 1910, I, 190 ss.

[51] BSA, IX, 72, fig. 49, 50, XVM, fig. 87.

[52] MA, XIV, 593, fig. 55 ; LXX, pl. V.

[53] AM, 1912, pl. VIII.

[54] XIII, fig. 50.

[55] Cf. EVANS, XIII, 100-6 ; DUSSAUD, XI, 345 ss. ; KARO, ARW, M, 142-45.

[56] XIII, fig. 52, 30-4 ; cf. ibid., fig. 25, 29 ; XX, fig. 470 ; XXI, fig. 162.

[57] XIII, fig. 1 ; BSA, VII, 18-9, fig. 7 a, b.

[58] Cf. ibid., fig. 2.

[59] MOSSO, LVII, 167 ; EVANS, XIII, 100-1.

[60] XX, l. c.

[61] BSA, VIII, 302, fig. 18 ; XXI, l. c. ; BCH, 1907, 118, fig. 1-2.

[62] Fresque miniature de Cnosse.

[63] Cf. XIII, 102-4, 128, fig. 2.

[64] MA, XIV, 577, fig. 60.

[65] COOK, JHS, 1894, 81-169 ; cf. S. REINACH, An., 1902, 19 ss.

[66] LXVII, fig. 438 ; XI, fig. 285.

[67] XIII, fig. 1, 12-4 ; MA, XIV, 519, fig. 10 c ; ΑΔ, II, II, 15 ss.

[68] LI, I, pl. XXXIV, 33, 44, 50 ; XL, pl. XI, 3, 11 ; BSA, XX, 217, fig. 6 a-f ; MA, XIII, 73 ; XVIII, fig. 45.

[69] LVII, 228 ss.

[70] LXXXII, fig. 20, IV, 7 ; Έφ., 1898, pl. VIII, 16-7, 23.

[71] XX, fig. 107 ; LXVII, fig. 531.

[72] XX, fig. 470 ; MA, XIV, 577, fig. 50.

[73] LXVII, fig. 111 ; XX, 222, n. 2 ; XI, fig. 270.

[74] JOLLE, JAI, 1904, 27-55.

[75] XIII, fig. 12-4, 30-1, 33-4, 36-7.

[76] Ibid., fig. 39, cf. 38, 40-1 ; JHS, XXII, 87, fig. 28.

[77] XIII, fig. 43-5 ; BCH, 1921, 511.

[78] KARO, l. c., 153 ss.

[79] BSA, IX, 88, fig. 60 ; JHS, XXII, pl. VI, 23.

[80] BSA, VII, 18, fig. 7 a ; JHS, XXII, 78, fig. 4.

[81] EVANS, BSA, XI, 19.