LA CIVILISATION ÉGÉENNE

LIVRE II. — LA VIE SOCIALE.

CHAPITRE V. — LES RELATIONS INTERNATIONALES.

 

 

Les Crétois étaient donc remarquablement armés pour courir les mers en quête d’opérations lucratives. Jusqu’où pouvaient bien s’étendre leurs entreprises commerciales ?

Quelques objets caractéristiques nous disent à quelles distances se transportaient les marchandises dès les époques les plus lointaines. Schliemann a trouvé à Hissarlik des haches de jade et un fragment de néphrite blanche. Voilà donc des pierres qui, d’étape en étape, sont venues des monts Kouen-Loun et peut-être de plus loin encore jusqu’aux rives de Troade. Qui dira par quelles voies mystérieuses l’ambre pénétrait cher les peuples préhelléniques et se répandait assez pour que la Pylos d’avant Nestor en renfermât de grandes quantités ? Par quelles mains passait l’étain pour arriver aux bronziers de Cnosse ? On voit par les documents égyptiens que l’ivoire suivait ou le courant du bill, ou le chemin de la mer Rouge, ou la voie de terre qui traversait l’Euphrate pour atteindre la côte de Syrie. Qu’une denrée qui avait tant cheminé pût ensuite gagner la Crète ou Cypre, la Troade ou Mycènes, ce n’est certes pas là ce qu’il y a de plus extraordinaire dans ses migrations.

Dans tous les échanges qui s’opèrent d’un bout à l’autre de la Méditerranée, le rôle des Crétois a été considérable, capital. Leur action se discerne au premier coup d’œil. Tel marchand de l’île faisait graver sur son sceau un chameau agenouillé[1], emblème de ses relations avec les caravanes de l’Asie centrale ou de l’Arabie. Un autre avait pour enseigne une autruche ; or, les œufs d’autruche servaient en Crète à faire des vases dont plusieurs spécimens ont été trouvés à Mycènes[2]. Sur certains poids était gravé un hippopotame[3]. Le silphion, qui poussait seulement sur le plateau de Cyrénaïque, figure souvent parmi les hiéroglyphes crétois[4], et l’art crétois représente quelquefois les nègres qui produisaient la précieuse épice[5]. C’étaient vraiment des rapports réguliers que la Crète entretenait avec l’Afrique, puisque après les invasions grecques, quand les gens de Thèra voudront aller en Libye, ils prendront pour guide un marchand d’Itanos.

I. — LA CRÈTE ET LES PAYS DE L’ÉGÉE.

Les Cyclades étaient bien placées pour trafiquer avec lai Crète et les deux continents voisins. Tant que la Crète n’eut pas une prépondérance écrasante, l’île la plus centrale, Syra, envoyait dans tous les sens ces bateaux dont elle aimant à voir l’image sur ses vases. La poterie cycladique était apportée à Manica dans l’Eubée, à Manési en Phocide, dans la Troade[6], dans les ports crétois ; les idoles cycladiques en marbre pénétraient partout. En échange, les Cyclades recevaient de l’Hellade des pots à couverte noire, de Troie des coupes deux anses, de Crète des cachets[7]. Quand la Crète fut devenue le grand marché de l’Égée, c’est Mélos, l’île située le plus loin au S.-O., qui l’emporta. De tout temps, elle avant expédié l’obsidienne dont elle avait le monopole. Elle devint la grande station intermédiaire entre la Crète et l’Argolide. Si elle importe encore du continent de la vaisselle minyenne, elle ne tarde pas à entrer dams l’orbite commerciale de la Crète. Elle lui emprunte l’emploi du pilier, la décoration à la fresque, l’écriture linéaire ; elle lui demande des poteries de toutes sortes. Elle parvient bien aussi à exporter dans toutes les directions ses vases à l’oiseau, sans doute avec du vin, et même à repousser par une imitation habile la concurrence de la poterie M. R. I ; mais bientôt elle est inondée de marchandises crétoises[8]. Thêra subit les mêmes influences, parce qu’elle reçoit les mêmes visiteurs[9]. Délos fait bon accueil, comme plus tard, aux cultes étrangers ; c’est que, comme plus tard, elle est fréquentée par les marchands : les Crétois y viennent depuis le M. M. débarquer leurs amphores[10].

De Mélos, les Crétois n’avaient qu’à poursuivre leur route, pour atteindre le Péloponnèse par le golfe d’Argolide, ou la Grèce centrale par le golfe Saronique. Jusqu’au XVIIe siècle, ils ne s’étaient guère aventurés dans ces parages lointains. Les marins des Cyclades eux-mêmes n’y avaient fait que des apparitions espacées, apportant à de petits chefs quelques vases, quelques bijoux, quelques armes. Mais, avec le temps, les pays isthmiques qui menaient au golfe de Corinthe par la diagonale s’étaient enrichis, — La Béotie y menait par le chemin le plus court quand on venait de l’Égée septentrionale et de la Troade : la deuxième ville d’Orchomène connut le dépas amphikypellon de Troie[11], et la troisième répandit sa poterie grise jusqu’au Péloponnèse ; sur la colline des Cadméens, à Thèbes, s’éleva un palais. — L’Argolide y menait quand on venait de l’Égée méridionale et de la Crète : elle fut traversée, de Tirynthe à Corinthe, par une grande route, et Mycènes, la cité aux larges voies, devint la cité où abonde l’or. Le golfe Argien, allongé vers le S.-E., faisait signe aux marins de Cnosse. Ils accoururent.

Ce que devint le grand marché du continent, on le voit par ce fait général : l’histoire de toutes les industries et de tous les arts égéens commence en Crète et finit à Mycènes. Souvent même, les productions les plus remarquables de l’île nous sont connues par des spécimens trouvés sur le continent, fait qui montrerait à lui seul l’ampleur des échanges. Pour en donner le détail, il ne suffirait pas de rappeler l’innombrable quantité d’objets exhumés dans les sites argiens, les bijoux, les coupes en métal précieux, les armes de bronze, les vases peints, cet l’ivoire et la faïence et les pierres gravées. L’importance de ces transactions dépassait de beaucoup toutes les données de l’archéologie. A ce qui s’est conservé il convient d’ajouter la masse des denrées en matière fragile ou périssable. Les Mycéniennes s’habillaient à la mode crétoise ; de Crète leur arrivaient les étoffes de luxe. Les beaux vases n’étaient si nombreux que parce qu’ils contenaient du vin fin et de l’huile parfumée ; quant aux cruchons ordinaires, ceux dont on ne peut jamais certifier l’origine, ils voyageaient aussi avec des produits de qualité commune. L’Argolide fut donc largement exploitée, d’abord par les importateurs, puis probablement par les colons crétois, tant et si bien que Mycènes devint un marché considérable et que l’agora de la ville basse enleva peut-être sa suprématie à l’Acropole. A son tour, elle fut un centre d’expansion commerciale.

Dès que les Crétois eurent un débarcadère et un entrepôt sur le continent, ils répandirent leurs denrées et leur goût du luxe, en même temps que leurs cultes, dans les pays occupés par les Achéens. Us abordèrent le Péloponnèse par le Sud et l’Ouest, comme par le Nord. Leurs potiches en stéatite avaient gagné l’île de Cythère bien avant leurs vases peints[12]. Le porphyre du Taygète attira leur attention ; ils en apportèrent des blocs à Cnosse[13]. La Laconie s’ouvrit à leurs importations. Les princes de Vaphio, se procurent de belles coupes en argent et en or, des gemmes, des armes de bronze, des vases style du palais[14] et prennent plaisir à regarder sur des pâtes de verre ou des filigranes d’or le motif nouveau du poisson volant. La côte occidentale voit les marins étrangers aborder sur plusieurs points. Nombreux et habiles, dira l’hymne homérique, des Crétois de Cnosse la Minoenne naviguaient pour leurs affaires sur un noir vaisseau, allant à la sablonneuse Pylos pour trafiquer avec les hommes du pays[15]. Ce n’est pas une, mais deux Pylo, que les Minoens visitaient dans ces parages. Celle de Messénie (Tragana) a conservé maints souvenirs de ces relations, non seulement des faïences et des vases peints, mais encore, sur un de ces vases, l’image même de la nef qui les apportait[16]. Celle de Triphylie (Kakovatos) devait particulièrement attirer les Crétois, parce qu’elle menait à Olympie et qu’elle avait des rapports suivis avec les mers septentrionales, comme le prouvent les grandes quantités d’ambre qu’on y a découvertes. Aussi les tombes de ses princes renfermaient-elles des objets qui provenaient incontestablement de Cnosse même, des vases style du palais et une rapière de bronze longue de 92 centimètres[17].

Par les deux côtés du Péloponnèse, le courant commercial se porta vers la Grèce centrale. Dans les escarpements qui dominent au S. du Parnasse le golfe de Corinthe, un sanctuaire attirait les pèlerins depuis les temps les plus reculés. A Pylos, les Crétois l’apprirent. Guidés par le divin poisson attaché à leur proue, le dieu delphinien, les voilà qui débarquent dans le port qui depuis s’est appelé Crissa, puis grimpent aux hauts lieux qui garderont le nom de Delphes. Missionnaires, ils y apportent leur déesse, la Terre Mère ou Gé, leur musique sacrée, leurs danses rituelles et leurs jeux, leur calendrier ; ils y laissent une corporation placée sous l’invocation de la double hache, les Labyades. Marchands, ils ne négligent pas les affaires au milieu des fêtes ; ils ne perdent pas de vue les foires dont les panégyries sont partout l’occasion : c’est ce que témoignent une tête de lion en pierre, dont le modèle était un rhyton de Cnosse, des bipennes votives en bronze et une masse d’idoles en terre cuite[18].

Ce fut naturellement sur la côte orientale que l’Hellade reçut le plus de marchandises crétoises et mycéniennes, soit par le golfe Saronique et l’Eubée, soit par la voie terrestre de Corinthe. De ce côté, les objets de provenance crétoise ne sont pas très nombreux : ce sont surtout quelques vases style du palais trouvés à Chalcis et à Orchomène[19]. Bien plus fréquemment, les vases de ce style ne sont que des imitations : sorties d’on ne sait quelles poteries établies sur le continent, on les voit cheminer tout le long de l’Attique, à Thèbes, à Chalcis ; elles pénètrent jusque dans les ports de Thessalie[20]. Mais les imitations elles-mêmes avaient pour auteurs des Crétois immigrés, et ce sont peut-être les mêmes bateaux qui transportaient tour à tour les vases fabriqués à Cnosse et ceux des succursales. Le port de Mégare reçut le nom de Minoa, et la légende locale conserva le souvenir de Minos et de Scylla[21]. Sur la côte orientale de l’Attique, les indices du même ordre se multiplient : à l’époque où les mines du Laurion entrent en exploitation[22] et où Thoricos reçoit des poteries de style crétois à Thoricos même débarque, d’après l’hymne sacré, La Déesse Mère venue de Crète[23], et, de Probalinthos à Tricorynthos, le taureau crétois parcourt en maître la plaine de Marathon. A partir du XIVe siècle, le marché continental s’étend jusqu’à la Macédoine[24], et, s’il devient indépendant de la Crète, il n’en est que plus actif.

II. — RELATIONS AVEC L’ÉGYPTE.

En dehors de l’Égée, les Crétois firent des affaires avec un grand nombre de peuples. De toutes ces relations, les plus anciennes et les plus durables sont celles qu’ils entretinrent avec l’Égypte. Con les connaît, non seulement par les objets fabriqués dans un des deux pays et retrouvés dans l’autre, mais aussi par les peintures et les inscriptions des monuments égyptiens. La seule question qui se pose parfois, c’est de savoir si l’on se trouve en présence de marchandises échangées loyalement, et non pas de dépouilles rapportées par des pirates ou de tributs payés à des souverains.

Déjà au M. A., les rapports entre la Crête et l’Égypte sont assez fréquents. Les Égyptiens se bornaient à longer la côte jusqu’à Byblos ; mais les Crétois ne craignaient pas les voyages de long cours ; n’a-t-on pas trouvé dans les couches les plus basses de Phaistos une défense d’éléphant ? Au Ille millénaire, la Crête possède des vases en syénite et en diorite qui, par leur forme comme par leur matière, dénotent leur provenance ; ils servirent de modèles aux lapicides qui taillaient dans la liparite éolienne ou dans les brèches indigènes les vases de Mochlos[25]. Vers la même époque, les Crétois demandaient à l’Égypte des perles et des vases de faïence, des figurines d’un type spécial, de la vaisselle rituelle, des objets de toilette[26]. D’Égypte venaient encore des denrées qu’elle ne produisait pas elle-même, par exemple l’ivoire, et peut-être aussi ce cylindre babylonien en argent qui a été retrouvé dans une tombe de Mochlos[27], Il y eut donc jusqu’à la fin de la sixième dynastie (2390) un afflux continuel de marchandises et d’idées égyptiennes dans les îles de l’Égée. Ce furent apparemment les Crétois qui prirent l’initiative de ces transactions. Qu’apportaient-ils en échange de ce qu’ils emportaient ? Peut-être de l’huile et du vin ; car l’Égypte n’a livré aucun objet d’origine égéenne qui date de cette époque. Mais il n’est pas impossible qu’ils aient opéré le plus souvent par les moyens violents. Ils comptaient sans doute parmi les Hannibou ou Haïounibou, ces gens d’au-delà des mers qui inquiétaient si fort les pharaons du temps. En tout cas, les rois de la sixième dynastie envoyaient des circulants en rond dans le cercle des Haïounibou[28], et qui sait si les premiers sceaux, qui proviennent tous de la Crète méridionale, n’étaient pas les insignes d’investitures fictives conférées par ces messagers.

Dans la période troublée qui marqua la fin de l’Ancien Empire et ne cessa qu’à l’avènement de la onzième dynastie (2390-2160), ces relations durent nécessairement se relâcher. Elles ne furent cependant pas complètement rompues. On le sait par des amulettes d’une forme spéciale qui existent à la même époque en Crète et en Égypte[29]. On le sait mieux encore par les sceaux à forme de boutons qu’on a découverts dans les tombes de la Messara[30] et de la Haute-Égypte[31]. Ce type de sceau soulève bien des problèmes ; il témoigne d’emprunts qui sont loin d’être élucidés[32]. Mais le seul fait de ces emprunts suffit à établir que les Crétois n’oublièrent pas le chemin du Nil dans la seconde moitié du IIIe millénaire. Ils le fréquentèrent moins que par le passé, c’est que leur civilisation était munie de tout ce qu’elle demandait jadis ailleurs et qu’un paya appauvri n’avait plus pour eux les mêmes attraits.

La onzième dynastie (2160-2000) eut fort à faire pour rétablir l’ordre dans le royaume. Elle dut aussi le défendre contre les pirates, a rompre les jarrets aux Haïounibou[33]. Sous la douzième dynastie, l’office des affaires extérieures affectait à ce peuple un bureau spécial : un fonctionnaire de Senousert Ier (1970-1935) pouvait dire que son stylet (sa plume) comprenait les Haïounibou. La paix régna. Les affaires reprirent. Mais la Crète avait bien marché dans l’intervalle ; le XIXe et le XVIIIe siècles vont être pour elle une période d’activité intense. Elle dut être en relations constantes avec le bureau des Haïounibou. On s’explique ainsi la présence à Cnosse, dans la seconde partie du M. M. II, d’une statuette en diorite représentant un égyptien Ab-nub-mes-Waset-User[34]. Ce personnage était peut-être un haut fonctionnaire du Delta dont les Crétois avaient eu à se louer, un proxène à qui le roi de Cnosse avait envoyé des témoignages de gratitude et dont il tenait à conserver le souvenir. Ce qui montre à quel point le contact fut intime et durable, c’est l’arrivée en Crète d’éléments religieux qui ne furent pas sans influence sur le développement du culte de la déesse aux serpents[35]. Il y a comme un symbole dans certains scarabées égyptiens qu’on voit à cette époque couverts de motifs et de caractères crétois[36]. Mais c’est en pleine Égypte qu’il faut aller pour constater l’importance commerciale de ces relations. Quand Senousert II (1903-1887) et Amenemhet III (1849-1801) se firent construire des pyramides, ils rassemblèrent dans le village de Kahoun, qui fut fondé à ce dessein et abandonné vers 1765, des troupes d’ouvriers indigènes et étrangers. Partout, dans ce village, on a trouvé des poteries marquées de signes crétois et des fragments de beaux Camarés[37]. Une tombe d’Abydos renfermait, avec des cylindres de Senousert III (1887-1849) et d’Amenemhet III, un magnifique vase qui ressemble, tant par sa forme que par son décor à marguerites polychromes, aux plus belles céramiques M. M. II de Cnosse, de Phaistos et de Haghia Triada[38]. Ainsi, au XIXe siècle, une colonie crétoise s’établissait en Moyenne-Égypte pour de longues années, et les marchandises crétoises remontaient le Nil jusqu’en Haute-Égypte.

Encore une fois il y eut un arrêt pendant deux ou trois siècles. Vers 1750, les premiers palais de Cnosse et de Phaistos étaient détruits, et, de 1675 à 1580, l’Égypte fut occupée par les Hycsôs. La nécessité de réparer tant de ruines et le morcellement de l’Égypte amenèrent la rupture des anciennes relations. La Crète reconstituée chercha sur le continent du Nord le marché qui lui faisait défaut au Sud. Elle n’eut avec les rois pasteurs que des rapports passifs. Ces rapports ont pourtant laissé un monument d’un très grand intérêt. On a trouvé à Cnosse un couvercle d’albâtre où est gravé le cartouche du Dieu bon, fils du Soleil, Khyân[39]. Ce roi est le premier qui ait renoué la tradition des pharaons, refait l’unité de l’Égypte et repris une politique vigoureuse au dehors. Rassembleur des terres, il se posa aussitôt en maître des peuples étrangers. Il laissa la trace de ses ambitions à Gérer en Palestine, il dressa sur les bords du Tigre un lion de granit ; H dut englober aussi la Crète dans ses combinaisons politiques. Sort cartouche, à Cnosse, gisait au milieu de débris calcinés, dans un pêle-mêle de vases fracassés : faut-il voir là l’emblème d’un conquérant qui apparaît dans un flamboiement de murailles croulantes ? Bien n’indique pourtant et lui-même n’ose pas dire qu’il ait dominé sur mer. Il a bien plutôt voulu se donner des airs de suzerain en envoyant au roi des insulaires un vase contenant l’huile d’onction. Toujours est-il que, peu après 1633, date de l’avènement de Khyân[40], des relations au moins théoriques étaient rétablies entre l’Égypte et la Crète.

Quand l’Égypte reprît le cours de ses destinées nationales, sous la dix-huitième dynastie, le vainqueur des Hycsôs, Amosis (1580-1557) hérita de leurs prétentions et les transmit à ses successeurs. Sur une stèle érigée en son honneur en lisait : Chacun dit : Notre maître, c’est lui, et les Haïounibou disent : C’est lui que nous servons[41]. En réalité, les étrangers revenaient en Égypte pour faire, selon les circonstances, du commerce ou de la piraterie. Vers 1515, les inscriptions nommaient les Haïounibou parerai les « barbares qui sont en abomination à Dieu a et proclamaient la victoire de Thoutmès Ier par ces mots : A lui sont soumises les îles du Grand Cercle, la terre entière gît sous ses semelles[42]. Il fallut du temps pour rétablir la régularité des transactions pacifiques.

Cependant, peu à peu, on constate un changement significatif dans les documents égyptiens : parmi toutes ces gens d’au-delà des mers, parmi les barbares confondus sous le nom de Haïounibou, ils commencent à faire des distinctions. Ils nomment maintenant le peuple de Kefti, c’est-à-dire de l’île que la Bible appelle Kaphtor et qui est la Crète, celui d’Alasia ou Cypre, celui des Iles, enfin ceux du Pourtour ou du continent égéen.

Sur toutes ces nations, comme sur les Haïounibou en général, le pharaon prétend exercer son droit de domination universelle. Dans le Chant triomphal de Thoutmès III (1501-1447), le dieu Amon fait au roi cette magnifique déclaration : Je suis venu, je t’accorde d’écraser la terre d’Occident ; Kefti est sous la terreur... Je suis venu, je t’accorde d’écraser les habitants des îles ; ceux qui vivent au sein de la Grande Verte sont sous ton rugissement... Je suis venu, je t’accorde d’écraser les contrées maritimes ; tout le pourtour de la grande zone des eaux est lié à ton poing[43]. Sur les peintures sépulcrales, les Kefti, reconnaissables à leur type physique, aux houppettes frisées qui pointent sur leurs longs cheveux, à leurs pagnes bariolés, à leurs chaussures lacées haut, suivent la file des tributaires. Ils apportent au roi des vases en cornet, des rhytons à forme de tête de taureau ou de tête de lion, des gobelets façonnés comme ceux de Vaphio et décorés de motifs crétois, des poignards, des aiguières d’or ou d’argent, tout ce que le M. R. I a produit de plus parfait. Tel est le sujet traité sur la tombe que Senmout se fit construire vers 1480[44] ; il fut reproduit, peu après, sur celles de Rekhmara et de Mencheper-re-seneb[45]. Tous ces dignitaires étaient chargés, de par leurs fonctions, de recevoir les ambassadeurs étrangers et de se faire remettre les présents ou les tributs qu’ils apportaient. Les légendes explicatives, surtout celles qui se lisent sur le monument de Rekhmara, sont catégoriques : Reçu les présents des... Kefti, arrivent et sont les bienvenus les envoyés des chefs... de Kefti et des îles au milieu de la mer[46]. L’Égyptien ne voyait là que des porteurs de tributs, des représentants de pays vassaux. Après un défilé de ce genre, on pouvait bien remettre une patère d’or en récompense au délégué en tout pays étranger et dans les îles qui sont au milieu de la Très Verte, pour avoir satisfait le cœur du roi[47].

Mais il faut se défier de ce style amphigourique et grandiloquent : la prétention à l’empire du monde se satisfait, faute de mieux, par l’exaltation diplomatique de modestes réalités. La persistance même de ces formules protocolaires durant deux siècles prouve leur inanité. On peu juger de ce que valait une pareille affectation de suzeraineté par les relations des Égyptiens avec Cypre d’après les tablettes de Tell-el-Amarna[48]. En expédiant au pharaon le produit de ses mines et de ses forêts, le roi d’Alasia demandait en échange à son frère de l’argent, des jarres d’huile qu’il voulait de bonne qualité, des chevaux, des chars, un lit en bois précieux incrusté d’or, des vêtements de femme, etc. Ces deux nobles marchands discutaient sur le prix de leurs envois : Pourquoi, disait le prétendu vassal, ne n’as-tu pas envoyé d’huile ? je t’ai pourtant expédié tout ce que tu m’avais demandé. Aménophis III se voit même sommé de restituer, contrairement au droit d’aubaine, les biens d’un négociant cypriote décédé en Égypte. On voit à quoi se réduit une domination qui s’affiche d’autant plus qu’elle se réalise moins. Le roi d’Alasia aurait pu, lui aussi, se faire représenter recevant les messagers d’Égypte avec leurs barres d’argent, et précisément à la même époque un peintre de Cnosse aligne sur les murs d’une galerie une procession d’étrangers porteurs de vases. De vrai, ni en Égypte ni en Crête, ces personnages ne sont des vassaux allant rendre hommage et payer tribut. Ils viennent librement échanger les produits de leur industrie contre les denrées du pays. Tout au plus prennent-ils la précaution, comme le font dans les temps reculés tous les marchands qui opèrent sur une terre étrangère, d’acheter au souverain le droit de commercer. Dans l’Iliade, les gens de Lemnos offrent quelques cruches de vin au roi des Achéens avant d’échanger le reste de leur cargaison contre du métal, des peaux, des bœufs et des esclaves[49] ; ils ne se reconnaissent pour autant ni sujet ni feudataires. Les Kefti faisaient de même : en apportant au trésor du pharaon des vases, ils acquittaient un véritable droit de douane pour obtenir la protection des lois.

Les messagers du roi envoyés au milieu de la Très Verte ne faisaient donc pas fonction de gouverneurs ; c’étaient plutôt des ambassadeurs, quelquefois porteurs de présents, toujours agents d’informations. Ils revenaient avec des rapports qui permettaient de faire étalage d’une domination nominale dans des documents pompeux. Il eût fallu une marine pour réaliser des ambitions qui se contentaient plus aisément de mots. Les navires des pharaons n’ont jamais dépassé les parages de la Syrie : Thoutmès III, qui se faisait offrir par son dieu l’empire sur les Kefti, sur les îles et le pourtour, avait besoin des Kefti pour faire transporter en Égypte des bois du Liban. Toutefois les pharaons étaient bien renseignés sur ce qui se passait au loin. Quand ils se savaient forts et n’avaient pas à craindre de piraterie, ils demandaient aux marchands de beaux présents, ils percevaient rigoureusement les droits de douane : c’est ce que faisait Thoutmès avec les Kefti. Quand ils se sentaient moins sûrs de leur puissance et qu’ils voulaient se donner l’illusion d’enchaîner à leur politique quelque prince étranger, ils lui envoyaient eux-mêmes de ces cadeaux ou de ces insignes qui entretiennent l’amitié : c’est ainsi qu’on à trouvé à Mycènes un singe en verre bleu, un vase et une plaque de faïence avec les cartouches d’Aménophis II, d’Aménophis III et du successeur d’Aménophis IV[50], et que les scarabées du couple xénophile, Aménophis III et Thiy, se sont répandus en Crète, à Mycènes, à Rhodes, à Cypre et en Palestine[51]. Mais, au fond, les relations de l’Égypte avec les pays de l’Égée étaient principalement d’ordre économique, et jusqu’au début du XIVe siècle les Crétois s’en assurèrent tous les avantages.

C’est sans doute en échange des présents offerts, aux pharaons de la dix-huitième dynastie que les Kefti, mieux connus, obtinrent l’autorisation de construire le port de Pharos. Aux proportions des bassins on peut mesurer l’importance du mouvement prévu. L’ampleur des affaires qui s’y traitaient explique, d’autre part, que les Crétois aient adopté les poids et mesures usités en Égypte et dans tout l’Orient : ils disaient clairement dort ils les tenaient, quand ils maniaient dans leur de des poids à l’oie du modèle égyptien marqués d’un navire ou d’un hippopotame.

Ils demandaient aux Égyptiens des légumes secs : à Cnosse, les ouvriers d’Evans, trouvant sous leur pioche des pots remplis de fèces, prononcèrent à première vue le nom populaire qui désigne en Crète une espèce naine importée aujourd’hui encore d’Alexandrie. Ils tiraient de l’Égypte certaines huiles : le fond d’un vase crétois renfermait un résidu où l’on a reconnu l’huile de cocu, qui servait à la préparation d’un vernis ; un papyrus parle d’une huile fabriquée en Égypte et qui servait à embaumer les grands jusques en Kefti[52]. Mais les Égéens recherchaient particulièrement en Égypte les matières précieuses et certains objets d’art : Cypre ne devait pas être seule à en faire venir l’argent et l’or[53] ; la Crète semble même en avoir reçu des modèles pour ses orfèvres, par exemple des pendeloques à forme de tues de nègres[54]. L’ivoire passait probablement par l’Égypte avant d’arriver dans les pays égéens. Le verre colorié et la faïence d’Égypte trouvaient des débouchés de l’Argolide à Cypre[55], partout les scarabées avaient une grande vogue[56]. Les vases de pierre dure continuaient d’être exportés jusque sous la dix-huitième dynastie : les tombes royales d’Isopata, de Mycènes et d’Enkomi contenaient de beaux vases d’albâtre dont la provenance et la date sont certifiées, à Abydos, par un scarabée de Thoutmès III et une bague d’Aménophis IV[57]. Au reste, les Kefti recueillaient précieusement en Égypte des idées pour leurs artistes, par exemple, le motif ornemental du papyrus et la scène du félin faisant la chasse aux oiseaux. Ils emmenaient même ou attiraient dans leur île des hommes experts en rites et musique : quand on se rappelle que le roi d’Alasia demandait au pharaon de lui envoyer un exorciste contre les aigles, on n’est pas surpris de voir dans une procession de Crétois des chanteurs dont la nationalité se reconnaît à leur type physique et au sistre brandi par leur chef.

En échange, les Crétois vendaient à l’Égypte des marchandises de toutes sortes. Sur les denrées en matière périssable, nous ne pouvons que consulter les documents écrits ou faire des hypothèses. Les Kefti, qui demandaient à l’Égypte des huiles spéciales, devaient lui fournir par grandes quantités l’huile d’olive, qu’elle ne produisait pas et dont leurs celliers étaient pleins. Une peinture tombale représente des Kefti passant avec d’autres porteurs de présents, et la liste des objets enregistrés comprend du vin, des étoffes, des bœufs[58]. Un livre de médecine écrit au commencement de la dix-huitième dynastie fait entrer dans une formule l’herbe de Kefti[59], à vrai dire, il y avait sans doute un échange actif de plantes médicinales entre deux pays également réputés dans l’antiquité pour ce genre de produits. Sur les denrées en matière durable nous sommes mieux renseignés. Telle était l’influence des objets décorés qui suivaient la voie de Pharos à Thèbes, que l’ornementation égyptienne fut transformée par les motifs crétois de la fleur de lis et du galop volant[60]. Pourtant les armes et les colliers représentés par la peinture aux mains des Kefti ne nous sont pas connus par des spécimens réels ; le beau poignard déposé dans la tombe d’Aahotep à la fin du XVIIe ou au début du XVIe siècle a été ciselé d’après un modèle crétois, mais sans doute par un armurier égyptien[61]. On n’a pas retrouvé non plus en Égypte un seul de ces beaux vases en bronze, en argent et en or qui étaient apportés par des Kefti ou commandés à des Kefti par des rois tributaire[62]. Mais les témoignages d’es inscriptions et des peintures murales sont confirmés par des bottes en bois sculpté, œuvres de Crétois ou de Mycéniens, par un vase en pierre portant avec le cartouche de Thoutmès IV l’inscription beau vase de Kefti[63], et surtout par une multitude de poteries qui arrivaient remplies de vin ou d’huile. Au XVe siècle, le style du palais, est représenté par une potiche et une aiguière décorées d’argonautes[64]. Déjà même des vases du style continental au lierre venaient meubler à Kahoun la tombe de Maket[65], et d’autres vases mycéniens remontaient le Nil jusqu’en pleine Nubie[66].

Comment ces marchandises mycéniennes pénétraient-elles en Égypte ? Il est probable que les Crétois se firent les intermédiaires entre toute l’Égéide et l’Égypte pendant le XVIe et la plus grande partie du XVe siècle. Nous savons qu’ils transportaient les bois du Liban dans les ports égyptiens ; nous les voyons apporter des pains de cuivre qu’ils devaient chercher à Cypre ; nous pouvons supposer, d’après une baisse brusque du métal blanc, qu’ils faisaient à l’Égypte sa part de l’argent extrait dans les îles et au Laurion ; il n’est pas impossible qu’ils lui aient fourni les produits des pays les plus lointains, comme l’étain et l’ambre. Qu’ils aient donc servi de courtiers entre les Achéens et l’Égypte, comme ils le faisaient d’ailleurs entre les cités achéennes, cela encore est d’une grande vraisemblance.

Tous ceux aux dépens de qui s’exerçait ce monopole durent chercher à s’y soustraire. Les cadeaux envoyés à Mycènes par Aménophis Il avaient leur signification politique : avant 1420, les Achéens étaient en relations directes avec l’Égypte, et l’on peut croire que les peuples du pourtour, une fois qu’ils s’adonnèrent à la navigation, occupèrent une place dans l’île de Pharos à côté des Kefti, comme plus tard à Naucratis les Éginètes, par exemple, à côté des Milésiens. Cette concurrence ne fut certes pas étrangère à la catastrophe qui ruina Cnosse au profit de Mycènes vers 1400, ni cette catastrophe à l’échange de présents qui eut lieu entre le roi de Mycènes et le pharaon : au temps même où succombait l’empire crétois, arrivait à Mycènes, avec un scarabée de la reine Thiy, tout un assortiment de faïences marquées au cartouche d’Aménophis III (1415-1380), entre autres un beau Sèvres[67], tandis que ces souverains recevaient en échange un lot de céramiques mycéniennes[68]. Leur fils, l’hérétique Akhenaten (1380-1362), combattu par le sacerdoce national, fit grand accueil aux étrangers, entretenant des rapports réguliers avec le roi d’Alasia, commandant pour son palais des peintures inspirées de l’art égéen[69].

Aussi le commerce mycénien, une fois libéré de l’hégémonie crétoise, se rua-t-il sur l’Égypte durant deux cents ans. A Gourob, ville habitée en grande partie par des hommes à cheveux blonds, les tombes et les maisons sont pleines de cruches à étrier et d’amphores mycéniennes que des cartouches ou des scarabées assignent aux derniers règnes de la dix-huitième dynastie ou à la dix-neuvième[70]. A Tell-el-Amarna, on a ramassé, avec des cartouches d’Akhenaten et de sa famille, 1345 tessons, qui tous rappellent des vases de Mycènes, d’Ialysos et de Cypre[71]. Dans toute l’Égypte, un grand nombre de sites présentent des exemplaires du même style. On en a trouvé à 164 kilomètres en amont d’Assouan et plus loin encore, en Nubie[72]. La vogue de cette poterie fut telle, que les Égyptiens se mirent à l’imiter en faïence dès l’époque d’Aménophis III, et qu’ils la copièrent en terre cuite au temps de Ramsès III (1200-1169), quand les grandes invasions les empêchèrent de s’en approvisionner chez leurs anciens fournisseurs.

III. — RELATIONS AVEC CYPRE ET L’ASIE.

Cypre était, après l’Égypte, le marché dont la conquête était le plus désirable pour les Crétois. A l’intérieur de l’île, les mines de cuivre offraient d’inépuisables richesses. Le métal était exporté sous forme de saumons ou travaillé sur place. Habiles armuriers, les indigènes fabriquaient en grand des poignards en feuille de saule. Dès ayant 1550, ces poignards trouvaient à s’écouler sur le littoral voisin, d’où ils s’acheminaient vers Troie, la Thrace et le Danube. Deux cylindres d’Hammourabi ont été trouvés, l’un à Haghia Paraskévi, l’autre à Platanos[73] : le premier prouve que Cypre était en relations avec l’Asie antérieure au XXIe siècle ; le second indique peut-être qu’elle servait d’intermédiaire entre l’Asie et la Crète au M. M. I. De même, certains cruchons noirs, connus seulement à Cypre, en Palestine et dans l’Égypte des Hycsôs, attestent, bien qu’on ignore le lieu où ils étaient fabriqués, les rapports que Cypre entretenait au XVIe siècle avec l’un au moins des deux autres pays[74]. Les Égéens, les Crétois surtout, avaient un intérêt de premier ordre à s’approvisionner de cuivre à la source même, à distribuer dans la Méditerranée les produits d’une métallurgie estimée, à s’assurer en face du littoral asiatique un débouché pour leur propre industrie.

Dès l’époque du M. M. II, apparaissent à Cypre des vases à décor blanc du type helladique ou mélien et des vases polychromes de Crète[75]. Ce n’est pourtant qu’à partir de 1550 que l’île entre dans l’orbite du monde égéen. Aussitôt l’industrie et le commerce y prennent un rapide essor. Les mines, propriété du roi, fournissent de cuivre l’Égypte, la Crète, l’Eubée, l’Argolide. Les forêts sont mises à contribution, et le bois de Cypre fait concurrence à celui du Liban. Les ateliers pareils à la fonderie qu’on a découverte à Enkomi[76] se multiplient et envoient leurs poignards au loin. Les céramistes se servent maintenant du tour, et leurs bols hémisphériques à couverte blanche et quadrillage noir se répandent, non seulement en Égypte et en Syrie, mais à Troie VI, à Thèra, à Mélos et en Attique[77]. Subitement l’île devient riche. En échange de ses produits, elle demande à l’Égypte des étalons et des chars, de l’or et de l’argent. Les tombes cypriotes commencent à recevoir des objets de prix, et pour la première fais les bijoux y abondent

Une pareille transformation n’a pas été l’effet d’un développement interne et spontané. L’activité de ces transactions suppose une forte marine. Rien ne dit qu’elle ait existé sur place. C’étaient les Égéens, et tout d’abord les Crétois, qui tournaient à leur profit la prospérité naissante de Cypre. Les mêmes marins qui rapportaient des lingots chez eux en vendaient aussi aux peuples étrangers. Parmi les porteurs de présents qui, sur les peintures égyptiennes, viennent déposer des pains de cuivre aux pieds du roi figurent des Kefti ; on ne voit pas non pus par quels autres intermédiaires le métal pouvait arriver en Grèce dans les commencements de l’âge mycénien. Pour les marchandises qui font la contrepartie de cette exportation, les Crétois jouent naturellement un rôle identique. A Épiskopi, on a trouvé un magnifique vase de bronze, qui da pu é&e ciselé que par un Crétois dans les plus belles années du M. R. et méritait bien de rejoindre un sceptre d’or dans une tombe de roi[78]. En, même temps, arrivent à Cypre d’assez grandes quantités de poteries continentales. Mais, dès que les Mycéniens furent capables de faire concurrence aux Crétois sur mer, ils les suivirent dans la grande île du Levant. Le temps est venu oit il devient difficile de distinguer la part de la Crête dans une influence plus générale. Toute l’île se remplit de vases, à étrier mycéniens[79].

Que des marchands et des artisans égéens s’y soient établis à demeure, c’est un fait trop conforme aux lois de la colonisation méditerranéenne pour ne pas être extrêmement vraisemblable. Si la population cypriote conserve ses modes traditionnels de sépulture, pour tout le reste elle s’adapte à la civilisation égéenne, surtout à partir du XIVe siècle. Un instant le roi d’Alasia semble essayer de réagir : il resserre ses liens avec le pharaon ; un de ses vassaux reçoit un scarabée de la reine Tiy et, une bague d’Akhenaten[80]. Toutefois, Cypre apparaît de plus en plus comme l’avant-poste des Occidentaux. Ses céramistes, font du mycénien : ils peignent en noir des chars et des guerriers, des taureaux et des pugilistes. Enkomi, dont la splendeur commence seulement après la chute de Cnosse, garde le souvenir de l’art crétois : elle possède des ivoires sculptés d’excellent style[81], et de très beaux rhytons en faïence à tête de femme ou de cheval[82]. Une école cypro-mycénienne se crée, qui rayonne à son tour sur la Cilicie et la Syrie septentrionale. D’autre part, profitant de l’expansion égéenne, Cypre envoie, le produit de ses mines et de sa métallurgie bien au delà de l’Égée : ses lingots vont dans l’Adriatique et en Sardaigne ; ses haches plates et ses épingles à enroulement terminal pénètrent dans les profondeurs du continent européen. Quand l’invasion dorienne viendra bouleverser les pays, achéens, Cypre sera toute prête à offrir un asile à des bandes d’Achéens crétisés qui lui apporteront leur culte, leur langue et leur écriture.

De Cypre, les relations de la Crète s’étendirent sans tarder à la Syrie et particulièrement à la Palestine[83]. Les fouilles récentes de Byblos ont mis au jour des vases d’argent incontestablement égéens et datés par un cartouche d’Amenemhet III (1849-1801)[84]. Un ou deux siècles après, la poterie helladique à peinture mate pénètre dans le pays de Canaan[85]. L’invasion des Hycsôs dut rompre ces relations.

Elles reprirent quand la dix-huitième dynastie eut rétabli l’ordre dans le voisinage de l’Égypte : les victoires, des pharaons ouvrirent la Syrie ; les Crétois s’y précipitèrent. D’où venaient les navires kefti que Thoutmès III, en 1467, trouvait à point nommé sur la côte de Syrie, quand il eut à faire transporter des bois en Egypte ? Faisaient-ils d’ordinaire la navette entre la Crète et Byblos ? Stationnaient-ils dans quelque Minoa établie sur la côte d’Asie, par exemple dans l’îlot de Tyr aménagé à leur usage comme l’îlot de Pharos ? En tout cas, les Crétois dès le XVIe siècle, puis les Mycéniens, furent les hôtes assidus de la coite syrienne. Ce marchand crétois qui avait un sceau marqué d’un chameau venait sans doute tous les ans s’aboucher avec les caravanes apportant jusqu’à la Méditerranée l’ivoire et les parfums, comme cet autre qui se disait importateur de chevaux venait chercher des bêtes de race dans le pays producteur. Rentrés dans leur île, ces gens-là y faisaient connaître le costume sacerdotal de l’Orient[86]. A la longue, certains Crétois se fixaient dans le pays et y faisaient souche. En 1459, un prince syrien se procurait un beau vase d’argent, une œuvre de Kefti, pour l’offrir en tribut au pharaon[87]. Quelques années auparavant, d’autres princes de la même région envoyaient à Thoutmès des rhytons à- tête de taureau, de bélier ou de lion, œuvres de Zahi, c’est-à-dire exécutés en Phénicie, mais presque sûrement par des artistes crétois[88]. Les nouveaux venus gardaient et faisaient connaître les modes égéennes : sur une tombe égyptienne du XVe siècle, une princesse syrienne est représentée avec le corsage à manches courtes et la jupe à volants[89]. Au commencement du XIVe siècle, enfin, un peuple qui n’avait point paru jusqu’alors en Syrie occupait la coite près de Byblos : ce peuple, qu’un document postérieur nous dit venu par mer, portait le nom homérique de Danaouna, Danaens[90].

On comprend donc que Canaan ait bien changé d’aspect au XVe siècle. Tout d’abord, on y reçoit, en partie par Cypre, quelques vases lustrés du Mycénien Ancien et du M. R. I[91]. Bientôt l’importation égéenne devient très active, et les potiers indigènes, abandonnant leurs vieux types, se mettent à copier les modèles étrangers. Vers l’époque où les Danaouna s’installent au bord de la mer, dans les villes de l’intérieur, arrivent en grande quantité des vases à étrier ; ils sont imités avec une ardeur croissante, et sur les formes nouvelles apparaissent les oiseaux aquatiques, les lis stylisés, les spirales et les triglyphes[92]. La Crète vient même faire concurrence à Cypre pour la métallurgie : vers 1400, un chef de Gézer possédait une de ces épées de type cornu que forgeait l’armurerie de Cnosse. Ainsi la Palestine se préparait, elle aussi, à recevoir lors des grandes invasions un nouvel afflux de population occidentale.

A l’extrémité de l’Asie Mineure, à l’entrée des détroits, existait un marché important, celui de Troie. Là était le centre d’un peuple thraco-phrygien qui avait des relations naturelles avec l’intérieur de la péninsule asiatique et le littoral de la péninsule européenne. D’un côté arrivaient le cuivre, l’argent et l’or des régions voisines et les pierres rares des régions lointaines. De l’autre, le trafic s’étendait aux pays danubiens et à la Thessalie. La mer conviait les Égéens à chercher leur part de ces richesses. De bonne heure, la coupe troyenne à deux anses se fait connaître à Syra et à Orchomène II[93]. A la fin du IIIe millénaire et dans les premiers siècles du IIe, pendant la troisième période de Troie II, tout y atteste l’importance du commerce extérieur. Les potiers empruntent aux Cyclades des formes et des motifs ; les orfèvres imitent en or la saucière des îles[94]. Avec la Crète du M. M. I les transactions sont actives : Troie en reçoit la potiche en stéatite ; elle y expédie le canthare[95]. Bien mieux, on a trouvé en Sicile, ainsi qu’à Troie, des objets en os à forme et à décoration toutes spéciales[96]. Comment de pareils objets traversaient-ils la Méditerranée ? Si c’est sans transbordement, nous voyons reparaître le courtier crétois.

Arrive l’époque mycénienne. C’est sur toute l’Asie Mineure maintenant que les Égéens portent leurs, efforts, et leurs entreprises n’admettent aucune solution de continuité entre Cypre et la Troade. En même temps que les cartouches des pharaons, arrivent en Argolide et en Crète les témoignages de relations directes avec les maîtres de l’Asie Mineure, les Hittites : un cylindre retrouvé à Tirynthe, un sphinx découvert à Haghia Triada en compagnie d’un scarabée de Tiy[97].

Dès le XVe siècle, les Égéens paraissent dans les îles qui font le pont entre la Grèce et la Carie : Carpathos, Rhodes, Cos et Calymna. Dans toutes abondent les vases mycéniens. A Rhodes, des Égéens venus de Crète soumirent la population indigène et fondèrent les trois villes principales, Ialysos, Camiros, et Lindos, avec maintes bourgades. La part prise par les Crétois à cette colonisation fut toujours rappelée par les noms donnés au port et à une des phratries de Camiros. La légende faisait du héros Althaiménês le fils de Crèteus, désignait Minos comme donateur d’une offrande à Lindia, plaçait dans l’île le tombeau d’Idoménée[98]. Les tombes des nécropoles, rhodiennes sont du type mycénien à chambre rupestre et couloir d’accès. Leur mobilier est en grande partie daté par des scarabées, dont le plus ancien est d’Aménophis III[99]. La poterie est purement égéenne : sa décoration associe les végétaux au poulpe, à la double hache, et lègue à la période suivante le motif de la chèvre sauvage[100]. Armes, ivoires sculptés, pâtes de verre et sceaux ne diffèrent en rien de ce qu’on voit à là même époque dans le reste de l’Égée.

Sur la côte du continent, les Égéens ne se bornèrent pas non plus à trafiquer. Rien ne prouve, il est vrai, qu’ils aient fait autre chose à Telmesses, à Assarlik, à Mylasa, dans la plupart des sites de Lycie, de Carie, d’Ionie et d’Eolide où ont été trouvées des poteries mycéniennes[101]. Il est probable pourtant que leur établissement en Pamphylie, dont le dialecte est apparenté à celui de l’Arcadie et de Cypre, date de la période mycénienne. En tout cas, à Milet, qui porte le nom d’une ville crétoise, fut fondée une véritable colonie. Là, au-dessous du vieux temple d’Athéna, dans le voisinage au grand port placé sous le patronage du dieu delphinien, des restes de maisons préhistoriques contenaient de grandes quantités de poterie mycénienne, et la nécropole voisine se compose de tombes rupestres à couloir[102]. Des traditions et des vestiges concordants semblent indiquer qu’aux bouches du Caystre Éphèse, avec son îlot parasitaire, son autel à cornes et son culte du taureau, Colophon, avec ses tombes à coupole, furent également les sièges d’installations crétoises[103]. On en peut dire autant d’Érythrées[104].

Au N. de Milet, le mont Olympe avertit son seul nom que les Achéens du Nord, les Achéens-Éoliens de Thessalie, ne laissèrent pas aux Péloponnésiens et aux Crétois le monopole du commerce et de la colonisation en pays asiatique. Mais par Phocée et Pitanè, où la céramique marque le passage des Mycéniens[105], nous voici revenus à la Troade.

Comme Troie II avait attiré l’attention des insulaires, Troie VI attira celle des Achéens continentaux. L’opulente cité de Priam eut pendant deux siècles des relations continuelles avec les régions que dominait la cité d’Agamemnon. Tout en demandant à Cypre ses poignards et ses bols[106], elle continuait d’être en rapport avec la Thessalie[107] ; mais elle s’adressait surtout à l’Hellade et au Péloponnèse pour avoir des poteries minyennes, d’autres à peinture mate et, plus encore, des coupes à pied, des cruches à étrier, des cratères mycéniens[108]. Un détail montre avec quelle âpreté les poteries d’Europe s’efforcent alors de conquérir la clientèle étrangère : un vase trouvé à Troie et de forme troyenne est façonné dans la même argile que les vases mycéniens[109]. De leur côté, pour lutter contre cette invasion, les potiers troyens imitent la peinture mate, le décor à spirales et toutes les fortunes nouvelles[110]. De même, les forgerons se mettent à copier des doubles haches sur un type long et mince connu à Gournia, et des haches simples sur un modèle de Mycènes et de Krynthe[111]. C’est déjà la concurrence telle que la décrira Hésiode, de potier à potier, mais internationale ; c’est déjà, sur le terrain économique, la guerre de Troie. Et précisément, quand les Achéens, maîtres du commerce et des côtes depuis les bouches du MI jusqu’à l’Hellespont en auront assez de se voir interdire l’accès des détroits, Agamemnon n’aura qu’à leur lancer l’appel aux armes, et tous, depuis les Rhodiens et les Crétois jusqu’aux Céphalléniens, depuis ceux de Pylos jusqu’à ceux de la froide Dodone, se rueront sur la cité de Priam. Un tout petit fait, mais significatif, indique l’enjeu de cette guerre : au fond du Pont-Euxin, dans l’arrière-pays de Samsoun, en un lieu appelé Akalan, des fouilles ont amené au jour de la poterie mycénienne[112].

IV. RELATIONS AVEC L’OCCIDENT.

Les mers occidentales furent, comme les autres, parcourues par les navires égéens. De ce côté, ce n’est pas la Cyrénaïque qui les attirait le plus, bien qu’un vent favorable les poussât régulièrement vers la patrie d’une épice recherchée, le silphion, et que les Crétois connussent depuis longtemps l’îlot de Platéa quand l’un d’eux y mena des colons grecs. Dans une autre direction, on pouvait recueillir sur les côtes des marchandises plus précieuses encore apportées de très loin par des caravanes, l’ambre et surtout l’étain. L’Italie, la Sicile et l’Ibérie devinrent ainsi le Far West des Égéens.

La grande voie maritime qui permettait d’y atteindre fut suivie de très bonne heure. Il faut remarquer, en effet, que l’idée d’ajouter de l’étain au cuivre n’a pu naître que dans les pays qui produisaient de l’étain[113] et que, par conséquent, la Crète fut en relations avec les régions les plus lointaines de la Méditerranée avant de se mettre au travail du bronze. D’ailleurs, la Grèce occidentale n’est séparée de l’Italie orientale que par une journée de traversée, et les [peuples continentaux de la période la plus reculée s’en étaient avisés. L’importance de Céphallénie[114] et de Leucade[115] à l’époque néolithique est significative, et le rapide développement des deux Pylos au commencement de l’époque mycénienne indique bien que les navigateurs suivaient déjà le littoral avant de cingler droit sur la presqu’île des Iapyges, au talon de la botte italienne.

D’un bout à l’autre de cette presqu’île, de Manfredonia à Tarente, apparaissent les traces laissées par les marchands étrangers. A l’époque néolithique, on avait, sur la côte orientale et bien à l’intérieur, des poteries apparentées à celles de Sesclo et surtout de Dimini et de Chéronée. Il est possible que certaines de ces poteries adent été fabriquées sur place ; car le pays des Iapyges ne présentait aucune affinité avec le reste de l’Italie et rentrait, au contraire, dans la sphère de la civilisation balkanique, comme la Thessalie[116]. Mais alors les relations commerciales entre les deux rives de l’Adriatique n’en sont que plus vraisemblables, et les ressemblances plus significatives. Les mêmes rapports continuent, d’ailleurs, d’exister dans la période du bronze et s’étendent même aux idoles et aux armes[117] ; ce n’est pas une évolution parallèle, sans interférences, qui peut en expliquer la durée. Vers le XVIIIe ou le XVIIe siècle, le doute n’est plus possible ; la couche supérieure de Coppa della Nevigata renferme une assez grande quantité de poteries à peinture mate[118]. Plus tard, enfin, les vases à étrier et d’autres de même provenance se retrouvent aux deux extrémités et à l’intérieur de l’Iapygie[119] ; et dans le canton des Messapiens, à Tarente où ils abondent, ils sont accompagnés d’idoles en terre cuite. Mycéniens ou Crétois, les gens qui fréquentèrent cette côte se bornèrent-ils à faire du commerce ? L’archéologie, à elle seule, ne permet pas de conclure à un établissement durable. Mais la tradition est formelle : elle nous apprend que les Crétois, revenant de Sicile après la mort de Minos, fondèrent la ville d’Hyria sur le territoire des Messapiens, ou, ce qui revient au même, qu’Idoménée, le successeur de Minos, vint se fixer chez les Salentins en Messapie, ou encore qu’Iapyx était fils de Dédale[120]. La ville moderne d’Oria, l’ancienne Hyria, fut précisément une de celles où l’on et découvert de la poterie fabriquée après la mort de Minos, du M. R. III. Le nom même des Messapiens n’est pas italiote, et leur dialecte a des rapports manifestes avec l’étéocrétois[121]. Ils conservèrent, longtemps après la colonisation grecque, l’habitude des bouclettes sur le front, des étoffes brodées de fleurs ; les cornes de consécration et la double hache tirent toujours partie de leur appareil religieux[122]. La concordance est trop frappante entre tous ces témoignages et tous ces faits, pour qu’on puisse refuser à la tradition toute valeur historique.

Des îles Ioniennes ou de l’Iapygie, les Crétois ou les Mycéniens se sont-ils avancés jusqu’au fond de l’Adriatique ? Les vases mycéniens conservés à Torcello en Vénétie ont pu y être apportés à l’époque moderne ; les fragments de statues et de dalles exhumés à Nerazio en Istrie n’autorisent aucune conclusion[123]. Quand on a constaté quelques analogies entre les dialectes de Vénétie et d’Iapygie[124] et la présence du lingot de cuivre oriental sur la côte dalmate[125], tout ce qu’on peut ajouter, c’est qu’il n’y a nulle invraisemblance à ce que les marins de Pylos soient venus chercher l’ambre aux bouches du Pô[126].

La Sicile offrait aux Égéens un vaste champ à exploiter. Ils n’y manquèrent pas. Mais là encore, il faut bien distinguer entre les époques déterminées par Orsi. La poterie incisée de la période sicane ou néolithique présente quelques rapports avec celle de la Crète[127] ; mais une vague similitude de dessins très simples ne permet d’inférer ni une importation ni une filiation. Dans la première période sicule ou période chalcolithique, l’apparition simultanée de la peinture céramique et du métal marque une transformation qui n’a pas dû être spontanée ; cependant, les vases des envahisseurs sicules ne rappellent ceux de Chéronée que par des affinités lointaines[128]. Il n’y a pas encore de relations régulières entre la Sicile et l’Égée ; mais déjà on constate de rares envois d’objets précieux. Sur deux spécimens connus d’un ornement en os décoré de globules en relief, l’un s’est trouvé à Troie II, l’autre à Castelluccio[129], et l’un des deux au moins a dû être transporté par un navire crétois. Enfin, dans la deuxième période sicule ou période du bronze, une grande partie de l’île est en relations suivies, d’une intensité croissante, avec le monde mycénien. Depuis la région de Catane jusqu’au delà de Syracuse, aux environs d’Agrigente, une douzaine de sites ont fourni, en quantité quelquefois assez grande, des vases du Mycénien Récent[130] et des poignards en bronze également conformes aux types égéens[131]. Tous ces objets se trouvent dans des chambres rupestres à voûte, la forme de tombe la plus ordinaire dans l’Égéide contemporaine. En Sicile, bien plus qu’en Italie, l’archéologie relève donc toutes sortes d’indices qui font penser plutôt à l’établissement de colonies qu’à l’extension du commerce[132]. On objecte[133] que les tombes rupestres de Sicile ne sont pas identiques à celles des pays mycéniens, que même les sites les plus riches en poterie mycénienne présentent une masse autrement considérable de poterie locale. On pourrait tout aussi bien ajouter que les poignards y sont généralement de types égéens sans doute, mais périmés au temps du M. R III, et qu’un au moins des vases est décoré d’un motif alors tombé en désuétude[134]. Ce sont précisément ces différences et ces survivances qui rendent vraisemblable l’existence de colonies faisant du trafic avec les métropoles, mais vivant d’une vie propre au milieu des indigènes et conservant avec 6délité les anciens usages. Aussi n’a-t-on pas le droit de dédaigner les traditions qui mentionnent des immigrations successives de Crétois en Sicile[135]. Dédale, nous dit-on, vint le premier ; puis ce fut Minos, à la demande de Dédale. Ce que Dédale, qui personnifie l’industrie et l’art de la Crête, apportait avec lui, on le voit par les vases peints, les armes et les bijoux enfermés dans les tombes ; ce que fit Minos, qui personnifie la puissance politique, on le sait par la concordance des témoignages crétois et siciliens, plus encore que par le nom d’une Minoa située près d’Agrigente.

Par-delà l’Italie et la Sicile, le courant égéen se déversa, mais affaibli, dans le bassin occidental de la Méditerranée. Ce n’est point par Malte qu’il y pénétra : cette île ne reçut des influences orientales qu’un vague reflet, venu peut-être de Sicile[136]. C’est par le détroit de Messine, en sortant de ports déjà familiers, que les marins égéens osèrent s’aventurer plus loin ; c’est près des tourbillons de Charybde qu’ils affrontèrent une fois de plus la monstrueuse Scylla. Les Crétois connaissaient les îles Lipari. Ils recherchèrent en tout temps la liparite éolienne pour en faire des vases et des lampes[137]. Au début, ils se la procuraient peut-être par l’intermédiaire de l’Italie ou de la Sicile ; mais il n’y a pas de raison pour qu’ils n’aient pas été la chercher directement sur place au M. R. Dans la mer Tyrrhénienne, non plus que dans l’Adriatique, on ne voit les Égéens s’avancer vers le Nord ; car les rapports qu’on peut saisir entre la civilisation des Étrusques et celle des Égéens, entre les Saliens de Rome et les Corybantes de Crète, s’expliquent assez par le long séjour des Tyrrhènes en Orient. Mais, en faisant voile vers l’Ouest, on touchait à la Sardaigne. Les Crétois y venaient apporter des lingots de cuivre marqués d’empreîntes qui en certifiaient l’origine et le poids, probablement aussi des bijoux[138] ; mais ces relations restèrent purement commerciales. La Sardaigne ne pouvait être qu’une escale.

Toujours plus loin, c’était l’Ibérie. Marché important, celui-là, avec ses mines d’argent, avec ses caravanes qui apportaient l’étain de Grande-Bretagne aux bords de la Méditerranée. Dans la région minière naquirent des civilisations assez brillantes. Celle de d’Argar a conservé des vestiges visibles de relations avec les Crétois[139]. Ils apportaient dans le pays de la verroterie, de ces perles qu’ils avaient jadis importées d"Egypte et qu’ils imitaient pour l’exportation[140]. Les Mycéniens, comme toujours, les suivirent. Les uns et les autres donnèrent à l’indigène le goût de leurs vases peints, à tel point que, plusieurs siècles après avoir disparu en Orient, les motifs égéens, revenus on ne sait par où, servaient encore à la décoration des poteries ibériques et se répandirent d’Alicante à Narbonne[141]. Dans les Baléares, la religion des étrangers dut faire une forte impression, si l’on en juge par des symboles en bronze, doubles haches, colombes, têtes de taureaux, et par des cornes de consécration[142]. Il n’est pas jusqu’à l’écriture minoenne qui, d’après Evans, ne fût mise à contribution par les Ibères[143]. S’il n’est pas question ici de colonisation, il y eut du moins contact commercial.

 

En suivant les marins de Minos, l’archéologie confirme toutes les données de la légende et de l’érudition antiques. A égale distance entre la civilisation préhellénique et notre époque, Pausanias reconnaissait les œuvres de Dédale à Cnosse d’abord, puis sur le continent, depuis la Messénie jusqu’à la Béotie, il le montrait naviguant de la Crète à la Sicile, il parlait même de la Sardaigne[144]. Le cas n’est pas si rare où le suprême effort de l’histoire aboutit à réaliser la tradition. C’est par le commerce que les Crétois étendirent leur thalassocratie. Sans doute ils durent occuper quelques points dans les Cyclades, envoyer des colonies de marchands et d’artisans Clans quelques villes riches du continent, organiser des escales, créer des ports dans des îlots bien postés pour la traite, d’accord généralement avec les rois indigènes. Mais ils étaient les maîtres de la Méditerranée en ce sens qu’il ne s’y faisait, pour ainsi dire, pas d’échanges où ils ne fussent intéressés. Ces rouliers des mers ne se contentent pas de chercher partout les matières premières dont ils ont besoin, de fournir partout les produits de leur industrie et de leur art. Pourvoyeurs des nations civilisées et des peuplades barbares, ils sont toujours prêts à faire encore office de courtiers. Ils transportent en Égypte les bois de Liban et les lingots d’Alasia, en Argolide les faïences égyptiennes et l’ivoire. Ils répandent le cuivre cypriote jusqu’en Sardaigne et distribuent l’étain d’Espagne à tous les pays qui, à leur exemple, se mettent à faire du bronze. Chaque fois que dans un site, tant reculé qu’il soit, on découvre un morceau de bronze ou un tesson antérieur au XIVe siècle et de provenance orientale, on peut se demander si, pour venir jusque-là, cette marchandise n’a pas un moment passé par des mains de Crétois.

Cependant, à partir du moment où les Achéens d’Argolide, qui avaient fait bon accueil aux Crétois, s’associèrent à leurs entreprises, elles ne tardèrent pas à changer de caractère. Une race jeune, turbulente, belliqueuse, s’entraîna aux courses maritimes sous la direction des navigateurs minoens, mais voulut aussitôt joindre aux profits du commerce ceux de la piraterie et des expéditions guerrières. Sur les vases d’argent enfermés dans la tombe d’un dynaste mycénien et sur la bague d’or que portait au doigt un chef de Tirynthe, sont retracées des scènes de siège, de bataille, de naufrage et de rapt. Quand les Mycéniens purent se passer de leurs maîtres, ils se retournent contre eux, et, Cnosse prise, la Crète ne fut plus qu’une partie d’un monde où le trafic allait de pair avec la violence, où la colonisation pacifique était le plus souvent remplacée par l’immigration à main armée. Tous les marchés conquis dans les siècles passés par la politique mercantile et paisible d’une seule île passèrent à l’ensemble des Égéens, et des marchés nouveaux s’y ajoutèrent, comme celui de la Macédoine. En même temps, des bandes d’aventuriers s’établissaient à Milet, à Rhodes, à Cypre, en Syrie, en Italie, en Sicile. Bientôt même les tribus achéennes s’unirent pour enlever aux Dardaniens la possession des détroits et le monopole des relations avec le Pont-Euxin. L’Égypte à son tour ne tarda pas à voir compromise la suprématie théorique qu’elle s’arrogeait. Aménophis III (1415-1380) avait peut-être contribué par ses encouragements à lancer Mycènes contre Cnosse ; peut-être aussi la victoire de Ramsès II à Kadesh (1295) sur les Hittites alliés aux Dardaniens n’avait-elle pas été sans rapport avec la guerre de Troie (vers 1280). Mais aussitôt on voit dans l’Odyssée Ménélas et Ulysse, les gens de Crète, de Laconie et d’Ithaque, partir de Pharos, remonter l’Égyptos en des équipées à moitié commerciales à moitié militaires et revenir avec des coffres remplis d’or. De fait, sous Memephtah (en 1229), les peuples de la mer, entre autres les Akaiousha, vinrent piller le Delta, passant le temps à combattre pour rassasier leur panse[145]. Plus que jamais les îles et tout le pourtour sont sans repos ; car les grandes migrations ont commencé.

 

 

 



[1] JHS, XIV, 341, fig. 62 b.

[2] XX, 170, 237, 594.

[3] XV, 351 ss.

[4] XX, fig. 216.

[5] Ibid., fig. 231.

[6] LXV, 3 ss. ; Έφ., 1908-87 ; XXV, 137.

[7] BSA, XVII, 16 ; AM, 1917, 32 ss. ; XXV, 103, 137.

[8] DAWKINS-DROOP, BSA, XVH, 1-22.

[9] RENAUDIN, BCH, 1922, 133 ss.

[10] DEMANGEL, ibid., 58 ss. ; Expl. arch. de Délos, V, 68 ss.

[11] XXV, 75, 137.

[12] ΑΔ, I, 191 ss.

[13] XVI, 536 ; XX, 88.

[14] Έφ., 1889, 129 ss. ; JHS, XXIV, pl. XI.

[15] Hymne à Apollon Pyth., 219 ss.

[16] Έφ., 1911, 99 ss., fig. 14-5.

[17] AM, 1908, 295 ss. ; 1909, 269 ss., fig. 316, pl. XVI-XXIII ; 1913, 97 ss.

[18] Fouilles de Delphes, V, 1 ss.

[19] XXV, 91 ; cf. BSA, IX, 311, fig. 9.

[20] XXV, 91.

[21] PAUSANIAS, II, 34, 7.

[22] VI, 117-9, 227-9 ; GOWLAND, Archaeologia, LXIX, 121 ss.

[23] Hymne à Déméter, 123 ss.

[24] REY, BCH, 1916, 277-8, fig. 12 ; 1917-9, 248-9, 269 ss.

[25] XX, fig. 28-32, 54-5 ; cf. 33-6, 58-60.

[26] LXX II, 54-5, VI, 22, 3, MIL, XXI, V, pl. XI, 27 ; XXXVII, pl. XIV, 4 ; XX, 80 ss., 101, 83.

[27] LXXXII, fig. 36, I n.

[28] Rec. de travaux, V, 37, 161, 176 ; IX, 112, 137 ; X, 1.

[29] XX, 125.

[30] MIL, l. c., pl. X-XI, fig. 25-6 ; XII, fig. 12, 86-7.

[31] XXV, 161.

[32] Ibid. ; XVII, 125 ss. ; XX, 103, 122 ss.

[33] MASPERO, Hist. anc. des peuples de l’Orient, I, 476, n. 3.

[34] XX, fig. 220.

[35] Ibid., 199 ss., 291.

[36] Ibid., fig. 146-7.

[37] FL. PETRIE, Kahun, Gurob and Hawara, pl. XXVII, XXVIII ; Kahun and Garob, pl. I, fig. 1, 3-8, 10-5 ; JHS, XI, pl. XIV, 15-8, 10 ; cf. XXV, 107, 136-8 ; XX, 266-7 et fig. 198.

[38] GARSTANG, LA, V, pl. 134 ; cf. XXV, fig. 155-6 ; XX, fig. 199, pl. IV.

[39] XX, 418-22, fig. 303-4.

[40] RAYMOND WEILL, Journal Asiatique, Rec. des Mém., IV, 107 ss. ; VI, 47 ss.

[41] SETHE, Urk. der aeg. Alt., IV, 17, 21 ; cf. 138, 572.

[42] Ibid., 83-96.

[43] Ibid., 615 ss.

[44] BSA, VIII, 172 ss., fig. 4-8 ; XVI, 254 ss., pl. XIV ; cf. XXV, fig. 176.

[45] IV, 251 ss.

[46] SETHE, l. c., 1093 ss.

[47] BIRCH, Mém. de la Soc. des Antiq. de Fr., XXIV, 4.

[48] KNUDTZON, Die El-Amarna Tafeln, I, 278 ss. Sur l’identité d’Alasia et de Cypre, voir les objections de WAINWRIGHT, Klio, 1915, 1 ss., et la réponse de SCHACHERMEYER, ibid., 1921, 230 ss.

[49] Iliade, VII, 467 ss.

[50] BSA, VIII, 188, fig. 13-5 ; Έφ., 1891, pl. III, 3, 4 ; XXV, fig. 169-70.

[51] MA, XIV, 733 ss., fig. 33 ; Έφ., 1887, pl. XIII, 21, 21 a ; XXX, 4, 9, 75, pl. E, 1 ; LIX, 21, 36, pl. IV, 608 ; XXV, 180.

[52] WAINWRIGHT, LA, VI, 79, 2.

[53] LIX, pl. IV, 617 ; pl. V ; pl. IV, 151.

[54] XX, fig. 231.

[55] LIX, 34 s., fig. 62, 1218 ; fig. 63, 1052-3.

[56] Ibid. ; cf. XVI, fig. 101, 99 a, 1.

[57] XVI, fig. 125 ; JUS, XXIV, pl. XIV, e ; LIX, 25, fig. 41 ; cf. XXV, 173-4.

[58] SETHE, IV, 906.

[59] Pap. Ebers, IX, 18.

[60] XXV, 202 ; XX, 710 ss.

[61] XXV, fig. 196-7 ; XX, fig. 537.

[62] SETHE, IV, 733,

[63] DE MOT, RA, 1905, I, 428.

[64] LXVII, fig. 485-6.

[65] FL. PETRIE, Illahun, 21 ss., pl. XXVI, 44 ; cf. XXI, pl. XIX, 1, et XXVIII ; XXX, 206, 208 ; XXIX, pl. XI, 56 ; LXVII, fig. 182 ; XXV, fig. 77, 161.

[66] LXIX, pl. I, 6.

[67] Έφ., 1887, l. c. ; 1891, l. c. ; BSA, VIII, 189, fig. 14-5 ; cf. XXV, fig. 170-2.

[68] JAL, 1899, II, 57 ; cf. XXV, 99, 163.

[69] XXV, 206-7.

[70] Cf. ibid., 161-3.

[71] Cf. ibid., 161-5, fig. 163.

[72] Cf. ibid., 99, 166.

[73] LXIV, fig. 35, XX, fig. 146.

[74] XXV, 104, 158-60.

[75] JHS, XXXI, 110 ss. ; XXV, 97, 105.

[76] XI, 249-50, fig. 179-80.

[77] XX, 104-5, fig. 93.4 ; XI, 237-9, fig. 169-71.

[78] BSA, XVIII, 95-7 ; cf. PERROT, t. III, fig. 555-6.

[79] XXV, 97, 105.

[80] LIX, pl. IV, 608, 617.

[81] XXXVII, fig. 83.

[82] XI, fig. 177-8.

[83] Cf. WELCH, BSA, VI, 117 ; BLISS-MACALISTER, Excav. ad Gezer, II, 155 ss. ; VINCENT, XC, 618 ss.

[84] POTTIER, CRAI, 1922, 77 ; Syria, 1922, pl. XLIV.

[85] XXV, 106.

[86] XX, 16.

[87] SETHE, IV, 733.

[88] Ibid., 718, 721, 732.

[89] IV, 261.

[90] KNUDTZON, op. cit., 513 ; BREASTED, IV, n° 403.

[91] MACALISTER, l. c. ; XC, 448.

[92] XI, fig. 210-1 ; XXV, 98,106.

[93] XXV, 103, 137.

[94] X, 271, fig. 158 ; 279 ; 353, fig. 281 ; cf. Έφ., 1899, pl. VIII, II ; XX, fig. 82.

[95] X, fig. 373 ; cf. XX, fig. 138-9.

[96] X fig. 376 ; BPI, XVII, 1 ss.

[97] ΑΔ, II, II, 15 ss. ; MA, XIV, 77 ss.

[98] STRABON, XIV, 2, 7 ; Chronique de Lindos, l. 17 ss.

[99] XXX. 4, 9, 75, pl. E 1-3.

[100] Ibid., 1-18, 80 ss., pl. I-XI ; POTTIER, Catalogue des vases du Louvre, I, 129-72 ; LXVII, fig. 465-7, 409, 471-4 etc. ; KINCH, Vroulia, p. 232 ss., 264 ss.

[101] XXV, 96 ; voir cependant XVII, 63.

[102] STRABON, XIV, 1, 6 ; PAUSANIAS, VII, 2, 5 ; voir WEIGAND, Abhandl. der Berl. Akad., 1908, 7 ss.

[103] Cf. CH. PICARD, Éphèse et Claros, 313 ss., 416 ss., 517 ss., 540 ss.

[104] PAUSANIAS, VII, 3, 7 ; cf. CH. PICARD, 430, 541.

[105] F. SARTIAUX, CRAI, 1921, 122 ; LXVII, fig. 489, 491.

[106] X, 287.

[107] LXXXVIII, fig. 199, 204, 210.

[108] X, 291, 287, 283-4, 296 ss.

[109] XXV, 96, 103.

[110] X, 284-7.

[111] X, fig. 377-8 ; cf. XL, pl. V, 24.

[112] LEONHARD, Hittiter, 203, 230.

[113] Cf. PIROUTET, An., 1917, 55 ss.

[114] CAVVADIAS, CRAI, 1909, 282 ss. ; 1911, 7 ss. ; Ηρ., 1912, 115 ss., 247 : VII, 356-73.

[115] DÖRPFELD, Briefe üb. Leukas-Ithaka ; VELDE, ZE, 1912, 852 ss. ; 1913, 1156 ss.

[116] Cf. PEET, LXVI, 135 ss., 184 ss., 217 ss. ; FIMMEN, XXV, 111.

[117] Cf. PEET, 423 ; EVANS, XVI, fig. 90.

[118] PEET, LA, III, 118 sa. ; MOSSIO, MA, XIX, 305 ss., pl. I-IV.

[119] BPI, XXVI, 285 ss. ; POTTIER, l. c., pl. XXIX, D 1.

[120] HÉRODOTE, VII, 170 ; STRABON, VI, 3, 2, 6 ; VIRGILE, Énéide, III, 409 ; PLINE, III, 102.

[121] CONWAY, BSA, VIII, 146, 156 ; FICK, XXII, 24 ; cf. VON SCALA, Hist. Zeitschr., CVII, 8 ss.

[122] ATHÉNÉE, XII, 24, p. 523 A ; COOK, TCHR, II, 187-9.

[123] Cf. DAWKINS, JUS, XXIV, 125 ss. ; EVANS, XVII, 95.

[124] CONWAY, l. c., 155.

[125] XV, fig. 13.

[126] [ARISTOTE], De mirab. ausc., 82.

[127] LXVI, 135 ss. ; cf. XXV, 109.

[128] LXVI, 217.

[129] X, fig. 376 ; XX, fig. 3.

[130] Voir PARETI, Studi Siciliani e Italiote, 325 ss. ; PEET, LXVI, 425, 434, 439, 474, 479, 490.

[131] XVI, 498, 503-4 ; VIII, II, 199, 214, cf. 76-7.

[132] EVANS, XVI, 497 ss. ; XVII 96 ; PEET, LXVI, 463 ss. ; BUTHE, Rhein. Mus., 1910, 206 ss. ; VON SCALA, l. c., 17 ss.

[133] Cf. XXV, 110-1.

[134] XVI, 498-9.

[135] Chronique de Lindos, l. 27 ; HÉRODOTE, l. c. ; ARISTOTE, Politique, II, 7, 2. Cf. PARETI, op. cit., 261 ss. ; PAIS, Stor. di Sic., 231 ss. ; Studi storici, 1908, 562 ss.

[136] M. MAYER, Die Insel Malta im Alt., 59 ss. ; PEET, LXVI, 22-3.

[137] XX, 23, 86-7, fig. 55 c.

[138] BPI, XXX, 91 ss. ; XXX, fig. 27.

[139] SIRET, Les premiers âges du métal dans le S.-E. de l’Espagne ; P. PARIS, Essai sur l’art et l’industrie de l’Espagne primitive, t. II, 1 ss. ; DÉCHELETTE, VIII, II, 78-84, 786 ; cf. EVANS, XVII, 96-100 ; DUSSAU, XI, 212 ss.

[140] EVANS, XX, fig. 352.

[141] POTTIER, CRAI, 1909, 990 ss. ; cf. EVANS, XVII, l. c.

[142] RA, 1897, II, 338 ss. ; P. PARIS, op. cit., I, 167-8. DÉCHELETTE, l. c., fig. 25 ; cf. EVANS, l. c., 97-8.

[143] XVII, fig. 44, table VIII.

[144] VII, 4, 5-7 ; VIII, 35, 22 ; II, 14, 5 ; I, 21, 4 ; IX, 3, 2 ; 4, 5-7 ; X, 17, 4.

[145] MASPERO, Hist. anc. des peuples de l’Orient classique, II, 432.