LA CITÉ GRECQUE

PREMIÈRE PARTIE. — LA CITÉ ARISTOCRATIQUE.

CHAPITRE PREMIER. — LA CITÉ HOMÉRIQUE.

 

 

I. — LES CADRES DE LA CITÉ.

Dans les temps homériques, comme on l’a vu, les petits pays dont se compose la Grèce forment chacun une cité. Le mot de dèmos en désigne soit le territoire, soit la population et ne sert que rarement à opposer la multitude à la classe dominante[1].

Ce qui compte dans la cité, c’est le chef-lieu, la polis ou l’asty, et, comme l’un ou l’autre de ces termes s’applique au pays entier, les citoyens sont dits tantôt astoi[2], tantôt politai[3]. La cité homérique a donc généralement pour centre une place forte où résident les principaux chefs et qui offre un refuge au gros de la population en cas d’alarme.

Mais le reste du pays renferme des bourgades plus ou moins importantes. Elles portent, elles aussi, le nom d’asty ou de polis. On est surpris de constater qu’il n’y a point dans l’épopée de mot pour désigner les villages et les hameaux, quand on sait pourtant que la Grèce renferma toujours des régions dépourvues de toute autre agglomération, c’est-à-dire habitées par cômai (κατά κώμας)[4]. On dirait que le poète hésite devant un terme vulgaire et ne veut chanter que les héros venus de lieux illustres ; peut-être même ne connaît-il bien que l’Asie Mineure, où les propriétaires sont réunis dans des centres considérables et font cultiver leurs champs par des tenanciers ou des serfs dispersés dans la banlieue. Quoi qu’il en ait, il laisse pourtant entrevoir dans la cité, à l’ombre de la ville principale, une masse confuse de petits bourgs. Ce nom d’asty, qui est donné aux villes les plus célèbres, s’applique également aux nombreuses localités (άστεα πολλά) de telle région purement rurale[5]. La Crète est filé aux quatre-vingt-dix ou aux cent villes ; mais, de bien peuplées, le poète en nomme seulement sept[6]. Même les villes bien peuplées, que sont-elles le plus souvent à cette époque ? Agamemnon promet d’en donner sept en dot à sa fille ; mais elles sont toutes situées près de la sablonneuse Pylos, au milieu des pâturages et des vignobles[7]. Ménélas songe à faire évacuer une ville de Laconie pour y établir Ulysse avec ses gens[8] ; là encore il ne peut s’agir d’un centre bien important. Bref, la capitale, oh brillent au premier plan les chefs des grandes familles, est entourée de bourgs, de villages ou de hameaux en grand nombre, où vivent plus ou moins obscurément les familles moindres.

A l’époque où elle est arrivée à son plein développement, la cité homérique comprend trois classes sociales : les nobles, les démiurges et les thètes.

Les nobles appartiennent aux familles qui descendent des dieux : ils sont les fils, les nourrissons de Zeus. Chacun d’eux conserve avec soin la généalogie qui fait son orgueil ; toute occasion lui est bonne pour étaler d’un ton glorieux la liste des ascendants qui le font remonter à l’ancêtre divin. Mais déjà la richesse compte autant que la pureté du sang. Quand il a fini d’énumérer ses aïeux, le héros homérique cherche à éblouir son interlocuteur par l’inventaire de ses biens. Il possède de belles terres à blé, des coteaux couverts de vignobles, des herbages où les bœufs et les chevaux paissent par milliers, de vastes pâtis où pullule le petit bétail. Dans son trésor s’alignent les pithoi de vin fin et d’huile parfumée, les lingots de brame et de fer, les coffres remplis de vêtements brodés, de coupes précieuses et d’armes damasquinées. Il se plaît à faire montre de sa force, soit qu’il exécute des razzias nu des représailles par terre ou par mer, tuant les hommes, enlevant les femmes et les bestiaux, soit qu’il lance son char sur le front d’une armée en bataille, saute à terre, et, tout couvert de bronze, debout derrière un bouclier planté comme une tour, l’épée au côté, le javelot au poing, l’injure à la bouche, attend qu’un adversaire digne de lui ose l’affronter, Entre temps, il aima à étaler son opulence et à jouir de son prestige : il se rend au palais du roi pour les séances du Conseil et les festins ; il se tient sur l’agora, prêt à donner son avis sur les différends entre citoyens ; il est au premier rang les jours de fête où les sacrifices, les libations et les banquets sont suivis de chants, de danses et de jeun. En vérité, la vie est belle pour les grands, pareille à celle des immortels dent ils sont issus.

Elle est dure, au contraire, pour ceux qui ne font point partie de leurs génè. Il ne s’agit point des esclaves : ce ne seront jamais que des instruments animés, dont le maître fait ce qu’il veut et dont la cité n’a pas à s’occuper ; ils sont, d’ailleurs, peu nombreux encore. Nous ne parlons ici que des hommes libres. Quelques-uns d’entre eux sont parvenus à défricher un lopin de terre à la sueur de leur front. Les plus heureux sont ceux qui, à force de défoncer le sol, de le fumer et de l’irriguer, arrivent à faire fructifier un verger pareil à celui du vieux Laërte. D’autres, établis dans un coin de la montagne, peuvent bien se constituer une famille ; mais, réduits à manger plus souvent des bettes que du pain blanc ou de la bouillie d’orge, ils ont garde de mettre au monde plus d’un fils. Il en est qui possèdent à peine de quoi entretenir l’unique serviteur qui leur vient en aide[9]. Et ceux qui n’ont pas de terre du tout’ Il y en a, dans le nombre, qui arrivent à se faire une situation sortable. Le génos rie peut pas toujours se suffire. Il existe donc, surtout dans les grands centres, des gens de métier qui travaillent pour le public, des démiurges. La profession qu’ils exercent est presque toujours héréditaire, parce que, de père en fils, il n’ont pas d’autre moyen d’existence et qu’une division du travail très rudimentaire ne leur laisse pas grand choix. Les uns entrent dans ce qu’an pourrait appeler les carrières libérales : ils sont les devins, les hérauts, les médecins et les chanteurs. Les autres travaillent comme artisans ; ils se distinguent d’après la matière première qu’ils emploient, à savoir les charpentiers qui joignent le travail de la pierre à celui du boisa les corroyeurs, les forgerons et les potiers. La plupart d’entre eux sont établis dans leurs villes, où les métiers manuels se concentrent autour du marché. Certains de ces démiurges acquièrent une belle réputation ; les plus experts passent pour inspirés des dieux. Ils sont quelquefois attirés en pays étranger par une riche commande et peuvent parvenir à une certaine fortune. Mais ils se sentent toujours les inférieurs des propriétaires fonciers : même le devin Calchas, qui fréquente chez les rois, reconnaît qu’il est un homme de peu.

Reste la multitude des gens qui ne possèdent pas de terre et qui n’ont pas de métier qualifié. Ceux-là vivent comme ils peuvent. Les paresseux vont mendier de porte en parte ou se postent au seuil d’une bonne maison où l’on banquette souvent. Les travailleurs acceptent la condition de thèles, de mercenaires. Ils se louent à gages. Quand c’est à long terme, ils sont logés, nourris et habillés tant bien que mal. Quand c’est pour une tâche déterminée, ils obtiennent un salaire en nature, prélevé le plus souvent sur le produit même de leur travail. Mais ils ont beau être des hommes libres, ils ne jouissent d’aucune sécurité. Par cela même qu’ils ne font point partie d’un génos, ils n’ont pas de place dans les cadres de la cité : quand on est sans foyer (άνέστιος), on est sans phratrie (άφρήτωρ), privé de la protection qu’assure à un homme la thémis (άθέμιστος), dépourvu de toute valeur sociale et, par conséquent, de tout droit (άτίμητος)[10]. Le thète est lié par un contrat qui ne lie point l’employeur : son travail achevé, il peut se voir refuser le salaire promis ; il arrive qu’il soit jeté dehors, roué de coups, menacé d’être vendu comme esclave. Quiconque n’est pas soutenu par un génos n’a aucun recours contre l’injustice.

La cité homérique, en effet, n’est pas l’assemblage confus de tous les individus qui habitent dans le même pays ; elle est un ensemble de génè, de phratries formées par des génè, de tribus formées par des phratries. Elle comprend, non pas indistinctement tous ceux qui ont un domicile dans les limites territoriales de la cité, mais seulement ceux qui font partie des sociétés fermées qui la composent. Elle n’a rien à voir avec des hommes isolés. Elle a pour cadres des sociétés qui rentrent les unes dans les autres et qui existaient avant elle. Pour compter parmi les citoyens, il faut d’abord appartenir à un groupe de frères (κασίγνητοι), c’est-à-dire de parents, à quelque degré que ce soit, qui se soutiennent dans toutes les circonstances de la vie ; il faut ensuite s’appuyer sur un groupe de compagnons (έται) unis en vertu d’une parenté fictive par les obligations réciproques d’une solidarité plus large[11]. La grande communauté n’a de vie que par les petites communautés d’origine gentilice qui lui ont donné naissance.

Dans une cité de ce genre, il n’y a d’administration possible que par l’intermédiaire des tribus, des phratries et, finalement, des génè.

Pour recruter l’armée, on demande à chaque père de famille de fournir, sans peine d’amende sauf rachat, un homme qu’il choisit comme bon lui semble : un Myrmidon tiré au sort entre ses sept fils pour savoir lequel partira[12]. Pour constituer les unités de cette armée, on réunit les compagnons classe par classe, et dans ces compagnies les έται se donnent entre eux le nom de έταΐροι[13]. Pour ranger les troupes en bataille, on les groupe par phratries et par tribus. C’est une règle que Nestor rappelle à Agamemnon : Dispose les hommes par tribus et par phratries, pour que la phratrie prête main-forte aux phratries et la tribu aux tribus[14]. Aussi le mot phylopis, qui signifiait à l’origine cri de guerre lancé par la tribu, est-il couramment employé pour désigner le tumulte de la mêlée ou même la foule des combattants[15].

Même principe pour l’organisation de la tzarine. Quand on parcourt dans l’Iliade le Catalogue des vaisseaux, on a constamment l’impression que les navires et les guerriers qui les montent sont en rapport numérique, soit avec les villes placées sous le commandement des chefs, soit avec les subdivisions des cités. Rhodes, habitée par les Doriens τριχάΐκες[16], comprend trois grandes villes, dont chacune est partagée en trois tribus : elle est représentée par neuf navires[17]. Il en vient quatre-vingt-dix de Pylos. Comme pour expliquer ce nombre, le poète nomme neuf localités ; mais elles sont d’importance trop inégale pour devoir le même contingent. La véritable explication se trouve dans un passage de l’Odyssée qui représente les Pyliens assemblés sur neuf gradins. Chacune de ces neuf sections contribue au sacrifice public en offrant le même nombre de victimes ; chacune contribue donc aussi à la levée de la flotte en armant le même nombre de bâtiments[18]. Dans les cas où l’on n’a besoin que d’un seul navire, le système ne change pas ; la charge des groupes consiste alors à fournir des hommes pour l’équipage. Quand Alkinoos fait mettre à la mer la nef qui doit rapatrier Ulysse, il annonce que les rameurs seront recrutés dans le peuple (κατά δήμον) au nombre de cinquante-deux. Pourquoi ce nombre ? C’est qu’à Schérie il y a treize rois, treize chefs : chacun d’eux doit quatre hommes[19].

Les autres prestations sont toutes réparties de la même façon. On a vu qu’à Pylos les frais des fêtes incombent également aux neuf sections du peuple. Pour se procurer leks présents dont il veut gratifier Ulysse, Alkinoos demande à chaque roi d’apporter un manteau, un chiton et un talent d’or fin, puis encore un grand trépied et un bassin ; mais il ajoute que chacun d’eux récupérera cette avance sur tout le peuple (toujours κατά δήμον)[20]. Ainsi, toutes les administrations publiques, qu’il s’agisse de l’armée, de la marine ou de ce qu’il faut bien appeler les finances, respectent les groupements naturels sans lesquels la cité n’existerait pas.

Tous les chefs, ceux des génè, des phratries et des tribus comme celui de la cita, portent le titre héréditaire de roi (βασιλεύς). C’est un roi aussi, ce propriétaire qui assiste à la récolte, debout sur un sillon, le sceptre en main, et fait préparer par ses hérauts le repas des moissonneurs[21]. Du plus grand au plus petit, ces rots sont fils et nourrissons de Zeus (Διογενέες, Διοτρεφέες)[22] : une naissance divine leur confère le droit au sceptre[23], insigne sacré des prêtres, des hérauts et des devins. Ils sont les seigneurs (άνακτες), les anciens (γέροντες), les guides et conseillers (ήγήτορες ήδέ μέδοντες). Comme ils représentent des groupes subordonnés les uns aux autres, ils forment tout naturellement une hiérarchie de suzerains et de vassaux, une sorte de féodalité, La royauté est donc susceptible de degrés : ils sont tous rois, mais l’un plus que l’autre (βασιλεύτερος)[24], et un seul par-dessus tous (βασιλεύτατος)[25]. On voit assez clairement à Schérie comment est organisé un pareil régime. Le roi Alkinoos y apparaît entouré de ses douze pairs. Il a beau dire d’un ton modeste : Douze rois éminents commandent le peuple, et je suis le treizième[26] ; en réalité, il est le premier, le seul qui donne des ordres, parce qu’il est celui qui porte le titre de Puissance sacrée (ίερόν μένος Άλκινόοιο) et qui se fait écouter comme un dieu[27]. Mais, s’il associe à son autorité les chefs les plus puissants, les rois des tribus, il a encore besoin, pour assurer l’exécution des mesures concertées avec eux, de convoquer des gérontes plus nombreux, les simples chefs des génè[28].

II. — LE ROI.

Le roi de la cité, le roi des rois, est donc celui dont l’origine céleste est le mieux établie. Tout le monde connaît sa généalogie. Agamemnon et Ménélas descendent de Zeus par Tantale, Pélops et Atrée ; Achille, par Aiacos et Pélée ; Ulysse, par Arkeisios et Laërte ; Idoménée, par Minos. D’autres ont pour ancêtre Apollon, comme Ajax, ou Poseidon, comme Nestor et Alkinoos. Un roi incarne toute la puissance d’un dieu. Dans certains États, on admet que cette force surnaturelle s’épuise à la longue ; elle a besoin d’être renouvelée : tous les neuf ans, en Crète, Minos devait entrer dans la grotte de Zeus pour lui rendre compte de sa gestion et se faire investir pour une nouvelle période[29] ; tous les neuf ans, à Sparte, les éphores vont, par une nuit claire et sans lune, s’asseoir en silence, les yeux fixés sur le ciel, et, s’ils voient une étoile filante, c’est signe que les rois ont commis quelque faute envers les dieux et qu’il faut les déclarer déchus[30]. Mais, le plus souvent, le roi exerce un pouvoir viager et le transmet à l’aîné de ses fils[31]. Même à une époque où la royauté périclite, les prétendants d’Ithaque ne contestent pas le droit héréditaire de Télémaque[32] ; ils cherchent seulement à se débarrasser de lui et ne voient qu’un moyen pour prendre sa place, se rattacher à la dynastie éteinte en épousant la femme du dernier roi. A défaut de fils, c’est la fille du roi qui doit perpétuer la lignée. Elle est l’épiclère, celle qui n’hérite pais, mais qui procrée l’héritier. Pour que le sang reste pur, elle s’unit au plus proche parent mâle de son père. Alkinoos, par exemple, devient roi de Schérie en épousant sa nièce Arètè, fille de son frère et prédécesseur Rhèxènôr[33]. C’est seulement dans les pays d’Asie qu’un roi peut choisir pour gendre et successeur un prince étranger ; encore faut-il que le héros se soit désigné par des exploits merveilleux comme rejeton d’un dieu[34].

Si tous les rois sont porte-sceptre (σκηπτοΰχοι), le roi de la cité l’est éminemment ; car son insigne est celui-là même qui tenait le grand dieu, ancêtre de la dynastie. Le sceptre à clous d’or qui brille aux mains d’Agamemnon a une histoire qui le rend auguste : fabriqué par Hèphaistos, il a été transmis par Zeus à Hermès et par Hermès aux Pélopides[35]. Il est la volonté visible d’un dieu, ce bâton qui soumet le peuple au roi : il désigne aux yeux de tous l’homme à qui Zeus, en sa sagesse, a donné une τιμή, une dignité surhumaine, avec la grandeur d’âme qu’elle exige[36].

Le roi des rois a donc reçu de Zeus le droit de représenter la cité en toute circonstance. A errai dire, la cité c’est lui, comme le dira un jour Eschyle : σύ τοι πόλις, σύ δέ τό δήμιον. Il a la souveraineté et la force, et le droit d’agir et de parler[37].

Il est, avant tout, le chef religieux, le grand-prêtre. Qui pourrait, mieux que lui, communier au nom de tous avec les divinités, obtenir leurs faveurs et conjurer leur colère ? De sa propre maux, il accomplit les sacrifices, coupe les poils sur la tête des victimes pour les distribuer à l’assistance ou les jeter au feu, répand l’eau lustrale et l’orge sacrée ; il récite la prière et préside aux apprêts des repas rituels[38]. Son palais est le prytanée ; son foyer est le foyer public autour duquel les chefs de la communauté viennent assister aux offrandes qui préludent aux délibérations en commun ou à la réception des hôtes illustres[39]. Médiateur des hommes auprès des dieux, le rai est aussi le représentant des dieux parmi les hommes. Avec le sceptre, il a reçu la connaissance des thémistes, ces inspirations surnaturelles qui permettent d’aplanir toutes les difficultés et, spécialement, de rétablir la paix intérieure par des paroles de justice[40]. Selon qu’il remplit bien ou mal sa mission, soit qu’il sache ou qu’il ignore ce qui se doit (τά αΐσιμα), le royal magicien fait le bonheur ou le malheur de son peuple.

Lorsqu’un roi irréprochable et craignant les dieux maintient la bonne justice, la terre noire est fertile en blés et en orges, les arbres sont chargés de fruits ; les brebis mettent bas constamment, la mer abonde en poissons ; tout prospère quand la conduite est bonne, et le peuple est heureux[41].

En temps de guerre, bien plus encore qu’en temps de paix, le roi est le grand chef. Alors surtout il porte le titre dont était déjà revêtu, d’après un document hittite, un Atride du XIIIe siècle, le titre de koiranos[42]. C’est qu’alors surtout le partage du commandement (πολυκοιρανίη) n’est pas une bonne chose : il faut un seul koiranos, un seul roi, celui qu’a désigné le fils de Cronos[43]. Si pourtant il est trop vieux pour faire campagne, il délègue ses pouvoirs à son futur successeur[44]. A l’armée, le roi suprême peut bien réunir dans sa tente, en conseil de guerre, les rois qui lui sont subordonnés, comme il les réunissait naguère dans son palais ; mais, une fois qu’ils crut parlé, c’est lui qui décide. Il fixe le dispositif de combat, assigne sa place à chaque unité, choisit les chefs de corps[45]. Pour faire exécuter ses ordres, il exerce sa thémis dans l’agora du camp ; il a droit de vie et de mort sur tous : le guerrier désobéissant ou lâche n’est pas sûr d’échapper aux chiens et aux vautours[46]. Nul autre que le roi ne peut traiter avec l’ennemi et, d’une façon générale, avec l’étranger : il reçoit les hérauts et les ambassadeurs envoyés dans son camp ou dans sa ville, écoute leurs propositions, leur fait connaître sa réponse, et, si un accord est conclu, offre le sacrifice et prête le serment qui le consacre[47].

Il est juste que le chef à qui incombe la lourde tâche de veiller sur la cité jouisse de privilèges spéciaux. Il porte des vêtements de pourpre ; il occupe la place d’honneur dans les cérémonies, ouvre la marche dans les cortèges. A lui les coupes toujours pleines et la plus belle part dans la viande des victimes, à moins qu’il veuille en faire honneur à l’un de ses convives[48]. Mais il a besoin de prérogatives plus substantielles. N’est-ce pas lui qui fart les frais des sacrifices, des libations offertes aux dieux, des repas où sont invités les grands et les étrangers de marque ? Comme un dieu, il possède un domaine découpé dans les terres communales, un téménos, moitié en champs de blé, moitié en vignes[49] ; il n’a, d’ailleurs, que la jouissance de ce domaine, qui n’est pas englobé dans ses biens patrimoniaux[50]. Comme un dieu, il perçoit des dons et des droits dits thémistes, sous forme d’animaux domestiques, sans préjudice de la contribution qu’il fait lever par ses gérontes en cas de dépenses extraordinaires pour la réception d’un hôte public : on voit, par exemple, un homme de Sicyone fournir à Agamemnon un cheval de course, pour se faire exempter du service militaire[51]. Il prélève même des droits de douane sur les marchandises importées : c’est en ce sens qu’il faut comprendre le passage de l’Iliade où l’on voit un Lemnien arrivé avec une cargaison de vin en offrir mille mesures à Agamemnon et à Ménélas avant de mettre le reste en vente[52]. Enfin, dans le partage du butin, le roi fait comme tout chef de pirates : il prélève d’abord le γέρας, sa part de chef, qui lui est acquise même quand il ne donne pas en personne et qui peut s’élever à la moitié ; il reçoit ensuite la μοΐρα, sa part de combattant[53]. Télémaque a vraiment raison quand il déclare avec une naïveté charmante : Il ne fait pas mauvais d’être roi[54].

Ce roi féodal n’exerce pourtant qu’une souveraineté patriarcale, pareille à celle dont il a hérité sur son domaine propre. L’idéal, pour lui, est de se conduire en bon père[55]. Les régisseurs de ses terres ne sont pas de hauts magistrats, mais des domestiques. Ulysse a pour comes stabuli, si l’on peut dire, un ancien esclave, Eumée : le divin porcher est, révérence parler, un chef (όρχαμος άνδρών), tout comme son maître Ulysse. Il a sous son commandement, pour garder un cheptel de sept à huit mille têtes, tout un personnel soigneusement hiérarchisé de bouviers, de bergers, de porchers, de chevriers et de simples valets[56]. Mais le roi, en son palais, n’a pas seulement une nombreuse domesticité de naissance libre ou servile ; il a encore une maison recrutée dans les familles nobles du pays, les thérapontes, c’est-à-dire les servants ou écuyers. Ils portent un titre officiel et demeurent au palais même ou dans le voisinage[57]. Leurs fonctions sont d’importance inégale. Aussi les thérapontes sont-ils subordonnés les uns aux autres : derrière des personnages connus par leur non et le nom de leur père, il en est d’anonymes, employés à des tâches subalternes. Voyez, dans l’Iliade, l’entourage d’Achille : Phoinix est chargé de lui enseigner l’art de la guerre et le beau langage ; Patrocle est son second, il donne des ordres au chef des écuries Automédon, et il a lui-même des thérapontes attachés à sa personne. Voyez, dans l’Odyssée, la cour de Ménélas son premier écuyer, Étéôneus, est à la tête de tout un service[58].

Au premier rang des thérapontes se placent ceux qui assistent le roi dans ses fonctions religieuses et participent de son caractère sacré, les hérauts. Messagers de Zeus et des hommes, ils sont divins, chers aux dieux, honorés entre tous par les chefs les plus puissants. Le sceptre qu’ils portent atteste la sagesse qu’ils ont reçue d’en haut[59], Leur rôle est considérable, parce qu’ils sont les ministres du roi dans toutes les circonstances de la vie publique. lis l’aident à offrir les sacrifices et les libations et font le service des repas qui en sont la suite, versant de l’eau sur les mains des convives distribuant à chacun sa juste part[60]. Lorsqu’ils ont à remplir une mission, nul, quel que soit son rang n’ose leur désobéir[61]. Ils convoquent le Conseil[62]. Chargés des proclamations au peuple[63], ils convoquent aussi l’Assemblée, y maintiennent l’ordre et le silence, y remettent leur sceptre aux orateurs pour les rendre inviolables[64]. Ils assistent les anciens qui vident un différend dans l’agora : ils calment les passions surexcitées et passent leur sceptre aux juges parlant à tour de rôle[65]. A l’armée, ils portent les messages importants et donnent le signal du combat[66]. Leur puissance sacro-sainte s’impose même aux étrangers, même aux ennemis. Chaque fois qu’Ulysse envoie des explorateurs en pays inconnu, il leur adjoint un héraut. Dans la guerre de Troie, les hérauts des belligérants vont sans crainte d’un camp à l’autre comme ambassadeurs ou comme parlementaires, et leur intervention est nécessaire pour consacrer les traités. En pleine mêlée, il leur suffit d’étendre leur sceptre entre deux combattants pour arrêter le duel[67]. — Ce qu’étaient les hérauts à l’époque homérique, ils le sont toujours demeurés. Comment se fait-il donc que, leur situation morale restant intacte, leur situation sociale ait décliné ? C’est que leur fonction resta spécialement, exclusivement religieuse. Quand le grand-prêtre dont ils étaient les acolytes cessa d’être le véritable maître de l’État, ils ne furent plus occupés qu’à mener les victimes à l’autel, à mélanger le vin et l’eau dans les cratères, à nettoyer les tables de banquets, à laver les mains aux convives, à leur servir la viande et le pain[68]. Ils eurent beau passer au service de la cité, devenir des démiurges[69] ; lors même qu’une famille de hérauts se constituait en caste héréditaire, comme les Talthybiades de Sparte et les Kèrykes d’Éleusis, elle fut incapable de transformer une dignité quasi sacerdotale en une magistrature politique.

Il n’en fut pas de même des autres thérapontes. Sans doute, sous un régime de monarchie patriarcale, leur charge a un caractère domestique. West là ce qui frappe les regards. Au palais, le thérapôn en chef fait surtout office d’échanson, d’écuyer tranchant et de maréchal des écuries. Patrocle verse à boire, fait la cuisine après le sacrifice, découpe les viandes et les sert aux convives, sans oublier d’en offrir les prémices aux dieux[70]. En campagne, les servants du roi rivalisent de bravoure pour lui faire honneur[71]. Les plus humbles aident leur maître à revêtir son armure, emmènent les hommes qu’il a faits prisonniers, dépouillent les ennemis tombés sous ses coups et, s’il est blessé, le pansent et le gardent[72]. Les fils de grandes familles prennent soin de ses chevaux et de son char. Le plus distingué de tous lui sert de cocher : il le mène sur le front et se tient à l’écart pendant la bataille, prêt à le ramener au camp[73]. Tel est le rôle dont s’enorgueillit le célèbre Automédon[74]. Mais on voit qu’à l’occasion la charge du premier thérapôn est susceptible de se relever singulièrement. Patrocle, ce serviteur d’Achille, n’en est pas moins son intime ami qui l’aide à recevoir ses hôtes, son homme de confiance qu’il désigne comme tuteur de son fils en cas de malheur[75]. Qu’un roi, pour cause de vieillesse ou pour tout autre motif, ne veuille pas se mettre en personne à la tête de ses troupes, il donne son armure à l’un de ses thérapontes et lui remet par là le commandement en chef[76]. Comme dans toutes les monarchies patriarcales, des fonctions domestiques aux fonctions publiques il n’y a qu’un pas.

III. — LE CONSEIL.

Si puissant qu’apparaisse à certains moments le roi, nous savons cependant qu’il ne peut rien sans les chefs des groupes qui composent la cite. Ils forment le Conseil, la Boulé, dont il est toujours entouré. Par rapport au roi suprême, les autres rois sont les conseillers, βουληφόροι. Comme ils tiennent leur titre de la puissance viagère qu’ils exercent chacun dans son génos, dans sa phratrie, dans sa tribu, on leur donne aussi le nom d’anciens ou anciens du peuple, γέροντες ou δημογέροντες : ce qui signifie qu’ils sont des hommes âgés pour la plupart, mais non pas tous nécessairement. La séance du Conseil ou thôcos s’appelle aussi, d’un nom plus général, agora ; car ce mot, avant d’être appliqué à la place où se tenaient les assemblées du peuple, désignait n’importe quelle réunion. Aussi les conseillers sont-ils essentiellement les hommes de l’agora, les άγορηταί[77].

Le Conseil se réunit sur l’initiative et par les soins du roi. Selon les affaires à traiter, la convocation s’adresse aux chefs de rang supérieur ou à tous les chefs. En levant une séance en Conseil étroit, où il n’avait avec lui que ses douze pairs, Alkinoos décide qu’on reprendra la délibération le lendemain avec les gérontes en plus grand nombre[78]. Legs réunions ont ordinairement lieu dans le palais du roi ou sur surf navire[79] ; il arrive cependant une fois dans l’Iliade qu’on délibère prés du navire de Nestor, et l’on voit dans l’Odyssée un cas exceptionnel où Alkinoos, au lieu de convoquer les rois phéaciens chez lui, est lui-même convoqué par eux hors de sa demeure[80].

Ce qui montre bien que le palais du rai est à l’origine l’édifice appelé plus tard Prytanée on Bouleutérion, c’est que toute séance de la Boulé y commence par un repas et que les grands y peuvent venir toute l’année (έπηετανόν) pour boire et manger[81]. Une invitation à dîner équivaut à une convocation du Conseil[82]. Les conseillers ont le titre quasi officiel de convives (άνδρες δαιτυμόνες), et le vin des gérontes (γερούσιος οΐνος) fait partie de leur prérogative (γέρας γερόντων)[83]. Quand ils ne siègent pas, leurs coupes et leurs tables encombrent le vestibule du palais[84] ; quand ils entrent en séance, tout ce matériel est transporté dans la grande salle dans le mégaron. Là se trouve le foyer, foyer du roi et tout ensemble foyer de la cité, devant lequel s’accomplissent les libations qui préludent au repas. Le long des murs sont rangés les trônes où les rois prennent place pour manger et pour délibérer ensuite[85]. Au centre, à la place d’honneur, se tient le roi. C’est lui qui fait les frais de ces perpétuels banquets : n’a-t-il pas les récoltes de son téménos et les dons et thémistes dont il bénéficier ? Il ne fait que remplir un service d’État. Boire le vin des gérontes, c’est, au fond, boire aux frais du peuple (δήμια πίνειν)[86]. On comprend un peu qu’en l’absence d’Ulysse les petits chefs d’Ithaque considèrent sa maison comme la leur.

Le repas achevé, le rai ouvre la délibération en exposant le motif de la réunion ou en donnant la parole au chef qui a un rapport à présenter[87]. Mais cette formalité est superflue quand l’ordre du jour est connu d’avance. En ce cas, les gérontes n’attendent pas d’être consultés. La bienséance exige que le plus âgé parle le premier : c’est le privilège de Nestor dans le conseil des Achéens, et d’Échénèos dans celui des Phéaciens ; Diomède s’excuse de se mettre en avant, quoique étant le plus jeune, et croit utile d’expliquer son intervention par sa naissance et sa richesse[88]. L’orateur, quel qu’il soit, le président comme les autres, se lève pour prendre la parole[89]. Les assistants donnent à l’occasion des marques d’approbation[90]. Ils ne votent pas. Le roi décide seul, dans la plénitude de sa souveraineté. Nestor sait fort bien qu’il ne peut qu’offrir ses conseils ; il s’en explique lui-même :

Illustre Agamemnon, roi des hommes, tu seras le premier et le dernier objet de ce discours ; car tu es roi de peuples nombreux, et Zeus t’a octroyé le sceptre et les thémistes, pour que tu disposes d’eux. Tu dois, plus qu’un autre, opiner et écouter, afin de mettre à exécution l’avis de celui à qui son esprit inspirera de parler pour le bien commun ; à toi de décider ce qui doit prévaloir[91].

Si les gérontes n’ont que voix consultative au Conseil, il semble du moins que leurs attributions s’étendent à toutes les affaires d’importance. Ils suivent le roi à l’Assemblée[92] et y occupent des places réservées[93]. Ils peuvent user d’initiative, pour faire offrir un téménos au prince[94]. Ils ont un rôle à jouer dans tout ce qui concerne les relations extérieures. Le roi ne manque pas de les convoquer pour recevoir un licite de distinction et les met au courant de ses intentions quand il veut lui offrir des présents et le faire rapatrier sur un navire de l’État ; il les charge d’assurer, chacun dans son groupe, l’exécution des mesures arrêtées, recrutement de l’équipage, recouvrement des frais[95], etc. Il se concerte avec eux pour l’envoi d’une mission diplomatique à l’étranger[96]. En campagne, ils forment tout naturellement le conseil de guerre et interviennent e0bctivement dans la conduite des opérations[97]. Ils contribuent à parfaire un traité par leur serment, le γερούσιος όρκος[98].

Outre les attributions qu’ils exercent sous l’hégémonie du roi, les gérontes en ont une qu’ils peuvent exercer en dehors de sa présence. Habitués à juger souverainement dans leur génos, ils se désignent comme les arbitres naturels des conflits qui surgissent entre les membres des génè différents. Ils ont reçu, comme le roi lui-même, le secret des thémistes en même temps que le sceptre. De ces thémistes ils peuvent, eux, les boulèphores, faire usage en toute occasion, puisque aussi bien les thémistes sont, à l’égal des oracles, les boulai de Zeus[99]. C’est par eux que peu à peu les principes de la thémis familiale pénètrent dans les coutumes de la dikè interfamiliale. Non qu’il y ait une juridiction obligatoire : chacun reste libre de défendre sa personne et ses biens avec l’aide de ses parents ; nulle autorité ne peut porter atteinte au droit primordial de vengeance et de transaction privées, pas même peur porter secours à l’orphelin[100]. Mais les parties qui sont aux prises peuvent, d’un commun accord, s’adresser aux gérontes. Ils sont là pour calmer les passions et rétablir la paix par un de ces adages qu’ils ont appris de leurs pères et qui expriment la sagesse divine dans le langage des hommes. Les voici à l’œuvre dans une scène prise sur le vif[101]. A l’agora, la foule se rassemble : une querelle vient d’éclater. Deux hommes se disputent à propos d’un meurtre : l’un déclare avoir payé le prix du sang, l’autre nie l’avoir reçu. Ils conviennent de s’en rapporter à l’arbitre. Chacun a ses partisans, qui l’encouragent de leurs cris. Les hérauts les maintiennent à distance. Les gérontes sont assis sur les bancs de pierre polie, dans le cercle sacré. L’un après l’autre, ils se lèvent, prennent en train le sceptre que leur tend un des hérauts et proposent une sentence, jusqu’à ce qu’il s’en trouve une qui apparaisse la plus droite et qui vaille à son auteur les deux talents d’or déposés par les parties comme frais de justice.

Longtemps les arbitrages de ce genre furent assez rares : le roi trouvait donc le temps de présider le tribunal, et c’est lui dont les thémistes attiraient sur la cité les bénédictions du ciel. Maïs les progrès de l’État aux dépens du génos et le développement économique de la Grèce entière multiplièrent les litiges soumis aux gérantes. Il fallait dés lors siéger du matin au soir[102]. Le roi, même s’il l’avait voulu, n’aurait pu suffire à la tâche. Legs gérontes, ou du moins ceux d’entre eux à qui elle agréait le plus, recevaient maintenant le nom de juges (δικασπόλοι). Ils touchaient les consignations des plaideurs, assistaient aux festins de réconciliation[103]. La justice devenait un métier. Les rois devenaient les mangeurs de présents qui feront le désespoir d’Hésiode. Ils accommodaient leurs sentences à leurs intérêts. Et c’est ainsi qu’au tableau des bienfaits répandus par l’équité du roi s’oppose la peinture des calamités déchaînées par l’injustice des gérontes :

Quand le courroux de Zeus sévit contre les hommes qui abusent de leur pouvoir à l’agora en prononçant des thémistes torses et qui bannissent la dikè sains souci de la vindicte divine, alors tous les Fleuves débordent, les torrents déchirent partout les pentes, précipitent leurs flots à grand bruit des monts à la mer et détruisent les travaux des laboureurs[104].

IV. — L’ASSEMBLÉE.

Après avoir consulté les gérontes, le roi a besoin d’annoncer au peuplé les résolutions qu’il a prises et de connaître ses dispositions. Outre l’opinion du Conseil, il y a celle du démos, du petit peuple, opposé aux grands : θώκος δήμοιό τε φήμις[105]. L’agora, c’est essentiellement l’assemblée plénière, celle où se réunissent tous les λαοί, tous les citoyens à la ville, tous les guerriers au camp, en un mot, la masse (πληθύς) de ceux qui n’ont point pris part au Conseil[106]. Elle complète les institutions qui paraissent nécessaires à l’existence même de la cité et sans lesquelles les hommes ne sont que des sauvages vivant comme les Cyclopes[107].

West le roi qui convoque l’Assemblée, comme le Conseil. Pour qu’Achille prenne pareille initiative dans l’armée des Achéens, au lieu d’Agamemnon, il faut des circonstances tout à fait exceptionnelles[108]. Mais la règle est formelle, incontestée. Elle explique la situation anarchique d’Ithaque dans l’Odyssée : pendant les vingt années qu’a duré l’absence d’Ulysse, il n’y a eu dans l’île ni agora ni thôcos, et, quand Télémaque, devenu majeur, use de la prérogative paternelle, les partisans de la stricte légalité ne savent que penser[109]. Il arrive fréquemment que le roi convoque à la fois l’Assemblée et le Conseil, afin de pouvoir informer sans retard la foule des décisions arrêtées en petit comité. Dans ce cas, l’appel du menu peuple se fait par le moyen usuel, par la voix des hérauts, et le roi se réserve d’aller lui-même quérir les premiers[110].

La convocation a lieu de bon matin, aux premières lueurs de l’aurore aux doigts de rose[111]. C’est contre la règle (ού κατά κόσμον) qu’Agamemnon et Ménélas convoquent une fois l’assemblée des guerriers au coucher du soleil, et ils en sont punis par la déplorable attitude d’hommes à moitié avinés et prompts au tumulte[112]. En campagne, on se réunit n’importe où, par exemple sur une plage spacieuse[113]. Dans les villes, le siège de l’agora est tout installé. A Troie, il se trouve sur l’Acropole, non loin du palais et des sanctuaires d’Apollon et d’Athènè ; dans les cités maritimes comme Pylos et Schérie, il est prés du port, devant un sanctuaire de Poseidôn[114]. Il a la forme circulaire qu’auront la Skias de Sparte et la Tholos d’Athènes ; à Pylos, c’est un amphithéâtre à neuf gradins, dont chacun peut recevoir cinq cents auditeurs[115]. Au milieu, dans le cercle sacré, sont les places d’honneur, des bancs de pierre polie réservés au roi et aux gérontes[116]. Tout le monde est donc assis, et l’habitude est si bien prise que, dans les assemblées de guerriers, on s’asseoit par terre et qu’il faut une panique pour qu’on reste debout[117].

Il pourrait sembler, d’après les affaires portées à l’Assemblée, qu’elle ait des attributions considérables. Il est question devant elle de tout ce qui intéresse le peuple, de tout ce qui est δήμιον[118]. On y délibère sur les moyens de remédier aux calamités publiques, telles que la peste ou la discorde des chefs[119] ; on y parle des récompenses à décerner pour services rendus à la chose publique ; on y présente les étrangers de passage qu’il s’agit de rapatrier ; on y annonce les nouvelles venues de l’armée en campagne ; on y propose d’ouvrir des négociations de paix[120]. Dans l’agora de l’armée, on discute sur la mise en liberté des prisonniers et des captives, on se demande s’il faut continuer la guerre ou battre en retraite, oit examine les propositions apportées par l’ennemi[121]. Voilà des programmes qui feraient facilement croire à la puissance politique du peuple ; nous allons voir que son rôle se borne le plus souvent à une assistance presque muette et inerte.

Le roi se rend généralement à l’agora en sortant du Conseil, escorté des gérontes. II ouvre la séance en exposant la question à traiter, à mains qu’il ne laisse ce sain au chef roui a pris exceptionnellement l’initiative de la réunion[122]. Celui qui veut parler se lève et se fait remettre un sceptre par un héraut[123] : par là il devient personne sacrée.

Mais il ne faudrait pas s’imaginer que le premier venu s’y risque. A l’ordinaire, tout se passe entre gérontes, et ce sont presque toujours les mentes qui, après avoir exprimé leur opinion dans le Conseil, la font connaître ensuite à l’agora : βουληφόρος et άγορήτης, les deux mots se complètent[124]. Par conséquent, ce sont les plus âgés d’entre les nobles qui sont les orateurs habituels de l’Assemblée. On attache un grand prix à leurs discours : une réputation d’éloquence et de sagesse vaut le renom de bravoure[125] ; l’épopée ne tarit pas d’éloges sur la voix harmonieuse de Nestor et vante les vieillards de Troie pareils à des cigales[126]. Les orateurs s’adressent quelquefois pour la forme à tous les assistants, Danaens, Troyens ou Ithaciens ; mais, en réalité, le roi parle seulement pour les chefs[127], et les chefs pour le roi[128]. La discussion n’est qu’un colloque entre deux ou trois grands personnages. Il est vrai que les chefs omit leur franc parler. Si Nestor use de la manière insinuante, Diomède le prend de haut et ne répugne pas à la violence : c’est le droit de l’agora (ή θέμις έστιν άγορή)[129]. Et l’homme du peuple (δήμου άνήρ), que vient-il faire ici ? Quand on est peuple (δήμου έων) on ne compte pas[130]. Tout au plus, dans un cas extraordinaire, un vieillard se permet-il d’exprimer l’inquiétude et la curiosité générales. Mais qu’un Thersite, un homme de rien, dont on ne connaît pas le père, ose se lever et, sans se munir du sceptre protecteur, se répande en invectives contre les rois, cela est contre la règle (ού κατά κόσμον). Toute l’assistance se moque de l’insolent, puis s’indigne, et, quand Ulysse le rabroue et finit par le frapper à coups de bâton, elle éclate en applaudissements[131].

Ce n’est pas à dire que l’opinion da peuple soit négligeable. Elle trouve toujours moyen de s’exprimer, fût-ce par de simples marques d’approbation ou des murmures, voire même par le silence. Il est évident qu’il y a toujours imprudence à prendre une décision contraire au sentiment de ceux qui auront à l’exécuter. Vague dans l’Iliade, cette puissance de la collectivité commence à se préciser dans l’Odyssée. Mais, en fait, c’est à peine si d’autres que les membres du Conseil prennent la parole à l’agora, et, en droit, la décision appartient au roi seul. Voyons, en effet, comment les choses se passent dans les grandes séances décrites par l’épopée.

Au début même de l’Iliade un prêtre étranger, Chrysès, vient demander qu’on lui rende à rançon sa fille, faite prisonnière. Il implore tous les Achéens et surtout les deux Atrides. Tous les Achéens sont d’avis d’accepter, et cependant Agamemnon refuse, la menace à la bouche. Comme Apollon venge son serviteur en déchaînant la peste, Achille, poussé par la déesse Héra, prend sur lui de convoquer le peuple à l’agora. Là se produit une altercation d’une violence inouïe. Achille se laisse emporter aux pires insultes et va jusqu’à tirer l’épée du fourreau. Agamemnon riposte avec fureur et ne retrouve sa majesté que pour une déclaration sans répliques : Cet homme veut se mettre au-dessus de tous les autres ; il veut commander à tous, régner sur tous, donner des ordres à tous ; mais je sais quelqu’un qui n’entend pas lui obéir. Après cette lutte, qu’a vainement essayé d’apaiser Nestor, l’Assemblée se dissout. Pas un instant ne s’est décelée la présence de comparses à côté des protagonistes.

Quand Agamemnon croit le jour venu pour la bataille décisive, il veut éprouver le moral de l’armée. Il la convoque en Assemblée. Escorté du Conseil qu’il a mis au courant de ses intentions, il propose de se rembarquer. Aussitôt cette masse docile s’ébranle et court vers les vaisseaux. Mais Ulysse se jette au-devant de la ruée, le sceptre d’Agamemnon à la main : aux chefs il explique qu’ils se sont mépris sur la pensée du roi ; les gens du commun, il les ramène à l’agora par des réprimandes et des coups. On se rassied. Seul, Thersite se met à vociférer qu’on en a plus qu’assez de se battre pour fournir à un roi des femmes et des trésors. On rit de lui, on se fâche, et la correction infligée à l’insolent fait la joie de la foule. Quand Ulysse soutient qu’il faut continuer les hostilités, on l’acclame. Quand Agamemnon adopte le plan de guerre proposé par Nestor, on l’acclame. Et l’on se sépare, sans que les guerriers aient eu à se prononcer autrement. Pas de consultation formelle, pas de vote : le roi a prononcé, il suffit[132].

Il arrive un jour que les incidents d’une séance modifient le sentiment du roi, mais sans qu’il en coûte rien à son autorité. Agamemnon propose à l’assemblée des guerriers, sérieusement cette fois, d’abandonner la Troade et de repartir pour la Grèce. Silence glacial. Diomède refuse, invoque le droit de l’agora, prononce le mot de lâcheté. Acclamations. La situation est angoissante : Nestor se lève et, pour couvrir le rai, demande que l’affaire soit réglée au Conseil. Les anciens se réunissent. Nestor se garde bien d’opposer un droit quelconque à la prérogative royale : c’est par elle que toute délibération commence et finit. Il suggère seulement au rai de se réconcilier avec Achille qu’il a offensé. Agamemnon y consent : il peut avouer ses fautes, sa souveraineté demeure sauve ; Achille recevra des présents, mais devra se soumettre à qui est plus roi que lui[133].

Voici, enfin, comment l’Assemblée des Troyens et celle des Achéens peuvent participer à des négociations. Dans une agora de tumulte et de terreur, Anténor propose aux Troyens de faire la paix. La proposition, amendée par Paris, est agréée par le roi Priam qui, de son chef, y ajoute une demande d’armistice pour la crémation des morts. Muni d’instructions formelles, le héraut Idaios se rend au camp des Achéens. Il est reçu dans l’agora, mais ne s’adresse qu’au roi et aux grands. Sa communication est accueillie par un silence significatif. Diomède demande erg quelques mots le rejet des conditions offertes. Tu as entendu, dit Agamemnon, la réponse des Achéens ; je la fais mienne, qu’il en soit ainsi. Il accorde cependant, sans en référer à personne, la courte suspension des hostilités et en prête serment. Idaios n’a plus qu’à s’en retourner pour faire connaître à l’agora de Troie la réponse impatiemment attendue[134].

Dans l’Odyssée, l’Assemblée n’a pas changé d’aspect, au moins quand les circonstances sont normales. Le roi Alkinoos est bien le roi que le peuple écoute comme un dieu, parce que de lui dépend l’action et la parole[135]. Après s’être entendu avec les douze autres rois sur le rapatriement d’Ulysse, il convoque l’Assemblée il lui présente le noble étranger et lui annonce qu’on va équiper un navire ; puis, il se retire avec sa noble escorte. Le peuple regarde, écoute et ne dit rien[136]. Même dans une situation aussi extraordinaire que celle d’Ithaque pendant l’absence d’Ulysse, le peuple n’a conquis aucun droit nouveau. Au contraire : pas de roi, pas d’Assemblée. Lorsque enfin Télémaque majeur convoque l’agora, tout ce qu’il désire, c’est d’exciter la pitié du peuple pour la tourner en colère contre les prétendants, c’est d’obtenir par des voies de fait l’expulsion des intrus qui lui mangent son bien. Deux citoyens le soutiennent ; trois prétendants lui répondent brutalement. Que fait l’Assemblée ? Émue de compassion, elle garde un morne silence, et, quand le dernier des orateurs ordonne qu’on se disperse, qu’on retourne chacun à ses affaires, elle se dissout, sans avoir tenté quoi que ce soit pour faire connaître sa volonté[137].

Cependant les temps sont troubles. Comment la force du nombre ne se manifesterait-elle pas ? L’acclamation par quoi la foule exprimait ses préférences pouvait faire sentir à quelles extrémités était capable de se porter la passion du peuple ; elle pouvait annoncer le recours aux armes en cas de résistance. Qu’on se rappelle la séance où Diomède s’élève contre Agamemnon. Les têtes sont montées. Nestor voit clairement où l’on va : à la guerre civile (πόλεμος έπιδήμιος)[138]. C’est à quoi tend le discours de Télémaque, le jour où il veut lancer les Ithaciens contre ses ennemis personnels. Il n’est pas d’autre solution possible, s’il n’y a pas de volonté souveraine pour imposer une décision. Le vote, c’est le remède préventif de la guerre civile ; tant qu’il n’existe pas, il ne reste, à défaut du pouvoir absolu, que l’alternative de la guerre civile et de l’inertie anarchique. Deux exemples nous montrent ainsi, dans l’Odyssée, une séance d’Assemblée se terminant par la rupture de la communauté. Après la prise de Troie, Agamemnon et Ménélas, en désaccord sur la question du retour, convoquent l’agora ; ils échangent des paroles amères, et les Achéens se lèvent dans un effroyable tumulte : les uns restent, avec Agamemnon ; les autres partent, avec Ménélas[139]. De même, après le meurtre des prétendants, les gens d’Ithaque se réunissent en assemblée. Les adversaires d’Ulysse demandent vengeance et s’écrient : Marchons ! (ΐομεν). Ses partisans répondent : Ne marchons pas ! (μή ΐομεν). Aucune voie de droit ne s’ouvre pour apaiser pareil antagonisme. Deux partis se forment ; on court aux armes ; le sang coule, Pour mettre un terme à cette lutte intestine (πόλεμος όμοίΐος), il faut une réconciliation générale avec les formalités usuelles de l’alliance[140].

Non plus qu’en matière politique, le peuple n’a de véritables droits en matière judiciaire. Comment en aurait-il, puisque les gérontes eux-mêmes ne peuvent qu’arbitrer les différends qui leur sont soumis par le consentement mutuel des parties ? Mais là encore le peuple peut exercer une pression morale ou agir par voies de fait. La démou phèmis force le meurtrier, quelles que soient sa puissance et la faiblesse de la famille lésée, à prendre sans retard le chemin de l’exil[141]. Quand Télémaque expose les méfaits des prétendants devant l’agora et se déclare incapable de se défendre, il appelle à son secours l’indignation populaire. Il ne réussit pas, il est vrai ; niais ses adversaires meurent de peur qu’une : autre fois il ne soit plus heureux et qu’une foule furieuse ne les maltraite et les chasse[142]. En cas d’attentat contre la cité, le peuple ne se préoccupe pas des questions de compétence ; il recourt à la loi de Lynch. Si les Troyens n’étaient pas si lâches, dit Hector à Paris, il y a longtemps qu’ils t’auraient lapidé[143]. Après un acte de haute trahison, Eupeithès est traqué par les Ithaciens, qui veulent le tuer, lui arracher le cœur et manger ses biens[144]. C’est ce même Eupeithès qui, lorsque Ulysse lui a tué son fils, essaie à son tour d’ameuter la multitude contre le meurtrier[145]. En somme, à une époque où il n’existe rien qui ressemble à la séparation des pouvoirs, dans les affaires que nous appellerons judiciaires comme dans les autres, le peuple n’a comme moyen d’action que l’expression vaine ou l’explosion révolutionnaire du sentiment collectif.

V. — PERSPECTIVES D’AVENIR.

Ainsi donc, les traditions séculaires dont le souvenir s’est conservé dans les poèmes homériques nous présentent le spectacle de sociétés qui, malgré les apparences, sont perpétuellement en voie d’évolution. La cité se compose de tous les groupes qui se sont formés avant elle et agrégés les uns aux autres ; elle est un agglomérat de génè. Si puissant que soit le roi de la ci !ë, il est entouré de rois qui tirent, comme lui, leur force de leur génos. Nul ne lui contestera jamais l’autorité sacerdotale dont il est revêtu. Mais ses pouvoirs politiques sont à la merci d’événements fortuits et de conceptions nouvelles.

On entrevoit, dans certaines parties de l’Iliade et surtout dans l’Odyssée, comment pourra déchoir la monarchie patriarcale. Pélée vieilli a tout à craindre, et son fils, loin de lui, se demande avec angoisse s’il n’a pas à subir le dédain et l’outrage, si même il n’est pas privé de sa dignité[146]. Les querelles entre frères, par exemple celle d’Agamemnon et de Ménélas après la chute de Troie, sont pour les familles royales des épreuves terribles. Plus dangereuses encore sont les minorités. Achille compte bien sur Patrocle, au cas où il mourrait, pour mettre son fils en possession de ses biens ; mais Ulysse aussi a confié son fils au dévouement du vieux Mentor, et l’on sait ce qu’il en est advenu. Les prétendants ne nient pas le droit dynastique ; mais chacun d’eux compte s’en targuer un jour comme mari de la reine, et, en attendant, voici Eurymachos que les gens d’Ithaque commencent à considérer comme un dieu, et Antinoos à qui l’on donne à l’occasion le titre de Puissance sacrée[147]. Les étrangers en sont à se demander si quelque oracle n’a pas détourné le peuple de l’héritier légitime[148]. Quand Ulysse revient enfin et massacre les usurpateurs, tout un parti se lève pour les venger, et le roi n’en triomphe, il ne redevient roi pour toujours[149] que par un pacte bilatéral analogue à celui qui liera les rois et le peuple à Sparte et cirez les Molosses.

C’est aux membres du Conseil, rois de tribus et chefs de génè, qu’iront les attributions échappées à la royauté. Quand Alkinoos traite de pairs les douze rois placés à ses côtés, il parle en souverain condescendant et courtois ; cependant, son langage exprime déjà la vérité de l’avenir. Il ne fallut apparemment pas beaucoup d’objurgations comme celles dont Diomède accable Agamemnon en pleine Assemblée, pour faire comprendre que la puissance publique n’était plus inséparable du titre royal. Même la force énorme que donnait au roi le commandement militaire est mise en danger ; un petit chef de Crète refuse de se ranger sous les ordres d’Idoménée, fait campagne à côté de l’armée régulière avec une bande de partisans et assassine le fils du roi qui voulait le priver de sa part de butin[150]. Or, parmi les nobles personnages qui se faisaient jadis honneur de servir le maître comme thérapontes, on en voyait déjà, dans des circonstances exceptionnelles, que le maître désignait soit comme tuteur et gérant éventuel, soit comme général. Des nominations de ce genre pourront être arrachées à la faiblesse du roi ou se faire sans lui. Le temps viendra où, l’aristocratie réduisant la royauté à l’état de simple magistrature, l’ancien majordome, devenu maître du palais, prendra la direction de l’État comme archonte ou comme polémarque[151]. La maison du roi se changera en administration publique, et de simples découpeurs de viandes (δαιτροί κρέιων)[152] seront élevés à la gestion du trésor avec le titre de dépeceurs des membres (κωλακρέται)[153].

Si l’on voit nettement naître et grandir le régime aristocratique dans la monarchie de l’épopée, on y discerne même, mais à l’état purement embryonnaire, un élément de démocratie. L’agora a beau être réduite en général à un rôle passif ; il est des cas, dans les parties les plus récentes de l’épopée homérique, où la voix du peuple, la δήμου φήμις, devient une puissance. Elle se fait assez menaçante une fois pour forcer un chef à partir pour la guerre. Il n’y avait pas moyen de résister, dit le personnage en question[154]. Mais le peuple ne pouvait qu’exercer une contrainte purement morale ou recourir aux armes ; de moyen terme juridique, il n’en existait pas. La règle de la subordination de la minorité à la majorité, la procédure légale du vote, n’était toujours pas inventée. L’acclamation même n’avait pas, en la forme, de valeur obligatoire, comme l’aura la boa chez les Spartiates. Il faudra bien des guerres civiles, des calamités sans nombre, pour amener les Grecs à fixer les droits de l’agora. Les temps ne sont pas révolus. Quand deux familles se querellent, elles n’ont d’autre recours que la vendetta, et la guerre privée n’a de terme que par un traité de paix formel : on n’en est même pas encore à se dire qu’il vaut mieux décider les familles à dénombrer leurs forces par le moyen de la conjuration et adjuger la victoire, sans effusion de sang, à celle qui présente le plus de combattants. Quand deux partis sont aux prises à l’agora, et qu’il n’y a pas de roi capable de prendre une décision, et qu’aucun compromis n’est possible, alors éclate forcément la guerre civile. Le jour n’est pas venu où, pour juger quelle est la plus nombreuse des armées en présence, ou bien l’on fait pousser successivement à chacune le cri de guerre, ou bien l’on demande que chaque citoyen jure enlevant la main de quel côté il se battrait s’il fallait se battre. C’est seulement parle vote que prévaudra l’opinion du peuple, que la dèmou phèmis deviendra le dèmou cratos.

 

 

 



[1] Il., II, 198 ; XII, 213, Od., II, 239 ; VI, 34.

[2] Od., XIII, 192 ; cf. Il., XI, 242.

[3] Il., XV, 558 ; XXII, 4299 ; Od., VII, 131.

[4] Cf. XXXVI, t. I, p. 125.

[5] Il., II, 660.

[6] Od., XIX, 174 ; Il., II, 646 ss.

[7] Il., IX, 149 ss.

[8] Od., IV, 174 ss.

[9] Od., XI, 489 ss.

[10] Il., IX, 63, 648.

[11] XXXIII, p. 85-91.

[12] Il., XXIV, 399 s. Pour l’amende, voir Il., XIII, 669 ; pour le rachat, XXIII, 297.

[13] XXXIII, l. c.

[14] Il., II, 362 s.

[15] Il., IV, 65.

[16] Od., XIX, 177.

[17] Il., II, 654 s., 668.

[18] Il., II, 591-602 ; Od., III, 7-8.

[19] Od., VIII, 35 s., 48, 394 s. ; cf. XXXIV, p. 240.

[20] Od., VIII, 392 ss. ; XIII, 14 ss. ; cf. XIX, 196 s.

[21] Il., XVIII, 556 ss.

[22] Voir, pour de simples guerriers, Il., IV, 236 ; V, 544 ss.

[23] Od., III, 41, 47 ; cf. Il., XVIII, 567.

[24] Il., IX, 160, 392 ; X, 239 ; Od., XV, 533.

[25] Il., IX, 69.

[26] Od., VIII, 390 s.

[27] Od., VII, 167, 11.

[28] Ibid., 189.

[29] Od., XIX, 179 ; cf. PLATON, Minos, p. 318 b ; Lois, I, p. 624 a-b, 630 d, 632 d ; STRABON, X, 4, 8, p. 476 ; 19, p. 482.

[30] PLUTARQUE, Agis, 11.

[31] Sur le droit d’aînesse, voir Il., II, 106 s. ; Od., XIX, 181-184 ; cf. Il., XV, 204.

[32] Od., I, 387 ; XVI, 385, 401.

[33] Od., VII, 63 ss. ; cf. Il., XX, 180 ss., 231 ss.

[34] Il., I, 191 ; cf. XX, 180 ss.

[35] Il., II, 141 ss. ; cf. 46, 186 ; IX, 38 ; VII, 412. Le sceptre d’Agamemnon était l’objet d’un culte à Chéronée (PAUSANIAS, X, 40, 11).

[36] Il., II, 196 ; cf. I, 279 ; VI, 139 ; IX, 37, 99.

[37] ESCHYLE, Suppl., 370 ; Od,, VI, 196 ; XI, 346, cf. 353 ; VIII, 382.

[38] Il., II, 402 ss. ; III, 271 ss. ; VII, 314 ss. ; IX, 534 s. ; Od., III, 444 ss. ; VIII, 59 ss. ; XIII, 181.

[39] Od., VIII, 40 ss., 56 ss.

[40] Il., IX, 98 s. ; Od., XI, 569 ; cf. Il., XVI, 542.

[41] Od., XIX, 109 ss.

[42] XXXVI, t. I, p. 90 ; Il., II, 487, 760 ; VII, 34 ; XI, 465 ; Od., XVIII, 106.

[43] Il., II ; 204 s.

[44] Il., IX, 252, 438 ; XI, 783.

[45] Il., II, 65 s., 362 ss., 553 s. ; IX, 69 ; XVI, 129, 155, 171 s.

[46] Il., XI, 807 ; II, 391 ss. ; cf. ARISTOTE, Pol., III, 9, 2.

[47] Il., III, 105 ss., 250 ss. ; VII, 354 ss. ; Od., III, 82 IV, 314.

[48] Il., X, 133 ; VIII, 162 ; IV, 262 ; Od., XIX, 225 ; VIII, 4, 46, 104, 162.

[49] Il., VI, 194 s. ; IX, 578 ss. ; XX, 184 s. ; Od., VI, 291 ss. ; XI, 184 s.

[50] Cf. Od., I, 337 ss. ; XI, 174 ; XXIV, 205 ss.

[51] Il., IX, 154 s. ; XXIII, 296 s.

[52] Il., VII, 470 s. ; cf. XXII1, 744 s.

[53] Il., I, 124, 161 ss., 368 s., II, 226 ss. ; VIII, 286 ss., IX, 130 ss. ; XVII, 231 ; Od., VII, 10 ; IX, 42 ; XI, 534.

[54] Od., I, 882.

[55] Od., II, 48, 235.

[56] Od., XIV, 48, etc., 121, etc., 100 ss.

[57] Il., XI, 322 ; XV, 431 ss. ; XVI, 685 ; XIX, 281 ; XXIII, 90 ; XXIV, 396 s. ; Od., IV, 96.

[58] Il., IX, 438 ss. ; XV 1, 145, 279 ; Od., IV, 22 ss., 35 ss., 216 s. ; XV, 95 ss.

[59] Il., I, 334 ; VII, 275 ; VIII, 517 ; X. 315 ; XII, 3113 : XXIV, 912, 575 ; Od., XVII, 173 ; XXII, 357 ss.

[60] Il., XIX, 196 ss., 247 ss. ; XVIII, 558 ss.

[61] Il., I, 320 ss., 334 ss.

[62] Od., VIII, 8.

[63] Il., VIII, 517.

[64] Il., II, 50, 97 ss., 273 ss. ; XXIII, 567 ss. ; Od., II, 6, 37 s.

[65] Il., XVIII, 503 ss.

[66] Il., II, 412.

[67] Od., IX, 90, X, 58, 102 ; Il., VII, 372 ss. ; XXIV, 149 ss., 180 ss., III, 116 ss., 245 ss.

[68] Od., XX, 276, I, 109 ss. ; VII, 163 ss. ; VIII, 474 ss., XVIII, 423 ss.

[69] Od., XIX, 135.

[70] Il., IX, 190, 202 ss., 211 ss.

[71] Il., XVI, 271 s.

[72] Il., VI, 581 ; V, 48, XIII, 600 ; XI, 843 ; XV, 401.

[73] Il., V III, 109, 113, 119 ; XII, 76, 111 ; XIII, 386.

[74] Il., XVI, 145 ss., 865.

[75] Il., IX, 190 ss. ; XIX, 331 ss. ; cf. XXIII, 78.

[76] Il., VII, 149 ; XVI, 129 ss., 145, 164 ss., 257 s.

[77] Voir, pour tous ces mots, XVIII.

[78] Il., II, 404 ss. ; X, 300 s. ; Od., VII, 189.

[79] Od., VI, 156 ; Il. X, 326.

[80] Il., II, 55 ; Od., VI, 53 ss.

[81] Od., VII, 95 ss.

[82] Il., IX, 70 ss., 89 ss.

[83] Od., XV, 468 ; Il., IV, 259 ; IX, 422.

[84] Od., XV, 466 s.

[85] Od., VII, 95 s. ; VIII, 422 ; cf. XVI, 408 ; XXII, 23.

[86] Il., XVII, 247 ; cf. IV, 344 VIII, 161 ; IX, 70 ss.

[87] Il., II, 56 ss. ; IX, 672 ss.

[88] Il., II, 76, 433 ; Od., VII, 155 ; Il., XIV, 122 ss.

[89] Il., II, 76.

[90] Il., VII, 344 ; IX, 173, 710 ; Od., XIII, 16, 47.

[91] Il., IX, 96 ss.

[92] Il., II, 86 ; Od., VIII, 46.

[93] Od., II, 14 ; VIII, 6.

[94] Il., IX, 578.

[95] Od., VII, 155 ss. ; VIII, 40 ss., 386 ss. ; XIII, 7 ss., 47 ss.

[96] Od., XXI, 21.

[97] Il., II, 53 ss. ; VII, 313 ss. ; XV, 721 ss. ; XVIII, 249 ss.

[98] Il., XXII, 119.

[99] Cf. Od., XVI, 402 s., XIX, 297 ; Il., VII, 45.

[100] Od., XXII, 65 ss. ; IV, 164 ss.

[101] Il., XVIII, 497 ss. ; cf. XXXIII, p. 115 ss., 127 ss..

[102] Od., XII, 914.

[103] Il., I, 238 ; Od., XI, 185 s.

[104] Il., XV I, 385 ss.

[105] Od., XV, 968 ; cf. II, 26 ; III, 127.

[106] Il., II, 145 ; cf. 268.

[107] Od., IX, 112, 215.

[108] Il., I, 54 ; XIX, 40.

[109] Od., II, 26 ss.

[110] Il., II, 54 ss. ; IX, 9 ss. ; cf. Od., II, 6-8 ; VIII, 7 ss.

[111] Il., II, 49 ss. ; VIII, 1 ss. ; Od., II, 1 ss. ; VIII, 1 ss.

[112] Od., III, 188 ss.

[113] Il., II, 92.

[114] Ibid., 788 ; VII, 325, 352 ; Od., III, 5-6 ; VI, 266 ; VIII, 5.

[115] Od., III, 7-8 ; cf. VIII, 16.

[116] Il., XVIII, 504 ; Od., II, 14, III, 31 ; VIII, 6.

[117] Il., II, 96, etc. ; IX, 13 ; XIX, 50 ; Od., III, 149 ; Il., VIII, 246.

[118] Od., II, 32.

[119] Il., I, 59 ss. ; XIX, 55 ss.

[120] Od., VII, 150 ; II, 30 ; Il., XVII, 34,5 ss.

[121] Il., I, 15 ss. ; II, 110 ss. ; VII, 382 ss.

[122] Il., II, 50 ss., 86, 110 ss. ; IX, 16 ss. ; XIX, 55 ss.

[123] Il., I, 234, 245 ; II, 100 ; Od., II, 37.

[124] Il., VII, 126.

[125] Il., I, 490 ; XII, 325 ; XV, 283 s. ; Od., XI, 510 ss.

[126] Il., III, 150.

[127] Il., VII, 385 ; IX, 17 ; Od., VIII, 26.

[128] Il., I, 59 ; XIX, 36.

[129] Il., IX, 31 ss.

[130] Il., II, 198, 202 ; XII, 213.

[131] Od., II, 15 ss. ; Il., II, 211-264.

[132] Il., II, 50-378.

[133] Il., IX, 9-161.

[134] Il., VII, 345-417.

[135] Od., VII, 11 ; XI, 346 ; cf. 353 ; VI, 197 ; VIII, 381.

[136] Od., VIII, 4-46.

[137] Od., II, 6-257.

[138] Il., IX, 64.

[139] Od., III, 137-157.

[140] Od., XXIV, 420-518.

[141] Voir XXXIII, p. 53 s., 233.

[142] Od., XVI, 375 ss.

[143] Il., III, 17.

[144] Od., XVI, 424 ss.

[145] Od., XXIV, 421 ss.

[146] Od., XI, 495 ss.

[147] Od., XV, 520 ; XV III, 34.

[148] Od., III, 214-215.

[149] Od., XXIV, 483.

[150] Od., XIII, 262 ss.

[151] Les rois des Phéaciens sont appelés άρχοί (Od., VIII, 891), comme le chef de maints peuples, y compris les Athéniens (Il., XV, 887) dont l’archos est, en la circonstance, un palémarchos.

[152] Od., I, 141 ; IV, 57 ; XVI, 252 s. ; XVII, 331.

[153] XXXVI, t. I, p. 401.

[154] Od., XIV, 237-239.